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René Dalemans - Nicolas de Potter
Louis de Potter
Révolutionnaire belge en 1830
Postface de
Francis Balace
Couleur livres
René Dalemans - Nicolas de Potter
Louis de Potter
Révolutionnaire belge en 1830
C’était au temps où la Belgique n’existait pas encore. Et rien ne semblait,
hormis les qualités intellectuelles et la vive curiosité pour les spéculations
politico-sociales, prédisposer Louis de Potter, ce fils de famille né dans un milieu
aristocratique, à jouer un rôle-clé dans la naissance du futur Etat belge.
Mais par ses lettres, pamphlets et pétitions amplement diffusés par la presse,
il enflamme les esprits. Il est jugé, emprisonné et banni pour l’embrasement
populaire qu’il cause.
Tribun audacieux, porte-drapeau du peuple, il sera en 1830 acclamé
par la foule des nouveaux Belges. Porté sur les épaules jusqu’à l’Hôtel de ville
de Bruxelles, il prononcera le vibrant discours de l’indépendance de la Belgique.
Catalyseur d’une forme de “Comité révolutionnaire”, il deviendra doyen
du Gouvernement provisoire, au titre de “président du Comité central”,
puis doyen du Congrès national.
Pourtant, il quittera le pouvoir…
Chose rare à notre époque de convictions flottantes pour tout, sauf pour la conquête
de la fortune. Il a ordonné sa vie d’après les notions qu’il s’était faites du vrai, du
juste et du bien. Jamais le penseur ne fût inférieur à l’homme public.
(Emile de Laveleye, 1822-1892)
Un homme libre, qui a su et voulu rester libre, n’être guidé que par sa sincérité
indéniable, ce qui explique qu’en Belgique il sera toujours, en dépit d’une énorme
mais très éphémère popularité, à contre-courant de “l’air du temps”. Ce fut sans
doute, là, son honneur...
(Extrait de la postface de Francis Balace)
Prix de vente public : 17 e
ISBN 978-2-87003-580-1
René Dalemans - Nicolas de Potter Louis de Potter Révolutionnaire belge en 1830
René Dalemans - Nicolas de Potter
Louis de Potter
Révolutionnaire belge en 1830
Postface de
Francis Balace
9 782870 035801 www.couleurlivres.be
Couleur livres
Nicolas de Potter
René Dalemans
Louis de Potter
Révolutionnaire belge de 1830
Postface de Francis Balace
Couleur livres
Editions [Couleur livres] asbl
4, rue Lebeau – 6000 Charleroi
ISBN : 978-2-87003-580-1
Tous droits de reproduction, d'adaptation ou de traduction par quelque procédé que ce soit,
réservés pour tous pays sans l'autorisation de l'éditeur ou de ses ayants-droit.
© 2011, Couleur livres asbl, Bruxelles.
D/2011/0029/25
www.couleurlivres.be
Remerciements
Pour leur précieuse contribution, nous remercions le professeur honoraire
de l’Université de Liège, Francis Balace ; le professeur de la Vrije Universiteit
Brussel, Els Witte ; le généalogiste, Jan Caluwaerts ; l’historienne d’art du
Musée Royal d’Amsterdam, Marijcke Schillings ; le conservateur d’archives
à Bruges, Maurice Vandermaesen ; l’archiviste, Johan Vanderghinste ;
Chris Vande Walle de la ville de Dixmude ; le journaliste, Cleveland
Moffett, ex-The Bulletin ; Suzanne Gauder, secrétaire de rédaction ; Marcel
Meynaert, archiviste ; Jean-Yves Reysset de la fondation Stendhal ; le photographe,
Oswald Pauwels ; l’auteur, Joanna Scott, fille de Yvonne de Potter
et descendante de Louis de Potter, nominée aux prix Pulizer, Gugenheim,
L.A. Times et titulaire de la chaire de littérature de l’Université de Rochester
(New York) ; le conservateur du château de Lophem ; la B onne Véronique
van Caloen ; Claude et Gaëtane de Potter ; Amaury t’Kint de Roodenbeke ;
Carine et ses enfants et l’éditeur Pierre Bertrand et toute l’équipe de Couleur
livres, “trait d’union” entre toutes ces forces vives.
