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Birmanie J499, entre chaos et résistance ; les actes de la journée du 15 juin

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birmanie jour 499

Entre chaos et résistAnce

les actes de la journée du 15 juin 2022

Avant-propos

Cette journée s’inscrit dans

le cadre d’une campagne de sensibilisation

dénommée :

#AvecToiMyanmar,

initiée par Info Birmanie et la

Communauté Birmane de France

en janvier 2022 avec le soutien

du CRID.

Nous tenons à remercier la

Ville de Paris pour son accueil, son

engagement et sa solidarité, qui

ont rendu possible la tenue de cet

événement. Nous remercions aussi

le CRID et le CCFD Terre Solidaire

pour leur soutien, ainsi que tous

les intervenants et participants,

venus nombreux pour débattre et

échanger.

C’est avec un sentiment d’urgence

que nous avons convié le

public à cette journée, car comme

l’a récemment souligné Michelle

Bachelet, Commissaire aux droits

de l’Homme devant le Conseil des

droits de l’Homme de l’Onu, « la

vie et l’avenir des habitants de la

Birmanie sont en jeu ».

Nous sommes à 499 jours du

coup d’Etat militaire du 1er février

2021. Il est urgent de parler de la

Birmanie, d’en faire parler et d’agir

à la hauteur de la gravité de la situation,

car il reste beaucoup à faire

pour soutenir le peuple birman.

Grâce à la participation de

tous les intervenants présents

aujourd’hui, nous rendons compte

du chaos généré par les militaires

en Birmanie – puisque la junte est

en guerre contre son propre peuple

– mais aussi de l’incroyable courage

de tout un peuple qui a transformé

un mouvement de protestation

contre la junte en révolution :

le « Printemps Birman ».

sophie brondel

coordinatrice

d’info birmanie

johanna chardonnieras

chargée de projet

#avectoimyanmar

Visuel : JC_illustratrice

Mise en page : Hua Cheng

1

2


sommaire

table ronde 01

un drame pour les droits humains

roger brunet

coordinateur myanmar

amnesty international france

p. 7

table ronde 05

entretien avec un journaliste birman

aye chan naing

journaliste

à democratic voice of burma

p. 29

daniel bastard

responsable asie

reporters sans frontières

morgane dussud

doctorante en sciences politiques à soas

université de londres

table ronde 02

une crise humanitaire sans précédent

céline debaulieu

ancienne cheffe de mission

p. 14

table ronde 06

ce que le peuple birman demande

à la communauté internationale et à la france

nan su mon aung

représentante du gouvernement d’unité nationale (nug) en france

nay san lwin

free rohingya coalition et blood money campaign

Projection du dessin live de Wooh

p. 31

médecins du monde au myanmar

anne marie lefevre

membre d’info birmanie

et de la communauté birmane de france

Intervention de l’artiste Chuu Wai

table ronde 03

témoignages de la résistance birmane

solène khin zin minn

secrétaire de la communauté birmane de france

nay san lwin

cofondateur de free rohingya

coalition et membre de blood money campaign

Su _ Su

artiste franco-birman

p. 19

Clôture : Lectures de poèmes birmans

Les comédiens sophie-marie gilbert-desvallons

et fabrice bressolles, ainsi que l’artiste nge lay,

ont lu des poèmes tirés de printemps birman,

ouvrage collectif paru aux éditions héliotropismes,

et de l’effacement : un poète au cœur du génocide des rohingyas

de mayyu ali et emilie lopes, paru aux éditions grasset.

LES vidéos de la journée :

Roger Brunet, Référent Myanmar Amnesty International France :

Un embargo sur les armes est essentiel

Daniel Bastard de RSF : « Il faut remettre

la question birmane au coeur de l’agenda international »

performance du danseur hpone

table ronde 04

le printemps birman est-il

aussi une révolution sociétale ?

p. 23

Sai Sam Kham : « Il faut aider les organisations locales

humanitaires en Birmanie »

Nay San Lwin : « Total ne doit pas être autorisé à verser

250 millions de dollars à la junte birmane ! »

bénédicte brac de la perrière

anthropologue au cnrs, spécialiste de la birmanie

françois robinne

anthropologue, directeur de recherche au cnrs

sai sam kham

Chuu Wai : une artiste birmane exilée en France

Wooh dénonce la junte à travers ses dessins

Performance de Hpone, danseur franco-birman

ancien directeur de metta development foundation

doctorant aux pays-bas à international institute of social studies

Lectures de poèmes birmans

3

4


allocution

Allocution d’ouverture de Monsieur Jean-Luc Romero, Adjoint à la Mairie de Paris, chargé des droits humains,

de l’intégration et de la lutte contre les discriminations, en présence de Madame Geneviève Garrigos,

Conseillère de Paris et Présidente de la 7 e commission (Associations - Sports - Relations internationales)

Bonjour à toutes et à tous, bienvenue.

Merci à l’association Info

Birmanie et à la Communauté

Birmane de France de réaliser un

travail remarquable, compliqué

aussi car il est parfois difficile de

se faire entendre quand on n’est

pas dans l’actualité. D’autant plus

quand il y a une actualité aussi

chargée que celle que nous avons

vécue au cours de ces dernières

années. Le traitement de la question

birmane, notamment par les

médias, n’est pas à la hauteur de ce

qu’il devrait être dans notre pays.

Nous sommes les premiers à le regretter.

Merci également à toutes les

associations, et je suis accompagné

de Geneviève qui est Conseillère

de Paris, mais qui est aussi, comme

vous le savez, une grande militante

des droits humains et qui a été présidente

d’Amnesty International

France. Merci évidemment à Reporters

Sans frontières qui doit être

représenté dans la salle, à Amnesty,

et à Médecins du Monde qui sont

toujours évidemment à vos côtés.

C’est la première fois que nous

vous recevons ici, alors que ce lieu

est devenu une agora pour les droits

humains. C’est une première, et je

pense que c’est important. Sachez

en tout cas qu’ici c’est la maison du

peuple, et que Paris a une spécificité.

C’est quand même la ville où la

plupart des traités internationaux

des droits humains ont été ratifiés

etc… Paris, qui n’est pas un état, a

donc quand même une responsabilité

particulière. C’est pour cela

que c’est ici votre maison, et que

nous sommes à votre disposition,

la direction internationale, mon

cabinet, Geneviève et moi évidem-

ment, pour organiser d’autres événements.

Parce que je pense qu’il est

important d’attirer l’attention sur ce

qui se passe dans votre pays.

Vous avez connu un coup d’état

à la fois terrifiant par rapport aux

milliers de personnes qui ont été

emprisonnées, par rapport à celles

qui ont été tuées - d’autres blessées

- dans des conditions qui sont

celles qu’on connaît tous, et tout

simplement parce que vous avez

voulu vivre libres, et surtout dans le

respect de la démocratie. On le sait

tous, c’est un élément qui est chez

nous extrêmement sensible quand

on voit la montée des populismes,

la montée des régimes autoritaires.

C’est une raison évidemment

importante.

On a déjà eu l’occasion de recevoir

certains de vos représentants

ici. On avait reçu en novembre dernier

le Ministre des droits humains

du gouvernement clandestin qui

vient de me dire qu’il est à Genève

et qui d’ailleurs nous salue. Il aurait

pu être à nos côtés aujourd’hui.

Nous lui disons notre solidarité,

notre amitié, car ce n’est pas simple

quand on est un gouvernement en

exil de mobiliser la communauté

internationale. On a l’impression

que l’Asie est très loin et qu’on n’a

pas forcément la même façon de se

mobiliser que comme pour d’autres

continents, comme je le vois par

exemple pour le continent africain,

avec lequel nous sommes souvent

beaucoup plus mobilisés qu’on ne

l’est avec vous.

Vous allez avoir un long aprèsmidi

qui est très riche. Merci aussi

d’avoir décoré cette salle, avec ces

beaux posters, qui nous permettent

de nous rappeler pourquoi on est là

aujourd’hui.

Sachez que quoiqu’il puisse

se passer, la Maire de Paris – et

Geneviève pourrait vous le dire

autant que moi - est évidemment

très attachée à la question des droits

humains, très attentive à ce qui se

passe dans votre pays. Et sachez

que si elle n’est pas là aujourd’hui

elle est à vos côtés comme nous le

sommes, toute cette ville, et je dirais

même au-delà des clivages politiques.

Nous sommes une assemblée,

un Conseil de Paris, avec des représentants

de la droite, de la gauche,

du centre etc… Mais il y a un certain

nombre de questions sur lesquelles

on arrive à se retrouver.

Et je pense que sur la question

des droits humains on s’est toujours

toutes et tous retrouvés dans

ce Conseil, et particulièrement –

évidemment - vous concernant.

Sachez donc qu’ici on peut très

modestement dire qu’au-delà de la

Maire de Paris qu’on représente très

officiellement, c’est globalement

tous le Conseil de Paris qui vous

accueille et qui vous dit sa solidarité

avec le peuple Birman, et bien sûr

avec celles et ceux qui vivent ici

dans notre pays, et celles et ceux

qui ne peuvent plus retourner dans

leur pays aujourd’hui. Et on a tous

des pensées pour des amis qu’on

connaît aussi en Birmanie et qui

vivent aujourd’hui très durement

le fait de ne pas pouvoir en partir

comme ils le souhaitent. Vous êtes

donc dans votre maison. N’hésitez

pas à l’utiliser, et même à en abuser.

Je vous remercie.

5

6


table-ronde 01

Un drame pour les droits humains

Nous commencerons par aborder la situation des droits de l’Homme. La Birmanie a connu beaucoup de

périodes troublées en matière de droits de l’Homme, avec des violations massives des droits humains. Mais depuis le

coup d’Etat du 1 er février 2021, la situation ne cesse de se dégrader, la violence s’accélère et il est important pour nous

d’en rendre compte.

roger brunet

coordinateur myanmar

amnesty international france

Tout d’abord, merci à la Mairie

de Paris pour l’accueil fait à cette

conférence. Merci à Info Birmanie

et à la Communauté Birmane de

France pour cette initiative qui

nous permet de remettre sous les

projecteurs l’escalade de violence

et de cruauté - je pèse mes mots - à

laquelle la société civile fait face

dorénavant au Myanmar. Merci

également aux divers intervenants

pour leurs contributions et leurs

témoignages.

Je m’appelle Roger Brunet et je

suis le référent Myanmar au sein

du Secrétariat National d’Amnesty

International France. Je vais dresser

en quelques lignes une description

de la situation telle qu’elle se présentait

au lendemain du coup d’état du

1 er février 2021 et telle que l’équipe

d’enquêteurs d’Amnesty vient de

la révéler, 499 jours après, dans un

rapport rendu public le 1 er juin 2022

et intitulé : « Les balles pleuvaient

du ciel : crimes de guerre et déplacements

des populations dans l’est du

7

Myanmar. » La situation s’est considérablement

aggravée dans un

contexte d’une très inquiétante

escalade de la violence.

La dernière grande alerte

concerne bien sûr l’annonce de

l’exécution de quatre condamnés à

mort par la junte militaire le 3 juin

dernier (ONU Info du 10 juin 2022).

Parmi ces condamnés, l’activiste

Kyaw Min Yu et l’ex-député de

l’opposition Phyo Zeya Thaw ont

été condamnés à mort le 21 janvier

2022 par un tribunal militaire en

vertu de la loi antiterroriste en vigueur

depuis 2014. Si les exécutions

ont lieu, il s’agira des premières

exécutions judiciaires au Myanmar

depuis 1988 .

Selon les données de l’AAPP, plus

de 114 personnes ont été condamnées

à mort dont 41 par contumace

depuis février 2021. Deux mineurs

figurent parmi ces condamnés à

mort (selon les données de l’AAPP,

l’Assistance Association for Political

Prisoners, reprises par Amnesty).

Les personnes qui se trouvaient

dans les régions touchées par les

conflits armés n’ont pas eu accès

aux services de base et, dans certaines

zones, l’armée a bloqué l’arrivée

de l’aide humanitaire ou en a

confisqué la plus grande partie. Le

nombre de Rohingyas réfugiés au

Bengladesh dépasse aujourd’hui le

million.

L’état sanitaire est aujourd’hui

extrêmement préoccupant sur

tout le territoire. Au 31 décembre

2021, 26 professionnels de la santé

avaient été tués et 86 étaient en

détention.

On parle de 35 000 personnes

victimes de la Covid-19 faute d’accès

aux soins et au programme COVAX

(l’accès à la vaccination contre la

Covid-19). La part des vaccinés ne

dépassait pas 20% de la population

en 2021.

Le viol et les violences sexuelles

sont utilisés systématiquement

comme tortures et armes de guerre

contre les femmes et les filles.

Douze millions d’enfants sont déscolarisés

et représentent à eux seuls

40% des personnes déplacées. 46%

de la population vit désormais sous

le seuil de pauvreté.

Répression massive et stratégie de

terreur dans les états de l’est du

Myanmar

La situation des droits humains

s’est donc très fortement dégradée

après le coup d’État militaire de

février 2021. La Tatmadaw (nom

de l’armée du Myanmar) s’est rendue

coupable d’atrocités de masse,

notamment d’homicides illégaux,

d’arrestations arbitraires, d’actes de

torture, d’exécutions extrajudiciaires,

de pillages et d’incendies systématiques

de villages. À ce jour (ce

sont les chiffres du 10 juin 2022),

plus de deux mille (2000) personnes

ont été tuées et plus de onze mille

(11 000) sont emprisonnées.

L’armée est responsable des

déplacements massifs de plus de

150 000 personnes dans les états de

l’est du Myanmar alors qu’un nombre

tout aussi élevé de populations

civiles avaient déjà été déplacées à

cause d’anciens conflits ou de violences

passées.

L’armée utilise l’une de ses méthodes

éprouvées mise au point dans les

années 60 contre les groupes armés

ethniques et intitulée « les quatre

coupures ». Elle consiste à couper

les insurgés de leur financement, de

nourriture, de renseignement et de

la possibilité de recruter.

S’y ajoute une autre stratégi :

la punition collective.

Entre décembre 2021 et mars 2022

on a dénombré 24 attaques d’artillerie

ou de mortier ayant tué ou blessé

des civils et ayant provoqué la destruction

de résidences privées, d’écoles,

d’établissements de santé, d’églises

et de monastères. Ces attaques

sont appuyées la plupart du temps

par des bombardements aériens

(avions et hélicoptères d’attaque) qui

s’en prennent indistinctement aux

camps de personnes déplacées, aux

bâtiments publics et aux personnes

tentant de fuir.

Dans un cas ayant suscité une

condamnation internationale, des

soldats avaient intercepté au moins

35 femmes, hommes et enfants se

trouvant à bord de différents véhicules

le 24 décembre 2021 près du

village de Mo So, dans le district de

Hpruso (Etat Kayah) avant de les

tuer et de brûler leurs dépouilles. Les

médecins qui ont examiné les corps

ont déclaré qu’un grand nombre

de victimes avaient été ligotées et

bâillonnées avant d’être exécutées

par balles ou à l’arme blanche.

Darli, une jeune femme de

26 ans, témoigne également d’une

attaque contre le village de Hpa Lu

Lay le 14 janvier 2022 :

« Après un bombardement aérien

et un pilonnage d’artillerie, les soldats

ont chargé la centaine de personnes qui

essayait de traverser la rivière Moei

pour atteindre la rive du côté Thaïlandais.

Je me suis cachée au milieu

des hautes herbes alors que les soldats

tiraient sur les gens qui fuyaient. On

aurait dit qu’il pleuvait des balles. Ils

n’ont aucune pitié… »

Point sur la Méthodologie

Avant de poursuivre, je souhaite

faire un point rapide sur la méthodologie

utilisée par Amnesty International

pour rédiger le rapport

cité. Les équipes d’enquêteurs ont

recueilli les témoignages de 99 personnes

à la frontière thaïlandaise.

Ces témoins sont issus des ethnies

Karen, Kayah, Môn, Birmane et

Shan. Ils sont bouddhistes ou chrétiens.

S’y sont joints trois transfuges

de l’armée dont un commandant

qui conduisait les interventions

dans l’état Kayah, sept médecins

impliqués dans l’assistance humanitaire

et les soins aux blessés, seize

représentants d’ONG nationales

et internationales travaillant sur

le terrain et huit membres des

groupes armés ethniques ou des

forces de défense du peuple (PDF).

Amnesty International a également

rencontré Aung Myo Min,

le Ministre en charge des droits

humains dans le Gouvernement

d’unité nationale (NUG).

Des questions écrites concernant

les nombreuses documentations

relatives aux violations commises

par les militaires ont été envoyées

le 17 mai 2022 à Min Aung Hlaing,

le président du Conseil d’Administration

de l’Etat (SAC State Administration

Council) et commandant en

chef de l’armée. Ce courrier officiel

est resté à ce jour sans réponse.

Plus de 100 photographies et vidéos

ont été analysées, montrant

des blessures, des destructions, et

l’utilisation d’armes diverses. Elles

ont été complétées par des images

satellites, des données relatives aux

incendies et d’autres données issues

de sources en accès libre sur les vols

militaires.

Après examen de ces documents

et recueil des témoignages,

Amnesty considère que les attaques

militaires menées dans les états

Kayin et l’état Kayah à la frontière

thaïlandaise, constituent des crimes

de guerre et pourront très probablement

être qualifiés de crimes

contre l’Humanité.

Ces crimes de guerre et ces crimes

contre l’Humanité participent

d’une volonté délibérée de réprimer

toute résistance depuis février

2021. Ils ont également été comptabilisés

dans la région de Sagaing et

dans l’état Chin dans le nord-ouest

du pays.

D’après les données recueillies

par les ONG, dont Amnesty International,

la Tatmadaw et ses alliés

ont incendié plus de 6700 structures

entre le 1 er février 2021 et le 7

mars 2022, la grande majorité de

ces incendies ayant été perpétrés

depuis janvier 2022.

