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NUMÉRO<br />
<strong>431</strong>-<strong>432</strong><br />
EN VENTE<br />
DEUX<br />
MOIS<br />
Édito TUNISIE,<br />
ET MAINTENANT ?<br />
par Zyad Limam<br />
CÔTE D’IVOIRE<br />
Au pays des bâtisseurs<br />
Un maxi-Découverte de 28 pages<br />
spécial grands travaux<br />
L’usine d’eau potable de la Mé.<br />
DJ Snake,<br />
le Franco-Algérien qui fait<br />
danser le monde<br />
FORÊTS : L’AFRIQUE,<br />
DERNIER POUMON<br />
DE LA PLANÈTE ?<br />
Enquête sur l’un des ultimes patrimoines verts<br />
de l’humanité. Un bien commun menacé.<br />
PORTRAIT<br />
Clarence<br />
Thomas<br />
Juge à la Cour<br />
suprême, Noir le plus<br />
puissant d’Amérique<br />
N° <strong>431</strong>-<strong>432</strong> - AOÛT-SEPTEMBRE 2022<br />
L 13888 - <strong>431</strong> - F: 5,90 € - RD<br />
TUNISIE (2)<br />
Promenades<br />
au bout<br />
des îles<br />
Zembra.<br />
+<br />
INTERVIEWS<br />
Yasmina Khadra<br />
« L’ÉCRITURE EST<br />
UN VOYAGE INITIATIQUE »<br />
Beata Umubyeyi<br />
Mairesse<br />
« J’AI TROUVÉ<br />
MA PLACE DANS<br />
LA LITTÉRATURE »<br />
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 €<br />
Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $<br />
Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0 07X0
Je conjugue<br />
efficacité et<br />
durabilité.<br />
NICOLAS KOUASSI<br />
CONDUCTEUR D’ENGIN, FORMATEUR<br />
SC BTL-06/22- Crédits photos : © Révolution plus.<br />
MOBILISER plus POUR FAIRE FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX<br />
Grâce à des pratiques vertueuses et par l’innovation, Bolloré Transport & Logistics se<br />
mobilise pour préserver l’environnement. Des solutions sont mises en place pour réduire<br />
l’impact de nos activités. Nous sommes engagés dans des démarches de certifications<br />
pointues, à l’image du Green Terminal déployé sur tous nos terminaux portuaires.<br />
NOUS FAISONS BIEN plus QUE DU TRANSPORT ET DE LA LOGISTIQUE
édito<br />
PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
LA TUNISIE, SUITE ET SUITE…<br />
Voilà, les jeux sont (provisoirement) faits. Kaïs<br />
Saïed a fait adopter sa nouvelle constitution. La<br />
participation aura été faible, le débat largement<br />
tronqué. Mais il aura eu gain de cause. La Tunisie<br />
entre dans un nouveau régime, marqué par un<br />
pouvoir présidentiel fort, des contre-pouvoirs limités.<br />
On peut reconnaître au président de l’obstination,<br />
et suffisamment de sens politique pour s’imposer.<br />
Il a fait tomber la deuxième République sans coup<br />
férir, il est soutenu visiblement par l’appareil d’État.<br />
Que la deuxième République ait été un échec, personne<br />
véritablement ne le remet en cause, sauf ceux<br />
qui ont profité de ce modèle hybride pour prospérer.<br />
Et gouverner. Et s’enrichir. Difficile aussi de passer de<br />
plus d’un demi-siècle d’autoritarisme (Bourguiba,<br />
1957-1987, et Ben Ali, 1987-2011) à une démocratie<br />
opérationnelle en un clin d’œil historique. Et puis, la<br />
révolution était multiple dans sa nature. Elle mobilisait<br />
des élites avant tout soucieuses de modernisation<br />
politique. Mais aussi des couches plus populaires,<br />
moins « politiques », qui aspiraient surtout à la dignité,<br />
à l’égalité, à la promotion économique.<br />
Pourtant, le renouveau ne pourra pas venir en<br />
« relativisant » les acquis de la révolution. La Tunisie<br />
a besoin de centralité, d’autorité, d’une forme de discipline,<br />
mais pas aux dépens des idées démocratiques,<br />
du principe de justice équitable, de la liberté d’expression<br />
et du pluralisme. La Tunisie a besoin d’autorité,<br />
mais pas de l’autorité d’un seul homme, une sorte<br />
de raïs prodigieux et infaillible. Ce modèle-là a été<br />
expérimenté, et on connaît ses limites. Et la Tunisie a<br />
changé. Elle s’est complexifiée, politisée justement.<br />
On peut aussi essayer de « limiter » la Tunisie à<br />
sa nature musulmane et arabe. Évidemment oui,<br />
mais pas seulement. Ce qui fait la richesse de la Tunisie,<br />
sa différence, son apport au monde, y compris<br />
au monde arabo-musulman, c’est sa diversité. Ses<br />
identités multiples. La Tunisie est arabo-musulmane,<br />
elle est méditerranéenne, africaine, elle est berbère,<br />
elle a une histoire juive et même chrétienne, elle fut<br />
Carthage, un empire, elle fut Rome aussi… Si l’on<br />
rejette cette fusion, on étrique la nation, on l’affaiblit.<br />
En l’assumant, on s’ouvre des portes sur le grand large.<br />
On se positionne comme une nation multiple, ouverte<br />
au dialogue, nécessaire et séduisante.<br />
On peut souligner la souveraineté. Le nationalisme.<br />
C’est important. Chaque pays a droit au<br />
respect. Mais chaque pays doit mesurer sa marge<br />
de manœuvre. La Tunisie est fragile, épuisée par une<br />
décennie de désordre. Elle est endettée, elle est divisée.<br />
Le réalisme compte. Rompre avec les uns ou les<br />
autres, avec les États-Unis ou avec l’Europe (principaux<br />
marchés, principales sources de financement),<br />
relève de l’illusion dangereuse. La Tunisie est bordée<br />
de puissants voisins, l’Algérie, la Libye (avec le chaos<br />
permanent) et, au-delà de la Libye, par l’Égypte et<br />
les pays du Golfe. De puissants voisins qui cherchent<br />
à la rendre « compatible » avec leurs propres intérêts.<br />
La souveraineté, dans ce contexte, c’est l’agilité,<br />
la souplesse, en étant capable de dialoguer avec<br />
tous, de conforter cette place de nation ouverte, de<br />
nation carrefour.<br />
Et puis, il y a un enjeu central, celui qui relie<br />
la révolution, les élites et le peuple. La Tunisie<br />
s’appauvrit. Son modèle social (santé, éducation,<br />
formation) se dégrade. Le pays s’endette, sans créer<br />
de valeur ajoutée. Le système est ancien, verrouillé<br />
par les monopoles de fait, le poids du secteur public,<br />
de l’État, des syndicats. La réforme économique est<br />
urgente pour sortir de cette spirale descendante.<br />
Et pour créer des emplois et de la richesse pour le<br />
peuple. La constitution, dans ce domaine, n’offre<br />
pas de solutions magiques. La lutte contre les corrupteurs<br />
ne définit pas un modèle nouveau, efficace,<br />
innovateur. Cette remise en cause, cette remise à<br />
niveau est la plus complexe, la plus exigeante. Parce<br />
que, disons-le, la Tunisie, idéalement placée, pourrait<br />
être riche.<br />
L’histoire n’est pas écrite d’avance. La révolution<br />
continue son chemin. Dans ce chapitre,<br />
Kaïs Saïed cherche à parler au nom de ce peuple. Il<br />
est lui-même « peuple ». Il se sent légitime pour gouverner<br />
quasi seul. En étant ainsi au centre du jeu, le<br />
président assume une immense responsabilité. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 3
Zembra.<br />
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 €<br />
Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $<br />
Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3500 FCFA ISSN 0998-9307X0 07X0<br />
L’usine d’eau potable de la Mé.<br />
Le chantier de la route côtière.<br />
Demain, la tour F dans la perspective du pont de Cocody.<br />
Le parc des expositions et le Convention Center.<br />
