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The Red Bulletin Decembre 2019 (FR)

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L’ÉCOSYSTÈME DE<br />

LA BALLE ORANGE<br />

Quand il n’est pas en train de<br />

monter des projets dans tous<br />

les sens, Bakary Sakho se vide<br />

la tête avec le basket. Mais là<br />

encore, il a trouvé le moyen<br />

de faire progresser tout l’écosystème<br />

de la balle orange,<br />

avec l’organisation des All<br />

Parisian Games, un tournoi<br />

calqué sur le All-American<br />

aux USA, qui rassemble les<br />

meilleurs joueurs de lycée du<br />

pays. Chaque année depuis<br />

2013, 600 joueurs et joueuses<br />

de moins de 20 ans d’Île-de-<br />

France participent aux sélections,<br />

d’où sortent les 48 meilleurs<br />

(24 garçons, 24 filles),<br />

qui représentent la rive droite<br />

et la rive gauche. « On ne voulait<br />

pas créer un simple tournoi,<br />

mais un événement qui<br />

allait donner de la force à la<br />

culture basket à Paris. » L’initiative<br />

cartonne, soutenue par<br />

des joueurs NBA de passage<br />

dans la capitale, dont Lebron<br />

James en 2018.<br />

Bakary et son compère<br />

Paul sont aussi à l’origine du<br />

sauvetage du playground historique<br />

de Stalingrad, sous le<br />

métro aérien. Devenu impraticable,<br />

il devait disparaître.<br />

« On s’est positionnés en<br />

disant que ce terrain était un<br />

héritage du quartier, et qu’il<br />

fallait le garder. On a obtenu<br />

un budget de la mairie pour<br />

proposer un nouveau projet<br />

dans cet espace, qui lierait<br />

sport et cultures urbaines. »<br />

Le terrain flambant neuf a<br />

été inauguré le 21 septembre<br />

dernier, et depuis, il accueille<br />

sans discontinuer bloc parties<br />

hip-hop et matches à haute<br />

intensité.<br />

« MOI-MÊME,<br />

J’AI DU MAL À<br />

COMPRENDRE<br />

MON PROPRE<br />

CHEMIN. »<br />

party. On n’avait pas un rond, un copain<br />

a ramené des platines, l’autre la sono,<br />

et on a organisé un open mic. »<br />

Écrire son histoire<br />

Lassé par trente années de politique de<br />

la ville sans résultats, Bakary, qui trouve<br />

vaines les manifestations, a compris que<br />

pour être efficace, il fallait viser haut :<br />

« Il faut faire en sorte de ne plus être exclus<br />

des cercles de décision. Et ne pas se<br />

contenter des conseils de quartier, où<br />

l’une s’occupe des merdes de chien et<br />

l’autre se plaint des loyers qui explosent.<br />

Il faut être présent là où l’argent est distribué.<br />

» C’est dans cet esprit qu’il a monté<br />

sa maison d’édition, Faces cachées, inaugurée<br />

par son propre livre, Je suis, en<br />

2015, un plaidoyer pour l’énorme potentiel<br />

des quartiers populaires, qui fut parfois<br />

le premier livre lu hors programmes<br />

scolaires par des lycéens. Évidemment,<br />

pas question pour lui d’aller démarcher<br />

les grandes maisons parisiennes. « Le projet<br />

ne commence pas par l’envie de sortir<br />

un livre mais par celle de créer une maison<br />

d’édition. On a regardé comment ça<br />

fonctionnait et on s’est lancés. » Une idée<br />

cohérente avec sa démarche de faire<br />

s’exprimer les habitants des cités. « Il y a<br />

beaucoup de belles histoires à raconter.<br />

Au lieu de se plaindre sur le mode : “On<br />

ne parle pas de nous dans les livres”, écrivons<br />

les nôtres ! C’est important de faire<br />

connaître nos histoires, à l’extérieur, mais<br />

déjà pour nous ! »<br />

