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stra<strong>de</strong><br />

RECHERCHES ET DOCUMENTS<br />

CORSE ET MÉDITERRANÉE<br />

Été 2022<br />

N° <strong>26</strong><br />

Pierre Simi<br />

(1911-1999)<br />

La Corse sous l’expertise <strong>de</strong> la géographie<br />

classique française<br />

ADECEM/ALBIANA


Stra<strong>de</strong><br />

est publiée avec le soutien <strong>de</strong><br />

la Collectivité <strong>de</strong> Corse<br />

Association pour le développement <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s corses et méditerranéennes<br />

(A.D.E.C.E.M.)<br />

Conseil d’administration<br />

Prési<strong>de</strong>nt : Joseph Martinetti<br />

Vice-prési<strong>de</strong>nt : Nicolas Mattei<br />

Trésorier : Pierre-Clau<strong>de</strong> Giansily<br />

Secrétaire : Jackie Peri-Emmanuelli<br />

Membres<br />

Marianghjula Antonetti-Orsoni, Antoine Casanova,<br />

Dominique Devaux, Antoine Franzini, Jeannine Giudicelli, Gilles Guerrini, Beate Kiehn,<br />

Jackie Peri-Emmanuelli,<br />

Directeur <strong>de</strong> publication<br />

Joseph Martinetti<br />

Courrier et abonnements<br />

ADECEM, c/o M me Peri, Tour 3, rési<strong>de</strong>nce Montesoro, 20600 Bastia<br />

Site web : http ://a<strong>de</strong>cem.idcorse.fr<br />

Bon <strong>de</strong> comman<strong>de</strong> ou d’abonnement : voir en fin <strong>de</strong> numéro<br />

En couverture :<br />

• Première <strong>de</strong> couverture : Pierre Simi, cliché Françoise Marchetti-Aurélia Boisson (fille et petite-fille <strong>de</strong> Pierre Simi).<br />

• Dernière <strong>de</strong> couverture : Nouvel Atlas <strong>de</strong>s enfans<br />

ISSN : 1165-922X<br />

Tous droits <strong>de</strong> publication, <strong>de</strong> traduction, <strong>de</strong> reproduction réservés pour tous pays<br />

© Albiana/ADECEM


Joseph MARTINETTI<br />

Avant-propos....................................................................... 5<br />

Les hommages à Pierre Simi, le professeur,<br />

le chercheur, le citoyen…<br />

Francis BERETTI<br />

Pierre Simi 1911-1999........................................................ 13<br />

M me Denise VIALE<br />

Un hommage au géographe et ancien prisonnier <strong>de</strong> guerre 17<br />

Michel LEENHARDT<br />

Pierre Simi et l’Association <strong>de</strong>s amis du Parc naturel<br />

régional <strong>de</strong> Corse................................................................ 23<br />

Jean-Paul GIORGETTI<br />

Comment faire connaître le climat <strong>de</strong> la Corse<br />

après Pierre Simi ?.............................................................. 25<br />

Réflexions épistémologiques sur l’œuvre <strong>de</strong> Pierre Simi<br />

Benoît BUNNIK<br />

Pierre Simi, un géographe dans la cité............................... 31<br />

Joseph MARTINETTI<br />

Comment les géographes ont construit un objet<br />

géographique. Des humanistes <strong>de</strong> la Renaissance<br />

jusqu’à Pierre Simi............................................................. 39<br />

Laurent CHALARD<br />

Le géographe, figure <strong>de</strong> l’intellectuel du xxi e siècle ?....... 53<br />

Bernard HUBER<br />

La jeunesse et la carte géographique,<br />

<strong>de</strong> la fin du xvii e au début du xix e siècle............................. 59<br />

Introuvables<br />

Raoul BLANCHARD<br />

Aux sources <strong>de</strong> l’œuvre géographique <strong>de</strong> Pierre Simi,<br />

Raoul Blanchard, le « patron grenoblois »<br />

Les genres <strong>de</strong> vie en Corse et leur évolution..................... 71<br />

Pierre SIMI<br />

Les aspects régionaux <strong>de</strong> la Corse : le Nebbio................... 75<br />

Varia<br />

Pierre Clau<strong>de</strong> GIANSILY<br />

Barthélémy Maglioli (1856-1909), un architecte ajaccien<br />

sous la Troisième République............................................. 81<br />

Françoise CLIER-COLOMBANI<br />

La Granitula en Corse........................................................ 121


<br />

Avant-propos<br />

Joseph Martinetti<br />

Après avoir rendu hommage à l’historien<br />

Antoine Casanova dans le numéro précé<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> Stra<strong>de</strong> et évoqué à travers lui une génération<br />

qui a largement contribué dans les universités<br />

du continent, à partir <strong>de</strong>s années 1960, au renouveau<br />

<strong>de</strong>s sciences sociales appliquées aux domaines corse<br />

et méditerranéen, ce nouveau numéro <strong>26</strong> <strong>de</strong> la revue<br />

Stra<strong>de</strong> se propose d’évoquer la figure originale <strong>de</strong><br />

Pierre Simi (1911-1999) qui a fait, pour sa part,<br />

l’essentiel <strong>de</strong> sa carrière d’enseignant en Corse.<br />

Professeur <strong>de</strong> classes secondaires et préparatoires à<br />

l’ancien lycée Marbeuf <strong>de</strong> Bastia, aujourd’hui Jean<br />

Nicoli, il a su s’imposer dès les années 1960 comme<br />

un <strong>de</strong>s meilleurs géographes <strong>de</strong> la Corse.<br />

La directrice <strong>de</strong> la bibliothèque patrimoniale<br />

Tommaso Prelà, M me Linda Piazza, en décidant d’honorer<br />

sa mémoire au printemps 2019, et <strong>de</strong> célébrer<br />

ainsi le vingtième anniversaire <strong>de</strong> son décès, nous<br />

a offert l’opportunité <strong>de</strong> participer activement à cet<br />

hommage et, en toute conséquence, <strong>de</strong> lui consacrer<br />

ainsi notre vingt-sixième numéro <strong>de</strong> Stra<strong>de</strong>. Cette<br />

journée bastiaise fut en effet l’occasion <strong>de</strong> réunir<br />

parents et amis <strong>de</strong> Pierre Simi, scientifiques qui ont<br />

animé avec lui la vénérable Société <strong>de</strong>s sciences historiques<br />

et naturelles <strong>de</strong> la Corse dont il fut prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

