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DÉVELOPPEMENT
SORTIR RENFORCÉ
DE LA CRISE
CAPITALE
DAKAR
VISE L’AVENIR
OLYMPISME
À QUATRE ANS
DES JOJ
Travel Guide
BUZZ, SPOTS
ET BONNES
ADRESSES
Un hors-série
FÉVRIER 2022
L 13978 - 14 H - F: 5,90 € - RD
SÉNÉGAL
UN VOYAGE DE 156 PAGES AU PAYS
DES LIONS DE LA TERANGA : ENJEUX, POUVOIRS,
BUSINESS, CULTURE, ARTS, LIFESTYLE…
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 €
Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $
Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0
2022
L’ innovation
se poursuit
« À l’aube de cette nouvelle année, l’ensemble de l’équipe
de Expresso Business se joint à moi
pour vous souhaiter nos meilleurs vœux.
Puisse 2022 être l’année de la résilience, de l’impact et de
l’utile.
Plus d’impact orienté vers vos entreprises
Un impact centré sur le soutien à la compétitivité de vos
entreprises avec des offres spécifiques.
Nous démarrons 2022 avec des offres attractives, des
terminaux robustes, des solutions innovantes, des liaisons
spécialisées à une vitesse grand V, un réseau mobile de
plus en plus performant.
Conscients des mutations de nos sociétés modernes, sachiez
que nous sommes résolument tournés vers la transformation
digitale pour une expérience client simplifiée.
Cette année 2022 sera marquée, par cette double exigence
d’innovation produits et de support client le long du
parcours, le tout porté par une ambition d’être un levier de
croissance pour les entreprises.
Que 2022 soit l’année des succès et de la réalisation de tous
vos projets. »
Fatou Sow KANE,
Directrice Commerciale Pôle Entreprise.
édito
PAR ZYAD LIMAM
CHAMPION D’AFRIQUE !
Le football a des vertus magiques. Le 6 février,
dans la nuit chaude de Yaoundé, pour cette finale
au bout du suspense, au bout des prolongations, au
bout des tirs au but, Sadio Mané n’aura pas tremblé.
Le Sénégal est champion d’Afrique de football ! Un
moment unique de rédemption triomphante après
les échecs douloureux du passé. La victoire fut belle
et la fête fut énorme. Avec des millions de gens dans
les rues de Dakar, des autres villes et des villages, des
éclats de joie dans toutes les diasporas à travers le
monde. Comme s’il fallait se retrouver uni, autour de
cette nouvelle « sénégalité » nationale, marquée par
la victoire. Comme si les Sénégalais avaient besoin
d’« être ensemble ». Comme pour dépasser, juste un
temps, juste un moment, les tensions et les déchirements
de la scène politique, les débats électoraux.
Comme aussi pour souligner les nouvelles ambitions
d’une nation souvent montrée en exemple, mais dont
le dynamisme économique et l’émergence semblaient
comme contraints, freinés, en attente.
La symbolique du foot, celle des Lions de la
Teranga, et la réalité se rejoignent. Après de très
longues années de croissance en dents de scie, le
Sénégal s’est engagé depuis 2012 dans une politique
d’investissements, de grands travaux, de réformes pour
se montrer plus compétitif. Le secteur privé est appelé
à croître et à y croire. L’objectif est d’aller plus vite, plus
loin et se poser enfin comme l’un des champions du
continent, un hub incontournable. Les chemins de
cette émergence sont exigeants. Nous sommes ici
dans l’une des économies les plus dynamiques du
monde sur le plan de la croissance, mais l’on vient
de loin. La 21 e du continent et la 4 e de la sous-région
ouest-africaine, après le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le
Ghana, doit se moderniser à marche forcée. C’est le
rôle du Plan Sénégal Emergent. Et c’est la ligne directrice
du président Macky Sall, élu en 2012 et réélu en
2019. Il faut gérer de front tous les sujets : compétitivité,
croissance, exportations, équipements, changements
climatiques, développement durable, inclusion
sociale, protection des plus modestes… Le Sénégal
aura aussi subi de plein fouet la crise du Covid-19, cette
disruption stupéfiante à l’échelle planétaire, l’impact
sanitaire et social, la fermeture des frontières, le tarissement
des échanges et des financements. Dans cette
période particulièrement difficile, douloureuse, le pays
a su se montrer résilient. Et aussi innovateur. L’une des
premières usines de vaccins d’Afrique francophone
ouvrira dans les mois à venir à Dakar. Et symbole d’une
ambition à plus long terme, en 2026 devraient se tenir
à Dakar les 4 es Jeux olympiques de la jeunesse, une
première historique pour le continent !
Tout se retrouve. Le Sénégal, c’est aussi cette
formidable vivacité culturelle, littéraire, musicale, cette
« empreinte » qui va loin, celle d’un véritable soft power
quasiment inégalé en Afrique. C’est la terre des contradictions
créatives entre la tradition et le changement,
celle de sociétés civiles actives, d’une jeunesse engagée
et revendicative.
