actuel 18
le sommaire: (3) Raúl Villullas García (14) Alexandre Petrovski Darmon (20) Anne Goujaud (26) Catherine Le Goff, entretien avec Olivier Deprez (32) Marie-Christine Béguet (38) Muriel Moreau (44) Victoria Arney (50) Vincent Moreau (58) Prix Mario Avati (60) Galerie de poche (64) La Chine rouge en noir et blanc, Hu Jie, cinéaste et graveur (66) Opération Prado
le sommaire:
(3) Raúl Villullas García
(14) Alexandre Petrovski Darmon
(20) Anne Goujaud
(26) Catherine Le Goff, entretien avec Olivier Deprez
(32) Marie-Christine Béguet
(38) Muriel Moreau
(44) Victoria Arney
(50) Vincent Moreau
(58) Prix Mario Avati
(60) Galerie de poche
(64) La Chine rouge en noir et blanc, Hu Jie, cinéaste et graveur
(66) Opération Prado
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Actueln°18
l’estampe contemporaine
C
o
n
t
i
e
n
t
(3) Raúl Villullas García
(14) Alexandre Petrovski Darmon
(20) Anne Goujaud
(26) Catherine Le Goff, entretien avec Olivier Deprez
(32) Marie-Christine Béguet
(38) Muriel Moreau
(44) Victoria Arney
(50) Vincent Moreau
(58) Prix Mario Avati
(60) Galerie de poche
(64) La Chine rouge en noir et blanc, Hu Jie, cinéaste et graveur
(66) Opération Prado
Ont collaboré à l’écriture de ce numéro :
Raúl Villullas Garcia, Alexandre Petrovski Darmon, Claire Nédellec,
Olivier Deprez et Catherine Le Goff, Alice B., Carlos Delgado Mayordomo,
Victoria Arney, Serge Le Diraison, Isabelle Gozard, René Viénet,
Pierre Guérin et Annie Latrille
2
RAÚL VILLULLAS
Actueln°18
l’estampe contemporaine
Nous sommes au début de la troisième décennie
du 21e siècle, dans un monde de plus en plus incertain.
Grâce aux artistes, nous avons l’équilibre d’un regard neuf.
Raúl Villullas est l’un de ces artistes.
Son art comprend peintures, gravures, monotypes
et livres d’artistes, tous issus de son imagination fertile.
Né en Espagne, vivant et travaillant en France,
il est l’héritier de riches traditions de représentation figurative
de personnes et de lieux, d’émotions et d’événements.
Dans tous les médiums qu’il utilise avec une grande habileté,
nous pouvons voir son engagement étroit dans la narration
d’histoires et son contrôle précis de la ligne,
de la forme, du ton et de la couleur.
C’est un conteur parce qu’il nous offre dans son travail
une image, un moment saisi dans une vie,
avec toutes les tensions et subtilités que nous connaissons
dans nos propres vies. Il n’explique pas ces moments,
laissant sans réponses les questions qui se posent,
et nous ne devons pas non plus le souhaiter.
Si nous parvenons à ralentir, à approfondir son travail
et à prendre le temps de réfléchir à ce qui se passe,
nous pouvons être surpris de nos découvertes.
Dans un monde où les médias nous enveloppent
et où tout est analysé instantanément par le cœur froid
de la technologie, c’est un soulagement de rencontrer
de tels mystères et délices.
Actuel est une émanation
du groupe Facebook
« Parlons Gravure »
Comité de sélection :
Sabine Delahaut
Jean-Michel Uyttersprot
Catho Hensmans
Comité de rédaction :
Jean-Michel Uyttersprot
Pascale De Nève
© Raúl Villullas Garcia
pour l’estampe en couverture
Pour toutes informations :
magazine.actuel@gmail.com
www.actueldelestampe.com
Éditeur responsable :
K1L éditions.
Imprimé par la Ciaco,
Louvain-la-Neuve, Belgique.
Couverture : Tintoretto Gesso 250 g
Intérieur : Indigo Tatami Ivoire 135 g
Richard Noyce
Prix de vente : 20 €
N ° ISSN : 0774-6008
EAN : 9 782 930 980 317
3
4
Raúl
Villullas
García
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours
peint et dessiné, comme la plupart de ceux qui
évoluent dans le monde des traits et des couleurs.
Au cours de mon enfance, j’ai passé beaucoup
de temps dans l’atelier de l’artiste José Ruiz
Correa, où j’ai reçu, très tôt, les bases
de ma formation artistique.
J’ai poursuivi mes études aux Beaux-Arts
de Valence, où j’ai eu l’opportunité de m’ouvrir
aux différentes techniques de l’estampe. Peu à
peu, j’ai fait le choix de la gravure sur bois comme
mon principal moyen d’expression artistique.
J’y ai également appris les techniques de la
reliure artisanale. Ces deux savoir-faire conjugués
m’ont conduit par la suite à la création de livres
d’artistes.
Je n’ai jamais arrêté cependant de peindre
et de dessiner, ce qui a notablement enrichi
mon travail de gravure. J’aime en effet laisser
les techniques artistiques se croiser et se nourrir
mutuellement.
La gravure me pose en permanence le défi
de trouver le moyen terme entre une expression
artistique libre et spontanée et un savoir-faire
technique maîtrisé et pointu. L’artiste et l’artisan
doivent en effet pouvoir s’y retrouver.
La gravure sur bois donne accès, de plus,
à un langage graphique particulièrement fort
et puissant : elle permet d’explorer les différents
types de bois, chacun avec ses caractéristiques,
ses veines, ses textures ; elle offre par ailleurs
d’incroyables possibilités en matière
de superposition de couleurs.
C’est dans cette direction que s’orientent mes
travaux les plus récents : les différents passages,
les jeux des superpositions et des transparences,
les relations chromatiques qui se nouent entre
les différents éléments constitutifs du tableau final
donnent lieu, dans mes gravures, à des estampes
riches en nuances. Une certaine complexité
technique invite à regarder l’image dans toute
sa profondeur : jusqu’à s’y perdre !
Mon œuvre s’appuie sur un imaginaire personnel
fondé sur le goût de la poésie, de la littérature
et de la musique ; les références à la mythologie
et aux symboles y sont nombreuses.
Mes compositions présentent des personnages,
des visages, souvent des arbres, des oiseaux,
des ruines : elles s’appuient sur des associations
d’éléments qui comportent toujours une forte
charge de sens, tout en donnant lieu
à des interprétations ouvertes. Les différents
rapports qu’on peut établir entre les divers
éléments de mes gravures suggèrent de multiples
histoires et des narrations riches d’imagination
et de poésie.
Par ailleurs, mes gravures ne sont pas exemptes
d’une réflexion sociale et politique, en ce qu’elles
prennent en considération la destruction
de la nature et la solitude de l’individu dans
le monde urbain.
À mon arrivée à Paris, en 2009, j’ai intégré l’Atelier
aux Lilas pour la typographie et l’estampe.
Depuis, je participe activement à la gestion
et au fonctionnement de l’association.
Grâce aux artistes fondateurs Kristin Meller
et Raúl Velasco et à tous ceux qui sont passés
en ce lieu, j’ai eu l’opportunité de partager
expériences, savoir-faire, doutes et projets.
J’ai ainsi été amené à travailler sur des projets
collectifs fondés sur le partage et l’échange.
Entre autres, avec la graveuse canadienne Sarah
Norquay, qui m’a fait partager son savoir-faire en
matière de « solarplates » et de photopolymères ;
puis avec le collectif L’Un dans l’autre,
avec qui j’ai participé à des résidences artistiques
au Bénin en 2012 et à Cuba en 2016, et organisé
le spectaculaire projet Le Rouleau de printemps,
aux Lilas : impression de gravures sur bois
de grand format à l’aide d’un rouleau
compresseur ; enfin, avec le Kollektiv Tod Verlag
de Berlin, avec qui je partage depuis plus de huit
ans des projets de livres d’artistes et participe
à différents salons à Paris (salon Pages du livre
d’artiste et Bibliophilie), Bruxelles, Barcelone,
Hambourg...
Impliqué dans les évolutions de la gravure
contemporaine, je continue à m’engager dans
de nombreux projets et reste ouvert
à de nouvelles rencontres.
5
6
7
8
9
10
Raúl Villullas García
Né le 16 février 1981
à Castelló de la Plana (Espagne).
Actuellement, Raúl habite à Montreuil (Paris), en France.
www.raulvillullas.com
Couverture : L’Étoile, gravure sur bois.