1961 à 1992. Tous ont pu une nouvelle fois témoigner<br />

<strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong> rigueur et <strong>de</strong> l’importante somme <strong>de</strong><br />

connaissances géographiques qu’il a su mobiliser et<br />

inventorier sur la Corse.<br />

Mais ce fut également l’occasion <strong>de</strong> réfléchir sur<br />

le bilan <strong>de</strong> son œuvre autour d’une première approche<br />

épistémologique cherchant à inscrire sa démarche<br />

dans une évolution plus globale <strong>de</strong> la géographie, <strong>de</strong><br />

ses métho<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> ses concepts, au-<strong>de</strong>là d’hommages<br />

largement mérités, mais toujours un peu convenus.<br />

Éloigné du mon<strong>de</strong> universitaire dans une Corse<br />

alors sans établissement d’enseignement supérieur,<br />

Pierre Simi cristallise, en effet, par sa quête exhaustive<br />

d’informations géographiques « l’apogée et<br />

l’aboutissement du moment classique <strong>de</strong> la géogra-<br />

Stra<strong>de</strong> n° <strong>26</strong> – Été 2022, p. 5-9<br />

5


stra<strong>de</strong><br />

phie française » appliquée à notre île montagneuse et<br />

méditerranéenne. Il privilégiera toujours la dimension<br />

physique et naturaliste dans ses étu<strong>de</strong>s géographiques,<br />

et celle-ci occupera le premier rang dans ses analyses.<br />

Il est vrai que Pierre Simi entame sa carrière<br />

scientifique comme climatologue sous l’influence <strong>de</strong><br />

son professeur aixois Ernest Bénévent et il s’astreint<br />

dans chacune <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>s à un examen minutieux<br />

et exhaustif <strong>de</strong>s conditions naturelles qui caractérisent<br />

tout territoire, débutant en cela par le relief, la<br />

géologie, la géomorphologie, les aspects climatiques<br />

et hydrologiques.<br />

En conséquence, ses premières étu<strong>de</strong>s régionales,<br />

à l’instar <strong>de</strong> son premier article sur la région<br />

du Nebbio, publié dans la prestigieuse Revue <strong>de</strong><br />

géographie alpine en 1957, débutent par un examen<br />

approfondi du cadre naturel. Il qualifie <strong>de</strong> région<br />

naturelle la conque bien individualisée que constitue<br />

le Nebbio en reprenant la terminologie définie par<br />

Paul Vidal <strong>de</strong> La Blache et Lucien Gallois au début du<br />

xx e siècle pour caractériser les lieux. Son approche est<br />

encyclopédique, car elle vise à recenser et à englober la<br />

totalité <strong>de</strong>s caractères géographiques selon un prisme<br />

d’analyse vidalien qui situe la science du géographe<br />

au carrefour <strong>de</strong> considérations naturalistes et <strong>de</strong> considérations<br />

humaines et sociales.<br />

L’œuvre géographique <strong>de</strong> Pierre Simi peut<br />

dès lors se scin<strong>de</strong>r en <strong>de</strong>ux temps majeurs. Le<br />

premier débute dans les années 1950 et il constitue<br />

le moment <strong>de</strong> son affirmation scientifique. Tout en<br />

étant professeur du secondaire en Corse, il déci<strong>de</strong><br />

en effet d’entreprendre une recherche académique<br />

à l’université d’Aix-en-Provence. Après la publication<br />

<strong>de</strong> quelques articles préparatoires à son travail<br />

doctoral dans la Revue <strong>de</strong> géographie alpine <strong>de</strong><br />

Grenoble et dans la revue Méditerranée <strong>de</strong> l’université<br />

d’Aix-Marseille, il choisit un thème <strong>de</strong> doctorat<br />

sur « l’adaptation humaine dans le Sillon central <strong>de</strong> la<br />

Corse ». Son directeur <strong>de</strong> thèse est le célèbre professeur<br />

Ernest Bénévent, lui-même disciple <strong>de</strong> Raoul<br />

Blanchard à Grenoble, et il sera ensuite relayé par le<br />

géomorphologue Jean Pouquet, pionnier en France <strong>de</strong><br />

l’utilisation <strong>de</strong> la télédétection en géomorphologie.<br />

Pierre Simi inscrit ses questionnements scientifiques<br />

dans une filiation revendiquée avec la fameuse<br />

école géographique <strong>de</strong> Grenoble. Les travaux <strong>de</strong> Raoul<br />

Blanchard et ceux <strong>de</strong> ses élèves ont en effet investi le<br />

département <strong>de</strong> géographie d’Aix-en-Provence autour<br />

<strong>de</strong> Jules Blache ou d’Ernest Bénévent.<br />

Il faut bien entendu rappeler que le patron <strong>de</strong><br />

Grenoble a lui-même largement investi le terrain<br />

corse, qui a constitué <strong>de</strong> sa part l’objet d’une puissante<br />

réflexion sur la combinaison <strong>de</strong>s facteurs montagneux<br />

et <strong>de</strong>s facteurs méditerranéens.<br />

Son maître-article sur « Les genres <strong>de</strong> vie en<br />

Corse », publié en 1914 dans la Revue <strong>de</strong> géographie<br />

alpine, puis en 1915 dans le Bulletin <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s<br />

sciences historiques et naturelles <strong>de</strong> la Corse, représente<br />

ainsi incontestablement la matrice intellectuelle<br />

et méthodologique <strong>de</strong> la réflexion géographique <strong>de</strong><br />

