AR MAGAZINE VOYAGEUR N° 54
Magazine de voyage (trimestriel)
Magazine de voyage (trimestriel)
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MAGAZINE VOYAGEUR
Nouvelle
formule
L 13134 - 54 - F : 6,90 € - RD
PRINTEMPS 2021
GOLFE
DU MORBIHAN
VALLÉE
D’AOSTE
PHILIPPE
GELUCK
LIVRADOIS
FOREZ
10
PHILIPPE GELUCK
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Michel Fonovich
mfonovich@ar-mag.fr
RÉDACTRICE EN CHEF
Sandrine Mercier
smercier@ar-mag.fr
DIRECTION ARTISTIQUE
Florine Synoradzki
& Julie Rousset
GRAND-REPORTER
Christophe Migeon
cmigeon@ar-mag.fr
CHEF DE PROJET DIGITAL
Anne Nhung Paulhe
STAGIAIRE
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COMMUNITY MANAGER
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DIFFUSION
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(Réservé aux professionnels)
Abomarque : 06 81 09 44 57
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44, rue Notre-Dame-des-Victoires
75002 Paris
Tél. : 01 44 88 97 70
Tél. : 01 44 88 suivi de 4 chiffres
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Directrice générale :
Corinne Rougé (93 70)
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Sandrine Kirchthaler (89 22)
Sylvain Mortreuil (24 60)
IMPRIMEUR
Imprimerie de Champagne
A/R MAGAZINE VOYAGEUR
c) Version Publication ligne trimestrielle
Édité par les éditions du Plâtre
SAS au capital de 10 000 €
1 rue du plâtre — 75004 Paris
Tél. : 06 87 83 22 56
R.C.S : 523 032 381
ISSN : 2108-3347
CPPAP : 1025 K 90544
Dépôt légal à parution
© A/R Magazine voyageur
La reproduction, même partielle,
des articles et illustrations publiés
dans ce magazine est interdite.
IMAGE DE COUVERTURE
2) © Modèle Reno Marca court :
a) Format portrait : b) Version ligne
IMAGE DE SOMMAIRE
© Jeremy Suyker
MERCI À TOUS
NOS CONTRIBUTEURS
Katia Astafieff, Julien Blanc-Gras,
Guillaume Cromer, Laurent Delmas,
Antonio Fischetti, Élisa Gerlinger,
Aurélien Gillier, François Mauger,
Solveig Placier, Tristan Savin,
Jeremy Suyker, Thomas Vanden
Driessche, Albert Zadar.
3) Modèle WWW.AR-MAG.FR
minima
a) format portrait b) Version ligne
16
GOLFE DU
MORBIHAN
40
VALLÉE D’AOSTE
58
LIVRADOIS-FOREZ
74
POLOGNE
90
OUAGADOUGOU
Le modèle complet est à privilégier, les autres peuvent être utilisés selon l’espace
disponible.
1954
Philippe Geluck
naît à Bruxelles.
1972
Philippe Geluck est reçu
à l’INSAS (Institut National
Supérieur des Arts
du Spectacle).
1983
Le Chat apparaît pour
la première fois dans les
pages du journal Le Soir.
1986
Le premier album du Chat
paraît aux éditions
Casterman. Le succès est
immédiat en Belgique, plus
confidentiel en France.
2018
En avril, Philippe Geluck
réalise son dernier dessin
quotidien pour l’appli
Le Chat. En tout, plus de
2 500 dessins ont été publiés
entre 2010 et 2018.
2020
Le Chat est parmi nous,
le 23 e tome du Chat paraît
en octobre chez Casterman.
2021
Dès fin mars, 20 sculptures
en bronze monumentales
du Chat s’exposent sur
les Champs-Élysées.
À partir de juillet, tournée
en France en commençant
par Bordeaux.
PHILIPPE GELUCK
D’un naturel sédentaire, Philippe Geluck
ne rêve pas de voyages lointains. Jouer à Tintin,
très peu pour lui et ça tombe bien, car son
alter ego, Le Chat, n’envie pas Milou obligé
de cavaler derrière son maître aux quatre coins
du monde. Bruxelles, Paris, un village en Ombrie,
c’est son triangle des Habitudes où il ne risque
pas de disparaître.
