Sur les traces Le Play - Voyage dans le Harz 2022

En 1829, le jeune ingénieur des mines Frédéric Le Play marche de Paris vers le Harz en Allemagne pour étudier le système d’exploitation minière locale. Ses observations, notamment sur la condition sociale des mineurs, ont marqué le début d’une démarche qui allait faire de lui l'un des plus importants chercheurs et réformateurs sociaux du 19e siècle. Près de deux cents ans plus tard, deux spécialistes des sciences sociales suivent ses traces. Sous le nom de "Clemson & Clemson", ils se glissent dans le rôle du jovial Américain Thomas Green Clemson, qui accompagnait Le Play à l'époque. Ils visitent d'anciennes villes minières, se rendent dans des mines et suivent les traces des transports de bois et de charbon dans les forêts du parc national du Harz. Épaulés par les experts les plus renommés de l'histoire minière et de parc national ils découvrent des aspects surprenants d'une "Silicon Valley" précoce, dont les effets sur la technologie, la société et la nature se font encore sentir aujourd'hui, bien au-delà du Harz. Ils trouvent des traces de leur propre histoire familiale, de Steinway et de Goethe. Mais trouvent-ils aussi Le Play ? Une Gaya Scienza personnelle et décalée, richement illustrée et avec une postface d'Antoine Savoye, spécialiste de Le Play. En 1829, le jeune ingénieur des mines Frédéric Le Play marche de Paris vers le Harz en Allemagne pour étudier le système d’exploitation minière locale. Ses observations, notamment sur la condition sociale des mineurs, ont marqué le début d’une démarche qui allait faire de lui l'un des plus importants chercheurs et réformateurs sociaux du 19e siècle.
Près de deux cents ans plus tard, deux spécialistes des sciences sociales suivent ses traces. Sous le nom de
"Clemson & Clemson", ils se glissent dans le rôle du jovial Américain Thomas Green Clemson, qui accompagnait Le Play à l'époque. Ils visitent d'anciennes villes minières, se rendent dans des mines et suivent les traces des transports de bois et de charbon dans les forêts du parc national du Harz.
Épaulés par les experts les plus renommés de l'histoire minière et de parc national ils découvrent des aspects surprenants d'une "Silicon Valley" précoce, dont les effets sur la technologie, la société et la nature se font encore sentir aujourd'hui, bien au-delà du Harz. Ils trouvent des traces de leur propre histoire familiale, de Steinway et de Goethe. Mais trouvent-ils aussi Le Play ?
Une Gaya Scienza personnelle et décalée, richement illustrée et avec une postface d'Antoine Savoye, spécialiste de Le Play.

09.03.2023 Views

Sur les traces de Le Play en Allemagne du Nord :après le Haut-Hartz, cap sur leLunebourg !Antoine SavoyeAu début était le HartzDans l’histoire de la science sociale de Le Play, son enquête dans leHartz occupe une place quasi-mythique. C’est Le Play lui-même quilui a conféré ce statut dans les éléments autobiographiques qu’il alivrés au fil de son œuvre (1). Il insiste tout d’abord sur le fait qu’ils’agit de sa première enquête de science sociale entreprise alorsqu’il est élève à l’Ecole des mines. Profitant du voyage d’étudequ’impose la scolarité, Le Play et son camarade, Jean Reynaud,élève-ingénieur en deuxième année, élaborent un vasteprogramme d’étude validé par le conseil de l’Ecole. Ce programmedoit les amener jusque dans le Hartz où est prévue une enquête deterrain de 45 jours. Bien évidemment, ce sont les mines et lesexploitations métallurgiques de la France de l’est, d’Allemagne duNord et aussi de Belgique que vise ce voyage d’instruction. Mais LePlay et Reynaud, rejoints par un gai luron, l’Américain Clemson,ont aussi l’intention, en « off », d’observer les organisationssociales et les relations entre patrons et ouvriers des régionsqu’ils traversent. Parmi tous les districts visités lors de ce voyagefondateur de 1829, c’est manifestement le Hartz où existe depuisdes temps immémoriaux une intense industrie minière etmétallurgique présentant une organisation spécifique, lacorporation des mineurs, qui frappe le plus Le Play. Au point qu’iléprouve le besoin d’y retourner une quinzaine d’années plus tard,en compagnie cette fois d’Albert de Saint-Léger, muni d’uninstrument d’observation nouveau de son invention : lamonographie de famille ouvrière. En 1829, il ne possédait pas cetinstrument mis progressivement au point une dizaine d’annéesplus tard. En 1845, il est donc en mesure d’objectiverméthodiquement les faits qu’il observe et de compléter l’approchequ’il avait eue jeune élève-ingénieur. Il est en effet devenu unobservateur aguerri, désormais professeur de métallurgie àl’Ecole des mines, auteur de nombreux voyages d’études : enEspagne, dans les pays nordiques (Suède et Norvège), en Russie àdeux reprises, en Europe occidentale (Grande-Bretagne etoccidentale (Grande-Bretagne et Belgique) et, bien sûr, en France,au cours desquels il couple de plus en plus systématiquementétude des districts miniers et métallurgiques et étude dessociétés.74

