Désolé j'ai ciné #7
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L’homme aux mille facettes<br />
Et aussi : Gaspard Noé, Tom hardy, john carpenter, jim cummings...<br />
1
2
3<br />
eDiTo<br />
les hommes prennent<br />
le pouvoir<br />
Qu’ils décident de marcher sur la<br />
lune («First Man»), de se venger<br />
(«Halloween»),de frapper et marquer<br />
l’industrie <strong>ciné</strong>matographique à grand<br />
coup («Climax» de Gaspar Noé) ou qu’ils<br />
incarnent corps et âme des méchants<br />
- censés - être badass (Tom Hardy<br />
dans «Venom»), les hommes prennent<br />
décidément le pouvoir pour le meilleur<br />
et - pour certains - pour le pire en cette<br />
rentrée 2018.<br />
En attendant nous on a décidé de<br />
s’attarder dans ce numéro à celui à la<br />
gueule d’ange, celui qu’on n’arrive pas<br />
à détester même si on le voudrait tant il<br />
accumule tous les talents et surtout celui<br />
qui risque de marquer encore une fois<br />
l’année dans la peau de l’astronaute Neil<br />
Armstrong.<br />
Décidément il sait tout faire ce Ryan<br />
Gosling que c’est énervant...<br />
Margaux Maekelberg
4
5<br />
sOmMaIrE<br />
P.54<br />
P.6 P.50<br />
P.80 P.104<br />
DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG<br />
MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG<br />
RÉDACTEURS : JONATHAN CHEVRIER, MARION CRITIQUE, TANGUY RENAULT, SEBASTIEN NOURIA, MEHDI TESSIER,<br />
Ali Benbihi et Lucie Bellet
6<br />
Ryan Gosling<br />
Itinéraire<br />
d’une<br />
reconnaissance<br />
(beaucoup)<br />
trop<br />
tardive
Le Canada est connu pour être un puits d’acteurs de talent : Donald<br />
Sutherland et son fils Kiefer, Michael J. Fox, Keanu Reeves, Jim Carrey,<br />
Michael Cera, Ryan Reynolds, Ellen Page, Rachel McAdams et... Ryan<br />
Gosling donc.<br />
Un garçon aussi peu loquace (autant à l’écran que dans la vie de<br />
tous les jours) et discret qu’il est profondément mystérieux, un<br />
comédien au talent - presque - sans limite, qui trimbale sa trogne de<br />
beau gosse (et avec un certain succès) depuis près de deux décennies<br />
au sein d’un <strong>ciné</strong>ma ricain qu’il a définitivement embelli et enrichi,<br />
au prix d’interprétations très souvent saluées, mais trop rarement<br />
récompensées à leur juste valeur.<br />
Retour sur un acteur aux multiples facettes à travers son portrait,<br />
une rétrospective de sa filmographie et notre avis sur son dernier<br />
film «First Man».<br />
7
pOrTrAiT<br />
Des débuts très... club !<br />
C’est son oncle, et ses imitations du King Elvis dans les mariages, qui selon<br />
ses propres dires, lui auraient donné le goût de jouer.<br />
Ce touche-à-tout (acteur, réalisateur, scénariste, producteur, compositeur,<br />
musicien de jazz et de folk) débute sa carrière à l’âge de onze ans dans le show<br />
«All New Mickey Mouse Club «, où il se trouvera aux côtés de Britney Spears,<br />
Christina Aguilera et Justin Timberlake; une expérience qu’il n’appréciera pas<br />
forcément, moins doué que ses petits camarades pour le chant...<br />
Un baptême du feu terminé de manière abrupte - le show sera annulé après<br />
cinq saisons - qui le poussera à persévérer sur le petit écran avec quelques<br />
apparitions dans des séries à la qualité plus ou moins douteuse comme «<br />
Young Hercule « (dont il est le héros, une participation marquée qu’il reniera<br />
longtemps après),»Chair de Poule», ou encore «Kung-Fu: la légende».<br />
Sa première incursion dans le septième art, il la fera en 2001 dans la production<br />
Disney «Le Plus Beau des Combats» («Remember The Titans»), aux côtés de<br />
Denzel Washington (il y a pire comme début), dans lequel il joue un joueur<br />
de football américain dans la première équipe scolaire de Virginie accueillant<br />
des noirs, les Titans.<br />
C’est cette même année d’ailleurs qu’il explosera sur la scène indépendante<br />
sous les traits du terrifiant skinhead néo-nazi juif (!) Danny Balint, dans le film<br />
du même nom d’Henry Bean.<br />
Il irradie la bande de sa prestance, tout en violence et en contradiction, une<br />
superbe prestation pour une péloche gorgée de haine qui remportera le Grand<br />
Prix du Jury au Festival du film indépendant de Sundance.<br />
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«Au bout de dix minutes, ma mère<br />
est partie s’enfermer dans les<br />
toilettes pour pleurer.<br />
Elle pensait que, pour pouvoir<br />
jouer le personnage comme ça, je<br />
partageais ses sentiments !»<br />
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Un performeur passionné<br />
Un rôle loin d’être anecdotique quand on sait que Danny<br />
Balint recèle en lui seul quasiment toute la direction que prendra<br />
la carrière du bonhomme au fil des années : une addiction<br />
presque maladive pour les rôles tortueux et complexes, et une<br />
constante fidélité au circuit indépendant.<br />
Remarqué grâce au bon petit buzz du film à Sundance, il<br />
bonifiera son C.V. en jouant aux côtés du mésestimé David<br />
Morse (pour «The Slaughter Rule», drames et aléas d’une<br />
équipe de six-man football, un dérivé violent du football<br />
américain), de Sandra Bullock dans l’excellent thriller<br />
«Calculs Meurtriers» de Barbet Schroeder (où il incarne un<br />
étudiant perfide et sûr de lui, pensant avoir commis le meurtre<br />
parfait), puis dans le fascinant «The United States of Leland”,<br />
où il campe un ado énigmatique incarcéré dans un centre<br />
de redressement pour l’assassinat d’un jeune autiste, meurtre<br />
qu’il ne peut lui-même expliquer.<br />
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11<br />
Mais c’est définitivement sous la direction<br />
de Nick Cassavetes - fils des immenses<br />
John Cassavetes et Gena Rowlands -, que<br />
la « Gosling Mania « prendra une tournure<br />
décisive : avec la bluette dramatique<br />
sur l’amour éternel à travers la maladie<br />
d’Alzheimer, «N’oublie Jamais» / «The<br />
Notebook» (adaptation du best-seller de<br />
l’écrivain américain Nicholas Sparks),<br />
l’acteur accèdera au rang de wannabe big<br />
thing Hollywoodienne.<br />
Dans le rôle de Noah, jeune homme ne<br />
pouvant pas vivre sans la femme qu’il aime<br />
Allie (la belle Rachel McAdams, qui sera sa<br />
petite amie durant trois ans), Gosling séduit<br />
et touche tout autant qu’il impressionne,<br />
idem pour sa prestation en homme dépressif<br />
et suicidaire dans le thriller fantastique<br />
«Stay» de Mark Foster, sortie dans la foulée<br />
outre-Atlantique.<br />
Passé un break salvateur hors des plateaux<br />
de deux ans (qui lui permettra de jouer de<br />
la guitare avec son groupe folk Dead Man’s<br />
Bone), il compose l’une de ses plus belles<br />
performances dans le thriller politique «La<br />
Faille» de Gregory Hoblit, où il affronte<br />
ni plus ni moins que l’immense Anthony<br />
Hopkins, en campant l’ambitieux substitut<br />
du procureur Willy Beachum, chargé de<br />
prouver la culpabilité de plus en plus mise<br />
en doute, de Ted Crowford (Hopkins).
12<br />
La même année, il incarne Dan Dunne, un<br />
enseignant de banlieue toxicomane, dans<br />
le follement mésestimé «Half Nelson» de<br />
Ryan Fleck, une performance vibrante et<br />
désespérée, qui lui vaudra la première de<br />
ses nominations aux oscars.<br />
En pleine possession de ses moyens, et<br />
pouvant désormais porter des films sur son<br />
propre nom, il enchaînera sous la direction<br />
de Craig Gillepsie, avec sa composition la<br />
plus poétique et déphasée de sa filmographie,<br />
dans la savoureuse comédie «Une Fiancée<br />
pas comme les autres», pour lequel il campe<br />
un jeune homme littéralement à côté de la<br />
plaque - et le mot est faible , entretenant<br />
une relation avec une poupée à l’échelle<br />
humaine, qu’il prend pour une femme<br />
rencontrée sur le net.<br />
Un rôle touchant et emplit d’une douce folie,<br />
qui tranche complètement avec sa prestation<br />
glaçante d’un mari suspecté d’avoir un lien<br />
avec la mystérieuse disparition de sa femme,<br />
dans le thriller «All Good Things».
13<br />
2011 : L’Autoroute de la Gloire<br />
Il lui aura fallu dix ans, et<br />
une année 2011 auréolé de<br />
succès, pour que le Ryan soit<br />
définitivement considéré<br />
comme une valeur sûre<br />
par une Hollywood la<br />
putain ne jurant que par la<br />
puissance des billets verts.<br />
C’est par la force d’une<br />
performance saluée (une<br />
habitude pourtant) et un<br />
box-office plus que flatteur,<br />
que son statut prendra<br />
définitivement l’ampleur<br />
qui est la sienne aujourd’hui<br />
: une révolution nommée<br />
«Drive», thriller d’action<br />
cornaqué par le Danois<br />
génial Nicolas Winding<br />
Refn - son futur BFF - dans<br />
lequel il incarne avec brio et<br />
charisme «The Driver», un<br />
cascadeur /mécanicien le<br />
jour, chauffeur pour gangster<br />
la nuit, qui tombe amoureux<br />
de sa sublime voisine (la<br />
délicieuse Carey Mulligan).<br />
Les critiques sont unanimes,<br />
son interprétation tout en<br />
intensité du justicier solitaire,<br />
mutique et romantique,<br />
tout aussi touchant<br />
qu’extrêmement violent, est<br />
l’une des performances les<br />
plus impressionnantes de<br />
l’année, si ce n’est LA plus<br />
impressionnante avec celle<br />
de Jean Dujardin dans «The<br />
Artist».<br />
Un comble quand on sait<br />
qu’il avait offert, dans un<br />
quasi-anonymat quelques<br />
semaines auparavant, rien<br />
de moins qu’un bijou<br />
de performance dans le<br />
mal buzzé (à l’époque,<br />
puisque le film a faIlli être<br />
classé R-Rated aux USA)<br />
«Blue Valentine» de Derek<br />
Cianfrance, sublime drame<br />
dans lequel l’acteur, et<br />
Michelle Williams (déjà<br />
ensemble à l’écran dans «The<br />
United States of Leland»),<br />
incarne un couple déchirant<br />
qui bat de l’aile, un amour<br />
qui se sait mourant et que<br />
le personnage de Gosling,<br />
magnifiquement pitoyable,<br />
va tout tenter pour le sauver.<br />
Ces rôles suivants, en coach<br />
de séduction à tomber dans<br />
la sympatoche comédie<br />
«Crazy, Stupid, Love», ou en<br />
porte-parole du gouverneur<br />
démocrate en lice pour<br />
les primaires à l’élection<br />
présidentielle dans la<br />
quatrième réalisation de<br />
George Clooney, «Les<br />
Marches du Pouvoir», ne<br />
feront que confirmer une<br />
réalité déjà écrite depuis des<br />
années : Ryan Gosling jouit<br />
enfin de son destin de roi<br />
d’Hollywood.<br />
Une couronne qu’il reniera<br />
farouchement pourtant,<br />
tant il s’échine à voguer à<br />
contre-courant du système<br />
en fidélisant ses liens avec<br />
Derek Cianfrance dans<br />
le formidable «The Place<br />
Beyond The Pines» (où il<br />
campe Luke, un cascadeur<br />
à moto/petit gangster qui<br />
apprend qu’il a un fils,<br />
Jason, issu d’une aventure<br />
d’un soir avec Romina un<br />
an auparavant) et NWR<br />
via “Only God Forgives”<br />
(burnée et fiévreuse série B<br />
dans les rues dangereuses<br />
de Bangkok), ou même en<br />
passant pour la première<br />
fois derrière la caméra<br />
avec le très Lynchien «Lost<br />
River», même s’il se laissera<br />
tenter à la facilité d’un petit<br />
blockbuster aussi vintage<br />
qu’il est bancal (le film de<br />
gangsters «Gangster Squad»<br />
de Ruben Fleischer).
14<br />
«Je me sens poussé à faire des<br />
films. Obligé. Et je ne m’explique<br />
toujours pas pourquoi.<br />
Il y a plein d’aspects du métier<br />
d’acteur que je n’aime pas,<br />
et pourtant, je continue à le<br />
pratiquer.»
15<br />
Destination Oscar ?<br />
C’est la seule chose qui manque réellement, au fond, au<br />
bonhomme pour définitivement entrer dans le panthéon des<br />
comédiens ayant marqué pour de bon leurs générations, et force<br />
est d’avouer que sur l’échelle DiCaprio (ou Pacino, au choix, tant<br />
les deux lascars ont attendu plus que de raison pour chiper leur<br />
statuette dorée), le Ryan a encore de la marge niveau attente,<br />
même si celle-ci commence à se faire réellement sentir.<br />
Au-delà du délirant buddy movie du roi du genre Shane Black,<br />
«The Nice Guys» (où il est délirant en détective alcoolique mais<br />
doué), ou de la comédie chorale «The Big Short» d’Adam McKay<br />
(où il incarne un trader Deutsche Bank), force est d’avouer que sa<br />
quête - pas forcément volontaire - de reconnaissance de la part<br />
de ses pairs, n’a jamais été aussi près de porter ses fruits, que ce<br />
soit en amoureux transi dans l’hypnotique «Song to Song» de<br />
Terence Mallick, en replicant touchant rêvant d’humanité dans le<br />
chef-d’oeuvre «Blade Runner 2049» de Denis Villeneuve; mais<br />
surtout en musicien rêveur et romantique dans le formidable «La<br />
La Land» de Damien Chazelle.<br />
Dit <strong>ciné</strong>aste qu’il retrouvera en octobre prochain pour le<br />
méchamment buzzé «First Man», où il incarnera rien de moins<br />
que Neil Armstrong, dans ce qui pourrait bien être (enfin) son<br />
ticket décisif pour le fameux sésame doré - on croise les doigts.<br />
Énervant le bonhomme, mais pourtant infiniment fascinant et<br />
plaisant à suivre...<br />
Jonathan Chevrier
16
R é TR<br />
o<br />
17
18<br />
Blue<br />
Valentine<br />
Si l’adage veut que la réalité épouse souvent<br />
la fiction, «Blue Valentine» s’échine en<br />
revanche, à en prendre le douloureux contrepied<br />
en croquant avec une justesse rare, les<br />
derniers sursauts d’une flamme amoureuse<br />
qui se meurt, les ultimes moments d’agonie<br />
d’un couple, Dean et Cindy : deux âmes<br />
torturées qui n’arrivent pas à s’avouer la<br />
disparition de leurs sentiments et ne cessent<br />
de se blesser en cherchant vainement une<br />
hypothétique réconciliation qui ne viendra<br />
jamais.<br />
À la fois d’une émouvante beauté et d’une<br />
honnête laideur, le second long-métrage<br />
de Derek Cianfrance est sans contestation<br />
possible, le film sur l’amour conjugal le plus<br />
juste jamais cornaqué.<br />
Avec une justesse et une facilité<br />
déconcertante, la péloche<br />
s’amuse avec la temporalité et<br />
passe de la monotonie, de la<br />
lassitude de l’autre au présent,<br />
à la naïveté, l’insouciance<br />
d’une romance naissante et<br />
supposément infaillible; tout<br />
en construisant son histoire sur<br />
une impressionnante dualité<br />
de contraste (homme/femme,<br />
jeunesse/maturité, amour/<br />
haine, lumière/obscurité).<br />
Véritable feel bad movie<br />
vibrant et étouffant sur deux<br />
âmes victimes du poids du<br />
temps et du désespoir, «Blue
19<br />
Valentine» est une oeuvre coup<br />
de poing au moins autant qu’un<br />
formidable film d’acteurs, qui<br />
puise toute sa puissance dans<br />
la partition impeccable de son<br />
duo vedette : Ryan Gosling et<br />
Michelle Williams.<br />
Complètement débarrassé de<br />
tout glamour, physiquement et<br />
psychologiquement amochés,<br />
les deux acteurs ont construit une<br />
intimité aussi empathique que<br />
férocement destructrice pour les<br />
spectateurs : lui, dans la laideur<br />
du beauf ricain moyen, est plus<br />
touchante que jamais; elle, en<br />
femme à bout et désespérée, est<br />
bouleversante de douleur et<br />
d’amertume.<br />
Écartelés entre le dégoût<br />
d’eux-mêmes et une envie<br />
indicible de s’aimer encore,<br />
les deux nous saisissent par les<br />
sentiments pour ne plus nous<br />
lâcher jusqu’à un final aussi<br />
pathétique qu’émouvant.<br />
Après tout l’amour, comme<br />
toute chose dans la vie, n’est<br />
pas toujours aussi beau, rose et<br />
naïf comme au <strong>ciné</strong>ma.<br />
Jonathan Chevrier
20<br />
L<br />
ost river<br />
Visuellement bluffant, foutrement référencé, influencé et infiniment<br />
personnel, «Lost River» suit clairement la parfaite logique de la filmographie<br />
de Ryan Gosling initiée par le virage ‘’Refnien’’, mais également sa<br />
fascination pour les figures oniriques voire monstrueuses que laissaient<br />
transparaître ses récents choix <strong>ciné</strong>matographiques ainsi que la création<br />
son projet musical “Dead Man’s Bones” (l’album peut même servir de doux<br />
prélude au film).<br />
A l’instar de Quentin Tarantino, le bonhomme digère parfaitement ses<br />
aspirations multiples et ses nombreuses figures tutélaires pour accoucher<br />
d’un pur OFNI aussi étrange que complexe - et surtout difficile à pitcher<br />
-, une magnifique fable noire sur fond de crise sociale, un regard sensible<br />
sur l’Amérique des bas-fonds (frappée par l’insécurité, la pauvreté, la<br />
violence) profondément sensoriel, mélangeant les genres avec une facilité<br />
déconcertante (thriller, horreur, anticipation, fantastique) et s’inscrivant<br />
presque comme un versant cauchemardesque des glorieuses péloches des<br />
80’s estampillées Amblin dans son traitement de l’imaginaire, du conte et<br />
des terreurs enfantines.<br />
Dans cette chronique morbide et romantico-gothique de trois âmes au sein<br />
d’un Détroit aussi fantomatique et désertique que désespéré, dominé par la<br />
brutalité, Gosling, tel un gamin foutrement naïf, ose tout dans une œuvre<br />
puzzle - quitte à dangereusement flirter avec le ridicule - mais emporte<br />
pourtant constamment l’adhésion de son spectateur tant sa ballade,<br />
hypnotique et jouissivement bordélique, déjoue constamment les idées<br />
préconçues et les stéréotypes faciles.<br />
Tant pis donc, si son scénario apparaît méchamment brouillon (on ne<br />
critiquera jamais un <strong>ciné</strong>aste croulant sous une accumulation de bonnes<br />
idées) et un peu hermétique, si son rythme pêche par sa lenteur et son<br />
faux rythme ou encore que l’on peine un chouïa à s’attacher aux différents<br />
personnages-titres, «Lost River» est le glorieux nouveau rejeton d’un <strong>ciné</strong>ma<br />
qu’on aime, métisse, à la beauté malsaine et porté par de sublimes envolées<br />
lyriques; un pur cauchemar éveillé dans lequel on jubile de pouvoir y errer<br />
et nous y perdre.