“L’Union fait la Force !”
Louis de Potter, 1829-1831 .
Cité tel quel par le professeur Paul Harsin, Université de Liége, dans le manuel scolaire Pages de
gloire : un siècle sous nos rois, Ed. Desclée, 1930, avec préface par S.M. le Roi Albert I er adressée au
président de l’enseignement catholique de Belgique, M. Paul Hanquet.
u
Pour rendre compte de l’emploi de mon temps et de mes facultés, dans l’intérêt du
pays, je dis avec fierté : Mes premières pensées furent consacrées à nos garanties
démocratiques. Je suis journaliste ; oui, je tiens à l’honneur d’être journaliste depuis
des années, et jamais on ne parviendra à flétrir ceux qui écrivent en conscience et
avec courage, et défendent nos libertés, à leurs risques et périls, les journalistes.
Louis de Potter, 1830.
Buste de Louis de Potter par Jean-Joseph Jaquet (1822-1898), situé dans la salle de
lecture du Sénat de Belgique. Rédacteur au Courrier des Pays-Bas et écrivain en
sociologie et en philosophie, Louis de Potter signait d’un “nom de plume” : “Le
Potter” ou “Démophile” (du grec “qui aime le peuple”), ou “de potter” suivi du sigle
grec “Oméga”(du grec “tout est dit”). © Jos Tontlinger.
u
Introduction
Voici l’histoire haute en couleur d’un journaliste rebelle, devenu chef
spirituel de la Révolution belge de 1830. Cette histoire raconte ses origines,
motivations, convictions démocratiques et sacrifices personnels au profit
d’une grande cause commune : “La Belgique” !
Son bannissement, son emprisonnement, sa libération par le peuple et son
triomphe éphémère au sommet du “Comité révolutionnaire” qui donna
naissance au premier Etat de Belgique, arraché à l’Europe.
Ensuite sa démission, son travail de doyen d’assemblée, ses souvenirs
personnels, fidèlement relatés en annexe par de nombreux éditeurs et par
de nombreux historiens et auteurs, d’aujourd’hui et d’alors .
Dans les coulisses, cette biographie relate l’aventure médiatique et familiale
du publiciste belge. Il sacrifia sa liberté et ses biens personnels aux
Belges de 1820 à 1830, ainsi que sa carrière, en cédant le passage à ses
pairs qui installèrent le Congrès national sans lui.
Au cœur de l’Europe naissante, il suscita la transition d’un régime monarchique
censitaire à un régime monarchique plus égalitaire, par une
ouverture de l’opinion publique vers l’élection au suffrage universel. Dès
son jeune âge en 1800 et malgré l’influence de Napoléon sur ses idées,
les “lettres de Louis de Potter”, étaient fort appréciées par ses lecteurs en
Belgique et ensuite en France, Italie, Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis.
Tels Babeuf de 1789, Brest-VanKempen, Coché-Mommens, Couleur Livres, de Nève, Han,
Labroue, Méline-Cans, Wodon, Ponthieu, Roscoe Ltd., Schnée, Tarlier, Van Linthout – Vanden Zande,
Weissenbruch, et bien d’autres encore.
Tels Francis Balace, Maurice Bologne, Emile de Laveleye, René Dalemans, Jan Dhont, Vincent
Dujardin, Paul Harsin, Lucien Jottrand, Théodore Juste, Henri Pirenne, Els Witte et bien autres cités
dans l’ouvrage.
Tels MM. Coppin de Grinchamps, van der Linden d’Hooghvorst, de Mérode, Nothomb, Surlet de
Choquier…
u
Malgré son esprit révolutionnaire, il reçut des marques de respect de
nombreuses personnalités belges et étrangères , tant son argumentaire de
citoyen frondeur démocrate reposait sur une solide assise culturelle.
Son style visionnaire inspirait d’ailleurs une modernité par son autodérision
et ses “pétitions” publiques. Il pratiquait une forme d’ironie, à son
propre sujet et au sujet des pauvres “sujets du roi des Pays-Bas” et autres
détracteurs d’un peuple devenant de plus en plus “Belge”.