65 x 50 cm, 2017
Pages 2 et 3 : The Other Side of Now I,
gravure sur bois, 65 x 50 cm, 2016
Pages 4 : Regards, gravure sur bois,
50 x 65 cm, 2019
Pages 5 : La Danse, gravure sur bois,
40 × 30 cm, 2017
Pages 6 et 7 : Lunaire, gravure sur bois,
65 × 50 cm, 2018
Pages 8 et 9 : Le Scarabée,
gravure sur bois, 65 × 50 cm, 2019
Page 10 : Le Minotaure,
gravure sur bois, 50 x 65 cm, 2019
Page 11 : La Rencontre, La Traversée,
gravure sur bois, 65 × 50 cm, 2015
Page 12 : Phoenix, gravure sur bois,
50 × 65 cm, 2019
Page 13 : Modigliani’s Dream I,
gravure sur bois, 30 x 40 cm, 2017
Modigliani’s Dream II,
gravure sur bois, 30 x 40 cm, 2017
Modigliani’s Dream III,
gravure sur bois, 30 x 40 cm, 2017
The Other Side of Now I,
gravure sur bois, 65 x 50 cm, 2016
11
12
13
Alexandre
Petrovski Darmon
Cela fait maintenant un peu plus de vingt-cinq ans
que je fais de l’eau-forte.
Je me souviens avoir commencé la gravure
par amour et fascination pour l’œuvre de Dürer,
Rembrandt et Callot, et aussi, je dois le confesser,
par manque de place...
Depuis, le procédé est devenu partie intégrante
de ma pratique, conjointement à la peinture.
En gravure, on taille, on mord et on retranche,
sans filet.
En peinture, on superpose, on ajoute,
on se repent.
Osciller périodiquement entre les deux me permet
de changer mon point de vue,
modifier ma conception des choses,
et ouvre la voie à l’accident et à l’aventure.
Alexandre Petrovski Darmon
est né à Paris en 1970.
Il entre à l’ENSBA en 1992, après des études
universitaires de physique,
et commence à fréquenter les Ateliers Moret
au milieu des années 90.
Aujourd’hui installé en Anjou,
il grave sur de petites plaques
et peint sur de grandes toiles.
www.petrovski-darmon.com
www.instagram.com/apetrovskidarmon
www.facebook.com/petrovskidarmon
14
15
16
17
18
Page 15 : Sans titre, eau-forte sur zinc, 6 × 8,5 cm, tirage 5 ex. numérotés et signés, 2018
Sans titre, eau-forte sur zinc, 6 × 8,5 cm, tirage 5 ex. numérotés et signés, 2018
Sans titre, eau-forte sur zinc, 6 × 8,5 cm, tirage 5 ex. numérotés et signés, 2018
Sans titre, eau-forte sur zinc, 6 × 8,5 cm, tirage 5 ex. numérotés et signés, 2018
Page 16 : Sans titre, eau-forte sur zinc, 6 × 5 cm, tirage 6 ex. numérotés et signés, 2018
Sans titre, eau-forte sur zinc, 6 × 5 cm, tirage 6 ex. numérotés et signés, 2018
Page 17 : Sans titre, eau-forte sur aluminium, 15 × 20 cm, tirage 5 ex. numérotés et signés, 2018
Page 18 : Sans titre, eau-forte sur aluminium, 15 × 20 cm, tirage 5 ex. numérotés et signés, 2018
Page 19 : Sans titre, eau-forte sur aluminium, 15 × 20 cm, tirage 5 ex. numérotés et signés, 2018
19
Anne
Goujaud
Les joyeux préceptes d’Anne Goujaud
La gravure et la peinture sont des territoires dont
il faut parfois élargir les frontières et les limites.
Non seulement par velléité un peu vaine
d’apporter coûte que coûte de l’inédit ou du fortuit
à ces deux tekhnè (dont on sait bien qu’elles
résistent depuis très longtemps
à de telles tentatives…),
mais peut-être plus simplement pour assumer
avec ce qu’il faut de légèreté
et d’humour leurs qualités propres.
Anne Goujaud, née en 1954, travaille depuis
de nombreuses années avec une même ardeur
peinture et gravure. Passant de l’une à l’autre
sans états d’âme, avec la même appétence
qui tient au « plaisir de peindre la peinture » 1 ,
mais aussi à cette capacité de glisser rapidement
d’un geste à un autre.
Sans doute, dans cette fluidité et cette
énergie revendiquées, fallait-il se construire
quelques repères, tant iconographiques que
méthodologiques, afin de se préserver un tant soit
peu du vertige boulimique que peut occasionner
une technique parfaitement maîtrisée.
D’abord, le carré. Presque trop idéal pour
la technique de l’eau-forte. S’y atteler donc,
le répéter dans les formats et dans les motifs,
comme pour une trame musicale où le thème
principal s’inscrit puis subit ces altérations
de couleurs et de timbres, qu’on appelle parfois
un peu pauvrement « variations ».
Imperceptiblement, cette répétition,
qui n’en est d’ailleurs jamais exactement une,
conduit l’œil aux abords de l’image,
nous tire vers l’extérieur du damier dans
un euphorisant appel d’air.
Toujours le carré. Mais « débordé » par des jeux
de couleur qui, au sens littéral, frisent la structure
et activent son décloisonnement.
Le carré « éludé » par les pois, confettis dérisoires
qui ne cessent de contaminer l’espace.
Le carré, aire de jeux où toupies, balles, ballons,
bannières et drapeaux s’en donnent à cœur joie…
Mais aussi le carré, plan architectural
(bribe de mémoire de nombreux voyages
effectués), avec cette tendresse particulière pour
les enluminures des célèbres Beatus mozarabes
aux bandes horizontales de couleurs violentes
et crues, parsemées de murailles crénelées
et arcs outrepassés.
Ainsi, dans ces allers-retours entre peinture
et gravure, Anne Goujaud parvient à associer
et combiner un imaginaire poétique aux traces
fugaces du réel ; elle en dépose quelques indices
dans une production artistique proche
d’un « album » que n’aurait pas renié Erik Satie…
« Cette publication est constituée de deux
éléments artistiques : dessin et musique ;
la partie dessin est figurée par des traits
– des traits d’esprit ;
la partie musicale est représentée par des points
– des points noirs. […] Je conseille de feuilleter
ce livre d’un doigt aimable et souriant,
car c’est ici une œuvre de fantaisie […] » 2
Claire Nédellec,
Mars 2001
1
Gérard Gasiorowski in Entretiens avec
Suzanne Pagé, ARC Musée d’art moderne
de la Ville de Paris, 1983
2
Erik Satie (1866-1925) in Préface/
avertissement de Sports et Divertissements
20
21
22
www.goujaud.fr/atelier.html
www.instagram.com/annegoujaud/
23
Page 21 : Passage, monotype, 120 × 80 cm, 2018
Page 22 : Sans titre, monotype sur BFK, aquatinte au sucre papier japon, 15 × 15 cm, 2019
Page 23 : Sans titre, monotype sur BFK, 30 × 30 cm, 2016
Page 24 : Sans titre, monotype et eau-forte sur BFK, application de papier japon, 30 × 30 cm, 2018
Page 25 : Sans titre, monotype, 20 × 60 cm (× 2)
24
Anne Goujaud invente des combinaisons.
Elle emboîte les courbes et les verticales,
cherche la volupté dans l’accumulation subtile
des couleurs, l’étoilement des formes, le brouillage
des limites. L’espace se rythme dans la répétition
d’un motif, la prégnance d’un aplat coloré
ou l’insistance d’une trame. Son travail prend racine
dans un jeu subtil de correspondances, feuilletage
sensible de trames, de lignes et de couleurs.
Isabelle Gozard
25
26
Catherine
Le Goff
Entretien entre
Catherine Le Goff
et Olivier Deprez,
le 11 novembre 2019
Olivier Deprez : Catherine, peux-tu te
présenter en quelques mots, en tant qu’artiste
et aussi en tant que femme habitant à Bruxelles ?
Catherine le goff : Je fais de la gravure
depuis quelques années, pas si longtemps,
mais j’ai commencé à dessiner il y a une bonne
vingtaine d’années, j’avais déjà vingt-cinq ans,
en autodidacte.
Pour prendre de l’assurance, j’ai fréquenté
les académies et je vais toujours au RHoK,
l’académie néerlandophone d’Etterbeek,
où il y a un très très bon atelier de gravure.
Sinon, comme j’ai des problèmes de santé
depuis maintenant trente ans, je dirais que
le dessin et la gravure sont mes principales
activités. Ça a d’abord été cathartique,
un exutoire, et désormais c’est devenu
plus construit, plus apaisé.
Pourrais-tu préciser comment tu es arrivée
à la gravure ? On ne vient pas à la gravure
innocemment, c’est un choix qui doit être
concerté parce que ça nécessite un atelier,
un outillage, et quand on fait le choix de pratiquer
la gravure dans le champ artistique, c’est qu’on
a une idée derrière la tête, on choisit la gravure
plutôt que l’aquarelle... Donc, quelles sont
tes raisons et quel a été ton cheminement ?
J’y suis arrivée via l’académie, car quand
je voyais les travaux de gravure, j’aimais
beaucoup, et déjà, depuis vingt-cinq ans,
j’admirais le travail de Frans Masereel.
Je me souviens qu’alors, quand je passais dans
une des galeries du centre, je voyais parfois
des planches gravées de Masereel et j’avais
une énorme fascination pour ce travail-là.
