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L’ÉDITO<br />
DEPUIS QUELQUES ANNÉES, MÊME LE CINÉMA SEMBLE AVOIR<br />
OUBLIER LES SAISONS. AUSSI LES GROS BLOCKBUSTERS<br />
AMÉRICAINS, AUTREFOIS CANTONNÉS À ÉGAYER NOS ÉTÉS<br />
CANICULAIRES OU PLUVIEUX PAR LEUR FRAÎCHEUR INATTENDUE<br />
OU LEUR LOURDINGUERIES DE PLAISIRS COUPABLES, ARRIVENT<br />
SUR NOS GRANDS ÉCRANS DE PLUS EN PLUS TÔT. APRÈS LES MISES<br />
EN BOUCHE «CAPTAIN MARVEL» PUIS «SHAZAM!», LE PRINTEMPS<br />
2019 SERA FORCÉMENT MARQUÉ PAR LE 22ÈME FILM DE LA SAGA<br />
MARVEL DU GANT DE L’INFINI. OUI, «AVENGERS ENDGAME»<br />
S’ANNONCE (C’EST-À-DIRE QU’IL SE PENSE) COMME LE SPECTACLE<br />
PLUS ATTENDU DE L’ANNÉE...<br />
ET POURTANT, N’EN DÉPLAISE À DISNEY, CE N’EST PAS LE CINÉMA<br />
QUI NOUS FERA SALIVER EN AVRIL, MAIS LA TÉLÉVISION. LE<br />
SPECTACLE LE PLUS ATTENDU DE L’ANNÉE, CE N’EST PAS LE DERNIER<br />
AVENGERS… C’EST «GAME OF THRONES». VALAR MORGHULIS!<br />
CAPTAIN JIM
4
5<br />
LE SOMMAIRE<br />
P.6 Critiques Netflix<br />
p.10 critiques mars-avril<br />
P.46 jordan peele is...<br />
p.56 rétro tim burton<br />
p.78 laika : au sommet de l’animation<br />
p.88 Analyse : Her de spike jonze<br />
p.94 37e édition du bifff<br />
p.96 mort aux plot holes !<br />
p.102 l’instant séries<br />
p.116 les chroniques dvd<br />
DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG<br />
MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG<br />
RÉDACTEURS : CAPTAIN JIM, LIAM DEBRUEL, BAPTISTE ANDRE, SEBASTIEN NOURIAN, PRAVINE BARADY & AUBIN<br />
BOUILLÉ
6CRITIQ
7<br />
UES<br />
NETFLIX
VELVET BUZZSAW<br />
DE DAN GILROY. AVEC<br />
JAKE GYLLENHAAL, BILLY<br />
MAGNUSSEN… 1H52<br />
8<br />
Les frères Gilroy ne vous disent peut être<br />
rien, et pourtant ils sont des réalisateurs<br />
américains relativement influents sur ces<br />
dix dernières années. Tony Gilroy est<br />
le réalisateur du sous estimé «Michael<br />
Clayton», mais surtout un scénariste à<br />
la carrière imposante qui va de la saga<br />
«Jason Bourne» (dont il a réalisé le spinoff),<br />
à «L’Associé du Diable» en passant par<br />
«Armaggedon ou «L’Echange».<br />
Mais ici c’est son petit frère qui nous<br />
intéresse. Il a lui aussi débuté à la plume<br />
avec des scénarios comme «The Fall» ou<br />
«Kong : Skull Island». Mais quand il est<br />
passé derrière la caméra il a d’avantage<br />
fait de bruit. Puisque son «Night Call»,<br />
porté par Jake Gyllenhall était une descente<br />
médiatique aux enfers trépidantes qui<br />
permettait à l’acteur d’étendre encore<br />
un peu plus son talent sur le Hollywood<br />
contemporain. Après avoir réalisé «L’Affaire<br />
Roman J.» le revoilà sur Netflix depuis le<br />
1er février avec «Velvet Buzzsaw».<br />
«Velvet Buzzsaw» n’a clairement pas trouvé<br />
son public. Beaucoup on considéré l’essaie<br />
Netflix du <strong>ciné</strong>aste comme une œuvre<br />
superficielle et insipide. Pourtant il se<br />
dégage de «Velvet Buzzsaw» quelque chose<br />
de fascinant, presque d’hypnotique. Peutêtre<br />
est-ce grâce à son casting imposant,<br />
mais surtout d’un talent incroyable. Jake<br />
Gyllenhaal encore lui, mais aussi des actrices<br />
trop absentes des écrans comme Rene<br />
Russo et Toni Collette. Et bien évidemment<br />
John Malkovich, dans un rôle plus profond<br />
qu’il n’y paraît. Bref «Velvet Buzzsaw» parle<br />
d’art, mais surtout du business qui l’entoure,<br />
de l’artiste lui même, au critique en passant<br />
par les investisseurs et les consommateurs.<br />
Le long métrage met en exergue le
01/02<br />
fonctionnement actuel du monde élitiste<br />
de l’art. Un univers bourgeois décadent et<br />
exécrable caricaturé par Dan Gilroy.<br />
Certes la bande annonce proposait une<br />
expérience horrifique, mais les traits<br />
d’épouvantes sont trop rares pour classer<br />
«Velvet Buzzsaw» dans cette catégorie. Il<br />
n’empêche que certains excès de violence<br />
gore ne sont pas édulcorés, pour le plaisir<br />
des amateurs d’hémoglobine, comme une<br />
réponse à la peinture rouge appliquée<br />
sur les toiles. Bref, «Velvet Buzzsaw»<br />
est un divertissement intéressant, qui<br />
offre de véritables visions d’auteur, loin<br />
du tout venant hollywoodien. Le long<br />
métrage aurait sûrement été un énorme<br />
bide en salles, à cause d’une réalisation<br />
qui manque peut-être parfois d’une réelle<br />
approche <strong>ciné</strong>matographique. Mais le<br />
<strong>ciné</strong>aste parvient néanmoins à se créer une<br />
esthétique moderne attrayante, qui tente de<br />
communier avec le 3e art.<br />
Le plus plaisant demeure les personnages.<br />
Tous assez ambigus, complexes dans<br />
leurs raisonnements et leurs choix, ils sont<br />
finalement les véritables œuvres d’art de ce<br />
long métrage. Jake Gyllenhall est inspiré en<br />
critique d’art mondain, une main de velours<br />
dans un gant de fer, à la recherche du scoop<br />
ou du scandale. Mais aussi un passionné<br />
en quête de l’œuvre d’art ultime. Il y aussi<br />
Toni Collette et Rene Russo dans leurs<br />
rôles d’attachés artistiques en compétition.<br />
La seconde réserve d’ailleurs un final<br />
frissonnant et véritablement bien pensé. Et<br />
enfin il y a John Malkovich, peut-être le seul<br />
véritable artiste de ces protagonistes. Le seul<br />
qui réfléchit par essence artistique et non<br />
par profit économique. C’est finalement<br />
ça la morale, certes peu originale, mais<br />
relativement bien retranscrite, de «Velvet<br />
Buzzsaw». Ça marche également avec le<br />
<strong>ciné</strong>ma. Comment l’argent à corrompu<br />
l’art, mais également les artistes. Et surtout,<br />
comment, de nombreux individus sans<br />
talent profitent de celui des autres. Une<br />
vision extrêmement réaliste du marché de<br />
l’art actuel, proposée de manière inédite<br />
dans le «Velvet Buzzsaw» de Dan Gilroy.<br />
Avec son approche sous forme de jeu de<br />
massacre où l’art puni ceux qui l’exploitent,<br />
«Velvet Buzzsaw» est une œuvre étonnante,<br />
qui a ses défauts, mais des plus pertinentes.<br />
Le casting est parfait, tandis que les morts<br />
restent jouissives. Le petit côté superficiel<br />
apporte de la crédibilité au message : la<br />
vacuité d’une partie mondaine de l’art, qui<br />
juge, s’approprie et exploite ce dernier. Bref,<br />
c’est superbe, étonnant, déroutant, et ne<br />
manque pas de quelques petites punchlines<br />
cinglantes pour mettre à mal une société qui<br />
ne sait plus considérer l’art à sa juste valeur.<br />
Aubin Bouillé<br />
9
10<br />
J.C. Chandor, après trois premiers films très<br />
réussis, est de retour, mais cette fois ci sur<br />
Netflix. Avec «Triple Frontière» il réunit un<br />
casting imposant notamment composé de<br />
Oscar Isaac, Ben Affleck et Charlie Hunnam.<br />
Il raconte comment un groupe d’anciens<br />
soldats de l’armée américaine se lance dans<br />
le hold-up d’un riche trafiquant de drogue<br />
sud-américain. Le parfait mélange entre<br />
blockbuster et film d’auteur.<br />
J.C. Chandor s’est illustré avec des films<br />
extrêmement personnels et artistiques.<br />
D’abord la vision de la crise des subprimes<br />
avec le sublime «Margin Call», qui n’aura<br />
été égalé que par l’excellent «The Big<br />
Short» dans une autre approche. Le survival<br />
«All is Lost» qui voyait une des dernières<br />
interprétations du grand Robert Redford et<br />
enfin «The Most Violent Year» qui signait<br />
sa première collaboration avec Oscar<br />
Isaac. En le voyant débarquer sur Netflix<br />
beaucoup se sont inquiétés de le voir noyer<br />
dans la machine et signer un long métrage<br />
impersonnel. Mais c’est mal connaître le<br />
bonhomme puisqu’il parvient encore une<br />
fois à trouver sa voix et une intrigue solide<br />
à raconter. Parce qu’avec «Triple Frontière»,<br />
au-delà de son approche bourrée d’action<br />
et de testostérone, qui voit des mercenaires<br />
piller et tuer, c’est également une critique<br />
acerbe envers les Etats-Unis et son peu de<br />
reconnaissance vis-à-vis de ses soldats.<br />
Tandis que les politiciens s’en sortent avec<br />
TRIPLE FR<br />
des subventions à vie, les petits pantins au<br />
service de l’Amérique sont envoyés aux<br />
oubliettes. Une intrigue souvent traitée, par<br />
exemple à merveille dans le dernier Ang Lee,<br />
qui mettait en exergue toute l’hypocrisie<br />
de ce système. Il n’empêche qu’ici, plutôt<br />
que de s’apitoyer sur leur sort, le <strong>ciné</strong>aste<br />
offre à ses ex-marines l’occasion de se<br />
venger en s’en mettant plein les poches.<br />
C’est finalement une oeuvre passionnante<br />
qui évolue entre le polar, le thriller politicomilitaire<br />
et le film d’action. Un long métrage<br />
presque lancinant qui prend son spectateur<br />
dans cette équipe de choc pour l’emmener<br />
dans les superbes décors de l’Amérique du<br />
Sud.<br />
La mise en scène est relativement léchée.<br />
J.C. Chandor porte encore une fois son film
11<br />
13/03<br />
ONTIÈRE<br />
DE J.C. CHANDOR. AVEC BEN<br />
AFFLECK, OSCAR ISAAC… 1H53<br />
grâce à une photographie plutôt esthétique<br />
dans des décors réalistes superbes. Il<br />
préfère privilégier la tension à l’action et<br />
le sentimentalisme de ses personnages<br />
plutôt que l’importance des actes. Ces<br />
cinq soldats sont des as, de véritables<br />
professionnels parfaitement interprétés par<br />
un casting imposant, dont J.C. Chandor<br />
sait tirer parti. Oscar Isaac voit sa carrière<br />
totalement décoller, et paradoxalement<br />
devient légèrement plus paresseux dans ses<br />
récentes interprétations. Ben Affleck quant<br />
à lui n’a pas à forcer son jeu blasé, énième<br />
rengaine du Batfleck fatigué d’exister, qui<br />
ne semble jamais réellement investi dans<br />
ses personnages. Mais le non jeu de l’acteur<br />
sied parfaitement à son protagoniste. En<br />
tout cas J.C Chandor démontre sa capacité<br />
à trouver le juste équilibre entre une vision<br />
d’auteur avec des questionnements internes<br />
personnels et politiques et une approche<br />
plus grand public composée de gun fights et<br />
d’extraditions explosives.<br />
Une chose est sûre, «Triple Frontière «prouve<br />
encore une fois que Netflix sait où capitaliser<br />
son argent en donnant sa confiance à des<br />
réalisateurs influents. Le budget investi est<br />
bien rendu et la liberté artistique laissée par<br />
la plateforme prend encore tout son sens.<br />
Et dire qu’il y a encore des anti-Netflix, des<br />
sceptiques qui ne comprennent pas que<br />
sans Netflix des films comme «Roma» ou<br />
«Annihilation» n’auraient jamais vu le jour.<br />
Aubin Bouillé
12CRITIQ
13<br />
UES<br />
DES FILMS DE FÉVRIER DONT ON A PAS PU PARLER DANS<br />
LE PRÉCÉDENT NUMÉRO PARCE QU’ON LES A PAS VU MAIS<br />
COMME ON A LA FLEMME ON FERA QUE LES GROS FILMS
13/02<br />
14<br />
Dans le milieu des blockbusters convenus<br />
au possible, Alita se révèle une bouffée d’air<br />
frais réussie et galvanisante.<br />
Alita est une jeune cyborg amnésique.<br />
Alors qu’elle tente de survivre à Iron City,<br />
elle se découvre des talents de combat<br />
éblouissants…<br />
Alita est de ces projets dont on parle depuis<br />
des années et qui débarquent du jour au<br />
lendemain avec une certaine crainte derrière.<br />
En effet, on parle ici d’une adaptation du<br />
fameux manga «Gunnm» et au vu des<br />
critiques entourant les transpositions de ce<br />
genre, les attentes étaient assez basses. Il<br />
suffit de se rappeler des retours incendiaires<br />
sur la version américaine de «Death Note»<br />
pour souligner la nature dangereuse du<br />
projet. C’est faire fi de la présence de Robert<br />
Rodriguez derrière la caméra et de James<br />
Cameron à la production, tous deux grands<br />
fans de la pop culture et ayant prouvé leur<br />
amour indéfectible pour les innovations<br />
technologiques <strong>ciné</strong>matographiques. C’est<br />
ainsi ce qui frappe le premier dans le film :<br />
si la nature d’Alita est inhumaine (aussi<br />
bien par sa place de robot que sa création<br />
en performance capture), son humanité<br />
transparaît avec tellement d’éclat que l’on<br />
en oublie qu’elle n’est que fiction et que<br />
son corps n’a en soi rien d’humain.<br />
Les questions sur la nature de l’humanisme<br />
et le rapport aux corps, bien que discrètes,<br />
sont dès lors passionnantes tout en étant<br />
ancrées dans une narration aux airs convenus<br />
mais arrivant à en sortir par certains aspects.<br />
C’est ainsi qu’en présentant Alita en élément<br />
étranger en début de récit que l’on introduit le<br />
fonctionnement d’Iron City comme logique.<br />
Jamais le film ne se retrouve à sur-expliquer<br />
ALITA : BA<br />
certains points et il appelle le spectateur à<br />
relier les points qui lui sont donnés sans le<br />
prendre par la main. Pourtant, le film lui tend<br />
celle-ci dans des séquences au romantisme<br />
subtil et ne tombant jamais dans le méchoui<br />
émotionnel. Il y a ainsi une certaine logique<br />
dans l’avancement des protagonistes mais<br />
sans que ceux-ci n’apparaissent comme<br />
mécaniques. On est même surpris par la<br />
fluidité du récit alors qu’il raconte au final<br />
bien plus que ce qu’il n’y paraît.<br />
Si l’on sent un travail de storyboarding<br />
intense de James Cameron au vu de son<br />
acharnement sur le projet, c’est bien Robert<br />
Rodriguez qui mène la barque dans ce<br />
qu’on n’hésitera pas à décrire comme son<br />
meilleur film. Toutes les scènes d’action
TTLE ANGEL<br />
sont d’une lisibilité exemplaire et (miracle)<br />
ne ralentissent jamais l’histoire. Bien au<br />
contraire même : c’est par ces moments<br />
d’action que les personnages avancent<br />
et se dessinent encore plus, comme Alita<br />
dont le surnom d’Ange de combat n’est pas<br />
démesuré. À une époque où les explosions<br />
servent à nourrir le besoin de sensation du<br />
spectateur en dépit de certaines logiques<br />
narratives, Alita est exemplaire dans sa<br />
manière de juxtaposer l’écriture et l’émotion<br />
de ses protagonistes pour mieux les dessiner<br />
au fil de séquences réjouissantes (rien que<br />
la scène du Motorball justifie la 4DX).<br />
On est au final tellement subjugué par<br />
l’avancement technique et narratif du film<br />
que l’on en oublierait presque la révolution<br />
visuelle qui se fait devant nous, repoussant<br />
DE ROBERT RODRIGUEZ. AVEC<br />
ROSA SALAZAR, CHRISTOPH<br />
WALTZ… 2H02<br />
les capacités de la performance capture avec<br />
brio, notamment par le biais de plusieurs<br />
contacts avec divers personnes et objets au<br />
point que l’existence même de notre héroïne<br />
n’est jamais remise en cause.<br />
Est-ce que «Alita Battle Angel» est exempt<br />
de défauts ? Bien évidemment que non,<br />
souffrant par instants de sa nature resserrée<br />
et de certains dialogues. Cela ne l’empêche<br />
pas d’être LE blockbuster de ce début<br />
d’année, un souffle nouveau au sein d’une<br />
société de divertissement répétitive. Bref,<br />
si vous avez encore l’occasion de soutenir<br />
ce film en salles, n’hésitez surtout pas tant<br />
nous avons besoin de films à gros spectacle<br />
aussi éblouissants.<br />
Liam Debruel<br />
15
16CRITIQ
UES<br />
CRITIQUES POUR AVRIL (OUPS)<br />
MARS(ET 2<br />
17
06/03<br />
CAPTAIN MARVEL<br />
18<br />
Devenu le plus gros succès de l’année<br />
au box-office en l’espace de même pas<br />
deux semaines, «Captain Marvel» est<br />
définitivement un film dont on ne peut pas<br />
ne pas parler. Les salves de critiques ont été<br />
violentes et cela bien même avant que le<br />
film ne sorte, une fulgurance à laquelle nous<br />
sommes habitués avec les films Marvel qui a<br />
son lot de détracteurs comme d’admirateurs.<br />
Cependant il faut dire que pour le premier<br />
film du Marvel Cinematic Universe mettant<br />
au premier plan une super-héroïne, le lot<br />
de détracteurs était encore plus important,<br />
mais là n’est le sujet de ce papier.<br />
Comme je l’avais déjà évoqué dans le papier<br />
que j’avais écrit concernant le dernier<br />
film de Xavier Dolan «Ma vie avec John<br />
F. Donovan» (à lire ici pour les curieux :<br />
https://onsefaituncine.com/2019/03/14/mavie-avec-xavier-dolan/)<br />
- et vous ne serez<br />
peut-être pas d’accord avec moi - mais<br />
j’estime que parfois il est bon de voir audelà<br />
du simple objet <strong>ciné</strong>matographique.<br />
Evidemment, lorsqu’on prend le film comme<br />
il est, difficile de défendre un produit<br />
sorti tout droit de l’écurie Marvel et qui a<br />
donc la plupart des mêmes défauts que ses<br />
autres camarades. On regrettera comme à<br />
l’accoutumée un manque total de direction<br />
artistique (la scène du métro, plus illisible tu<br />
meurs) et un scénario desservant totalement<br />
son personnage principal - on devine assez<br />
rapidement les enjeux, les tenants et les<br />
aboutissants de ce film -. Il faut dire que<br />
«Captain Marvel» était le dernier bastion<br />
avant la grosse machine «Endgame» qui<br />
arrive d’ici moins d’un mois, de quoi peut-
DE ANNA BODEN, RYAN FLECK. AVEC BRIE<br />
LARSON, SAMUEL L. JACKSON… 2H04<br />
être mettre une presse supplémentaire sur ce<br />
film qui n’est finalement pas plus mauvais<br />
que ses prédécesseurs. Il n’empêche que les<br />
critiques vont bon train concernant le film.<br />
À tort ou à raison ? Chacun est libre de s’en<br />
faire sa propre opinion. Il n’empêche qu’il<br />
est indéniable que Brie Larson et «Captain<br />
Marvel» ont durablement marqué les esprits.<br />
MAIS ALORS IL Y A QUOI DERRIÈRE<br />
L’OBJET CINÉMATOGRAPHIQUE ?<br />
Derrière «Captain Marvel» il y a d’abord<br />
une firme qui touche un très large public.<br />
On se souvient encore comment «Black<br />
Panther» avait galvanisé le public pour sa<br />
représentation. En 2019, alors que les débats<br />
concernant la femme et sa place dans la<br />
société se font de plus en plus importants,<br />
il y a cette nouvelle génération qui arrive<br />
et qui se retrouve directement la tête la<br />
première dans ce sexisme ambiant. Et cette<br />
nouvelle génération a besoin de modèle,<br />
d’icône. Vous me direz qu’elles trouveront<br />
dans leur mère, leur entourage un modèle<br />
à suivre. Certes mais il nous faut quelque<br />
chose de plus fort, de plus puissant, quelque<br />
chose qui nous dépasse.<br />
Les petites filles qui prendront comme<br />
modèle «Captain Marvel» (au même titre<br />
qu’une Wonder Woman, Black Widow ou<br />
toute autre super-héroïne) en retiendront<br />
avant tout sa pugnacité, sa force, son<br />
énergie… Puiser ses forces dans un<br />
19
20<br />
personnage fictif est ce qui nous permet de<br />
rêver, de se dire quelque part que tout est<br />
possible, que nous aussi on peut porter un<br />
costume et avoir de super-pouvoirs, de se dire<br />
qu’on est une femme et qu’on est forte. Tout<br />
au long du film, Captain Marvel démontre<br />
son courage et son émancipation progressive<br />
jusqu’à cette phrase - certes facile mais qui<br />
doit avoir une raisonnance - : «Je n’ai rien à te<br />
prouver».<br />
La force des mots, des images, de la rêverie<br />
qu’entraîne le <strong>ciné</strong>ma peut être très forte et<br />
avec «Captain Marvel» il est certain qu’elle<br />
l’est (n’en déplaise à ses détracteurs). Il suffit de<br />
regarder toutes les petites filles, les adolescentes<br />
et les adultes déguisées en Captain Marvel<br />
lors de conventions ou aux avants-premières,<br />
ce personnage est galvanisant, porteur d’un<br />
