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LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE, UN LANGAGE IMPÉRIAL<br />

L’exposition<br />

Les Bonaparte et l’Antique, un langage impérial<br />

a été organisée<br />

par le ministère de la Culture et de la Communication,<br />

le SCN du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau,<br />

le musée national de la Maison Bonaparte,<br />

la bibliothèque patrimoniale Fesch de la ville d'Ajaccio<br />

Roselyne Bachelot<br />

Ministre de la Culture<br />

Jean-François Hebert<br />

Directeur des patrimoines<br />

Anne Solène Rolland<br />

Directrice du service des musées de France<br />

Élisabeth Caude<br />

Directrice du SCN Malmaison<br />

Jean-Marc Olivesi<br />

Conservateur général du Patrimoine, musée national<br />

de la Maison Bonaparte, commissaire de l'exposition<br />

Odile Bianco<br />

Musée national<br />

Assistante administrative et de documentation<br />

de la Maison Bonaparte<br />

Laurent Marcangeli<br />

Maire d’Ajaccio<br />

Simone Guerini<br />

Adjointe à la culture<br />

Frédéric Petrucci<br />

Directeur général des services<br />

Élisabeth Périé<br />

Directrice du réseau des bibliothèques<br />

et des médiathèques de la ville d'Ajaccio<br />

Saveria Maroselli<br />

Médiatrice culturelle du réseau des bibliothèques<br />

et des médiathèques de la ville d’Ajaccio<br />

Aude Pontalier<br />

Responsable du fonds ancien<br />

de la bibliothèque patrimoniale Fesch<br />

4<br />


Sommaire<br />

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage<br />

Jean-Marc Olivesi<br />

Conservateur général du patrimoine,<br />

musée national de la Maison Bonaparte,<br />

commissaire de l'exposition<br />

Françoise Mardrus<br />

Cheffe de service, responsable du centre<br />

Dominique-Vivant-Denon,<br />

direction de la recherche et des collections<br />

Saveria Maroselli<br />

Médiatrice culturelle du réseau des bibliothèques<br />

et des médiathèques de la ville d'Ajaccio<br />

Erick Miceli<br />

Doctorant en histoire moderne<br />

Aude Pontalier<br />

Responsable du fonds ancien de la Bibliothèque<br />

patrimoniale Fesch<br />

6 Préface Laurent Marcangeli<br />

8 Préface Élisabeth Caude<br />

10 Préface Élisabeth Périé<br />

12 Un langage impérial, des références communes à toute l’Europe<br />

J.-M. Olivesi<br />

42 Rêves de pierre (exposition du musée Fesch, Ajaccio, 2000).<br />

Collection des plâtres pédagogiques du musée<br />

44 De la bibliothèque nationale du Liamone à la bibliothèque<br />

municipale Fesch S. Maroselli<br />

60 Les compatriotes des Bonaparte : qui sont les lecteurs<br />

de la bibliothèque ? S. Maroselli<br />

62 La culture des révolutionnaires paolistes (1755-1769).<br />

De la gloire plutarquéenne à la felicità pubblica E. Miceli<br />

72 Dominique Vivant-Denon (Chalon-sur-Saône 1747 – Paris 1825).<br />

L’œil de Napoléon F. Mardrus<br />

74 La gypsothèque de Pise<br />

76 La gloire de l’Antique de Charlemagne aux Bonaparte :<br />

Rome n’est plus dans Rome, elle est toute à Paris J.-M. Olivesi<br />

127 Beau comme l'Antique ! Les Antiques du Museon Arlaten<br />

130 Catalogue des œuvres. Une exposition, trois séquences.<br />

Notices des ouvrages de la bibliothèque patrimoniale Fesch présentés<br />

dans l’exposition A. Pontalier<br />

145 Quelques Antiques remarquables J.-M. Olivesi<br />

150 Bibliographie<br />

5


LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE, UN LANGAGE IMPÉRIAL<br />

