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Désolé j'ai ciné #8

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Spider-man sur<br />

grand écraN<br />

Retour sur un héros mythique<br />

Et aussi : (beaucoup) de critiques, des séries, suspiria de dario argento...<br />

1


2


3<br />

L’Edito<br />

Alors que la blogosphère <strong>ciné</strong> s’écharpe durant des<br />

mois au sujet de “Roma”, de la salle de <strong>ciné</strong>ma et du visionnage à<br />

la maison (voir un film sur Netflix, est-ce réellement du <strong>ciné</strong>ma ?<br />

Un épisode de L’amour est dans le pré diffusé en pellicule dans un<br />

Pathé IMAX, est-ce que ça n’est pas aussi du <strong>ciné</strong>ma?), nous aussi on<br />

s’interroge. Un magazine <strong>ciné</strong>ma en digital, est-ce que c’est vraiment<br />

un magazine ? Si nous n’avons pas la possibilité d’être feuilleté,<br />

comme le – superbe – magazine de nos confrères et consœurs de<br />

chez Revus et Corrigés, méritons-nous vraiment le nom ?<br />

Notre conviction, et il en est de même pour le <strong>ciné</strong>ma : il s’agit de<br />

sincérité avant tout. Aussi en cette fin d’année, nous espérons vous<br />

proposer des textes <strong>ciné</strong>philes et <strong>ciné</strong>phages qui, non motivés par la<br />

moindre considération économique, sont tout simplement motivés<br />

par la sincérité de nos autrices et auteurs. C’est ce qui différencie<br />

un film de “Venom” malhonnête et mensonger, d’un film d’animation<br />

de Spidey réalisé avec le cœur. Cher lecteur, chère lectrice, soyez<br />

comme Spider-Man… Soyez amazing. Joyeuse fin d’année à vous.<br />

Captain jim


4


5<br />

le sommaire<br />

P.6 ATtentes de 2019<br />

p.16 Critiques Netflix<br />

P.28 critiques octobre<br />

p.48 critiques novembre<br />

p.72 critiques décembre<br />

p.84 travis knight : self-made artist ?<br />

p.87 suspiria : la maison du paon<br />

p.96 fede alvarez : de raimi à fincher<br />

p.100 spider-man sur grand écran<br />

p.108 l’instant séries<br />

DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG<br />

MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG<br />

RÉDACTEURS : CAPTAIN JIM, LIAM DEBRUEL, MEHDI TESSIER, BAPTISTE ANDRE


6<br />

ON LES ATTEND AVEC IMPATIENCE EN 2019<br />

gla<br />

Les héros de «Incassable» et «split» sont réunis dans ce qui<br />

pourrait bien être le film de super-héros de l’année : furieux,<br />

impressionnant, épique et probablement innatendu connaissant le<br />

bonhomme qui, malgré quelques films un peu en deça, s’est inscrit<br />

comme une des valeurs sûres du <strong>ciné</strong>ma. Bruce Willis, James<br />

McAvoy, Samuel L Jackson & Anya Taylor-joy seront rejoints par<br />

l’énigmatique sarah paulson.<br />

margaux maekelberg


ss<br />

m night shyamalan<br />

7


8<br />

the old man<br />

Dès quelques trailers diffusés, le prochain film de David Lowery<br />

attise la curiosité et l’impatience. Après son magnifique “A<br />

Ghost Story”, il met ici en scène l’histoire vrai d’un vieil homme<br />

braqueur de banque joué par Robert Redford. Réalisateur plus<br />

que prometteur, casting inspiré, photographie à l’esthétique 70’s,<br />

le film à déjà tout pour plaire et faire de l’année 2019 une belle<br />

année de <strong>ciné</strong>ma.<br />

Baptiste Andre


9<br />

and the gun<br />

David Lowery


10<br />

adora<br />

Fabrice Du Welz est l’un de mes réalisateurs<br />

préférés depuis que j’ai découvert « Alléluia »<br />

sur grand écran en 2014. Le fait qu’il<br />

clôture sa trilogie ardennaise (« Calvaire »,<br />

« Alléluia » et donc « Adoration ») avec<br />

plusieurs figures belges tout en reprenant une<br />

nouvelle fois la place d’une « Gloria » en tant<br />

que vecteur des événements (ici, une petite fille<br />

après la femme disparue et la mère monstre)<br />

m’intrigue au plus haut point. Bref, Adoration<br />

s’annonce comme un film important de l’année.<br />

Liam Debruel


11<br />

tion<br />

Fabrice Du Welz


12<br />

Autre fin de trilogie avec ce neuvième épisode de la saga de<br />

science-fiction la plus connue du monde. C’est pourtant avec<br />

son réalisateur que les enjeux s’avérent plus passionnants,<br />

JJ Abrams étant connu pour lancer les sagas/séries, sans les<br />

clôturer lui-même. Voir l’un des metteurs en scène les plus<br />

sous-estimés et passionnants de ces dernières années devoir<br />

mettre fin à de nouvelles aventures qu’il a initié et poursuivre<br />

les questionnements qu’il avait lancé ainsi que celles de Rian<br />

Johnson risque de rendre ce blockbuster encore plus lié au<br />

questionnement sur l’intime et l’historique.<br />

Liam Debruel


13JJ Abrams


14<br />

it : cha<br />

Grosse surprise de 2017, It était l’un des portraits les plus<br />

touchants sur l’enfance, avec un aspect horrifique plus<br />

vecteur d’émotions que de jump scare faciles. De plus,<br />

Muschietti affirmait un ton collant bien au récit entre le<br />

merveilleux Amblinesque et le style Kingien. Cette suite<br />

s’annonce donc intéressante dans ce qu’elle prolongera les<br />

traumatismes d’enfance chez les héros désormais adultes.<br />

Liam Debruel


15<br />

pter 2<br />

Andy Muschietti


16CRITIQ


17<br />

UES<br />

NETFLIX


18<br />

LE BON APÔTR<br />

Ce mois-ci Netflix frappe fort avec la sortie<br />

de plusieurs films de réalisateurs qui ont<br />

déjà fait leurs preuves. Gareth Evans est l’un<br />

d’eux. Après le diptyque « The Raid », qui a<br />

transformé la façon de filmer l’action dans<br />

le paysage <strong>ciné</strong>matographique, il revient<br />

avec un film aussi hypnotisant que jusqu’auboutiste.<br />

« Apostle » ou « Le Bon Apôtre » en français<br />

(le choix de traduction est suffisamment<br />

intéressant pour le souligner), place son<br />

spectateur in media res dans une histoire de<br />

secte qui, en échange de la libération d’une<br />

de leur adepte demande une importante<br />

somme d’argent. C’est Thomas, le frère de<br />

cette mystérieuse partisane, qui est chargé<br />

d’apporter la rançon vers l’obscure île où la<br />

secte a élu domicile.<br />

Gareth Evans n’a besoin que de quelques<br />

plans et lignes de dialogues pour poser<br />

cette histoire qui va se révéler petit à petit.<br />

On retrouve bien toute la mythologie<br />

sectaire dans ce film mais là où Evans fait<br />

fort c’est dans le mélange des genres qu’il<br />

va opérer. L’horreur domine fortement mais<br />

la fulgurance des scènes d’actions ravira<br />

les amoureux de « The Raid ». Car s’il y a<br />

une chose qu’il faut retenir de « Apostle »<br />

c’est l’audace avec laquelle Evans use de<br />

son médium. Angles de caméra, montage et<br />

choix stylistique sont tous aussi intéressant<br />

les uns que les autres. L’utilisation constante


19<br />

12/10<br />

E<br />

DE GARETH EVANS. AVEC DAN STEVENS, MICHAEL SHEEN... 2H10<br />

de « dutch angle » amplifie la sensation de<br />

malaise que l’image, le son et l’intrigue nous<br />

livraient déjà.<br />

Mais « Le Bon Apôtre », bien qu’étant un<br />

tour de force sur le plan formel reste tout<br />

de même assez pauvre dans sa narration.<br />

Un découpage scénaristique assez inégale<br />

avec une première partie très prometteuse<br />

qui met en place cette société sectaire<br />

reclus du monde, et des bribes d’intrigues<br />

suffisamment originales pour attiser la<br />

curiosité et établir un arc narratif prometteur.<br />

Puis, petit à petit, le film se perd dans une<br />

grandiloquence, un surplus, certe liée au<br />

genre horrifique voir gore (les amateurs<br />

d’hémoglobine seront servis), mais qui<br />

justifie finalement peu son histoire.<br />

Son jusqu’auboutisme est a salué bien<br />

qu’« Apostle », dans sa dernière partie<br />

notamment, s’use et, ses symboles et son<br />

propos semblent s’étouffer mutuellement.<br />

Le film reste néanmoins une œuvre très<br />

intéressante et prometteuse à l’égard de<br />

Netflix.<br />

Baptiste Andre


20<br />

19/10<br />

ILLANG : LA<br />

BRIGADE DES LOUPS DE<br />

KIM JEE-WOON. AVEC JUNG<br />

WOO-SUNG, HAN HYO-JU... 2H19<br />

Dans un futur proche, et<br />

face au spectre de la guerre<br />

qui menace l’Asie de l’est,<br />

les deux Corées décident<br />

de s’unifier pour faire face<br />

aux conflits à venir. Dans<br />

ce contexte politique tendu,<br />

un groupe terroriste du<br />

nom de La Secte apparaît,<br />

farouchement opposé au<br />

rapprochement des deux<br />

pays. Cette menace plonge<br />

le gouvernement provisoire<br />

dans la crise. La police est<br />

de plus en plus impuissante<br />

face aux actions des<br />

terroristes. Le président crée<br />

donc l’Unité Spéciale pour<br />

contrer La Secte. Après un<br />

événement traumatisant qui<br />

tourne l’opinion publique<br />

contre la nouvelle police, les<br />

membres de l’Unité Spéciale<br />

prennent la décision de<br />

porter un masque. Au proie<br />

aux luttes internes et au<br />

terrorisme, le pays sombre<br />

dans le chaos.<br />

« Illang : La brigade des<br />

loups » de Kim Jee-Woon est<br />

le remake d’un film japonais<br />

: « Jin-Roh , la brigade des<br />

loups » sortie en 1999. Il est<br />

difficile pour ceux qui ont<br />

connu le temps des vidéos<br />

clubs de ne pas se rappeler<br />

l’image marquante qu’était<br />

l’affiche de « Jin-Roh, la<br />

brigade des loups » . Un<br />

soldat en armure, évoquant<br />

un uniforme de soldat nazi,<br />

devant une pleine lune et<br />

ses yeux rouges sang. Ce<br />

visuel à lui seul provoquait<br />

d’étranges sentiments de<br />

fascination et de répulsion.<br />

Mais si en France, le film<br />

animé est considéré comme<br />

un chef d’oeuvre, on connaît<br />

moins la trilogie « Kerberos »<br />

dont « Jin Roh » est le dernier<br />

chapitre. En effet, Mamoru<br />

Oshii, le créateur de la saga


21<br />

(surtout connu pour l’animé « Ghost in the<br />

Shell »), avait réalisé deux films en prise de<br />

vue réelle, « The Red Spectacles » (1987)<br />

et « Stray dog : Kerberos Panzer Cops »<br />

se situant dans le même univers que « La<br />

brigade des loups ». Pour le troisième volet,<br />

Oshii ne signera que le scénario et c’est<br />

Hiroyuki Okiura qui passera à la réalisation.<br />

L’homme aux commandes de ce remake<br />

n’est pas n’importe qui. Kim Jee-Woon fait<br />

partie de la vague de réalisateurs coréens<br />

s’étant démarqué dans le début des années<br />

2000. C’est une figure emblématique du<br />

<strong>ciné</strong>ma mondial qui a signé des films aussi<br />

poétique (« 2 soeurs ») que radicalement<br />

violent (« J’ai rencontré le diable »). Au vu de<br />

sa filmographie, c’était le réalisateur parfait<br />

pour raconter cette histoire d’espionnage<br />

au milieu d’un pays en proie aux flammes.<br />

Dans « Illang », Jee-Woon déplace le récit<br />

se déroulant initialement au Japon pour le<br />

placer en Corée dans un futur pas si lointain.<br />

Depuis 1953 et l’armistice du conflit, les<br />

deux Corées n’ont jamais abouti à un traité<br />

de paix et sont juridiquement toujours en<br />

guerre. Infiniment touché dans leur chair par<br />

la séparation entre les deux états, il est rare<br />

de voir un film sud-coréen ne pas évoquer<br />

de près ou de loin cet aspect de la situation<br />

politique du pays. Le long métrage n’y va<br />

pas par quatre chemins et opte pour une<br />

anticipation qui parle clairement des peurs<br />

des sud coréens. Le script du film original<br />

montrait des personnages broyés par les<br />

institutions, où les initiatives individuelles<br />

étaient rendues quasi impossibles par les<br />

appareils d’état. Il planait sur le long métrage<br />

une aura de fatalisme funèbre. « Illang »<br />

prend à contre pied cet aspect si particulier<br />

de « Jin-Roh » pour en faire un film d’action<br />

où le fatalisme est remplacé par une volonté<br />

désespérée de liberté. Les héros vont se<br />

débattre continuellement pour tenter de<br />

s’extraire d’un système qui les utilise comme<br />

des pions. Thématiquement, le film est assez<br />

proche de son film précédent « The Age of<br />

Shadows » qui parlait de résistants sudcoréens<br />

pendant l’occupation japonaise.<br />

Le récit de « Illang » est bardé de violence,<br />

montre un pays en fin de règne, replié sur<br />

lui même. Ce changement de point de vue<br />

par rapport à l’oeuvre originale est louable<br />

mais l’exécution n’est pas sans défaut. Dans<br />

les séquences d’action dans la tour ou sur le<br />

parking, on a du mal à retrouver la maestria<br />

de la scène d’évasion de « A Bittersweet Life<br />

» réalisé par Kim Jee-Woon en 2005 et la<br />

patte si singulière du réalisateur. Le scénario<br />

de « Illang » ajoute des sous intrigues<br />

intéressantes mais qui se perdent dans le flot<br />

d’informations qu’on nous envoie pendant<br />

ces 2h30. Ainsi, le financement occulte de<br />

La Secte par une faction de la police fait<br />

écho aux scandales de corruptions qui a<br />

valu à l’ex-présidente sud-coréenne d’être<br />

condamnée à 25 ans de prison.<br />

Si le film original avait su marquer les<br />

esprits par son côté intemporel et sa poésie<br />

existentialiste, Kim Jee-Woon décide<br />

d’ancrer son remake dans un univers plus<br />

marqué, au contexte politique qui fait écho<br />

aux événements qui bousculent la Corée<br />

d’aujourd’hui. Mais dans cette volonté, il<br />

perd un peu la viscéralité qui faisait son<br />

<strong>ciné</strong>ma. En reste une œuvre intéressante,<br />

engagée et résolument moderne.<br />

Mehdi Tessier


22<br />

THE OUTLAW KING<br />

Le <strong>ciné</strong>ma de Mackenzie est en évolution<br />

constante. Il est alors intéressant qu’après<br />

son «Comancheria», où il analysait<br />

l’Amérique moderne en usant de ses<br />

codes <strong>ciné</strong>matographiques dès le plan<br />

d’ouverture, il s’attaque à un récit historique<br />

de Grande Bretagne et d’Ecosse. Les deux<br />

films partagent néanmoins un Chris Pine en<br />

vecteur de liberté et de réaction face à un<br />

système oppressif. Le milieu bancaire laisse<br />

place à une autre oligarchie avec la royauté<br />

britannique. Le plan séquence ouvrant le<br />

film reste tout autant symbolique de cette<br />

lutte des ‘’classes’’, séparant un semblant<br />

de bonne entente du restant du récit tout<br />

en installant les codes d’un genre historique<br />

plus épique. N’en déplaise d’ailleurs aux<br />

personnes contestant Netflix, la taille de<br />

l’écran n’influence guère l’ampleur du projet,<br />

la fureur des affrontements se dégageant sans<br />

souci. Mackenzie a d’ailleurs l’intelligence<br />

de rendre ses combats lisibles, à l’opposé de<br />

la superposition épileptique de nombreux<br />

blockbusters actuels. On ne sent guère de<br />

chorégraphies de combats d’ailleurs, dans<br />

une quête immersive où les belligérants<br />

sont sur l’instant des guerriers qui cherchent<br />

l’efficacité et la survie sur autre chose. Les<br />

personnages sont moins des héros braves<br />

que des hommes tentant de faire la chose<br />

juste. Les gestes sont imprécis, les visages<br />

sont sales et les morts sont injustes et sèches.<br />

Pourtant, c’est moins dans ses moments<br />

de danger que le <strong>ciné</strong>ma de Mackenzie<br />

transparait mais dans ses instants de


23<br />

09/11<br />

ressortir une forme de beauté banalisée.<br />

Cela rentre en cohérence avec la direction<br />

d’acteur de qualité de Mackenzie. Il offre<br />

une nouvelle fois un autre grand rôle au<br />

toujours charismatique Chris Pine. L’acteur,<br />

au minimum impeccable dans ses rôles les<br />

moins marquants, dégage cette même lueur<br />

dans ses yeux accrochant directement le<br />

public, et se livre corps et âme dans un rôle<br />

à récompense (croisons les doigts malgré le<br />

désamour porté à la plateforme). Ce même<br />

dévouement émotionnel, cohérent dans le<br />

<strong>ciné</strong>ma de Mackenzie, transperce dans le<br />

regard de chaque membre du casting.<br />

DE DAVID MACKENZIE. AVEC CHRIS PINE, FLORENCE PUGH... 2H01<br />

calme. C’est là, quand transparaissent les<br />

imperfections des héros, qu’ils prennent<br />

vie, dans leurs gestes les plus banals, forme<br />

de repos dans la crainte d’une menace<br />

permanente. Des amoureux en plein ébat<br />

s’arrêtent en tombant sur une plante avec<br />

laquelle les amants se caressent lentement<br />

pour mieux appréhender le corps de l’autre.<br />

En plus d’offrir une fulgurance d’érotisme<br />

dans une scène de sexe marquant par<br />

sa crudité, celle-ci remet en avant cette<br />

manière qu’a Mackenzie d’appréhender ses<br />

personnages. Les cicatrices sur notre héros<br />

sont filmées sans fard, avec cette beauté de<br />

mise en scène que le réalisateur a pour ces<br />

corps, en mouvement ou non. Il les prend,<br />

comme ses acteurs, dans leurs aspects<br />

les moins élégants pour mieux en faire<br />

Sublimé par la photographie discrète et<br />

sensible de Barry Ackroyd, «The outlaw<br />

king» est un grand film délicat et furieux à<br />

la fois, porté par cette antinomie symbole<br />

d’un affrontement rude et douloureux. Il est<br />

tel un baiser, une étreinte après la tragédie,<br />

un calme réconfortant après une tempête de<br />

tourments émotionnels et physiques. C’est ce<br />

qui fait du <strong>ciné</strong>ma de Mackenzie un <strong>ciné</strong>ma<br />

essentiel, portant l’intime et l’imperfection<br />

de ses héros pour appuyer les doutes de<br />

chacun, héros historiques comme victimes<br />

sans nom de la société, et les transcender<br />

avec la même touche empathique qu’un<br />

Jeff Nichols. Quand Mel Gibson filmait son<br />

«Braveheart» avec grandiloquence pour<br />

appuyer l’héroïsme, Mackenzie y arrive en<br />

allant dans une forme d’immersion aussi<br />

crue dans sa représentation historique que<br />

dans les failles de chacun. Bref, d’une beauté<br />

aussi discrète que son <strong>ciné</strong>ma…<br />

Liam Debruel


16/11<br />

THE BALLAD OF<br />

BUSTER SCRUGGS<br />

24<br />

DE JOEL ET ETHAN COEN. AVEC TIM BLAKE NELSON, JAMES FRANCO, LIAM NEESON... 2H13


25<br />

Les frères Coen ont beau faire la tournée des médias pour<br />

chanter les louanges de la plateforme et des libertés qu’elles<br />

leur ont offertes pour réaliser leur film western d’anthologie, on<br />

ne me la fait pas à moi : c’est que personne d’autre que Netflix<br />

n’aurait accepté de financer un projet aussi médiocre. Des mots<br />

violents; des mots douloureux aussi, quand on est fan du travail<br />

des frères Coen comme je le suis, mais surtout des mots justes.<br />

«The Ballad of Buster Scruggs» est une compilation de nouvelles<br />

écrites par les frères Coen tout au long de leur carrière (ils en ont<br />

écrit un paquet; certaines ont même été publiées dans les Cahiers<br />

du Cinéma) ayant comme seul cadre commun le western, et<br />

comme seule thématique partagée une approche existentialiste<br />

du monde. Que cela soit à travers l’humour noir ou non, toute<br />

les histoires interrogent la place des hommes et des femmes dans<br />

un univers qui semble s’amuser à n’avoir aucun sens. C’est cet<br />

existentialisme constant qui donne souvent le sentiment que les<br />

frères Coen sont effroyablement cruels avec leurs personnages,<br />

et c’est quelque chose qui ressort de manière très visible dans<br />

ces six courtes histoires.<br />

Évidemment, les segments sont inégaux. Malheureusement,<br />

la plupart sont largement insignifiants. Le premier a beau être<br />

techniquement impressionnant, il n’en reste pas moins qu’un<br />

vain exercice vaniteux. Celui avec Tom Waits en chercheur d’or se<br />

noie dans une fin mécanique et totalement bidon... On gardera un<br />

bon souvenir cependant de celui qui met en scène James Franco<br />

en criminel malchanceux, de celui avec Liam Neeson et enfin<br />

celui avec Zoe Kazan. Mais même quand c’est pas mal, on sent<br />

quand même que ce sont des histoires qui avaient été oubliées<br />

dans un tiroir à raison... Cela reste les frères Coen, c’est-à-dire<br />

parmi les plus grands réalisateurs que le <strong>ciné</strong>ma américain ai<br />

jamais connu, donc cela reste intéressant. Mais comme d’autres<br />

avant eux, les <strong>ciné</strong>astes passent par la case Netflix en proposant<br />