message et que oui, malgré tous ses défauts,<br />
«Captain Marvel» est un film nécessaire, car<br />
finalement un blockbuster grand public où<br />
une femme est une super-héroïne ça ne court<br />
clairement pas assez les salles de <strong>ciné</strong>ma.<br />
Margaux Maekelberg
21
06/03<br />
LE MYSTÈRE HENRI PICK<br />
DE<br />
RÉMI BEZANÇON. AVEC<br />
FABRICE LUCHINI, CAMILLE<br />
COTTIN… 1H40<br />
22<br />
Adapté du roman éponyme de David<br />
Foenkinos, «Le Mystère Henri Pick» est une<br />
délicieuse enquête dans laquelle le critique<br />
littéraire Jean-Michel Rouche part en quête<br />
de vérité lorsqu’un livre devient en un rien<br />
de temps en best-seller. Chose d’autant plus<br />
étonnante que son écrivain - désormais<br />
décédé - n’était qu’un pizzaïolo durant<br />
son existence et qu’aucun membre de sa<br />
famille n’a jamais eu vent de ce manuscrit.<br />
Persuadé qu’il est face à une machinerie<br />
orchestrée par il-ne-sait-qui, il se met en tête<br />
de découvrir la vérité, épaulé par Joséphine<br />
Pick qui n’est autre que la fille de l’écrivain.<br />
Le réalisateur Rémi Bezançon arrive à nous<br />
mener par le bout du nez pendant plus d’une<br />
heure et demie, poussant son spectateur<br />
à également dénicher le vrai du faux dans<br />
toute cette histoire rocambolesque. Mais ce<br />
qui permet au film de se détacher du lot c’est<br />
sans conteste son duo magistral. Entre un<br />
Fabrice Luchini plus ‘‘Luchini’’ que jamais et<br />
une Camille Cottin absolument délicieuse.<br />
un duo détonnant, rôle et efficace dans<br />
un roman avec un grand A célébrant les<br />
mots, la littérature et le pouvoir qu’ont les<br />
histoires d’offrir parfois un peu de magie et<br />
de féerie dans un monde bien morose. En<br />
plus d’une mise en scène élégante - entre<br />
les côtes bretonnes et le chic parisien -, «Le<br />
mystère Henri Pick» fonctionne grâce à ses<br />
dialogues souvent juteux et ses situations<br />
parfois cocasses.<br />
Du bon divertissement, drôle, intelligent<br />
et qui, malgré une conclusion un poil<br />
expéditive, nous régale de A à Z.<br />
Margaux Maekelberg
06/03<br />
DAMIEN VEUT CHANGER LE MONDEDE XAVIER DE CHOUDENS.<br />
AVEC FRANCK GASTAMBIDE,<br />
MELISA SÖZEN… 1H39<br />
Il faut appeler un chat, un chat et soyons<br />
honnêtes, lorsqu’on a vu la bande-annonce<br />
de «Damien veut changer le monde» nous<br />
y sommes allés à reculons dans cette salle.<br />
Car avec ses allures de ‘‘film white savior’’,<br />
il n’y avait vraiment rien d’encourageant.<br />
Mais comme on dit il faut laisser sa chance<br />
à tous les films et après l’avoir vu, on est<br />
bien contents de se dire qu’on avait quand<br />
même bien tort. Pion dans une école de<br />
banlieue, Damien se voit obligé d’épouser<br />
la mère d’un de ses élèves pour qu’ils<br />
évitent l’expulsion. Ce petit geste anodin<br />
- mais quand même illégal - va entraîner<br />
plus de répercussions que prévues lorsque<br />
ce sont des dizaines de mères sans papiers<br />
qui sonnent à la porte de Damien. Coincé<br />
dans un engrenage dont il n’avait pas prévu<br />
la portée, ce fils de militants va tout faire<br />
pour aider ces femmes et ces enfants à<br />
se sortir de la misère et espérer un avenir<br />
un peu plus radieux. S’il fallait bien un<br />
feel-good movie c’était celui-là. Véritable<br />
message d’espoir, de tolérance et d’entraide,<br />
«Damien veut changer le monde» est surtout<br />
porté par un Franck Gastambide qui devrait<br />
décidément se tourner un peu plus vers les<br />
films dramatiques - comédies dramatiques<br />
(à l’image de «La surface de réparation»<br />
sorti l’année dernière et dans lequel il était<br />
magistral).<br />
Finalement loin de l’image de white savior<br />
qu’il aurait pu dégager, «Damien veut<br />
changer le monde» est un film absolument<br />
sympathique qui réussit à nous filer un peu<br />
de baume au coeur et qui nous offre parfois<br />
même de jolis rires.<br />
Margaux Maekelberg<br />
23
STAN ET OLLIE<br />
24<br />
Amer crépuscule de deux idoles d’un<br />
ancien (et glorieux) temps du Cinéma. «Stan<br />
et Ollie» est un film que l’on oubliera vite,<br />
assez classique certes, mais qui demeure<br />
néanmoins touchant d’honnêteté et d’une<br />
suave mélancolie portée par deux bons<br />
acteurs dont l’acte final de danse en est<br />
l’incarnation la plus aboutie.<br />
Il était une fois, dans le royaume de<br />
Hollywood, Laurel et Hardy, deux amis<br />
vagabonds –sorte de Don Quichotte et<br />
Sancho Panza modernes- figuraient parmi<br />
les plus grands génies comiques du siècle.<br />
Leurs films adulés, leurs performances<br />
saluées par la critique, le duo s’érigeait au<br />
firmament du <strong>ciné</strong>ma comique (auprès des<br />
Chaplin, Keaton, et des Marx Brothers). Leur<br />
vie s’écoulait de film en film. Les studios de<br />
<strong>ciné</strong>ma étaient leur demeure (comme le<br />
montre ce long plan-séquence initial où l’on<br />
voit les deux amis traverser les studios de la<br />
MGM). L’avenir semblait n’être fait que de<br />
triomphes. D’argent. De liberté artistique…<br />
Mais Hollywood (souvenons-nous de<br />
Mullholand Drive ou bien de Maps to the<br />
The Stars) est un monstre froid, un vampire<br />
qui ne vous laisse pas une goutte de sang et<br />
vous recrache une fois repu du festin que<br />
vous avez préparé en son honneur.<br />
Ainsi, Hollywood recracha Laurel et Hardy.<br />
Quelle faute avaient-ils commise pour être<br />
accablés d’un aussi triste destin ? Quelle
06/03<br />
DE JON S. BAIRD. AVEC STEVE<br />
COOGAN, JOHN C. REILLY…<br />
1H37<br />
pomme avaient-ils croqué pour qu’on les<br />
chasse de ce Paradis dont ils furent aussi les<br />
architectes ? Aucune. Seulement le Temps…<br />
Le Temps qui passe et ne vous laisse rien,<br />
pas même le tribut mérité de votre gloire.<br />
Tel est le parti pris du film. Pendant près de<br />
1H30, nous suivons John. C. Reilly et Steve<br />
Coogan, merveilleusement métamorphosés<br />
en Laurel et Hardy, durant la tournée des<br />
théâtres britanniques qu’ils effectuèrent<br />
en 1953. Cette tournée fut spécialement<br />
conçue afin de permettre au duo de regagner<br />
leur célébrité perdue et parallèlement leur<br />
permettre de financer leur retour sur grand<br />
écran. En effet, Laurel a invité un producteur<br />
de Londres à venir voir leur show dans la<br />
capitale anglaise, et celui-ci, en fonction de<br />
l’accueil critique qu’ils recevront, pourrait<br />
bien produire leur prochain film. Mais avant<br />
de pouvoir espérer jouer à Londres, Laurel<br />
et Hardy devront tourner dans les villes et<br />
autres bourgades de la Grande-Bretagne.<br />
Les deux amis se démènent, malgré leur<br />
vieillesse apparente, malgré la santé<br />
dégradée de Hardy, malgré qu’on les ait un<br />
peu oubliés (« Je croyais que vous étiez à la<br />
retraite » dira une jeune réceptionniste). Les<br />
efforts paient. Ils passent de théâtres délabrés<br />
en théâtres plus somptueux ; le nombre de<br />
spectateurs augmente ; la publicité qui leur<br />
est faite aussi. Ainsi, il se rapprochent peu<br />
à peu de leur grand show Londonien et du<br />
rêve chatoyant d’un retour au <strong>ciné</strong>ma.<br />
Evidemment, rien ne se passera comme<br />
prévu. Laurel et Hardy ne tourneront jamais<br />
ce dernier film dont ils ne cessent de discuter<br />
et répéter. Mais, cette épopée Britannique<br />
n’est en réalité qu’un prétexte pour aborder<br />
le thème central qui noue le film : l’amitié<br />
qui lie ces deux acteurs de génie. Une<br />
amitié morose, troublée par une vieille<br />
trahison (que le road trip fera ressurgir) et<br />
par un regret : celui de ne pas avoir pu<br />
s’affranchir des studios Hollywoodien qui<br />
25
26<br />
les malmenaient. Tout du long, on les voit<br />
rire ensemble ; ils se chamaillent ; ils se<br />
fâchent ; ‘‘Je nous aimais’’ lance Laurel, ‘‘Tu<br />
ne m’a jamais aimé moi’’ répond la voix<br />
pleine de larmes un Hardy en fin de course.<br />
Chacun retire une leçon de cette histoire.<br />
Laurel apprend à tempérer ses ambitions,<br />
à faire fi des anciennes vexations. Hardy,<br />
lui, renouera avec son ami et comprendra<br />
enfin d’où provient ce chagrin qui les avait<br />
séparés. C’est justement dans ces moments<br />
de tendresse mélancolique que le film<br />
réussit le mieux. Comme un funambule,<br />
il maintient un équilibre spectaculaire, le<br />
temps de quelques scènes sporadiques,<br />
entre l’émotion et le rire. Sans jamais verser<br />
dans le sentimentalisme d’ailleurs, ou bien<br />
en évitant de faire de Laurel et Hardy les<br />
caricatures d’eux-mêmes. Car ce n’est ni<br />
la mise en scène assez banale, ni l’écriture<br />
du scénario classique, qui subjuguent, mais<br />
la capacité des deux acteurs principaux<br />
à avoir su nous rendre toute la matière<br />
de ce que fut leur amitié. On y croit. On<br />
s’émeut. L’impression est telle qu’arrive un<br />
certain moment du film où l’on ne regarde<br />
plus John. C. Reilly et Steve Coogan jouant<br />
Laurel et Hardy mais bien les deux comiques<br />
ressuscités le temps d’un film qui leur<br />
apporte un dernier hommage (ô combien<br />
mérité).<br />
Mais comme la carrière du duo, le film<br />
nous laisse finalement avec un sentiment<br />
d’amertume. Ce que l’on constate de<br />
troublant à la sortie du film c’est à quel<br />
point Hollywood a oublié Stan et Ollie<br />
(ainsi que les autres : Keaton, Graucho Marx<br />
et d’une certaine manière Chaplin). Si l’on<br />
se souvient d’eux ce n’est non sans une<br />
touche outrageante de kitsch. (A voir toutes<br />
les tasses à café, les T-Shirts etc. sur lesquels<br />
on a dessiné le visage d’un Chaplin, ou la<br />
moustache d’un Graucho). Le film Stan et<br />
Ollie ne peut pas lui aussi éviter d’être une<br />
métamorphose de ce kitsch-là malgré toute<br />
la volonté qu’il emploi à vouloir rester vrai et<br />
touchant. Il est symptôme de cette pérenne<br />
maladie qui touche le <strong>ciné</strong>ma moderne : le<br />
kitsch.<br />
N’oublions donc pas les mots très justes<br />
de Milan Kundera dans l’»Insoutenable<br />
Légèreté de l’Être» : ‘‘Avant d’être oubliés,<br />
nous serons changés en kitsch. Le kitsch,<br />
c’est la station de correspondance entre<br />
l’être et l’oubli.’’<br />
Nourian S.
27
13/03<br />
DRAGON BALL SUPER : BROLYDE TATSUYA NAGAMINE. AVEC LES VO<br />
PATRICK BORG, ERIC LEGRAND,<br />
BRIGITTE LECORDIER… 1H40<br />
28<br />
La grande saga «Dragon Ball» est enfin de<br />
retour sur grand écran en France après de<br />
nombreuses années, malgré les sorties des<br />
précédents films. Et Dieu que ça fait plaisir !<br />
Le film était d’autant plus attendu qu’il<br />
permettait au personnage de Broly de s’offrir<br />
une modernisation (son nouveau look est<br />
très cool) et une intégration dans le canon<br />
officiel de la série ! (C’est également le cas<br />
pour un autre personnage, mais si vous<br />
n’avez pas regardé tous les visuels promos,<br />
vous aurez la surprise !)<br />
On retrouve nos héros après la fin de l’arc<br />
‘‘Survie de l’Univers’’ de la série animée<br />
«Dragon Ball Super» mais ne vous inquiétez<br />
pas, si vous n’avez pas regardé tous les<br />
épisodes, vous ne serez pas perdus. Le<br />
scénario ne mentionne que brièvement les<br />
précédents événements, et propose une<br />
histoire toute fraîche, fonctionnant comme<br />
une origin story. Celle de Broly, bien sûr,<br />
mais aussi celle du peuple Saiyan.<br />
On revisite donc entièrement (et<br />
différemment) ce qu’on avait vu dans l’OAV<br />
«Le Père de Son Goku», c’est-à-dire toute<br />
l’histoire de la fin de la planète Végéta, le<br />
sort des parents de Goku, ainsi que le rôle<br />
de Broly et son père Paragus dans tout ça.<br />
Toute cette histoire, qui dure à peu près la<br />
moitié du film est très intéressante, et permet<br />
de comprendre facilement les enjeux, et les<br />
caractéristiques des personnages, comme<br />
Freezer par exemple. Mais le plus intriguant<br />
reste le traitement psychologique de Broly.<br />
Lui qui n’était qu’une bête sanguinaire<br />
assez unidimensionnelle dans ses<br />
incarnations passées, bénéficie désormais
29<br />
IX<br />
de plus de nuance, en développant sa<br />
relation violente avec son père, rongé<br />
par l’orgueil et la vengeance. C’est une<br />
direction véritablement intéressante qui<br />
donne de l’épaisseur au personnage,<br />
mais pour rassurer les fans de l’ancien<br />
Broly, il conserve tout de même sa part de<br />
sauvagerie totalement incontrôlable qui le<br />
caractérise si bien.<br />
Pour la deuxième moitié du film, on a<br />
des combats qui s’enchaînent, Végéta<br />
contre Broly, puis Goku contre Broly,<br />
Goku et Végéta contre Broly, etc… Autant<br />
vous dire que non seulement ces duels<br />
gargantuesques sont jouissifs, mais la<br />
mise en scène et la qualité de l’animation<br />
rend le tout véritablement saisissant. La<br />
caméra virevolte dans tous les sens, se<br />
permet des vues subjectives… Bref, des<br />
choses qu’on n’avait jamais vues dans la<br />
série auparavant.<br />
On peut tout de même regretter le fait que<br />
les combats, aussi géniaux soient-ils ne<br />
permettent pas à l’histoire de davantage<br />
se développer. Cela aurait permis de<br />
développer ces bonnes idées narratives<br />
mais aussi au film de respirer un peu, car le<br />
rythme des combats est assez effréné. Pour<br />
notre plus grand plaisir bien sûr, mais on en<br />
sort presque lessivé à la fin.<br />
Quoi qu’il en soit, c’est un retour en force<br />
pour «Dragon Ball» dans les salles françaises,<br />
avec un divertissement extrêmement<br />
généreux, offrant un véritable spectacle sur<br />
grand écran que les plus grands fans (dont<br />
je fais partie) seront ravis de voir, mais qui<br />
ne laissera pas de côté les néophytes et leur<br />
donnera probablement envie d’explorer un<br />
peu plus cet univers merveilleux.<br />
Vincent Pelisse
13/03<br />
30<br />
MON BÉBÉ<br />
Après son décevant biopic «Dalida», on<br />
attendait le prochain film de Lisa Azuelos<br />
au tournant. Avec en tête d’affiche l’une<br />
des cautions qualité du <strong>ciné</strong>ma français<br />
Sandrine Kiberlain, «Mon bébé» met en<br />
scène Héloïse, mère célibataire de trois<br />
enfants qui voit sa dernière petite partie faire<br />
ses études à l’étranger. Un coup dur pour la<br />
mère qui a toujours protégé ses enfants et<br />
qui a un peu du mal à se faire à l’idée que<br />
Jade quitte le foyer prochainement.<br />
«Mon bébé» a l’intelligence d’être multigénérationnel<br />
dans son message. D’abord<br />
portrait d’une maman poule, le film<br />
n’oublie pas pour autant de se pencher sur<br />
Jade, adolescente avec ses problèmes de<br />
sa génération évidemment, le tout doublé<br />
d’une angoisse grandissante de partir,<br />
de tout quitter, sa famille, ses amis et son<br />
petit-ami. Le film n’esquive pas quelques<br />
DE LISA AZUELOS. AVEC<br />
SANDRINE KIBERLAIN, THAÏS<br />
ALESSANDRIN… 1H27<br />
mièvreries loin d’être utiles à l’histoire<br />
notamment dans sa dernière partie mais<br />
il n’empêche que «Mon bébé» est empli<br />
d’amour et de bienveillance envers tous<br />
ses personnages. Après s’être brillamment<br />
illustrée dans «Pupille» l’année dernière,<br />
Sandrine Kiberlain récidive dans un rôle<br />
qui lui convient parfaitement. Aussi drôle<br />
et décalée que sensible, elle est la maman<br />
qu’on rêverait tous d’avoir.<br />
Sans laisser non plus ses seconds couteaux<br />
en retrait (de très jolies scènes entre le frères<br />
et les soeurs ou encore lorsqu’ils partent<br />
avec leur mère à la recherche du téléphone<br />
de cette dernière), «Mon bébé» est un joli<br />
petit moment de <strong>ciné</strong>ma plein de tendresse<br />
et d’humour.<br />
Margaux Maekelberg
13/03<br />
REBELLES<br />
Les Rednecks du Nord ont frappés et... ce<br />
sont des femmes ! A Boulogne-sur-Mer, trois<br />
jeunes femmes se retrouvent malgré elles -<br />
et après un malheureux incident - mêlées à<br />
un trafic de drogues et se retrouvent avec un<br />
sac rempli de billets sur le dos. Bien décidées<br />
à changer de vie grâce à cet argent, elles<br />
ne sont au bout de leurs peines lorsqu’elles<br />
se retrouvent pourchassées. Cependant ces<br />
chers messieurs apprendront rapidement<br />
qu’il ne vaut mieux pas emmerder Sandra,<br />
Nadine et Marilyn sous peine de ne pas<br />
revenir intact...<br />
«Rebelles» hurle au féminisme du début à la<br />
fin dans un entrain absolument revigorant.<br />
Toutes le ssuper-héroïnes ne se trouvent pas<br />
dans le superproductions hollywoodiennes<br />
et peuvent même se cacher dans une<br />
insignifiante conserverie locale où l’on se<br />
fout bien de l’avenir de ses employés qui<br />
DE ALLAN MAUDUIT. AVEC<br />
CÉCILE DE FRANCE, YOLANDE<br />
MOREAU… 1H27<br />
sont pour la majorité des femmes. parmi<br />
elles, trois femmes ayant chacune leurs<br />
problèmes (une célébrité sur le déclin,<br />
une mère célibataire qui met plus d’argent<br />
dans sa drogue que dans la réparation de<br />
sa voiture et une mère/épouse qui tente tant<br />
bien que mal de payer ses loyers alors que<br />
son mari est toujours au chômage). Dans<br />
«Rebelles» les filles prennent les problèmes<br />
à bras le corps sans concession.<br />
C’est incroyablement drôle, le trio Cécile<br />
de France, Audrey Lamy et Yolande Moreau<br />
est absolument formidable. Le film dégage<br />
une énergie folle qui nous contaminerait<br />
presque tous et on adore tout simplement.<br />
Margaux Maekelberg<br />
31
13/03<br />
LES TÉMOINS DE LENDSDORF<br />
DE<br />
AMICHAI GREENBERG.<br />
AVEC ORI PFEFFER, RIVKA<br />
GUR… 1H34<br />
32<br />
Inspiré d’un fait bien réel (le massacre de<br />
Rechnitz en Autriche), «Les témoins de<br />
Lendsdorf» apparaît d’abord comme un<br />
drame historique avant de prendre une<br />
tournure absolument innatendue, faisant<br />
basculer le tout dans une ambiance tirant<br />
presque vers le thriller aux multiples<br />
rebondissements.<br />
Yoel, historien juif orthodoxe, se bat depuis<br />
des années pour que la vérité sur le massacre<br />
qui a eu lieu à Lendsdorf soit reconnu et que<br />
les 200 corps des victimes soit retrouvés<br />
sauf que le temps presse et qu’il ne lui reste<br />
plus beaucoup de temps pour récolter les<br />
preuves et retrouver les personnes qui étaient<br />
témoins à cette époque. A travers cette<br />
enquête, Yoel va aussi faire des découvertes<br />
sur sa propre famille et ses origines.<br />
Premier film d’Amichai Greenberg, «Les<br />
témoins de Lendsdorf» est un solide drame<br />
qui a l’intelligence d’aller plus loins que le<br />
simple film en tant que devoir de mémoire.<br />
Outre ce besoin de reconnaissance pour<br />
les victimes (ici fictives mais évidemment<br />
l’histoire s’étend à l’Histoire), c’est aussi un<br />
cheminement personnel que suit Yoel. Lui<br />
qui a si longtemps et aveuglément suivi un<br />
chemin qui lui semblait tout tracé, tout son<br />
monde et ses convictions sont remises en<br />
cause lors deses recherches.<br />
Extrêmement pudique et touchant, «Les<br />
témons de Lendsdorf» est un drame<br />
important, doté d’une très belle mise en<br />
scène et d’un message important. Le tout<br />
tenu par un casting solide et un personnage<br />
principal attachant.<br />
Margaux Maekelberg
13/03<br />
MELTEM<br />
Après deux courts-métrages questionnant<br />
tous les deux la quête identitaire, le<br />