Malheureusement, à l’époque, mes mains
me faisaient trop mal pour travailler
le bois ou le lino ; j’avais bien essayé
de m’y mettre, mais c’était trop douloureux.
Et puis, il y a quelques années, mes douleurs
ayant diminué, j’ai eu envie de réessayer,
je suis allée à l’atelier et j’ai vraiment mordu.
Ça m’a permis de pratiquer un dessin assez
brut, notamment la gravure sur bois, sans
m’embarrasser de détails ni de trop de finesse.
Exposition de Catherine Le Goff à la
Maison des cultures de Molenbeek
jusqu’au 4 janvier 2020,
puis à Home Frit’ Home à Bruxelles,
à partir du 5 juin 2020.
Exposition d’Olivier Deprez
à la Wittockiana à Bruxelles
jusqu’au 19 janvier 2020.
27
Tu parles d’un dessin assez brut, mais
d’un autre côté, il y a une très grande poésie
visuelle dans ces dessins. C’est un mélange
de brutalité et d’une extrême sensibilité
qu’on sent dans le trait, car tu as un certain
usage de la gravure où le trait est assez présent
finalement, même si je vois que dans
tes gravures, maintenant, tu travailles
beaucoup par effet de synthèse, de masse,
le trait est présent aussi. Peux-tu parler de ça ?
De cette poésie visuelle et du rapport
que tu as avec le dessin et la gravure ?
Moi, je qualifie ça de poésie visuelle,
car je ne trouve pas d’autre mot, mais c’est ce
mélange de brutalité et d’extrême sensibilité.
La poésie visuelle, comme tu l’appelles,
arrive peut-être par le trait, mais aussi
par l’association des sujets, un, deux ou trois
éléments qui me viennent assez spontanément,
non pas sur la feuille comme j’allais dire,
mais sur le bois, parce que je commence
par dessiner sur le bois. Par association libre
et étrange d’idées, un peu comme
en psychanalyse, je vais coller des éléments
et créer cette poésie. Mais je ne sais pas si c’est
tant le trait qui la crée que le sujet ou le collage
de sujets. Quant au trait, en dessin pur,
je suis très peu sûre de moi, et quand je passe
à la gravure, ça me permet de masquer
ce manque d’assurance et de procéder
autrement, de cacher ça à mes yeux mêmes.
Le dessin est plutôt naïf, c’est peut-être de cela
que naît aussi la poésie visuelle ?
Oui, c’est d’ailleurs, entre guillemets, la magie
de la gravure, elle retourne complètement
ce que toi tu qualifies négativement de faiblesse
graphique, de manque ; ça devient une force
visuelle. Quand on regarde ton travail,
on ne se dit pas que ce sont des images naïves,
on est d’abord touché par ces images.
Ça vient de ton rapport à la gravure,
indubitablement. Tu parles d’associations libres :
quel type de rapport imagines-tu entre
les différentes images que tu crées,
que tu produis, que tu dessines, que tu imprimes ?
Autrement dit, est-ce que tu cherches à faire
une narration, ou est-ce que la narration arrive
de manière fortuite ?
Le sujet s’établit de manière assez fortuite
sur chaque image, mais je pense qu’il y a un lien
entre mes images. Dans le dernier livre
que j’ai fait pour le Sterput, en janvier 2019,
je me suis dit que chaque personnage était
dehors, et que la situation décrite dehors reflétait
en même temps une vérité intérieure.
C’est le fil directeur de ce livre et chaque série
est une suite d’instantanés avec un thème pour fil.
Ma prochaine exposition va s’appeler
Vagabondages. J’aime aussi cette idée
de promenade et de liberté des personnages.
www.dessinscatherine.blogspot.com
www.facebook.com/profilephp?id=100010653131478
28
Toujours dans ce registre de la narration
et du vagabondage des images :
le type d’espace que tu mets en place dans
tes gravures est, je trouve, un espace qui est
de plus en plus sophistiqué, avec une richesse
de plans et de matières. Peux-tu parler de cette
évolution ? Je vois ton travail depuis quelques
années et on sent une sophistication,
mais dans le bon sens du terme.
Il y a un enrichissement du monde
spatial de ton image qui contribue
à donner encore plus de force
et de densité à tes narrations.
Est-ce que tu peux en parler ?
Est-ce que tu es consciente de ça ?
Pour ce qui est de la composition,
j’ai toujours aimé composer
des images, mais je ne me rendais
pas forcément compte que je
travaillais sur plusieurs plans
ou que ça donnait une impression
de sophistication. Je pense juste
que je progresse dans le domaine.
Autre chose qui se passe aussi dans
le domaine de la gravure et qui est
lié à un festival en particulier,
c’est que les graveurs se rencontrent
beaucoup. Est-ce que tu peux me
parler de l’importance que ces contacts
ont pour toi et de l’impact qu’ils ont sur ton travail
et ton rapport à la gravure ?
Tu parles du festival Xylofil où nous nous sommes
rencontrés pour la première fois en 2017 ?
Pour moi, c’est très stimulant !
C’est la première fois que j’aborde une discipline
artistique où il y a autant de solidarité entre
les personnes, autant d’échanges, de tuyaux,
de recettes, d’idées très riches.
C’est Xylofil [festival de la gravure sur bois
organisé par L’Âne hautain et le Bélier sauvage
dans les Alpes-de-Haute-Provence chaque
week-end de l’Ascension, ouvert à tous]
qui m’a vraiment mise sur la voie de la gravure
sur bois ; avant, je gravais surtout du lino.
C’est le genre d’événement qui met en confiance,
on se sent beaucoup moins seul, et cela permet
également de s’imprégner du travail des uns
et des autres. Je suis aussi beaucoup ton
travail, via les réseaux sociaux et les expositions ;
je m’y intéresse, ainsi qu’à ton idée de roman
graphique. Le travail de David Audibert,
que j’ai rencontré grâce à Xylofil, me plaît
également beaucoup. Ces échanges sont propres
à la gravure. Tu parlais de poésie tout à l’heure,
j’ai été marquée par celle qui se dégage dans
tous les bois gravés lors du festival Xylofil.
Oui, c’est bien de resituer aussi Xylofil.
Quel est ce festival étrange qui rassemble les
graveurs sur bois une fois l’an ?... Tu parlais
de roman graphique et on va revenir à cette
dimension littéraire et au rapport au livre aussi.
C’est une question importante et qui motive ton
travail puisque tu as publié dernièrement
un livre lors de l’exposition du Sterput.
Tu vas maintenant travailler sur un film
avec Boris Lehman. Est-ce que tu peux
parler des supports qui reçoivent
les gravures que tu crées ?
Comment conçois-tu le rapport entre
la gravure et le livre et entre la gravure
et le film ?
Quand j’envisage une narration
en général, c’est une vraie gageure,
au début je râle. Mais au RHoK,
les profs me le disent : « Arrête, de toute
façon, tu vas vers ça ! »
Sous-entendus, les livres.
C’est vrai, ça m’attire beaucoup.
Déjà, avant la gravure, les livres
m’attiraient, mais depuis que je fais
de la gravure, je choisis ce médium pour
raconter des histoires. C’est difficile et lent,
au risque de perdre de vue son objectif.
Je pense que le projet avec Boris Lehman
m’a aidée. Le conte Une histoire de cheveux,
destiné à être inséré dans son dernier film,
était déjà écrit par une poétesse,
Regina Guimarães, et je l’ai illustré selon
un story-board. Certaines parties vont être
animées par Patrick Theunen, de Graphoui.
Comme j’ai une expérience en cinéma
d’animation, j’ai procédé comme si je faisais
un film. La narration y est plus fluide, illustrative,
mais ça coule. Cela m’a permis de sortir
de cette manière plus statique que j’ai de traiter
les images d’un livre. Dans Le Livre des poupées,
que j’ai autopublié, et dans I Tend My Flowers
for Thee, publié par L’Âne hautain et le Bélier
sauvage (pour Xylofil), chaque image est comme
une redite des autres. C’est lié au fait que j’ai peu
d’anticipation et que chaque page est un tableau.
Mais l’aspect répétitif des images amène
du comique, de l’obsession, comme dans
une litanie. Dans mes livres, il y a un effet
de ressassement. Comme tu le disais en citant
Barthes, « le sujet fait son surplace », ça colle tout
à fait. Mais ça ne veut pas dire que je continuerai
à travailler comme ça ! Le projet pour Boris
m’a fait évoluer.
29
Ma question subsidiaire est : quel impact
va avoir le travail pour Boris sur tes livres à venir ?
Je me suis rendu compte que c’était
très précieux d’avoir quelqu’un qui écrit pour
soi et ça m’a donné envie de travailler de cette
manière-là. Cela dit, j’ai un projet de livre sur ma
grand-mère, avec les souvenirs d’enfance que j’ai
d’elle, qui avait un mode de vie très campagnard,
en Bretagne. Elle avait un mode de vie
un peu archaïque puisqu’il n’y avait pas de salle
de bain chez elle, elle s’occupait de son jardin,
de ses poules. Je veux évoquer des souvenirs
très tendres. J’aimerais bien me départir
de ce côté statique, mais pour l’instant,
je ne peux m’empêcher de penser le projet sous
forme de tableaux !