21<br />
Esthétiquement poétique et macabre à<br />
souhait (good job du chef-op Benoît Debbie)<br />
et reprenant à sa guise les codes du conte<br />
comme un Del Toro, stylisé et weird comme<br />
un Lynch, angoissant et fascinant comme un<br />
Argento, le film jouit également d’une partition<br />
sans fard de son casting vedette (l’inestimable<br />
Ben Mendelsohn, la très Lynchiene Christina<br />
Hendricks et la merveilleuse Saoirse Ronan<br />
en tête) et d’un score envoûtant signé Johnny<br />
Jewel.<br />
Symbolique, contemplatif, féérique, troublant<br />
et d’une noirceur éblouissante, «Lost River»<br />
est un pur choc visuel, sensoriel et anxiogène,<br />
une première réalisation incroyablement<br />
captivante, qui nous fait décemment attendre<br />
avec une impatience non feinte la suite de la<br />
carrière du Ryan derrière la caméra...<br />
Jonathan Chevrier
22
only god forgives 23<br />
Alors certes, «Only God Forgives» est loin, bien loin d’incarner une œuvre définitive<br />
tant on se demande même comment la rigueur du <strong>ciné</strong>aste (pas connu pour autant<br />
comme un faiseur de script complexe) a pu laisser filtrer un scénar aussi brinquebalant<br />
et minimaliste que creux et prévisible, melting-pot plein de grumeaux de tout ce qui<br />
a pu faire la saveur de son <strong>ciné</strong>ma depuis plus d’une quinzaine d’années maintenant.<br />
Mais via une esthétique absolument inattaquable, souvent fétichiste et criante, Refn<br />
déballe ainsi durant plus d’une heure et demie, tout son savoir-faire dépouillé et<br />
séduisant, citant autant la furie de son «Bronson», la lenteur Lynchienne des travellings<br />
de son «Inside Job», la violence frontale de ses «Pusher» et même l’ambiance<br />
hypnotique et métaphysique de son «Guerrier Silencieux».<br />
Dans une Thaïlande fantasmatique, toujours ou presque, filmée de nuit pour en<br />
montrer tout le vice qui l’empoisonne, Winding Refn magnifie chacun de ses<br />
plans comme un peintre magnifierait sa toile d’une radicalité ultra-stylisée, tout en<br />
s’appuyant sur une quasi-absence de dialogue parfois pesante (il faut admettre que<br />
trop de silence, tue le silence).<br />
Lourd, fiévreux, lancinant, la bande déroute tout autant qu’elle séduit tout spectateur<br />
à même d’accepter l’invitation qu’elle incarne, un trip aux douces saveurs de<br />
descentes aux enfers comme seul Gaspard Noé saurait le faire (son ombre, tout<br />
comme celle de David Lynch d’ailleurs, planant grandement sur l’aura du métrage).<br />
Prenant pour toile de fond le film de bastons cher aux amateurs de séries B burnées,<br />
le <strong>ciné</strong>aste démystifie complètement l’image même du héros contemporain (là où<br />
au contraire, «Drive» iconisait complètement le mythe du super-héros), en lui faisant<br />
perdre tous ses combats pour le montrer faible, impuissant, complexé par une mère<br />
aussi castratrice qu’imposante.<br />
Dans le rôle du frère et de l’enfant indigne, Ryan Gosling en masochiste consentant,<br />
en prend plein la gueule, aussi symboliquement que physiquement, et si beaucoup<br />
lui reprocheront son sempiternel regard de chien battu, difficile de ne pas admettre<br />
qu’ici il fait des merveilles tant la tristesse et la frustration immense qui caractérise<br />
son personnage, en avait cruellement besoin.<br />
Proche de l’archi-posture, un peu froid et désincarné face à un mutisme, une violence<br />
bouillante, un complexe œdipien constant et un manque cruel de romantisme, mais<br />
également jouissivement étouffant, gore et extrême (plus d’une scène est à la limite<br />
de l’insoutenable), «Only God Forgives» est définitivement une putain d’expérience<br />
à part, un feux d’artifices sophistiqué et au ralenti qui se trouve tout autant sublimé<br />
qu’enfermé par sa radicalité, la faute à une trop grande volonté, peut-être, de la part<br />
de Winding Refn de se démarquer du produit purement mainstream et populaire de<br />
son précédent long («Drive»).<br />
Jonathan Chevrier
24<br />
bla<br />
Lars a<br />
A cause (ou grâce, c’est selon) du succès du film «The Notebook», Ryan Gosling a<br />
longtemps été catalogué comme belle gueule sans intérêt par les <strong>ciné</strong>philes machos qui<br />
refusent d’analyser l’intérêt du genre de la rom com. Après ses débuts chez Disney, il a<br />
pourtant joué toutes sortes de rôles, mais c’est bien celui-ci qui lui colle la peau pendant<br />
des années, à l’image de son t-shirt trempé collé à sa peau sur la jaquette DVD.<br />
C’est pourtant un rôle dans une rom-com pas comme les autres qui lui vaudra sa première<br />
nomination aux Oscars, quelques années avant que Derek Cianfrance et Nicolas Winding<br />
Refn ne le fasse vraiment décoller. Nous sommes en 2007, Ryan joue l’anti sex-symbol :<br />
pull moche, coiffure catastrophique et une moustache à en gâcher un cuni. Lars est un type<br />
solitaire et dépressif qui un jour décide d’acheter une sex doll. Seulement il ne s’en sert pas<br />
pour baiser mais pour faire comme s’il avait une femme. Une vraie femme. Il la nomme<br />
Bianca, la place dans un fauteuil roulant et c’est parti pour la présenter à ses proches,<br />
notamment son grand frère Gus et sa femme Karin. Voilàààààà.<br />
Au niveau de la structure, de la mise en scène, «Lars and the Real Girl» est tout ce qu’il y<br />
a de plus classique; on est sur du «Save The Cat» (méthode scénaristique de Blake Snyder)<br />
minuté et minutieux. Pour ce qui est du contenu en revanche, il faut admettre que ça<br />
relève plutôt de l’OVNI. On rigole, parce que sans déconner comment réagir autrement<br />
au premier abord (mention spéciale au médecin généraliste qui ausculte la sex doll), puis<br />
on finit par être touché. C’est qu’au fur et à mesure du film, toute la communauté va se<br />
prendre au jeu et accompagner Lars dans sa désillusion. Pour son bien ! Malgré la terne<br />
mélancolie qui flotte à l’écran, c’est une œuvre qui fait sourire, qui donne de l’espoir. Tout
de runner 2049<br />
nd the real girl<br />
le monde a besoin d’amour, même les rédacteurs <strong>ciné</strong> fleur bleue qui écrivent des phrases<br />
du genre « tout le monde a besoin d’amour ».<br />
Mais là où «Lars and The Real Girl» devient réellement intéressant, c’est quand on y<br />
réfléchit comme posant les bases de la persona que va se créer Ryan Gosling dans la<br />
décennie qui suit. Dix ans plus tard, le type solitaire qui a du mal avec les émotions<br />
devient K, un Replicant confronté à la nature même des émotions humaines. Dans «Blade<br />
Runner 2049», Ryan Gosling vit même avec une sex doll (Ana de Armas) qui ressemble<br />
beaucoup à celle de Lars. En dix ans, le statut de l’acteur a changé. Après «Drive», après<br />
«La La Land», on lui connaît une nouvelle force : celle d’exprimer le plus en faisant le<br />
moins. Une sorte d’anti-jeu qui ajoute à sa masculinité, puisque les vrais hommes ne font<br />
pas de sentiment… Mais c’est là tout le principe. Et tout l’intérêt. Ryan Gosling interprète la<br />
difficultés des hommes à exprimer leurs émotions ; que cela soit en faisant d’une sex doll<br />
sa femme, ou en enquêtant sur ses origines de Replicant.<br />
«Blade Runner 2049» est bien des choses, et il faudrait un texte de la taille de ce magazine<br />
pour effleurer tout ce qu’on peut en dire. C’est, par exemple, le film de SF arthouse le<br />
plus cher de l’histoire. «Blade Runner 2049» est une expérimentation de presque 3h par<br />
un réalisateur canadien qui a fait construire plus de décors pour son film que l’on en voit<br />
dans le dernier «Star Wars». Mais si l’on s’en tient à Ryan Gosling et son personnage,<br />
«Blade Runner 2049» est l’histoire d’un Pinocchio qui voulait être un vrai petit garçon.<br />
Une exploration de la frontière entre l’être et le paraître, un questionnement sur l’origine<br />
même de nos émotions. En cela, ce film est l’accomplissement de tout un pan du <strong>ciné</strong>ma<br />
de Ryan Gosling. Un <strong>ciné</strong>ma qui commence en 2007, avec Lars et une sex doll.<br />
Renaud Bourdier<br />
25
26<br />
la la land<br />
En 2016, peu après ses rôles de trader<br />
sournois dans “The Big Short” et de<br />
détective privé hanté par ses démons dans<br />
“The Nice Guys”, Ryan Gosling, chouchou<br />
d’Hollywood, se frotte et excelle dans un<br />
genre où on ne l’aurait pas attendu : la<br />
comédie musicale.<br />
Salué par la critique pour des films tels que<br />
“Blue Valentine”, “Drive” ou encore “The<br />
Place Beyond The Pines”, la renommée de<br />
Ryan Gosling n’est désormais plus à prouver.<br />
Adulé de la presse et du public, Gosling<br />
est l’une des belles gueules d’Hollywood,<br />
doué en tout, travailleur acharné; figure<br />
publique généreuse et humble; acteur,<br />
auteur, chanteur, danseur et réalisateur. Or,<br />
il fut un temps où Ryan Gosling n’était pas<br />
ce prodige du <strong>ciné</strong>ma. Pourtant, l’Amérique<br />
le connaissait déjà.<br />
Incarnant l’un des rôles titres de “La La<br />
Land”, dirigé par Damien Chazelle, Gosling<br />
va renouer avec l’amour pour la danse et le<br />
chant qu’il a commencé à cultiver dès ses<br />
12 ans dans le Mickey Mouse Club. On se<br />
souvient de ses danses énergiques et de sa<br />
frimousse sous des cheveux blonds. Mais<br />
pourquoi faire remonter à la surface une<br />
partie si lointaine de la carrière de Gosling ?<br />
Beaucoup de critiques, et aussi Eddy<br />
Mitchell, parlent de “La La Land” comme<br />
un film impersonnel, creux, sans réel<br />
effort de création. Ce à quoi je répondrais<br />
: non, monsieur ! (À lire sur le ton d’un<br />
député étrangement présent à l’Assemblée<br />
Nationale)
27<br />
Il y a dans “La La Land” une plus grande part de Ryan Gosling que dans<br />
aucun autre de ses films. Lui-même amateur de comédies-musicales, c’est<br />
en étroite collaboration avec Damien Chazelle qu’il va choisir d’apporter à<br />
son personnage de pianiste Sebastian, des parties de lui qu’on n’aurait su<br />
soupçonner. Peut-être même en surplus d’anecdotes, il en a soufflé quelques<br />
unes pour l’écriture du personnage de Mia. On se rappellera de la fameuse<br />
scène d’audition où elle est interrompue pour une commande de déjeuner.<br />
Aussi ahurissante que démoralisante, cette anecdote est pourtant le frais<br />
d’une expérience bien vécue par Gosling au cours de sa carrière. Beaucoup<br />
d’autres répliques ont été ajoutées par Gosling lui-même, inspirées par sa<br />
femme Eva Mendes, ajoutant une authenticité nécessaire dans cette histoire<br />
d’amour déjà touchante.<br />
Retrouvant son acolyte Emma Stone — dans le rôle de Mia Dolan — avec<br />
qui l’on ne compte plus les collaborations, l’alchimie de ce duo tragique se<br />
dégage de bout en bout comme une douce musique dans l’air — et comme<br />
les larmes sur mon visage lors de l’épilogue, ne faites pas les malins. Le<br />
travail acharné de Gosling se ressent clairement, dans le film. Eddy Mitchell<br />
— encore lui, décidément — dira de lui qu’il a « les pieds plats » et «<br />
une absence de charisme ». C’est évident qu’il n’est pas donné à tout le<br />
monde d’apprendre le piano, le chant et la danse pendant deux mois mois<br />
de pré-production intenses. D’autant plus que Gosling commençait à danser<br />
comme un (mini) professionnel alors que la carrière d’Eddy Mitchell était sur<br />
la pente descendante… <strong>Désolé</strong>e Eddy (non).<br />
Homme errant dans un Los Angeles rêvé, à la poursuite de ses rêves, Gosling<br />
livre ainsi une interprétation touchante et impliquée. Son rôle de pianiste<br />
de jazz restera gravé dans nos mémoires au même titre que sa performance<br />
de chauffeur au sang froid dans Drive. Il n’y a rien que Gosling ne puisse<br />
réaliser, et rien ne peut émouvoir autant que lorsqu’une histoire touche au<br />
propre vécu de ses protagonistes : “La La Land” décrit la jungle du <strong>ciné</strong>ma,<br />
la jungle des rêves dans laquelle il ne faut pas se perdre au risque de ne plus<br />
jamais trouver la sortie.<br />
C’est par un mélange de passion et poésie que Ryan Gosling a réussi à<br />
insuffler à son personnage la nonchalance qui le caractérise. Si son rôle ne<br />
lui a pas valu d’Oscar, comme sa compagne Emma Stone, on le retiendra<br />
tout de même comme un idiot rêveur. Mais ne le sommes-nous pas tous ?<br />
Lucie Bellet
28<br />
drive<br />
Pour bien des personnes, “Drive” fût<br />
le film de la révélation. Tout d’abord,<br />
la révélation d’un réalisateur phare de<br />
notre génération qui, bien qu’ayant<br />
débuté sa fascinante carrière 15 ans de<br />
cela, connaît là une visibilité critique<br />
et surtout publique inattendue, pour<br />
lui le premier. Mais surtout, “Drive” est<br />
la révélation d’un acteur, d’une figure<br />
désormais incontournable du <strong>ciné</strong>ma<br />
moderne américain.<br />
Pourtant, rien ne laissait présager un<br />
tel succès retentissant pour les deux<br />
artistes. Adapté du roman noir de James<br />
Sallis, “Drive” semble ne jamais vouloir<br />
aller là où on s’y attend. Entre ses cadres<br />
extrêmement (presque excessivement)<br />
stylisés, son rythme contemplatif et<br />
surtout son atmosphère glaciale, le<br />
long-métrage a su déconcerter une<br />
grande partie de son public, s’attendant<br />
à coup sûr à un film d’action dans tout<br />
ce qu’il y a de plus classique. Alors<br />
qu’en vérité, “Drive” est très justement<br />
un film sur le calme avant la rage, la<br />
violence intériorisée prête à exploser au<br />
grand jour, à l’image de son personnage<br />
principal.<br />
Loup solitaire au départ pantin puis<br />
bourreau par la suite, Ryan Gosling<br />
livre ici une prestation tout simplement<br />
mémorable, à la froideur monolithique<br />
dont on peut facilement se moquer<br />
mais qui dégage une puissance de jeu<br />
remarquable, éclipsant totalement le<br />
casting pourtant de haute volée qui<br />
l’entoure (Carey Mulligan, Oscar Isaac,<br />
Bryan Cranston, Ron Perlman…).<br />
Porté en plus de cela par la bandeson<br />
hypnotique et nocturne de Clint<br />
Mansell, “Drive” sait cacher son jeu.<br />
Débutant d’abord comme un polar,<br />
c’est une véritable descente aux enfers<br />
qui s’offre à nous, dans une deuxième<br />
partie accumulant les éclats gores à<br />
une cadence presque indécente, voire<br />
même malsaine.<br />
Tous ces éléments aussi singuliers que<br />
marquants ont fortement contribué<br />
à la réussite publique et critique<br />
de ce projet vu au départ comme «<br />
mineur » dans la tête de beaucoup<br />
de producteurs de l’époque. Si l’on<br />
peut visualiser le film suivant du<br />
tandem Gosling/Winding Refn, “Only<br />
God Forgives”, comme un anti-Drive<br />
complètement revendiqué, réponse à<br />
un succès presque trop important pour<br />
le réalisateur danois, il est indéniable<br />
que ce premier alignement de planètes<br />
est celui qui restera profondément et<br />
sur le long terme dans l’imaginaire du<br />
<strong>ciné</strong>ma indépendant.<br />
Un chef-d’œuvre ? Oui, on peut le dire.<br />
Tanguy Renault
29
30<br />
First man<br />
Le duo Chazelle/gosling<br />
refait des merveilles
31
32<br />
L’une de nos plus grosses attentes en cette fin d’année<br />
était forcément celle-là. Celui qui a fait une véritable<br />
razzia à la dernière cérémonie des Oscars avec sa<br />
brillante comédie musicale «La La Land» est de retour<br />
en cette fin d’année avec un tout nouveau projet aussi<br />
ambitieux qu’il est à mille lieux de son domaine de<br />
prédilection dans lequel on avait l’habitude de le voir<br />
oeuvrer - avec brio qui plus est - («Whiplash», «La La<br />
Land»). «First Man» se veut le portrait d’un homme dont<br />
le nom est connu sur toutes les lèvres : Neil Armstrong;<br />
le premier homme a avoir posé le pied sur la Lune. Récit<br />
d’un véritable parcours du combattant pour réussir cet<br />
exploit autant sur le plan technique que psychologique.<br />
Et pour ce retour en fanfare, Damien Chazelle a décidé<br />
de refaire équipe - et quelle équipe - avec Ryan Gosling<br />
dans le rôle-titre. Bref, toutes les planètes étaient alignées<br />
pour faire de «First Man» la petite claque de cette fin<br />
d’année.