réalisateur franco-grec Basile Doganis nous<br />
propose son premier long-métrage qui, en<br />
plus de poser ces questions identitaires,<br />
n’hésite pas à aborder des sujets aussi graves<br />
qu’actuels.<br />
Commençant sur un ton estival, presque<br />
comique par moment, «Meltem» glisse<br />
doucement vers le drame lorsque Elena est<br />
inévitablement confrontée au deuil de sa<br />
mère lorsque Elyas débarque sur cette île<br />
pour chambouler le quotidien des trois amis<br />
et lorsque Nassim voit en Elyas un ennemi<br />
- aveuglé par ses sentiments envers Elena -.<br />
Chacun d’entre eux va vivre presque comme<br />
un voyage initiatique. Le film n’hésite pas<br />
à aborder le problème de l’immigration<br />
qui touche la Grèce, sans concession<br />
notamment lors de la dernière scène avec<br />
DE BASILE DOGANIS. AVEC<br />
DAPHNE PATAKIA, RABAH<br />
NAÏT OUFELLA… 1H27<br />
Elyas. Le film réussit à nous bouleverser tant<br />
il est juste et pudique mais surtout grâce à<br />
son casting aussi solide. Daphne Patakia<br />
qui réussit à tout nous dire d’un seul regard,<br />
Rabah Naït Oufella (déjà formidable dans<br />
«Grave» et «Patients») mais surtout Karam<br />
Al Kafri : la pureté et l’intensité qu’il dégage<br />
pour une première performance est assez<br />
bluffante.<br />
Profondément humain, on pourrait juste<br />
reprocher au film de vouloir tout dire et<br />
peut-être finalement ne pas assez dire sur<br />
tous les sujets qu’il aborde. Il le fait bien,<br />
mais aurait probablement pu faire mieux,<br />
nous laissant ainsi un petit peu sur notre<br />
faim. Qu’à cela ne tienne, «Meltem» est un<br />
premier long-métrage réussit et engagé.<br />
Margaux Maekelberg<br />
33
34<br />
MA<br />
VIE AVEC JOHN F. D
13/03<br />
ONOVAN<br />
DE<br />
XAVIER DOLAN. AVEC KIT HARINGTON, JACOB TREMBLAY, SUSAN<br />
SARANDON… 2H03<br />
35
Aucun trailer, aucune image, aucun<br />
dialogue, aucune interview de Xavier Dolan<br />
pour ce film… C’est ainsi que je suis allée<br />
découvrir le dernier long-métrage de Xavier<br />
Dolan : «Ma vie avec John F. Donovan».<br />
Xavier Dolan et moi c’est une longue histoire<br />
d’amour. Une très belle histoire d’amour.<br />
J’hésitais véritablement à écrire cet article<br />
et à l’heure où je tape tout en buvant ma<br />
canette d’Ice Tea, je ne sais pas encore la<br />
tournure que prendra ce texte mais j’avais<br />
ce besoin de parler de son dernier film, mais<br />
aussi son écho au reste de sa filmographie<br />
bref… vous aurez de la lecture.<br />
Xavier Dolan montait «Tom à la ferme»<br />
- montage qu’il a mis en suspend pour se<br />
consacrer justement à ce scénario -, drôle<br />
de coïncidence tant «Ma vie avec John F.<br />
Donovan» me parle autant que Tom à la<br />
ferme.<br />
36<br />
Pour ceux et celles qui me suivent un petit<br />
peu sur les réseaux sociaux (et sur mon<br />
compte Twitter privé) savent à quel point<br />
Tom à la ferme a été le point d’ancrage<br />
de ma vie pour diverses raisons et qu’à ce<br />
moment précis où je l’ai vu en salles, Xavier<br />
Dolan est entré dans ma vie pour ne plus<br />
en ressortir. Il s’avère que l’écriture de «Ma<br />
vie avec John F. Donovan» a débuté lorsque<br />
«Ma vie avec John F. Donovan» met<br />
en parallèle la vie tumultueuse de John<br />
Donovan, acteur adulé mais obligé de<br />
cacher son homosexualité et Rupert Tuner<br />
qu’on retrouve lorsqu’il était jeune et<br />
qu’il entretenait une correspondance avec<br />
l’acteur puis adulte lorsqu’ill sort un livre<br />
révélant tous ses échanges - duquel découle<br />
une interview avec une journaliste d’abord
dubitative concernant toute cette histoire -.<br />
Durant deux heures, nous arpentons la vie<br />
de ces deux personnes que la vie et surtout<br />
la société n’a pas épargné entre un acteur<br />
constamment obligé de faire bonne figure<br />
alors que tout son monde s’effondre et un<br />
petit garçon expatrié en Angleterre rejeté<br />
par les élèves de sa classe, persécuté et<br />
dont les relations avec sa mère s’avèrent<br />
compliquées au fur et à mesure que le<br />
garçon grandit.<br />
Une phrase du film m’avait marqué, à<br />
quelques mots près elle était prononcée<br />
par Jacob Tremblay qui disait ceci : «C’est<br />
l’histoire d’un homme qui a sauvé un<br />
petit garçon» (ne me blâmez pas si ce ne<br />
sont pas les mots exacts). Cette phrase qui<br />
semble tellement anodine et qui a résonné<br />
en moi, me replongeant en 2014 lorsque<br />
j’ai découvert Tom à la ferme au <strong>ciné</strong>ma.<br />
J’en ai eu les larmes aux yeux et je les ai<br />
encore. J’ai toujours accepté et même<br />
revendiqué mon manque totale d’objectivité<br />
concernant Xavier Dolan et son <strong>ciné</strong>ma et je<br />
peux vous dire d’ores et déjà que le film fera<br />
partie de mon top 2019. Mais vous savez,<br />
parfois le <strong>ciné</strong>ma va bien au-delà de l’objet<br />
<strong>ciné</strong>matographique qu’on nous propose.<br />
Tout comme Captain Marvel (article à<br />
retrouver quelques pages avant), certains<br />
films - aussi imparfaits qu’ils peuvent être<br />
37
38<br />
- sont catalyseurs de bien d’autres choses.<br />
Dans mon cas ce fut l’amour du <strong>ciné</strong>ma,<br />
l’envie d’en réaliser, d’écrire dessus, de les<br />
voir et de ressentir toujours cette extase<br />
lorsqu’on s’assoit dans un fauteuil de<br />
<strong>ciné</strong>ma.<br />
Je lis et j’entends les critiques faites sur le<br />
film et celles faites sur son réalisateur (c’est<br />
absolument faux) mais moi j’ai les larmes<br />
aux yeux rien que de penser à ce film, au<br />
message qu’il dégage, à certaines scènes<br />
qui resteront gravées dans ma mémoire<br />
pour toujours. D’ailleurs je reviendrai<br />
dessus à l’occasion mais ce qui me touche<br />
le plus chez Dolan c’est sa façon de réunir<br />
ces cellules familiales brisées (les conflits<br />
maternels est une donnée régulière dans<br />
son <strong>ciné</strong>ma) autour d’une musique. Des<br />
scènes musicales toujours aussi intenses<br />
que ce soit On ne change pas dans Mommy,<br />
Dragosta Din Tei dans Juste la fin du monde<br />
ou Stand by me dans Ma vie avec John F.<br />
Donovan. Ces scènes sont d’une douceur<br />
et emplies d’amour de la première à la<br />
dernière seconde que s’en est bouleversant.<br />
Comme un moment d’apesanteur avant la<br />
chute inéluctable (cf la scène entre John<br />
Donovan, sa mère et son frère dans la salle<br />
de bain à la fin du film).<br />
Je pourrais vous parler des sujets qu’évoque<br />
le film, de son casting fabuleux (Kit Harington<br />
et Jacob Tremblay en tête), comment une<br />
icône, une star, quelqu’un qui vous est<br />
finalement totalement inconnu peut devenir<br />
votre exutoire et perpétuer cette idée de rêve,<br />
ce rêve qui nourrit l’enfant, celui qui nourrit<br />
cette envie d’avancer. On a tous un modèle<br />
qu’on veut suivre que ce soit un membre<br />
de sa famille ou autre. Moi celui qui m’a<br />
sauvé mais aussi celui que j’admire c’est ce<br />
réalisateur. Ce jeune réalisateur talentueux,<br />
à la patte singulière, amoureux du <strong>ciné</strong>ma,<br />
celui qui à travers ses discours m’a motivé<br />
à ne pas abandonner, celui qui à travers ses<br />
films a nourrit mon amour, celui qui a sauvé<br />
la jeune fille paumée que j’étais en 2014.<br />
Alors non, je n’ai aucune objectivité<br />
concernant Xavier Dolan et franchement, je<br />
m’en fiche. Parce que ses films me parlent<br />
plus que jamais, parce que je vis pour voir<br />
ce genre de films, que je veux encre être<br />
touchée, être émue, être éblouie. C’est<br />
peut-être naïf mais je crois en la magie<br />
du <strong>ciné</strong>ma et en la magie de certaines<br />
personnes capables de vous faire déplacer<br />
des montagnes et donner le meilleur de<br />
vous-même. Ma vie avec Xavier Dolan se<br />
résume à un mot : vivre. Et grâce à lui et ses<br />
films je vis plus que jamais.<br />
Margaux Maekelberg
39
20/03<br />
QUI M’AIME ME SUIVE!<br />
DE<br />
JOSÉ ALCALA. AVEC<br />
DANIEL AUTEUIL, CATHERINE<br />
FROT,… 1H30<br />
40<br />
José Alcala retrouve Catherine Frot pour<br />
une seconde collaboration, après «Coup<br />
d’éclat» en 2011, avec «Qui m’aime me<br />
suive !»; l’histoire d’un triangle amoureux<br />
entre Gilbert, Simone et leur voisin Etienne.<br />
Fatiguée de l’attitude de son mari, de leurs<br />
problèmes d’argent et leurs problèmes<br />
familiaux (Gilert s’est disputé avec leur fille<br />
il y a de cela bien des années et ne se sont<br />
jamais reparlés depuis) , Simone décide<br />
de tout quitter du jour au lendemain pour<br />
rejoindre Etienne - son amant et leur ancien<br />
voisin parti profiter de sa retraite au soleil -.<br />
Malgré son casting plus que sympathique<br />
(le trio Auteuil/Frot/Le Coq provoque une<br />
alchimie à l’écran assez plaisante), «Qui<br />
m’aime me suive !» ne va jamais plus<br />
loin que le traditionnel film de triangle<br />
amoureux. Restant très convenu - bien que<br />
très drôle et tendre par moment -, le film<br />
se veut reflet aussi de cette catégorie de la<br />
population, les retraités, qui se sont nourris<br />
pendant des années de leurs espoirs pour<br />
finalement se retrouver dans une situation<br />
souvent précaire.<br />
L’ensemble reste cependant très correct<br />
même si on regrette un manque de<br />
positionnement vis-à-vàs de Gilbert et son<br />
comportement qu’on pourrait qualifier de<br />
‘‘dangeureux’’ ou au moins dans tous les cas<br />
de toxique. Une relation à laquelle Simone<br />
reste malheureusement attachée. Oui, on<br />
aurait préféré qu’elle soit un petit peu plus<br />
indépendante.<br />
Margaux Maekelberg
20/03<br />
WALTER<br />
Premier long-métrage pour Varante<br />
Soudijan qui signe avec «Walter» une<br />
comédie absolument déjantée. Le concept<br />
est simple, une bande de voleurs un peu bras<br />
cassés sur les bords décide de cambrioler<br />
la bijouterie d’un supermarché. Ce qu’ils<br />
n’avaient malheureusement pas prévus c’est<br />
l’arrivée de l’agent de sécurité Walter, un<br />
ancien chef de guerre à qui il ne faut pas<br />
chercher trop d’emmerdes. Dommage pour<br />
le groupe de cambrioleurs qui vont devoir<br />
survivre face à cette machine de guerre.<br />
En y allant honnêtement on avait peu<br />
d’attentes et pourtant, le film s’avère efficace<br />
du début à la fin grâce tout d’abord à une<br />
galerie de personnages plus lêchés les uns<br />
que les autres. Pour la plupart inconnus<br />
au bataillon, la bande de cambrioleurs<br />
est terriblement attachante tant elle est<br />
mauvaise. Dessinant dès le début les traits<br />
DE VARANTE SOUDJIAN. AVEC<br />
ISSAKA SAWADOGO, ALBAN<br />
IVANOV… 1H35<br />
de caractère de chacun, le réalisateur arrive<br />
à nous faire apprécier l’ensemble du casting.<br />
Ajoutez à cela un bon gros lot de situations<br />
aussi drôles que cocasses et on se retrouve<br />
avec une comédie assez sympathique et<br />
qui se tient dans la bonne moyenne des<br />
comédies françaises.<br />
On dit souvent que plus c’est con et<br />
plus c’est bon, et bien «Walter» s’inscrit<br />
définitivement dans cette perspective.<br />
Sans casser énormément de briques, le<br />
film réussità nous faire passer un délicieux<br />
moment si bien qu’on en redemanderait<br />
presque !<br />
Margaux Maekelberg<br />
41
27/03<br />
BOY ERASED<br />
42<br />
Bien que notre société soit en perpétuelle<br />
évolution, l’homosexualité reste un tabou<br />
dans certaines parties du monde. Il suffit de<br />
voir le nombre de personnes agressées pour<br />
avoir osé prendre la main, voire embrasser<br />
son compagnon du même sexe pour noter<br />
que l’intolérance continue encore de<br />
fourmiller partout dans le monde. Et bien<br />
qu’il soit inscrit dans le passé, le fait que<br />
«Boy Erased» vienne d’une histoire vraie ne<br />
fait que nous affecter encore plus.<br />
On y suit Jared, jeune homme de 19 ans et<br />
fils de pasteur. Il est un jour inscrit dans une<br />
thérapie de conversion afin d’être soigné de<br />
son homosexualité et redevenir hétérosexuel.<br />
Sa rencontre avec son thérapeute va mal se<br />
passer.<br />
Ce qui frappe dans le film, c’est la sobriété<br />
de sa mise en scène. Incarnant également<br />
le fameux thérapeute, Joel Edgerton préfère<br />
privilégier une certaine discrétion dans la<br />
réalisation pour mieux mettre en avant la<br />
nature anxiogène d’un établissement et de<br />
ses méfaits au nom d’une religion se prévalant<br />
aux sentiments humains. La douleur est<br />
constante tant l’effet de destruction de<br />
personnalité se fait progressif mais avec<br />
une inévitabilité menaçante, comme s’il
DE JOEL EDGERTON. AVEC<br />
LUCAS HEDGES, NICOLE<br />
KIDMAN… 1H55<br />
n’y avait aucun moyen d’échapper à cette<br />
pression émanant d’une société ancrée<br />
dans sa foi, parfois jusqu’à l’aveuglement.<br />
Cette quête d’écrasement individuel est<br />
encore plus angoissante par ce qu’elle est<br />
narrée d’immersive, ce qui est logique vu<br />
qu’elle vient du témoignage d’une personne<br />
y ayant subi cette thérapie.<br />
La direction d’acteur est d’une même sobriété<br />
avec un casting solide qui ne va jamais sur<br />
la route du surjeu, ce qui aurait pu faire<br />
basculer le long-métrage dans le caricatural.<br />
La représentation des parents est ainsi<br />
dans cette même logique, montrant deux<br />
personnes qui ont tellement été éduquées<br />
et dirigées par leur foi qu’elles voient en<br />
cette thérapie une solution. Nicole Kidman<br />
et Russell Crowe leur confèrent ce qu’il<br />
faut de chair, tout comme Joel Edgerton. Ce<br />
dernier livre une prestation solide par son<br />
calme déstabilisant et assez effrayant sans<br />
effet plombant. Mais c’est bien évidemment<br />
Lucas Hedges qui mène la barque par sa<br />
crainte aussi bien de ses sentiments que de<br />
l’établissement dans lequel il se retrouve<br />
qui donne au film une fausse normalité<br />
faisant ressurgir au mieux l’horreur sourde<br />
des actions de conversion.<br />
Boy Erased est d’une telle terreur sourde<br />
qu’il n’a guère besoin de souligner plus le<br />
caractère dramatique de son histoire. Le film<br />
parvient à parler des doutes d’une Amérique<br />
croyante sans tomber dans l’excès et cela tout<br />
en soulignant l’injustice et la malfaisance<br />
de thérapies de conversion. Dans un monde<br />
où certains voient encore l’homosexualité<br />
comme un péché, un tel film devrait toucher<br />
ceux pour qui l’intolérance est un fléau bien<br />
trop courant.<br />
Liam Debruel<br />
43
17/04<br />
44<br />
L’ÉPOQUE<br />
On se souvient tous du bruit qu’avait<br />
fait «Paris est à nous» lorsqu’il allait sortir<br />
sur Netflix. Un portrait d’un Paris, d’une<br />
jeunesse qui subit de plein fouet une époque<br />
plus que compliquée à tous les niveaux. Au<br />
final le film s’avérait être aussi inutile que<br />
pompeux et nombriliste. Bonne nouvelle !<br />
Un «Paris est à nous» mais en mieux sort<br />
dans les salles en avril !<br />
Pendant trois ans, Matthieu Bareyre s’est<br />
armé de sa caméra pour arpenter les rues de<br />
Paris la nuit. Le film se construit au gré des<br />
rencontres autour d’une question : «C’est<br />
quoi l’époque ? L’époque dans laquelle nous<br />
vivons ?». La vie après Charlie, les émeutes,<br />
les CRS, les bombes lacrymogènes... et<br />
pourtant le film dégage une incroyable soif<br />
d’espoir et de liberté. Tout le monde prend<br />
la parole dans ce film, la DJette, la militante,<br />
le jeune qui vit dans des quartiers difficiles,<br />
DE MATTHIEU BAREYRE. 1H34<br />
des blancs, des noirs, des jeunes qui font<br />
de brillantes études, d’autres en perdition...<br />
Chacun s’exprime librement dans un film<br />
tout aussi libre. Est-ce que «L’Epoque» réussit<br />
à réellement à nous donner une idée dans<br />
laquelle nous vivons ? Oui car en arpentant<br />
ce Paris by night tellement différent de celui<br />
qu’on connait lorsqu’on y traîne la journée,<br />
une autre facette de la jeunesse se dessine.<br />
Quelque chose de plus fougueux, de plus<br />
libre, de plus déterminé peut-être, prêt à<br />
exploser à n’importe quelle moment pour<br />
récupérer pleinement sa liberté.<br />
«L’Epoque» transpire l’envie de vivre à<br />
chaque seconde à travers une galerie de<br />
portraits plus inspirants et touchants les uns<br />
que les autres. Un vrai film qui reflète enfin<br />
notre réalité. Bref, «Paris est à nous» mais en<br />
mieux quoi.<br />
Margaux Maekelberg
24/04<br />
MAIS VOUS ÊTES FOUS<br />
DE<br />
AUDREY DIWAN. AVEC<br />
PIO MARMAI, CÉLINE<br />
SALLETTE… 1H35<br />
Scénariste de qualité («La French», «HHhH»<br />
et «Ami-Ami»), Audrey Diwan passe enfin<br />
derrière la caméra pour réunir à l’écran deux<br />
gros talents du <strong>ciné</strong>ma français : Pio Marmaï<br />
et Céline Sallette. Tiré d’un fait réel, «Mais<br />
vous êtes fous» revient sur la lente descente<br />
aux enfers d’un couple, Roman et Camille,<br />
qui doit faire face à l’addiction du mari. Ce<br />
dernier, accro à la drogue, met en danger<br />
sa femme et ses filles involontairement. S’en<br />
suit un véritable chemin de croix pour réussir<br />
à s’en sortir mais l’amour peut-il perdurer<br />
lorsque la confiance a été ainsi rompue ?<br />
Loin d’être moralisateur, «Mais vous êtes<br />
fous» dépeint surtout l’addiction du mari<br />
à la drogue mais avant tout la dépendance<br />
que Camille a envers son mari qu’elle aime<br />
évidemment plus que tout et qui est la<br />
première à vouloir s’en sortir pour reformer<br />
sa famille. D’abord drame familial intense,<br />
le film glisse petit à petit vers le thriller et<br />
dessine à merveille les dernières brides<br />
d’amour entre eux qui sont en train de<br />
disparaître à mesure où Camille perd sa<br />
confiance envers Roman et où n’importe<br />
quel geste anodin l’effraie au plus au point.<br />
C’est à ce moment-là que la réalisatrice<br />
fait véritablement des merveilles avec la<br />
caméra dans une mise-en-scène intelligente<br />
et littéralement prenante ou lorsque que<br />
de simpls plans sur les mains réussissent à<br />
devenir anxiogène. Le film jouit également<br />
d’une vraie maîtrise du son du début à la<br />
fin pour finalement faire éclater le film en<br />
morceaux dans sa dernière partie.<br />
Intelligent, filmé avec brio, «Mais vous<br />
êtes fous» est une première réussite pour<br />
Audrey Diwan qui dirige à merveille son<br />
duo lumineux.<br />
Margaux Maekelberg<br />
45
46
47
48<br />
Il y a maintenant deux ans, “Get Out” sortait au <strong>ciné</strong>ma et<br />
foutait tout le monde par terre. Qu’est-ce que c’est que ce<br />
<strong>ciné</strong>ma d’horreur qui multiplie les grilles de lecture, se joue<br />
des contraintes du genre et ose mettre les pieds dans le plat<br />
avant d’éclabousser tout le monde avec son contenu ? C’est<br />
le premier film de Jordan Peele, tout simplement.<br />
En 2018, quand le poster puis le trailer de “Us” sont diffusés,<br />
il paraît évident que le gonze a déjà posé son empreinte<br />
sur le <strong>ciné</strong>ma américain. Tout est dans le titre ; “Us”, c’est<br />
‘’nous’’, mais c’est aussi ‘’US’’ comme les United States.<br />
Sacré audace que de passer d’une parabole horrifique sur<br />
la condition noire dans la bourgeoisie américaine à une<br />
parabole sur un pays tout entier… Pour qui se prend ce mec<br />
? Et cette question en amène une autre, pour nous autres<br />
francophones : putain mais... C’est qui Jordan Peele ?
