Désolé j'ai ciné #8
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Spider-man sur<br />
grand écraN<br />
Retour sur un héros mythique<br />
Et aussi : (beaucoup) de critiques, des séries, suspiria de dario argento...<br />
1
2
3<br />
L’Edito<br />
Alors que la blogosphère <strong>ciné</strong> s’écharpe durant des<br />
mois au sujet de “Roma”, de la salle de <strong>ciné</strong>ma et du visionnage à<br />
la maison (voir un film sur Netflix, est-ce réellement du <strong>ciné</strong>ma ?<br />
Un épisode de L’amour est dans le pré diffusé en pellicule dans un<br />
Pathé IMAX, est-ce que ça n’est pas aussi du <strong>ciné</strong>ma?), nous aussi on<br />
s’interroge. Un magazine <strong>ciné</strong>ma en digital, est-ce que c’est vraiment<br />
un magazine ? Si nous n’avons pas la possibilité d’être feuilleté,<br />
comme le – superbe – magazine de nos confrères et consœurs de<br />
chez Revus et Corrigés, méritons-nous vraiment le nom ?<br />
Notre conviction, et il en est de même pour le <strong>ciné</strong>ma : il s’agit de<br />
sincérité avant tout. Aussi en cette fin d’année, nous espérons vous<br />
proposer des textes <strong>ciné</strong>philes et <strong>ciné</strong>phages qui, non motivés par la<br />
moindre considération économique, sont tout simplement motivés<br />
par la sincérité de nos autrices et auteurs. C’est ce qui différencie<br />
un film de “Venom” malhonnête et mensonger, d’un film d’animation<br />
de Spidey réalisé avec le cœur. Cher lecteur, chère lectrice, soyez<br />
comme Spider-Man… Soyez amazing. Joyeuse fin d’année à vous.<br />
Captain jim
4
5<br />
le sommaire<br />
P.6 ATtentes de 2019<br />
p.16 Critiques Netflix<br />
P.28 critiques octobre<br />
p.48 critiques novembre<br />
p.72 critiques décembre<br />
p.84 travis knight : self-made artist ?<br />
p.87 suspiria : la maison du paon<br />
p.96 fede alvarez : de raimi à fincher<br />
p.100 spider-man sur grand écran<br />
p.108 l’instant séries<br />
DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG<br />
MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG<br />
RÉDACTEURS : CAPTAIN JIM, LIAM DEBRUEL, MEHDI TESSIER, BAPTISTE ANDRE
6<br />
ON LES ATTEND AVEC IMPATIENCE EN 2019<br />
gla<br />
Les héros de «Incassable» et «split» sont réunis dans ce qui<br />
pourrait bien être le film de super-héros de l’année : furieux,<br />
impressionnant, épique et probablement innatendu connaissant le<br />
bonhomme qui, malgré quelques films un peu en deça, s’est inscrit<br />
comme une des valeurs sûres du <strong>ciné</strong>ma. Bruce Willis, James<br />
McAvoy, Samuel L Jackson & Anya Taylor-joy seront rejoints par<br />
l’énigmatique sarah paulson.<br />
margaux maekelberg
ss<br />
m night shyamalan<br />
7
8<br />
the old man<br />
Dès quelques trailers diffusés, le prochain film de David Lowery<br />
attise la curiosité et l’impatience. Après son magnifique “A<br />
Ghost Story”, il met ici en scène l’histoire vrai d’un vieil homme<br />
braqueur de banque joué par Robert Redford. Réalisateur plus<br />
que prometteur, casting inspiré, photographie à l’esthétique 70’s,<br />
le film à déjà tout pour plaire et faire de l’année 2019 une belle<br />
année de <strong>ciné</strong>ma.<br />
Baptiste Andre
9<br />
and the gun<br />
David Lowery
10<br />
adora<br />
Fabrice Du Welz est l’un de mes réalisateurs<br />
préférés depuis que j’ai découvert « Alléluia »<br />
sur grand écran en 2014. Le fait qu’il<br />
clôture sa trilogie ardennaise (« Calvaire »,<br />
« Alléluia » et donc « Adoration ») avec<br />
plusieurs figures belges tout en reprenant une<br />
nouvelle fois la place d’une « Gloria » en tant<br />
que vecteur des événements (ici, une petite fille<br />
après la femme disparue et la mère monstre)<br />
m’intrigue au plus haut point. Bref, Adoration<br />
s’annonce comme un film important de l’année.<br />
Liam Debruel
11<br />
tion<br />
Fabrice Du Welz
12<br />
Autre fin de trilogie avec ce neuvième épisode de la saga de<br />
science-fiction la plus connue du monde. C’est pourtant avec<br />
son réalisateur que les enjeux s’avérent plus passionnants,<br />
JJ Abrams étant connu pour lancer les sagas/séries, sans les<br />
clôturer lui-même. Voir l’un des metteurs en scène les plus<br />
sous-estimés et passionnants de ces dernières années devoir<br />
mettre fin à de nouvelles aventures qu’il a initié et poursuivre<br />
les questionnements qu’il avait lancé ainsi que celles de Rian<br />
Johnson risque de rendre ce blockbuster encore plus lié au<br />
questionnement sur l’intime et l’historique.<br />
Liam Debruel
13JJ Abrams
14<br />
it : cha<br />
Grosse surprise de 2017, It était l’un des portraits les plus<br />
touchants sur l’enfance, avec un aspect horrifique plus<br />
vecteur d’émotions que de jump scare faciles. De plus,<br />
Muschietti affirmait un ton collant bien au récit entre le<br />
merveilleux Amblinesque et le style Kingien. Cette suite<br />
s’annonce donc intéressante dans ce qu’elle prolongera les<br />
traumatismes d’enfance chez les héros désormais adultes.<br />
Liam Debruel
15<br />
pter 2<br />
Andy Muschietti
16CRITIQ
17<br />
UES<br />
NETFLIX
18<br />
LE BON APÔTR<br />
Ce mois-ci Netflix frappe fort avec la sortie<br />
de plusieurs films de réalisateurs qui ont<br />
déjà fait leurs preuves. Gareth Evans est l’un<br />
d’eux. Après le diptyque « The Raid », qui a<br />
transformé la façon de filmer l’action dans<br />
le paysage <strong>ciné</strong>matographique, il revient<br />
avec un film aussi hypnotisant que jusqu’auboutiste.<br />
« Apostle » ou « Le Bon Apôtre » en français<br />
(le choix de traduction est suffisamment<br />
intéressant pour le souligner), place son<br />
spectateur in media res dans une histoire de<br />
secte qui, en échange de la libération d’une<br />
de leur adepte demande une importante<br />
somme d’argent. C’est Thomas, le frère de<br />
cette mystérieuse partisane, qui est chargé<br />
d’apporter la rançon vers l’obscure île où la<br />
secte a élu domicile.<br />
Gareth Evans n’a besoin que de quelques<br />
plans et lignes de dialogues pour poser<br />
cette histoire qui va se révéler petit à petit.<br />
On retrouve bien toute la mythologie<br />
sectaire dans ce film mais là où Evans fait<br />
fort c’est dans le mélange des genres qu’il<br />
va opérer. L’horreur domine fortement mais<br />
la fulgurance des scènes d’actions ravira<br />
les amoureux de « The Raid ». Car s’il y a<br />
une chose qu’il faut retenir de « Apostle »<br />
c’est l’audace avec laquelle Evans use de<br />
son médium. Angles de caméra, montage et<br />
choix stylistique sont tous aussi intéressant<br />
les uns que les autres. L’utilisation constante
19<br />
12/10<br />
E<br />
DE GARETH EVANS. AVEC DAN STEVENS, MICHAEL SHEEN... 2H10<br />
de « dutch angle » amplifie la sensation de<br />
malaise que l’image, le son et l’intrigue nous<br />
livraient déjà.<br />
Mais « Le Bon Apôtre », bien qu’étant un<br />
tour de force sur le plan formel reste tout<br />
de même assez pauvre dans sa narration.<br />
Un découpage scénaristique assez inégale<br />
avec une première partie très prometteuse<br />
qui met en place cette société sectaire<br />
reclus du monde, et des bribes d’intrigues<br />
suffisamment originales pour attiser la<br />
curiosité et établir un arc narratif prometteur.<br />
Puis, petit à petit, le film se perd dans une<br />
grandiloquence, un surplus, certe liée au<br />
genre horrifique voir gore (les amateurs<br />
d’hémoglobine seront servis), mais qui<br />
justifie finalement peu son histoire.<br />
Son jusqu’auboutisme est a salué bien<br />
qu’« Apostle », dans sa dernière partie<br />
notamment, s’use et, ses symboles et son<br />
propos semblent s’étouffer mutuellement.<br />
Le film reste néanmoins une œuvre très<br />
intéressante et prometteuse à l’égard de<br />
Netflix.<br />
Baptiste Andre
20<br />
19/10<br />
ILLANG : LA<br />
BRIGADE DES LOUPS DE<br />
KIM JEE-WOON. AVEC JUNG<br />
WOO-SUNG, HAN HYO-JU... 2H19<br />
Dans un futur proche, et<br />
face au spectre de la guerre<br />
qui menace l’Asie de l’est,<br />
les deux Corées décident<br />
de s’unifier pour faire face<br />
aux conflits à venir. Dans<br />
ce contexte politique tendu,<br />
un groupe terroriste du<br />
nom de La Secte apparaît,<br />
farouchement opposé au<br />
rapprochement des deux<br />
pays. Cette menace plonge<br />
le gouvernement provisoire<br />
dans la crise. La police est<br />
de plus en plus impuissante<br />
face aux actions des<br />
terroristes. Le président crée<br />
donc l’Unité Spéciale pour<br />
contrer La Secte. Après un<br />
événement traumatisant qui<br />
tourne l’opinion publique<br />
contre la nouvelle police, les<br />
membres de l’Unité Spéciale<br />
prennent la décision de<br />
porter un masque. Au proie<br />
aux luttes internes et au<br />
terrorisme, le pays sombre<br />
dans le chaos.<br />
« Illang : La brigade des<br />
loups » de Kim Jee-Woon est<br />
le remake d’un film japonais<br />
: « Jin-Roh , la brigade des<br />
loups » sortie en 1999. Il est<br />
difficile pour ceux qui ont<br />
connu le temps des vidéos<br />
clubs de ne pas se rappeler<br />
l’image marquante qu’était<br />
l’affiche de « Jin-Roh, la<br />
brigade des loups » . Un<br />
soldat en armure, évoquant<br />
un uniforme de soldat nazi,<br />
devant une pleine lune et<br />
ses yeux rouges sang. Ce<br />
visuel à lui seul provoquait<br />
d’étranges sentiments de<br />
fascination et de répulsion.<br />
Mais si en France, le film<br />
animé est considéré comme<br />
un chef d’oeuvre, on connaît<br />
moins la trilogie « Kerberos »<br />
dont « Jin Roh » est le dernier<br />
chapitre. En effet, Mamoru<br />
Oshii, le créateur de la saga
21<br />
(surtout connu pour l’animé « Ghost in the<br />
Shell »), avait réalisé deux films en prise de<br />
vue réelle, « The Red Spectacles » (1987)<br />
et « Stray dog : Kerberos Panzer Cops »<br />
se situant dans le même univers que « La<br />
brigade des loups ». Pour le troisième volet,<br />
Oshii ne signera que le scénario et c’est<br />
Hiroyuki Okiura qui passera à la réalisation.<br />
L’homme aux commandes de ce remake<br />
n’est pas n’importe qui. Kim Jee-Woon fait<br />
partie de la vague de réalisateurs coréens<br />
s’étant démarqué dans le début des années<br />
2000. C’est une figure emblématique du<br />
<strong>ciné</strong>ma mondial qui a signé des films aussi<br />
poétique (« 2 soeurs ») que radicalement<br />
violent (« J’ai rencontré le diable »). Au vu de<br />
sa filmographie, c’était le réalisateur parfait<br />
pour raconter cette histoire d’espionnage<br />
au milieu d’un pays en proie aux flammes.<br />
Dans « Illang », Jee-Woon déplace le récit<br />
se déroulant initialement au Japon pour le<br />
placer en Corée dans un futur pas si lointain.<br />
Depuis 1953 et l’armistice du conflit, les<br />
deux Corées n’ont jamais abouti à un traité<br />
de paix et sont juridiquement toujours en<br />
guerre. Infiniment touché dans leur chair par<br />
la séparation entre les deux états, il est rare<br />
de voir un film sud-coréen ne pas évoquer<br />
de près ou de loin cet aspect de la situation<br />
politique du pays. Le long métrage n’y va<br />
pas par quatre chemins et opte pour une<br />
anticipation qui parle clairement des peurs<br />
des sud coréens. Le script du film original<br />
montrait des personnages broyés par les<br />
institutions, où les initiatives individuelles<br />
étaient rendues quasi impossibles par les<br />
appareils d’état. Il planait sur le long métrage<br />
une aura de fatalisme funèbre. « Illang »<br />
prend à contre pied cet aspect si particulier<br />
de « Jin-Roh » pour en faire un film d’action<br />
où le fatalisme est remplacé par une volonté<br />
désespérée de liberté. Les héros vont se<br />
débattre continuellement pour tenter de<br />
s’extraire d’un système qui les utilise comme<br />
des pions. Thématiquement, le film est assez<br />
proche de son film précédent « The Age of<br />
Shadows » qui parlait de résistants sudcoréens<br />
pendant l’occupation japonaise.<br />
Le récit de « Illang » est bardé de violence,<br />
montre un pays en fin de règne, replié sur<br />
lui même. Ce changement de point de vue<br />
par rapport à l’oeuvre originale est louable<br />
mais l’exécution n’est pas sans défaut. Dans<br />
les séquences d’action dans la tour ou sur le<br />
parking, on a du mal à retrouver la maestria<br />
de la scène d’évasion de « A Bittersweet Life<br />
» réalisé par Kim Jee-Woon en 2005 et la<br />
patte si singulière du réalisateur. Le scénario<br />
de « Illang » ajoute des sous intrigues<br />
intéressantes mais qui se perdent dans le flot<br />
d’informations qu’on nous envoie pendant<br />
ces 2h30. Ainsi, le financement occulte de<br />
La Secte par une faction de la police fait<br />
écho aux scandales de corruptions qui a<br />
valu à l’ex-présidente sud-coréenne d’être<br />
condamnée à 25 ans de prison.<br />
Si le film original avait su marquer les<br />
esprits par son côté intemporel et sa poésie<br />
existentialiste, Kim Jee-Woon décide<br />
d’ancrer son remake dans un univers plus<br />
marqué, au contexte politique qui fait écho<br />
aux événements qui bousculent la Corée<br />
d’aujourd’hui. Mais dans cette volonté, il<br />
perd un peu la viscéralité qui faisait son<br />
<strong>ciné</strong>ma. En reste une œuvre intéressante,<br />
engagée et résolument moderne.<br />
Mehdi Tessier
22<br />
THE OUTLAW KING<br />
Le <strong>ciné</strong>ma de Mackenzie est en évolution<br />
constante. Il est alors intéressant qu’après<br />
son «Comancheria», où il analysait<br />
l’Amérique moderne en usant de ses<br />
codes <strong>ciné</strong>matographiques dès le plan<br />
d’ouverture, il s’attaque à un récit historique<br />
de Grande Bretagne et d’Ecosse. Les deux<br />
films partagent néanmoins un Chris Pine en<br />
vecteur de liberté et de réaction face à un<br />
système oppressif. Le milieu bancaire laisse<br />
place à une autre oligarchie avec la royauté<br />
britannique. Le plan séquence ouvrant le<br />
film reste tout autant symbolique de cette<br />
lutte des ‘’classes’’, séparant un semblant<br />
de bonne entente du restant du récit tout<br />
en installant les codes d’un genre historique<br />
plus épique. N’en déplaise d’ailleurs aux<br />
personnes contestant Netflix, la taille de<br />
l’écran n’influence guère l’ampleur du projet,<br />
la fureur des affrontements se dégageant sans<br />
souci. Mackenzie a d’ailleurs l’intelligence<br />
de rendre ses combats lisibles, à l’opposé de<br />
la superposition épileptique de nombreux<br />
blockbusters actuels. On ne sent guère de<br />
chorégraphies de combats d’ailleurs, dans<br />
une quête immersive où les belligérants<br />
sont sur l’instant des guerriers qui cherchent<br />
l’efficacité et la survie sur autre chose. Les<br />
personnages sont moins des héros braves<br />
que des hommes tentant de faire la chose<br />
juste. Les gestes sont imprécis, les visages<br />
sont sales et les morts sont injustes et sèches.<br />
Pourtant, c’est moins dans ses moments<br />
de danger que le <strong>ciné</strong>ma de Mackenzie<br />
transparait mais dans ses instants de
23<br />
09/11<br />
ressortir une forme de beauté banalisée.<br />
Cela rentre en cohérence avec la direction<br />
d’acteur de qualité de Mackenzie. Il offre<br />
une nouvelle fois un autre grand rôle au<br />
toujours charismatique Chris Pine. L’acteur,<br />
au minimum impeccable dans ses rôles les<br />
moins marquants, dégage cette même lueur<br />
dans ses yeux accrochant directement le<br />
public, et se livre corps et âme dans un rôle<br />
à récompense (croisons les doigts malgré le<br />
désamour porté à la plateforme). Ce même<br />
dévouement émotionnel, cohérent dans le<br />
<strong>ciné</strong>ma de Mackenzie, transperce dans le<br />
regard de chaque membre du casting.<br />
DE DAVID MACKENZIE. AVEC CHRIS PINE, FLORENCE PUGH... 2H01<br />
calme. C’est là, quand transparaissent les<br />
imperfections des héros, qu’ils prennent<br />
vie, dans leurs gestes les plus banals, forme<br />
de repos dans la crainte d’une menace<br />
permanente. Des amoureux en plein ébat<br />
s’arrêtent en tombant sur une plante avec<br />
laquelle les amants se caressent lentement<br />
pour mieux appréhender le corps de l’autre.<br />
En plus d’offrir une fulgurance d’érotisme<br />
dans une scène de sexe marquant par<br />
sa crudité, celle-ci remet en avant cette<br />
manière qu’a Mackenzie d’appréhender ses<br />
personnages. Les cicatrices sur notre héros<br />
sont filmées sans fard, avec cette beauté de<br />
mise en scène que le réalisateur a pour ces<br />
corps, en mouvement ou non. Il les prend,<br />
comme ses acteurs, dans leurs aspects<br />
les moins élégants pour mieux en faire<br />
Sublimé par la photographie discrète et<br />
sensible de Barry Ackroyd, «The outlaw<br />
king» est un grand film délicat et furieux à<br />
la fois, porté par cette antinomie symbole<br />
d’un affrontement rude et douloureux. Il est<br />
tel un baiser, une étreinte après la tragédie,<br />
un calme réconfortant après une tempête de<br />
tourments émotionnels et physiques. C’est ce<br />
qui fait du <strong>ciné</strong>ma de Mackenzie un <strong>ciné</strong>ma<br />
essentiel, portant l’intime et l’imperfection<br />
de ses héros pour appuyer les doutes de<br />
chacun, héros historiques comme victimes<br />
sans nom de la société, et les transcender<br />
avec la même touche empathique qu’un<br />
Jeff Nichols. Quand Mel Gibson filmait son<br />
«Braveheart» avec grandiloquence pour<br />
appuyer l’héroïsme, Mackenzie y arrive en<br />
allant dans une forme d’immersion aussi<br />
crue dans sa représentation historique que<br />
dans les failles de chacun. Bref, d’une beauté<br />
aussi discrète que son <strong>ciné</strong>ma…<br />
Liam Debruel
16/11<br />
THE BALLAD OF<br />
BUSTER SCRUGGS<br />
24<br />
DE JOEL ET ETHAN COEN. AVEC TIM BLAKE NELSON, JAMES FRANCO, LIAM NEESON... 2H13
25<br />
Les frères Coen ont beau faire la tournée des médias pour<br />
chanter les louanges de la plateforme et des libertés qu’elles<br />
leur ont offertes pour réaliser leur film western d’anthologie, on<br />
ne me la fait pas à moi : c’est que personne d’autre que Netflix<br />
n’aurait accepté de financer un projet aussi médiocre. Des mots<br />
violents; des mots douloureux aussi, quand on est fan du travail<br />
des frères Coen comme je le suis, mais surtout des mots justes.<br />
«The Ballad of Buster Scruggs» est une compilation de nouvelles<br />
écrites par les frères Coen tout au long de leur carrière (ils en ont<br />
écrit un paquet; certaines ont même été publiées dans les Cahiers<br />
du Cinéma) ayant comme seul cadre commun le western, et<br />
comme seule thématique partagée une approche existentialiste<br />
du monde. Que cela soit à travers l’humour noir ou non, toute<br />
les histoires interrogent la place des hommes et des femmes dans<br />
un univers qui semble s’amuser à n’avoir aucun sens. C’est cet<br />
existentialisme constant qui donne souvent le sentiment que les<br />
frères Coen sont effroyablement cruels avec leurs personnages,<br />
et c’est quelque chose qui ressort de manière très visible dans<br />
ces six courtes histoires.<br />
Évidemment, les segments sont inégaux. Malheureusement,<br />
la plupart sont largement insignifiants. Le premier a beau être<br />
techniquement impressionnant, il n’en reste pas moins qu’un<br />
vain exercice vaniteux. Celui avec Tom Waits en chercheur d’or se<br />
noie dans une fin mécanique et totalement bidon... On gardera un<br />
bon souvenir cependant de celui qui met en scène James Franco<br />
en criminel malchanceux, de celui avec Liam Neeson et enfin<br />
celui avec Zoe Kazan. Mais même quand c’est pas mal, on sent<br />
quand même que ce sont des histoires qui avaient été oubliées<br />
dans un tiroir à raison... Cela reste les frères Coen, c’est-à-dire<br />
parmi les plus grands réalisateurs que le <strong>ciné</strong>ma américain ai<br />
jamais connu, donc cela reste intéressant. Mais comme d’autres<br />
avant eux, les <strong>ciné</strong>astes passent par la case Netflix en proposant<br />
une œuvre bien en deçà de leurs propositions habituelles. On<br />
attend le prochain…<br />
Captain Jim
26<br />
ROMA<br />
DE ALFONSO CUARÓN. AVEC YALITZA<br />
APARICIO, NANCY GARCÍA... 2H15
27<br />
Roma a tout pour faire peur. Distribué<br />
par Netflix, film espagnol dont l’histoire<br />
se déroule dans les années 70, de surcroît<br />
en noir et blanc, d’une durée de plus de 2<br />
heures, il en rebutera sûrement plus d’un.<br />
Beaucoup d’entre eux regretteront sa nonprésence<br />
sur les écrans. A juste titre, certes,<br />
mais “Roma” est profondément plus qu’un<br />
simple film de <strong>ciné</strong>ma.<br />
C’est un film naturaliste, intimiste, qui<br />
s’inspire directement de l’enfance de<br />
Cuaron dans le quartier de Colonia Roma à<br />
Mexico. On suit le quotidien d’une famille<br />
bourgeoise du point de vue de Cleo, la<br />
nounou de la famille. Le film s’ouvre sur un<br />
plan fixe d’un sol, puis une vague d’eau vient<br />
le recouvrir, nous révélant, par un habile jeu<br />
de reflet, le ciel au-dessus de nous. Notre<br />
regard toujours fixé sur ce plan se retrouve<br />
coupé par le passage d’un avion. Ici, dans<br />
ces cinq premières minutes, Cuaron nous<br />
révèle toute sa démarche.<br />
Le film prendra son temps. Le film nous<br />
montrera plusieurs couches les unes sur<br />
les autres, parfois pas directement mais<br />
justement par ce jeu de reflet. Chaque détail<br />
établira un événement prochain. Le noir et<br />
blanc n’est pas là, à mon sens, pour établir<br />
une dualité, mais pour souligner un contraste.<br />
Qu’il soit social, spatial (tout est question<br />
d’espace dans “Roma”) ou encore lié aux<br />
personnages. Car Cuaron met en scène des<br />
portraits de femmes incroyablement fortes<br />
vis-à-vis des hommes qui les entourent.<br />
C’est un film d’une bienveillance sans<br />
pareille mais qui ne s’empêchera pas<br />
de bousculer son spectateur. Certaines<br />
scènes sont dévastatrices et continuent<br />
de nous suivre bien longtemps après leur<br />
visionnage. D’un réalisme véritablement<br />
éprouvant d’autant plus souligné par le<br />
temps que prend le film. La forme suit à la<br />
perfection cette démarche en nous invitant,<br />
grâce à des travellings très lents, à observer<br />
et à apprécier les détails qui composent le<br />
quotidien de Cleo et de cette famille.<br />
Couronné par un Lion d’Or à la Mostra de<br />
Venise de cette année, “Roma” mérite qu’on<br />
parle de lui. C’est un film que Cuaron a<br />
rempli d’une passion et d’une douceur sans<br />
pareil qu’il semblait naturel que l’on puisse<br />
lire le titre à l’envers et en découvrir le sens<br />
caché : ‘’Amor’’.<br />
Baptiste Andre
28CRITIQ
UES<br />
DES FILMS D’OCTOBRE DONT ON A PAS PU PARLER DANS<br />
LE PRÉCÉDENT NUMÉRO PARCE QU’ON A PAS EU LE TEMPS<br />
(MAIS ON VA PAS PARLER DE TOUT NON PLUS QUAND MÊME)<br />
29
03/10<br />
A STAR IS BORN<br />
DE BRADLEY COOPER. AVEC BRADLEY COOPER,<br />
LADY GAGA... 2H16<br />
30<br />
Il y a d’abord eu William A. Wellman<br />
en 1937, puis George Cukor en 1954<br />
et Frank Pierson en 1977. Près de<br />
quarante ans plus tard c’est au tour de<br />
Bradley Cooper de se placer derrière<br />
la caméra pour la première fois de sa<br />
carrière. Celui qui s’est fait un peu<br />
plus rare sur nos grands écrans depuis<br />
2015 («American Sniper», «À vif !»)<br />
excepté quelques apparitions dans<br />
«War Dogs» et «10 Cloverfield Lane»<br />
en 2016; fait un retour fracassant avec<br />
ce qui est donc une nouvelle version<br />
du désormais cultissime «A Star is<br />
born». Réalisateur, acteur principal,<br />
scénariste et également producteur,<br />
Bradley Cooper est sur tous les fronts<br />
pour cette tragédie hollywoodienne<br />
qui a tout pour filer direct aux Oscars<br />
même s’il est - bien - loin d’être<br />
parfait.<br />
Star de country sur le déclin et plus<br />
attiré par les bouteilles d’alcool et les<br />
médicaments que par l’adrénaline de<br />
la scène, Jackson Maine rencontre la<br />
jeune et très prometteuse Ally avec<br />
qui une incroyable histoire d’amour<br />
commence. Alors qu’elle prend du<br />
galon dans le métier et devient LA star<br />
du moment, la carrière de Jackson va<br />
de plus en plus mal et ce dernier met<br />
rapidement péril autant son couple<br />
que la carrière de sa femme.<br />
Le film démarre sur les chapeaux<br />
de roue. Le coup de foudre frappe<br />
sans prévenir, Jackson Maine tombe<br />
éperdument amoureux d’Ally et de<br />
sa voix en or. La première partie<br />
du film embrasse la romance avec<br />
ferveur et excitation, tout comme<br />
les sentiments naissants entre eux.<br />
On tombe à notre tour amoureux<br />
de ce couple qui transcende l’écran<br />
de par leur alchimie mais encore<br />
plus - et surtout - lorsque les deux se<br />
retrouvent sur scène avec une mise<br />
en scène dynamique - bravo Cooper<br />
- et un score aux petits oignons. Mais
31<br />
peut-être que finalement tout va trop vite dans le film, si bien que<br />