33<br />
L’homme avant<br />
l’astronaute<br />
Pendant près de huit ans, Neil<br />
Armstrong suit un entraînement<br />
intensif pour finalement toucher la<br />
Lune du bout des doigts mais cette<br />
vie désormais dédier à cette seule<br />
et unique mission n’est pas sans<br />
répercussion sur sa vie de famille.<br />
Une vie d’ailleurs jonchée par des<br />
obstacles que le bonhomme n’a<br />
jamais totalement réussi à surmonter<br />
- et notamment la mort de sa fille<br />
-. Loin d’en faire un biopic sur<br />
l’astronaute, Damien Chazelle prend<br />
le parti de faire un portrait d’homme<br />
avant tout. Un mari, un père, un<br />
ami, que la vie n’a absolument pas<br />
épargné. «First Man» virevolte entre<br />
les entraînements et les apartés<br />
avec sa famille et ses coéquipiers<br />
devenus des amis au fil du temps.<br />
Malgré quelques passages plus<br />
faibles - autant rythmiquement que<br />
scénaristiquement - lors que Chazelle<br />
évoque sa vie personnelle, le film<br />
réussi à donner une vraie épaisseur<br />
au personnage de Neil Armstrong.<br />
Avec son visage mutique qui avait<br />
déjà fait son effet notamment dans<br />
«Only God Forgives», Ryan Gosling<br />
est taillé pour ce rôle, n’hésitant pas<br />
à montrer ses failles; en témoigne<br />
l’une des dernières scènes lorsqu’il<br />
se trouve sur la Lune.<br />
Laissant ainsi de côté la figure<br />
héroïque du bonhomme, «First Man»<br />
s’apparente avant tout à un vibrant<br />
portrait d’homme prêt à tout pour<br />
que cette mission réussisse. Mais à<br />
quel prix ?<br />
La question se pose d’ailleurs<br />
en filigrane durant la seconde<br />
partie du film alors que les échecs<br />
- et accessoirement les morts -<br />
s’accumulent et que la population<br />
commence à se demander<br />
-légitimement - où part tout cet<br />
argent et surtout, ne pourrait-il pas<br />
être plus utile ailleurs ?<br />
Ryan Gosling est fabuleux - comme à<br />
son habitude - mais celle qui tient le<br />
reste du film c’est bel et bien Claire<br />
Foy. Femme dévouée et aimante,<br />
celle qui aspirait à une vie normale<br />
voit son mari petit à petit lui glisser<br />
entre les doigts alors qu’il est de plus<br />
en plus obnubilé par cette mission.<br />
La caméra de Chazelle sublime son<br />
visage tiré par la fatigue, les épreuves<br />
de la vie et cette peur constante<br />
de perdre son mari. Absolument<br />
splendide et tout en retenue.<br />
Le prodige de la caméra<br />
À croire que Damien Chazelle a<br />
un véritable talent pour les scènes<br />
d’ouverture. Comment oublier cette<br />
fameuse - et bientôt mythique - scène<br />
d’ouverture de son «La La Land» tout<br />
en légèreté et plan séquence qui nous<br />
donnait envie de virevolter en robe<br />
jaune sous le soleil de Los Angeles ?<br />
Changement de registre pour «First<br />
Man» mais une scène d’ouverture<br />
tout aussi exceptionnelle. Cinq<br />
minutes d’une intensité à en faire<br />
frémir plus d’un. Caméra au plus près<br />
de Gosling, quasiment étouffée dans<br />
cet espace confiné quitte à ne voir<br />
quasiment jamais un bout d’espace,<br />
Damien Chazelle prend le pari - un
34<br />
poil couillu - de ne pas filmer le grandiose<br />
(ce à quoi le film tendait forcément aux<br />
premiers abords) pour se concentrer sur un<br />
cadre beaucoup plus intimiste. Un cadre qui<br />
vire aux scènes étouffantes et anxiogènes<br />
au possible lorsque Chazelle filme Gosling<br />
emprisonné dans son vaisseau que ce soit<br />
lors des différentes phases de test ou lors du<br />
voyage vers la Lune. Emprisonnant à la fois<br />
son personnage et le spectateur dans cette<br />
bulle fragile - la mort rôde à tout instant -,<br />
le film grimpe en tension jusqu’à atteindre<br />
des sommets, nous ôtant toute possibilité<br />
de respirer. La gravité a disparu a l’écran,<br />
elle n’est également plus présente dans la<br />
salle. À l’image de «Gravity», Chazelle sait<br />
imposer les silences quand il le faut mais il<br />
faut dire qu’il sait utiliser la musique quand<br />
il le faut aussi. Et il faut dire que quand on<br />
a au score un certain Justin Hurwitz qui<br />
avait déjà fait des merveilles dans «La La<br />
Land». Décidément on tient là une équipe<br />
gagnante.<br />
Pas forcément parfait dans toute sa longueur<br />
- quelques passages creux qui auraient pu<br />
être évités -, «force est de constater que<br />
Damien Chazelle réussi son nouveau pari<br />
haut la main en faisant de «First Man» un<br />
biopic aussi anxiogène qu’il est intimiste et<br />
profondément touchant dans son portrait<br />
d’un homme bien avant d’être un héros - si<br />
tenté qu’il en ai conscience -.<br />
Margaux Maekelberg
35
CRITIQUES<br />
Sear<br />
Portée Di<br />
Premier long-métrage d’Aneesh Chaganty<br />
ayant fait le buzz à Sundance et mettant en<br />
avant John Cho dans un de ses meilleurs rôles,<br />
“Searching” n’aura malheureusement pas<br />
la distribution ni même la reconnaissance<br />
qu’il mérite. Les films ressortant de festivals,<br />
surtout celui très huppé de Sundance, font<br />
souvent des remous auprès de la critique<br />
mais le grand public y reste souvent<br />
hermétique, faute de communication à leur<br />
sujet.<br />
Pourtant, “Searching” est peut-être le<br />
premier film a efficacement utiliser les<br />
spécificités narratives de ce nouveau genre<br />
formel qu’est le found-footage des années<br />
2010 : le screenlife movie — comprenez, un<br />
film porté de bout en bout par une interface<br />
d’ordinateur.<br />
Chaganty réussit sans peine à nous faire<br />
oublier les premiers films ressortissants<br />
du genre. On se souvient par exemple<br />
du jusqu’au-boutisme fainéant de<br />
“Unfriended”, présentant un écran statique,<br />
dévoilant les artifices et les inconsistances du<br />
genre. On se souvient des acteurs attendant<br />
silencieusement sur Skype, webcam visible,<br />
le temps que l’héroïne finisse sa recherche<br />
Google. On se souvient des incohérences<br />
liées à la mauvaise connexion des écrans<br />
des personnages, introduisant des jumpscare<br />
ratés.<br />
Bien loin de ces facilités et de ces<br />
maladresses, ‘‘Searching’’ met en scène<br />
son écran en y retranscrivant un langage<br />
36
12/09<br />
ching :<br />
sparue<br />
DE ANEESH CHAGANTY. AVEC JOHN CHO, DEBRA MESSING... 1H42<br />
<strong>ciné</strong>matographique familier du public. Le<br />
réalisateur se permet de lents zooms, des<br />
coupes, des ellipses ; il y insère toute la<br />
grammaire <strong>ciné</strong>matographique d’un thriller<br />
plus conventionnel.<br />
Oubliez également Skype et iMessage<br />
comme uniques sources d’informations,<br />
les conversations ne servant qu’à mettre le<br />
nez du spectateur dans un scénario subtil à<br />
aucun moment et à faire gagner du temps<br />
tellement la coquille de fond est vide. Ecrire<br />
un message, l’effacer… Ce procédé peut<br />
se révéler agaçant. Force est de constater<br />
que dans “Searching”, il est utilisé avec<br />
intelligence, servant plutôt à développer<br />
le personnage de David Kim et sa relation<br />
avec sa fille Margot, qu’à meubler deux ou<br />
trois minutes de vide.<br />
Le film multiplie également ses références<br />
technologiques et ses sources vidéos. Nous<br />
jonglons dans l’introduction du film d’un<br />
profil d’utilisateur à l’autre, sur un ordinateur<br />
tournant Windows XP, retranscrivant les<br />
malheurs de la famille Kim et le tragique<br />
décès de la mère de Margot… Une séquence<br />
qui ne laissera aucun spectateur insensible,<br />
introduisant également divers set-up qui<br />
paieront tout au long du film.<br />
Arrivés dans le présent, nous nous retrouvons<br />
en terrain connu : une interface de Macbook.<br />
L’écran jongle entre appels Facetime, pages<br />
internet, dossiers sur le bureau, replays<br />
de JT sur YouTube, sites s’apparentant à<br />
Periscope, archives de vidéos de famille,<br />
retour de caméras de sécurité connectées à<br />
l’ordinateur… Nous sommes non plus face<br />
à un écran comme on le connaît, rassurant<br />
et familier, mais face à un tableau de liège<br />
numérique où toutes les facettes de nos<br />
habitudes en ligne servent à cette enquête.<br />
Et encore mieux, combiner cette mise en<br />
scène de l’écran à l’utilisation intelligente<br />
des différentes sources vidéo trouvables<br />
sur internet permet une narration inventive,<br />
pas forcément chronologique, mais nous<br />
gardant constamment en haleine par rapport<br />
au déroulement des événements.<br />
Cependant, il ne s’agit pas de se méprendre<br />
: le regard du spectateur est peut-être guidé,<br />
mais le film ne nous tient pas par la main<br />
pour autant. Véritable thriller des temps<br />
modernes, il vous faudra garder l’oeil ouvert<br />
et guetter le moindre indice pendant 1h40.<br />
Les clés nous sont tendues, mais à nous de<br />
trouver comment ouvrir la serrure au coeur<br />
de cette expérience visuelle quasiment<br />
interactive.<br />
37
38<br />
Le choix du screenlife n’est ni<br />
innocent, ni gratuit. Voir la vérité<br />
se distinguer petit à petit de cet<br />
environnement si familier et intime<br />
qu’est l’écran d’ordinateur va de<br />
paire avec le thème des apparences<br />
trompeuses. “Searching” se<br />
revendique ouvertement comme un<br />
héritier du thriller à la Gillian Flynn,<br />
rendant hommage à “Gone Girl” et<br />
sans doute au travail de David Fincher,<br />
mais jouant de cette référence plutôt<br />
que d’en faire une pâle copie.<br />
“Searching” est un thriller intense<br />
qui redéfinit le terme ‘’à couper le<br />
souffle’’. Le travail d’Aneesh Chaganty<br />
pour un premier long-métrage est<br />
tout bonnement phénoménal, et il<br />
serait d’usage de foncer soutenir<br />
son film en salles avant qu’il ne soit<br />
déprogrammé. Encore une autre<br />
pépite de perdue dans l’océan de la<br />
chronologie des médias…<br />
Ali Benbihi et Lucie Bellet
39
12/09<br />
40<br />
première année
Et si “Première Année” était en réalité un des films les plus angoissants<br />
sortis cette année ? Pour les personnes qui seraient actuellement en études<br />
supérieures, quelles qu’elles soient, sans aucun doute. Connu pour son<br />
exploration riche de l’univers médical dont il est lui même originaire avec<br />
“Hippocrate” et “Médecin de Campagne”, Thomas Lilti élargit cette fois-ci<br />
son propos, sans néanmoins quitter les lieux qui l’ont formé.<br />
A l’aide de son duo d’étudiants essayant tant bien que mal de survivre aux<br />
premiers mois en faculté de médecine, “Première Année” dresse un portrait<br />
peu reluisant de l’académie française, visualisée ici comme d’un microcosme<br />
basé sur la mise à néant des pensées individuelles, remplacées par un<br />
automatisme coordonné et impersonnel faisant tout simplement froid dans le<br />
dos.<br />
Comme une gigantesque usine grouillante de machines, la faculté dépeinte<br />
dans le film nous est perçue comme une immense masse étouffante, où seuls<br />
quelques esprits surdoués peuvent s’en sortir, mais pas sans y laisser quelques<br />
plumes et connaissances au passage. La justesse et le naturel dont William<br />
Lebghil et Vincent Lacoste font preuve tout au long du métrage renforcent à la<br />
perfection ce sentiment d’oppression constante, qu’elle soit sociale ou même<br />
pédagogique.<br />
Sans recourir à une mise en scène tape-à-l’œil, mais plutôt à une approche<br />
intimiste, voire documentaire comme rappelée à certains instants-clé du récit,<br />
Thomas Lilti laisse la part belle à l’interprétation de ses personnages et de<br />
leurs états d’âmes, qu’ils soient dans l’euphorie des études ou bien dans une<br />
profonde chute libre de sentiments.<br />
Si à la vue de son synopsis et de sa bande-annonce, “Première Année” paraît<br />
comme une comédie sociale, c’est pour mieux cacher toute sa part dramatique,<br />
pouvant même aller vers le thriller dans ses instants les plus prenants, où une<br />
simple épreuve de partiel nous apparaît comme une scène de désamorçage<br />
de bombe à l’issue incertaine pour tous nos protagonistes. Une vraie belle<br />
surprise dans un paysage <strong>ciné</strong>matographique français toujours aussi diversifié<br />
dans ses registres mais aussi terriblement inquiétant sur sa vision de notre<br />
société actuelle.<br />
Tanguy Renault<br />
DE THOMAS LILTI. AVEC VINCENT LACOSTE, WILLIAM LEBGHIL... 1H32<br />
41
42<br />
la nonne<br />
«La Nonne », réalisé par Corin Hardy est le<br />
cinquième film de la saga Conjuring. Dans<br />
cet épisode, on quitte les Etats-Unis pour se<br />
rendre en Roumanie, où le suicide d’une<br />
jeune nonne dans une abbaye reculée alerte<br />
les autorités religieuses. Pour enquêter sur<br />
cette affaire mystérieuse, le Vatican décide<br />
d’envoyer un prêtre qui sera épaulé par une<br />
jeune novice. Ils découvriront que les lieux<br />
sont hantés par une puissance démoniaque.<br />
Si le <strong>ciné</strong>ma hollywoodien s’est franchisé<br />
ces dernières années avec les films de<br />
super héros, ce mal a toujours touché les<br />
productions horrifiques. « La Nonne »<br />
est le troisième spin off d’une saga qu’on<br />
peut dorénavant appeler The Conjuring<br />
Universe. Et si les aventures des époux<br />
Warren pouvaient avoir un intérêt, insufflant<br />
un nouveau élan dans les films de hantise,<br />
les déclinaisons font figures de coquilles<br />
vides. Ici, on suit l’enquête du père Burke<br />
et de la jeune sœur Irène dans une abbaye<br />
de Roumanie quelques années après la<br />
fin de la seconde guerre mondiale. Dans<br />
ce lieu de recueillement, est retrouvé le<br />
cadavre d’une nonne s’étant suicidée,<br />
chose normalement impensable pour une<br />
religieuse. Les deux protagonistes seront<br />
guidés par un Québecois sur ces terres<br />
maudites où rode une présence maléfique.<br />
Avec un pitch pareil, on pourrait s’attendre
43<br />
19/09<br />
DE CORIN HARDY. AVEC TAISSA FARMINGA, DEMIAN BICHIR… 1H37<br />
à un film à l’esthétique gothique, distillant<br />
une ambiance glaçante. Mais il n’en est<br />
rien. Si les décors sont plutôt convaincants,<br />
ils ne sont jamais sublimés par une mise<br />
en scène préférant plutôt faire la part belle<br />
aux jump scares sans surprises. Le gimmick<br />
de réalisation qui consiste à jouer avec le<br />
hors champ est toujours utilisé de la même<br />
façon et minimise donc l’impact des scènes<br />
horrifiques. Reste tout de même quelques<br />
utilisations intéressantes de l’imagerie<br />
religieuse, notamment avec cette marche<br />
d’une armée de nonnes fantômes.<br />
A la fin du long métrage de Corin Hardy,<br />
le constat est plutôt négatif. On ne peut<br />
que déplorer la façon dont sont traitées<br />
les thématiques abordées. Les traumas des<br />
personnages ne serviront que pour faire<br />
avancer l’intrigue et ajouter des scènes<br />
d’effrois mais jamais pour creuser leur<br />
psychologie, si bien qu’on a l’impression<br />
de ne jamais connaître les protagonistes. Là<br />
où le récit aurait pu être une métaphore des<br />
fantômes de la seconde guerre mondiale et<br />
du choc subi par la population, ou même une<br />
réflexion sur le matriarcat, le film s’évertue à<br />
raconter une histoire de hantise assez vaine,<br />
où les enjeux sont bâclés et balancés sans<br />
trop savoir quoi en faire. Les incohérences se<br />
multiplient, et on a l’impression d’être floué<br />
par ce qui s’annonçait comme « l’origin story<br />
» du démon Valak, figure emblématique de<br />
la saga Conjuring. Et même si la réalisation<br />
classique évite les fautes de goût, on<br />
préférera revoir « La Dame en noir », qui<br />
avait su distillé de façon plus habile une<br />
atmosphère gothique, rappelant les grands<br />
films de La Hammer d’antan.<br />
« La Nonne » est vraiment le prototype du<br />
film d’horreur post Blumhouse. Pour rappel,<br />
c’est cette société de production qui a sorti<br />
les Paranormal Activity et plus récemment<br />
Get Out, et qui tend à rendre les cauchemars<br />
sur grand écran visible par le grand public.<br />
Malheureusement, ce nivellement par le<br />
bas donne des produits dont le marketing<br />
est parfois plus intéressant à suivre que le<br />
résultat final. Une production horrifique<br />
n’a pas pour obligation de faire peur,<br />
mais demande au minimum de raconter<br />
une histoire viable se reposant sur une<br />
atmosphère viscérale, ce que le film n’arrive<br />
pas à faire sur la longueur, uniquement par<br />
petites touches. Dommage.<br />
Mehdi Tessier
les frères sisters<br />
DE JACQUES AUDIARD. AVEC JOAQUIN PHOENIX, JOHN C. REILLY… 1H57<br />
44<br />
Audiard a donc réalisé un western ?<br />
Étonnant... On pourrait presque ne pas y<br />
croire, tant son <strong>ciné</strong>ma (indubitablement<br />
parmi le meilleur cru de ce que l’on fait<br />
en France depuis ces dernières années)<br />
n’a jamais paru pouvoir et vouloir aller<br />
dans le sens de ce genre Hollywoodien.<br />
Pourtant, après avoir confirmé son statut de<br />
grand réalisateur avec sa Palme d’Or pour<br />
Deephan en 2015, Audiard nous propose<br />
au travers de «Les Frères Sisters», un western<br />