Pierre Simi. Ce <strong>de</strong>rnier reprend à son compte l’équation<br />

déterministe qui peut s’établir autour <strong>de</strong>s rapports<br />

entre nature et société avec une mention toute particulière<br />

pour la question géomorphologique et géologique<br />

<strong>de</strong>s sillons centraux.<br />

Pour Raoul Blanchard en effet, le Sillon alpin,<br />

large dépression topographique courant <strong>de</strong> Grenoble<br />

à Chambéry et qui se définit par un contact géomorphologique<br />

entre Alpes et Préalpes, prédispose à<br />

l’existence d’un axe dynamique, à la fois urbain,<br />

agricole et industriel, au cœur <strong>de</strong>s Alpes du Nord<br />

françaises. En ce début <strong>de</strong> xx e siècle, le géographe<br />

grenoblois y est le spectateur attentionné, voire<br />

enthousiaste, d’une puissante « révolution industrielle<br />

et technologique ». Elle aura comme conséquence<br />

d’accentuer le contraste humain entre les Alpes du<br />

Nord et les Alpes du Sud, ces <strong>de</strong>rnières étant, selon<br />

les termes <strong>de</strong> Raoul Blanchard, prédisposées à un<br />

ordonnancement géographique confus qui, en conséquence,<br />

explique les retards et les archaïsmes que l’on<br />

peut y observer.<br />

Ce cadre conceptuel explicatif est repris par<br />

Raoul Blanchard pour diviser la Corse en trois gran<strong>de</strong>s<br />

unités : un Sillon central, une Corse schisteuse ou<br />

alpine du Nord-Est et enfin une Corse granitique<br />

(voir un extrait <strong>de</strong> cet article reproduit dans la partie<br />

« Introuvables »). C’est trente années plus tard que<br />

Pierre Simi, taraudé par ce questionnement, veut le<br />

réactiver, et il déci<strong>de</strong> pour cela <strong>de</strong> rediscuter et d’exploiter<br />

l’hypothèse scientifique proposée par Raoul<br />

Blanchard. Ses origines familiales qui le rattachent<br />

en effet à Castifao (où désormais il repose), au cœur<br />

du Sillon central corse, expliquent probablement cet<br />

intérêt et cette motivation soutenue du chercheur.<br />

Ses investigations scientifiques vont se porter<br />

alors sur ce long axe central qui court du nord au<br />

sud entre les <strong>de</strong>ux Corse, schisteuse et cristalline, et<br />

s’étend <strong>de</strong> la conque du Nebbio jusqu’à Solenzara, au<br />

sud <strong>de</strong> la Plaine orientale.<br />

Pierre Simi inscrit sa quête théorique dans la<br />

volonté explicite <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r ou d’invali<strong>de</strong>r l’équation<br />

déterministe qui permettrait d’attribuer au Sillon<br />

6


Avant-propos<br />

central corse le rôle d’un axe moteur et dynamique<br />

dans l’organisation territoriale <strong>de</strong> l’île. A priori, il<br />

perçoit cependant qu’il n’est qu’une pâle ébauche du<br />

grand Sillon central alpin magistralement exposé par<br />

Raoul Blanchard. Son objectif heuristique est alors <strong>de</strong><br />

comprendre et d’expliquer cette incomplétu<strong>de</strong> corse<br />

qui fait <strong>de</strong> ce sillon mal déblayé une très imparfaite<br />

esquisse <strong>de</strong> la dynamique <strong>de</strong>s sillons nord-alpins.<br />

Seule la micro-région du Nebbio peut proposer une<br />

réelle amorce <strong>de</strong> centralité que traduit son harmonie<br />

paysagère, tandis que les autres bassins intérieurs ne<br />

tirent que faiblement parti <strong>de</strong> leurs atouts géographiques,<br />

même dans le secteur pourtant privilégié <strong>de</strong>s<br />

transports et <strong>de</strong>s communications.<br />

Pierre Simi va jusqu’au bout du modèle « possibiliste<br />

» que lui offre la pensée géographique classique<br />

française et, en l’appliquant avec constance et minutie<br />

au terrain corse, il parvient à rassembler une somme<br />

considérable <strong>de</strong> connaissances géographiques qui<br />

serviront à armer ses propositions humanistes d’observateur<br />

scientifique. Son expertise territoriale du<br />

domaine corse est alors globale et peut dès lors le<br />

conduire à pérenniser l’accès à ces indispensables<br />

sources en publiant un Précis géographique <strong>de</strong> la<br />

Corse en octobre 1981, qui constitue à ce jour la seule<br />

véritable encyclopédie géographique <strong>de</strong> la Corse.<br />

Sa maîtrise exceptionnelle du terrain corse dans<br />

toute sa diversité est consacrée également par le rôle<br />

décisif que prend Pierre Simi dans l’organisation en<br />

1965 <strong>de</strong> la 48 e excursion géographique interuniversitaire<br />

française aux côtés <strong>de</strong>s plus grands géographes,<br />

Jean Dresch <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> Géographie qui en assume<br />

la responsabilité académique, Pierre Gabert d’Aix-<br />

Marseille, ou encore André Ron<strong>de</strong>au, <strong>de</strong> Paris. Pierre<br />

Simi est responsable <strong>de</strong> l’itinéraire corse, et ses étapes<br />

sont fort appréciées par étudiants et professeurs, en<br />

particulier à Casamaccioli ou à Petreto-Bicchisano.<br />

L’intérêt scientifique que procure le terrain corse est vif<br />

à ce moment-là, car aux côtés <strong>de</strong> Pierre Simi, finalisant<br />

alors son doctorat, figurent Jeannine Renucci, élève à<br />

Lyon <strong>de</strong> Maurice Le Lannou, Yeramiehl Kolodny qui<br />

a soutenu une thèse originale <strong>de</strong> géographie urbaine et<br />

historique sur le fait urbain en Corse, ou bien encore<br />

la géomorphologue Camille Grelou-Orsini. Tous sont<br />

présents dans ce périple universitaire.<br />

Le second temps fort <strong>de</strong> la carrière scientifique<br />

<strong>de</strong> Pierre Simi s’affirme à partir <strong>de</strong>s années 1970. C’est<br />