Ci-dessus, le stade d’Ébimpé.<br />
Ci-contre, l’université de San Pedro.<br />
<strong>AM</strong> <strong>431</strong> De couverte couve.indd 47 02/08/2022 12:51<br />
N° <strong>431</strong>-<strong>432</strong> - AOÛT-SEPTEMBRE 2022<br />
3 ÉDITO<br />
La Tunisie, suite et suite…<br />
par Zyad Limam<br />
6 ON EN PARLE<br />
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE,<br />
DE LA MODE ET DU DESIGN<br />
De l’Afrique au Finistère,<br />
une ferveur sacrée<br />
22 CE QUE J’AI APPRIS<br />
Nadia Hathroubi-Safsaf<br />
par Astrid Krivian<br />
25 C’EST COMMENT ?<br />
Chapeau mossi<br />
et baguette de mil<br />
par Emmanuelle Pontié<br />
94 PORTFOLIO<br />
La force de l’objectif<br />
par Catherine Faye<br />
122 VINGT QUESTIONS À…<br />
Rébecca M’Boungou<br />
par Astrid Krivian<br />
NUMÉRO<br />
<strong>431</strong>-<strong>432</strong><br />
EN VENTE<br />
DEUX<br />
MOIS<br />
TEMPS FORTS<br />
26 Forêts : l’Afrique, dernier<br />
poumon de la planète ?<br />
par Thibaut Cabrera<br />
40 « Justice Thomas »,<br />
l’homme qui veut figer<br />
l’Amérique<br />
par Cédric Gouverneur<br />
76 DJ Snake, ce Franco-Algérien<br />
qui fait danser le monde<br />
par Luisa Nannipieri<br />
82 Malek Lakhal :<br />
« Il est essentiel<br />
de politiser l’intime »<br />
par Catherine Faye<br />
86 Yasmina Khadra :<br />
« L’écriture, ce voyage<br />
initiatique »<br />
par Astrid Krivian<br />
90 Beata Umubyeyi Mairesse :<br />
« J’ai trouvé ma place<br />
dans la littérature »<br />
par Sophie Rosemont<br />
100 La Tunisie au gré des îles<br />
par Frida Dahmani<br />
DÉCOUVERTE<br />
47 CÔTE D’IVOIRE<br />
Le futur est en travaux !<br />
par Zyad Limam et Francine Yao<br />
<br />
DÉCOUVERTE<br />
Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation<br />
Côte d’Ivoire<br />
Le futur est en travaux !<br />
Infrastructures, urbanisme, routes, eau, énergie<br />
et aussi les stades de la CAN… Le pays investit<br />
pierre par pierre, mètre par mètre.<br />
DOSSIER RÉALISÉ PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong> AVEC FRANCINE YAO<br />
Un dossier de 28 pages<br />
P.6<br />
Édito TUNISIE,<br />
ET MAINTENANT ?<br />
par Zyad Limam<br />
DJ Snake,<br />
le Franco-Algérien qui fait<br />
danser le monde<br />
FORÊTS : L’AFRIQUE,<br />
DERNIER POUMON<br />
DE LA PLANÈTE ?<br />
PORTRAIT<br />
Clarence<br />
Thomas<br />
Juge à la Cour<br />
suprême, Noir le plus<br />
puissant d’Amérique<br />
N° <strong>431</strong>-<strong>432</strong> - AOÛT-SEPTEMBRE 2022<br />
L 13888 - <strong>431</strong> - F: 5,90 € - RD<br />
CÔTE D’IVOIRE<br />
Au pays des bâtisseurs<br />
Un maxi-Découverte de 28 pages<br />
spécial grands travaux<br />
Enquête sur l’un des ultimes patrimoines verts<br />
de l’humanité. Un bien commun menacé.<br />
TUNISIE (2)<br />
Promenades<br />
au bout<br />
des îles<br />
+<br />
INTERVIEWS<br />
Yasmina Khadra<br />
« L’ÉCRITURE EST<br />
UN VOYAGE INITIATIQUE »<br />
Beata Umubyeyi<br />
Mairesse<br />
« J’AI TROUVÉ<br />
MA PLACE DANS<br />
LA LITTÉRATURE »<br />
<strong>AM</strong> <strong>431</strong> COUV.indd 1 02/08/2022 20:05<br />
PHOTOS DE COUVERTURE : NABIL ZORKOT - AL<strong>AM</strong>Y<br />
PHOTO - SHUTTERSTOCK - TASOS KATOPODIS/GETTY<br />
IMAGES - N. FAUQUÉ/IMAGES DE TUNISIE.COM - DR<br />
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande<br />
nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.<br />
Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement<br />
de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com<br />
CHRISTIAN LUTZ<br />
4 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
FONDÉ EN 1983 (38 e ANNÉE)<br />
31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE<br />
Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />
redaction@afriquemagazine.com<br />
Zyad Limam<br />
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION<br />
zlimam@afriquemagazine.com<br />
Assisté de Laurence Limousin<br />
llimousin@afriquemagazine.com<br />
RÉDACTION<br />
Emmanuelle Pontié<br />
DIRECTRICE ADJOINTE<br />
DE LA RÉDACTION<br />
epontie@afriquemagazine.com<br />
Isabella Meomartini<br />
DIRECTRICE ARTISTIQUE<br />
imeomartini@afriquemagazine.com<br />
Jessica Binois<br />
PREMIÈRE SECRÉTAIRE<br />
DE RÉDACTION<br />
sr@afriquemagazine.com<br />
Amanda Rougier PHOTO<br />
arougier@afriquemagazine.com<br />
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO<br />
Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau,<br />
Frida Dahmani, Catherine Faye, Virginie<br />
Gazon, Cédric Gouverneur, Dominique<br />
Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri,<br />
Sophie Rosemont.<br />
VIVRE MIEUX<br />
Danielle Ben Yahmed<br />
RÉDACTRICE EN CHEF<br />
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.<br />
VENTES<br />
EXPORT Laurent Boin<br />
TÉL. : (33) 6 87 31 88 65<br />
FRANCE Destination Media<br />
66, rue des Cévennes - 75015 Paris<br />
TÉL. : (33) 1 56 82 12 00<br />
ABONNEMENTS<br />
TBS GROUP/Afrique Magazine<br />
235 avenue Le Jour Se Lève<br />
92100 Boulogne-Billancourt<br />
Tél. : (33) 1 40 94 22 22<br />
Fax : (33) 1 40 94 22 32<br />
afriquemagazine@cometcom.fr<br />
P.76<br />
P.86<br />
AL<strong>AM</strong>Y PHOTO - MYRI<strong>AM</strong> <strong>AM</strong>RI - JEAN-PIHLIPPE BALTEL/SIPA - PAOLO WOODS<br />
BUSINESS<br />
108 Alimentation :<br />
le grand désordre<br />
mondial<br />
112 Nicolas Bricas :<br />
« L’interdépendance<br />
est devenue<br />
une dépendance »<br />
114 Le streaming s’impose<br />
en Afrique<br />
115 La Gambie<br />
s’engage contre<br />
la déforestation<br />
116 Monaco s’intéresse<br />
de plus en plus à son sud<br />
117 OCP ouvre<br />
des perspectives<br />
au Niger<br />
par Cédric Gouverneur<br />
VIVRE MIEUX<br />
118 Forme : de nouvelles<br />
gyms pour la rentrée<br />
119 N’abusez pas du sel<br />
120 Vitiligo, une maladie<br />
mal connue<br />
121 L’arthrose du pouce :<br />
douloureux, mais<br />
cela se soigne !<br />
par Annick Beaucousin<br />
et Julie Gilles<br />
P.94<br />
P.82<br />
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ<br />
regie@afriquemagazine.com<br />
<strong>AM</strong> International<br />
31, rue Poussin - 75016 Paris<br />
Tél. : (33) 1 53 84 41 81<br />
Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />
AFRIQUE MAGAZINE<br />
EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR<br />
31, rue Poussin - 75016 Paris.<br />
SAS au capital de 768 200 euros.<br />
PRÉSIDENT : Zyad Limam.<br />
Compogravure : Open Graphic<br />
Média, Bagnolet.<br />
Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,<br />
Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.<br />
Commission paritaire : 0224 D 85602.<br />
Dépôt légal : août 2022.<br />
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos<br />
reçus. Les indications de marque et les adresses figurant<br />
dans les pages rédactionnelles sont données à titre<br />
d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,<br />
même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique<br />
Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.<br />
© Afrique Magazine 2022.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 5
ON EN PARLE<br />
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage<br />
« AFRIQUE :<br />