Tom H. Andrews, le rapporteur

spécial de l’ONU, qualifie ces

destructions de « campagne de

terreur » : « …Si vous vivez dans

un village ou une région que les

militaires ont identifié comme favorable

à la Résistance armée, vous

devenez de leur point de vue un

ennemi. »

Une affirmation qui reprend,

presque mot pour mot, ce qu’a

confié un ex commandant de la

Division d’Infanterie Légère 66

(Light Infantry Division LID 66) aux

enquêteurs d’Amnesty : « L’armée

cherche à imposer la peur au sein

des populations civiles. »

Un peu plus d’un an après le coup

d’Etat, les projecteurs de l’actualité

ont quitté le Myanmar. L’attention

s’est déplacée vers d’autres terrains

de guerre et les démarches diplomatiques

ont été confiées à l’Association

des Nations d’Asie du Sud Est

(ASEAN). L’absence de pression internationale

concertée a convaincu

la Tatmadaw d’une totale impunité,

avec les conséquences désastreuses

- notamment sur le plan humanitaire

- que l’on connaît désormais.

Le consensus en 5 points élaboré

par l’ASEAN et son envoyé spécial

(le Vice Premier ministre Cambodgien

Prak Sokhonn) est un échec.

Partant de ce constat, voici, de

manière très synthétique les recommandations

adressées par Amnesty

aux responsables du gouvernement

8


militaire actuel, aux groupes armés,

ainsi qu’aux organisations internationales,

aux agences des Nations

Unies, et aux gouvernements de

la Communauté internationale,

en incluant l’Association des Nations

d’Asie du Sud-Est (ASEAN) et

l’Union Européenne : certaines de

ces recommandations reprennent

mot pour mot celles déjà édictées au

moment de la crise concernant les

Rohingyas mais qui ont été rejetées

notamment par la Russie et la Chine

au moment du vote du Conseil de

Sécurité des Nations Unies.

Les recommandations d’Amnesty

International

Soumettre la situation du

Myanmar à l’investigation de la

Cour Pénale Internationale et favoriser

un accès sans entraves et

permanent aux enquêteurs, au

Rapporteur spécial des Nations

Unies et au Mécanisme d’investigation

indépendant pour le

Myanmar (IIMM, Independant

Investigative Mechanism for

Myanmar) mis en place par le

Conseil des Droits Humains des

Nations Unies le 27 septembre 2018.

Imposer le respect de la Convention

de Genève de 1949.

Ordonner la mise en place

d’investigations concernant les

crimes contre l’humanité, les crimes

de guerre au sein des forces armées

et du commandement militaire.

La deuxième série de recommandation

concerne l’imposition

d’un embargo sur les livraisons

d’armes complet et détaillé couvrant

les fournitures directes et

indirectes, la vente et le transfert.

Cet embargo doit inclure toutes les

catégories d’armes, de munitions,

d’équipement de sécurité, de carburant

destiné à l’aviation militaire, et

les actions de formation. Il doit également

faire l’objet d’un suivi par les

Nations Unies et ses enquêteurs.

Le troisième grand chapitre

concerne l’accès à l’aide humanitaire.

Permettre l’accès aux donateurs,

aux ONG internationales et

locales pour répondre à cette crise

de très grande ampleur, en incluant

le soutien psychologique et la santé

mentale. Agir contre le vol et les

blocages des fournitures médicales

et humanitaires.

L’une des recommandations

importantes concerne également

la scolarisation. Il faut ré-ouvrir et

protéger les établissements d’enseignement

en accord avec la Déclaration

de sécurisation des écoles (Safe

School Declaration) adoptée par la

junte militaire.

Dans la conclusion de ce rapport,

Amnesty International souhaite

rendre hommage au courage et à

la grande solidarité des populations

toutes ethnies confondues. Elle

tient à exprimer sa gratitude aux

différents acteurs de cette société

civile dans les états Kayin et Kayah,

qui ont pris d’énormes risques pour

venir témoigner malgré le danger

et les combats qui n’ont pas cessé

durant cette enquête.

Il est temps pour la communauté

internationale d’agir et de leur

apporter toute l’assistance et l’aide

qu’ils nous demandent.

daniel bastard

directeur asie-pacifique,

reporters sans frontières

Le bruit médiatique est tel qu’on

a tendance à oublier ce qui ce passe

ailleurs dans le monde au-delà des

frontières de l’Europe, et de l’Europe

de l’est évidemment. Je vais vous

parler de la liberté de la presse.

Après l’exposé qui vient d’être fait,

on peut penser que la liberté de

la presse peut être secondaire par

rapport à des centaines de personnes

qui sont assassinées. Sauf

qu’on dit souvent que la liberté

de la presse est celle qui permet

de garantir toutes les autres libertés.

En dénonçant les atteintes aux

droits humains, en faisant en sorte

que le monde, et la population birmane

bien sûr, sachent ce qu’il se

passe sur le terrain, la liberté de la

presse est l’une des libertés les plus

fondamentales. En même temps,

elle est clairement attaquée en tant

que telle par le gouvernement militaire

birman.

Je vais commencer par deux

chiffres. Le premier c’est 176, c’est la

place de la Birmanie actuellement

dans le classement mondial de la

liberté de la presse que RSF établit

chaque année. 176 sur 180 pays.

Quatre sont un peu pire que la

Birmanie, parmi lesquels la Corée

du nord, et ses deux équivalents en

Asie centrale et en Afrique de l’Est

que sont le Turkménistan et l’Érythrée.

La Birmanie fait vraiment

partie des pires pays en matière de

liberté de la presse.

Le second chiffre que je vais vous

donner c’est 64. C’est le nombre de

journalistes actuellement détenus

arbitrairement en Birmanie. C’est

l’équivalent de la deuxième prison

au monde pour les journalistes, la

plus grande prison étant la Chine

avec le double de journalistes emprisonnés.

Je vais maintenant vous présenter

des images, des histoires, des

portraits :

Le journaliste Sai Win Aung

était chef d’édition au Federal News

Journal, un media qui continue à

fonctionner en ligne. En décembre

2021, il couvrait la situation des

réfugiés au sud-est du pays près de

la frontière thaïlandaise, en terre

Kayin, où énormément de réfugiés

essaient de passer en Thaïlande,

sachant que la frontière est plus

ou moins poreuse. Il a été victime

d’une attaque de l’armée birmane,

l’artillerie a lancé des roquettes sur

le camp de réfugiés, il a reçu trois

balles et est tombé sur le coup, parmi

d’autres civils qui ont été tués.

Les journalistes sont traités avec

aucun respect pour leur travail.

Le journaliste Pu Tuidim est

décédé lui aussi deux semaines

plus tard, en terre Chin près de la

frontières indienne. Il travaillait

pour une agence de presse locale,

il faisait remonter les informations

sur ce qu’il se passe dans les zones

montagneuses de l’état Chin en

essayant de couvrir les combats.

Il a été kidnappé par l’armée alors

qu’il couvrait des échauffourées

et l’armée s’est servi de lui comme

bouclier humain. Au bout de 4

jours, ils ont considéré qu’il ne leur

était plus utile et l’ont abattu. Cela

donne aussi une idée de la grande

barbarie de la junte contre les civils

et de son cynisme. Il y a derrière

cet assassinat sordide un message

adressé à tous les journalistes et

citoyens qui veulent faire remonter

des informations et renseigner

le monde de ce qui se passe : deux

balles dans la tête.

Saw Naung est le troisième journaliste

décédé. Photo reporter indépendant,

il a essayé de couvrir une

manifestation silencieuse organisée

à Yangon le 10 décembre 2021 pour

la journée internationale des droits

humains, mais il a été embarqué

par la police militaire. Sa famille est

restée sans nouvelles, jusqu’à ce que

son corps soit retrouvé quatre jours

plus tard dans un hôpital militaire.

Il est mort des suites de tortures,

notamment à l’électricité.

Pour finir par une petite note

d’espoir, même si ce n’est pas très

encourageant, la journaliste Hmu

Yadanar Khet Moh Moh Tun a été

arrêtée fin novembre 2021. Elle a

été grièvement blessée lors de son

arrestation et est restée dix jours

dans le coma. Cette photo la montre

en compagnie de son collègue, alors

que les images qui ont circulé sur

les réseaux sociaux la montraient

blessée. Elle est vivante, mais a eu

plusieurs fractures crâniennes. Sa

famille pensait qu’elle allait mourir.

Elle est toujours en détention et

risque trois ans de prison pour avoir

voulu couvrir une manifestation.

Après le coup d’état du 1 er février

2021, on a vu un pic d’arrestations

dans les six premiers moins, puis

elles se sont tassées parce que les

journalistes ont dû se cacher. La

violence de ces quelques cas est à

l’image de la répression qui frappe

les journalistes et notamment les

plus jeunes. La situation est très

critique et la réponse des journalistes

est très délicate. Il y a trois

possibilités, trois types de médias.

1 er type de médias : les médias

indépendants qui ont une parole

libre car ils sont clandestins. Une

quinzaine de médias nationaux

ont été interdits par la junte et pour

continuer la seule solution c’était la

clandestinité, avec deux options :

1. l’exil : RSF aide environ 250 journalistes

qui ont choisi de partir car

une liste de journalistes à arrêter

circule. Beaucoup sont réfugiés en

Thaïlande mais ce pays ne veut pas

qu’ils restent, donc il faut trouver

une autre solution en Europe, en

Australie, en Amérique du nord.

2.rester à l’intérieur : beaucoup

mettent un point d’honneur à

rester pour informer mais c’est

extrêmement périlleux. De nouvelles

arrestations ont eu lieu, car

les services secrets pourchassent

les journalistes, interrogent leurs

familles.

Le deuxième type de médias, à

l’intérieur du pays, tente de survivre,

comme Eleven Media. Ils

pratiquent une autocensure très

9 10


stricte, ne peuvent pas parler du

coup d’état ni utiliser les mots

« junte », « rohingya »…

Le troisième type de médias ce

sont les médias de l’armée. C’est

un robinet qui recrache la propagande

de l’armée, avant tout destiné

aux militaires car les birmans ne

les croient pas. L’enjeu stratégique

du droit à l’information pour les

birmans ? L’armée veut réduire ce

droit pour imposer sa propagande

et son récit. Cela peut rappeler

un peu ce qui s’est passé lors des

mouvements populaires de 1988

et 2007.

Sauf que depuis le coup d’état du

1 er février 2021 et la résistance qui

s’organise les choses ont changé. Les

connexions internet, les réseaux

sociaux sont devenus un pratique

quotidienne pour les birmans, notamment

Whatsapp (avec des limites

comme Facebook qui n’est pas

transparent sur ses algorithmes

et a déversé des discours de haine

lors du nettoyage ethnique à l’encontre

des populations Rohingya).

En tout cas, les réseaux sociaux

sont présents et les informations

s’échangent beaucoup.

L’autre différence fondamentale

est que la Birmanie a connu dix

ans de transition démocratique,

l’expérience d’une information libre

et fiable qui tranche avec la

propagande de l’armée. On ne peut

pas tarir cette soif d’informations

fiable et de savoir ce qui se passe,

et pour nous à l’étranger, de mieux

comprendre ce qui se passe et l’ampleur

de la répression qui frappe les

journalistes et la population.

C’est ça qui peut faire la différence

pour reprendre la description

de cette journée. On a les forces

d’une résistance crédible et efficace,

qu’il ne tient qu’à nous de soutenir,

en interpellant nos gouvernements

et les grandes multinationales qui

travaillent encore en Birmanie et

en aidant les organisations qui sont

au service du peuple birman.

morgane dussud

doctorante en sciences politiques

à la school of oriental

and african studies (soas)

de l’université de londres

Je travaille depuis 2017 sur

les stratégies de mobilisation des

acteurs de la société civile en

Birmanie, pendant la période que

je qualifie de semi-autoritaire entre

2011 et 2021. Le gros de mon travail

empirique a été la conduite

de dizaines d’entretiens avec des

activistes de la société civile en

Birmanie, conduits avant le coup

d’Etat principalement (2018-2020),

mais également durant les premiers

mouvements post-coup et bien sûr

depuis.

Ce qu’on a proposé de faire aujourd’hui

c’est une courte remise

en perspective historique de la société

civile et de son évolution sur

les trente dernières années pour

mettre en avant ce dialogue entre

les changements de régime successifs

en Birmanie et la résilience de

la société civile birmane pendant

la période.

Une mise en perspective

historique

Je ne suis pas historienne, donc

je ne me permettrai pas de revenir

sur les origines de la société civile

en Birmanie, si ce n’est pour rappeler

deux constats : elle existait

bien avant l’apparition du concept

en lui-même et elle puise ses racines

dans un tissu associatif religieux,

principalement bouddhique,

mais aussi hindou, musulman et

chrétien.

Dès le début du 20 e siècle, l’administration

coloniale britannique

interdisait déjà les organisations

politiques donc ce n’est pas que le

fait du régime birman. La société

civile était donc dans son sens formel

complètement cantonnée aux

organisations religieuses, au sein

desquelles émerge le sentiment

nationaliste principalement d’une

identité Bamar bouddhique.

Va s’en suivre un court interlude

de régime parlementaire, entre

1948 et 1962, qui va être marqué

par un dynamisme de la mobilisation

citoyenne, mais qui va être

rapidement écrasé à la suite du coup

d’état en 1962, quand le général

Ne Win prend le pouvoir. S’en suit

une période d’à peu près cinquante

ans où les seules organisations qui

sont autorisées sont des grandes

organisations de masse qui sont

mobilisées autour du parti politique

militaire au pouvoir (Burma

Socialist Program Party – BSPP)

et qui ont vraiment un rôle d’endoctrinement

de masse et de propagande.

Toute velléité politique

d’opposition, de mobilisation est

complètement écrasée pendant

cette période. Et ça va conduire

l’académique Steinberg à dire que le

BSPP aurait « assassiné » la société

civile birmane.

Ensuite, les trente dernières années

sont marquées comme vous

le savez par de très grosses mobilisations

citoyennes qui ont été

couvertes par les médias à travers

le monde et qu’on a tous en tête.

Bien sûr, celle de 1988 qui va être

suivie d’élections en 1990, remportées

par la Ligue nationale pour la

Démocratie (LND) mais rapidement

annulées et suivies d’un nouveau

coup d’Etat. Le pouvoir reste aux

mains de l’armée birmane mais

cette période marque le premier

mouvement de réorganisation de

la société civile birmane, avec des

activistes pro-démocratie et prodroits

humains qui sont contraints

à l’exil, dans des pays frontaliers

(Thaïlande, Inde), mais aussi dans

les démocraties occidentales (diaspora)

à travers le monde.

Au début des années 90, seules

deux organisations internationales

sont autorisées dans le pays :

World Vision (Royaume-Uni) et

Médecins sans frontières (Pays-

Bas), qui opèrent sous contraintes

de l’Etat très strictes des activités

de développement.

Cette période de la fin des années

80, des années 90 jusqu’au début

des années 2000, est marquée par

l’opposition entre la société civile

birmane en exil, qui est très vocale

sur les enjeux d’aide humanitaire,

du respect des droits humains et

de la démocratie – elle porte un

plaidoyer transnational et devient

effectivement la seule voix, très

entendue sur la scène internationale

- et la société civile birmane « à

l’intérieur », domestique, à la marge

de manœuvre extrêmement limitée,

mais qui continue néanmoins

d’opérer.

La période de transition (2008-

2015) est négociée par l’armée qui

est en position de force au moment

où elle l’initie. Une « feuille de route

vers la démocratie à la discipline

fleurissante » est adoptée, puis une

nouvelle Constitution en 2008 qui

institutionnalise la présence de

l’armée au pouvoir (25 % des sièges

au parlement lui est réservée,

attribution de certaines postes ministériels).

Des élections générales

ont lieu en 2010, qui vont conduire

le gouvernement Thein Sein au

pouvoir.

Pendant cette période-là, au début

des années 2010, on a toute une

série de concessions stratégiques

qui donnent l’apparence d’une démocratisation,

tout en la vidant de

sens. Je pense notamment à des

institutions qui sont créées mais

complètement ignorées, comme

la Commission nationale pour les

droits humains de la Birmanie. Et

l’armée garde la mainmise sur le

jeu politique. Tout cela ne laisse

que très peu de place à la société

civile pour contribuer au processus

de changement institutionnel de

changement de régime, mais aussi

pour occuper cet espace politique.

Néanmoins, la société civile

birmane s’engouffre dans la brèche

et va se réorganiser massivement

dans les années 2008-2011 à la suite

du cyclone Nargis qui touche le

pays en mai 2008 et qui va voir

l’entrée dans le pays de nombreuses

ONG internationales qui ne

repartiront plus pour la décennie

qui va suivre.

Et puis il y a la création de toute

une myriade associations d’entraide

birmanes qui sont d’abord créées

sous couvert des organisations traditionnelles

religieuses dont je vous

parlais à l’origine, puis qui dans les

mois qui vont suivre le cyclone

vont prendre leur indépendance.

La grande majorité disparaît dans

les mois qui suivent, mais toute

une série d’entre elles vont s’autonomiser.

Elles reproduisent un peu

la sociologie des acteurs post-coup

2021, c’est-à-dire des individus

issus de la jeunesse et des classes

moyennes urbaines qui vont se

saisir de la réponde humanitaire

à cette époque-là pour créer toute

une myriade d’organisations de la

société civile.

C’est aussi une période où la

pression étatique, la répression

étatique, se relâchent un peu. On

a bien sûr le démantèlement des

services secrets spécialisés dans

la surveillance, l’ouverture grâce à

l’émergence des nouvelles technologies

de l’information (cartes SIM,

cafés internet) et le relâchement

de la censure médiatique, la libération

relativement symbolique

mais tout de même importante de

prisonniers politiques, et puis une

période qui est marquée par une

première victoire nationale de la

lutte pour l’environnement avec la

renonciation par le gouvernement

au projet de barrage sur l’Irrawaddy

en septembre 2011. C’est une très

grosse victoire de la société civile

birmane et du mouvement environnementaliste,

qui marque un

vrai tournant pour la société civile.