Préface<br />

Laurent Marcangeli<br />

Maire d'Ajaccio<br />

En cette année de célébrations, quoi de mieux qu’une collaboration<br />

entre la bibliothèque patrimoniale Fesch et le musée<br />

national de la Maison Bonaparte pour commémorer le bicentenaire<br />

de la mort de Napoléon 1 er ? À l’heure où chacun<br />

s’interroge sur son héritage, la ville d’Ajaccio, terre natale des<br />

Bonaparte, se devait de proposer une programmation d’événements<br />

à la hauteur de ce personnage historique, dans laquelle<br />

l’exposition « Les Bonaparte et l’Antique, un langage impérial<br />

» s’inscrit pleinement. Ce partenariat sera l’occasion d’exposer<br />

des documents remarquables et parfois inédits, issus des<br />

collections de bibliothèque patrimoniale.<br />

Il s’agit ainsi de valoriser l’extraordinaire richesse de son<br />

fonds d’ouvrages, à l’heure où la bibliothèque va connaître de<br />

grands bouleversements. En effet, afin d’assurer sa pérennité<br />

pour les décennies à venir, de vastes travaux de rénovation vont<br />

débuter. L’objectif est double : d’une part, garantir des conditions<br />

optimales de conservation des collections anciennes qui<br />

se dégradent actuellement en l’absence d’une gestion atmosphérique<br />

adéquate, d’autre part restaurer la salle patrimoniale<br />

et le hall d’entrée qui ont subi les assauts du temps, pour leur<br />

redonner leur cachet initial. Ce bâtiment emblématique de la<br />

Ville, dont l’histoire est liée à celle des Bonaparte, connaîtra<br />

ainsi un renouveau et pourra mieux accueillir le grand public,<br />

qu’il soit étudiant, chercheur ou simple visiteur, dans un site<br />

historique remis en valeur. Ces travaux représentent aussi une<br />

étape dans un vaste projet de rénovation et de revitalisation du<br />

cœur de ville d’Ajaccio et de création d’un parcours patrimonial<br />

« Bonaparte ».<br />

Ci-contre : Jeune femme laurée [A7]<br />

6 •


LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE, UN LANGAGE IMPÉRIAL<br />