C’est sûrement lié aux pages encore !
Tu viens d’aborder un élément très intéressant
qui, d’ailleurs, peut être un point d’explication
de l’intérêt porté à un mode de vie archaïque,
car la gravure est un outil archaïque.
Quel sens ça a pour toi d’utiliser la gravure
dans un environnement multimédia,
technologique ? Est-ce que tu vis la gravure
comme un moyen archaïque et, d’une certaine
manière, passéiste, ou, au contraire,
est-ce que tu penses que ce type d’outil
a plus que jamais sa pertinence?
Pour revenir à Boris Lehman, au début,
il m’a proposé de faire une capsule animée dans
son film, et l’idée de me remettre à l’animation
m’angoissait énormément.
Ce n’est pas un médium que j’aborde avec facilité
et je suis persuadée que c’est lié à la technique
puisque j’anime sur ordinateur.
Le lien entre ma grand-mère et la gravure n’est
pas inapproprié, car elle avait toute une série
de savoir-faire manuels liés à la campagne
et qui sont à mon sens très précieux, et auxquels
je reviens avec plaisir à travers la gravure.
Parfois, quand je conçois une image, je pense
presque moins à l’image qu’au plaisir d’aller tailler
le bois. L’aspect manuel me ravit autant que le fait
de composer une image. Je pense à la planche
et aux outils qui m’attendent.
Je retrouve ce plaisir, pas passéiste du tout,
qu’ont sûrement les menuisiers, les ébénistes.
Et toi ?
Moi aussi, absolument. Ce geste de la gravure
est quelque chose de stimulant. La rencontre
avec les outils, c’est un moment crucial
de la création, ce moment du geste
qui rencontre le bois.
Dans ton travail, un élément s’est affirmé
de plus en plus, c’est la couleur.
Peux-tu en parler ?
Comment cet élément est-il arrivé et attribues-tu
un rôle particulier à la couleur ?
Oui, beaucoup, même si parfois je fais
le choix de ne pas mettre de couleur quand
la gravure a suffisamment de force, de détails
qui évoquent des matières et une profondeur.
Je suis revenue à la couleur par pure envie.
Au pastel gras, je m’amusais beaucoup avec ça.
Mais la couleur m’aide en gravure à rajouter
de la profondeur. Il n’en faut pas forcément
plusieurs. Au début, je faisais des trichromies,
mais je me suis rendu compte qu’une couleur
en plus suffit parfois pour créer une profondeur
et mettre l’accent sur des détails.
Dans Une histoire de cheveux, j’ai coloré
les cheveux, les explosions de guerre.
Oui, c’est riche.
Puisqu’on parle de la cuisine,
on vient d’évoquer le geste et la couleur,
quelle est l’importance de l’atelier dans
ta gravure ? Le lieu même de l’atelier
est-il un élément stimulant,
ou bien est-ce uniquement ton imaginaire
qui est important et qui apporte, je dirais,
la nourriture visuelle à ta gravure ?
Je parle de l’atelier dans lequel tu travailles.
Mon atelier est précieux moins pour le fait
de graver que pour l’impression. Le moment
de l’impression est un moment que j’adore,
et être dans mon atelier, devant ma presse,
à ce moment-là compte beaucoup.
Ce sont des gestes, des moments, des lumières
qui me marquent. Si j’aime une image,
je vais me souvenir de la lumière au moment
où elle est sortie. C’est très physique, on est ancré
dans le moment et dans le lieu.
Après, quand je grave, moins. Je vais faire
ma bulle à l’académie ou travailler chez moi,
ce sont la planche et les gouges qui
l’emporteront, moins le lieu.
Tu parlais de lumière et d’émotion au moment
où tu imprimes. Est-ce qu’elles reviennent quand
tu travailles tes images ?
Non, pas vraiment. Ça va juste me stimuler pour
retrouver le plaisir de me remettre au travail.
30
Restons sur l’impression. On a parlé
des couleurs et du noir et blanc. On peut parler
du choix du papier et de celui des encres,
parce que tout ça fait partie de l’image gravée
qui a une matérialité définie par ces
choix-là. Comment opères-tu ces choix et quelle
importance leur donnes-tu ?
Je suis allée dans une académie où on faisait
de la gravure non toxique avec des encres
à l’eau, mais lors d’un stage, j’ai découvert les
encres à l’huile et, depuis, je suis clairement
revenue vers ça. J’ai plus de plaisir à travailler
avec, elles ont plus de corps, elles mettent bien
en relief la fibre du bois. Donc, oui, il y a une
pertinence dans chaque choix, sans que je sois
une puriste, mais on reviendrait plutôt à l’aspect
physique des choses. Quant au papier,
j’ai tendance à imprimer sur du Simili Japon,
car j’aime qu’il soit lisse et couleur crème,
ce qui donne une autre couleur à la gravure.
C’est devenu une habitude.
Tu développes ton œuvre dans une ville
qui n’est pas n’importe quelle ville.
Quelle importance ça a de vivre à Bruxelles ?
Est-ce que ça a un impact dans le choix des
images que tu produis, dans le type de narration ?
Penses-tu, par exemple, que tu produis une
narration urbaine ?
Oui, car, a contrario, si je fais des images
non urbaines, ce sera toujours avec nostalgie
et mélancolie. Le projet sur ma grand-mère sera
empreint de cette nostalgie de l’enfant
qui a grandi à la campagne. Le fait de vivre
en ville maintenant est un choix, et j’y trouve
beaucoup de choses stimulantes,
mais dans le mode de vie de la campagne
il y a quelque chose d’inaccessible, un non-retour.
Je ne sais pas si ça se voit en fait.
Eh bien, on commence à voir un itinéraire
dans tes gravures. Tu as parlé d’influences, de
Masereel, de ton dialogue avec Boris Lehman qui
a dû t’influencer. Mais peux-tu élargir le jeu des
influences, aussi bien sur le plan graphique que
sur le plan artistique en général, dans quelque
domaine que ce soit d’ailleurs, littéraire, visuel ?
Dans le procédé lui-même, la psychanalyse
m’a influencée, l’idée des associations libres,
faire vagabonder son esprit et aller d’une idée
à l’autre. Le travail avec Boris n’est pas un hasard
non plus, car son travail est très autobiographique
et le mien aussi, parce que sans qu’on puisse
lire tout à fait mon histoire, je m’inspire souvent
d’émotions très personnelles. Je ne dessine pas
d’après photo, mais toujours d’après une émotion
personnelle.
Peut-être que des gens comme Boris m’ont
influencée parce que ce que j’ai pu voir dans son
travail, c’est qu’en parlant de lui, il parlait
de choses universelles, avec parfois une
dimension humoristique.
Ça devient dérisoire : la dérision à double sens,
les petites choses, comme les choses drôles.
Par ailleurs, j’ai été fortement influencée
par le contenu des œuvres de l’art underground,
mais aussi par la manière de le faire :
le do it yourself, le fait de s’y mettre.
L’œuvre de Daniel Johnston ou celle de Jad Fair
m’ont beaucoup marquée, sans quoi,
je ne m’y serais peut-être jamais mise,
je n’aurais pas osé. Et leurs chansons sont
de petites histoires simples. J’adore aussi l’art brut
et l’énergie dans cette manière de faire. Je t’ai
demandé de m’interviewer, mais je trouvais qu’il
y avait également une filiation de par ton travail
avec Adolpho Avril, de la « S » Grand Atelier.
Ce sont des démarches qui me touchent
beaucoup. Je lis beaucoup aussi, à une époque
j’ai pas mal fréquenté les salles de cinéma.
Une des premières choses que j’ai dessinées
est un roman graphique ! La BD de Boudu sauvé
des eaux au sortir du film !
Tu commences à avoir une œuvre, présente,
qui est visible, tu participes à des festivals.
Comment situes-tu ton œuvre parmi celle
des autres graveurs et plus généralement
dans le monde de la narration visuelle ?
Ouf ! C’est difficile ! Il y a une vingtaine d’années,
je côtoyais beaucoup les milieux artistiques,
je perdais beaucoup de temps aussi,
à boire des bières et à avoir l’impression
de refaire le monde. Je suis beaucoup plus seule
maintenant, mais je travaille beaucoup plus.
Dans le monde de l’art, il faut parfois se protéger !
C’est un équilibre difficile à trouver,
car il faut garder ses antennes branchées
et ne pas être seule. Très concrètement, pour moi,
en raison de ma santé, ça doit rester raisonnable
et je n’ai pas envie d’avoir le burn-out
du typographe ! Et comment je me situe ?
Eh bien, je ne comprends pas, en dehors du fait
que c’est lié à mon travail. Après, les gens sont
touchés, mais je ne saurais pas me situer dans
un contexte plus large.