réussit, qui, à bien y regarder, est en réalité<br />
bien plus que cela.<br />
«Les Frères Sisters», c’est l’histoire d’un<br />
tandem, composé de deux frères, les deux<br />
criminels les plus redoutés et renommés de<br />
l’état de l’Orégon, connus sous les noms<br />
de Charlie Sisters (Joaquin Pheonix) et Eli<br />
Sisters (J. C. Reilley).<br />
L’un est un ivrogne capable de soudains<br />
excès de colère (Charlie – La Brute-).<br />
L’autre, plus raisonné, n’aspire qu’à une vie<br />
paisible et simple (Eli –Le Truand). Sur ordre<br />
du Commodore, sorte d’homme politique<br />
véreux, les frères Sisters partent à la recherche<br />
de Herman Kermit Warm, scientifique ayant<br />
mis un point une prodigieuse technique
pour découvrir de l’or. Ce dernier, mis<br />
au courant par Jack Gyllenhaal alias John<br />
Morris (Le Bon) du danger qu’il encourt,<br />
décide de prendre la fuite. S’engage alors<br />
une course poursuite à travers toute la côte<br />
Ouest des États-Unis d’Amérique, sur fond<br />
de voyage initiatique.<br />
Le spectateur uniquement fan de Western ne<br />
sortira pas déçu de ce film tant il déploie avec<br />
efficacité, tout du long, un éventail suffisant<br />
d’objets fétichistes : chevaux galopant,<br />
pistolets bien rodés, saloons bruyants plein<br />
de débauche, corps criblés de balles, grands<br />
espaces naturels etc...<br />
Seulement, tout cela n’est qu’un trompe<br />
l’œil. En observant bien, on constate<br />
qu’Audiard réinvestit les éléments du<br />
Western, se les réapproprie pour y faire<br />
contenir les thématiques propres à son<br />
<strong>ciné</strong>ma. Par exemple, la Nature n’a pas chez<br />
Audiard cette qualité effrayante et sacrée<br />
que l’on retrouve dans les classiques du<br />
Western. Le danger n’y est pas plus grand.<br />
Au contraire, filmée sans ce caractère<br />
effroyable, la Nature devient un espace de<br />
paix, de tranquillité, dans lequel les héros<br />
passent, communiquent et s’endorment.<br />
De plus, la façon de filmer certaines scènes<br />
de duels, de les désamorcées par des<br />
plaisanteries (sans pour autant leur enlever<br />
quoi que ce soit de leur violence) affirme la<br />
« touche » Audiard qui le différencie d’une<br />
lignée de réalisateurs de Western.<br />
Car en vérité, le but de Audiard n’est pas de<br />
travailler les thématiques du Western mais<br />
de se servir du genre pour s’interroger sur<br />
la question suivante : Comment se purger<br />
de la violence de nos ancêtres ? La force et<br />
l’originalité du film est d’ailleurs là : dans son<br />
humanité, dans (bizarre à dire) la chaleur de<br />
son propos.<br />
Première originalité : loin du mâle dominant,<br />
du mâle viril et de sa démarche à la John<br />
Wayne, loin du culte d’une forme de virilité<br />
désuète, les personnages des frères Sisters<br />
sont humains (trop humains). Audiard ne<br />
craint pas de ridiculiser ses personnages.<br />
Charlie Sisters est un ivrogne pathétique.<br />
Eli Sisters, malgré ses qualités de criminel,<br />
est au fond, un poète (qui n’hésite d’ailleurs<br />
pas à payer une prostituée dans l’unique but<br />
de jouer une scène de romance). Tous ont<br />
leur propre faille.<br />
Autre originalité : les héros parlent ! Oui, ils<br />
parlent, ils s’expriment ! Les hommes n’ont<br />
plus peur chez Audiard de raconter leur<br />
malheur, de parler de leur doute, de pleurer<br />
même. Oui même un Cowboy pleure (n’en<br />
déplaise à monsieur Wayne). Tout du long<br />
de leur voyage, les deux frères apprennent<br />
à se découvrir, se révèlent peu à peu l’un<br />
à l’autre, s’apprivoisent par le langage.<br />
Chacun raconte ses rêves, ses ambitions. Et<br />
soudain, on entrevoie le propos d’Audiard<br />
: l’échange/la parole est la possibilité de<br />
se purger de ses hantises. De délaisser les<br />
ombres de nos pères qui planent sur nous,<br />
de se défaire de la violence dont on a hérité.<br />
Audiard n’est pas pour autant niais, il sait<br />
que la tâche de se débarrasser de la violence<br />
est ardue. D’ailleurs J. Phoenix, dans un plan<br />
somptueux, métamorphosé soudainement<br />
en la représentation du tableau « La Mort du<br />
Christ » d’Andrea Mantegna, nous rappelle<br />
que le sacrifice nécessaire à cette tâche est<br />
immense, mais qu’il demeure salutaire.<br />
Car une fois l’ablation de la violence faite,<br />
le Bonheur et le Repos deviennent des<br />
possibilités envisageables.<br />
La séquence finale, émouvante et<br />
nostalgique, qui par son rythme vient rompre<br />
avec le reste du film, nous révèle tout le<br />
sens de l’histoire : celle de deux hommes,<br />
nageant à contre-courant, dans un monde<br />
en rapide expansion, en quête d’un Temps<br />
Perdu (et finalement Retrouvé).<br />
Sebastien Nourian<br />
45
26/09<br />
rafiki DE<br />
WANURI KAHIU. AVEC SAMANTHA MUGATSIA, SHEILA MUNYIVA... 1H22<br />
Avant même sa projection à Cannes, “Rafiki” était appelé, au-delà de sa potentielle qualité<br />
et au-delà même de son accueil tiède ou enflammé de la Croisette, à être une péloche qui<br />
marquera autant son temps que les esprits, par son statut de pionnier.<br />
Premier film kenyan sélectionné en compétition officielle à Cannes (et interdit de sortie<br />
dans son propre pays), le film compte une love-story entre femmes, deux lycéennes filles<br />
de deux opposants politiques, vivant dans une société kenyane très conservatrice (et où<br />
l’intolérance face à l’homosexualité est... furieuse et violente), le tout au sein d’une intrigue<br />
qui affirme sans trop le masquer, son apparenté à l’oeuvre phare de William Shakespeare,<br />
“Roméo et Juliette”; sommet absolu des romances interdites.<br />
Vrai coming of age movie à l’énergie pop férocement communicative et visuellement<br />
inspirée (la photographie colorée, couplée à l’ambiance du cadre de Nairobi, fait un<br />
malheur), tout autant qu’il est une sincère chronique contemporaine (entre le film social<br />
africain et le wannabe teen movie indé US), le second long-métrage de la réalisatrice<br />
Wanuri Kahiu, prenant gentiment son temps pour installer ses enjeux - simplistes pour le<br />
coup, malgré sa courte durée -, marque sensiblement la rétine autant pour l’universalité<br />
criante de son propos (le refus de conformisme de deux femmes voulant tout simplement<br />
vivre leur vie et leur passion), que la justesse de ton de cette épopée sentimentalo-sensuelle<br />
intime, délicate et emprunt d’une étonnante pureté, glissant lentement vers la tragédie.<br />
Alors on pourra décemment lui reconnaître certains défauts (son académisme, son manque<br />
de consistance scénaristique,...), mais impossible de ne pas se laisser enivrer par “Rafiki”,<br />
jolie bulle de fraîcheur, de douceur et de fragilité, qui illuminera votre fin de rentrée <strong>ciné</strong><br />
2018.<br />
46<br />
Jonathan Chevrier
10/10<br />
girl<br />
DE LUKAS DHONT. AVEC VICTOR POLSTER, ARIEH WORTHALTER... 1H49<br />
Dans la catégorie des belles séances du dernier Festival de Cannes, “Girl”, premier<br />
long-métrage du belge Lukas Dhont, a su gentiment se hisser en tête de peloton des<br />
favoris des festivaliers, aux côtés des derniers Kore-eda (“Une Affaire de Famille”), Lee<br />
(“BlacKkKlansman”) ou encore Chang-dong (“Burning”) et Serebrennikov (“Leto”), puisqu’il<br />
s’est payé le luxe, en prime, de repartir de la Croisette avec le prix de la Caméra d’Or.<br />
On a connu des premiers essais plus buzzé donc, mais pas beaucoup, et force est d’avouer<br />
qu’à son visionnage, ce “Girl” mérite amplement tous ses suffrages, et même bien plus<br />
encore.<br />
Récit initiatique aussi douloureux que bouleversant sur un jeune homme mal servit pas la<br />
vie et engoncé dans un corps qui n’est pas le sien, formidablement soutenu par ses proches<br />
(notamment un père aimant embrassant également le rôle de figure maternelle comme il<br />
le peut) dans son désir de devenir une danseuse étoile; “Girl”, version adolescente - même<br />
si c’est un terme un poil réducteur - du merveilleux “Laurence Anyways” de Xavier Dolan,<br />
impressionne mais surtout marque par la puissance et la justesse de son traitement d’un<br />
sujet aussi délicat.<br />
Portrait intimiste - mais jamais voyeuriste - et dénué de tout cliché putassier, jouissant<br />
d’une spontanéité de jeu et de ton étonnante, Lukas Dhont s’échine à retranscrire la<br />
période délicate du passage à l’âge adulte avec tous ses maux tout en les couplant au<br />
mal-être intense et à la souffrance insondable de sa courageuse héroïne, dont l’espoir d’un<br />
avenir meilleur est un véritable crève-coeur (Victor Polster, parfait, tout en douleur, grâce<br />
et détermination), avec une intelligence et une pudeur admirable.<br />
Profondément empathique, porté par un amour admirable et sincère pour tous ses<br />
personnages (surtout la famille de Lara) et un propos sociétal fort (les conventions cruelles,<br />
stupides et illégitimes sur la normalité sexuelle et la beauté auxquelles beaucoup sont<br />
violemment confrontés), “Girl” est un cri de l’âme qui nous touche en plein coeur.<br />
Une belle leçon d’humanisme sombre et lumineuse, tout simplement.<br />
Jonathan Chevrier<br />
47
48<br />
17/10<br />
Capharnaüm<br />
DE NADINE LABICKI. AVEC ZAIN ALRAFEEA, YORDANOS SHIFERA... 2H03
49<br />
Comme assez souvent à Cannes, alors que le jury a définitivement rendu<br />
son palmarès, les <strong>ciné</strong>philes eux, débattent en trouvant toujours le moyen<br />
d’annoncer qu’un tel ou un tel à été honteusement oublié, ce qui n’est<br />
décemment pas faux cette année (“Burning” et “Leto” en tête, sans oublier la<br />
formidable Zao Thao pour “Les Éternels”), mais tout de même, gageons que<br />
les prix remis par la troupe de (Queen) Cate Blanchett, furent pleinement<br />
justifiés - dans la généralité - et infiniment dans l’air du temps d’un Festival un<br />
poil plus impliqué dans certains combats, qu’à l’accoutumée.<br />
Tous donc, même «Capharnaüm» et ses retours presses mitigés.<br />
Nouveau long-métrage de la réalisatrice Nadine Labaki (le sublime «Et<br />
Maintenant on va où»), «Capharnaüm» joue jusqu’à l’extrême la carte de<br />
l’empathie et de l’émotion en contant l’histoire bouleversante d’un jeune<br />
garçon, Zain, accusé d’avoir poignardé quelqu’un et qui dans les tréfonds<br />
douloureux d’un Liban en souffrance, intente un procès à ses parents pour lui<br />
avoir donné la vie.<br />
À hauteur d’enfants et avec une mise en scène intimiste proche du documentaire<br />
- à la caméra alerte -, la <strong>ciné</strong>aste concocte avec colère et flashbacks affûtés,<br />
une charge contre les dérives d’une société broyée par la misère où les parents<br />
sont jugés irresponsables tant ils abandonnent - quand ils ne sont pas obligés<br />
de les vendre ou de les marier de force - leurs plus jeunes pousses, engoncées<br />
dans des bidonvilles de Beyrouth, pour les forcer à travailler plutôt que de<br />
s’instruire à l’école.<br />
Époustouflant et immersif dans sa première heure (où le spectateur prend<br />
totalement fait et cause du brillant Zain Alrafeea), le film se fait pourtant<br />
infiniment plus lourd dans sa seconde moitié, où la surenchère d’émotions<br />
devient infiniment moins subtile, tout comme la rigueur de son propos, avec<br />
l’arrivée d’une jeune femme sans papiers, accueillant le jeune héros - et lui<br />
ajoutant un jeune bébé dans les bras.<br />
Larmes en gros plans et dialogues surlignant à outrance la leçon de morale<br />
- pourtant louable - de la <strong>ciné</strong>aste (sans oublier le score pesant en prime),<br />
qui se permet même une présence pas forcément juste; «Capharnaüm» se<br />
veut fort (ce qu’il est), trop fort, quitte à se brûler les ailes avec ses immenses<br />
ficelles scénaristiques.<br />
Pas toujours fin dans l’expression de ses intentions donc, mais important dans<br />
sa volonté de mettre en lumière une vérité révoltante beaucoup trop poussée<br />
au mutisme, «Capharnaüm» est un beau et vibrant portrait d’une enfance<br />
obligée d’entrer dans la dureté de l’âge adulte presque dès la naissance, un<br />
puissant torrent d’émotions auquel il est parfois bien difficile de résister.<br />
Jonathan Chevrier
50<br />
Devenu persona non grata sur la Croisette avant d’être redevenu ‘’in’’ cette<br />
année aux yeux du festival et de son big boss Thierry Frémaux, le retour de<br />
Lars Von Trier à Cannes (Hors-Compétition) était autant redouté qu’attendu au<br />
tournant par les <strong>ciné</strong>philes que nous sommes.<br />
Que l’on aime ou pas le <strong>ciné</strong>ma du bonhomme, il est impossible de ne<br />
pas admettre qu’il propose, au-delà d’un sens indéniable de la provocation<br />
extrême, une pluie d’oeuvres singulières et formelles, totalement dédiées à<br />
retranscrire au pied de la lettre ses idées et névroses diverses, même les plus<br />
insondables.<br />
Un <strong>ciné</strong>aste dont le <strong>ciné</strong>ma n’est vraiment pas fait pour tout le monde (malgré<br />
quelques films ‘’abordables’’), en somme, et son nouveau long-métrage, “The<br />
House That Jack Built», suit scrupuleusement cette règle.<br />
Odyssée d’une noirceur abyssale dans les méandres tortueux de la psyché<br />
d’un serial killer/psychopathe alignant les meurtres tous plus odieux les uns<br />
que les autres, le <strong>ciné</strong>aste danois, totalement focalisé sur son point de vue et<br />
articulant son récit sur cinq ‘’incidents’’ importants de son parcours (un récit<br />
fragmenté rappelant fortement son diptyque «Nymphomaniac»), fait de Jack<br />
un artiste narcissique du Mal dont chaque crime est une pulsion créatrice<br />
qu’il se doit d’assouvir.<br />
En dehors du <strong>ciné</strong>ma de LVT, cette étude de la figure du tueur en série aurait<br />
sans doute pu être aussi fascinante que gentiment inconfortable, mais chez<br />
le réalisateur de «Antichrist» et «Breaking The Waves», la balade sanglante et<br />
meurtrière prend tout de suite des allures de séance infiniment malsaine et<br />
captivante.<br />
Fresque comico-métaphysique violente - aussi bien moralement que<br />
physiquement -, profondément provocatrice, grinçante et dérangeante, le<br />
<strong>ciné</strong>aste nous place au coeur (jusque dans sa mise en scène brute) de la<br />
perdition mentale d’un Matt Dillon effrayant, bourré de TOC et totalement<br />
habité par son rôle (sans doute l’une de ses meilleures performances à ce<br />
jour) et ose véritablement tout (quitte à faire de son héros un double fictionnel<br />
de lui-même) pour étayer son questionnement profond (l’art peut-il/doit-il<br />
déranger ?) et dépeindre une image nauséabonde de la nature humaine (ce<br />
qu’elle peut effectivement être, souvent), jusque dans un épilogue dément.<br />
Pas aussi insoutenable que la rumeur l’avait annoncé, bien plus solide et<br />
cohérent que son «Nymphomaniac», «The House That Jack Built» est une<br />
méditation autant sur la vie, la mort et l’art que sur la notion de mal, une<br />
oeuvre quasi-somme (tant le <strong>ciné</strong>aste ne cesse de citer son <strong>ciné</strong>ma) ambitieuse,<br />
barrée et barbare.<br />
Bref, LVT est de retour, et c’est une sacrée bonne nouvelle.<br />
Jonathan Chevrier
51<br />
17/10<br />
The House That<br />
Jack BuiltDE LARS VON TRIER. AVEC MATT DILLON, UMA THURMAN... 2H35
24/10<br />
cold warDE PAWEL<br />
PAWLIKOWSKI. AVEC JOANNA KULIG, TOMASZ KOT... 1H27<br />
52<br />
Cinq ans après son splendide portrait de femme, Ida (qui au passage lui a<br />
valu l’Oscar du meilleur film en langue étrangère), Pawlikowski nous offre<br />
avec Cold War (prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2018) un<br />
éblouissant poème sur d’éternels Amants et leur inlassable quête de Liberté.<br />
Dans une Pologne d’après-guerre, nouvellement communiste, ravagée par des<br />
années d’occupation allemande, le désir de renouer avec une identité passée<br />
et idéalisée et puissant. Irena, une productrice, et Wiktor, un musicien aux<br />
airs de poète maudit, ont tous deux en tête de monter un spectacle ambulant<br />
en vue de célébrer le folklore polonais. Ils partent ainsi à la recherche de «<br />
l’Art du peuple », celui de la Pologne profonde, des chants de montagnes,<br />
des villageoises en tenus traditionnelles... Lors des auditons, une énigmatique<br />
jeune femme, au visage angélique, se présente, elle se nomme Zula.<br />
Immédiatement, elle contraste avec les autres paysannes par sa modernité et<br />
sa liberté. Derrière son sourire et ses airs candides, Wiktor perçoit en elle la<br />
même mélancolie qui l’anime. Les deux se ressemblent, se reflètent l’un dans<br />
l’autre. Cela suffit pour qu’ils débutent une romance passionnée. Jusqu’au<br />
jour où Wiktor décide de partir pour Paris et une Europe plus libre. Il implore<br />
Zula de le suivre. Malgré tout l’amour qu’elle lui porte, elle ne viendra pas, et<br />
Wiktor deviendra le Humphrey Bogart (celui de Casablanca) d’Europe de l’Est.<br />
S’ensuit que le film portera sur leurs incessants vas-et viens, leurs retrouvailles<br />
puis leurs séparations multiples, sur une quinzaine d’années, entre la Pologne<br />
et la France, entre deux mondes, l’un trop froid et dur, l’autre trop bruyant,<br />
trop différent...