une œuvre bien en deçà de leurs propositions habituelles. On<br />

attend le prochain…<br />

Captain Jim


26<br />

ROMA<br />

DE ALFONSO CUARÓN. AVEC YALITZA<br />

APARICIO, NANCY GARCÍA... 2H15


27<br />

Roma a tout pour faire peur. Distribué<br />

par Netflix, film espagnol dont l’histoire<br />

se déroule dans les années 70, de surcroît<br />

en noir et blanc, d’une durée de plus de 2<br />

heures, il en rebutera sûrement plus d’un.<br />

Beaucoup d’entre eux regretteront sa nonprésence<br />

sur les écrans. A juste titre, certes,<br />

mais “Roma” est profondément plus qu’un<br />

simple film de <strong>ciné</strong>ma.<br />

C’est un film naturaliste, intimiste, qui<br />

s’inspire directement de l’enfance de<br />

Cuaron dans le quartier de Colonia Roma à<br />

Mexico. On suit le quotidien d’une famille<br />

bourgeoise du point de vue de Cleo, la<br />

nounou de la famille. Le film s’ouvre sur un<br />

plan fixe d’un sol, puis une vague d’eau vient<br />

le recouvrir, nous révélant, par un habile jeu<br />

de reflet, le ciel au-dessus de nous. Notre<br />

regard toujours fixé sur ce plan se retrouve<br />

coupé par le passage d’un avion. Ici, dans<br />

ces cinq premières minutes, Cuaron nous<br />

révèle toute sa démarche.<br />

Le film prendra son temps. Le film nous<br />

montrera plusieurs couches les unes sur<br />

les autres, parfois pas directement mais<br />

justement par ce jeu de reflet. Chaque détail<br />

établira un événement prochain. Le noir et<br />

blanc n’est pas là, à mon sens, pour établir<br />

une dualité, mais pour souligner un contraste.<br />

Qu’il soit social, spatial (tout est question<br />

d’espace dans “Roma”) ou encore lié aux<br />

personnages. Car Cuaron met en scène des<br />

portraits de femmes incroyablement fortes<br />

vis-à-vis des hommes qui les entourent.<br />

C’est un film d’une bienveillance sans<br />

pareille mais qui ne s’empêchera pas<br />

de bousculer son spectateur. Certaines<br />

scènes sont dévastatrices et continuent<br />

de nous suivre bien longtemps après leur<br />

visionnage. D’un réalisme véritablement<br />

éprouvant d’autant plus souligné par le<br />

temps que prend le film. La forme suit à la<br />

perfection cette démarche en nous invitant,<br />

grâce à des travellings très lents, à observer<br />

et à apprécier les détails qui composent le<br />

quotidien de Cleo et de cette famille.<br />

Couronné par un Lion d’Or à la Mostra de<br />

Venise de cette année, “Roma” mérite qu’on<br />

parle de lui. C’est un film que Cuaron a<br />

rempli d’une passion et d’une douceur sans<br />

pareil qu’il semblait naturel que l’on puisse<br />

lire le titre à l’envers et en découvrir le sens<br />

caché : ‘’Amor’’.<br />

Baptiste Andre


28CRITIQ


UES<br />

DES FILMS D’OCTOBRE DONT ON A PAS PU PARLER DANS<br />

LE PRÉCÉDENT NUMÉRO PARCE QU’ON A PAS EU LE TEMPS<br />

(MAIS ON VA PAS PARLER DE TOUT NON PLUS QUAND MÊME)<br />

29


03/10<br />

A STAR IS BORN<br />

DE BRADLEY COOPER. AVEC BRADLEY COOPER,<br />

LADY GAGA... 2H16<br />

30<br />

Il y a d’abord eu William A. Wellman<br />

en 1937, puis George Cukor en 1954<br />

et Frank Pierson en 1977. Près de<br />

quarante ans plus tard c’est au tour de<br />

Bradley Cooper de se placer derrière<br />

la caméra pour la première fois de sa<br />

carrière. Celui qui s’est fait un peu<br />

plus rare sur nos grands écrans depuis<br />

2015 («American Sniper», «À vif !»)<br />

excepté quelques apparitions dans<br />

«War Dogs» et «10 Cloverfield Lane»<br />

en 2016; fait un retour fracassant avec<br />

ce qui est donc une nouvelle version<br />

du désormais cultissime «A Star is<br />

born». Réalisateur, acteur principal,<br />

scénariste et également producteur,<br />

Bradley Cooper est sur tous les fronts<br />

pour cette tragédie hollywoodienne<br />

qui a tout pour filer direct aux Oscars<br />

même s’il est - bien - loin d’être<br />

parfait.<br />

Star de country sur le déclin et plus<br />

attiré par les bouteilles d’alcool et les<br />

médicaments que par l’adrénaline de<br />

la scène, Jackson Maine rencontre la<br />

jeune et très prometteuse Ally avec<br />

qui une incroyable histoire d’amour<br />

commence. Alors qu’elle prend du<br />

galon dans le métier et devient LA star<br />

du moment, la carrière de Jackson va<br />

de plus en plus mal et ce dernier met<br />

rapidement péril autant son couple<br />

que la carrière de sa femme.<br />

Le film démarre sur les chapeaux<br />

de roue. Le coup de foudre frappe<br />

sans prévenir, Jackson Maine tombe<br />

éperdument amoureux d’Ally et de<br />

sa voix en or. La première partie<br />

du film embrasse la romance avec<br />

ferveur et excitation, tout comme<br />

les sentiments naissants entre eux.<br />

On tombe à notre tour amoureux<br />

de ce couple qui transcende l’écran<br />

de par leur alchimie mais encore<br />

plus - et surtout - lorsque les deux se<br />

retrouvent sur scène avec une mise<br />

en scène dynamique - bravo Cooper<br />

- et un score aux petits oignons. Mais


31<br />

peut-être que finalement tout va trop vite dans le film, si bien que<br />

la première partie condense assez rapidement les préambules<br />

de leur relation avec énergie pour laisser une deuxième partie<br />

beaucoup plus faible. Déjà de par un scénario connu - une<br />

étoile née, une autre meurt - et qui ne fait qu’effleurer des pistes<br />

de réflexion qui auraient pu être intéressante : l’amour toxique,<br />

l’émancipation de la femme vis-à-vis de son mari, la pression<br />

que met l’industrie musicale pour «formater» ses stars…<br />

Cependant Bradley Cooper nous avait prévenu, «A Star is born»<br />

est avant tout une histoire d’amour. Et c’est qu’il arrive à nous<br />

transporter dans les moments de joie comme les moments de<br />

peine, non pas dans leur vie quotidienne mais bel et bien sur<br />

scène. Autant la plupart des scènes ne montrent pas énormément<br />

d’intérêt, autant celles où Lady Gaga chante sont absolument<br />

transcendantes (notamment la scène de fin bouleversante de<br />

justesse). Ce qui nous fait arriver au second point de ce film, les<br />

prestations de nos têtes d’affiches. Bradley Cooper surpasse le<br />

film avec sa dégaine d’ancienne star déchue et son regard perçant<br />

où toutes les émotions transparaissent. Le naturel de Lady Gaga<br />

est plus agréable et rafraichissant dans la première partie que<br />

dans la seconde avec ses artifices et ses tenues extravagantes<br />

- peut-être justement parce qu’on a l’habitude de la voir dans<br />

ce registre -. Sam Elliott qui incarne le frère de Jackson tient ici<br />

probablement son plus beau rôle tout comme les autres seconds<br />

couteaux dont le père d’Ally et sa bande de chauffeurs et leur<br />

humour communicatif.<br />

Les amateurs de love story seront servis quant à ceux qui auraient<br />

souhaité un film avec un peu plus de fond, ils devront passer<br />

leur tour car «A Star is born» est finalement aussi sincère qu’il<br />

est extrêmement convenu.<br />

Margaux Maekelberg


32<br />

03/10<br />

FRÈRES ENNEMIS<br />

DE DAVID OELHOFFEN. AVEC MATTHIAS<br />

SCHOENAERTS, REDA KATEB... 1H41<br />

Depuis quelques années, David Oelhoffen semble vouloir<br />

chambouler les productions hexagonales. Après avoir<br />

scénarisé « L’affaire SK1 » en 2013, et réalisé en 2014 « Loin<br />

des hommes » (adapté d’une nouvelle d’Albert Camus) ,<br />

le réalisateur sort « Frères ennemis », son troisième long<br />

métrage. Loin des clichés, le film raconte l’histoire de dealers<br />

et de flics ordinaires, porté par un casting remarquable.<br />

Driss, incarné par Reda Kateb, est un agent de la brigade<br />

des Stups, plutôt solitaire. Pour faire tomber des trafiquants,<br />

il utilise Imrane, ami d’enfance lui même trafiquant. Lors<br />

d’un deal qui devait lui rapporter gros, Imrane se fait tuer.<br />

Manuel, le seul rescapé de l’attaque et associé du défunt<br />

se retrouve accusé d’avoir commandité l’assassinat et de<br />

cacher la drogue pour son profit personnel. Afin de se<br />

laver de tout soupçon, il va devoir faire confiance à Driss,


33<br />

et l’aider à mener l’enquête. Le flic rongé par la culpabilité, va tenter de<br />

s’acquitter de la dette morale qu’il a envers ses anciens amis.<br />

David Oelhoffen se défend d’avoir fait un film naturaliste. Pourtant il se dégage<br />

un sentiment de réalisme cru dans la plupart des scènes. La caméra portée<br />

filme les acteurs au plus près, évoluant dans des décors criant d’authenticité.<br />

Lors de la scène de retrouvailles devant la prison, on est au cœur de cette<br />

réunion de famille, avec les personnages, sous la grisaille. Ce ciel gris et bas<br />

qui recouvrira la totalité du long métrage. Loin d’un romantisme flamboyant,<br />

le film dépeint la vie de petits dealers, entre peur et attente. On est surpris<br />

de voir Imrane et Manuel se comporter comme des pères aimants, doux,<br />

aux antipodes des voyous qu’on nous présente d’habitude. L’intrigue se passe<br />

essentiellement de l’autre côté du périphérique, ne montrant Paris qu’en<br />

de rares occasions. Flics et malfrats n’habitent pas des lofts stylisés ou des<br />

appartements haussemaniens, mais des logements modestes dans des HLM.<br />

Les personnages ont vécu dans la même cité, sont du même milieu social.<br />

Leur passé est commun, seule la morale les différencie.<br />

Dès le premier plan, le cadre est posé. Reda Kateb regarde par la fenêtre, l’air<br />

distant. Derrière lui, des hommes casqués, en gilet par balles montent les<br />

escaliers, arme au poing. Le décalage est frappant. Driss n’est pas à sa place.<br />

Et durant tout le film, le personnage n’aura de cesse d’essayer de la retrouver.<br />

Car le cœur du récit est là, « Frères Ennemis » raconte l’histoire de quelqu’un<br />

qui rentre chez lui. Mais contrairement à Ulysse, le voyage sera tout sauf beau<br />

et heureux. C’est rongé par la culpabilité que Driss se met en quête d’un foyer<br />

perdu. La filiation, l’entraide de deux personnages que tout semble opposer,<br />

David Oelhoffen creuse ici des thèmes qui lui sont chers. Mais cette étude<br />

de personnages s’avère un poil décevante, la faute à un manque d’éléments<br />

permettant d’appréhender la fracture entre Driss et Manuel. Leur amitié passée<br />

est évoquée sans jamais être approfondie. Mais on ne va pas bouder notre<br />

plaisir de voir Reda Kateb et Matthias Schoenaerts se donner la réplique.<br />

Notons aussi que c’est la première apparition au <strong>ciné</strong>ma du rappeur Fianso,<br />

de son vrai nom Sofiane Zermani, et qu’on espère revoir bientôt tant son jeu<br />

est naturel.<br />

Avec ces personnages tout en nuances de gris, David Oelhoffen expose la<br />

fragilité de la famille qu’on se choisit, celle des amis, et montre qu’elle aussi,<br />

peut être dysfonctionnelle. Malgré la petite déception en sortant de la salle,<br />

et au regard de ses futurs projets, on ne peut qu’espérer une carrière brillante<br />

pour ce réalisateur qui se fait une place de choix dans un <strong>ciné</strong>ma français de<br />

plus en plus prompt à offrir des choses nouvelles.<br />

Mehdi Tessier


34<br />

Il était loin de faire l’unanimité chez nos<br />

confrères américains, force est de constater<br />

que «Venom» subira également le même<br />

sort de par chez nous. Car même si les<br />

droits du tisseur de toile appartiennent<br />

désormais à Marvel/Disney, Sony sort de<br />

sa besace l’un des ennemis de Spider-Man<br />

déjà aperçu dans le «Spider-Man 3» de Sam<br />

Raimi aka Venom/Eddie Brock. Et parce<br />

que Sony est une jolie machine à business<br />

qui compte bien amasser du billets verts,<br />

bye bye le Rated R espéré par certains<br />

- il faut dire que le personnage avait le<br />

potentiel pour - et bonjour le PG-13 - tout<br />

public chez nous -. Loin d’être une grande<br />

surprise, le «Venom» de Ruben Fleischer<br />

(«Bienvenue à Zombieland», «Gangster<br />

Squad») n’est pas un «désastre» (même s’il<br />

s’en rapproche dangereusement) mais est<br />

bien trop aseptisé pour être efficace.<br />

Journaliste d’investigation prêt à titiller les<br />

plus grands dirigeants et responsables pour<br />

mettre à jour leurs magouilles, Eddie Brock<br />

se frotte d’un peu trop près à Carlton Drake<br />

à la tête de Life Foundation qui, derrière ses<br />

recherches scientifiques, entame une grande<br />

opération de nettoyage à l’aide d’entités<br />

extraterrestres surnommées «symbiotes»<br />

qui ont besoin d’un hôte humain pour<br />

survivre. Suite à un malencontreux<br />

accident, Eddy Brock fusionne avec une de<br />

ces entités pour devenir Venom.<br />

Dans sa première partie, le film tente<br />

vainement de créer une origin story qui<br />

n’est finalement que vaguement évoqué<br />

sans s’intéresser véritablement à Eddy<br />

Brock ni même à l’antagoniste de l’histoire<br />

aka le méchant docteur Carlton Drake qui<br />

- comme 90% des méchants aujourd’hui<br />

- veut sauver le monde en détruisant<br />

les ¾ de sa population pour éviter ainsi<br />

la surpopulation et la disparition des<br />

VENOM<br />

ressources que Mère Nature nous a si<br />

gentiment offert. Sa seconde partie, faisant<br />

désormais cohabiter Eddy et Venom, vire<br />

de temps à autre au buddy movie qui<br />

s’avère plutôt efficace. Tom Hardy prend<br />

du plaisir à jouer ce double-personnage et<br />

ça se voit. C’est pas toujours parfait mais la<br />

carrure du bonhomme colle parfaitement<br />

au personnage. Ce qui est du côté de Riz<br />

Ahmed c’est une autre histoire - enfin du<br />

côté de tous les seconds couteaux à vrai<br />

dire - qui semble chercher ses répliques et<br />

dont le personnage n’a absolument aucune<br />

substance à part le fait d’avoir l’étiquette<br />

«Méchant» collée sur le front.<br />

Si le scénario a été coupé à la hache<br />

absolument pas affutée, il en est de même<br />

avec la réalisation et le montage qui sont audelà<br />

du catastrophique notamment lorsque<br />

le film tape un peu dans l’action. On se<br />

retrouve alors avec une course-poursuite


10/10<br />

DE RUBEN FLEISCHER. AVEC TOM HARDY, RIZ AHMED... 1H52<br />

en voiture (qui rappelle étrangement celle<br />

de «Black Panther», la réalisation en moins)<br />

complètement illisible tout comme 99%<br />

des scènes d’action du film alors que le<br />

personnage de Venom et toute sa dimension<br />

«monstrueuse» tente d’exploser à l’écran<br />

sans grand succès malheureusement<br />

puisque, le jeune public étant visé, hors<br />

de question de mettre ne serait-ce qu’une<br />

goutte de sang (alors que Venom arrache<br />

sans vergogne à coups de canines acérées<br />

la tête de ses ennemis).<br />

Lors d’une récente interview qui a largement<br />

fait les gros titres à quelques jours de la sortie<br />

du film, Tom Hardy affirmait que des scènes<br />

qu’il affectionnait tout particulièrement ont<br />

été coupé du film (pour rappel le film a été<br />

coupé de 40 minutes). Et lorsqu’on voit<br />

le résultat à l’écran, ces 40 minutes sont<br />

quasiment flagrantes et aurait - possiblement<br />

- permis au film d’être un brin mieux<br />

développé. Reste à espérer qu’une version<br />

longue du film sera disponible en DVD (et<br />

honnêtement on croise fortement les doigts).<br />

Et comble du comble, la seconde scène<br />

post-générique (qui n’a pour le coup aucun<br />

rapport «direct» avec le film) qui dure<br />

approximativement cinq minutes se révèlent<br />

bien plus intéressante, bourrée d’action et<br />

drôle que tout le film. Outch.<br />

Malgré deux trois moments sympathiques, un<br />

personnage aussi complexe que finalement<br />

attachant et une véritable envie de bien faire<br />

de Tom Hardy, «Venom» s’enfonce dans<br />

les bas-fonds des blockbusters réalisés à la<br />

truelle seulement venus pour engranger de<br />

l’argent - et vu son 1er jour d’exploitation à<br />

32,8M de dollars Sony fait banco - quitte à<br />

y délaisser tout ce qui faisait le charme d’un<br />

des meilleurs ennemis de Spider-Man.<br />

Margaux Maekelberg<br />

35


36<br />

10/10<br />

GALVESTON<br />

DE MÉLANIE LAURENT. AVEC BEN FOSTER,<br />

ELLE FANNING... 1H31<br />

Nouvelle-Orléans, 1987. Roy est un petit truand dont les dettes s’accumulent.<br />

Un soir, son boss lui tend un guet-apens, dans une maison isolée, mais réussit<br />

à s’échapper. Dans sa fuite, Roy emmène avec lui une jeune fille, Rookie,<br />

retrouvée attachée sur le lieux de l’attaque. Cette cavale les mènera au Texas,<br />

à Galveston, où les fuyards passeront quelques jours de paix, face à la mer,<br />

avant que les problèmes ne les rattrapent.<br />

«Galveston» est le premier film américain de Mélanie Laurent. C’est<br />

l’adaptation d’un livre signé Nick Pizzolatto, le créateur de la série «True<br />

Detective». Mais avant ça, la réalisatrice avait marquée les esprits avec<br />

«Respire», dont le travail si particulier sur le son montrait de réelles volontés de<br />

mises en scènes. Sa filmographie est parsemée de personnages en souffrance,<br />

et ce nouveau long métrage ne déroge pas à la règle. Au tout début du film,<br />

on fait la connaissance de Roy, interprété par Ben Foster. Après un passage<br />

chez le médecin, on devine un personnage en sursis, la radio de ses poumons<br />

montrant des tâches inquiétantes. On va suivre un homme qui s’avance sans


37<br />

cesse vers la mort, la frôlant souvent sans jamais l’embrasser. Dans cette fuite<br />

en avant, Roy va sauver Rookie, parfait prototype de la jeune fille en détresse,<br />

interprétée par Elle Fanning. Cette blonde au visage angélique se révèle être<br />

une prostituée au passé trouble, un personnage dont l’innocence a été broyé<br />

très tôt. Roy et Rookie sont deux archétypes de film noir, et «Galveston» sera<br />

l’occasion de réinterpréter les codes du genre.<br />

Le film est une sorte de double parenthèse. D’abord temporelle, le tout<br />

premier plan montre l’intérieur d’un salon alors que l’ouragan Katrina fait<br />

rage dehors, puis l’intrigue se déroule en 1987 avant de revenir en 2005. Mais<br />

le long métrage offre aussi une parenthèse idyllique, au bord de la mer, où<br />

les personnages vivront quelques moments de paix, de joie, loin des tumultes<br />

qu’ils ont vécus. La scène où, au crépuscule, Tiffany, la petite sœur de Rookie,<br />

court pour mettre des petites tapes dans le dos de Roy est d’une douceur<br />

infinie, accompagnée simplement par le bruit du vent et les rires de l’enfant.<br />

La ville de Galveston servira de purgatoire aux personnages. Mais après une<br />

soirée de danse où l’on voit pour la première fois Roy sourire, et Rookie<br />

s’amuser réellement, le passé les rattrape et les fauche encore plus durement.<br />

Le road trip est sombre et violent. Mais le trait est parfois trop forcé, et le<br />

pathos ne prend pas, comme quand Elle Fanning raconte son passé de gamine<br />

abusée. Juste avant la confidence, on voit l’actrice en pleurs à la limite du<br />

surjeu, dont les grognements de tristesse frôle le ridicule. On aurait aimé<br />

aussi un peu plus de nuances dans le jeu de Ben Foster. Reste tout même une<br />

bonne prestation pour les deux acteurs. Lors des scènes d’action, Mélanie<br />

Laurent se lâche, et sa mise en scène aboutit à des moments intenses, du plus<br />

bel effet. Le film étant une commande, la réalisatrice n’avait pas le final cut.<br />

Elle a d’abord monté le film de son côté, aboutissant à un premier jet que le<br />

producteur trouvait trop ‘’film français’’. Puis un monteur outre-atlantique<br />

à essayer d’en faire quelque chose de plus américain. Le long métrage sorti<br />

en salle est une fusion des deux visions. En résulte un film schizophrène, ne<br />

sachant pas ce qu’il est, un drame ou un thriller.<br />

En se rendant au Texas, Melanie Laurent filme l’Amérique des déshérités,<br />

oubliée des institutions. On sent une réelle sincérité à montrer la noirceur de<br />

contrées livrées à elle même, mais avec un regard trop appuyé, voir exagéré.<br />

Malgré quelques scènes poignantes, «Galveston» souffre d’une vision<br />

bicéphale et peine à trouver réellement sa voie et s’inscrire comme l’œuvre<br />

d’une auteure.<br />

Mehdi Tessier


17/10<br />

Après<br />

SHANE BLACK. AVEC BOYD HOLBROOK, TREVANTE RHODES... 1H47<br />

THE PREDATOR<br />

DE<br />

une promo extrêmement compliquée<br />

- et encore le mot est faible - où la courageuse<br />

Olivia Munn était bien seule face aux<br />

journalistes après que le casting masculin<br />

ai déserté (ainsi que leur réalisateur Shane<br />

Black) les caméras suite aux révélations<br />

concernant Steven Wilder Siegel, ami de<br />

longue date du réalisateur, qui avait une<br />

petite scène avec l’actrice et qui avait été<br />

condamné en 2010 à six mois de prison<br />

pour atteinte sur mineure. Une révélation<br />

qui fait l’effet d’une bombe alors qu’Olivia<br />

Munn prend la parole et que ses collègues<br />

se terrent dans un silence alarmant (Shane<br />

Black a depuis fait un mea culpa sur Twitter<br />

histoire de calmer un peu le jeu). Ajoutez<br />

à cela des reshoots de dernière minute et<br />

honnêtement le Predator de Shane Black<br />

ne part pas gagnant d’emblée.<br />

Alors qu’un prédateur est pris en chasse par<br />

ses congénères, il atterrit en catastrophe sur<br />

notre bonne vieille planète Terre alors qu’à<br />

quelques mètres de là le tireur d’élite Quinn<br />

McKenna mène une mission de sauvetage<br />

avec son unité. Alors qu’ils se font tous<br />

décimés par la créature, McKenna réussit<br />

à s’en sortir et s’empare du Predator ainsi<br />

qu’une de ses manchettes qu’il envoie chez<br />

lui en pensant qu’ils seront en sécurité. Afin<br />

d’étouffer au mieux cette affaire, McKenna<br />

est déclaré instable mentalement et enfermé<br />

dans le Groupe 2 aka l’élite des ex-soldats<br />

qui n’ont plus toute leur tête. Pendant ce<br />

temps, le prédateur qui a été capturé est<br />

examiné par le Dr Casey Brackett et - sans<br />

surprise - la bête se réveille et massacre à<br />

peu près tout le monde sur son passage,<br />

bien décidée à retrouver son masque et<br />

la partie manquante de son armure sauf<br />

38


39<br />

qu’entre temps le fils de McKenna a ouvert<br />

le colis et s’est mis à jouer avec le masque<br />

du Predator ce qui fait de lui désormais<br />

la cible n°1 du monstre. Accompagné de<br />

ces ex-soldats un peu loufoques et de la<br />

scientifique, ils vont devoir arrêter non pas<br />

un… mais deux prédateurs.<br />

Beaucoup d’informations hein ? Trop<br />

même. Et pourtant on sent à quel point<br />

Shane Black - accompagné de Fred Dekker<br />

au scénario - a envie d’insuffler quelque<br />

chose de nouveau dans ce reboot/sequel/<br />

onsaitpastropenfait avec de nouveaux<br />

enjeux, de nouveaux méchants et surtout<br />

une jolie pléiade de personnages (qui sont<br />

finalement les seuls «atouts» du film). Et<br />

pourtant la première partie du film se tient<br />

plutôt correctement même si clairement la<br />

force première de Shane Black est l’écriture<br />

de ses personnages, moins le maniement<br />

de la caméra dans ce film où le prédateur<br />

perd toute sa dimension monstrueuse pour<br />

finalement être filmée comme une personne<br />

lambda, de la force en plus. Non c’est<br />

clairement cette galerie de personnages<br />

plus bizarres les uns que les autres qui<br />

permettent au spectateur de s’attacher au<br />

film et notamment la scène où le docteur<br />

Casey Brackett fait connaissance avec ces<br />

joyeux lurons qui ont chacun leurs tocs et<br />

leurs traumatismes mais qui ne manquent ni<br />

de répondant ni d’humour noir. Sauf qu’une<br />

fois cette première partie du film passée,<br />

cette jolie bande doit s’attaquer à un plus<br />

gros morceau, du genre super-Predator.<br />

D’ailleurs lorsque le très gros prédateur<br />

entre en scène nous retrouvons une nouvelle<br />

fois le problème de représentation de cette<br />

créature censée instaurer la peur et dont les<br />

rugissements nous font à peine frémir. De<br />

quoi par ailleurs esquisser (trop) légèrement<br />

les ambitions de ces aliens et ce dont ils sont<br />

capables pour bifurquer sur une seconde<br />

partie complètement ratée.<br />

Outre un manque toujours flagrant de mise<br />

en scène et des scènes de combats humains<br />

VS gros Predator filmées dans la pénombre<br />

si bien qu’au bout d’un moment on ne sait<br />

même plus qui tire sur qui et qui meurt<br />

quand à cause de qui, le scénario de cette<br />

seconde partie patauge complètement pour<br />

qu’on finisse par oublier les tenants et les<br />

aboutissants de cette traque extraterrestre<br />

jusqu’à une dernière scène - possiblement<br />

- annonciatrice d’une suite (et franchement<br />

on est moyennement convaincu sur ce couplà).<br />

Quant à ce qui faisait le charme du film<br />

- aka ses personnages - ils finissent sacrifier<br />

sans qu’ils aient eu le temps de développer<br />

leur background et se forger une véritable<br />

raison de se lancer dans cette mission<br />

kamikaze sans compter la soi-disante<br />

caution féminine incarnée par Olivia Munn<br />

qui brandit un panneau où il est inscrit en<br />

Arial Black taille 180 : «Regardez je suis une<br />

nana badass qui a besoin de personne pour<br />

zigouiller des extraterrestres !».<br />

Shane Black avait les talents et les éléments<br />

en main pour donner un nouveau souffle à<br />

une saga qui en avait besoin mais force est de<br />

constater que le film, malgré une première<br />

partie plutôt solide, se casse royalement la<br />

gueule dans sa seconde moitié pour nous<br />

laisser plus que mitigés par le résultat.<br />

Margaux Maekelberg


24/10<br />

JEAN-CHRISTOPHE & WINNIE<br />

DE MARC FORSTER. AVEC EWAN MCGREGOR,<br />

HAYLEY ATWELL... 1H44<br />

40


41<br />

Dire que Disney joue de la nostalgie dans ses dernières productions serait<br />

un euphémisme au vu du catalogue à venir. On oublie néanmoins d’aborder<br />

la réflexion qui se fait derrière ce retour au passé, que ce soit un passage de<br />

témoins générationnel pour mieux questionner ses héros comme les derniers<br />

épisodes de Star Wars ou, ici, rappeler l’importance de l’enfance dans notre<br />

