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Collection<br />
Altri menti<br />
En homme libre. Léo Micheli, ancien responsable<br />
de la Résistance corse, Dominique Lanzalavi, 2020<br />
Hospitalières, Francis Aïqui, 2020<br />
Fragments de vie, reflets d’Évangile. La Bible et le journal,<br />
Gaston Pietri, 2018<br />
Le morceau de sucre, et autres écrits, Noëlle Vincensini, 2018<br />
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Avant-propos<br />
Les <strong>temps</strong> sont <strong>incertains</strong>. Ils le sont à l’échelle de<br />
la planète. Les idéologies sont en panne. Les incertitudes<br />
se concrétisent tout près de nous. Demeurent des lueurs.<br />
À chacun de <strong>les</strong> repérer. Ces quelques réflexions sont très<br />
loin de constituer une charte. El<strong>les</strong> touchent aux soubassements<br />
d’une existence selon l’Évangile. El<strong>les</strong> voudraient<br />
faire apparaître <strong>les</strong> connivences avec tous ceux qui, dans<br />
<strong>les</strong> évolutions en cours, s’expriment en paro<strong>les</strong> et en actes<br />
comme <strong>les</strong> artisans d’un humanisme exigeant et tout à la<br />
fois contemporain. Face aux dérives présentes ou prévisib<strong>les</strong>,<br />
on ne trouvera ici aucune proposition de réforme<br />
de législation. C’est là une autre perspective et une autre<br />
tâche. Il faut d’abord réapprendre à penser selon une<br />
Tradition qui, suivant l’expression du Pape François,<br />
n’est ni « un dépôt statique » ni une « pièce de musée »<br />
(L’Amazonie bien aimée, 2020). Considérable est la part<br />
du chemin que des croyants et des non-croyants peuvent<br />
parcourir ensemble. Des lueurs peuvent éclairer des routes<br />
où s’entremêlent <strong>les</strong> promesses et <strong>les</strong> périls.<br />
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Avide de voir<br />
Le nouveau-né voit enfin le visage de sa mère.<br />
Difficile de se rendre compte qu’il y a eu un moment<br />
où le lait a précédé le visage. Et puis ce visage est devenu<br />
révélation. À vrai dire sensation d’une présence. Voir :<br />
je suis encore impressionné, quand j’ouvre la Bible et<br />
que je relis le livre de l’Exode, par la demande de Moïse :<br />
« Fais-moi voir ton visage ».<br />
Enfant, je voulais voir. Le clocher et sa ciccona<br />
m’indiquaient la direction de l’église. Les parures de<br />
l’autel, <strong>les</strong> couleurs variées des chasub<strong>les</strong> selon ses saisons<br />
et <strong>les</strong> fêtes, m’intéressaient. Mais je voulais voir au-delà<br />
des choses. Ma foi d’enfant me disait : oui, il y a un<br />
au-delà, mais quand et comment verra-t-on Celui que<br />
j’avais appris à appeler Dieu ?<br />
Plus tard j’ai lu dans le livre de l’Exode : « On ne<br />
peut voir Dieu sans mourir ». Et c’est Dieu qui le dit<br />
à Moïse sans doute désolé de cette fin de non-recevoir.<br />
Alors que faire ? Question troublante digne de<br />
l’incroyant, que du reste je n’imaginais pas : « Faut-il<br />
alors vivre sans Dieu ? » L’avidité de voir, je saurai<br />
un jour qu’elle conduit à l’idolâtrie. Le philosophe<br />
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Jean-Luc Marion a écrit un ouvrage subtil et à la fois<br />
lumineux, L’idole et la distance. J’ai compris – oh ! le<br />
païen ! – que j’avais été idolâtre, et qu’il y avait des<br />
recoins où je l’étais peut-être encore. C’est l’Orient qui<br />
m’a montré que nos tableaux et nos statues ne valaient<br />
pas l’icône. « À l’idole manque la distance », explique<br />
Jean-Luc Marion. L’icône au contraire ne montre pas,<br />
mais suggère, indique.<br />
Voudrions-nous un Dieu manipulable ? Tel est<br />
notre instinct de possession. Dieu aurait-il frappé le<br />