53<br />
Le premier atout du film est sans nul<br />
doute son noir et blanc épuré, cristallin<br />
fruit de l’évolution du travail commun de<br />
Pawlikowski et Łukasz Zal. Il magnifie les<br />
émotions et on ne peut qu’être contemplatif<br />
devant les visages des deux protagonistes<br />
dont chaque variation dans l’émotion<br />
est rendue honorablement. C’est surtout<br />
l’actrice, Joanna Kulig dont la Beauté exaltée,<br />
la rend égale à cette Venus Botticellienne,<br />
femme puissante et libre, désirable mais pas<br />
objet, tournoyant sans relâche comme une<br />
flamme inflexible (lors des scènes de danse)<br />
dans les ténèbres d’un monde dangereux et<br />
en guerre (cela aussi très bien rendue par la<br />
photographie).<br />
Car c’est cette dualité qui est la toile de<br />
fond du film : les Ténèbres et la Lumière, la<br />
Beauté et la Laideur du monde, la Liberté et<br />
L’Enfermement.<br />
D’un côté, le choix du format rappelle<br />
subtilement le thème de l’enfermement,<br />
de l’étouffement. Plus serrée, étriqué, les<br />
personnages semblent prisonniers de la<br />
pellicule. D’un autre côté, le rythme insufflé<br />
au film contraste de par sa façon d’agencer<br />
les scènes. Tout le montage exulte la<br />
Liberté. Les mouvements, rapides, violents,<br />
dynamiques, sont inscrit sur nombre<br />
d’images (scènes de spectacle, club de jazz,<br />
scène d’ivresse de Zula).<br />
D’ailleurs, la manière de couper les scènes<br />
(qu’on aimerait parfois tant voir durer pour<br />
notre plaisir visuel) est très intéressante. Sans<br />
connexion directes, avec d’énorme ellipses,<br />
les séquences apparaissent ainsi se suffirent<br />
à elle-même, comme déconnectées de<br />
l’ensemble. Chaque image est véritablement<br />
un poème en soi, que l’on pourrait isoler et<br />
admirer seule. Cela d’ailleurs pourrait être un<br />
défaut, mais entre les mains de Pawlikowski<br />
ne l’est pas ! Car tout le style du film, toute<br />
la liberté créative de l’auteur, repose sur cet<br />
aspect désordonné qu’il tente de recréer.<br />
Ce n’est pas le désordre du Chaos, mais le<br />
désordre du Jazz, celui de l’improvisation,<br />
de la liberté totale.<br />
De plus, que le film aborde l’amour, la<br />
mélancolie, la dureté du monde, le Paris<br />
des artistes, un leitmotiv unifie en arrière<br />
fond l’œuvre constamment : Comment être<br />
libre ? Peut-on s’aimer sans/ou malgré les<br />
frontières (celles des hommes, et celles du<br />
cœur) ?<br />
Le film réussit à donner le sentiment d’une<br />
incessante fuite, en avant, en arrière, toujours<br />
hors du cadre de la caméra dans laquelle le<br />
spectateur se laisse emporter. La possibilité<br />
d’une autre vie, la liberté, le bonheur sont<br />
toujours ailleurs, plus loin, à la bordure où<br />
au dehors de l’image...<br />
Cette idée trouvera d’ailleurs, dans l’acte<br />
final (no spoil !) sa mise en forme la plus<br />
aboutie et la plus parfaite. Égalant non<br />
seulement avec la simplicité de Bresson,<br />
mais aussi avec la justesse du mot, qu’on<br />
trouve chez Tarkovski, lorsque Zula clôturera<br />
le film d’une phrase qui résout et nous<br />
révèle en même temps, à nous spectateurs<br />
admiratifs, le sens de ces 1h28min de pure<br />
joie <strong>ciné</strong>matographique.<br />
Sebastien Nourian
54<br />
john carpenter<br />
le western<br />
dans le sang
55<br />
La sortie prochaine du «Halloween» de<br />
David Gordon Green permet de mettre en<br />
lumière celui par qui tout a commencé : John<br />
Carpenter. En effet, Studio Canal s’apprête<br />
à ressortir quatre films du maître, dans des<br />
versions 4K, le tout dans des coffrets qui<br />
s’annoncent sublimes. C’est l’occasion de<br />
revenir un peu sur la carrière d’un des plus<br />
grands contrebandiers d’Hollywood, et plus<br />
particulièrement sur sa fascination pour le<br />
western, genre américain par excellence.<br />
On le sait John Carpenter depuis le début de<br />
sa carrière n’a jamais caché son admiration<br />
pour le western et son envie profonde d’en<br />
réaliser un, un jour. Les échecs commerciaux<br />
et la mésentente avec les studios ont fait que le<br />
réalisateur n’a jamais pu accomplir son grand<br />
rêve. Et si on a jamais vu Big John tourner<br />
dans les plaines de l’ouest sauvage, on le<br />
dépeint quand même comme un réalisateur<br />
de western. Dans tous ses films, on retrouve<br />
des éléments du genre (<strong>ciné</strong>matographique)<br />
et c’est entre autre avec «New York 1997»<br />
et la création du personnage emblématique<br />
de Snake Plissken que Carpenter signe sa<br />
lettre d’amour au western. Le scénario du<br />
film est écrit en 1976 peu après le scandale<br />
du Watergate. Dans le film, suite à une<br />
hausse de la criminalité, la ville de New<br />
York est transformée en gigantesque centre<br />
pénitencier. Cet élément n’est pas sans<br />
rappeler, six ans avant la sortie du film, la<br />
transformation de Phnom Penh, la capitale<br />
du Cambodge, en prison d’Etat par les<br />
Khmers rouges, elle était surnommée S-21.<br />
Références qu’on peut retrouver furtivement<br />
dans un plan du film. Donc, un film bien<br />
plus politique qu’il n’y paraît.<br />
Mais avant d’aller plus loin, intéressons<br />
nous aux éléments qui constituent le<br />
genre du western. On y retrouve de<br />
New York 1997
grands espaces, des villes isolées avec des<br />
saloons animés et leur portes à battant, des<br />
règlements de comptes, et aussi des acteurs<br />
avec ‘’une gueule’’. Mais le genre a aussi<br />
utilisé des procédés <strong>ciné</strong>matographique<br />
bien spécifiques, tels que de longues plages<br />
de silence, des mouvements amples de<br />
caméras et l’utilisation emblématique du<br />
scope, ce format de l’image horizontal dont<br />
est friand John Carpenter. Dans «New York<br />
1997», on retrouve tout ces éléments. Le<br />
film commence en exposant le décor, avec<br />
très peu de musique et de dialogues. La<br />
brume dans les rues désertes de New York<br />
rappelle la poussière qui balaye les plaines<br />
du far west. Le bureau de Hauk rappelle<br />
le bureau du shérif et l’opéra de broadway<br />
sert de saloon. John Carpenter fait même<br />
appel à des acteurs tel que Lee Van Cleef,<br />
‘’la brute’’ du film «Le Bon, la Brute et le<br />
Truand», ainsi que Ernest Borgnine qui jouait<br />
dans un autre grand western : «La Horde<br />
Sauvage», et la trame principale fait penser<br />
à celle de «La prisonnière du désert», où les<br />
héros partent en mission de sauvetage en<br />
territoire ennemi. Tous les éléments et codes<br />
du western se retrouvent d’une manière ou<br />
d’une autre dans le <strong>ciné</strong>ma de Carpenter.<br />
«Le village des Damnés» et celui du héros<br />
de «Invasion Los Angele»s rappellent<br />
56<br />
fortement des villages fantômes perdus dans<br />
le désert. On retrouve des éléments de «La<br />
Horde Sauvage» dans «Vampires», avec des<br />
personnages de mercenaires violents, mais<br />
aussi avec une fin pleine de rage et de fureur<br />
dans «Invasion Los Angeles».<br />
De «Assaut» à «The Thing» en passant par<br />
«Le Prince des Ténèbres» ou «Ghost of<br />
Mars», on retrouvera régulièrement chez<br />
Carpenter la structure de «Rio Bravo» avec<br />
une véritable maîtrise pour filmer un huisclos<br />
ou un siège.<br />
Le réalisateur détourne la structure de «Rio<br />
Bravo» pour en faire une structure de film<br />
le village des damnés<br />
horrifique ou de science fiction dans un<br />
but précis. Il s’en sert pour explorer un<br />
thème au cœur de son œuvre, la figure du<br />
Mal. Dans le documentaire «Big John», il<br />
explique: « J’aime les films qui montrent le<br />
mal extérieur à nous. C’est plus évident pour<br />
moi et plus intéressant pour le spectateur<br />
que de dire que le mal est en nous ».<br />
Ce n’est donc pas d’un point de vue moral<br />
qu’il montre le Mal, mais bien d’un point<br />
de vue inhumain dont les protagonistes de<br />
ses histoires vont devoir faire face. Dans<br />
«Assaut», les membres du gang agissent<br />
comme une masse tapie dans l’ombre plutôt
the fog<br />
comme des individus. On peut dire la même chose du groupe de SDF dans «Le Prince des<br />
ténèbres». Ou encore dans «The Fog», où les fantômes ne sont souvent vus que à travers<br />
un épais nuage de brume.<br />
Dans «New York 1997», bien que le film verse clairement dans l’anticipation, le personnage<br />
de Snake Plissken semble sortir tout droit d’un western, et en particulier d’un des sous genres:<br />
le western crépusculaire. Dans les westerns des années 70, on met de côté l’héroïsme<br />
manichéen des cowboys d’antan pour céder la place à des personnages ambigües, dont<br />
les actes et leurs portées vont au delà des frontières de bien et de mal. Ils sont devenus<br />
des antihéros aussi brutaux que flamboyants. Snake Plissken est un pur produit de ce<br />
genre. C’est un personnage mutique, individualiste, rebelle à toute autorité et tendant vers<br />
l’anarchisme. Cynique et violent, il déteste la compagnie des autres. Son côté sauvage<br />
frappe dès son apparition: les cheveux longs, sa barbe de trois jours et son bandeau sur<br />
l’oeil sont en contraste total avec l’autorité représentée par les uniformes et les visages<br />
masqués. Il est l’individualité parmi la masse totalitaire et homogène: une anomalie. Au<br />
regard de la carrière de Carpenter, on peut facilement croire que Snake Plissken est l’alter<br />
égo du réalisateur. Carpenter déteste la pensée pré-mâchée. Celle qui uniformise. Il l’aura<br />
démontrée dans sa lutte acharnée contre les studios, mais aussi par des films comme<br />
«Invasion Los Angeles» avec ses messages cachés et «Le village des Damnés» où le seul<br />
enfant qui n’a pas de binôme est rejeté par les autres. C’est en cela que sa filmographie<br />
porte un message politique. Et si le western retrace de grands moments de l’histoire des<br />
Etats-Unis, en utilisant ce genre, Carpenter met en lumière les travers de son époque. Dans<br />
le documentaire «Big John» (2006), il nous dit : « On n’est qu’une bande de voyous, nous<br />
sommes des gens qui avons fui l’Europe. On n’est qu’une bande de bandits ! »<br />
John Carpenter est un <strong>ciné</strong>aste à l’oeuvre riche, liée par une cohérence formelle et<br />
thématique. Son choix d’incorporer des éléments de westerns à ses films va plus loin<br />
qu’une simple lubie ou passion. C’est un facteur intrinsèque à sa filmographie, mais aussi<br />
à sa dialectique. Ses héros hors la loi sont le reflet de sa propre vision de l’Amérique et du<br />
<strong>ciné</strong>ma américain, et font écho à sa volonté d’être libre dans un système qui ne laisse pas<br />
de place à la liberté individuelle.<br />
Mehdi Tessier<br />
57
58<br />
Gaspar Noé<br />
Danse macabre
59<br />
Le temps détruit tout. C’est par ces mots<br />
que Gaspar Noé clôt lui-même ce qui<br />
reste encore aujourd’hui son œuvre la plus<br />
polémique, “Irréversible”. Quatre mots qui<br />
prennent une résonance toute particulière<br />
après avoir été témoin de la destruction<br />
inversée subie par nos trois personnages<br />
principaux. La destruction progressive et<br />
inévitable de l’être humain est ce qui a<br />
toujours fas<strong>ciné</strong> le réalisateur italo-argentin<br />
et c’est très justement ce qui portera son<br />
<strong>ciné</strong>ma au travers des cinq long-métrages<br />
qu’il compte désormais à son actif.<br />
Dès son moyen-métrage “Carne”, qu’il<br />
réalisera en 1991 et qui fait office de prélude<br />
à “Seul Contre Tous” sorti 7 ans plus tard,<br />
Gaspar Noé prend un malin plaisir à nous<br />
faire suivre des personnages à la morale<br />
floue, poussés par la haine et conscients<br />
de leur fin imminente mais déterminés à se<br />
rattacher au peu d’honneur qui les maintient<br />
encore dans ce monde, constamment vu<br />
comme pervers, toxique et inégalitaire.<br />
Incarné par la figure imposante de Philippe<br />
Nahon, le personnage central du boucher<br />
prend alors une dimension menaçante et<br />
troublante, nous forçant à prendre du recul<br />
face aux propos d’un personnage que l’on<br />
peut considérer comme une vision de la<br />
France du Front National des années 90,<br />
l’attirance vers l’inceste en complément.<br />
Par ses thèmes et surtout son style visuel<br />
extrêmement radical voire perturbant,<br />
le <strong>ciné</strong>ma de Gaspar Noé développera<br />
très vite cette faculté à savoir comment<br />
choquer son public, en bien comme en<br />
mal. C’est donc tout naturellement qu’en<br />
2001, enfin remis de la naissance difficile<br />
de “Seul Contre Tous”, Noé s’entoure de<br />
Vincent Cassel, Monica Bellucci et de<br />
Albert Dupontel (autrement dit le gratin<br />
du <strong>ciné</strong>ma français des années 2000) et se<br />
lancent dans ce que le réalisateur considère<br />
encore lui-même comme un ‘’braquage’’.<br />
D’abord pensé comme un film érotique<br />
intitulé “Danger” (qui deviendra “Love” par<br />
la suite), “Irréversible” aura finalement été<br />
crée à l’instinct, avec seulement 5 pages<br />
de scénario, 6 semaines de tournage et un<br />
jeune chef-opérateur (Benoît Debie) rempli<br />
d’énergie à revendre.<br />
Le verdict ne se fera pas attendre et très<br />
vite, “Irréversible” générera un immense<br />
retentissement, notamment lors d’une<br />
séance au Festival de Cannes devenue<br />
anthologique. Avec son jusqu’au-boutisme<br />
aussi admirable que détestable, ce que l’on<br />
pourrait voir à première vue que comme un<br />
film malsain, glauque ou encore voyeuriste<br />
(à l’image des personnages illustrés en<br />
quelque sorte), se révèle être, avec le recul,<br />
une œuvre terrible sur la toxicité masculine<br />
et du virilisme amenant à la destruction,<br />
en particulier celle des femmes. Mais<br />
qu’importe les critiques, la réputation du<br />
réalisateur était lancée, lui permettant de se<br />
lancer dans le projet dont il a toujours rêvé<br />
: “Soudain Le Vide”.<br />
Sorti en 2009 sous le nom de “Enter The<br />
Void”, ce voyage astral, massif et conséquent<br />
de 2h40 est sans aucun doute le véritable<br />
chef-d’oeuvre de Gaspar Noé. Repoussant<br />
une fois de plus ses limites techniques, le<br />
réalisateur offre là son plus bel hommage<br />
possible à “2001 : L’Odyssée de L’Espace”<br />
(un de ses films préférés) au travers du regard<br />
d’Oscar, jeune américain exilé à Tokyo avec<br />
sa sœur Linda, tué lors d’une descente<br />
policière et expérimentant la vie après la mort<br />
selon les croyances Tibétaines. Véritable
60<br />
prouesse artistique et visuelle et ce, dès<br />
son générique d’introduction exceptionnel,<br />
“Enter The Void” se hisse dans le top des<br />
plus belles expériences <strong>ciné</strong>matographiques<br />
jamais mises sur pellicule, à la fois exigeant<br />
et sensoriel. Si le ton du film peut paraître<br />
moins choc que son prédécesseur, la fatalité<br />
est toujours de mise dans le parcours de<br />
cette union fraternelle séparée par la mort,<br />
condamnée à une survie précaire, solitaire<br />
et dangereuse.<br />
Si “Irréversible” parlait de la mort inévitable,<br />
“Enter The Void” traite de l’après mais<br />
aussi de l’avant, quand tout allait mieux. Il<br />
semblait donc logique que pour sa prochaine<br />
expérience, le réalisateur nous parlerait<br />
plutôt du temps présent et de la façon<br />
dont celui-ci s’amenuise progressivement<br />
à cause du mal-être humain. Avec “Love”,<br />
sorti en 2015, Gaspar Noé relance une fois<br />
encore la machine à polémiques en filmant<br />
l’amour de la manière la plus naturelle<br />
qui soit et tout particulièrement jusque<br />
dans son intimité. Interdit aux moins de<br />
16 ans avec avertissement puis finalement<br />
aux moins de 18 ans, “Love” surprend<br />
par son utilisation et sa mise en valeur de<br />
scènes de sexe non simulées entre nos<br />
trois protagonistes principaux, non pas<br />
dans un simple but excitant, mais plutôt<br />
pour montrer la désintégration d’un couple<br />
toxique l’un pour l’autre, n’ayant plus que<br />
le sexe comme seul liant commun. Un film<br />
bien plus introspectif que les précédents du<br />
réalisateur, trop égocentré dirons certains,<br />
mais une nouvelle preuve que son art<br />
<strong>ciné</strong>matographique dispose d’énormément<br />
de ressources, même les plus insoupçonnées,<br />
quand il s’agit de proposer des expériences<br />
nouvelles et sincères.
61<br />
C’est ainsi que nous arrivons à 2018. Pour son prochain film forcément<br />
attendu et redouté, on a longtemps parlé d’un film sur le darknet, d’un autre<br />
annoncé comme “extrêmement violent” sur la religion et même d’un curieux<br />
projet américain écrit par Bret Easton Ellis et avec Ryan Gosling dans le rôle<br />
principal. Il n’en sera finalement rien. “Climax”, tourné en un temps record<br />
en début d’année, déboule par surprise à la Quinzaine des Réalisateurs et<br />
déclenche un engouement critique jusque-là jamais vu de toute la carrière de<br />
Gaspar Noé. Faut-il y voir là une création plus accessible, voire plus adoucie<br />
? Accessible, sûrement, mais “Climax” dégage néanmoins une noirceur<br />
absolument étouffante durant tout son déroulement incessant, en plus de<br />
pouvoir être considéré comme le film-somme du réalisateur, dans la mesure<br />
où toutes ses idées de réalisation et de thématique sont ici réunies pour un<br />
uppercut atrocement beau (ou magnifiquement triste, c’est selon) sorti de<br />
nulle part.<br />
Nul autre que Gaspar Noé lui-même (et encore) ne sait ce que le bougre compte<br />
nous offrir pour sa prochaine excursion filmique. Le moins que l’on puisse<br />
dire, c’est qu’en l’espace de cinq films seulement (et de nombreux projets<br />
parallèles valant tout autant le coup d’œil), son nom est devenu synonyme de<br />
claque radicale et surtout mémorable dans le paysage du <strong>ciné</strong>ma français. S’il<br />
est certain que son univers a son lot de détracteurs pouvant lui reprocher la<br />
pauvreté de ses scénarios ou même de ses messages, beaucoup s’accordent<br />
à admettre son talent technique absolument imparable, qui a pu nous offrir<br />
certaines des plus belles images que l’on ait pu voir sur grand écran durant ce<br />
siècle passé. Vivre est une impossibilité collective.<br />
Tanguy Renault
62<br />
T<br />
omhardy<br />
Début 2010, Vincent Cassel disait de lui :<br />
« Tom n’a pas d’égal parmi les acteurs de son âge. Il va prendre une<br />
place que l’on imagine même pas encore...»<br />
Visionnaire, le Frenchy ?<br />
Pas loin, car force est d’avouer que presque une décennie plus tard,<br />
il est quasi impossible de le contredire, tant l’anglais est aujourd’hui<br />
l’une des figures les plus demandées et incontournables du tout-<br />
Hollywood.<br />
Les <strong>ciné</strong>astes de talent et (surtout) les majors avides de billets<br />
verts, le savent mieux que personne : Tom Hardy est de ses acteurs<br />
rares, de ces perles que le <strong>ciné</strong>ma mondial ne crée qu’une fois par<br />
décennie, le genre d’acteur caméléon au charisme inné, à la puissance<br />
animale et au physique ravageur, sans aucun frein pour ‘’vivre’’,<br />
‘’incarner’’ un personnage, capable de porter un divertissement<br />
friqué sur ses épaules, tout autant qu’être la figure de proue d’un<br />
film plus mineur, lui permettant d’être gentiment flatté par la<br />
critique.
