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LIVRE BLANC 2019_ L'enseignement supérieur français acteur mondial

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49 L’enseignement <strong>supérieur</strong> <strong>français</strong> <strong>acteur</strong> <strong>mondial</strong><br />

<strong>2019</strong> <strong>2019</strong> L’enseignement <strong>supérieur</strong> <strong>français</strong> <strong>acteur</strong> <strong>mondial</strong><br />

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Bernard Ramanantsoa<br />

Directeur honoraire d’HEC Paris<br />

« Il n’y a pas encore de la part de la France<br />

de vraie volonté de se développer à l’international »<br />

Il y trois ans il pilotait la publication<br />

du rapport « <strong>L'enseignement</strong> <strong>supérieur</strong><br />

<strong>français</strong> par-delà les frontières :<br />

l'urgence d'une stratégie » pour France<br />

Stratégie. L’ancien directeur général<br />

de HEC, Bernard Ramanantsoa, revient<br />

sur ce que devrait être pour lui une<br />

stratégie d’expansion internationale<br />

de l’enseignement <strong>supérieur</strong> <strong>français</strong>.<br />

Olivier Rollot : Trois ans après la publication<br />

de votre rapport, le gouvernement a<br />

présenté en novembre 2018 la stratégie<br />

« Bienvenue en France ». Aujourd'hui,<br />

estimez-vous que la France a une stratégie<br />

internationale pour l’enseignement<br />

<strong>supérieur</strong>?<br />

Bernard Ramanantsoa : Il n’y a pas encore de vraie<br />

volonté de se développer à l’international comme on en<br />

voit en Australie ou ailleurs. Nous sommes toujours dans<br />

une politique de petits pas. On ne sait toujours pas si le<br />

sujet est de la responsabilité des établissements ou du<br />

ministère de l'Enseignement <strong>supérieur</strong>, de la Recherche<br />

et de l’Innovation ? De quelle autonomie disposent les<br />

établissements ? Les Grandes écoles savent pour la<br />

plupart gérer leur développement international mais<br />

c’est rarement le cas dans les universités. Ce sont<br />

souvent les établissements eux-mêmes qui sont à la<br />

base des initiatives comme CentraleSupélec à Pékin<br />

ou encore certains Idex.<br />

O. R : Qu’est-ce qui manque le plus à<br />

la France pour attirer plus d’étudiants<br />

internationaux ? Je rappelle que si nous<br />

nous classons toujours au 4 ème rang <strong>mondial</strong>,<br />

notre progression est moindre que celle<br />

des autres grands pays d’accueil.<br />

B. R : Pour faire venir plus d’étudiants étrangers en<br />

France il faudrait tout simplement savoir les accueillir.<br />

C’est bien le but de la création du label « Bienvenue en<br />

France » qui sera accordé à ceux qui savent le faire.<br />

Aujourd'hui les réseaux sociaux ont un effet de levier<br />

très fort : dans un sens comme dans l’autre. Si vous<br />

lisez « j’ai discuté avec un Prix Nobel » c’est formidable<br />

pour l’université mais si c’est plutôt « Les amphis sont<br />

bondés » ou « Les professeurs sont mauvais », ça<br />

impacte directement l’image de l’institution. Toutes les<br />

campagnes de publicité n’y feront rien si les étudiants<br />

repartent chez eux mécontents. Il reste heureusement<br />

de très belles marques et l’idée, parfois le « fantasme »<br />

que la France reste un foyer intellectuel.<br />

O. R : Mais sur quel modèle s’appuyer ?<br />

En voulant augmenter les frais de scolarité<br />

des étudiants non communautaires<br />

le gouvernement a provoqué un tollé<br />

au point que la plupart des universités<br />

n’appliqueront pas la mesure.<br />

B. R : Il faut faire payer aux étudiants le coût en valeur<br />

perçue tout en développant une politique de bourses.<br />

Notamment aux étudiants africains issus de pays<br />

auxquels nous sommes particulièrement liés. C’est le<br />

modèle le plus efficace. C’est le modèle de quasiment<br />

tous les pays d’accueil dans le monde. Il faut dissocier<br />

bourses et attractivité. Ce qui compte d’abord pour<br />

attirer les étudiants c’est le niveau de la recherche,<br />

de formation, la réputation.<br />

© HEC Paris<br />

O. R : Mais là aussi la stratégie de la France<br />

semble hésitante…<br />

B. R : La France a créé les PRES (pôles de recherche<br />

et d’enseignement <strong>supérieur</strong>) puis les Idex pour rendre<br />

ses universités plus compétitives. Mais ensuite les Comue<br />

(communautés d'universités et d'établissements)<br />

ont plus été un outil d’aménagement du territoire. Ce<br />

sont deux visions de l’enseignement <strong>supérieur</strong> qui<br />

s’affrontent : est-ce d’abord un outil de compétitivité<br />

ou d’aménagement du territoire ? On n’ose pas poser la<br />

question dans ces termes. Dans le meilleur des cas on<br />

assure que ce n’est pas incompatible. Plus personne ne<br />

pense que toutes les universités et toutes les Grandes<br />

écoles ont la même vocation mais il ne faut pas l’écrire.<br />

Or cette double vision coûte énormément d’argent.<br />

O. R : Et rend notre enseignement <strong>supérieur</strong><br />

parfois difficilement compréhensible<br />