portrait d’interdit, comme le pensent <strong>les</strong> croyants musulmans<br />
? Non, dit à sa manière la foi chrétienne. Car notre<br />
foi inclut de façon primordiale l’Incarnation. Le Fils de<br />
Dieu s’est fait l’un d’entre <strong>les</strong> humains. Mais tous ceux<br />
qui ont vu Jésus de Nazareth – <strong>les</strong> récits des Évangi<strong>les</strong> le<br />
disent bien – n’ont pas cru voir Dieu. J’ai lu et souvent<br />
relu saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens :<br />
« Pour le moment nous le voyons, dans un miroir, en<br />
énigme. Un jour ce sera face à face » (i Cor. 13, 12).<br />
Ce jour, ce sera celui où nous quitterons ce monde,<br />
notre monde.<br />
L’énigme est un mot qui n’a cessé de me travailler.<br />
Chaque fois que je rencontre un agnostique tel que je<br />
n’en avais jamais connu dans mon enfance, je lui dis « je<br />
crois », et puis sans crainte je lui avoue « l’énigme ».<br />
Un soir, non loin du village, j’ai croisé un vieil homme<br />
que je connaissais bien, en train de ramener ses brebis<br />
au bercail. L’angélus sonnait. C’était l’heure. J’avais<br />
bien vu quelques personnes qui, dès qu’el<strong>les</strong> enten-<br />
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daient ce son de cloche, faisaient le signe de la croix. Le<br />
brave homme n’avait même pas enlevé sa casquette. Ma<br />
question naïvement a surgi : « Et vous, vous ne croyez<br />
pas ? ». Réponse : « Eh, ci sara qualcosa » (eh, il y aura<br />
bien quelque chose). J’en suis resté là. Pour lui l’énigme<br />
était parfaite. Et <strong>pour</strong> moi ? Si oui, ce sera autrement.<br />
« As-tu vu quelque chose ? » Quant à voir, comme<br />
on voit le clocher, non. Je ne vois pas, je crois. Mais le<br />
trouble s’invite une fois ou l’autre.<br />
Je viens de lire De l’âme de François Cheng.<br />
La personne qui me l’a offert, <strong>pour</strong> autant que je sache,<br />
n’est pas une croyante en tout point selon la foi catholique<br />
qui est la mienne. Elle m’a dit : lis-le, c’est sublime.<br />
Je connaissais d’autres merveilleux écrits de François<br />
Cheng. Je lis dans ce livre que j’ignorais encore : « D’où<br />
vient que cette source soit inépuisable ? » Question du<br />
jeune homme devant le fleuve qui « enfile vallées et<br />
plaines, avance jour et nuit sans une seconde de répit,<br />
<strong>pour</strong> finalement se précipiter dans la mer ». Or, François<br />
n’avait encore jamais vu la mer. Un jour il l’a vue : « Le<br />
vrai accomplissement de notre désir est contenu dans<br />
notre désir lui-même ». François Cheng m’a renvoyé<br />
à Simone Weil qui l’avait passionné. L’enracinement<br />
a été rédigé à Londres où elle a fini sa brève existence<br />
de philosophe résistante en pensée et en actes à l’aberration<br />
nazie.<br />
François Cheng est ébloui par « ce brusque retournement<br />
» d’un esprit athée qui reconnaît le divin : « La<br />
foi, c’est l’expérience que l’intelligence est éclairée par<br />
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l’amour ». Ici encore le voir : l’amour ne se voit pas,<br />
mais seulement ses effets, ses élans, la transformation<br />
qu’il opère. De là découle même la liberté qu’il laisse à<br />
l’intelligence de nier Dieu. Simone Weil a surmonté la<br />
négation par la force d’un amour qui, dit-elle, constitue<br />
une appréhension de la réalité plus pleine que l’intelligence.<br />
Le Chinois qu’il est et demeure, dans le cœur de<br />
Cheng, a saisi cette réalité au plus intime.<br />
Je n’ai jamais cessé, à travers sans doute un reste<br />
d’idolâtrie enfantine, d’aspirer à voir. Ma prière secrète<br />
est souvent celle de l’aveugle Bartimée s’adressant à Jésus :<br />
« Fais que je voie ». Je devrais plus souvent changer le<br />
mot en un simple et beau « fais que j’aime ».<br />