Préface<br />

Élisabeth Caude<br />

S’il est un pouvoir auquel Napoléon Bonaparte aimait à se<br />

référer, c’est celui de la Rome antique. Beaucoup d’arguments l’y<br />

poussaient. Le retour à l’Antiquité prôné depuis vingt-cinq ans<br />

par le courant néoclassique avait fini par imposer ce goût sévère<br />

et pur, en réaction à une société de raffinement du xviii e siècle<br />

jugée décadente. L’austérité et la passion des armes exaltaient les<br />

valeurs viriles. La pensée elle-même s’était romanisée.<br />

Aussi, en cette année du bicentenaire, il ne pouvait y avoir<br />

meilleure idée que celle de déceler à travers les riches collections<br />

patrimoniales de la bibliothèque municipale d’Ajaccio ces<br />

traits de romanité. L’analyse du contenu d’une bibliothèque<br />

en dit beaucoup sur son possesseur. Le cardinal Fesch, oncle de<br />

Napoléon I er , était un collectionneur passionné : personne n’a<br />

oublié ses collections riches de plus de 17 000 œuvres d’art ni<br />

son impressionnante galerie de peintures qui comptait plus de<br />

16 000 tableaux dont les mille qu’il légua à Ajaccio formèrent<br />

l’embryon du musée Fesch. L’on connaît moins sa passion pour<br />

les livres et combien son esprit de collection s’était étendu à<br />

ces objets d’érudition, dans un souci pédagogique de partage<br />

de connaissance et de diffusion des savoirs. Ce qu’il laissa en<br />

legs constitua l’un des fondements de la bibliothèque nationale<br />

du Liamone, ancêtre de la bibliothèque municipale, à côté des<br />

fonds, si riches en nombre et en qualité, des séquestres révolutionnaires<br />

des bibliothèques parisiennes religieuses et privées,<br />

12 000 ouvrages envoyés par Lucien Bonaparte, alors ministre<br />

de l’Intérieur, à sa ville natale.<br />

Et là, il me revient de saluer cette idée de partenariat<br />

particulièrement réussi entre la bibliothèque municipale,<br />

une des institutions culturelles phares de la Ville d’Ajaccio et<br />

la Maison Bonaparte, musée national qui relève du Service<br />

à compétence nationale des châteaux de Malmaison et Bois-<br />

Préau, pour une meilleure connaissance de l’esprit de la famille<br />

Bonaparte à travers la mise en valeur de richesses patrimoniales.<br />

Partenariat exemplaire exploitant connaissance bibliophilique<br />

et analyse historique, le propos se concentre sur l’idée impériale<br />

: comment le livre et ses images participent-ils du langage<br />

impérial ? Merci à Élisabeth Périé, directrice des bibliothèques<br />

d’Ajaccio, pour son soutien constant au projet. Et merci à<br />

Saveria Maroselli, chargée de médiation à la bibliothèque municipale<br />

et à Jean-Marc Olivesi, responsable des collections de<br />

la Maison Bonaparte et commissaire, de nous inviter à entrer<br />

dans le monde des idées, par ce choix de titres et d’iconographies<br />

emblématiques d’un discours politique et fondateur de<br />

ce qui était un nouveau régime. La sélection rappelle la grande<br />

8 •


• PRÉFACE •<br />

Antonio Canova, Napoléon en Mars pacificateur,<br />

Londres, Apsley House<br />

entreprise que fut la découverte du patrimoine antique depuis<br />

la Renaissance et le xvii e siècle, la mise au jour des ruines de<br />

Pompéi et d’Herculanum puis le chantier de fouilles de la<br />

Rome impériale menées sous l’Empire par le préfet Camille<br />

de Tournon. Et ce courant aboutit aux grands monuments du<br />

savoir, tel le musée Napoléon de Vivant-Denon.<br />

Que soient remerciés tous les auteurs du catalogue,<br />

Françoise Mardrus, Saveria Maroselli, Erick Miceli, Jean-Marc<br />

Olivesi et Aude Pontalier pour leurs contributions remarquables<br />

à l’histoire de la bibliothèque et, au-delà, à celle des<br />

idées : comment la Rome antique servit le discours impérial.<br />


LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE, UN LANGAGE IMPÉRIAL<br />

Préface<br />

Élisabeth Périé<br />

Cette exposition est une plongée dans l’histoire des Bonaparte,<br />

mais aussi dans celle de la bibliothèque patrimoniale Fesch<br />

car l’une et l’autre sont dès l’origine intimement liées. Lucien<br />

Bonaparte, frère de Napoléon, est en effet à l’initiative de la<br />

création de la bibliothèque tandis que le cardinal Fesch, oncle de<br />

Napoléon I er , est l’un des principaux donateurs. En réunissant<br />

des ouvrages souvent issus de grands couvents ou de collections<br />

royales, ils ont constitué un fonds conséquent et pluridisciplinaire,<br />

avec pour ambition de doter la ville d’Ajaccio des outils<br />

pour favoriser l’essor de l’instruction parmi la population insulaire.<br />

De fait, dans chacun des livres du fonds patrimonial transparaît<br />

l’intérêt que ces deux fondateurs portaient sur un certain<br />

nombre de disciplines et l’idée qu’ils se faisaient d’une bibliothèque<br />

idéale et des connaissances scientifiques et culturelles<br />

que tout homme instruit devait posséder.<br />

Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve dans les collections<br />