TEXTE MICHEL FONOVICH
PHOTOS THOMAS VANDEN DRIESSCHE
Nous voici à l’hôtel du Vieux Marais.
Vous n’avez rien contre les vieux, j’espère ?
Plus depuis que j’ai eu 65 ans, il y a un an et demi. Je ne peux plus rien dire contre
les vieux, je pourrais mal prendre mes propres blagues.
Et Le Chat, quelle santé ! Il n’a pas pris une ride, quel est son secret ?
C’est impossible de savoir avec les chats puisqu’on dit qu’ils ont neuf vies d’une
part et que d’autre part, il faut multiplier par sept les années des chats, je crois,
pour avoir un équivalent de l’âge humain, donc le mien serait Mathusalem.
Il reste gamin dans sa tête, il reste frais, il reste étonné de ce qui lui arrive,
il reste candide et parfois très vicieux dans ses raisonnements.
Le Chat voyage-t-il ?
Il voyage dans ma tête. Il voyage peu. Deux albums, Le Chat au Congo et Le Chat
à Malibu laissent penser qu’il est allé là-bas, mais on ne le voit jamais sur place.
Si Le Chat ne voyage pas tellement, est-ce que vous voyagez ?
Très peu. D’une part, je manque de temps, d’autre part pour une raison éthique
j’essaye de consommer le minimum de carbone, donc j’évite surtout les petits
voyages en avion comme un week-end à Lisbonne ou à Rome. Je suis allé trois fois
à New York dans ma vie, mais à chaque fois ça m’a posé un problème puisqu’on
sait qu’un aller-retour Bruxelles-New York fait fondre un ou deux mètres carrés
de banquise par passager. Quand on sait ça, on se dit qu’on fait mieux de voyager
à vélo autour de chez soi.
10 ENTRETIEN
ENTRETIEN
11
— GOLFE DU MORBIHAN & VANNES —
ENTRE CIEL
ET MER
TEXTE MICHEL FONOVICH
PHOTOS JEREMY SUYKER
Au sud de la Bretagne, la mer lassée de l’agitation
du grand large a trouvé un refuge dans une
échancrure de la côte. C’est un golfe tranquille
où des îles gracieuses se prélassent en se riant des
tempêtes. À l’abri derrière ses remparts, Vannes,
ne se lasse pas de contempler sa « petite mer »
(mor-bihan) tout en chérissant les balcons du
golfe, ces « terres hautes » parsemées de dolmens,
menhirs, chapelles et ruines mystérieuses.
Le golfe en kayak
Premier coup de pagaie
Ce matin-là, à la pointe du Ruault, le ciel bas et lourd pèse
comme un couvercle sur la « petite mer » dont la surface aussi
lisse qu’un potage reflète le teint grisâtre limite verdâtre du
ciel. Accrochés à leurs rochers, quelques bigorneaux d’humeur
maussade jurent qu’on ne les reprendra plus à se fier aux prévisions
météo à la mode de Bretagne. Comme si c’était la première
fois que ces incorrigibles gastéropodes se laissaient
abuser ! Éparpillées sur l’eau étale du golfe du Morbihan, les
îles très plates semblent comme des nénuphars flottant sur un
étang. En l’absence totale de vent et de vagues, la balade en
kayak de mer s’annonce des plus tranquilles d’autant que l’on
peut compter sur un esquif de qualité, le Béluga II. Hervelyne
Guilloux, notre guide qui fut vice-championne de France de
canoé-kayak dans les années 1970 ne l’a pas choisi par hasard,
mais sur la foi d’une longue expérience. Selon ses dires, il n’a
pas d’égal pour se faufiler entre la quarantaine d’îles – privées
pour la plupart – ayant le privilège de résider dans le golfe.
« Insubmersible, il fait presque six mètres de long, il a des coffres
étanches et un petit gouvernail à l’arrière qu’on dirige avec les pieds.