La seconde raison qui donne à ´enquête dans le Hartz un statutparticulier au sein du corpus leplaysien, tient à la publicité que lui adonnée Le Play. Celui-ci, en effet, dans l’effervescence despremières semaines de la révolution de 1848, est appelé àcontribuer aux débats sur l’organisation du travail qui se tiennentdevant la Commission du travail, installée au Palais du Luxembourg,ancien siège de la Chambre des pairs, présidée par Louis Blanc,membre du Gouvernement provisoire. Lors de la séance publiqueoù il intervient, le 20 mars 1848, Le Play choisit de donner pourexemple d’une organisation du travail quasi-étatisée les mines duHartz. Cette intervention attestée dans les journaux qui rendentcompte de cette séance aurait pu être, ultérieurement, oubliée etdiscrètement passée sous silence par son auteur d’autant que LePlay n’est pas satisfait de l’usage qu’en fit Louis Blanc. Ce n’estpourtant pas le cas. Le Play revient sur sa prestation de 1848 àdiverses reprises comme s’il voulait lever toute ambiguïté à sonsujet. Il la constitue comme point de départ du chantier desOuvriers européens qui va l’occuper durant sept ans, de 1848 à1855. Et, sur le tard, comme on va le voir, il entreprend de lacorriger ou, du moins, d’en donner une version conforme à ce qu’ilprétend avoir voulu exprimer en 1848 et, surtout, compatible avecson ultime version de sa science sociale.Quand Clemson & Clemson en sontpour leurs fraisPour qui se passionne pour l’élaboration de la science socialeleplaysienne, le statut de l’enquête du Hartz, auto-promue par LePlay, était un motif suffisant pour la revisiter en commençant parse rendre sur place dans l’espoir d’en trouver les traces. Qu’avaitdonc vu, au point de s’en faire le chantre, Le Play à Goslar, àClausthal et autres lieux, dans les fameuses « montagnesmétallifères » ? Et par quels moyens et avec quelle assistancelocale ? C’est ce qu’ont voulu comprendre nos deux amis, Clemson Iet Clemson II. Ils ont quitté leurs douillettes niches urbaines pouraffronter l’austère Hartz en pleine mutation industrielle, offrant lespectacle de ses forêts séculaires ravagées par la maladie et leréchauffement climatique. Leur séjour-éclair a été riched’observations et de sensations fixées sur la pellicule etagrémentées d’un récit. Mais ils ont été aussi déçus ou, à tout lemoins, rendus dubitatifs par l’absence de traces de Le Play. A ladifférence de l’Oural, en particulier Ekaterinebourg et Nijni-Taguil,celui-ci n’a laissé aucun souvenir dans le Hartz dont lesautochtones préfèrent célébrer les visites de Goethe ou deHumboldt. Comme le capitaine Haddock et Tintin partis à larecherche du « trésor de Rackham-le-Rouge » dans les profondeursde l’Océan, Clemson & Clemson sont revenus bredouilles au pointde se demander si Le Play n’aurait pas monté un canular : inventerun mineur du Hartz pour mieux valider ses hypothèses sociales.Dans laconclusion qui ébranlerait notre foi dans la science socialeet sa véracité, préférons un scénario à la Hergé : le trésor queClemson & Clemson ont cherché en vain serait, Clemson ont 75