pour Pierre Simi la phase <strong>de</strong> la maturité scientifique.<br />

Unanimement reconnu pour son expertise géographique,<br />

le discret professeur est largement sollicité<br />

dans le débat public corse, alors qu’une économie<br />

nouvelle reposant sur le tourisme et la rési<strong>de</strong>ntialité<br />

a fait irruption sur l’île et qu’une radicalité régionaliste<br />

choisit <strong>de</strong> s’exprimer désormais en ayant<br />

recours à la violence politique. La Corse nouvelle<br />

remplace la Corse traditionnelle, comme l’a si bien<br />

évoqué Jeannine Renucci, et cela génère <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s<br />

transformations sociales, économiques, culturelles,<br />

paysagères qui interpellent à juste titre le géographe,<br />

humaniste et homme <strong>de</strong> science.<br />

Après le temps <strong>de</strong> l’analyse scientifique vient<br />

donc pour l’homme mûr le temps d’intervenir et d’agir<br />

afin <strong>de</strong> contribuer à la mise en place d’un débat plus<br />

serein sur l’avenir <strong>de</strong> la Corse. Pierre Simi utilise alors<br />

son expertise <strong>de</strong> terrain en pratiquant un « militantisme<br />

distancié » et toujours neutre axiologiquement.<br />

Reprenant l’antienne <strong>de</strong> Raoul Blanchard sur<br />

la nécessaire transformation économique et sociale <strong>de</strong><br />

la Corse et exprimée par sa fameuse formule souvent<br />

usitée « il ne faut pas désespérer <strong>de</strong> la Corse », Pierre<br />

Simi s’inscrit ainsi dans le « tournant social » d’une<br />

géographie interpellée par le débat public, mais qui se<br />

refuse à investir le terrain du politique comme le font<br />

d’autres géographes au même moment.<br />

Plutôt méfiant à l’égard du tourisme qui favorise<br />

la spéculation immobilière, il cherche alors à définir<br />

<strong>de</strong> nouvelles voies <strong>de</strong> développement pour la Corse.<br />

Ses connaissances <strong>de</strong> géographe lui permettent d’envisager<br />

d’autres pistes plus productives. La viticulture<br />

qu’il contribuera largement à valoriser par <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> terrain, et visant pour les micro-régions corses<br />

à obtenir <strong>de</strong>s appellations contrôlées, est un <strong>de</strong> ses<br />

domaines privilégiés d’intervention. Mais on pourrait<br />

également citer l’élevage ovin, l’arboriculture, le<br />

maraîchage, la castaneïculture, pour lesquels il établit<br />

souvent à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autorités préfectorales ou <strong>de</strong><br />

la Somivac <strong>de</strong>s rapports soli<strong>de</strong>s et détaillés. Il prône<br />

une rénovation <strong>de</strong>s activités agricoles sans rupture avec<br />

les traditions passées et il est ainsi souvent conduit à<br />

célébrer les valeurs simples <strong>de</strong> la ruralité corse :<br />

Ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s champs où nous avons trouvé nos<br />

plus précieux collaborateurs, souvent à leur insu…<br />

ces gens simples aux besoins limités, parfaitement<br />

heureux <strong>de</strong> leur sort, la plupart du reste amis<br />

d’enfance dont la franche estime ne s’est jamais<br />

démentie.<br />

Il s’engage, sans radicalité ostentatoire, dans<br />

la défense <strong>de</strong> l’environnement et, une nouvelle fois,<br />

son expertise fera <strong>de</strong> lui l’interlocuteur privilégié<br />

<strong>de</strong>s organismes décentralisés, alors nouvellement<br />

créés afin <strong>de</strong> promouvoir désormais la protection<br />

7


stra<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s écosystèmes corses. On le retrouve ainsi, à la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> du prési<strong>de</strong>nt du conseil général, François<br />

Giacobbi, auprès <strong>de</strong> M me Marcelle Conrad lors <strong>de</strong><br />

la mise en place <strong>de</strong>s instances scientifiques du Parc<br />

naturel régional <strong>de</strong> la Corse, organisme dont il fut un<br />

<strong>de</strong>s meilleurs connaisseurs. Il participera également<br />

aux côtés <strong>de</strong> la biologiste Denise Viale au mouvement<br />

<strong>de</strong> protestation contre les Boues rouges déversées au<br />

large du Cap Corse par la société italienne Montedison.<br />

Conscient d’une nécessaire inflexion <strong>de</strong> la<br />

géographie vers les questions sociales, environnementales<br />

et économiques, Pierre Simi, déjà âgé, ne remet<br />

toutefois pas en cause son armature méthodologique<br />

« classique » et il n’intégrera jamais les nouveaux<br />

concepts <strong>de</strong> la géographie qui arrivent en force dans<br />

les années 1970. Éloigné désormais <strong>de</strong>s débats universitaires,<br />

il observera même avec une réelle méfiance<br />

l’éviction <strong>de</strong> la nature du champ <strong>de</strong> réflexion géographique,<br />

anticipant ainsi à sa façon la menace d’une<br />

dérive scientiste d’une science sociale cherchant à<br />

édicter <strong>de</strong> façon dogmatique <strong>de</strong>s lois géographiques.<br />

Il est vrai que le géographe bastiais, nourri <strong>de</strong>s<br />

principes <strong>de</strong> la géographie classique française qu’il<br />

a, avec constance, appliqués sur le terrain corse, a<br />

par son expertise et sa notabilité locale trouvé un<br />

modus vivendi pour insérer la géographie dans le<br />

débat civique et apporter avec succès son message<br />

scientifique dans une Corse en plein bouleversement !<br />

Pour honorer une nouvelle fois sa mémoire et<br />

son rôle <strong>de</strong> géographe, nous proposerons tout d’abord<br />

quatre témoignages <strong>de</strong> l’estime dont jouit encore<br />

aujourd’hui Pierre Simi.<br />

Francis Beretti évoque ainsi l’émotion qu’a<br />

suscitée en 1999 sa disparition et il retrace la vie<br />

du scientifique qu’il a longtemps accompagné au<br />

sein <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong>s sciences historiques et naturelles<br />