la première partie condense assez rapidement les préambules<br />
de leur relation avec énergie pour laisser une deuxième partie<br />
beaucoup plus faible. Déjà de par un scénario connu - une<br />
étoile née, une autre meurt - et qui ne fait qu’effleurer des pistes<br />
de réflexion qui auraient pu être intéressante : l’amour toxique,<br />
l’émancipation de la femme vis-à-vis de son mari, la pression<br />
que met l’industrie musicale pour «formater» ses stars…<br />
Cependant Bradley Cooper nous avait prévenu, «A Star is born»<br />
est avant tout une histoire d’amour. Et c’est qu’il arrive à nous<br />
transporter dans les moments de joie comme les moments de<br />
peine, non pas dans leur vie quotidienne mais bel et bien sur<br />
scène. Autant la plupart des scènes ne montrent pas énormément<br />
d’intérêt, autant celles où Lady Gaga chante sont absolument<br />
transcendantes (notamment la scène de fin bouleversante de<br />
justesse). Ce qui nous fait arriver au second point de ce film, les<br />
prestations de nos têtes d’affiches. Bradley Cooper surpasse le<br />
film avec sa dégaine d’ancienne star déchue et son regard perçant<br />
où toutes les émotions transparaissent. Le naturel de Lady Gaga<br />
est plus agréable et rafraichissant dans la première partie que<br />
dans la seconde avec ses artifices et ses tenues extravagantes<br />
- peut-être justement parce qu’on a l’habitude de la voir dans<br />
ce registre -. Sam Elliott qui incarne le frère de Jackson tient ici<br />
probablement son plus beau rôle tout comme les autres seconds<br />
couteaux dont le père d’Ally et sa bande de chauffeurs et leur<br />
humour communicatif.<br />
Les amateurs de love story seront servis quant à ceux qui auraient<br />
souhaité un film avec un peu plus de fond, ils devront passer<br />
leur tour car «A Star is born» est finalement aussi sincère qu’il<br />
est extrêmement convenu.<br />
Margaux Maekelberg
32<br />
03/10<br />
FRÈRES ENNEMIS<br />
DE DAVID OELHOFFEN. AVEC MATTHIAS<br />
SCHOENAERTS, REDA KATEB... 1H41<br />
Depuis quelques années, David Oelhoffen semble vouloir<br />
chambouler les productions hexagonales. Après avoir<br />
scénarisé « L’affaire SK1 » en 2013, et réalisé en 2014 « Loin<br />
des hommes » (adapté d’une nouvelle d’Albert Camus) ,<br />
le réalisateur sort « Frères ennemis », son troisième long<br />
métrage. Loin des clichés, le film raconte l’histoire de dealers<br />
et de flics ordinaires, porté par un casting remarquable.<br />
Driss, incarné par Reda Kateb, est un agent de la brigade<br />
des Stups, plutôt solitaire. Pour faire tomber des trafiquants,<br />
il utilise Imrane, ami d’enfance lui même trafiquant. Lors<br />
d’un deal qui devait lui rapporter gros, Imrane se fait tuer.<br />
Manuel, le seul rescapé de l’attaque et associé du défunt<br />
se retrouve accusé d’avoir commandité l’assassinat et de<br />
cacher la drogue pour son profit personnel. Afin de se<br />
laver de tout soupçon, il va devoir faire confiance à Driss,
33<br />
et l’aider à mener l’enquête. Le flic rongé par la culpabilité, va tenter de<br />
s’acquitter de la dette morale qu’il a envers ses anciens amis.<br />
David Oelhoffen se défend d’avoir fait un film naturaliste. Pourtant il se dégage<br />
un sentiment de réalisme cru dans la plupart des scènes. La caméra portée<br />
filme les acteurs au plus près, évoluant dans des décors criant d’authenticité.<br />
Lors de la scène de retrouvailles devant la prison, on est au cœur de cette<br />
réunion de famille, avec les personnages, sous la grisaille. Ce ciel gris et bas<br />
qui recouvrira la totalité du long métrage. Loin d’un romantisme flamboyant,<br />
le film dépeint la vie de petits dealers, entre peur et attente. On est surpris<br />
de voir Imrane et Manuel se comporter comme des pères aimants, doux,<br />
aux antipodes des voyous qu’on nous présente d’habitude. L’intrigue se passe<br />
essentiellement de l’autre côté du périphérique, ne montrant Paris qu’en<br />
de rares occasions. Flics et malfrats n’habitent pas des lofts stylisés ou des<br />
appartements haussemaniens, mais des logements modestes dans des HLM.<br />
Les personnages ont vécu dans la même cité, sont du même milieu social.<br />
Leur passé est commun, seule la morale les différencie.<br />
Dès le premier plan, le cadre est posé. Reda Kateb regarde par la fenêtre, l’air<br />
distant. Derrière lui, des hommes casqués, en gilet par balles montent les<br />
escaliers, arme au poing. Le décalage est frappant. Driss n’est pas à sa place.<br />
Et durant tout le film, le personnage n’aura de cesse d’essayer de la retrouver.<br />
Car le cœur du récit est là, « Frères Ennemis » raconte l’histoire de quelqu’un<br />
qui rentre chez lui. Mais contrairement à Ulysse, le voyage sera tout sauf beau<br />
et heureux. C’est rongé par la culpabilité que Driss se met en quête d’un foyer<br />
perdu. La filiation, l’entraide de deux personnages que tout semble opposer,<br />
David Oelhoffen creuse ici des thèmes qui lui sont chers. Mais cette étude<br />
de personnages s’avère un poil décevante, la faute à un manque d’éléments<br />
permettant d’appréhender la fracture entre Driss et Manuel. Leur amitié passée<br />
est évoquée sans jamais être approfondie. Mais on ne va pas bouder notre<br />
plaisir de voir Reda Kateb et Matthias Schoenaerts se donner la réplique.<br />
Notons aussi que c’est la première apparition au <strong>ciné</strong>ma du rappeur Fianso,<br />
de son vrai nom Sofiane Zermani, et qu’on espère revoir bientôt tant son jeu<br />
est naturel.<br />
Avec ces personnages tout en nuances de gris, David Oelhoffen expose la<br />
fragilité de la famille qu’on se choisit, celle des amis, et montre qu’elle aussi,<br />
peut être dysfonctionnelle. Malgré la petite déception en sortant de la salle,<br />
et au regard de ses futurs projets, on ne peut qu’espérer une carrière brillante<br />
pour ce réalisateur qui se fait une place de choix dans un <strong>ciné</strong>ma français de<br />
plus en plus prompt à offrir des choses nouvelles.<br />
Mehdi Tessier
34<br />
Il était loin de faire l’unanimité chez nos<br />
confrères américains, force est de constater<br />
que «Venom» subira également le même<br />
sort de par chez nous. Car même si les<br />
droits du tisseur de toile appartiennent<br />
désormais à Marvel/Disney, Sony sort de<br />
sa besace l’un des ennemis de Spider-Man<br />
déjà aperçu dans le «Spider-Man 3» de Sam<br />
Raimi aka Venom/Eddie Brock. Et parce<br />
que Sony est une jolie machine à business<br />
qui compte bien amasser du billets verts,<br />
bye bye le Rated R espéré par certains<br />
- il faut dire que le personnage avait le<br />
potentiel pour - et bonjour le PG-13 - tout<br />
public chez nous -. Loin d’être une grande<br />
surprise, le «Venom» de Ruben Fleischer<br />
(«Bienvenue à Zombieland», «Gangster<br />
Squad») n’est pas un «désastre» (même s’il<br />
s’en rapproche dangereusement) mais est<br />
bien trop aseptisé pour être efficace.<br />
Journaliste d’investigation prêt à titiller les<br />
plus grands dirigeants et responsables pour<br />
mettre à jour leurs magouilles, Eddie Brock<br />
se frotte d’un peu trop près à Carlton Drake<br />
à la tête de Life Foundation qui, derrière ses<br />
recherches scientifiques, entame une grande<br />
opération de nettoyage à l’aide d’entités<br />
extraterrestres surnommées «symbiotes»<br />
qui ont besoin d’un hôte humain pour<br />
survivre. Suite à un malencontreux<br />
accident, Eddy Brock fusionne avec une de<br />
ces entités pour devenir Venom.<br />
Dans sa première partie, le film tente<br />
vainement de créer une origin story qui<br />
n’est finalement que vaguement évoqué<br />
sans s’intéresser véritablement à Eddy<br />
Brock ni même à l’antagoniste de l’histoire<br />
aka le méchant docteur Carlton Drake qui<br />
- comme 90% des méchants aujourd’hui<br />
- veut sauver le monde en détruisant<br />
les ¾ de sa population pour éviter ainsi<br />
la surpopulation et la disparition des<br />
VENOM<br />
ressources que Mère Nature nous a si<br />
gentiment offert. Sa seconde partie, faisant<br />
désormais cohabiter Eddy et Venom, vire<br />
de temps à autre au buddy movie qui<br />
s’avère plutôt efficace. Tom Hardy prend<br />
du plaisir à jouer ce double-personnage et<br />
ça se voit. C’est pas toujours parfait mais la<br />
carrure du bonhomme colle parfaitement<br />
au personnage. Ce qui est du côté de Riz<br />
Ahmed c’est une autre histoire - enfin du<br />
côté de tous les seconds couteaux à vrai<br />
dire - qui semble chercher ses répliques et<br />
dont le personnage n’a absolument aucune<br />
substance à part le fait d’avoir l’étiquette<br />
«Méchant» collée sur le front.<br />
Si le scénario a été coupé à la hache<br />
absolument pas affutée, il en est de même<br />
avec la réalisation et le montage qui sont audelà<br />
du catastrophique notamment lorsque<br />
le film tape un peu dans l’action. On se<br />
retrouve alors avec une course-poursuite
10/10<br />
DE RUBEN FLEISCHER. AVEC TOM HARDY, RIZ AHMED... 1H52<br />
en voiture (qui rappelle étrangement celle<br />
de «Black Panther», la réalisation en moins)<br />
complètement illisible tout comme 99%<br />
des scènes d’action du film alors que le<br />
personnage de Venom et toute sa dimension<br />
«monstrueuse» tente d’exploser à l’écran<br />
sans grand succès malheureusement<br />
puisque, le jeune public étant visé, hors<br />
de question de mettre ne serait-ce qu’une<br />
goutte de sang (alors que Venom arrache<br />
sans vergogne à coups de canines acérées<br />
la tête de ses ennemis).<br />
Lors d’une récente interview qui a largement<br />
fait les gros titres à quelques jours de la sortie<br />
du film, Tom Hardy affirmait que des scènes<br />
qu’il affectionnait tout particulièrement ont<br />
été coupé du film (pour rappel le film a été<br />
coupé de 40 minutes). Et lorsqu’on voit<br />
le résultat à l’écran, ces 40 minutes sont<br />
quasiment flagrantes et aurait - possiblement<br />
- permis au film d’être un brin mieux<br />
développé. Reste à espérer qu’une version<br />
longue du film sera disponible en DVD (et<br />
honnêtement on croise fortement les doigts).<br />
Et comble du comble, la seconde scène<br />
post-générique (qui n’a pour le coup aucun<br />
rapport «direct» avec le film) qui dure<br />
approximativement cinq minutes se révèlent<br />
bien plus intéressante, bourrée d’action et<br />
drôle que tout le film. Outch.<br />
Malgré deux trois moments sympathiques, un<br />
personnage aussi complexe que finalement<br />
attachant et une véritable envie de bien faire<br />
de Tom Hardy, «Venom» s’enfonce dans<br />
les bas-fonds des blockbusters réalisés à la<br />
truelle seulement venus pour engranger de<br />
l’argent - et vu son 1er jour d’exploitation à<br />
32,8M de dollars Sony fait banco - quitte à<br />
y délaisser tout ce qui faisait le charme d’un<br />
des meilleurs ennemis de Spider-Man.<br />
Margaux Maekelberg<br />
35
36<br />
10/10<br />
GALVESTON<br />
DE MÉLANIE LAURENT. AVEC BEN FOSTER,<br />
ELLE FANNING... 1H31<br />
Nouvelle-Orléans, 1987. Roy est un petit truand dont les dettes s’accumulent.<br />
Un soir, son boss lui tend un guet-apens, dans une maison isolée, mais réussit<br />
à s’échapper. Dans sa fuite, Roy emmène avec lui une jeune fille, Rookie,<br />
retrouvée attachée sur le lieux de l’attaque. Cette cavale les mènera au Texas,<br />
à Galveston, où les fuyards passeront quelques jours de paix, face à la mer,<br />
avant que les problèmes ne les rattrapent.<br />
«Galveston» est le premier film américain de Mélanie Laurent. C’est<br />
l’adaptation d’un livre signé Nick Pizzolatto, le créateur de la série «True<br />
Detective». Mais avant ça, la réalisatrice avait marquée les esprits avec<br />
«Respire», dont le travail si particulier sur le son montrait de réelles volontés de<br />
mises en scènes. Sa filmographie est parsemée de personnages en souffrance,<br />
et ce nouveau long métrage ne déroge pas à la règle. Au tout début du film,<br />
on fait la connaissance de Roy, interprété par Ben Foster. Après un passage<br />
chez le médecin, on devine un personnage en sursis, la radio de ses poumons<br />
montrant des tâches inquiétantes. On va suivre un homme qui s’avance sans
37<br />
cesse vers la mort, la frôlant souvent sans jamais l’embrasser. Dans cette fuite<br />
en avant, Roy va sauver Rookie, parfait prototype de la jeune fille en détresse,<br />
interprétée par Elle Fanning. Cette blonde au visage angélique se révèle être<br />
une prostituée au passé trouble, un personnage dont l’innocence a été broyé<br />
très tôt. Roy et Rookie sont deux archétypes de film noir, et «Galveston» sera<br />
l’occasion de réinterpréter les codes du genre.<br />
Le film est une sorte de double parenthèse. D’abord temporelle, le tout<br />
premier plan montre l’intérieur d’un salon alors que l’ouragan Katrina fait<br />
rage dehors, puis l’intrigue se déroule en 1987 avant de revenir en 2005. Mais<br />
le long métrage offre aussi une parenthèse idyllique, au bord de la mer, où<br />
les personnages vivront quelques moments de paix, de joie, loin des tumultes<br />
qu’ils ont vécus. La scène où, au crépuscule, Tiffany, la petite sœur de Rookie,<br />
court pour mettre des petites tapes dans le dos de Roy est d’une douceur<br />
infinie, accompagnée simplement par le bruit du vent et les rires de l’enfant.<br />
La ville de Galveston servira de purgatoire aux personnages. Mais après une<br />
soirée de danse où l’on voit pour la première fois Roy sourire, et Rookie<br />
s’amuser réellement, le passé les rattrape et les fauche encore plus durement.<br />
Le road trip est sombre et violent. Mais le trait est parfois trop forcé, et le<br />
pathos ne prend pas, comme quand Elle Fanning raconte son passé de gamine<br />
abusée. Juste avant la confidence, on voit l’actrice en pleurs à la limite du<br />
surjeu, dont les grognements de tristesse frôle le ridicule. On aurait aimé<br />
aussi un peu plus de nuances dans le jeu de Ben Foster. Reste tout même une<br />
bonne prestation pour les deux acteurs. Lors des scènes d’action, Mélanie<br />
Laurent se lâche, et sa mise en scène aboutit à des moments intenses, du plus<br />
bel effet. Le film étant une commande, la réalisatrice n’avait pas le final cut.<br />
Elle a d’abord monté le film de son côté, aboutissant à un premier jet que le<br />
producteur trouvait trop ‘’film français’’. Puis un monteur outre-atlantique<br />
à essayer d’en faire quelque chose de plus américain. Le long métrage sorti<br />
en salle est une fusion des deux visions. En résulte un film schizophrène, ne<br />
sachant pas ce qu’il est, un drame ou un thriller.<br />
En se rendant au Texas, Melanie Laurent filme l’Amérique des déshérités,<br />
oubliée des institutions. On sent une réelle sincérité à montrer la noirceur de<br />
contrées livrées à elle même, mais avec un regard trop appuyé, voir exagéré.<br />
Malgré quelques scènes poignantes, «Galveston» souffre d’une vision<br />
bicéphale et peine à trouver réellement sa voie et s’inscrire comme l’œuvre<br />
d’une auteure.<br />
Mehdi Tessier
17/10<br />
Après<br />
SHANE BLACK. AVEC BOYD HOLBROOK, TREVANTE RHODES... 1H47<br />
THE PREDATOR<br />
DE<br />
une promo extrêmement compliquée<br />
- et encore le mot est faible - où la courageuse<br />
Olivia Munn était bien seule face aux<br />
journalistes après que le casting masculin<br />
ai déserté (ainsi que leur réalisateur Shane<br />
Black) les caméras suite aux révélations<br />
concernant Steven Wilder Siegel, ami de<br />
longue date du réalisateur, qui avait une<br />
petite scène avec l’actrice et qui avait été<br />
condamné en 2010 à six mois de prison<br />
pour atteinte sur mineure. Une révélation<br />
qui fait l’effet d’une bombe alors qu’Olivia<br />
Munn prend la parole et que ses collègues<br />
se terrent dans un silence alarmant (Shane<br />
Black a depuis fait un mea culpa sur Twitter<br />
histoire de calmer un peu le jeu). Ajoutez<br />
à cela des reshoots de dernière minute et<br />
honnêtement le Predator de Shane Black<br />
ne part pas gagnant d’emblée.<br />
Alors qu’un prédateur est pris en chasse par<br />
ses congénères, il atterrit en catastrophe sur<br />
notre bonne vieille planète Terre alors qu’à<br />
quelques mètres de là le tireur d’élite Quinn<br />
McKenna mène une mission de sauvetage<br />
avec son unité. Alors qu’ils se font tous<br />
décimés par la créature, McKenna réussit<br />
à s’en sortir et s’empare du Predator ainsi<br />
qu’une de ses manchettes qu’il envoie chez<br />
lui en pensant qu’ils seront en sécurité. Afin<br />
d’étouffer au mieux cette affaire, McKenna<br />
est déclaré instable mentalement et enfermé<br />
dans le Groupe 2 aka l’élite des ex-soldats<br />
qui n’ont plus toute leur tête. Pendant ce<br />
temps, le prédateur qui a été capturé est<br />
examiné par le Dr Casey Brackett et - sans<br />
surprise - la bête se réveille et massacre à<br />
peu près tout le monde sur son passage,<br />
bien décidée à retrouver son masque et<br />
la partie manquante de son armure sauf<br />
38
39<br />
qu’entre temps le fils de McKenna a ouvert<br />
le colis et s’est mis à jouer avec le masque<br />
du Predator ce qui fait de lui désormais<br />
la cible n°1 du monstre. Accompagné de<br />
ces ex-soldats un peu loufoques et de la<br />
scientifique, ils vont devoir arrêter non pas<br />
un… mais deux prédateurs.<br />
Beaucoup d’informations hein ? Trop<br />
même. Et pourtant on sent à quel point<br />
Shane Black - accompagné de Fred Dekker<br />
au scénario - a envie d’insuffler quelque<br />
chose de nouveau dans ce reboot/sequel/<br />
onsaitpastropenfait avec de nouveaux<br />
enjeux, de nouveaux méchants et surtout<br />
une jolie pléiade de personnages (qui sont<br />
finalement les seuls «atouts» du film). Et<br />
pourtant la première partie du film se tient<br />
plutôt correctement même si clairement la<br />
force première de Shane Black est l’écriture<br />
de ses personnages, moins le maniement<br />
de la caméra dans ce film où le prédateur<br />
perd toute sa dimension monstrueuse pour<br />
finalement être filmée comme une personne<br />
lambda, de la force en plus. Non c’est<br />
clairement cette galerie de personnages<br />
plus bizarres les uns que les autres qui<br />
permettent au spectateur de s’attacher au<br />
film et notamment la scène où le docteur<br />
Casey Brackett fait connaissance avec ces<br />
joyeux lurons qui ont chacun leurs tocs et<br />
leurs traumatismes mais qui ne manquent ni<br />
de répondant ni d’humour noir. Sauf qu’une<br />
fois cette première partie du film passée,<br />
cette jolie bande doit s’attaquer à un plus<br />
gros morceau, du genre super-Predator.<br />
D’ailleurs lorsque le très gros prédateur<br />
entre en scène nous retrouvons une nouvelle<br />
fois le problème de représentation de cette<br />
créature censée instaurer la peur et dont les<br />
rugissements nous font à peine frémir. De<br />
quoi par ailleurs esquisser (trop) légèrement<br />
les ambitions de ces aliens et ce dont ils sont<br />
capables pour bifurquer sur une seconde<br />
partie complètement ratée.<br />
Outre un manque toujours flagrant de mise<br />
en scène et des scènes de combats humains<br />
VS gros Predator filmées dans la pénombre<br />
si bien qu’au bout d’un moment on ne sait<br />
même plus qui tire sur qui et qui meurt<br />
quand à cause de qui, le scénario de cette<br />
seconde partie patauge complètement pour<br />
qu’on finisse par oublier les tenants et les<br />
aboutissants de cette traque extraterrestre<br />
jusqu’à une dernière scène - possiblement<br />
- annonciatrice d’une suite (et franchement<br />
on est moyennement convaincu sur ce couplà).<br />
Quant à ce qui faisait le charme du film<br />
- aka ses personnages - ils finissent sacrifier<br />
sans qu’ils aient eu le temps de développer<br />
leur background et se forger une véritable<br />
raison de se lancer dans cette mission<br />
kamikaze sans compter la soi-disante<br />
caution féminine incarnée par Olivia Munn<br />
qui brandit un panneau où il est inscrit en<br />
Arial Black taille 180 : «Regardez je suis une<br />
nana badass qui a besoin de personne pour<br />
zigouiller des extraterrestres !».<br />
Shane Black avait les talents et les éléments<br />
en main pour donner un nouveau souffle à<br />
une saga qui en avait besoin mais force est de<br />
constater que le film, malgré une première<br />
partie plutôt solide, se casse royalement la<br />
gueule dans sa seconde moitié pour nous<br />
laisser plus que mitigés par le résultat.<br />
Margaux Maekelberg
24/10<br />
JEAN-CHRISTOPHE & WINNIE<br />
DE MARC FORSTER. AVEC EWAN MCGREGOR,<br />
HAYLEY ATWELL... 1H44<br />
40
41<br />
Dire que Disney joue de la nostalgie dans ses dernières productions serait<br />
un euphémisme au vu du catalogue à venir. On oublie néanmoins d’aborder<br />
la réflexion qui se fait derrière ce retour au passé, que ce soit un passage de<br />
témoins générationnel pour mieux questionner ses héros comme les derniers<br />
épisodes de Star Wars ou, ici, rappeler l’importance de l’enfance dans notre<br />
âge adulte. Suivant un Jean-Christophe devenu adulte, le film de Marc Foster<br />
évite une forme de mièvrerie facile pour mieux interroger nos doutes en tant<br />
qu’adultes dans une société régie par un fonctionnement mécanique.<br />
Winnie qui revient à Jean-Christophe, c’est le fantôme du passé, celui qui<br />
rappelle l’innocence et l’insouciance tout en les confrontant aux ‘’vertus’’ de<br />
l’âge adulte, notamment le travail permanent pour pouvoir offrir un meilleur<br />
avenir. Mais quel avenir est possible quand on passe son futur à se fatiguer,<br />
répéter inlassablement les mêmes actions encore et encore ? Cette répétition<br />
d’actes revient également dans un ordre familial : le père décédé, Jean-<br />
Christophe doit devenir le nouveau ‘’père’’ et dès lors prendre l’exemple d’un<br />
autre fantôme, quitte à prendre les mêmes décisions malgré sa désapprobation<br />
passée. Être adulte est bien plus compliqué qu’on ne le croit et cela rajoute à<br />
la mélancolie ambiante du film.<br />
Un exemple de ce ton à première vue moins euphorique est cette photographie<br />
plus « terne », preuve d’une certaine fatigue du temps passé. Cette traversée<br />
des années se lit également dans les designs des habitants de la Forêt des Rêves<br />
Bleus. Ces derniers prennent l’apparence de véritables peluches délavées,<br />
usées par les jeux et l’amusement. Mouvement opportuniste pour faire acheter<br />
de nouvelles versions de Winnie et Porcinet ? Balayons ce cynisme de la main<br />
et appuyons plutôt le rôle symbolique de ce style rétro.<br />
«Jean-Christophe et Winnie» est un rappel à l’adulte que nous sommes de ne<br />
pas oublier l’enfant que nous avons été. L’humour grand public amusant ne<br />
saura dissimuler la tristesse ambiante du projet, surtout pour les personnes<br />
ayant grandi avec le plus bêta des oursons. Le film a beau ne pas être parfait,<br />
c’est une madeleine de Proust fort recommandable à apprécier une fois préparé<br />
à la sensibilité du projet. Mouchoirs recommandés à tous les nostalgiques de<br />
Winnie qui craignent de devenir des nouveaux Jean-Christophe : des hommes<br />
et des femmes qui font tout pour atteindre une maturité normative et en<br />
oublient la simplicité du bonheur.<br />
Liam Debruel
24/10<br />
HALLOWEEN<br />
42<br />
Il ne serait pas absurde de parler d’acte<br />
téméraire pour qualifier le nouveau film<br />
de “Halloween” qui surgit sur nos écrans<br />
en cette période de fête des morts. Faire<br />
une suite en faisant table rase de toutes les<br />
autres qui l’ont précédée, en ne gardant<br />
pour canon que le premier opus signé John<br />
‘’le best’’ Carpenter, est-ce de la vanité, de<br />
l’orgueil ? Au vu des intentions de Green<br />
il n’en est rien, la démarche est purement<br />
et simplement nécessaire : afin de faire<br />
une suite sérieuse et qui peut se permettre<br />
une cohérence scénaristique, il n’est pas<br />
envisageable de s’y prendre autrement. Nous<br />
retrouvons donc Laurie Strode quarante ans<br />
plus tard en mamie survivaliste, persuadée<br />
que Mike Myers viendra frapper de nouveau<br />
un jour… Evidemment, elle a raison. Sinon,<br />
qu’est-ce que vous foutez devant ce film ?<br />
Cependant, une telle démarche implique<br />
forcément de comparer le neuf et le vieux,<br />
c’est-à-dire de se poser la question :<br />
pourquoi faire une suite ? Au delà de l’orgueil<br />
susmentionné, des enjeux financiers aussi,<br />
pourquoi ? Est-ce à cause de l’histoire,<br />
des thématiques, ou simplement d’une<br />
atmosphère ? L’erreur de David Gordon<br />
Green, à mon sens, et de s’embarrasser<br />
d’une mythologie sans en comprendre<br />
la dimension métaphysique, celle qui<br />
dépasse simplement la violence des corps<br />
du slasher. En d’autres termes, l’erreur de<br />
Green est de s’emparer de l’histoire sans<br />
prendre en compte ce qui l’entoure, ce qui<br />
lui a permis de faire un film d’horreur qui lui<br />
ressemble, qui a une identité et un intérêt<br />
de cette manière, mais qui sur la base seule<br />
de l’histoire du premier film “Halloween”,<br />
ne parvient pas à se suffire à lui-même.