Ce numéro d’Ensuite, collection de horsséries
d’Afrique Magazine, vous emmène donc à
Dakar et au-delà, à la rencontre d’un pays ambitieux,
en mouvement. À la découverte de cette nation complexe,
multiple, sahélienne, et déjà ouverte sur les tropiques,
à la fois orientée vers le cœur du continent et
vers le grand large de l’Atlantique, marquée par l’histoire
tragique de la traite négrière, celle des révoltés du
camp Thiaroye et des poèmes de Senghor, de ce Sénégal
tout à la fois mystique, religieux et laïc. Ensuite s’intéresse
au monde qui vient, à ce qui change, à ce qui
évolue, à ces frontières de l’émergence, où se jouent
une grande partie de l’avenir de l’humanité. Chaque
parution se dirige vers une ville, un pays, ou s’empare
d’un thème, qui incarne les défis auxquels nous faisons
face, les changements que nous devons comprendre
et les opportunités auxquelles nous pouvons prétendre.
Le Sénégal se trouve sur ces lignes de crête.
Bon voyage ! ■
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 3
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 €
Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $
Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0
SÉNÉGAL
DÉVELOPPEMENT
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DAKAR
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OLYMPISME
À QUATRE ANS
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Un hors-série
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UN VOYAGE DE 156 PAGES AU PAYS
DES LIONS DE LA TERANGA : ENJEUX, POUVOIRS,
BUSINESS, CULTURE, ARTS, LIFESTYLE…
NEW AMHS Couv.indd 1 09/02/2022 19:22
PHOTO DE COUVERTURE :
ZYAD LIMAM
FÉVRIER 2022
P.22
FÉVRIER 2022 Un hors-série
3 ÉDITO
Champion d’Afrique
par Zyad Limam
6 ZOOM
DES GRANDS ANGLES
ET DES IMAGES
POUR VOUS RACONTER
par Zyad Limam
14 COMPRENDRE
TENDANCES, CHIFFRES
ET ÉVOLUTIONS
par Zyad Limam
22 MELTING-POT
LES GENS, LES LIEUX,
LES SONS ET LES COULEURS
Mohamed Mbougar Sarr,
Goncourt du pays sérère
130 PORTFOLIO
L’art du portrait
par Alexandra Fisch
154 POUR CONCLURE
Nangadef !
par Emmanuelle Pontié
P.38
P.74
TEMPS FORTS
38 Sortir renforcé de la crise
par Jean-Michel Meyer
46 Abdou Karim Fofana :
« L’industrialisation se trouve
au cœur de nos ambitions »
propos recueillis
par Emmanuelle Pontié
52 Dakar vise l’avenir
par Jérémie Vaudaux
60 Baïdy Agne :
« Lorsque les entreprises
s’unissent, tout est possible »
propos recueillis
par Zyad Limam
66 Sahid Yallou :
« Vous pouvez investir
en toute confiance »
propos recueillis
par Jérémie Vaudaux
70 Moustapha Sow :
« L’heure de l’aide
au développement
est révolue ! »
propos recueillis
par Emmanuelle Pontié
74 À l’épreuve de la donne
climatique
par Djiby Sambou
80 Dakar s’échauffe
à quatre ans des JOJ
par Jérémie Vaudaux
86 Mamadou Diagna Ndiaye :
« Les JOJ donneront à voir
la richesse et la diversité
de l’Afrique »
propos recueillis
par Zyad Limam
AMANDA ROUGIER - SYLVAIN CHERKAOUI POUR JEUNE AFRIQUE - SYLVAIN CHERKAOUI/GCCA+/EU 2018
4 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
FONDÉ EN 1983 (38 e ANNÉE)
31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE
Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93
redaction@afriquemagazine.com
XINHUA/LI MING/ABACAPRESS.COM - SADAK SOUICI - EL JUNIO - STEPHAN GLADIEU/FIGAROPHOTO.COM
P.90
90 L’âge des rêves
et de l’action
par Estelle Ndjandjo
98 Pour un voyage
new-look
par Jérémie Vaudaux
102 Samir Rahal :
« Nous avons tout ce
qu’il faut pour réussir »
propos recueillis
par Emmanuelle Pontié
104 La belle musique
de Saint-Louis
par Olivia Marsaud
110 Jean-Pierre
Langellier :
« La qualité
du débat
démocratique
au Sénégal
doit beaucoup
à Senghor »
propos recueillis
par Cédric Gouverneur
116 Le flow des dames
par Sophie Rosemont
120 Felwine Sarr :
« Il faut sortir
la francophonie
de son carcan
institutionnel »
propos recueillis
par Astrid Krivian
124 Sénégal design
par Luisa Nannipieri
137 LE TRAVELER GUIDE
LE VOYAGE, LES SPOTS,
LES GENS !
par les voyageurs
de la rédaction
P.124
P.80
P.104
ANNONCEURS
Expresso p. 2 – APIX p. 20-21 - CBAO p. 27 - Ellipse Projects p. 36-37 - Port Autonome de Dakar p. 58-59 - Plan
Sénégal Emergent p. 72-73 – CSE p. 85 – Senegal Supply Base p. 96-97 – Ageroute p. 136 - Ecobank p. 155 - Port
Autonome de Dakar p. 156.
Zyad Limam
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
zlimam@afriquemagazine.com
Assisté de Laurence Limousin
llimousin@afriquemagazine.com
RÉDACTION
Emmanuelle Pontié
DIRECTRICE ADJOINTE
DE LA RÉDACTION
epontie@afriquemagazine.com
Isabella Meomartini
DIRECTRICE ARTISTIQUE
imeomartini@afriquemagazine.com
Jessica Binois
PREMIÈRE SECRÉTAIRE
DE RÉDACTION
sr@afriquemagazine.com
Amanda Rougier PHOTO
arougier@afriquemagazine.com
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Alexandra Fisch, Virginie Gazon, Cédric
Gouverneur, François Guibert, Astrid
Krivian, Jean-Michel Meyer, Luisa
Nannipieri, Estelle Ndjandjo, Olivia
Marsaud, Sophie Rosemont, Djiby
Sambou, Jérémie Vaudaux.