de la bibliothèque patrimoniale une avalanche de références<br />

sur l’Antiquité, allant des ouvrages sur les monuments<br />

antiques à ceux sur les fouilles archéologiques, en passant par<br />

les traités d’architecture et les livres d’histoire de l’art, sans<br />

oublier les œuvres majeures de la littérature antique et italienne.<br />

Pour l’exposition, pas moins de cent cinquante ouvrages ont<br />

été exploités, et une sélection de quatre-vingt-dix d’entre eux<br />

sera exposée. À quelques exceptions près, ils proviennent des<br />

legs de Lucien Bonaparte et du cardinal Fesch, avec une prédominance<br />

pour les collections de ce dernier. Son goût pour les<br />

arts et l’archéologie l’ayant amené à enrichir sa bibliothèque<br />

dans ce domaine, son fonds compte de nombreux ouvrages<br />

qui se distinguent notamment par de superbes gravures et des<br />

éditions prestigieuses, notamment l’ouvrage d’Ottavio Bayardi<br />

sur les fouilles d’Herculanum, relié aux armes du roi de Naples<br />

et de Sicile. Quant au legs de Lucien Bonaparte, il se caractérise<br />

davantage par des livres sur l’architecture et les théories sur<br />

l’histoire de l’art. On y trouve les œuvres de référence que sont<br />

Vitruve pour l’architecture et Vasari pour l’histoire de l’art.<br />

Ainsi, chaque exposition nous en dit un peu plus sur<br />

la création des collections anciennes de la bibliothèque, le<br />

contexte dans lequel elles se sont constituées et la personnalité<br />

des donateurs qui se sont succédé tout au long du xix e et du<br />

xx e siècle, dans la continuité des Bonaparte. Autant d’occasions<br />

de découvrir toujours davantage ce fonds qui ne cesse de nous<br />

étonner par sa richesse et sa diversité. Et pour approfondir ses<br />

connaissances et permettre au plus grand nombre d’avoir accès<br />

à ces collections, une exposition virtuelle est proposée au visiteur,<br />

témoignant de la modernité de cette bibliothèque qui<br />

ne cesse de se réinventer au fil des années pour que les trésors<br />

qu’elle renferme ne deviennent pas de simples reliques.<br />

10 •


Reliure Bayardi [A7]


LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE, UN LANGAGE IMPÉRIAL<br />

Un langage impérial,<br />

des références communes<br />

à toute l’Europe<br />

Jean-Marc Olivesi<br />

Le modèle antique prévaut constamment avec Napoléon,<br />

mais quelle est sa source ? La mode du néoclassicisme après<br />

les découvertes d’Herculanum et de Pompéi ? Le modèle de<br />

la République pendant la Révolution française, puis de l’empire<br />

romain pendant la période napoléonienne ? Les références<br />

romaines et spartiates des Bonaparte (et des élites corses de la<br />

fin du xviii e siècle) ? La résurrection de la dignité impériale face<br />

aux autres héritiers (Saint-Empire romain germanique, empire<br />

russe) ?<br />

C’est que la référence à l’Antiquité est permanente<br />

chez les Bonaparte et apparaît sous des formes très diverses<br />

(beaux-arts, architecture, peinture, sculpture et arts décoratifs),<br />

références littéraires et discours politique. Pour alimenter<br />

ce discours, Napoléon va faire de Rome la seconde capitale<br />

de l’Empire français, porter une couronne de lauriers d’or et<br />

remettre en selle la vieille querelle qui opposait Louis XIV et le<br />

pape Alexandre VII pour la primauté européenne. Lui-même,<br />

Caroline, Joseph, Lucien et Élisa vont encourager des fouilles<br />

sur des territoires dont ils ont la responsabilité, et valoriser leurs<br />

découvertes, notamment en publiant de magnifiques ouvrages<br />

sur les monuments antiques. Ils continuent ainsi une tradition<br />

portée par les rois de France pendant la Renaissance et l’époque<br />

Fig. 1 – Têtes de Méduse [B20]<br />

classique, par les Bourbons de Naples, mais aussi par les papes,<br />

et ces cardinaux et princes romains qui ont servi de modèle au<br />

cardinal Fesch… Nul n’avait donné une telle ampleur à la valorisation<br />

de ce passé dans la construction d’un langage nouveau<br />

auquel vont participer également Vivant Denon et le préfet de<br />

Rome Camille de Tournon.<br />

Le fonds exceptionnel de la bibliothèque municipale<br />

d’Ajaccio, constitué par le cardinal Fesch et Lucien Bonaparte,<br />

témoigne de ces enjeux symboliques, culturels et politiques.<br />

L’exposition et la publication qui l’accompagnent seront bâties<br />

à partir de ses collections.<br />

La référence à l’Antiquité est donc le filigrane du destin<br />

de Napoléon et des Bonaparte en général. À cela, plusieurs<br />

raisons.<br />

12 •


Fig. 2 – Francesco Massimiliano Laboureur,<br />

Napoléon Empereur des Français et roi d’Italie [A5]<br />

Fig. 3 – Antonio Canova, Madame, Mère de l’Empereur et roi d’Italie [A5]<br />

13


LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE, UN LANGAGE IMPÉRIAL<br />