sont bien trop présents voire envahissants<br />
; il va falloir quand même un jour que le<br />
<strong>ciné</strong>ma hollywoodien moderne se calme<br />
avec la nécessité des arcs narratifs de ses<br />
personnages ! Surtout dans un slasher où<br />
la seule condition est la survie, pourquoi<br />
s’embarrasser de mécaniques aussi<br />
grossières, dont tous les fils sont visibles<br />
dans le moindre dialogue ? Oui, Laurie<br />
Strode est détestée par sa fille et sa famille<br />
et vue comme une folle, mais pas besoin de<br />
nous installer ça en plusieurs actes dans une<br />
méthode à la Truby… Laissez le spectateur<br />
respirer, supposer, construire !<br />
DE DAVID GORDON GREEN. AVEC JAMIE LEE<br />
CURTIS, JUDY GREER… 1H49<br />
Le nouvel “Halloween” est, en un mot,<br />
décevant.<br />
Le film de Carpenter installe la peur dans<br />
les plans larges, la rêverie inquiétante, le<br />
doute persistant, l’inconnu du hors-champ<br />
(je vous encourage à lire mon article sur<br />
le sujet sur Cinématraque : http://www.<br />
cinematraque.com/2018/10/29/halloweende-john-carpenter-pourquoi-est-ce-queca-marche-encore/).<br />
Celui de Green est<br />
parasité par une omniprésence assommante<br />
de gros plans, qui met à mal toute possibilité<br />
d’une ambiance pour la remplacer par de<br />
la violence crue et détachée de tout. Aucun<br />
lieu ne reste en tête dans cette version, les<br />
personnages et leurs actions flottent dans un<br />
espace vital qui n’a pas d’autre intérêt que<br />
d’être un décor au service des arcs narratifs<br />
des personnages. Des arcs qui, quant à eux,<br />
Le nouveau film de “Halloween” est un<br />
succès indéniable au box office, et même<br />
salué par une partie de la critique, ce qui<br />
est aussi compréhensible. Cela reste un<br />
film d’horreur nettement au dessus de la<br />
majorité de la production. Pour autant, je<br />
ne peux m’empêcher de le voir comme un<br />
acte manqué. Une promesse d’explorations<br />
thématiques jamais tenue. Prenons par<br />
exemple les deux journalistes enquêtant<br />
sur Mike Myers pour leur podcast de<br />
True Crime : le voyeurisme est au coeur<br />
de la saga “Halloween”… Il aurait fallu<br />
centrer le film sur eux, pas en faire des<br />
personnages fonctions. Il aurait été aussi<br />
ingénieux d’interroger l’évolution de la fête<br />
de Halloween dans son rapport au corps et<br />
au sexe; un bref plan montre Mike Myers<br />
dévisager une fille (très peu) vêtue en sorte<br />
de sorcière/démon sexy, mais sans que cela<br />
ne soit jamais exploré. Même la solitude de<br />
Laurie, les parallèles entre la mythification<br />
de son personnage isolé et celui de Mike<br />
Myers ne sont finalement que peu exposé, la<br />
faute à un scénario envahissant et trop fourni<br />
pour une œuvre de ce genre. On sonne<br />
vieux con quand on dit ça, mais parfois ça<br />
fait du bien de le dire : “Halloween”, c’était<br />
mieux avant.<br />
Captain Jim<br />
43
44<br />
31/10<br />
EN LIBERTÉ !<br />
L’un des gros reproches que l’on répète<br />
à propos des comédies françaises est de<br />
tomber dans des personnages tellement<br />
caricaturaux qu’ils en perdent toute<br />
humanité. Il devient alors intéressant de<br />
voir que Pierre Salavadori entame son film<br />
avec une séquence jouant tellement sur<br />
l’héroïfication d’un personnage qu’il en<br />
devient caricaturalement drôle. Et c’en est<br />
heureusement le but : on parle d’un policier<br />
décédé et dont l’épouse raconte chaque soir<br />
son histoire exagérée à leur fils en deuil.<br />
Très vite, cet héroïsme disparait, amené<br />
par une statue construite à son effigie. « Je<br />
ne reconnais rien de lui », se plaint Adèle<br />
Haenel avant d’appuyer : « Ils n’ont gardé<br />
que son arme ». Ici, les histoires dépassent<br />
la réalité et il devient plus compliqué de les<br />
raconter une fois la vérité faite sur ce faux<br />
héros. « Les mères font les pères », nous<br />
disait Salvadori au FIFF. Comment dès lors<br />
raconter un menteur ? C’est ce qui revient<br />
sans cesse au cœur du film, cette même<br />
interrogation de narrer un escroc déguisé en<br />
modèle à un fils attristé.<br />
Dès lors, traiter la confrontation au réel<br />
devient un point central, chaque personnage<br />
devant faire face à des attentes bien trop<br />
élevées pour ce qui leur arrive ne relève pas<br />
de la déception. Divers degrés de burlesque<br />
se télescopent avec un romantisme à fleur<br />
de peau, un running gag pouvant être<br />
suivi d’une déclaration d’amour touchante<br />
de naïveté (« J’aime tes regards en douce.<br />
Quand tu me regardes en douce, j’ai envie<br />
d’être beau »). Jamais Salvadori n’oublie
45<br />
DE PIERRE SALVADORI AVEC ADÈLE HAENEL, PIO MARMAI... 1H48<br />
que la comédie est liée aux sentiments et<br />
que l’humour peut amener une tragédie<br />
plus intime encore. La souffrance est<br />
réelle, la déception aussi, et c’est ce qui<br />
rend les moments de poésie encore plus<br />
touchants, moments de grâce émotionnels<br />
dans un océan de comédies navrantes et<br />
mécaniques. Ici, c’est la sincérité qui prévaut<br />
: là où chez Benzaquen ou de Chauveron<br />
le jeu d’Adèle Haenel et Pio Marmai aurait<br />
viré au grimaçant irritant, Salvadori joue<br />
avec les nuances, la caractérisation de ses<br />
protagonistes restant assez profonde pour<br />
peindre des portraits de vies brisées par le<br />
mensonge.<br />
C’est ce qui rend « En liberté ! » essentiel dans<br />
le paysage humoristique français. Jamais<br />
son réalisateur n’oublie que pour faire rire,<br />
il faut d’abord faire ressentir la vie derrière<br />
ses héros. Prévaut donc un absurde qui ne<br />
tourne jamais en rond mais s’intègre à des<br />
doutes, des douleurs, des interrogations et<br />
des émotions jamais négligées. Ici, aucune<br />
mécanique grinçante, aucune référence pop<br />
culturelle aléatoire et vide de sens ou de<br />
jeu de mots confondant la grivoiserie avec<br />
la vulgarité la plus grossière. « En liberté !<br />
» est un moment d’humour poétique bien<br />
éloigné des produits industriels quelconques<br />
à durée de vie limitée. Et très franchement,<br />
ça fait beaucoup de bien.<br />
Liam Debruel
46<br />
Il y a quelque chose d’étonnamment magnétique dans la vacuité des films<br />
de Sorrentino. Son dernier, « Silvio et les autres », sortie en deux parties<br />
sous le nom de « Loro » en Italie, ne déroge pas à la règle. Faux biopic<br />
sur le chef d’état Silvio Berlusconi, le film tend plus (comme souvent avec<br />
Sorrentino) vers une introspection de la condition humaine des monstres et<br />
de l’ « intelligentzia » italienne.<br />
Loin d’être un chef d’état commun, Silvio s’avère finalement être plus un<br />
homme de commerce et du show-business. Ce qui explique le choix de<br />
Sorrentino de faire languir son spectateur avant de faire apparaître pour<br />
la première fois à l’écran son personnage, qui plus est déguisé, en brisant<br />
toutes les attentes que l’on avait de cet homme. Le film déconstruit ce mythe<br />
établit dans les consciences collectives, en préférant ridiculiser sa grandeur<br />
en multipliant les effets grandioses cher à Sorrentino et à son chef opérateur,<br />
Luca Bigazzi.<br />
Ici, encore plus que dans La Grande Bellezza, le vide est rempli des futilités<br />
propre au milieu dans lequel évolue Silvio. Fêtes sous MDMA qui vampirisent<br />
ses participant, baises sur des balcons sous les regards vacants des voisins,<br />
ou encore joute verbale et politique qui ne servent finalement que les intérêts<br />
personnels de celui qui l’emporte.<br />
Mais sous les airs de l’éternel optimisme que cache Silvio derrière son sourire,<br />
c’est bel et bien un homme faible qui cherche à se rassurer. Un homme qui est<br />
sur le déclin et qui tente de remplir ses journées d’autres choses que d’ennuis.<br />
C’est pourquoi « Silvio et les autres » est parcouru d’un tel sentiment de<br />
tristesse. La scène d’ouverture à la fois tragique et ironique, met en scène un<br />
pauvre mouton qui à cause de la climatisation meurt littéralement de froid, fait<br />
directement écho aux paroles de la chanson qu’interprète Silvio à sa femme :<br />
« Quand le froid sur nous tue la liberté ».<br />
A l’image des autres films de Paolo Sorrentino, « Silvio et les autres » semblent<br />
être sauvés dans les moments éphémères qu’offre la vie. Un coucher de Soleil,<br />
des papillons, une promesse tenue…<br />
Sortie en Italie sous le titre « Loro », qui signifie à la fois l’or et « eux », le<br />
film prend une nouvelle dimension. Celle des « autres ». Finalement peut<br />
être n’est ce tout simplement pas un film sur Silvio mais bien sur les gens qui<br />
l’entourent, le peuple italien. Un peuple qui voulait voir son chef d’état en<br />
prison pour « les crimes des autres ».<br />
Baptiste Andre
47<br />
31/10<br />
DE PAOLO SORRENTINO AVEC TONI SERVILLO, RICCARDO SCAMARCIO... 2H38<br />
SILVIO ET LES AUTRES
48CRITIQ
UES<br />
NOVEMBRE<br />
49
50<br />
07/11<br />
CRAZY RICH ASIANS<br />
DE JON M. CHU. AVEC CONSTANCE WU, HENRY<br />
GOLDING... 2H01<br />
On l’attendant impatiemment, c’était le<br />
film évènement de cette fin d’année car 25<br />
ans après «Le Club de la chance» («The Joy<br />
Luck Club») en 1993, Hollywood continue<br />
sa lancée à l’image du récent «Black Panther»<br />
au casting majoritairement afro-américain<br />
en mettant en avant la communauté<br />
asiatique et plus particulièrement chinoise<br />
à travers l’adaptation du best-seller de<br />
Kevin Kwan du même nom sortie en 2013.<br />
Mondanité, excentricité et jet-set sont au<br />
coeur de «Crazy Rich Asians» qui, à défaut<br />
de révolutionner le genre, a le mérite d’enfin<br />
mettre sur grand écran une communauté peu<br />
représentée (n’en déplaise à certain.e.s) qui<br />
s’inscrit définitivement dans une dynamique<br />
de diversité au <strong>ciné</strong>ma sur laquelle on ne<br />
crache définitivement pas.<br />
Brillante professeure d’économie à NYU,<br />
Rachel Chu s’envole à Singapour en<br />
compagnie de son charismatique petit ami<br />
Nick Young pour le mariage de son meilleur<br />
ami - pour lequel il est également témoin<br />
-. Seule ombre au tableau, Rachel ne sait<br />
rien de la famille de son petit-ami et encore<br />
moins le fait que les Young est l’une des<br />
familles les plus riches du pays et que Nick<br />
est l’un des célibataires les plus convoités.<br />
Une fois arrivés là-bas, le couple va devoir<br />
faire face à un véritable choc des cultures,<br />
des générations et à une famille prête à tout<br />
pour les séparer.<br />
Jon M. Chu («Insaisissables 2») s’empare<br />
d’un best-seller pour nous offrir à l’écran ni<br />
plus ni moins qu’une comédie romantique
51<br />
avec tous ses codes traditionnels mais ce<br />
qui offre à «Crazy Rich Asians» son petit<br />
plus indéniable c’est son cadre idyllique.<br />
Les valises et caméras posées à Singapour,<br />
le film plonge immédiatement dans un<br />
monde et une culture aux antipodes des<br />
Etats-Unis et du New-York dont Rachel avait<br />
l’habitude. Comme l’indique le titre du film,<br />
ils sont tous riches, extrêmement riches si<br />
bien que la famille de Nick peut s’offrir<br />
des maisons gigantesques dans les collines<br />
en hauteur, les dernières créations des<br />
plus grands couturiers, les bijoux les plus<br />
excentriques et les plus inaccessibles. Tout<br />
est absolument démesuré dans le film que<br />
ce soit les décors impériaux, les réceptions<br />
données ou la - sublime - scène de mariage<br />
à la fin. Et au coeur de ce microcosme régit<br />
par l’argent, le bonheur y a finalement peu<br />
de place que ce soit la mère et la grandmère<br />
aux moeurs encore très traditionnels,<br />
Astrid (Gemma Chan) dont le succès - et la<br />
fortune - fait de l’ombre à son mari qui n’est<br />
qu’un simple auto-entrepreneur ou encore<br />
ou le cousin de Nick qui est réalisateur<br />
et qui s’entiche d’une jeune femme dont<br />
le nombre de neurones n’excède pas le<br />
nombre de centimètres de sa jupe et qui a de<br />
quoi gêner la famille. Tout n’est finalement<br />
question que d’apparence dans cette société<br />
où chacun est constamment jugé par les<br />
autres.<br />
Avec sa naïveté et sa joie de vivre revigorante,<br />
Rachel Wu fait véritablement face à un<br />
mur. Une belle-mère qui n’accepte guère<br />
que son fils côtoie une jeune femme aux<br />
origines modestes (elle a été élevé par sa<br />
mère célibataire) et sino-américaine, des<br />
prétendantes prêtes à sortir les griffes et<br />
lui faire les pires coups pour qu’elle quitte<br />
Nick et finalement un univers auquel<br />
elle est totalement étrangère. Une vraie<br />
confrontation a alors lieu. La lumineuse<br />
Constance Wu tient tête face à cette société<br />
à laquelle elle n’appartient pas et ne veut<br />
pas appartenir tout comme la plupart des<br />
protagonistes féminins du film, chacune<br />
à leur manière sont de vraies femmes<br />
fortes et indépendantes qui ont, au final,<br />
chacune leur raison d’être ce qu’elles sont<br />
- le réalisateur évite de catégoriser la bellemère<br />
(Michelle Yeoh) et la grand-mère (la<br />
fabuleuse Lisa Lu) comme des monstres qui<br />
détestent simplement Rachel parce qu’elle<br />
n’est pas de leur monde -.<br />
Aidé par un casting fabuleux à part égales,<br />
une BO enivrante (on retiendra évidemment<br />
l’entêtant Can’t help falling in love» interprété<br />
avec émotion par Kina Granis) et des décors<br />
somptueux, «Crazy Rich Asians» est avant<br />
tout une ode à l’amour, à l’acceptation de<br />
la culture de l’autre et surtout un vrai petit<br />
moment pop, excentrique et coloré aussi<br />
drôle que touchant à l’histoire universelle.<br />
Peut-être pas la romance de l’année mais on<br />
ne boude pas son plaisir face à cette jolie<br />
réussite.<br />
Margaux Maekelberg
52<br />
A une époque où le voyage interstellaire est possible, des<br />
anciens détenus condamnés à mort sont envoyés dans<br />
l’espace en dehors de notre système solaire. Leur mission<br />
initiale qui consiste à aller capturer l’énergie gravitationnelle<br />
d’un trou noir se transforme peu à peu en une expérience<br />
hors du commun.<br />
On le sait, l’espace et le vide cosmique servent de terreau<br />
fertile aux <strong>ciné</strong>astes pour questionner l’humanité, sur<br />
sa condition d’espèce et ses tabous. Les exemples sont<br />
pléthores dans l’histoire du <strong>ciné</strong>ma et il semble que le cahier<br />
des charges formel soit souvent le même : une atmosphère<br />
proche du psychédélisme offrant une expérience avant tout<br />
sensorielle. Et “High Life” y coche toutes les cases. Malgré<br />
les aberrations scientifiques (des outils et des corps qui<br />
chutent dans l’espace), le film de Claire Denis offre des<br />
moments de grâce assez rare au <strong>ciné</strong>ma. Robert Pattinson<br />
se démenant avec sa récente paternité le montre à fleur de<br />
peau et la relation avec sa fille est saisissante (du moins dans<br />
la première partie). Nous assistons avec lui, les yeux pleins<br />
de tendresse, aux premiers pas d’un enfant hors de la Terre.<br />
Puis le récit devient plus glaçant lorsque le personnage de<br />
Monte se débarrasse, dans l’espace, de cadavres que l’on<br />
devine être le restant de l’équipage. Des questions se posent<br />
: qui sont-ils ? Qui est la mère de l’enfant ? Comment sontils<br />
morts ?<br />
Le reste du film et sa narration en flash-back donnera les<br />
réponses les plus factuelles. Et si le début s’inscrit dans la<br />
science fiction, la suite du long métrage va plus chercher<br />
dans le genre du film de prison. Les détenus sont gardés par<br />
Juliette Binoche qui joue ici un personnage entre scientifique<br />
et mère supérieure. C’est la plus âgée du vaisseau, mais<br />
aussi celle qui a commis un crime le plus horrible, ‘’le tabou<br />
ultime’’ selon ses dires : le meurtre de ses enfants, et celui de<br />
son mari. Silhouette fantomatique au calme olympien, elle<br />
se meut en une figure inquiétante dans une scène qui sera<br />
le point d’orgue du film. Dans une salle qui sert de ‘’love<br />
machine’’, Juliette Binoche protège un sex-toy fuselé d’un<br />
préservatif couleur vermeil et le chevauche. La séquence
07/11<br />
CLAIRE DENIS. AVEC JULIETTE BINOCHE, ROBERT PATTINSON...<br />
1H54<br />
HIGH LIFE<br />
DE<br />
dure, et se charge d’un érotisme troublant, allant jusqu’à<br />
ressembler à un sabbat, où l’actrice filmée de dos se met en<br />
transe. La blancheur de sa peau contraste avec le brun de<br />
ses longs cheveux. Si “High Life” promettait un vertige, il est<br />
bien dans cette séquence. Mais ça sera malheureusement la<br />
seule scène du film proposant ainsi une forme d’extase. La<br />
suite s’efforce à raconter une histoire dont les personnages<br />
demeurent des inconnus pour le spectateur, même s’il faut<br />
saluer la prestation de André Benjamin dont on aimerait<br />
voir plus d’apparitions à l’écran. Difficile donc de garder un<br />
véritable intérêt pour ce qui se passe.<br />
Mais si les événement ne sont que ponctuellement<br />
intéressant, on peut saluer le point de vue de Claire Denis<br />
dans ce huis clos spatial. Dans un article d’IndieWire publié<br />
en février 2018, la journaliste Kate Erbland expliquait que<br />
les personnages féminins de la science fiction moderne sont<br />
systématiquement renvoyées au rôle de mère. La journaliste<br />
prend comme exemple les héroïnes de “Gravity”, “Arrival”<br />
et “Cloverfield Paradox”. Et si “High life” porte en lui un<br />
semblant de maternité, il porte aussi des pulsions de mort,<br />
les deux personnages de mères étant soit une meurtrière<br />
soit une suicidaire allant jusqu’à se donner la mort dans<br />
un trou noir. Claire Denis offre donc une exploration de<br />
leur pulsion destructrice, chose plus commune chez les<br />
personnages masculins de fiction. Le père du film, Robert<br />
Pattinson, se retrouve donc seul à élever sa fille. Vie, sexe,<br />
mort, tels sont les thèmes qui s’entremêlent et irriguent le<br />
récit.<br />
La fin du film laisse un goût étrange. Si le vertige des sens<br />
est là pour au moins une scène, le reste passe, se produit,<br />
de façon totalement désincarné et amoindri le propos sur<br />
la difficulté de créer de la vie au sens large dans l’espace.<br />
Pas vraiment le trip cosmique attendu, mais pas quelque<br />
chose d’oubliable non plus, “High life” s’avère être une<br />
expérience aride, où le sublime côtoie l’ennui.<br />
Mehdi Tessier<br />
53
Après la très bonne surprise qu’était “La cabane dans les<br />
bois”, Drew Goddard revient avec un casting riche pour un<br />
film qui l’est tout autant. Imaginez un hôtel, construit sur la<br />
frontière du Nevada et de la Californie où toute la crème<br />
des 60’s aimait venir se donner du bon temps. Maintenant<br />
prenez ce même hôtel, 10 ans plus tard, où le fait que quatre<br />
inconnus viennent inscrire leur nom (ou pas) sur le registre<br />
pour y passer la nuit soit déjà un évènement.<br />
Il serait difficile de résumer l’intrigue du film en quelques<br />
lignes, tant le scénario regorge de rebondissements. Quoi<br />
qu’il en soit, le film nous aspire dans ce jeu de piste aux allures<br />
d’Agatha Christie, où tout le monde prétend être quelqu’un<br />
qu’il n’est pas. Un prêtre, un vendeur d’aspirateurs, une<br />
chanteuse, une jeune femme visiblement pressé et le gérant<br />
qui a lui un problème avec la ponctualité, tout ce beau<br />
monde se voit disséqué par l‘intrigue pour nous révéler leur<br />
seconde facette.<br />
Drew Goddard s’amuse de ce motif du double et fait de son<br />
film un véritable jeu de piste stimulant pour son spectateur,<br />
qu’il expose également. Le voyeurisme de ces personnages<br />
renvoi directement aux spectateurs qui regarde une scène<br />
se dérouler sous ses yeux sans lever le petit doigt. Vitre sans<br />
tain, judas, reflets, studio d’enregistrement, la réalisation<br />
s’amuse avec cela et nourrit le film d’un sentiment malsain.<br />
Sentiment malsain qui est d’autant plus appuyé que lorsque<br />
l’on découvre les vrais activités de l’hôtel, plusieurs fois<br />
qualifiées de ‘’pervers’’ le long du film.<br />
Bien que rythmé par une mise en scène et un montage en<br />
chapitre, le film trouve une faille dans sa dernière partie<br />
qui se trouve être une sorte de ‘’fourre-tout’’ et laisse un<br />
sentiment de ‘’rush’’ dans un final qui aurait gagné à garder<br />
l’aspect huis clos, qui nous gardait jusqu’alors en haleine,<br />
plutôt qu’à terminer sur quelque chose d’aussi grandiose<br />
qu’il ne le fait.<br />
Baptiste Andre<br />
54<br />
DE DREW GODDARD. AVEC JEFF BRIDGES,<br />
CYNTHIA ERIVO... 2H15
55<br />
07/11<br />
SALE TEMPS À<br />
L’HÔTEL EL ROYALE
14/11<br />
LES ANIMAUX<br />
FANTASTIQUES<br />
2 DE<br />
DAVID YATES. AVEC EDDIE REDMAYNE,<br />
KATHERINE WATERSTON... 2H14<br />
56<br />
Dire qu’on attendait ce second opus des<br />
Animaux Fantastiques était un euphémisme.<br />
Dire qu’on attendait ce second opus<br />
des Animaux Fantastiques lorsqu’on est<br />
‘’Potterhead’’ est un putain d’euphémisme.<br />
Nouvelle saga qui comptera au final cinq<br />
films, le premier opus est apparu sur nos<br />