49
50<br />
JORDAN PEELE IS... COMEDY ?<br />
Première surprise pour qui ne serait pas friand de cette partie de la culture<br />
américaine qui s’exporte peu : Jordan Peele ne sort pas de nulle part. Et si<br />
certains et certaines sont surpris au moment de la sortie de “Get Out” au<br />
<strong>ciné</strong>ma, c’est justement parce qu’on le connaissait bien sous un autre visage :<br />
celui de la comédie. Peele, comme beaucoup avant et après lui, est passé par<br />
Second City à Chicago, puis dans MADtv, et fait partie de ses rares privilégiés<br />
à avoir réussi sa carrière tout en ayant raté l’audition du Saturday Night Live.<br />
C’est son duo avec Keygan-Michael Key chez Comedy Central qui lui a valu<br />
une renommée nationale, notamment auprès de la jeunesse : leur série à<br />
sketch (intitulée “Key and Peele”) a percé sur les Internets à de nombreuses<br />
reprises.<br />
A chaud, on vous recommande modestement les épisodes suivants : tous.
51<br />
JORDAN PEELE IS… HORROR ?<br />
Et soudain, après une apparition furtive et géniale dans la série “Fargo”, puis<br />
une comédie produite avec Keygan-Michael Key, Jordan Peele passe derrière<br />
la caméra, s’associe avec Jason Blum et balance un film d’horreur. Pas un<br />
vieux truc putassier avec des jump scares et de la facilité pour se faire de<br />
l’argent facile, mais un vrai film où l’ambiance, le cadre, le montage et le son<br />
surtout permettent à n’importe qui de se mettre dans la peau d’un jeune noir<br />
mal à l’aise invité dans la famille blanche de sa petite amie. Nous ne vous<br />
ferons pas l’affront ici de vous raconter “Get Out” ; si vous nous lisez, vous<br />
l’avez probablement vu.<br />
Passée la surprise “Get Out”, le carton absolu, la figure du comique Jordan<br />
Peele a volé en éclat. “Us” est venu confirmer cela en même temps ou presque<br />
que le premier teaser de la nouvelle série “The Twilight Zone”, dont Jordan<br />
Peele sera le producteur exécutif et le nouveau visage, remplaçant ainsi celui<br />
bien connu de Rod Sterling : désormais, Jordan Peele est l’angoisse, le mystère,<br />
le suspense, l’horreur, la paranoïa, la peur.
52<br />
JORDAN PEELE IS<br />
HORROR… AND<br />
COMEDY ?<br />
Beaucoup se souviennent du retour du<br />
fouet suite à la nomination de “Get Out”<br />
aux Golden Globes : les jurés de la presse<br />
internationale l’avait placé dans la catégorie<br />
comédie. L’audace inouïe que de choisir ce<br />
genre pour parler d’un film d’horreur sur<br />
les violences que subissent les Noirs aux<br />
Etats-Unis a bien évidemment déchaîné les<br />
foudres de Twitter ; Jordan Peele lui-même<br />
s’en est amusé d’un simple tweet : « Get<br />
Out is a documentary ».<br />
Et pourtant, les Golden Globes ont malgré<br />
eux soulevé un des points essentiels de la<br />
filmographie de Jordan Peele : même dans<br />
l’horreur, il y garde la comédie. Pas besoin<br />
d’avoir fait une licence en <strong>ciné</strong>ma pour être<br />
surpris par ce fait : la parenté des deux genres<br />
est aussi évidente qu’elle est ancestrale. On<br />
ajoutera d’ailleurs que s’amuser à trouver le<br />
comique dans les films d’horreur est un jeu<br />
sympa mais limité : on lui préférera le jeu<br />
inverse et avancera que les sketchs de “Key<br />
and Peele” les plus intelligents sont ceux<br />
qui commencent dans la blague et finissent<br />
dans l’angoisse.
53<br />
JORDAN PEELE IS<br />
AMERICA<br />
Que ce soit dans l’humour ou l’horreur, les histoires<br />
que Peele racontent n’ont jamais rien de gratuit :<br />
elles s’appuient toujours sur des choix politiques<br />
importants. Une grande majorité des sketchs de “Key<br />
and Peele” portent déjà sur des questions raciales,<br />
à la fois sur la condition noire des deux héros mais<br />
aussi leur condition métisse qui les place à cheval<br />
entre deux mondes.<br />
La blague et la peur naissent de la même envie :<br />
celle de déconstruire le rêve américain. Le point de<br />
départ de “Us” est un projet de 1986 dont vous vous<br />
souvenez peut-être, puisque beaucoup de sitcoms<br />
des années 90 s’en sont manqués : ‘’Hands across<br />
America’’. Les citoyens du pays devaient tous se<br />
tenir la main et former des chaînes humaines pour<br />
se convaincre qu’ils ne sont pas si différents et que<br />
l’Amérique accepte tout le monde. Au symbole fort<br />
et vain, Jordan Peele répond par un <strong>ciné</strong>ma symbole,<br />
qui fonctionne par l’image et la cristallisation. C’est<br />
un <strong>ciné</strong>ma d’une violence inouïe parce qu’il traduit,<br />
malgré des pseudos happy-endings qui ne sont là que<br />
pour rester dans le divertissement, un pessimisme<br />
terrible, un constat sans appel sur les fantasmes d’une<br />
l’Amérique bourgeoise et aliénée.
54
55<br />
JORDAN PEELE IS<br />
JORDAN PEELE<br />
On a eu envie de comparer Jordan Peele à d’autres<br />
maîtres avant lui. Son approche du <strong>ciné</strong>ma d’horreur<br />
le rapproche de John Carpenter, sa charge politique le<br />
fait parent de Joe Dante, son côté touche à tout rappelle<br />
aisément Steven Spielberg… Mais à quoi bon ? Jordan<br />
Peele n’est rien d’autre que Jordan Peele. C’est-à-dire<br />
le seul <strong>ciné</strong>aste noir américain à avoir un impact sur<br />
le mainstream depuis Spike Lee… dont le dernier film<br />
“BlackKklansman” était produit par Peele. Il n’aura fallu<br />
que quelques années pour que le type devienne déjà<br />
gigantesque. Comment a-t-il fait ? C’est simple : Jordan<br />
Peele est Jordan Peele.<br />
Captain Jim
RETROSPECTIVE<br />
56
TIM BURTON<br />
57
58<br />
BEETLEJUICE (1988)
59<br />
Beetlejuice, Beetlejuice, Beetlejuice… Une formule pour le moins mémorable<br />
dans une œuvre qui résonne encore dans la filmographie de Burton. Pour son<br />
second long métrage, le réalisateur crée un univers qui lui est déjà propre.<br />
L’intrigue de “Beetlejuice” implique la comédie : un jeune couple, mort<br />
prématurément, décide, en vain, de faire fuir de leur maison les nouveaux<br />
venues envahissant. Domaine qui paraît éloigné des sujets de prédilection du<br />
jeune <strong>ciné</strong>aste. Pourtant, même si certaines scènes ont pris quelques rides, le<br />
film reste un délicieux moment. Michael Keaton, en dératiseur des vivants,<br />
Winona Ryder, en adolescente dépressive, immortalisent l’image du film.<br />
Bien qu’il joue sur un registre comique, Burton ne délaisse pas ses passions pour<br />
le fantastique et l’horreur. Imaginant un enfer où cohabitent fonctionnaires,<br />
joueurs de football, récents décédés, il crée une mythologie inventive qui<br />
regorge d’idées. Il ouvre la porte à une nouvelle façon d’appréhender l’étrange<br />
et les histoires de fantômes.<br />
De ce qu’on appellera plus tard la « patte Burton » existe déjà son amour pour<br />
les décors, créés par Bo Welch, oscillant entre architecture expressionniste<br />
(pour les passages aux enfers) et le hand-made (sculpture et bâtiment côtoient<br />
maquette et effet spéciaux). Mais aussi pour la musique de Danny Elfman<br />
avec qui il travaillera pour le reste de sa carrière.<br />
C’est finalement un film ‘’culte’’, n’ayons pas peur des mots, que signe Tim<br />
Burton en 1988. Film qui, encore aujourd’hui, régale dans ses moments de<br />
réel bravoure de mise en scène et d’écriture.<br />
ANDRE Baptiste
60<br />
BATMA<br />
En 1989 Tim Burton signe la première<br />
véritable adaptation de Batman. Il y a bien<br />
eu des films avant notamment en 1969<br />
avec Adam West, adapté de la série dans<br />
laquelle il interprétait le chevalier noir,<br />
mais l’incursion de Burton dans l’univers du<br />
justicier masqué signait un tournant. Avec<br />
Richard Donner et son Superman sorti en<br />
1978, ils sont tout deux les pionniers du<br />
genre en signant les premiers films de superhéros<br />
matures et crédibles. Récompensé par<br />
l’Oscar des Meilleurs décors, ce Batman de<br />
Tim Burton est une certaine révolution grâce<br />
à sa capacité à adapter le personnage à son<br />
propre univers noir et gothique.<br />
Un univers totalement<br />
inédit<br />
Grâce à Tim Burton c’est la première fois<br />
que Batman entre réellement au panthéon<br />
<strong>ciné</strong>matographique. Le <strong>ciné</strong>aste s’est<br />
totalement accaparé ce personnage de<br />
comics pour l’insérer dans son univers<br />
personnel. Ainsi le style et la pâte de<br />
Burton sont bien au rendez-vous avec des<br />
décors très sombres, une batmobile sobre<br />
et raffinée, un Gotham City inquiétant et<br />
un Batman enfin crédible. Bien loin de<br />
l’approche cartoonesque de Adam West on<br />
tient ici le premier véritable chevalier noir.
61<br />
N 1 & 2 (1989-1992)<br />
Aidé par une interprétation plutôt précise<br />
de Michael Keaton, la légende de Batman<br />
est enfin née au <strong>ciné</strong>ma. Warner n’arrêtera<br />
jamais par la suite de décliner ce personnage<br />
dans de nombreuses sagas que ce soit chez<br />
Joel Schumacher, Christopher Nolan ou<br />
Zack Snyder.<br />
Porté par la bande originale superbe de<br />
son compositeur fétiche Danny Elfman,<br />
Batman a enfin l’adaptation qu’il mérite.<br />
Mais le succès du long métrage, en<br />
plus de l’approche personnelle de Tim<br />
Burton doit également beaucoup à Jack<br />
Nicholson. Un bon méchant fait un bon<br />
film, et l’acteur a offert une prestation<br />
anthologique pour incarner le terrible<br />
nemesis du héros : Le Joker. Intemporel et<br />
inoubliable cette interprétation du terrible<br />
Joker demeure encore aujourd’hui une des<br />
plus sensationnelles. Jack Nicholson avait<br />
compris comment aborder ce personnage<br />
difficile à adapter, et avait mis en lumière<br />
sa folie créative avec une classe et un<br />
investissement que seul Heath Ledger<br />
aura réussi à égaler. Adapté des comics du<br />
grand Frank Miller, ce Batman est encore<br />
aujourd’hui une des meilleures versions<br />
du chevalier noir et un classique absolu<br />
du genre super-héroïque. Le long métrage<br />
était aussi l’occasion à Burton d’étendre son<br />
répertoire. Le film a été un tel carton, avec<br />
400 millions de dollars de recettes, que que<br />
Tim Burton est revenu pour un deuxième<br />
opus.<br />
Batman, Le Défi<br />
En 1992, le <strong>ciné</strong>aste est de retour pour<br />
mettre en scène la suite des aventures<br />
de Batman. Bien évidemment Michael<br />
Keaton est de retour pour interpréter le
62<br />
chevalier noir tandis que le casting s’étoffe<br />
avec les arrivées de Michelle Pfeiffer en<br />
Catwoman et Danny DeVito mémorable<br />
dans le rôle du Pingouin, grand antagoniste<br />
de l’histoire. Burton applique la même<br />
recette en s’appuyant encore une fois sur<br />
un méchant mémorable. Danny DeVito est<br />
lui aussi inoubliable, méconnaissable dans<br />
le costume superbe du Pingouin. L’acteur,<br />
qui n’était pas le favoris de Burton, a quand<br />
même eu le rôle à la barbe de Marlon<br />
Brando, Dustin Hoffman, Christopher Lloyd<br />
ou encore Bob Hoskins. Il passait deux<br />
heures chaque jours à se faire maquiller et<br />
avait l’interdiction totale de divulguer quoi<br />
que ce soit sur le personnage qu’il incarnait.<br />
Joel Schumacher. Une fébrilité certainement<br />
consécutive de l’approche sombre de<br />
Tim Burton. On connaît le résultat et les<br />
adaptations cartoonesques de Schumacher<br />
et son apothéose du ridicule dans Batman<br />
& Robin qui a enterré la franchise jusqu’à<br />
sa résurrection par Christopher Nolan. Tim<br />
Burton ne voulait pas réellement rempiler<br />
pour ce second opus. Warner a réussi a le<br />
convaincre en lui laissant carte blanche. Le<br />
<strong>ciné</strong>aste a donc réécrit le scénario et évincé<br />
les personnages de Robin et Harvey Dent.<br />
Ainsi, les exigences de Burton ont lassé la<br />
Warner, qui plus tard refusera de produire<br />
son adaptation de Superman avec Nicolas<br />
Cage dans le rôle titre.<br />
Encore une fois très réussi, notamment dans<br />
l’écriture du vilain, parfois très poétique, il<br />
n’empêche que ce second opus ne parvient<br />
pas à égaler le premier film. Cette suite n’a pas<br />
engendré le même succès avec 270 millions<br />
de dollars de recettes. Warner, réputée<br />
pour prendre toujours les bonnes décisions<br />
(ironie) décide d’évincer Tim Burton de la<br />
suite des aventures de Batman, lui préférant<br />
Depuis Batman n’a jamais été aussi<br />
populaire. On connaît l’histoire, Val Kilmer,<br />
George Clooney, Christian Bale et enfin<br />
Ben Affleck ont endossé le personnage, qui,<br />
à l’heure actuelle, se cherche un nouveau<br />
visage. Alors qui pour devenir le nouveau<br />
Bruce Wayne ?<br />
Aubin Bouillé
63
64<br />
EDWARD AUX MAINS<br />
D’ARGENT (1991)
65<br />
Il sculpte de ses mains de damné un ange<br />
dans la glace. Elle tend ses bras naïvement<br />
vers les flocons qui tombent. Elle danse. Sa<br />
main joue avec les étoiles. Soudain, l’Autre, ce<br />
faux-accord du Monde, surgit ! S’ensuit que le<br />
sang coule. Car avec les humains, le sang finit<br />
toujours par couler…<br />
Voilà l’une des scènes les plus poétiques qu’il<br />
m’a été donné de voir. Une scène si naïvement<br />
belle, qu’elle ne peut laisser indifférent le<br />
<strong>ciné</strong>phile que je suis. Par la même occasion,<br />
il s’avère qu’elle soit synthétique de l’univers<br />
Burtonnien : un instant de légèreté, de liberté<br />
totale, d’envol, que l’Autre, conçu chez le<br />
<strong>ciné</strong>aste comme représentatif de la force<br />
dominante du monde, vient rompre. Audelà<br />
d’être (j’ose le mot) un chef d’œuvre<br />
du 7ème Art, “Edward aux Mains d’Argent”<br />
est une porte d’entrée recommandable dans<br />
la filmographie du <strong>ciné</strong>aste. Elle possède en<br />
elle toutes les germes de ce que Tim Burton a<br />
développé avec ses films précédents et qu’il<br />
affinera ensuite jusqu’à atteindre la profondeur<br />
bouleversante de son “Big Fish” : le symbolisme<br />
de l’art gothique, la marginalité, la société de<br />
consommation, la fonction du conte à l’ère<br />
moderne, l’artiste et son rapport au monde etc.<br />
Qu’écrire sur ce film qui n’a pas déjà été écrit ?<br />
L’histoire est bien connue : celle d’un homme<br />
aux mains de ciseaux reclus dans un château
66<br />
érigé sur une colline. Celle d’une femme qui le découvre et le ramène dans le monde des<br />
humains pour résider avec elle et sa famille un certain temps. Celle d’une histoire d’amour<br />
interdite. Celle d’un ‘’monstre’’ qui finira par être chassé.<br />
Mais puisqu’il faut écrire quelque chose, je commencerai par le mot suivant : les mains<br />
! Oui les mains ! Car, la main est un symbole récurrent de l’art expressionniste allemand<br />
dont Tim Burton est l’héritier. On se souvient des mains gantées du Docteur Caligari lui<br />
conférant un caractère magique; les longs doigts de Nosferatu le vampire, beaucoup plus<br />
effrayants que son visage émacié; cette épaisse main de “La Femme à la cigarette” peinte<br />
par Otto Dix, symbole de la masculinité assumée de cette femme moderne ; ou bien la<br />
folie des mains osseuses peintes par Egon Schiele. La main symbolise l’état psychologique<br />
d’une personne et témoigne principalement de ce qui l’affecte. Les mains se crispent<br />
durant les colères. On tapote la table de ses doigts si l’on est anxieux. On joue avec ses<br />
pouces pour tromper l’ennui. Les patients atteints de troubles mentaux se grattent souvent<br />
violemment au niveau de l’avant-bras. Outre, la main est davantage l’outil premier par<br />
lequel on s’incarne dans le monde. Elle est le moyen de médiation entre nous et le dehors.<br />
On attrape des objets ; on se sert de ses mains pour combler ses besoins (manger, boire<br />
etc.) ; on caresse la femme ou l’homme qu’on aime etc. Les mains nous inscrivent dans un<br />
rapport d’utilité avec le monde. L’utilité implique l’asservissement des choses du monde<br />
(qui se trouvent hors de nous) dans le but de combler nos besoins, assouvir nos désirs. On<br />
attrape des objets pour s’en servir ; on utilise ses mains pour obtenir ce que l’on souhaite<br />
etc. Le monde des humains (trop humain !) est régi par ce rapport d’utilité.