LES RELIGIONS<br />
DE L’EXTASE »,<br />
Abbaye<br />
de Daoulas,<br />
(France),<br />
jusqu’au<br />
4 décembre.<br />
cdp29.fr<br />
Holy 1, série « Vues<br />
de l’esprit », Fabrice<br />
Monteiro, 2014.<br />
6 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
L’abbaye de Daoulas, en Bretagne, plonge les visiteurs<br />
dans une ATMOSPHÈRE MYSTIQUE très particulière.<br />
Série « Kimbanguiste », Christian Lutz, 2018.<br />
SPIRITUALITÉ<br />
DE L’AFRIQUE AU FINISTÈRE,<br />
UNE FERVEUR SACRÉE<br />
ORGANISÉE PAR LE MUSÉE d’ethnographie de Genève,<br />
cette exposition invite à découvrir les cultures religieuses<br />
du continent et la ferveur des croyants dans leur recherche<br />
d’une communion avec le divin. De nombreux objets de culte<br />
et d’œuvres d’art (plus de 300 pièces) révèlent la richesse<br />
et la pluralité des pratiques en Afrique et dans la diaspora.<br />
Les rituels et la notion du sacré sont mis en avant à travers<br />
les témoignages des adeptes eux-mêmes : des guérisseurs,<br />
des devins, des danseurs de masques, des chrétiens ainsi<br />
que des pratiquants du vaudou. Cinq installations vidéo<br />
et de fascinantes images de neuf photographes poussent<br />
à réfléchir aux pratiques contemporaines et à l’expression<br />
de l’émotion religieuse, comme la série « Train Church »,<br />
de Santu Mofokeng, datant de 1986, qui immortalise<br />
des trains de banlieue sud-africains transformés en églises<br />
sur la ligne Soweto-Johannesbourg. Pour prolonger<br />
l’expérience, direction les jardins remarquables<br />
de l’abbaye et les ruelles de la commune, investis par trois<br />
artistes afro-descendants : Maïmouna Guerresi, Ayana<br />
V. Jackson et Omar Victor Diop. ■ Luisa Nannipieri<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 7
ON EN PARLE<br />
FESTIVAL<br />
MONTPELLIER<br />
CÉLÈBRE LES ARTS<br />
DU MONDE ARABE<br />
Depuis 2006, Arabesques s’est<br />
imposé comme un RENDEZ-VOUS<br />
MULTIDISCIPLINAIRE<br />
incontournable.<br />
MUSIQUE, DANSE, THÉÂTRE, cinéma, humour,<br />
arts visuels… La programmation multidisciplinaire<br />
et éclectique du festival Arabesques met en lumière<br />
tant la jeune garde des scènes contemporaines que les<br />
artistes consacrés, les esthétiques alternatives comme<br />
les traditionnelles. Défricheur de talents et soutien aux<br />
artistes émergents, cet événement, qui jette un pont entre<br />
Orient et Occident, investit différents lieux de Montpellier.<br />
Au sein de la pinède du domaine d’O, une médina<br />
plante son décor à l’ombre des arbres et devient un cœur<br />
palpitant où se croisent ateliers de découverte culinaire<br />
ou de calligraphie, tables rondes, rencontres littéraires…<br />
Parmi les nombreux musiciens qui enchanteront cette<br />
17 e édition, on trouvera Dhafer Youssef accompagné<br />
de Ballaké Sissoko et Eivind Aarset pour leur projet<br />
Digital Africa, le duo folk Ÿuma, la transe hypnotique de<br />
Bedouin Burger, le groupe féminin originaire de la Saoura<br />
algérienne Lemma, l’illustre oudiste Marcel Khalifé et son<br />
fils Bachar, Anouar Brahem ou encore Kabareh Cheikhats<br />
– des artistes masculins explorant le répertoire séculaire<br />
des cheikhates (chanteuses et danseuses marocaines).<br />
Côté humour, le jeune AZ régalera le public avec son<br />
regard décalé et ses punchlines hilarantes. ■ Astrid Krivian<br />
FESTIVAL ARABESQUES, Montpellier (France),<br />
du 6 au 18 septembre. festivalarabesques.fr<br />
❶<br />
SOUNDS<br />
À écouter maintenant !<br />
Ferkat Al Ard<br />
Oghneya, Habibi Funk<br />
Merci au label Habibi Funk<br />
qui, après avoir réédité le<br />
superbe album du Libanais<br />
Issam Hajali, déterre<br />
les compositions de son groupe, Ferkat<br />
Al Ard, qu’il formait avec Toufic Farroukh<br />
et Elia Saba. Se nourrissant de la poésie<br />
palestinienne, notamment celle de Mahmoud<br />
Darwich, Oghneya bénéficie des arrangements<br />
du fils de Fairouz, Ziad Rahbani. Il explore<br />
le folk psyché, les musiques traditionnelles<br />
orientales et brésiliennes, l’exotica… Sublime.<br />
❷ Moonchild<br />
Sanelly<br />
Phases, Transgressive<br />
Records/Pias<br />
« Undumpable », chante<br />
Sanelisiwe Twisha (de son vrai nom) dès<br />
l’ouverture de son deuxième album. On n’en<br />
doute pas une seconde, au vu de l’énergie<br />
de la figure de proue du gqom sud-africain.<br />
Ayant collaboré avec des pointures de la<br />
pop music, telles que Beyoncé ou Gorillaz,<br />
elle prend ici la parole au nom de toutes<br />
les femmes que l’on oublie : les travailleuses<br />
du sexe, les strip-teaseuses ou encore les<br />
twerkeuses, mais aussi les mères, les filles et<br />
les sœurs… Le tout avec un groove effarant !<br />
❸<br />
Ysee<br />
Tony Allen Makes<br />
Me High, Ysee<br />
Le nom de cet EP n’est pas<br />
volé : le regretté batteur<br />
nigérian était en effet l’un des complices<br />
de cette chanteuse et actrice française<br />
d’origine béninoise, qui tourne actuellement<br />
aux côtés de Noel Gallagher. C’est sur<br />
scène qu’Ysee s’est liée d’amitié avec<br />
le roi de l’afrobeat, qui s’écoute ici via<br />
plusieurs titres d’une belle élégance<br />
sonique. Une superbe voix à découvrir<br />
de toute urgence ! ■ Sophie Rosemont<br />
DR (4)<br />
8 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
LÉGENDE<br />
CALYPSO ROSE FOREVER !<br />
Dans son nouvel album, la chanteuse de Trinité-et-Tobago clame<br />
la JOIE D’ÊTRE SOI, libre et ouverte sur le monde.<br />
FIFOU - DR<br />
POUR LES RARES qui ne la connaîtraient pas encore,<br />
rappelons que Calypso Rose, née McArtha Lewis sur l’île<br />
caribéenne de Tobago, au sein d’une famille de 13 enfants,<br />
a vécu un premier déchirement à l’âge de 9 ans. Sans le sou,<br />
ses parents doivent la confier à un couple de l’île<br />
de Trinité. Celle qui devient, dès l’adolescence,<br />
Calypso Rose, s’y épanouit néanmoins. Forte<br />
d’un mental en acier et d’une voix mémorable,<br />
elle fait ses armes dans les calypso tents, où l’on<br />
doit, face à une sacrée concurrence, imposer<br />
son bagout. En 1978, elle est la première femme<br />
à remporter la couronne de « Calypso Queen »<br />
– alors que personne n’y croyait dans le circuit<br />
très machiste du carnaval. Féministe ? Et pas<br />
qu’un peu ! 800 chansons plus tard, désormais<br />
basée à New York, celle qui a fêté ses 82 ans ne compte<br />
pas lâcher le micro. Pour ce nouveau disque, engagé et à<br />
l’énergie contagieuse, elle reste fidèle à ses compagnons de<br />
musique. L’objectif étant de rester authentique sans se priver<br />
CALYPSO ROSE,<br />
Forever, Because Music.<br />
des sonorités électroniques. En premier lieu, le producteur<br />
bélizien Ivan Duran, qui la suit depuis plus de quinze ans et fait<br />
intervenir son groupe The Garifuna Collective. Également de<br />
la partie, Manu Chao, qui a réalisé en 2016 son Far From Home,<br />
devenu disque de platine, des musiciens trinidadiens<br />
(Machel Montano, Kobo Town), jamaïcains<br />
(Mr Vegas), mais aussi Oli, du duo français Bigflo<br />
& Oli – car Calypso Rose est toujours attentive<br />
aux propositions de la nouvelle génération… Sans<br />
oublier des pointures du même calibre qu’elle.<br />