Il peut avancer vite même dans des mers formées. Et en plus, il est
local ; c’est la société Plasmor qui le fabrique. Elle était basée à
Vannes, mais a récemment déménagé en Ille-et-Vilaine. » Pour
compléter le portrait, ajoutons que le Béluga II dispose de deux
larges hiloires dans lesquelles nous nous coulons avec facilité
avant d’empoigner nos pagaies et de mettre le cap sur l’île d’Ilur
à environ deux kilomètres au nord. En dépit d’une trajectoire
assez éloignée d’une ligne droite idéale, on laisse rapidement
derrière nous la petite île des Œufs. Sur son rocher isolé, un
cormoran qui tel un Christ en croix gardait ses ailes mouillées
grand ouvertes pour les faire sécher, nous observe avec méfiance
du coin de l’œil, se tenant prêt à s’envoler en cas d’approche
intempestive. Mais déjà, on longe l’île Iluric où sur l’estran
patrouillent des huîtriers pie. De leur long bec rouge taillé
comme le nez de Pinocchio, ces emplumés sondent le sable en
quête de moules et de coques pour leur petit-déjeuner.
Ilur, l’île nature
Encore un effort, et nous abordons sur une plage déserte de
l’île d’Ilur (environ 1 km de long, largeur maximale 800 m)
couronnée de cyprès et de pins maritimes. Aucune navette ne
vient jamais ici, et il faut pour s’y rendre disposer d’une embarcation
à moins d’avoir une paire d’ailes comme les bernaches,
ces petites oies qui plutôt que de se geler le croupion dans leur
Sibérie natale quand soufflent les vents glacés de l’hiver se
payent un vol long-courrier jusqu’à cet éden breton. En arrivant
ici fin septembre, elles ne risquent pas d’être dérangées par la
foule. Rien à voir avec l’été où les visiteurs certains jours se
marchent sur les tongs pour découvrir ce lopin de terre acheté
par le Conservatoire national du littoral en 2008 et géré depuis
2014 par le Parc naturel régional du golfe du Morbihan.
18 GOLFE DU MORBIHAN
GOLFE DU MORBIHAN
19
— ITALIE —
ON A MARCHÉ
SUR LE CAMMINO
BALTEO
Jusqu’ici, il y avait les Hautes Routes, itinéraires de haut
vol flirtant avec les plus grands sommets des Alpes.
Mais depuis l’automne 2019, grâce au Cammino Balteo,
randonner en Vallée d’Aoste ne signifie plus forcément
risquer la fracture du myocarde sur des pentes conçues
pour des bouquetins sous amphétamines.
TEXTE & PHOTOS CHRISTOPHE MIGEON
Un conseil : si vous voulez rester en bons
termes avec votre guide valdôtain et ne
pas passer pour un nigaud, évitez de lui
demander la meilleure adresse pour
acheter le jambon de la région. La renommée
charcutière de la Vallée d’Aoste
repose en fait sur l’une des plus formidables
supercheries de l’agro-alimentaire.
Dans les années 1970, un certain
Michel Reybier, aujourd’hui classé parmi
les 500 plus grandes fortunes de France,
repère un village nommé Aoste dans le
nord de l’Isère et décide d’y monter une
usine pour tirer profit de la bonne image
des jambons crus italiens réalisés de
façon artisanale. Le « jambon d’Aoste »
est né. Sauf que ce pur produit industriel
n’a rien de cru et est réalisé à partir de
carcasses de cochons chinois et américains.
En d’autres termes, on nous a pris
pour des jambons. En dehors de ces
douteuses cochonneries, les Français
connaissent assez peu la Vallée d’Aoste
pourtant limitrophe de la Savoie.
Curieux, d’autant qu’il s’agit de la seule
province francophone du pays. Du
moins, c’est ce que les Valdôtains ont fait
valoir pour obtenir en 1948 un généreux
statut d’autonomie qui voit tous les
impôts payés par les Valdôtains à l’État
italien restitués à la région. Même si elle
demeure langue officielle avec l’italien,
la langue française, longtemps parlée par
les élites est aujourd’hui enseignée
comme langue secondaire et voit progressivement
son usage se déliter sous
l’influence d’une forte immigration
d’autres provinces. Aujourd’hui, la moitié
de la population n’est pas originaire
de la vallée.