Fig. 4 – C. Percier et P. F. L. Fontaine, Recueil de décorations intérieures [B42]<br />

Le temps du retour à l’Antique<br />

D’abord, les Bonaparte vont vivre pleinement la vogue<br />

du néoclassicisme, mouvement lancé par la redécouverte d’Herculanum<br />

(fouillée depuis 1738) et de Pompéi (depuis 1748),<br />

où l’Antique devient le modèle artistique par excellence. Cette<br />

vogue est relayée en France d’une part par l’idéal moral antique<br />

promu par la Révolution – on admire la République romaine et<br />

la cité grecque de Sparte –, et d’autre part par le souvenir de la<br />

puissance de la Rome impériale, valorisée sous l’Empire.<br />

De plus, l’histoire romaine semblait justifier, a posteriori,<br />

l’itinéraire de Napoléon. À la manière des Rohan, il aurait<br />

pu dire « roi ne puis, républicain ne daigne, empereur suis »,<br />

puisque son itinéraire était celui de César et d’Auguste réunis.<br />

En effet, César, en mettant fin à la République romaine, n’a pas<br />

osé reprendre le titre de roi, auquel il a préféré celui d’imperator<br />

(général victorieux), et cela a donné à Napoléon un précédent<br />

historique incontestable. Comme Octave, devenu Auguste, il<br />

devait créer une dignité nouvelle : celle d’empereur des Français.<br />

Et auparavant, il avait été consul…<br />

Ainsi, s’il va ériger symboliquement la ville de Rome en<br />

seconde (tout est dans le seconde) capitale de l’Empire français,<br />

ainsi s’il va intituler son fils et héritier roi de Rome (comme l’héritier<br />

du Saint-Empire était le roi des Romains), ainsi s’il reprend la<br />

symbolique impériale romaine (aigles, foudres, lauriers, pourpre,<br />

arcs de triomphe…), c’est qu’il va construire un savant édifice<br />

historique et idéologique qui emprunte à l’Empire romain, à<br />

l’Empire carolingien et à la tradition monarchique française, mais<br />

aussi aux acquis de la Révolution !<br />

Noter aussi qu’entre la proclamation de l’Empire en<br />

France le 18 mai 1804 et la fin du Saint-Empire, 6 août 1806, on<br />

parle en France d’empereur de la République, mais non pas après.<br />

Car les rois de France sont les héritiers des Carolingiens,<br />

et donc de Pépin le Bref qui s’était fait sacrer roi des Francs et<br />

patrice romain à Saint-Denis en 754 par le pape Étienne II.<br />

14<br />


Fig. 5 – Jupiter Ammon [B20]<br />

Fig. 6 – Dame à sa toilette [A7]<br />

Pépin étant le père de Charlemagne, couronné empereur d’Occident<br />

en l’an 800.<br />

Napoléon va vouloir transférer le centre de la dignité<br />

impériale de Rome à Paris. De cela naît un affrontement avec les<br />

pontifes catholiques qui siègent à Rome, et avec les héritiers de<br />

la majesté impériale, les Habsbourg, souverains du Saint-Empire<br />

romain germanique dont la capitale est Vienne.<br />

L’héritage antique va être l’enjeu visible de cet affrontement<br />

: les collections du Vatican vont en faire les frais.<br />

Suivant en cela la Convention, Napoléon va faire transporter<br />

les antiques les plus célèbres de Rome au Louvre, qui devient<br />

le musée Napoléon ; le premier musée « universel » de l’histoire.<br />

Il va même faire venir à Paris le très savant conservateur<br />

romain, Ennio-Quirinio Visconti – un véritable Mercato !<br />

Les livres offerts par le cardinal Fesch et Lucien Bonaparte à<br />

la bibliothèque d’Ajaccio racontent cette histoire. De plus,<br />

• 15


LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE<br />

16<br />

Fig. 7 – Vue de Saint Pierre<br />

[A36]<br />


• UN LANGAGE IMPÉRIAL, DES RÉFÉRENCES COMMUNES À TOUTE L’EUROPE •<br />

la référence à l’Antique est le vocabulaire de tous les intellectuels,<br />

artistes et hommes politiques du temps. Sans aucun doute<br />

Lucien et Fesch voulaient-ils que les Corses, et les Ajacciens en<br />

particulier, soient aptes à parler couramment ce langage alors<br />

universel qui est l’une des bases idéologiques de l’Empire.<br />

La compétition de Paris avec Rome et l’Italie :<br />

déjà sous Louis XIV<br />

Si la référence politique de Napoléon à l’empire est<br />

Charlemagne, c’est dans la Rome antique qu’il va chercher des<br />

références symboliques et artistiques. Or, Rome au début du<br />

xix e siècle est le siège de la papauté. Les papes, chefs du monde<br />

catholique, sont également les héritiers de la grandeur romaine,<br />

et le pape porte l’un des titres des empereurs romains, celui de<br />

Pontifex maximus.<br />

Le plus étonnant est que la compétition entre un<br />

monarque français et cet héritier inattendu des Césars ne date<br />

pas de Napoléon, mais remonte plus haut dans le temps…<br />

En effet, on a le sentiment que Napoléon, sur bien des<br />

points, reprend la diplomatie d’influence de Louis XIV par<br />

exemple.<br />

Une tradition du droit français affirmait que le roi de<br />

France est empereur en son royaume. En un mot, il ne devait sa<br />

couronne à personne, et en aucun cas au chef du Saint-Empire.<br />

Et Louis XIV n’aura de cesse de donner la première place au<br />

royaume de France. Se rappeler sa lutte avec l’Espagne, avec le<br />

Saint-Empire, avec le Saint-Siège et la république de Gênes, leur<br />

bras armé en Méditerranée, qu’il contraignit à des cérémonies<br />

d’humiliation.<br />

Louis XIV va rassembler à Versailles un grand nombre<br />

d’œuvres originales ou de copies de la statuaire antique. Depuis<br />

la Renaissance et les guerres d’Italie, les souverains français ont<br />

tenu à orner leurs résidences de chefs-d’œuvre de l’Antiquité.<br />

Louis XIV va même mandater ses propres artistes à Rome pour<br />

réaliser des copies. Il va créer l’Académie de France à Rome<br />

•<br />

Fig. 8 – Pyramide des Corses [C16]<br />

17


LES BONAPARTE ET L’ANTIQUE, UN LANGAGE IMPÉRIAL<br />

Fig. 9 – L'affaire des Corses [C16]<br />

Fig. 10 – Attentat des Corses [D22]<br />

18 •


• UN LANGAGE IMPÉRIAL, DES RÉFÉRENCES COMMUNES À TOUTE L’EUROPE •<br />

Fig. 11 – Niche ovale de la Villa Medicis « À Napoléon le<br />

Grand, les arts reconnaissans »<br />

et donner ainsi aux artistes français les moyens de devenir<br />

des maîtres du modèle antique. Plus largement, il va créer un<br />

ensemble d’académies royales destinées à positionner les artistes<br />

français au premier rang de l’Europe.<br />

Quant à l’affaire fameuse de la garde corse du pape, elle<br />

aura surtout pour but d’abaisser la papauté comme monarchie<br />

temporelle. Louis XIV en fait de même avec le roi d’Espagne<br />

ou le doge de Gênes. C’est ainsi qu’un cartouche de Lebrun<br />

(L’attentat des Corses 1664), dans la galerie des glaces, représente<br />

Rome et sa Louve en train de s’incliner devant la France.<br />

Napoléon, lui, on l’a dit, va faire de Rome la seconde<br />

capitale de l’Empire français.<br />

Il voudra faire restaurer tous les monuments antiques de<br />

Rome par son préfet Tournon. Et c’est sous règne que son oncle<br />

