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PARCOURS<br />

Samira Sedira<br />

L’AUTRICE ET COMÉDIENNE FRANCO-ALGÉRIENNE<br />

signe un quatrième ouvrage saisissant, Des gens comme eux. Inspiré<br />

d’un effroyable fait divers, il a reçu le prix Eugène Dabit du roman<br />

populiste 2021, qui soutient la littérature engagée. par Astrid Krivian<br />

La voix est posée, le phrasé savamment rythmé, les mots ciselés. Dans l’effervescence du<br />

festival Le Livre à Metz, temps fort de la scène littéraire, Samira Sedira captive l’auditoire.<br />

Elle lit un extrait de son dernier roman, Des Gens comme eux, librement inspiré de<br />

l’affaire Flactif, tuerie d’une famille survenue en Haute-Savoie, en France, en 2003.<br />

Une plongée dans la complexité de l’âme humaine pour tenter de comprendre les rouages<br />

menant à la barbarie. « Le rôle d’un auteur est d’éclairer les ténèbres, d’offrir un peu<br />

de compréhension de l’humanité », détaille l’écrivaine. Ce fait divers, « rupture dans<br />

l’ordre des choses », concentre à ses yeux tensions sociales, raciales, jalousie, rapports<br />

de force. « Aucun article n’a mentionné la dimension raciste du crime, pourtant vérifiée<br />

par la suite. Ce couple aisé, mixte, qui affichait leur forte assise sociale, était un objet désirable, envié, détesté. »<br />

Née en Algérie en 1964, arrivée en France à quatre mois, Samira Sedira grandit à la Seyne-sur-Mer,<br />

en Provence. L’écriture est une « vieille compagne » pour elle. Avec ses sœurs, elle dévore les livres, et noircit<br />

ses cahiers d’histoires qu’elle invente : « Adolescentes, éduquées selon la tradition,<br />

on sortait peu. On s’évadait par la lecture. » Après le bac, sur les bancs de la faculté<br />

des langues où elle s’ennuie ferme, elle découvre la magie du théâtre au sein de la<br />

troupe universitaire. À travers le jeu, l’étincelle jaillit : elle qui peine à exister dans<br />

une famille nombreuse est enfin regardée. Sous les feux de la rampe, elle se sent<br />

puissante. La scène libère ses émotions muselées, legs de ses parents immigrés relégués<br />

au silence. Diplômée de l’École supérieure d’art dramatique de Saint-Étienne, elle<br />

incarne les grands textes (Beckett, Koltès, Shakespeare, tragédies grecques…) sur<br />

les tréteaux de France pendant vingt ans. Jusqu’au jour où tout s’arrête. Le téléphone<br />

ne sonne plus. « C’est la cruauté du métier : il vous enlève soudainement tout ce<br />

qu’il vous a donné. » L’indépendance chevillée au corps, elle fait alors des ménages<br />

pour subsister. Elle passe de la lumière à l’ombre, de la visibilité de l’actrice admirée Des Gens comme eux,<br />

éditions du Rouergue,<br />

à l’invisibilité de l’agente d’entretien. « J’ai alors compris que l’on est défini par notre<br />

144 pages, 16,50 €.<br />

travail, notre statut social. Je n’étais plus qu’un corps, pétri de douleurs, de fatigue. »<br />

C’est pourtant cette épreuve qui lui ouvre les portes de la littérature et de ses origines. Faisant surgir<br />

une mémoire enfouie, l’exil de ses parents algériens, cela lui permet de comprendre en profondeur<br />

leur vécu, leur condition. « En endossant leur costume social, je me sentais plus proche d’eux. » Son père,<br />

ouvrier, arrivé seul en France dans les années 1950, logé dans des habitats insalubres, et sa mère, venue<br />

le rejoindre, déchirée par la plaie vive du déracinement. Tous deux enjoints à raser les murs. Elle prend<br />

alors la plume et signe L’Odeur des planches (2013), interprété ensuite sur scène par Sandrine Bonnaire.<br />

« J’écris parce qu’on nous a tellement demandé de nous taire. C’est un geste de restauration. Je veux<br />

dire mon envie d’exister, dans mon pays, la France, et faire résonner le silence de mes parents. » ■<br />

DR<br />

26 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>428</strong> – MAI 2022

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