Bienvenue au cœur de la révolte orchestrée par l’union des forces vives de
la Belgique et de l’Europe qui se libère de ses anciens empires. Découvrez
l’indignation et la révolte pour une bonne nouvelle et “libre Belgique”. Les
libérateurs du rebelle de Potter, révolutionnaire dans ce petit fief défendu ardemment
par les héros de 1830, de la première jusqu’à la “dernière heure” !
René Dalemans, Nicolas de Potter
***
La Belgique n’existait pas encore et l’antique ancrage culturel de grandes
familles – telles les “Potter” – écartelées sur les frontières des Flandres et
Picardies belges et françaises, était profond mais tourmenté. En ces contrées
géopolitiques incertaines, bousculées par les guerres, l’art littéraire était le
moyen de communication par excellence.
Le dramaturge liégeois Simon de Harlez connut la branche aînée des
Potter à Renaix. L’ardent “poète de la mer” Eugène Van Oye venait au
château des Potter à Tourhout. L’auteur Guido Gezelle venait au château
familial Potter-Caloen à Lophem. Les brasseurs et auteurs Rodenbach, de
Roulers, venaient au château familial des Potter à Ooigem.
Tels S.M. Léopold I er , le philosophe Français Félicité de Lamennais, le journaliste français Stendhal,
l’auteure française George Sand, l’auteur Suisse Jean-Baptiste de Colins de Ham, l’auteur francosuisse
Benjamin de Constant de Rebecque, l’industriel de Roulers Pedro Rodenbach, l’auteur brugeois
Paul Devaux, etc.
Histoire généalogique Harlez de Deulin, Geneanet, notes de Madame Rendaxhe : “Itinéraires
littéraires au XVII e siècle”.
Inventaire du Patrimoine de Flandre, le château du Ravenhof à Tourhout, XVII e siècle,
fam. de Potter et de Cuupere.
Histoire du château de Lophem par la Baronne Véronique van Caloen et son équipe de
la Fondation Jean van Caloen, 1990-1995.
u
Il semblait donc logique, aux parents de Louis de Potter, à la veille de
l’emprise de Napoléon, de lui faire rejoindre des personnalités culturelles
européennes. Des séjours à l’étranger permirent à Louis de croiser la
route de bien des personnalités de l’époque. Par exemple d’Italiens comme
l’arrière petit-neveu du célèbre Michel-Ange, Philippe Buonarroti, de
Suisses comme Benjamin Constant de Rebecque et Jean-Baptiste de Colins
de Ham, de Français comme Félicité de Lamennais, George Sand et Henri
Beyle dit Stendhal, et bien d’autres grands.
Tiraillé par un passé familial tourmenté mais féru d’histoire dès son plus
jeune âge, Louis désirait ardemment promouvoir un “unionisme” conciliateur.
Ce concept pacifique s’opposait aux guerres frontalières que connut
sa famille. La paix entre peuples voisins ne semblait provenir ni des empereurs,
ni des monarques, ducs ou prélats, qu’ils soient catholiques ou
protestants, mais plutôt de certains prophètes étrangers issus des grandes
révoltes et guerres de 1789, 1790 et 1815.
Hélas, de tous ces savoirs littéraires et châteaux, nous verrons que, après
la Révolution belge, il ne resta pas grand-chose d’autre à Louis qu’une
maison rue de l’Epingle à Bruxelles. Bien sûr, il avait sa réputation de
“tribun” et, heureusement, la belle Belgique tant désirée ! Les frustrations
familiales suite aux exils semblent avoir forgé le caractère bien trempé des
de Potter.
Recherchant un affranchissement ou une affection populaire remotivante,
il est probable que Louis et sa famille désiraient réduire l’héritage pesant
d’une trop ancienne noblesse (cf. histoire familiale en annexe). Ils voulaient
moderniser les pratiques politiques et religieuses asservies, sans briser
toutes les traditions et valeurs risquant de verser dans l’esprit radical.
Louis aimait famille, pays et descendance mais se sentit, tout jeune, investi
d’une sorte de mission démocratique et unitariste. Elle le gagna progressivement
durant ses années d’exil en bas âge en Allemagne et en France ou durant
son éducation de quinze années en Italie. Nul n’est prophète en son pays,
dit l’adage, mais Louis le devint un peu, en tant qu’exilé, répudié dans cet
esprit des anciennes “républiques aristocratiques” vénitienne et florentine.