Ainsi, le guitariste Santana transcende de ses riffs<br />
l’ouverture de l’album, « Watina »., une reprise d’Andy<br />
Palacio en 2007, qui rappelle la mise en esclavage et<br />
la déportation du peuple des Garifunas. Un discours<br />
qui s’inscrit dans les convictions défendues par<br />
l’artiste depuis ses débuts, dont l’égalité de toutes et tous, quels<br />
que soient la couleur de peau, le sexe et les origines sociales. En<br />
2019, elle est d’ailleurs rentrée à l’Icons of Tobago Museum, qui<br />
n’a pas oublié, comme elle, d’où McArtha-Calypso venait. ■ S.R.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 9
ON EN PARLE<br />
Kad Merad<br />
et Fatsah<br />
Bouyahmed.<br />
FILM<br />
LA VIE (AU BLED) EST UN ROMAN<br />
Un écrivain franco-algérien tout juste nobélisé est accueilli en héros dans<br />
le village natal qu’il avait fui… Une COMÉDIE POLITIQUE douce-amère.<br />
S<strong>AM</strong>IR <strong>AM</strong>IN, écrivain français né en Algérie, reçoit le prix<br />
Nobel de littérature. Le summum de la reconnaissance,<br />
mais qui ne guérit pas son état dépressif : il refuse toutes<br />
les sollicitations… sauf celle du village où il a grandi, qui<br />
veut lui décerner le titre de « citoyen d’honneur ». Il finit<br />
par sauter dans un avion d’Air Algérie pour rejoindre les<br />
contreforts de l’Atlas et ce pays dont il a fui la guerre civile<br />
trente ans plus tôt. Le romancier va alors se confronter aux<br />
personnages réels qui lui ont inspiré la plupart de ses livres…<br />
Kad Merad est parfait dans la peau de cet auteur<br />
neurasthénique de retour au bled. À ses côtés, Fatsah<br />
Bouyahmed, l’un des clowns les plus attachants de la<br />
comédie francophone, donne son tempo doucement comique<br />
au film en l’accompagnant à tous ses rendez-vous. Un très<br />
beau village marocain fait illusion, le tournage n’ayant<br />
pu avoir lieu en Algérie, mais le réalisateur Mohamed<br />
Hamidi (La Vache, Né quelque part) – qui est aussi directeur<br />
artistique du Marrakech du rire – a su trouver l’endroit<br />
idéal. Ses producteurs lui avaient proposé d’adapter un<br />
film argentin où un écrivain nobélisé quittait Barcelone<br />
pour retrouver son village dans la pampa. Il en a fait<br />
un film sur l’Algérie d’aujourd’hui, avec le personnage<br />
de la jeune étudiante impliquée dans les manifestations<br />
du Hirak (Oulaya Amamra, la révélation de Divines).<br />
Le rythme n’est pas toujours au rendez-vous, malgré la<br />
belle musique d’Ibrahim Maalouf et quelques surprises (dont<br />
une apparition de Jamel Debbouze). Et l’on peut s’étonner<br />
de voir la langue française triompher dans un pays où elle<br />
reste une question politique sensible. Mais cette nouvelle<br />
déclinaison d’un retour au pays natal se laisse voir avec plaisir,<br />
et parvient même à nous toucher. ■ Jean-Marie Chazeau<br />
CITOYEN D’HONNEUR (France), de Mohamed<br />
Hamidi. Avec Kad Merad, Fatsah Bouyahmed,<br />
Oulaya Amamra. En salles.<br />
STRE<strong>AM</strong>ING<br />
LES CINÉMAS ORIENTAUX À LA MAISON<br />
Yema est la première plate-forme française VOD de films d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.<br />
BURNING CASABLANCA ou Une histoire d’amour et de désir à l’affiche chez soi, quand on n’a pas<br />
pu les voir en salles : c’est ce que propose la plate-forme Yema, lancée en juin, qui sélectionne les meilleures productions actuelles<br />
ou de patrimoine, et dont le catalogue s’enrichit d’une dizaine de titres par mois. Les films sont accessibles à un prix raisonnable<br />
(entre 2,99 et 4,99 euros selon la qualité HD ou la date de sortie), mais une formule d’abonnement est à l’étude. Pour les visionner,<br />
il faut habiter en France, les droits d’auteur devant encore être négociés pour un accès depuis le Maghreb. Fictions, documentaires,<br />
courts-métrages (qui eux sont gratuits) couvrent le monde oriental au sens (très) large, de l’Algérie à la Turquie, en passant par<br />
Israël, la Palestine et l’Iran. Chaque mois, un invité présente une sélection autour d’une thématique : pour septembre, c’est Leïla<br />
Slimani qui a choisi cinq œuvres sur la place des femmes dans les sociétés orientales. Avec en bonus, une interview affûtée<br />
de l’écrivaine franco-marocaine, qui explique comment le regard féminin est d’abord universel. ■ J.-M.C. yema-vod.com<br />
LAID LIAZID/AXEL FILMS PRODUCTION/APOLLO FILMS/JANINE - DR (2)<br />
10 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
INSTITUTION<br />
ALBUM<br />
DE VOYAGE<br />
Plus de quarante ans<br />
de créations de Lecoanet<br />
Hemant, alliant l’ART DE<br />
LA HAUTE COUTURE<br />
française à l’esprit de l’Orient.<br />
ROBES DES MILLE ET UNE NUITS,<br />
drapés somptueux, manteaux opulents<br />
ou tailleurs structurés… L’univers<br />
exubérant du duo de couturiers<br />
globe-trotters illumine les galeries<br />
du musée de référence de la dentelle<br />
tissée, à Calais. Il faut dire que Didier<br />
Lecoanet et Hemant Sagar, créateurs<br />
de leur griffe éponyme en 1981,<br />
l’une des plus inventives de l’époque,<br />
sont des prestidigitateurs de la mode.<br />
Leurs modèles chatoyants et raffinés<br />
explorent le métissage subtil des textiles<br />
et des cultures. Présente dès leurs<br />
débuts, la déclinaison autour du sari<br />
indien marque l’ensemble de l’œuvre<br />
de la maison. Tout comme le thème de la<br />
nature, à travers des vêtements réalisés<br />
à partir de matières végétales, minérales<br />
ou animales : raphia, bois, coquillages,<br />
papier de riz… Cette pâte inventive a<br />
valu aux deux créateurs d’être considérés<br />
comme les orientalistes de la haute<br />
couture. Et la rétrospective calaisienne,<br />
de plus de 80 pièces, retrace la magie<br />
de l’alliance des matières et des styles de<br />
l’Occident et de l’Orient. ■ Catherine Faye<br />
DHRUV KAKOTI<br />
« LECOANET HEMANT :<br />
LES ORIENTALISTES<br />
DE LA HAUTE COUTURE »,<br />
Cité de la dentelle et de la mode,<br />
Calais (France), jusqu’au 31 décembre.<br />
cite-dentelle.fr<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 11
ON EN PARLE<br />
TEASER<br />
Chadwick Boseman (en costume noir) incarnait T’Challa, la Panthère noire,<br />
dans le premier opus. Après son décès en 2020, le scénario du second volet<br />
a dû être réécrit, et le rôle de Churi, sa sœur, s’annonce désormais central.<br />
L’AFRIQUE AU SOMMET D’HOLLYWOOD !<br />
Les combattantes du futuriste Wakanda dans la suite de Black Panther,<br />
mais aussi des guerrières du Dahomey au xix e siècle : les FEMMES SONT AU<br />
CŒUR de deux grosses productions américaines très attendues à la rentrée.<br />
SI L’ON EN CROIT une coiffeuse du staff de Black Panther:<br />
Wakanda Forever, le tournage de la suite du premier<br />
blockbuster afro-américain (1,3 milliard de dollars de recettes<br />
dans le monde en 2018) aura duré presque 30 jours de plus<br />
que prévu : 117 au lieu de 88. Après avoir tardé à démarrer<br />
pour cause de réécriture du scénario à la suite du décès<br />
en 2020 de Chadwick Boseman (qui incarnait T’Challa, la<br />
Panthère noire), la production a ensuite dû faire face à des<br />
interruptions pour cause de Covid-19 (jusqu’à Lupita Nyong’o,<br />