<strong>de</strong> la Corse. Puis M me Denise Viale rappelle à<br />

son tour la collaboration qui les a souvent conduits<br />

à travailler ensemble lors <strong>de</strong> nombreuses missions<br />

sur le terrain, dans le maquis corse, avec ce moment<br />

unique où Pierre Simi sera conduit au cœur du sauvage<br />

Filosorma à évoquer son passé <strong>de</strong> prisonnier <strong>de</strong> guerre<br />

en Allemagne en 1940. On méditera sur ce bel exemple<br />

<strong>de</strong> courage et d’abnégation !<br />

L’ancien directeur du Parc naturel régional <strong>de</strong><br />

Corse, l’ingénieur Michel Leenhardt évoque ensuite<br />

le moment où Pierre Simi s’investit auprès <strong>de</strong> l’Association<br />

<strong>de</strong>s amis du Parc régional dans la défense <strong>de</strong><br />

l’environnement et où il prend sa place au sein <strong>de</strong>s<br />

instances scientifiques judicieusement mobilisées pour<br />

comprendre et maîtriser les changements majeurs que<br />

connaît la Corse au seuil <strong>de</strong>s années 1960 et 1970.<br />

Le météorologue Jean-Paul Giorgetti rappelle<br />

ensuite le rôle pionnier <strong>de</strong> Pierre Simi dans la connaissance<br />

du climat insulaire et, tout en nous précisant où<br />

en est aujourd’hui la connaissance scientifique dans le<br />

domaine du climat et <strong>de</strong> la météorologie, il plai<strong>de</strong> pour<br />

une meilleure prise en compte <strong>de</strong>s facteurs climatiques<br />

dans les politiques d’aménagement du territoire.<br />

Dans une secon<strong>de</strong> partie, trois géographes sont<br />

conduits à replacer les travaux <strong>de</strong> Pierre Simi dans<br />

l’évolution générale <strong>de</strong> la science géographique. Benoît<br />

Bunnik, tout d’abord, définit la pratique scientifique <strong>de</strong><br />

Simi en quête <strong>de</strong> neutralité scientifique à l’intersection<br />

entre son cadrage conceptuel vidalien et possibiliste<br />

et le principe toujours plus affirmé d’une géographie<br />

appliquée et active telle que la définit Michel<br />

Phlipponneau dans les années 1960. En ayant recours<br />

à une plus longue durée historique, Joseph Martinetti<br />

tente également <strong>de</strong> positionner Pierre Simi dans la<br />

longue histoire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions géographiques <strong>de</strong> la<br />

Corse, en se référant à cette quête d’un esprit <strong>de</strong>s lieux<br />

qui caractérise ses écrits et les rend, aujourd’hui encore<br />

et malgré leur exhaustivité, indispensables pour ceux<br />

qui cherchent à démêler la subtilité <strong>de</strong>s liens qui se<br />

tissent entre les hommes et les territoires. Enfin, pour<br />

clore ce chapitre épistémologique, Laurent Chalard<br />

rappelle le rôle social et politique que la géographie joue<br />

à nouveau dans la cité, rompant ainsi avec son excessive<br />

pu<strong>de</strong>ur vis-à-vis <strong>de</strong>s débats politiques contemporains et<br />

faisant ainsi du géographe une <strong>de</strong>s figures marquantes<br />

<strong>de</strong> l’intellectuel en ce début <strong>de</strong> xxi e siècle.<br />

Pierre Simi ayant été aussi et avant tout un<br />

enseignant, comme l’a souligné Francis Beretti dans<br />

sa biographie, il aurait été probablement très intéressé<br />

par la passionnante intervention du professeur<br />

suisse Bernard Huber sur l’histoire <strong>de</strong> l’enseignement<br />

<strong>de</strong> la géographie au moyen <strong>de</strong> la carte, <strong>de</strong> la fin du<br />

xvii e siècle au début du xix e siècle. Bernard Huber<br />

dresse ainsi un inventaire détaillé <strong>de</strong> tous les outils<br />

cartographiques qui sont alors utilisés pour enseigner<br />

la géographie. Son propos témoigne judicieusement<br />

<strong>de</strong> l’importance ancienne du jeu dans les pratiques<br />

pédagogiques. Loin d’être une nouveauté comme se<br />

plaisent à croire les experts « pédagogistes » contemporains,<br />

le jeu a au contraire toujours été associé avec<br />

subtilité et nuance aux enseignements académiques.<br />

Quelques extraits d’écrits géographiques s’imposent<br />

alors dans notre publication pour montrer la<br />

réelle filiation épistémologique entre Raoul Blanchard<br />

et Pierre Simi. Nous reproduisons quelques morceaux<br />

8


Avant-propos<br />

choisis <strong>de</strong> l’article fondateur que constitue « Les<br />

genres <strong>de</strong> vie en Corse et leur évolution », accompagné<br />

du premier article rédigé en 1957 par Simi sur<br />

la région du Nebbio, seule application vérifiable du<br />

modèle <strong>de</strong> sillon défini par Raoul Blanchard dans la<br />

Corse <strong>de</strong> la dépression centrale, entre massifs schisteux<br />

et massifs cristallins.<br />

Enfin pour clore ce numéro consacré à la géographie,<br />

<strong>de</strong>ux longs articles en constituent les Varia.<br />

Le premier est <strong>de</strong> Pierre Clau<strong>de</strong> Giansily qui<br />

s’est engagé à nous exposer l’itinéraire artistique<br />

<strong>de</strong> l’architecte ajaccien Barthélémy Maglioli (1856-<br />

1909), en poursuivant ainsi un précé<strong>de</strong>nt travail sur<br />

son père Jérôme Maglioli (1812-1885) et publié dans<br />

le numéro 25 <strong>de</strong> Stra<strong>de</strong>. Barthélémy Maglioli fut en<br />