La seconde raison qui donne à ´enquête dans le Hartz un statut

particulier au sein du corpus leplaysien, tient à la publicité que lui a

donnée Le Play. Celui-ci, en effet, dans l’effervescence des

premières semaines de la révolution de 1848, est appelé à

contribuer aux débats sur l’organisation du travail qui se tiennent

devant la Commission du travail, installée au Palais du Luxembourg,

ancien siège de la Chambre des pairs, présidée par Louis Blanc,

membre du Gouvernement provisoire. Lors de la séance publique

où il intervient, le 20 mars 1848, Le Play choisit de donner pour

exemple d’une organisation du travail quasi-étatisée les mines du

Hartz. Cette intervention attestée dans les journaux qui rendent

compte de cette séance aurait pu être, ultérieurement, oubliée et

discrètement passée sous silence par son auteur d’autant que Le

Play n’est pas satisfait de l’usage qu’en fit Louis Blanc. Ce n’est

pourtant pas le cas. Le Play revient sur sa prestation de 1848 à

diverses reprises comme s’il voulait lever toute ambiguïté à son

sujet. Il la constitue comme point de départ du chantier des

Ouvriers européens qui va l’occuper durant sept ans, de 1848 à

1855. Et, sur le tard, comme on va le voir, il entreprend de la

corriger ou, du moins, d’en donner une version conforme à ce qu’il

prétend avoir voulu exprimer en 1848 et, surtout, compatible avec

son ultime version de sa science sociale.

Quand Clemson & Clemson en sont

pour leurs frais

Pour qui se passionne pour l’élaboration de la science sociale

leplaysienne, le statut de l’enquête du Hartz, auto-promue par Le

Play, était un motif suffisant pour la revisiter en commençant par

se rendre sur place dans l’espoir d’en trouver les traces. Qu’avait

donc vu, au point de s’en faire le chantre, Le Play à Goslar, à

Clausthal et autres lieux, dans les fameuses « montagnes

métallifères » ? Et par quels moyens et avec quelle assistance

locale ? C’est ce qu’ont voulu comprendre nos deux amis, Clemson I

et Clemson II. Ils ont quitté leurs douillettes niches urbaines pour

affronter l’austère Hartz en pleine mutation industrielle, offrant le

spectacle de ses forêts séculaires ravagées par la maladie et le

réchauffement climatique. Leur séjour-éclair a été riche

d’observations et de sensations fixées sur la pellicule et

agrémentées d’un récit. Mais ils ont été aussi déçus ou, à tout le

moins, rendus dubitatifs par l’absence de traces de Le Play. A la

différence de l’Oural, en particulier Ekaterinebourg et Nijni-Taguil,

celui-ci n’a laissé aucun souvenir dans le Hartz dont les

autochtones préfèrent célébrer les visites de Goethe ou de

Humboldt. Comme le capitaine Haddock et Tintin partis à la

recherche du « trésor de Rackham-le-Rouge » dans les profondeurs

de l’Océan, Clemson & Clemson sont revenus bredouilles au point

de se demander si Le Play n’aurait pas monté un canular : inventer

un mineur du Hartz pour mieux valider ses hypothèses sociales.

Dans laconclusion qui ébranlerait notre foi dans la science sociale

et sa véracité, préférons un scénario à la Hergé : le trésor que

Clemson & Clemson ont cherché en vain serait, Clemson ont

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