C’est la première fois qu’elle arrive

à s’organiser de manière nationale

sur un dossier local dont elle arrive

à faire valoir la répercussion

globale et nationale. Et pour la première

fois surtout elle est entendue

et écoutée par le gouvernement qui

met fin à ce barrage.

La période 2011– 2021 est finalement

celle sur laquelle je reviendrai

le moins, même si elle est au cœur

de mon doctorat. Les réels progrès

observés sont connus, tout comme

le sont les paradoxes de cette

période de libéralisation sociale

et politique. Ces paradoxes, pour

résumé, sont les suivants :

Un engagement de la société

civile qui est consultée dans le processus

de développement des politiques

publiques, mais en même

temps l’académique Jacquet parle

d’une société civile qui est écoutée

mais rarement entendue

Des manifestations publiques

qui sont autorisées, mais uniquement

après demande d’autorisation

préalable accordée discrétionnairement

par les autorités souvent

municipales

De nombreux activistes qui restent

en prison, mais avec des peines

qui sont raccourcies, parfois de

quelques semaines ou quelques années

de prison contre des décennies

auparavant

Des sujets sensibles qui ne sont

pas ouvertement discutés, mais

mentionnés

Des défendeurs des droits humains

qui sont harcelés par un

arsenal juridique suranné issu de

la période coloniale qui est encore

activé, de manière souvent discrétionnaire,

pour réprimer la société

civile birmane et mettre fin à toute

tentative de contre-narratif par la

société civile

Finalement, cette période est

marquée par des lignes entre ce

qui est acceptable et ce qui ne l’est

pas. Elles ne disparaissent pas, mais

bougent entre ce que l’on peut dire

ou ne pas dire, faire ou ne pas faire,

entre ce qui est légal ou illégal, entre

qui accède ou pas à la citoyenneté,

etc. Ces lignes évoluent et se

brouillent dans un contexte où,

11 12


après avoir ouvert cet espace politique

à la dissidence, le régime

se trouve contraint de maintenir

son contrôle sur l’espace public /

politique / d’opposition politique et

réprime l’opposition relativement

fortement. Pendant toute cette

période, la société civile s’adapte

sur la forme, elle évolue dans ses

stratégies de mobilisation, dans

ses techniques d’action. Mais sur

le fond elle garde cette ligne rouge,

elle maintient le cap des droits humains

et de la démocratie.

Ce que je voulais mettre en avant

avec ce retour historique, c’est la

résilience de la société civile qui

se réadapte à mesure des changements

de régime, des cycles de

fermeture et d’ouverture de l’espace

public au gré de la transition de régimes,

des changements de régimes

dans le pays.

l’armée, le gouvernement, quitte à

en payer les risques.

Cette diversité vient aussi avec le

prix d’une certaine fragmentation

de la société civile birmane, selon

des lignes ethno-religieuses qui

perdurent, avec peu de solidarité

inter-ethnique, même si encore une

fois à la suite du coup d’Etat, on a

vu un peu plus de liens entre les

groupes ethniques qui travaillent

parfois ensemble. C’est pour cela

que l’espoir initialement porté par

la Ligne Nationale pour la Démocratie

(LND) et Aung San Suu Kyi,

qui était celui de voir le parti de

la LND porter un projet national

fédérateur qui soit une alternative

à celui de l’armée est finalement

un espoir relativement déçu, avec

des changements qui peinent à

se faire sentir dans cette période

d’interlude semi-démocratique ou

semi-autoritaire - ou peu importe

comment vous voudrez l’appeler -

qui peine à se faire ressentir dans

la vie quotidienne de la société

birmane.

Et je finirai en mettant en avant

la diversité de la société civile birmane.

Avec son explosion depuis

le début du 21 e siècle, apparaît une

diversité bienvenue dans sa composition,

ses champs d’intervention Avec le coup d’état, la société

Quand on parle de 1941 personnes

Je vais donner quelques chiffres.

et ses stratégies de mobilisation. Le civile s’est de nouveau adaptée et

qui ont été tuées depuis le coup

spectre d’intervention de la société recomposée, reprenant et réadaptant

des modes opératoires qu’elle

d’Etat, 14 110 qui ont été arrêtés, et

civile devient de plus en plus riche.

J’ai été Cheffe de mission au plus de 11 000 qui sont toujours en

On a des choix dans les stratégies connaît bien : celui de travailler

Myanmar à la fois en période de détention, pour les gens au quotidien

ça veut dire une peur d’être

de mobilisation de la société civile à travers la diaspora, avec des réseaux

d’influence transnationaux/ J’espère que je vous aurai

Covid et en période de coup d’état,

birmane qui diffèrent, il y en a qui

et je tiens à le préciser car il faut arrêté. Il y a eu la mobilisation lors

imaginer cette situation : rajouter

sont dans l’engagement, dans la transfrontaliers, je pense notamment

à la Thaïlande, bien sûr et société civile, mais aussi du fait

convaincus de la résilience de la

des manifestations mas ce n’est

la pandémie et le coup d’état donne

concertation avec les autorités sur

pas seulement de cela qu’il s’agit.

Ensuite, il y a une crise économique

qui a un vrai impact sur les

quelque chose d’extrêmement complexe.

des processus de développement de puis avec le gouvernement d’unité que cette résilience passe dans la

Comme il y a eu le Covid, un couvre-feu

a été instauré dans tout

politiques publiques, de modification

des cadres législatifs etc. On a mité représentant l’Assemblée de internationale, avec des acteurs

Je voulais rappeler que Médecins

récession de l’économie de près de

nationale (NUG) en exil et au Co-

durée par la solidarité avec la scène

dépenses des ménages avec une

le pays de minuit à 4h du matin

et mon ancien collègue me disait

des organisations de la société civile l’Union (CRPH). Finalement, ce internationaux de la société civile,

du Monde (MDM) est présent en

20 % en moins d’un an, avec des millions

d’emploi qui ont été détruits.

encore hier « tu verrais Rangoun à

qui vont choisir des stratégies d’évitement,

qui vont essayer de rester le diversité dont je vous parlais ce sont faire le relai des messages des ac-

une longue histoire dans ce pays

Du coup, une inflation record sur

qui unit la société civile malgré la et que c’est aussi notre rôle de se

Birmanie depuis 1994. C’est donc

22h00 il n’y a plus personne dans

la rue ». Parce que tout le monde a

plus loin possible des radars du gouvernement,

sous couvert parfois et le contexte politique volatile dans tant qu’acteurs de la communauté

à savoir qu’on a des programmes

entre 30 à 40 % en fonction des

les contraintes auquel elle fait face teurs de la société civile birmane en

et une histoire un peu singulière,

les produits de base qui est estimé

peur, tout le monde se cache, et c’est

une réalité dans les villes et dans les

d’activités de développement, d’accès

à l’éducation, et qui vont faire un une conception de l’opposition po-

Kachin dans 3 villes (Myitkyina,

la guerre en Ukraine, notamment

lequel elle opère, avec finalement internationale.

à la fois sur Rangoun et dans le

produits. Il y a aussi un impact de

campagnes. Ça veut dire aussi des

check-points dans la ville, à plein

travail en profondeur, structurel, litique au sens très large puisque

Mogaung et Hopin) où on a des cliniques

d’accès au traitement et au

de l’essence, de 133%, je vous laisse

avec une augmentation des prix

d’endroits on a vécu des moments

souvent à l’échelle locale, le plus loin finalement le seul narratif autorisé

où ça voulait dire que pour bouger

possible des autorités nationales, et reste celui imposé par l’armée qui se

dépistage du VIH et au traitement

imaginer ce que cela donne. Cette

d’un township à un autre il fallait

qui vont faire un travail de réforme porte fer de lance de l’unité nationale

et garante du patriotisme birman

de la population. à Rangoun, on

la zone industrielle de Rangoun

contre l’Hépatite C pour une partie

réalité est valable partout. 80 % de

montrer des cartes pour dire qu’on

des structures de gouvernance. Et

allait bien travailler. Cela veut dire

puis on voit des acteurs de la société

civile qui parfois vont choisir s’aligne pas avec l’armée.

sexe, auprès des hommes qui ont

sont des compagnies chinoises qui

et qui du coup oppose quiconque ne

travaille auprès des travailleurs du

est à l’arrêt. Les 20 % qui restent

un contrôle des mouvements de la

population, un contrôle de ce qu’on

une stratégie d’opposition frontale

des relations sexuelles avec d’autres

essaient de continuer à opérer.

et directe avec les autorités, avec

On a beaucoup qualifié cette pé-

fait, qui est quotidien. Ça engage la

hommes et de la population LGBsituation,

et la sécurité en tout cas, La répression et la crise économi-

13 14

riode de transition d’expérimentale.

Elle laisse néanmoins une société

civile qui est de plus en plus politisée,

organisée et professionnelle,

qui a bénéficié d’une vraie transmission

intergénérationnelle. Littéralement,

pendant mes entretiens

avec des activistes sur place, j’ai pu

observer qu’ils s’auto-qualifiaient

de génération 88, génération 2007,

2015... Ils me donnaient tous leur

palmarès et ils faisaient tous état de

leurs liens avec les représentants de

différentes générations d’activistes

pour la démocratie.

C’est aussi une période après le

coup d’état qui est marquée par une

base sociétale qui soutient la société

civile qui est beaucoup plus large, le

mouvement de désobéissance civile

a montré l’ampleur d’une société qui

se soulève, particulièrement pour

une génération qui a grandi dans

une Birmanie relativement libre

et qui ne veut pas faire demi-tour

sur son développement. Et puis

il y a bien sûr le rôle des femmes

qui se mobilisent de plus en plus,

ce qui est un grand marqueur de

la mobilisation pro droits humains

après le coup d’état, avec des figures

féminines dans le monde des

activistes qui sont très visibles et

très vocales.

table-ronde 02

une crise humanitaire sans précédent

Le coup d’Etat du 1er février 2021 a aussi pour conséquence de plonger la Birmanie dans une crise humanitaire

désastreuse. Le nombre de civils déplacés explose, tout comme le nombre de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire

d’urgence. Nous devons rendre compte de la situation de la population à l’intérieur du pays et de celle des

réfugiés qui ont fui la Birmanie.

céline debaulieu

ancienne cheffe de mission

au myanmar de médecins du monde

TQI+ et dans le Kachin on travaille

avec des populations usagères de

drogue par injection et usagères

d’héroïne. Je ne parlerai pas de ce

sujet, mais l’usage et la production

de drogue est un vrai sujet pour le

Myanmar.

Ce qui nous semble important de

partager avec vous c’est que cette

crise humanitaire aujourd’hui est

multifactorielle : elle est à la fois

économique, politique, sanitaire et

humanitaire.

des personnes. Cette crise sécuritaire

est aussi marquée par des

bombes, des attaques quotidiennes,

en ville très couramment mais aussi

dans les campagnes. Ces attaques

ont été depuis le départ répandues

dans tout le pays, tout comme les

manifestations. Ce qui rend la situation

extrêmement compliquée

pour les civils qui se sont retrouvés

dans des zones de front, des zones

de guerre qui sont actives et pour

certains des fermiers qui de fait ne

peuvent pas faire leurs récoltes,

ni planter, et qui sont obligés de

bouger de chez eux. Ce qui explique

aussi, et je vais y revenir, les

mouvements et déplacements de

population au sein du pays. Des

gens se retrouvent empêchés de

vivre comme ils le faisaient, car ils

sont dans des endroits où il devient

absolument impossible de rester.


que conduisent à une des urgences

mondiales les plus importantes en

ce qui concerne la crise des réfugiés.

Plus de un million de personnes

sont déplacées dans le pays, dont

plus de la moitié depuis le coup

d’état. Je ne reviens pas sur l’avant

coup d’état, c’était aussi une réalité

avant. On a environ 700 000

personnes déplacées en interne

dans le pays, 400 000 dans les pays

voisins et on se retrouve avec évidemment

beaucoup de minorités

ethniques qui n’ont pas accès à l’aide

humanitaire. Je parle là de besoins

primaires (accès à la nourriture, à

l’eau…) pour ne pas mourir.

Le nombre de personnes vivant

dans la pauvreté a doublé, pour

représenter aujourd’hui la moitié

de la population. C’est aussi une

réalité. Et parmi cette moitié un

quart (soit 14,4 millions de personnes)

nécessite une aide humanitaire

d’urgence. Ça veut dire 7,5 millions

de femmes et 5 millions d’enfants.

Les prévisions ne sont pas bonnes :

d’ici la fin de l’année, la moitié de la

population aura besoin d’une aide

humanitaire d’urgence.

Dans certains contextes, l’accès

aux personnes déplacées, ce sont

des camps qui sont dans des zones

de conflits qui sont actives,

des zones de front. L’accessibilité

des personnes par les humanitaires

est extrêmement compliquée

parce qu’il faut aussi obtenir des

autorisations. C’est aussi un vrai

sujet qui complique la vie de tous

les humanitaires aujourd’hui. Et

il y a de toutes petites périodes où

on peut atteindre les populations,

mais la réalité c’est qu’aujourd’hui

il y a vraiment des zones où il n’y

a aucune assistance. Il y a des associations

locales - je parle là de

l’aide humanitaire internationales.

Localement, il y a des organisations,

mais qui évidemment manquent

de moyens.

portante. On compte les expatriés

sur les doigts d’une main, et encore,

quand ils sont dans le pays. Beaucoup

de médecins, d’infirmiers, de

techniciens de laboratoire, de pharmaciens

sont dans nos cliniques. La

mobilisation au lendemain du coup

d’état a été menée par les soignants.

En France, quand on dit que les

soignants sont en grève, ils ont un

brassard mais les services fonctionnent,

même avec la crise. Au

Myanmar, ils ont dit on ne travaillera

pas sous ce gouvernement, on a

voté pour en avoir un autre c’est un

coup d’Etat on ne le reconnaît pas.

Ils ont vraiment arrêté d’aller travailler.

Je rappelle la pandémie de

Covid. C’était la panique dans tous

les sens l’été dernier. Il y avait à peu

près 80% des hôpitaux publics qui

étaient fermés. Le courage des Birmans

qui ont tenu, qui ont voulu affirmer

le fait qu’ils ne voulaient pas

retourner dans un régime de junte

militaire, est vraiment exceptionnel.

Ce qui s’est passé est incroyable.

Ils ont vraiment tenu. Mais ça veut

dire que l’accès aux soins pour la

population était de fait plus que

compliqué. Concrètement, lors de

la crise Covid l’été dernier les gens

couraient dans les rues pour trouver

des bombonnes d’oxygène, pour

trouver des solutions. évidemment,

il existe un système privé mais il

n’est accessible qu’à une certaine

partie de la population. Et même ce

système-là a été très vite saturé. Ils

étaient incapables de répondre aux

besoins. Les chiffres des décès sont

difficiles à comptabiliser. Beaucoup

n’ont pas été comptés.

Je pense que ce mouvement de

désobéissance civile initié par les

soignants les a mis en première ligne

aussi par rapport à la junte, c’est

vraiment important à comprendre.

Selon l’Onu, sur 1000 incidents

sécuritaires sur le personnel soignant

ou les structures sanitaires

qui sont recensés dans le monde

en 2021, près de la moitié ont eu

lieu au Myanmar. Avec 407 incidents

documentés, dont près de 300

personnels soignants arrêtés, une

centaine de raids sur les hôpitaux,

33 personnels soignants qui ont

été tués et 86 patients. Donc c’est

aussi assez exceptionnel de noter

que cette pression sur les soignants

est réelle.

Les résultats de cette crise, on le

voit, c’est l’effondrement des institutions

de l’état, la perturbation des

infrastructures sociales et économiques,

qui incluent la santé, l’éducation,

l’accès à la nourriture (je n’en

parlerai pas, mais pour le système

bancaire, c’est aussi très compliqué),

l’emploi. Et avec en parallèle aussi,

une augmentation de la criminalité

et de l’activité illicite.

Je voudrais parler rapidement

de comment on intervient en tant

qu’humanitaire au Myanmar. C’est

devenu extrêmement complexe.

Je passe sur toute la partie technique

quand on intervient dans un

contexte qui n’est pas le sien. On doit

s’enregistrer comme ONG, on doit

signer un accord sur ce qu’on fait,

dans les grandes lignes au moins, et

aujourd’hui ça veut dire signer avec

la junte. Alors on y est pas et on en

a beaucoup discuté et évidemment

ça pose des questions éthiques, On

est une ONG humanitaire, on a un

principe de neutralité, dans le sens

où on parle à tous les acteurs en

présence. Et on fait surtout en sorte

d’avoir accès aux populations qui en

ont besoin. Aujourd’hui, c’est passer

par ces accords, ces signatures, et

même en les demandant, on ne les

a pas aujourd’hui. On n’a plus de

visas pour le personnel expatrié,

on ne peut importer ni de médicaments

ni de matériel médical, rien

n’est possible. Et cela veut dire aussi

qu’on n’est plus enregistré dans le

pays. C’est la réalité de MDM et de

quasiment tous les acteurs humanitaires,

ça veut dire qu’on peut nous

demander de faire nos valises et de

partir du jour au lendemain.

On sent et voit que la volonté du

régime militaire en place est de ne

plus accueillir d’humanitaires et

de faire partir ceux qui sont là. Et

de ne pas donner accès aux populations.

Je vais peut-être cynique,

mais que les gens meurent n’est

MDM s’occupe aussi de soignants

et de ce qui se passe de ce côté-là.

C’est aussi une réalité dans nos

équipes, avec environ 250 staffs

nationaux car c’est une mission impas

leur souci. Leur priorité c’est

de ne pas être regardé et de ne plus

autoriser. Ils ne le font pas directement,

ils disent qu’ils discutent et

tolèrent, mais pendant combien de

temps ? On n’en a aucune idée. Et

je pense que c’est une vraie alerte

de se dire : est-ce que à un moment

donné les frontières seront vraiment

fermées pour les humanitaires

? Aujourd’hui, les visas sont

donnés pour le business. Beaucoup

d’humanitaires passent par là. Ça

veut dire passer par un intermédiaire.