Balade romaine
À la sortie du tunnel du Mont-Blanc,
l’autoroute file à tombeau ouvert à travers
toute la province. Il faudrait moins d’une
heure pour se retrouver dans la plaine du
Pô sans avoir rien vu ni éprouvé de ce
petit territoire enchâssé entre les plus
hautes cimes des Alpes. Alors il convient
de s’arrêter juste avant le Piémont vers
Pont-Saint-Martin et de jeter les clés de
la voiture pour attaquer la première portion
du Cammino Balteo. Cette longue
boucle de 350 km divisée en 23 étapes
traverse 46 communes de part et d’autre
de la Doire Baltée, une rivière issue des
entrailles du Mont-Blanc qui perfuse
toute la vallée. Loin des défis éthérés de
la haute montagne, l’itinéraire invite à se
laisser glisser hors du temps présent et à
s’immerger dans la bulle sereine des vil-
VALLÉE D’AOSTE
41
En 1948, la République populaire
a fait le vœu d’aménager
les montagnes du pays pour
en faire « un lieu de joie,
de bonheur et de repos
pour les travailleurs… »
— POLOGNE —
LES MONTAGNES
de MAŁOPOLSKA
Au sud de Cracovie, la voïvodie Małopolska, littéralement « Petite Pologne »,
cultive l’esprit des forêts et de la montagne. Stations thermales, églises en rondins,
bergers fumés au feu de bois et bateliers volubiles pimentent ce voyage dans
les massifs des Piénines et des Tatras, ultimes soupirs occidentaux des Carpates.
Il arrive parfois que le passé, plutôt que de donner de sages leçons,
induise en erreur. La simple évocation de la Pologne convoque chez
la plupart des gens un curieux cocktail où carambolent avec plus ou
moins de bonheur des panoramas de champs de betteraves, les verres
fumés du général Jaruzelski, les moustaches de Lech Wałęsa et des files
d’attente qui ne tiendraient pas dans un stade olympique. La Pologne a
changé. Wałęsa a pris 30 kg, Jaruzelski n’a plus besoin de lunettes et les
magasins n’ont pas que du vinaigre et de la vodka dans leurs rayons. Et
puis il y a la province de Małopolska tout au sud, là où la longue chaîne
des Carpates vient réveiller la plaine en reliefs impétueux qui annoncent
déjà les Alpes. Loin de nos clichés occidentaux sur la Pologne, la station
thermale de Szczawnica — dont l’élégant patronyme fait regretter l’interdiction
des noms propres au Scrabble — affiche plutôt l’humeur allègre
d’une Bavière ancestrale. Les géraniums sont au balcon et les clochers
d’église font des bulbes. Pour peu qu’un rayon de soleil illumine les terrasses
d’auberges piquetées de parasols, il vous prend l’envie d’enfiler un
short en cuir, de planter une plume à votre chapeau et de pousser des
jodels à s’en faire péter les amygdales.
Du haut-de-forme à la casquette
Dès la fin du xix e siècle, une clientèle aristocratique aux jointures rouillées
fréquente « la reine des eaux polonaises » bénie par huit sources naturelles
jaillies au pied d’un vieux volcan. En 1909, le comte Stadnicki rachète la
station, la dote d’un établissement thermal et fait construire un hôtel pour
sa fille aînée. La Seconde Guerre mondiale a tôt fait d’interrompre les
traitements et en 1948, Szczawnica est nationalisée. Gibus et redingotes
sont remplacés par les casquettes et les paletots d’ouvriers d’usine. La
République populaire a fait le vœu d’aménager les montagnes du pays
pour en faire « un lieu de joie, de bonheur et de repos pour les travailleurs
et faire en sorte que leurs vallées se remplissent des rires des enfants ».
Métallurgistes aux poumons brûlés et mineurs silicosés viennent dès lors
s’aérer leurs rogatons de bronches dans les stations d’altitude. Tout un
prolétariat urbain s’extirpe de la fumée des usines, remise sa faucille et
son marteau au vestiaire pour enfiler ses godillots et arpenter les sentiers
pentus des Piénines et des Tatras. Aujourd’hui, des descendants du comte
TEXTE & PHOTOS CHRISTOPHE MIGEON
POLOGNE
75
D’un coup de funiculaire, on se rapproche
du Seigneur, un bon millier de mètres
plus haut, sur le pic Kasprowy (1 987 m)
on peut ensuite s’engager sur un chemin
de crête faisant frontière avec la Slovaquie
et tenter malgré les rafales de gagner
la plus célèbre montagne du massif,
le Giewont.