VENTES
EXPORT Laurent Boin
TÉL. : (33) 6 87 31 88 65
FRANCE Destination Media
66, rue des Cévennes - 75015 Paris
TÉL. : (33) 1 56 82 12 00
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Com&Com/Afrique Magazine
18-20, av. Édouard-Herriot
92350 Le Plessis-Robinson
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AFRIQUE MAGAZINE
EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR
31, rue Poussin - 75016 Paris.
SAS au capital de 768 200 euros.
PRÉSIDENT : Zyad Limam.
Compogravure : Open Graphic
Média, Bagnolet.
Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,
Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.
Commission paritaire : 0224 D 85602.
Dépôt légal : février 2022.
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos
reçus. Les indications de marque et les adresses figurant
dans les pages rédactionnelles sont données à titre
d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,
même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique
Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.
© Afrique Magazine 2022.
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 5
ZOOM
Des grands-angles et des images pour vous raconter
présenté par Zyad Limam
6 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
UNE PERSPECTIVE VERS LE FUTUR
ELLE EST CONSUBSTANTIELLE À DAKAR, cette fameuse
corniche, bordée par l’océan Atlantique, chaussée spectaculaire,
parfois chaotique, souvent encombrée, objet des convoitises
immobilières et champ de lutte avec associations de riverains
et protecteurs de la nature. La corniche, c’est aussi un
renouvellement permanent. Le nouveau projet prévoit une
réhabilitation sur plus de 9 kilomètres, avec une remise à niveau
des équipements sportifs, du marché de Soumbédioune, la
revégétalisation de l’ensemble, la lutte contre l’érosion. Et face
à la fameuse Université Cheikh Anta Diop, un forum tout
à la fois symbolique et efficace qui pourra accueillir près de
200 étudiants par jour, et même une fois le soleil couché. ■
DR
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 7
ZOOM
CHAMPIONS AU BOUT DE LA NUIT
FINALE DE LA COUPE D’AFRIQUE DES NATIONS, à Yaoundé, 6 février 2022.
Un ultime tir au but, tout en puissance, pour crucifier l’infranchissable
gardien égyptien. Sadio Mané, capitaine triomphant des Lions de la
Teranga, n’a pas tremblé, portant son équipe au sommet du football
africain. Une enthousiasmante revanche après l’échec de 2002 et celui de
2019. Le Sénégal s’est libéré d’une ombre envahissante, celle d’une équipe
de toutes les promesses, qui rentre sans trophée. Ce fut donc une fête
magnifique pour tout un pays, et pour toutes les diasporas disséminées
aux quatre coins du monde, soudées dans ce moment de gloire. ■
8 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
MOHAMED ABD EL GHANY/FILE PHOTO/REUTERS
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 9
AU CŒUR DE TOUBA, SIX MINARETS
S’ÉLÈVENT VERS LE CIEL
ICI, À TOUBA, résonnent toujours les mots de Cheikh Ahmadou
Bamba, fondateur de la confrérie mouride, à la fin du xix e siècle.
Particulièrement implanté au Sénégal et en Gambie, le mouridisme
ne cache pas sa forte influence sur la vie sociale, économique et
religieuse. Incarnation de ce rayonnement, la Grande Mosquée,
l’une des plus vastes d’Afrique, dont les minarets peuvent se voir à des
kilomètres de la ville. La construction, décidée en 1926 par le premier
fils d’Ahmadou Bamba, fut épique, entre crise économique mondiale,
manœuvres coloniales françaises et Seconde Guerre mondiale.
Le voyage de Touba est à faire à l’occasion du grand Magal, stupéfiante
fête religieuse qui peut rassembler près de 3 millions de pèlerins. ■
10 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
PAPA MATAR DIOP/PRÉSIDENCE SÉNÉGAL
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 11
ZOOM
OUSMANE SOW ET LES SIENS
IL N’IMAGINAIT PAS SCULPTER AILLEURS qu’au Sénégal.
Il travaillait sur des armatures de fer, en utilisant une alchimie
quasi secrète de matières, donnant vie à des personnages
à la fois monumentaux et fragiles. Ousmane Sow nous a quittés
le 1 er décembre 2016 et reste probablement le plus grand artiste
contemporain du pays. Lui et une multitude d’autres talents
incarnent une étonnante modernité artistique, un foisonnement
et une rare liberté créative qui fait souvent contrepoids au
conservatisme social. Une dualité tout à fait sénégalaise. ■
12 AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019
Sculptures faisant partie de
la série « Peul » (1993) : de gauche
à droit, Scène de jeu amoureux,
L'Adolescent et le bélier, Scène
familiale, Scène de tressage
et Scène du sacrifice.
BÉATRICE SOULÉ/ROGER-VIOLLET
AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2019 13
COMPRENDRE
Tendances, chiffres et évolutions
par Zyad Limam
Politique
Macky Sall
au centre
du jeu
CE N’EST PAS SIMPLE, c’est le moins que l’on puisse dire, les débats sont souvent vifs, excessifs,
la tension sociale accentue les clivages et l’opportunisme de certains, la presse ne ménage
personne, et souvent le fond cède la place au « verbe » et à la forme. Mais le Sénégal reste une
démocratie, même en construction. Un exemple dans une région où les reculs sont frappants.