Ce n’est pas cadré et on peut

être expulsé du pays. Sinon il y a

de nouveau des visas touristes qui

peuvent être délivrés mais pour

les ONG c’est clairement indiqué

que non. Donc c’est un vrai sujet

d’interpellation et d’inquiétude au

quotidien pour les équipes.

Ce que m’ont transmis les équipes

birmanes, c’est cet état de choc avec

le coup d’état, nous disant de rester

avec eux et de ne pas les laisser tous

seuls. Ils ont toujours réaffirmé le

besoin d’être entendu, soutenu de

plein de façons, et il ne faut pas

oublier la réalité qu’ils vivent et qui

rend plus compliqué l’accès pour les

humanitaires. On continue de mener

nos activités, nos cliniques sont

ouvertes, mais jusqu’à quand ? On

n’a plus de légalité administrative

pour être dans le pays.

Je vais parler très vite de la situation

des Rohingya au Bangladesh.

La situation est assez cynique aussi

on va dire. Il n’y a pas de solution

politique envisagée. Il y a environ

un million de réfugiés dans

les camps au Bangladesh, qui sont

déplacés d’un endroit à un autre,

et notamment sur Bhasan Char,

un îlot submersible de terre et de

sable au large du Bangladesh sur

lequel les réfugiés ont été forcés de

s’installer. Donc des réfugiés aussi

qui prennent des routes terrestres

et maritimes de plus en plus dangereuses.

Il y a de moins en moins

de financements internationaux,

donc de fait il y a un désengagement

des acteurs humanitaires

internationaux. Il reste les acteurs

locaux, mais ils sont beaucoup plus

soumis à des pressions politiques

ou du gouvernement, donc sur le

témoignage et le plaidoyer c’est plus

limité. D’une manière générale, la

situation se dégrade grandement.

anne-marie lefèvre

membre d’info birmanie et de la

communauté birmane de france

témoignage sur la situation des

réfugiés birmans dans l’état indien

du mizoram

Les derniers chiffres dont je dispose

c’est qu’il y a environ 35 000

réfugiés - essentiellement Chin

- dans le Mizoram en Inde. J’étais

en Inde à Varanasi, et j’avais en

tête d’aller voir ce qui se passait du

côté du Mizoram (l’un des 7 états du

Nord-Est de l’Inde). Traditionnellement,

par le passé, l’Inde accueillait

les réfugiés birmans. Il y a une vraie

présence birmane en Inde, qui s’est

un peu ralentie dans les années

2010 avec le début de l’ouverture

démocratique. Là cette fois, après

le coup d’état du 1 er février 2021,

l’Inde a dit : « non, nous n’ouvrirons

pas nos frontières aux birmans ».

La situation est compliquée. Le Ministre

en chef du Mizoram a pris

une autre position et a dit : «Désolés,

mais nous nous devons de les

accueillir, ce sont nos frères ».

Il faut savoir que dans le Mizoram,

les habitants sont à 100% chrétiens

et sont de la même ethnie que

les Chin, ils partagent la même religion,

une culture similaire. Pour la

langue, c’est un peu plus compliqué,

mais elle correspond à peu près, à

70%. Il y a de nombreux dialectes

dans l’état Chin, contrairement au

Mizo qui est la langue unique du

Mizoram. Mais ils arrivent pourtant

bien à se comprendre. Ça fait

vraiment une communauté. Ce qui

fait que les réfugiés du Myanmar

dans le Mizoram (de l’état Chin

essentiellement) sont très bien accueillis.

Ça, c’est une spécificité.

Pourvu que ça dure, car on sait

bien qu’à la longue, la motivation

peut s’émousser.

Au départ je marchais un peu

sur des œufs en arrivant dans le

Mizoram, sachant que l’Inde, officiellement

- le gouvernement

central - n’accepte pas les réfugiés.

J’étais la seule occidentale dans la

région. Quand j’ai quitté Aizawl à

la fin de mon séjour, il y avait juste

un australien dans l’avion, qui était

15 16


venu faire du tourisme, voir des

cascades, mais je n’ai jamais croisé

personne.

Je ne savais pas trop comment

approcher la situation, comment

me rendre près de la frontière, accéder

à des camps, je n’avais pas

du tout envie d’arriver comme une

touriste. Ça a pris un peu de temps

pour nouer des contacts.

Je voulais aller dans le sud de

l’état parce que j’avais entendu

parler de certains camps. J’avais

lu quelques articles. Et puis finalement

mes contacts m’ont menée

dans le district de Champhai,

dans l’est, à 9h de voiture environ

- les routes sont très mauvaises,

en travaux actuellement - pour

180 km. Je comptais rester 3 ou 4

jours et finalement je suis restée 5

semaines.

rement dans la YMA, Young Mizo

Association, qui prend un peu le

relais de l’état, à tous les niveaux.

Par exemple quand il y a un

enterrement, ils vont creuser la

tombe du défunt, ils vont veiller

toute la nuit, il y a une solidarité,

un sens de la communauté impressionnants,

comparé à nous. Là

c’était assez fascinant et en ce qui

concerne les réfugiés birmans on

retrouve la même chose. Un certain

nombre d’associations lèvent des

fonds, font des dons, la nourriture

circule, selon les camps, ils ne sont

pas tous logés à la même enseigne,

mais ce sont des besoins auxquels

on répond sur place.

Je me pose vraiment la question

des soins médicaux. J’ai constaté la

présence de MSF (Inde), qui pare au

plus pressé. Mais j’ai rencontré des

cas très précis de personnes qui ont

besoin de soins très spécifiques et

les relais n’existent pas. Donc on

compte sur les bonnes volontés

de chacun, justement, pour faire

remonter les informations, parler

de la situation.

On n’a pas parlé du VIH mais

la situation est un peu catastrophique

et ce n’est tellement pas

l’urgence que c’est laissé de côté

et ça dégénère. Je pense aussi aux

traumatismes qu’ont subi tous ces

réfugiés… Et comment peut-on les

occuper ? J’ai passé beaucoup de

temps dans les camps, j’ai dormi

là-bas. Tout tourne autour de la

fabrication des repas. Inutile de

dire que l’accès à l’eau, aux soins

corporels - les douches - est très

compliqué.

Mais aussi, du coup, que fontils

toute la journée ? Certains ont

accès à des petits boulots - j’ai vu

des enfants casser des cailloux,

les hommes vont travailler sur les

terres agricoles. Voilà, en gros, que

deviennent-ils du matin au soir,

(je sais que c’est la question qui se

pose à tous les réfugiés à travers

le monde…) à quoi s’occupent-ils,

quels sont leurs espoirs ? Ce sont des

vraies questions pour la pérennité

de leur santé mentale.

Par exemple dans le camp CDM,

j’avais filmé un jeune policier de 24

ans, je voulais approfondir le lendemain,

et on m’a informée qu’il avait

été transféré par ce qu’il avait un

problème d’alcool. On l’avait éloigné

de ce camp pour essayer de régler

le problème.

Mon désir c’est d’y retourner

le plus vite possible, j’ai noué des

liens avec certaines personnes, et

je voudrais poursuivre ce modeste

travail de voyageuse qui s’intéresse

aux gens.

Le discours de nombreux réfugiés,

c’est que souvent des personnes

se manifestent, il y a des dons,

on voit des camions apporter des

choses et puis ensuite on en entend

plus parler, il n’y a pas de suivi.

Ces personnes sont là depuis des

mois pour certains, il y a eu plusieurs

vagues d’arrivée, selon les

exactions de l’armée (une nouvelle

vague en janvier 2022 suite aux

atrocités de Noël). On ne sait pas

du tout quand ça va s’arrêter et ces

gens sont là et vont bel et bien rester

pour l’instant.

C’est un peu la situation actuelle

- même si globalement on peut dire

que l’accueil est vraiment positif : j’ai

trouvé que l’accueil qui est réservé

aux réfugiés est très rassurant humainement.

Mais on en parle très

peu et il y a beaucoup à faire.

J’ai assisté à l’ouverture d’une clinique

à la frontière, à Zokhawthar,

mais c’est comme une goutte d’eau à

Ce sont des indiens d’origine

Chin qui m’ont permis d’aller dans

trois camps différents. Je suis allée

à la frontière à Zokhawthar. Je suis

allée à mi-chemin, entre Champhai

et Zokhawthar (il y a un autre

camp.). Les réfugiés sont hébergés

dans des structures agricoles. Et

j’ai aussi accédé à un camp abritant

des personnes du CDM (Civil

Disobediance Movement), quelques

familles et un plus grand nombre

de célibataires, car c’est plus facile

de fuir seul, quand vous n’avez pas

en plus à vous soucier de la sécurité

de votre famille. J’ai fait le tour

de ces camps et je me suis dit qu’il

fallait que je reste, j’avais envie de

discuter avec les gens, j’ai beaucoup

joué avec les enfants.

Pour essayer d’être synthétique :

Dans le Mizoram, contrairement

à d’autres états, on a le sentiment

d’un accueil vraiment favorable,

chaleureux. Mais on ne sait pas

si cela durera. Les réfugiés sont

abrités, sont nourris, il y a de nombreux

dons de nourriture. La difficulté

reste l’accès à l’éducation, et

l’accès aux soins. Pour reprendre

le fonctionnement du Mizoram : il

faut savoir que c’est une société où

il y a une sorte de système social

parallèle qui s’incarne majoritaitravers

l’état du Mizoram, il faut en

développer d’autres pour répondre

à d’autres besoins, les maladies ne

s’arrêtent pas aux soins quotidiens,

il y a la malaria, l’hiver arrive, la

saison des pluies démarre, les gens

toussent… Il y a de gros besoins.

Merci d’avoir écouté mon témoignage,

et n’hésitez pas à vous renseigner

un peu plus sur tous ces

réfugiés en Inde.

témoignage de l’artiste

chuu wai

Je m’appelle Chuu Wai et je viens

du Myanmar. Le Myanmar est un

pays magnifique, avec une littérature,

une culture et une population

uniques. Quand je crée de l’art, il y a

toujours une influence de la culture

et de la tradition, des couleurs des

vêtements, et des paysages du pays.

D’un autre côté, le Myanmar est le

pays le moins connu de l’Asie du

Sud-Est et il est traversé de nombreuses

problématiques internes.

Etant née et ayant grandi au

Myanmar, j’essaie toujours de remettre

en question l’oppression

sexuelle et politique qui persiste

dans mon pays et de défier la mentalité

patriarcale.

Depuis mes premiers souvenirs,

j’ai toujours peint. J’ai peint comme

une adolescente obstinée curieuse

et enthousiaste, qui l’était aussi

au sujet de la peinture. Très tôt,

j’ai peint beaucoup de styles différents

et de sujets sur les histoires

de mythologie. Mais un jour, un

harcèlement sexuel subi dans la

rue a changé mon approche de

la peinture. J’avais 18 ans. C’était

un matin. Un homme est arrivé

et a attrapé ma sœur alors que je

conduisais une mobylette dans les

rues de Mandalay. Tout ce qu’elle

tenait est tombé à terre dans la rue

et elle s’est mise à pleurer. Spontanément,

j’ai dit à ma sœur « serre

moi fort et ferme les yeux ». Puis

j’ai accéléré, j’ai poursuivi l’homme

pour l’attraper, j’ai cogné son vélo

et appelé la police. Depuis ce moment

traumatique, j’ai commencé

à peindre des scènes de situations

d’insécurité et d’inégalité pour les

femmes qui vivent au Myanmar.

J’ai créé une série de peintures à

plusieurs couches, qui cachent et révèlent.

La société contrôle et passe

au crible les femmes plus que les

hommes, mes peintures sont créées

pour aller à l’encontre de ça. Elles

rendent aussi compte des manières

de résister des femmes et de la façon

dont la culture évolue.

Après la pandémie de Covid,

quelque chose de plus important

que le Covid est arrivé au Myanmar.

Le 1 er février 2021, il y a eu un

coup d’état militaire. Depuis lors, je

suis beaucoup plus impliquée dans

la mobilisation politique, toujours à

travers l’art et la non-violence. Sept

jours après le coup d’état, j’ai fondé

« Write for Right » (écrit pour tes

droits). Ce projet a créé des signes de

protestation faits à la main pour les

manifestants qui se rassemblaient

dans le centre-ville de Yangon.

Avec un groupe de jeunes artistes,

on a peint des messages que les

gens voulaient utiliser durant les

manifestations. Plusieurs messages

portaient sur l’arrêt de la dictature

et la libération des prisonniers politiques.

Quelques mois plus tard, un

groupe de policiers armés est arrivé

devant la porte de mon appartement

et m’a posé des questions

intimidantes. C’est à ce moment que

j’ai compris que ma sécurité dans le

pays n’était pas assurée et que j’ai

pris le chemin de l’exil.

Depuis mon départ, j’ai toujours

des contacts rapprochés avec le

Myanmar, et j’utilise l’art pour

montrer comment les femmes participent

activement, physiquement

et stratégiquement, à l’avant- scène

de la résistance. Je contribue à sensibiliser

au sujet de ce qui se passe

au Myanmar et je souhaite soutenir

les mouvements à l’intérieur

du pays qui reconnaissent que la

lutte actuelle est à la fois politique

et culturelle.

Même si je suis en exil, les créations

que je continue de produire à

l’extérieur du pays attirent encore

l’attention des militaires. J’ai été informée

qu’un dossier à charge avait

été monté contre moi. Ma famille

qui est encore au pays a dû quitter

son domicile et se rendre dans un

lieu plus sûr.

Exilée de mon propre pays, et

ayant dû quitter ma famille, mes

amis et mon réseau artistique, j’attache

beaucoup d’importance à

toute nouvelle connexion car je

veux continuer à vivre en tant

qu’artiste. Quelles que soient les

difficultés, j’utilise toujours l’art

comme une arme pour expliquer et

apporter une nouvelle perspective

de création à travers les regards

des femmes birmanes. Je souhaite

m’engager et rappeler aux gens de

ne pas oublier les luttes du Myanmar

en cette période d’instabilité

géopolitique, et d’avoir conscience

des multiples besoins enchevêtrés

et des combats de la population

birmane.

17 18


table-ronde 03

La résistance du peuple birman face à la junte

Nous avons été nombreux à évoquer notre admiration face au courage du peuple birman face à la junte.

L’incroyable courage du peuple birman. Nous allons aborder cette résistance qui prend de multiples formes et qui a

évolué au fil des mois. Nous allons essayer d’en rendre compte.

solène khin zin minn

secrétaire de la communauté

birmane de France

Je vais témoigner en tant que

membre de la Communauté

Birmane de France, mais pas seulement,

je représente la résistance des

Birmans dans leur ensemble, qu’ils

soient Birmans, Karen, enfants,

vieillards… toute la population née

en Birmanie. Quand je parle des

Birmans je parle donc de toute la

résistance et je vais vous restituer

notre vécu. Parce que la révolution,

la résistance, tout le monde en a

parlé plus précisément que moi.

Mais nous, nous témoignerons de

notre vécu.

Je suis assise aujourd’hui devant

vous pour vous parler de la résistance

birmane sous toutes ses

formes. L’actualité birmane ne fait

plus la une des médias et c’est assez

triste pour nous. Mais ça ne veut

pas dire qu’il ne se passe rien. C’est

encore pire. La situation se détériore

de jour en jour, d’heure en

heure, de seconde en seconde. Ce

matin même, cinq birmans ont été

brulés vifs, y compris une femme

enceinte, parce qu’ils faisaient partie

du mouvement de désobéissance

civile (CDM) et ne voulaient pas

retourner travailler.

Je voudrais vous rappeler que

c’est aujourd’hui le 499 e jour depuis

le coup d’état. Les mois qui ont défilé

ont passé très vite, et nous assistons

aux atrocités de la junte sans

pouvoir agir. Des fois ça touche la

famille, des fois les proches. On le

sait. Mais de loin, on a le sentiment

qu’on ne peut rien faire pour eux,

qu’on est impuissant, mais on souffre

avec eux.

Il y a eu des élections en novembre

2020. Les démocrates ont évidemment

remporté les élections.

Mais à quoi servira cette victoire

puisque la Ligue Nationale pour

la Démocratie (LND) avait partagé

le pouvoir avec les militaires pendant

cinq ans, les militaires qui

contrôlaient les ministères les plus

puissants ? D’où les conflits. Et on

a dit que la LND n’a rien fait... Elle

a fait des choses, sauf qu’on n’avait

pas le pouvoir à 100%. Ce sont de

tristes histoires…

Alors quand on parle des manifestations,

de la résistance, il y

a bien eu des manifestations pacifiques

au départ. Ensuite est né

le mouvement de désobéissance

civile (CDM). Un mouvement très

puissant.

Quand on parle de la culture

birmane, il faut parler de la résistance.

La résistance fait partie de

la culture birmane depuis soixante

ans. Il y a eu tellement de révolutions

: en 1962, en 1988, la révolution

de Safran en 2007… à chaque

révolution, les birmans ne sont pas

restés les bras croisés. On a fait de

nombreuses révolutions, à tel point

que la révolution fait partie de notre

culture. Quand on dit qu’on est

Birman, la question immédiate c’est

“de quel bord êtes-vous ? “: Du côté

de l’armée, ou du côté des démocrates

? On est tellement assoiffé de

démocratie, de liberté, dont on est

privé depuis soixante ans.

Les fonctionnaires ont fait grève et

ont refusé d’aller travailler.

Je peux donner quelques exemples.

Ça a commencé par les médecins,

dont le professeur Zaw Wai

Soe qui fait partie du NUG (Gouvernement

d’Unité Nationale) - Ministre

de la santé et de l’éducation.

C’est lui qui a commencé à mener.

Faire grève ne veut pas dire rester

à rien faire. Ils ne retournent pas au

travail mais ils soignent les blessés

attaqués par la junte pendant les

manifestations. Ils se sont enfuis

dans les régions, au fin fond des

forêts où il n’y pas d’accès aux soins,

pas assez de médecins.