Le lac Morskie Oko (1 395 m).
Tatras papales
Le massif n’est pas bien grand — 50 km de long sur 15 de large — et
les cimes ne dépassent guère les 2 600 mètres, mais dressé au beau
milieu de l’Europe centrale, il connaît des conditions comparables à
celles qui règnent dans les plus hauts reliefs des Alpes ou du Caucase.
Tous les himalayistes polonais y sont venus jouer du piolet avant d’aller
défier les 8 000 asiatiques. La haute montagne, propice aux apparitions
divines et aux épiphanies éthérées, fait parfois naître d’autres vocations.
Tout près de la station de téléphérique de Kasprowy Wierch,
un rond-point Jean-Paul II rappelle que le jeune Karol Wojtyla s’est
forgé des jarrets d’acier sur les pentes de ces montagnes. Né à
Wadowice à 30 km de Cracovie, il a longtemps écumé les Tatras.
Peut-être leur doit-il cette endurance singulière qui lui a valu son
surnom « d’athlète de Dieu ». Accompagnée de paroissiens aussi sportifs
que lui, Sa future Sainteté avait pour habitude de célébrer la messe
au cours de la randonnée depuis une grosse pierre ou un tronc d’arbre
faisant office d’autel. D’un coup de funiculaire, on se rapproche du
Seigneur, un bon millier de mètres plus haut, sur le pic Kasprowy
(1 987 m) fouetté par un vent réfrigérant avec la goutte au nez et
l’embarras du choix : soit investir le resto d’altitude pour se réchauffer
la moelle avec un chocolat chaud, soit s’engager sur un chemin de
crête faisant frontière avec la Slovaquie et tenter malgré les rafales de
gagner la plus célèbre montagne du massif, le Giewont. Impossible
de le manquer, il est coiffé d’une immense croix métallique de plus
de 15 m qui ne manque pas d’attirer les regards… et la foudre. En août
2019, lors d’un orage soudain, un éclair assassin a fait 4 morts et 150
blessés parmi les randonneurs cramponnés à la chaîne qui permet
d’escalader les derniers mètres. Alors, autant profiter du beau temps
pour poursuivre l’exploration des Hautes Tatras avec la vallée des
Cinq Lacs polonais qui égrène son chapelet de pièces d’eau tranquille
à près de 1 700 m d’altitude ou encore Orla Per, le « sentier des aigles »
réputé être le plus difficile de Pologne : 4,5 km de vertige entre crêtes
et abîmes, équipés d’échelles et de chaînes et nécessitant six bonnes
heures d’effort. Les petits moineaux seront bien contents de sautiller
sur les rives du lac Morskie Oko, joyau bleu-vert niché dans un amphithéâtre
de granit et fréquenté chaque année par près d’un million de
visiteurs. Tout le monde ne peut pas être un aigle.
Sous le col Szpiglasowy (2 110 m).
80 POLOGNE
81
Comme beaucoup d’entre nous,
j’ai (trop) peu voyagé l’année
dernière. Et comme tout le
monde, je me suis dépaysé par procuration,
avec un home-cinéma et des
séries… J’en ai profité pour développer
une nouvelle théorie : « les scénarios hollywoodiens
entretiennent la mythologie
des trous du cul du monde ».
Deux réalisateurs, et pas des moindres,
ont largement contribué à propager ce
mythe : Orson Welles et Hitchcock. Les
deux génies l’ont compris mieux que
d’autres : pour reproduire une atmosphère
poisseuse, une ambiance glauque,
un suce-pince digne de la série noire, rien
ne vaut, comme décor, un bon gros
TDCDM.