Le quartier résidentiel d’”Edward aux<br />
mains d’argent”, ’’pastélisé’’, avec<br />
ses maisons uniformes, ses jardins<br />
tondus, avec cet aspect maniaque de<br />
l’alignement, symbolise l’ordre dominant<br />
de la société consumériste américaine<br />
: l’utilité et l’uniforme. Souvenons-nous<br />
de l’une des premières scènes du film où<br />
l’on découvre le personnage de Peg allant<br />
de maison en maison pour vendre ses<br />
produits cosmétiques (symbole encore<br />
une fois du conformisme utilitaire).<br />
Burton filme, en plan fixe, son trajet sur<br />
le chemin de dalles qui mène jusqu’à<br />
la porte d’entrée. Peg suit le chemin,<br />
comme on suivrait les contours d’un<br />
dessin sans jamais les dépasser, de façon<br />
rigoureuse et docile. Impossible de ne pas<br />
y voir une conséquence du conformisme<br />
américain qui entraîne une robotisation<br />
des mouvements humains, c’est-àdire<br />
au sens où Foucault l’entendrait, à<br />
une ‘’disciplinarisation’’ du corps, lieu<br />
de la liberté individuelle. Aussi, il est<br />
nécessaire d’assimiler cette scène (et<br />
par prolongement toute la conception<br />
de la ville Burtonnienne) à l’image de la<br />
Villa Arpel dans le film de Jacques Tati<br />
: “Mon Oncle”. Madame Arpel fera le<br />
même trajet que Peg, suivant docilement,<br />
comme une automate, le chemin de dalle<br />
qui mène jusqu’à sa maison.<br />
C’est justement dans ce monde où le<br />
Bon est un reflet de l’Utile que débarque<br />
Edward : être non-fini suite au décès<br />
prématuré de son inventeur (joué par the<br />
master : Vincent Price). N’ayant pu être<br />
achevé et donc recevoir les mains que<br />
lui destinés son créateur, Edward demeure<br />
avec ces lames de ciseaux en guise de<br />
mains. De fait, Edward est inapte à vivre<br />
dans ce monde. Il ne peut jamais rentrer<br />
dans un rapport utile avec les choses du<br />
monde qui l’entourent : il ne peut manger<br />
normalement ; il ne peut dormir sans trouer<br />
son lit ; les produits cosmétiques (symbole<br />
du conformisme) non pas d’effets sur lui.<br />
Paroxysme de sa condition tragique : il<br />
ne peut toucher la femme qu’il aime. Il y<br />
a entre lui et le monde un mur de glace,<br />
insurmontable.<br />
Une scène en est l’exemple : Edward dans<br />
la voiture qui le conduit à sa nouvelle vie<br />
voit des enfants s’amuser. Subitement, il se<br />
penche, désireux de les rejoindre. Alors, il<br />
se cogne contre la vitre de la voiture : le<br />
monde est impénétrable pour Edward et ses<br />
joies lui demeureront à jamais inconnues.<br />
Cependant, bien que ses mains-ciseaux le<br />
condamnent à ne pas pouvoir interagir avec<br />
le monde normalement, elles lui ouvrent<br />
une nouvelle voie : celle de la création. Car,<br />
privé du rapport d’utilité, Edward possède<br />
la possibilité de tirer profit de son étrange<br />
individualité : au travers de l’Art. Sur les<br />
haies droites et conformes des jardins<br />
américains, Edward impose des formes<br />
nouvelles. Sous ses mains de lames, l’utile<br />
devient inutilement Beau (au sens positif<br />
!). Dès lors, la petite bourgade se met à<br />
l’admirer. Tous le convoitent, comme on<br />
convoite ces choses étranges qui viennent<br />
rompre avec la monotonie de nos vies pour<br />
un court moment : par pur snobisme. Sans<br />
aucune réelle acceptation et compréhension<br />
67
68<br />
de ce qu’Edward est : un poète ! La critique<br />
que Burton fait de l’Amérique est des plus<br />
subtiles : les américains ne rejettent pas la<br />
différence. Au contraire, ils la prônent. Ce<br />
qu’ils rejettent c’est la différence qui ne se<br />
soumet pas à son dogme. La différence qui<br />
est trop libre. La différence indisciplinée.<br />
Edward est bien trop libre pour être soumis.<br />
Bien trop étrange pour être dompté. Alors,<br />
il devient pour tous, un danger. Ses lames<br />
qu’on a tant admirées deviennent des<br />
poignards. On le rejette. On le chasse jusqu’à<br />
la lisière de la ville, jusqu’au-delà du monde<br />
des Humains. Quel fut son péché ? Celui<br />
d’avoir créé. Celui d’avoir vu différemment.<br />
D’avoir senti différemment. Edward aux<br />
mains d’argent est cet Albatros Baudelairien<br />
pour qui : ‘’Ses ailes de géant l’empêchent<br />
de marcher.’’ Ainsi, à lui aussi, ses mains de<br />
ciseaux l’empêchent de ‘’marcher’’.<br />
Quand bien même Burton atteste de la<br />
cruauté inhérente en chacun de nous, il<br />
adresse aussi la possibilité de l’Amour dont<br />
l’œuvre d’Art en est l’objectivation la plus<br />
totale. Edward est descendu dans le monde,<br />
y a connu le chagrin, la souffrance, le rejet,<br />
mais il a aussi connu l’Amour. Ce monde<br />
n’est pas que laid, corrompu certes, mais<br />
on peut y aimer encore. Et c’est aussi au
travers de l’Amour (la scène de l’Ange) qu’il<br />
prend conscience de sa voie artistique. Ce<br />
n’est d’ailleurs pas un amour terrestre que<br />
filme Burton mais bien un amour céleste<br />
puisqu’il ne peut être consommé sans<br />
qu’Edward blesse (voire tue) Kim (jouée par<br />
la talentueuse Wynona Rider). Pour Burton<br />
la création et l’amour sont une et même<br />
chose. Bien qu’on le chasse, Edward gardera<br />
en lui cet preuve d’amour, souvenir de son<br />
passage dans le monde. Il ne l’oubliera<br />
jamais. Car, depuis lors, Edward du haut de<br />
son château sculpte sans relâche des blocs<br />
de glace. Et chaque flocon de la neige qui<br />
se perd au vent pour retomber sur les toits<br />
de la petite ville en contrebas, est un mot<br />
d’amour qu’il laisse s’envoler pour Kim<br />
comme pour la remercier. Il semble dire –<br />
comme le disait Céline dans le “Voyage” :<br />
‘’ J’ai gardé tant de beauté d’elle en moi, si<br />
vivace, si chaude que j’en ai bien pour tous<br />
les deux et pour au moins vingt ans encore,<br />
le temps d’en finir.’’<br />
PS : Tim, je t’aime.<br />
NOURIAN S.<br />
69
ED WOOD (1994)<br />
70<br />
Quel est l’intérêt de se pencher sur le ‘’pire’’<br />
réalisateur, le ‘’plus’’ mauvais de tous les<br />
temps ? Pour Burton c’est précisément tous<br />
ces superlatifs que l’on emploi pour définir<br />
Ed Wood qui sont intéressants, puisque ces<br />
titres infamants l’élèvent au statut d’icône.<br />
Au premier abord, “Ed Wood” semble<br />
étranger dans la filmographie de Burton<br />
car celui-ci délaisse le merveilleux, le<br />
fantastique, supports qui lui permettaient de<br />
développer ces idées, au profit d’un biopic.<br />
C’est là qu’est la vraie force de ce film. “Ed<br />
Wood” n’est pas moins un film de Burton<br />
que l’est “Edward au mains d’argent” (la<br />
comparaison n’est pas anodine : deux<br />
protagonistes du nom de Edward, deux rôles<br />
incarnés par Johnny Depp).<br />
Tous deux sont des personnages maladroits,<br />
mais tous deux créent une poésie, certes<br />
parfois involontaire mais une poésie quand<br />
même. Ed Wood est un personnage avec<br />
une confiance absolue dans son art, et bien<br />
que le public ne lui rendit pas, il croyait à<br />
la perfection de son travail. Réaliser le plus<br />
grand film de tous les temps ou réaliser le<br />
plus mauvais n’avait pas d’importance pour<br />
lui, réaliser était déjà une fin en soi.<br />
C’est un personnage à part, entouré d’une<br />
troupe en marge de la ‘’normalité’’, ce<br />
qui résonne avec les autres personnages
de Burton. Il pose sur Ed Wood un regard<br />
tendre et bienveillant. A l’image de la façon<br />
dont il traite son travestissement : sans<br />
ressort comique ou dramatique outrancier,<br />
ou comme le ‘’problème’’ central du film.<br />
Au contraire, Ed Wood est à saluer comme<br />
le premier film qui évoque cette pratique<br />
comme une habitude naturel et normale<br />
pour une personnalité unique.<br />
Le film recherche donc un réalisme touchant,<br />
à l’image de la relation entre Ed Wood et<br />
Bela Lugosi, et ne penche à aucun moment<br />
dans une parodie ou une œuvre moqueuse<br />
vis-à-vis des films de séries B ou Z. Le choix<br />
du Noir et Blanc résulte alors plus d’un<br />
choix par soucis de réalisme qu’esthétique.<br />
Durant deux heures nous suivons cet étrange<br />
individu qu’est Ed Wood et la façon avec<br />
laquelle il s’attache à créer peu importe<br />
les conditions et les retours. Aspirant à la<br />
célébrité et à la reconnaissance, Burton livre<br />
un brillant hommage à cet homme pleins<br />
de rêves pour qui l’humilité était synonyme<br />
d’ambition.<br />
ANDRE Baptiste<br />
71
BIG FISH (2004)<br />
72<br />
L’un des films les plus décriés de Tim Burton<br />
est pourtant l’un de ses plus personnels<br />
et, une fois mises de côté les attentes<br />
habituelles autour de son auteur, l’un de ses<br />
plus importants.<br />
William Bloom arrive au chevet de son<br />
père Edward qui se rapproche petit à petit<br />
de la mort, l’occasion pour lui de tenter de<br />
découvrir l’homme qui se cache derrière ses<br />
histoires fantasques.<br />
La sortie du film a coïncidé avec une<br />
période de doute chez Burton : souffrant<br />
encore de la production compliquée de<br />
«Superman Lives» et du tournage de son<br />
reboot de «La planète des singes», il se<br />
retrouve également jeune père alors qu’il<br />
vient de perdre le sien, avec qui les relations<br />
étaient compliquées. Le retrouver sur «Big<br />
Fish» était donc assez logique et prendre en<br />
compte ces informations reste pertinent par<br />
rapport à la lecture analytique d’une œuvre<br />
bien trop sous-estimée.<br />
Les doutes sont ainsi permanents, que ce soit<br />
chez le réalisateur ou chez ses protagonistes,<br />
entre William qui semble souffrir des<br />
mêmes maux que Burton ou Edward, dont<br />
l’assurance n’est bien évidemment que de<br />
façade. Sa manière d’aborder ses histoires<br />
est certes particulière mais participe à son<br />
besoin de connexion avec les gens et de<br />
trouver dans l’imaginaire quelque chose<br />
de salvateur et réconfortant. La douleur y<br />
est ainsi absente, le romantisme exacerbé<br />
et le merveilleux ne fait que souligner le<br />
bonheur de l’existence d’Edward. Ainsi,<br />
la dualité d’apparence, exacerbée par une<br />
merveilleuse photographie, ne fait que
73<br />
souligner l’importance de la fiction dans le<br />
réel et inversement.<br />
Un point qui semble régulièrement oublié<br />
est sa lecture extra diégétique. Alors que<br />
l’on reproche souvent aux films actuels de<br />
manquer de réalisme au point de chercher le<br />
moindre détail scénaristique pour mieux le<br />
lui reprocher, Burton nous rappelle que toute<br />
histoire a un sens, personnel ou non. Si l’on<br />
ressent l’aspect exutoire de ce long, il n’en<br />
est pas moins dénué d’une quête absolue<br />
de réalisme. Vouloir absolument que le tout<br />
soit tout à fait crédible est d’un ridicule<br />
analytique assez incohérent par rapport à ce<br />
que le film aborde du mythe. Sur ce point, il<br />
n’est dès lors guère étonnant de trouver des<br />
exemplaires du «Héros aux mille visages»<br />
de Joseph Campbell, créateur de la théorie<br />
du monomythe et de leur importance dans la<br />
construction sociologique de tout individu.<br />
On en vient alors à se demander en qui voir<br />
Burton : en Will, le circonspect qui cherche<br />
à être proche de son père à l’aune de son<br />
décès et de sa future paternité, ou en Edward,<br />
le conteur passionné et passionnant ? Sans<br />
aucun doute chacun des deux, avec une<br />
même approche et un même amour qui ne<br />
peut que bouleverser et nous faire monter<br />
les larmes dans les moments de doute de<br />
chacun et leur manière de tenter de rentrer<br />
en contact par le biais d’histoires profondes<br />
dans ce qu’elles racontent de craintes<br />
sourdes et d’une peur de ne pas être le père/<br />
fils que chacun espère être. On notera dès<br />
lors que ce sont les femmes de l’histoire<br />
qui aident chacun à se rapprocher tout en<br />
étant la raison de leur bonheur et de leur<br />
réconfort, dressant de manière discrète de<br />
beaux portraits féminins également remplis<br />
d’un amour sincère.<br />
Car c’est bien la sincérité qui se dégage<br />
d’un film bouleversant comme «Big Fish».<br />
Celui d’un Burton qui tente de faire de son<br />
mieux, aussi bien en tant qu’artiste qu’en<br />
tant qu’humain, assumant son imperfection<br />
dans chacun de ses rôles. Alors, si ce film<br />
n’est pas aussi célébré que ses premières<br />
œuvres, il n’en reste pas moins indispensable<br />
pour mieux comprendre un réalisateur aussi<br />
particulier…<br />
Liam Debruel
74<br />
ENFANTS PARTICULIERS (2<br />
MISS PEREGRINE ET LES
75<br />
Miss Peregrine et les Enfants Particuliers a été annoncé<br />
comme le grand retour de Tim Burton. Porté par Eva Green<br />
et Samuel L Jackson, le long métrage raconte comment un<br />
jeune enfant va entrer dans un monde parallèle encré dans<br />
le passé et rencontrer des individus doués de particularités<br />
significatives.<br />
Un retour aux sources ?<br />
Avec ces dernières années des longs métrages moins<br />
personnels et d’une qualité moindre, Tim Burton s’est attiré<br />
les foudres de ses fans de la première heure. Avec des films<br />
comme «Dark Shadows» ou «Alice au Pays des Merveilles», le<br />
<strong>ciné</strong>aste s’est éloigné de ce qui caractérisait si bien son univers<br />
dominé par des œuvres comme «Big Fish», «Beetlejuice» et<br />
bien évidemment «Edward aux Mains d’Argent.» De retour<br />
en demi-teinte l’année précédente avec «Big Eyes», «Miss<br />
Peregrine» était le moyen pour Burton de renouer avec son<br />
monde perdu.<br />
016)<br />
Pari réussi ? Hé bien oui et non. Le roi du gothique tente<br />
effectivement un retour aux sources en présentant une histoire<br />
qui coïncide complètement avec son esprit déjanté. Avec cette<br />
adaptation d’un livre sorti en 2011 signé Ransom Riggs, Burton<br />
peut effectivement jouer avec son imaginaire en présentant<br />
un monde féerique, poétique, gothique et inquiétant peuplé<br />
de monstres et d’individus particuliers en tout genre. Que ce<br />
soit dans l’esthétique des personnages très simple et à la fois<br />
si complexe, directement issue de l’imaginaire collectif, dans<br />
les décors colorés, délabrés, en parfaits adéquations avec le<br />
traitement de l’histoire et enfin dans l’image, une photographie<br />
somptueuse magnifiant une esthétique recherchée, «Miss<br />
Peregrine» rempli son cahier des charges. Incorporant une<br />
discrète romance entre deux individus que tout oppose à la<br />
manière de «Edward aux Mains d’Argent», Burton cherche<br />
clairement à renouer avec ses démons passés et retourner<br />
dans son univers particulier.
76<br />
Et le maître y parvient à de nombreuses<br />
reprises à travers par exemple le design<br />
des méchants, les Sépulcreux, véritables<br />
apparitions démoniaques, à travers les<br />
techniques de réalisation cherchant<br />
à récupérer un réalisme poussé à son<br />
maximum comme l’affirme Frazer<br />
Churchill, le superviseur des effets visuels.<br />
Il a aidé à créer l’apparence unique des<br />
Sépulcreux, en se basant sur des images<br />
de grandes silhouettes émaciées dotées de<br />
dents acérées, de petits yeux, d’une peau<br />
à l’apparence maladive et dépourvues de<br />
visage : ‘’Le tout ressemble à un cauchemar<br />
d’enfant. Cela a constitué le point de départ<br />
pour la conception visuelle. Nous voulions<br />
que les Sépulcreux ressemblent encore un<br />
peu aux humains qu’ils avaient été dans le<br />
passé. Ils sont juste assez monstrueux pour<br />
être effrayants’’.<br />
Burton offre également une palette de<br />
personnages assez prenants et surtout<br />
interprétés par des comédiens de talent.<br />
D’abord Miss Peregrine, cassante,<br />
autoritaire et déterminée, elle est<br />
également compréhensive, protectrice<br />
et compatissante. Eva Green parvient à<br />
transfigurer ce paradoxe avec beaucoup<br />
de verve et de classe, notamment par des<br />
jeux de regard séduisants et transcendants.<br />
Vient ensuite le grand méchant de l’histoire,<br />
Mr Baron, interprété par Samuel L Jackson,<br />
toujours très fidèle à lui-même dans un jeu<br />
où se mélange hargne, classe, malice et<br />
talent brute. Il fait de son personnage un<br />
méchant drôle, charismatique et inquiétant<br />
en quelques mimiques et rictus propres à son<br />
style, appuyés par des dialogues savoureux.<br />
Quant au jeune héros de l’histoire, c’est Asa<br />
Butterfield, 19 ans, qui prête ses traits, qui a<br />
déjà auparavant fait ses preuves dans Hugo<br />
Cabret de Scorsese et La Stratégie Ender face<br />
à Harrison Ford.<br />
Pour autant Burton reste enfermé dans des<br />
défauts parfois récurrents qui stagnent dans<br />
sa deuxième partie de carrière.<br />
Des défauts persistants<br />
Burton s’est tourné depuis quelques<br />
années vers un <strong>ciné</strong>ma d’avantage dicté<br />
par le divertissement. Depuis «Charlie et la<br />
Chocolaterie» ce <strong>ciné</strong>aste s’est légèrement<br />
enfermé dans une paresse qui se ressent<br />
parfois dans ses films. Mal introduites,<br />
certaines situations font pâles figures, à la<br />
limite du ridicule. «Miss Peregrine «ne fait<br />
pas exception à la règle puisque Burton<br />
fait entrer son héros dans l’autre monde de<br />
manière légèrement abstraite, sans véritable<br />
explication. De même la présentation<br />
des personnages et la manière dont il les<br />
exploite demeurent légèrement décevantes<br />
de par leur simplicité déconcertante. De<br />
même Burton se perd dans ses paradoxes<br />
temporels, ne posant pas suffisamment bien<br />
la situation pour que l’auditoire ait toutes<br />
les cartes en mains.<br />
Reste que «Miss Peregrine et les Enfants
77<br />
Particuliers» est un divertissement haut de gamme, jouant<br />
habilement avec les clichés et l’imaginaire collectif.<br />
Agrémenté ça et là de quelques prouesses visuelles<br />
somptueuses comme la chute de la bombe et le retour en<br />
arrière accrocheur. Ou des scènes très rythmées comme<br />
le combat final entre une armée de squelettes et les<br />
Sépulcreux, scène complètement jouissive, à la fois drôle<br />
et bad-ass, «Miss Peregrine et les Enfants Particuliers» est<br />
un joli conte pour des enfants qui se sentent en marge de<br />
leurs camarades. Une manière idéaliste d’expliquer que<br />
leur monde va évoluer, que la maturité leur apportera<br />
délivrance et assurance.<br />
Aubin Bouillé
78<br />
LAIKA : AU SO<br />
L’ANIMAT
79<br />
MMET DE<br />
ION ?<br />
PAR<br />
LIAM DEBRUEL
A l’occasion de la sortie de leur cinquième<br />
film, «Mr Link», revenons sur les studios Laika<br />
aux œuvres aussi sensibles émotionnellement<br />
qu’abouties techniquement.<br />
Tout commence en 2005 quand Travis<br />
Knight, fils du propriétaire de Nike, met à<br />
profit son travail d’animateur pour bâtir<br />
un studio spécialisé dans la stop-motion,<br />
cherchant à profiter des techniques du passé<br />
tout en gardant un œil vers le futur. En effet,<br />
Laika mettra en avant certaines innovations<br />
technologiques afin de permettre à leur art<br />
d’évoluer tout en enrichissant leur narration.<br />
80<br />
C’est ainsi que leur premier film, «Coraline»,<br />
profitera notamment de la stéréoscopie, entre<br />
autres. «Coraline», d’ailleurs, en inaugurant<br />
la création totale de longs-métrages pour le<br />
studio, imposera un certain style à celui-ci.<br />
On n’est d’ailleurs guère étonné de retrouver<br />
aux manettes du film Henry Selick, lui qui<br />
a su s’imposer comme un maître dans le<br />
domaine avec «James et la pêche géante»<br />
ou encore «L’étrange Noël de Mr Jack»,<br />
tout en imposant une imagerie singulière<br />
à mille lieues de l’aseptisation de rigueur<br />
dans le domaine de l’animation familiale.<br />
Adaptation du roman de Neil Gaiman,<br />
«Coraline» suit une jeune fille qui, ennuyée<br />
de son existence banale, va découvrir un<br />
monde alternatif où toutes ses envies sont<br />
assouvies. Son autre mère lui propose alors<br />
de rester si elle accepte de se coudre des<br />
boutons à la place des yeux…<br />
Écrit comme ça, le film pourrait en dissuader<br />
plus d’un de le regarder en compagnie<br />
d’enfants et une partie de nous comprend<br />
parfaitement cela. Au vu de nombreux visuels<br />
cauchemardesques et impressionnants,<br />
«Coraline» ne correspond pas à un<br />
public extrêmement jeune. Néanmoins,<br />
ignorer ce film serait ignorer une véritable<br />
proposition artistique aux thématiques aussi<br />
passionnantes que touchantes aussi bien<br />
l’enfant naïf et l’adulte au courant des aspects<br />
les moins réjouissants de la vie. Reprenant<br />
la singularité de l’univers de Gaiman, le film<br />
éblouit d’abord par sa dichotomie apparente<br />
entre les deux univers, libérant dans celui<br />
rêvé les mouvements d’une certaine rigidité<br />
propre à la stop-motion pour repousser