Je connais des médecins qui sont

partis dans les jungles pour prendre

soin des réfugiés birmans. Quand

on parle des réfugiés birmans,

jusqu’il y a 14 mois on ne voyait de

réfugiés que dans les zones frontalières.

Mais il y a une triste réalité

maintenant, il y a des réfugiés de

la guerre civile même en plein centre

de Yangon. Que ce soit dans la

région de Sagaing, de Magway, ou

dans les centres des grandes villes.

Pourquoi ces atrocités ? Tout simplement

pour nous faire peur, nous

terroriser. Et pourtant, la terreur

exercée a cristallisé la solidarité du

peuple birman, qui s’est uni face à

la junte. Le peuple ne recule pas et

préfère mourir au combat que de se

mettre à genoux devant la junte et

ses atrocités.

les arrestations clandestines

Je voudrais parler des arrestations

clandestines. Depuis huit

mois, la junte procède à des arrestations

arbitraires. L’objectif étant

d’anéantir la résistance d’un quartier,

on envoie la nuit des troupes

de l’armée arrêter les gens sans

mandat, sans raison valable. On

frappe à la porte, on va fouiller la

maison, la personne recherchée

n’est pas là, alors on va arrêter les

autres membres de la famille. On

les prend en otages, pour que la

personne ciblée se rende. Certains

ont cédé, je comprends tout à fait.

Quand il s’agit de la famille, on n’a

pas le choix. Certains se suicident. Il

y a 24 heures, un avocat s’est suicidé

parce que sa famille a été arrêtée.

Nous subissons ces atrocités au

quotidien.

Du coup, puisqu’on parle de la

résistance sous toutes ses formes :

on en est arrivé à un point où tout

le monde prend les armes. Ce n’est

pas par plaisir. C’est parce qu’on n’a

pas le choix, on ne prend pas les

armes parce qu’on est assoiffé de

sang. On est obligé de prendre les

armes pour se défendre. Mais il y

a une condition. N’oubliez pas que

nous avons notre gouvernement

légitime, le National Unity Government

(NUG). Nous sommes derrière

lui. A chaque fois qu’on est face à

ces atrocités on se bat, mais on a un

accord entre nous qui dit que le jour

où le pouvoir sera dans les mains

des élus, nous rendrons les armes.

C’est ce que nous avons décidé. Tant

que ce n’est pas le cas, nous sommes

debout, nous ferons face avec les

moyens les plus improbables. Nous

n’avons vraiment pas le choix.

Dernier point, je voulais aborder

la question des « underground ».

Pendant qu’on regarde comment

faire avancer la révolution, nos

jeunes se sacrifient sous le nom de

« underground ». Ce sont des soldats

un petit peu clandestins. Le nom

n’est pas joli, je n’aime pas ce nom

là, ce sont nos jeunes qui décident

de sacrifier leur vie. Comment ? En

ciblant des espions qui envoient

des résistants dans les centres de

détention. En ciblant la plupart des

généraux qui essaient de bloquer

le quotidien des birmans. Est-ce

que c’est juste ? Non. Mais dans la

tête des jeunes il s’agit de choisir

de mourir pour montrer au monde

que la résistance continue et oui, la

résistance est toujours là, les pertes

sont élevées mais on continue tant

qu’on n’a pas retrouvé la liberté.

C’est notre vécu et merci de m’avoir

écoutée.

nay san lwin

co-fondateur de free rohingya

coalition et militant de blood

money campaign

Merci de me permettre de parler

ici d’un sujet important. Le mouvement

de résistance le plus important

en ce moment au Myanmar est la

révolution armée. Mais aujourd’hui,

je parlerai du mouvement de désobéissance

civile (CDM), du boycott

des produits militaires, du refus

de payer les factures d’électricité

et de la campagne pour arrêter les

paiements de TotalEnergies.

Le mouvement de désobéissance

civile (CDM) a été initié par un

groupe de médecins à Mandalay un

jour après le coup d’État militaire

du 1er février 2021. Ce mouvement

a été rejoint par des dizaines

de milliers de fonctionnaires, au

moins 350 000. L’objectif principal

est de stopper le mécanisme administratif

du régime militaire. C’est

un mouvement pacifique, mais la

réponse du régime militaire a été

très oppressive, comme d’habitude.

Le personnel du CDM a été visé. Ils

ont été forcés de quitter leurs appartements

de fonction. Ils ont été forcés

de fuir vers la zone frontalière

pour éviter les menaces, les arrestations,

la torture et d’autres formes

de harcèlement. Les membres de

leur famille ont été pris pour cible.

Selon l’Association d’assistance aux

prisonniers politiques (AAPP) basée

en Thaïlande, au moins 100 membres

du personnel du CDM purgeaient

une peine de longue durée

et environ 900 étaient détenus. Le

personnel du CDM lutte avec très

peu de soutien ou sans aucun soutien,

il pense que sa lutte aidera à

mettre fin à la dictature militaire au

Myanmar. Comme ils ont été licenciés

illégalement de leur emploi, ils

ne pouvaient pas non plus chercher

une carrière dans le secteur privé.

La junte militaire a interdit l’embauche

de personnel du CDM dans

le secteur privé. Ce mouvement de

désobéissance civile a été nominé

pour le prix Nobel de la paix 2022.

Il s’agit d’une importante reconnaissance

internationale.

Pour le personnel du CDM, la

sécurité financière est très importante.

Au Myanmar, même les lycéens

collectent des fonds pour

eux. De nombreux autres civils les

soutiennent, mais ceux-ci ne couvrent

que quelques pourcentages.

Certains membres du personnel

du CDM ont dû abandonner la lutte

et reprendre leur travail sous le

régime militaire simplement parce

qu’ils ne pouvaient pas continuer

en raison d’un manque de soutien

financier. Comme il s’agit de la lutte

non violente la plus importante

et la plus efficace pour stopper le

pouvoir administratif du régime

19 20


Je n’exprime pas ici mon opinion

mais la volonté du peuple birman.

TotalEnergies doit cesser de transmilitaire,

je veux demander à la

communauté internationale de les

soutenir autant que possible. Pas

seulement un soutien moral, ils ont

besoin de toutes sortes de soutien,

y compris financier.

Permettez-moi maintenant de

parler du boycott des produits militaires.

L’armée birmane domine les

marchés locaux depuis longtemps.

Les investisseurs étrangers ont collaboré

avec l’armée, voire de graves

violations des droits de l’homme à

travers le pays. Ils ne se soucient pas

de ce que la junte militaire a fait. Ils

travaillent avec l’armée et font des

profits. Je n’en parlerai pas beaucoup,

mais je me concentrerai plutôt

sur la façon dont les habitants du

Myanmar résistent au coup d’État

militaire ou à la dictature. Les entreprises

détenues ou contrôlées

par l’armée au Myanmar sont la

principale source de revenus du régime.

Avec cela, ils financent toutes

sortes de crimes qu’ils commettent.

En plus des sanctions adoptées par

les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni

et l’Union européenne, le

«boycott des produits militaires»

est très important au Myanmar et

le plus réussi.

Les entreprises militaires les plus

connues sont Myanma Economic

Holding et Myanma Economic Corporation.

Ils ont des entreprises

d’aliments et de boissons, de vêtements,

de produits de santé et de

beauté, de commerce international,

de construction, de transport et de

manufacture.

Depuis le coup d’État, les habitants

du Myanmar utilisent leur

pouvoir d’achat. La plupart des

gens ont cessé d’acheter quoi que

ce soit lié à l’armée. Cette campagne

de boycott a atteint son objectif.

Les jeunes du Myanmar utilisent

la technologie pour informer les

gens de ce qu’il ne faut pas acheter.

Pendant de nombreuses années, la

«Myanmar Beer», un produit de la

compagnie militaire, a dominé les

bars et les rayons des supermarchés,

mais aujourd’hui, je veux dire

depuis le coup d’État, les gens ont

cessé d’en boire. La vente a chuté

de manière significative en un an.

Les personnes qui travaillent et

réalisent des bénéfices devraient

maintenant envisager de retirer

leurs investissements. Ils doivent

cesser de financer les crimes.

Un autre mouvement est «ne

payez pas la facture d’électricité».

La campagne est toujours en cours

mais pas à grande échelle comme

nous l’avions fait jusqu’à la fin de

l’année dernière. Dans le cadre

du mouvement de désobéissance

civile, des millions de personnes

ont refusé de payer leurs factures

d’électricité. Mais après 10 mois,

alors que le régime avait perdu près

d’un milliard de dollars, des soldats

ont été déployés dans toutes les rues

des villes commerciales Yangon et

Mandalay. Ils ont agi comme des

collecteurs de dettes. Aux côtés

des ouvriers du service électrique,

ils ont demandé aux gens de régler

les factures sous la menace

des armes. Lorsqu’une femme a

demandé ce qui se passerait si elle

refusait de régler la facture, un

soldat a pointé son arme sur elle

et a dit : « Si vous choisissez votre

argent plutôt que votre vie, alors

n’allez pas payer la facture ». Les

réponses violentes étaient partout.

Ce n’est pas une surprise. Comme

d’habitude, ils l’ont fait. Comme les

lignes électriques étaient coupées

et que les gens ne pouvaient pas

vivre sans électricité, ils n’avaient

d’autre choix que de faire la queue

et de régler la facture. Cependant,

il y a encore des gens qui résistent.

Ils ont dit qu’ils ne régleraient pas

les factures même si les soldats les

tuaient.

De nombreux autres mouvements

se produisent encore au

Myanmar. Dans les zones rurales,

il y a encore des manifestations

quotidiennes. Mais dans les grandes

villes, les gens évitent de descendre

dans la rue car le régime

réagit violemment. Et bien, le plus

important est une protestation silencieuse.

C’était rester à la maison

et protester contre l’armée. Cela

a montré que la plupart des gens

au Myanmar sont contre l’armée

et, bien sûr, contre le pouvoir populaire.

je m’exprime aujourd’hui à Paris.

Je dois souligner cette campagne.

Je représente la campagne Blood

Money. Cette campagne vise à empêcher

les entreprises de financer

les crimes commis par les militaires.

TotalEnergies de France, Chevron

des États-Unis et POSCO de Corée

du Sud sont les principales sources

de revenus du régime militaire.

TotalEnergies et Chevron ont décidé

de quitter le Myanmar. Chevron

est à la recherche d’un acheteur

pour vendre ses actions. TotalEnergies

a déclaré qu’ils partaient

dans 6 mois car ils sont maintenant

dans le processus de transfert qui

se terminera le mois prochain. On

m’a parlé de plusieurs réunions avec

des gens de Blood Money Campaign

et TotalEnergies. Mais les questions

de la Bloody Money Campaign sont

restées sans réponse.

Nous voulons savoir comment

TotalEnergies quitte le Myanmar.

Notre préoccupation — la préoccupation

du peuple du Myanmar

est le paiement. Nous savons tous

que l’Union européenne a sanctionné

Myanmar Oil & Gas Enterprise

(MOGE). Faire un paiement

à la junte sera contraire aux sanctions.

Mais on apprend qu’il y a

une exemption. Le paiement peut

être effectué si le gouvernement

français l’autorise. On apprend que

TotalEnergies va verser 250 millions

de dollars américains au régime

militaire. Des centaines de groupes

de la société civile représentant

le peuple du Myanmar exigent

de ne pas effectuer ce paiement.

Nous avons préparé une lettre à

envoyer au gouvernement français

pour ne pas autoriser le transfert

de tout paiement au régime militaire.

Même si vous payez un sou,

le régime cherchera une balle à

acheter avec ce sou. Tout paiement

au régime militaire, c’est financer

des crimes contre l’humanité. Le régime

militaire a commis des crimes

contre l’humanité contre l’ensemble

de la population du Myanmar depuis

l’année dernière après le coup

d’État.

férer de l’argent au régime militaire

et le conserver sur un compte séquestre

jusqu’à l’arrivée au pouvoir

du véritable gouvernement démocratique

élu par le peuple. Mon

dernier mot n’est pas seulement un

appel au boycott commercial. Nous

avons besoin de votre soutien. Il

existe de nombreux autres boycotts

comme la dégradation des relations

diplomatiques, le refus d’inviter

des réunions gouvernementales,

etc. S’il vous plaît, faites pression

sur le régime militaire par tous les

moyens possibles. Merci à tous pour

votre écoute.

su _ su

artiste franco-birman

Bonjour à tous. Mingalaba. Je

m’appelle SuSu. Alors premièrement

je suis moitié birman-moitié

français donc je suis franco-birman.

Ma mère vient de Nyaung Shwe, au

Lac Inlé et mon père de la Rochelle

en Charente-Maritime. Je vous

avoue que d’avoir eu ces deux moitiés-là,

culturellement, m’a permis

de bien prendre conscience de la

liberté qu’on a en France et des injustices

qu’on subit en Birmanie.

Lors du coup d’état malheureusement,

les militaires ont enlevé

deux membres de ma famille - que

je ne peux pas nommer pour des

raisons de sécurité. Ma première

réaction a été d’appeler ma mère dès

que j’ai eu une connexion internet.

Je lui ai demandé : maman, est-ce

que tu as un Guide pour les Nuls

pour déclencher une révolution

et pouvoir libérer ma famille ? Le

but c’était d’abord de trouver un

DIY, Do It Yourself, comme on dit

en anglais. Ma mère m’a tout de

suite répondu : écoute fils, en 1988

on n’a pas réussi, maintenant c’est

à vous, la génération d’aujourd’hui,

de prendre les rênes et de faire avec

vos propres moyens. Nous, on était

la génération radio maintenant

vous êtes la génération internet.

Je vous avoue que quand ma mère

m’a dit à vous de commencer une

nouvelle révolution, j’étais un petit

peu paumé…

phase de la résistance : une campagne

de sensibilisation à l’échelle

internationale. On a commencé par

faire un post qui est devenu viral

dans tout le pays. Ensuite, on a travaillé

avec une équipe de photographes,

de vidéastes freelance et on a

commencé à envoyer tout cela aux

media internationaux, dont Arte et

France Inter. Mais rapidement on

a constaté qu’il n’y avait pas trop

de résultats, qu’il n’y avait pas de

pressions internationales mises en

place…

Après avoir vu beaucoup de films

d’action, on pensait qu’il y aurait

des réactions internationales rapides,

malheureusement il n’y en

a pas eu. Alors on est passé à la

deuxième phase : sensibiliser non

plus à l’international mais notre

propre communauté. On a commencé

par utiliser l’humour et la

créativité, pour essayer de maintenir

un équilibre mental face à toute

cette violence. Je sais que ça peut

paraître un peu enfantin de vouloir

utiliser l’humour, mais quand on a

peur et qu’on ne sait plus quoi faire,

une bonne blague ça fait du bien, ça

donne le sourire et ça nous unit.

Du coup on a commencé à développer

une « manifestation de

jouets ». Ceci (montrant un petit

culbuto) s’appelle un Pyi htaing

Taung. Pyi veut dire lancer, htaing

veut dire s’asseoir et taung signifie

se relever. On s’est dit en gros : ce

jouet a un centre de gravité, donc si

je le mets ici vous pouvez voir qu’il

se relèvera toujours. On s’est dit

qu’on allait en acheter mille pour

les disposer dans les rues et voir ce

que ça pouvait donner, quelle serait

la réaction des militaires, armés

jusqu’aux dents, face à un jouet

comme celui-ci, en papier mâché.

Beaucoup ont bien ri. Du côté de

la population, ça a créé un mouvement

sur les réseaux sociaux,

où tout le monde rigolait, du coup

on se sentait unis. Ce qu’on voulait

surtout c’était voir la réaction

des policiers, comment ils allaient

réagir. Eux aussi se sont mis à rire

et à prendre des photos des jouets

disposés dans les rues.

On a pu constater que tout le

monde restait « humain » et on a

voulu continuer ce genre d’actions,

qui sortaient de l’ordinaire et qui

changeaient de ce que les anciennes

générations avaient tenté de faire à

l’époque mais avaient échoué. C’est

allé jusqu’au point où les militaires

ont décidé qu’il fallait anéantir la

génération Z. Ça montre bien à quel

point ils ne comprennent rien aux

différentes notions de générations

et à notre génération Z. On a voulu

avoir une approche positive pour

faire face à tout ce désastre, en

utilisant des jouets et des vidéos

comiques sous-titrées pour se moquer

des militaires, qu’on mettait

anonymement sur internet et qui

devenaient virales… Et puis finalement

ça a commencé à devenir

vraiment violent, et c’est devenu

compliqué de poursuivre une lutte

non violente.

J’ai réussi à m’enfuir du pays,

parce que je suis Français, j’ai donc

utilisé mon privilège pour pouvoir

fuir. Je me rends compte que je peux

m’exprimer librement et j’essaie

donc de parler au nom de mes amis.

En ce moment, ils sont partis dans

l’état Karen et ils ont construit 5

écoles. On en est à 5 écoles, 180

étudiants de grade 1 à 5 - CP à CM2.

Pourquoi on s’est orienté vers un

projet d’éducation ? Pour pouvoir

contribuer à la formation de générations

armées d’une culture

du débat et d’une pensée critique.

Voilà ce qu’on voulait : continuer le

combat et penser sur le long terme,

avec ces projets d’éducation. Merci

de m’avoir écouté.

A l’époque, je travaillais dans

la musique en Birmanie, alors j’ai

utilisé mes comptes de réseaux so-

Permettez-moi maintenant de

parler de TotalEnergies alors que

ciaux pour commencer la première

21 22


table-ronde 04

Le printemps birman est-il aussi une révolution

sociétale ?

On va essayer de creuser cette dimension de révolution. On a parlé de révolution politique, il y a une dimension

militaire évidemment dans cette révolution, il y a une dimension sociale. En quoi la Birmanie est-elle déjà en train de

changer profondément ? Tous les experts s’accordent à dire que c’est beaucoup plus profond que les mouvements

précédents. Le mouvement de 1988 avait été important, la révolution de Safran de 2007 avait marqué les esprits, mais

on est là dans autre chose, qu’il nous reste à préciser.

bénédicte brac de la

perrière

anthropologue, chercheuse

au cnrs, spécialiste de la birmanie

Je vais parler de la question religieuse,

ce qui peut a priori paraître

un peu paradoxal parce qu’on a

peu vu les moines lors des grandes

manifestations de la révolution

du printemps dernier. Cela interroge

parce que les mouvements

populaires précédents avaient au

contraire marqué l’opinion par le

fort investissement des moines

bouddhistes, notamment la révolution

Safran de 2007 qui était un

mouvement initié, et largement

dirigé, par les moines.