positive en janvier dernier). Une cascade qui a mal tourné<br />
(et une fracture de l’épaule) a également immobilisé plusieurs<br />
semaines Letitia Wright. Or, son rôle de Churi, la sœur<br />
de T’Challa, s’annonce central dans ce nouvel épisode.<br />
Ira-t-elle jusqu’à prendre la succession de son frère ? En tout<br />
cas, Disney s’est refusé à remplacer son héros par un autre<br />
acteur, voire à recourir à des images de synthèse. Et mise<br />
tout sur le Wakanda et ses combattantes dans ce nouvel opus.<br />
Ce puissant pays africain imaginaire, caché entre l’Éthiopie<br />
et le Kenya, allie toujours haute technologie et sens aigu de<br />
l’esthétique. Deux nouveaux personnages de la galaxie Marvel<br />
devraient faire leur apparition : le méchant Namor, prince des<br />
mers, oreilles pointues et slip vert, joué par l’acteur mexicain<br />
Tenoch Huerta, et l’étudiante Riri Williams et son armure<br />
Ironheart, qui aura les traits de l’Américaine Dominique<br />
Thorne. Pour le reste, toujours devant la caméra de Ryan<br />
Coogler, on retrouvera la même distribution, très black power,<br />
les femmes en tête, dont Danai Gurira, qui incarne Okoye,<br />
la générale du Wakanda, appelée à être au cœur d’une série<br />
dérivée pour Disney+. Sortie prévue pour novembre.<br />
D’autres guerrières noires vont débarquer dès septembre<br />
devant la caméra d’un autre cinéaste afro-américain,<br />
en l’occurrence une réalisatrice : Gina Prince-Bythewood.<br />
The Woman King plonge au cœur du royaume, réel<br />
celui-là, du Dahomey au XIX e siècle. Inspiré des amazones<br />
du futur Bénin, le film (tourné en Afrique du Sud) met<br />
en scène les faits d’armes de la générale Nanisca, incarnée<br />
par Viola Davis, qui entraîne une nouvelle génération de<br />
recrues au sein de l’Agoledjié, le corps des femmes de guerre<br />
du roi. Elle va les préparer à la bataille contre un ennemi<br />
déterminé à détruire leur mode de vie. « Il y a des valeurs<br />
qui méritent d’être défendues », souligne le synopsis de<br />
Sony Pictures. Entre les guerrières historiques du royaume<br />
du Dahomey et les superhéroïnes du Wakanda, le système<br />
hollywoodien a décidé cette année de mettre en avant<br />
celles qu’il ne montre que trop rarement… ■ J.-M.C.<br />
Dans The Woman<br />
King, Viola Davis<br />
forme les Amazones<br />
de Dahomey.<br />
KWAKU ALSTON/2017 MVLFFLLC.TM/2017 MARVEL - ILZE KITSHOFF/2022 CTMG.INC<br />
12 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
8 E ART<br />
EN ARLES,<br />
ROYAUME<br />
DE L’IMAGE<br />
C’est un retour en grand<br />
format, de véritables<br />
retrouvailles, pour la 53 e édition<br />
des RENCONTRES<br />
DE LA PHOTOGRAPHIE.<br />
C’EST UN PEU comme si nous avions enfin<br />
tourné, d’une manière ou d’une autre, la page de<br />
l’épreuve, celle de la pandémie de Covid-19. Arles<br />
accueille à nouveau, à bras ouverts, le monde de<br />
la photo. On peut, enfin, se concentrer sur les<br />
œuvres, les images, en flânant d’une ruelle à une<br />
autre, sous les voûtes d’une église, dans une friche,<br />
dans une maison faite d’histoire. Cette année,<br />
les rencontres accordent une place importante<br />
au féminin, à la féminité et au féminisme. Avec<br />
des expositions qui naviguent entre le radical,<br />
le subversif, le mouvement. Les rencontres ouvrent<br />
également un large espace aux artistes émergents,<br />
dont le Marocain Seif Kousmate. Et à l’histoire.<br />
Avec, en particulier, une exposition émouvante<br />
sur la vie et l’œuvre de l’Américaine Lee Miller,<br />
mannequin devenue photographe au cœur de<br />
la Seconde Guerre mondiale. ■ Zyad Limam<br />
Lee Miller, Chapeaux<br />
Pidoux (avec marque<br />
de recadrage originale<br />
de Vogue Studio),<br />
Londres, Angleterre, 1939.<br />
LEE MILLER ARCHIVES, ENGLAND 2013 - DR<br />
LES RENCONTRES<br />
DE LA PHOTOGRAPHIE,<br />
Arles (France),<br />
jusqu’au 25 septembre.<br />
rencontres-arles.com<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 13
ON EN PARLE<br />
MUSIQUE<br />
AFRODELIC<br />
LA GLOIRE<br />
DU PÈRE<br />
Avec son majestueux premier<br />
album, c’est un VIBRANT<br />
HOMMAGE que nous livre<br />
le musicien et producteur<br />
lituano-malien Victor Diawara.<br />
DUSUNKUN HAKILI signifie « la mémoire<br />
du cœur »… Et c’est bien de cela<br />
qu’il s’agit tout au long de ce disque<br />
imaginé, conçu et enregistré entre<br />
Bamako et Vilnius par Victor Diawara<br />
pour honorer le corpus de son père,<br />
le poète malien Gaoussou Diawara,<br />
disparu en 2018. Plusieurs invités au<br />
programme, parmi lesquels la chanteuse<br />
Hawa Kassé Mady Diabaté… Le folk<br />
traditionnel est organique, entrelacé<br />
des cordes maîtrisées par Diawara<br />
fils, qui n’hésite guère à faire appel à<br />
l’électrique, à des sonorités rap ou des<br />
technologies plus récentes pour apporter<br />
de l’air frais à ces mélopées entêtantes,<br />
comme sur « Je n’aime pas les fêtes »<br />
ou « Le temps est venu », à la superbe<br />
ouverture gospel. Ici se mêlent poésie,<br />
engagement et désir sincère de<br />
rassembler grâce à la musique. ■ S.R.<br />
AFRODELIC,<br />
Dusunkun Hakili, Ankata.<br />
DONATAS PETKEVICIUS<br />
14 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
DR (3)<br />
LIVE<br />
La chanteuse<br />
malienne<br />
Oumou<br />
Sangaré.<br />
L’ART<br />
DE LA JOIE<br />
L’AFRIQUE FESTIVAL fait<br />
son grand retour à Strasbourg<br />
avec une programmation<br />
en grande partie féminine.<br />
IL ÉTAIT TEMPS. Après deux saisons troublées par<br />
la crise sanitaire, la 4 e édition de l’événement s’annonce<br />
volcanique. Créé en 2003 à Newcastle, au Royaume-Uni,<br />
par Manouté Seri, un promoteur culturel d’origine<br />
ivoirienne désormais installé en Alsace, le festival a vu<br />
passer outre-Manche des stars telles que Manu Dibango,<br />
Alpha Blondy et Tony Allen. Importé d’Angleterre, le<br />
concept strasbourgeois est le même. Ainsi, au bord du<br />
Rhin se côtoieront cette année de grands noms de la scène<br />
internationale féminine. Sur la Grande Scène, dédiée à la<br />
programmation musicale africaine, se succéderont la diva<br />
malienne Oumou Sangaré, artiste engagée et femme de<br />
défis, la chanteuse, danseuse et percussionniste ivoirienne<br />
Dobet Gnahoré, mais aussi la Gambienne Sona Jobarteh,<br />
première femme joueuse professionnelle de kora, ainsi<br />
que la chanteuse, musicienne et auteure-compositrice<br />
camerounaise Charlotte Dipanda. Leurs voix et leurs<br />
musiques se mêleront pendant trois jours à celles d’artistes<br />
locaux comme Boni Gnahoré, Redlights Dream, Lisa,<br />
The One Armed Man, et bien d’autres. Une renaissance<br />
attendue pour ce festival, dont la vocation est de mettre<br />
en valeur les cultures africaines et de redynamiser<br />
les vertus de la convivialité et de la tolérance. ■ C.F.<br />
L’AFRIQUE FESTIVAL, Ostwald (France),<br />
du 16 au 18 septembre. lafriquefestival.com<br />
QUÊTE<br />
CARTE AU TRÉSOR<br />
Récit d’une trajectoire : des motivations<br />
de l’exil à la construction de soi.<br />
QUI EST-ON et d’où vient-on ?<br />
C’est ce double questionnement, à la<br />
fois banal et fondamental, qu’explore<br />