âge adulte. Suivant un Jean-Christophe devenu adulte, le film de Marc Foster<br />

évite une forme de mièvrerie facile pour mieux interroger nos doutes en tant<br />

qu’adultes dans une société régie par un fonctionnement mécanique.<br />

Winnie qui revient à Jean-Christophe, c’est le fantôme du passé, celui qui<br />

rappelle l’innocence et l’insouciance tout en les confrontant aux ‘’vertus’’ de<br />

l’âge adulte, notamment le travail permanent pour pouvoir offrir un meilleur<br />

avenir. Mais quel avenir est possible quand on passe son futur à se fatiguer,<br />

répéter inlassablement les mêmes actions encore et encore ? Cette répétition<br />

d’actes revient également dans un ordre familial : le père décédé, Jean-<br />

Christophe doit devenir le nouveau ‘’père’’ et dès lors prendre l’exemple d’un<br />

autre fantôme, quitte à prendre les mêmes décisions malgré sa désapprobation<br />

passée. Être adulte est bien plus compliqué qu’on ne le croit et cela rajoute à<br />

la mélancolie ambiante du film.<br />

Un exemple de ce ton à première vue moins euphorique est cette photographie<br />

plus « terne », preuve d’une certaine fatigue du temps passé. Cette traversée<br />

des années se lit également dans les designs des habitants de la Forêt des Rêves<br />

Bleus. Ces derniers prennent l’apparence de véritables peluches délavées,<br />

usées par les jeux et l’amusement. Mouvement opportuniste pour faire acheter<br />

de nouvelles versions de Winnie et Porcinet ? Balayons ce cynisme de la main<br />

et appuyons plutôt le rôle symbolique de ce style rétro.<br />

«Jean-Christophe et Winnie» est un rappel à l’adulte que nous sommes de ne<br />

pas oublier l’enfant que nous avons été. L’humour grand public amusant ne<br />

saura dissimuler la tristesse ambiante du projet, surtout pour les personnes<br />

ayant grandi avec le plus bêta des oursons. Le film a beau ne pas être parfait,<br />

c’est une madeleine de Proust fort recommandable à apprécier une fois préparé<br />

à la sensibilité du projet. Mouchoirs recommandés à tous les nostalgiques de<br />

Winnie qui craignent de devenir des nouveaux Jean-Christophe : des hommes<br />

et des femmes qui font tout pour atteindre une maturité normative et en<br />

oublient la simplicité du bonheur.<br />

Liam Debruel


24/10<br />

HALLOWEEN<br />

42<br />

Il ne serait pas absurde de parler d’acte<br />

téméraire pour qualifier le nouveau film<br />

de “Halloween” qui surgit sur nos écrans<br />

en cette période de fête des morts. Faire<br />

une suite en faisant table rase de toutes les<br />

autres qui l’ont précédée, en ne gardant<br />

pour canon que le premier opus signé John<br />

‘’le best’’ Carpenter, est-ce de la vanité, de<br />

l’orgueil ? Au vu des intentions de Green<br />

il n’en est rien, la démarche est purement<br />

et simplement nécessaire : afin de faire<br />

une suite sérieuse et qui peut se permettre<br />

une cohérence scénaristique, il n’est pas<br />

envisageable de s’y prendre autrement. Nous<br />

retrouvons donc Laurie Strode quarante ans<br />

plus tard en mamie survivaliste, persuadée<br />

que Mike Myers viendra frapper de nouveau<br />

un jour… Evidemment, elle a raison. Sinon,<br />

qu’est-ce que vous foutez devant ce film ?<br />

Cependant, une telle démarche implique<br />

forcément de comparer le neuf et le vieux,<br />

c’est-à-dire de se poser la question :<br />

pourquoi faire une suite ? Au delà de l’orgueil<br />

susmentionné, des enjeux financiers aussi,<br />

pourquoi ? Est-ce à cause de l’histoire,<br />

des thématiques, ou simplement d’une<br />

atmosphère ? L’erreur de David Gordon<br />

Green, à mon sens, et de s’embarrasser<br />

d’une mythologie sans en comprendre<br />

la dimension métaphysique, celle qui<br />

dépasse simplement la violence des corps<br />

du slasher. En d’autres termes, l’erreur de<br />

Green est de s’emparer de l’histoire sans<br />

prendre en compte ce qui l’entoure, ce qui<br />

lui a permis de faire un film d’horreur qui lui<br />

ressemble, qui a une identité et un intérêt<br />

de cette manière, mais qui sur la base seule<br />

de l’histoire du premier film “Halloween”,<br />

ne parvient pas à se suffire à lui-même.


sont bien trop présents voire envahissants<br />

; il va falloir quand même un jour que le<br />

<strong>ciné</strong>ma hollywoodien moderne se calme<br />

avec la nécessité des arcs narratifs de ses<br />

personnages ! Surtout dans un slasher où<br />

la seule condition est la survie, pourquoi<br />

s’embarrasser de mécaniques aussi<br />

grossières, dont tous les fils sont visibles<br />

dans le moindre dialogue ? Oui, Laurie<br />

Strode est détestée par sa fille et sa famille<br />

et vue comme une folle, mais pas besoin de<br />

nous installer ça en plusieurs actes dans une<br />

méthode à la Truby… Laissez le spectateur<br />

respirer, supposer, construire !<br />

DE DAVID GORDON GREEN. AVEC JAMIE LEE<br />

CURTIS, JUDY GREER… 1H49<br />

Le nouvel “Halloween” est, en un mot,<br />

décevant.<br />

Le film de Carpenter installe la peur dans<br />

les plans larges, la rêverie inquiétante, le<br />

doute persistant, l’inconnu du hors-champ<br />

(je vous encourage à lire mon article sur<br />

le sujet sur Cinématraque : http://www.<br />

cinematraque.com/2018/10/29/halloweende-john-carpenter-pourquoi-est-ce-queca-marche-encore/).<br />

Celui de Green est<br />

parasité par une omniprésence assommante<br />

de gros plans, qui met à mal toute possibilité<br />

d’une ambiance pour la remplacer par de<br />

la violence crue et détachée de tout. Aucun<br />

lieu ne reste en tête dans cette version, les<br />

personnages et leurs actions flottent dans un<br />

espace vital qui n’a pas d’autre intérêt que<br />

d’être un décor au service des arcs narratifs<br />

des personnages. Des arcs qui, quant à eux,<br />

Le nouveau film de “Halloween” est un<br />

succès indéniable au box office, et même<br />

salué par une partie de la critique, ce qui<br />

est aussi compréhensible. Cela reste un<br />

film d’horreur nettement au dessus de la<br />

majorité de la production. Pour autant, je<br />

ne peux m’empêcher de le voir comme un<br />

acte manqué. Une promesse d’explorations<br />

thématiques jamais tenue. Prenons par<br />

exemple les deux journalistes enquêtant<br />

sur Mike Myers pour leur podcast de<br />

True Crime : le voyeurisme est au coeur<br />

de la saga “Halloween”… Il aurait fallu<br />

centrer le film sur eux, pas en faire des<br />

personnages fonctions. Il aurait été aussi<br />

ingénieux d’interroger l’évolution de la fête<br />

de Halloween dans son rapport au corps et<br />

au sexe; un bref plan montre Mike Myers<br />

dévisager une fille (très peu) vêtue en sorte<br />

de sorcière/démon sexy, mais sans que cela<br />

ne soit jamais exploré. Même la solitude de<br />

Laurie, les parallèles entre la mythification<br />

de son personnage isolé et celui de Mike<br />

Myers ne sont finalement que peu exposé, la<br />

faute à un scénario envahissant et trop fourni<br />

pour une œuvre de ce genre. On sonne<br />

vieux con quand on dit ça, mais parfois ça<br />

fait du bien de le dire : “Halloween”, c’était<br />

mieux avant.<br />

Captain Jim<br />

43


44<br />

31/10<br />

EN LIBERTÉ !<br />

L’un des gros reproches que l’on répète<br />

à propos des comédies françaises est de<br />

tomber dans des personnages tellement<br />

caricaturaux qu’ils en perdent toute<br />

humanité. Il devient alors intéressant de<br />

voir que Pierre Salavadori entame son film<br />

avec une séquence jouant tellement sur<br />

l’héroïfication d’un personnage qu’il en<br />

devient caricaturalement drôle. Et c’en est<br />

heureusement le but : on parle d’un policier<br />

décédé et dont l’épouse raconte chaque soir<br />

son histoire exagérée à leur fils en deuil.<br />

Très vite, cet héroïsme disparait, amené<br />

par une statue construite à son effigie. « Je<br />

ne reconnais rien de lui », se plaint Adèle<br />

Haenel avant d’appuyer : « Ils n’ont gardé<br />

que son arme ». Ici, les histoires dépassent<br />

la réalité et il devient plus compliqué de les<br />

raconter une fois la vérité faite sur ce faux<br />

héros. « Les mères font les pères », nous<br />

disait Salvadori au FIFF. Comment dès lors<br />

raconter un menteur ? C’est ce qui revient<br />

sans cesse au cœur du film, cette même<br />

interrogation de narrer un escroc déguisé en<br />

modèle à un fils attristé.<br />

Dès lors, traiter la confrontation au réel<br />

devient un point central, chaque personnage<br />

devant faire face à des attentes bien trop<br />

élevées pour ce qui leur arrive ne relève pas<br />

de la déception. Divers degrés de burlesque<br />

se télescopent avec un romantisme à fleur<br />

de peau, un running gag pouvant être<br />

suivi d’une déclaration d’amour touchante<br />

de naïveté (« J’aime tes regards en douce.<br />

Quand tu me regardes en douce, j’ai envie<br />

d’être beau »). Jamais Salvadori n’oublie


45<br />

DE PIERRE SALVADORI AVEC ADÈLE HAENEL, PIO MARMAI... 1H48<br />

que la comédie est liée aux sentiments et<br />

que l’humour peut amener une tragédie<br />

plus intime encore. La souffrance est<br />

réelle, la déception aussi, et c’est ce qui<br />

rend les moments de poésie encore plus<br />

touchants, moments de grâce émotionnels<br />

dans un océan de comédies navrantes et<br />

mécaniques. Ici, c’est la sincérité qui prévaut<br />

: là où chez Benzaquen ou de Chauveron<br />

le jeu d’Adèle Haenel et Pio Marmai aurait<br />

viré au grimaçant irritant, Salvadori joue<br />

avec les nuances, la caractérisation de ses<br />

protagonistes restant assez profonde pour<br />

peindre des portraits de vies brisées par le<br />

mensonge.<br />

C’est ce qui rend « En liberté ! » essentiel dans<br />

le paysage humoristique français. Jamais<br />

son réalisateur n’oublie que pour faire rire,<br />

il faut d’abord faire ressentir la vie derrière<br />

ses héros. Prévaut donc un absurde qui ne<br />

tourne jamais en rond mais s’intègre à des<br />

doutes, des douleurs, des interrogations et<br />

des émotions jamais négligées. Ici, aucune<br />

mécanique grinçante, aucune référence pop<br />

culturelle aléatoire et vide de sens ou de<br />

jeu de mots confondant la grivoiserie avec<br />

la vulgarité la plus grossière. « En liberté !<br />

» est un moment d’humour poétique bien<br />

éloigné des produits industriels quelconques<br />

à durée de vie limitée. Et très franchement,<br />

ça fait beaucoup de bien.<br />

Liam Debruel


46<br />

Il y a quelque chose d’étonnamment magnétique dans la vacuité des films<br />

de Sorrentino. Son dernier, « Silvio et les autres », sortie en deux parties<br />

sous le nom de « Loro » en Italie, ne déroge pas à la règle. Faux biopic<br />

sur le chef d’état Silvio Berlusconi, le film tend plus (comme souvent avec<br />

Sorrentino) vers une introspection de la condition humaine des monstres et<br />

de l’ « intelligentzia » italienne.<br />

Loin d’être un chef d’état commun, Silvio s’avère finalement être plus un<br />

homme de commerce et du show-business. Ce qui explique le choix de<br />

Sorrentino de faire languir son spectateur avant de faire apparaître pour<br />

la première fois à l’écran son personnage, qui plus est déguisé, en brisant<br />

toutes les attentes que l’on avait de cet homme. Le film déconstruit ce mythe<br />

établit dans les consciences collectives, en préférant ridiculiser sa grandeur<br />

en multipliant les effets grandioses cher à Sorrentino et à son chef opérateur,<br />

Luca Bigazzi.<br />

Ici, encore plus que dans La Grande Bellezza, le vide est rempli des futilités<br />

propre au milieu dans lequel évolue Silvio. Fêtes sous MDMA qui vampirisent<br />

ses participant, baises sur des balcons sous les regards vacants des voisins,<br />

ou encore joute verbale et politique qui ne servent finalement que les intérêts<br />

personnels de celui qui l’emporte.<br />

Mais sous les airs de l’éternel optimisme que cache Silvio derrière son sourire,<br />

c’est bel et bien un homme faible qui cherche à se rassurer. Un homme qui est<br />

sur le déclin et qui tente de remplir ses journées d’autres choses que d’ennuis.<br />

C’est pourquoi « Silvio et les autres » est parcouru d’un tel sentiment de<br />

tristesse. La scène d’ouverture à la fois tragique et ironique, met en scène un<br />

pauvre mouton qui à cause de la climatisation meurt littéralement de froid, fait<br />

directement écho aux paroles de la chanson qu’interprète Silvio à sa femme :<br />

« Quand le froid sur nous tue la liberté ».<br />

A l’image des autres films de Paolo Sorrentino, « Silvio et les autres » semblent<br />

être sauvés dans les moments éphémères qu’offre la vie. Un coucher de Soleil,<br />

des papillons, une promesse tenue…<br />

Sortie en Italie sous le titre « Loro », qui signifie à la fois l’or et « eux », le<br />

film prend une nouvelle dimension. Celle des « autres ». Finalement peut<br />

être n’est ce tout simplement pas un film sur Silvio mais bien sur les gens qui<br />

l’entourent, le peuple italien. Un peuple qui voulait voir son chef d’état en<br />

prison pour « les crimes des autres ».<br />

Baptiste Andre


47<br />

31/10<br />

DE PAOLO SORRENTINO AVEC TONI SERVILLO, RICCARDO SCAMARCIO... 2H38<br />

SILVIO ET LES AUTRES


48CRITIQ


UES<br />

NOVEMBRE<br />

49


50<br />

07/11<br />

CRAZY RICH ASIANS<br />

DE JON M. CHU. AVEC CONSTANCE WU, HENRY<br />

GOLDING... 2H01<br />

On l’attendant impatiemment, c’était le<br />

film évènement de cette fin d’année car 25<br />

ans après «Le Club de la chance» («The Joy<br />

Luck Club») en 1993, Hollywood continue<br />

sa lancée à l’image du récent «Black Panther»<br />

au casting majoritairement afro-américain<br />

en mettant en avant la communauté<br />

asiatique et plus particulièrement chinoise<br />

à travers l’adaptation du best-seller de<br />

Kevin Kwan du même nom sortie en 2013.<br />

Mondanité, excentricité et jet-set sont au<br />

coeur de «Crazy Rich Asians» qui, à défaut<br />

de révolutionner le genre, a le mérite d’enfin<br />

mettre sur grand écran une communauté peu<br />

représentée (n’en déplaise à certain.e.s) qui<br />

s’inscrit définitivement dans une dynamique<br />

de diversité au <strong>ciné</strong>ma sur laquelle on ne<br />

crache définitivement pas.<br />

Brillante professeure d’économie à NYU,<br />

Rachel Chu s’envole à Singapour en<br />

compagnie de son charismatique petit ami<br />

Nick Young pour le mariage de son meilleur<br />

ami - pour lequel il est également témoin<br />

-. Seule ombre au tableau, Rachel ne sait<br />

rien de la famille de son petit-ami et encore<br />

moins le fait que les Young est l’une des<br />

familles les plus riches du pays et que Nick<br />

est l’un des célibataires les plus convoités.<br />

Une fois arrivés là-bas, le couple va devoir<br />

faire face à un véritable choc des cultures,<br />

des générations et à une famille prête à tout<br />

pour les séparer.<br />

Jon M. Chu («Insaisissables 2») s’empare<br />

d’un best-seller pour nous offrir à l’écran ni<br />

plus ni moins qu’une comédie romantique


51<br />

avec tous ses codes traditionnels mais ce<br />

qui offre à «Crazy Rich Asians» son petit<br />

plus indéniable c’est son cadre idyllique.<br />

Les valises et caméras posées à Singapour,<br />

le film plonge immédiatement dans un<br />

monde et une culture aux antipodes des<br />

Etats-Unis et du New-York dont Rachel avait<br />

l’habitude. Comme l’indique le titre du film,<br />

ils sont tous riches, extrêmement riches si<br />

bien que la famille de Nick peut s’offrir<br />

des maisons gigantesques dans les collines<br />

en hauteur, les dernières créations des<br />

plus grands couturiers, les bijoux les plus<br />

excentriques et les plus inaccessibles. Tout<br />

est absolument démesuré dans le film que<br />

ce soit les décors impériaux, les réceptions<br />

données ou la - sublime - scène de mariage<br />

à la fin. Et au coeur de ce microcosme régit<br />

par l’argent, le bonheur y a finalement peu<br />

de place que ce soit la mère et la grandmère<br />

aux moeurs encore très traditionnels,<br />

Astrid (Gemma Chan) dont le succès - et la<br />

fortune - fait de l’ombre à son mari qui n’est<br />

qu’un simple auto-entrepreneur ou encore<br />

ou le cousin de Nick qui est réalisateur<br />

et qui s’entiche d’une jeune femme dont<br />

le nombre de neurones n’excède pas le<br />

nombre de centimètres de sa jupe et qui a de<br />

quoi gêner la famille. Tout n’est finalement<br />

question que d’apparence dans cette société<br />

où chacun est constamment jugé par les<br />

autres.<br />

Avec sa naïveté et sa joie de vivre revigorante,<br />

Rachel Wu fait véritablement face à un<br />

mur. Une belle-mère qui n’accepte guère<br />

que son fils côtoie une jeune femme aux<br />

origines modestes (elle a été élevé par sa<br />

mère célibataire) et sino-américaine, des<br />

prétendantes prêtes à sortir les griffes et<br />

lui faire les pires coups pour qu’elle quitte<br />

Nick et finalement un univers auquel<br />

elle est totalement étrangère. Une vraie<br />

confrontation a alors lieu. La lumineuse<br />

Constance Wu tient tête face à cette société<br />

à laquelle elle n’appartient pas et ne veut<br />

pas appartenir tout comme la plupart des<br />

protagonistes féminins du film, chacune<br />

à leur manière sont de vraies femmes<br />

fortes et indépendantes qui ont, au final,<br />

chacune leur raison d’être ce qu’elles sont<br />

- le réalisateur évite de catégoriser la bellemère<br />

(Michelle Yeoh) et la grand-mère (la<br />

fabuleuse Lisa Lu) comme des monstres qui<br />

détestent simplement Rachel parce qu’elle<br />

n’est pas de leur monde -.<br />

Aidé par un casting fabuleux à part égales,<br />

une BO enivrante (on retiendra évidemment<br />

l’entêtant Can’t help falling in love» interprété<br />

avec émotion par Kina Granis) et des décors<br />

somptueux, «Crazy Rich Asians» est avant<br />

tout une ode à l’amour, à l’acceptation de<br />

la culture de l’autre et surtout un vrai petit<br />

moment pop, excentrique et coloré aussi<br />

drôle que touchant à l’histoire universelle.<br />

Peut-être pas la romance de l’année mais on<br />

ne boude pas son plaisir face à cette jolie<br />

réussite.<br />

Margaux Maekelberg


52<br />

A une époque où le voyage interstellaire est possible, des<br />

anciens détenus condamnés à mort sont envoyés dans<br />

l’espace en dehors de notre système solaire. Leur mission<br />

initiale qui consiste à aller capturer l’énergie gravitationnelle<br />

d’un trou noir se transforme peu à peu en une expérience<br />

hors du commun.<br />

On le sait, l’espace et le vide cosmique servent de terreau<br />

fertile aux <strong>ciné</strong>astes pour questionner l’humanité, sur<br />

sa condition d’espèce et ses tabous. Les exemples sont<br />

pléthores dans l’histoire du <strong>ciné</strong>ma et il semble que le cahier<br />

