Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Le texte de la Genèse nous détaille la création de Adam et Eve. Tous<br />
deux issus d’une première créature androgyne, ceci afin de leur assurer<br />
une totale égalité et complémentarité .Adam se réveille de son<br />
sommeil anesthésique et découvre avec émerveillement son âme<br />
sœur, Eve, l’être de son être, la chair de sa chair. Le récit biblique aurait<br />
pu s’arrêter là, à la fin de la description de la création du premier<br />
couple de l’humanité, or un verset inattendu fait immédiatement suite<br />
au récit. C’est un peu comme si une voix « off » reprenait l’écriture du<br />
texte pour nous ajouter une recommandation exceptionnelle :<br />
C’est pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère; il s’unit à sa<br />
femme et ils deviennent une seule chair.<br />
Ce verset est d’autant plus étonnant que Adam et Eve n’ont ni père<br />
ni mère et ne sont donc pas concernés par cette recommandation.<br />
Le texte s’éloigne donc volontairement du narratif dans lequel il nous<br />
avait placé afin d’insister sur une nécessité absolue pour les milliers<br />
de générations à venir après Adam et Eve. Il semble de ce verset<br />
qu’un abandon est impératif si l’on veut être capable de s’unir réellement<br />
avec sa moitié …Quelle est la nature de cet abandon ? Peuton<br />
en faire l’économie ? Est ce lié à des cas particuliers de conflits<br />
parents-enfants qui justifieraient cet abandon ?<br />
Il apparait du texte biblique que cette recommandation nous concerne<br />
tous et toutes et représente une condition sine qua non à la réussite<br />
et à la qualité du lien établi dans le couple.<br />
Rav shimshon Refael Hirsh apporte un éclairage à ce verset : Il serait<br />
naturel, explique t il, que toute personne ne souhaite trouver son<br />
âme sœur qu’au sein même de sa famille. Ainsi, ils auraient tous deux<br />
les mêmes références en terme de valeurs, ils auraient une culture<br />
identique en tous points de vue, une même façon de s’exprimer, de<br />
communiquer, de gérer leur argent, les conflits, les priorités de la<br />
vie etc…<br />
Or la Thora nous enjoint précisément d’abandonner le schéma familial<br />
afin de s’ouvrir à l’altérite et de créer à deux un tout nouveau modèle<br />
de vie, inédit, et qui ne ressemble en rien aux 2 modèles parentaux<br />
dont est issu le couple.<br />
Dans l’exercice de ma profession en tant que thérapeute de couple,<br />
je constate qu’en effet, dans 50% des situations de conflits de couple<br />
auxquelles je suis confrontée, un des deux partenaires n’a pas encore<br />
réussi à « abandonner » le modèle parental. Difficile de se faire à<br />
l’idée que son -ou sa- conjointe ne dépense pas son argent de la<br />
même façon que ce que l’on a toujours vu, comment comprendre que<br />
son partenaire envisage les vacances d’une façon aussi différente<br />
de la notre , qu’il est porteur de priorités que nous ne comprenons<br />
pas …<br />
Le premier abandon que nous signifie la Torah est donc un abandon<br />
d’un modèle qui se voulait évident jusque là. Désormais le couple est<br />
invité à se créer son propre modèle. Or pour que ce nouveau modèle<br />
puisse voir le jour, un second abandon doit pouvoir être accepté. Il<br />
s’agit d’un abandon plus subtil et plus profond : l’abandon de l’IN-<br />
FLUENCE qu’exercent –sans pour autant être forcément intrusifs- les<br />
parents sur leur enfant jeune marié.<br />
Une des souffrances les plus classiques que je rencontre dans mon<br />
cabinet se situe au niveau d’un conflit de loyauté que vit un des 2 partenaires.<br />
Il se voit pris en tenaille entre une exigence parentale et une<br />
exigence inverse de son partenaire. Cette exigence de la part des parents<br />
peut concerner n’importe quel domaine de la vie ‘ venez shabat<br />
à la maison’, ‘dépose nous le bébé ‘ , ‘venez passer les vacances avec<br />
nous ‘, ‘soyez présents au mariage d’untel …’etc ..<br />
Bien souvent, je constate qu’un des 2 conjoints se sent dans une incapacité<br />
majeure à dire non à son parent. Il se sent déloyal, mauvais<br />
enfant et a le sentiment de briser un lien essentiel. Or, si un conflit de<br />
couple s’est cristallisé précisément au niveau de la loyauté aux parents<br />
c’est une indication majeure pour le couple. C’est un peu comme<br />
si la personne disait à son conjoint à travers le conflit « je saurai<br />
que j’existe vraiment pour toi quand tu m’auras montré que je suis ta<br />
priorité absolue ».<br />
Ces conflits sont en réalité d’extraordinaires occasions de réussir ce<br />
que j’appelle la « greffe du couple ». Il s’agit alors d’être capable<br />
d’envoyer tout à la fois à son conjoint des signaux rassurants concernant<br />
la loyauté et de pouvoir établir avec ses parents un climat de<br />
confiance et de respect dans lequel le périmètre d’intimité du couple<br />
est clairement dessiné.<br />
Mariacha Drai<br />
22