Un pays où les élections ont encore du sens. Comme celles toutes récentes, municipales et
départementales, qui ont eu lieu le dimanche 23 janvier. Et qui ont souligné la vigueur des
oppositions, le caractère frondeur des grandes villes, comme Dakar et Ziguinchor, dont le
premier édile est désormais Ousmane Sonko, ténor de l’opposition, pressenti pour être l’un
des principaux candidats à l’élection présidentielle de 2024. Macky Sall sait que le chemin
est ardu, avec comme prochaine étape des élections législatives en juillet 2022.
L’enfant de Fatick, né le 11 décembre 1961 dans une grande famille du Fouta-Toro (région
de l'extrême nord et nord-est), élu président une première fois en 2012 contre le supposé
indéboulonnable Abdoulaye Wade, va vite prendre ses marques dans une société politique
particulièrement compétitive et imposer son autorité. Macky Sall est un « omniprésident »,
impliqué dans tous les dossiers, avec un agenda chargé du matin au soir. Il suit avec attention
les projets qui lui tiennent à cœur, et ceux qui le côtoient dans le travail retrouvent le
sens du détail propre à sa formation d’ingénieur géologue. Les ministres sont « marqués »
de près, et tout ce qui compte ou presque remonte vers un arbitrage présidentiel. Il navigue
avec habileté dans les différents Sénégal, à l’aise à l’intérieur du pays, attaché aux traditions,
au confrérisme, à la culture religieuse, tout en étant décidé, dans une forme de « en même
temps », à réformer le pays, à le moderniser vraiment sur le plan économique. Macky Sall
aime la politique, le contact, il ne craint pas le rapport de force. Mais il veut être avant tout
le président de l’émergence.
Il prend le temps d’« écouter » une scène en constante évolution, mais on sent un chef de
l’exécutif dans une forme d’urgence, urgence de faire avancer les réformes, les projets, de
contrôler l’avancement, de conclure les travaux, d’aller plus vite dans la mise en place des
infrastructures, des réalisations, dans la concrétisation des promesses. Il faut que ça bouge
dans un pays où les résistances peuvent être multiples. Et le président est jeune. Il aura 62 ans
en 2024 à l’échéance de son mandat, on ne sent pas une personnalité usée par le pouvoir,
bien au contraire.
Il y a bien sûr le débat sur le possible troisième mandat présidentiel qui agite la classe
politique. Macky Sall réserve sa décision, tout en soulignant, malgré les vives oppositions,
que le droit lui ouvre cette possibilité (avec la mise en place de la réforme constitutionnelle
de 2016). Et tout en martelant que le moment n’est pas venu, que la priorité, c’est le travail.
Macky Sall connaît son pays, mesure l’importance de cette décision. Trop tôt ou trop tard, et
tout peut basculer. Trop tôt ou trop tard, et la substance de son pouvoir pourrait lui échapper
au profit d’une classe politique où les ambitions ne manquent pas. Il mesure aussi son
influence sur la scène internationale, de Paris à Washington, il sait qu’il fait partie des éléments
clés, stabilisateurs d’une région aux prises avec la menace djihadiste et la résurgence
des coups d’État. Le mandat qui s’ouvre à la présidence de l’Union africaine (UA) lui permettra
de s’investir à l’échelle continentale, de prendre du champ. Et le poste de Premier ministre
supprimé au lendemain de l’élection présidentielle de 2019, devrait être très bientôt rétabli.
L’échéance est dans un peu plus de deux ans, Macky Sall prend son temps, les transitions et
les successions sont toujours complexes, et la décision sera historique. En attendant, il restera
fermement au centre du jeu, chef d’État et chef politique.
14 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Le président
de la République,
à Dakar.
YOURI LENQUETTE POUR JEUNE AFRIQUE
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 15
COMPRENDRE
Diplomatie
Un mandat
au service
de l’Afrique
EN PRENANT SON MANDAT à la tête de l’Union africaine (UA), Macky Sall hérite de multiples
dossiers particulièrement brûlants. Coups d’État au Mali, au Burkina Faso, en Guinée,
transition dynastique au Tchad, crise des processus démocratiques, menaces terroristes au
Sahel, crise sanitaire et économique liée au Covid-19… L’organisation panafricaine ne peut
pas faire de miracle. Mais la présidence annuelle reste pourtant une précieuse occasion
de porter un message fort, de tracer des lignes directrices. D’« énergiser » et de rassembler
l’Afrique à un moment particulièrement critique. Macky Sall se prépare depuis des mois
à cette quatrième présidence sénégalaise de l’UA. L’Éthiopie, pays hôte de l’Union, géant
multiethnique, champion de la croissance, est confrontée à une crise véritablement existentielle.
Et la tenue d’un sommet à Addis-Abeba semble encore incertaine au moment où ces
lignes sont écrites. Sommet menacé également par les nouvelles vagues de Covid-19, et le
variant à haute transmission Omicron. La vaccination du continent reste un enjeu majeur,
et il faudra certainement une voix déterminée pour souligner l’égoïsme des pays riches qui
accumulent les doses, alors que 10 % de la population africaine seulement est entièrement
vaccinée. La souveraineté vaccinale du continent s’impose comme une priorité. Dans cette
affaire du siècle, le Sénégal est en avance. À Dakar, l’Institut Pasteur doit commencer d’ici
fin 2022 une production locale avec un objectif de 300 millions de doses. Derrière la crise
sanitaire se profile aussi l’urgence d’une relance économique massive pour une Afrique
frappée de plein fouet. L’Afrique aura fait la preuve d’une relative résilience sanitaire, mais
elle aura connu la pire crise économique depuis un demi-siècle. Pour Macky Sall, l’enjeu est
réel. Il faudra pousser les pays riches, qui croulent sous les liquidités, à transformer leurs
promesses en apports réels.
