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SAGESSE Vivre dans la gratitude En ne considérant plus la Terre comme un endroit où tout peut être acheté ou vendu, mais comme un lieu de richesse et de générosité, vous ouvrez la porte à une vie de gratitude et d’émerveillement. TEXTE SARAH DOMOGALA PHOTOGRAPHIES UNSPLASH Il y a deux ans, nous avons quitté la ville pour une maison en province avec un jardin, immense aux yeux de l’urbaine que j’étais. Cet écrin de verdure avait été entretenu avec amour pendant quarante ans par le précédent propriétaire qui y avait planté quantité de fleurs, de plantes et d’arbres. Nous sommes en plein été lorsque nous déballons nos affaires et la floraison du jardin est à son comble. Émerveillés, nous foulons les petits sentiers qui sillonnent une nature sauvage et verdoyante. Je ressens d’emblée une responsabilité envers ce morceau de terre et la question suivante me traverse l’esprit : qu’allons-nous en faire ? Allons-nous l’éclaircir ? Y planter davantage de fleurs et de plantes comestibles ? Un pré fleuri ? Je connais bien la nature sauvage, nous avions d’ailleurs eu un petit jardinet, mais je n’avais encore jamais eu à aménager un tel terrain. Le jardin est magnifique, mais tellement grand : mes connaissances en botanique serontelles suffisantes ? Les mauvaises herbes qui poussent entre les rochers sont précisément le genre de plantes que j’aimerais avoir dans mon jardin. Jungle indomptable Nous devons d’abord nous occuper des travaux de la maison et laissons donc le jardin de côté pendant un moment. À l’automne, les plantes qui fanent nous offrent un arc-en-ciel de couleurs. Mais, l’hiver venu, la rénovation touche à sa fin et je regarde de nouveau notre jardin dégarni d’un œil critique. Qu’allons-nous enlever ? Qu’allons-nous garder ? Nous arrachons quelques arbustes et abattons un arbre qui menace de tomber, mais en lieu et place de l’enthousiasme qu’aurait dû susciter un tel chantier, je n’ai qu’une envie : pleurer. C’est fou, j’avais pourtant appris que le jardinage est bon pour la santé : le gazon doit être tondu et les mauvaises herbes arrachées – laisser la nature suivre son cours reviendrait à ne jamais ranger sa maison. Lorsque le printemps arrive, le jardin explose littéralement. Nous sommes d’abord surpris par l’abondance de fleurs et de salamandres. Un arbre nous régale même de ses baies sucrées. Mais très vite cette végétation m’apparaît comme une jungle que je ne parviendrai jamais à dompter. J’essaie de désherber quelque peu, sans vraiment oser. Qu’est-ce que je suis en train d’arracher ? Cela a-t-il du sens ? Entre-temps, tout prolifère, les sentiers deviennent vite impraticables et j’ai de plus en plus de mal à me frayer un chemin jusqu’aux poules au fond du jardin. J’installe un banc devant la maison, je préfère prendre mon café matinal du côté de la rue. C’est fou quand même. Nous avons enfin un terrain sur lequel je pourrais donner vie à toutes mes idées de permaculture, aménager un jardin d’herbes aromatiques, un potager, planter des arbres fruitiers… Mais à chaque plante que je touche, chaque fleur que je cueille, c’est comme si je prenais quelque chose qui ne m’appartient pas. J’ai presque l’impression de voler quelque chose dans un magasin. Quoi que je fasse, je ne retrouve rien de cet enthousiasme potager qui me faisait vibrer sur Instagram et dans mes livres de jardinage branchés. Le jardin ne me veut pas, c’est clair. L’automne venu, je le laisse à nouveau dépérir, intact. Kondo au jardin Cet hiver-là, je suis restée à l’intérieur, au coin du feu, et nous avons déballé les derniers cartons de notre déménagement. En redécouvrant la série de Marie Kondo, la gourou du rangement, une sorte de révélation prudente > happinez | 47