Curieusement peut-être j’ai voulu savoir à quoi<br />
aspiraient nos ancêtres du Moyen Âge. Justement <strong>les</strong><br />
historiens me font toucher du doigt une course au voir.<br />
La recherche de Dieu, de l’Invisible à certaines heures<br />
si décevant <strong>pour</strong> notre sensibilité, s’était concentrée sur<br />
l’Eucharistie. Qui ne se trouverait juste dans une telle<br />
concentration, s’il a saisi le sens du geste de Jésus nous<br />
laissant l’Eucharistie ? Mais voilà que c’est la messe qui<br />
est décevante <strong>pour</strong> beaucoup. Au xii e siècle, la foule qui<br />
se rassemble dans <strong>les</strong> églises est convaincue de la présence<br />
du Christ (« Présence réelle », a-t-on commencé à dire).<br />
Réelle parce que certains veulent en rester au symbole.<br />
Cette foule pratiquante voudrait assister, dit l’historien<br />
André Vauchez, à « la descente de Dieu sur l’autel ».<br />
On fait pression sur <strong>les</strong> prêtres <strong>pour</strong> qu’ils élèvent<br />
l’hostie, d’autant plus haut que l’autel est parfois loin.<br />
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C’est là qu’est né le mot « Élévation ». Et il fallait que<br />
ce soit plusieurs fois et longuement. Il a même fallu<br />
réglementer. L’intention de la foule est touchante. Mais<br />
est-elle vraiment conforme à la réalité mystérieuse de ce<br />
peu de pain et de cette coupe de vin dont le Christ et<br />
lui seul par sa Parole opère sa propre présence. D’autant<br />
qu’à l’époque <strong>les</strong> « assistants » ne communiaient<br />
pas. Le scintillement de l’ostensoir <strong>pour</strong>rait-il être du<br />
même genre lorsque, dans l’adoration, l’essentiel est de<br />
reconnaître la présence ? Étrangement, en ce xxi e siècle<br />
où dans le quotidien de nos existences si peu de signes<br />
indiquent la présence de Dieu, notre recherche voudraitelle<br />
copier de trop près <strong>les</strong> croyants du Moyen Âge ? On<br />
le dirait parfois. Une personne voulant l’adoration et en<br />
même <strong>temps</strong> l’ostensoir m’a dit « la présence ».<br />
J’aime à dire que je vis chaque année intensément<br />
le grand vide de la journée du Samedi saint. La Croix<br />
a été vénérée le soir du Vendredi où Jésus a émis son<br />
dernier souffle. Nous attendons le soir du Samedi où une<br />
flamme va s’allumer <strong>pour</strong> laisser percer une vie désormais<br />
impérissable. D’ici là ni statues, ni images, ni sonneries<br />
ne doivent troubler le silence de Dieu devant le défi des<br />
passants : « Descends de la croix ». Défi auquel le Christ<br />
n’aurait pensé à répondre.<br />
Le vide est d’autant plus un appel à saisir, et cela en<br />
toutes circonstances même <strong>les</strong> moins religieuses, que la<br />
société n’arrête pas de produire <strong>les</strong> paro<strong>les</strong> et surtout <strong>les</strong><br />
objets qui combleront le silence du Mystère de Dieu. Le<br />
vide est dans <strong>les</strong> cœurs. Or, dans ce vide, il y a un Dieu<br />
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discret, qui ne se laisse pas voir <strong>pour</strong> <strong>les</strong> regards curieux<br />
y compris dans l’élan d’une certaine religiosité. Je relis<br />
Anouilh faisant parler Jeanne d’Arc : « Vous vous taisez,<br />
mon Dieu. Mais quand vous vous taisez, c’est quand<br />
vous nous faites le plus confiance. C’est quand vous<br />
vous taisez que vous nous laissez assumer tout seuls ».<br />
Je parle trop, même de Dieu, j’en parle trop à des gens<br />
qui eux voudraient voir. Si parole il y a, et il faut qu’elle<br />
soit, c’est <strong>pour</strong> laisser pressentir une présence qui ne<br />
s’impose pas mais s’offre à la foi du plus humble. Elle<br />
s’offre à qui sait la recevoir à travers des signes.
