13.06.2022 Views

AM 429 FREE

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

édito<br />

LA TUNISIE EN<br />

TRANSITION PERMANENTE<br />

PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />

Fin mai 2022, voyage à Tunis, avec les sensations,<br />

les différences et les convergences entre ce<br />

que l’on lit et l’on entend à l’extérieur et ce que l’on<br />

ressent sur place. Cette magnifique baie de Tunis tout<br />

d’abord, la mer Méditerranée, lorsque l’on atterrit. Le<br />

premier contact avec l’aéroport, Tunis-Carthage, qui<br />

semble tel un vieux navire amiral, saturé et épuisé.<br />

Cette sensation d’activité, de fourmillement, avec<br />

les embouteillages, les immeubles flambant neufs,<br />

tous ces nouveaux quartiers, qui encerclent de plus<br />

en plus l’ancien centre-ville, ces autoroutes urbaines,<br />

ces embouteillages permanents, ces gens, nombreux,<br />

qui conduisent comme de véritables dingues,<br />

des dangers publics pour eux-mêmes et pour les<br />

autres. Il y a ces restaurants pleins, ces marchés animés,<br />

ces boutiques achalandées. Et cette impression<br />

pourtant que tout coûte cher, horriblement cher. Il y<br />

a ces grands bateaux que l’on voit dans la rade du<br />

port, au large, et dont un spécialiste me dit qu’il s’agit<br />

de cargaisons de blé qui attendent un paiement<br />

avant de débarquer… Il y a ces hôtels complets, un<br />

peu partout de Tunis à Djerba, avec les touristes qui<br />

reviennent en masse. Il y a eu le pèlerinage de la<br />

Ghriba, un véritable succès avec des centaines de<br />

fidèles venus se recueillir et festoyer dans l’une des<br />

plus anciennes synagogues du monde arabe. Avec<br />

les sempiternelles polémiques stériles sur les relations<br />

entre la Tunisie, sa diaspora juive et les passeports<br />

qu’elle détient…<br />

Une dame évoque une urgence médicale, un<br />

séjour dans une clinique privée, avec des médecins<br />

et des équipements dignes de l’Europe, de la médecine<br />

du premier monde. Et puis, il y a ces hôpitaux<br />

publics qui faisaient autrefois la gloire de la Tunisie<br />

et qui luttent, se déglinguent, malgré le dévouement<br />

et la qualité des équipes. Un peu comme l’école et<br />

les universités.<br />

Il y a cette Tunisie fonctionnelle, dans son<br />

siècle, celle des gens aisés, qui semble surfer sans<br />

trop de problèmes sur la vague des incertitudes.<br />

Cette autre Tunisie, celle des classes moyennes et<br />

des gens modestes, fragilisés, qui voient l’inflation<br />

et la paralysie économique rogner les revenus et les<br />

salaires. Cette autre encore, celle du bled, ou des<br />

banlieues pauvres, ou des régions déshéritées, et qui<br />

semble comme prostrée. Cette Tunisie enfin qui vit<br />

de l’économie informelle, du cash et des dinars qui<br />

passent de main en main, une Tunisie pas franchement<br />

légale, mais qui sert probablement de matelas<br />

ou d’amortisseurs à toutes les autres.<br />

Il y a ces discussions passionnantes avec<br />

une jeunesse toujours mobilisée, ces acteurs de<br />

la société civile, ces artistes qui cherchent toujours<br />

plus d’espaces de liberté. Il y a ces sportifs émérites<br />

comme la tenniswoman Ons Jabeur (qui est entrée<br />

dans le top 5 mondial) ou le nageur Ahmed Hafnaoui<br />

(médaille d’or sur 400 mètres nage libre aux JO de<br />

Tokyo 2021). On inaugure une rue de La Goulette<br />

du nom de Claudia Cardinale, et la star italienne,<br />

84 ans, était présente, là, dans la ville où elle est née,<br />

témoignage émouvant sur les origines multiples<br />

de la tunisianité.<br />

Il y a ces entrepreneurs qui cherchent à investir,<br />

malgré la crise, à ouvrir les marchés de l’avenir<br />

(santé, digital, services…). Et puis, il y a aussi ces<br />

chiffres désespérants, ceux de l’émigration, ces<br />

hommes, femmes et enfants, pauvres ou fortunés, qui<br />

s’échappent, pour aller vivre ailleurs. Il y a ces villes,<br />

ces campagnes, qui donnent une nette sensation<br />

de laisser-aller, cette impression que tout cela n’est<br />

pas très propre et que tout le monde s’en fiche, cet<br />

espace du bien commun qui paraît comme délaissé<br />

et abandonné. Comme si les Tunisiens se refermaient<br />

sur leur « sphère privée », sur leur vie, leur chez-soi, leur<br />

business, tout en délaissant une sphère « publique »<br />

jugée épuisante, dysfonctionnelle, sans espoir…<br />

En ce fin mai-début juin, tous les écrans sont<br />

occupés par le président de la République, Kaïs<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 3

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!