Cette question d’une plus grande justice pour le continent pourrait également motiver
le président sur un dossier qui lui tient particulièrement à cœur : la représentation de
l’Afrique au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Depuis des années, elle demande
deux sièges de membres permanents, représentatifs de sa population. Il est temps que ce
dossier bouge.
Influences
Un soft power
à la recherche
de son nouvel
équilibre
L’IMAGE, LA PERCEPTION, la résonance Sénégal dépasse largement ses frontières. Le monde
entier ou presque connaît le nom de Sénégal, le pays de l’île de Gorée et de sa maison des
esclaves, le pays africain d’une démocratie relative mais durable, le pays de Léopold Sédar
Senghor, incarnation du mouvement de la négritude. Le pays de Saint-Louis aussi, ville des
confins du Nord, tout aussi puissante dans l’imaginaire que Dakar, le pays de l’aéropostale
et des tirailleurs sénégalais, le pays de la tragédie de Thiaroye, presque fondatrice des
premiers mouvements anticolonialistes. Le pays aussi de cette étonnante mixité religieuse,
où se croisent islam et chrétienté, syncrétisme et confrérie. Ce pays d’Afrique, phare de la
francophonie, où pourtant l’on parle plus souvent wolof que français. C’est le pays du Paris-
Dakar, le vrai et le seul, avec l’arrivée sur le lac Rose. C’est le pays du mbalax, la première
des musiques globales africaines, le pays de Youssou N’Dour. Le pays de l’immense Ousmane
Sow, sculpteur de la matière aux secrets inviolés. Le pays d’une nouvelle génération d’artistes,
de musiciens, de photographes, de peintres, d’écrivains, comme le tout récent prix Goncourt,
Mohamed Mbougar Sarr, qui tentent tous de fusionner tradition et audace contemporaine.
Le pays aussi d’une diaspora impliquée, soucieuse du retour permanent.
Ces fulgurances, cette diversité, cette profondeur sont souvent remises en question par
les conservatismes, le poids des traditions et des dogmes religieux. Le Sénégal est encore
dual, mais la lutte pour son centre de gravité est réelle, sans concession.
16 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Macky Sall a pris
la tête de l’Union
africaine le 5 février,
pour un an. Ici, le siège
de l'organisation,
à Addis-Abeba,
en Éthiopie.
TIKSA NEGERI/REUTERS
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 17
COMPRENDRE
Trajectoire
Le défi de la
croissance et
de l’inclusivité
ENTRE 2014 ET 2019, le Sénégal a enregistré une croissance annuelle supérieure à 6 %.
L’arrivée au pouvoir de Macky Sall en 2012 aura enclenché un véritable processus d’ambition
économique après de longues années de performances en dents de scie, soumises
aux aléas de la climatologie et des cours de l’arachide. Avec la mise en place du Plan
Sénégal Emergent (PSE), le pays se dote dès la fin 2012 d’une vision à long terme. Avec
des projets novateurs dans le domaine des infrastructures, des services, des transports,
de l’agriculture… Objectif : accéder au statut d’économie émergente d’ici 2035. Les jeunes
entrepreneurs, femmes et hommes, bousculent l’ordre établi et se montrent audacieux dans
des secteurs d’innovation comme la tech ou les télécommunications. Pour le Sénégal, le
positionnement affiché est de s’imposer comme le hub principal de l’Afrique de l’Ouest. Un
véritable changement de paradigme.
La pandémie de Covid a donné un coup de frein brutal à ce cycle prometteur. Elle a
souligné aussi les faiblesses structurelles du pays. Avec un PIB global de 25 milliards de
dollars et un revenu par habitant de 1 500 dollars par an, l’économie demeure contrainte
par la pauvreté. La crise sanitaire est venue assécher les capacités budgétaires de l’État, les
ressources du tourisme, et impacter frontalement le secteur informel. Les événements de
mars 2011 ont montré à quel point la rue pouvait être réactive à ce cocktail détonnant de
précarité économique et de discours populistes d’une partie de l’opposition.
Le pays a su se mobiliser autour du programme de résilience économique et sociale et
d’une réorientation des objectifs du PSE vers des secteurs plus inclusifs de l’économie. La
sortie de crise s’organise : 2022 devrait être une année de reprise de la croissance. L’espoir
à plus long terme est réel, à condition que le rythme des réformes, l’impératif d’inclusivité
et la stabilité politique restent les clés de ce nouveau modèle sénégalais.
Dynamique
Un pays
jeune
aujourd’hui
et demain
PRÈS DE 54 % DE LA POPULATION A MOINS DE 19 ANS (et plus de 40 % moins de 14 ans).
Les taux de fécondité restent élevés (avec toujours 4 à 5 enfants par femme) dans un pays
où la limitation des naissances et le débat sur la contraception restent des tabous puissants.