Depuis quatre ans, Faces cachées a<br />

édité quatre livres et vient de signer avec<br />

un distributeur pour se concentrer sur<br />

l’édition. La porte est ouverte à tous les<br />

talents : « Tu ne sais pas écrire mais tu as<br />

une belle histoire à raconter ? Viens ! Tu<br />

sais écrire mais tu avais peur de le faire ?<br />

Viens ! Tu ne sais pas écrire et tu n’as pas<br />

d’histoires à raconter ? Bon ben salut. Le<br />

social oui, mais la performance avant<br />

tout. » Performant, Bakary Sakho l’a été<br />

en 2017, lorsque le XIX e arrondissement<br />

a été secoué par une querelle entre<br />

bandes rivales qui causa un mort. Il<br />

monte au créneau et met les parents, qui<br />

« ne prennent plus leurs responsabilités »,<br />

les associations « qui ne font pas leur<br />

travail » et « les milieux politiques qui<br />

laissent faire tant que ça n’éclabousse pas<br />

les autres quartiers » devant leurs responsabilités.<br />

Il va même mettre la pression à<br />

l’imam de la mosquée du coin pour qu’il<br />

participe au retour à la paix. « J’ai allumé<br />

tout le monde politiquement ! Pour la<br />

première fois, après mes vidéos sur Facebook,<br />

on avait un car de CRS dans la cité.<br />

J’ai dit qu’on serait tous les dimanches sur<br />

le parvis de la gare Rosa-Parks tant que<br />

ça ne s’arrêterait pas. Quand on a lancé<br />

l’appel, les mamans sont sorties et tout<br />

s’est calmé tout de suite », raconte celui<br />

qui est devenu aujourd’hui bien plus<br />

qu’un gardien d’immeuble.<br />

La performance sociale<br />

Il quittera d’ailleurs sa loge en 2020,<br />

pour se lancer dans une nouvelle aventure<br />

avec son collègue Paul, avec qui il<br />

monte tous ses projets. Leur association,<br />

Le 99, va devenir une agence, qui exploitera<br />

le concept de performance sociale<br />

et surtout le stakhanovisme de ses fondateurs.<br />

« Aujourd’hui, je donne 35 heures<br />

par semaine à l’association, en plus de<br />

mes 35 heures de travail. L’an prochain,<br />

je donnerai 70 heures par semaine à<br />

l’agence ! On a bien travaillé, on a un modèle<br />

économique. Gardien d’immeuble,<br />

c’était un choix, je n’ai jamais voulu vivre<br />

de la politique ou du milieu associatif. Je<br />

n’ai pas gagné un euro, mais ça m’a ouvert<br />

un réseau incroyable et offert des<br />

compétences. Je donne des cours à la fac<br />

de Lyon, l’année prochaine à HEC, je suis<br />

parfois payé pour animer des colloques,<br />

qui l’eût cru ? »<br />

Si tout se passe comme il le veut,<br />

Bakary se voit bien, d’ici une dizaine<br />

d’années, faire la navette entre France et<br />

Afrique, pour travailler à une forme de<br />

réconciliation identitaire, « une nouvelle<br />

Françafrique » : « Un truc intelligent, où<br />

tout le monde s’y retrouve, pour éviter<br />

que les gens ne tombent dans cette schizophrénie.<br />

» Histoire de boucler une<br />

boucle qui s’étire dans tous les sens sans<br />

jamais casser depuis plus de vingt ans :<br />

« La dernière fois, j’étais à un colloque à<br />

Arras avec des intellectuels, des docteurs<br />

en sociologie… J’étais non seulement<br />

intervenant mais aussi l’un des grands<br />

témoins. Et sur mon badge, il y avait<br />

écrit : “Bakary Sakho, gardien d’immeuble<br />

et écrivain.” J’ai posté la photo sur les réseaux<br />

en rigolant : “Même moi, j’ai du mal<br />

à comprendre mon propre chemin !” »<br />

Instagram : @allparisiangames<br />

THE RED BULLETIN 35

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