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ALEXIS BERG (2)<br />
64 ans.) Tout ce que Lake dira, c’est qu’il est né Gary Cantrell à<br />
San Marcos, Texas, car son père avait été nommé sur la base militaire<br />
aérienne Edward Gary. (Par la suite, il se choisit le nom de<br />
Lazarus Lake pour sécuriser son premier compte e-mail. « Comme<br />
si j’avais des secrets d’État à protéger », plaisante-t-il.)<br />
Les Cantrell vivent à proximité d’une résidence étudiante.<br />
Le jeune Lake y côtoie des joueurs de football américain, ce qui<br />
confirme sa passion pour le sport. En 1966, la mode du jogging<br />
est mise à l’honneur dans le journal du soir. Son père et ses amis<br />
mettent alors le cap vers la piste du coin pour courir un mile<br />
(environ 1 600 mètres) en moins de huit minutes. La première<br />
fois que Lazarus Lake les accompagne, il surpasse son père.<br />
« Je ne l’avais jamais battu dans aucun domaine, rit-il. Notre<br />
famille adore la compétition et le sport, et les enfants n’étaient<br />
pas autorisés à gagner. » Pensant qu’il devait être un bon coureur,<br />
Lazarus Lake commence la piste et le cross-country, ce qui<br />
l’amène aux courses sur route, puis aux marathons. Puis il s’inscrit<br />
partout où il le peut, jusqu’aux compétitions internationales.<br />
Et décide finalement que l’ultramarathon sera sa discipline<br />
reine. Or, les ultramarathons les plus proches du Tennessee se<br />
déroulent à Miami et à Philadelphie. Lazarus Lake crée donc son<br />
propre ultramarathon, le Strolling Jim 40, en 1979. Entre-temps,<br />
les blessures et les ravages d’une vie passée à marteler le sol l’ont<br />
mis hors course. Lazarus Lake sait que son talent est ailleurs.<br />
« Je voulais être un bon coureur, mais j’ai toujours été moyen.<br />
En fait, je suis bien meilleur pour coordonner les courses. »<br />
À présent retraité de son poste de comptable, il organise cinq<br />
courses annuelles en plus des marathons de Barkley, y compris<br />
le Barkley Fall Classic (une sorte de marathons de Barkley pour<br />
débutants) et le Big’s Backyard Ultra, une course d’endurance<br />
pendant laquelle les concurrents doivent réaliser autant de<br />
boucles de 6,7 km que possible, avec des départs à chaque heure<br />
pile. Départ manqué ? Compétition terminée ! En 2017, le vainqueur<br />
a parcouru 456 km.<br />
Si sa vie de coureur est derrière lui, Lazarus Lake n’en<br />
reste pas moins actif. Le lendemain de notre rencontre<br />
à Frozen Head, nous nous retrouvons pour le déjeuner<br />
à Pétaouchnok, sur une aire de repos qui fait aussi office<br />
de bazar et de boutique d’antiquités, et sert le meilleur poulet frit<br />
de la région. Au moins une fois par semaine, Lazarus Lake<br />
marche 16 km pour venir casser la croûte ici, puis il retourne<br />
chez lui, toujours à pied. Une broutille comparé à son épique<br />
randonnée de septembre 2018. Après dix mois de convalescence<br />
dus à une blessure à la cheville, Lake décide de marcher dans<br />
douze États, malgré les mises en garde de son médecin quant à<br />
un dysfonctionnement de son artère fémorale gauche. Sauf que<br />
Lazarus Lake est déterminé à atteindre son but. « Vous vous<br />
demandez peut-être pourquoi on s’inflige ça ? Et pourquoi pas ?<br />
J’ai toujours voulu le faire mais je n’ai jamais eu le temps, avec<br />
la famille, le boulot… Je me suis rendu compte que si je ne me<br />
décidais pas maintenant, je n’en serais bientôt plus capable<br />
physiquement. »<br />
Suivant la route 20 de Newport, Rhode Island, jusqu’à<br />
Newport, Oregon, Lazarus Lake met une semaine de plus que les<br />
120 jours prévus pour terminer ce trek. Il marche 12 à 14 heures<br />
par jour et perd 18 kg. Des inconnus lui proposent souvent de l’accompagner<br />
sur une partie de l’itinéraire. Dans les régions désertiques<br />
de l’est, on s’arrête et on lui donne de l’eau. Il s’émerveille<br />
devant la voûte étoilée visible depuis les plaines du Nebraska.<br />
« Quelle que soit votre condition<br />
physique, vous serez tenté d’abandonner<br />
à un moment ou à un autre. »<br />
John Kelly reprend son souffle après la ligne d’arrivée en 2017. Jusqu’en<br />
2013, il n’avait jamais couru plus de 10 kilomètres...<br />
Il fait un détour par le Wisconsin quand les sentiers rocailleux de<br />
l’Illinois se révèlent trop coriaces pour la randonnée, et se heurte<br />
à un dernier obstacle lorsqu’il découvre que l’Oregon est une zone<br />
durement aride, et non la riche région boisée qu’il imaginait.<br />
Il gravit toutes les montagnes qu’il trouve sur son chemin. Et à<br />
près de 700 km de l’arrivée, il se fracture la hanche. Il aura suffi<br />
d’une contorsion inhabituelle. Considérant qu’il est trop proche<br />
de la fin pour faire marche arrière, il poursuit sa route. « Les deux<br />
premières semaines qui ont suivi mon retour sont très floues. Je<br />
suis resté assis sur ma chaise. Toute ma vie, à l’école et au travail,<br />
j’ai voulu être en extérieur. Et maintenant, c’est l’inverse ! »<br />
Nous réglons et prenons congé sur l’aire de repos. Lazarus<br />
Lake doit rentrer chez lui étudier la pile de candidatures qui s’accumulent<br />
pour les prochains marathons de Barkley. Il ne court<br />
plus, mais ses journées sont toujours aussi remplies, entre la<br />
logistique de tels événements et ses propres pérégrinations. Il ne<br />
ralentira sans doute jamais. « Trop de gens vivent leur vie comme<br />
s’ils voulaient rendre leur équipement en parfait état, s’étonnet-il<br />
en tirant sur une énième cigarette. À ma mort, je veux qu’on<br />
s’exclame : “Mon Dieu, tout est usé jusqu’à la corde” Nous avons<br />
une seule vie. Ce sont toutes les expériences que nous pouvons y<br />
intégrer qui comptent. » Il esquisse un sourire avant de s’engouffrer<br />
brusquement dans sa voiture et disparaître dans les forêts<br />
du Tennessee. Retour à la légende.<br />
barkleymarathons.com<br />
THE RED BULLETIN 71