En 2030, le Sénégal pourrait compter plus de 22 millions d’habitants (dont l’âge médian sera
d’un peu plus de 20 ans). Et atteindre les 35 millions d’habitants en 2050. Cette jeunesse est
à la fois une formidable opportunité, une source de créativité, d’énergie, la possibilité aussi
de développement d’un marché intérieur plus dynamique [voir pp. 90-95]. Ils et elles croient
en l’avenir, ont confiance, selon des études récentes. Mais cette jeunesse, c’est aussi une formidable
pression sur l’appareil social et politique. Il faut former et éduquer ces centaines de
milliers d’enfants, créer les emplois nécessaires, aménager les règles sociales sur les relations
amoureuses, le mariage, mettre fin au « grand frérisme » dans les sphères publique et privée,
favoriser l’autonomie. Leur (re)donner confiance dans le système politique, les faire adhérer
durablement au processus démocratique. Et les éloigner des tentations mortifères, celle de la
violence ou de l’exil, quel que soit le danger. Pour le Sénégal, comme pour l’Afrique, l’enjeu
de la jeunesse est essentiel. Sans emplois, sans perspectives, sans enthousiasme, le risque
de dérapage social est immense.
C’est dans ce pays intrinsèquement jeune qu’auront lieu, en 2026, les 4 es Jeux olympiques
de la jeunesse (JOJ) [voir pp. 80-89]. Une première historique et olympique pour l’Afrique.
Un symbole pour le Sénégal. Un véritable défi logistique, financier, humain également. Le
défi aussi justement de mobiliser autour de cet événement hors norme. Il reste quatre ans
pour que la fête commence et qu’elle soit réussie. ■
18 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Le futur stade de Diamniadio
accueillera les Jeux olympiques
de la jeunesse de 2026.
DR
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 19
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AMANDA ROUGIER
22 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
PHÉNOMÈNE
Mohamed
Mbougar Sarr
GONCOURT
DU PAYS SÉRÈRE
Le romancier de 31 ans, à la discipline d’ascète, a obtenu, en novembre
2021, la PLUS PRESTIGIEUSE DISTINCTION LITTÉRAIRE française.
Portrait intime signé Elgas, un autre jeune talent de la scène sénégalaise.
DR
PARIS, quartier des Grands Boulevards, le 3 novembre 2021,
19 heures. Dans ce bar-restaurant de la rue Rougemont,
à quelques pas du siège de l’éditeur Philippe Rey, la fête
commence. On y attend dans l’effervescence l’homme du jour.
L’émotion est palpable, la joie contagieuse. Domine plus encore
le sentiment de vivre une soirée déjà historique. Ne manque
que le bouquet final : l’homme lui-même, happé, pour l’heure,
par le tourbillon médiatique. C’est d’abord le plateau du Journal
de 20 h, La Grande Librairie en direct ensuite, après l’après-midi
au restaurant Drouant. Amis, proches, collègues du Paris
littéraire, tous sont là pour le féliciter. Vers 22 heures, il arrive,
sous les vivats. Sa silhouette longiligne domine l’assistance.
Embrassades, accolades, mercis en rafales, il improvise sur les
marches un discours, où la pudeur émue le dispute à l’humilité.
Une certaine candeur le sauve de la gloire ivre. Mohamed
Mbougar Sarr vient, à 31 ans, d’accrocher le plus prestigieux
prix littéraire français à son palmarès : le Goncourt.
Toujours dans ce même quartier des Grands Boulevards.
Cette fois, tout près du Rex. Un soir de juin 2012. Le décor
est tout autre, l’ambiance moins survoltée. Dans ce petit bar
où nous avons rendez-vous, c’est un post-adolescent timide,
frêle, qui s’avance. La tête dans les nuages, le pas lent, l’allure
rêveuse. Pourtant, déjà, derrière lui, une sacrée réputation.
Meilleur élève du Sénégal en 2009, lauréat de plusieurs prix au
Concours général – fabrique de la crème de la crème du pays –,
plume remarquée de La Voix de l’étudiant, journal du Prytanée
militaire de Saint-Louis, lycée d’excellence. Ce parcours
prodigieux lui a ouvert les portes de la prépa du lycée Pierre
d’Ailly, à Compiègne. Il y passera trois ans d’apprentissage,
nouant des liens forts avec des professeurs d’exception,
devenus mentors. Des honneurs, il en a à revendre, lui qui,
pourtant, n’en fait jamais trop. L’écriture s’affirme comme sa
vocation. Comme enseignant ou écrivain ? Le rêve est-il déjà là,
silencieux ? Après un échec à l’École normale supérieure (ENS),
c’est l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
qui l’accueille, et avec lui, Paris, ses mythes, ses mirages. Ce
jour de 2012, dans ce café, la discussion roule sur Balzac, notre
premier amour commun, l’un des premiers modèles du jeune
Sérère. Chez lui, on dissèque, on commente, avec toujours
l’exigence de la parure. Puis le football et l’Euro sont à l’ordre
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 23
MELTING-POT
Il a été récompensé
le 3 novembre dernier pour
son roman La Plus Secrète
Mémoire des hommes.
du jour. Quand nous nous quittons, je gagne un camarade,
mieux, un complice.