écrans il y a pile deux ans, à ce moment-là<br />
on quittait Norbert Dragonneau qui repartait<br />
en Europe après avoir bien saccagé New-<br />
York tandis que le gouvernement magique<br />
américain capturait Gellert Grindelwald et<br />
que ce dernier promettait de s’échapper<br />
de manière spectaculaire pour se venger.<br />
Le second opus s’ouvre donc quelques<br />
mois après ces derniers évènements et<br />
honnêtement, on a connu mieux.<br />
Par où commencer ? Excellente question<br />
tant il y a de choses à aborder sur le cas<br />
«Les Animaux Fantastiques 2» mais comme<br />
on est sympa on va commencer par ce qui<br />
est bien dans le film parce que oui il y a des<br />
trucs biens, pas dingue mais assez sympas<br />
pour être relevés. Là où le premier opus se<br />
plaçait beaucoup plus dans une dynamique<br />
humoristique avec quelque chose de plus<br />
léger (tout en gardant quand même une part<br />
de sérieux), le second volet gomme presque<br />
complètement l’aspect humour - excepté<br />
quelques scénettes qui nous font sourire -<br />
pour se tourner résolument plus vers quelque<br />
chose de dramatique et introduire doucement<br />
la bataille épique qui aura lieu entre Albus<br />
Dumbledore et Gellert Grindelwald tout en<br />
se penchant sur les plans machiavéliques<br />
de Grindelwald afin de contrôler le monde<br />
et détruire les Moldus et plus globalement<br />
quiconque se mettrait en travers de notre<br />
chemin (un peu un Voldemort extrémiste
57<br />
quoi). L’esprit Harry Potter est toujours aussi<br />
présent et les nostalgiques se raviront de la<br />
présence d’Albus Dumbledore jeune à qui<br />
l’excellent Jude Law prête ses traits et des<br />
quelques scènes tournées dans Poudlard.<br />
Enfin certaines scènes ont - excusez<br />
notre langage - de la gueule notamment<br />
l’une des dernières scènes où Norbert et<br />
ses compagnons combattent un Gellert<br />
Grindelwald plus puissant que jamais et<br />
que chacun est obligé de choisir son camp.<br />
Visuellement époustouflant, ce combat est<br />
probablement l’un des moments phares de<br />
ce film et on est loin de bouder notre plaisir<br />
face à ce spectacle.<br />
Sauf que cette scène arrive à la fin et<br />
qu’entre-temps on est quand même obligé<br />
de se taper près de 2h de film par moment<br />
indigeste. Décidément les scènes d’actions<br />
n’ont pas vraiment la côte au <strong>ciné</strong>ma que<br />
ce soit la course-poursuite dans «Venom»<br />
ou la bagarre contre le gros méchant alien<br />
dans la forêt dans «The Predator», la toute<br />
première scène des «Animaux Fantastiques<br />
2» correspond à la fuite de Grindelwald, le<br />
tout filmé (si tenté que ça a été réellement<br />
filmé) de manière à ce qu’on y voit que dalle<br />
alors que c’était quand même censé être une<br />
évasion spectaculaire, tout ce qu’on voit<br />
c’est juste beaucoup de flotte et d’éclairs.<br />
M’enfin le plus gros problème du film<br />
réside surtout dans son scénario aussi mal<br />
écrit que mal exploité en faisant revenir des<br />
personnages censés être mort en nous offrant<br />
une explication aussi évasive qu’inutile et en<br />
décidant de condenser quarante plot twist<br />
en l’espace de même pas 20 minutes de<br />
quoi laisser perplexe et un brin perdu aussi<br />
sachant que certains propos ne semblent pas<br />
correspondre avec ce qu’on savait déjà à la<br />
fin de «Les reliques de la mort partie 2». Sans<br />
pour autant s’étendre sur ce sujet, la plupart<br />
des personnages manquent terriblement<br />
de fond de quoi nous faire parfois tourner<br />
en rond pour trois fois rien (on retiendra la<br />
scène dans les archives tout ça pour que<br />
Norbert dise à Tina qu’elle a les yeux d’une<br />
salamandre, on est d’accord on a connu<br />
plus romantique et surtout plus intéressant<br />
sachant que Grindelwald menace un peu<br />
de détruire le monde) tandis que d’autres<br />
personnages ont décroché le rôle de figurant<br />
dans cet opus (coucou Ezra Miller et les<br />
dits animaux fantastiques qui sont devenus<br />
totalement accessoire dans le film mais dont<br />
on est obligé de garder le titre maintenant<br />
sinon ça deviendrait un peu le bordel). À<br />
trop vouloir de personnages tout en sachant<br />
sur quel plot twist se terminera le film on<br />
se retrouve avec un film avec beaucoup<br />
de monde et finalement pas énormément<br />
d’explication sur ce qui se passe. Très mal<br />
équilibré dans son scénario, le film ne peut<br />
que se raccrocher à ce plot twist de fin (assez<br />
fou il faut bien l’accorder) qui laisse présager<br />
- espérons-le - un troisième opus beaucoup<br />
plus intéressant et peut-être même encore<br />
plus sombre.<br />
À plus considérer comme un épisode de<br />
transition qu’autre chose, «Les Animaux<br />
Fantastiques 2» nous offre de jolis moments<br />
dans sa dernière partie nous rappelant les<br />
grandes heures des batailles épiques dans<br />
Harry Potter mais souffre considérablement<br />
d’un scénario mal écrit et qui n’avait<br />
décidément pas besoin de durer 2h14.<br />
Margaux Maekelberg
58<br />
14/11<br />
Avant même que le film n’ai le droit à une<br />
quelconque bande-annonce ou teaser,<br />
le projet «Suspiria» de Luca Guadagnino<br />
soulevait bien des interrogations et des<br />
frayeurs. Celui qui a attiré tous les regards en<br />
début d’année avec son fabuleux «Call me<br />
by your name» revient en cette fin d’année<br />
«Suspiria» du même nom que celui de<br />
1977 réalisé par Dario Argento et qui s’est<br />
rapidement hissé au rang d’incontournable<br />
pour les <strong>ciné</strong>philes les plus aguerris. De quoi<br />
effrayer encore plus les fidèles amoureux<br />
de la version d’Argento. Pour sa version<br />
2018, Luca Guadagnino reprend les mêmes<br />
ingrédients (même histoire) pour réussir à y<br />
insuffler sa patte. Radicalement différent.<br />
Et si le secret était que Luca Guadagnino était<br />
fan du «Suspiria» de Dario Argento ? Loin<br />
de vouloir simplement surfer sur le nom de<br />
ce chef-d’oeuvre, le réalisateur italien qui a<br />
découvert le film lorsqu’il avait 6 ans nous<br />
en offre sa propre vision. Certains éléments<br />
restent les mêmes : Susie Bannion, jeune<br />
danseuse américaine débarque à Berlin en<br />
espérant intégrer la prestigieuse compagnie<br />
de danse Helena Markos alors que de<br />
mystérieux évènements ont lieu au coeur<br />
de cette école où s’entremêlent intimement<br />
danse et sorcellerie.<br />
Ce qui démarquait le «Suspiria» de Dario<br />
Argento - et qui nous frappe encore<br />
aujourd’hui au visionnage du film - est sa<br />
sur-esthétisation avec ses saturations de<br />
couleurs et notamment de rouge ainsi que<br />
sa bande-son stridente qui nous pétrifiait<br />
dès les premières secondes. Guadagnino dit<br />
adieu à tout ça en y imposant sa patte assez<br />
semblable à «Call me by your name» avec<br />
des couleurs beaucoup plus douces voir<br />
parfois même absolument désaturées pour<br />
SUSPIRIA<br />
offrir un cadre beaucoup plus réaliste à<br />
Susie Bannion. Beaucoup moins agressif - à<br />
prendre dans le bon sens du terme - que son<br />
prédécesseur, «Suspiria» s’inscrit beaucoup<br />
plus dans un réalisme qui réussit à être<br />
tout aussi angoissant de par l’atmosphère<br />
distillée doublée par une BO de Thom Yorke<br />
(le leader de Radiohead rien que ça) qui,<br />
dans un tout autre style, sait parfaitement<br />
retranscrire cette angoisse grandissante qui<br />
naît en nous au fur et à mesure du film.<br />
Le réalisateur réussit le tour de main de se<br />
détacher totalement de l’oeuvre originale<br />
en déplaçant déjà son action à Berlin en
59<br />
qui frôle largement avec l’insoutenable).<br />
Le sacrifice du corps pour arriver au stade<br />
de l’art, une philosophie qui s’applique<br />
totalement à la danse où les blessures ne se<br />
comptent guère plus. Guadagnino sublime<br />
cet art qu’est la danse notamment dans la<br />
scène de la représentation qui a lieu dans<br />
l’école devant le public, un vrai tour de<br />
force aussi magnifique que transcendant.<br />
DE LUCA GUADAGNINO. AVEC DAKOTA<br />
JOHNSON, MIA GOTH... 2H32<br />
1977 alors que la capitale est coupée en<br />
deux et qu’elle est en proie aux attentats de<br />
la bande à Baader. Dans ce cadre politique<br />
déjà oppressant, Luca Guadagnino fait de<br />
la danse l’élément central de son film là<br />
où Argento n’en avait finalement fait qu’un<br />
détail avec quelques scènettes de danse qui<br />
n’ont pas d’impact sur l’histoire. L’art des<br />
corps est un art que sait exercer avec brio<br />
Guadagnino, déjà observé dans «Call me<br />
by your name» où la sensualité des corps<br />
transperçait l’écran, cette fois il pousse le<br />
curseur à l’extrême dans la maltraitance<br />
de ses corps à travers la danse allant ainsi<br />
jusqu’au démembrement (une longue scène<br />
Cependant Guadagnino n’oublie pas pour<br />
autant son prédécesseur en lui rendant<br />
hommage dans cette dernière partie de film<br />
qui s’apparente beaucoup plus au «Suspiria»<br />
d’Argento avec cette effervescence<br />
d’esthétisme, de rouge sang et de caméra<br />
presque en transe. C’est divin, c’est sublime<br />
et le film offre une palette de personnages<br />
exquis que ce soit Dakota Johnson (Susie)<br />
qui tient là son plus beau et plus profond<br />
rôle à ce jour (le magnétisme que dégage<br />
cette actrice reste assez dingue malgré le<br />
petit incident de parcours «50 Nuances»),<br />
Mia Goth qui n’a besoin que d’un regard<br />
pour exprimer ses émotions ou encore Tilda<br />
Swinton, fidèle du <strong>ciné</strong>ma de Guadagnino,<br />
qui n’a décidément plus rien à prouver.<br />
Le «Suspiria» version 2018 est un film qui<br />
se vit au plus profond des tripes autant qu’il<br />
se laisse regarder autant avec délectation<br />
qu’horreur. Relecture absolue - ou ‘’reprise’’<br />
comme l’évoquait Tilda Swinton - du chefd’oeuvre<br />
de 1977, Luca Guadagnino ne<br />
fait pas mieux que son prédécesseur mais<br />
tout aussi bien et honnêtement vu le projet<br />
casse-gueule qu’il était à ses débuts, on ne<br />
peut que saluer la performance.<br />
Margaux Maekelberg
21/11<br />
MAUVAISES HERBES<br />
DE KHEIRON. AVEC KHEIRON, CATHERINE<br />
DENEUVE... 1H40<br />
60<br />
Un brin éclipsé par des grosses sorties<br />
auparavant - et accessoirement la fin des<br />
vacances - (le film français «Mon Roi»<br />
qui avait dépassé les 600 000 entrées et<br />
le blockbuster «Seul sur Mars» aux deux<br />
millions d’entrées), «Nous trois ou rien» le<br />
premier film de l’humoriste Kheiron sorti en<br />
2015 avait injustement cumulé seulement<br />
396 000 entrées alors que sa première<br />
réalisation méritait bien quelques entrées de<br />
plus (en plus d’être méchamment snobé aux<br />
Césars par la suite). De toute façon si vous<br />
l’avez raté il repasse ce soir sur M6 alors<br />
profitez-en et de toute façon il n’y a jamais<br />
rien d’intéressant à la télé le jeudi soir<br />
(c’est un fait). Cette année, le bonhomme<br />
est repassé devant et derrière la caméra<br />
pour son second long-métrage «Mauvaises<br />
Herbes».<br />
Waël, un ancien enfant des rues vit en<br />
banlieue de petites arnaques - sans grande<br />
gravité - qu’il réalise avec Monique,<br />
une femme à la retraite avec qui il a<br />
énormément d’affinités. Suite à un drôle<br />
de concours de circonstances suite à une<br />
énième arnaque, Monique retrouve Victor<br />
une ancienne connaissance qui propose à<br />
Waël de s’occuper d’un groupe de jeunes<br />
expulsés de leur établissement pour cause<br />
d’absentéisme, insolence ou même port<br />
d’arme. Une rencontre explosive entre<br />
«mauvaises herbes» qui va surtout donner<br />
naissance à une petite pépite du <strong>ciné</strong>ma<br />
français.<br />
L’exercice du premier long-métrage n’est<br />
pas facile mais Kheiron avait relevé le défi<br />
haut la main. Par contre l’exercice du second<br />
long-métrage - surtout lorsque le premier<br />
est aussi excellent - est encore plus cassegueule<br />
donnant ainsi l’occasion de réitérer<br />
son exploit et inscrire son nom dans le futur<br />
du <strong>ciné</strong>ma français ou au contraire se planter<br />
totalement. Avec Kheiron on retiendra donc<br />
la première option qui confirme donc bien<br />
ce qu’on pensait déjà il y a trois ans : le<br />
bonhomme en a sous le pied et le <strong>ciné</strong>ma<br />
français peut compter sur lui pour relever le<br />
niveau de comédies actuel (qui frôle le néant<br />
même s’il est de temps en temps sauvé par<br />
des petites merveilles comme «En Liberté !»<br />
pour ne citer que celui-là sorti récemment).<br />
Car en seulement deux films, Kheiron nous<br />
prouve toute l’étendue de son talent déjà<br />
en tant que réalisateur, acteur mais surtout
61<br />
scénariste (triple casquette qu’il occupe sur<br />
ses deux films) avec un véritable sens de<br />
l’écriture emplit d’intelligence et d’humour<br />
- les dialogues de «Mauvaises Herbes» sont<br />
à tomber -. Un début de filmographie qui<br />
se veut surtout très personnel là où dans<br />
«Nous trois ou rien» Kheiron portait à<br />
l’écran l’histoire de ses parents, «Mauvaises<br />
Herbes» s’inspire de ses quelques années<br />
en tant qu’éducateur.<br />
Dramédie sociale qui se veut optimiste<br />
(dixit Victor Hugo en début de film : Mes<br />
amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises<br />
herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que<br />
de mauvais cultivateurs.), Kheiron y<br />
incarne avec justesse et émotion un petit<br />
arnaqueur un peu en perdition alors qu’il<br />
est obligé de s’improviser éducateur pour<br />
une bande de jeunes probablement tout<br />
aussi paumés que lui. Comme dans son<br />
précédent film, «Mauvaises Herbes» rend<br />
un vibrant hommage à ces personnes du<br />
social capables du meilleur pour aider son<br />
prochain tout en mettant au premier plan<br />
cette idée d’apprentissage et de transmission<br />
d’autant plus nécessaire auprès de ces<br />
jeunes que le système rejette en bloc au<br />
lieu de les aider. Stage obligatoire pour les<br />
six jeunes, il se transformera rapidement<br />
en stage initiatique où l’on découvrira<br />
par parcimonie les problèmes et démons<br />
qu’ils rencontrent au quotidien pour mieux<br />
les déjouer et en ressortir plus grand. En<br />
parallèle le film explore habilement le passé<br />
de Waël à travers quelques flashbacks (qui<br />
nous rappelle à certains moments «Lion»<br />
avec Dev Patel) afin de mieux cerner le<br />
personnage et les épreuves qu’il a subit tout<br />
au long de sa jeunesse.<br />
En plus d’être entouré d’incroyables acteurs<br />
pour qui «Mauvaises Herbes» est leur<br />
première expérience au <strong>ciné</strong>ma - de quoi<br />
apporter un véritable vent de fraicheur<br />
moderne -, Kheiron est accompagné de deux<br />
monstres du <strong>ciné</strong>ma français : Catherine<br />
Deneuve et André Dussollier. Véritable<br />
moment d’échange, «Mauvaises Herbes»<br />
s’équilibre par des échanges que ce soit<br />
entre Waël et les jeunes, Waël et Monique ou<br />
encore Monique et Victor d’où se dessinent<br />
les prémices d’une histoire d’amour.<br />
«Mauvaises Herbes» c’est finalement un<br />
film sur le seconde chance, une seconde<br />
chance pour l’amour, une seconde chance<br />
pour la vie.<br />
Kheiron impressione et brille par<br />
l’intelligence de ses films. Populaire sans<br />
être grossier et touchant sans être pathos,<br />
«Mauvaises Herbes» est la belle surprise<br />
de cette fin d’année et confirme le statut<br />
de réalisateur de qualité à Kheiron, de quoi<br />
nous donner envie de le revoir rapidement<br />
derrière la caméra et en espérant que cette<br />
fois les Césars ne le snobera pas (une fois<br />
mais pas deux s’il-vous-plaît.<br />
Margaux Maekelberg
21/11<br />
YOMEDDINE<br />
DE<br />
A.B SHAWKY. AVEC RADY GAMAL, AHMED ABDELHAFIZ... 1H37<br />
62
63<br />
Après trois courts-métrages entre 2008 et et 2012, le réalisateur austroégyptien<br />
A.B Shawky ne fait pas les choses à moitié puisque son premier<br />
long-métrage Yomeddine se retrouve en compétition officielle. Et le moins<br />
qu’on puisse dire c’est que pour un premier essai le jeune homme s’en sort<br />
pas trop mal du tout avec un incroyable road-movie aussi touchant qu’il est<br />
vivifiant.<br />
Beshay est un lépreux qui vit depuis sa jeunesse dans la léproserie du désert<br />
égyptien mais à la mort de sa femme, il décide de se mettre en route avec son<br />
âne en quête de réponses et peut-être retrouver sa famille qui l’a abandonné<br />
là-bas il y a bien des années. Avec lui, le jeune Obama, orphelin nubien qui<br />
le suit comme son ombre l’accompagne dans cette aventure qui l’amènera à<br />
se poser des questions sur soi et sa place dans la société.<br />
Yomeddine signifie en arabe « le jour du jugement dernier » et bien que le<br />
film n’a pas de prime abord une portée religieuse, ce jour est l’un des jours les<br />
plus attendus pour Bershay puisqu’une fois mort tous les êtres humains seront<br />
jugés pour ce qu’ils ont fait, pas pour ce qu’ils sont. Une fois en dehors du «<br />
cocon » que crée la léproserie, Beshay fait face à la dure réalité, même s’il est<br />
guérit de la lèpre, les cicatrices resteront à vie tout comme le regard des gens<br />
que ce soit les femmes qui lui demande de ne pas se baigner dans l’eau de<br />
la rivière pour ne pas la contaminer – alors qu’elle fait baigner sa vache – ou<br />
un prisonnier qui refuse d’être dans la même cellule que lui si bien que son<br />
comparse Obama fabrique pour lui un chapeau avec un voile pour cacher<br />
son visage aux autres.<br />
Tout était réuni sur papier pour effrayer le spectateur à l’idée d’un film larmoyant<br />
tirant sur toutes les cordes sensibles et imaginables mais A.B Shawky refuse de<br />
tomber dans l’apitoiement, ponctuant ses dialogues de boutades que ce soit<br />
sur les autres ou sur les handicapés. Ce road-movie tient à bout de bras grâce<br />
à Rady Gamal dont c’est la première fois devant une caméra et qui a pourtant<br />
déjà l’étoffe d’un acteur à la fois drôle, touchant et d’une énergie contagieuse<br />
capable de déplacer des montagnes. A ses côtes le jeune Ahmed Abdelhafiz<br />
offre une véritable fraîcheur au film de par sa joie de vivre et son entêtement<br />
à rester avec Beshay qu’il considère comme une figure paternelle après s’être<br />
échappé d’un orphelinat où il se faisait battre par les autres élèves.<br />
Véritable road-movie de deux êtres brisés par la vie qui ne trouveront le salut<br />
qu’après un chemin semé de sacrées embûches, «Yomeddine» n’en reste<br />
pas moins un film d’un amour débordant pour ces personnes rejetées de la<br />
société, solaire et qui fait sacrément du bien.<br />
Margaux Maekelberg
64<br />
21/11<br />
AGA<br />
DE MILKO LAZAROV. AVEC MIKHAIL<br />
APROSIMOV, FEODOSIA IVANOVA… 1H32
65<br />
Nanouk et Sedna sont les derniers édifices d’une tribu désormais<br />
disparus. C’est dans les contrées reculées de la Iakoutie au nord<br />
de la Sibérie que le bulgare Milko Lazarov pose sa caméra<br />
face à Nanouk et Sedna, un couple de cinquantenaire vivant<br />
à l’écart de la civilisation moderne dans leur yourte avec leur<br />
chien. D’abord film contemplatif effleurant les contours du<br />
documentaire, «Aga» crée la surprise en prenant le virage du<br />
drame dans son dernier tiers.<br />
Caméra fixe, on observe longuement Nanouk partir chaque<br />
matin creuser la glace pour pêcher du poisson, récupérer de l’eau<br />
potable et relever les différents pièges à gibiers qu’il a installé<br />
alors que sa femme Sedna s’occupe à tisser des filets de pêche,<br />
tanne les peaux des renards des neiges que son mari a attrapé et<br />
fabrique des vêtements. Sauf que derrière cette paisible routine,<br />
Nanouk perd peu à peu la mémoire tandis que Sedna soigne<br />
comme elle peut sa plaie béante noircie sur son flanc. Dans un<br />
écrin d’une pureté quasiment irréelle où ciel et terre se confondent<br />
dans un blanc immaculé, Milko Lazarov esquisse doucement un<br />
drame portant autant sur le réchauffement climatique (la pêche<br />
n’est plus si fructueuse qu’avant, le printemps arrive plus tôt que<br />
prévu), le déchirement de la sphère familiale et des traditions<br />
familiales (Nanouk et Sedna sont en froid avec leur fille Aga<br />
qui a décidé de travailler dans l’immense mine de diamants de<br />
Mirny) que la disparition d’une civilisation (Nanouk et Sedna<br />
sont seuls au monde dans cette étendue glaciale).<br />
Leur seul lien avec le ‘’monde moderne’’ est lors des visites de<br />
Chena qui vient leur apporter du bois et du fuel et en profite pour<br />
donner des nouvelles de leur fille. On comprend alors que leurs<br />
liens ont été rompu lorsque cette dernière a décidé de quitter<br />
sa famille et leur mode de vie séculaire pour un travail stable.<br />
Filmé comme la dernière famille du monde, «Aga» ne fait jamais<br />
volte-face à ses problématiques sous-jacentes mais les aborde<br />
à travers une chronique familiale sensible - mais jamais pathos<br />
-, contemplative - mais jamais statique - et symbolique - mais<br />
jamais exagérée - où deux mondes s’entrechoquent - l’ancien et<br />