«Je change souvent de tête à<br />
l’écran. Ça me plaît. Ça multiplie<br />
mon énergie. Endosser complètement<br />
la peau d’un personnage fait partie<br />
de mon travail, même si l’expérience<br />
peut s’avérer douloureuse.»<br />
63
pOrTrAiT<br />
Et pourtant, le succès n’a pas frappé<br />
à sa porte tout de suite, loin de là<br />
même...<br />
Fils d’un père écrivain et d’une mère<br />
artiste, il croisera plus le chemin de la<br />
justice et des interrogatoires de police<br />
que celui des séances de casting.<br />
Délinquant, il squattera les comptoirs<br />
de bars, touchera à la poudre et<br />
ruinera même son premier mariage :<br />
l’homme se cherche, et c’est dans la<br />
destruction de lui-même qu’il sera en<br />
quête d’une réponse, et non dans sa<br />
passion première, le <strong>ciné</strong>ma.<br />
Une anecdote raconte même qu’un<br />
jour, alors qu’il était censé rencontrer<br />
l’immense John Woo à Hollywood<br />
pour discuter d’un projet (lequel ?<br />
Mystère...), il s’était retrouvé nu dans<br />
une contre-allée de downtown Los<br />
Angeles, un flingue chargé à la main,<br />
à côté d’un type qu’il ne connaissait<br />
pas et de son chat, tout en ignorant<br />
comment il s’était retrouvé là !<br />
« Au fond, j’étais dans<br />
une quête désespérée<br />
d’attention. »<br />
Et cette attention, elle va méchamment<br />
tarder à pointer le bout de son nez<br />
tant à l’époque, son C.V d’acteur n’est<br />
pas franchement reluisant : de vagues<br />
interprétations dans des téléfilms<br />
anglais, des séries Z pitoyables, et<br />
64
65<br />
quelques apparitions chez Stuart Baird (“Star<br />
Trek Nemesis”), Matthew Vaughn (“Layer Cake”),<br />
Ridley Scott (“La Chute du Faucon Noir”), ou<br />
encore chez Sofia Coppola (“Marie Antoinette”).<br />
Pas de quoi faire bander une major, ou même un<br />
<strong>ciné</strong>aste majeur.<br />
Son salut artistique (tout comme celui de<br />
son existence), après de longues cures aux<br />
Alcooliques Anonymes et dans des centres de<br />
désintox, il l’obtiendra grâce à sa rencontre avec<br />
Guy Ritchie, qui lui offrira le génial rôle du truand<br />
gay Handsome Bob dans son “RockNRolla”, mais<br />
surtout grâce à son interprétation hallucinante<br />
du plus célèbre des détenus anglais, dans le<br />
merveilleux “Bronson” de Nicolas Winding Refn.<br />
Le parcours d’un combattant
Un coeur et (beaucou<br />
muscles<br />
66<br />
« Bronson, c’est le film qui a tout changé. Le<br />
plus dingue, c’est que j’étais réellement prêt<br />
à tout abandonner avant de le tourner. Je<br />
m’étais dit que ce serait mon ultime tentative<br />
pour impressionner tout le monde. J’allais<br />
m’engager comme soldat, j’avais déjà rempli<br />
les formulaires, tout. Mais, de toute façon, je<br />
n’aurais servi à rien dans l’armée. Être acteur,<br />
c’est le seul truc que je sache faire. »<br />
Sidérant, imposant et investi comme<br />
jamais, sa composition mettra tout le<br />
monde d’accord et lui ouvrira les portes<br />
d’Hollywood.<br />
Et c’est le futé Christopher Nolan sera le<br />
premier à le faire tourner, pour son sublime<br />
«”Inception”, où il tiendra non sans brio,<br />
le rôle d’un faussaire certes bad boy, mais<br />
cette fois propre sur lui.<br />
Le succès monstre du métrage en fera une<br />
star, statut qu’il usera sans traîner pour porter<br />
sur ses épaules l’émouvant drame sur fond<br />
de free-fight, “Warrior” de Gavin O’Connor,<br />
pour lequel il suivra un entraînement intensif<br />
de dix semaines, et prendra treize kilos de<br />
muscles.<br />
« J’ai morflé ! Surtout moi qui suis un gros<br />
flemmard. Mais ça valait le coup. Warrior n’est<br />
pas un film d’action bourrin façon Chuck Norris<br />
ou Steven Seagal. Sa dimension humaine m’a<br />
sincèrement touché, sa réflexion sur la fratrie<br />
aussi. »<br />
Touchant et tout simplement électrisant<br />
en ex-marine qui monte sur le ring pour<br />
combattre ses démons et sa haine de soi,<br />
Hardy y fait ce qu’il sait faire de mieux :<br />
mettre k.o tout le monde en nous retournant<br />
les tripes, ne serait-ce que par la simple force<br />
de son regard aussi puissant qu’expressif.<br />
Wannabe next big thing du <strong>ciné</strong>ma ricain dès<br />
2012, le bonhomme baladera sa trogne dans<br />
pas moins de cinq films entre cette annéelà<br />
et la suivante, tous plus différents les uns<br />
que les autres : la romcom d’action “Target”<br />
de McG où il se partage avec Chris Pine,<br />
le coeur de la so cute Reese Witherspoon,<br />
le magistral thriller “La Taupe” de Thomas<br />
Alfredson, le film de gangsters à forte<br />
tendance western “Des Hommes sans Loi”<br />
de John Hillcoat (où il pousse les tics de son<br />
jeu à son paroxysme), l’intimiste “Locke”<br />
de Steven Knight (où il incarne un homme<br />
dont le monde s’effondre littéralement à<br />
l’autre bout de son téléphone), mais aussi<br />
et surtout “The Dark Night Rises”; opus de<br />
conclusion de la trilogie “The Dark Knight”<br />
signé Nolan, où il incarne le terrifiant<br />
Bane et confirme sa place de choix dans la<br />
‘’famille’’ <strong>ciné</strong>matographique du <strong>ciné</strong>aste,<br />
qui le convoque à nouveau en 2017, dans<br />
le brillant “Dunkerque”, où il revient sur<br />
la fameuse opération Dynamo lors de la<br />
Seconde Guerre Mondiale.
67<br />
p) de<br />
« J’ai interprété pas mal de<br />
gars assez terrifiants et il<br />
y a probablement un certain<br />
nombre de raisons à cela.<br />
D’abord, les méchants sont<br />
beaucoup plus intéressants<br />
que les héros, qui se révèlent<br />
la plupart du temps assez<br />
ennuyeux. Et, plus jeune, je<br />
me souviens avoir eu assez<br />
souvent peur. Étant petit,<br />
frêle et vulnérable, j’avais le<br />
sentiment que l’on pouvait s’en<br />
prendre à moi facilement. Je<br />
joue ce qui m’effrayait alors. De<br />
toute façon, il est préférable<br />
de paraître féroce dans ce<br />
métier ! »
68
69<br />
His name<br />
is Max<br />
Fan de rap (il a même enregistré un album en 1999), de tatouages (son corps<br />
parle pour lui), le bonhomme est aussi amoureux des chiens, et cet amour<br />
transparaît avec évidence dans le mésestimé thriller “Quand Vient la Nuit” de<br />
Michaël R. Roskam sortie en 2014, où il côtoie notamment l’exceptionnelle<br />
Noomi Rapace, qu’il retrouvera l’année suivante sur le bancal mais prenant<br />
“Enfant 44” de Daniel Espinosa, où il campe un agent du KGB qui enquête<br />
sur une affaire de meurtres en série d’enfant dans l’URSS des 50’s.<br />
« Je dois agacer certains réalisateurs. Jouer me paraît assez simple, j’ai<br />
donc encore beaucoup d’énergie et j’ai envie de la mettre au service de<br />
l’équipe… »<br />
Et cette énergie, il va l’exploiter au maximum sur le tournage douloureux et<br />
(très) très long de “Mad Max Fury Road”, quatrième opus de la trilogie Mad<br />
Max accouché dans la douleur (12 ans de gestation, entre faux départs et<br />
galères incroyables), pour lequel il reprend au pied levé le rôle iconique de<br />
Max Rockatansky à un Mel Gibson encore persona non grata à l’époque.<br />
Furieux, grisant et follement spectaculaire, le film de Miller dépasse les<br />
attentes, se paye un succès critique et public conséquent, et aura même le<br />
luxe de briller dans la pourtant très fermé cérémonie des oscars de la même<br />
année, en chipant une pluie de statuettes techniques.<br />
Pas à un rôle exigeant et fou près, il enchaînera toujours en 2015, autant avec<br />
un second rôle important dans la série “Peaky Blinders” scripté par Steven<br />
Knight (qui l’épaulera plus tard à l’écriture du show “Taboo”), mais également<br />
avec “Legend” de Brian Helgeland, ou il campe rien de moins que les deux<br />
jumeaux Kray, deux célèbres gangsters anglais ayant mis à feu et à sang le<br />
Londres des 60’s.<br />
« C’était assez facile de se glisser dans la peau des deux personnages. La partie<br />
compliquée était de faire croire au public que ce n’était pas qu’un seul acteur qui<br />
incarnait les deux parties. »
70<br />
Si les rôles de vilains c’est son dada, les rôles exigeants le sont encore plus.<br />
Et dans la catégorie des films exigeants, le tournage de “The Revenant” est<br />
sans l’ombre d’un doute, l’un des plus fous et difficiles de la décennie.<br />
Tourné entièrement en lumière naturelle dans les provinces de Colombie-<br />
Britannique et Alberta (Calgary) au Canada (sans compter les prises de vues<br />
additionnelles en Argentine), avec des températures moyennes avoisinant -30°,<br />
le film, en tout point exceptionnel, fut un véritable calvaire pour ses hérostitres,<br />
Hardy et DiCaprio, qui y trouveront pourtant l’une de leurs meilleures<br />
performances à ce jour.<br />
Terrifiant et proprement détestable dans la peau d’un trappeur violent, le Tom<br />
en impose sévère à tel point qu’il chipera même à l’occasion, une première<br />
nomination aux oscars dans la catégorie « Meilleur acteur dans un second<br />
rôle « (une nomination qui, suite à un pari avec Leo DiCaprio, lui vaudra un<br />
tatouage ‘’Leo Knows All’’ sur l’avant-bras droit).<br />
Pas forcément de quoi l’émouvoir plus que cela, puisqu’il enchaînera<br />
directement avec le tournage de sa propre série, ‘Taboo’, qu’il crée avec<br />
Steven Knight et (surtout) son père, Edward « Chips » Hardy, une série qui<br />
s’avère autant un drame d’époque inquisitrice qu’un western urbain à forte<br />
tendance macabre, tissent le canevas ambitieux d’une vengeance sombre et<br />
sourde d’un homme, James Delaney qui ne laissera pas la mort de son père<br />
impunie...<br />
Et alors qu’il est en passe d’être le nouvel Al Capone du septième art, dans<br />
l’attendu biopic ‘Fonzo’ de Josh Trank, centré sur les derniers jours de vie du<br />
célèbre gangster, le comédien, quarante ans au compteur, nous reviendra<br />
d’ici quelques semaines en vedette du plutôt alléchant ‘Venom’ de Ruben<br />
Fleischer, spin-off du (nouveau) reboot de la franchise ‘Spider-Man’, où il<br />
incarnera Eddie Brock, le journaliste frappé par un symbiote extraterrestre qui<br />
va petit à petit prendre le contrôle de son corps pour devenir... Venom.<br />
Mais le bonhomme, actuellement au firmament de la chaîne alimentaire<br />
Hollywoodienne, n’en oublie pas pour autant de rester lucide.<br />
« Je vois des acteurs qui, du jour au lendemain, deviennent super «hot», comme<br />
on dit. Mais deux jours après, tout le monde les a oubliés. On braque les<br />
projecteurs sur vous, et au bout d’un an, vous êtes fini, consommé. D’ailleurs, je<br />
suis probablement déjà fini, à l’heure ou je vous parle... »<br />
Espérons, pour son bien et celui du monde du septième art, que sa durée de<br />
vie dans l’arène (la jungle pour être plus honnête) Hollywoodienne, soit loin<br />
d’être aussi limitée.<br />
Jonathan Chevrier
71<br />
Les bad guys<br />
dans la peau
Interview<br />
jim cummings<br />
déjà dans la cour<br />
des grands<br />
72
Lors de son passage au 44e Festival du<br />
<strong>ciné</strong>ma américain de Deauville, nous avons<br />
eu l’occasion de nous entretenir avec Jim<br />
Cummings. Multi-casquettes sur son premier<br />
long-métrage « Thunder Road » (réalisateur,<br />
scénariste, compositeur, éditeur et acteur<br />
principal) – récompensé par le Grand Prix<br />
au Festival -, le jeune homme à la bonne<br />
humeur et à la passion communicative nous<br />
a parlé de sa première expérience en tant<br />
que réalisateur et acteur mais également sur<br />
ce qu’il pensait de l’industrie du <strong>ciné</strong>ma visà-vis<br />
du <strong>ciné</strong>ma indépendant.<br />
Propos recueillis par Margaux Maekelberg<br />
Lorsqu’on jette un oeil à vos courtsmétrages<br />
– absolument formidables au<br />
passage -, on retrouve toujours cet aspect<br />
tragi-comique qu’a votre personnage Jim.<br />
Qu’est-ce qui vous attire autant dans cet<br />
aspect des personnages ?<br />
J’ai l’impression qu’aux Etats-Unis, peut-être<br />
aussi en France je ne sais pas, au <strong>ciné</strong>ma on<br />
a que des films qui sont des comédies ou<br />
que des drames. Je n’ai jamais vu des films<br />
qui abordait ces deux thèmes à part dans<br />
les Pixar comme Vice-Versa où tu pleures<br />
et tu ris en même temps et je trouve que<br />
c’est une épanouissante pour le spectateur<br />
lorsque tu arrives à avoir une vraie et<br />
profonde connexion avec le personnage<br />
principal. Honnêtement je pense qu’on<br />
devrait faire des comédies qui incluent une<br />
part d’humanité. On devrait être capable<br />
d’aborder des sujets sérieux tout en faisant<br />
des blagues dessus pour rendre ça moins<br />
douloureux et montrer aux gens qu’on peut<br />
rire de ça.<br />
Dans le court-métrage lors de la cérémonie<br />
qui précède l’enterrement on entend la<br />
chanson Thunder Road, vous ne l’avez pas<br />
utilisé pourquoi ? C’est dommage, je suis<br />
certaine que le public aurait adoré vous<br />
entendre chanter !<br />
Pour le court-métrage, utiliser cette chanson<br />
a été un véritable calvaire. J’ai tourné le<br />
court-métrage sans demander de permission,<br />
ce qui est vraiment débile de ma part, puis<br />
nous l’avons proposé à Sundance mais tout<br />
ce que je voulais c’était pouvoir le mettre<br />
en ligne sur Vimeo ce qui signifiait que je<br />
devais montrer le court-métrage à Bruce<br />
Springsteen et ça a pris des mois. Je sais<br />
qu’il l’a vu, quelqu’un lui a montré donc j’ai<br />
décidé d’écrire une lettre et il m’a dit que je<br />
pouvais le mettre en ligne mais ça m’a pris un<br />
an ! Je ne voulais pas l’embêter de nouveau<br />
si j’utilisais la chanson dans le long-métrage.<br />
Pendant le tournage on a fait cette scène<br />
avec et sans la musique ce qui veut dire que<br />
j’ai du répéter pendant des mois auparavant.<br />
On a tourné cette scène dix-huit fois, neuf<br />
fois avec la musique et les neuf autres sans.<br />
À la fin de la journée lorsqu’on a monté tout<br />
ça on s’est rendu compte que la prestation<br />
était beaucoup plus forte sans la musique.<br />
J’ai dit à mon producteur : « Je ne pense pas<br />
que cette scène a besoin de musique », et<br />
il a répondu : « Oui ne dérangeons pas de<br />
nouveau Bruce Springsteen ! » [rires]<br />
Jim n’a pas su dire au revoir à sa mère<br />
comme il l’aurait voulu, c’était maladroit,<br />
sincère mais maladroit, on l’a interrompu,<br />
on lui a demandé de retourner à sa place…<br />
Et à la fin du film [SPOILER ALERT] quand<br />
son ex-femme meurt, il lui dit au revoir et<br />
on remarque son changement d’attitude à<br />
la fin. Était-ce quelque chose de voulu ?<br />
Il est en colère contre son ex-femme qui<br />
vient de faire une overdose et c’est quelque<br />
chose qui va marquer leur fille pour toujours.<br />
Vous avez raison, il y a comme une sorte de<br />