Quelques centaines de textes lancés sur un blog – au titre
repris de Victor Hugo, Choses revues –, et c’est la première
grande folie du jeune homme : un manuscrit sur le djihadisme
au Mali en 2013. Un coup d’essai et un coup de maître :
Terre ceinte paraît à la fin de 2014 et conquiert le jury du
prix Kourouma, bluffé par l’âge de l’auteur et l’épaisseur
philosophique du texte. Il y fait dialoguer le Bien et le Mal, dans
une ode à la résistance. Le propos est nuancé, mesuré, mature,
et entre en écho avec l’actualité, en cette année du triomphe du
film Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako. S’ensuivront d’autres
récompenses (le prix du roman métis, celui de la
Porte dorée, le prix Littérature-monde du festival
Étonnants voyageurs…), pour quasiment tous
ses livres. La toile de sa belle réputation se tisse
sous des honneurs qui en appellent d’autres.
Il est décoré par le président Macky Sall. Il suscite
l’admiration et, fait plus rare, l’unanimité, sans
jamais tomber dans la connivence ou la complaisance. Malgré
cette besace pleine, le Paris littéraire le méconnaît. Il est encore
dans le « ghetto ». Trois livres ne l’ont pas encore affranchi
de son statut de promesse africaine ou francophone.
Pour ce forgeron de l’écriture, ce n’est qu’une question de
temps. Le talent est une donnée comme une autre chez lui, pas
un privilège qui dispense de travailler. Seul, il est vain. Il faut
donc lire, beaucoup, jusqu’à l’obsession, faire allégeance aux
maîtres. Seulement après, peut-être, essayer de marcher sur
leurs pas. L’écriture sera vie, malgré la précarité de la vocation
et les angoisses alimentaires. Il s’y adonne corps et âme, en
théoricien et en praticien. La thèse de doctorat qu’il commence
sur trois livres de l’année symbolique de 1968 – Le Devoir de
violence, du Malien Yambo Ouologuem, La Plaie, du Sénégalais
Malick Fall, Les Soleils des indépendances, de l’Ivoirien Amadou
Kourouma – attendra. Il finira par la suspendre, mais un
tel corpus, celui de la désillusion, de la disparition, n’est pas
anodin dans sa trajectoire. Étape décisive pour comprendre
sa charpente littéraire et son rapport à la littérature africaine,
Il suscite
l’unanimité
sans jamais
tomber dans la
complaisance.
tant ces figures ont incarné à la fois la solitude, le retrait,
la gloire la plus établie, mais aussi l’opprobre. C’est donc
en lecteur qu’il se pose d’abord, en vrai lecteur qui tient les
livres pour sacrés. Ce regard de chercheur sur son objet de
cœur, cette immersion étofferont son regard et son approche.
La lumière du vocatus ainsi allumée se fera de plus en plus
vive au long de l’apprentissage. Silence du chœur (2017), son
deuxième livre, séduit aussi en plein drame migratoire, ses
héros siciliens confortent sa fibre humaniste. Il peaufine son
style. Les rares critiques pointent une écriture « khâgneuse »,
sage et gentiment classique, il leur tord le cou dans De purs
hommes (2018), audacieuse confrontation avec le tabou
ultime de la société sénégalaise : l’homosexualité. Il devance
les critiques. S’arme contre les flèches à venir, immanquables,
quand la gloire arrive et qu’elle suscite la malveillance. Ce
n’est donc rien de moins qu’une rentrée littéraire dans laquelle
il se lance en août 2021, donnant une saveur épique au défi.
Se dépatouiller dans la forêt des 600 livres promis à l’oubli.
Et ce, sans grand réseau derrière. Un pari fou, gagné haut
la main. Avec une presse dithyrambique et des éloges, qui
l’ont vu en bonne place sur les prix littéraires d’automne.
Demeure, en trame de fond, cette candeur du refuge au pays
de la littérature, malgré les urgences. Pour ce footballeur
intermittent et doué, fan de Zidane, amateur de passements
de jambes et de tacles fulgurants, bon vivant et rigolard,
amoureux fou du mafé – moins du chou –, les rues de Paris sont
autant de tableaux sociologiques, de livres, des
sources ouvertes. Dandy sans le sou, il en a goûté
les errances, souvent nocturnes et solitaires.
Il les a pourtant embrassées, sans la folie propre
des héros balzaciens, avec mesure, patience,
en stratège, comme sûr que son heure était
à l’horizon. Ses romans, son application d’ascète,
lui ont pavé la voie à des rencontres fondatrices, mentors, amis,
toujours séduits par son génie et sa personnalité. L’ancrage
en pays sérère est un élément fondateur de son identité. Né
en 1990, Mohamed Mbougar Sarr est l’aîné d’une fratrie de
sept garçons. Père médecin et maman au foyer. Il grandit
entre Diourbel, Mbour et Saint-Louis. Il s’est nourri d’une
langue, de mythes, de valeurs, qui sont devenus chez lui
des marqueurs. Point un hasard si La Plus Secrète Mémoire
des hommes, le livre de la grande consécration, puise une
partie de son histoire au cœur de ce pays sérère, ce berceau
où il va souvent en pèlerinage. Si sa tête a toujours côtoyé les
nuages du haut de son cérémonial mètre 91, les pieds, eux,
sont restés bien sur terre, enracinés. Il doit cette humilité,
entre autres, à son tempérament d’une naturelle pondération.
Laquelle, sur les Grands Boulevards, est restée presque
imperturbable malgré le fracas. Tout gagner à l’aube de la vie
est bien désarmant, il faut survivre au Goncourt pour tutoyer
d’autres sommets. Et s’il est un écrivain capable de s’ouvrir
à de nouveaux horizons, c’est précisément celui-là. ■ Elgas
AURORE THIBAULT/HANS LUCAS/HANS LUCAS VIA AFP
24 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
Une rétrospective
des œuvres de
tissu du plasticien
Abdoulaye
Konaté (à droite)
est annoncée.