le nouveau - et où la bataille est malheureusement déjà perdue<br />
d’avance.<br />
Margaux Maekelberg
LE GRINCH<br />
66<br />
Dix-huit ans après la version de Ron<br />
Howard, le célébrissime grincheux Grinch<br />
est de retour mais cette fois-ci sous des traits<br />
animés afin de ravir les plus jeunes en cette<br />
jolie fin d’année. Reprenant les grandes<br />
lignes du succès de 2000, la version de Scott<br />
Mosier (à qui l’on doit notamment «Comme<br />
des bêtes») et Yarrow Cheney prend<br />
cependant ses distances avec son aîné dans<br />
un traitement des fêtes de fin d’année sur<br />
le ton de la rigolade contrairement à Ron<br />
Howard qui a - tant bien que mal - essayé<br />
(?) de dénoncer l’aspect mercantile de Noël.<br />
Les habitants de Chouville ne jurent que par<br />
Noël et encore plus cette année lorsqu’ils<br />
décident que Noël sera trois fois plus grand,<br />
plus imposant, plus bruyant. S’en est trop<br />
pour le Grinch perché dans les montagnes<br />
qui décide de mettre un terme à cette fête<br />
qu’il déteste plus que tout au monde. Il volera<br />
leur Noël en compagnie de son fidèle chien<br />
Max et d’un drôle de renne pour donner<br />
aux Chous une bonne leçon mais c’était<br />
sans compter sur l’intrépide Cindy Lou qui<br />
prépare tout un plan afin de capturer le Père<br />
Noël et lui toucher deux mots concernant<br />
ses cadeaux de Noël.<br />
Lorsqu’on revoit «Le Grinch» de Ron Howard,<br />
il est flagrant d’observer la ‘’critique’’<br />
et l’aspect totalement mercantile que le<br />
Grinch dénonce lors d’un long monologue<br />
alors que le Maire et les Whos célèbrent<br />
Noël à travers cadeaux plus extravagants les<br />
uns que les autres et gavages intempestifs.<br />
Une critique qu’on aurait voulu à l’époque<br />
peut-être un peu plus poussée pour éviter<br />
de faire du film un simple Christmas movie<br />
kitsch au possible. Exit cette idée dans «Le<br />
Grinch» version 2018 qui préfère s’adresser<br />
forcément aux plus jeunes dans une version<br />
où le Grinch déteste Noël non pas à cause<br />
de ses camarades de classe moqueurs mais
28/11<br />
DE SCOTT MOSSIER ET YARROW CHENEY. AVEC LA VOIX DE LAURENT LAFITTE. 1H30<br />
du fait qu’il est orphelin et n’a jamais fêté<br />
Noël tout simplement, moins d’interactions<br />
se créent entre le Grinch et Cindy Lou qui,<br />
à contrario de la Cindy Lou de 2000, est<br />
beaucoup plus intrépide et indépendante.<br />
Beaucoup de scènes du film original se<br />
retrouvent dans le film d’animation jusqu’à<br />
son esthétique entre la haute montagne<br />
refuge de la créature ou la ville tout droit<br />
sortie d’une boule à neige aussi kitsch que<br />
délicieux. Chose marrante à noter, cette<br />
fois-ci Cindy Lou fait partie d’une famille<br />
monoparentale avec ses deux frères et sa<br />
mère absolument débordée par la situation,<br />
ce qui va d’ailleurs pousser la petite à<br />
kidnapper le Père Noël pour lui demander<br />
un cadeau bien spécial.<br />
d’année. Un joli conte pour les plus jeunes,<br />
déjà un peu plus vu et revu pour les plus<br />
grands mais la magie de l’animation arrive à<br />
faire son effet et le film a au moins la qualité<br />
d’assumer à 100% son côté humoristique<br />
là où le film de 2000 n’a jamais trop su<br />
où se placer (pour au final atterri dans la<br />
catégorie film de Noël kitsch - mais non<br />
moins sympathique pour autant -).<br />
Margaux Maekelberg<br />
«Le Grinch» 2018 aborde finalement<br />
bien moins l’aspect social (le rejet de la<br />
différence) pour célébrer le pur esprit de<br />
Noël et d’amour à l’approche des fêtes de fin<br />
67
68<br />
Robin des bois fait partie de ces figures<br />
culturelles réinterprétées à toutes les sauces<br />
sur grand écran. Il n’est donc guère étonnant<br />
de revoir le fameux archer revenir pour une<br />
nouvelle mouture plus ‘’moderne’’. C’est<br />
en effet Taron ‘’Kingsman’’ Egerton qui<br />
endosse la capuche dans un long-métrage<br />
au visuel plus ‘’sombre’’, moderne mais<br />
surtout plus américain dans sa conception<br />
que britannique. Quand on suit Robin en<br />
croisade, on est dans une imagerie de GIs<br />
œuvrant en Afghanistan avec des arcs plus<br />
proches de la mitrailleuse, le tout dans un<br />
décor rappelant les manœuvres militaires<br />
américaines à l’étranger. Les protestations<br />
populaires reprennent également l’actualité<br />
et des manifestations de mouvements<br />
contemporains. Visuellement, on est donc<br />
dans un raccord actuel avec ce qu’il faut de<br />
trahison historique pour tenter d’accrocher<br />
le spectateur. Le narrateur annonce<br />
clairement un appel à la suspension de<br />
crédulité, déclarant ne pas donner un cours<br />
d’histoire ou une histoire pour enfant.<br />
En cela, le film se rapproche plus d’un<br />
«Batman Begins» que la version Disney. Le<br />
héros est plus communément appelé Hood<br />
et agit tel le Caped Crusader. Cela semble<br />
logique au vu de l’inspiration de l’archer sur<br />
l’homme chauve-souris mais il est difficile<br />
de ne pas y voir une tentative visuelle de<br />
reprendre le succès des Batman de Nolan,<br />
avec un ton plus ‘’réaliste’’ jouant en sa<br />
défaveur. C’est pourtant dommageable tant<br />
le film a des idées thématiques posées sans<br />
être concrètement exploitées : ce raccord<br />
à l’actualité précédemment évoqué, le<br />
traitement religieux ou encore ce rapport<br />
28/11<br />
ROBIN DE<br />
à l’économie encore une fois lié à une<br />
volonté d’aborder l’histoire par un angle<br />
contemporain. Si les idées sont présentes,<br />
l’application échoue néanmoins à leur<br />
donner plus de substance, ce qui est triste<br />
pour un film qui aurait besoin d’en avoir<br />
plus.<br />
Si dans ses détails, «Robin Hood» intrigue,<br />
il manque de quelque chose de fort d’un<br />
point de vue global. On pense par instants<br />
à la relecture précédente de Ridley Scott<br />
ou encore à l’adaptation du «Roi Arthur»<br />
par Guy Ritchie. Mais une nouvelle fois, la<br />
comparaison n’aide en rien : le réalisateur<br />
d’»Alien» avait au moins une envie<br />
d’ampleur dans ses scènes de batailles<br />
et celui de «Sherlock Holmes» une furie
69<br />
S BOIS<br />
visuelle et énergique qui le distinguait du<br />
tout-venant blockbusteresque avec une<br />
approche fantasy qui aura déplu mais qui<br />
aura eu le mérite d’être tenté (espérons<br />
que son échec soit relativisé dans quelques<br />
années). Ici, tout est calibré pour amener une<br />
nouvelle licence (la fin ne fait que souligner<br />
une envie de suite) et tente de cocher les<br />
cases sans trouver la flamme permettant au<br />
tout de vivre. Et ce n’est pas une mise en<br />
scène peu inventive ou bien trop appuyée<br />
dans certains clichés qui va aider. Un flashback<br />
hallucinatoire joue du gros plan avec<br />
la subtilité des blagues de Cyril Hanouna,<br />
une poursuite en chevaux rappelle le «Ben<br />
Hur» de Timur Bekmambetov et deux plans<br />
montrant une charrette se faire voler sont<br />
DE OTTO BATHURST. AVEC TARON EGERTON,<br />
JAMIE FOXX… 1H56<br />
visiblement filmés avec un autre type de<br />
caméra pour éviter les coûts mais avec un<br />
grain tellement flou qu’il fait amateur.<br />
Que reste-t-il donc de ce «Robin Hood» ?<br />
Un casting qui tente (Ben Mendelsohn<br />
s’amuse autant dans son cliché de méchant<br />
‘’lamentable’’) et des idées de scénario mal<br />
concrétisées. Sans être un divertissement<br />
faisant saigner les yeux, le film est tant<br />
oubliable qu’il donnera plus envie de revoir<br />
d’autres versions de Robin des Bois et ne<br />
devrait rester que de manière éphémère<br />
dans les mémoires de spectateur. Il ne reste<br />
plus qu’à voir s’il saura voler le box-office<br />
pour voir d’autres aventures d’Egerton en<br />
archer…<br />
Liam Debruel
70<br />
Depuis les recettes faramineuses d’«Alice au pays des merveilles»<br />
en 2010 (plus d’un milliard de dollars à travers le monde), Disney<br />
cherche absolument à retrouver la réussite financière du film avec<br />
la relecture de récits populaires. Que ce soit ses adaptations live de<br />
classiques d’animation ou de récits populaires, ces derniers partageant<br />
régulièrement une même atmosphère visuelle que beaucoup qualifient<br />
de kitsch. C’est dans cette dernière catégorie que se range ce «Casse-<br />
Noisette», nouvelle version du ballet de Tchaïkovski remis au goût du<br />
jour par le studio aux grandes oreilles. Et le moins que l’on puisse dire,<br />
c’est que le spectacle est visuellement généreux dans sa production<br />
design colorée. Le film est souvent à la limite de la surcharge mais n’y<br />
tombe jamais, grâce à la maîtrise de Lasse Hallström («Le chocolat») et<br />
Joe Johnston (le trop sous-estimé «Wolfman»). Cela amène à quelques<br />
fulgurances, comme ce plan d’ouverture cherchant à ramener l’enfant<br />
en nous par le biais d’un plan séquence dans les rues d’un Londres<br />
Dickensien. Malheureusement, certains visuels n’ont pas le temps<br />
d’exister, souffrant d’une durée trop courte pour saisir au mieux<br />
l’ampleur du projet.<br />
Au niveau de l’intrigue, celle-ci rappelle également le film de Burton<br />
avec cette même quête initiatique d’une jeune femme qui profitera<br />
de ce voyage dans un autre monde pour avancer dans son deuil<br />
familial et s’affirmer par son indépendance. Mackenzie Foy porte à<br />
merveille son personnage, tout comme le reste du casting. On notera la<br />
prestation de Keira Knightley, dans le ton du film : à la limite du surjeu<br />
et semblant s’amuser dans le personnage haut en couleur de la Fée<br />
Dragée. Malheureusement, rien ne vient réellement retourner l’histoire<br />
du film, même un twist assez prévisible. C’est dans les détails que<br />
l’on notera l’intérêt, notamment une narration de l’histoire des Quatre<br />
Royaumes par le biais d’un ballet. En plus de se rattacher à l’œuvre<br />
de Tchaïkovski (comme un magnifique générique), elle s’avère moteur<br />
d’un certain passé, rattachant la culture à une forme de propagation de<br />
savoirs, ce que l’on oublie régulièrement. Mais par sa nature de vecteur<br />
d’information, elle peut être biaisée, transformée en propagande, ce qui<br />
est également oublié quand on refait face à certaines grandes œuvres.<br />
Le plus dommageable pour le film est d’être sorti beaucoup trop tôt<br />
pour sa nature de conte de Noël familial, ce qui explique le résultat<br />
mitigé qu’il subit au box-office. C’est assez triste car, même s’il n’a<br />
pas les fulgurances surréalistes d’«Alice au pays des merveilles» et sa<br />
suite ou la richesse thématique honorant le septième art du «Monde<br />
fantastique d’Oz» (à réévaluer en urgence), «Casse-Noisette» reste une<br />
friandise hivernale assez sympathique pour les fêtes de fin d’année qui<br />
arrive à rappeler l’émerveillement du ballet original.<br />
Liam Debruel
71<br />
28/11<br />
CASSE-NOISETTE<br />
ET LES 4 ROYAUMES<br />
DE LASSE HALLSTRÖM, JOE JOHNSTON. AVEC<br />
MACKENZIE FOY, KEIRA KNIGHTLEY… 1H40
72CRITIQ
73<br />
UES<br />
DECEMBRE
74<br />
L’adoption, l’affiliation, la recherche de ses<br />
racines est probablement l’un des thèmes<br />
les plus abordés au <strong>ciné</strong>ma que ce soit à<br />
travers les films pour enfants («Tarzan», «Le<br />
Livre de la jungle»), les blockbusters («Man<br />
of steel») ou dans le <strong>ciné</strong>ma français avec les<br />
récents «Ma vie de courgette», «Il a déjà tes<br />
yeux» ou encore «Comment j’ai rencontré<br />
mon père». Mais là où la caméra s’est<br />
toujours placée du côté de l’adopté, de ses<br />
ressentis, de son parcours initiatique pour<br />
retrouver ses racines et pouvoir s’accepter,<br />
Jeanne Herry prend le contre-pied en posant<br />
sa caméra du côté de la petite fourmilière<br />
qui entoure le nouveau-né de son état de<br />
nourrisson à celui de pupille de l’État jusqu’à<br />
devenir ‘’fil.le.s de’’. Un oeil nouveau sur<br />
un système plus complexe qu’il n’y paraît<br />
mais aussi une incroyable aventure humaine<br />
où s’entrechoque les sentiments ls plus<br />
extrêmes.<br />
Selon l’INED (Institut National d’Études<br />
Démographiques), ce sont entre 600 et 700<br />
femmes qui décident de donner naissance<br />
sous X. À partir de ce moment-là, tout un<br />
processus aussi complexe qu’il peut être<br />
éprouvant se met en place. Nombreuses<br />
sont les personnes qui gravitent autour de<br />
ce nouveau-né pour combler le manque<br />
maternel et lui trouver un foyer. De ce<br />
constat, Jeanne Herry en tire un film en<br />
forme de véritable leçon de vie, d’espoir et<br />
d’amour. À la lisière du documentaire sans<br />
jamais tomber dans un formalisme absolu,<br />
«Pupille» met brillamment en avant toute<br />
une galerie de personnage ayant chacun un<br />
rôle clé en passant de la mère biologique,<br />
à la psychologue accompagnant la jeune<br />
femme ou encore l’assistant familial chez<br />
lequel est confié le nouveau-né durant la<br />
PUPI<br />
période de rétractation. Mais loin d’idéaliser<br />
pour autant cette situation, le film nous met<br />
face à bien des réalités plus dures les unes<br />
que les autres que ce soit le moment où la<br />
mère abandonne son bébé - et lui dit (ou<br />
non) au revoir -, les premières semaines<br />
difficiles pour le bébé, le travail titanesque<br />
de l’assistant familial, les travailleurs sociaux<br />
qui remuent ciel et terre pour lui trouver la<br />
bonne famille ou encore le long combat<br />
d’Elodie pour devenir mère.<br />
Chacun traverse des épreuves à leur façon<br />
et entre deux caresses emplies d’amour, la<br />
réalisatrice n’hésite pas à nous mettre un<br />
petite claque pour nous réveiller, comme<br />
pour nous dire «Eh oh tout n’est pas rose<br />
lors du processus d’adoption» même si les
05/12<br />
LLE<br />
DE JEANNE HERRY. AVEC SANDRINE KIBERLAIN, GILLES LELLOUCHE... 1H55<br />
efforts et les obstacles en valent largement<br />
la peine. Le film nous rappelle la souffrance<br />
que peut provoquer l’adoption, les échecs<br />
à répétions, ces couples dont l’adoption est<br />
refusée car comme l’explique l’assistante<br />
sociale Lydie (jouée à merveille par Olivia<br />
Côte) face à un couple en attente d’une<br />
approbation; ils ne sont pas là pour chercher<br />
un couple qui a besoin d’un enfant mais un<br />
couple capable de devenir parents.<br />
Rassemblant un casting de charme entre<br />
Sandrine Kiberlain (avec qui elle avait déjà<br />
travaillé sur «Elle l’adore»), l’émouvante<br />
Elodie Bouchez et - plus surprenant - Gilles<br />
Lellouche aux antipodes des rôles qu’on<br />
a pu lui connaître jusque là, «Pupille»<br />
déborde véritablement d’amour et de<br />
bienveillance. D’une pudeur sans pareille,<br />
la caméra effleure, capture furtivement des<br />
moments de complicité, de colère, de rage et<br />
d’émotion purs (un plan sur Gilles Lellouche<br />
pendant une demie-seconde et vous vous<br />
retrouvez complètement chamboulé.e)<br />
sans jamais tomber dans le pathos du<br />
drame ni l’académisme du documentaire,<br />
Jeanne Herry fait de son «Pupille» un<br />
sublime film qui vise en plein coeur. On<br />
ne s’attendait pas forcément à cette claque<br />
en fin d’année et encore moins dans le<br />
paysage <strong>ciné</strong>matographique français mais<br />
honnêtement on est loin de s’en plaindre.<br />
Margaux Maekelberg<br />
75
05/12<br />
ASSASSINATION N<br />
76<br />
Avec une carrière plutôt discrète commencée<br />
en 2011 avec le très sympathique (et déjà<br />
irrévérencieux) «Another Happy Day», Sam<br />
Levinson n’a été aperçu qu’en 2009 en tant<br />
qu’acteur dans «Stoic» et scénariste de «The<br />
Wizard of lies» l’année dernière avant de<br />
revenir en force en cette fin d’année avec<br />
son second long-métrage «Assassination<br />
Nation». Rendez-vous dans la ville de<br />
Salem - le choix est loin d’être anodin et on<br />
le comprendra assez rapidement - où l’on<br />
suit les tribulations de Lily et ses meilleurs<br />
amies Bex, Em et Sarah alors qu’elles doivent<br />
échapper à toute une ville qui ne souhaite<br />
qu’une seule chose : leur mort alors qu’ils sont<br />
certains que Lily est la hackeuse qui a posté<br />
sur le net toutes les informations privées de la<br />
ville. Véritable chasse aux sorcières version<br />
2018, «Assassination Nation» reprend les<br />
éléments qui avaient conduit à l’exécution<br />
d’une vingtaine d’habitants de Salem il<br />
y a 326 ans - dénonciation, calomnie,<br />
mensonges et violence exacerbées - pour<br />
les réintroduire dans un contexte beaucoup<br />
plus moderne où la technologie a pris le pas<br />
et que le concept de vie privée ne tient plus<br />
qu’à un fil.<br />
Les habitants découvrent que leur maire a<br />
de drôles de tendances sexuelles, que leur<br />
mari n’est peut-être pas celui pour qui il<br />
se fait passer et que la gentille fille qu’ils<br />
avaient élevé dans la traduction catholique<br />
n’est pas aussi prude que ça…<br />
Mais au-delà de ce petit jeu morbide pour<br />
découvrir qui a fait ça et connaître les<br />
secrets les mieux gardés de ses voisins,<br />
Sam Levinson pose un regard intelligent<br />
et soulève de vraies questions dans une<br />
société où tout repose sur le paraître et où<br />
n’importe quelle photo, vidéo ou parole<br />
peut-être mal interprétée. Le proviseur du<br />
lycée est-il réellement pédophile parce qu’il
ATION<br />
DE SAM LEVINSON. AVEC ODESSA YOUNG, SUKI WATERHOUSE... 1H48<br />
a une photo de sa fille nue à six ans alors<br />
que certains parents affichent fièrement sur<br />
leur cheminée une photo de leur propre fille<br />
nue lorsqu’elle était petite ?<br />
En parallèle de ces réseaux sociaux qui<br />
dirige notre quotidien, le réalisateur fait<br />
surtout - et avant tout - un portrait de jeunes<br />
filles à l’aube d’être des femmes coincées<br />
dans un patriarcat encore malheureusement<br />
bien présent que ce soit du regard du père<br />
ou du petit-ami ou de n’importe quelle<br />
force masculine supérieure toujours prête à<br />
dicter aux femmes ce qu’elles doivent dire<br />
ou penser, encore plus dans une société<br />
sur-sexualisée par notamment ces dits<br />
réseaux sociaux. Inspiré par les «Subekan»,<br />
Sam Levinson ne lésine pas sur la violence<br />
accrue et l’hémoglobine autant pour<br />
choquer que pour faire prendre conscience<br />
du monde dans lequel on vit, dans lequel<br />
les coups ont remplacé la parole. Véritables<br />
héroïnes badass, Lily, Em, Bex et Sarah<br />
sont des ambassadrices de choc pour les<br />
mouvements #MeToo… avec une furieuse<br />
envie de s’en sortir.<br />
Visuellement, Sam Levinson nous offre<br />
un plaidoyer pop, coloré et absolument<br />
surexcité, miroir de notre monde actuel et<br />
même si le réalisateur veut nous proposer<br />
un constat de la société américaine, force<br />
est de constater que «Assassination Nation»<br />
se fait surtout le miroir d’un monde régit par<br />
la force du net, quitte à ce qu’on en perde<br />
notre propre capacité de réflexion.<br />
Margaux Maekelberg<br />
77
05/12<br />
ASTÉRIX ET LE SECRET<br />
DE LA POTION MAGIQUE<br />
DE LOUIS CLICHY, ALEXANDRE ASTIER. AVEC LES VOIX DE<br />
CHRISTIAN CLAVIER, ALEX LUTZ... 1H25<br />
78<br />
Panomarix, le druide du village le plus<br />
célèbre de toute la Gaule (le seul qu’on<br />
connaît en vrai), se fait vieux. Il décide<br />
donc de partir en quête d’un successeur,<br />
malgré les plaintes et les critiques de ses<br />
camarades. Cependant son rival et ancien<br />
ami, un terrible druide déchu, apprend<br />
cette nouvelle et tente d’en profiter pour se<br />
venger...<br />
Après avoir adapté à leur sauce «Le<br />
Domaine des Dieux», et rencontré un franc<br />
succès critique et commercial, la paire<br />
Louis Clichy et Alexandre Astier remet<br />
le couvert (sauce, couvert, je dois avoir<br />
sacrément faim en écrivant ce texte) et<br />
passe aux choses compliquées : inventer<br />
sans pouvoir se reposer directement sur<br />
l’oeuvre d’Uderzo et de Goscinny. Dans<br />
ce genre de projet facilement casse-gueule,<br />
il faut immédiatement s’interroger sur la<br />
dichotomie tradition/trahison : comment<br />
respecter l’esprit et les codes d’»Astérix»<br />
tout en insufflant (modestement ou non) sa<br />
propre identité dans le film ?<br />
Là-dessus, «Le Secret de la Potion magique»<br />
est dans la continuité du volet précédent ;<br />
Louis Clichy installe une animation à la fois<br />
fluide et dynamique, à mi-chemin entre<br />
les «Hôtel Transylvanie» de Tartakovsky<br />
et les esthétiques léchées des productions<br />
Dreamworks. La lumière du nouvel «Astérix»<br />
est d’ailleurs sublime ; je n’ai pas de choses<br />
particulières à dire sur ce sujet, je voulais<br />
simplement préciser que la lumière déchire,<br />
qu’est-ce que tu vas faire me baisser ma note<br />
de dissertation ? Je m’en fous ! Vas-y metsmoi<br />
un mot dans mon carnet, fais-toi plaisir<br />
là tu sais pas qui je suis j’ai peur de rien !<br />
Aherm.<br />
Quant à Alexandre Astier, qui a imaginé<br />
cette histoire et co-écrit les dialogues avec<br />
Louis Clichy, il ramène encore une fois son<br />
esprit «Kaamelott», en l’assumant to-tale-ment.<br />
On retrouve ces échanges plein
79<br />