Prenez La soif du mal de Welles, par
exemple. Avec son fabuleux travelling de
la voiture arrivant à la frontière. Le héros
suinte, le caméraman transpire, l’angoissant
noir et blanc permet grâce aux
contrastes, d’imiter l’expressionnisme
allemand. Eh bien, cette scène se déroule
à Los Robles. Une ville fictive qui pourrait
bien être Tijuana, la ville la plus
dangereuse du monde. Alfred Hitchcock
était lui aussi expert en coins perdus et
en a immortalisé un magnifique. Dans
La Mort aux trousses, Cary Grant a rendez-vous
à un arrêt de bus, Prairie Stop,
sur la route 41, à deux heures de Chicago.
Il se retrouve en rase campagne. Dans la
poussière des champs en friche, avec en
arrière plan des barbelés et du maïs jauni.
— ÉTATS UNIS —
FARGO & CO
TRISTAN SAVIN
Écrivain bourlingueur, s’amuse à dénicher
les lieux improbables. Ouvrage à paraître :
Au milieu de nulle part… et d’ailleurs
(Arthaud poche)
Autant dire le trou du cul du monde idéal
pour tourner la fameuse scène de
l’avion… lui-même surgit de nulle part.
L’art du maître du suspens s’y déploie à
merveille : le héros se demande ce qu’il
fait là, pourquoi personne n’est au rendez-vous
? Il s’ennuie, regarde sa montre,
les dialogues se sont tus, le vent soulève
la poussière. Un décor typique du
Midwest, cette Amérique des grandes
plaines, ce middle of nowhere que l’on
retrouvera chez les déçus de l’american
dream, dans Paris Texas, Thelma et Louise
ou Bagdad Café.
Plus proches de nous, les frères Coen,
probables héritiers spirituels des deux
précités. Avec Fargo (le film, puis la
série), Joel et Ethan ont tout simplement
écrit une ode à la capitale — oubliée avant
eux — du Dakota du Nord, l’un des plus
petits États de la fédération. Ils nous
transportent dans l’Upper Midwest,
région paumée réputée pour ses prairies
inhabitées. Pour s’en convaincre, il suffit
de regarder sur Wikipedia, cette photo
(ironiquement ?) légendée « paysage
typique du Dakota du Nord », mais celuici
est illustré par… une route déserte !
Bordée d’herbes.
Adeptes de l’humour grinçant, les Coen
en profitent pour déployer une satire du
redneck, cet idiot notoire des petites
villes de province, véritables déserts
culturels où les strip-teaseuses sont
considérées comme des artistes et où tout
étranger est suspect (même s’il est blanc,
comme Marlon Brando, vagabond formidable
dans L’Homme à la peau de
serpent de Sydney Lumet). Fargo, c’est
quelque 110 000 habitants, c’est-à-dire
peanuts à l’échelle du pays continent.
À peine deux rues et trois buildings
(j’exagère à peine). Les hivers y sont
froids, très froids. Et venteux. En été, les
tornades ne sont pas rares. L’automne est
la saison des blizzards, le printemps celui
des inondations. Le Dakota du Nord
pourrait être, à lui seul, un condensé des
catastrophes dues au dérèglement climatique.
Et symboliser le vivier de l’électorat
trumpiste. En somme, pour un bon scénariste,
l’endroit idéal pour tourner un
film post-apocalyptique.
Illustration : © Vivian Jolivet
EU ROPE
2021 année européenne du Rail.