le cardinal Fesch, diplomate et collectionneur, installera l’Académie<br />

de France à Rome à la Villa Médicis.<br />

Déjà, par le traité de Tolentino, 19 février 1797, les<br />

Français avaient rapporté à Paris les plus belles œuvres saisies en<br />

Italie. De la sorte, l’Apollon du Belvédère et les chefs-d’œuvre de<br />

la peinture italienne vont orner le Louvre.<br />

À Paris, le Louvre est bien plus que la collection du<br />

souverain des Français, le nouveau projet muséal que l’Empereur<br />

va confier à Vivant Denon est d’en faire le musée des Arts<br />

de toute l’Europe tandis que les arts décoratifs de l’Empire<br />

reprennent complètement l’iconographie impériale antique :<br />

aigles, lauriers, pourpre…<br />

La compétition avec l’héritier<br />

légitime de l’Empire romain :<br />

le Saint-Empire romain germanique<br />

Après la victoire française d’Austerlitz (2 décembre 1805)<br />

et la signature du traité de Presbourg (25 décembre 1805),<br />

Napoléon va créer la confédération du Rhin dont il est le protecteur<br />

et qui regroupe quelques-uns des plus importants États<br />

Fig 12 – L’Apollon du Belvédère<br />

•<br />

19


Fig. 13 – François Gérard,<br />

Napoléon I er en costume de sacre [D17]


• UN LANGAGE IMPÉRIAL, DES RÉFÉRENCES COMMUNES À TOUTE L’EUROPE •<br />

Fig. 14 – Jeune fille en fleurs [A7]<br />

d’Allemagne. Cela va conduire François II à perdre de fait son<br />

titre d’empereur du Saint-Empire romain germanique – qu’il<br />

est amené à dissoudre – pour porter désormais celui d’empereur<br />

François I er d’Autriche – l’Autriche n’était jusque-là qu’un<br />

archiduché.<br />

En affrontant le dernier représentant du Saint-Empire,<br />

Napoléon s’érige en chef de la nouvelle puissance hégémonique<br />

en Europe, l’Empire français, se prévalant, à ce titre, d’un<br />

double héritage : celui politique de l’Empire de Charlemagne et<br />

celui symbolique de l’Empire romain.<br />

Comme dans toutes ses grandes entreprises, Napoléon va<br />

faire preuve d’un pragmatisme à toute épreuve et d’une érudition<br />

politique et historique sans failles.<br />

Après Rome et Byzance, ce seront donc Vienne et<br />

Moscou qui abriteront les sièges occidental et oriental de l’héritage<br />

impérial romain. Ce n’est donc pas un hasard si Napoléon,<br />

après avoir envisagé d’épouser la grande-duchesse Anna, la plus<br />

jeune sœur du tsar Alexandre, épouse l’archiduchesse Marie-<br />

Louise, fille de ce pauvre empereur François.<br />

Tout semble réuni pour que la France affirme sa primauté<br />

absolue parmi les États d’Europe.<br />

Raisons liées à l’esthétique,<br />

à l’histoire de l’art, à l’archéologie<br />

et à la muséographie<br />

Si le xviii e siècle européen est l’acmé de la référence à<br />

l’Antiquité classique, que ce soit en politique, dans les lettres<br />

ou dans les arts, c’est, on l’a vu, grâce à la découverte en 1738<br />

d’Herculanum, et en 1748 de Pompéi.<br />

Parallèlement, l’étude des vestiges antiques va se faire de<br />

manière plus interdisciplinaire : en comparant les différentes<br />

figurations d’un même sujet entre elles, ou encore aux différentes<br />

sources littéraires. Winckelmann et Visconti vont chercher à<br />

donner un cadre chronologique précis à leurs études. Nombre<br />

de chefs-d’œuvre dits « grecs », vont se révéler être des copies<br />

•<br />

21

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