La révolution de 2021, elle,

ne s’est pas faite à l’initiative des

moines et ils y ont été peu présents

en général, sauf peut-être à

Mandalay. Pourquoi, alors qu’on

sait l’importance du bouddhisme

en Birmanie - ce n’est pas la seule

religion évidemment mais c’est la

religion dominante et majoritaire

- et aussi la religiosité intense manifestée

par les Birmans ?

Je vais revenir d’abord à la

révolution Safran de 2007 qui a

été largement commentée et qui a

suscité l’émergence d’une nouvelle

génération de moines, plus engagés

socialement et politiquement. Elle

a aussi été partie prenante de l’activisme

qui a accompagné les mouvements

sociaux vers la transition.

Les moines, organisés dans une

institution qui s’appelle le Sangha

(l’ordre monastique), constituent

une force importante dans une société

essentiellement bouddhique

comme la société birmane.

Le Sangha est donc une institution

puissante du pays et la

Birmanie partage cela avec les

autres sociétés du bouddhisme du

Theravada. Il est caractérisé historiquement

par son interdépendance

politique avec les royautés,

mais aussi sur le plan sociétal par

son interdépendance avec les laïcs,

c’est-à-dire les bouddhistes non

moines dont ils dépendent économiquement.

Comme vous le savez,

les moines sont entretenus par la

population. Depuis la réforme de

Ne Win en 1980 - qui était destinée

explicitement à contrôler le

Sangha, qui a été très importante

et a représenté un tournant dans

l’administration du Sangha par le

pouvoir politique - l’institution est

contrôlée par un conseil de moines

senior qu’on appelle aujourd’hui

le Ma Ha Na, et qui est placé sous

la direction du Ministère des religions,

donc d’un bras civil du gouvernement.

Le Sangha pendant toute la période

de la transition politique est

une force comparable en nombre à

l’armée (on parle de 300 000 à 500

000 personnes, selon qu’on compte

certaines catégories de moines ou

pas, des chiffres publiés par le ministère).

Cela donne une idée de son

importance.

Pendant la période du SLORC,

c’est-à-dire depuis 1990, les autorités

militaires ont adopté une politique

de légitimation alternative de

leur pouvoir en donnant des titres

aux moines les plus seniors, ou qui

leur étaient proche, et en faisant

financer les institutions bouddhiques

par leurs cronies, sollicités

pour des donations et pour des

fondations religieuses. S’est dessiné

comme cela toute une catégorie de

moines proches du pouvoir qu’on

a appelé les moines du gouvernement

: esoya pongyi. La révolution

de 2007 intervient dans ce type de

situation où une partie du Sangha

est perçue par la population comme

corrompue par cette proximité

avec le pouvoir. Et cette révolution

Safran, qui est donc un mouvement

de révolte mené par les moines, est

en partie une protestation contre

cette utilisation de la religion par

le pouvoir et aussi contre le statut

des moines inféodés au pouvoir par

l’organisation du Sangha, contrôlé

par le Ministère des religions.

Pendant la période de transition

politique, sous le gouvernement

Thein Sein (2011-2015), il y a des

voix monastiques qui se lèvent

pour demander un changement

du statut des moines et notamment

pour revendiquer le droit

de vote. Puisque dans les pays du

Theravada les moines n’ont pas le

droit de vote, et ils n’ont pas non plus

le droit de s’engager en politique du

fait de leur statut de renonçant.

Par ailleurs, pendant cette

même période transitionnelle, on

assiste à une flambée de nationalisme

bouddhique qui va de pair avec

les violences interconfessionnelles,

ciblant les musulmans, qui ont été

largement relayées dans les médias

internationaux, notamment celles

qui commencent en juin 2012

en Arakan et qui continuent pendant

tout l’hiver 2013 dans toute

la Birmanie. Elles vont aller en

s’amplifiant, allant jusqu’à la crise

de l’automne 2017 en Arakan que

les instances internationales ont

qualifié de nettoyage ethnique des

Rohingya dont environ 800 000

s’enfuient vers le Bangladesh frontalier.

La période est marquée par

l’émergence d’un mouvement qui

est connu sous le nom de Ma Ba

Tha, dirigé par des moines, qui se

donne pour mission de défendre

le bouddhisme pour défendre

l’identité nationale, perçue comme

menacée par l’Islam. Ce mouvement

s’appuie sur le développement

massif de la prédication publique

par les moines, qui est permis

par la libéralisation de l’expression

en général. Il s’appuie aussi

sur un certain nombre de moines

qui adoptent de nouveaux rôles

pour construire leur position de

religieux. Ils se situent notamment

dans l’engagement social, le parahita,

et ils acquièrent une influence

considérable pendant toute cette

période au point de dominer complétement

le discours public. Ils ne

sont pas forcément très nombreux,

mais ils adoptent une formation

en nébuleuse d’associations pour

la prédication, pour le développement

des écoles du dimanche, des

associations caritatives etc… autour

d’un petit groupe de moines extrêmement

activistes qui parlent pour

la défense du bouddhisme et qui en

viennent ainsi à dominer complétement

le discours public. Ils font

preuve d’un activisme absolument

tout azimut et en arrivent à faire

promulguer en 2015, juste avant

les élections, un ensemble de lois

dites pour la défense de la religion

- c’est-à-dire du bouddhisme – mais

qui visent en fait l’Islam.

La célébration de ces lois est

utilisée pendant la période électorale

comme un outil de propagande

pour le parti des militaires, le SPDC,

contre la LND qui est assimilée de

ce fait à un parti islamiste ou un

parti de l’étranger. Ce qui est à noter

c’est que, malgré la popularité

apparente de ce discours, l’électorat

birman vote quand même LND en

2015, dans sa très grande majorité,

ce qui montre qu’il ne s’est pas

laissé enfermer dans le discours de

défense de la religion nationaliste

bouddhique extrémiste du Ma Ba

Tha et que quand il s’est agi du vote,

du scrutin, il a mis le discours de

défense de la religion entre parenthèses.

C’est intéressant à noter.

A la suite des élections remportées

par la LND et sous l’administration

de Aung San Suu Kyi, celle-ci

sera amenée à faire interdire le Ma

Ba Tha pour se défendre contre

les accusations de ce mouvement.

En 2021, le second échec électoral

des militaires conduit au coup

d’état de Min Aung Hlaing et au

soulèvement populaire qu’on appelle

la Révolution du printemps.

Et on constate que les moines sont

peu présents dans ce mouvement,

sauf par des rumeurs attribuant

les décisions de Min Aung Hlaing

aux conseils de certains moines,

jouant le rôle de spin doctors. Dans

la population circule en effet la

rumeur que si Min Aung Hlaing

a fait son coup d’Etat le 1er février

2021, s’il a décidé de réprimer les

manifestations en tirant sur la tête

des jeunes, c’est parce que le moine

qui le conseille lui a dit de le faire.

Mais les moines en général sont

restés en retrait.

Quelle conclusion tirer de tout

cela ? Il y aurait d’autres choses

à dire sur ce qui s’est passé sur le

plan religieux depuis le coup d’Etat,

notamment du côté de l’administration

militaire, qui s’est de nouveau

tournée du côté des donations religieuses

envers certains moines,

pour les réparations de pagode notamment,

pour essayer d’acquérir

une certaine légitimité. Le rapport

à certains moines de la population

s’opposant au gouvernement

semble aussi avoir profondément

changé : l’abbé de Thitagu - Sitagu

dans les textes en anglais - qui a

longtemps été un des moines favoris

en Birmanie s’est vu reprocher

de ne pas s’opposer plus nettement

au coup d’Etat militaire et est depuis

considéré comme pro-junte. Sa position

était considérée comme ambigüe

depuis un certain temps, depuis

notamment un sermon prononcé

pour les forces armées en 2017.

L’ambiguïté perçue de sa position et

le retournement de l’opinion à son

égard nécessiteraient cependant

d’être expliqués de manière plus

contextuelle, mais je pense que ce

n’est pas le lieu, ni le moment.

Un autre développement important

qui marque la continuité

avec la période précédente, est la

résurgence des moines activistes

du Ma Ba Tha. Dans les villages

vidés de leurs habitants par les

bombardements, les villages PDF

(People’s Defence Forces), les militaires

réinstallent des moines qui

appartiennent au mouvement mabatiste

pour essayer de convertir la

population au soutien des militaires

et de recruter des milices pro-militaires

(les pyusawhti). Donc le

religieux est bien là, mais l’élément

nouveau est certainement une distance

nouvelle des milieux actifs

dans l’opposition par rapport aux

religieux.

Je voudrais revenir à une chose

que j’ai déjà soulignée : lorsqu’il

s’agit d’action politique, les Birmans,

qui sont toujours aussi religieux je

n’en doute pas, mettent finalement

cela entre parenthèses, et agissent

politiquement. Ils considèrent que

leur investissement politique n’a

23 24


rien à voir avec leur religion. Je

m’en tiendrai là.

Modérateur – Peut-on dire que Min

Aung Hlaing a fait l’unanimité

contre lui ?

françois robinne

anthropologue,

directeur de recherche au cnrs,

auteur de birmanie par-delà

l’ethnicité paru aux éditions

dépaysage en 2021

Je vais répondre à votre question,

même si je ne pensais pas intervenir

sur ce sujet précis. Ce qui

est intéressant dans ce mouvement,

c’est que, à quelques exceptions

près, Min Aung Hlaing s’est mis à

dos l’ensemble de la population : différentes

corporations issues du service

public ou privé. De ce point de

vue, c’est réellement nouveau. Mais

il y a un autre élément novateur : le

coup d’Etat a précédé la révolution.

Il faut le souligner, c’est quelque

chose d’assez unique, car d’habitude

c’est la révolution qui est confisquée

par le coup d’Etat, les militaires qui

interrompent la récréation. En l’occurrence

la récréation, c’est ce qu’on

imprudemment appelé la transition

démocratique.

Je voulais plus précisément

dire, puisqu’on me le demande,

que c’est une révolution sociétale,

ne serait-ce que du point de vue des

flux migratoires, qui m’intéressent

actuellement, ayant travaillé sur

les minorités des hautes terres de

Birmanie et travaillant désormais

sur les réfugiés post-coup d’Etat.

L’intensité des flux migratoires

montre évidemment que c’est une

révolution sociétale qui touche l’ensemble

de la société, à l’intérieur

et à l’extérieur de la Birmanie. Je

préfère dans ce contexte parler de

violence plutôt que de flux migratoire,

parce que le terme «flux» a

tendance à donner l’idée de quelque

chose de naturel, d’ancien, de traditionnel.

La violence migratoire dit

ce que ça veut dire : il n’y a pas de

migration dans un tel contexte qui

n’est pas violente.

Il y a quelques jours, j’étais à

Mae Sot et j’ai rencontré et fait des

enquêtes auprès de cette nouvelle

vague de réfugiés, les migrants dont

on n’a pas encore parlé ici parce

que c’est une migration quasiment

invisible. Elle n’est pas visible aux

yeux des ONG, ni de l’Onu, ni de

l’Etat thaïlandais. Puisque ce sont

des jeunes, pas si jeunes que ça

d’ailleurs, entre 25 et 30 ans, qui

ont fui leur pays du jour au lendemain

et qui se retrouvent coupés de

tout lien social et sans travail, alors

même qu’ils avaient tous un métier

et vivaient confortablement. C’est

donc une nouvelle génération et

une nouvelle couche de la société

qui apparaît avec ces nouveaux

réfugiés. Lorsque l’on se rend à Mae

Sot, en Thaïlande, on a l’habitude de

parler des Karen, des montagnards

etc. Or, les gens que j’ai rencontrés

cette fois-ci sont des citadins, ce qui

mérite d’être souligné. Ils venaient

tous de Rangoun, mais je pense que

si j’étais allé plus au nord j’aurais

rencontré des gens de Mandalay. Ce

sont des citadins, des gens éduqués

qui ont passé leur baccalauréat, le

10 e degré, des personnes qui ont

des diplômes et un travail, avec un

salaire au-dessus de la moyenne,

soit cinq à huit fois le salaire d’un

professeur d’école par exemple,

ce qui n’est pas rien. Et donc ces

gens-là se sont retrouvés du jour

au lendemain de l’autre côté de la

frontière, coupés de leurs familles,

de leurs réseaux sociaux, sans travail,

perdus. Réellement perdus, du

jour au lendemain. Leur nombre est

difficile à chiffrer car ils vivent bien

sûr dans l’illégalité. Certains choisissent

de rester dans l’illégalité,

ceux-là font le choix du ni-ni : ni une

carte violette qui leur donnerait

une reconnaissance par le gouvernement

Thaïlandais, ni de contact

avec l’Onu parce que, s’imaginentils,

ça leur ôterait toute possibilité

du retour en Birmanie. Ils sont dans

un entre-deux, seuls, perdus, s’entraidant

les uns les autres ; ils sont

très difficiles à rencontrer, car ils

se cachent. C’est la génération Z de

la violence migratoire, la nouvelle

migration.

J’avais auparavant travaillé à

Bangkok sur une ancienne migration,

celle d’avant le coup d’état.

Cette migration se composait pour

la plupart de groupes minoritaires,

ou de groupes minorisés en tous

les cas, originaires dans leur grande

majorité des hautes terres de

Birmanie : des Karen, des Kachin,

des Môn etc. Cette migration précoup

d’état vient d’un milieu rural

et non pas urbain, des personnes

non éduquées, sans travail. C’est

d’ailleurs pour cela que tous ces

gens migrent en Thaïlande ou

ailleurs (Inde, Malaisie etc.).

Avant et après le coup d’état, ce

sont deux couches sociales différentes,

deux milieux sociaux différents

entre ces deux étapes migratoires

qui se croisent. Mais ce qu’il est

important de souligner, c’est qu’on

n’est pas dans le remplacement des

flux migratoires. L’un s’additionne

à l’autre. Pendant que je travaillais

avec les populations migrantes à

Bangkok, dans ce que j’appelle les

enclaves de Bangkok, il y avait déjà

des étudiants qui étaient réfugiés

politiques ; c’est vrai pour Bangkok,

mais ça l’est aussi pour Chiang Mai

bien sûr. Même s’il y avait sans

doute moins de réfugiés durant le

gouvernement d’Aung San Suu Kyi,

ces catégories de flux migratoires

existaient déjà. Lorsque j’ai travaillé

à Mae Sot et rencontré si difficilement

ces nouveaux migrants qui

se cachent, j’ai également croisé le

long de la rivière qui fait frontière

des centaines de réfugiés Karen

campant sous les tentes.

On n’est donc pas dans un avant

ou un après ; on est dans le cumulatif.

C’est assez terrible de dire ça,

mais pour la Birmanie le cumulatif

c’est aussi montrer que ces violences

migratoires sont systémiques,

elles participent d’un système social

mis en place depuis des années.

C’est là que le terme révolution ne

me convient pas tout à fait, je pense

qu’on est dans une guerre civile qui

s’installe depuis 1947, avec des moments

plus ou moins conflictuels.

Et là on est dans un mouvement

redoutable. Ces migrations sont

systémiques parce qu’elles sont le

produit de trois nationalismes.

Le nationalisme militaire :

l’état actuel bien sûr, avec ses extrêmes,

comme il y en a eu tant en

Birmanie, mais en cette période

sans doute plus que jamais, quand

bien même il ne s’agit pas de comparer

l’échelle de l’horreur. Ce nationalisme

militaire se passe de toute

légitimité. Dans un contexte de

dictature, l’armée s’arroge le droit

de tuer, de se retourner contre son

peuple, ses minorités, y compris

même ses bonzes, et elle ne s’en est

pas privé : ni sous Ne Win, ni sous

Than Shwe, ni désormais sous Min

Aung Hlaing. Une dictature militaire

n’a pas besoin de légitimité,

puisque sa seule légitimité c’est le

coup d’Etat. Et donc, à l’extrême

limite, une dictature militaire, celle

de Min Aung Hlaing en particulier,

n’a pas besoin de société. La

société c’est l’armée et l’armée c’est

la nation, qu’on le veuille ou non.

Sous U Nu comme sous Aung

San Suu Kyi, dans ses périodes à

tendance démocratique, règne en

Birmanie ce que j’appelle un aigle

à deux têtes. D’un côté le pouvoir

élu et son gouvernement civil (au

moins en partie) et de l’autre côté,

parallèlement, - et on en a sousestimé

la portée - une armée toute

puissante qui n’a pas de compte à

rendre au gouvernement élu. L’Etat

est un aigle à deux têtes dont l’une

est plus puissante : c’est celle qui a

les armes.

Et puis il y a un nationalisme

bouddhique. Sans qu’il s’agisse nécessairement

d’extrémisme religieux,

comme ce fut le cas avec le

mouvement MaBhaTha du moine

Wirathu et de la vague d’islamophobie

qui s’en est suivie. En Birmanie,

l’un des enjeux est de concevoir un

état laïc et que la population s’empare

de ce principe de laïcité, ce qui

n’est le cas, même si en la matière

les choses évoluent.

Depuis soixante-quinze ans,

c’est-à-dire depuis l’indépendance,

la Birmanie s’organise autour de

ce couple structurellement lié dans

un rapport don/contre don que sont

les moines et les donateurs. Dans ce

rapport, les donateurs représentent

la société civile, le peuple bouddhiste

qui fait des dons aux moines,

eux-mêmes leur retournant une

bénédiction, le contre don relevant

du champ symbolique ; une cérémonie

de prise de terre à témoin

vient immanquablement sanctionner

l’acte méritoire compris dans cet

échange don/contre don.