effet un acteur majeur <strong>de</strong>s transformations urbanistiques<br />

et architecturales d’Ajaccio sous le Second<br />

Empire et la III e République, se singularisant par une<br />

approche très technique <strong>de</strong> sa mission professionnelle.<br />

Nous achèverons enfin ce numéro en renouant<br />

avec l’ethnologie, si chère au fondateur <strong>de</strong> la revue<br />

Stra<strong>de</strong>, Georges Ravis-Giordani. Françoise Clier-<br />

Colombani s’interroge ainsi sur la pratique <strong>de</strong> la<br />

Granitula en Corse septentrionale. Elle est conduite à<br />

évoquer les formes diverses <strong>de</strong> cette procession célébrant,<br />

en général, la mort du Christ le soir du Vendredi<br />

Saint, mais qui peut aussi permettre <strong>de</strong> célébrer la<br />

Nativité <strong>de</strong> la Vierge Marie, comme c’est le cas à<br />

Casamaccioli, au cœur du Niolu. C’est cependant<br />

celle <strong>de</strong> Brandu dans le Cap Corse qui est l’objet <strong>de</strong> sa<br />

réflexion scientifique et lui permet <strong>de</strong> se questionner<br />

sur son origine et la puissance <strong>de</strong> sa symbolique<br />

qu’elle insère dans une réflexion sur le temps long<br />

<strong>de</strong>s pratiques ethnographiques et sociales.<br />

Nous vous en souhaitons maintenant une excellente<br />

lecture !<br />

9


Pierre Simi, le géographe et ses outils.<br />

© Françoise Marchetti-Aurélia Boisson (fille et petite-fille <strong>de</strong> Pierre Simi).


LES HOMMAGES À PIERRE SIMI,<br />

LE PROFESSEUR, LE CHERCHEUR,<br />

LE CITOYEN…


Les hommages à Pierre Simi<br />

Pierre Simi<br />

(1911-1999)<br />

Francis Beretti<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Société<br />

<strong>de</strong>s sciences historiques<br />

et naturelles <strong>de</strong> la Corse<br />

Professeur <strong>de</strong>s universités<br />

Pierre Simi, le géographe <strong>de</strong> la Corse, est<br />

décédé le 14 novembre 1999. L’émotion suscitée<br />

par cette disparition a déjà été exprimée<br />

comme il se doit dans un numéro <strong>de</strong> notre Bulletin<br />

qui contient d’ailleurs son <strong>de</strong>rnier article. Nous<br />

nous proposons ici <strong>de</strong> reprendre et d’amplifier cet<br />

in memoriam en apportant quelques précisions sur<br />

la carrière et les activités d’une personnalité qui a<br />

profondément marqué la vie <strong>de</strong> la société qu’il a<br />

longtemps présidée.<br />

Pierre Simi est né le 23 mai 1911 à Port-Saint-<br />

Louis-du-Rhône, dans les Bouches-du-Rhône. Il fait<br />

ses étu<strong>de</strong>s primaires, la première et la philosophie à<br />

Bastia. Il obtient le baccalauréat en 1931. Il poursuit<br />

ses étu<strong>de</strong>s à Aix-en-Provence, où il obtient la licence<br />

d’histoire et <strong>de</strong> géographie. Il est maître d’internat<br />

dans cette ville en 1936. Son premier poste <strong>de</strong> professeur<br />

est à Lyon, où il rési<strong>de</strong> un an, <strong>de</strong> 1937 à 1938.<br />

Il est alors nommé à Montpellier. Le 11 août 1939,<br />

Pierre Simi est mobilisé. En mai 1940, il est prisonnier<br />

à Cologne dans un camp <strong>de</strong> travailleurs. Il s’en éva<strong>de</strong><br />

en décembre 1941, retourne en Corse pour se cacher,<br />

et donc ne rejoint pas son poste. En janvier 1942, il<br />

est nommé au lycée <strong>de</strong> Bastia, où il accepte d’abord<br />

<strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> français et <strong>de</strong> latin, et où il<br />

accomplira en fait toute sa carrière, jusqu’en 1971. La<br />

valeur professionnelle <strong>de</strong> cet enseignant remarquable<br />

est officiellement reconnue par le ministre <strong>de</strong> l’Éducation<br />

nationale qui le fait comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s Palmes<br />

académiques le 11 juillet 1985. Si cette expression<br />

n’avait pas été galvaudée à <strong>de</strong>s fins politiques, c’est<br />

« la force tranquille » qui viendrait à l’esprit pour<br />

résumer l’impression générale qui se dégageait <strong>de</strong><br />

Pierre Simi. Tous les lycéens qui l’ont connu ont subi<br />

son autorité naturelle et apprécié son enseignement<br />

substantiel, sérieux dans le fond, mais toujours éclairé<br />

par un sourire bienveillant, un regard malicieux, et<br />

ponctué parfois par une plaisanterie ou un calembour<br />

amenés à propos.<br />

Stra<strong>de</strong> n° <strong>26</strong> – Été 2022, p. 13-15<br />

13


stra<strong>de</strong><br />

Voici <strong>de</strong> quelle brillante manière l’un <strong>de</strong> ses<br />

anciens élèves (Angelo Rinaldi), qui a fait du chemin<br />

<strong>de</strong>puis, croque cet enseignant sur le vif :<br />

On avait en classe <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> un prof d’histoires<br />