conclusion avec ces adieux qui sont quand<br />
même horribles alors qu’il n’a pas pu dire au<br />
revoir à sa mère. Je pense qu’il avait besoin<br />
de foirer ses adieux avec sa mère, que ce<br />
73
74<br />
soit quelque chose qui le hante, et d’ailleurs<br />
il lui dit enfin au revoir dans la scène dans<br />
le cimetière devant sa tombe.<br />
Il y a cette notion de cercle de la vie qui<br />
revient d’ailleurs dans le film lorsqu’on<br />
apprend que la mère de Jimmy est<br />
professeur de danse et qu’à la fin du film<br />
vous emmenez votre fille voir un spectacle<br />
de ballet et qu’elle semble captivée par ce<br />
qu’elle voit, presque en train de tomber<br />
amoureuse à son tour.<br />
Pour moi il y a deux histoires qui se dégagent<br />
de « Thunder Road » : l’une c’est celle décrite<br />
par la chanson de Bruce Springsteen qui dit<br />
que si tu es malheureux tu dois convaincre<br />
la fille de monter en voiture et partir loin<br />
d’ici pour être heureux et que ce n’est pas<br />
grave si tu n’es pas heureux dans cette ville<br />
et je savais que le film devait se terminer par<br />
cette idée. « Thunder Road » c’est aussi une<br />
question d’éducation. Lorsque Jimmy parle<br />
de sa relation compliquée avec sa mère, il<br />
ne veut pas avoir la même chose avec sa fille<br />
et c’est réjouissant de constater qu’à la fin<br />
du film il y arrive. C’est aussi une référence<br />
à l’histoire que sa soeur lui raconte un peu<br />
plus tôt dans le film où leur grand-père a<br />
emmené leur mère à un ballet et qu’elle en<br />
est tombée amoureuse, c’est une ligne parmi<br />
tout un dialogue et on y fait pas forcément<br />
attention mais à la fin du film lorsqu’il<br />
emmène sa fille au ballet ça lui revient en<br />
pleine figure. Il s rend compte que l’histoire<br />
se répète et je trouve que c’est à la fois l’une<br />
des scènes les plus tristes mais en même<br />
temps réjouissantes que n’importe quel<br />
parent peut expérimenter. C’est clairement<br />
mon moment préféré.<br />
La relation qu’entretient Jimmy avec Nate –<br />
joué par Nican Robinson – est extrêmement<br />
importante et c’est même lui qui vient le<br />
sauver lorsqu’il est au plus bas, pouvezvous<br />
nous parler de ce personnage ?<br />
Nate c’est vraiment cet ami qui vous<br />
pardonne tout et qui vous aime peu importe<br />
ce qui vous arrive. J’ai de la chance parce
75<br />
que j’ai plusieurs amis comme ça, lorsque<br />
j’étais en plein divorce en 2014 et que j’étais<br />
au plus bas et dépressif, qui m’ont aidé en<br />
traînant avec moi sans avoir aucune raison<br />
de le faire et qui étaient juste là pour me<br />
soutenir en fait. Et c’est vraiment quelque<br />
chose de touchant. Lorsque je bossais avec<br />
Nican [Robinson], il a compris le rôle et a<br />
vraiment fait de l’excellent boulot, d’ailleurs<br />
c’est devenu un très bon ami. Nous nous<br />
connaissions un petit peu avant le tournage<br />
du film, après on a vécu le tournage<br />
ensembles et on a réussi à montrer ça à<br />
l’écran. Et pour le public c’est rassurant de<br />
se dire que tout ne va<br />
pas mal dans sa vie et<br />
qu’il lui reste au moins<br />
cet ami.<br />
Vos choix de cadrages<br />
et de mise-en-scène<br />
sont très intéressants.<br />
On est très centrés sur<br />
Jimmy quitte à coque<br />
la caméra oublie les<br />
autres, on aperçoit<br />
quasiment jamais la<br />
réaction des gens lors<br />
de l’enterrement, sur<br />
le parking… et c’est<br />
quelque chose qu’on<br />
retrouve aussi dans vos<br />
courts-métrages je pense notamment à<br />
« Parent Teacher ». Pourquoi ce choix ?<br />
La seule fois que j’ai eu cette discussion<br />
avec un <strong>ciné</strong>aste c’était pour le courtmétrage<br />
« Thunder Road » où il me disait<br />
que c’était ok de ne pas voir la réaction des<br />
gens. Pour le long-métrage, mon producteur<br />
me disait qu’il faudrait peut-être montrer<br />
la réaction des gens notamment lors de la<br />
scène de la cérémonie mais je me suis rendu<br />
compte que peu importe la manière dont on<br />
filmait la réaction des gens dans la pièce,<br />
ça allait forcément influencer la réaction<br />
du spectateur et leur donner des pistes<br />
pour savoir si le film était une comédie ou<br />
un drame. Si on ne montre la pas la foule<br />
ou tout autre plan, le public est obligé de<br />
réfléchir et doit essayer de comprendre ce<br />
qui se passe.<br />
Votre façon de jouer me rappelle le jeu de<br />
Jake Gyllenhaal pour sa sensibilité mais<br />
aussi Jim Carrey pour le côté clownesque,<br />
derrière la masculinité il y a une vraie<br />
fragilité qu’on voit tout au long du film.<br />
Comment est-ce qu’on<br />
trouve l’équilibre entre<br />
le drame et le comique<br />
sans basculer dans l’un<br />
ou l’autre ?<br />
Tout est dans la<br />
performance. Vous avez<br />
évoqué Jake Gyllenhaal<br />
et j’adore cet acteur.<br />
C’est quelqu’un qui crie<br />
beaucoup. Lorsqu’on<br />
a tourné la scène sur<br />
le parking où mon<br />
personnage crie non<br />
stop, j’avais en tête Jake<br />
Gyllenhaal ou Leonardo<br />
DiCaprio. Je voulais<br />
une prestation très<br />
intense tout en la contrebalancent avec une<br />
vanne où on voit mes fesses à la fin quand je<br />
pars. On a énormément répété et lorsque ça<br />
faisait trop sérieux ou au contraire trop « Jim<br />
Carrey » alors on savait qu’on se trompait.<br />
Il y a eu des centaines de répétitions avant<br />
d’avoir ce résultat final.<br />
Votre rôle est très intense par moment,<br />
je pense notamment à cette scène sur<br />
le parking lorsque Jimmy pète un câble.<br />
Ça demande une implication physique
76<br />
e psychologique très importante. Comment on gère cet afflux d’émotions<br />
devant la caméra tout en gardant le sérieux et le professionnalisme derrière<br />
la caméra ?<br />
J’ai vraiment deux attitudes différentes. En tant que réalisateur je cours de<br />
partout, je vérifie que tout va bien et lors que je deviens acteur et que je suis<br />
devant la caméra je reprends mon sérieux et je fonce. Mais pour la scène<br />
sur le parking on a eu de la chance parce qu’on avait plusieurs heures pour<br />
tourner cette scène. On a d’abord tourné les scènes où je me bats, où je<br />
déchire mon pantalon puis on a consacré le reste de la journée à la scène où<br />
je fais mon monologue. On a tourné les autres scènes en premier, ensuite on<br />
a mangé et juste après je suis allé m’assoir dans la voiture de mon producteur<br />
pour écouter des chansons tristes et regarder des photos des princes William<br />
et Harry lors de l’enterrement de la Princesse Diana – c’est toujours ce que je<br />
fais lorsque je dois pleurer -, je me suis mis dans un état de profonde émotion<br />
puis je suis descendu de voiture. Les acteurs et l’équipe étaient déjà en place,<br />
ils n’avait plus qu’à filmer. J’étais sur le parking un peu plus loin, dès qu’ils<br />
m’ont vu arriver ils ont tout de suite enregistré et c’était parti. On a tourné le<br />
monologue deux fois et on a gardé la première prise. Par contre à la fois de la<br />
journée je n’avais plus de voix ! [rires]<br />
Vous êtes le réalisateur, le monteur, le compositeur et l’acteur principal du<br />
film. Pourquoi ce besoin de tout contrôler ?<br />
Je n’avais pas d’argent, c’était la cause principale. C’était une nécessité pour<br />
moi de monter le film, d’avoir de la musique… Je devais finir ce film donc je<br />
n’avais pas vraiment le choix. Cependant je pense que même si tu as l’argent,<br />
si tu engages quelqu’un que ce soit pour un petit travail ou un plus gros, tu<br />
dois te battre et toujours vérifier que ces personnes ne rendront pas ton film<br />
mauvais. Dans le passé, j’ai souvent donné du travail à d’autres personnes<br />
que je ne connaissaient pas tellement et qui ont fait un film correct ce qui<br />
n’aurait pas été le cas si j’y avais mis le temps et l’effort pour le faire à leur<br />
place. J’étais celui qui se préoccupait le plus du projet finalement.<br />
Faire du <strong>ciné</strong>ma aujourd’hui est devenu compliqué pour se faire une place,<br />
pour trouver des financements, les studios préfèrent jouer la sécurité…<br />
Vous même ça a été compliqué pour faire Thunder Road, vous avez lancé<br />
un kickstarter… Qu’est-ce que vous pensez de l’industrie du <strong>ciné</strong>ma en ce<br />
moment ? Est-ce qu’elle décourage les jeunes <strong>ciné</strong>astes ?<br />
Oh que oui ! C’est leur boulot ! S’ils peuvent te décourager de faire ton propre<br />
film ils le feront. Les agences, les managers, les studios… leur boulot c’est de<br />
dévaluer les films indépendants et de vous dire que si vous voulez réussir il faut<br />
suivre leurs règles. De nos jours on peut faire un film avec un téléphone avec
tes amis dans le jardin. Regardez on est en France<br />
avec notre film alors qu’on l’a fait en pyjama comme<br />
si on était en colonie de vacances. Honnêtement cette<br />
industrie est terriblement décourageante pour les<br />
jeunes <strong>ciné</strong>astes qui veulent se lancer. C’est pour ça<br />
que sur Twitter je veux les encourager et leur dire de<br />
faire leurs films. Je n’ai jamais eu d’encouragements ni<br />
d’aide et c’est pour ça que je veux aider maintenant.<br />
C’est un système compliqué maintenant et c’est le<br />
problème d’Hollywood qui flippe parce qu’ils voient<br />
leur job leur filer entre les doigts par des gamins<br />
comme moi qui font des choses qui sont finalement<br />
pas trop mal.<br />
Des projets futurs ?<br />
Je suis en pourparler avec un grand studio, je suis<br />
à deux doigts de signer un contrat pour un film<br />
d’horreur à propos d’un loup-garou. C’est déjà écrit<br />
et ce sera très drôle. Ce sera comme « Thunder Road<br />
» mais avec un loup-garou ! Ce sera différent de mon<br />
premier film mais je jouerai également dedans et je<br />
vais probablement le monter aussi. J’espère que je<br />
ferai pas la musique par contre. Ça ce sont les gros<br />
projets mais honnêtement je suis plus intéressé par<br />
ce que je fais avec mes amis et qui ne coûtent pas<br />
beaucoup.<br />
Les grands studios c’est pas vraiment votre truc ? Vous<br />
préférez les choses plus intimes avec votre entourage<br />
?<br />
C’est authentique. Le reste ça fait juste partie d’un<br />
rêve éveillé. Si je peux faire des films moi-même et<br />
les mettre en ligne alors là ça devient une véritable<br />
pub pour nous les <strong>ciné</strong>astes et à ce moment-là<br />
n’importe quel studio peut venir nous aider, que<br />
des gens peuvent nous financer… Franchement je<br />
suis un athéiste d’Hollywood, je ne pense pas qu’ils<br />
existent vraiment et qu’ils aident d’’autres personnes<br />
qu’eux-mêmes entre eux. Je n’attends pas les autres<br />
pour venir nous aider à faire un film.<br />
Thunder road de et avec Jim Cummings. Sortie le 12/09<br />
77
films cultes<br />
Grease<br />
POUR LA RENTRÉE DE DÉSOLÉ J’AI CINÉ, NOUS AVONS DÉCIDÉ DE METTRE EN LUMIÈRE LE<br />
FABULEUX GENRE CINÉMATOGRAPHIQUE QUI CENTRE SON INTÉRÊT SUR LES INTRIGUES ADO-<br />
LESCENTES ; LE TEEN MOVIE. SANS PRÉTENTION, CE DERNIER -TYPIQUEMENT AMÉRICAIN-<br />
UTILISE MAJORITAIREMENT LES MÊMES INGRÉDIENTS POUR CONFECTIONNER SA RECETTE<br />
MAGIQUE ; LES PERSONNAGES STÉRÉOTYPÉS, LES PEINES DE CŒUR ET LES DIVERS CLANS<br />
SOCIAUX. DIFFICILE DE FAIRE PLUS CULTE QUE LE FAMEUX “GREASE”, QUI ILLUSTRE À MER-<br />
VEILLE LE GENRE FABULEUX DU TEEN MOVIE.<br />
MARION CRITIQUE<br />
78
79
Eté 1958. Alors que Sandy et Danny vivent un amour fougueux durant les vacances<br />
estivales, c’est avec un certain pincement au cœur qu’ils doivent se dire Adieu dans un<br />
discours rempli de promesses. La jolie blonde doit rebrousser chemin dans son Australie<br />
natale, pendant que le badboy prévoit de retourner dans son lycée américain, dans lequel<br />
sa popularité est au sommet. C’est donc avec une certaine surprise que les deux amoureux<br />
de l’été vont se retrouver dans le même établissement, alors que tout semble les opposer<br />
aux yeux des autres élèves. S’ensuit une succession d’embûches et de péripéties qui<br />
se dresseront sur leur chemin, alors qu’ils tenteront de préserver leur idylle malgré les<br />
désaccords et les schémas sociaux bien ancrés dans les esprits de leurs camarades.<br />
80<br />
“Grease” persiste et signe et ce malgré les années qui défilent. Intouchable et intemporel, ce<br />
dernier s’inscrit dans la fameuse liste des films les plus cultes du septième art. John Travolta<br />
crève l’écran dans un rôle qui lui colle toujours à la peau, encore aujourd’hui. L’âge d’or<br />
de son succès et le véritable tremplin de sa carrière. Olivia Newton-John, quant à elle,<br />
impose son style et sa douceur dans un personnage attachant et carrément emblématique.<br />
Au-delà de leurs compétences d’acteurs, ils nous offrent sur un plateau d’argent leurs<br />
talents indéniables de chanteurs et de danseurs. Le duo fonctionne à merveille, tandis que<br />
les personnages secondaires assurent le show et portent l’histoire d’une main de maître.<br />
Malgré les années qui s’accumulent dans son compteur, “Grease” traite des sujets et des<br />
problématiques bel et bien présentes dans notre société actuelle ; les clans au lycée,
81<br />
le jugement des autres, l’obsession de l’apparence et les peines de cœur adolescentes.<br />
L’intrigue est littéralement portée sur cette histoire d’amour illogique, qui bafoue tous les<br />
codes. Un délicieux stéréotype se dresse alors sur l’écran; celui qui veut que la petite<br />
nouvelle craque sur le loubard du lycée. C’est vu et revu et pourtant, le charme opère. La<br />
magie du film repose également sur son incroyable bande originale, totalement entêtante<br />
qui nourrit la bonne humeur du spectateur au rythme des chorégraphies inoubliables.<br />
“Grease” rayonne encore et toujours par son ambiance festive et musicale. C’est la comédie<br />
musicale délicieusement kitch par excellence. Son effet est inexplicable, mais le spectateur<br />
en prend plein les mirettes s’il fait le choix judicieux de se laisser totalement porter par<br />
l’ambiance durant le visionnage. Le film nous immerge totalement dans la fantaisie des<br />
années 50/60 en recréant à la perfection le fameux univers rock’n roll qui régnait durant<br />
ces décennies. Évidemment et c’est bien connu, c’est blindé de clichés, notamment sur les<br />
caractéristiques des personnages. Cependant, sans toute cette panoplie de stéréotypes, il<br />
n’aurait très certainement pas le même charme, ni la même saveur.<br />
“Grease” berce nos cœurs d’adolescents éternels dans une ambiance feel good qui ne<br />
cesse de nourrir notre nostalgie au fur et à mesure des nombreux visionnages. Un pionnier<br />
dans la longue liste des films cultes, à voir et à revoir sans modération.