des charges formel soit souvent le même : une atmosphère<br />

proche du psychédélisme offrant une expérience avant tout<br />

sensorielle. Et “High Life” y coche toutes les cases. Malgré<br />

les aberrations scientifiques (des outils et des corps qui<br />

chutent dans l’espace), le film de Claire Denis offre des<br />

moments de grâce assez rare au <strong>ciné</strong>ma. Robert Pattinson<br />

se démenant avec sa récente paternité le montre à fleur de<br />

peau et la relation avec sa fille est saisissante (du moins dans<br />

la première partie). Nous assistons avec lui, les yeux pleins<br />

de tendresse, aux premiers pas d’un enfant hors de la Terre.<br />

Puis le récit devient plus glaçant lorsque le personnage de<br />

Monte se débarrasse, dans l’espace, de cadavres que l’on<br />

devine être le restant de l’équipage. Des questions se posent<br />

: qui sont-ils ? Qui est la mère de l’enfant ? Comment sontils<br />

morts ?<br />

Le reste du film et sa narration en flash-back donnera les<br />

réponses les plus factuelles. Et si le début s’inscrit dans la<br />

science fiction, la suite du long métrage va plus chercher<br />

dans le genre du film de prison. Les détenus sont gardés par<br />

Juliette Binoche qui joue ici un personnage entre scientifique<br />

et mère supérieure. C’est la plus âgée du vaisseau, mais<br />

aussi celle qui a commis un crime le plus horrible, ‘’le tabou<br />

ultime’’ selon ses dires : le meurtre de ses enfants, et celui de<br />

son mari. Silhouette fantomatique au calme olympien, elle<br />

se meut en une figure inquiétante dans une scène qui sera<br />

le point d’orgue du film. Dans une salle qui sert de ‘’love<br />

machine’’, Juliette Binoche protège un sex-toy fuselé d’un<br />

préservatif couleur vermeil et le chevauche. La séquence


07/11<br />

CLAIRE DENIS. AVEC JULIETTE BINOCHE, ROBERT PATTINSON...<br />

1H54<br />

HIGH LIFE<br />

DE<br />

dure, et se charge d’un érotisme troublant, allant jusqu’à<br />

ressembler à un sabbat, où l’actrice filmée de dos se met en<br />

transe. La blancheur de sa peau contraste avec le brun de<br />

ses longs cheveux. Si “High Life” promettait un vertige, il est<br />

bien dans cette séquence. Mais ça sera malheureusement la<br />

seule scène du film proposant ainsi une forme d’extase. La<br />

suite s’efforce à raconter une histoire dont les personnages<br />

demeurent des inconnus pour le spectateur, même s’il faut<br />

saluer la prestation de André Benjamin dont on aimerait<br />

voir plus d’apparitions à l’écran. Difficile donc de garder un<br />

véritable intérêt pour ce qui se passe.<br />

Mais si les événement ne sont que ponctuellement<br />

intéressant, on peut saluer le point de vue de Claire Denis<br />

dans ce huis clos spatial. Dans un article d’IndieWire publié<br />

en février 2018, la journaliste Kate Erbland expliquait que<br />

les personnages féminins de la science fiction moderne sont<br />

systématiquement renvoyées au rôle de mère. La journaliste<br />

prend comme exemple les héroïnes de “Gravity”, “Arrival”<br />

et “Cloverfield Paradox”. Et si “High life” porte en lui un<br />

semblant de maternité, il porte aussi des pulsions de mort,<br />

les deux personnages de mères étant soit une meurtrière<br />

soit une suicidaire allant jusqu’à se donner la mort dans<br />

un trou noir. Claire Denis offre donc une exploration de<br />

leur pulsion destructrice, chose plus commune chez les<br />

personnages masculins de fiction. Le père du film, Robert<br />

Pattinson, se retrouve donc seul à élever sa fille. Vie, sexe,<br />

mort, tels sont les thèmes qui s’entremêlent et irriguent le<br />

récit.<br />

La fin du film laisse un goût étrange. Si le vertige des sens<br />

est là pour au moins une scène, le reste passe, se produit,<br />

de façon totalement désincarné et amoindri le propos sur<br />

la difficulté de créer de la vie au sens large dans l’espace.<br />

Pas vraiment le trip cosmique attendu, mais pas quelque<br />

chose d’oubliable non plus, “High life” s’avère être une<br />

expérience aride, où le sublime côtoie l’ennui.<br />

Mehdi Tessier<br />

53


Après la très bonne surprise qu’était “La cabane dans les<br />

bois”, Drew Goddard revient avec un casting riche pour un<br />

film qui l’est tout autant. Imaginez un hôtel, construit sur la<br />

frontière du Nevada et de la Californie où toute la crème<br />

des 60’s aimait venir se donner du bon temps. Maintenant<br />

prenez ce même hôtel, 10 ans plus tard, où le fait que quatre<br />

inconnus viennent inscrire leur nom (ou pas) sur le registre<br />

pour y passer la nuit soit déjà un évènement.<br />

Il serait difficile de résumer l’intrigue du film en quelques<br />

lignes, tant le scénario regorge de rebondissements. Quoi<br />

qu’il en soit, le film nous aspire dans ce jeu de piste aux allures<br />

d’Agatha Christie, où tout le monde prétend être quelqu’un<br />

qu’il n’est pas. Un prêtre, un vendeur d’aspirateurs, une<br />

chanteuse, une jeune femme visiblement pressé et le gérant<br />

qui a lui un problème avec la ponctualité, tout ce beau<br />

monde se voit disséqué par l‘intrigue pour nous révéler leur<br />

seconde facette.<br />

Drew Goddard s’amuse de ce motif du double et fait de son<br />

film un véritable jeu de piste stimulant pour son spectateur,<br />

qu’il expose également. Le voyeurisme de ces personnages<br />

renvoi directement aux spectateurs qui regarde une scène<br />

se dérouler sous ses yeux sans lever le petit doigt. Vitre sans<br />

tain, judas, reflets, studio d’enregistrement, la réalisation<br />

s’amuse avec cela et nourrit le film d’un sentiment malsain.<br />

Sentiment malsain qui est d’autant plus appuyé que lorsque<br />

l’on découvre les vrais activités de l’hôtel, plusieurs fois<br />

qualifiées de ‘’pervers’’ le long du film.<br />

Bien que rythmé par une mise en scène et un montage en<br />

chapitre, le film trouve une faille dans sa dernière partie<br />

qui se trouve être une sorte de ‘’fourre-tout’’ et laisse un<br />

sentiment de ‘’rush’’ dans un final qui aurait gagné à garder<br />

l’aspect huis clos, qui nous gardait jusqu’alors en haleine,<br />

plutôt qu’à terminer sur quelque chose d’aussi grandiose<br />

qu’il ne le fait.<br />

Baptiste Andre<br />

54<br />

DE DREW GODDARD. AVEC JEFF BRIDGES,<br />

CYNTHIA ERIVO... 2H15


55<br />

07/11<br />

SALE TEMPS À<br />

L’HÔTEL EL ROYALE


14/11<br />

LES ANIMAUX<br />

FANTASTIQUES<br />

2 DE<br />

DAVID YATES. AVEC EDDIE REDMAYNE,<br />

KATHERINE WATERSTON... 2H14<br />

56<br />

Dire qu’on attendait ce second opus des<br />

Animaux Fantastiques était un euphémisme.<br />

Dire qu’on attendait ce second opus<br />

des Animaux Fantastiques lorsqu’on est<br />

‘’Potterhead’’ est un putain d’euphémisme.<br />

Nouvelle saga qui comptera au final cinq<br />

films, le premier opus est apparu sur nos<br />

écrans il y a pile deux ans, à ce moment-là<br />

on quittait Norbert Dragonneau qui repartait<br />

en Europe après avoir bien saccagé New-<br />

York tandis que le gouvernement magique<br />

américain capturait Gellert Grindelwald et<br />

que ce dernier promettait de s’échapper<br />

de manière spectaculaire pour se venger.<br />

Le second opus s’ouvre donc quelques<br />

mois après ces derniers évènements et<br />

honnêtement, on a connu mieux.<br />

Par où commencer ? Excellente question<br />

tant il y a de choses à aborder sur le cas<br />

«Les Animaux Fantastiques 2» mais comme<br />

on est sympa on va commencer par ce qui<br />

est bien dans le film parce que oui il y a des<br />

trucs biens, pas dingue mais assez sympas<br />

pour être relevés. Là où le premier opus se<br />

plaçait beaucoup plus dans une dynamique<br />

humoristique avec quelque chose de plus<br />

léger (tout en gardant quand même une part<br />

de sérieux), le second volet gomme presque<br />

complètement l’aspect humour - excepté<br />

quelques scénettes qui nous font sourire -<br />

pour se tourner résolument plus vers quelque<br />

chose de dramatique et introduire doucement<br />

la bataille épique qui aura lieu entre Albus<br />

Dumbledore et Gellert Grindelwald tout en<br />

se penchant sur les plans machiavéliques<br />

de Grindelwald afin de contrôler le monde<br />

et détruire les Moldus et plus globalement<br />

quiconque se mettrait en travers de notre<br />

chemin (un peu un Voldemort extrémiste


57<br />

quoi). L’esprit Harry Potter est toujours aussi<br />

présent et les nostalgiques se raviront de la<br />

présence d’Albus Dumbledore jeune à qui<br />

l’excellent Jude Law prête ses traits et des<br />

quelques scènes tournées dans Poudlard.<br />

Enfin certaines scènes ont - excusez<br />

notre langage - de la gueule notamment<br />

l’une des dernières scènes où Norbert et<br />

ses compagnons combattent un Gellert<br />

Grindelwald plus puissant que jamais et<br />

que chacun est obligé de choisir son camp.<br />

Visuellement époustouflant, ce combat est<br />

probablement l’un des moments phares de<br />

ce film et on est loin de bouder notre plaisir<br />

face à ce spectacle.<br />

Sauf que cette scène arrive à la fin et<br />

qu’entre-temps on est quand même obligé<br />

de se taper près de 2h de film par moment<br />

indigeste. Décidément les scènes d’actions<br />

n’ont pas vraiment la côte au <strong>ciné</strong>ma que<br />

ce soit la course-poursuite dans «Venom»<br />

ou la bagarre contre le gros méchant alien<br />

dans la forêt dans «The Predator», la toute<br />

première scène des «Animaux Fantastiques<br />

2» correspond à la fuite de Grindelwald, le<br />

tout filmé (si tenté que ça a été réellement<br />

filmé) de manière à ce qu’on y voit que dalle<br />

alors que c’était quand même censé être une<br />

évasion spectaculaire, tout ce qu’on voit<br />

c’est juste beaucoup de flotte et d’éclairs.<br />

M’enfin le plus gros problème du film<br />

réside surtout dans son scénario aussi mal<br />

écrit que mal exploité en faisant revenir des<br />

personnages censés être mort en nous offrant<br />

une explication aussi évasive qu’inutile et en<br />

décidant de condenser quarante plot twist<br />

en l’espace de même pas 20 minutes de<br />

quoi laisser perplexe et un brin perdu aussi<br />

sachant que certains propos ne semblent pas<br />

correspondre avec ce qu’on savait déjà à la<br />

fin de «Les reliques de la mort partie 2». Sans<br />

pour autant s’étendre sur ce sujet, la plupart<br />

des personnages manquent terriblement<br />

de fond de quoi nous faire parfois tourner<br />

en rond pour trois fois rien (on retiendra la<br />

scène dans les archives tout ça pour que<br />

Norbert dise à Tina qu’elle a les yeux d’une<br />

salamandre, on est d’accord on a connu<br />

plus romantique et surtout plus intéressant<br />

sachant que Grindelwald menace un peu<br />

de détruire le monde) tandis que d’autres<br />

personnages ont décroché le rôle de figurant<br />

dans cet opus (coucou Ezra Miller et les<br />

dits animaux fantastiques qui sont devenus<br />

totalement accessoire dans le film mais dont<br />

on est obligé de garder le titre maintenant<br />

sinon ça deviendrait un peu le bordel). À<br />

trop vouloir de personnages tout en sachant<br />

sur quel plot twist se terminera le film on<br />

se retrouve avec un film avec beaucoup<br />

de monde et finalement pas énormément<br />

d’explication sur ce qui se passe. Très mal<br />

équilibré dans son scénario, le film ne peut<br />

que se raccrocher à ce plot twist de fin (assez<br />

fou il faut bien l’accorder) qui laisse présager<br />

- espérons-le - un troisième opus beaucoup<br />

plus intéressant et peut-être même encore<br />

plus sombre.<br />

À plus considérer comme un épisode de<br />

transition qu’autre chose, «Les Animaux<br />

Fantastiques 2» nous offre de jolis moments<br />

dans sa dernière partie nous rappelant les<br />

grandes heures des batailles épiques dans<br />

Harry Potter mais souffre considérablement<br />

d’un scénario mal écrit et qui n’avait<br />

décidément pas besoin de durer 2h14.<br />

Margaux Maekelberg


58<br />

14/11<br />

Avant même que le film n’ai le droit à une<br />

quelconque bande-annonce ou teaser,<br />

le projet «Suspiria» de Luca Guadagnino<br />

soulevait bien des interrogations et des<br />

frayeurs. Celui qui a attiré tous les regards en<br />

début d’année avec son fabuleux «Call me<br />

by your name» revient en cette fin d’année<br />

«Suspiria» du même nom que celui de<br />

1977 réalisé par Dario Argento et qui s’est<br />

rapidement hissé au rang d’incontournable<br />

pour les <strong>ciné</strong>philes les plus aguerris. De quoi<br />

effrayer encore plus les fidèles amoureux<br />

de la version d’Argento. Pour sa version<br />

2018, Luca Guadagnino reprend les mêmes<br />

ingrédients (même histoire) pour réussir à y<br />

insuffler sa patte. Radicalement différent.<br />

Et si le secret était que Luca Guadagnino était<br />

fan du «Suspiria» de Dario Argento ? Loin<br />

de vouloir simplement surfer sur le nom de<br />

ce chef-d’oeuvre, le réalisateur italien qui a<br />

découvert le film lorsqu’il avait 6 ans nous<br />

en offre sa propre vision. Certains éléments<br />

restent les mêmes : Susie Bannion, jeune<br />

danseuse américaine débarque à Berlin en<br />

espérant intégrer la prestigieuse compagnie<br />

de danse Helena Markos alors que de<br />

mystérieux évènements ont lieu au coeur<br />

de cette école où s’entremêlent intimement<br />

danse et sorcellerie.<br />

Ce qui démarquait le «Suspiria» de Dario<br />

Argento - et qui nous frappe encore<br />

aujourd’hui au visionnage du film - est sa<br />

sur-esthétisation avec ses saturations de<br />

couleurs et notamment de rouge ainsi que<br />

sa bande-son stridente qui nous pétrifiait<br />

dès les premières secondes. Guadagnino dit<br />

adieu à tout ça en y imposant sa patte assez<br />

semblable à «Call me by your name» avec<br />

des couleurs beaucoup plus douces voir<br />

parfois même absolument désaturées pour<br />

SUSPIRIA<br />

offrir un cadre beaucoup plus réaliste à<br />

Susie Bannion. Beaucoup moins agressif - à<br />

prendre dans le bon sens du terme - que son<br />

prédécesseur, «Suspiria» s’inscrit beaucoup<br />

plus dans un réalisme qui réussit à être<br />

tout aussi angoissant de par l’atmosphère<br />

distillée doublée par une BO de Thom Yorke<br />

(le leader de Radiohead rien que ça) qui,<br />

dans un tout autre style, sait parfaitement<br />

retranscrire cette angoisse grandissante qui<br />

naît en nous au fur et à mesure du film.<br />

Le réalisateur réussit le tour de main de se<br />

détacher totalement de l’oeuvre originale<br />

en déplaçant déjà son action à Berlin en


59<br />

qui frôle largement avec l’insoutenable).<br />

Le sacrifice du corps pour arriver au stade<br />

de l’art, une philosophie qui s’applique<br />

totalement à la danse où les blessures ne se<br />

comptent guère plus. Guadagnino sublime<br />

cet art qu’est la danse notamment dans la<br />

scène de la représentation qui a lieu dans<br />

l’école devant le public, un vrai tour de<br />

force aussi magnifique que transcendant.<br />

DE LUCA GUADAGNINO. AVEC DAKOTA<br />

JOHNSON, MIA GOTH... 2H32<br />

1977 alors que la capitale est coupée en<br />

deux et qu’elle est en proie aux attentats de<br />

la bande à Baader. Dans ce cadre politique<br />

déjà oppressant, Luca Guadagnino fait de<br />

la danse l’élément central de son film là<br />

où Argento n’en avait finalement fait qu’un<br />

détail avec quelques scènettes de danse qui<br />

n’ont pas d’impact sur l’histoire. L’art des<br />

corps est un art que sait exercer avec brio<br />

Guadagnino, déjà observé dans «Call me<br />

by your name» où la sensualité des corps<br />

transperçait l’écran, cette fois il pousse le<br />

curseur à l’extrême dans la maltraitance<br />

de ses corps à travers la danse allant ainsi<br />

jusqu’au démembrement (une longue scène<br />

Cependant Guadagnino n’oublie pas pour<br />

autant son prédécesseur en lui rendant<br />

hommage dans cette dernière partie de film<br />

qui s’apparente beaucoup plus au «Suspiria»<br />

d’Argento avec cette effervescence<br />

d’esthétisme, de rouge sang et de caméra<br />

presque en transe. C’est divin, c’est sublime<br />

et le film offre une palette de personnages<br />

exquis que ce soit Dakota Johnson (Susie)<br />

qui tient là son plus beau et plus profond<br />

rôle à ce jour (le magnétisme que dégage<br />

cette actrice reste assez dingue malgré le<br />

petit incident de parcours «50 Nuances»),<br />

Mia Goth qui n’a besoin que d’un regard<br />

pour exprimer ses émotions ou encore Tilda<br />

Swinton, fidèle du <strong>ciné</strong>ma de Guadagnino,<br />

qui n’a décidément plus rien à prouver.<br />

Le «Suspiria» version 2018 est un film qui<br />

se vit au plus profond des tripes autant qu’il<br />

se laisse regarder autant avec délectation<br />

qu’horreur. Relecture absolue - ou ‘’reprise’’<br />

comme l’évoquait Tilda Swinton - du chefd’oeuvre<br />

de 1977, Luca Guadagnino ne<br />

fait pas mieux que son prédécesseur mais<br />

tout aussi bien et honnêtement vu le projet<br />

casse-gueule qu’il était à ses débuts, on ne<br />

peut que saluer la performance.<br />

Margaux Maekelberg


21/11<br />

MAUVAISES HERBES<br />

DE KHEIRON. AVEC KHEIRON, CATHERINE<br />

DENEUVE... 1H40<br />

60<br />

Un brin éclipsé par des grosses sorties<br />

auparavant - et accessoirement la fin des<br />

vacances - (le film français «Mon Roi»<br />

qui avait dépassé les 600 000 entrées et<br />

le blockbuster «Seul sur Mars» aux deux<br />

millions d’entrées), «Nous trois ou rien» le<br />

premier film de l’humoriste Kheiron sorti en<br />

2015 avait injustement cumulé seulement<br />

396 000 entrées alors que sa première<br />

réalisation méritait bien quelques entrées de<br />

plus (en plus d’être méchamment snobé aux<br />

Césars par la suite). De toute façon si vous<br />

l’avez raté il repasse ce soir sur M6 alors<br />

profitez-en et de toute façon il n’y a jamais<br />

rien d’intéressant à la télé le jeudi soir<br />

(c’est un fait). Cette année, le bonhomme<br />

est repassé devant et derrière la caméra<br />

pour son second long-métrage «Mauvaises<br />

Herbes».<br />

Waël, un ancien enfant des rues vit en<br />

banlieue de petites arnaques - sans grande<br />

gravité - qu’il réalise avec Monique,<br />

une femme à la retraite avec qui il a<br />

énormément d’affinités. Suite à un drôle<br />

de concours de circonstances suite à une<br />

énième arnaque, Monique retrouve Victor<br />

une ancienne connaissance qui propose à<br />

Waël de s’occuper d’un groupe de jeunes<br />

expulsés de leur établissement pour cause<br />

d’absentéisme, insolence ou même port<br />

d’arme. Une rencontre explosive entre<br />

«mauvaises herbes» qui va surtout donner<br />

naissance à une petite pépite du <strong>ciné</strong>ma<br />

français.<br />

L’exercice du premier long-métrage n’est<br />

pas facile mais Kheiron avait relevé le défi<br />

haut la main. Par contre l’exercice du second<br />

long-métrage - surtout lorsque le premier<br />

est aussi excellent - est encore plus cassegueule<br />

donnant ainsi l’occasion de réitérer<br />

son exploit et inscrire son nom dans le futur<br />

du <strong>ciné</strong>ma français ou au contraire se planter<br />

totalement. Avec Kheiron on retiendra donc<br />

la première option qui confirme donc bien<br />

ce qu’on pensait déjà il y a trois ans : le<br />

bonhomme en a sous le pied et le <strong>ciné</strong>ma<br />

français peut compter sur lui pour relever le<br />

niveau de comédies actuel (qui frôle le néant<br />

même s’il est de temps en temps sauvé par<br />

des petites merveilles comme «En Liberté !»<br />

pour ne citer que celui-là sorti récemment).<br />

Car en seulement deux films, Kheiron nous<br />

prouve toute l’étendue de son talent déjà<br />

en tant que réalisateur, acteur mais surtout


61<br />

scénariste (triple casquette qu’il occupe sur<br />

ses deux films) avec un véritable sens de<br />

l’écriture emplit d’intelligence et d’humour<br />

- les dialogues de «Mauvaises Herbes» sont<br />

à tomber -. Un début de filmographie qui<br />

se veut surtout très personnel là où dans<br />

«Nous trois ou rien» Kheiron portait à<br />

l’écran l’histoire de ses parents, «Mauvaises<br />

Herbes» s’inspire de ses quelques années<br />

en tant qu’éducateur.<br />

Dramédie sociale qui se veut optimiste<br />

(dixit Victor Hugo en début de film : Mes<br />

amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises<br />

herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que<br />

de mauvais cultivateurs.), Kheiron y<br />

incarne avec justesse et émotion un petit<br />

arnaqueur un peu en perdition alors qu’il<br />

est obligé de s’improviser éducateur pour<br />

une bande de jeunes probablement tout<br />

aussi paumés que lui. Comme dans son<br />

précédent film, «Mauvaises Herbes» rend<br />

un vibrant hommage à ces personnes du<br />

social capables du meilleur pour aider son<br />

prochain tout en mettant au premier plan<br />

cette idée d’apprentissage et de transmission<br />

d’autant plus nécessaire auprès de ces<br />

jeunes que le système rejette en bloc au<br />

lieu de les aider. Stage obligatoire pour les<br />

six jeunes, il se transformera rapidement<br />

en stage initiatique où l’on découvrira<br />

par parcimonie les problèmes et démons<br />

qu’ils rencontrent au quotidien pour mieux<br />

les déjouer et en ressortir plus grand. En<br />

parallèle le film explore habilement le passé<br />

de Waël à travers quelques flashbacks (qui<br />

nous rappelle à certains moments «Lion»<br />

avec Dev Patel) afin de mieux cerner le<br />

personnage et les épreuves qu’il a subit tout<br />

au long de sa jeunesse.<br />

En plus d’être entouré d’incroyables acteurs<br />

pour qui «Mauvaises Herbes» est leur<br />

première expérience au <strong>ciné</strong>ma - de quoi<br />

apporter un véritable vent de fraicheur<br />

moderne -, Kheiron est accompagné de deux<br />

monstres du <strong>ciné</strong>ma français : Catherine<br />

Deneuve et André Dussollier. Véritable<br />

moment d’échange, «Mauvaises Herbes»<br />

s’équilibre par des échanges que ce soit<br />

entre Waël et les jeunes, Waël et Monique ou<br />

encore Monique et Victor d’où se dessinent<br />

les prémices d’une histoire d’amour.<br />

«Mauvaises Herbes» c’est finalement un<br />

film sur le seconde chance, une seconde<br />

chance pour l’amour, une seconde chance<br />

pour la vie.<br />

Kheiron impressione et brille par<br />

l’intelligence de ses films. Populaire sans<br />

être grossier et touchant sans être pathos,<br />

«Mauvaises Herbes» est la belle surprise<br />

de cette fin d’année et confirme le statut<br />

de réalisateur de qualité à Kheiron, de quoi<br />

nous donner envie de le revoir rapidement<br />

derrière la caméra et en espérant que cette<br />

fois les Césars ne le snobera pas (une fois<br />

mais pas deux s’il-vous-plaît.<br />

Margaux Maekelberg


21/11<br />

YOMEDDINE<br />

DE<br />

A.B SHAWKY. AVEC RADY GAMAL, AHMED ABDELHAFIZ... 1H37<br />

62


63<br />

Après trois courts-métrages entre 2008 et et 2012, le réalisateur austroégyptien<br />

A.B Shawky ne fait pas les choses à moitié puisque son premier<br />

long-métrage Yomeddine se retrouve en compétition officielle. Et le moins<br />

qu’on puisse dire c’est que pour un premier essai le jeune homme s’en sort<br />

pas trop mal du tout avec un incroyable road-movie aussi touchant qu’il est<br />

vivifiant.<br />

Beshay est un lépreux qui vit depuis sa jeunesse dans la léproserie du désert<br />

égyptien mais à la mort de sa femme, il décide de se mettre en route avec son<br />

âne en quête de réponses et peut-être retrouver sa famille qui l’a abandonné<br />

là-bas il y a bien des années. Avec lui, le jeune Obama, orphelin nubien qui<br />

le suit comme son ombre l’accompagne dans cette aventure qui l’amènera à<br />

se poser des questions sur soi et sa place dans la société.<br />

Yomeddine signifie en arabe « le jour du jugement dernier » et bien que le<br />

film n’a pas de prime abord une portée religieuse, ce jour est l’un des jours les<br />

plus attendus pour Bershay puisqu’une fois mort tous les êtres humains seront<br />

jugés pour ce qu’ils ont fait, pas pour ce qu’ils sont. Une fois en dehors du «<br />

cocon » que crée la léproserie, Beshay fait face à la dure réalité, même s’il est<br />

guérit de la lèpre, les cicatrices resteront à vie tout comme le regard des gens<br />

que ce soit les femmes qui lui demande de ne pas se baigner dans l’eau de<br />

la rivière pour ne pas la contaminer – alors qu’elle fait baigner sa vache – ou<br />

un prisonnier qui refuse d’être dans la même cellule que lui si bien que son<br />

comparse Obama fabrique pour lui un chapeau avec un voile pour cacher<br />

son visage aux autres.<br />

Tout était réuni sur papier pour effrayer le spectateur à l’idée d’un film larmoyant<br />

tirant sur toutes les cordes sensibles et imaginables mais A.B Shawky refuse de<br />

tomber dans l’apitoiement, ponctuant ses dialogues de boutades que ce soit<br />

sur les autres ou sur les handicapés. Ce road-movie tient à bout de bras grâce<br />

à Rady Gamal dont c’est la première fois devant une caméra et qui a pourtant<br />

déjà l’étoffe d’un acteur à la fois drôle, touchant et d’une énergie contagieuse<br />

capable de déplacer des montagnes. A ses côtes le jeune Ahmed Abdelhafiz<br />

offre une véritable fraîcheur au film de par sa joie de vivre et son entêtement<br />

