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vieillir<br />
OÙ SONT LES<br />
PERSONNES ÂGÉES<br />
TRANS*?<br />
La communauté trans* figure parmi les groupes<br />
sociaux les plus victimes de marginalisation et<br />
de mortalité précoce. Conséquence : l’absence sidérante<br />
des vieilles personnes trans*. Comment<br />
se construire sans modèles montrant la voie ?<br />
Par Tal Madesta<br />
Lorsqu’on vous dit « personne trans* âgée », il est fort<br />
probable qu’aucun visage ne vous vienne spontanément<br />
en tête. Dans la perspective de l’écriture de cet<br />
article, je me suis également posé la question, et j’ai<br />
été bien en peine de répondre. Être moi-même trans*<br />
ne m’a aucunement aidé dans cette entreprise, malgré<br />
quelques noms épars traversant mes pensées.<br />
Dans le documentaire Disclosure : Trans<br />
Lives on Screen, diffusé sur Netflix, la<br />
question des personnes trans* dans la<br />
culture cinématographique est abordée<br />
en profondeur, afin d’analyser les ressorts<br />
transphobes des films et séries, entre fétichisation<br />
sexuelle, moqueries et dégoût.<br />
Mais sur les personnes âgées, pas un mot,<br />
malgré leur sidérante absence de toutes<br />
les images dont nous disposons. Je crois<br />
que ce manque terrible de représentations<br />
a des conséquences bien réelles sur les<br />
personnes concernées. Il semble difficile<br />
de se projeter dans une transition lorsqu’on<br />
n’a pas de modèles nous montrant la voie,<br />
et nous assurant surtout que nous vivrons<br />
longtemps. Que raconte cette invisibilité<br />
? Est-ce à dire que les personnes âgées<br />
trans*… n’existeraient pas ?<br />
On ne peut pas se pencher sur cette question<br />
en passant sous silence la mortalité précoce qui<br />
frappe nos communautés. Pour comprendre ce qui<br />
se joue dans la vieillesse trans*, il faut déjà mettre à<br />
jour les conditions de vie auxquelles sont exposées<br />
les personnes trans* plus jeunes. Il s’agit d’un des<br />
groupes sociaux les plus marginalisés du monde,<br />
et il existe peu d’exemples d’individus si souvent<br />
décimés par la précarité économique, la difficulté<br />
d’accès aux soins, les minces possibilités de logement,<br />
parmi une myriade d’autres sécurités dont<br />
nous peinons à bénéficier.<br />
En raison de cette ostracisation forte, les<br />
personnes trans* meurent en série, assassinées<br />
ou suicidées, et cette réalité<br />
désespérante doit être regardée en face.<br />
Chaque année, de tristes chiffres nous par-<br />
viennent. En 2021, 375 personnes trans* ont<br />
été tuées dans le monde, un calcul considéré<br />
par les associations comme largement<br />
sous-estimé. Leur âge moyen : 30 ans à<br />
peine. La plus jeune d’entre elles avait…13<br />
ans. Leurs conditions socio-économiques<br />
d’existence jouent beaucoup dans cette sidérante<br />
proximité avec la mort : 43 % des<br />
personnes trans* assassinées en Europe en<br />
2021 étaient migrantes, 58 % exerçaient le<br />
travail du sexe. Sur une période plus large,<br />
on recense 4048 personnes trans* assassinées<br />
dans le monde entre 2008 et 2021,<br />
dont 96 % de femmes trans. Un chiffre terriblement<br />
élevé au regard de notre proportion<br />
dans la population totale. En comparant<br />
la proportion de féminicides commis en<br />
France en 2021 au regard du nombre global<br />
de femmes cis et trans dans le pays,<br />
l’association Acceptess-T a ainsi calculé<br />
que les femmes trans ont trois fois plus de<br />
risque d’être victimes de féminicides que<br />
les femmes cis. Vingt-cinq fois plus si elles<br />
sont par ailleurs travailleuses du sexe.<br />
Et si nous ne trépassons pas par la main des autres,<br />
c’est bien souvent de notre propre initiative que<br />
notre vie s’arrête brutalement. En raison d’existences<br />
difficiles, quand elles ne sont pas insoutenables,<br />
la santé psychique des personnes concernées<br />
se trouve profondément fragilisée, d’autant<br />
plus lorsque celles-ci sont jeunes. Les élèves<br />
trans* sont ainsi quatre fois plus exposé·e·s·x aux<br />
problèmes de santé mentale que les autres. Entre<br />
70 % et 90 % des jeunes trans* ont déjà eu des pensées<br />
suicidaires, selon différentes études dont<br />
les résultats restent dans tous les cas alarmants.<br />
Enfin, elles ont jusqu’à dix fois plus de risque de<br />
passer à l’acte que leurs homologues cisgenres.<br />
Une chose à retenir : la transphobie à toutes<br />
les échelles fait mourir précocément…et<br />
Société<br />
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