J’ai une dernière question : n’as-tu jamais
le vertige, là où tu habites ?
Au 19 e étage ? Non, jamais, et c’est assez
inspirant en fait. J’ai l’impression d’être un petit
personnage de Masereel au-dessus d’un grand
building !
31
32
Marie-Christine Béguet
Au commencement était le point
Je commence là où commence, en fait, la forme
picturale, c’est-à-dire un point qui se met
en mouvement […]. Et dès lors, commence
une activité avec, par précaution, très peu de
lignes d’abord. [...] Cette nouvelle ligne, par
contre, a un délai à respecter, elle veut aller
si possible rapidement. Les droites en sont la
preuve. Considérée de façon élémentaire
(comme action de la main), elle est certes une
ligne, mais, une fois menée à son terme,
la représentation linéaire est sur-le-champ relayée
par l’image d’une surface. Du même coup
disparaît aussi son caractère mobile relayé
par la notion de calme parfait.
Paul Klee
Point par point, lignes par lignes scrupuleusement
rangées, parfois superposées, entremêlées.
C’est du plus petit détail, le point, que le travail
de Marie-Christine Béguet prend toute
son essence : dans son sillage naissent
les surfaces, de l’à-plat mat et profond
à la transparente légèreté des parallélismes
de lignes imparfaites, toutes en clairs-obscurs.
Les couleurs sont très présentes dans ce travail ;
atténuées, elles viennent perturber les contrastes
des noir et blanc, tracées avec soin pour ne pas
perdre la sensation des nuances de tonalités.
L’évolution est aléatoire au gré des jours et des
humeurs, le travail fin et sensible ; le résultat,
onirique. Là, devant ces lignes menées avec
grâce et force à main levée par Marie-Christine
Béguet qui en défend souvent l’abstraction,
se lisent tableaux et paysages brumeux au fond
desquels se promènent les ombres qu’habille
l’imagination. Initiée à la linogravure
dès le plus jeune âge par sa mère, c’est en 2010,
à la Maison de la gravure Méditerranée,
aux abords de Montpellier, que l’artiste explore
l’eau-forte, l’aquatinte ou encore la manière noire,
avec Judith Rothchild à Paris, puis se
perfectionne au burin auprès de Catherine Gillet.
C’est lui qui s’impose comme l’outil le plus
adapté, complété si besoin de manière noire
et pointe sèche, pour retranscrire la finesse
de ses recherches. Sur ses carnets, à l’encre
sur la feuille humidifiée par endroits, les lignes
tirées à la plume et au pinceau s’étalent
au contact de l’eau, provoquant des flous
indéterminés, révélateurs de compositions
à la légèreté japonaise. Une étape préalable,
mais complémentaire, inscrite dans
une cohérence « tripartite » : les carnets inspirent
la gravure, qui inspire elle-même de grands
formats à l’encre sur papier de Chine
où se retrouvent les oppositions netteté-zones
humides portées par des tonalités vives, témoins
d’une maîtrise subtile et sans faille de la couleur.
Après des années de pratique du dessin noir
et blanc, c’est à 20 ans, sous l’enseignement
de M. Bonneaud, aux Arts appliqués (Paris),
que l’évidence de la couleur se révèle :
le monde est coloré, fait de nuances
et contrastes que son œil perçoit tout d’un coup
très naturellement. L’acrylique teinté
de pigments naturels servira de matière
aux premiers tableaux. Ici se lisent déjà
les impressions, sensations colorées, souvenirs
sensibles des contrastes des paysages tant
urbains que naturels, haies de peupliers,
bambous, ganivelles de bord de mer.
Dans son atelier de Roquemaure,
village du Gard, s’étalent et s’étirent aujourd’hui
les couleurs des encres épaisses et fluides
sur matrices et papiers, pour des tirages
destinés à différents projets.
Des œuvres qu’on a vues exposées au Salon
d’automne à Paris, au salon Artpage d’Octon,
à la Biennale de l’estampe de Saint-Maur
ou encore à la Triennale de gravure en tailledouce
de Lisle-sur-Tarn.
Marie-Christine Béguet est coprésidente
de la biennale SUDestampe de Nîmes,
dont elle réalise la communication graphique
depuis 2018.
Alice B.
33
34
Page 32 : 18.11.28, burin, 10 × 10 cm, 2018
Page 34 : 19.05.27, burin, manière noire, 30 × 24 cm, 2019
Page 35 : 19.05.20, burin, manière noire, 24 × 30 cm, 2019
Page 36 : 18.05.20, burin, 29,5 × 24 cm, 2018
Page 37 : 18.05.27, burin, 24 × 30 cm, 2018
35
36
www.mc-beguet.fr
www.manifestampe.org/page-personnelle/10302
37
38
Muriel
Moreau
39
40
41
MURIEL MOREAU
La nature interroge la pensée plastique de Muriel Moreau.
Ses réponses sont subtilement traitées à travers les sillons
qui creusent le vernis appliqué sur le métal et qui seront,
postérieurement, mordus par l’acide.
Une technique traditionnelle comme l’eau-forte qui, modulée
par l’artiste avec une maîtrise indéniable, est capable de dire
des mondes, de tracer des écritures complexes, de générer
des perspectives inédites et de mobiliser le spectateur devant
l’image qui en résulte. Il ne s’agit donc pas d’envisager
l’aspect graphique en tant que fin en soi, mais en tant
que composante active d’une proposition dont la densité
technique dépasse celle de la simple représentation.
La nature et ses rapports présumables avec le corps humain
constituent le point de départ des récits visuels de Muriel
Moreau. L’exploration à la limite des deux iconographies
est un moyen de marquer et de proposer un certain retour
à une origine abstraite, à des formes essentielles qui passent
aujourd’hui inaperçues face à un panorama déterminé
par la digitalisation du regard. Le cosmos et l’humain
se réconcilient ainsi : le paysage se redessine avec le rouge
du sang et les capillaires s’enfoncent dans l’épaisseur
de la forêt. Illusion et réalité, présence et absence sont
des binômes qui s’élèvent à un niveau discursif où la nature
et le corps ne s’opposent pas, mais s’imbriquent dans
un processus d’enchaînement formel et conceptuel.
Il surgit par ailleurs de ce jeu de connexions entre
différents plans un ensemble de pièces qui culmine dans
la transposition tridimensionnelle : des éléments recueillis
de la nature entrent en contact afin de générer une surface
nouvelle, à mi-chemin entre la cabane primitive et le heaume
rituel. Comme les maquettes d’une architecture symbolique,
circulaire et sans directions privilégiées, ils s’éloignent
de l’ordre géométrique de la construction architectonique
moderne pour énoncer, comme cela était le cas pour
les eaux-fortes, des parcours au seuil du cosmogonique.
Consciente du fait que la gravure, ainsi que toute discipline
artistique, a été et se trouve en continuel processus
de transformation, Muriel Moreau réfléchit au sens actuel
de son usage en tant que moyen générateur d’une poétique
visuelle complexe et pleinement contemporaine.
Et l’artiste nous offre, au moment où Google Earth s’érige
en paradigme cartographique, une manière de lire le monde
dans laquelle l’être humain n’est pas un élément extérieur
qui observe, mais une réalité enracinée dans l’espace
habité lui-même.
Carlos Delgado Mayordomo
Commissaire d’exposition, Madrid
Page 38 : Cape de transhumance,
eau-forte imprimée en taille d’épargne
sur japon, 90 ×120 cm
Pages 40 et 41 : Nuit, eau-forte imprimée
en taille d’épargne sur japon, 50 × 70 cm
Pages 42 et 43 : Ululu, eau-forte imprimée
sur japon et aquarelle, 28 × 39 cm.
42
Muriel Moreau
Née le 26 mai 1975 à Paris,
Muriel Moreau vit et travaille à Saou, en France.
www.murielmoreau.com
www.facebook.com/muriel.moreau.773
www.instagram.com/murielmoreau1/?hl=fr
43
Victoria Arney
La gravure oppose les contraires, car bien qu’utilisant
des techniques précises, elle laisse une grande part au hasard
et à la subjectivité.
Victoria Arney a découvert la gravure tardivement,
après vingt ans de pratique de la peinture et du dessin.
Cela a influencé fortement la manière dont elle s’exprime
avec ce médium.
Elle se considère comme une paysagiste contemporaine,
occupant un espace réel et irréel à la fois,
fait de désintégrations.
Dans ce travail, elle utilise l’échelle, qui, par la fragmentation
et la répétition de sa structure, l’a menée vers l’installation.
Certains travaux se modifient d’une exposition
à l’autre, au gré des espaces qu’ils occupent.
Victoria Arney va là où sa curiosité la pousse.
La gravure lui permet de faire évoluer une idée de base
par le processus et le hasard, utilisant des techniques
variées tel un vocabulaire que l’artiste mixe pour
de nouvelles idées.
Cette notion d’inconnu lui plaît, Victoria est elle-même
une part du voyage.