Grandeur et petitesse<br />
En reconnaissant, avec l’héroïne du livre d’Anouilh,<br />
que Dieu nous fait une inestimable confiance, j’ai sousentendu<br />
la dignité humaine. Je l’ai fait avec la Bible<br />
surtout dans son récit de la création. Mais aussi avec la<br />
Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) qui<br />
ne connaît pas d’autre fondement. Sans parler de bien<br />
des textes du concile Vatican II. Et j’aime à citer <strong>les</strong> deux<br />
premiers mots latins (selon une ancienne tradition)<br />
de la déclaration sur la liberté religieuse « Dignitatis<br />
humanae ». Avant le christianisme, on cherche en vain<br />
qui aurait pu affirmer haut et clair qu’il est une dignité<br />
humaine et qu’en elle se résume toute valeur.<br />
Dans un petit ouvrage écrit à deux voix<br />
(Conversation, Albiana, 2016), mon interlocutrice,<br />
professeur de philosophie, me fait remarquer qu’une<br />
foule de textes d’Église au cours des sièc<strong>les</strong> maintient<br />
<strong>pour</strong> l’homme la mission de dominer toutes créatures<br />
conformément au récit du livre de la Genèse. Je lui ai<br />
expliqué que cette mission ne comporte pas l’affirmation<br />
d’une effective supériorité de l’espèce humaine sur<br />
l’ensemble des espèces vivantes au point d’en disposer à<br />
son gré et <strong>pour</strong> son seul profit. J’ajoute que le livre de<br />
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la Genèse, en son 2 e chapitre, préfère parler de « garder<br />
et cultiver ». Le pape François s’en explique clairement<br />
dans son encyclique Laudato si. La question mérite un<br />
complément de débat. J’en conviens.<br />
Je crois à la grandeur de la vocation humaine : voilà<br />
qui est sûr. Qu’entendre par grandeur ? Il y a eu tant de<br />
bassesses dans <strong>les</strong> sociétés humaines, au cours des sièc<strong>les</strong><br />
et encore de nos jours. Tout ce qui a trait à une puissance,<br />
flanquée du faste, de la gloire, en somme du clinquant,<br />
est à récuser en fait de marque de grandeur. Ce serait,<br />
et c’est hélas, le Jupiter de la fable de La Fontaine « La<br />
besace » : « Que tout ce qui respire s’en vienne comparaître<br />
aux pieds de ma grandeur ». C’est à chacun<br />
d’abord d’accomplir en soi la seule mutation qui vaille.<br />
Elle consiste à allier au plus intime la grandeur et la<br />
petitesse. La Bible peut être accusée d’avoir plusieurs<br />
langages. Il <strong>les</strong> faut. Sans quoi l’humain boitera et c’est<br />
son extrême péril. J’aime bien l’expression « boiter »<br />
Elle est à la fois réalité à accepter et danger permanent<br />
sur lequel veiller. Une grandeur sans reconnaissance de<br />
la petitesse engendre orgueil fou et <strong>pour</strong>suite démesurée<br />
de prosternement et d’écrasement du petit.<br />
L’humain est pétri de la « glaise du sol ». Peut-on<br />
descendre plus bas ? Cette glaise est façonnée et<br />
demande à faire place à une « haleine de vie » insufflée<br />
dans <strong>les</strong> narines (Livre de la Genèse). L’avertissement<br />
arrive dans le droit fil : « Tu es glaise, et tu retourneras<br />
à la glaise ». C’est la même glaise du sol où poussent<br />
<strong>les</strong> plantes, où <strong>les</strong> animaux trouvent leur nourriture.<br />
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Le Livre de la Sagesse croit bon d’indiquer l’inévitable<br />
fin : « après quoi nous serions comme si nous n’avions<br />
pas été ». Certes le chrétien professe que, la mort<br />
ayant fait son œuvre, la vie que Dieu redonne est une<br />