Sous l’avènement des Robespierre, Buonarroti et autre Danton, Louis l’aristocrate
rebelle fortuné, érudit et idéaliste, désira aller beaucoup plus loin que
ses ancêtres. A la lumière du contexte familial, on comprend pourquoi il mit
tout dans la bagarre, renonça aux emplois, désargenta sa descendance.
u
Il proposa la force intellectuelle comme seul bagage utile au mode de vie
qui soufflait à l’époque, loin de son ancienne vie paysanne. Il tenta de
convaincre sa famille d’abandonner la couronne et de rejoindre la qualité
de vie française, la modernité italienne, la coopérative d’opinions allemande,
le mode partisan britannique, et les frais émoulus “pétitionnaires”
de la nouvelle métropole européenne : Bruxelles !
Rentré de ses voyages de jeunesse, Louis de Potter précipita le changement
de la carte géographique orchestré par les grandes Puissances, alors que la
majeure partie des protestataires plient ou fuient.
Tous ? Non ! Nous verrons que ce jeune journaliste “gallo-romain” résiste et
attire l’attention grâce à des textes vibrants. Il demandera l’union de tous, la
liberté pour chacun, l’égalité à tout instant. Il appellera à des élections non
censitaires et poussera tout un peuple au soulèvement et à cet appel pour
la naissance d’une “nation belge”. Suite à l’emprisonnement de son héros
et à sa libération, puis son exil en France et enfin son retour triomphal “sur
les épaules” des futurs braves Belges.
Des cercles de fronde et résistance naissent à Lille, Bruxelles, Liège... Leur
flamme est animée par de grands correspondants tels Buonarroti, Colins,
Stendhal, de Lamennais. Un nombre croissant de lecteurs se passionne
pour le publiciste en herbe, jeune mais déjà connu à l’étranger.
Hélas pour la rue, le pouvoir balaya trop tôt les promesses sociales du
début. Les révoltés sentirent leur bienheureux “Comité révolutionnaire”
se fondre en un rigoureux “Congrès censitaire” avec la bénédiction des
nations. Les partisans du promoteur d’un paysage autochtone et fraternel
“belgo-belge ”, se résignaient à abandonner la liberté du suffrage égalitaire
qu’ils avaient brièvement remporté.
Un sentiment patriotique démocratique fort était né des trois appels dans
la foule de 1830 : liberté (moins de joug étranger, catholique et censitaire),
égalité (moins de clivages entre les classes et électeurs égaux entre eux),
fraternité (entente entre les provinces belges réunies, moins d’invasions,
entente entre provinces belges).
Les nombreux écrits du “publiciste banni” de l’histoire passaient discrètement
sous les portes des prisons et chaumières. Il était devenu l’homme le
plus populaire de Belgique en 1830. C’est grâce à son procès, son bannissement
et son retour triomphant depuis Lille, sur les épaules de son peuple
enthousiaste, qu’un “Etat tampon belge ” était né autour de Bruxelles.
u
La nouvelle Belgique sépara les voisins français, hollandais, allemands...
tandis que l’Angleterre couronnait le tout par la nomination de notre bon
roi “germano-anglo-belge”. Ensuite, l’avènement d’élections “censitaires”,
plutôt que le suffrage universel tant espéré, eût lieu.
L’idéalisme de certains des premiers Belges, basé sur le choix des hommes
pour leur mérite, fut délaissé. Le “clan Potter” et plusieurs fiers révolutionnaires,
ne s’étant fait aucune illusion, furent écartés du pouvoir et restèrent
sur le pavé. La campagne des partisans radicaux étant épuisée, les paysans,
ouvriers et patrons révoltés retournaient dans leurs terroirs ; les fiefs libres
de Renaix à Courtrai, en ce qui concerne notre Louis.
On trouvera plus amples informations dans cette Histoire de la famille de
Potter en annexe mais, pour l’instant, retenons les liens dont il a probablement
tiré parti en vue de devenir le chef révolutionnaire qu’il est devenu :
- Son oncle est procureur au Conseil de Flandre et chef de district autrichien.