à rester avec Beshay qu’il considère comme une figure paternelle après s’être<br />

échappé d’un orphelinat où il se faisait battre par les autres élèves.<br />

Véritable road-movie de deux êtres brisés par la vie qui ne trouveront le salut<br />

qu’après un chemin semé de sacrées embûches, «Yomeddine» n’en reste<br />

pas moins un film d’un amour débordant pour ces personnes rejetées de la<br />

société, solaire et qui fait sacrément du bien.<br />

Margaux Maekelberg


64<br />

21/11<br />

AGA<br />

DE MILKO LAZAROV. AVEC MIKHAIL<br />

APROSIMOV, FEODOSIA IVANOVA… 1H32


65<br />

Nanouk et Sedna sont les derniers édifices d’une tribu désormais<br />

disparus. C’est dans les contrées reculées de la Iakoutie au nord<br />

de la Sibérie que le bulgare Milko Lazarov pose sa caméra<br />

face à Nanouk et Sedna, un couple de cinquantenaire vivant<br />

à l’écart de la civilisation moderne dans leur yourte avec leur<br />

chien. D’abord film contemplatif effleurant les contours du<br />

documentaire, «Aga» crée la surprise en prenant le virage du<br />

drame dans son dernier tiers.<br />

Caméra fixe, on observe longuement Nanouk partir chaque<br />

matin creuser la glace pour pêcher du poisson, récupérer de l’eau<br />

potable et relever les différents pièges à gibiers qu’il a installé<br />

alors que sa femme Sedna s’occupe à tisser des filets de pêche,<br />

tanne les peaux des renards des neiges que son mari a attrapé et<br />

fabrique des vêtements. Sauf que derrière cette paisible routine,<br />

Nanouk perd peu à peu la mémoire tandis que Sedna soigne<br />

comme elle peut sa plaie béante noircie sur son flanc. Dans un<br />

écrin d’une pureté quasiment irréelle où ciel et terre se confondent<br />

dans un blanc immaculé, Milko Lazarov esquisse doucement un<br />

drame portant autant sur le réchauffement climatique (la pêche<br />

n’est plus si fructueuse qu’avant, le printemps arrive plus tôt que<br />

prévu), le déchirement de la sphère familiale et des traditions<br />

familiales (Nanouk et Sedna sont en froid avec leur fille Aga<br />

qui a décidé de travailler dans l’immense mine de diamants de<br />

Mirny) que la disparition d’une civilisation (Nanouk et Sedna<br />

sont seuls au monde dans cette étendue glaciale).<br />

Leur seul lien avec le ‘’monde moderne’’ est lors des visites de<br />

Chena qui vient leur apporter du bois et du fuel et en profite pour<br />

donner des nouvelles de leur fille. On comprend alors que leurs<br />

liens ont été rompu lorsque cette dernière a décidé de quitter<br />

sa famille et leur mode de vie séculaire pour un travail stable.<br />

Filmé comme la dernière famille du monde, «Aga» ne fait jamais<br />

volte-face à ses problématiques sous-jacentes mais les aborde<br />

à travers une chronique familiale sensible - mais jamais pathos<br />

-, contemplative - mais jamais statique - et symbolique - mais<br />

jamais exagérée - où deux mondes s’entrechoquent - l’ancien et<br />

le nouveau - et où la bataille est malheureusement déjà perdue<br />

d’avance.<br />

Margaux Maekelberg


LE GRINCH<br />

66<br />

Dix-huit ans après la version de Ron<br />

Howard, le célébrissime grincheux Grinch<br />

est de retour mais cette fois-ci sous des traits<br />

animés afin de ravir les plus jeunes en cette<br />

jolie fin d’année. Reprenant les grandes<br />

lignes du succès de 2000, la version de Scott<br />

Mosier (à qui l’on doit notamment «Comme<br />

des bêtes») et Yarrow Cheney prend<br />

cependant ses distances avec son aîné dans<br />

un traitement des fêtes de fin d’année sur<br />

le ton de la rigolade contrairement à Ron<br />

Howard qui a - tant bien que mal - essayé<br />

(?) de dénoncer l’aspect mercantile de Noël.<br />

Les habitants de Chouville ne jurent que par<br />

Noël et encore plus cette année lorsqu’ils<br />

décident que Noël sera trois fois plus grand,<br />

plus imposant, plus bruyant. S’en est trop<br />

pour le Grinch perché dans les montagnes<br />

qui décide de mettre un terme à cette fête<br />

qu’il déteste plus que tout au monde. Il volera<br />

leur Noël en compagnie de son fidèle chien<br />

Max et d’un drôle de renne pour donner<br />

aux Chous une bonne leçon mais c’était<br />

sans compter sur l’intrépide Cindy Lou qui<br />

prépare tout un plan afin de capturer le Père<br />

Noël et lui toucher deux mots concernant<br />

ses cadeaux de Noël.<br />

Lorsqu’on revoit «Le Grinch» de Ron Howard,<br />

il est flagrant d’observer la ‘’critique’’<br />

et l’aspect totalement mercantile que le<br />

Grinch dénonce lors d’un long monologue<br />

alors que le Maire et les Whos célèbrent<br />

Noël à travers cadeaux plus extravagants les<br />

uns que les autres et gavages intempestifs.<br />

Une critique qu’on aurait voulu à l’époque<br />

peut-être un peu plus poussée pour éviter<br />

de faire du film un simple Christmas movie<br />

kitsch au possible. Exit cette idée dans «Le<br />

Grinch» version 2018 qui préfère s’adresser<br />

forcément aux plus jeunes dans une version<br />

où le Grinch déteste Noël non pas à cause<br />

de ses camarades de classe moqueurs mais


28/11<br />

DE SCOTT MOSSIER ET YARROW CHENEY. AVEC LA VOIX DE LAURENT LAFITTE. 1H30<br />

du fait qu’il est orphelin et n’a jamais fêté<br />

Noël tout simplement, moins d’interactions<br />

se créent entre le Grinch et Cindy Lou qui,<br />

à contrario de la Cindy Lou de 2000, est<br />

beaucoup plus intrépide et indépendante.<br />

Beaucoup de scènes du film original se<br />

retrouvent dans le film d’animation jusqu’à<br />

son esthétique entre la haute montagne<br />

refuge de la créature ou la ville tout droit<br />

sortie d’une boule à neige aussi kitsch que<br />

délicieux. Chose marrante à noter, cette<br />

fois-ci Cindy Lou fait partie d’une famille<br />

monoparentale avec ses deux frères et sa<br />

mère absolument débordée par la situation,<br />

ce qui va d’ailleurs pousser la petite à<br />

kidnapper le Père Noël pour lui demander<br />

un cadeau bien spécial.<br />

d’année. Un joli conte pour les plus jeunes,<br />

déjà un peu plus vu et revu pour les plus<br />

grands mais la magie de l’animation arrive à<br />

faire son effet et le film a au moins la qualité<br />

d’assumer à 100% son côté humoristique<br />

là où le film de 2000 n’a jamais trop su<br />

où se placer (pour au final atterri dans la<br />

catégorie film de Noël kitsch - mais non<br />

moins sympathique pour autant -).<br />

Margaux Maekelberg<br />

«Le Grinch» 2018 aborde finalement<br />

bien moins l’aspect social (le rejet de la<br />

différence) pour célébrer le pur esprit de<br />

Noël et d’amour à l’approche des fêtes de fin<br />

67


68<br />

Robin des bois fait partie de ces figures<br />

culturelles réinterprétées à toutes les sauces<br />

sur grand écran. Il n’est donc guère étonnant<br />

de revoir le fameux archer revenir pour une<br />

nouvelle mouture plus ‘’moderne’’. C’est<br />

en effet Taron ‘’Kingsman’’ Egerton qui<br />

endosse la capuche dans un long-métrage<br />

au visuel plus ‘’sombre’’, moderne mais<br />

surtout plus américain dans sa conception<br />

que britannique. Quand on suit Robin en<br />

croisade, on est dans une imagerie de GIs<br />

œuvrant en Afghanistan avec des arcs plus<br />

proches de la mitrailleuse, le tout dans un<br />

décor rappelant les manœuvres militaires<br />

américaines à l’étranger. Les protestations<br />

populaires reprennent également l’actualité<br />

et des manifestations de mouvements<br />

contemporains. Visuellement, on est donc<br />

dans un raccord actuel avec ce qu’il faut de<br />

trahison historique pour tenter d’accrocher<br />

le spectateur. Le narrateur annonce<br />

clairement un appel à la suspension de<br />

crédulité, déclarant ne pas donner un cours<br />

d’histoire ou une histoire pour enfant.<br />

En cela, le film se rapproche plus d’un<br />

«Batman Begins» que la version Disney. Le<br />

héros est plus communément appelé Hood<br />

et agit tel le Caped Crusader. Cela semble<br />

logique au vu de l’inspiration de l’archer sur<br />

l’homme chauve-souris mais il est difficile<br />

de ne pas y voir une tentative visuelle de<br />

reprendre le succès des Batman de Nolan,<br />

avec un ton plus ‘’réaliste’’ jouant en sa<br />

défaveur. C’est pourtant dommageable tant<br />

le film a des idées thématiques posées sans<br />

être concrètement exploitées : ce raccord<br />

à l’actualité précédemment évoqué, le<br />

traitement religieux ou encore ce rapport<br />

28/11<br />

ROBIN DE<br />

à l’économie encore une fois lié à une<br />

volonté d’aborder l’histoire par un angle<br />

contemporain. Si les idées sont présentes,<br />

l’application échoue néanmoins à leur<br />

donner plus de substance, ce qui est triste<br />

pour un film qui aurait besoin d’en avoir<br />

plus.<br />

Si dans ses détails, «Robin Hood» intrigue,<br />

il manque de quelque chose de fort d’un<br />

point de vue global. On pense par instants<br />

à la relecture précédente de Ridley Scott<br />

ou encore à l’adaptation du «Roi Arthur»<br />

par Guy Ritchie. Mais une nouvelle fois, la<br />

comparaison n’aide en rien : le réalisateur<br />

d’»Alien» avait au moins une envie<br />

d’ampleur dans ses scènes de batailles<br />

et celui de «Sherlock Holmes» une furie


69<br />

S BOIS<br />

visuelle et énergique qui le distinguait du<br />

tout-venant blockbusteresque avec une<br />

approche fantasy qui aura déplu mais qui<br />

aura eu le mérite d’être tenté (espérons<br />

que son échec soit relativisé dans quelques<br />

années). Ici, tout est calibré pour amener une<br />

nouvelle licence (la fin ne fait que souligner<br />

une envie de suite) et tente de cocher les<br />

cases sans trouver la flamme permettant au<br />

tout de vivre. Et ce n’est pas une mise en<br />

scène peu inventive ou bien trop appuyée<br />

dans certains clichés qui va aider. Un flashback<br />

hallucinatoire joue du gros plan avec<br />

la subtilité des blagues de Cyril Hanouna,<br />

une poursuite en chevaux rappelle le «Ben<br />

Hur» de Timur Bekmambetov et deux plans<br />

montrant une charrette se faire voler sont<br />

DE OTTO BATHURST. AVEC TARON EGERTON,<br />

JAMIE FOXX… 1H56<br />

visiblement filmés avec un autre type de<br />

caméra pour éviter les coûts mais avec un<br />

grain tellement flou qu’il fait amateur.<br />

Que reste-t-il donc de ce «Robin Hood» ?<br />

Un casting qui tente (Ben Mendelsohn<br />

s’amuse autant dans son cliché de méchant<br />

‘’lamentable’’) et des idées de scénario mal<br />

concrétisées. Sans être un divertissement<br />

faisant saigner les yeux, le film est tant<br />

oubliable qu’il donnera plus envie de revoir<br />

d’autres versions de Robin des Bois et ne<br />

devrait rester que de manière éphémère<br />

dans les mémoires de spectateur. Il ne reste<br />

plus qu’à voir s’il saura voler le box-office<br />

pour voir d’autres aventures d’Egerton en<br />

archer…<br />

Liam Debruel


70<br />

Depuis les recettes faramineuses d’«Alice au pays des merveilles»<br />

en 2010 (plus d’un milliard de dollars à travers le monde), Disney<br />

cherche absolument à retrouver la réussite financière du film avec<br />

la relecture de récits populaires. Que ce soit ses adaptations live de<br />

classiques d’animation ou de récits populaires, ces derniers partageant<br />

régulièrement une même atmosphère visuelle que beaucoup qualifient<br />

de kitsch. C’est dans cette dernière catégorie que se range ce «Casse-<br />

Noisette», nouvelle version du ballet de Tchaïkovski remis au goût du<br />

jour par le studio aux grandes oreilles. Et le moins que l’on puisse dire,<br />

c’est que le spectacle est visuellement généreux dans sa production<br />

design colorée. Le film est souvent à la limite de la surcharge mais n’y<br />

tombe jamais, grâce à la maîtrise de Lasse Hallström («Le chocolat») et<br />

Joe Johnston (le trop sous-estimé «Wolfman»). Cela amène à quelques<br />

fulgurances, comme ce plan d’ouverture cherchant à ramener l’enfant<br />

en nous par le biais d’un plan séquence dans les rues d’un Londres<br />

Dickensien. Malheureusement, certains visuels n’ont pas le temps<br />

d’exister, souffrant d’une durée trop courte pour saisir au mieux<br />

l’ampleur du projet.<br />

Au niveau de l’intrigue, celle-ci rappelle également le film de Burton<br />

avec cette même quête initiatique d’une jeune femme qui profitera<br />

de ce voyage dans un autre monde pour avancer dans son deuil<br />

familial et s’affirmer par son indépendance. Mackenzie Foy porte à<br />

merveille son personnage, tout comme le reste du casting. On notera la<br />

prestation de Keira Knightley, dans le ton du film : à la limite du surjeu<br />

et semblant s’amuser dans le personnage haut en couleur de la Fée<br />

Dragée. Malheureusement, rien ne vient réellement retourner l’histoire<br />

du film, même un twist assez prévisible. C’est dans les détails que<br />

l’on notera l’intérêt, notamment une narration de l’histoire des Quatre<br />

Royaumes par le biais d’un ballet. En plus de se rattacher à l’œuvre<br />

de Tchaïkovski (comme un magnifique générique), elle s’avère moteur<br />

d’un certain passé, rattachant la culture à une forme de propagation de<br />

savoirs, ce que l’on oublie régulièrement. Mais par sa nature de vecteur<br />

d’information, elle peut être biaisée, transformée en propagande, ce qui<br />

est également oublié quand on refait face à certaines grandes œuvres.<br />

Le plus dommageable pour le film est d’être sorti beaucoup trop tôt<br />

pour sa nature de conte de Noël familial, ce qui explique le résultat<br />

mitigé qu’il subit au box-office. C’est assez triste car, même s’il n’a<br />

pas les fulgurances surréalistes d’«Alice au pays des merveilles» et sa<br />

suite ou la richesse thématique honorant le septième art du «Monde<br />

fantastique d’Oz» (à réévaluer en urgence), «Casse-Noisette» reste une<br />

friandise hivernale assez sympathique pour les fêtes de fin d’année qui<br />

arrive à rappeler l’émerveillement du ballet original.<br />

Liam Debruel


71<br />

28/11<br />

CASSE-NOISETTE<br />

ET LES 4 ROYAUMES<br />

DE LASSE HALLSTRÖM, JOE JOHNSTON. AVEC<br />

MACKENZIE FOY, KEIRA KNIGHTLEY… 1H40


72CRITIQ


73<br />

UES<br />

DECEMBRE


74<br />

L’adoption, l’affiliation, la recherche de ses<br />

racines est probablement l’un des thèmes<br />

les plus abordés au <strong>ciné</strong>ma que ce soit à<br />

travers les films pour enfants («Tarzan», «Le<br />

Livre de la jungle»), les blockbusters («Man<br />

of steel») ou dans le <strong>ciné</strong>ma français avec les<br />

récents «Ma vie de courgette», «Il a déjà tes<br />

yeux» ou encore «Comment j’ai rencontré<br />

mon père». Mais là où la caméra s’est<br />

toujours placée du côté de l’adopté, de ses<br />

ressentis, de son parcours initiatique pour<br />

retrouver ses racines et pouvoir s’accepter,<br />

Jeanne Herry prend le contre-pied en posant<br />

sa caméra du côté de la petite fourmilière<br />

qui entoure le nouveau-né de son état de<br />

nourrisson à celui de pupille de l’État jusqu’à<br />

devenir ‘’fil.le.s de’’. Un oeil nouveau sur<br />

un système plus complexe qu’il n’y paraît<br />

mais aussi une incroyable aventure humaine<br />

où s’entrechoque les sentiments ls plus<br />

extrêmes.<br />

Selon l’INED (Institut National d’Études<br />

Démographiques), ce sont entre 600 et 700<br />

femmes qui décident de donner naissance<br />

sous X. À partir de ce moment-là, tout un<br />

processus aussi complexe qu’il peut être<br />

éprouvant se met en place. Nombreuses<br />

sont les personnes qui gravitent autour de<br />

ce nouveau-né pour combler le manque<br />

maternel et lui trouver un foyer. De ce<br />

constat, Jeanne Herry en tire un film en<br />

forme de véritable leçon de vie, d’espoir et<br />

d’amour. À la lisière du documentaire sans<br />

jamais tomber dans un formalisme absolu,<br />

«Pupille» met brillamment en avant toute<br />

une galerie de personnage ayant chacun un<br />

rôle clé en passant de la mère biologique,<br />

à la psychologue accompagnant la jeune<br />

femme ou encore l’assistant familial chez<br />

lequel est confié le nouveau-né durant la<br />

PUPI<br />

période de rétractation. Mais loin d’idéaliser<br />

pour autant cette situation, le film nous met<br />

face à bien des réalités plus dures les unes<br />

que les autres que ce soit le moment où la<br />

mère abandonne son bébé - et lui dit (ou<br />

non) au revoir -, les premières semaines<br />

difficiles pour le bébé, le travail titanesque<br />

de l’assistant familial, les travailleurs sociaux<br />

qui remuent ciel et terre pour lui trouver la<br />

bonne famille ou encore le long combat<br />

d’Elodie pour devenir mère.<br />

Chacun traverse des épreuves à leur façon<br />

et entre deux caresses emplies d’amour, la<br />

réalisatrice n’hésite pas à nous mettre un<br />

petite claque pour nous réveiller, comme<br />

pour nous dire «Eh oh tout n’est pas rose<br />

lors du processus d’adoption» même si les


05/12<br />

LLE<br />

DE JEANNE HERRY. AVEC SANDRINE KIBERLAIN, GILLES LELLOUCHE... 1H55<br />

efforts et les obstacles en valent largement<br />

la peine. Le film nous rappelle la souffrance<br />

que peut provoquer l’adoption, les échecs<br />

à répétions, ces couples dont l’adoption est<br />

refusée car comme l’explique l’assistante<br />

sociale Lydie (jouée à merveille par Olivia<br />

Côte) face à un couple en attente d’une<br />

approbation; ils ne sont pas là pour chercher<br />

un couple qui a besoin d’un enfant mais un<br />

couple capable de devenir parents.<br />

Rassemblant un casting de charme entre<br />

Sandrine Kiberlain (avec qui elle avait déjà<br />

travaillé sur «Elle l’adore»), l’émouvante<br />

Elodie Bouchez et - plus surprenant - Gilles<br />

Lellouche aux antipodes des rôles qu’on<br />

a pu lui connaître jusque là, «Pupille»<br />

déborde véritablement d’amour et de<br />

bienveillance. D’une pudeur sans pareille,<br />

la caméra effleure, capture furtivement des<br />

moments de complicité, de colère, de rage et<br />

d’émotion purs (un plan sur Gilles Lellouche<br />

pendant une demie-seconde et vous vous<br />

retrouvez complètement chamboulé.e)<br />

sans jamais tomber dans le pathos du<br />

drame ni l’académisme du documentaire,<br />

Jeanne Herry fait de son «Pupille» un<br />

sublime film qui vise en plein coeur. On<br />

ne s’attendait pas forcément à cette claque<br />

en fin d’année et encore moins dans le<br />

paysage <strong>ciné</strong>matographique français mais<br />

honnêtement on est loin de s’en plaindre.<br />

Margaux Maekelberg<br />

75


05/12<br />

ASSASSINATION N<br />

76<br />

Avec une carrière plutôt discrète commencée<br />

en 2011 avec le très sympathique (et déjà<br />

irrévérencieux) «Another Happy Day», Sam<br />

Levinson n’a été aperçu qu’en 2009 en tant<br />

qu’acteur dans «Stoic» et scénariste de «The<br />

Wizard of lies» l’année dernière avant de<br />

revenir en force en cette fin d’année avec<br />

son second long-métrage «Assassination<br />

Nation». Rendez-vous dans la ville de<br />

Salem - le choix est loin d’être anodin et on<br />

le comprendra assez rapidement - où l’on<br />

suit les tribulations de Lily et ses meilleurs<br />

amies Bex, Em et Sarah alors qu’elles doivent<br />

échapper à toute une ville qui ne souhaite<br />

qu’une seule chose : leur mort alors qu’ils sont<br />

certains que Lily est la hackeuse qui a posté<br />

sur le net toutes les informations privées de la<br />

ville. Véritable chasse aux sorcières version<br />

2018, «Assassination Nation» reprend les<br />

éléments qui avaient conduit à l’exécution<br />

d’une vingtaine d’habitants de Salem il<br />

y a 326 ans - dénonciation, calomnie,<br />

mensonges et violence exacerbées - pour<br />

les réintroduire dans un contexte beaucoup<br />

plus moderne où la technologie a pris le pas<br />

et que le concept de vie privée ne tient plus<br />

qu’à un fil.<br />

Les habitants découvrent que leur maire a<br />

de drôles de tendances sexuelles, que leur<br />

mari n’est peut-être pas celui pour qui il<br />

se fait passer et que la gentille fille qu’ils<br />

avaient élevé dans la traduction catholique<br />

n’est pas aussi prude que ça…<br />

Mais au-delà de ce petit jeu morbide pour<br />

découvrir qui a fait ça et connaître les<br />

secrets les mieux gardés de ses voisins,<br />

Sam Levinson pose un regard intelligent<br />

et soulève de vraies questions dans une<br />

société où tout repose sur le paraître et où<br />

n’importe quelle photo, vidéo ou parole<br />

peut-être mal interprétée. Le proviseur du<br />

lycée est-il réellement pédophile parce qu’il


ATION<br />

DE SAM LEVINSON. AVEC ODESSA YOUNG, SUKI WATERHOUSE... 1H48<br />

a une photo de sa fille nue à six ans alors<br />

que certains parents affichent fièrement sur<br />

leur cheminée une photo de leur propre fille<br />

nue lorsqu’elle était petite ?<br />

En parallèle de ces réseaux sociaux qui<br />

dirige notre quotidien, le réalisateur fait<br />

surtout - et avant tout - un portrait de jeunes<br />

filles à l’aube d’être des femmes coincées<br />

dans un patriarcat encore malheureusement<br />

bien présent que ce soit du regard du père<br />

ou du petit-ami ou de n’importe quelle<br />

force masculine supérieure toujours prête à<br />

dicter aux femmes ce qu’elles doivent dire<br />

ou penser, encore plus dans une société<br />

sur-sexualisée par notamment ces dits<br />

réseaux sociaux. Inspiré par les «Subekan»,<br />

Sam Levinson ne lésine pas sur la violence<br />

accrue et l’hémoglobine autant pour<br />

choquer que pour faire prendre conscience<br />

du monde dans lequel on vit, dans lequel<br />

les coups ont remplacé la parole. Véritables<br />

héroïnes badass, Lily, Em, Bex et Sarah<br />

sont des ambassadrices de choc pour les<br />

mouvements #MeToo… avec une furieuse<br />

envie de s’en sortir.<br />

Visuellement, Sam Levinson nous offre<br />

un plaidoyer pop, coloré et absolument<br />

surexcité, miroir de notre monde actuel et<br />

même si le réalisateur veut nous proposer<br />

un constat de la société américaine, force<br />

est de constater que «Assassination Nation»<br />

se fait surtout le miroir d’un monde régit par<br />

la force du net, quitte à ce qu’on en perde<br />

notre propre capacité de réflexion.<br />

Margaux Maekelberg<br />

77


05/12<br />

ASTÉRIX ET LE SECRET<br />

DE LA POTION MAGIQUE<br />

DE LOUIS CLICHY, ALEXANDRE ASTIER. AVEC LES VOIX DE<br />

CHRISTIAN CLAVIER, ALEX LUTZ... 1H25<br />

78<br />

Panomarix, le druide du village le plus<br />

célèbre de toute la Gaule (le seul qu’on<br />

connaît en vrai), se fait vieux. Il décide<br />

donc de partir en quête d’un successeur,<br />

malgré les plaintes et les critiques de ses<br />

camarades. Cependant son rival et ancien<br />

ami, un terrible druide déchu, apprend<br />

cette nouvelle et tente d’en profiter pour se<br />

venger...<br />

Après avoir adapté à leur sauce «Le<br />

Domaine des Dieux», et rencontré un franc<br />

succès critique et commercial, la paire<br />

Louis Clichy et Alexandre Astier remet<br />