d’humour qui sont dans la<br />
veine de son idole Michel<br />
Audiard, sans les grossièretés<br />
évidemment : il faut que<br />
les enfants puissent rire<br />
sainement. Les personnages<br />
ont tous leur moment de<br />
gloire; des personnages qui<br />
sont d’ailleurs extrêmement<br />
nombreux ! Comme quoi<br />
les règles d’écriture de<br />
chez Pixar*, faut croire<br />
qu’Astier se torche avec... Et<br />
c’est pas plus mal. Le plus<br />
surprenant est sans doute le<br />
rôle important donné à une<br />
petite gamine très inventive,<br />
dont l’apparition permet aux<br />
réalisateurs de s’attaquer à<br />
l’exclusion des femmes dans<br />
les cercles de pouvoir. Une<br />
position surprenante quand<br />
on se souvient qu’Astier<br />
s’était tristement illustré<br />
sur Twitter il y a quelques<br />
temps en s’en prenant à<br />
une femme qui se plaignait<br />
(à raison) du machisme<br />
de sa série «Kaamelott»…<br />
Mais en même temps, le<br />
type a récemment parrainé<br />
et participé au montage du<br />
court métrage d’une de mes<br />
meilleures amies, et était<br />
apparemment une crème<br />
absolue, donc que faut-il<br />
penser de lui ? La réponse,<br />
pour ma part est : je m’en<br />
fous. Ce choix narratif est<br />
très bienvenu dans ce film,<br />
tout comme il est intelligent<br />
de débattre des problèmes<br />
sexistes de l’œuvre d’Astier.<br />
Après, on peut aussi penser<br />
que je fais cette digression<br />
simplement pour parler de<br />
mon amie et recommander<br />
son excellent court-métrage<br />
(ça s’appelle «Gris», faut<br />
le voir). Qui sait ? Et puis<br />
au moins, je fais mousser<br />
quelqu’un d’autre, pas moi.<br />
C’est pas comme si je disais<br />
que le doubleur du méchant<br />
du film, Daniel Mesguich,<br />
avait supervisé un défilé<br />
de mode au Conservatoire<br />
National d’Art Dramatique<br />
mis en scène par ma<br />
personne... Là ce serait<br />
totalement égocentrique de<br />
ma part.<br />
Une histoire originale donc,<br />
une patte Clichy, une autre<br />
Astier... Mais est-ce que<br />
cela ressemble vraiment<br />
à «Astérix» ? La bande<br />
dessinée a toujours été un<br />
savant mélange d’humour<br />
enfantin, d’érudition à peine<br />
déguisée, et de jeu d’échos<br />
avec la culture populaire<br />
contemporaine, donc...<br />
Oui. Dans l’esprit, c’est<br />
exactement ça. Les bastons et<br />
autres chutes rigolotes pour<br />
les enfants sont présentes,<br />
on peut cocher la case. Le<br />
côté érudit est tout à fait<br />
rempli puisqu’on s’appuie<br />
sur un élément central de la<br />
culture celte : le mystère qui<br />
entoure les druides. En effet<br />
comme le souligne le film,<br />
non sans humour d’ailleurs,<br />
les civilisations celtes<br />
étaient principalement<br />
orales ce qui fait que<br />
beaucoup d’informations<br />
sur eux sont mal ou peu<br />
connues. Le druide n’est<br />
finalement connu que grâce<br />
aux textes des historiens<br />
romains, c’est ce qui permet<br />
cette fascination autour de<br />
ses connaissances. Donc<br />
la partie savante, on peut<br />
aussi cocher la case. Enfin,<br />
pour ce qui est de la culture<br />
contemporaine... C’est peutêtre<br />
là que le film va diviser.<br />
Voire déplaire à certains ou<br />
certaines. Les influences de<br />
Louis Clichy et Alexandre<br />
Astier sont très visibles : on<br />
y voit du «Star Wars» dans<br />
la mystique des druides<br />
et dans les oppositions<br />
idéologiques. Cela se ressent<br />
même dans la musique,<br />
qui vient chatouiller les<br />
mélodies de John Williams<br />
sans trop s’en rapprocher.<br />
On y voit également du<br />
Marvel, notamment des<br />
références ultra évidentes à<br />
«Thor Ragnarok», et enfin<br />
une influence de la culture<br />
anime/manga que je ne<br />
veux pas développer car<br />
sinon ce serait spoiler. Donc<br />
une approche de la culture<br />
populaire dont la modernité<br />
pourra faire sortir du film<br />
une partie des spectateurs.<br />
En cela, le nouveau film<br />
d’Astérix est sans doute<br />
moins réussi que l’opus<br />
précédent ; pourtant, c’est<br />
précisément cela qui le rend<br />
plus intéressant.<br />
*Si vous ne connaissez pas,<br />
y a qu’à googler les amis.<br />
Captain Jim
13/12<br />
THE HAPPY PRINCE<br />
80<br />
DE RUPERT EVERETT. AVEC RUPERT EVERETT, COLIN FIRTH... 1H46
81<br />
La carrière de Rupert Everett n’est plus à faire. Grande figure<br />
des années 80 et 90, le bonhomme a perdu peu à peu sa<br />
place à Hollywood par la suite (à cause de son homosexualité<br />
?) pour s’illustrer du côté du théâtre et du petit écran. En<br />
cette fin d’année, l’acteur endosse un nouveau rôle en tant<br />
que réalisateur pour «The Happy Prince» qui raconte les<br />
dernières années de la vie du célèbre écrivain Oscar Wilde.<br />
Au sommet de son talent et de sa popularité, Oscar Wilde<br />
se retrouve du jour au lendemain au plus bas de l’échelle<br />
sociale alors qu’il a été condamné à la prison pour<br />
son homosexualité. Sans un sou et renié par la société<br />
londonienne, Oscar Wilde vit ses dernières années dans<br />
l’indifférence la plus totale. Lui reste une poignée d’amis<br />
fidèles et une bande de gamins des rues qui le suit partout<br />
mais malgré un morale et une santé au plus bas, Oscar Wilde<br />
n’a rien perdu de sa splendeur et de son esprit imaginatif.<br />
Personnage important pour Rupert Everett - qu’il a déjà<br />
interprété plusieurs fois au théâtre et sur grand écran -, c’est<br />
presque naturellement que l’acteur est entré dans ses bottes<br />
avec, il va sans dire, une aisance et un naturel incroyable.<br />
Absolument habité par la miséricorde de son personnage,<br />
Rupert Everett prête à merveille son visage à cet écrivain<br />
déchu. Tendre dans sa narration sans jamais cacher les<br />
folles moeurs de son personnage, Rupert Everett conte avec<br />
brio ces dernières années de sa vie - pour la première fois<br />
amenées à l’écran il faut le noter -. Entouré de seconds<br />
couteaux de taille dont le formidable Colin Firth, «The<br />
Happy Prince» transpire l’admiration qu’a son réalisateur<br />
pour ce personnage pour qui la vie fût loin d’être facile et<br />
juste avec.<br />
Margaux Maekelberg
82<br />
26/12<br />
UNFRIENDED :<br />
DARK WEB<br />
Alors que le débat sur la place de l’écran<br />
au <strong>ciné</strong>ma fait toujours autant rage suite<br />
au succès de la plateforme Netflix, il est<br />
intéressant d’inclure les « Unfriended » dans<br />
ce questionnement et de les analyser par ce<br />
biais. Le point commun entre le volet original<br />
sorti en 2015 et ce « Dark Web » est en effet<br />
qu’ils font se dérouler leurs histoires sur des<br />
écrans d’ordinateur. Mais là où le premier<br />
partait dans le surnaturel sous influence des<br />
fantômes japonais comme dévoilé par un<br />
jump scare final se raccrochant à «Ring», ce<br />
dernier se raccroche à une forme d’horreur<br />
plus réaliste en abordant le fameux Dark<br />
Web. Ici, un jeune homme se retrouve en<br />
possession d’un ordinateur contenant des<br />
dossiers compromettants qui vont mettre sa<br />
vie et celle de ses amis en danger.<br />
Menace plus crédible donc tout en étant<br />
rattaché au visuel d’ordinateur, « Unfriended<br />
Dark Web » cherche à prolonger certaines<br />
réflexions du premier film en bifurquant<br />
thématiquement. Le genre horrifique se<br />
fait plus passif (il suffit de comparer les fins<br />
des deux volets) et remet le spectateur dans<br />
son rôle face au film. La passivité d’action<br />
engage une interrogation sur notre statut<br />
de voyeur, aussi bien face aux événements<br />
qu’aux réseaux sociaux (bien que ceux-ci ont<br />
une place moindre par rapport à la tragédie<br />
précédente). Ce statut voyeuriste se fait<br />
plus crédible lors d’un visionnage sur écran<br />
d’ordinateur, le biais <strong>ciné</strong>matographique<br />
rapprochant l’aspect fictif du récit tout
83<br />
DE STEPHEN SUSCO. AVEC COLIN WOODELL, BETTY GABRIEL... 1H33<br />
en retransformant l’œuvre en expérience<br />
collective, là où un écran plus petit replace<br />
l’individualisme du visionnage.<br />
Concernant le fond du film en lui-même,<br />
il ne profite guère plus de sa forme que<br />
dans les thématiques exprimées plus haut<br />
et peut-être amenées involontairement.<br />
Le tout souffre en effet de protagonistes<br />
reconnaissables mais n’amenant que peu<br />
d’empathie, malgré un casting assez crédible.<br />
Sans user d’effets de styles trop voyants, la<br />
mise en scène ne joue que sur la nature des<br />
écrans et profite assez peu de son principe<br />
de base, le renversant maladroitement à<br />
la fin là où le final précédent pouvait être<br />
plus loin que le simple jump scare pour<br />
se rattacher aux questionnements sur la<br />
nature possessive de l’écran, et ce même<br />
dans son aspect fictionnel. Le point le plus<br />
touchant concerne le couple établi entre<br />
le personnage principal et sa copine, en<br />
manque de communication suite au non<br />
apprentissage du premier de la langue des<br />
signes. L’absence de compréhension totale<br />
entre les deux amène une interrogation par<br />
rapport à notre manière d’appréhender la<br />
communication même, sachant que l’on<br />
accuse généralement la technologie d’en<br />
être responsable (augmentant sa rapidité<br />
de transmission et donc sa faillibilité) alors<br />
qu’elle permet d’améliorer aussi celle-ci (cf<br />
l’application du héros).<br />
S’il souffre de ficelles narratives assez<br />
visibles et d’un concept jamais abouti<br />
totalement, « Unfriended Dark Web »<br />
est assez ludique, offrant un visionnage<br />
assez sympathique et divertissant, tout en<br />
amenant par sa forme de l’eau au moulin<br />
sur le débat du ressentiment éprouvé face<br />
à des œuvres <strong>ciné</strong>matographiques selon<br />
l’amplitude de l’écran. Vaut-il mieux voir<br />
ce film sur grand écran là où son concept<br />
le rattache à une visibilité plus restreinte et<br />
plus personnalisée qu’une expérience salle<br />
pourrait remettre en question ? C’est à vous<br />
de trancher.<br />
Liam Debruel
84<br />
travis knight<br />
SELF MADE<br />
ARTIST ?
85<br />
Passer d’un film en stop motion aux<br />
ambitions aussi intimes qu’épiques à un<br />
spin-off de «Transformers» n’est pas le plan<br />
de carrière le plus évident qui soit. Mais<br />
Travis Knight est loin d’être un homme<br />
évident à aborder.<br />
Dans le numéro 57 de Cinema Teaser,<br />
Aurélien Allin terminait sa critique de<br />
«Kubo et l’armure magique» en le décrivant<br />
comme «une déclaration d’amour de Knight<br />
à son Art et à son studio qui permet à celuici<br />
de s’épanouir définitivement». De quoi<br />
bien résumer l’ambition d’un homme qui<br />
a cherché en créant les studios Laika à<br />
remettre en avant l’art de la stop motion et<br />
du <strong>ciné</strong>ma d’animation en général. Plus loin<br />
dans le magazine, Travis Knight explicite<br />
plus la question : « Depuis le tout début de<br />
Laika, quand nous avons commencé il y a<br />
environ dix ans, nous avons établi ce qui<br />
me semble un but simple : faire des films<br />
qui comptent. Fabriquer des films qui ont<br />
du sens, de l’audace, qui sont singuliers<br />
et qui révolutionneraient l’animation ».<br />
Fils du président de Nike, Knight est la<br />
tête pensante du studio d’animation mais<br />
également un animateur comme un autre<br />
afin d’appréhender au mieux les techniques<br />
relatives à la stop motion. En quatre longsmétrages,<br />
Laika s’est établi comme un maître<br />
dans le domaine, au même rang que Ghibli,<br />
Disney, Pixar et Aardman.<br />
Il aura fallu néanmoins attendre qu’il<br />
ait travaillé sur « Coraline », « L’étrange<br />
pouvoir de Norman » et « Les Boxtrolls »<br />
pour que Knight franchisse le pas de la<br />
mise en scène avec « Kubo et l’armure<br />
magique », récit initiatique d’un jeune<br />
garçon borgne à la recherche d’une<br />
armure magique pouvant le protéger des<br />
conséquences d’un drame familial aux<br />
proportions mythiques. Reprenant les bases<br />
du monomythe Campbellien, « Kubo » est<br />
une ode sensitive comme on n’en vit que<br />
trop rarement sur grand écran ainsi qu’un<br />
modèle d’un <strong>ciné</strong>ma familial trop souvent<br />
conspué et réduit à des produits aliénants.<br />
Mais, comme déclaré plus haut, c’est aussi<br />
une déclaration d’amour à l’art, sachant<br />
que Kubo anime des personnages de papier<br />
« C’est un artiste, un storyteller, un musicien<br />
et un animateur si on y réfléchit bien. Il y a<br />
un moment où tout s’est éclairé : « Oh mon<br />
dieu, ce garçon, c’est moi ! » ».<br />
Difficile en effet de ne pas y reconnaitre<br />
Knight, qui déverse dans le film ses<br />
inspirations et son amour pour le <strong>ciné</strong>ma<br />
de Kurosawa qu’il n’hésite pas à convoquer<br />
visuellement. On est loin néanmoins de<br />
la référence méta et facile, mais plutôt<br />
dans la construction d’un univers différent,<br />
limpide à l’écran alors qu’il y aurait recours<br />
à diverses explicitations historiques. C’est<br />
ce qui différencie l’univers des productions<br />
Laika, créant des mondes nouveaux ou<br />
instaurant des situations particulières et<br />
ésotériques en mettant plus en avant la<br />
narration visuelle qu’orale afin de ne pas se<br />
surcharger. L’aspect technologique n’est pas<br />
mis de côté, le studio étant connu dans ce<br />
domaine (et même critiqué pour son usage<br />
d’imprimantes 3D et d’animation numérique<br />
concernant certains personnages d’arrièreplan).<br />
C’est pour les besoins du film qu’ont<br />
été créées aussi bien la plus grande figurine<br />
en stop motion (un squelette de 5 mètres,<br />
hommage au maître Ray Harryhausen) que<br />
la plus petite, origami d’un samouraï. Mais<br />
ces innovations sont au service de l’histoire,
86<br />
telle cette vague numérique inaugurant le<br />
film avec émerveillement et détresse. De<br />
quoi souligner encore plus la première<br />
réplique de Kubo : « Si vous devez cligner<br />
des yeux, faites-le maintenant ». Au vu<br />
de l’ampleur visuelle du film et du travail<br />
titanesque derrière, en manquer le moindre<br />
plan relève du gâchis.<br />
Il est donc dès lors compliqué de ne pas<br />
parler de chef d’œuvre concernant « Kubo<br />
et l’armure magique », quintessence de<br />
poésie et de stop motion remettant le récit<br />
d’aventure épique dans des proportions<br />
aussi bien micro que macroscopiques, le<br />
tout ouvrant à assez de lectures pour nourrir<br />
un véritable travail littéraire de plusieurs<br />
dizaines de pages (ce à quoi l’auteur de<br />
ces lignes s’attaque, mais c’est une autre<br />
histoire). Il est alors surprenant de voir Travis<br />
Knight s’engager sur « Bumblebee », spinoff<br />
de la saga Transformers. Le producteur<br />
Lorenzo Di Bonaventura explique : « Nous<br />
avons engagé Travis Knight en connaissance<br />
de cause. C’est un réalisateur très particulier.<br />
(…) les gens veulent toujours quelque chose<br />
de différent, donc maintenons-les intéressés<br />
! Ils auront donc quelque chose de plus<br />
émotionnel, de plus complexe. Une petite<br />
histoire, en termes de lieux, en termes de<br />
narration. Cela me rappelle d’ailleurs le<br />
Géant de Fer, film que j’ai produit chez<br />
Warner Bros, dans le sens où c’est restreint,<br />
mais pas tout petit. » L’échelle des valeurs<br />
sentimentales semble donc cohérente,
87<br />
l’action du film se déroule 30 ans avant<br />
le premier opus, cela nous a permis de<br />
retravailler leur design. Je rends ici hommage<br />
à la première génération de Transformers.<br />
Cela va sûrement plaire aux fans puisqu’il y<br />
a pas mal de références. » Son passage entre<br />
animation et prises de vues réelles, déjà<br />
effectué par d’autres grands noms comme<br />
Brad Bird, s’avèrerait plus nuancé que prévu<br />
grâce aux effets numériques donnant vie à<br />
Bumblebee : « Il n’est pas un personnage<br />
vivant, c’est grâce à la CGI qu’on lui donne<br />
vie. Et c’est l’une de mes spécialités. Grâce à<br />
mes 20 ans d’expérience dans le milieu, j’ai<br />
acquis une certaine vision dans la manière<br />
de rendre humain un personnage qui ne<br />
l’est pas. C’est ce dont je suis le plus fier<br />
avec ce film : nous avons fait de Bumblebee<br />
un être humain, avec une âme. »<br />
aussi bien par rapport à Kubo qu’aux autres<br />
œuvres du studio sur lesquelles Knight a<br />
œuvré en tant qu’animateur.<br />
Dans les interviews sur le sujet, Knight dévoile<br />
ses ambitions avec une nature de fan qu’il<br />
ne renie pas : « J’ai grandi en regardant les<br />
dessins animés Transformers, en jouant avec<br />
puis ensuite en lisant les bandes dessinées.<br />
Je veux leur rendre hommage, à ma façon.<br />
Et j’espère avoir capturé leur essence avec<br />
ce film qui, je l’espère va émerveiller et<br />
apporter de la joie. Car c’est ce qu’ils m’ont<br />
apporté dans mon enfance. J’ai souhaité<br />
faire un film d’action plein d’humanité et de<br />
chaleur. » La touche rétro dans les visuels<br />
est d’ailleurs confirmée : « Étant donné que<br />
Une créature numérique qui serait<br />
vectrice essentiellement d’émotions ? C’est<br />
l’ambition que se donne le film, au vu des<br />
premières bandes annonces plus proches<br />
d’un style Amblin qu’à la destruction<br />
porn de Michael Bay. On y parle plus de<br />
connexion entre un extraterrestre et une<br />
jeune femme que de véritable blockbuster<br />
explosif, bien que Knight déclare : « L’une<br />
des choses qui m’importait le plus était de<br />
trouver un équilibre entre l’explosion et<br />
l’émotion, ce qui je l’espère va attirer les<br />
spectateurs ». Nous espérons la même chose<br />
pour lui, surtout si le film arrive à retrouver,<br />
ne serait-ce qu’un instant, la sensibilité<br />
lyrique de Kubo. Rien que cela est un défi<br />
en soi, permettant peut-être de détruire la<br />
formule du divertissement lambda avec ce<br />
qu’il faut de cœur et d’émotions pour se<br />
démarquer de la concurrence. Ou comment<br />
créer une attente pour un dérivé de saga<br />
souvent conspuée par les critiques grâce à<br />
la personnalité de son metteur en scène…<br />
Liam Debruel
88<br />
SUSPIRIA :<br />
La maison<br />
au Paon<br />
Dario Argento débute sa carrière en 1970, et s’illustre tout<br />
de suite dans un genre qu’il aidera à populariser : le giallo.<br />
Sorte de « série noire » à l’italienne, l’horreur et l’érotisme<br />
en plus, le giallo (« jaune » en italien) tire son nom d’une<br />
collection de romans policiers dont les couvertures étaient de<br />
couleur jaune. Son premier film, « L’oiseau au plumage de<br />
cristal » entame sa trilogie animalière. Suivront ensuite « Le<br />
chat à neuf queues » et « Quatre mouches de velours gris ». En<br />
1975, il signe le giallo ultime, avec « Profondo Rosso », une<br />
itération horrifique de « Blow up » d’Antonioni, et questionne<br />
notre rapport aux images. Deux ans après sort le premier volet<br />
de la trilogie des Mères, un chef-d’oeuvre baroque de poésie et<br />
de violence : « Suspiria ». Cette première incursion d’Argento<br />
dans le fantastique pur prouve à ceux qui ne voulaient pas<br />
l’admettre que le réalisateur est avant tout un <strong>ciné</strong>aste de la<br />
métaphysique.
89<br />
Le scénario du film est co-écrit par Daria<br />
Nicolodi, qu’on avait vu donner la réplique<br />
à David Hemmings dans « Profondo Rosso<br />
». L’idée de l’école de danse vient d’elle et<br />
plus particulièrement de souvenirs de sa<br />
grand-mère, la pianiste Yvonne Müller Loeb<br />
Casella. Cette dernière aurait raconté à sa<br />
petite fille qu’elle s’était enfuie d’une école<br />
de piano en Suisse après avoir découvert<br />
qu’on y enseignait la magie noire. «<br />
Suspiria » est un film où quelques figures<br />
de l’occultisme seront invoquées. Helena<br />
Blavatsky a servi de base pour la création du<br />
personnage d’Helena Markos et les phrases<br />
écrites en différentes langues dans le couloir<br />
jaune de la fin viennent d’un livre d’Eliphas<br />
Levy.<br />
Le film s’inspire des Ladies of Sorrow, dans<br />
un chapitre du livre « Suspiria de Profundis<br />
» de Thomas de Quincey. Ces femmes sont<br />
décrites par l’auteur anglais comme trois<br />
sœurs funestes, Mater Suspirorum, Mater<br />
Lacrimarum et Mater Tenebrarum. S’il<br />
n’est fait aucune mention de ces figures<br />
inquiétantes dans « Suspiria », elles seront<br />
citées dans « Inferno », le deuxième volet de<br />
la trilogie des Mères. Au regard des éléments<br />
présents dans ce premier volet, « La Maison<br />
de l’alchimiste », œuvre inachevée de Gustav<br />
Meyrink, aurait pu également servir de base<br />
à la rédaction du scénario de « Suspiria ».<br />
L’auteur n’a écrit que trois chapitres, mais<br />
dans les nombreuses notes qu’il a laissé<br />
pour la suite, on trouve deux éléments qui<br />
se retrouvent dans le film d’Argento. Le<br />
premier est le pouvoir du genius loci, de<br />
l’utilisation du pouvoir d’un lieu pour la<br />
métamorphose et la transmutation d’une<br />
âme, le second, plus discret dans « Suspiria<br />
», est le symbole du paon.
