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Lors de la cérémonie<br />
d’investiture du nouveau<br />
président tunisien Kaïs Saïed,<br />
le 23 octobre 2019.<br />
CHOKRI/ZUMA/REA<br />
Cela étant dit, la Tunisie, comme les autres pays,<br />
ne peut pas, ne peut plus être gouvernée par un seul<br />
homme. Le chef de l’État ne peut pas être également<br />
juge et législateur, définir les lois, les procédures et les<br />
juridictions. On ne peut pas effacer tous les acquis de la<br />
révolution, tout particulièrement en matière de démocratie.<br />
Le pays a besoin évidemment d’un pouvoir organisé,<br />
mais aussi d’institutions fédératrices pour fonctionner. Et<br />
de contre-pouvoirs pour éviter l’arbitraire. La Constitution<br />
est le reflet d’une volonté de vivre ensemble, le reflet<br />
d’un pacte national, d’une évolution longue. La Tunisie<br />
est en outre un pays fragile, modeste, endetté, qui a<br />
besoin d’alliances, de soutien, d’équilibres subtils dans<br />
sa relation au monde extérieur. Elle ne peut pas s’aliéner<br />
ses voisins, s’éloigner de l’Europe, des États-Unis, de ses<br />
marchés et de ses partenaires. Elle se doit d’être ouverte<br />
justement pour se financer, se restructurer, et donc protéger<br />
sa souveraineté.<br />
La réalité, c’est que sans économie, sans développement,<br />
sans croissance, sans marge de manœuvre<br />
financière, les « institutions » et les constitutions ne<br />
peuvent rien. La Tunisie est un pays avant tout de com-<br />
merçants, d’agriculteurs, d’entrepreneurs. Toutes les<br />
tentatives d’économie « administrée » ou « centralisée »,<br />
ou « collectiviste », ont échoué. La corruption existe, mais<br />
ce n’est pas pire (ni mieux) qu’ailleurs. Il faut d’abord<br />
de la croissance, des emplois, des opportunités, réformer,<br />
moderniser.<br />
Au fond, l’histoire de la révolution continue à<br />
s’écrire. Depuis 2011, la Tunisie est en transition, en<br />
mutation. Elle cherche à nouveau son équilibre dans<br />
un contexte particulièrement explosif, avec la guerre<br />
en Ukraine, ses conséquences, la crise qui menace<br />
[voir pp. 30-39], l’inflation, le coût des céréales et du<br />
pétrole, les risques d’éruptions sociales. Elle fait face, à<br />
nouveau, à un véritable choix de société, de modèle<br />
qui engage son avenir. Et ce choix ne peut être celui<br />
d’un seul homme. Ou d’un seul parti. De gauche, de<br />
droite, ou qui se réclame de Dieu. La Tunisie est un pays<br />
carrefour, complexe, aux identités et aux cultures multiples.<br />
C’est également un pays somme toute « gérable »,<br />
idéalement placé au cœur de la Méditerranée, avec un<br />
acquis, des citoyens, créatifs, motivés.<br />
Le crash est possible. Mais le rebond aussi. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>429</strong> – JUIN 2022 5