extraordinaires. Il racontait les événements du passé<br />

au temps présent <strong>de</strong> manière telle que l’on semblait<br />

découvrir ce qui était déjà connu, à <strong>de</strong>s ignares<br />

que nous étions. Autre particularité <strong>de</strong> Monsieur<br />

Pierre Simi : au premier grelotement <strong>de</strong> la sonnerie,<br />

il s’interrompait net, pinçant les lèvres et du doigt,<br />

traçait dans l’air un signe <strong>de</strong> ponctuation, comme le<br />

fit Goethe avant <strong>de</strong> mourir. Ainsi nous abandonnat-il<br />

un jour en plein coup d’État du 18 Brumaire,<br />

à l’instant où Lucien Bonaparte sortait <strong>de</strong> la salle<br />

où son frère était chahuté. La République seraitelle<br />

sauvée ? Nous l’espérâmes à moitié jusqu’à la<br />

semaine suivante. M me Badinter nous aura beaucoup<br />

fait penser à cet enseignant qui s’y entendait à<br />

ménager le suspense, à donner au vieux l’éclat du<br />

neuf.<br />

Un homme qui aime passionnément son métier<br />

force le respect, et Pierre Simi était <strong>de</strong> ceux-là. S’il<br />

s’était contenté d’enseigner, cela aurait suffi à remplir<br />

dignement sa vie. Mais son énergie le poussait vers<br />

d’autres curiosités intellectuelles, vers d’autres activités.<br />

Pierre Simi a tenu à approfondir constamment<br />

son champ <strong>de</strong> recherches favori, la géographie.<br />

Comme l’écrit Joseph Palmieri dans son éloge nécrologique<br />

rédigé pour le Bulletin <strong>de</strong> la société historique<br />

et naturelle <strong>de</strong> la Corse :<br />

Simi fut aussi à l’aise dans la géographie physique,<br />

et notamment la climatologie, que dans la géographie<br />

humaine, y compris historique, les intégrant dans <strong>de</strong><br />

puissantes synthèses <strong>de</strong> géographie régionale, qui<br />

dominent son œuvre, mais qui n’ont jamais sacrifié<br />

à un quelconque déterminisme doctrinal.<br />

Il fut en effet l’auteur <strong>de</strong> nombreux articles,<br />

ouvrages ou documents, portant sur la géologie,<br />

l’archéologie, la climatologie, l’économie <strong>de</strong>s microrégions<br />

et la démographie. Dans son article intitulé le<br />

Climat <strong>de</strong> la Corse (1963), Pierre Simi associe intimement<br />

climatologie analytique et climatologie dynamique<br />

et il aboutit à une synthèse renouvelant complètement ce<br />

que l’on savait jusque-là sur la question. Avec sa belle<br />

thèse <strong>de</strong> doctorat intitulée l’Adaptation humaine dans<br />

la dépression centrale <strong>de</strong> la Corse (1966), il construit<br />

un modèle <strong>de</strong> géographie régionale centré sur la notion,<br />

indispensable en Corse, <strong>de</strong> « pays ».<br />

Au confluent <strong>de</strong> ses préoccupations pédagogiques<br />

et du résultat <strong>de</strong> ses recherches, sa Carte<br />

murale <strong>de</strong> la Corse physique et économique (1969)<br />

est la première et la seule du genre. Ajoutons, dans<br />

ce domaine, son très utile Atlas scolaire <strong>de</strong> la Corse<br />

publié par le CRDP <strong>de</strong> Corse en 1992. Simi est aussi<br />

l’auteur d’un commentaire <strong>de</strong> photographies aériennes<br />

grand format, <strong>de</strong> la documentation pédagogique Lapie.<br />

Mais incontestablement, la gran<strong>de</strong> affaire <strong>de</strong> son<br />

engagement public fut la Société <strong>de</strong>s sciences historiques<br />

et naturelles <strong>de</strong> la Corse, à laquelle il consacra<br />

quarante-quatre ans <strong>de</strong> labeur.<br />

En effet, Pierre Simi adhère à la Société dès<br />

le 15 février 1948. Il ne quittera la prési<strong>de</strong>nce qu’en<br />

novembre 1992. Dès novembre 1952, son nom apparaît<br />

comme auteur d’une contribution <strong>de</strong>stinée au Bulletin<br />

<strong>de</strong> la SSHNC. Dans la séance du comité <strong>de</strong> direction du<br />

2 décembre 1955, Simi est « désigné comme archiviste<br />

adjoint avec mission particulière <strong>de</strong> conserver la collection<br />

du Bulletin <strong>de</strong> la SSHNC et d’en assurer la vente ».<br />

En avril 1956, sur sa proposition, le comité <strong>de</strong> direction<br />

déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> créer, au sein <strong>de</strong> la société, un certain nombre<br />

<strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> recherches scientifiques : archéologie<br />

terrestre et sous-marine, linguistique, section d’Ajaccio-<br />

Sartène, plus tard ethnographie. En 1959, la section<br />

géographie appliquée, sous sa responsabilité, prépare<br />

une étu<strong>de</strong> sur le Niolo sur le thème <strong>de</strong> « la rénovation<br />

<strong>de</strong> la montagne française ».<br />

Au début <strong>de</strong>s années 1960, l’intervention <strong>de</strong><br />

Pierre Simi joua un rôle déterminant au cours d’une<br />

grave crise qui ébranlait la Société. En effet, <strong>de</strong>puis<br />

janvier 1954, le Bulletin <strong>de</strong> la SSHNC avait disparu,<br />

laissant la place à la revue Étu<strong>de</strong>s corses, publiée en<br />

collaboration avec les Archives départementales.<br />

Pendant six ans, cette collaboration s’avéra fructueuse<br />

et progressa sans heurts. Vingt-huit numéros<br />

parurent. Mais voilà qu’en 1961, le directeur <strong>de</strong>s<br />

archives déci<strong>de</strong> unilatéralement la fin <strong>de</strong> la publication<br />

d’Étu<strong>de</strong>s corses et la reprise <strong>de</strong> la revue intitulée Corse<br />

historique. Le coup est ru<strong>de</strong>, mais le comité directeur<br />

réagit vigoureusement. Le <strong>26</strong> janvier 1961, l’assemblée<br />

générale déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> rééditer l’ancien Bulletin.<br />

Le jeudi 2 février 1961, le comité <strong>de</strong> direction<br />

élit à l’unanimité Pierre Simi prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />

Société. Quelques années plus tard, il pourra écrire à<br />

Paul Arrighi avec une légitime fierté : « J’ai avec la<br />

totale collaboration <strong>de</strong> mes amis, réussi à relancer et<br />

à réimposer le vieux Bulletin. »<br />

Simi n’aurait pas pu s’installer dans une routine<br />

sé<strong>de</strong>ntaire. Il participa à <strong>de</strong> nombreuses excursions <strong>de</strong><br />

naturalistes, d’archéologues, <strong>de</strong> géographes. Il suscita<br />

et assura le suivi <strong>de</strong> centaines d’étu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> recherches<br />

avec divers organismes, publics ou privés.<br />

14


Pierre Simi<br />

Citons le Génie rural <strong>de</strong> Bastia en 1962, pour<br />

l’aménagement <strong>de</strong>s secteurs ruraux, le Parc naturel<br />

régional <strong>de</strong> la Corse, avec lequel un protocole fut<br />

signé en 1975, l’EDF <strong>de</strong> Marseille, sur le barrage <strong>de</strong><br />

Sampolo en 1982, la Somivac en 1974 et 1977, pour<br />

la châtaigne et le maquis, la commission <strong>de</strong> délimitation<br />

<strong>de</strong>s aires d’appellation d’origine contrôlée <strong>de</strong> la<br />

Corse entre 1967 et 1986, en ce qui concerne le vin. Le<br />

contrat le plus important <strong>de</strong> la Société, sous son impulsion,<br />

fut conclu avec la DGRST <strong>de</strong> 1982 à 1992. Il a,<br />

en effet, permis une décennie <strong>de</strong> travaux spécialisés sur<br />

le terrain, tels que « le maquis et la faune », « l’implantation<br />

<strong>de</strong>s postes pluvio-thermiques », « l’utilisation à<br />

<strong>de</strong>s fins pastorales <strong>de</strong>s anciennes terres <strong>de</strong> culture »,<br />

« l’étu<strong>de</strong> et la revalorisation <strong>de</strong> l’incomparable biotope<br />

<strong>de</strong> la vallée du Fango (Filosorma), etc. ».<br />

Écologiste avant la lettre, Simi ne reste pas<br />

insensible aux menaces qui pèsent sur l’environnement<br />

insulaire. En 1961, « il jette un véritable cri d’alarme<br />

en <strong>de</strong>mandant à la Société <strong>de</strong> protester énergiquement<br />

contre le pillage systématique <strong>de</strong> nos côtes, et <strong>de</strong><br />

prendre, pour y mettre un terme toutes les mesures<br />

qu’il appartiendra ».<br />

En 1970, Simi déplore <strong>de</strong> n’avoir pu<br />

« préserver la sauvage beauté <strong>de</strong> l’île <strong>de</strong> Cavallo,<br />

en voie d’aménagement touristique ». Il participe<br />

aux mouvements <strong>de</strong> protestation contre les « boues<br />

rouges », éclaire le public face aux risques qu’entraîne<br />

la présence <strong>de</strong> l’amiante à Canari, milite en faveur<br />

<strong>de</strong> la protection <strong>de</strong>s cétacés, favorise la publication<br />

d’une plaquette <strong>de</strong> Denise Viale, intitulée En Corse,<br />

qui protège la nature ?<br />

En octobre 1970, confronté à d’autres remous qui<br />

secouent la Société, le prési<strong>de</strong>nt maintient fermement<br />

le cap. En effet, cette année-là, quelques personnalités<br />

préconisent l’adhésion <strong>de</strong> la Société à un projet <strong>de</strong><br />

fédération d’histoire et d’archéologie. Simi fait alors<br />

une déclaration <strong>de</strong> principe éloquente et significative :<br />

Dépositaire d’un héritage <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> valeur<br />

intellectuelle, et responsable <strong>de</strong> l’orientation<br />

<strong>de</strong> la Société, le prési<strong>de</strong>nt se doit <strong>de</strong> conserver,<br />

d’accroître et <strong>de</strong> transmettre intact un capital. Il est<br />

pour l’heure symbolisé par 450 à 480 abonnés, une<br />

soixantaine <strong>de</strong> membres, une excellente gestion<br />

financière, un Bulletin <strong>de</strong> haute tenue scientifique,<br />

une large audience auprès <strong>de</strong>s milieux scientifiques<br />

(21 sociétés correspondantes, dont 10 étrangères qui<br />

échangent pour la plupart leurs publications avec les<br />

nôtres). En plein accord avec le Bureau et le comité<br />

directeur, le prési<strong>de</strong>nt a défendu l’indépendance et<br />

le renom <strong>de</strong> la Société toujours dans le respect <strong>de</strong> ses<br />

statuts (…) Trop <strong>de</strong> hâte risque <strong>de</strong> noyer la Société<br />

dans un flot <strong>de</strong> 15 à 20 associations au <strong>de</strong>meurant<br />

parfaitement valables.<br />

Dans une brève note <strong>de</strong> service datée <strong>de</strong><br />

novembre 1992, où Pierre Simi expliquait pourquoi<br />

il ne <strong>de</strong>mandait pas le renouvellement <strong>de</strong> son<br />

mandat <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt, il écrivait à l’un <strong>de</strong> ses proches<br />

collaborateurs :<br />

Plus <strong>de</strong> quarante ans au service d’une noble cause…<br />

ça suffit !<br />

On reconnaît là quelques traits caractéristiques<br />

<strong>de</strong> cet homme : concision du propos, pointe d’humour<br />

et profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s convictions.<br />

Ce dévouement constant, inflexible et efficace à<br />

la bonne marche et au rayonnement <strong>de</strong> la Société, dont<br />

nous avons évoqué quelques aspects, méritait bien les<br />

mélanges qui vont suivre, et nous reprendrons pour<br />

conclure le mot d’Ambroise Ambrosi qui commentait<br />

ainsi l’élection du chanoine Letteron à la prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />

la Société <strong>de</strong>s sciences naturelles et historiques <strong>de</strong> la<br />

Corse, en l’appliquant à Pierre Simi, qui fut, lui aussi,<br />

à sa façon un grand prési<strong>de</strong>nt :<br />

Il a été à la peine, il est juste qu’il soit à l’honneur.<br />

15

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