les limites du techniquement possible (cf<br />
la scène des souris, à s’en décrocher la<br />
mâchoire). Néanmoins, le tout se révèle plus<br />
creux que prévu et développe une nature<br />
bien plus terrifiante que prévue. Les adultes<br />
risquent d’être plus gênés encore que les<br />
enfants par les liens qu’ils pourront faire<br />
avec l’actualité avec une certaine terreur<br />
sourde.<br />
C’est cette menace planante qui révèle<br />
«Coraline» comme un indispensable dans<br />
le domaine de l’animation. Réussissant à<br />
replacer toutes les thématiques inhérentes du<br />
roman, elle les prolonge par un story telling<br />
visuel aussi merveilleux qu’effrayant. On<br />
sent l’expérience de Selick derrière la caméra<br />
ainsi qu’un style visuel reconnaissable<br />
entre mille, notamment de par son travail<br />
commun avec Tim Burton en producteur. En<br />
tout cas, si le film va déjà fêter son dixième<br />
anniversaire, il est loin d’avoir pris une ride,<br />
un exploit à une époque où les effets visuels<br />
ont tant évolué que des productions cossues<br />
vieillissent peu de temps après leur sortie.<br />
«Coraline» est en tout cas un immanquable<br />
dans le domaine de l’animation et assoit<br />
les studios Laika comme une promesse<br />
d’avenir avec beaucoup d’attentes derrière<br />
leur prochain film.<br />
81
82<br />
Celui-ci sera «L’étrange pouvoir de Norman» («ParaNorman» en vo), qui<br />
confirme l’ambition visuelle et narrative de Laika. L’histoire de ce jeune<br />
garçon qui voit les morts et doit sauver sa ville de l’attaque d’une sorcière<br />
pourrait aller dans le convenu mais c’est bien au contraire qu’on a droit. Sous<br />
couvert de récit fantastique proche de Scooby-Doo par la composition de son<br />
groupe, le film s’avère une véritable attaque contre une vindicte populaire<br />
ne remettant jamais en question ses erreurs, à l’image d’une certaine autorité<br />
marquée que nous ne dévoilerons pas. C’est ainsi que la crainte de l’autre<br />
sert de moteur narratif au récit, avec une verve passionnante et une absence<br />
de manichéisme pertinente mais surtout intéressante à aborder. Là où le film<br />
aurait pu prendre une tournure simplette et référentielle sans réflexion, il<br />
préfère prendre un chemin moins aisé qui pourra en rebuter certains mais qui<br />
en fait une des œuvres les plus riches de ces dernières années. Rien que le<br />
final amène un faux happy end qui reflète un certain état populaire tristement<br />
proche de l’actualité…<br />
Techniquement, on reste toujours aussi époustouflé par ce que le longmétrage<br />
a à nous offrir. D’un simple point de vue en coulisses, on profite<br />
des avantages de l’imprimante 3D pour avancer de manière plus rapide dans<br />
la conception des visages des personnages avec un souci du détail proche<br />
du travail manuel. La précision amenée aide à une certaine fluidité dans<br />
l’animation assez bluffante interrogeant la technique utilisée. Cette même<br />
quête de perfection se retrouve dans une production design travaillée, mais<br />
surtout dans la conciliation de la stop-motion avec d’autres techniques pour<br />
offrir le résultat le plus visuellement incarné au long-métrage. Le climax<br />
s’inscrit directement parmi les moments les plus forts et stimulants du <strong>ciné</strong>ma<br />
d’animation avec une imagerie estomaquante. D’ailleurs, jamais le film ne<br />
renie son aspect macabre, notamment dans la représentation des fantômes<br />
et la nature de leur décès. Bref, loin d’être un mix sans âme de ce qui fait<br />
la réussite du <strong>ciné</strong>ma de Joe Dante et Tim Burton, «L’étrange pouvoir de<br />
Norman» est une œuvre bluffante à de multiples niveaux.<br />
C’est sans doute pour toutes ces raisons que «Les Boxtrolls» est souvent<br />
sous-estimé parmi les films Laika. C’est pourtant ignorer tout un travail<br />
derrière, notamment dans l’utilisation du numérique. C’est ainsi que<br />
plusieurs personnages en arrière-plan, pour un souci de détail et de temps,
83
84<br />
se retrouvent animés dans un style collant<br />
le plus possible aux techniques de la stopmotion,<br />
ce qui en fera râler plus d’un. Il faut<br />
néanmoins savoir que cette solution s’avère<br />
pratique pour une production avec une<br />
ambition visuelle assez assumée mais un<br />
budget calqué sur les créations précédentes<br />
du studio. Pourtant, rien ne dépareille de<br />
ce film à l’ambiance british déjà différente<br />
par rapport au ton plus américain des deux<br />
films précédents de Laika. Il s’en dégage un<br />
humour assez loufoque et pince-sans-rire<br />
assez efficace mais sans jamais dénaturer la<br />
partie dramatique du récit. On y suit ainsi<br />
Egg, jeune garçon élevé par les Boxtrolls,<br />
des créatures bricoleuses récupérant les<br />
déchets pour en faire quelque chose de<br />
neuf. Mais quand ceux-ci disparaissent de<br />
manière progressive, Egg se retrouve obligé<br />
d’agir…<br />
Le film est ainsi à charge contre la<br />
discrimination, une nouvelle fois par une<br />
certaine structure sociale normée jouant<br />
de la peur de la population pour soutenir<br />
ses actions. On y aborde notamment la<br />
propagande par le biais culturel avec<br />
une intelligence qui permet de ne jamais<br />
s’aliéner son public, qu’il soit jeune ou plus<br />
âgé. On le ressent dans la critique politique<br />
avec cette classe supérieure ignorant le<br />
mal-être de la population pour tenter de<br />
conserver et surtout asseoir son statut social<br />
supérieur. Quant aux Boxtrolls, on peut<br />
y voir le partage de connaissances et de<br />
traditions possible par la multiculturalité de<br />
notre société, permettant à plusieurs cultures<br />
de mélanger leurs opinions et idées pour<br />
trouver des idées neuves qui améliorent<br />
notre monde. Il y a donc une véritable<br />
recherche narrative dans le film qui a en plus
85<br />
l’audace de jouer sur plusieurs tableaux de<br />
manière visuelle, notamment avec un final<br />
assez spectaculaire. Bref, c’est une nouvelle<br />
réussite toujours aussi importante au vu de<br />
la place prépondérante toujours accordée à<br />
la discrimination envers autrui.<br />
Et puis, il y a «Kubo et l’armure magique».<br />
L’auteur de ces lignes va tenter de rester<br />
un tant soi peu objectif par rapport à ce<br />
film mais il doit préciser d’avance qu’il le<br />
considère comme l’un des meilleurs films<br />
d’animation de tous les temps. On part ainsi<br />
d’une intrigue à l’ambition mythologique :<br />
Kubo, jeune garçon borgne, se retrouve<br />
obligé de retrouver l’armure magique pour<br />
défaire le Roi Lune. Derrière ce résumé<br />
laconique se cache un film au souffle épique<br />
vertigineux avec des proportions aussi bien<br />
macroscopiques que microscopiques. En<br />
effet, «Kubo and the two strings» en vo<br />
dissimule un drame familial bouleversant<br />
qui prend des proportions énormes suite au<br />
passé familial du jeune garçon. La présence<br />
de Singe et Beetle, deux personnages avec un<br />
certain potentiel humoristique, va d’ailleurs<br />
se révéler plus passionnante que prévue,<br />
notamment par leur place mythologique.<br />
C’est ainsi que le récit s’avère suivre le<br />
chemin du monomythe campbellien tout en<br />
n’hésitant pas à différer du chemin habituel.<br />
Il y a une telle évidence dans tous les points<br />
du film que l’on pourrait parler de miracle :<br />
l’univers est cohérent sans amener quoi<br />
que ce soit en sur-explication, les traits<br />
d’humour sont inhérents aux personnages<br />
et n’annulent en rien le reste du film et la<br />
dramaturgie est d’un sérieux et d’une gravité<br />
telle que ses moments d’émotion s’en<br />
dégagent comme plus forts encore. Rien<br />
n’est laissé au hasard et l’aspect resserré<br />
de l’intrigue n’entame jamais l’écriture<br />
des personnages ou l’expression de leurs<br />
sentiments. La linéarité de l’intrigue amène<br />
à une irrigation de thématiques, notamment<br />
sur la place de l’art dans la société ou la
nature belligérante et revancharde que nous avons tous (en<br />
cela, le titre original est bien plus pertinent). À une époque<br />
où l’élimination d’un ennemi de manière définitive est<br />
considérée comme un accomplissement total, parler de<br />
pardon dans un climax s’avère rafraîchissant et passionnant,<br />
tout comme la réflexion sur la création artistique en tant que<br />
moyen d’immortalité par le biais du partage des souvenirs.<br />
La rédemption est d’une satisfaction totale et comme le<br />
générique de fin le fait apparaître brièvement, le guerrier va<br />
à sa destruction là où la personne en quête d’apaisement vit<br />
de manière épanouie.<br />
Dès la première seconde du film, celui-ci nous happe par ses<br />
visuels ambitieux. ‘’Si vous devez cligner des yeux, faites-le<br />
maintenant’’ : c’est comme si le réalisateur et directeur de<br />
Laika, Travis Knight, nous suppliait de profiter de chaque<br />
plan au vu du travail titanesque effectué derrière. Toujours<br />
avec le même budget que sur ses films précédents, «Kubo»<br />
a des proportions incroyables et ce dès l’ouverture, inspirée<br />
par la fameuse Vague d’Hokusai. L’inspiration artistique<br />
derrière est, on l’imagine, faramineuse, mais participe<br />
à la création d’un univers unique aux images toutes plus<br />
merveilleuses et travaillées les unes que les autres. On ne<br />
peut pas passer par exemple sur la création de la plus petite<br />
et de la plus grande figure en stop-motion, cette dernière<br />
étant une référence évidente au maitre Ray Harryhausen.<br />
Le film s’amuse également des critiques sur l’utilisation du<br />
numérique au détour d’une réplique sur une figurine en<br />
origami. On pourra noter que les innovations technologiques<br />
de rigueur servent à l’ambition d’un film qui ne délaisse<br />
jamais son drame humain pour sa splendeur visuelle.<br />
86<br />
Les superlatifs manquent donc pour décrire «Kubo et<br />
l’armure magique» tant il est difficile de lui trouver ne seraitce<br />
qu’un défaut concret. C’est une œuvre passionnante,<br />
bouleversante, renversante, incroyable tant visuellement<br />
que narrativement, une fulgurance totale qui devrait<br />
marquer à terme le <strong>ciné</strong>ma d’animation pour l’ambition<br />
derrière et le travail plus que remarquable de la part des
87<br />
animateurs du studio sur une œuvre aussi<br />
périlleuse. On pourrait même d’ailleurs y<br />
voir une lettre d’amour adressée par Travis<br />
Knight à ses employés, lui qui a su patienter<br />
après avoir travaillé en tant qu’animateur<br />
pour trouver le sujet qui lui permettra de<br />
passer à la réalisation. «ubo et l’armure<br />
magique» s’avère également donc une ode<br />
aux créateurs, aux rêveurs et aux artistes<br />
en tous genres qui tentent par leur art de<br />
modifier le monde et d’en faire un endroit<br />
meilleur tout en n’oubliant pas l’humanité<br />
derrière.<br />
Il est donc intéressant de se demander<br />
ce que pourra offrir «Mr Link», avec ses<br />
premières images à priori plus modestes mais<br />
annonçant déjà une quête d’identité avec<br />
assez de couleurs et d’idées visuelles pour<br />
asseoir la singularité du film, mais surtout du<br />
studio Laika. Il serait donc temps de redonner<br />
à leurs films le statut d’œuvres déjà cultes<br />
et importantes qui vont sans aucun doute<br />
se transmettre de génération en génération<br />
pour faire battre le cœur et émerveiller aussi<br />
bien les petits et les grands. Alors que tant<br />
de producteurs prennent le <strong>ciné</strong>ma familial<br />
comme un moyen de balancer des blagues<br />
scato sans âme et n’hésitent pas à insulter<br />
leur public, les chefs-d’œuvre certifiés<br />
Laika sont plus qu’indispensables. Nous<br />
attendons donc beaucoup de ce «Mr Link»<br />
et espérons qu’il connaîtra un succès public<br />
à la hauteur des ambitions d’un studio qui<br />
mérite d’être installé au même niveau que<br />
Disney ou Ghibli…<br />
Liam Debruel
88<br />
HER (2013)
Analyse<br />
DE SPIKE JONZE. AVEC JOAQUIN PHOENIX, SCARLETT JOHANSSON, AMY ADAMS... 2H06<br />
89
Comment parler de cette décennie sans<br />
mentionner le chef d’œuvre de Spike<br />
Jonze impossible à prononcer en se faisant<br />
comprendre ? Réputé pour ses talents de<br />
réalisateur déjà dans la musique, il signe 3<br />
long-métrages (plutôt savoureux, avouonsle)<br />
: “Being John Malkovich” (1999),<br />
“Adaptation” (2002) et “Where The Wild<br />
Things Are” (2009) avant de s’attaquer à<br />
son meilleur film dont nous allons parler :<br />
“Her” (2013). De nombreux films ont traité<br />
le futur de l’angle de la menace (mortelle).<br />
Rappelons-le, l’intelligence artificielle<br />
que l’on trouve dans “2001 l’Odyssée de<br />
l’Espace” est loin d’être autant sympathique<br />
que la voix de Scarlett Johansson. Le présent<br />
et le futur, l’influence de la technologie sur<br />
l’amour…<br />
Synopsis : Théodore est sur le point de<br />
divorcer et rencontre Samantha, une<br />
intelligence artificielle.<br />
90<br />
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut<br />
souligner que le film parvient à être novateur<br />
dans ce qu’il propose grâce à son travail<br />
sur l’époque, loin d’être insoupçonnable<br />
et surtout dans un futur très proche. Dès<br />
le début du film, le constat est évident :<br />
l’opposition entre le futur incroyable que<br />
l’on espérait et le futur présenté très proche<br />
de notre société. Le titre du film s’affiche dans<br />
un style LETTRE, et l’introduction même de<br />
son métier est loin d’être menaçante et pas<br />
impossible à accomplir aujourd’hui : nous<br />
pouvons aujourd’hui faire ce qu’il fait, c’est<br />
à dire dicter sa voix pour qu’elle s’affiche<br />
à l’écrit. N’omettons pas les vêtements<br />
inspirés des années 1940 qui brisent les
stéréotypes de la science fiction classique,<br />
en plus d’avoir des décors naturels (Los<br />
Angeles).<br />
Il m’aura fallu d’un seul et unique visionnage<br />
pour qu’il devienne la pierre angulaire<br />
personnelle de mon 7e Art. Comment le film<br />
parvient-il à dresser un portrait bouleversant<br />
de la solitude tout en définissant avec<br />
précision l’amour à travers un film où<br />
l’essentiel de la relation amoureuse est<br />
ciblée sur une intelligence artificielle ?<br />
Théodore, interprété par le caméléon<br />
Joaquin Phoenix est affreusement seul et<br />
cette vie morose se voit à sa manière de<br />
penser : il perçoit avec sensibilité l’histoire<br />
de chaque personne. Paul (Chris Pratt) lui dit<br />
lors d’une scène qu’il est à la fois homme et<br />
femme, accentuant son malheur. L’absence<br />
pourrait être la thématique principale du<br />
film : Théodore pense à Catherine qui n’est<br />
désormais plus sa femme, il discute avec<br />
une intelligence artificielle qui n’existe<br />
pas réellement. Cette même absence est<br />
toujours comblée par autre chose : dans<br />
le cas de Catherine, avec des flashback, et<br />
dans le cas de Samantha, avec des plans<br />
sur le téléphone d’où elle provient pour<br />
remplacer sa non-présence.<br />
Justement, c’est cette alternance entre sa<br />
routine, sa quête de confiance et son passé<br />
vertigineux qui font de ce film une véritable<br />
réflexion poussée sur l’amour et la vie. On<br />
retrouve sans arrêt des flashback à la fois<br />
somptueux et terrifiant par l’opposition<br />
entre le bonheur et la tristesse de la relation<br />
entre Théodore et Catherine. Il est conscient<br />
91
92<br />
de sa tristesse, elle est apparente dès le début, il assume son<br />
asocialité. C’est cette posture résistante qui met en avant<br />
un personnage opposé aux modèles hollywoodiens de la<br />
masculinité et de la virilité.<br />
Malgré le pessimisme apparent sous sa première couche,<br />
«Her» est une véritable odyssée sur l’épanouissement<br />
personnel. Comment oublier la personne qui a fait de nous ce<br />
qu’on est aujourd’hui ? Si la sexualité est malheureusement<br />
souvent au cœur de sa misère par rapport à ses attentes et à<br />
ce qu’il se passe réellement (la scène gênante du ‘’étouffes<br />
moi avec la queue du chat mort’’, la photographie de l’actrice<br />
nue en début de film, la scène avec le personnage d’Olivia<br />
Wilde, la relation sexuelle avec l’assistance aux relations IA),<br />
l’évolution de sa situation initiale est bien réelle. Tout d’abord,<br />
il existe un contraste conséquent rendant son amélioration<br />
visible et crédible. Lorsqu’Amy (Amy Adams) se sépare de son<br />
mari, il y a une inversion de la joie puisqu’elle était heureuse<br />
et lui malheureux, c’est la première fois que l’on parvient à<br />
jauger sa capacité à ne plus être aussi triste qu’auparavant.<br />
De la même manière, lorsque c’est à son tour d’aller mal et<br />
qu’elle va mieux, il n’y a plus autant ce contraste puisqu’il<br />
parvient à se ressaisir et aller beaucoup mieux. Après son<br />
divorce, lorsqu’il évoque sa vie de marié avec des flashback,<br />
il décrit le sentiment de partager sa vie avec quelqu’un<br />
sans tomber dans le misérabilisme et la tristesse habituelle,<br />
mais en employant une certaine neutralité nostalgique mais<br />
ponctuelle : ces souvenirs appartiennent au passé, ils ne<br />
sont plus et ne seront plus, ce ne sont que des histoires qui<br />
peuvent occuper l’esprit de temps en temps.<br />
Malgré la fin tragique liée au twist, c’est Samantha qui apprend<br />
à le rendre heureux et à profiter de l’instant présent. Dans un<br />
premier temps lorsqu’il est à la fête foraine, puis lorsqu’il<br />
court jusqu’à la plage, elle cristallise ses plus belles lettres en<br />
appelant un éditeur, et ce sont également des instants où la<br />
musique est joyeuse (ce qui est rare vu la mélancolie présente<br />
à chaque instant). Enfin, c’est cette corrélation entre le passé
et le présent qui fait de Théodore un homme<br />
passant de la solitude à l’épanouissement. A<br />
la fin du film, Samantha lui dit ‘’Maintenant,<br />
on sait comment aimer.’’ , comme pour lui<br />
indiquer qu’il en est désormais capable.<br />
Lorsqu’il est en haut du bâtiment avec Amy,<br />
on comprend l’élévation des personnages :<br />
à la fois dans leur estime d’eux-mêmes mais<br />
dans ce qu’ils sont aujourd’hui, des êtres<br />
sachant souffrir comme aimer, s’estimer pour<br />
ce qu’ils sont. Cette voix-off finale, cette<br />
fameuse lettre à Catherine est un message<br />
fonctionnant à la fois pour Catherine et<br />
Samantha. C’est un instant ayant une<br />
double-vocation, le pardon et l’acceptation,<br />
et ainsi : l’épanouissement personnel.<br />
«Dear Catherine, I’ve been sitting here<br />
thinking about all the things I wanted<br />
to apologize to you for. All the pain we<br />
caused each other. Everything I put on you.<br />
Everything I needed you to be or needed you<br />
to say. I’m sorry for that. I’ll always love you<br />
‘cause we grew up together and you helped<br />
make me who I am. I just wanted you to<br />
know there will be a piece of you in me<br />
always, and I’m grateful for that. Whatever<br />
someone you become, and wherever you<br />
are in the world, I’m sending you love. You’re<br />
my friend to the end. Love, Theodore.»<br />
BARADY Pravine<br />
93
37ÈME ÉDITION DU BIFFF : DU SANG, DES<br />
BOYAUX ET BEAUCOUP DE FESTIVITÉS<br />
94<br />
Commençons cash : le Festival du Film<br />
Fantastique de Bruxelles est un immanquable<br />
pour tout fan de <strong>ciné</strong>ma de genre. Entre<br />
une programmation aussi bien qualitative<br />
que quantitative, les activités diverses et<br />
les nombreux invités, il y a de quoi ravir<br />
n’importe quel public. La conférence de<br />
presse aura permis de confirmer la présence<br />
de quelques titres et de voir la direction<br />
prise après une trente-sixième édition plus<br />
que réussie.<br />
Quelques titres assez attendus dans le<br />
domaine du genre seront présentés durant<br />
cette édition. On pense ainsi à «Pet<br />
Sematary» , nouvelle adaptation d’un des<br />
(nombreux) classiques de Stephen King par<br />
Kevin Kölsch et Dennis Widmyer («Starry<br />
eyes»), «Iron Sky 2», «Hellboy» de Neil<br />
Marshall («The descent»), «Assasination<br />
nation», «Monsieur Link», «The beach bum»<br />
d’Harmony Korine ou encore «Greta» de Neil<br />
Jordan. La sélection internationale compte<br />
97 films dont 10 avant-premières mondiales,<br />
11 avant-premières internationales et 10<br />
avant-premières européennes. De quoi<br />
faire le tour du monde du <strong>ciné</strong>ma de genre<br />
et découvrir des pépites souffrant souvent<br />
d’une absence de distribution extérieure<br />
à ce genre d’événements. On ne peut que<br />
vous recommander dès lors de profiter<br />
du maximum de séances ainsi que de la<br />
fameuse Nuit Fantastique avec ses 4 films<br />
diffusés à partir de 23h suivis d’un petitdéjeuner<br />
bien mérité.