le couvert (sauce, couvert, je dois avoir<br />

sacrément faim en écrivant ce texte) et<br />

passe aux choses compliquées : inventer<br />

sans pouvoir se reposer directement sur<br />

l’oeuvre d’Uderzo et de Goscinny. Dans<br />

ce genre de projet facilement casse-gueule,<br />

il faut immédiatement s’interroger sur la<br />

dichotomie tradition/trahison : comment<br />

respecter l’esprit et les codes d’»Astérix»<br />

tout en insufflant (modestement ou non) sa<br />

propre identité dans le film ?<br />

Là-dessus, «Le Secret de la Potion magique»<br />

est dans la continuité du volet précédent ;<br />

Louis Clichy installe une animation à la fois<br />

fluide et dynamique, à mi-chemin entre<br />

les «Hôtel Transylvanie» de Tartakovsky<br />

et les esthétiques léchées des productions<br />

Dreamworks. La lumière du nouvel «Astérix»<br />

est d’ailleurs sublime ; je n’ai pas de choses<br />

particulières à dire sur ce sujet, je voulais<br />

simplement préciser que la lumière déchire,<br />

qu’est-ce que tu vas faire me baisser ma note<br />

de dissertation ? Je m’en fous ! Vas-y metsmoi<br />

un mot dans mon carnet, fais-toi plaisir<br />

là tu sais pas qui je suis j’ai peur de rien !<br />

Aherm.<br />

Quant à Alexandre Astier, qui a imaginé<br />

cette histoire et co-écrit les dialogues avec<br />

Louis Clichy, il ramène encore une fois son<br />

esprit «Kaamelott», en l’assumant to-tale-ment.<br />

On retrouve ces échanges plein


79<br />

d’humour qui sont dans la<br />

veine de son idole Michel<br />

Audiard, sans les grossièretés<br />

évidemment : il faut que<br />

les enfants puissent rire<br />

sainement. Les personnages<br />

ont tous leur moment de<br />

gloire; des personnages qui<br />

sont d’ailleurs extrêmement<br />

nombreux ! Comme quoi<br />

les règles d’écriture de<br />

chez Pixar*, faut croire<br />

qu’Astier se torche avec... Et<br />

c’est pas plus mal. Le plus<br />

surprenant est sans doute le<br />

rôle important donné à une<br />

petite gamine très inventive,<br />

dont l’apparition permet aux<br />

réalisateurs de s’attaquer à<br />

l’exclusion des femmes dans<br />

les cercles de pouvoir. Une<br />

position surprenante quand<br />

on se souvient qu’Astier<br />

s’était tristement illustré<br />

sur Twitter il y a quelques<br />

temps en s’en prenant à<br />

une femme qui se plaignait<br />

(à raison) du machisme<br />

de sa série «Kaamelott»…<br />

Mais en même temps, le<br />

type a récemment parrainé<br />

et participé au montage du<br />

court métrage d’une de mes<br />

meilleures amies, et était<br />

apparemment une crème<br />

absolue, donc que faut-il<br />

penser de lui ? La réponse,<br />

pour ma part est : je m’en<br />

fous. Ce choix narratif est<br />

très bienvenu dans ce film,<br />

tout comme il est intelligent<br />

de débattre des problèmes<br />

sexistes de l’œuvre d’Astier.<br />

Après, on peut aussi penser<br />

que je fais cette digression<br />

simplement pour parler de<br />

mon amie et recommander<br />

son excellent court-métrage<br />

(ça s’appelle «Gris», faut<br />

le voir). Qui sait ? Et puis<br />

au moins, je fais mousser<br />

quelqu’un d’autre, pas moi.<br />

C’est pas comme si je disais<br />

que le doubleur du méchant<br />

du film, Daniel Mesguich,<br />

avait supervisé un défilé<br />

de mode au Conservatoire<br />

National d’Art Dramatique<br />

mis en scène par ma<br />

personne... Là ce serait<br />

totalement égocentrique de<br />

ma part.<br />

Une histoire originale donc,<br />

une patte Clichy, une autre<br />

Astier... Mais est-ce que<br />

cela ressemble vraiment<br />

à «Astérix» ? La bande<br />

dessinée a toujours été un<br />

savant mélange d’humour<br />

enfantin, d’érudition à peine<br />

déguisée, et de jeu d’échos<br />

avec la culture populaire<br />

contemporaine, donc...<br />

Oui. Dans l’esprit, c’est<br />

exactement ça. Les bastons et<br />

autres chutes rigolotes pour<br />

les enfants sont présentes,<br />

on peut cocher la case. Le<br />

côté érudit est tout à fait<br />

rempli puisqu’on s’appuie<br />

sur un élément central de la<br />

culture celte : le mystère qui<br />

entoure les druides. En effet<br />

comme le souligne le film,<br />

non sans humour d’ailleurs,<br />

les civilisations celtes<br />

étaient principalement<br />

orales ce qui fait que<br />

beaucoup d’informations<br />

sur eux sont mal ou peu<br />

connues. Le druide n’est<br />

finalement connu que grâce<br />

aux textes des historiens<br />

romains, c’est ce qui permet<br />

cette fascination autour de<br />

ses connaissances. Donc<br />

la partie savante, on peut<br />

aussi cocher la case. Enfin,<br />

pour ce qui est de la culture<br />

contemporaine... C’est peutêtre<br />

là que le film va diviser.<br />

Voire déplaire à certains ou<br />

certaines. Les influences de<br />

Louis Clichy et Alexandre<br />

Astier sont très visibles : on<br />

y voit du «Star Wars» dans<br />

la mystique des druides<br />

et dans les oppositions<br />

idéologiques. Cela se ressent<br />

même dans la musique,<br />

qui vient chatouiller les<br />

mélodies de John Williams<br />

sans trop s’en rapprocher.<br />

On y voit également du<br />

Marvel, notamment des<br />

références ultra évidentes à<br />

«Thor Ragnarok», et enfin<br />

une influence de la culture<br />

anime/manga que je ne<br />

veux pas développer car<br />

sinon ce serait spoiler. Donc<br />

une approche de la culture<br />

populaire dont la modernité<br />

pourra faire sortir du film<br />

une partie des spectateurs.<br />

En cela, le nouveau film<br />

d’Astérix est sans doute<br />

moins réussi que l’opus<br />

précédent ; pourtant, c’est<br />

précisément cela qui le rend<br />

plus intéressant.<br />

*Si vous ne connaissez pas,<br />

y a qu’à googler les amis.<br />

Captain Jim


13/12<br />

THE HAPPY PRINCE<br />

80<br />

DE RUPERT EVERETT. AVEC RUPERT EVERETT, COLIN FIRTH... 1H46


81<br />

La carrière de Rupert Everett n’est plus à faire. Grande figure<br />

des années 80 et 90, le bonhomme a perdu peu à peu sa<br />

place à Hollywood par la suite (à cause de son homosexualité<br />

?) pour s’illustrer du côté du théâtre et du petit écran. En<br />

cette fin d’année, l’acteur endosse un nouveau rôle en tant<br />

que réalisateur pour «The Happy Prince» qui raconte les<br />

dernières années de la vie du célèbre écrivain Oscar Wilde.<br />

Au sommet de son talent et de sa popularité, Oscar Wilde<br />

se retrouve du jour au lendemain au plus bas de l’échelle<br />

sociale alors qu’il a été condamné à la prison pour<br />

son homosexualité. Sans un sou et renié par la société<br />

londonienne, Oscar Wilde vit ses dernières années dans<br />

l’indifférence la plus totale. Lui reste une poignée d’amis<br />

fidèles et une bande de gamins des rues qui le suit partout<br />

mais malgré un morale et une santé au plus bas, Oscar Wilde<br />

n’a rien perdu de sa splendeur et de son esprit imaginatif.<br />

Personnage important pour Rupert Everett - qu’il a déjà<br />

interprété plusieurs fois au théâtre et sur grand écran -, c’est<br />

presque naturellement que l’acteur est entré dans ses bottes<br />

avec, il va sans dire, une aisance et un naturel incroyable.<br />

Absolument habité par la miséricorde de son personnage,<br />

Rupert Everett prête à merveille son visage à cet écrivain<br />

déchu. Tendre dans sa narration sans jamais cacher les<br />

folles moeurs de son personnage, Rupert Everett conte avec<br />

brio ces dernières années de sa vie - pour la première fois<br />

amenées à l’écran il faut le noter -. Entouré de seconds<br />

couteaux de taille dont le formidable Colin Firth, «The<br />

Happy Prince» transpire l’admiration qu’a son réalisateur<br />

pour ce personnage pour qui la vie fût loin d’être facile et<br />

juste avec.<br />

Margaux Maekelberg


82<br />

26/12<br />

UNFRIENDED :<br />

DARK WEB<br />

Alors que le débat sur la place de l’écran<br />

au <strong>ciné</strong>ma fait toujours autant rage suite<br />

au succès de la plateforme Netflix, il est<br />

intéressant d’inclure les « Unfriended » dans<br />

ce questionnement et de les analyser par ce<br />

biais. Le point commun entre le volet original<br />

sorti en 2015 et ce « Dark Web » est en effet<br />

qu’ils font se dérouler leurs histoires sur des<br />

écrans d’ordinateur. Mais là où le premier<br />

partait dans le surnaturel sous influence des<br />

fantômes japonais comme dévoilé par un<br />

jump scare final se raccrochant à «Ring», ce<br />

dernier se raccroche à une forme d’horreur<br />

plus réaliste en abordant le fameux Dark<br />

Web. Ici, un jeune homme se retrouve en<br />

possession d’un ordinateur contenant des<br />

dossiers compromettants qui vont mettre sa<br />

vie et celle de ses amis en danger.<br />

Menace plus crédible donc tout en étant<br />

rattaché au visuel d’ordinateur, « Unfriended<br />

Dark Web » cherche à prolonger certaines<br />

réflexions du premier film en bifurquant<br />

thématiquement. Le genre horrifique se<br />

fait plus passif (il suffit de comparer les fins<br />

des deux volets) et remet le spectateur dans<br />

son rôle face au film. La passivité d’action<br />

engage une interrogation sur notre statut<br />

de voyeur, aussi bien face aux événements<br />

qu’aux réseaux sociaux (bien que ceux-ci ont<br />

une place moindre par rapport à la tragédie<br />

précédente). Ce statut voyeuriste se fait<br />

plus crédible lors d’un visionnage sur écran<br />

d’ordinateur, le biais <strong>ciné</strong>matographique<br />

rapprochant l’aspect fictif du récit tout


83<br />

DE STEPHEN SUSCO. AVEC COLIN WOODELL, BETTY GABRIEL... 1H33<br />

en retransformant l’œuvre en expérience<br />

collective, là où un écran plus petit replace<br />

l’individualisme du visionnage.<br />

Concernant le fond du film en lui-même,<br />

il ne profite guère plus de sa forme que<br />

dans les thématiques exprimées plus haut<br />

et peut-être amenées involontairement.<br />

Le tout souffre en effet de protagonistes<br />

reconnaissables mais n’amenant que peu<br />

d’empathie, malgré un casting assez crédible.<br />

Sans user d’effets de styles trop voyants, la<br />

mise en scène ne joue que sur la nature des<br />

écrans et profite assez peu de son principe<br />

de base, le renversant maladroitement à<br />

la fin là où le final précédent pouvait être<br />

plus loin que le simple jump scare pour<br />

se rattacher aux questionnements sur la<br />

nature possessive de l’écran, et ce même<br />

dans son aspect fictionnel. Le point le plus<br />

touchant concerne le couple établi entre<br />

le personnage principal et sa copine, en<br />

manque de communication suite au non<br />

apprentissage du premier de la langue des<br />

signes. L’absence de compréhension totale<br />

entre les deux amène une interrogation par<br />

rapport à notre manière d’appréhender la<br />

communication même, sachant que l’on<br />

accuse généralement la technologie d’en<br />

être responsable (augmentant sa rapidité<br />

de transmission et donc sa faillibilité) alors<br />

qu’elle permet d’améliorer aussi celle-ci (cf<br />

l’application du héros).<br />

S’il souffre de ficelles narratives assez<br />

visibles et d’un concept jamais abouti<br />

totalement, « Unfriended Dark Web »<br />

est assez ludique, offrant un visionnage<br />

assez sympathique et divertissant, tout en<br />

amenant par sa forme de l’eau au moulin<br />

sur le débat du ressentiment éprouvé face<br />

à des œuvres <strong>ciné</strong>matographiques selon<br />

l’amplitude de l’écran. Vaut-il mieux voir<br />

ce film sur grand écran là où son concept<br />

le rattache à une visibilité plus restreinte et<br />

plus personnalisée qu’une expérience salle<br />

pourrait remettre en question ? C’est à vous<br />

de trancher.<br />

Liam Debruel


84<br />

travis knight<br />

SELF MADE<br />

ARTIST ?


85<br />

Passer d’un film en stop motion aux<br />

ambitions aussi intimes qu’épiques à un<br />

spin-off de «Transformers» n’est pas le plan<br />

de carrière le plus évident qui soit. Mais<br />

Travis Knight est loin d’être un homme<br />

évident à aborder.<br />

Dans le numéro 57 de Cinema Teaser,<br />

Aurélien Allin terminait sa critique de<br />

«Kubo et l’armure magique» en le décrivant<br />

comme «une déclaration d’amour de Knight<br />

à son Art et à son studio qui permet à celuici<br />

de s’épanouir définitivement». De quoi<br />

bien résumer l’ambition d’un homme qui<br />

a cherché en créant les studios Laika à<br />

remettre en avant l’art de la stop motion et<br />

du <strong>ciné</strong>ma d’animation en général. Plus loin<br />

dans le magazine, Travis Knight explicite<br />

plus la question : « Depuis le tout début de<br />

Laika, quand nous avons commencé il y a<br />

environ dix ans, nous avons établi ce qui<br />

me semble un but simple : faire des films<br />

qui comptent. Fabriquer des films qui ont<br />

du sens, de l’audace, qui sont singuliers<br />

et qui révolutionneraient l’animation ».<br />

Fils du président de Nike, Knight est la<br />

tête pensante du studio d’animation mais<br />

également un animateur comme un autre<br />

afin d’appréhender au mieux les techniques<br />

relatives à la stop motion. En quatre longsmétrages,<br />

Laika s’est établi comme un maître<br />

dans le domaine, au même rang que Ghibli,<br />

Disney, Pixar et Aardman.<br />

Il aura fallu néanmoins attendre qu’il<br />

ait travaillé sur « Coraline », « L’étrange<br />

pouvoir de Norman » et « Les Boxtrolls »<br />

pour que Knight franchisse le pas de la<br />

mise en scène avec « Kubo et l’armure<br />

magique », récit initiatique d’un jeune<br />

garçon borgne à la recherche d’une<br />

armure magique pouvant le protéger des<br />

conséquences d’un drame familial aux<br />

proportions mythiques. Reprenant les bases<br />

du monomythe Campbellien, « Kubo » est<br />

une ode sensitive comme on n’en vit que<br />

trop rarement sur grand écran ainsi qu’un<br />

modèle d’un <strong>ciné</strong>ma familial trop souvent<br />

conspué et réduit à des produits aliénants.<br />

Mais, comme déclaré plus haut, c’est aussi<br />

une déclaration d’amour à l’art, sachant<br />

que Kubo anime des personnages de papier<br />

« C’est un artiste, un storyteller, un musicien<br />

et un animateur si on y réfléchit bien. Il y a<br />

un moment où tout s’est éclairé : « Oh mon<br />

dieu, ce garçon, c’est moi ! » ».<br />

Difficile en effet de ne pas y reconnaitre<br />

Knight, qui déverse dans le film ses<br />

inspirations et son amour pour le <strong>ciné</strong>ma<br />

de Kurosawa qu’il n’hésite pas à convoquer<br />

visuellement. On est loin néanmoins de<br />

la référence méta et facile, mais plutôt<br />

dans la construction d’un univers différent,<br />

limpide à l’écran alors qu’il y aurait recours<br />

à diverses explicitations historiques. C’est<br />

ce qui différencie l’univers des productions<br />

Laika, créant des mondes nouveaux ou<br />

instaurant des situations particulières et<br />

ésotériques en mettant plus en avant la<br />

narration visuelle qu’orale afin de ne pas se<br />

surcharger. L’aspect technologique n’est pas<br />

mis de côté, le studio étant connu dans ce<br />

domaine (et même critiqué pour son usage<br />

d’imprimantes 3D et d’animation numérique<br />

concernant certains personnages d’arrièreplan).<br />

C’est pour les besoins du film qu’ont<br />

été créées aussi bien la plus grande figurine<br />

en stop motion (un squelette de 5 mètres,<br />

hommage au maître Ray Harryhausen) que<br />

la plus petite, origami d’un samouraï. Mais<br />

ces innovations sont au service de l’histoire,


86<br />

telle cette vague numérique inaugurant le<br />

film avec émerveillement et détresse. De<br />

quoi souligner encore plus la première<br />

réplique de Kubo : « Si vous devez cligner<br />

des yeux, faites-le maintenant ». Au vu<br />

de l’ampleur visuelle du film et du travail<br />

titanesque derrière, en manquer le moindre<br />

plan relève du gâchis.<br />

Il est donc dès lors compliqué de ne pas<br />

parler de chef d’œuvre concernant « Kubo<br />

et l’armure magique », quintessence de<br />

poésie et de stop motion remettant le récit<br />

d’aventure épique dans des proportions<br />

aussi bien micro que macroscopiques, le<br />

tout ouvrant à assez de lectures pour nourrir<br />

un véritable travail littéraire de plusieurs<br />

dizaines de pages (ce à quoi l’auteur de<br />

ces lignes s’attaque, mais c’est une autre<br />

histoire). Il est alors surprenant de voir Travis<br />

Knight s’engager sur « Bumblebee », spinoff<br />

de la saga Transformers. Le producteur<br />

Lorenzo Di Bonaventura explique : « Nous<br />

avons engagé Travis Knight en connaissance<br />

de cause. C’est un réalisateur très particulier.<br />

(…) les gens veulent toujours quelque chose<br />

de différent, donc maintenons-les intéressés<br />

! Ils auront donc quelque chose de plus<br />

émotionnel, de plus complexe. Une petite<br />

histoire, en termes de lieux, en termes de<br />

narration. Cela me rappelle d’ailleurs le<br />

Géant de Fer, film que j’ai produit chez<br />

Warner Bros, dans le sens où c’est restreint,<br />

mais pas tout petit. » L’échelle des valeurs<br />

sentimentales semble donc cohérente,


87<br />

l’action du film se déroule 30 ans avant<br />

le premier opus, cela nous a permis de<br />

retravailler leur design. Je rends ici hommage<br />

à la première génération de Transformers.<br />

Cela va sûrement plaire aux fans puisqu’il y<br />

a pas mal de références. » Son passage entre<br />

animation et prises de vues réelles, déjà<br />

effectué par d’autres grands noms comme<br />

Brad Bird, s’avèrerait plus nuancé que prévu<br />

grâce aux effets numériques donnant vie à<br />

Bumblebee : « Il n’est pas un personnage<br />

vivant, c’est grâce à la CGI qu’on lui donne<br />

vie. Et c’est l’une de mes spécialités. Grâce à<br />

mes 20 ans d’expérience dans le milieu, j’ai<br />

acquis une certaine vision dans la manière<br />

de rendre humain un personnage qui ne<br />

l’est pas. C’est ce dont je suis le plus fier<br />

avec ce film : nous avons fait de Bumblebee<br />

un être humain, avec une âme. »<br />

aussi bien par rapport à Kubo qu’aux autres<br />

œuvres du studio sur lesquelles Knight a<br />

œuvré en tant qu’animateur.<br />

Dans les interviews sur le sujet, Knight dévoile<br />

ses ambitions avec une nature de fan qu’il<br />

ne renie pas : « J’ai grandi en regardant les<br />

dessins animés Transformers, en jouant avec<br />

puis ensuite en lisant les bandes dessinées.<br />

Je veux leur rendre hommage, à ma façon.<br />

Et j’espère avoir capturé leur essence avec<br />

ce film qui, je l’espère va émerveiller et<br />

apporter de la joie. Car c’est ce qu’ils m’ont<br />

apporté dans mon enfance. J’ai souhaité<br />

faire un film d’action plein d’humanité et de<br />

chaleur. » La touche rétro dans les visuels<br />

est d’ailleurs confirmée : « Étant donné que<br />

Une créature numérique qui serait<br />

vectrice essentiellement d’émotions ? C’est<br />

l’ambition que se donne le film, au vu des<br />

premières bandes annonces plus proches<br />

d’un style Amblin qu’à la destruction<br />

porn de Michael Bay. On y parle plus de<br />

connexion entre un extraterrestre et une<br />

jeune femme que de véritable blockbuster<br />

explosif, bien que Knight déclare : « L’une<br />

des choses qui m’importait le plus était de<br />

trouver un équilibre entre l’explosion et<br />

l’émotion, ce qui je l’espère va attirer les<br />

spectateurs ». Nous espérons la même chose<br />

pour lui, surtout si le film arrive à retrouver,<br />

ne serait-ce qu’un instant, la sensibilité<br />

lyrique de Kubo. Rien que cela est un défi<br />

en soi, permettant peut-être de détruire la<br />

formule du divertissement lambda avec ce<br />

qu’il faut de cœur et d’émotions pour se<br />

démarquer de la concurrence. Ou comment<br />

créer une attente pour un dérivé de saga<br />

souvent conspuée par les critiques grâce à<br />

la personnalité de son metteur en scène…<br />

Liam Debruel


88<br />

SUSPIRIA :<br />

La maison<br />

au Paon<br />

Dario Argento débute sa carrière en 1970, et s’illustre tout<br />

de suite dans un genre qu’il aidera à populariser : le giallo.<br />

Sorte de « série noire » à l’italienne, l’horreur et l’érotisme<br />

en plus, le giallo (« jaune » en italien) tire son nom d’une<br />

collection de romans policiers dont les couvertures étaient de<br />

couleur jaune. Son premier film, « L’oiseau au plumage de<br />

cristal » entame sa trilogie animalière. Suivront ensuite « Le<br />

chat à neuf queues » et « Quatre mouches de velours gris ». En<br />

1975, il signe le giallo ultime, avec « Profondo Rosso », une<br />

itération horrifique de « Blow up » d’Antonioni, et questionne<br />

notre rapport aux images. Deux ans après sort le premier volet<br />

de la trilogie des Mères, un chef-d’oeuvre baroque de poésie et<br />

de violence : « Suspiria ». Cette première incursion d’Argento<br />

dans le fantastique pur prouve à ceux qui ne voulaient pas<br />

l’admettre que le réalisateur est avant tout un <strong>ciné</strong>aste de la<br />

métaphysique.


89<br />

Le scénario du film est co-écrit par Daria<br />

Nicolodi, qu’on avait vu donner la réplique<br />

à David Hemmings dans « Profondo Rosso<br />

». L’idée de l’école de danse vient d’elle et<br />

plus particulièrement de souvenirs de sa<br />

grand-mère, la pianiste Yvonne Müller Loeb<br />

Casella. Cette dernière aurait raconté à sa<br />

petite fille qu’elle s’était enfuie d’une école<br />

de piano en Suisse après avoir découvert<br />

qu’on y enseignait la magie noire. «<br />

Suspiria » est un film où quelques figures<br />

de l’occultisme seront invoquées. Helena<br />

Blavatsky a servi de base pour la création du<br />

personnage d’Helena Markos et les phrases<br />

écrites en différentes langues dans le couloir<br />

jaune de la fin viennent d’un livre d’Eliphas<br />

Levy.<br />

Le film s’inspire des Ladies of Sorrow, dans<br />

un chapitre du livre « Suspiria de Profundis<br />

» de Thomas de Quincey. Ces femmes sont<br />

décrites par l’auteur anglais comme trois<br />

sœurs funestes, Mater Suspirorum, Mater<br />

Lacrimarum et Mater Tenebrarum. S’il<br />

n’est fait aucune mention de ces figures<br />

inquiétantes dans « Suspiria », elles seront<br />

citées dans « Inferno », le deuxième volet de<br />

la trilogie des Mères. Au regard des éléments<br />

présents dans ce premier volet, « La Maison<br />

de l’alchimiste », œuvre inachevée de Gustav<br />

Meyrink, aurait pu également servir de base<br />

à la rédaction du scénario de « Suspiria ».<br />

L’auteur n’a écrit que trois chapitres, mais<br />

dans les nombreuses notes qu’il a laissé<br />

pour la suite, on trouve deux éléments qui<br />

se retrouvent dans le film d’Argento. Le<br />

premier est le pouvoir du genius loci, de<br />

l’utilisation du pouvoir d’un lieu pour la<br />

métamorphose et la transmutation d’une<br />

âme, le second, plus discret dans « Suspiria<br />

», est le symbole du paon.