- La petite-fille du chancelier de l’empereur d’Autriche recueille chez elle son
fils naturel Victor.
- Un membre de l’état-major de Napoléon est le beau-père de son fils naturel
Victor.
- Son fief de Droogenwalle vient du prince de Mérode, famille dont est issu son
collègue Félix.
- Ses voisins : le général van der Meersch et Rodenbach, brasseur décoré par
Napoléon.
- Le général Henri Brialmont, aide-de-camp du roi Léopold I er épousa sa fille
Justa.
- Scipion Ricci, conseiller du duc de Habsbourg est son hôte et accueillait aussi
Napoléon.
- Buonarroti, arrière petit-fils du frère de Michel-Ange aide à la révolution belge
lors de son installation à Bruxelles en 1830. Plus de 50 éditeurs auront
rejoint son mouvement “d’écrivain-militant” publiciste : Babeuf de 1789,
Brest-VanKempen, Coché-Mommens, de Greef-Laduron, Han, Labroue,
Méline-Cans, le chevalier X. de Nève, Wodon, Parmentier, Ponthieu,
Roscoe Ltd., Rossellini, Schnée, Tarlier, VanLinthout-VandenZande, Vieusseux,
le comte H. Vilain XIIII, Weissenbruch... Il sera en contact avec de nombreuses
personnalités telles Colins de Ham, Stendhal, le général Lafayette (grâce à son
fils naturel, féru des USA), de Lamennais, George Sand, O’Connel…
u
u 10
La vie de Louis de Potter
L’Ancien Régime
En ce début de l’an de grâce 1786, S.M. Joseph II, empereur allemand, roi
des Romains, a du abandonner son projet d’échanger nos régions, bien
éloignées du cœur de l’Empire, contre la Bavière.
Partie remise, car dans moins de dix ans les Pays-Bas autrichiens n’existeront
plus ! Il est vrai que ses sujets des anciens pays de par deçà n’apprécient
guère “le roi sacristain” qui le leur rend bien : Quant au peuple
brabançon, ce ne sont que têtes francisées et dont le fond est la bière, dit-il.
Pourtant, ce despote éclairé, suivant la terminologie consacrée, ne manque
pas d’idées lumineuses bien que parfois excessives : fixer la date des kermesses
le même jour de l’année n’a pas de quoi plaire au bon peuple dont
c’est l’une des rares distractions.
Ouvrir les cimetières extra-muros devrait par contre améliorer l’hygiène
des cités, loin d’être exemplaire. Démanteler les vieilles fortifications
obsolètes face aux progrès de “l’art” de la guerre, permettra aux villes de
respirer et de s’étendre.
Plus sérieusement, nourri de la philosophie des Lumières, Joseph II, éloigné
de l’ultramontanisme par des pédagogues jésuites plutôt maladroits est
avide de réformes dont sa mère Marie-Thérèse avait donné le signal.
Après quinze ans d’une tutelle maternelle pesante, l’empereur, couronné
en 1765, décide la fermeture de nombreux couvents d’ordres contemplatifs
: riches-claires, brigitines, carmes, capucins... doivent plier bagage. Les
jésuites eux-mêmes ne sont plus en odeur de sainteté chez ce gallican à la
sauce autrichienne, ce qui en fait un “joséphiste”.
En 1771, il a soutenu le pape Clément XVI dans la promulgation de la bulle
Dominus ac Redemptoris supprimant la Compagnie, ce qui a fait passer
l’enseignement sous la tutelle de l’Etat.
11 u
Le jeune journaliste et politicien, Louis de Potter, dessiné par Quittelier. Extrait du
livre de l’Histoire de Belgique de Poplimont (1957).
La franc-maçonnerie elle-même n’échappe pas non plus au souci de réglementer
du souverain – qui n’en est pas – malgré le désir des “frères
maçons” de se l’approprier.
L’archiduchesse Marie-Christine, sœur de l’empereur d’Autriche – les
Habsbourg se répartissent les tâches en famille – et son beau-frère Albert
de Saxe-Teschen, gouverneurs généraux, sans pouvoir réel face aux ministres
plénipotentiaires venus d’Autriche, voient monter la contestation
dans les Pays-Bas.