la primo-romancière, partie sur<br />
la terre natale de ses ascendants. Un<br />
voyage tout en subtilité, qui emmène le lecteur dans les<br />
labyrinthes de l’émigration, des choix et des contraintes,<br />
de la transmission et de l’identité. Car que signifie l’exil<br />
volontaire ou involontaire, à l’aune d’une vie, d’une lignée,<br />
ou plus simplement au regard de l’histoire de l’humanité ?<br />
« Je ne comprends pas comment tu as pu commencer ta vie<br />
à Ajar, décider un jour de tout quitter, traverser la Mauritanie<br />
puis la Méditerranée, arriver en France et enfin rejoindre<br />
Paris alors que, moi, je ne vais même pas dans le 77 »,<br />
s’enquiert celle qui, au moment de la mort de sa grand-mère,<br />
choisit l’écriture pour explorer le canevas des origines et<br />
de l’ineffaçable héritage de son histoire. Une quête sensible<br />
et universelle, inspirée du parcours de son père. ■ C.F.<br />
FANTA DR<strong>AM</strong>É, Ajar-Paris, Plon, 208 pages, 19 €.<br />
ROMAN<br />
FUITE DU TEMPS<br />
Trois personnages, trois histoires,<br />
un village. Une grande fresque<br />
de l’Algérie, sur près d’un siècle.<br />
CE N’EST PAS UN HASARD, si le titre<br />
de son nouveau roman fait référence<br />
au poème Chanson d’automne, de Paul<br />
Verlaine : « Et je m’en vais / Au vent<br />
mauvais / Qui m’emporte / Deçà, delà / Pareil à la feuille<br />
morte. » Conçu à la villa Médicis, à Rome, où Kaouther Adimi<br />
a été pensionnaire (promotion 2021-2022), ce texte nous<br />
emporte dans les tourments et les tournants de l’histoire, de la<br />
colonisation à la lutte pour l’indépendance, jusqu’à l’été 1992,<br />
au moment où l’Algérie bascule dans la guerre civile. Au cœur<br />
de ces remous, trois personnages : Tarek, Leïla et Saïd. Au fil<br />
du temps qui passe et des aléas – de la guerre, des espoirs,<br />
des déceptions –, chacun déroule son propre chemin, se<br />
transforme. Et tandis que l’histoire s’écrit, entre eux, les liens<br />
se font, se défont. Encore une fois, la sémillante auteure de<br />
Nos richesses, prix Renaudot des lycéens 2017, nous entraîne<br />
dans les récits oubliés et les destins croisés, les blessures<br />
et les embellies, la réalité et l’imaginaire. Captivant. ■ C.F.<br />
KAOUTHER ADIMI, Au vent mauvais,<br />
Seuil, 272 pages, 19 €.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 15
ON EN PARLE<br />
JAZZ<br />
KOKOROKO, FIÈVRE COLLECTIVE<br />
Ils sont huit et DYN<strong>AM</strong>ISENT LA SCÈNE LONDONIENNE<br />
depuis quelques saisons.<br />
C’EST AUTOUR de la trompettiste Sheila<br />
Maurice-Grey que s’active ce groupe aux larges<br />
latitudes, devenu l’un des nouveaux grands espoirs<br />
de la scène londonienne grâce au single « Abusey<br />
Junction », paru en 2018. Ce premier album<br />
résume tout ce que l’on attendait de Kokoroko :<br />
un mélange à fois subtil et foisonnant de jazz, de<br />
highlife et de soul tendance seventies. Rajoutons-y<br />
une touche d’afrobeat, et le tour est joué : Could<br />
We Be More n’a pas besoin de grands discours pour<br />
raconter une multitude d’histoires, des Caraïbes<br />
à l’Angleterre, sans oublier le terreau artistique et<br />
fondateur de l’Afrique de l’Ouest. Aux percussions,<br />
Onome Edgeworth garde la cadence et varie les<br />
rythmes, tout comme le batteur Ayo Salawu ou la<br />
saxophoniste Cassie Kinoshi. Quant à la pochette,<br />
elle mérite d’être encadrée, pendant que le vinyle<br />
tourne en boucle sur nos platines… ■ S.R.<br />
KOKOROKO,<br />
Could We Be More,<br />
Brownswood<br />
Recordings/Bigwax.<br />
VICKY GROUT - DR<br />
16 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
LITTÉRATURE<br />
CONVERGENCE<br />
DES LUTTES<br />
Dans une narration originale, JENNIFER<br />
RICHARD revient avec une odyssée<br />
historique, doublée d’un roman politique.<br />
DR (2)<br />
LE LIVRE S’OUVRE avec un carton d’invitation. Ota Benga<br />
convie ses invités à la réunion de l’Amicale des insurgés, une<br />
sorte de conférence-débat, dans une dimension parallèle. Mais<br />
qui est cet hôte mystérieux ? Et que font tous ses convives réunis<br />
autour d’une convocation pour le moins surprenante : « Mort<br />
suspecte ? Mort précoce ou violente ? Vous pensez avoir été<br />
assassiné ? Le cas échéant, vous estimez l’avoir été pour vos<br />
idées ? Sortez de l’ombre ! » Ota Benga n’est pas un personnage<br />
fictif. La romancière franco-américaine, d’origine<br />
guadeloupéenne, et documentaliste pour la télévision,<br />
en a entendu parler dans un guide de New York. Un<br />
encart sur le zoo du Bronx y indiquait qu’il y avait été<br />
enfermé dans la cage des singes, en 1906… À la fin<br />
du XIX e siècle, ce Pygmée voit sa famille et sa tribu<br />
décimées lors d’atrocités perpétrées par le système<br />
colonial établi par le roi des Belges, Léopold II, dans l’État<br />
indépendant du Congo. Récupéré par un pasteur, qui<br />
l’amène aux États-Unis pour devenir une attraction majeure<br />
de l’exposition universelle de Saint-Louis, il se donnera la mort<br />
en 1916. Cette destinée poignante est au cœur de ce<br />
nouveau texte sans concessions, aux allures de farce<br />
macabre, politique et polémique. Après le très remarqué<br />
Il est à toi ce beau pays (2018) sur la colonisation en<br />
Afrique, puis Le Diable parle toutes les langues (2021)<br />
et les mémoires fictives de Basil Zaharoff,<br />
un marchand d’armes qui fit fortune lors de la<br />
Première Guerre mondiale, ce troisième volet<br />
poursuit le contre-récit de l’histoire officielle.<br />
Construit en deux temps, on y découvre Ota<br />
Benga qui raconte son histoire, et ce monde<br />
parallèle, bizarrement fréquenté, auquel il<br />
nous convie et où l’on retrouve Jean Jaurès,<br />
Che Guevara, Thomas Sankara, Martin<br />
Luther King, Rosa Luxemburg, ou encore<br />
Patrice Lumumba… Tous assassinés pour<br />
leurs idées et tous liés à son destin. Des<br />
révolutionnaires, des idéalistes, engagés<br />
pour leur cause, en sachant très bien qu’ils<br />
mourraient, que leur « royaume n’est pas<br />
de ce monde » et que leur récompense…<br />
ils l’auraient plus tard. Puissant. ■ C.F.<br />
JENNIFER RICHARD,<br />
Notre royaume n’est pas de ce monde,<br />
Albin Michel, 736 pages, 24,90 €.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 17
ON EN PARLE<br />
DESIGN<br />
PASSION<br />
ZELLIGE<br />
L’Atelier Maloukti revisite<br />
les CÉR<strong>AM</strong>IQUES<br />
MAROCAINES<br />
pour créer des objets entre<br />
tradition et contemporain.<br />
L’ART DU ZELLIGE, ces morceaux de terre cuite<br />
émaillés, découpés un à un et assemblés pour<br />
créer des motifs géométriques, a donné vie à des<br />
œuvres d’art millénaires. Avec l’Atelier Maloukti,<br />
l’architecte d’intérieur Nicolas Pascolini rend hommage<br />
à cette tradition marocaine revisitant des objets de tous<br />
les jours. Il fait arriver dans son atelier de Marrakech<br />
les carreaux bruts de Fès, ville renommée pour la qualité<br />
de sa terre argileuse, avant de procéder à la découpe en<br />
bâtonnets, losanges ou étoiles pour créer des tesselles qui<br />
recouvriront des tables, des plateaux en bois ou fabriqués à partir<br />
d’anciens tamis à couscous, ou encore des miroirs. Chaque pièce<br />