Le couple clergé bouddhique/

donateurs est pris entre deux

feux, entre d’un côté le pouvoir

central qui est souvent militaire en

Birmanie et de l’autre côté les

minorités. Moines et donateurs

prennent parfois position pour le

pouvoir central, parfois contre, ou

encore pour ou contre telle ou telle

minorité ethnique ou religieuse.

En Birmanie bouddhique, les minorités

constituent un puits sans fond

dans lequel puisent les gouvernements

successifs quels qu’ils soient,

totalitaires ou non. Il peut donc y

avoir un nationalisme bouddhique

sans qu’il y ait nécessairement de

mouvement extrémiste issu du

clergé bouddhique.

Le troisième nationalisme c’est

le ou les nationalismes ethniques.

Pour l’époque contemporaine,

les nationalismes ethniques remontent

au Traité de Panglong en

1947, fondateur de l’indépendance

de la Birmanie et de la première

Constitution de 1948. Ce traité de

Panglong, du nom d’une ville dans

l’Etat Shan du sud, a commencé

à ouvrir la porte à une approche

raciale du pays. J’utilise ce terme

«racial» de façon volontaire, car

il revient de plus en plus dans les

discours ; son usage s’est accentué

d’une Constitution et d’un recensement

à l’autre. On est dans une

approche raciale du pays qui se systématise

au fur à mesure des Constitutions.

Juste un rappel, la Constitution

de 1948 post Indépendance

se veut une approche inclusive de

la diversité culturelle et religieuse

du pays en reconnaissant 4 états

ethniques. Rappelons seulement

que c’est en 1948 qu’ Aung San a été

assassiné et que c’est en 1948 que

la révolution karen a commencé.

Dix ans plus tard, en 1959, c’està-dire

à échéance de l’autonomie

ou de l’indépendance promise

par Aung San pour les minorités

ethniques, les Shan, frustrés, ont

commencé à leur tour la rébellion

contre le pouvoir central, puis les

Kachin et ainsi de suite, tout cela

parce qu’ils n’ont pas eu l’autonomie

ou l’indépendance promise

– et donc attendue – dans le texte

constitutionnel.

Ce qui est intéressant, c’est que

quand il y a concomitance cela fait

système. Quand il y a la concomitance

d’un nationalisme militaire,

d’un nationalisme bouddhique et

d’un nationalisme ethnique, cela

fait système ; la concomitance des

trois nationalismes, en créant des

ennemis, produit un état de guerre.

C’est en cela que la guerre civile est

systémique.

Dans une approche prospective,

ayant dit cela, je ne crois pas me

tromper tellement sur cette analyse

: identifier les nationalismes c’est

porter la réflexion sur la table des

négociations et contribuer à sortir

de la guerre civile. Car si on reste

sur ces mêmes bases raciales, et en

supposant que le Gouvernement

d’unité nationale (NUG) l’emporte

dans son combat contre la junte, il

fait peu de doute que le pays retournera

de nouveau en guerre civile.

Junte ou pas junte, la Birmanie est

une poudrière, mais s’agissant d’un

choix politique, constitutionnel, le

processus est réversible.

Le pays doit changer de logiciel

au risque de prolonger une guerre

civile qui s’alimente elle-même.

Changer de logiciel, c’est bien sûr

mettre en place une armée assujettie

au pouvoir élu, c’est imaginer

un projet fédéral qui ne soit pas sur

une base ethnique mais géographique

(topographique) - comme il

y a une région de Mandalay, créer

une région de Myitkyina, de Lashio

ou de Akha.

Changer de logiciel, c’est aussi

25 26


sortir de cette dualité, où le couple

sangha/clergé bouddhique et population

/donateurs se trouve écartelé

entre un pouvoir central et ses

minorités ethnique ou religieuses

prise pour cibles au nom de l’unité

nationale. Laïciser et dénationaliser

le pays passe à mon sens par une

triangulation :

1) un état régi par une Constitution,

que l’on change bien sûr.

2) une Nationalité avec un grand

«N», une Nation au sens de citoyenneté

unique sans laquelle le sentiment

d’appartenance commune

reste un cap infranchissable. On

ne parle jamais de la citoyenneté

actuellement. On parle des nationalismes,

d’un projet d’être fédéral

sur une base raciale etc. Citoyenneté,

c’est-à-dire une carte d’identité

unique pour toute personne née et

vivant en Birmanie.

3) Le troisième pôle du triangle, ce

sont les nations, avec un petit «n» et

le «s» du pluriel, c’est-à-dire, dans le

respect de la diversité culturelle, des

formations ethniques, de communautarismes

religieux etc… dans le

respect de la différence, mais aussi

sur un principe de nations qui n’interfèrent

pas dans la gouvernance

de l’Etat et qui n’apparaissent pas

sur la carte d’identité.

Cette triangulation état/Nation/nations

(Constitution/citoyenneté/cultures)

est en Birmanie le fer

de lance d’une approche inclusive.

sai sam kham

ancien directeur

de metta development foundation

doctorant aux pays-bas

à international institute

of social studies

Bonjour à tous, Mingalaba.

Merci pour votre invitation et votre

soutien à la lutte du peuple birman.

En tant que plus jeune membre de

ce panel, je lirai mon intervention.

Le coup marque la fin d’une époque,

la période entre 2010 et 2020. Certains

préfèrent l’appeler transition

démocratique. Cependant, la chercheuse

Melissa Crouch l’appelle

autoritarisme constitutionnel. Cela

signifie que l’armée a une seule

intention, quelle a toujours: prévenir

une transition vers une vraie

démocratie fédérale. Et je suis assez

d’accord avec cette chercheuse.

Face à une résistance sans précédent,

la junte est incapable de

consolider son pouvoir et la révolution

continue. J’observe avec

désespoir mon cher pays brûler en

cendres, à distance. Des maisons

ont été brûlées, les animaux des

paysans et les paysans eux-mêmes

ont été brûlés vifs. Cela a été rendu

possible par la politique de la terre

brûlée et des quatre coupures de

la junte.

Des femmes ont été violées et

tuées brutalement, des enfants ont

été tués. Des amis et camarades ont

été arrêtés alors qu’ils combattaient

le coup d’état. Malheureusement,

ces crimes ne sont pas nouveaux

pour les minorités ethniques et

religieuses comme les Rohingya, les

Shan, les Kachin, les Karen… juste

pour en nommer quelques-unes.

Est-ce que cela fait mal ? Cela fait

terriblement mal et cette douleur

va peut-être perdurer toute notre

vie. Sommes-nous déprimés ? Oui.

Envisageons-nous d’abandonner et

de nos soumettre à la force brutale

des militaires ? Jamais au grand

jamais. Nous apprenons à compter

sur nous-mêmes, à nous organiser

et à résoudre les problèmes.

Des personnes ordinaires font des

choses extraordinaires. Certaines

sous forme de résistance publique,

d’autres cachées.

Permettez-moi de souligner

deux principales transformations

que j’ai observées. La première,

c’est l’attitude de plus en plus dure

du peuple birman face à l’armée

et l’autre c’est l’inaction des entités

internationales telles que l’Onu,

l’ASEAN ou les gouvernements internationaux.

Je ne sous-estime pas

la bonne volonté dans cette salle

et celle d’autres personnes. Nous

avons la chance d’avoir la compassion

et la solidarité de nos amis à

travers le monde. Mais en même

temps, nous avons vite appris que

les Etats-Unis ou le Royaume-Uni

ne nous sauveront pas, contrairement

à la croyance populaire.

Qu’est-ce-qui est arrivé à la demande

des Rohingya de cesser leur

lent génocide ? Qu’est-il arrivé aux

Karen pour lutter contre les crimes

contre l’Humanité commis à leur

encontre ? Cela fait des décennies.

Qu’en est-il de notre appel à un

embargo sur les armes et de nos

appels pour couper les revenus du

gaz et du pétrole à la junte ? Nous

avons vite appris que nous étions

seuls. La lutte est la nôtre et la nôtre

seule. Mais nous sommes aussi les

maîtres de notre destinée. C’est ce

que le peuple a vite appris dans la

révolution. On a aussi appris que

ce que l’Onu, l’ASEAN ou le Japon

veulent et ce que le peuple birman

veut de cette est radicalement diffèrent.

On nous a dit d’être patient,

de négocier et de rentrer dans le

compromis, pas de prendre les armes.

On nous a dit que la résistance

armée face à une armée bien équipée

était un suicide. On nous a dit

de négocier avec l’armée et d’être

d’accord avec leur proposition de

la tenue d’une nouvelle élection,

quand l’armée a ignoré les résultats

de 1990 et de 2021 et commis un

coup d’état. Quelle est la base pour

la confiance dans les mensonges

pathologiques de l’armée ? Quand

est-ce que l’Europe a négocié avec

Hitler ? On a attendu de nous que

nous négocions avec une armée qui

se comporte comme une force d’occupation

fasciste. Alors cela n’arrivera

pas. Avec ou sans le soutien

de la communauté internationale,

le peuple birman est déterminé à

chasser l’armée du pouvoir une

bonne fois pour toutes.

Nous savons que le conflit est

inévitable. Nous apprenons rapidement

à vivre avec le fait que le

sang et la douleur font partie de nos

vies et de la construction du pays.

Dans son livre sur la rébellion du

Chiapas au Mexique, Niel Harvey

dit que « cette histoire ne révèle

pas seulement la nature contestée

de la formation étatique mais aussi

l’impossibilité de tout ordre social

à se constituer pleinement ». Que

cela nous plaise ou non, nous avons

compris que le conflit est là et que

nous devons lutter.

La transformation que je veux

souligner a trait au progrès sur

le plan des valeurs sociétales. Le

peuple birman, en particulier les

femmes et les jeunes, remettent en

cause les structures oppressives qui

viennent de la culture, de la tradition

et de la religion. Les femmes

et les jeunes sont en première ligne

de la révolution, que ce soit dans

les manifestations, le mouvement

de désobéissance civile (CDM) ou

la lutte armée. Nous avons maintenant

une force de défense du

peuple (PDF) composée de femmes,

sur la ligne de front. Nous avons des

femmes ministres et des ministres

LGBT au sein du Gouvernement

d’unité nationale (NUG). Les hommes

portent des jupes de femmes

en foulard lors des manifestations

- alors que c’est considéré comme

mauvais - en signe de protestation

contre le patriarcat et en solidarité

avec les femmes. Des hommes collectent

des dons pour des kits de la

dignité. Kit de la dignité, cela veut

dire que les femmes sur le front

ont besoin de sous-vêtements, de

serviettes hygiéniques, éventuellement

de pilules et de préservatifs.

Les hommes lèvent des dons pour

cela. C’est un changement profond

dans la société. Beaucoup de normes

misogynes sont liées à la tradition

et au bouddhisme, cela peut être

controversé et ne pas plaire mais

je dois le dire. Le bouddhisme en

Birmanie ne vise pas la seule libération

individuelle, spécialement une

très conservatrice institution du

bouddhisme Theravada, toujours

cooptée pour l’agenda de l’état dans

tous les gouvernements militaires.

Le bouddhisme est utilisé pour

étendre le contrôle de la majorité

Bamar sur les minorités ethniques,

ce qui est mis en œuvre par un

Ministère des affaires religieuses.

Ils envoient des missionnaires dans

des zones ethniques et ouvrent

des écoles spécifiques qui prêchent

ce bouddhisme. Celui-ci est aussi

instrumentalisé pour légitimer les

dictatures militaires. Le nationalisme

bouddhiste a établi la protection

de la race en 2015, qui vise

les musulmans et les Rohingya,

avec des lois sur le mariage religieux,

la conversion religieuse et le

contrôle de la population. Cela s’est

passé pendant la première phase

de la transition démocratique sous

le président Thein Sein. Ensuite,

il a été nominé par International

Crises Group pour être Prix Nobel

de la Paix ! Sans faire face à ces

éléments nationalistes et fascistes

dans le bouddhisme Theravada

dominant en Birmanie, la démocratie

ne pourra pas s’enraciner.

Les femmes et les jeunes mettent au

défi la compréhension et la pratique

du bouddhisme en Birmanie. Je

reconnais que beaucoup de moines,

et de prêtres d’autres religions,

risquent leur vie pour lutter contre

le coup d’état et fournissent de

l’aide humanitaire sur la ligne de

front. Mais en même temps, les

gens savent que les moines les plus

éminents cautionnent la junte, tel

Sitagu Sayadaw. Il a eu par exemple

des propos remettant en cause implicitement

le résultat des élections

de 2020. Cela a choqué la société

birmane bouddhiste.

Les gens ont commencé à remettre

en question les enseignements

des moines, y compris leur

enseignement du nationalisme

bouddhiste, du racisme contre les

personnes d’ascendance indienne

et musulmanes… Les gens ont commencé

à montrer leur solidarité

avec les minorités ethniques. Pendant

les manifestations, ils se sont

excusés vis-à-vis des Rohingya pour

ne pas avoir cherché à comprendre.

Ils ont commencé à comprendre les

souffrances, avec une solidarité et

une unité sans précédent. Je sais

qu’il y a des soubresauts, des contrecoups

de la part de la frange la plus

conservatrice de la société, mais ces

interactions vont continuer et ces

débats doivent se maintenir pour

voir un changement profond. Au

départ les gens pensaient qu’il n’y

avait que quelques brebis galeuses

parmi les moines. Mais au fur et à

mesure, on questionne l’institution

bouddhiste, comment elle s’est compromise

et a soutenu les dictatures

militaires successives. Enfin, les

gens commencent à voir comment

les enseignements de Bouddha ont

été instrumentalisés par le pouvoir,

les concepts de karma, de lâcher

prise, de pardon… La nouvelle

Birmanie en évolution appelle un

nouveau bouddhisme. Cela ne veut

pas dire qu’on jette tout, mais le

bouddhisme n’a jamais été bien

traduit : les gens doivent le traduire

et savoir comment l’utiliser dans la

vie quotidienne. Si le bouddhisme

Theravada ne répond pas à ce défi,

il deviendra obsolète.

J’ajouterai une dernière transformation.

La troisième transformation

irréversible des gens dont je

veux faire part est la suivante : De

3 à 90 ans, des moines les plus respectables

jusqu’aux paysans, nous

avons appris à jurer avec beaucoup

de fierté. La Birmanie a changé,

nous gagnons déjà la Révolution,

dans le sens au moins où cela met

en question les structures oppressives

de la société. On ne reviendra

pas en arrière, aucun d’entre nous

n’est intéressé par les anciennes

structures marquées par le racisme,

le fascisme et l’apartheid. La route

vers la démocratie est longue et

dure, mais nous allons continuer à

la parcourir.

Performance du danseur Hpone

27 28


table-ronde 05

Entretien avec un journaliste birman

Aye Chan Naing journaliste DVB basé à Oslo

(en duplex)

vincent brossel, info birmanie :

Nous avons la chance d’avoir Aye

Chan Naing, Co-fondateur, rédacteur

en chef et directeur exécutif de

Democratic Voice of Burma (DVB).

Basé à Oslo, il dirige les opérations

de cette télévision, media très important

pour la Birmanie depuis de

nombreuses années. Il a participé à

la révolution de 1988, et il est parti à

la frontière à l’époque, il sait donc ce

qu’est un conflit armé. A présent, il est

redevenu un journaliste exilé, et ses

collègues sont au front. Pouvez-vous

nous en dire plus sur la situation de

vos collègues ?

Au début on ne savait pas trop

quoi faire. Le coup d’état a plutôt

été une surprise. Dès la première

minute, notre télévision a été censurée

: on a été immédiatement

coupé. Alors on s’est dit : c’est notre

boulot, il faut suivre la situation,

relater les événements, ce qui se

passe, même si on est officiellement

censuré. Mais un mois plus tard,

notre licence a tout simplement été

révoquée, la junte nous a interdit

en tant que media. On ne pouvait

plus rien faire. Ni enquêter ni avoir

une activité sur les réseaux sociaux.

A l’époque, cinq de nos reporters

avaient déjà été arrêtés. Les militaires

sont intervenus chez l’un

d’entre nous, en pleine nuit. Environ

cinquante soldats ont encerclé

sa maison. Ils ont ouvert le feu,

ont fait irruption dans sa maison,

l’ont embarqué et ont tout de suite

commencé à le tabasser, sur la route

de la prison. Par la suite il a été très

durement torturé. Un autre, pas du

tout dans la même zone géographique,

a vécu la même chose, il a été

torturé pendant deux jours. Heureusement

ils ont tous été libérés,

après huit mois.

A ce jour, deux personnes de

DVB sont toujours en prison. L’un

d’eux vient d’être condamné à deux

ans.

vincent brossel, info birmanie :

Quel rôle DVB peut-elle jouer dans

cette révolution ? Après avoir pu

œuvrer pendant cinq ans librement

en toute indépendance en Birmanie,

vous voici à nouveau des journalistes

de jungle, un media de jungle.

Comment voyez-vous les choses :

pensez-vous que votre rôle soit d’être

un media indépendant ou bien d’être

la voix de la révolution ?

Rester indépendant est crucial.

Nous avons tiré les leçons de notre

histoire. à l’origine nous étions

une sorte de radio de propagande

pour le gouvernement en exil. Nous

avons appris vraiment dans la douleur

que pour gagner et conserver

la confiance du public, le fidéliser,

notre indépendance était indispensable.

Surtout dans ce genre de situation

où il y a beaucoup de désinformation,

de fake news, à la fois

côté militaire et côté révolution.

Il est vital pour tout le monde de

savoir ce qui se passe réellement.

Par exemple, pendant les manifestations,

au début, il y avait des

discussions sur les réseaux sociaux,

sur le nombre de morts, et l’idée

que s’il y avait beaucoup de morts

l’ONU interviendrait. « Combien

de cadavres faut-il encore pour que

l’ONU intervienne » ?

Alors ça a été aussi notre rôle

de dire aux gens de faire attention,

de ne pas aller dans cette direction,

avec cette attitude sacrificielle, en

espérant que l’ONU intervienne.