90<br />

« La Maison de l’alchimiste » se passe<br />

à Prague au début du 20ème siècle, et<br />

raconte la vie au sein d’un café situé dans<br />

l’ancienne maison du défunt alchimiste<br />

Günsthöver. Cette demeure accueille des<br />

danseurs turcs, des derviches tourneurs<br />

ainsi que des acteurs et actrices puisque<br />

au dessus du café se trouve les locaux<br />

d’une société de production de <strong>ciné</strong>ma.<br />

L’histoire est centrée sur un personnage<br />

emblématique du café, le Dr Ismael<br />

Steen. Cynique et désabusé, le docteur<br />

use de son charme pour la psychanalyse,<br />

son domaine de prédilection. Là où un<br />

analyste soignerait ses patients, lui dans<br />

sa détestation de l’humanité se sert de<br />

sa science à la limite du fantastique pour<br />

susciter chez ses victimes des « complexes<br />

», des troubles psychiques. Dans les notes<br />

que Meyrink a laissé, on ne sait jamais<br />

d’où vient le réel pouvoir du Dr Steen.<br />

L’auteur laisse grandement supposer que<br />

le docteur tire ses facultés de l’esprit de<br />

l’alchimiste Günsthöver qui hante les lieux<br />

et dont l’empreinte dans les murs ont une<br />

influence sur Steen. Dans les chapitres<br />

achevés, il est dit « Günsthöver à vous<br />

écouter n’aurait pas transmuté des métaux<br />

mais... des êtres humains ! ».<br />

La danse enivrante, les troubles psychiques et la transmutation des êtres<br />

humains, tout ça se retrouve dans « Suspiria ». Suzy Banner, jeune danseuse<br />

américaine, se rend à la prestigieuse académie de danse de Fribourg en<br />

Allemagne afin de perfectionner sa technique. A son arrivée par une nuit<br />

d’orage, elle croise Pat, une ancienne élève, s’enfuyant de l’académie. Elle sera<br />

sauvagement assassinée le soir-même. Suzy est vite troublée par des éléments<br />

étranges se déroulant dans l’école. En effet, des figures inquiétantes semblent<br />

vivrent dans ses murs. Dans le film, peu après son arrivée à l’académie, Suzy<br />

arpente les couloirs pour aller rejoindre son premier cours. Elle suit un groupe<br />

d’élèves qui disparaît derrière un mur. Dans ce corridor immense, l’étudiante<br />

se retrouve seule, avançant sous le regard déroutant d’un garçon aux vêtements<br />

anachroniques et de la cuisinière de l’école. Cette dernière lustre un objet


91<br />

qu’on prend d’abord pour de la vaisselle<br />

mais se révèle être une sorte de talisman,<br />

dont une lumière jaillit et vient éblouir le<br />

visage de Suzy. L’enfant arbore un sourire<br />

malfaisant tandis que la jeune femme vacille.<br />

Et lors de son premier cours de danse, elle<br />

se sent mal et finit par s’évanouir. A partir de<br />

ce moment, le personnage de Suzy sera «<br />

transmutée », transformée en Pat, l’étudiante<br />

qu’on a vu s’enfuir sous la pluie le premier<br />

soir. L’américaine va être changée de<br />

chambre pour intégrer celle qu’occupait la<br />

défunte, avoir la même meilleure amie que<br />

celle-ci, et charmer le même garçon. Elle<br />

suivra la même trajectoire, de sa rencontre<br />

avec le psychanalyste Frank Mandel à la<br />

découverte du secret derrière la porte à<br />

l’iris bleu, mais avec une fin moins funeste.<br />

C’est dans ce couloir que Suzy commence<br />

sa métamorphose. Il faut s’intéresser aux<br />

couleurs de ce corridor. Des murs de<br />

velours rouges, des portes de bois noirs et<br />

de fins rideaux blancs. Le rouge, le noir,<br />

le blanc, les trois couleurs de l’alchimie,<br />

servent ici non pas à changer du plomb en<br />

or, mais à pervertir, à changer les âmes. En<br />

remontant le couloir jaune, à la fin, un plan<br />

montre Suzy avec écrit en gros au-dessus<br />

d’elle « METAMORPHOSIS ». A la manière<br />

de la maison de l’alchimiste dans le roman<br />

inachevé de Meyrink, l’école exerce une<br />

influence sur les âmes qui y vivent.<br />

Cette scène est aussi la note d’intention du<br />

film. Si le personnage est « changé » en un<br />

autre, c’est par une lumière blanche. Elle est<br />

détournée de sa symbolique positive pour<br />

adopter un caractère malfaisant. Et c’est<br />

tout le sous-texte du film, la transmutation,<br />

la perversion des symboles. « Suspiria » est<br />

jalonné d’éléments dont la symbolique est<br />

détournée. Dans la scène du début où Pat<br />

se retrouve seule dans la salle de bain, on<br />

trouve une référence à la « Naissance de<br />

Vénus » de Botticelli. Les teintes de la pièce<br />

et ses décorations de coquilles Saint-Jacques<br />

rappellent le tableau, mais la séquence finit<br />

par une mort brutale. Quand le pianiste est<br />

tué par son chien, les sculptures de muses<br />

sur les temples deviennent effrayantes et<br />

inspirent la crainte, de même que la sculpture<br />

d’aigle éclairée par en dessous ressemble


92<br />

à Baphomet, une figure démoniaque.<br />

Madame Blanc sert les forces obscures.<br />

L’iris, symbole de bonnes nouvelles et de<br />

confiance, sert de cadenas au monde des<br />

sorcières. Quand Suzy utilise le passage<br />

secret, elle arrive dans le repère d’Helena<br />

Markos. Ici, le voile tombe et l’héroïne voit<br />

les coulisses de la réalité, un arrière monde.<br />

C’est la première fois du film que Madame<br />

Blanc porte du noir. Elle est habillée d’une<br />

robe qui évoque une tenue d’initié. Ce<br />

détail peut paraître grossier, mais il sert à<br />

la compréhension de la scène. C’est depuis<br />

ce repère secret que les symboles sont<br />

altérés. Helena Markos a été inspirée par<br />

Helena Blavatsky, dite Madame Blavatsky,<br />

une grande figure de l’occultisme de la fin<br />

du 19ème siècle dont la pensée a influencé<br />

énormément de personnes à travers le<br />

monde. Elle a fondé à New-York en 1875 la<br />

Société Théosophique, une école de pensée<br />

basée sur des connaissances supposées<br />

ancestrales. René Guenon, intellectuel et<br />

symboliste français, est très critique envers<br />

l’organisation de Madame Blavatsky. Dans<br />

son ouvrage « Le Théosophisme, histoire<br />

d’une pseudo-religion », l’auteur veut<br />

démontrer que « les doctrines propagées<br />

par la Société Théosophique reflètent des<br />

conceptions purement occidentales, bien<br />

souvent modernes ». Un détournement des<br />

symboles en somme. De ce point de vue,<br />

Helena Markos/Blavatsky est un antagoniste<br />

parfaitement choisi.