La vision de paysages m’apporte toujours
un sentiment de tristesse.
À mon sens, il est très important, en cette période de
changement climatique, que l’artiste occupe l’espace
émotionnel qu’offre le paysage.
Je tente d’amener le spectateur à s’interroger
sur notre place au sein de la nature,
ainsi que sur les liens qui nous unissent à elle.
Victoria Arney a son atelier à Junas, dans le Gard, en France.
Elle y propose des cours de gravure et d’impression.
Page 44 : Magpie 2019, monotype avec braille
Page 45 : Écho, 107 × 150 cm, installation à Parcours d’art Avignon, monotype sur papier noir et des mauvaises herbes, 2018
Page 46 : Champs, installation, gravure sur bois et papier Kozo et papier fluorescent, 400 × 250 cm
Page 47 : Fleabane, monotype avec braille et papier flo, 200 × 150 cm
Pages 48 et 49 : Serre I et Serre II, eau-forte sur zinc, papier coloré Zerkall, 107 × 55 cm
44
45
46
47
victoria arney
Chapeau de Paille Studio
2, rue du Porche
Junas, 30250 (France)
00 33 781521486
www.victoriaarney.com
www.facebook.com/victoria.arney
www.instagram.com/victoriaarney
48
49
www.facebook.com/profile.php?id=100011565132477
www.instagram.com/vmoreau_art
www./vincentmoreau.ch
50
Vincent Moreau
Né en 1958, à Paris. De nationalités suisse
et française, Vincent Moreau vit et travaille
en Suisse, à Lausanne, où il a suivi une formation
scientifique à l’École polytechnique fédérale
jusqu’à y obtenir un doctorat en aérodynamique.
Simultanément, il nourrit une véritable passion,
apparue dès son adolescence, pour l’expression
picturale qu’il développe en autodidacte
par son travail ainsi qu’au contact de rencontres
et de multiples influences.
Cette double polarisation, scientifique
et artistique, lui vaut en 1989 de rejoindre
une importante société active dans le monde
entier dans le domaine de l’impression
des billets de banque.
Ainsi lui est offerte l’opportunité de découvrir
de très près le monde de la gravure,
puisque la plupart des billets de banque sont
imprimés en taille-douce ; leur circulation constitue
donc la plus large diffusion d’estampes
du monde moderne. En collaboration étroite
avec les dessinateurs aquarellistes
et les graveurs burinistes, Vincent Moreau
participe à la conception et à la création
de nombreux billets de banque dans les pays
les plus divers ; il y a là autant d’expériences
culturelles sur les différents continents qui
vont influencer et nourrir son travail artistique
personnel. C’est à l’atelier Aquaforte, à Lausanne,
qu’il se perfectionne à la gravure en taille-douce
avec Monique Lazega ; depuis de nombreuses
années, il travaille à l’atelier de gravure
de Raymond Meyer à Lutry, en Suisse,
mais également à l’atelier Pasnic à Paris,
spécialisé dans la taille-douce au carborundum.
Malheureusement, du jour au lendemain,
les presses s’arrêtent à l’atelier Pasnic ;
à la suite de la disparition soudaine
de Pas et de Nic, l’atelier n’est plus depuis
avril 2019. Plus récemment, Vincent travaille
à l’atelier de Pablo Flaizman, à Paris, afin
d’apprivoiser la technique de l’aquatinte grâce au
regard et à la générosité de Pablo.
Son entrée comme membre sociétaire à l’Institut
européen de l’aquarelle et les nombreuses
expositions individuelles et collectives tant
en Suisse qu’à l’étranger (Lausanne, Londres,
Paris…) consacrent ce parcours. Il est également
membre de la Fondation Taylor
(Association des artistes, peintres, sculpteurs,
architectes, graveurs, dessinateurs)
et de l’International Banknote Designers
Association, qui regroupe plus de
250 dessinateurs et graveurs de billets de banque
actifs dans plus de 70 pays. De plus, il est artiste
de la Galerie L’Échiquier, à Paris 10 e .
Ses œuvres sont présentes dans plusieurs
collections privées et publiques (Fondation
du Kunsthaus de Grenchen, Suisse ; Fondation
Édouard-Vallet à Vercorin, Suisse ; Bibliothèque
cantonale universitaire du canton de Vaud…).
51
Cheminements
Son travail l’engage, à l’évidence, sur la voie
d’une constante recherche tant en dessin
qu’en gravure. En témoigne la diversité
des supports, des formats, des techniques,
des thématiques. Si le papier l’intéresse
par sa texture, sa consistance fragile et les effets
qu’elles autorisent, il apprécie tout autant
la souplesse d’une toile sans châssis.
Au dessin, les fonds sont préparés au pinceau
et recouverts de badigeons de différents
pigments superposés en très fins glacis.
La couleur effleure le support et affleure
imperceptiblement. Les formes sont ensuite
dessinées au crayon Conté, au crayon soluble,
à la craie, au pastel et rehaussées à la gouache,
parfois travaillées avec les doigts.Il effectue
de multiples esquisses directement sur le motif,
puis il aime à retranscrire ses premiers dessins
en variant les matières et corrélativement les
formats, ainsi de la gravure au carborundum
qui permet de créer de grands formats.
Car Vincent se plaît à rappeler que l’œuvre
picturale est originairement matière ; il n’y a donc
pas d’abord une forme clairement, définitivement
identifiée au préalable et à représenter le plus
fidèlement possible, mais une exploration
matérielle et formelle qui donne lieu à autant
de métamorphoses d’une trace sensible.
Selon la formule de Michel Haas : « La matière
permet d’ouvrir de nouveaux champs visuels.
Il n’y a pas, d’une part, des sujets et, de l’autre,
une matière. Il y a une création permanente
de l’image par la matérialité et, en même temps,
celle-ci n’existe que parce qu’il y a une image. »
D’où le traitement de séries qui explorent une
thématique selon différentes matières
et techniques de gravure.
Pour autant, si le travail de Vincent Moreau
prend vraiment forme d’œuvre exigeante,
c’est bien que cette exploration inséparablement
matérielle et formelle, cette apparente diversité
thématique dévoile au fil de sa production
une unité de préoccupation implicite
qui constitue le sens et la dynamique
de sa recherche. En effet, une longue familiarité
avec ses travaux m’amène à être toujours aussi
frappé par la paradoxale tension d’abord entre
la fragilité du support papier et la puissance
des intensités et effets de présence, mais aussi
entre son intérêt pour l’évanescence
de sujets labiles (les vagues, les éclairages
alpins, l’étreinte des rencontres ou des
séparations, le surgissement furtif d’un navire
émergeant du brouillard avant d’y disparaître,
l’élan d’une foule en mouvement…)
52
ou la vulnérabilité des êtres (la bouleversante
expression des vieilles femmes dans le
dessin Attente par exemple) et la puissance
d’éclat de ces fragiles présences.
Ces tensions révèlent que Vincent Moreau,
à l’instar de tout véritable artiste pictural,
ne se livre pas à une exploration
superficiellement ludique des formes, matières
et thématiques, mais questionne les illusions
de la mimesis, celles qui nous font croire
à une permanence des formes par-delà
le chatoiement des phénomènes,
à une immuabilité des êtres par-delà le devenir,
aussi tragique soit-il.
L’œuvre de Vincent nous donne donc
à sentir le miracle fragile des phénomènes,
des êtres dans l’entre-deux de ce que Vladimir
Jankélévitch nommait l’apparition disparaissante,
et qui est le propre de toute vraie présence dans
son mystère, puisque celle-ci n’apparaît comme
telle qu’au prix d’une dimension d’absence.
En effet, nous ne voyons les réalités
que d’un point de vue partiel, partial,
à l’exclusion de tout panoptisme totalisant,
et cette finitude du regard ouvre paradoxalement
à la profondeur mystérieuse du réel.
Mais c’est également en donnant à sentir
la temporalité des choses et des êtres
par la dynamique des sujets que nous est
donnée à éprouver l’absence.
D’où le refus de la précision mimétique,
de l’épuisement par le détail qui figent
les êtres jusqu’à l’aplatissement, même dans
leur mouvement, au profit de l’insaisissable trace
de leur apparition, donc de leur passage dans
le champ du visible, marque de « leur viatique
pour l’éternité », pour reprendre de nouveau
Vladimir Jankélévitch. Ses travaux les plus
récents sur l’empreinte des visages dans
des oreillers approfondissent à l’extrême
cette recherche. Le traitement toujours plus
monochromatique auquel il procède depuis
des années et l’abandon corrélatif de la couleur
iraient peut-être dans le double sens d’une
simplification qui intensifie l’éclat de présence
et du deuil promis par l’évanescence.
Le travail de Vincent Moreau donne ainsi
à la fragilité sa force de manifestation,
ce qui est une belle manière de rendre
justice, dans la perpétuelle quête du presque
insaisissable, à la grâce du visible, étrange
et miraculeux. Ses premières études
scientifiques consacrées à l’aérodynamisme
portaient peut-être obscurément les prémices
de cette quête !