Car l’ONU ne viendrait pas !

vincent brossel, info birmanie :

Les chiffres que vous m’avez communiqués

plus tôt sont impressionnants

: 13 millions d’audience télé, et

1,1 million d’abonnés Youtube …Vous

touchez beaucoup de monde. Quels

retours avez-vous des gens dans le

pays sur la situation actuelle et sur

votre rôle ?

Le meilleur retour que nous

avons - et vraiment je l’apprécie -

c’est que dès qu’on publie un article,

on a immédiatement des commentaires

de gens qui nous reprennent,

qui nous disent “non ce n’est pas

exact, voilà ce qui s’est passé en

fait…» Les réactions constantes du

public nous sont précieuses, surtout

maintenant que nous sommes en

exil, loin de la Birmanie. Bien sûr

nous avons toujours des gens sur

place qui nous informent, mais

c’est fondamental d’avoir aussi par

ailleurs ce dialogue constant avec

un public plus proche de la situation

que nous ne le sommes. Cela nous

permet d’être encore plus précis

dans nos informations. Par ailleurs,

l’autre retour que nous avons c’est

que les gens sont très contents qu’on

existe !

Nous avons longtemps vécu

en exil : il a fallu 20 ans avant de

pouvoir rentrer en Birmanie. Alors

à notre retour c’était la première

fois qu’on avait la possibilité de

rencontrer notre public en chair

et en os. Vous ne pouvez pas imaginer,

mais quand vous vivez dans

un pays aussi coupé du monde, le

but c’est d’avoir accès à des informations

indépendantes. On n’avait

pas conscience à quel point les gens

appréciaient notre travail, c’est

en rentrant en Birmanie qu’on a

compris.

vincent brossel, info birmanie :

Dans le panel précédent, l’un des

intervenants expliquait qu’il y avait

une révolution en profondeur dans la

société birmane. Que ce soit à propos

de la place des femmes, l’émergence

du féminisme, la nouvelle génération,

la remise en cause des valeurs

bouddhistes… Aujourd’hui, pensez-vous

qu’on soit aussi en train

d’assister à une révolution dans les

médias ? Y-a- t-il un rapport différent

aux médias ?

Oui, il s’agit vraiment d’une

nouvelle révolution. Une nouvelle

révolution au sens où, la génération

de mes parents par exemple,

est née dans les années 40, 50, et

notre génération, celle de 1988, et

la génération actuelle, c’est celle

née dans les années 2000. Le point

commun à nos trois générations

c’est qu’on a tous grandi sous le

joug militaire. Nous avons tous les

trois pu observer et expérimenter

la brutalité militaire et l’abus de

pouvoir. Depuis ce coup d’état, nos

trois générations se sont unies. Mes

parents, en 88, s’inquiétaient de me

savoir dans la rue. Ils ne voulaient

pas que je participe. Aujourd’hui,

la jeunesse descend dans la rue

mais il y a une vraie unité intergénérationnelle.

Si j’étais père, et si

mon fils voulait sortir manifester,

je ne m’y opposerais pas. Cette fois

c’est différent. Il y a vraiment l’idée

qu’il faut en finir MAINTENANT

avec l’armée, avec la junte. On doit

mettre un terme à tout ça. On doit

terminer ce combat. Ce n’était pas

le cas auparavant.

vincent brossel, info birmanie :

Ma dernière question. Pour la 1 ère

fois tous les birmans, y compris les

groupes ethniques armés, sont unis

contre une même personne : Min

Aung Hlaing. Êtes-vous d’accord

avec ça ou bien y-a-t-il d’autres défis

derrière cette révolution ?

Les nouvelles du terrain sont

vraiment déprimantes. Malgré

l’ampleur de la résistance, ils n’ont

toujours pas réussi à renverser l’armée.

On n’a jamais vu une telle

résistance face à la junte, mais ils

n’arrivent pas à prendre le dessus.

Et côté armée, j’ai beaucoup de mal

à croire qu’ils puissent réussir à établir

leur contrôle sur l’ensemble du

pays. Donc c’est un peu une impasse.

Ça va prendre du temps. Ça va

prendre beaucoup de temps, mais

ce sera la dernière ère militaire. Ça

pourrait prendre du temps, longtemps

même, mais on verra la fin

de l’ère militaire. Et je crois que l’aide

de la communauté internationale

est PRIMORDIALE. Il faut qu’elle

se positionne plus clairement sur

la question birmane. Il faut que le

soutien au mouvement vienne de

l’ONU, du Conseil de Sécurité, des

pays occidentaux. On a déjà vécu

ça. On sait ce qu’il faut faire. Ça va

être une lutte longue. Le conflit va

durer. Et pour la France, d’accord

Total a quitté le pays, mais ça ne

suffit pas. Il faut une stratégie plus

poussée et complète sur le long

terme, et une vraie volonté d’instaurer

un changement.

Si on compare avec l’Ukraine, où

les actions ont été bien plus décisives,

on pourrait soutenir que l’armée

birmane est en réalité une armée

occupante en Birmanie. Comme

l’est la Russie. Et donc il faudrait

prendre des mesures analogues. Ils

se fichent du peuple, ils se fichent

du public. Ce sont les occupants. Ils

devraient être traités comme des

envahisseurs, comme les russes

envahisseurs de l’Ukraine.

29 30


table-ronde 06

Ce que le peuple birman demande

à la communauté internationale et à la France

nan su mon aung

représentante du gouvernement

d’unité nationale (NUG) en france

Bonjour à toutes et à tous, Je

suis Nan Su Mon Aung, la nouvelle

représentante du Gouvernement

d’union nationale (NUG) en France

depuis mars. Je tiens tout d’abord

à remercier les organisateurs, Info

Birmanie, la Ville de Paris et la

Communauté Birmane de France,

ainsi que toutes les organisations et

personnes qui ont participé.

Aujourd’hui, je parlerai des revendications

du peuple birman à la

France et aux Français, et plus largement

à la communauté internationale.

Cela fait partie des missions

du représentant qui consistent notamment

à : assurer la liaison entre

le NUG et les autorités françaises,

faciliter le dialogue entre le NUG

et les ONG françaises, représenter

le peuple birman en France, mais

aussi informer le public sur la situation

en Birmanie.

Myanmar auprès des Nations Unies

à New York continue de représenter

le gouvernement démocratique.

Bien qu’il ne soit pas encore

officiellement reconnu, le NUG est

en dialogue avec les autorités des

pays qui partagent les mêmes valeurs

démocratiques. La principale

demande du NUG à la communauté

internationale est d’être reconnu

comme le seul gouvernement légitime

du Myanmar. Tout d’abord,

le NUG a une légitimité électorale.

Il a été formé par le Comité représentant

l’Assemblée de l’Union ou

CRPH, composé de parlementaires

élus lors des élections générales de

novembre 2020. Deuxièmement, le

NUG est représentatif de la diversité

ethnique du Myanmar et compte

de nombreux membres issus de

minorités. Enfin, le NUG construit

avec ses alliés une véritable démocratie

fédérale inclusive, dont

la Charte a abrogé la constitution

de 2008. Cette nouvelle constitution

garantit l’égalité entre tous les

citoyens, l’autodétermination des

peuples, la liberté et la justice.

Le ministère de la Santé du

NUG a ouvert des cliniques, ainsi

qu’une université d’infirmières. Les

cours de médecine sont disponibles

en ligne. Le ministère de l’Éducation

du NUG propose des cours en

classe ou en ligne. En mai, le NUG

a déclaré avoir nommé des juges

dans 15 communes de la région de

Sagaing. Ce sont désormais plus

de 250 bataillons des Forces de défense

du peuple (PDF) qui ont pris

le contrôle des zones rurales des

régions de Sagaing et de Magwe,

dont ils garantissent la sécurité. En

général, les troupes de la junte ne

sont présentes que dans les zones

urbaines et ne sont pas en sécurité

dans les zones rurales.

Au contraire, la junte ne devrait

pas être reconnue comme le

gouvernement du Myanmar, car

c’est un régime illégitime, détesté

et combattu par la population. En

effet, le régime militaire issu du

putsch manqué du 1 er février 2021

n’a aucune légitimité démocratique.

C’est également illégal en vertu de

la constitution de 2008 car l’armée a

dû emprisonner sans motif sérieux

le président Win Myint pour déclarer

l’état d’urgence et transférer les

pleins pouvoirs à Min Aung Hlaing,

commandant en chef de l’armée. Le

régime constitue ainsi un retour à la

dictature, qui détourne à son profit

les revenus de l’État, comme ceux

qui l’ont précédé.

de l’homme commis par l’armée

sont bien documentés. Il s’agit notamment

des arrestations d’enfants

d’opposants au nom de leurs parents,

de la condamnation à mort de

prisonniers politiques et du génocide

des Rohingyas qui vient d’être

reconnu par les États-Unis. Pour

ces raisons, la junte a été déclarée

organisation criminelle terroriste

par le NUG.

Pour mettre fin à ces injustices,

le peuple birman appelle la France

et la communauté internationale

à prendre toutes les mesures pour

stopper l’afflux de financements

et d’armes vers le régime. L’Union

européenne a déjà adopté des sanctions

économiques contre les principaux

conglomérats contrôlés par

les militaires, et aussi plus récemment

dans le domaine des hydrocarbures

avec la société MOGE,

mais prévoyant une dérogation

jusqu’au 31 juillet 2022 pour permettre

aux opérateurs européens

de résilier les contrats. Les effets

de cette dérogation devraient être

limités au maximum dans le cadre

du départ de TotalEnergies afin que

des sommes évaluées à 250 millions

de dollars ne puissent être versées

à la junte.

De plus, l’embargo sur les armes

adopté au niveau européen devrait

être suivi par un plus grand nombre

d’États. Les entreprises privées

françaises et étrangères opérant au

Myanmar doivent également adopter

un comportement éthique. Les

pressions diplomatiques directes ou

indirectes pour exiger le retour à un

gouvernement civil, la libération

des prisonniers politiques et la fin

des abus doivent se poursuivre. Enfin,

les crimes de la junte ne doivent

pas rester impunis. Les Birmans

appellent la communauté internationale

à tout mettre en œuvre pour

traduire les responsables devant la

justice pénale.

est celle de l’aide humanitaire d’urgence.

En effet, la répression de

la junte contre les mouvements

de résistance a déplacé plus d’un

million de civils et exacerbé l’insécurité

alimentaire en perturbant

les récoltes. Le NUG et les communautés

locales ont mis en place

des structures d’acheminement de

l’aide humanitaire. Les Birmans

appellent la communauté internationale

à agir, mais surtout à ne pas

faire passer l’aide humanitaire par

la junte, car elle sera détournée et

exploitée politiquement.

De plus, il est important de

soutenir les fonctionnaires qui

pratiquent la désobéissance civile

(CDM), comme les enseignants, les

médecins, et qui continuent à travailler

sans équipement adéquat.

Enfin, on sait que de nombreux

membres des forces armées du régime

aimeraient faire défection

mais que la sécurité est le principal

obstacle. Le NUG a donc mis en

place le programme «People’s hug»

pour venir en aide aux transfuges

militaires et policiers, actuellement

estimés à 10 000, dont des officiers

supérieurs. L’annonce par l’Australie

en mars de la protection des

déserteurs par les forces armées a

suscité un énorme intérêt. Plus de

pays étrangers devraient officiellement

prendre position. Enfin, le ministère

des Finances du NUG a mis

en place divers mécanismes pour

financer les budgets nécessaires à

la révolution. Il est possible de faire

des dons, mais aussi d’investir. Le

NUG a déjà émis pour 38 millions de

dollars de bons du Trésor qui seront

remboursables avec une échéance

de 2 ans. Le programme «Fin de la

dictature» consiste à vendre des

parts dans des biens immobiliers

publics saisis illégalement par le régime.

Cette opération a déjà permis

de récolter 7 millions de dollars. Il

y a aussi des ventes d’articles et des

loteries régulières. Jusqu’à présent,

ces budgets sont principalement

financés grâce à la solidarité des

Birmans.

Les contributions internationales

augmenteraient la capacité

de financement du NUG et mettraient

rapidement fin à la crise.

En conclusion, je voudrais donc

souligner la gravité de la situation

et l’urgence d’agir. En effet, du fait

de ses échecs répétés, la répression

du régime devient de plus en plus

brutale et disproportionnée, ce que

l’on peut constater avec l’augmentation

significative du nombre de

villages entièrement rasés par l’armée

ces derniers mois, provoquant

d’importants besoins humanitaires.

Merci beaucoup pour votre intérêt

et votre attention. Comme le temps

est assez limité, si vous avez des

commentaires ou des questions

supplémentaires, je vous invite à

communiquer avec notre bureau.

Nous avons également des comptes

Facebook et Twitter sur les réseaux

sociaux.

nay san lwin

free rohingya coalition et

blood money campaign

Je suis un militant Rohingya.

Je fais campagne pour mon peuple

depuis que j’ai quitté le Myanmar il

y a 21 ans. Je ne vais pas parler longtemps.

Je vais parler brièvement de

ce dont nous avons besoin. Nous,

Rohingyas, avons assez souffert. La

junte militaire a commis le crime

international le plus grave. Jusqu’à

aujourd’hui, toutes les superpuissances

ne sont intervenues dans

aucune des situations auxquelles

nous avons été confrontés depuis

1978. Nous, Rohingyas, avons des

affaires devant trois tribunaux

internationaux - la Cour internationale

de justice (CIJ), la Cour pénale

internationale (CPI) et la Cour

argentine. L’affaire de la CIJ a été

menée par un petit pays africain,

la Gambie. L’affaire de la CPI a été

initiée par le procureur en chef de

l’époque, Fatou Bensouda, et l’affaire

devant le tribunal argentin a

été intentée par une organisation

Rohingya basée au Royaume-Uni.

Les États-Unis ont mis plus de quatre

ans pour déterminer les crimes

contre les Rohingyas.

Le dialogue entre tous les groupes

de la société civile est possible

grâce au Conseil consultatif

de l’unité nationale, NUCC, qui

regroupe le CRPH, le NUG, les organisations

ethniques et plusieurs

organisations de la société civile. Il

est important de soutenir le NUG

car c’est la seule autorité légitime

Le NUG a été créé en avril 2021. largement acceptée par la population.

L’armée, dominée par l’ethnie

Depuis, il a mis en place un réseau

À ce jour, le NUG a mis en majoritaire Bamar, cherche pour-

de représentations à l’étranger, dans place des administrations dans 36 tant à se légitimer à travers l’idéologie

nationaliste bouddhiste, et

Il existe différentes façons

les pays où la diaspora birmane cantons. Il contrôle 15% du pays,

est importante. Le NUG est désormais

présent dans 8 pays, en plus alliées. Il ne peut donc être qualifié en 2023 dont on sait déjà qu’elles

soit par l’intermédiaire du NUG.

et plus de 50% avec ses ethnies en promettant la tenue d’élections

d’aider les gens, soit directement,

d’un ambassadeur dans les pays de «gouvernement en exil», ou de seront une mascarade. Enfin, tous

d’Asie du Sud-Est. L’ambassadeur du «gouvernement de l’ombre». les crimes et violations des droits

La question la plus importante

31 32


J’apprécie tout le soutien, mais

ce que nous voulons, c’est un soutien

pratique. Cela fait presque 18

mois maintenant. Près de 2 000

civils, militants, poètes, manifestants,

fonctionnaires et enfants en

bas âge ont été tués. Environ 15 000

personnes ont été arbitrairement

arrêtées. En comparant l’ampleur

des Rohingyas et de l’ensemble de la

population du Myanmar, les crimes

sont différents, mais la cruauté est

la même. La souffrance est la même.

Plus de 20 000 maisons ont été réduites

en cendres à travers le pays,

tandis que des dizaines de milliers

sont devenues des réfugiés.

Permettez-moi d’en venir au

fait. En tant que membre d’une

communauté opprimée et en tant

qu’être humain, je compatis à la

souffrance du peuple ukrainien.

Je leur offre ma solidarité. La souffrance

des gens est la même quelle

que soit la couleur de la peau, la

race et la religion. La douleur est

la même. Mais malheureusement,

les différents traitements de l’ouest

sont affreux. Je suis heureux que

les superpuissances soutiennent

l’Ukraine. Mais je suis contre la

discrimination. L’armée du Myanmar

a commis les crimes internationaux

les plus graves - génocide,

crimes contre l’humanité et crimes

de guerre. Nous avons à plusieurs

reprises appelé les superpuissances

à renvoyer la situation à la CPI, mais

personne n’en a même discuté. Mais

pour l’Ukraine, en deux jours, 42

pays l’ont soutenu. Alors que l’affaire

Rohingya à la CPI dure depuis

près de trois ans, l’affaire Ukraine

est très rapide. C’est comme si nous

allions bientôt conclure.

Je partage cette réalité avec

vous car seules quelques personnes

disent cette vérité tandis que

d’autres maintiennent la diplomatie.

Nous devons connaître la vérité;

alors, nous pouvons trouver un

moyen de trouver une solution.

Permettez-moi de le répéter, les

gens qui souffrent sont les mêmes,

peu importe qui ils sont. Nous

avons besoin du même soutien

que vous pour l’Ukraine. Nous ne

vous demandons pas un soutien

considérable de milliards de dollars

à deux chiffres. Nous voulons

récupérer un milliard de dollars

gelés après le coup d’État, un soutien

pratique pour faire rendre des

comptes, l’adoption de sanctions qui

font mal à la junte, pas seulement

le blocage des visas de vacances et

le soutien total nécessaire à notre

lutte à l’intérieur du pays.

projection-live du dessin de wooh

Clôture :

Lectures de poèmes birmans

Les comédiens Sophie-Marie

Gilbert-Desvallons et Fabrice Bressolles,

ainsi que l’artiste Nge Lay, ont

lu des poèmes tirés de « Printemps

Birman », ouvrage collectif paru

aux éditions Héliotropismes, et de

« L’effacement : un poète au cœur

du génocide des Rohingyas », de

Mayyu Ali et Emilie Lopes, paru

aux éditions Grasset.

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