90<br />
« La Maison de l’alchimiste » se passe<br />
à Prague au début du 20ème siècle, et<br />
raconte la vie au sein d’un café situé dans<br />
l’ancienne maison du défunt alchimiste<br />
Günsthöver. Cette demeure accueille des<br />
danseurs turcs, des derviches tourneurs<br />
ainsi que des acteurs et actrices puisque<br />
au dessus du café se trouve les locaux<br />
d’une société de production de <strong>ciné</strong>ma.<br />
L’histoire est centrée sur un personnage<br />
emblématique du café, le Dr Ismael<br />
Steen. Cynique et désabusé, le docteur<br />
use de son charme pour la psychanalyse,<br />
son domaine de prédilection. Là où un<br />
analyste soignerait ses patients, lui dans<br />
sa détestation de l’humanité se sert de<br />
sa science à la limite du fantastique pour<br />
susciter chez ses victimes des « complexes<br />
», des troubles psychiques. Dans les notes<br />
que Meyrink a laissé, on ne sait jamais<br />
d’où vient le réel pouvoir du Dr Steen.<br />
L’auteur laisse grandement supposer que<br />
le docteur tire ses facultés de l’esprit de<br />
l’alchimiste Günsthöver qui hante les lieux<br />
et dont l’empreinte dans les murs ont une<br />
influence sur Steen. Dans les chapitres<br />
achevés, il est dit « Günsthöver à vous<br />
écouter n’aurait pas transmuté des métaux<br />
mais... des êtres humains ! ».<br />
La danse enivrante, les troubles psychiques et la transmutation des êtres<br />
humains, tout ça se retrouve dans « Suspiria ». Suzy Banner, jeune danseuse<br />
américaine, se rend à la prestigieuse académie de danse de Fribourg en<br />
Allemagne afin de perfectionner sa technique. A son arrivée par une nuit<br />
d’orage, elle croise Pat, une ancienne élève, s’enfuyant de l’académie. Elle sera<br />
sauvagement assassinée le soir-même. Suzy est vite troublée par des éléments<br />
étranges se déroulant dans l’école. En effet, des figures inquiétantes semblent<br />
vivrent dans ses murs. Dans le film, peu après son arrivée à l’académie, Suzy<br />
arpente les couloirs pour aller rejoindre son premier cours. Elle suit un groupe<br />
d’élèves qui disparaît derrière un mur. Dans ce corridor immense, l’étudiante<br />
se retrouve seule, avançant sous le regard déroutant d’un garçon aux vêtements<br />
anachroniques et de la cuisinière de l’école. Cette dernière lustre un objet
91<br />
qu’on prend d’abord pour de la vaisselle<br />
mais se révèle être une sorte de talisman,<br />
dont une lumière jaillit et vient éblouir le<br />
visage de Suzy. L’enfant arbore un sourire<br />
malfaisant tandis que la jeune femme vacille.<br />
Et lors de son premier cours de danse, elle<br />
se sent mal et finit par s’évanouir. A partir de<br />
ce moment, le personnage de Suzy sera «<br />
transmutée », transformée en Pat, l’étudiante<br />
qu’on a vu s’enfuir sous la pluie le premier<br />
soir. L’américaine va être changée de<br />
chambre pour intégrer celle qu’occupait la<br />
défunte, avoir la même meilleure amie que<br />
celle-ci, et charmer le même garçon. Elle<br />
suivra la même trajectoire, de sa rencontre<br />
avec le psychanalyste Frank Mandel à la<br />
découverte du secret derrière la porte à<br />
l’iris bleu, mais avec une fin moins funeste.<br />
C’est dans ce couloir que Suzy commence<br />
sa métamorphose. Il faut s’intéresser aux<br />
couleurs de ce corridor. Des murs de<br />
velours rouges, des portes de bois noirs et<br />
de fins rideaux blancs. Le rouge, le noir,<br />
le blanc, les trois couleurs de l’alchimie,<br />
servent ici non pas à changer du plomb en<br />
or, mais à pervertir, à changer les âmes. En<br />
remontant le couloir jaune, à la fin, un plan<br />
montre Suzy avec écrit en gros au-dessus<br />
d’elle « METAMORPHOSIS ». A la manière<br />
de la maison de l’alchimiste dans le roman<br />
inachevé de Meyrink, l’école exerce une<br />
influence sur les âmes qui y vivent.<br />
Cette scène est aussi la note d’intention du<br />
film. Si le personnage est « changé » en un<br />
autre, c’est par une lumière blanche. Elle est<br />
détournée de sa symbolique positive pour<br />
adopter un caractère malfaisant. Et c’est<br />
tout le sous-texte du film, la transmutation,<br />
la perversion des symboles. « Suspiria » est<br />
jalonné d’éléments dont la symbolique est<br />
détournée. Dans la scène du début où Pat<br />
se retrouve seule dans la salle de bain, on<br />
trouve une référence à la « Naissance de<br />
Vénus » de Botticelli. Les teintes de la pièce<br />
et ses décorations de coquilles Saint-Jacques<br />
rappellent le tableau, mais la séquence finit<br />
par une mort brutale. Quand le pianiste est<br />
tué par son chien, les sculptures de muses<br />
sur les temples deviennent effrayantes et<br />
inspirent la crainte, de même que la sculpture<br />
d’aigle éclairée par en dessous ressemble
92<br />
à Baphomet, une figure démoniaque.<br />
Madame Blanc sert les forces obscures.<br />
L’iris, symbole de bonnes nouvelles et de<br />
confiance, sert de cadenas au monde des<br />
sorcières. Quand Suzy utilise le passage<br />
secret, elle arrive dans le repère d’Helena<br />
Markos. Ici, le voile tombe et l’héroïne voit<br />
les coulisses de la réalité, un arrière monde.<br />
C’est la première fois du film que Madame<br />
Blanc porte du noir. Elle est habillée d’une<br />
robe qui évoque une tenue d’initié. Ce<br />
détail peut paraître grossier, mais il sert à<br />
la compréhension de la scène. C’est depuis<br />
ce repère secret que les symboles sont<br />
altérés. Helena Markos a été inspirée par<br />
Helena Blavatsky, dite Madame Blavatsky,<br />
une grande figure de l’occultisme de la fin<br />
du 19ème siècle dont la pensée a influencé<br />
énormément de personnes à travers le<br />
monde. Elle a fondé à New-York en 1875 la<br />
Société Théosophique, une école de pensée<br />
basée sur des connaissances supposées<br />
ancestrales. René Guenon, intellectuel et<br />
symboliste français, est très critique envers<br />
l’organisation de Madame Blavatsky. Dans<br />
son ouvrage « Le Théosophisme, histoire<br />
d’une pseudo-religion », l’auteur veut<br />
démontrer que « les doctrines propagées<br />
par la Société Théosophique reflètent des<br />
conceptions purement occidentales, bien<br />
souvent modernes ». Un détournement des<br />
symboles en somme. De ce point de vue,<br />
Helena Markos/Blavatsky est un antagoniste<br />
parfaitement choisi.
93<br />
Dans « La Maison de l’alchimiste »,<br />
l’ancienne demeure de Günsthöver possède<br />
une sculpture de paon sur le fronton. Dans<br />
les notes que Gustav Meyrink a laissé, on<br />
apprend que cette sculpture fait référence à<br />
l’Ange paon Melek Taus, une figure centrale<br />
de la religion Yézidi (un personnage<br />
important du livre se révélera d’ailleurs être<br />
un Yézidi). La nature de cet ange est soumise<br />
à une interprétation lourde de conséquence.<br />
Pour ses adeptes, c’est une émanation<br />
de la divinité, mais pour les chrétiens et<br />
les musulmans, l’histoire de l’Ange paon<br />
rappelle l’histoire d’un autre ange déchu,<br />
Satan, ce qui mènera à la persécution et<br />
le massacre des Yézidi à travers l’histoire.<br />
Dans « Suspiria », quand Suzy arrive<br />
dans la chambre d’Helena Markos, elle<br />
se retrouve devant une statue de paon.<br />
Pacôme Thiellement écrit dans son essai sur<br />
le film : « A travers cette statue de l’Ange-<br />
Paon, c’est l’une des craintes principales<br />
des occidentaux du 20ème siècle qui<br />
s’exprime : celle qu’il existerait bel et bien<br />
une tradition millénaire des adorateurs du<br />
diable ». C’est depuis ce nid de sorcières<br />
que sont commandités des assassinats.<br />
Depuis cet endroit, cet arrière monde,<br />
qu’on a changé la nature adorable du chien<br />
de l’aveugle pour la rendre malfaisante. Le<br />
repère agit comme un prisme altérant les<br />
symboles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard<br />
si l’iris est utilisée pour garder la porte<br />
secrète car dans la mythologie grecque, Iris<br />
était la déesse de l’arc-en-ciel. La nature<br />
positive de ses couleurs est remplacée par
94<br />
celle du paon, qui illumine<br />
le monde de ses lumières<br />
multicolores et deviennent<br />
malfaisantes sous l’influence<br />
d’Helena Markos. Des<br />
théologiens voient une<br />
filiation entre l’Ange-Paon<br />
et Simorgh, l’oiseau sacré<br />
de la mystique perse. Et<br />
certains textes décrivent que<br />
le reflet de l’oiseau dans<br />
un miroir éblouirait jusqu’à<br />
l’aveuglement. Difficile de<br />
ne pas penser à la scène dans<br />
le couloir quand Suzy est<br />
éblouie. A mi-chemin entre<br />
une figure positive, Simorgh,<br />
et une figure négative, Satan,<br />
l’Ange-Paon est une image<br />
neutre dont l’interprétation<br />
est une question de point de<br />
vue. Melek Taus est utilisé<br />
dans le film comme la figure<br />
ultime de l’altération de la<br />
signification des symboles.<br />
Dans sa carrière, Dario<br />
Argento n’a eu de cesse de<br />
questionner les images, et<br />
leur profondeur. Dans son<br />
film précédent, « Profondo<br />
Rosso », le plan final était<br />
un reflet déformé de David<br />
Hemmings, ayant découvert<br />
une 3ème dimension<br />
dans les images, une sorte<br />
d’arrière monde. Dans «<br />
Suspiria », Argento va plus<br />
loin. Il tente de décrypter cet<br />
arrière monde en montrant<br />
le poids qu’il exerce sur la<br />
matérialité et de scruter le<br />
« mundus imaginalis », le<br />
monde imaginal d’Henry<br />
Corbin, ce lieu éthéré d’où<br />
les images influencent le<br />
monde physique. Là où les<br />
post-modernistes utilisent<br />
bêtement les signes jusqu’à<br />
les dévitaliser, Argento lui,<br />
tente d’en comprendre le<br />
sens, et même le sens qu’on<br />
leur donne. C’est là qu’on<br />
voit la nature métaphysique<br />
de son <strong>ciné</strong>ma, car à travers<br />
ses films Dario Argento<br />
cherche à tout prix à<br />
comprendre le réel.<br />
A la fin de « Suspiria », le<br />
visage double de Melek<br />
Taus est encore appuyé<br />
puisqu’Helena Markos est<br />
tuée avec un poignard en<br />
forme de plume de paon.<br />
Le symbole est une dernière<br />
fois détourné. La mort de<br />
la Reine Noire annonce la<br />
destruction du bâtiment.<br />
Et quand, après tous ces<br />
meurtres, après ce voyage<br />
aux confins de la réalité,<br />
Suzy sort de l’académie<br />
sous une pluie battante, elle<br />
sourit enfin, en sachant que<br />
le Mal n’est pas invincible,<br />
et qu’il reste une once<br />
d’espoir. Quand l’héroïne<br />
sort du champ, en laissant<br />
derrière elle l’école dévorée<br />
par les flammes, la célèbre<br />
phrase de Lovecraft pourrait<br />
résonner en point d’orgue<br />
: « N’est pas mort ce qui<br />
à jamais dort, et au long<br />
d’étranges ères peut mourir<br />
même la mort ».<br />
Mehdi Tessier
95
96<br />
fede alvarez<br />
DE RAIMI À<br />
FINCHER
97<br />
On pourrait parler du début de la carrière<br />
d’Alvarez comme l’une de ces sucess story<br />
qu’adore Hollywood. C’est en mettant<br />
en ligne son court-métrage fait maison,<br />
« Ataque de Pánico », que le réalisateur se<br />
fait remarquer. Il aura suffi à cette histoire<br />
d’attaque extraterrestre de passer le cap des<br />
millions de vues pour que le jeune metteur en<br />
scène soit inondé de propositions de la part<br />
des producteurs américains. C’est pourtant<br />
l’offre la plus personnelle qui l’attirera :<br />
s’attaquer à un nouvel «Evil Dead».<br />
« Quand j’étais jeune, j’étais déjà<br />
accro à l’horreur. J’avais vu tous les<br />
Vendredi 13 et les Freddy. Je suis donc<br />
allé chez le (magasin vidéo) le plus<br />
proche et j’ai demandé ce qu’il avait<br />
de plus terrifiant en stock. Il a alors<br />
posé la cassette d’Evil Dead et m’a<br />
demandé de filer le plus vite possible<br />
car je n’avais pas l’âge légal ! Ce que<br />
j’ai vu m’a terrifié au possible »<br />
L’approche d’Alvarez par rapport à cette<br />
relecture fonctionne donc de manière<br />
logique : là où les films de Raimi se sont<br />
orientés vers une horreur plus cartoonesque<br />
avec un gore véhiculant plus l’humour que<br />
l’effroi, Alvarez va choisir une approche<br />
remettant la terreur au centre du récit, bref<br />
à remettre plus en avant les sensations<br />
provoquées par l’histoire qu’un simple<br />
copié-collé de celle-ci.<br />
Pari réussi : «Evil Dead» version 2013<br />
fait partie du haut du panier des remakes<br />
horrifiques récents, ce qui n’était en soi pas<br />
compliqué au vu de certains titres (ah, «Les<br />
Griffes de la nuit» par Samuel Bayer, effrayant<br />
de nullité). Si le film est loin d’être parfait<br />
(notamment vis-à-vis de la caractérisation,<br />
souvent bancale), il faut bien reconnaître<br />
qu’Alvarez a su rappeler le travail de Sam<br />
Raimi tout en se réappropriant le tout avec<br />
assez de style pour offrir une expérience<br />
horrifique graphique comme on aimerait en<br />
voir plus souvent sur grand écran. L’aspect<br />
sombre se reflète dans la nature des Deadites,<br />
transformant leurs victimes par le biais de<br />
blessures qu’ils infligent à eux-mêmes afin de<br />
leur donner un aspect plus démoniaque. La<br />
violence est plus réaliste et tangible, au point<br />
de repousser la classification R (interdiction<br />
aux moins de 17 ans aux États-Unis) le plus<br />
loin possible dans son aspect sanglant. Là où<br />
le découpage du bras d’Ash dans le second<br />
«Evil Dead» était cartoonesque au possible,<br />
conséquence d’un slapstick fulgurant, la<br />
même séquence sera assez insoutenable à<br />
visionner, fruit d’une crédibilité d’effets de<br />
plateaux assez efficace.<br />
Trois ans plus tard, c’est avec un projet<br />
original qu’Alvarez revient, toujours dans<br />
une optique de <strong>ciné</strong>ma de genre (et avec<br />
encore Jane Levy dans le premier rôle)<br />
avec « Don’t breathe ». On y suit trois<br />
jeunes vivant à Détroit et cambriolant des<br />
maisons abandonnées pour subsister dans<br />
une ville en crise. Ils vont alors s’attaquer<br />
à l’habitation d’un aveugle qui disposerait<br />
d’assez d’argent pour pouvoir leur permettre
98<br />
de s’échapper de leur situation précaire.<br />
Malheureusement pour eux, la victime va<br />
très vite dévoiler sa nature de chasseur… Le<br />
metteur en scène uruguayen se replace dans<br />
une forme d’horreur réaliste pour livrer un<br />
thriller qui ressemble plus à « Panic Room »<br />
qu’au « Sous-sol de la peur ». Cela sera<br />
rapidement confirmé par un plan-séquence<br />
qualitatif replaçant le lieu de l’action à<br />
venir tout en annonçant certaines de ses<br />
réjouissances avec un plaisir non feint digne<br />
de David Fincher.<br />
Mais plus qu’une expérimentation visuelle,<br />
«Don’t breathe» est marqué par sa nature de<br />
thriller refusant toute forme de manichéisme<br />
simplet, obligeant les protagonistes à agir<br />
par eux-mêmes sans aide de la police. La<br />
nature importante de l’argent sera également<br />
déviée, confrontant cette motivation comme<br />
principale chez les héros tandis qu’elle est<br />
même tertiaire pour le terrifiant aveugle que<br />
campe un Stephen Lang terrifiant. Tout le<br />
film fait preuve d’une maîtrise totale, même<br />
dans ses aspects les plus ‘repoussants’. La<br />
pluie de sang d’»Evil Dead» laisse place à<br />
quelque chose de plus pernicieux, jouant<br />
moins sur le physique que sur des questions<br />
de norme, notamment par rapport au<br />
traitement des personnages féminins. Faire<br />
à nouveau sa tête de gondole permet à<br />
l’actrice d’exploiter un autre rôle de femme<br />
puissante aux fêlures certaines, héroïne<br />
attachante par son imperfection et aux<br />
motivations économiques compréhensibles.<br />
Il est donc logique qu’Alvarez retrouve ce<br />
genre de figure pour son nouveau film, sans<br />
aucun doute aussi casse-cou que ses deux<br />
œuvres précédentes. Avec « Millénium : Ce<br />
qui ne me tue pas », le réalisateur va devoir<br />
se confronter au volet précédent, mis en<br />
scène par David Fincher. Un défi loin d’être<br />
aisé, surtout au vu des retours peu extatiques<br />
de cet épisode et d’un public circonspect<br />
face à un nouveau changement d’actrice,<br />
Rooney Mara étant remplacée dans le rôle<br />
de Lisbeth par une Claire Foy célébrée
99<br />
depuis « The Crown ». Cela ne semble<br />
pas effrayer plus que ça Alvarez qui a<br />
sa propre vision de Lisbeth Salander,<br />
comme déclaré à Indie Wire : « L’une<br />
des choses que j’estimais devoir faire<br />
(…) était de vraiment faire un film<br />
sur elle » a-t-il déclaré. « Les autres<br />
films ne sont vraiment pas à propos<br />
d’elle. Ils sont racontés du point de<br />
vue d’un homme, du journaliste<br />
Mikael Blomkvist. Il est vraiment le<br />
lien avec le public, il a plus de temps<br />
d’écran tandis qu’elle s’intègre dans<br />
son histoire. » Il continue : « Pour une<br />
icône aussi féminine qu’elle, il était un<br />
peu injuste qu’elle soit présente pour<br />
raconter l’histoire de l’homme dans<br />
le premier, puis dans les deuxième<br />
et troisième. Je me suis dit : « Nous<br />
devons faire un film sur elle. » Elle en<br />
est le centre. Nous avons commencé<br />
l’histoire avec elle et nous la finissons<br />
avec elle. Et oui, Blomkvist est là,<br />
mais pour servir son histoire. (…)<br />
c’était excitant pour moi d’aller faire<br />
un film sur Lisbeth Salander. »<br />
Alors qu’il marche clairement sur le<br />
territoire d’un de ses modèles avec<br />
ce nouveau « Millénium » tout en<br />
remettant une figure féminine forte de<br />
la littérature au centre de son <strong>ciné</strong>ma,<br />
est-ce qu’Alvarez saura s’en sortir<br />
avec les honneurs ? Réponse comme<br />
toujours en salle.<br />
Liam Debruel
100<br />
SPIDER-MAN SUR
GRAND ECRAN<br />
101
102<br />
L’Homme-Araignée aura grandement<br />
marqué le <strong>ciné</strong>ma avec ses aventures. Mais<br />
alors qu’il débarque en version animée avec<br />
«New Generation», il est intéressant de<br />
revenir sur les itérations <strong>ciné</strong>matographiques<br />
de Peter Parker. Nous passerons très vite<br />
sur les films avec Nicholas Hammond,<br />
dérivés de la série «The Amazing Spider-<br />
Man». Les trois longs-métrages diffusés en<br />
Europe étaient des montages d’épisodes et<br />
sont difficilement trouvables actuellement,<br />
excepté le premier visible sur YouTube. (…)<br />
Le grand tournant des aventures de Peter<br />
Parker sur grand écran advient avec la<br />
trilogie de Sam Raimi.<br />
Le premier épisode, sorti en 2002, aura connu<br />
un sacré contrecoup dans sa promotion en<br />
se voyant obligé de supprimer sa première<br />
bande-annonce. Cette dernière montrait<br />
ainsi des braqueurs capturés par l’Homme-<br />
Araignée dans une toile tissée entre les<br />
deux tours du World Trade Center. Mais<br />
les attentats du 11 septembre 2001 auront<br />
impacté le film de manière plus prégnante<br />
encore. On retrouve beaucoup de drapeaux<br />
américains flottant en arrière-plan, utilisant<br />
le sentiment de patriotisme pour guérir les<br />
plaies de cette blessure récente pour tous les<br />
habitants du pays. En cela, Spider-Man était<br />
une œuvre nécessaire et cathartique afin de<br />
redonner de l’espoir en un héros capable de<br />
protéger les habitants de New-York d’une<br />
nouvelle catastrophe de grande ampleur.<br />
La candeur et la pureté qui s’en dégagent<br />
aident aussi : l’origin story de Spider-Man<br />
ne délaisse jamais sa romance à fleur de<br />
peau et Mary-Jane reste toujours au cœur<br />
des situations.<br />
Internet a beau être violent avec les acteurs,<br />
il suffit de revoir ce film pour constater la<br />
sévérité de la critique. Chaque personnage<br />
est casté à la perfection, et ce jusque dans
103<br />
les seconds rôles (IMPOSSIBLE de ne pas<br />
aimer JK Simmons en J Jonah Jameson). La<br />
musique de Danny Elfman conserve toujours<br />
autant de force après les années. Mais le<br />
grand point fort du premier volet est sans<br />
conteste Sam Raimi. Ses scènes d’action<br />
remarquables permettent d’appréhender<br />
au mieux les pouvoirs de son héros. Avec<br />
son ‘’Superman’’, Richard Donner nous<br />
promettait de voir un homme voler. Ici, on<br />
a une sensation tangible de voltige qui a<br />
émerveillé de nombreux spectateurs, jeunes<br />
et moins jeunes, sur grand écran. Jamais<br />
il ne délaisse néanmoins ses personnages,<br />
comme le prouve ce dialogue entre notre<br />
héros et le Bouffon Vert, transformant un<br />
toit New Yorkais en scène de théâtre épurée<br />
pour mieux souligner les similitudes entre<br />
ses protagonistes. Le résultat reste encore à<br />
ce jour ce qui se fait de mieux parmi les<br />
divertissements grands publics et le genre<br />
super-héroïque… avant de se faire dépasser<br />
par la suite.<br />
Maintenant que Raimi a les pleins pouvoirs,<br />
il s’attaque au deuxième épisode qui arrive<br />
à aller encore plus loin dans l’esthétique<br />
comics, les doutes de ses personnages,<br />
l’action et la mise en scène. Il fait rebondir<br />
Peter dans tous les sens, chaque sous-intrigue<br />
restant essentielle dans la caractérisation du<br />
personnage afin d’appréhender la difficulté<br />
de son quotidien. Spider-Man est un héros<br />
mais Peter Parker est un jeune homme qui<br />
doit gérer les difficultés du quotidien. Le<br />
Docteur Octopus devient alors une véritable<br />
némésis, l’autre face d’une pièce pouvant<br />
signifier le bouleversement des actions de<br />
Peter Parker et surtout l’implication de sa<br />
non-action temporaire, son statut de héros<br />
étant remis en question aussi bien par<br />
son quotidien, les habitants de New York<br />
et son corps. Spider-Man est une figure<br />
de l’ordinaire, l’obligation de mettre ses
104<br />
pouvoirs au service du bien et de se faire<br />
définitivement passer en dernier. Cette<br />
forme de sacrifice rappelle le besoin aux<br />
New Yorkais d’avancer après les attentats<br />
et de rester solidaires afin de se protéger<br />
les uns les autres, comme symbolisé par la<br />
magnifique scène du métro, toujours l’une<br />
des plus belles scènes du <strong>ciné</strong>ma grand<br />
public des années 2000.<br />
«Spider-Man 2» joue la carte de la suite qui<br />
veut aller plus loin que son prédécesseur<br />
mais n’oublie jamais son aspect intime.<br />
Les scènes d’action restent toujours aussi<br />
réussies, malgré quelques doublures<br />
numériques assez visibles (du moins quand<br />
elles sont éloignées, comparé à d’autres<br />
blockbusters du genre aux effets déjà datés).<br />
Raimi s’amuse toujours autant dans sa mise<br />
en scène. La preuve en est avec la ‘’naissance’’<br />
du Docteur Octopus, plus proche de «Evil<br />
Dead» que du comic book movie, avant<br />
de culminer sur un plan iconique dans sa<br />
tragédie. À ce jour, «Spider-Man 2» est un<br />
exemple de blockbuster parfait en tout point<br />
qui devrait être un modèle pour tous ceux<br />
qui l’auront suivi.<br />
Le cas du troisième volet est plus compliqué.<br />
Sony réclame à Raimi la présence de Venom,<br />
méchant iconique. Le réalisateur, peu<br />
intéressé par celui-ci, l’inclut néanmoins afin<br />
de faire plaisir aux fans et aux producteurs.<br />
Beaucoup reprochent ainsi à cet épisode<br />
de prendre l’arc du symbiote par-dessus<br />
la jambe (à voir si l’on peut dire de même<br />
pour «Venom»…). Pourtant, si l’on peut<br />
reprocher quelques ficelles à l’intrigue,<br />
le désamour accordé à «Spider-Man 3»<br />
est assez décevant. Spectaculaire tout en<br />
prenant en compte l’avancée de Peter, le<br />
film reste hautement qualitatif et regorge<br />
même de scènes extrêmement touchantes<br />
plus d’une décennie après (la naissance de<br />
l’Homme-Sable). La plupart des spectateurs<br />
reprochent l’attitude négative du héros alors<br />
qu’elle est justifiée, jusqu’à une ridicule
séquence de danse en rue maintes fois<br />
parodiée mais pourtant logique à la narration.<br />
Le personnage n’ayant plus rien à faire du<br />
regard extérieur, il se comporte de manière<br />
excentrique afin de souligner la place<br />
considérable qu’a pris le symbiote. Certains<br />
fans n’ont gardé que cela sans réfléchir<br />
plus loin sur la signification derrière, ce qui<br />
propage une image négative trop appuyée par<br />
rapport à une simple séquence. Ce troisième<br />
épisode a des défauts mais même dans son<br />
imperfection, il s’avère passionnant, ce qui<br />
ne sera pas nécessairement le cas chez ses<br />
successeurs…<br />
Après plusieurs problèmes de production,<br />
le projet d’un quatrième Spider-Man par<br />
Sam Raimi finit par être enterré. Le metteur<br />
en scène n’en peut plus, et surtout ne sait<br />
plus quoi raconter. Tobey Maguire et Kirsten<br />
Dunst finiront par le suivre, laissant Sony<br />
dans l’obligation de rebooter la saga. En effet,<br />
l’accord signé avec Marvel pour l’Homme-<br />
Araignée oblige le studio à tourner un film<br />
sur lui dans des laps de temps réguliers. Cela<br />
explique le lancement de «The Amazing<br />
Spider-Man», promettant une volonté plus<br />
réaliste due au succès de la trilogie «The<br />
Dark Knight».<br />
Cette recherche d’un ancrage plus proche du<br />
réel passe également par l’engagement au<br />
poste de réalisateur de Marc Webb, auteur<br />
d’une des meilleures comédies romantiques<br />
de ces dernières années avec le merveilleux<br />
«500 jours ensemble». Malheureusement,<br />
malgré l’attachement que l’on peut avoir<br />
pour Andrew Garfield et Emma Stone ainsi<br />
que le charme de leur relation, la romance<br />
ne retrouve jamais la pureté adolescente des<br />
films de Sam Raimi. Pire encore : l’aspect<br />
réaliste lui fait perdre toute identité, là où ce<br />
reboot en cherche désespérément. Rien ne le<br />
fait sortir du lot, et en sort un film loin d’être<br />
détestable mais bien trop oubliable pour<br />
marquer longtemps après le visionnage.<br />
105
C’est un point qui a été également reproché maintes fois à sa suite, «Le destin d’un héros»,<br />
mais bizarrement, celui-ci arrive plus à marquer dans la durée. Le style se voit plus défini<br />
dans des alentours plus cartoonesques, que ce soit dans l’interprétation de Garfield en<br />
Homme-Araignée (qui reconnaît s’être inspiré de Bugs Bunny) mais aussi dans ses visuels,<br />
plus colorés sans tomber dans le kitsch vulgaire des «Batman» de Schumacher. Il y a une<br />
sensation de trop plein qui s’en dégage, que ce soit par les pistes narratives abondantes,<br />
les méchants (point déjà reproché à «Spider-Man 3») et tout ce que cherche à accomplir<br />
le film, concurrent des représentants Marvel. Les scènes d’action se multiplient à foison,<br />
l’outrance est de mise mais le film se perd dans ses ambitions (sans doute accentué par un<br />
trop plein de scènes coupées et d’annonces futures jamais concrétisées)... Ce trop-plein<br />
rend néanmoins le résultat assez intéressant et divertissant, bien que qualitativement endessous<br />
de la trilogie de Raimi. Sony, déçu par des recettes trop basses au vu du succès<br />
mondial des «Avengers», trouvera une autre solution pour exploiter le filon.<br />
106<br />
C’est ainsi que l’Homme-Araignée revient en prêt à Marvel dans «Captain America : Civil<br />
War». Cette troisième grosse itération se voit incarnée par Tom Holland, plus proche<br />
de l’âge de Parker dans les bandes dessinées, avec une volonté de rafraîchir à nouveau<br />
le protagoniste. Si son temps d’apparition est assez court dans le film des frères Russo,<br />
il s’avère assez drôle et réussi pour obtenir son film solo, «Spider-Man Homecoming».<br />
Malheureusement, ce dernier est loin de marquer et rentre dans une formule Marvel<br />
extrêmement éculée. Si l’on note la sympathie que l’on éprouve pour Tom Holland et l’idée<br />
du Vautour de représenter un ‘’mal’’ venant d’un capitalisme outrancier symbolisé par<br />
Tony Stark, le résultat s’essouffle vite et devient très oubliable dans le schéma général des<br />
films du MCU. La troisième apparition du héros dans l’univers sera plus marquante dans<br />
le récent «Infinity War», symbolique d’une fraîcheur adolescente innocente qui connaîtra<br />
un sort fort regrettable… mais apparemment temporaire, le studio ayant bouclé la suite de<br />
ses aventures avec «Far from Home».