à l’étranger. Notamment avec des<br />

marques qui évoluent au gré des conflits<br />

entre établissements et des alternances<br />

politiques.<br />

B. R : Si vous dites que vous venez de l’université<br />

d’Oxford cela suffit à expliquer qui vous êtes. En France<br />

il faut trop souvent être initié pour comprendre ce que<br />

signifie telle ou telle marque après des changements<br />

successifs.<br />

O. R : Des changements de marque<br />

qui ne sont pas faciles à expliquer<br />

dans les classements internationaux !<br />

B. R : Les classements sont de phénoménaux outils<br />

de marketing. Bien sûr on peut aussi être mal classé<br />

mais il faut de toute façon jouer le jeu en se disant qu’on<br />

va progresser. Est-ce qu’une université peut vraiment<br />

recruter les meilleurs professeurs en biologie ou ailleurs<br />

sans être classée dans les meilleures au monde ? Les<br />

classements internationaux qui comptent sont ceux<br />

qui synthétisent les performances en recherche et la<br />

valeur des corps professoraux. Mais un bon classement<br />

permet de recruter de bons élèves et de bons<br />

professeurs.<br />

O. R : Comment se fait la réputation<br />

d’un établissement ?<br />

B. R : De façon subtile. Quand un étudiant américain<br />

ou chinois se demande où faire un master en Europe<br />

ou aux Etats-Unis ce sont d’abord ses professeurs<br />

qu’il interroge. C’est à eux qu’il demande si HEC Paris<br />

est bon ou pas en finance. La réputation académique<br />

a des retombées immédiates.<br />

O. R : A quel niveau faut-il recruter<br />

en priorité les étudiants pour asseoir<br />

une réputation ?<br />

B. R : Si nous voulons faire de la France un <strong>acteur</strong><br />

majeur c’est au niveau master et doctorat que cela<br />

se décide. À partir du master le curseur de choix se<br />

déplace sur la réputation et le montant des bourses<br />

offertes. De plus vous mesurez mieux la valeur des<br />

candidats à ces niveaux.<br />

O. R : Mais quels sont nos principaux leviers<br />

d’influence au-delà des contacts informels ?<br />

B. R : Les universités sont soutenues par Campus<br />

France mais tout va encore mieux si un ambassadeur<br />

est vraiment sensibilisé sur le sujet. Il peut recevoir<br />

les alumni comme les partenaires de l’établissement<br />

et cela montre dans le pays d’accueil, l’influence et la<br />

valeur de l’institution. C’est plus difficile de parler de<br />

l’enseignement <strong>supérieur</strong> en général que de montrer<br />

une communauté qui va irradier dans le pays. Sciences<br />

Po « joue » très bien de ce levier.<br />

Comment exporter notre<br />

enseignement <strong>supérieur</strong> ?<br />

Ce ne sont pas moins de 600 programmes<br />

enseignés à 37 000 étudiants non<br />

<strong>français</strong> dans le monde que Bernard<br />

Ramanantsoa et son équipe de France<br />

Stratégie ont répertorié pour leur rapport<br />

« <strong>L'enseignement</strong> <strong>supérieur</strong> <strong>français</strong><br />

par-delà les frontières » publié en 2016.<br />

Dans ce cadre 70% des diplômes délivrés<br />

par des établissements <strong>français</strong> le sont au<br />

niveau master et second cycle alors que les<br />

autres pays privilégient davantage le niveau<br />

bachelor (80% des diplômes en Allemagne<br />

par exemple).<br />

Autre constat : les établissements <strong>français</strong><br />

mobilisent très peu la formation à distance<br />

dans le cadre de leur internationalisation,<br />

contrairement à d’autres pays : 44% des<br />

étudiants suivant une formation britannique<br />

à l’étranger le faisaient en ligne en 2014.<br />

Dans ce cadre, les universités sont les<br />

plus présentes avec 10 000 étudiants à<br />

l’étranger, devant les école d'ingénieurs<br />

(7000 étudiants) et les écoles de<br />

management (3000 étudiants à l’étranger).<br />

Une université sur deux délocalise une partie<br />

de son offre de formation<br />

à l’étranger avec une nette prééminence<br />

des instituts d’administration des entreprises<br />

(IAE) qui représentent<br />

25% de l’off¬re délocalisée des universités.<br />

Les experts de France Stratégie ont<br />

répertorié en tout 14 campus « satellites », 26<br />

« multisites » (qui accueillent essentiellement<br />

des étudiants de l’établissement d’origine),<br />

38 sous la formation d’établissements<br />

associés et 63 franchisés (dans la<br />

mode, la restauration et l’hôtellerie).<br />

Au-delà des implantations physiques,<br />

les établissements déploient une partie<br />

de leur offre de formation auprès de<br />

partenaires étrangers. On dénombre<br />

326 programmes de ce type, très<br />

majoritairement issus des universités.<br />

L’offre à l’étranger est marquée par une<br />

double spécialisation disciplinaire : plus<br />

des trois quarts des inscrits sont dans<br />

les disciplines Droit/Économie/Gestion<br />

(DEG) (39,8%) et Sciences/Technologies/<br />

Santé (STS) (36,3%). La moitié des<br />

programmes délocalisés concernent<br />

les disciplines DEG, un quart les STS.

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