sur toutes les activités disponibles pourront<br />
retrouver l’intégralité des activités proposées<br />
sur le site du BIFFF ainsi que dans le dossier<br />
de presse disponible dessus et concocté par<br />
la merveilleuse équipe du festival.<br />
En dehors des séances, il y a pléthore<br />
d’événements qui nous font déjà de l’œil,<br />
comme la masterclass Steve Johnson, légende<br />
des effets spéciaux et des maquillages ayant<br />
œuvré pour James Cameron, Sam Raimi ou<br />
encore Steven Spielberg. On aura également<br />
droit à la première nuit Nanarland avec<br />
deux titres de choix : «Samourai cop» et<br />
«Troll 2». On pense également au troisième<br />
BIF market, le ZOMBIFFF Run for your<br />
life (une course où les participants seront<br />
poursuivis par des zombies dans des rues<br />
aménagées exprès), les nombreuses séances<br />
courts-métrages, les concours Body Painting<br />
et Make Up, le fameux Bal des vampires,<br />
le Gaming Madness, les projections VR, le<br />
retour du Rafting sur marée humaine, …<br />
Celles et ceux qui désirent en savoir plus<br />
Car le BIFFF, outre sa fameuse Troll coulant à<br />
flots, ses invités de qualité (dont cette année<br />
Udo Kier en nouveau chevalier du corbeau)<br />
et ses nombreuses activités en dehors de sa<br />
large programmation, c’est un amour sincère<br />
pour le <strong>ciné</strong>ma de genre et ses itérations<br />
dans ses différents médias. Bref, ce sera un<br />
plaisir pour ce rédacteur de revenir dessus<br />
dans le prochain numéro de votre magazine<br />
<strong>ciné</strong>. Et si vous êtes de passage durant le<br />
festival, n’hésitez pas à le signaler pour se<br />
faire une petite conversation autour d’une<br />
bonne bière. En résumé, de quoi passer à<br />
nouveau un excellent moment dans un<br />
festival aussi généreux et indispensable. En<br />
clair, Welcoooooooome !<br />
Liam Debruel #MonsieurPopcorn #Eule<br />
95
96
97<br />
Mort aux Plot<br />
holes !<br />
PAR<br />
LIAM DEBRUEL
98<br />
Nous sommes tous tombés sur des<br />
remarques de ce genre à la sortie d’un film : le<br />
nombre d’incohérences que celui-ci pourrait<br />
comporter par rapport à la réalité diégétique<br />
ou du moins à la réalité tout court. Et si l’on<br />
peut comprendre certaines de ces remarques,<br />
l’accumulation de ce type d’arguments<br />
amène à une certaine exaspération tant cela<br />
amène souvent à une absence de réflexion<br />
autre qu’une appréhension creuse. Nous<br />
allons donc essayer, avec un certain sens<br />
de l’imperfection, de souligner pourquoi ce<br />
genre de remarques peut desservir un film<br />
pour rien.<br />
Réalité intra diégétique et<br />
extra diégétique<br />
Quand nous regardons un film, deux réalités<br />
se confrontent durant le visionnage : la<br />
réalité du film et notre réalité. Cela pourrait<br />
paraître un détail mais pourtant c’est un<br />
point important que beaucoup oublient<br />
devant toute œuvre. Bien sûr que dans<br />
notre univers, il semble impossible que tel<br />
personnage utilise la Force pour se sauver<br />
d’une mort par asphyxie dans l’espace<br />
ou qu’un dinosaure attaque une voiture<br />
en centre-ville. Mais tout cela ne rentre<br />
pas en conflit avec la réalité de l’œuvre<br />
filmique. Il faut se rappeler que les films<br />
se passent régulièrement dans des univers<br />
différents du nôtre et pas uniquement ceux<br />
se déroulant dans un monde à la fiction<br />
totalement assumée comme la sciencefiction<br />
ou la fantaisie. Quand une œuvre<br />
assume totalement son aspect fictif, fautil<br />
qu’elle corresponde au prisme de notre<br />
réalité ? Cela semble inconsistant d’un point<br />
de vue critique, tout en s’érigeant en tant<br />
que chantre de connaissances, aussi bien<br />
scientifiques que sociales. Faut-il réellement<br />
reprocher à un épisode de Star Wars de<br />
ne pas être totalement cohérent avec telle<br />
loi de physique quand le film tire de cela<br />
une recherche narrative et visuelle ? Peutêtre<br />
devrions-nous nous rappeler que notre<br />
réalité n’est pas celle qui est dépeinte à<br />
l’écran et qu’il faut accepter que certaines<br />
règles n’ont pas cours dans certains univers.<br />
Une histoire à raconter<br />
C’en est même oublier l’adage que l’on<br />
préfère imprimer la légende plutôt que<br />
la réalité. Un film se doit de raconter une<br />
histoire et elle doit maintenir un certain<br />
intérêt. Bien que les facilités scénaristiques<br />
soient légion, elles n’ont pour but que de<br />
faire avancer l’histoire et sont généralement<br />
amenées avec plus ou moins de travail.<br />
On notera également que l’on cherche<br />
à mettre dans le même panier diverses<br />
façons de faire avancer le scénario avec<br />
un aveuglement peu constructif. On pense<br />
ainsi aux moqueries liées à l’utilisation de la<br />
Force par Leia dans le huitième épisode de<br />
Star Wars, «Les Derniers Jedi». Certains se<br />
sont ainsi plaints d’une incohérence totale,<br />
le personnage n’en ayant pas fait usage<br />
selon eux auparavant. On mettra de côté le<br />
fait qu’elle retrouve Luke dans le cinquième
99<br />
épisode pour souligner le gros problème de la<br />
remarque : l’abstraction du hors champ. A-ton<br />
besoin de voir Leia s’être entraînée alors<br />
que c’est quelque chose qui devrait sembler<br />
logique au vu du laps de temps passé ? Fautil<br />
voir une incohérence là où on fait usage<br />
d’un des outils les plus fondamentaux du<br />
<strong>ciné</strong>ma ? En faisant abstraction d’un moyen<br />
de story telling essentiel pour faire avancer<br />
l’histoire et se reposant sur la confiance<br />
envers les spectateurs et leur connaissance<br />
sur la technologie, on peut au minimum<br />
voir une certaine mauvaise foi de la part<br />
de certains, au pire une extrémisation du<br />
principe du « show, don’t tell » devenu<br />
un « show everything » afin de justifier les<br />
propos d’un scénario devant se construire<br />
en donnant la main au spectateur dans sa<br />
compréhension.<br />
Scénario, terme<br />
astreignant ?<br />
Le terme même de scénario a quelque<br />
chose de déshumanisant dans sa position<br />
dans la narration du film. Certains y mettent<br />
même une certaine construction mécanique<br />
avec des règles qui, si elles sont brisées,<br />
sont pointées du doigt avec véhémence.<br />
Parlons ainsi du ‘’set up, pay off’’, obligeant<br />
le scénario à amorcer un point narratif<br />
pour mieux en faire usage plus tard. Si<br />
bien amenée, la technique peut retourner<br />
le spectateur et l’obliger à un nouveau<br />
visionnage pour constater la mécanique<br />
huilée. Mais actuellement, il semble que<br />
beaucoup de ‘’pay off’’ souffrent de leur<br />
nature et d’un ‘’set up’’ à la subtilité d’un<br />
Albert Dupontel avec un extincteur. Par<br />
cette installation, le film peut dévoiler<br />
rapidement ses cartes et au final chercher<br />
la logique narrative plus que l’exaltation<br />
<strong>ciné</strong>matographique. On transforme dès lors<br />
le scénario comme un objet et non un cœur<br />
narratif, le squelette d’un film dont la rigidité<br />
peut se retourner contre lui. Qu’on consolide<br />
une intrigue pour survivre aux nombreux<br />
visionnages, tout cela est bien évidemment<br />
logique. On cherche quoi qu’il arrive la<br />
longévité en espérant que les affres du temps<br />
n’affecteront en rien notre création. Mais à<br />
force de chercher la compréhension directe<br />
du spectateur, à force de rafistoler pour<br />
être constamment raccord avec les attentes<br />
du public et surtout à force de ne laisser<br />
aucun blanc, aucun espace interprétatif et<br />
d’évaluer le support comme seul espace à la<br />
liberté narrative du film, ne risque-t-on pas<br />
d’aspirer toute l’âme du projet ? Peut-être<br />
que non, bien évidemment, de nombreux<br />
exemples existent. Néanmoins, les mauvais<br />
exemples sont nombreux et devraient servir<br />
d’inspirations de ce qu’il ne faut pas faire<br />
pour offrir un film qui vit au-delà de nos<br />
espérances et de nos croyances.<br />
Réévaluer la suspension<br />
d’incrédulité<br />
La croyance est d’ailleurs fondamentale<br />
dans le milieu du <strong>ciné</strong>ma de fiction pour<br />
une raison simple : tout cela est de la
100<br />
fiction. Il faut dès lors replacer la suspension<br />
d’incrédulité au cœur de la réflexion<br />
analytique mais surtout dans le rapport<br />
empathique qui s’établit entre le film et le<br />
spectateur. Quand Star Wars démarre par<br />
‘’Il y a bien longtemps, dans une galaxie<br />
lointaine, très lointaine…’’, il joue sur sa<br />
fictionnalité pour rappeler aux spectateurs<br />
leur place. Le film y établit un contrat : si tu<br />
me regardes, il y a des choses que tu te dois<br />
d’accepter pour mieux appréhender mon<br />
propos. Ce rapport est dès lors primordial :<br />
nous nous devons d’accepter des faits qui<br />
ne pourraient se concrétiser dans notre<br />
monde. Peut-on imaginer les événements<br />
de nos fictions préférées se dérouler dans<br />
notre monde ? Pas nécessairement bien<br />
sûr. En regardant un film, il faut dès lors<br />
accepter le contrat régissant la fictionnalité<br />
de ce monde et assumer une forme de<br />
crédulité devant ce qui est narré. Bien sûr,<br />
cette suspension peut se retrouver brisée<br />
par un abus ou une maladresse de trop<br />
(l’auteur de ces lignes repense à la présence<br />
incongrue, d’un point de vue historique dans<br />
la fiction, d’un protagoniste dans le dernier<br />
volet des « Animaux Fantastiques »). Mais<br />
il faut également se résigner à l’utilisation<br />
de la magie ou de quelques coïncidences<br />
ayant peu de chances d’avoir lieu dans<br />
notre univers et mieux accepter que c’est<br />
l’alignement des étoiles dans la fiction qui<br />
a permis au dit événement de se produire.<br />
S’ouvrir à une œuvre, c’est admettre<br />
qu’elle se doit de coller à une histoire qui<br />
se différencie de notre quotidien et parfois<br />
ne se plie pas aux usages habituels dans la<br />
narration visuelle ou scriptée.
101<br />
Mais au fond, que faire ?<br />
Il serait bien prétentieux de se dire qu’on a<br />
la solution pour arranger le problème des<br />
critiques liées aux incohérences et autres<br />
plot holes. Chacun a ainsi sa perception<br />
d’appréhender un film et il se peut que vous<br />
soyez en total désaccord avec les lignes<br />
qui viennent de précéder cette tentative de<br />
conclusion. Il faudrait sans doute réévaluer<br />
notre paradigme respectif concernant la<br />
manière dont nous regardons un film. Peutêtre<br />
qu’en assumant notre propre subjectivité<br />
face à une œuvre pourrons-nous nous ouvrir<br />
à des analyses plus approfondies et remettre<br />
en question l’utilisation de l’incohérence<br />
en tant que facteur négatif sans aller plus<br />
loin dans la réflexion l’entourant. Mais une<br />
nouvelle fois, tout cela est bien théorique et<br />
admettre l’opinion personnelle de l’auteur<br />
à ce sujet serait bien vaniteux. Dès lors, il<br />
faudrait peut-être s’imposer à chacun une<br />
interrogation quant à la manière dont nous<br />
usons ces termes, en espérant être le plus<br />
constructif et le plus riche analytiquement<br />
et sentimentalement parlant.<br />
Liam Debruel #MonsieurPopcorn
102<br />
L’instant
séries<br />
103
the oa - saison 2<br />
104<br />
En décembre 2016, sans vraiment crier<br />
gare, Netflix diffuse sur sa plateforme une<br />
série originale de 8 épisodes : “The OA”. Brit<br />
Marling et Zal Batmanglij sont déjà à l’origine<br />
du projet et viennent de créer une œuvre<br />
atypique, une œuvre qui leur ressemble.<br />
Dès 2007, dans des courts métrages, le duo<br />
était déjà formé. Puis plus tard, en 2011, à<br />
Sundance, Brit et Zal présentent deux longs<br />
métrages, “Sound of my voice” et “Another<br />
Earth” (qui repart avec le Prix Spécial du<br />
Jury). Dès lors, ce sont des œuvres sincères<br />
et libérées qui sont proposées.<br />
The OA ne fait pas office d’exception.<br />
D’aucuns diront : soit on adhère soit on<br />
reste de marbre. (Mais n’est-ce pas le cas<br />
pour la majorité des œuvres ?) Je pense tout<br />
honnêtement que pour la série de l’approche<br />
est plus compliqué que cela. La première<br />
partie de “The OA”, sortie il y a donc<br />
déjà deux ans de cela, nous familiarisait<br />
avec le personnage de Prairie, jeune fille<br />
retrouvé après 7 ans sans nouvelles et ayant<br />
mystérieusement perdu sa cécité. Cette<br />
dernière clame être ‘’The OA’’, traduisez :<br />
the Original Angel. Elle embarque alors un<br />
petit groupe de personne, en plus de son<br />
spectateur, pour leur raconter son histoire.<br />
Fidèles à eux-mêmes, Brit et Zal parsèment<br />
cette épopée contée d’indices et de<br />
mystères, nourrissant à la fois la mythologie<br />
de l’histoire et les différentes interprétations<br />
possibles. Dans le paysage sériel actuel,<br />
“The OA” résonne comme une véritable<br />
bouffée d’air frais. Sincère, assumée, pleine<br />
d’espoir, la proposition est à louer si ce n’est<br />
à apprécier.<br />
La Partie II de l’histoire de Prairie reprend là<br />
où le spectateur l’avait laissé, répondant dès<br />
lors à de nombreuses questions restées sans<br />
réponses pendant 2 ans. Mais pendant 2 ans
105<br />
Brit et Zal ne se sont pas tourné les pouces. Ils<br />
ont (bien) travaillé. Peu actif sur les réseaux<br />
sociaux, Brit affirmait il y a quelque temps<br />
penser la série comme ‘’une nouvelle sorte<br />
de narration, permise grâce au streaming’’.<br />
Et effectivement, “The OA” est une série qui<br />
gagne à être revues encore et encore, ce<br />
que permet une plateforme comme Netflix.<br />
C’est une histoire qui emprunte à beaucoup<br />
d’artistes et à d’œuvres déjà existantes, mais<br />
qui a su trouvé une façon de s’imposer.<br />
Plus ambitieuse dans ses décors, dans son<br />
casting, dans son intrigue, “The OA Part II”<br />
marque 2019 comme une belle année pour<br />
la série et ses créateurs.<br />
ANDRE Baptiste
umbrella<br />
Une adaptation live d’un comics, que ce<br />
soit sur grand ou petit écran, ressemble<br />
désormais à un non événement tant nous<br />
sommes habitués à voir les productions du<br />
MCU et du DCEU dans les grandes salles<br />
ainsi que diverses itérations, que ce soit sur<br />
CW («Flash», «Arrow») ou encore Netflix (<br />
«Jessica Jones», «Daredevil»). On pourrait<br />
donc parler de non-événement à chaque<br />
annonce du genre mais ce serait minimiser<br />
les orientations diverses et variées qu’aura<br />
connu le médium à travers les années.<br />
C’est d’ailleurs le cas de cet «Umbrella<br />
Academy», dont la première saison est<br />
disponible depuis un moment sur la plateforme<br />
au grand N.<br />
106<br />
Il est ainsi compliqué après visionnage de<br />
ses dix épisodes de bien décrire la série. Son<br />
point de départ est en apparence simple :<br />
accouchés par des femmes qui n’étaient pas<br />
enceintes la minute avant, sept enfants sont<br />
adoptés par un milliardaire afin de sauver
academy - saison 1<br />
le monde. Quand leur père adoptif meurt<br />
des années plus tard, chacun doit mettre<br />
ses rancoeurs de côté pour se préparer à la<br />
fin imminente du monde. Et pourtant, tout<br />
est bien plus compliqué, aussi bien dans la<br />
série qu’à propos de celle-ci.<br />
Le style risque principalement de mettre<br />
de côté de nombreux spectateurs et pour<br />
une simple raison : la série est totalement<br />
protéiforme et part dans tous les sens,<br />
basculant d’un genre à l’autre en un<br />
claquement de doigt. On a ainsi l’impression<br />
d’être face à un objet pop avec sa bande<br />
originale de qualité qui, par son style<br />
musicale, envoie «Umbrella Academy» dans<br />
un style ou dans l’autre. Cette hétérogénéité<br />
tonale va en désarçonner plus d’un, sans<br />
doute provoquer des abandons après un<br />
ou deux épisodes. C’est pourtant cette<br />
explosion totale, cette imprévisibilité qui<br />
fait le charme de la série.<br />
Impossible de ne pas parler de son casting<br />
tout aussi hétéroclite que son genre avec<br />
des personnalités reconnaissables. On<br />
pense ainsi à Robert Sheehan dont le surjeu<br />
Misftisien (j’ai déjà mis un copyright sur ce<br />
terme) dissimule un drame bien plus profond<br />
ou encore une Ellen Page dont l’intériorité<br />
et la gêne ambiante participe à l’élaboration<br />
d’un personnage. Si la série est ainsi très<br />
drôle, ses basculements dramatiques sont<br />
d’autant plus juste que celui-ci n’est jamais<br />
éludé par le biais de ‘’héros’’ brisés par<br />
leur enfance et une existence des plus<br />
compliquées.<br />
Difficile d’en dire plus sur «Umbrella<br />
Academy» tant ses bifurcations stylistiques<br />
et narratives méritent d’être découvertes<br />
par soi-même. C’est une proposition assez<br />
différente qui mérite qu’on y jette un œil des<br />
plus curieux, tout en attendant une saison 2<br />
s’annonçant des plus explosives…<br />
Liam Debruel #MonsieurPopcorn<br />
107
ash vs evil dead -<br />
108<br />
Cette série est d’une fidélité totale à ce<br />
qu’était Evil Dead. Une série en dehors<br />
du temps, qui casse totalement les codes<br />
des shows lambdas. «Ash VS Evil Dead»<br />
a réellement une identité unique et<br />
personnelle. Un trip violent, terriblement<br />
gore, mais aussi extrêmement décalé et<br />
drôle. Sam Raimi est de retour à ses premiers<br />
amours, en reprenant le second degré qui<br />
caractérisait les deux suites de son classique<br />
de 1981.<br />
Il s’éloigne de l’approche horrifique de<br />
Alvarez pour revenir à un comique sanglant,<br />
si efficace. «Ash VS Evil Dead» reprend des<br />
codes enfouis depuis un certain temps : une<br />
violence décomplexée, un humour décalé<br />
et trash, et des personnages charismatiques.<br />
Et surtout une action totalement décérébrée,<br />
terriblement rythmée, qui oscille<br />
constamment entre des ressorts horrifiques,<br />
ostentatoirement gores ou comiques. C’est<br />
une joie totale que de retrouver Bruce<br />
Campbell dans son rôle culte. L’acteur n’a<br />
rien perdu de sa verve et prend un plaisir non<br />
dissimulé de revenir botter le cul du mal.<br />
Les éléments qui caractérisent si bien les<br />
films sont de retour : le necronomicon bien<br />
sur, la tronçonneuse culte, mais également<br />
le chalet ou la vieille Delta, la voiture de<br />
Ash qui a traversé le temps et l’espace sans<br />
une égratignure.<br />
Les clins d’œil aux fans sont légions, mais le<br />
show s’adresse également aux néophytes en<br />
offrant de nouvelles aventures au héros. «Ash<br />
VS Evil Dead» est aussi un moyen d’élargir<br />
la mythologie Evil Dead avec originalité<br />
et imagination. La créativité déborde de<br />
ce show, même si la troisième et dernière<br />
saison est un peu moins percutante que les<br />
précédentes.<br />
Une troisième saison plus poussive, moins
saison 3<br />
crédible, plus superficiel. Les showrunners<br />
ont moins de choses à raconter et perde<br />
quelque peu l’aspect traditionnel, l’aspect<br />
système B, pour tenter une approche plus<br />
extravagante, teintée d’incrustations ratées<br />
et de CGI assez dégueux. Le show perd<br />
un peu de son identité irrévérencieuse et<br />
bizarre pour entrer dans un tout venant<br />
plus abordable. Le manque d’inventivité<br />
dans l’écriture se fait ressentir à l’écran :<br />
les tribulations de l’équipe de chasseurs<br />
de démons sont moins convaincantes,<br />
sonnent moins concrètes. Reste pour autant<br />
des séquences très originales, mais aussi<br />
provocantes à souhait, pour divertir les<br />
amateurs de sang, de violence et d’humour<br />
irrévérencieux. On regrette que le show ait<br />
été annulé, surtout après le twist final de<br />
la dernière saison, mais on peut encore se<br />
consoler grâce à Netflix qui diffuse les trois<br />
saisons.<br />
Aubin Bouillé<br />
109
love, death & robo<br />
Love, Death + Robots c’est le petit<br />
événement du moment sur Netflix. Une<br />
anthologie de 18 courts métrages d’animation<br />
réalisés par des équipes différentes pour le<br />
meilleur et pour le pire. Produite par David<br />
Fincher et Tim Miller cette série offre un<br />
format inédit sur la plateforme. Le point<br />
commun entre les différents courts : les<br />
robots, au sens large c’est à dire également<br />
la notion d’esclave, le sexe et la mort. Une<br />
série provocatrice et inventive, mais qui<br />
mérite réellement ce succès non modéré ?<br />
Parce que finalement la recette est<br />
relativement répétitive. Attention on ne dit<br />
pas que «Love, Death + Robots» est une<br />
mauvaise série. Loin de là. Car dans le<br />
paysage de Netflix elle offre une expérience<br />
inédite, que ce soit dans son format,<br />
visuellement ou de manière créative. Et<br />
franchement respect au duo pour avoir<br />
porté à bien cette idée. Néanmoins, la série<br />
est en ce moment terriblement appréciée. A<br />
tel point que la modération a été foutue aux<br />
toilettes et que chacun crie au chef d’œuvre<br />
de cette année 2019. Il va donc falloir<br />
retourner sur Terre quelques secondes et<br />
mettre en exergue les nombreux défauts qui<br />
entourent «Love, Death + Robots».<br />
Déjà, l’air de rien, les différentes intrigues<br />
sont extrêmement répétitives et se<br />
ressemblent toutes globalement. Le schéma<br />
narratif demeure le même : une mise en<br />
situation souvent par le biais d’une voix<br />
off ou d’explications rationnelles par les<br />
protagonistes, quelques rebondissements,<br />
et un twist final grossier et attendu. C’est<br />
finalement relativement tape à l’œil sans<br />
fondements solides. Tim Miller et David<br />
110
suffisamment inédite pour souligner<br />
l’exercice. Voici quelques épisodes coup de<br />
cœur.<br />
Le Témoin de Alberto Mielgo<br />
ts<br />
Fincher nous font du coude pour nous dire :<br />
‘’regardez comme c’est beau, prenant et<br />
original’’. A tel point que la forme prend le<br />
contrôle sur le fond. De plus les animations<br />
réalistes à la manière de «Ready Player One»<br />
sont totalement à proscrire tant leur laideur<br />
n’a n’égale que leur manque d’intérêt.<br />
Voilà en gros en quoi se résume la série qui<br />
cherche sa légitimité dans une provocation<br />
souvent gratuite. Que ce soit la nudité<br />
omniprésente, la violence pas forcément<br />
justifiée, ou des préceptes faussement<br />
philosophiques, «Love, Death + Robots»<br />
est englobé dans une nappe irrévérencieuse<br />
facilement friable, qui masque finalement<br />
un manque d’inventivité. Sur 18 épisodes<br />
seuls quelques uns marqueront les esprits<br />
durablement. Cependant, encore une fois,<br />
l’originalité de l’exercice est à saluer, car<br />
«Love, Death + Robots» a une approche<br />
Porté par une animation réalisée par le<br />
motion designer de Spider-Man : New<br />
Generation, cet épisode 3 reste un des<br />
préférés du public. Si ce n’est encore une<br />
fois une nudité extrêmement gratuite, il<br />
n’empêche que le scénario a quelque chose<br />
à raconter. Une course poursuite d’une<br />
dizaine de minutes dans les rues crasseuses<br />
d’une ville délabrée. Un rythme endiablé,<br />
des incrustations à la manière des comics<br />
comme dans le film Sony/Marvel, et surtout<br />
une histoire de peu de mots qui raconte<br />
comment deux individus sont bloqués dans<br />
une boucle temporelle. Le twist final, qui<br />
semblait attendu, offre une variante subtile<br />
et intelligente qui donne un autre sens à<br />
l’histoire.<br />
Un Vieux Démon de Owen Sullivan<br />
Sans être l’un des préférés du public, il<br />
n’empêche que cette relecture du mythe de<br />
Dracula a quelque chose d’extrêmement<br />
séduisante. Parce que Owen Sullivan ne se<br />
prend pas la tête avec des dialogues ou des<br />
explications fastidieuses. Il va directement à<br />
l’essentiel. C’est à dire des scènes d’action<br />
renversantes. Avec une animation qui se<br />
veut un peu à l’ancienne, cette équipe de<br />
mercenaires chargée de protéger un petit<br />
scientifique a tout de la série B décomplexée<br />
qui offre un divertissement haut de gamme.<br />
Très comics elle aussi, cette histoire d’une<br />
111
112<br />
dizaine de minutes offre un nouveau visage aux<br />
vampires.<br />
Les Esprits de la Nuit de Damian Nenow<br />
Enfin un peu de poésie. En même temps quand<br />
les producteurs vont chercher le réalisateur<br />
de Another Day of Life et son animation ultra<br />
personnelle, forcément les <strong>ciné</strong>philes réagissent.<br />
Damian Nenow permet de mettre en lumière<br />
une histoire encore une fois très simple mais<br />
relativement poétique. Deux hommes sont<br />
bloqués en plein désert et sont confrontés, la<br />
nuit tombée, à des fantômes d’animaux marins.<br />
Une opposition des décors intelligente entre<br />
désert et océan, mais également une allégorie<br />
de l’ambition, du désir, qui consument l’Homme<br />
dénué de sagesse, de recul et d’observation.<br />
L’œuvre de Zima de Robert Valley<br />
Incontestablement le meilleur épisode de la série.<br />
L’œuvre de Zima propose enfin un contenu inédit,<br />
très original, et d’une profondeur inattendue.<br />
Robert Valley signe un court métrage extrêmement<br />
puissant qui apporte des questions existentielles<br />
étonnantes. Dans une ambiance et une écriture<br />
qui n’ont rien à envier à Asimov, L’œuvre de<br />
Zima raconte, en quelques minutes, l’évolution,<br />
jusqu’à la quintessence de l’essence artistique et<br />
intellectuel, jusqu’à l’omnipotence, d’une entité<br />
artificielle passionnée d’art et obnubilée par la<br />
couleur bleu. En quelques secondes, dans une<br />
profondeur philosophique inédite et parfaitement<br />
présentée, le <strong>ciné</strong>aste vient apporter une réponse<br />
au sens de la vie dans une régression qui prend des<br />
allures de renaissance extrêmement puissante.