apporte une touche créative dans un appartement contemporain mais<br />
a aussi sa place dans une maison traditionnelle marocaine, comme les<br />
magnifiques riads et villas que l’Atelier a redessinés depuis son ouverture,<br />
en 2020. Pour souligner l’esprit moderne de ses créations, Nicolas Pascolini a<br />
travaillé avec les couleurs, introduisant des nouvelles teintes et des nuances<br />
pastel, comme le rose et le vert, mais aussi avec les lignes. Les structures<br />
des tables, en métal, ont été conçues pour obtenir des profils plus fins,<br />
qui valorisent les motifs en céramique. ■ L.N. ateliermaloukti.com<br />
DR (2)<br />
18 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
Les motifs des vêtements<br />
sont cousus et sérigraphiés<br />
à la main, faisant de<br />
chaque pièce une œuvre<br />
d’art à part entière.<br />
MODE<br />
KATUSH, ÉTHIQUE<br />
ET MODERNE<br />
Le style unisexe de ce<br />
label kényan restitue des<br />
IDENTITÉS CULTURELLES<br />
UNIQUES dans des tenues<br />
pour le quotidien.<br />
La designeuse<br />
Katungulu Mwendwa.<br />
ELIE ULYSSE - AWCA CREATIVES - MARTHE SOBCZAK - EMMANUEL J<strong>AM</strong>BO<br />
LA DESIGNEUSE Katungulu Mwendwa a lancé sa propre<br />
griffe, Katush, en 2014 et en a fait l’une de ces jeunes<br />
marques qui conjuguent durabilité, culture africaine<br />
et qualité artisanale. Katush est un surnom assez commun<br />
chez les enfants dont le nom commence par « Kat », dans<br />
la communauté de Nairobi où la styliste a grandi. Des jeunes<br />
qui, comme elle, aiment un style décontracté et évocateur<br />
en même temps, pensé pour vivre au quotidien dans un<br />
monde globalisé, sans oublier leur identité ni leur héritage.<br />
Les huit collections qu’elle a créées jusqu’ici s’inspirent<br />
aussi bien des corsets perlés du Sud-Soudan que des robes<br />
recherchées portées par les Wodaabe, un sous-groupe du<br />
peuple peul, pour ensuite les décliner en tenues confortables.<br />
Avec « One Manjano », sa dernière collection en date, qui a été<br />
influencée par une carte postale représentant une femme au<br />
début des années 1900 à Zanzibar, la styliste célèbre les savoirfaire<br />
des artisans du continent. Son nom (« un jaune ») est une<br />
expression swahilie pour dire que chaque pièce est unique.<br />
En observant les robes traditionnelles swahilies<br />
et la versatilité du caftan, porté à travers les siècles<br />
par les hommes et les femmes, Katungulu Mwendwa a<br />
dessiné des silhouettes fonctionnelles, adaptées à la vie<br />
frénétique d’une ville en plein essor comme la capitale<br />
kenyane. Tel un clin d’œil graphique à la carte postale,<br />
les motifs organiques en noir, blanc ou ocre qui décorent<br />
les pièces rappellent les travaux de l’artiste italien Giuseppe<br />
Capogrossi, l’un des précurseurs de la peinture abstraite.<br />
Ils ont tous été cousus et sérigraphiés à la main, faisant<br />
de chaque vêtement une œuvre d’art à part entière.<br />
Dans le but de soutenir une mode locale, responsable<br />
et éthique, Katush travaille avec plusieurs partenaires<br />
qui lui permettent, par exemple, d’importer le coton filé<br />
à la main du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire ou le jersey<br />
de la Tanzanie. Le cuir est sourcé et traité au Kenya, et<br />
les boutons et les boucles sont réalisés à partir de corne<br />
de vache ou de cuivre recyclé. ■ L.N. katushnairobi.com<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 19
ON EN PARLE<br />
La terrasse<br />
de l’établissement<br />
accueille cinq<br />
restaurants durant<br />
l’événement.<br />
SPOTS<br />
Chez Afro Jojo, le chef relève<br />
les plats avec des marinades<br />
spéciales et des sauces originales.<br />
GROUND<br />
CONTROL MET<br />
À L’HONNEUR<br />
LA FOOD AFRO<br />
Jusqu’à fin octobre, le continent investit les extérieurs<br />
de l’ICONIQUE LIEU DE VIE CULTUREL PARISIEN.<br />
CINQ RESTAURANTS AFRO en un seul lieu : la terrasse<br />
du Ground Control, près de la gare de Lyon. L’ancienne<br />
halle de la SNCF, transformée depuis 2017 en lieu de vie<br />
et de culture, donne carte blanche à une nouvelle génération<br />
de chefs afro-descendants avec le projet Ground Africa.<br />
Parmi les équipes installées dans les vieux bus aménagés<br />
en cuisines, on retrouve celle du BMK Paris-Bamako, qui<br />
n’a plus besoin d’être présentée, ou du New Soul Food,<br />
avec sa street-food afropéenne et ses grillades au charbon<br />
de bois. Mais aussi de nouveaux visages afro-parisiens :<br />
Boukan est le pari réussi de trois Guadeloupéens, qui<br />
ont créé leur première carte pour ce projet. Ils proposent<br />
une cuisine du terroir caribéen avec des plats de viande,<br />
des crustacés ou des poissons boucanés (marinés et fumés<br />
à l’étouffée), accompagnés de fluffy rice au lait du coco<br />
ou de houmous de banane plantain. Chez Afro Jojo,<br />
le chef, adepte d’une cuisine déstructurée, relève plats<br />
et sandwichs avec des marinades spéciales et des sauces<br />
originales à base de poivre vert de Penja ou d’épices du<br />
Nigeria : le Jojolof Rice Bowl, avec poulet frit maison,<br />
ragoût de haricots rouges et sauce maison à base de<br />
piment antillais, étonnera vos papilles. Et si chaque resto<br />
a des options végé, L’Embuscade propose une cuisine<br />
totalement afro-végane : les fêtards parisiens connaissent<br />
déjà le club (à Pigalle) et sa cantine inaugurée en 2019, les<br />
autres apprécieront les portions généreuses et gourmandes<br />
d’une cuisine métissée, déclinée en bowls et buns<br />
pour l’occasion. ■ L.N. groundcontrolparis.com<br />
FRED H - ELISE AUGUSTYNEN<br />
20 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
SENESTUDIO<br />
ARCHI<br />
L’ALLIANCE ENTRE<br />
INDUSTRIE ET CULTURE<br />
Senestudio a créé un écrin aux volumes fluides pour accueillir<br />
LA MAISON EIFFAGE, près du port autonome de Dakar.<br />
TERMINÉE À TEMPS pour accueillir les premières expositions<br />
à l’occasion de la biennale, la Maison Eiffage est un nouvel<br />
espace culturel implanté dans la zone industrielle du port de<br />
Dakar. Le projet a été conçu par l’agence Senestudio, basée au<br />
Sénégal depuis 2007, comme une série de volumes imbriqués<br />
et superposés qui créent des espaces polyfonctionnels ouverts<br />
et transparents. Les pièces, distribuées sur trois étages, sont<br />
éclairées par la lumière indirecte qui rentre par les grandes<br />
verrières, orientées de façon à garantir le confort thermique<br />
intérieur et à offrir une connexion visuelle constante avec<br />
l’extérieur. Les trois grands arbres déjà présents sur le terrain<br />
ont été conservés et intégrés dans l’architecture, ce qui<br />
contribue à créer un microclimat et participe d’un effet<br />
de dépaysement dans le contexte industriel du site. Tout<br />
le projet se caractérise par cette volonté d’associer à une<br />
esthétique soignée des dispositifs techniques qui assurent<br />
le confort des visiteurs et l’écoresponsabilité du bâtiment,<br />
équipé de panneaux solaires. Les plafonds en double<br />
hauteur permettent notamment d’accrocher de très grandes<br />
œuvres d’art de la collection du constructeur français, tout<br />