107<br />
Quant à Sony, il tente de se réapproprier<br />
l’univers de Spider-Man… sans celui-ci.<br />
Après des rumeurs insistantes sur un projet<br />
«Sinister Six» (alliance de méchants de<br />
l’Homme-Araignée), le studio revient avec<br />
«Venom», œuvre à la production aussi<br />
compliquée que le résultat final. Prévu pour<br />
être un film d’horreur spatial classé R, le<br />
projet évoluera en film d’anti-héros PG13<br />
pour tenter de se rattacher au MCU avec un<br />
résultat très impersonnel dans sa manière<br />
de rentrer dans le même moule qu’un<br />
«Deadpool», la classification plus basse<br />
et l’humour grossier en moins. On sent le<br />
projet d’univers partagé se créer ainsi que<br />
des itérations diverses comme le film sur<br />
d’autres protagonistes que Spider-Man (le<br />
méchant Mobius, prévu pour être incarné<br />
par Jared Leto, La Chatte Noire) ou encore<br />
en exploitant son héros en version animée.<br />
C’est là que débarque «Spiderman : new<br />
Generation», jouant du multivers héroïque<br />
pour mettre en avant Miles Morales, superhéros<br />
ayant pris la relève d’un Peter Parker<br />
décédé et reconnu en tant que Spider-Man.<br />
Est-ce que cela réussira à relancer pour eux<br />
un héros reconnu qui ne leur appartient<br />
presque plus au <strong>ciné</strong>ma suite à des travers<br />
de producteurs ? La réponse en décembre…<br />
Liam Debruel
108<br />
L’instant
séries<br />
109
110<br />
The Haunting of<br />
Hill House<br />
Série horrifique événement de Netflix,<br />
la dernière création de Mike Flanagan<br />
confirme tout le bien que l’on pense d’un<br />
metteur en scène relevant le genre avec une<br />
sensibilité désarmante et touchante.<br />
Les personnes qui connaissent le <strong>ciné</strong>ma<br />
de Mike Flanagan savent que le réalisateur<br />
écossais aborde le <strong>ciné</strong>ma de genre à<br />
mille lieues des codes actuels. Même une<br />
commande comme « Ouija : les origines »<br />
profitait de son envie de croquer des<br />
personnages désarmés plutôt que confronter<br />
des schémas à des situations high concept.<br />
Autre exemple avec « Hush », où la<br />
confrontation entre une femme sourde et<br />
un tueur s’étoffait au fur et à mesure des<br />
péripéties. Il était donc logique et intéressant<br />
de voir le réalisateur arriver sur petit écran<br />
avec le soutien d’Amblin, maison mère de<br />
la sensibilité sur grand écran. Et c’est sans<br />
aucun doute la plus grande réussite de « The<br />
Haunting of Hill House » : loin de jouer<br />
aux archétypes, les personnages vivent,<br />
souffrent, se trompent et se blessent avec<br />
leurs défauts. L’horreur paraît même passer<br />
au second plan par rapport au drame humain<br />
qui sommeille dans la famille Crain.<br />
Dans son mésestimé « Crimson Peak »,<br />
Guillermo Del Toro faisait dire à son<br />
personnage principal que son récit n’était<br />
pas une histoire de fantômes mais une<br />
histoire avec des fantômes, et cela semble<br />
assez bien coller à la série de Flanagan. Ici,<br />
les esprits sont moins vecteurs de terreur que<br />
de douleur, symbolisme des tourments de<br />
cette famille confrontée au deuil à plusieurs<br />
années d’intervalle.
111<br />
à l’un ou de déception face à l’autre,<br />
finira par exploser dans un remarquable<br />
épisode où la technique est au service<br />
des propos de, au contraire de ce que<br />
certains détracteurs répéteront à envie.<br />
Comme si le plan séquence n’était plus<br />
qu’esbrouffe visuelle et ne pouvait plus<br />
servir à nourrir un propos…<br />
La série horrifique se rapproche alors de la<br />
saga familiale, peu à peu détruite de l’intérieur<br />
par ces résidents non voulus et les malheurs<br />
qu’ils amènent, volontairement ou non. La<br />
demeure, d’une beauté gothique stupéfiante,<br />
est l’impulsion d’une autodestruction des<br />
psychés, véritable représentation d’un enfer<br />
mental qui ne peut laisser que des traumas<br />
chez ses habitants. Le récit s’articule donc<br />
autour de ces traumatismes respectifs face<br />
auxquels chacun cherche à se reconstruire,<br />
à se réparer.<br />
Tandis que Steven croit analyser son drame<br />
en le replaçant dans une fiction cathartique,<br />
sa sœur Shirley s’occupe de rendre leur<br />
beauté originelle aux morts, comme si<br />
embellir les cadavres permettait d’emballer<br />
la douleur sous un fard. Mais la douleur<br />
de chacun, leur sentiment de trahison face<br />
La beauté tragique de la série permet<br />
de toucher en plein cœur, amenant<br />
autant les larmes que l’effroi, les deux<br />
sentiments débarquant au moment le<br />
plus propice et surprenant avec une<br />
efficacité narrative inouïe. L’écriture,<br />
séparant la saison en deux, est d’une<br />
finesse qui fait mouche, développant peu<br />
à peu ses thématiques sur les souffrances<br />
les plus intimes de chacun. En cela, le<br />
cinquième épisode est l’équivalent d’un<br />
bouleversant couteau dans le cœur, nous<br />
laissant sans voix dans la tristesse la plus<br />
totale. La série est ainsi traversée de cet<br />
émoi quotidien, de ce besoin de faire<br />
face et de l’impossibilité d’oublier. Il faut<br />
avancer face à la douleur, aux fantômes<br />
de notre passé, à ces souffrances qui nous<br />
ont détruit. Comme Cary Joji Fukunaga<br />
et « Maniac », Flanagan exhorte à<br />
confronter l’insurmontable pour se<br />
reconstruire et enfin mettre de côté le<br />
chagrin.<br />
« The Haunting of Hill House » est l’une<br />
des meilleures choses qui soit arrivée au<br />
genre ces dernières années. C’est l’une de<br />
ces œuvres qui nous hantent la nuit, aussi<br />
bien pour ses moments horrifiques que<br />
ceux tragiques, avec un bouleversement<br />
qui nous met à terre une fois ses dix<br />
épisodes vus. Quant à Mike Flanagan, il<br />
confirme être l’un des meilleurs metteurs<br />
en scène dans le domaine récemment.<br />
Une vraie pierre marquante pour la<br />
télévision, horrifique ou non.<br />
Liam Debruel
112<br />
The Purge<br />
Prolongation télévisuelle de la saga<br />
Blumhouse, est-ce que « The purge » profite<br />
enfin du format à temps long pour appuyer<br />
des thèmes forts ?<br />
En effet, si les épisodes initiés par James<br />
DeMonaco se veulent ancrés dans une<br />
critique politique forte, ils n’arrivent au<br />
final que très peu à exploiter les sujets,<br />
malgré des petites touches intéressantes.<br />
Ce qui se veut comme un <strong>ciné</strong>ma de genre<br />
réflexif passe plutôt pour de l’exploitation<br />
grand public assez efficace. En cela, la série<br />
surfe sur le même bord : on est plus dans<br />
le divertissement de la purge que dans des<br />
questionnements sociétaux forts, malgré de<br />
nombreuses idées intéressantes. Une secte<br />
sacrificielle débarque, ainsi qu’un groupe<br />
de défense féministe et un véritable marché<br />
aux victimes, appuyant le corps humain<br />
comme une valeur monétaire plus qu’une<br />
valeur morale. Même dans ses détails, la<br />
série nourrit la mythologie « purgesque »,<br />
comme ces transactions attendant le début<br />
des événements pour bien se conformer à la<br />
légalité. L’acte meurtrier, mis en avant dans<br />
les quatre épisodes, se voit gangréné par<br />
d’autres crimes souvent oubliés dans leur<br />
illégalité mais pourtant d’une immoralité<br />
tout aussi cohérente.<br />
Les personnages n’aident malheureusement<br />
pas à rendre la cohésion de la série. Ce<br />
n’est pas la faute d’acteurs qui tentent<br />
ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, mais<br />
celle d’une écriture caractéristique assez<br />
dommageable qui prolonge l’un des défauts<br />
des volets <strong>ciné</strong>matographiques. S’ils étaient
113<br />
on peut admettre ne pas réellement<br />
s’ennuyer devant le résultat final. Les<br />
rebondissements sont en bon nombre<br />
et bien dosés et si la violence est loin<br />
d’être graphique, sa gestion est assez<br />
équilibrée pour conserver son impact<br />
« horrifique ». Bien évidemment,<br />
on est loin d’une œuvre sensitive<br />
de la force de « The Haunting of<br />
Hill House » mais on reste dans le<br />
percutant qui fonctionne assez bien,<br />
comme les films en somme.<br />
par moments vecteurs d’interrogations<br />
(le leader de gang de « First Purge »),<br />
ils manquaient de corps pour avoir une<br />
véritable implication morale, négative ou<br />
non. Malheureusement, c’est toujours le<br />
cas ici : les protagonistes semblent trop<br />
nombreux pour être véritablement incarnés<br />
et pas assez pour avoir une véritable vue<br />
d’ensemble sur le fonctionnement de la<br />
Purge.<br />
Maintenant, il faut reconnaître que le tout est<br />
assez amusant à suivre, entre arcs narratifs<br />
dignes de soap (ce couple forcé de passer<br />
la soirée avec une ancienne amante) et<br />
quelques implications thématiques actuelles<br />
(le corps de défense des femmes, comme<br />
dit plus haut). Dans un format d’épisodes<br />
tournant autour de la quarantaine de minutes,<br />
Loin de révolutionner le genre ou<br />
même sa propre saga, « The purge »<br />
fonctionne relativement bien pour<br />
en apprécier le visionnage, avec ce<br />
qu’il faut d’idées pour procurer de<br />
la réflexion (un peu) et une forme<br />
d’amusement (beaucoup). On est<br />
dans la même veine de qualité que<br />
les quatre épisodes filmiques, avec ce<br />
même niveau loin d’être réellement<br />
impactant mais également loin de la<br />
médiocrité d’autres concurrents dans<br />
le domaine.<br />
Liam Debruel
114<br />
Kidding<br />
Commencer une critique de «Kidding» est<br />
assez compliqué au vu de la direction vers<br />
laquelle part la série. On y suit Jeff Pickles<br />
(Jim Carrey), présentateur légendaire d’une<br />
émission pour enfants adulée autour du<br />
monde, face à divers soucis dans sa vie :<br />
le divorce avec sa femme, les actions de<br />
son fils, la perte de son autre enfant, le<br />
contrôle de plus en plus fort de son père<br />
sur l’émission… Le tout le rapproche de<br />
plus en plus d’une dépression qui risque<br />
d’être explosive et autodestructrice pour<br />
cet homme si marqué par l’optimisme et<br />
le fait de se mettre au service des autres.<br />
Le personnage est cohérent dans la<br />
filmographie d’un Gondry qui sait comment<br />
filmer une forme de spleen destructeur et une<br />
contamination d’un monde de rêve par la<br />
réalité, et inversement (« Eternal sunshine of<br />
the spotless mind », « L’écume des jours »).<br />
Sa poésie est à un doigt de l’absurde, à un<br />
autre de la réalité, confrontant extravagance<br />
visuelle à questionnements adultes à la limite<br />
de la dépression. De quoi correspondre à<br />
l’écriture de Dave Holstein, showrunner et<br />
scénariste qui régit l’entièreté de Kidding.<br />
L’un des points les plus passionnants de la<br />
série concerne les thématiques abordées par<br />
Jeff dans son émission. Cette dernière étant<br />
destinée à une large audience, on y cherche<br />
à éviter certains sujets qui pourraient<br />
déplaire aux bambins, comme la mort.<br />
Pourtant, leur renier cet apprentissage est<br />
leur renier une forme de maturation tout en<br />
repoussant à plus tard une leçon inévitable :<br />
nous allons tous finir par mourir un jour.<br />
Confronté à cette évidence avec le décès de
115<br />
fils, …) et leur rapport au personnage<br />
principal. Pickles est tellement idolâtré<br />
autour du monde par tant de personnes<br />
que l’on ne peut que questionner le<br />
rapport des gens par rapport à lui,<br />
proches ou non. Le troisième épisode<br />
condense la question au sein d’un<br />
incroyable plan séquence qui souligne<br />
l’impact de Jeff dans le quotidien d’une<br />
inconnue (la manière dont celle-ci sera<br />
traitée sera tout autant surprenante).<br />
Pourtant, cette déification ne peut<br />
qu’amener à la déception, surtout pour<br />
ses proches, nos idoles étant toutes<br />
des êtres de chair et de sang avec leur<br />
propre imperfection.<br />
son fils, Jeff se voit opposé par une forme de<br />
politiquement correct aseptisé pour mieux<br />
coller au marché publicitaire de l’émission.<br />
L’économie et le marketing deviennent<br />
centraux et Jeff voit son visage multiplié à<br />
outrance là où lui-même est brisé au plus<br />
profond de sa psyché. Le monde s’approprie<br />
Jeff Pickles. Mais qui est Jeff Pickles ?<br />
Jim Carrey incarne à la perfection le<br />
présentateur tourmenté dans une prestation<br />
qui a intérêt à lui valoir des récompenses ou<br />
du moins à souligner un talent dramatique<br />
souvent oublié au vu de ses prestations<br />
comiques. Le restant du casting est bien<br />
évidemment au diapason, ce qui appuie la<br />
solidité du projet tout en rendant crédibles<br />
certaines multiplications de points de vue<br />
(le père de Jeff, sa sœur, son ex-femme, son<br />
«Kidding» est traversé par un sentiment<br />
perpétuel de mélancolie dans lequel<br />
se reconnaître est tout autant touchant<br />
que perturbant. Bien que l’humour<br />
y soit présent, faisant mouche de<br />
manière incorrecte, sa maturité et son<br />
ton adulte devraient désarçonner une<br />
grosse partie de son audience par son<br />
imprévisibilité et son ton. Pourtant,<br />
c’est ce qui fait de «Kidding» un<br />
immanquable télévisuel de l’année et<br />
une réelle œuvre passionnante. Une<br />
deuxième saison a été confirmée et<br />
au vu de son final, on ne peut qu’être<br />
intrigué par ce qu’il adviendra de Jeff<br />
Pickles, ce génie souffrant du même<br />
spleen que tout un chacun…<br />
Liam Debruel
116<br />
Killing Eve<br />
Lutte jouissive entre deux femmes fortes,<br />
« Killing Eve » est d’une malice assez drôle.<br />
Il n’est guère étonnant, au fur et à mesure de<br />
l’avancée des épisodes, de voir que « Killing<br />
Eve » s’ouvre avec Villanelle, LA méchante<br />
de la série. Sourire en coin, basculement<br />
sans prévenir du charme irrésistible à la folie<br />
terrifiante, Jodie Comer est une véritable<br />
bombe interprétative véhiculant tout ce qui<br />
fait la réussite de la série : son charme, son<br />
humour noir et une forme de folie sourde<br />
qui ne peut que surprendre quand elle<br />
explose. En cela, l’actrice est une véritable<br />
révélation télévisuelle qui mérite à elle seule<br />
de se faire l’intégrale de « Killing Eve » en<br />
une fois, bien qu’elle ne soit pas la seule.<br />
L’écriture des personnages se fait sur un ton<br />
tragicomique efficace avec cette dualité entre<br />
Villannelle, tueuse sans scrupule car sans<br />
humanité, et Eve, femme souffrant de son<br />
humanité qui la rend socialement dépassée.<br />
Sandra Oh livre une prestation intéressante,<br />
en contrepoint sur la rage extérieure de<br />
Villanelle mais tout aussi problématique<br />
dans l’interaction avec les gens dans une<br />
fausse normalité. C’est d’ailleurs en passant<br />
sans prévenir d’une réalité banale à une<br />
violence surprenante que la série prend son<br />
charme. Phoebe Waller-Bridge, cerveau de<br />
la série, s’amuse à alterner les styles et les
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genres et amuse tout autant le spectateur<br />
par ces changements de tons abrupts.<br />
Cette alternance aléatoire de genre passe<br />
également par des décors variés, apportant à<br />
la forme le style inimitable de «Killing Eve».<br />
Le jeu du chat et de la souris entre nos<br />
deux protagonistes fonctionne surtout<br />
par cet équilibre entre les deux femmes,<br />
toutes deux dépassées à leur manière par<br />
le quotidien qu’elles veulent modeler à<br />
leur manière et en apportant de l’excitation<br />
à leur existence. Cet aspect mis à part de<br />
la société est très bien retranscrit par leur<br />
écriture mais également, comme dit plus<br />
haut, par la qualité d’interprétation de Jodie<br />
Comer et Sandra Oh, qui trouvent toutes<br />
deux un rôle à la mesure de leur talent.<br />
De quoi nous diviser encore plus<br />
sur quel personnage mérite encore<br />
plus notre amour, entre l’intelligence<br />
mesurée et passionnée et la charmante<br />
psychopathe à l’humour aussi froid<br />
que son âme.<br />
«Killing Eve» est le genre de série<br />
qu’on ne peut s’empêcher d’apprécier<br />
par son ton en constant mouvement et<br />
son duo d’actrices douées. Il est dur de<br />
ne pas s’amuser en la regardant et on a<br />
hâte de savoir ce qui nous attend pour<br />
la suite…<br />
Liam Debruel
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