L’Âge de Glace de Tim Miller<br />
Porté par Mary Elizabeth Winstead et Topher<br />
Grace, c’est le seul épisode qui propose des<br />
prises de vues réelles. Tim Miller, le réalisateur<br />
de Deadpool prend lui même les commandes<br />
de ce court métrage inattendu qui raconte<br />
comment un couple découvre une civilisation<br />
dans son congélateur. Une idée sympathique<br />
et relativement bien matérialisée avec cette<br />
évolution en accélérée d’une société humaine<br />
intelligente. De la préhistoire, à la destruction de<br />
notre société moderne jusqu’à sa résurrection et<br />
une apocalypse définitive, en quelques instants<br />
Tim Miller raconte l’histoire de l’humanité.<br />
Simple et brillant.<br />
Aubin Bouillé<br />
Des Fermiers Equipés<br />
Il y a dans l’épisode 4 de Love + Death & Robots<br />
une vraie rupture par rapports aux épisodes<br />
précédents. Pour peu qu’on regarde la série dans<br />
l’ordre, « Des Fermiers Equipés » vient contraster<br />
avec le réalisme vers lequel tiraient les épisodes<br />
1 à 3. A un style très proche des <strong>ciné</strong>matiques des<br />
jeux vidéo actuels se succède un épisode plus «<br />
dessiné » et léger visuellement. Finalement très<br />
proche de ce que pouvait proposer Spider-Man<br />
into the Spider-verse en termes d’animation,<br />
l’épisode n’est certes pas révolutionnaire dans<br />
son intrigue mais reste un régal pour les yeux.<br />
La thématique des méchas et des aliens restent<br />
quand à elle bien présente et les poncifs du genre<br />
avec. Finalement ce sont un peu moins de vingt<br />
minutes qui se déroulent rapidement, bref, un<br />
épisode qui trouve sa place dans un tout cohérent<br />
bien que terriblement éclectique.<br />
ANDRE Baptiste<br />
113
114<br />
C’est une énorme surprise. Sans en avoir des attentes<br />
considérables, le show Titans est certainement une des<br />
meilleures séries de super-héros à l’heure actuelle derrière<br />
Daredevil et Légion (je vais sûrement me faire taper dessus<br />
après cette phrase mais j’assume) et incontestablement la<br />
meilleure série DC. On ne s’y attendait pas mais Titans offre<br />
une approche définitivement sombre des plus appréciables.<br />
Les protagonistes principaux sont Raven et Robin, aka Dick<br />
Grayson, le premier acolyte de Batman. Un Chevalier Noir<br />
dont la force, la présence et l’influence planent sur l’intégral<br />
de la série jusqu’à son apparition fugace dans le dernier<br />
épisode dont on reviendra dessus plus tard. Les références<br />
sont parfaitement maîtrisées et dosées. Des clins d’œil<br />
efficaces qui permettent à Titans de s’assumer dans l’univers<br />
connecté DC. Le show n’a pas froid aux yeux et n’hésite pas<br />
à citer Superman, La Ligue des Justiciers, ou encore Wonder<br />
Woman. Les guests sont nombreux : Batman, mais aussi Le<br />
Faucon, Jason Todd, ou encore Wonder Girl, de quoi alimenter<br />
les fans de comics en références en tout genre. Titans, à la<br />
différence de beaucoup de séries de super-héros encore trop<br />
timides, utilise son univers, et l’assume entièrement, et ce<br />
jusque dans sa scène post-générique qui n’y va pas de main<br />
morte
titans - saison 1<br />
L’action est très bien menée. Maîtrisée<br />
elle permet d’offrir des combats plutôt<br />
bien chorégraphiés. En fait, les meilleures<br />
séquences surviennent lorsque Robin laisse<br />
parler sa fureur et se débarrasse d’armées<br />
entières d’ennemis. Moins fluide que les<br />
superbes combats de Daredevil, Titans<br />
a néanmoins de quoi se défendre. Dès le<br />
début l’ambiance de la série fonctionne. Une<br />
approche sombre, pleine de mystère, mais<br />
également bourrée de références pour capter<br />
directement l’attention des spectateurs. Avec<br />
cette réplique déjà culte « Fuck Batman »,<br />
Titans a sans aucun doute ouvert quelque<br />
chose. Avec onze épisodes, la série évite le<br />
ventre mou relatif à de nombreuses séries,<br />
oui c’est toi que je regarde Punisher. Même<br />
si certains épisodes ont moins d’énergie, la<br />
série Titans parvient à conserver un rythme<br />
de croisière agréable.<br />
Finalement, si ce n’est quelques maladresses<br />
scénaristiques ici et là, et quelques facilités<br />
dans l’écriture de certaines situations,<br />
notamment dans l’hôpital psychiatrique,<br />
Titans a un potentiel énorme, et la fin de<br />
saison laisse présager de grandes choses.<br />
Un dernier épisode qui tente une approche<br />
inédite et what the fuck de manipulations<br />
psychiques qui permet un retour à Gotham<br />
étonnant et en grande pompe. Une<br />
conclusion très intelligente qui matérialise<br />
enfin les doutes et les thématiques qui<br />
animent Robin mais avec parfois quelques<br />
maladresses. Un épisode final à l’image de<br />
la série : très intelligent mais pas toujours<br />
parfaitement exécuté. Ce dernier tour est<br />
bourré de références et permet l’utilisation<br />
de personnages emblématiques de l’univers<br />
DC comme le Joker. Titans laisse son intrigue<br />
en suspend à la différence de beaucoup de<br />
séries super-héroïques où une saison égale<br />
une histoire.<br />
Aubin Bouillé<br />
115
les chroni<br />
Mandy de Panos Cosmatos (2h01) Avec<br />
Nicolas Cage, Andrea Riseborough...<br />
En DVD le 1 novembre 2018<br />
«Mandy» n’a pas fait l’unanimité au près<br />
des spectateurs l’ayant déjà vus. Pourtant<br />
ce thriller à la frontière de l’épouvante a de<br />
nombreuses visions à offrir. Le scénario tient<br />
sur un timbre-post et n’a rien de très original<br />
: le personnage de Nicolas Cage part<br />
dans une croisade vengeresse pour punir les<br />
meurtriers de sa femme Mandy. Mais cette<br />
odyssée abyssale fait travailler les sens du<br />
spectateur qui s’engouffre dans un voyage<br />
initiatique qui mélange les genres et prend<br />
des risques. Certains n’y voient qu’une coquille<br />
vide clinquante, d’autres y voient une<br />
œuvre profonde et intrinsèque, qui éveille<br />
les sensations. Une chose est sûre, l’esthétique<br />
de Panos Cosmatos est renversante,<br />
reposant son visuel sur une photographie<br />
léchée. Cette dernière propose des variations superbes de couleurs rouge, seul lumière qui<br />
sort des ténèbres mis en place. Le <strong>ciné</strong>aste grecque n’a presque rien à envier à un réalisateur<br />
de la trempe de Nicolas Winding Refn.<br />
Et peu importe son scénario tant Panos Cosmatos se crée une identité graphique personnelle<br />
et recherchée. Il utilise même quelques ponctuations en animation qui viennent interagir<br />
avec le reste de l’histoire. Quelques apartés superbes qui appuient encore plus la dimension<br />
visuelle du long métrage. «Mandy» est une série B passionnante. Les inspirations<br />
sont nombreuses, NWR et Carpenter en têtes. Visuellement superbe, porté par un Nicolas<br />
Cage habité, le long métrage permet une descente aux enfers qui se la pète un peu mais<br />
qui met en avant des concepts religieux et métaphysiques intéressants. C’est lent, beau,<br />
violent, intriguant, gore et inquiétant.<br />
Aubin Bouillé<br />
116
117<br />
ques dvd<br />
L’internat de Boaz Yakin (1h51) avec<br />
Luke Prael, Will Patton... Disponible<br />
depuis le 18 février chez Metropolitan<br />
Le résumé du film commence par un « Il<br />
était une fois » de rigueur au vu de la tonalité<br />
ambiante. S’amorçant comme un drame<br />
familial sec, le film prend des allures de<br />
conte une fois arrivé dans un pensionnat au<br />
travail coloré rappelant Bava. « L’internat »<br />
est ainsi baigné dans une incertitude<br />
appuyée, notamment par le regard du héros<br />
aussi bien sur ce nouvel environnement que<br />
sur ce qui l’y a mené.<br />
C’est ainsi que le questionnement de<br />
l’influence de la foi et de ses obligations<br />
morales s’insert durant le visionnage avec<br />
une certaine force narrative, notamment<br />
au vu de la violence exercée par sa figure<br />
centrale. L’imagerie chrétienne présente<br />
durant le récit (notamment dans son climax)<br />
appuie cette obligation de conformité à une<br />
certaine imagerie normée. La représentation<br />
des enfants va dans ce sens, jamais<br />
ridiculisés malgré des maux qui auraient<br />
pu être abordés avec un certain ridicule. Le<br />
regard porté sur l’enfance est dès lors des<br />
plus passionnés et passionnants, appuyé<br />
par un casting qui ne tombe jamais dans le<br />
surjeu facile.<br />
Accompagné d’un livret de 28 pages aidant à<br />
prolonger la réflexion entourant le visionnage,<br />
cette édition de « L’internat » permet de<br />
découvrir une œuvre assez particulière.<br />
Ses nombreuses thématiques risquent d’en<br />
mettre de côté certains tant elles ne sont<br />
pas des plus faciles à appréhender en une<br />
seule vision mais elles contaminent l’esprit<br />
avec une certaine curiosité analytique. Bref,<br />
« L’internat » est un film particulier qui vous<br />
laissera une sensation particulière et ce bien<br />
après l’avoir vu…<br />
Liam Debruel #MonsieurPopcorn
118<br />
Les forbans de la nuit<br />
De Jules Dassin, 2018 (1h36<br />
-US- 1h41 -UK-), avec Richard<br />
Widmark,Gene Tierney. Disponible<br />
deouis le 27 mars<br />
Harry Fabian est un rabatteur<br />
en quête de fortune et de<br />
gloire. Alors qu’il pense trouver<br />
sa chance dans les combats,<br />
il va vite déraper dans<br />
une situation de laquelle il va<br />
être compliqué de s’échapper.<br />
« Les forbans de la nuit » est<br />
une œuvre s’inscrivant dans<br />
l’histoire du film noir. Tout<br />
d’abord, elle y rentre de par sa<br />
sortie lors de la fin des années<br />
40, durant une période peu<br />
avenante pour le genre expliquant<br />
l’échec commercial subi<br />
à sa sortie. Mais aussi par son ton assez sombre, logique pour son genre mais sans cesse<br />
appuyé avec une certaine ironie grinçante. Le rythme échevelé du film ne fait que souligner<br />
ainsi la spirale négative autour de Fabian, qui à chaque petite victoire voit lui succéder<br />
un échec assourdissant. Richard Widmark donne ainsi une certaine épaisseur à cet<br />
anti-héros, ce minable qui croit voir le succès l’atteindre alors qu’il se dirige droit dans le<br />
mur en permanence.<br />
Wild Side propose le film dans un coffret comprenant un Blu-Ray, deux DVD et un livret<br />
passionnant dont la lecture permet d’en savoir plus sur les coulisses du film. Le tout s’avère<br />
d’une telle pertinence qu’on se demande encore en cours de rédaction de cette critique<br />
ce que l’on peut écrire de plus tant tout ce que contient ce livret s’avère plus pertinent. Le<br />
film est proposé dans deux montages, celui américain mais également celui britannique,<br />
plus long de cinq minutes mais non validé par le réalisateur.<br />
« Les forbans de la nuit » est une œuvre sombre et nerveuse aussi formellement admirable<br />
que narrativement ombragée. On se retrouve passionné par la figure de larbin qui se dessine<br />
avec Richard Widmark et on se retrouve à le suivre avec un certain intérêt malgré la<br />
certitude que le happy end ne sera pas présent en fin de course.<br />
Liam Debruel #MonsieurPopcorn
Manhunt De John Woo (1h46), avec<br />
Zhang Hanyu, Takumi Saitoh.<br />
John Woo, son action débridée, son<br />
romantisme visuel, ses colombes, c’est tout<br />
un mode de vie. L’évocation de son nom<br />
a d’ailleurs un effet fort sur de nombreux<br />
<strong>ciné</strong>philes. Certains se rappelleront de Chow<br />
Yun-Fat dans The killer, d’autres de Nicolas<br />
Cage et John Travolta dans Volte-face. Pour<br />
l’auteur de ces lignes, Woo évoque Mission<br />
Impossible 2, son Tom Cruise déifié, ce<br />
ralenti sur deux voitures qui évoquent<br />
l’idylle naissante entre deux amants et tant<br />
de détails qui en ont fait le film préféré<br />
d’un petit garçon de 8 ans. Il y a dans le<br />
style du réalisateur chinois quelque chose<br />
d’unique qui fait de ses séquences d’action<br />
des moments mémorables qui transcendent<br />
régulièrement le spectateur.<br />
Voilà peut-être le premier reproche que l’on<br />
peut faire à « Manhunt » : aucun moment<br />
n’a la puissance de ses œuvres précédentes,<br />
même si ce n’est pas faute d’essayer. Les<br />
fans risquent d’être circonspects face à un<br />
résultat qui semble ressasser les idées de<br />
Woo sans pouvoir aller plus loin. Là où la<br />
flamboyance passée exultait les sens, on a ici<br />
une sensation d’efficacité un poil trop sèche<br />
pour réellement inscrire le film durablement<br />
dans la filmographie du metteur en scène.<br />
Pourtant, Manhunt est bien loin d’être un<br />
mauvais film, au contraire. Il se dégage<br />
constamment une sensation de nostalgie<br />
comme appuyée par le dialogue inaugural.<br />
Peut-on donc voir en ce film, plus qu’un<br />
hommage au Manhunt original et le regret<br />
de Woo de ne pas avoir pu faire tourner Ken<br />
Takakura avant sa mort, un besoin d’avancer<br />
plus loin en laissant de côté les regrets<br />
personnels, aussi bien ceux des personnages<br />
que ceux du réalisateur ? C’est ce que l’on<br />
pourrait envisager, notamment en jetant un<br />
œil au livret de 16 pages accompagnant<br />
le Blu-Ray qu’a édité Metropolitan pour le<br />
film. À savoir qu’un making-of est également<br />
disponible sur le disque ainsi que sur le<br />
format DVD.<br />
Manhunt, s’il est loin d’être le meilleur film de<br />
Woo, reste un divertissement assez efficace<br />
et bien mené une fois mises de côté toutes<br />
les attentes que pouvaient engendrer le nom<br />
de son réalisateur. On appréciera en tout cas<br />
de retrouver ce dernier dans un nouveau<br />
long-métrage assez amusant. Maintenant, je<br />
retourne voir Mission Impossible 2.<br />
Liam Debruel<br />
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L’ombre d’Emily de Paul Feig (1h57) Avec<br />
Anna Kendrick, Blake Lively...<br />
Paul Feig est clairement le genre de réalisateur<br />
qui ne laisse pas indifférent. Il a ainsi<br />
mis en avant des personnages féminins variés,<br />
le tout avec un humour qui peut passer<br />
de l’hilarant au vulgaire lourdaud. Le<br />
retrouver aux affaires est donc intéressant,<br />
surtout au vu du débat continu entre pro et<br />
anti Ghostbusters 2016, ce reboot qui aura<br />
souffert d’attaques envers son casting féminin<br />
(alors que les actrices étaient l’un des<br />
meilleurs points du film, contrairement à<br />
d’autres points que nous n’aborderons pas<br />
pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu). La<br />
surprise que constitue « L’ombre d’Emily »<br />
est dès lors des plus fortes.<br />
On a ainsi l’impression que l’humour acerbe<br />
de Feig s’épanouit dans cette intrigue de<br />
faux semblants où une mère au foyer veuve<br />
et timide enquête sur la disparition de son amie Emily. Son venin se fait plus discret en<br />
apparence mais contamine en profondeur ce thriller aux détours scénaristiques et humoristiques<br />
d’une efficacité exemplaire. Il y a définitivement quelque chose de vénéneux qui<br />
se dégage de cette attaque envers une société américaine qui se veut tellement lisse alors<br />
qu’elle regorge jusque dans ses maisons les plus proprettes de secrets sulfureux.<br />
Dans ce sens, la mise en scène de Feig ainsi que la photographie de John Schwartzman<br />
participent à la sublimation d’apparence du récit. Ces visuels trop propres pour être honnêtes<br />
participent au ton ambiant du film, avançant avec une satire plus subtile qu’à l’accoutumée.<br />
Cela fonctionne également grâce à son duo d’actrices principales. Anna Kendrick<br />
et Blake Lively partent d’archétypes opposés pour mieux fonctionner dans les détails,<br />
révélant des personnalités moins manichéennes qu’attendues grâce à des interprétations<br />
assez mesurées, surtout en comparaison d’autres films précédents de Feig. Le tout participe<br />
donc à une sensation d’élégance qui va jusque dans les tenues des personnages pour<br />
mieux détruire le tout de l’intérieur. Les spectateurs intéressés par le travail effectué sur le<br />
film pourront d’ailleurs profiter de nombreux bonus dans les éditions éditées par Metropolitan<br />
ainsi que plusieurs scènes coupées.<br />
Feig se la joue Wilder et Hitchcock avec « L’ombre d’Emily », autant thriller que comédie<br />
avec une verve grinçante des plus réjouissantes. De quoi s’amuser autant que son metteur<br />
en scène face à une vacuité d’apparence de l’existence de certains qui privilégieront une<br />
rigueur de façade pour mieux dissimuler leurs parts sombres…<br />
Liam Debruel
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