Ce livre tombe à pic pour promouvoir
ce mode de transport comme
alternative à la voiture : 30 idées
de circuits de 4 à 14 jours qui
combinent bas carbone, découverte,
lenteur et rêveries. De Marseille
et Valence en suivant la route des
artistes de Méditerranée, de Genève
à Gstaad en longeant le Léman,
de Paris à Istanbul sur les traces
de l’Orient express, de Bruxelles
à Utrecht à travers les villes du nord,
de Kiev à Lviv en mode slave…
Le plus dur sera de choisir. Avec
des cartes, des idées de visites,
des bifurcations possibles et même
des livres à emporter, cet ouvrage
vous met sur les rails de l’aventure
en Europe. Sandrine Mercier
En train
30 itinéraires
pour voyager autrement
Gallimard Voyages
OCÉANIE
TITAŸNA
Titaÿna (1897-1966), alias Élisabeth Sauvy, fut dans l’entre-deuxguerres
une journaliste intrépide qui explora par tous les moyens de
locomotion les coins et recoins du monde. En 1920, elle n’a que 23 ans
lorsqu’elle part en Océanie en quête de l’Aventure. Ce faisant, elle
espère se guérir de l’amertume qu’elle éprouve à l’égard d’un monde
abîmé par les compromissions et les conventions. Avec deux valises
et mille francs en poche, elle embarque à Marseille. Elle compte sur
la vente d’articles aux grands journaux pour assurer un minimum de
revenus. Peu lui importe le confort, à Tahiti, une case sommaire au
bord du lagon lui suffit. Auprès des Tahitiens, dans un décor immuable
où le temps s’abolit, Tytaÿna pêche, se baigne dans les rivières, regarde
les étoiles, rêve, attrape la fièvre du corail, se retrouve fauchée, se fait
engager sur une goélette qui navigue entre les archipels polynésiens
à charge pour elle d’éplucher les patates et tenir son quart à la barre…
Les aventuriers ou colons qu’elle rencontre ne sont pas beaux à voir.
Ils ont été vaincus. L’exotisme a mauvaise mine. L’Océanie n’a peutêtre
jamais existé ailleurs que dans des esprits exaltés ou désespérés.
Elle-même n’échappe pas au dégoût et à la désillusion. L’aventureuse,
comme elle s’appelle, relate tous ces moments sans jamais s’apitoyer
dans une prose économe entrecoupée de fulgurances poétiques. Si
elle avoue à son retour ne jamais parler de voyages, soyons-lui reconnaissants
d’avoir pris sa plume pour relater celui-là. Albert Zadar
Titaÿna, Les ratés de l’aventure, Marchialy
FRANCE
À l’heure où le confinement est ressenti
comme une insupportable servitude, on
pourra trouver curieux qu’Édouard Cortès
ait choisi de s’isoler de manière radicale.
Lui, l’ancien voyageur (Paris-Saïgon en 2CV)
devenu berger, a embrassé femme
et enfants et puis s’est installé dans
une cabane perchée à la cime d’un chêne
sans souci du qu’en-dira-t-on. « Seuls les
individus coupables sont mis “en cabane”.
Vouloir s’y mettre délibérément est
terriblement suspect », fait-il remarquer.
Terrassé par un burn out, il a pour s’en
délivrer, choisi de « s’enforêster » dans
le Périgord. Une idée soufflée par un rêve
d’enfant : celui de construire une cabane
dans les arbres. Dans son récit conçu
comme un journal de bord, il narre
les trois mois passés dans sa cabane,
cet « avant-poste sur la beauté du monde »
où au contact de la nature, il a tenté
de « reconstruire maladroitement »
ce qui en lui s’était brisé. Aurélie Rodrigo
Par la force des arbres
Édouard Cortès
Équateurs
86
TROUS DU CUL DU MONDE
LIVRES
87
« Ce reportage sur les cow-boys de Ouagadougou
débute en janvier 2016 avec la rencontre de Don
Carlos alias “shérif de Ouidi” dans un quartier
populaire de la ville. Son rêve : être John Wayne.
L’imaginaire occidental que je découvre alors est
loin d’être une pâle copie du modèle américain.
Il ouvre la porte à toute une culture du cheval,
symbole de la royauté Mossi, emblème du pays.
Les jeunes cavaliers de ces photographies ont établi
leur camp de base dans les bas-fonds de la capitale,
à proximité du barrage, où ils gardent chevaux
et bétail. En marge de la société, ils ont construit
leur monde à eux en se formant comme écuyer,
dresseur, entraîneur. Dans ce monde ils apprennent
à être un homme. Hissés fièrement sur leur monture,
ils arpentent la ville. Cette fierté masculine s’enracine
dans une culture populaire qui s’inspire du western
américain des années 1950-1960 et de la culture
locale. Ainsi une nouvelle histoire se dessine :
celle des cow-boys modernes d’Afrique de l’Ouest. »
Aurélien Gillier
Les cow-boys sont toujours noirs
www.aureliengillier.fr
91PORTFOLIO 54
Vols toute l’année
www.voyage-malte.fr
Marsaxlokk, Malte