Les révolutions liégeoises et parisiennes viennent d’éclater quand Joseph II
rejoint, en février 1790, ses ancêtres dans la crypte viennoise des capucins.
u 12
Son frère, Léopold II, aura à peine le temps de prêter serment à la Joyeuse
Entrée avant de descendre à son tour au tombeau en 1792.
François II qui le remplace, après un bref retour dû à la victoire du général
feld-maréchal Frédéric-Josas de Cobourg (un nom que nous retrouverons)
à Neerwinden en 1793, verra déferler les Sans-culottes sur nos régions qui
deviennent partie intégrante de la République française, une et indivisible,
grâce à Jourdan et Pichegru, vainqueurs à Fleurus en 1794.
Indifférente en apparence à l’agitation politique et religieuse, mais fidèle
au prescrit biblique “Allez, croissez et multipliez”, Marie Catherine
Maroucx d’Opbrakel (1752-1833), épouse de Pierre-Clément de Potter de
Drogenwalle (1759-1823) donne naissance le 26 avril 1786 à Lophem à son
fils Louis-Antoine, le héros de notre histoire.
Fidèle à sa vocation, en un temps où la mortalité infantile est effrayante,
elle offrira encore une fille Marie-Christine, (1793-1864) à son mari. Comme
nous l’avons vu plus haut, aucune descendance mâle, sauf celle hors mariage,
n’assura la descendance de Louis de Potter.
Un double exil
Fin octobre 1789, lors de la révolution dite brabançonne, le général van der
Meersch, “le Washington belge” (!) refoule les Autrichiens vers le Luxembourg
et, considérés comme joséphistes convaincus, les de Potter se réfugient
à Lille voisine où la Révolution est encore bonne fille.
Après un an de rêveries et d’affrontement entre “statistes” et “vonckistes”
pour qui les “Etats-Belgique Unis” n’ont pas le même visage, l’ordre autrichien
est rétabli et la famille peut pour un temps retrouver le calme de
Lophem.
Pour échapper à la vindicte populaire, elle se met sous la protection du
feld-maréchal baron de Bender, général en chef des armées impériales.
L’abbé Lucas, un émigré français, enseigne à l’époque la lecture au jeune
Louis âgé de six ans.
Mais en 1794, le retour définitif des armées de la République pousse de
nombreux aristocrates à chercher le salut dans la fuite. La majorité choisit
l’exil dans les principautés rhénanes, entre autres à Trêves, Coblence et
Worms où l’armée des émigrés à son quartier général.
13 u
Peut-être la famille de Potter trouva-t-elle assistance auprès de cousins
installés en terre germanique, on songe à l’oncle maternel de Louis, Louis
Joseph Maroucx d’Opbrackel (1748-1800), intendant du kreis (district) de
Gand, avocat, procureur général au Grand Conseil de Flandre, (Consiliarius
ac procurator generalis in consilio Flandriae) membre du Conseil
d’Etat sous le régime autrichien. Lui aussi était exilé, mais à Vienne, et sa
fortune était apparemment considérable puisqu’il fut couché sur la liste des
souscripteurs de l’emprunt forcé de 600 millions de livres imposé par le
“libérateur” français à nos régions !
On peut aussi imaginer le gamin assistant au défilé des troupes, soldées par
la Grande-Bretagne, commandées depuis 1792 par Frédéric-Josas de Saxe-
Cobourg-Saalfeld (1737-1815) qui n’est autre que le grand-oncle admiré
pour ses vertus guerrières d’un certain Léopold dont l’accession au trône
de Belgique sera combattue par notre héros converti à l’idéal républicain
des jeunes parisiens.
Associée à celui du Premier ministre de Grande-Bretagne, l’expression “Pitt
et Cobourg” deviendra le symbole de la coalition de l’Europe contre la
Révolution.
Que de rencontres possibles pour le jeune garçon car les comtes de Provence
(le futur Louis XVIII), d’Artois (le futur Charles X), Polignac, Bouillé,
Châteaubriand cultivent leurs rancœurs et leurs querelles d’un autre temps
au bord du fleuve germanique !