Serge Le Diraison, août 2019
53
Irrésistibles
présences
Exposition personnelle à la Galerie L’Échiquier,
Paris 10 e
« Faut voir ce que ça donne ! »
aime toujours à dire Vincent Moreau
au fil de son chemin de recherche dont
témoignent ses séries, explorations matérielles
et formelles, inséparablement,
autour d’esquisses préalables sur le motif
dont il ne reste plus que l’essentiel. Une vraie
ascèse en noir et blanc, sans plus rien qui pose
ou qui pèse, ni jolie rhétorique, ni confortable
ou rassurante représentation décorative.
Juste les griffures de la gravure ; la densité
nuancée des encres qui informe,
54
structure sous nos yeux le jaillissement
du phénomène, comme un cri. L’essentiel ?
Précisément, la révélation de ce que ça donne
à voir, la violence de la donation du visible,
ce qui manque d’une appellation,
selon Paul Valéry : le surgissement de l’intense
présence qui porte le motif.
Le déferlement, plus que la vague ; l’irrésistible
avancée, plus que le navire ; l’élan de l’étreinte,
plus que le détail des traits des amants ; la force
concentrée de la lecture, plutôt que le visage
du lecteur ; le mouvement de la chevelure,
plutôt que la coiffure…
Il faut effectivement cette ascèse
de la représentation, à laquelle nous convie
Vincent Moreau, pour en revenir à l’essentiel,
l’émotion de la vision, contre la reconnaissance
léthargique des formes établies.
Serge Le Diraison, août 2019
Page 50 : Remorqueur, carborundum, 80 × 60 cm, 2019
Page 51 : Pianiste, carborundum, 70 × 100 cm, 2018
Page 53 : Pluie, carborundum, 80 × 70 cm, 2016
Page 54 : Bateau, carborundum, 60 × 53 cm, 2019
Page 55 : Bateau 2, pointe sèche, 22,5 × 20 cm, 2019
Pages 56 et 57 : Vague, carborundum, 62,5 × 87 cm, 2018
55
56
57
Le Prix de Gravure Mario Avati
-Académie des beaux-arts :
un prix pour encourager
la gravure contemporaine
Attribué pour la première fois en 2013
à Jean-Baptiste Sécheret, puis à
Christiane Baumgartner, Devorah Boxer,
Agathe May, Wendelien Schönfeld et, en 2018,
à Jan Vičar, le prix a été créé en hommage au
graveur Mario Avati, grâce à la donation d’Helen
et Mario Avati, sous l’égide de l’Académie des
beaux-arts et le parrainage de CAF America.
D’envergure internationale, le prix a vocation
à encourager les artistes qui, par la qualité
de leur œuvre, contribuent à faire progresser
l’art de l’estampe, à laquelle Mario Avati
a consacré sa vie. Il récompense un artiste
confirmé, de toute nationalité,
pour son œuvre gravée, quelle que
soit la technique d’impression utilisée.
Il est doté d’un montant de 40 000 dollars
américains.
Le jury 2019 était composé de :
- Pierre Collin, membre de la section de gravure
de l’Académie des beaux-arts ;
- Érik Desmazières, membre de la section
de gravure de l’Académie des beaux-arts ;
- Astrid de La Forest, membre de la section
de gravure de l’Académie des beaux-arts ;
- Pierre-Yves Trémois, membre de la section
de gravure de l’Académie des beaux-arts ;
- Virginie Caudron, directrice du Musée du dessin
et de l’estampe originale de Gravelines ;
- Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia ;
- Cécile Pocheau-Lesteven, conservatrice
en chef du Département des estampes
et de la photographie
à la Bibliothèque nationale de France ;
- Jan Vičar, lauréat de l’édition 2018 du prix.
Page 58 : Blueprint/vestige # 1, suite de 8 pointes sèches, 100 × 150 cm, 2019
Page 59 : Dôme, pointe sèche sur Gampi, cousue et doublée de papier japonais Sekishu, 2018
58
Prix Mario Avati
L’Académie des beaux-arts vient de décerner
le 7 e prix de gravure Mario Avati - Académie
des beaux-arts à Jenny Robinson.
L’Académie avait reçu cette année
nonante et une candidatures.
Artiste peintre et graveur née au Royaume-Uni,
Jenny Robinson a étudié au West Surrey College
of Art and Design en Angleterre, où elle a obtenu
son diplôme des beaux-arts et de gravure.
Elle a par la suite beaucoup voyagé à travers
le monde et s’est installée à San Francisco en
2000. Elle réside actuellement en Slovénie.
Ses travaux portent sur l’environnement urbain
et son caractère éphémère. Elle est fascinée
par le cycle constant de décomposition
et de renouvellement qu’il subit. Ses images
décrivent la corrosion et le délabrement, invitant
le spectateur à réfléchir à la fragilité de notre
environnement urbain. De plus en plus inventive
dans ses méthodes et dans l’utilisation
de matériaux, Jenny Robinson
a mis au point de nouvelles techniques pour
fabriquer des plaques à partir de grandes feuilles
de carton ou d’aluminium et pour imprimer
avec des matériaux non toxiques. Elle expose
régulièrement aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Elle a enseigné la gravure au Kala Art Institute
de Berkeley, à l’Institut d’art contemporain de
San José, au Centre du livre de San Francisco,
ainsi qu’à l’Université de Chico.
Le prix a été remis à la lauréate
lors de la séance solennelle
de l’Académie des beaux-arts
qui s’est tenue le 27 novembre
sous la Coupole du Palais
de l’Institut de France.
Une exposition de ses œuvres
sera organisée
au Palais de l’Institut de France
au début de l’année 2021.
www.jennyrobinson.com
www.academie-des-beaux-arts.fr
59
60
61
62
63
64
5, rue Pierre-Sémard
75 009, Paris, France
paris@gallix.fr
www.gallixproduction.fr
La Chine rouge en noir et blanc :
Hu Jie, cinéaste et graveur
Un film de Bertrand Renaudineau
et Gérard da Silva
(53 minutes)
Hu Jie est le prodigieux cinéaste indépendant
chinois qui a produit et réalisé – seul –
une trentaine de documentaires sur la famine
du Grand Bond en avant et les massacres
de la révolution culturelle. Mais il est également
un graveur original et puissant.
Hu vit et travaille à Nankin, en Chine.
Lors d’une brève escale en France, en 2019,
Bertrand Renaudineau lui a demandé
de commenter ses estampes, sa démarche
d’artiste, et d’en résumer le contexte.
Du second meurtre de la révo. cul., en août 1966,
celui de la directrice du lycée de filles
le plus célèbre de Pékin par ses lycéennes
(dont celle qui sera récompensée en enfilant
le brassard de la garde rouge au coude de Mao
Zedong sur la tribune de la Porte de la Paix
céleste, Tiananmen), jusqu’au martyre
de Lin Zhao, après des années de torture,
abattue dans la prison de Shanghai
(pour célébrer le 1 er mai 1968), où elle écrivit
des milliers de lignes avec son sang
et une épingle à cheveux sur des lambeaux
de tissu, pour dénoncer la grande famine
qui fit 35 millions de morts, Hu Jie est le sobre
et patriote chroniqueur des innombrables crimes
et massacres de masse, désormais réprouvés
en Chine, mais que l’Occident a trop vite oubliés
après les avoir encensés.
Pourtant, les petites tueuses madame-maoïstes,
quarante années après sa mise à mort,
ont fait leur autocritique en s’inclinant devant
le buste de la proviseure assassinée.
Et Lin Zhao a été réhabilitée en 1980
par le tribunal de Shanghai.
Le Grand Bond en avant et la révo. cul.
sont désormais critiqués et condamnés en Chine,
mais subsistent en Occident des relents
des louanges qu’avaient chantées les intellectuels
et les journaux français.
Le film de Bertrand Renaudineau
et Gérard Da Silva donne, pour la première fois,
à Hu Jie l’occasion d’expliquer qu’il fut graveur
avant même de devenir cinéaste ;
comment, dès 2004, il a libéré l’âme
de la jeune martyre Lin Zhao, suscitant ainsi,
par ses estampes et ses films, les biographies
récemment publiées à travers le monde.
Dans ce 52 minutes La Chine rouge en noir
et blanc, sous la gouge de Hu Jie,
sous les rouleaux des presses,
en noir et blanc sur le papier des gravures,
ce sont les flots de sang rouge – vite noircis – `
des Chinois et de leur histoire récente
qui s’écoulent et sèchent.
Hu est un maître de la gravure sur bois,
dans la lignée expressionniste renouvelée
de Käthe Kollwitz, que Lu Xun fit connaître
en Chine. C’est aussi un maître de l’invention
d’images qui restitue, par ses gravures, dont
celle réalisée à Paris pour ce film, et le dessin
préparatoire au tirage, des moments parmi
les plus terrifiants des crimes organisés contre
le peuple chinois, qu’il convient – pour
les comprendre – de ressortir des poubelles
de l’Histoire.