93<br />

Dans « La Maison de l’alchimiste »,<br />

l’ancienne demeure de Günsthöver possède<br />

une sculpture de paon sur le fronton. Dans<br />

les notes que Gustav Meyrink a laissé, on<br />

apprend que cette sculpture fait référence à<br />

l’Ange paon Melek Taus, une figure centrale<br />

de la religion Yézidi (un personnage<br />

important du livre se révélera d’ailleurs être<br />

un Yézidi). La nature de cet ange est soumise<br />

à une interprétation lourde de conséquence.<br />

Pour ses adeptes, c’est une émanation<br />

de la divinité, mais pour les chrétiens et<br />

les musulmans, l’histoire de l’Ange paon<br />

rappelle l’histoire d’un autre ange déchu,<br />

Satan, ce qui mènera à la persécution et<br />

le massacre des Yézidi à travers l’histoire.<br />

Dans « Suspiria », quand Suzy arrive<br />

dans la chambre d’Helena Markos, elle<br />

se retrouve devant une statue de paon.<br />

Pacôme Thiellement écrit dans son essai sur<br />

le film : « A travers cette statue de l’Ange-<br />

Paon, c’est l’une des craintes principales<br />

des occidentaux du 20ème siècle qui<br />

s’exprime : celle qu’il existerait bel et bien<br />

une tradition millénaire des adorateurs du<br />

diable ». C’est depuis ce nid de sorcières<br />

que sont commandités des assassinats.<br />

Depuis cet endroit, cet arrière monde,<br />

qu’on a changé la nature adorable du chien<br />

de l’aveugle pour la rendre malfaisante. Le<br />

repère agit comme un prisme altérant les<br />

symboles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard<br />

si l’iris est utilisée pour garder la porte<br />

secrète car dans la mythologie grecque, Iris<br />

était la déesse de l’arc-en-ciel. La nature<br />

positive de ses couleurs est remplacée par


94<br />

celle du paon, qui illumine<br />

le monde de ses lumières<br />

multicolores et deviennent<br />

malfaisantes sous l’influence<br />

d’Helena Markos. Des<br />

théologiens voient une<br />

filiation entre l’Ange-Paon<br />

et Simorgh, l’oiseau sacré<br />

de la mystique perse. Et<br />

certains textes décrivent que<br />

le reflet de l’oiseau dans<br />

un miroir éblouirait jusqu’à<br />

l’aveuglement. Difficile de<br />

ne pas penser à la scène dans<br />

le couloir quand Suzy est<br />

éblouie. A mi-chemin entre<br />

une figure positive, Simorgh,<br />

et une figure négative, Satan,<br />

l’Ange-Paon est une image<br />

neutre dont l’interprétation<br />

est une question de point de<br />

vue. Melek Taus est utilisé<br />

dans le film comme la figure<br />

ultime de l’altération de la<br />

signification des symboles.<br />

Dans sa carrière, Dario<br />

Argento n’a eu de cesse de<br />

questionner les images, et<br />

leur profondeur. Dans son<br />

film précédent, « Profondo<br />

Rosso », le plan final était<br />

un reflet déformé de David<br />

Hemmings, ayant découvert<br />

une 3ème dimension<br />

dans les images, une sorte<br />

d’arrière monde. Dans «<br />

Suspiria », Argento va plus<br />

loin. Il tente de décrypter cet<br />

arrière monde en montrant<br />

le poids qu’il exerce sur la<br />

matérialité et de scruter le<br />

« mundus imaginalis », le<br />

monde imaginal d’Henry<br />

Corbin, ce lieu éthéré d’où<br />

les images influencent le<br />

monde physique. Là où les<br />

post-modernistes utilisent<br />

bêtement les signes jusqu’à<br />

les dévitaliser, Argento lui,<br />

tente d’en comprendre le<br />

sens, et même le sens qu’on<br />

leur donne. C’est là qu’on<br />

voit la nature métaphysique<br />

de son <strong>ciné</strong>ma, car à travers<br />

ses films Dario Argento<br />

cherche à tout prix à<br />

comprendre le réel.<br />

A la fin de « Suspiria », le<br />

visage double de Melek<br />

Taus est encore appuyé<br />

puisqu’Helena Markos est<br />

tuée avec un poignard en<br />

forme de plume de paon.<br />

Le symbole est une dernière<br />

fois détourné. La mort de<br />

la Reine Noire annonce la<br />

destruction du bâtiment.<br />

Et quand, après tous ces<br />

meurtres, après ce voyage<br />

aux confins de la réalité,<br />

Suzy sort de l’académie<br />

sous une pluie battante, elle<br />

sourit enfin, en sachant que<br />

le Mal n’est pas invincible,<br />

et qu’il reste une once<br />

d’espoir. Quand l’héroïne<br />

sort du champ, en laissant<br />

derrière elle l’école dévorée<br />

par les flammes, la célèbre<br />

phrase de Lovecraft pourrait<br />

résonner en point d’orgue<br />

: « N’est pas mort ce qui<br />

à jamais dort, et au long<br />

d’étranges ères peut mourir<br />

même la mort ».<br />

Mehdi Tessier


95


96<br />

fede alvarez<br />

DE RAIMI À<br />

FINCHER


97<br />

On pourrait parler du début de la carrière<br />

d’Alvarez comme l’une de ces sucess story<br />

qu’adore Hollywood. C’est en mettant<br />

en ligne son court-métrage fait maison,<br />

« Ataque de Pánico », que le réalisateur se<br />

fait remarquer. Il aura suffi à cette histoire<br />

d’attaque extraterrestre de passer le cap des<br />

millions de vues pour que le jeune metteur en<br />

scène soit inondé de propositions de la part<br />

des producteurs américains. C’est pourtant<br />

l’offre la plus personnelle qui l’attirera :<br />

s’attaquer à un nouvel «Evil Dead».<br />

« Quand j’étais jeune, j’étais déjà<br />

accro à l’horreur. J’avais vu tous les<br />

Vendredi 13 et les Freddy. Je suis donc<br />

allé chez le (magasin vidéo) le plus<br />

proche et j’ai demandé ce qu’il avait<br />

de plus terrifiant en stock. Il a alors<br />

posé la cassette d’Evil Dead et m’a<br />

demandé de filer le plus vite possible<br />

car je n’avais pas l’âge légal ! Ce que<br />

j’ai vu m’a terrifié au possible »<br />

L’approche d’Alvarez par rapport à cette<br />

relecture fonctionne donc de manière<br />

logique : là où les films de Raimi se sont<br />

orientés vers une horreur plus cartoonesque<br />

avec un gore véhiculant plus l’humour que<br />

l’effroi, Alvarez va choisir une approche<br />

remettant la terreur au centre du récit, bref<br />

à remettre plus en avant les sensations<br />

provoquées par l’histoire qu’un simple<br />

copié-collé de celle-ci.<br />

Pari réussi : «Evil Dead» version 2013<br />

fait partie du haut du panier des remakes<br />

horrifiques récents, ce qui n’était en soi pas<br />

compliqué au vu de certains titres (ah, «Les<br />

Griffes de la nuit» par Samuel Bayer, effrayant<br />

de nullité). Si le film est loin d’être parfait<br />

(notamment vis-à-vis de la caractérisation,<br />

souvent bancale), il faut bien reconnaître<br />

qu’Alvarez a su rappeler le travail de Sam<br />

Raimi tout en se réappropriant le tout avec<br />

assez de style pour offrir une expérience<br />

horrifique graphique comme on aimerait en<br />

voir plus souvent sur grand écran. L’aspect<br />

sombre se reflète dans la nature des Deadites,<br />

transformant leurs victimes par le biais de<br />

blessures qu’ils infligent à eux-mêmes afin de<br />

leur donner un aspect plus démoniaque. La<br />

violence est plus réaliste et tangible, au point<br />

de repousser la classification R (interdiction<br />

aux moins de 17 ans aux États-Unis) le plus<br />

loin possible dans son aspect sanglant. Là où<br />

le découpage du bras d’Ash dans le second<br />

«Evil Dead» était cartoonesque au possible,<br />

conséquence d’un slapstick fulgurant, la<br />

même séquence sera assez insoutenable à<br />

visionner, fruit d’une crédibilité d’effets de<br />

plateaux assez efficace.<br />

Trois ans plus tard, c’est avec un projet<br />

original qu’Alvarez revient, toujours dans<br />

une optique de <strong>ciné</strong>ma de genre (et avec<br />

encore Jane Levy dans le premier rôle)<br />

avec « Don’t breathe ». On y suit trois<br />

jeunes vivant à Détroit et cambriolant des<br />

maisons abandonnées pour subsister dans<br />

une ville en crise. Ils vont alors s’attaquer<br />

à l’habitation d’un aveugle qui disposerait<br />

d’assez d’argent pour pouvoir leur permettre


98<br />

de s’échapper de leur situation précaire.<br />

Malheureusement pour eux, la victime va<br />

très vite dévoiler sa nature de chasseur… Le<br />

metteur en scène uruguayen se replace dans<br />

une forme d’horreur réaliste pour livrer un<br />

thriller qui ressemble plus à « Panic Room »<br />

qu’au « Sous-sol de la peur ». Cela sera<br />

rapidement confirmé par un plan-séquence<br />

qualitatif replaçant le lieu de l’action à<br />

venir tout en annonçant certaines de ses<br />

réjouissances avec un plaisir non feint digne<br />

de David Fincher.<br />

Mais plus qu’une expérimentation visuelle,<br />

«Don’t breathe» est marqué par sa nature de<br />

thriller refusant toute forme de manichéisme<br />

simplet, obligeant les protagonistes à agir<br />

par eux-mêmes sans aide de la police. La<br />

nature importante de l’argent sera également<br />

déviée, confrontant cette motivation comme<br />

principale chez les héros tandis qu’elle est<br />

même tertiaire pour le terrifiant aveugle que<br />

campe un Stephen Lang terrifiant. Tout le<br />

film fait preuve d’une maîtrise totale, même<br />

dans ses aspects les plus ‘repoussants’. La<br />

pluie de sang d’»Evil Dead» laisse place à<br />

quelque chose de plus pernicieux, jouant<br />

moins sur le physique que sur des questions<br />

de norme, notamment par rapport au<br />

traitement des personnages féminins. Faire<br />

à nouveau sa tête de gondole permet à<br />

l’actrice d’exploiter un autre rôle de femme<br />

puissante aux fêlures certaines, héroïne<br />

attachante par son imperfection et aux<br />

motivations économiques compréhensibles.<br />

Il est donc logique qu’Alvarez retrouve ce<br />

genre de figure pour son nouveau film, sans<br />

aucun doute aussi casse-cou que ses deux<br />

œuvres précédentes. Avec « Millénium : Ce<br />

qui ne me tue pas », le réalisateur va devoir<br />

se confronter au volet précédent, mis en<br />

scène par David Fincher. Un défi loin d’être<br />

aisé, surtout au vu des retours peu extatiques<br />

de cet épisode et d’un public circonspect<br />

face à un nouveau changement d’actrice,<br />

Rooney Mara étant remplacée dans le rôle<br />

de Lisbeth par une Claire Foy célébrée


99<br />

depuis « The Crown ». Cela ne semble<br />

pas effrayer plus que ça Alvarez qui a<br />

sa propre vision de Lisbeth Salander,<br />

comme déclaré à Indie Wire : « L’une<br />

des choses que j’estimais devoir faire<br />

(…) était de vraiment faire un film<br />

sur elle » a-t-il déclaré. « Les autres<br />

films ne sont vraiment pas à propos<br />

d’elle. Ils sont racontés du point de<br />

vue d’un homme, du journaliste<br />

Mikael Blomkvist. Il est vraiment le<br />

lien avec le public, il a plus de temps<br />

d’écran tandis qu’elle s’intègre dans<br />

son histoire. » Il continue : « Pour une<br />

icône aussi féminine qu’elle, il était un<br />

peu injuste qu’elle soit présente pour<br />

raconter l’histoire de l’homme dans<br />

le premier, puis dans les deuxième<br />

et troisième. Je me suis dit : « Nous<br />

devons faire un film sur elle. » Elle en<br />

est le centre. Nous avons commencé<br />

l’histoire avec elle et nous la finissons<br />

avec elle. Et oui, Blomkvist est là,<br />

mais pour servir son histoire. (…)<br />

c’était excitant pour moi d’aller faire<br />

un film sur Lisbeth Salander. »<br />

Alors qu’il marche clairement sur le<br />

territoire d’un de ses modèles avec<br />

ce nouveau « Millénium » tout en<br />

remettant une figure féminine forte de<br />

la littérature au centre de son <strong>ciné</strong>ma,<br />

est-ce qu’Alvarez saura s’en sortir<br />

avec les honneurs ? Réponse comme<br />

toujours en salle.<br />

Liam Debruel


100<br />

SPIDER-MAN SUR


GRAND ECRAN<br />

101


102<br />

L’Homme-Araignée aura grandement<br />

marqué le <strong>ciné</strong>ma avec ses aventures. Mais<br />

alors qu’il débarque en version animée avec<br />

«New Generation», il est intéressant de<br />

revenir sur les itérations <strong>ciné</strong>matographiques<br />

de Peter Parker. Nous passerons très vite<br />

sur les films avec Nicholas Hammond,<br />

dérivés de la série «The Amazing Spider-<br />

Man». Les trois longs-métrages diffusés en<br />

Europe étaient des montages d’épisodes et<br />

sont difficilement trouvables actuellement,<br />

excepté le premier visible sur YouTube. (…)<br />

Le grand tournant des aventures de Peter<br />

Parker sur grand écran advient avec la<br />

trilogie de Sam Raimi.<br />

Le premier épisode, sorti en 2002, aura connu<br />

un sacré contrecoup dans sa promotion en<br />

se voyant obligé de supprimer sa première<br />

bande-annonce. Cette dernière montrait<br />

ainsi des braqueurs capturés par l’Homme-<br />

Araignée dans une toile tissée entre les<br />

deux tours du World Trade Center. Mais<br />

les attentats du 11 septembre 2001 auront<br />

impacté le film de manière plus prégnante<br />

encore. On retrouve beaucoup de drapeaux<br />

américains flottant en arrière-plan, utilisant<br />

le sentiment de patriotisme pour guérir les<br />

plaies de cette blessure récente pour tous les<br />

habitants du pays. En cela, Spider-Man était<br />

une œuvre nécessaire et cathartique afin de<br />

redonner de l’espoir en un héros capable de<br />

protéger les habitants de New-York d’une<br />

nouvelle catastrophe de grande ampleur.<br />

La candeur et la pureté qui s’en dégagent<br />

aident aussi : l’origin story de Spider-Man<br />

ne délaisse jamais sa romance à fleur de<br />

peau et Mary-Jane reste toujours au cœur<br />

des situations.<br />

Internet a beau être violent avec les acteurs,<br />

il suffit de revoir ce film pour constater la<br />

sévérité de la critique. Chaque personnage<br />

est casté à la perfection, et ce jusque dans


103<br />

les seconds rôles (IMPOSSIBLE de ne pas<br />

aimer JK Simmons en J Jonah Jameson). La<br />

musique de Danny Elfman conserve toujours<br />

autant de force après les années. Mais le<br />

grand point fort du premier volet est sans<br />

conteste Sam Raimi. Ses scènes d’action<br />

remarquables permettent d’appréhender<br />

au mieux les pouvoirs de son héros. Avec<br />

son ‘’Superman’’, Richard Donner nous<br />

promettait de voir un homme voler. Ici, on<br />

a une sensation tangible de voltige qui a<br />

émerveillé de nombreux spectateurs, jeunes<br />

et moins jeunes, sur grand écran. Jamais<br />

il ne délaisse néanmoins ses personnages,<br />

comme le prouve ce dialogue entre notre<br />

héros et le Bouffon Vert, transformant un<br />

toit New Yorkais en scène de théâtre épurée<br />

pour mieux souligner les similitudes entre<br />

ses protagonistes. Le résultat reste encore à<br />

ce jour ce qui se fait de mieux parmi les<br />

divertissements grands publics et le genre<br />

super-héroïque… avant de se faire dépasser<br />

par la suite.<br />

Maintenant que Raimi a les pleins pouvoirs,<br />

il s’attaque au deuxième épisode qui arrive<br />

à aller encore plus loin dans l’esthétique<br />

comics, les doutes de ses personnages,<br />

l’action et la mise en scène. Il fait rebondir<br />

Peter dans tous les sens, chaque sous-intrigue<br />

restant essentielle dans la caractérisation du<br />

personnage afin d’appréhender la difficulté<br />

de son quotidien. Spider-Man est un héros<br />

mais Peter Parker est un jeune homme qui<br />

doit gérer les difficultés du quotidien. Le<br />

Docteur Octopus devient alors une véritable<br />

némésis, l’autre face d’une pièce pouvant<br />

signifier le bouleversement des actions de<br />

Peter Parker et surtout l’implication de sa<br />

non-action temporaire, son statut de héros<br />

étant remis en question aussi bien par<br />

son quotidien, les habitants de New York<br />

et son corps. Spider-Man est une figure<br />

de l’ordinaire, l’obligation de mettre ses


104<br />

pouvoirs au service du bien et de se faire<br />

définitivement passer en dernier. Cette<br />

forme de sacrifice rappelle le besoin aux<br />

New Yorkais d’avancer après les attentats<br />

et de rester solidaires afin de se protéger<br />

les uns les autres, comme symbolisé par la<br />

magnifique scène du métro, toujours l’une<br />

des plus belles scènes du <strong>ciné</strong>ma grand<br />

public des années 2000.<br />

«Spider-Man 2» joue la carte de la suite qui<br />

veut aller plus loin que son prédécesseur<br />

mais n’oublie jamais son aspect intime.<br />

Les scènes d’action restent toujours aussi<br />

réussies, malgré quelques doublures<br />

numériques assez visibles (du moins quand<br />

elles sont éloignées, comparé à d’autres<br />

blockbusters du genre aux effets déjà datés).<br />

Raimi s’amuse toujours autant dans sa mise<br />

en scène. La preuve en est avec la ‘’naissance’’<br />

du Docteur Octopus, plus proche de «Evil<br />

Dead» que du comic book movie, avant<br />

de culminer sur un plan iconique dans sa<br />

tragédie. À ce jour, «Spider-Man 2» est un<br />

exemple de blockbuster parfait en tout point<br />

qui devrait être un modèle pour tous ceux<br />

qui l’auront suivi.<br />

Le cas du troisième volet est plus compliqué.<br />

Sony réclame à Raimi la présence de Venom,<br />

méchant iconique. Le réalisateur, peu<br />

intéressé par celui-ci, l’inclut néanmoins afin<br />

de faire plaisir aux fans et aux producteurs.<br />

Beaucoup reprochent ainsi à cet épisode<br />

de prendre l’arc du symbiote par-dessus<br />

la jambe (à voir si l’on peut dire de même<br />

pour «Venom»…). Pourtant, si l’on peut<br />

reprocher quelques ficelles à l’intrigue,<br />

le désamour accordé à «Spider-Man 3»<br />

est assez décevant. Spectaculaire tout en<br />

prenant en compte l’avancée de Peter, le<br />

film reste hautement qualitatif et regorge<br />

même de scènes extrêmement touchantes<br />

plus d’une décennie après (la naissance de<br />

l’Homme-Sable). La plupart des spectateurs<br />

reprochent l’attitude négative du héros alors<br />

qu’elle est justifiée, jusqu’à une ridicule


séquence de danse en rue maintes fois<br />

parodiée mais pourtant logique à la narration.<br />

Le personnage n’ayant plus rien à faire du<br />

regard extérieur, il se comporte de manière<br />

excentrique afin de souligner la place<br />

considérable qu’a pris le symbiote. Certains<br />

fans n’ont gardé que cela sans réfléchir<br />

plus loin sur la signification derrière, ce qui<br />

propage une image négative trop appuyée par<br />

rapport à une simple séquence. Ce troisième<br />

épisode a des défauts mais même dans son<br />

imperfection, il s’avère passionnant, ce qui<br />

ne sera pas nécessairement le cas chez ses<br />

successeurs…<br />

Après plusieurs problèmes de production,<br />

le projet d’un quatrième Spider-Man par<br />

Sam Raimi finit par être enterré. Le metteur<br />

en scène n’en peut plus, et surtout ne sait<br />

plus quoi raconter. Tobey Maguire et Kirsten<br />

Dunst finiront par le suivre, laissant Sony<br />

dans l’obligation de rebooter la saga. En effet,<br />

l’accord signé avec Marvel pour l’Homme-<br />

Araignée oblige le studio à tourner un film<br />

sur lui dans des laps de temps réguliers. Cela<br />

explique le lancement de «The Amazing<br />

Spider-Man», promettant une volonté plus<br />

réaliste due au succès de la trilogie «The<br />

Dark Knight».<br />

Cette recherche d’un ancrage plus proche du<br />

réel passe également par l’engagement au<br />

poste de réalisateur de Marc Webb, auteur<br />

d’une des meilleures comédies romantiques<br />

de ces dernières années avec le merveilleux<br />

«500 jours ensemble». Malheureusement,<br />

malgré l’attachement que l’on peut avoir<br />

pour Andrew Garfield et Emma Stone ainsi<br />

que le charme de leur relation, la romance<br />

ne retrouve jamais la pureté adolescente des<br />

films de Sam Raimi. Pire encore : l’aspect<br />

réaliste lui fait perdre toute identité, là où ce<br />

reboot en cherche désespérément. Rien ne le<br />

fait sortir du lot, et en sort un film loin d’être<br />

détestable mais bien trop oubliable pour<br />

marquer longtemps après le visionnage.<br />

105


C’est un point qui a été également reproché maintes fois à sa suite, «Le destin d’un héros»,<br />

mais bizarrement, celui-ci arrive plus à marquer dans la durée. Le style se voit plus défini<br />

dans des alentours plus cartoonesques, que ce soit dans l’interprétation de Garfield en<br />

Homme-Araignée (qui reconnaît s’être inspiré de Bugs Bunny) mais aussi dans ses visuels,<br />

plus colorés sans tomber dans le kitsch vulgaire des «Batman» de Schumacher. Il y a une<br />

sensation de trop plein qui s’en dégage, que ce soit par les pistes narratives abondantes,<br />

les méchants (point déjà reproché à «Spider-Man 3») et tout ce que cherche à accomplir<br />

le film, concurrent des représentants Marvel. Les scènes d’action se multiplient à foison,<br />

l’outrance est de mise mais le film se perd dans ses ambitions (sans doute accentué par un<br />

trop plein de scènes coupées et d’annonces futures jamais concrétisées)... Ce trop-plein<br />

rend néanmoins le résultat assez intéressant et divertissant, bien que qualitativement endessous<br />

de la trilogie de Raimi. Sony, déçu par des recettes trop basses au vu du succès<br />

mondial des «Avengers», trouvera une autre solution pour exploiter le filon.<br />

106<br />

C’est ainsi que l’Homme-Araignée revient en prêt à Marvel dans «Captain America : Civil<br />

War». Cette troisième grosse itération se voit incarnée par Tom Holland, plus proche<br />

de l’âge de Parker dans les bandes dessinées, avec une volonté de rafraîchir à nouveau<br />

le protagoniste. Si son temps d’apparition est assez court dans le film des frères Russo,<br />

il s’avère assez drôle et réussi pour obtenir son film solo, «Spider-Man Homecoming».<br />

Malheureusement, ce dernier est loin de marquer et rentre dans une formule Marvel<br />

extrêmement éculée. Si l’on note la sympathie que l’on éprouve pour Tom Holland et l’idée<br />

du Vautour de représenter un ‘’mal’’ venant d’un capitalisme outrancier symbolisé par<br />

Tony Stark, le résultat s’essouffle vite et devient très oubliable dans le schéma général des<br />

films du MCU. La troisième apparition du héros dans l’univers sera plus marquante dans<br />

le récent «Infinity War», symbolique d’une fraîcheur adolescente innocente qui connaîtra<br />

un sort fort regrettable… mais apparemment temporaire, le studio ayant bouclé la suite de<br />

ses aventures avec «Far from Home».


107<br />

Quant à Sony, il tente de se réapproprier<br />

l’univers de Spider-Man… sans celui-ci.<br />

Après des rumeurs insistantes sur un projet<br />

«Sinister Six» (alliance de méchants de<br />

l’Homme-Araignée), le studio revient avec<br />

«Venom», œuvre à la production aussi<br />

compliquée que le résultat final. Prévu pour<br />

être un film d’horreur spatial classé R, le<br />

projet évoluera en film d’anti-héros PG13<br />

pour tenter de se rattacher au MCU avec un<br />

résultat très impersonnel dans sa manière<br />

de rentrer dans le même moule qu’un<br />

«Deadpool», la classification plus basse<br />

et l’humour grossier en moins. On sent le<br />

projet d’univers partagé se créer ainsi que<br />

des itérations diverses comme le film sur<br />

d’autres protagonistes que Spider-Man (le<br />

méchant Mobius, prévu pour être incarné<br />

par Jared Leto, La Chatte Noire) ou encore<br />

en exploitant son héros en version animée.<br />

C’est là que débarque «Spiderman : new<br />

Generation», jouant du multivers héroïque<br />

pour mettre en avant Miles Morales, superhéros<br />

ayant pris la relève d’un Peter Parker<br />

décédé et reconnu en tant que Spider-Man.<br />

Est-ce que cela réussira à relancer pour eux<br />

un héros reconnu qui ne leur appartient<br />

presque plus au <strong>ciné</strong>ma suite à des travers<br />

de producteurs ? La réponse en décembre…<br />

Liam Debruel


108<br />

L’instant


séries<br />

109


110<br />

The Haunting of<br />

Hill House<br />

Série horrifique événement de Netflix,<br />

la dernière création de Mike Flanagan<br />

confirme tout le bien que l’on pense d’un<br />

metteur en scène relevant le genre avec une<br />

sensibilité désarmante et touchante.<br />

Les personnes qui connaissent le <strong>ciné</strong>ma<br />

de Mike Flanagan savent que le réalisateur<br />

écossais aborde le <strong>ciné</strong>ma de genre à<br />

mille lieues des codes actuels. Même une<br />

commande comme « Ouija : les origines »<br />

profitait de son envie de croquer des<br />

personnages désarmés plutôt que confronter<br />

des schémas à des situations high concept.<br />

Autre exemple avec « Hush », où la<br />

confrontation entre une femme sourde et<br />

un tueur s’étoffait au fur et à mesure des<br />

péripéties. Il était donc logique et intéressant<br />

de voir le réalisateur arriver sur petit écran<br />

avec le soutien d’Amblin, maison mère de<br />

la sensibilité sur grand écran. Et c’est sans<br />

aucun doute la plus grande réussite de « The<br />

Haunting of Hill House » : loin de jouer<br />

aux archétypes, les personnages vivent,<br />

souffrent, se trompent et se blessent avec<br />

leurs défauts. L’horreur paraît même passer<br />

au second plan par rapport au drame humain<br />

qui sommeille dans la famille Crain.<br />

Dans son mésestimé « Crimson Peak »,<br />

Guillermo Del Toro faisait dire à son<br />

personnage principal que son récit n’était<br />

pas une histoire de fantômes mais une<br />

histoire avec des fantômes, et cela semble<br />

assez bien coller à la série de Flanagan. Ici,<br />

les esprits sont moins vecteurs de terreur que<br />

de douleur, symbolisme des tourments de<br />

cette famille confrontée au deuil à plusieurs<br />

années d’intervalle.


111<br />

à l’un ou de déception face à l’autre,<br />

finira par exploser dans un remarquable<br />

épisode où la technique est au service<br />

des propos de, au contraire de ce que<br />

certains détracteurs répéteront à envie.<br />

Comme si le plan séquence n’était plus<br />

qu’esbrouffe visuelle et ne pouvait plus<br />

servir à nourrir un propos…<br />

La série horrifique se rapproche alors de la<br />

saga familiale, peu à peu détruite de l’intérieur<br />

par ces résidents non voulus et les malheurs<br />

qu’ils amènent, volontairement ou non. La<br />

demeure, d’une beauté gothique stupéfiante,<br />

est l’impulsion d’une autodestruction des<br />

psychés, véritable représentation d’un enfer<br />

mental qui ne peut laisser que des traumas<br />

chez ses habitants. Le récit s’articule donc<br />

autour de ces traumatismes respectifs face<br />

auxquels chacun cherche à se reconstruire,<br />

à se réparer.<br />

Tandis que Steven croit analyser son drame<br />

en le replaçant dans une fiction cathartique,<br />

sa sœur Shirley s’occupe de rendre leur<br />

beauté originelle aux morts, comme si<br />

embellir les cadavres permettait d’emballer<br />

la douleur sous un fard. Mais la douleur<br />

de chacun, leur sentiment de trahison face<br />

La beauté tragique de la série permet<br />

de toucher en plein cœur, amenant<br />

autant les larmes que l’effroi, les deux<br />

sentiments débarquant au moment le<br />

plus propice et surprenant avec une<br />

efficacité narrative inouïe. L’écriture,<br />

séparant la saison en deux, est d’une<br />

finesse qui fait mouche, développant peu<br />

à peu ses thématiques sur les souffrances<br />

les plus intimes de chacun. En cela, le<br />

cinquième épisode est l’équivalent d’un<br />

bouleversant couteau dans le cœur, nous<br />

laissant sans voix dans la tristesse la plus<br />

totale. La série est ainsi traversée de cet<br />

émoi quotidien, de ce besoin de faire<br />

face et de l’impossibilité d’oublier. Il faut<br />

avancer face à la douleur, aux fantômes<br />

de notre passé, à ces souffrances qui nous<br />

ont détruit. Comme Cary Joji Fukunaga<br />

et « Maniac », Flanagan exhorte à<br />

confronter l’insurmontable pour se<br />

reconstruire et enfin mettre de côté le<br />

chagrin.<br />

« The Haunting of Hill House » est l’une<br />

des meilleures choses qui soit arrivée au<br />

genre ces dernières années. C’est l’une de<br />

ces œuvres qui nous hantent la nuit, aussi<br />

bien pour ses moments horrifiques que<br />

ceux tragiques, avec un bouleversement<br />

qui nous met à terre une fois ses dix<br />

épisodes vus. Quant à Mike Flanagan, il<br />

confirme être l’un des meilleurs metteurs<br />

en scène dans le domaine récemment.<br />

Une vraie pierre marquante pour la<br />

télévision, horrifique ou non.<br />

Liam Debruel


112<br />

The Purge<br />

Prolongation télévisuelle de la saga<br />

Blumhouse, est-ce que « The purge » profite<br />

enfin du format à temps long pour appuyer<br />

des thèmes forts ?<br />

En effet, si les épisodes initiés par James<br />

DeMonaco se veulent ancrés dans une<br />

critique politique forte, ils n’arrivent au<br />

final que très peu à exploiter les sujets,<br />

malgré des petites touches intéressantes.<br />

Ce qui se veut comme un <strong>ciné</strong>ma de genre<br />

réflexif passe plutôt pour de l’exploitation<br />

grand public assez efficace. En cela, la série<br />

surfe sur le même bord : on est plus dans<br />

le divertissement de la purge que dans des<br />

questionnements sociétaux forts, malgré de<br />

nombreuses idées intéressantes. Une secte<br />

sacrificielle débarque, ainsi qu’un groupe<br />

de défense féministe et un véritable marché<br />

aux victimes, appuyant le corps humain<br />

comme une valeur monétaire plus qu’une<br />

valeur morale. Même dans ses détails, la<br />

série nourrit la mythologie « purgesque »,<br />

comme ces transactions attendant le début<br />

des événements pour bien se conformer à la<br />

légalité. L’acte meurtrier, mis en avant dans<br />

les quatre épisodes, se voit gangréné par<br />

d’autres crimes souvent oubliés dans leur<br />

illégalité mais pourtant d’une immoralité<br />

tout aussi cohérente.<br />

Les personnages n’aident malheureusement<br />

pas à rendre la cohésion de la série. Ce<br />

n’est pas la faute d’acteurs qui tentent<br />

ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, mais<br />

celle d’une écriture caractéristique assez<br />

dommageable qui prolonge l’un des défauts<br />

des volets <strong>ciné</strong>matographiques. S’ils étaient


113<br />

on peut admettre ne pas réellement<br />

s’ennuyer devant le résultat final. Les<br />

rebondissements sont en bon nombre<br />

et bien dosés et si la violence est loin<br />

d’être graphique, sa gestion est assez<br />

équilibrée pour conserver son impact<br />

« horrifique ». Bien évidemment,<br />

on est loin d’une œuvre sensitive<br />

de la force de « The Haunting of<br />

Hill House » mais on reste dans le<br />

percutant qui fonctionne assez bien,<br />

comme les films en somme.<br />

par moments vecteurs d’interrogations<br />

(le leader de gang de « First Purge »),<br />

ils manquaient de corps pour avoir une<br />

véritable implication morale, négative ou<br />

non. Malheureusement, c’est toujours le<br />

cas ici : les protagonistes semblent trop<br />

nombreux pour être véritablement incarnés<br />

et pas assez pour avoir une véritable vue<br />

d’ensemble sur le fonctionnement de la<br />

Purge.<br />

Maintenant, il faut reconnaître que le tout est<br />

assez amusant à suivre, entre arcs narratifs<br />

dignes de soap (ce couple forcé de passer<br />

la soirée avec une ancienne amante) et<br />

quelques implications thématiques actuelles<br />

(le corps de défense des femmes, comme<br />

dit plus haut). Dans un format d’épisodes<br />

tournant autour de la quarantaine de minutes,<br />

Loin de révolutionner le genre ou<br />

même sa propre saga, « The purge »<br />

fonctionne relativement bien pour<br />

en apprécier le visionnage, avec ce<br />

qu’il faut d’idées pour procurer de<br />

la réflexion (un peu) et une forme<br />

d’amusement (beaucoup). On est<br />

dans la même veine de qualité que<br />

les quatre épisodes filmiques, avec ce<br />

même niveau loin d’être réellement<br />

impactant mais également loin de la<br />

médiocrité d’autres concurrents dans<br />

le domaine.<br />

Liam Debruel


114<br />

Kidding<br />

Commencer une critique de «Kidding» est<br />

assez compliqué au vu de la direction vers<br />

laquelle part la série. On y suit Jeff Pickles<br />

(Jim Carrey), présentateur légendaire d’une<br />

émission pour enfants adulée autour du<br />

monde, face à divers soucis dans sa vie :<br />

le divorce avec sa femme, les actions de<br />

son fils, la perte de son autre enfant, le<br />

contrôle de plus en plus fort de son père<br />

sur l’émission… Le tout le rapproche de<br />

plus en plus d’une dépression qui risque<br />

d’être explosive et autodestructrice pour<br />

cet homme si marqué par l’optimisme et<br />

le fait de se mettre au service des autres.<br />

Le personnage est cohérent dans la<br />

filmographie d’un Gondry qui sait comment<br />

filmer une forme de spleen destructeur et une<br />

contamination d’un monde de rêve par la<br />

réalité, et inversement (« Eternal sunshine of<br />

the spotless mind », « L’écume des jours »).<br />

Sa poésie est à un doigt de l’absurde, à un<br />

autre de la réalité, confrontant extravagance<br />

visuelle à questionnements adultes à la limite<br />

de la dépression. De quoi correspondre à<br />

l’écriture de Dave Holstein, showrunner et<br />

scénariste qui régit l’entièreté de Kidding.<br />

L’un des points les plus passionnants de la<br />

série concerne les thématiques abordées par<br />

Jeff dans son émission. Cette dernière étant<br />

destinée à une large audience, on y cherche<br />

à éviter certains sujets qui pourraient<br />

déplaire aux bambins, comme la mort.<br />

Pourtant, leur renier cet apprentissage est<br />

leur renier une forme de maturation tout en<br />

repoussant à plus tard une leçon inévitable :<br />

nous allons tous finir par mourir un jour.<br />

Confronté à cette évidence avec le décès de


115<br />

fils, …) et leur rapport au personnage<br />

principal. Pickles est tellement idolâtré<br />

autour du monde par tant de personnes<br />

que l’on ne peut que questionner le<br />

rapport des gens par rapport à lui,<br />

proches ou non. Le troisième épisode<br />

condense la question au sein d’un<br />

incroyable plan séquence qui souligne<br />

l’impact de Jeff dans le quotidien d’une<br />

inconnue (la manière dont celle-ci sera<br />

traitée sera tout autant surprenante).<br />

Pourtant, cette déification ne peut<br />

qu’amener à la déception, surtout pour<br />

ses proches, nos idoles étant toutes<br />

des êtres de chair et de sang avec leur<br />

propre imperfection.<br />

son fils, Jeff se voit opposé par une forme de<br />

politiquement correct aseptisé pour mieux<br />

coller au marché publicitaire de l’émission.<br />

L’économie et le marketing deviennent<br />

centraux et Jeff voit son visage multiplié à<br />

outrance là où lui-même est brisé au plus<br />

profond de sa psyché. Le monde s’approprie<br />

Jeff Pickles. Mais qui est Jeff Pickles ?<br />

Jim Carrey incarne à la perfection le<br />

présentateur tourmenté dans une prestation<br />

qui a intérêt à lui valoir des récompenses ou<br />

du moins à souligner un talent dramatique<br />

souvent oublié au vu de ses prestations<br />

comiques. Le restant du casting est bien<br />

évidemment au diapason, ce qui appuie la<br />

solidité du projet tout en rendant crédibles<br />

certaines multiplications de points de vue<br />

(le père de Jeff, sa sœur, son ex-femme, son<br />

«Kidding» est traversé par un sentiment<br />

perpétuel de mélancolie dans lequel<br />

se reconnaître est tout autant touchant<br />

que perturbant. Bien que l’humour<br />

y soit présent, faisant mouche de<br />

manière incorrecte, sa maturité et son<br />

ton adulte devraient désarçonner une<br />

grosse partie de son audience par son<br />

imprévisibilité et son ton. Pourtant,<br />

c’est ce qui fait de «Kidding» un<br />

immanquable télévisuel de l’année et<br />

une réelle œuvre passionnante. Une<br />

deuxième saison a été confirmée et<br />

au vu de son final, on ne peut qu’être<br />

intrigué par ce qu’il adviendra de Jeff<br />

Pickles, ce génie souffrant du même<br />

spleen que tout un chacun…<br />

Liam Debruel


116<br />

Killing Eve<br />

Lutte jouissive entre deux femmes fortes,<br />

« Killing Eve » est d’une malice assez drôle.<br />

Il n’est guère étonnant, au fur et à mesure de<br />

l’avancée des épisodes, de voir que « Killing<br />

Eve » s’ouvre avec Villanelle, LA méchante<br />

de la série. Sourire en coin, basculement<br />

sans prévenir du charme irrésistible à la folie<br />

terrifiante, Jodie Comer est une véritable<br />

bombe interprétative véhiculant tout ce qui<br />

fait la réussite de la série : son charme, son<br />

humour noir et une forme de folie sourde<br />

qui ne peut que surprendre quand elle<br />

explose. En cela, l’actrice est une véritable<br />

révélation télévisuelle qui mérite à elle seule<br />

de se faire l’intégrale de « Killing Eve » en<br />

une fois, bien qu’elle ne soit pas la seule.<br />

L’écriture des personnages se fait sur un ton<br />

tragicomique efficace avec cette dualité entre<br />

Villannelle, tueuse sans scrupule car sans<br />

humanité, et Eve, femme souffrant de son<br />

humanité qui la rend socialement dépassée.<br />

Sandra Oh livre une prestation intéressante,<br />

en contrepoint sur la rage extérieure de<br />

Villanelle mais tout aussi problématique<br />

dans l’interaction avec les gens dans une<br />

fausse normalité. C’est d’ailleurs en passant<br />

sans prévenir d’une réalité banale à une<br />

violence surprenante que la série prend son<br />

charme. Phoebe Waller-Bridge, cerveau de<br />

la série, s’amuse à alterner les styles et les


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genres et amuse tout autant le spectateur<br />

par ces changements de tons abrupts.<br />

Cette alternance aléatoire de genre passe<br />

également par des décors variés, apportant à<br />

la forme le style inimitable de «Killing Eve».<br />

Le jeu du chat et de la souris entre nos<br />

deux protagonistes fonctionne surtout<br />

par cet équilibre entre les deux femmes,<br />

toutes deux dépassées à leur manière par<br />

le quotidien qu’elles veulent modeler à<br />

leur manière et en apportant de l’excitation<br />

à leur existence. Cet aspect mis à part de<br />

la société est très bien retranscrit par leur<br />

écriture mais également, comme dit plus<br />

haut, par la qualité d’interprétation de Jodie<br />

Comer et Sandra Oh, qui trouvent toutes<br />

deux un rôle à la mesure de leur talent.<br />

De quoi nous diviser encore plus<br />

sur quel personnage mérite encore<br />

plus notre amour, entre l’intelligence<br />

mesurée et passionnée et la charmante<br />

psychopathe à l’humour aussi froid<br />

que son âme.<br />

«Killing Eve» est le genre de série<br />

qu’on ne peut s’empêcher d’apprécier<br />

par son ton en constant mouvement et<br />

son duo d’actrices douées. Il est dur de<br />

ne pas s’amuser en la regardant et on a<br />

hâte de savoir ce qui nous attend pour<br />

la suite…<br />

Liam Debruel


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