Au niveau scolaire, Louis profita peut-être durant ce temps d’incertitude,
et sans doute avec modération, des leçons de précepteurs privés germaniques
car on reparlera de son approche toute teutonne d’auto-didacte.
Retour à Lophem
Un calme relatif ramené par le Directoire, Pierre-Clément se réinstalle à
Lophem et, entre 1796 et 1805, agrandit son domaine, ne dédaignant pas,
bien que bon catholique, de racheter ce qui était probablement des biens
ecclésiastiques nationalisés par la République.
Un couple de professeurs à la retraite du couvent anglais de Bruges,
les Messemaeckers, sont les premiers mentors de l’adolescent et viennent
adoucir ses moeurs. Puis, ce sera le pensionnat du sieur Simoneau,
où il perfectionnera son français qu’il connaissait mal en raison de son
u 14
séjour germanique. N’oublions pas qu’à l’époque l’enseignement arraché
aux mains des ordres religieux et l’école laïque n’étant pas organisée, il ne
restait que des institutions privées.
Ce sera ensuite l’excellente institution Baudewyns (Bauduin) à Bruxelles
où le grec et le latin lui seront bientôt familiers mais dont il sortira avec des
connaissances plus que rudimentaires en mathématiques
Il adoptera dès lors la devise assez ambiguë : Habeo non habeor, traduite
assez laborieusement par “je possède et je ne suis pas possédé”.
Grâce aux relations familiales, il pourra également fréquenter la bibliothèque
du comte d’Arconati qui comptait 80.000 volumes ! Au total, il
connaîtra, dit Jottrand, plusieurs langues vivantes. Il avait toutefois négligé
beaucoup sa langue maternelle… Quoiqu’il la parlât familièrement dans le
dialecte de Bruges, il la lisait difficilement et ne l’écrivait pas du tout.
Dans les dernières années de sa vie, il disait souvent, en faisant allusion
aux excès de la domination wallonne dont il était humilié comme la plupart
de ses compatriotes flamands : Si cela continue, je me remettrai à mon
brugeois et je n’écrirai plus que dans cette langue. Pour tempérer ce propos,
rappelons que Lucien Jottrand, franc-maçon et rédacteur du “Courrier
des Pays-Bas” auquel collaborera Louis, est l’un des initiateurs du mouvement
flamand sous le règne de Léopold I er .
C’est probablement lors de ses études bruxelloises qu’il se lie d’amitié avec
Pierre Van Gobbelschroy dont, comme nous le verrons, le chemin politique
divergera du sien, mais avec qui il restera malgré tout lié.
En 1807-1808, une sombre histoire sur laquelle sera jeté un voile pudique
bouleversa l’existence de la famille : un fils naturel, fruit peu goûté par
l’entourage d’une idylle entre Louis, il a 21 ans, et une jeune fille dont
l’identité nous est inconnue, va naître.
Le linge se lavant en famille, Victor-Armand fut installé au château de
Charles de Ghellinck d’Elseghem, époux de la tante Reine de Potter, qui
sauvèrent la mise durant le séjour de Louis en Italie.
Le grand-père de Louis, Louis Maroucx d’Opbraekel, colonel dans l’armée
autrichienne avait à l’égal de l’oncle Louis conservé des liens au sommet
de l’Empire des Habsbourg et l’ombre protectrice des Metternich se profile
en arrière-plan de la destinée de cette “erreur” de jeunesse.
15 u
Entre-temps, le républicain Bonaparte est devenu, depuis 1804, l’empereur
Napoléon I er et nous comprenons à présent que le séjour de Louis en Italie
qui sera salutaire, à double titre, pour le salut de l’âme du fils embarrassant
qu’est devenu Louis tout en l’éloignant des champs de bataille et des idées
républicaines qui paraissent déjà l’habiter.
En 1810, il pérégrine tout d’abord en France, Alsace, Franche-Comté,
Provence, Languedoc et en 1811 part pour la péninsule afin de “parfaire
son éducation – à 25 ans il était plus que temps – et améliorer sa santé”
mais aussi pour éviter les rafles qui l’auraient intégré à la “Formation de la
Garde d’Honneur”.