René Viénet, 13 juillet 2019
65
SOPHIE DOMONT
Une série de clins d’œil au siècle d’or de la peinture espagnole. Splendeur des atours,
magnificence des représentations humaines émaillées en toile de fond par de bien étranges
personnages. Des œuvres qui décrivent un monde parfait, mais en y regardant de plus près,
le vernis se craquelle.
Ce sont les pistes qui ont orienté ma proposition, avec notamment des références
à José de Ribera et El Greco.
www.sophiedomont.odexpo.com
JULIEN MéLIQUE
TRAGALA PERRO, MUCHO HAY QUE CHUPAR HASTA LA MUERTE !
Los Caprichos (caprices, fantaisies) de Goya fourmillent de détails critiquant avec humour et cynisme
les mœurs de son époque, n’hésitant pas à créer des êtres hybrides répugnants dans des situations
souvent absurdes pour dénoncer abus, croyances et paradoxes de la société espagnole
de la fin du XVIII e siècle. De cette satire gravée sont extraits et mis en scène certaines figures et détails
visuels : comment résonnent-ils aujourd’hui, que peuvent-ils bien encore nous apprendre
hors de leur contexte initial ?
Bien que l’aspect visuel des Caprichos soit fondamental, il existe des textes précisant
la compréhension des messages visuels. En plus des titres suggestifs des estampes,
Goya et ses contemporains laissèrent de nombreux commentaires et annotations
(grâce à ces légendes est connue l’opinion des contemporains de Goya
et par conséquent l’interprétation de l’époque). Ces titres bien souvent ambigus offrent une première
interprétation, littérale, et une deuxième violemment critique, au moyen de jeux de mots.
Là aussi, la confrontation d’extraits de certains d’entre eux avec certains détails visuels cherche
à établir de nouveaux liens avec notre société aujourd’hui.
Ponctionner ces éléments visuels et textuels de Goya et les replacer ailleurs, autour d’un jeu se voulant
symbole et caricature des paradoxes de la société moderne : ultralibéralisme,
surconsommation, aliénation, manipulation ou autres entraves aux principes de vie et d’entente entre
les êtres vivants, permets là encore de se confronter aux paradoxes et dysfonctionnements de notre
société aujourd’hui, de les dénoncer. La vision de Goya reste donc très actuelle, elle est peut-être
un moyen de se distancier d’une société de plus en plus prégnante. La satire comme arme.
http://www.melique.fr
JOËLLE DUMONT
J’ai choisi de m’inspirer du tableau de Mariano Fortuny Malvas reales.
Le thème traité par cette œuvre rejoint celui sur lequel je travaille depuis quelque temps et a guidé
mon choix. J’essaie de traduire, à travers la représentation des fleurs communes des jardins,
la beauté, la résistance et la fragilité au passage du temps. Fanées, elles font appel à nos souvenirs
de ce qui a été et, en même temps, au travers des graines qu’elles sèment, au futur en devenir.
En sortant de la simple représentation, je souhaite ouvrir la voie au rêve.
C’est également un hommage à la région dans laquelle je vis depuis peu de temps
et où ces fleurs poussent à tous les coins de rue et sont vraiment emblématiques des villes
et des îles des alentours.
www.joelledumont-atelier.blogspot.com
66
OPÉRATIOn PRADO
À l’occasion du bicentenaire du Prado,
l’Espacio Bop et l’artiste Said Messari
nous ont invités à présenter des œuvres inspirées
du travail d’artistes espagnols figurant dans
les collections du musée.
Notre collectif, composé de six artistes plasticiens
et graveurs, y présente un large panel
de techniques de l’estampe contemporaine dans
lequel on trouve le burin, la gravure carton,
la taille-douce, la xylogravure... mais également
l’utilisation d’autres médiums comme la photo,
l’estampage ou le dessin.Installations et œuvres
graphiques revisitent l’univers envoûtant
des peintres du Prado choisis par les artistes
présents pour donner leur vision contemporaine
de ces œuvres majeures.
Le public pourra découvrir le cheminement
de la création des œuvres à travers les carnets
de recherche des artistes.
Les artistes du collectif : Sophie Domont,
Joëlle Dumont, Julien Mélique,
Dominique Moindraut, Pascale Simonet
et Ximena de Leon Lucero.
Contact :
Carlos E. Ormeño Poblete
estudio@lorenzoalonsoarquitectos.com
Commissaires d’exposition :
Sophie Domont et Carlos E. Ormeño Poblete
Sophie Domont
Joëlle Dumont
Julien Mélique
67
Dominique Moindraut
Ximena de Leon Lucero
68 Pascale Simonet
PASCALE SIMONET
D’après le retable Les Joies de la Vierge, de Jorge Inglés, Pascale Simonet a construit
un autoportrait : Les Tribulations de la Magnifique. Dans cette transmutation de la vie de la Vierge
en sa propre vie, l’artiste a voulu dans cet autoportrait inscrire les différentes tribulations
de son parcours : les moments et les personnes qui ont participé à la construction de sa route.
Reprenant les codes du retable, le morcellement, le personnage central, la présence de l’or
et les prédelles, Pascale Simonet articule un ensemble de réalisations (impression, collages, photos,
dessins et écritures) pour donner une représentation des fragments de sa vie comme Jorge Inglés le
fait pour ces moments particuliers de la vie de la Vierge.
Ce travail s’inscrit dans une recherche permanente de l’artiste : celle de la trace, de la marque, de ce
qui est et du va-et-vient qui le sous-tend. Le portrait est posé sur une impression réalisée à partir d’un
carton gravé directement sur le macadam d’une route ; les différents moments relatés sont imprimés
sur un papier recyclé fabriqué par l’artiste à partir d’anciennes estampes ; les livres prédelles installés
au sol présentent les visages de ceux qui ont laissé des traces dans la vie de la Magnifique.
De trace en trace, l’ensemble donne à voir le puzzle du portrait de l’artiste.
www.pascale-simonet.fr
XIMENA DE LEON LUCERO
A medio comer est une série d’estampes (burin, pointe sèche, manière noire et monotype
sur cuivre) qui représente schématiquement un détail de l’œuvre Saturne dévorant un de ses fils,
de Francisco José de Goya y Lucientes.
Le projet, cette série d’estampes, trouve son origine dans le sentiment qui se détache, qui nous
envahit, quand on contemple ce tableau de Goya.
Le regard pénétrant inclut le spectateur dans l’acte même de dévorer… Effroi, dégoût,
complicité… à chaque spectateur son ressenti.
www.ximena-art.com
DOMINIQUE MOINDRAUT
LA LUMIÈRE DU NÉANT
L’angoisse mêlée à une lumière incertaine enserre Le Chien peint par Francisco de Goya.
Ce tableau du Prado, le plus mystérieux des Peintures noires, a été le point de départ de ma réflexion
sur l’incertitude, le questionnement, le passage du temps, l’usure. Cela m’a aussi amenée à réfléchir
au chemin difficile du drame qui sous-tend cette série de peintures que Goya a réalisées en recouvrant
de sujets et de teintes sombres ses peintures joyeuses.
Il a enfoui sous la peinture de l’angoisse la lumière qui, pourtant, toujours présente, cherche son chemin
pour resurgir au cœur des teintes sombres.
La série d’estampes présentée figure ce cycle perpétuel qui va de la présence à la disparition,
de la création à la décomposition, et amène une forme tragique de la fin.
À partir de matrices carton encrées en taille d’épargne ou en taille-douce,
en superposition qui va du rouge au noir, je retrace cette route douloureuse qui,
de transformation en transformation, d’enfouissement toujours plus profond de la lumière,
va jusqu’à la disparition de l’œuvre elle-même.
Au bout de ce chemin qui révèle la solitude et la souffrance de notre condition humaine
arrive le néant de la décomposition totale de l’image.
www.dominiquemoindraut.com
69
Tarifs 2010
Abonnement
un an / 4 numéros,
un Hors-Série Gratuit et un cadeau
frais de port compris
Belgique Europe Monde
100 € 120 € 150 €
Abonnement
un an /4 numéros
avec gravures signées et numérotées.
un Hors-Série Gratuit et un cadeau
frais de port compris
Belgique Europe Monde
300 € 320 € 370 €
Pour vous abonner, il vous suffit de virer le montant sur le compte :
BE39 0689 0083 8219 BIC:GKCCBEBB
avec en communication : Abonnement à Actuel de l'Estampe, votre nom, votre adresse et votre numéro de téléphone.
Ou, via Paypal, sur le site http://www.actueldelestampe.com
70
France:
Joop Stoop
12 rue Le brun
75013 Paris
joopstoopparis@gmail.com
+33 1 55 43 89 95
www.joopstoop.fr
Belgique:
K1L
rue Sergent Sortet, 29
1370 Jodoigne
editions.k1l@gmail.com
+32 497 51 63 85
www.k1leditions.com
Papiers
encres
outils
presses
71
72