82<br />
The Faculty<br />
Robert<br />
Rodriguez (1998)<br />
Dans la très (trop ?) longue liste de teen movies horrifiques ayant emboîté le<br />
pas au cultissime «Scream» de feu Wes Craven à la fin des 90’s, «The Faculty»<br />
de Robert Rodriguez en est sans doute le rejeton et jouissif - avec «Souviens-<br />
Toi l’été dernier».<br />
Scripté par la référence Kevin Williamson (qui devait en faire son premier long<br />
avant de se rabattre sur... «Mrs Tingle»), le film cite joyeusement «Breakfast<br />
Club» et «The Thing» dans une relecture aux petits oignons du film d’invasion<br />
SF («L’Invasion des Profanateurs» en tête), respectant autant les codes du<br />
genre qu’il offre une vision réaliste du milieu scolaire; jungle adulescente où<br />
la loi du plus fort/populaire règne en maître.<br />
En résulte un vrai fantasme sur pellicule (qui n’a pas rêvé de fighter ses profs<br />
?) à la mise en scène enlevée, sincère dans son envie d’incarner une bonne<br />
petite série B de luxe, saupoudrée d’un humour référentiel rafraîchissant,<br />
d’une B.O. du tonnerre et d’un casting quatre étoiles (Josh Hartnett, Robert<br />
Patrick, Elijah Wood, Jordana Brewster, Clea DuVall, Salma Hayek, Shawn<br />
Hatosy, Famke Janssen,...).<br />
Mieux, il donne une consistance étonnante à chacun des personnages,<br />
décuplant intelligemment l’impact empathique de cette lutte inspirée contre<br />
l’envahisseur dénuée de toute prétention, mais qui tient toujours aussi bien la<br />
route même vingt ans après...<br />
Jonathan Chevrier
83<br />
Le monde de<br />
charlie<br />
Stephen<br />
Chbosky (2013)<br />
Nous ne sommes jamais mieux servi que par soi-même et Stephen Chbosky le<br />
sait mieux que tout le monde, puisque le bonhomme a chapeauté lui-même<br />
l’adaptation de son propre roman, «Le Monde de Charlie», et en faire rien de<br />
moins que l’un des teen movies les plus doux et mélancolique de ces dernières<br />
année, retranscrivant à la perfection les souffrances de l’adolescence sous<br />
fond de douce love story follement juste et réaliste, à des années lumières du<br />
produit formaté Hollywoodien ‘’sexe, drogue, alcool et rock n’ roll’’, qui fait<br />
faire au regretté John Hughes, des loopings dans sa tombe depuis un bon bout<br />
de temps maintenant.<br />
Déjouant les clichés et les (fausses) apparences en misant sur une simplicité<br />
de ton incroyable et une atmosphère dramatique constante, le <strong>ciné</strong>aste croque<br />
un récit initiatique follement empathique brassant tous les passages obligés (la<br />
solitude, les premières rencontres, l’acceptation dans une bande, la première<br />
fois que l’on tombe amoureux, les premières fêtes, les premières prises de<br />
produits illicites, les premiers râteaux, etc...) avec une justesse admirable.<br />
Chbosky va miser sur un traitement infiniment fin de ses personnages,<br />
flamboyant même dans leurs faiblesses, incarnés par un trio d’acteurs habité<br />
(Logan Lerman, Emma Watson et Ezra Miller) et à l’alchimie folle.<br />
Une petite bulle de légèreté référencée à mort, une ode à la nostalgie et à la<br />
liberté humaine au coeur gros comme ça, tout simplement.<br />
Jonathan Chevrier
This is not a<br />
love story<br />
Alfonso<br />
Gomez-Rejon (2015)<br />
84<br />
Dans la catégorie des petites chroniques adolescentes intimes et singulières, le<br />
premier long-métrage d’Alfonso Gomez-Rejon se pose bien-là tant il s’échine à<br />
voguer littéralement à contre-courant du versant romantique du teen movie, pour<br />
mieux incarner un must-see qui déborde d’un amour aussi bien pour ses personnages,<br />
pour le genre qu’il aborde avec une justesse infini, que pour un <strong>ciné</strong>ma auquel il<br />
rend un hommage des plus savoureux avec ses pastiches bricolé et ‘’Gondry-esque’’<br />
de films cultes.<br />
Habile mélange des genres (on passe des rires aux larmes en un battement de cils)<br />
qui évite les écueils facile de la comédie-dramatique larmoyante, surprenant aussi<br />
bien dans sa forme que dans son fond tant l’histoire nous amène jamais vraiment là<br />
où on le pense, jamais trop pesant même si la maladie - et la mort - reste au cœur du<br />
récit; «This is Not a Love Story» comme son titre l’indique (et bon titre VF pour une<br />
fois), n’est pas une romance ou tout du moins pas une romance comme les autres<br />
puisqu’elle est in fine une histoire d’amitié platonique qui ne peut espérer être plus<br />
- la faute au cancer de l’héroïne mais également par la peur légitime de ne pas voir<br />
les sentiments se concrétiser.<br />
Touchante et honnête chronique adolescente sur une amitié forte et au pluriel (qui<br />
détruira l’insouciance de ses deux héros, condamnés à ne pas vivre pleinement leur<br />
histoire), privilégiant l’humour - assez sarcastique - au drame (à la différence de<br />
«Nos Étoiles Contraires») et tutoyant la grâce du <strong>ciné</strong>ma de John Hugues, «This is<br />
Not a Love Story» est un joyau à l’état brut, une humble tragédie à la fois naturelle et<br />
d’une générosité rare qui mérite amplement son pesant de pop corn - et même bien<br />
plus encore.<br />
Jonathan Chevrier
85<br />
La Folle Journée de<br />
Ferris BuellerJohn Hughes (1986)<br />
S’il n’est pas le chef-d’oeuvre ultime de son réalisateur, la légende John Hughes -<br />
«Breakfast Club» lui ôte ce statut d’une courte tête -, «La Folle Journée de Ferris<br />
Bueller» n’en est pas moins un monument incontestable du teen movie, surtout qu’il<br />
permet au réalisateur (définitivement le seul <strong>ciné</strong>aste capable d’offrir aux adolescents,<br />
des films à leur image) d’aborder, avec un sens du cool incroyable, une figure scolaire<br />
qui manquait justement à son fameux club d’élèves collés : le cancre pro de l’école<br />
buissonnière, aussi charismatique et décomplexé qu’il est d’une ingéniosité sans<br />
bornes pour procrastiner et profiter des plaisirs de l’adolescence (et par extension, de<br />
la vie tout simplement) au maximum.<br />
Symbole de toute une génération (et le rôle de toute une vie pour Matthew Broderick),<br />
brisant constamment le quatrième mur pour faire du spectateur le complice de son<br />
épopée fantasque, sommet d’insouciance éphémère, « Ferris Bueller «, vraie bulle<br />
de légèreté joliment impertinente - voire politique - qui se permet tout (même une<br />
envolée façon comédie musicale en plein centre-ville de Chicago) et qui incarne<br />
pleinement la quintessence du <strong>ciné</strong>ma simpliste mais génial de Hughes : des histoires<br />
basiques aux personnages naturelles - et donc propice à l’empathie -, qui prône avec<br />
force leur anticonformisme et leur singularité.<br />
Ancêtre assumé de l’une des meilleurs sitcoms des 90’s (« Parker Lewis ne Perd Jamais<br />
«), quasi film-somme d’un <strong>ciné</strong>aste qui nous manque cruellement, « La Folle Journée<br />
de Ferris Bueller « est un bijou du teen movie made in America, et sans doute son<br />
meilleur porte-parole.<br />
Jonathan Chevrier
86<br />
L’instant
séries<br />
87
88<br />
Maniac<br />
Les progrès de la science semblent toujours avoir fas<strong>ciné</strong> les<br />
créateurs d’images. De “Un Voyage dans la Lune” à “Interstellar”,<br />
en passant par les dérives technologiques de “Black Mirror”, le<br />
monde évolue et les images, télévision ou <strong>ciné</strong>ma, lui rendent<br />
la pareille, dépeignant des réalités tantôt positives, tantôt<br />
apocalyptiques.<br />
En seulement 30 ans, nous sommes passés de Minitels à<br />
des smartphones qui dispensent de l’usage d’un ordinateur,
89<br />
technologies toujours plus poussées, toujours plus fines, toujours plus<br />
puissantes. La technologie et la science servent à planter le décor de films<br />
et de série — plaçant l’action dans un futur lointain ou proche — ou encore<br />
à résoudre des problématiques d’ordre communautaires — envoyer des<br />
vaisseaux dans l’espace pour préserver l’humanité. Rarement la science n’a<br />
été utilisée dans l’audiovisuel pour répondre aux problématiques individuelles<br />
de chacun d’entre nous. Et si on se servait de la science et de la technologie<br />
pour réparer les humains ?<br />
C’est en tout cas ce que propose la mini-série “Maniac”, créée par Patrick<br />
Sommerville. Nous sommes projetés dans un futur très proche, où la pauvreté<br />
règne en maître et où les gens payent pour des produits à l’aide d’Ad-Buddies,<br />
des compagnons de route qui vont leur réciter autant de pubs que nécessaire<br />
pour rentrer dans leurs frais. C’est ici que nous rencontrons Owen Milgrim<br />
(Jonah Hill), brebis galeuse d’une riche famille d’entrepreneurs véreux et<br />
orgueilleux, et Annie Landsberg (Emma Stone), dépressive et accro à une<br />
drogue des laboratoires Neberdine.<br />
Tous deux sujets à des problèmes d’argent et de santé mentale, l’un souffrant<br />
de troubles schizophrènes depuis la mort de l’un de ses frères, l’autre étant<br />
chroniquement dépressive depuis le tragique décès de sa soeur cadette,<br />
qu’ils décident de s’enrôler dans une dangereuse expérience de ces mêmes<br />
laboratoires pharmaceutiques.<br />
L’expérience est somme toute assez simple : 9 sujets souffrant de troubles<br />
psychiatriques variés, devant ingérer trois pilules (A, B et C) dans le but de<br />
créer un traitement innovant pour soigner les troubles mentaux. Chaque pilule<br />
va les transporter dans une expérience unique dans les sombres recoins de<br />
leurs esprits.<br />
C’est sous la tutelle du Dr Fujita (Sonoya Mizuno) et Dr Mantleray (Justin<br />
Theroux), menés par une intelligence artificielle non sans rappeler Hal,<br />
notre cher ami de “2001 : L’Odyssée de l’Espace”, que les sujets vont avoir à<br />
reconnaître, affronter puis accepter leurs traumas, afin d’aller mieux.
90<br />
Il peut être difficile voire impossible de faire<br />
entrer autant d’informations dans une série<br />
de seulement 10 épisodes, qui plus est à<br />
durées variables. Je vous épargne les sousintrigues<br />
à base d’ordinateur défectueux,<br />
de décès inopportuns, d’affaires judiciaires<br />
douteuses et de complexe d’Oedipe.<br />
La narration non-linéaire réussit efficacement<br />
le pari de suivre deux personnages que tout<br />
oppose, mais qu’au final tout va réunir.<br />
Nous sommes dans leurs cerveaux, et<br />
l’empathie se créé en ayant accès à leurs<br />
doutes, leurs peurs, leurs souffrances. Cette<br />
non-linéarité se poursuit même à l’image;<br />
chaque épisode se passant dans leur esprit,<br />
prenant la forme d’un rêve, se déroule<br />
dans un univers à chaque fois différent. La<br />
réalisation nous fait passer de leur présent<br />
mêlant technologie futuristique et rétro, à<br />
leurs souvenirs les plus tragiques. L’épisode<br />
suivant le spectateur se retrouve soudain<br />
projeté dans ce qui s’apparente aux années<br />
80, puis dans un film noir des années 30,<br />
repassant par un univers de fantasy digne de<br />
Tolkien.<br />
Les séries en font-elles trop ? Me<br />
demanderez-vous. Eh bien je suis au regret<br />
de nous dire que non, les séries n’en font<br />
pas trop. Longtemps, le genre télévisuel<br />
— et maintenant digital, puisque Netflix,<br />
Amazon et compagnie ont dématérialisés<br />
nos écrans de télé sur nos ordinateurs —<br />
a été considéré comme inférieur au 7ème<br />
art. La noblesse du <strong>ciné</strong>ma et de ses grands<br />
chefs d’oeuvres ne faisait aucun doute face<br />
au côté prosaïque de la série, réservée au<br />
peuple et surtout à la ménagère de moins<br />
de 50 ans.<br />
Nous sommes dans un tournant où les<br />
séries rattrapent ce retard. “Breaking Bad”,<br />
“Sense8”, “Game of Thrones”, “Black<br />
Mirror”, certes des noms bien communs,<br />
vous m’en direz tant, ont prouvé aux<br />
créateurs de série qu’il était possible de voir<br />
plus loin qu’une sitcom mettant en scène<br />
les dilemmes amoureux d’une bande de<br />
potes. Les séries osent, désormais, elles vont<br />
de l’avant, et c’est dans cet héritage que<br />
“Maniac” s’inscrit.<br />
À ce titre, dans “Maniac” de multiples genres<br />
s’assemblent, se mélangent, tout comme les<br />
sentiments et tourments des personnages.<br />
De plus, Emma Stone et Jonah Hill sont loin<br />
d’avoir revus leurs performances à la baisse,<br />
bien au contraire. Ils sont vulnérables,<br />
touchants, vrais. Ils nous mettent face à<br />
nous-mêmes : ce sont deux êtres humains<br />
imparfaits et fragiles, leurs failles font d’eux<br />
qui ils sont, et les voir en tandem de cette<br />
série fait autant de bien que de mal — dans<br />
le bon sens du terme, j’entends.<br />
Les hommages au <strong>ciné</strong>ma se multiplient<br />
d’ailleurs, et le procédé maître de “Maniac”<br />
et de l’expérience centrale de la série n’est<br />
pas sans rappeler “Eternal Sunshine of the<br />
Spotless Mind”. Dans un monde paraissant<br />
tout à fait banal, c’était déjà en 2002<br />
que Michel Gondry et Charlie Kaufman<br />
imaginèrent l’industrie Lacuna, faisant son<br />
fond de commerce en s’immisçant dans ce<br />
que nous avons de plus intime et caché :<br />
nos esprits. Le <strong>ciné</strong>ma et les séries aiment<br />
se jouer de nous, se jouer de la science<br />
pratiquer une analyse détaillée de l’espèce<br />
la plus complexe qui soit : l’être humain.<br />
Maniac nous met non seulement face à<br />
la maladie mentale de façon clinique,<br />
chirurgicale et pragmatique, mais joue<br />
également sur le tableau de l’affect du<br />
spectateur pour transcrire une vérité dure et<br />
souvent mal représentée à l’écran.<br />
Lucie Bellet
91
92<br />
Désenchantée S1
Il y avait quelque chose d’incroyablement<br />
alléchant à l’idée de voir Matt Groening,<br />
papa du monument « Les Simpson «<br />
(mais aussi de la mésestimé « Futurama<br />
«), se laisser séduire par les sirènes de la<br />
plateforme Netflix, pour y créer un tout<br />
nouvel univers animé, profitant autant des<br />
avantages de la firme (possibilité de diffuser<br />
une saison entière, et donc de pouvoir lier<br />
les épisodes et intrigues entre elles) que de<br />
la possibilité d’élargir son terrain de jeu sans<br />
trop de contraintes.<br />
Mieux, le voir planter son décor en pleine<br />
Terre du Milieu improvisée et référencée<br />
(nommée Dreamland, tout un symbole), et<br />
de faire d’une princesse singulière comme<br />
ce n’est pas permis - Bean, effrontée et<br />
alcoolique -, avait tout du high concept<br />
aussi simpliste que génial; une potentielle<br />
parodie qui pouvait pleinement s’inscrire<br />
comme un monument Netflix, au même<br />
titre que la vénéré « BoJack Horseman «.<br />
Et aussi jouissivement potache soit-elle, «<br />
Disenchantment « en v.o, satire médiévale<br />
façon remake un poil R Rated de « Shrek<br />
« (comme lui, il prend en grippe tous les<br />
codes des contes folkloriques populaires),<br />
louchant généreusement sur les cultissimes<br />
« Le Seigneur des Anneaux « et « Game of<br />
Thrones « (dont les clins d’oeil sont légion),<br />
ne répond jamais réellement à toutes ses<br />
belles promesses.<br />
Porté par un humour (très) lourd plus<br />
ou moins savoureux pour les initiés (et<br />
évidemment moins pour les autres), dont<br />
les gags visuels et verbaux, sont incisifs<br />
mais plus rares, le show ne décontenance<br />
pas réellement de prime abord, surtout<br />
visuellement dans son animation, tant toute<br />
la patte de Groening transpire à l’écran (on<br />
est en terrain connu, et les personnages<br />
ressemblent clairement à ceux de ses deux<br />
précédents shows) autant qu’elle se permet<br />
quelques digressions étonnantes (une<br />
utilisation de couleurs plus claires et moins<br />
criardes), mais pas forcément désagréable.<br />
Ce n’est uniquement que lorsque le show<br />
déroule tranquillement mais surement ces<br />
micros rendez-vous, que le bas blesse et<br />
qu’il dévoile plus clairement les faiblesses<br />
de son édifice.<br />
Car si le quotidien moribond de l’American<br />
way of life (et encore plus depuis l’élection<br />
de Trump) permet aux « Simpson « de<br />
gentiment nourrir ses épisodes sans trop avoir<br />
à forcer ses plumes, en revanche, s’attacher<br />
à un détournement fantaisiste en bon et<br />
dû forme du genre médiéval et de l’héroïc<br />
fantasy, avec un minimum d’originalité,<br />
c’est une autre paire de manches, surtout<br />
pour un sitcom animée.<br />
À la différence des « Simpson « et « Futurama<br />
«, dont chaque épisode était indépendant<br />
des uns des autres, « Désenchantée « semble<br />
constamment étirer sur la longueur ses<br />
effets (quitte à en affaiblir considérablement<br />
leur impact et leur explosivité) autant que<br />
son histoire, au demeurant charmante et<br />
plaisante à suivre, mais surtout, il semble<br />
avoir clairement laissé de côté l’esprit corrosif<br />
et frondeur de la « méthode Groening « (plus<br />
tourné vers l’émotion, visant à être autant<br />
tourné au ridicule qu’être empathique),<br />
déjà elle-même éprouvée par la structure<br />
narrative « Netflixienne «, littéralement à<br />
l’opposée (et cela se sent) de ce qu’à pu et<br />
sait faire, le bonhomme et sa team depuis<br />
trente ans.<br />
En résulte donc un show divertissant mais<br />
point inspiré, aux personnages à la fois<br />
horribles et attachants - comme les Simpson<br />
-, et qui aurait clairement mérité un poil plus<br />
de mordant dans son écriture. Décidément,<br />
hors « GLOW «, l’été série - et même<br />
<strong>ciné</strong>ma - du côté de chez Netflix, n’est pas<br />
forcément très ensoleillée... ay caramba.<br />
Jonathan Chevrier<br />
93
94<br />
orange is the<br />
Passé deux saisons en roue libre difficilement défendable - la troisième et<br />
la quatrième -, ayant clairement joués avec la patience de ses plus fervents<br />
fans, «OITNB» avait joliment redressé la barre avec une cinquième cuvée<br />
absolument brillante, véritable huis clos tendu et resserré (l’intrigue s’étendait<br />
sur à peine trois jours) où les plus barré”s des détenues made in Netflix,<br />
s’étaient lancés dans une mutinerie aussi justifiée que plaisante à suivre.<br />
Une vraie bouffée pour le show de Kenji Kohan, qui nous laissait présager<br />
que du bon pour ce nouveau retour avec un nouveau cadre (bye Litchfield,<br />
bonjour ‘’Bitchfield’’) et de nouveaux personnages (taillant méchamment<br />
dans le gras du large casting de seconds couteaux). Gros dépaysement en<br />
vue donc, et une manière pour le show d’offrir une vision aussi délirante que<br />
puissante d’un QHS pour femmes outre-Atlantique; un ultime virage avant<br />
une déjà annoncée septième et dernière saison.<br />
Et dès le premier épisode, gentiment inscrit sous le ton de la survie en terre<br />
hostile, avec nos héroïnes placées de force tout en haut de la chaîne alimentaire<br />
criminelle et au beau milieu d’une guerre de gangs (muée autour d’une évasion<br />
qui n’arrivera jamais, avec en toile de fond l’enquête pour déterminer qui était<br />
à l’origine de l’émeute de Litchfield) cette saison 6 confirme avec malice la
95<br />
new black S6<br />
puissance de son renouveau n’hésitant pas à embrasser autant sa part d’ombre<br />
qu’une part d’actualité (la politique Trump, la violence policière, le mouvement<br />
Black Lives Matter) franchement salvatrice, tout en perdant un poil de sa<br />
magie en se perdant dans la répétition à outrance de l’artifice scénaristiques<br />
majeur de la série : les flashbacks, ici une nouvelle fois majoritairement<br />
usés pour informer sur le background des nouveaux personnages. Du côté<br />
des bons points, comme le laissait présager la saison précédente avec son<br />
avènement et sa prise des commandes, Taystee (formidable Danielle Brooks)<br />
confirme qu’elle est sans forcer le personnage le mieux écrit et le plus plaisant<br />
à suivre, en véritable bouc émissaire institutionnel, tandis que celui de Piper<br />
(bientôt dehors, et qui pourrait bien écrire ses mémoires et sa version de<br />
son incarcération à Litchfield) reste toujours autant le plus agaçant et peu<br />
empathique de l’histoire de la série.<br />
Même Daya (Dascha Polanco), sort grandie de ce dégraissage des héroïnes,<br />
tant son perso, tout comme celui de Taystee (les deux vraies éléments<br />
déclencheurs de la rébellion après la mort de Poussey), est frappé de plein<br />
fouet par la dureté de leur nouveau milieu de vie; un put*** d’enfer où les<br />
gardiens sont aussi violents et cruels que les détenus.
96<br />
Épurée et émouvante même si cruellement moins dynamique<br />
et punchy, fantaisiste et horrifique (parce que réaliste) à la fois,<br />
amputée par ses choix scénaristiques (certains personnages<br />
nous manquent comme Boo et Maritza, et seuls les soeurs<br />
Barbara et Carol s’avèrent réellement des nouvelles héroïnes<br />
convaincantes), «OITNB», pur show révolutionnaire et plus vieux<br />
porte étendard de la magie Netflix (avec «House of Cards»), a<br />
beau avoir ses plus belles heures derrière elle (et la nostalgie des<br />
exceptionnelles deux premières saisons nous reste solidement<br />
en mémoire), elle s’offre un simili reboot et conserve néanmoins<br />
sa capacité incroyable à surprendre et émouvoir son auditoire,<br />
même dans le bordel le plus complet.<br />
De quoi amplement justifier sa vision, même si un sale sentiment<br />
persiste : si la série devait se terminer d’ici l’année prochaine,<br />
cela serait une fin juste et loin d’être déchirante à nos yeux, ce<br />
qui en dit peut-être long sur la qualité du contenu au fil des ans...<br />
Jonathan Chevrier
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