vie qui, à la différence de celle que nous menons sur<br />
la terre pendant un certain nombre d’années, est une<br />
vie impérissable. Mais qui peut se la représenter ? Ne<br />
pas la représenter ne signifie pas ne pas y croire. Mais<br />
elle échappe à nos prises, comme Dieu que nous ne<br />
pouvons prendre en nos filets. Croire n’est pas savoir<br />
et <strong>pour</strong> cela décrire à qui cherche à son tour comment<br />
se représenter.<br />
Pour la première fois depuis quarante ans, le jour<br />
de la Toussaint et le lendemain, j’étais dans mon village<br />
natal. J’ai voulu traverser de bout en bout le cimetière.<br />
J’ai relu <strong>les</strong> noms inscrits sur <strong>les</strong> tombes. Et j’ai mesuré<br />
combien ne me parlaient plus de personnes connues.<br />
J’avais suggéré, dans un moment de prière commune,<br />
de penser à ceux à qui personne ne pense plus. Personne<br />
n’a pris l’allusion <strong>pour</strong> une injure. C’est là un fait<br />
indéniable, ne serait-ce que du fait que <strong>les</strong> générations<br />
se succèdent vite en dépit de l’allongement actuel de<br />
l’espérance de vie. M’est revenue cette évocation, qui ne<br />
va pas sans tristesse : « Avec le <strong>temps</strong> notre nom tombera<br />
dans l’oubli (…) notre vie passera comme <strong>les</strong> traces d’un<br />
nuage … » (Sagesse 2, 4). Le réalisme du Livre de la<br />
Sagesse donne à réfléchir.<br />
Un auteur dont je ne sais plus le nom a pu écrire que<br />
<strong>les</strong> vrais morts sont ceux à jamais ensevelis dans l’oubli.<br />
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Donc ceux qui sont comme n’ayant jamais existé. Ils sont<br />
venus au monde. Ils ont vu le jour, même si ce jour n’a pas<br />
eu un instant d’heureuse clarté. À Paris, dans le quartier<br />
du Marais, a été fondée une association qui consacre<br />
ses recherches aux « morts de la rue ». Certains n’ont<br />
jamais eu leur nom sur une porte et encore moins sur<br />
une boîte aux lettres. S’ils l’ont eu, ils l’ont perdu dans<br />
le gouffre de la pauvreté, du mal-être parfois si proche<br />
du non-être. Des noms sont retrouvés, à partir d’un<br />
surnom tel qu’il a circulé parmi <strong>les</strong> compagnons d’infortune.<br />
Dans un cimetière il s’est inscrit, alors que dans la<br />
société il n’avait apparemment plus aucune raison d’être<br />
mentionné. Chaque année <strong>les</strong> fidè<strong>les</strong> de l’association<br />
« Les morts de la rue » font le compte, dressent la liste,<br />
cherchent à rappeler le souvenir et d’aucuns, comme on<br />
le fait au memento de la messe, nomment ces disparus<br />
dans la prière. Pour Dieu, dès lors qu’ils ont existé, ils<br />
existent encore et à jamais.<br />
On aurait envie de rejoindre <strong>les</strong> rangs de l’association<br />
<strong>pour</strong> protester contre ce qui est assimilé à un néant,<br />
alors que ces humains sont sortis à jamais de ce néant<br />
dès le sein de leur mère comme chacun d’entre nous.<br />
Et si l’on pense à ceux qui ont fui l’horreur du massacre<br />
<strong>pour</strong> être englobés dans <strong>les</strong> chiffres des réfugiés. Sur des<br />
embarcations périlleuses, ils ont cru un instant que peutêtre,<br />
en abordant une côte, ils trouveraient un refuge.<br />
Comment ne pas frémir à l’idée qu’enfants ou adultes<br />
ils ont sombré et <strong>pour</strong> toujours ici-bas dans l’inconnu !<br />
La presse elle-même ne parle plus de ces naufrages tant<br />
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