en favorisant la ventilation naturelle et contrôlée. Le béton<br />
brut de décoffrage, rouge et gris, donne une allure moderne<br />
et épurée à la structure, en améliorant en même temps<br />
l’isolation acoustique et thermique. ■ L.N. senestudio.net<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 21
CE QUE J’AI APPRIS<br />
Nadia<br />
Hathroubi-Safsaf<br />
LA JOURNALISTE D’ORIGINE TUNISIENNE,<br />
rédactrice en chef du mensuel Le Courrier de l’Atlas, signe une<br />
enquête bouleversante sur les enfants des rues à Paris et alerte<br />
sur l’urgence de les prendre en charge. propos recueillis par Astrid Krivian<br />
Mes parents m’ont donné une belle éducation, en m’inculquant la générosité.<br />
Ma mère était femme de ménage, mon père commis de cuisine, ils travaillaient dur mais ont toujours partagé. Ils<br />
envoyaient de l’argent en Tunisie pour aider un voisin, accueillaient des personnes sans toit… Ça m’a structurée.<br />
Un jour, alors que j’étais enfant, ma mère faisait part de sa préoccupation concernant mon avenir<br />
professionnel à celle d’un camarade. Elle lui a répondu : « Ne vous inquiétez pas, on aura toujours besoin<br />
de femmes de ménage ! » Cette phrase violente, pleine de mépris social, m’a marquée au fer rouge. En mon<br />
for intérieur, je me suis dit que jamais je ne ferai ce métier.<br />
Au lycée, une professeure nous a parlé du déterminisme social : environ 6 % des enfants<br />
d’ouvriers obtenaient le bac. Je devais absolument en faire partie. Comme j’étais l’aînée, ma mère m’avait attribué<br />
le rôle de locomotive : si je réussissais à l’école, mes frères et sœurs suivraient. J’avais<br />
cette pression sur les épaules, mais ça a marché (et aussi pour ma fratrie). De pigiste<br />
à rédactrice en chef, j’ai gravi les échelons, sans carnet d’adresses. C’est une fierté.<br />
Je n’ai pas connu mes grands-pères. Je suis amputée d’une partie de mes<br />
racines. D’où mon besoin de trouver un ancrage à travers mes romans, c’est une façon<br />
de m’approprier mon histoire. Mon grand-père paternel est mort enseveli en effectuant<br />
des travaux de terrassement, commandés par l’administration coloniale. Qu’il ait été<br />
considéré comme indigène de sa naissance à sa mort est une douleur pour moi. Je vis<br />
dans le pays qui a colonisé le sien. Même si j’aime la France et me sens pleinement<br />
citoyenne, une bipolarité demeure. J’ai créé ma maison d’édition, Bande organisée,<br />
pour transmettre nos histoires. Et que mes aïeux ne tombent pas dans l’oubli.<br />
Mon livre Frères de l’ombre raconte le sacrifice des tirailleurs sénégalais<br />
durant les deux guerres mondiales. Ils ont versé un lourd tribut à la France, « l’amère<br />
patrie », mais ont sombré dans l’oubli : peu de gens connaissent le naufrage du paquebot Afrique, en 1920,<br />
ou le massacre de Chasseley, en 1940, et leurs droits ont été minorés. La citoyenneté, c’est redonner à chacun<br />
sa place dans le roman national, combler ces vides mémoriels. Et dire à ces descendants de soldats : vos aïeux<br />
ont participé à cette histoire, vous lui appartenez.<br />
Enfances abandonnées,<br />
JC Lattès, 192 pages, 18 €.<br />
Enfances abandonnées est née de la rencontre avec Fatiha de Gouraya, présidente de l’association<br />
SOS Migrants mineurs. Face à la défaillance des institutions, elle se bat pour la prise en charge des enfants non<br />
accompagnés qui vivent dans les rues du quartier Barbès, à Paris. Issus de situations familiales complexes ou<br />
s’estimant sans avenir dans leur pays, ils viennent essentiellement du Maroc et d’Algérie. Alors que l’État pourrait<br />
réquisitionner des places, comme il l’a fait pour les réfugiés ukrainiens. Il faut absolument les protéger de la<br />
violence de la rue. En France, septième puissance mondiale, des gosses dorment dehors, et on trouve ça normal ? ■<br />
DR<br />
22 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022
PATRICE NORMAND<br />
« Même si j’aime<br />
la France et me sens<br />
pleinement citoyenne,<br />
une bipolarité<br />
demeure. »
274 rue Saint-Honoré 75001 Paris • 26 rue des Mathurins 75009 Paris<br />
191 Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris • 107 rue de Rennes 75006 Paris<br />
Créateur de chemises originales depuis 1993
C’EST COMMENT ?<br />
PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />
CHAPEAU MOSSI<br />
ET BAGUETTE DE MIL<br />
DOM<br />
Juillet, août. Chacun, d’une manière ou d’une autre, va prendre un peu de<br />
repos, faire une pause, les pieds en éventail quelque part. Sur sa terrasse ou dans son<br />
jardin, à l’étranger, au village. Justement, au village… L’occasion de fréquenter un peu<br />
les anciens, de se remémorer leurs habitudes alimentaires, par exemple. Et pourquoi<br />
pas, de rêver un peu. En ces temps très alarmistes concernant l’approvisionnement<br />
en pain du continent, et sa dépendance assez surréaliste au blé<br />
ukrainien (ou russe), dont l’exportation pâtit de la guerre, on peut se<br />
demander comment on est passés de la galette de mil au petit déj<br />
ou de l’igname bouillie en accompagnement d’un repas, que nos<br />
grands-mères continuent à privilégier aujourd’hui, au pain blanc<br />
fabriqué à base de blé. Bien entendu, la réponse est dans la bouche<br />
de n’importe quel Béotien : le Nord a imposé sa céréale reine au Sud,<br />
et la mondialisation aidant, la baguette « parisienne » est devenue<br />
incontournable au pays du mil et du sorgho. C’est ballot…<br />
Alors, en ces temps de villégiature, on peut se mettre à<br />
rêver qu’une série de boulangers africains, amateurs de sensations<br />
gustatives novatrices et branchées, lancent la mode de la baguette<br />
de mil, des croissants d’igname ou des petits pains de fonio. Après<br />
tout, la vague healthy food qui s’est abattue en Occident a bien mis<br />
la galette de maïs, la miche d’épeautre et les croûtes sésame dans<br />
les corbeilles. Le comble du chic chez les « bobo-bread » qui boudent<br />
leur pain blanc, accusé de tous les maux contre la santé. On<br />
trouve même des baguettes aux neuf céréales, que vous conseillent<br />
des vendeurs bien incapables de vous donner leurs noms… Bref,<br />
si l’Afrique a décidé que le pain était incontournable sur sa table,<br />
autant en fabriquer du local, doper les cultures, créer de l’emploi et lancer la mode.<br />
Après les Français « béret basque et baguette de pain », on pourra dire d’un Burkinabé :<br />
« chapeau Mossi et baguette de mil » ! On peut rêver plus loin et imaginer déjeuner à<br />
Paris avec un pain au sorgho importé du continent…<br />
En tous les cas, depuis le Covid-19, on a dit et redit qu’il fallait privilégier les<br />
circuits courts. Une règle confirmée en partie par la guerre en Ukraine et ses retombées.<br />
Et si l’on ajoute le réchauffement climatique, il n’est pas exclu que l’Occident se mette à<br />
cultiver du mil à la place du blé dans quelques temps. Il est plus résistant à la chaleur.<br />
Et tout aussi goûteux. Si, si… On a le droit de rêver que la baguette de mil devienne la<br />
baguette magique de demain ! ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>431</strong>-<strong>432</strong> – AOÛT-SEPTEMBRE 2022 25
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