DR - COURTESY THE ARTIST AND BLAIN SOUTHERN, PHOTO PETER MALLET
DAKAR,
ÉVÉNEMENT
CAPITALE
ARTISTIQUE
Après son annulation en 2020,
Dak’Art, principale biennale
d’art contemporain du continent,
fait un RETOUR EN BEAUTÉ.
L’ENGOUEMENT EST REVENU, la 14 e édition aura bien
lieu en 2022, du 19 mai au 21 juin. Le thème, « Indaffa#/
Forger/Out of the Fire », a été conservé. « La biennale se fixe
pour objectif de refuser la forme telle qu’elle est donnée
et de forger les sens qui sont encore informes », explique
le directeur artistique, Malick Ndiaye. Homme du sérail
– il est conservateur du musée Théodore Monod d’art africain
et enseignant-chercheur à l’Institut fondamental d’Afrique
noire (IFAN) de Dakar –, il porte l’orientation artistique et
scientifique de la manifestation. La sélection initiale des
59 artistes visuels (individuels ou collectifs) a été gardée, mais
le choix des œuvres a évolué. « La pandémie a marqué tout
le monde, y compris les artistes. On ne pouvait pas l’ignorer.
Cela se traduit dans leurs créations », explique-t-il, avant
de préciser : « Par rapport au thème d’origine “Indaffa”, nous
avons ajouté le hashtag pour montrer que des expériences
ont été traversées et que le glissement vers une nouvelle
ère s’est fait. » Une nouvelle ère qui se ressent aussi dans
l’invitation faite à quatre femmes commissaires d’expositions :
la Sud-Africaine Greer Odile Valley, la Canadienne Lou Mo,
la Ghanéenne Nana Oforiatta Ayim et la Marocaine Syham
Weigant. Pendant un mois, Dakar va vivre au rythme des
vernissages, débats et autres festivités. Certains temps
forts sont annoncés, comme « Doxantu » (« promenade »
en wolof), une exposition de sculptures, d’installations et
de design prévue sur la corniche ouest d’artistes reconnus à
l’international, avec un mot d’ordre : monumental. Pour Malick
Ndiaye, « exposer l’art dans les lieux de déambulations » est
une façon de le partager plus largement, de toucher surtout
d’autres publics. Instaurer l’art dans l’espace public est une
volonté de la biennale, financée en majorité par l’État. Le « in »
prendra place dans plusieurs lieux emblématiques : le musée
des Civilisations noires, le musée Théodore Monod, ou encore
l’ancien palais de Justice sis au cap Manuel (le maître malien
Abdoulaye Konaté doit y être exposé). Des projets spéciaux
sont prévus, comme une exposition du collectif des Ateliers
de troubles épistémologiques sur le dialogue entre collections
muséales et art contemporain, un projet porté par la résidence
Black Rock, ou encore l’installation monumentale composée
de 343 pièces d’Ousmane Dia, plasticien sénégalo-suisse.
Quant au « off », la programmation est plus libre, avec des
centaines de manifestations essaimées sur un territoire plus
large, grâce aux galeries, hôtels ou centres culturels régionaux
de Saint-Louis, Mbour ou Ziguinchor. ■ Alexandra Fisch
HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022 25
MELTING-POT
Ndokette Session,
Untitled,
Ibrahima Ndome,
2019.
MÉCÉNAT
DIALOGUE ENTRE LES CULTURES
Quand ELLIPSE PROJECTS, entreprise de construction présente
en Afrique et en Asie, décide de créer une fondation, cela donne
un nouveau prix qui impulse la jeunesse artistique émergente.
PENDANT LE CONFINEMENT PARISIEN de mars 2020,
Laura Picard et Victoria Jaunasse pensent une façon de
« nouer des liens autres » que ceux qui unissent l’entreprise
aux pays qu’elle équipe. Leur mantra : « Utiliser l’art comme
expression du dialogue entre les cultures. » L’idée prend
rapidement forme en un prix décerné chaque année dans
un pays différent. Une façon de soutenir les jeunes artistes,
de leur donner accès au circuit international de l’art
contemporain. La première édition s’est tenue au Sénégal
en juin 2021. La fondation a rassemblé un jury de grands
noms du milieu. Parmi eux : Wagane Gueye, commissaire
d’exposition, Ken Aïcha Sy, fondatrice de la plate-forme
Wakh’Art, ou encore Bénédicte Alliot, directrice de la Cité
internationale des arts, à Paris. Une soixantaine de candidats
ont répondu à l’appel à candidatures, dont Ibrahima Ndome,
du collectif Atelier Ndokette, l’heureux lauréat. Avec ses
deux acolytes, Safi Niang et Souleymane Bachir Diaw, il a
remporté une résidence de trois mois à Paris et l’exposition
de son travail à la foire d’art contemporain africain Akaa
en novembre 2021. Une impulsion bienvenue pour le jeune
designer-costumier qui cherche, à travers le stylisme et la
photographie, à « initier une remise en question chez les gens,
les amener à questionner leur présent ». Pour la prochaine
édition, rendez-vous en 2022 en Côte d’Ivoire. ■ A.F.
XOULIXOOL
26 HORS-SÉRIE AFRIQUE MAGAZINE I FÉVRIER 2022
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