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360° magazine / novembre 2022

Numéro 218 | Vieillir LGBTIQ+

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L’art discret<br />

du vieillir<br />

© Anas Sareen<br />

Lesbien<br />

En Suisse romande, plusieurs groupes et associations se<br />

penchent sur le vécu des lesbiennes de plus de 50 ans et leurs<br />

besoins. Tâche complexe tant les réalités sont diverses.<br />

Par Camille Béziane<br />

Dimanche ensoleillé à Vidy. Je tombe sur les pétillantes<br />

cinquantenaires Véro et Gaby et leur raconte<br />

que je rédige un article sur le « vieillir lesbien ». Leur<br />

réaction ne se fait pas attendre : « Il faut des maisons<br />

de retraite pour les gougounes ! ». Elles expliquent<br />

qu’il est nécessaire de multiplier les structures sécurisantes,<br />

mixtes ou non, pour les lesbiennes plus<br />

âgées, afin que ces dernières puissent se projeter<br />

sereinement. Pour les deux acolytes, vieillir peut<br />

isoler les aîné·e·x·s, mais c’est aussi une libération<br />

vis-à-vis de certaines pressions sociales : « On se<br />

concentre un peu plus sur l’essentiel. »<br />

Même jour, 18h, j’ai rendez-vous avec Chris<br />

Barthélémy, 67 ans, surnommée la « reine<br />

des Babayagas », du nom du groupe de<br />

lesbiennes seniors autogéré en non-mixité<br />

qui se réunit une fois par mois dans les<br />

locaux de l’Association 360 à Genève.<br />

Chris n’a jamais eu à cacher son homosexualité,<br />

que ce soit dans sa vie privée<br />

ou professionnelle. La fonction de direction<br />

qu’elle a assumée dans son travail<br />

l’a, selon elle, « protégée de la lesbophobie<br />

». Chris se sait privilégiée par rapport<br />

à d’autres Babayagas, qui ont vécu dans<br />

la peur de perdre leur emploi et leur logement<br />

si leur homosexualité venait à être<br />

connue, et qui préfèrent la taire encore<br />

aujourd’hui. D’où la nécessité, selon Chris,<br />

« de disposer d’une place où la sororité est<br />

au centre et où on peut être soi-même,<br />

échanger et s’entraider ».<br />

Marjorie Horta, responsable du projet Aîné·e·s à<br />

l’Association 360, précise que c’est cette « famille<br />

choisie » qui peut prendre le relais quand la famille<br />

biologique ne constitue pas une ressource. Une famille,<br />

rappelle-t-elle, « dont la plupart des membres<br />

ont dû se construire entre dépénalisation et pathologisation<br />

de l’homosexualité, à une époque où les<br />

femmes avaient peu de droits ». Une famille, on l’oublie<br />

souvent, dans laquelle les lesbiennes ont aussi<br />

perdu des êtres chers pendant les années sida.<br />

LE SILENCE ET LE TABOU<br />

Sociologiquement, les personnes lesbiennes<br />

aînées forment un groupe très<br />

hétérogène, dont les âges, ressources<br />

(sociales et financières), intérêts et états<br />

de santé peuvent considérablement varier.<br />

D’où l’importance, pour Marjorie, d’offrir des<br />

activités variées et accessibles à la majorité<br />

VIEILLIR LGBTIQ+<br />

SOCIÉTÉ<br />

de celles qui vivent des situations précaires.<br />

Certaines recherchent la non-mixité pour<br />

échapper au sexisme tandis que d’autres<br />

préfèrent être avec des personnes LG-<br />

BTIQ+ plutôt qu’avec des femmes hétérosexuelles.<br />

Cependant, avoir une vue<br />

d’ensemble des besoins et des difficultés<br />

rencontrées par les lesbiennes aînées<br />

s’avère compliqué. Elsa Thétaz, animatrice<br />

régionale à Pro Senectute, relève « le<br />

silence et le tabou » auxquels elle se heurte<br />

sur le terrain. Marjorie, de son côté, souligne<br />

le manque de données, de témoignages et<br />

de ressources. Chris, quant à elle, pense<br />

qu’il manque des espaces intergénérationnels<br />

sécures. En raison de son âge, elle se<br />

sent, par exemple, « déplacée » dans les<br />

lieux festifs, alors qu’elle adore danser.<br />

En matière d’accès aux soins et de santé, Marjorie<br />

observe, dans les quelques données à disposition,<br />

les mêmes tendances que pour les lesbiennes/VSV 1<br />

plus jeunes: une certaine méfiance vis-à-vis du monde<br />

médical qui peut amener à prendre soin de soi plus<br />

tardivement, à une exposition élevée à différentes<br />

formes de violences lesbophobes, à une consommation<br />

importante de psychotropes, à des états anxieux<br />

et dépressifs, à des pensées suicidaires, voire à des<br />

tentatives de suicide. Ces tendances s’expliquent en<br />

partie par le « stress minoritaire 2 ». À l’âge peuvent<br />

s’ajouter une grande solitude, des maladies graves<br />

(dont nombre de cancers et pathologies dégénératives<br />

qui touchent les aîné·e·x·s) et des handicaps.<br />

Si les enjeux restent de taille, les parcours<br />

des lesbiennes aînées témoignent cependant<br />

aussi de la force et de la résilience<br />

qu’elles ont su mobiliser pour exister et pour ​<br />

écrire l’histoire du « génie lesbien » si cher<br />

à Alice Coffin. Pour Gaby et Véro, c’est ce<br />

« savoir-être qui est important » car il fait société<br />

et permet une transmission intergénérationnelle.<br />

Chris rappelle qu’il « ne faut rien<br />

lâcher et continuer à lutter », notamment<br />

car la transmission aux plus jeunes passe<br />

aussi par les actions et la mémoire liés aux<br />

combats menés pour l’égalité des droits.<br />

1 Personne ayant une vulve ayant des relations sexuelles avec<br />

d’autres personnes ayant une vulve<br />

2 Selon Wikipedia, le stress des minorités décrit les niveaux élevés<br />

de stress auxquels sont confrontés les membres de groupes minoritaires<br />

stigmatisés<br />

13

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