Choix malheureux car il trouvera son “chemin de Damas” dans la péninsule
où il fera des rencontres et des lectures qui, de fils toujours présenté comme
pieux aux gens respectables, le mueront en anticlérical convaincu.
Louis de Potter par un “auteur inconnu”. © Archives de la Ville de Bruxelles.
u 16
L’Italie et la découverte des Lumières
Quand Louis arrive à Rome, S.S. Pie VII a dû quitter le Vatican, forcé manu
militari à l’exil par les troupes napoléoniennes et les Etats pontificaux forment,
en 1809, deux départements français, Rome et Trasimène.
En 1814, de Potter verra y revenir le Saint-Père et renaître en 1815 le Stato
Pontificio dont la police déploie un zèle répressif qui rivalise avec celui des
états réactionnaires voisins.
C’est dire que la ville éternelle est loin d’être une préfiguration du paradis,
plutôt un chaudron de sorcières où bouillonnent les idées révolutionnaires
que la France y a déversées.
L’initiative la plus importante de Pie VII immédiatement après son retour
sera le rétablissement de la Compagnie de Jésus (constitution Solicitudo
omnium ecclesiarum de 1814) qui permettra aux jésuites de connaître un
véritable essor et à de Potter d’écrire quelques-unes de ses pages les plus
sulfureuses aux yeux des biens pensants.
S’il loge chez un maître menuisier belge, Pinchart, dont il assume la gestion
de l’entreprise jusqu’en 1816 alors que celui-ci tombe malade, il est
aussi introduit dans les cercles littéraires romains où il semble avoir mis les
bouchées doubles afin de combler certaines lacunes de sa formation car
le vocable d’historien s’attache bientôt à sa personne sous la plume de ses
correspondants.
Recommandé par le chevalier Reinhold, ministre des Pays-Bas à Rome,
avec qui il gardera de bons rapports, il a accès aux archives vaticanes ce
que regretteront ensuite les éminences qui l’accueillent.
Rome bien que déchue de sa gloire, demeure un lieu de séjour obligé pour
les jeunes artistes. Ingres et Paelinck, pour ne citer qu’eux, s’y trouvent,
rejoints en 1817 par Navez avec qui il cohabite au palazzo Malaspina, place
de Venise jusqu’en 1819.
Le peintre Joseph-Louis Odevaere (Bruges, 1775 - Bruxelles, 1830), un
“pays” installé dans la ville éternelle depuis 1805 devient son ami. Grâce
à lui, nous avons un portrait de Louis datant de 1811 où classicisme et romantisme
naissant se disputent dans la représentation d’un guitariste plutôt
inattentif à la partition. (cf. illustrations en annexe)
17 u
Prudent, Louis écrit à son futur beau-frère Joseph van Caloen : Le tableau
d’Odevaere est tout à fait terminé. Il compte l’exposer ici avant que le laisser
emballer pour le porter à Paris (...) Je m’applique toujours un peu à la
guitarra. Mais à propos de cet instrument, veuillez vous ressouvenir que je
ne désirerai pas que l’on sait ni chez moi, ni chez les Messemaeckers, que je
m’occupe de la musique. Je veux réserver à ma mère surprise complète.
Notons au passage qu’Odevaere avait été initié en franc-maçonnerie en
1803 dans la loge de “La Réunion des Amis du Nord” à Bruges.
Louis à l’époque semble se partager entre Rome et Florence où l’accueille
la noble famille du cardinal de Ricci dont les sympathies joséphistes le rapproche
du grand-duc de Toscane, Léopold, momentanément “empêché”
par les appétits napoléoniens et qui, en bon Habsbourg, a cherché refuge
à Vienne.
Louis de Potter sera sa vie durant un anti napoléonien avec toutefois une
certaine sympathie pour Louis-Napoléon, dont le passé de “Carbonari” ne
devait pas le laisser indifférent. Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 le fera
changer d’avis.
Les “mauvaises fréquentations”
Les Ricci le mettent entre autres en contact avec Giovani Pietro Vieusseux
(Oneglia, 1779 - Florence, 1863) un marchand d’origine genevoise qui
possède une riche bibliothèque (celle-ci deviendra en 1819 le “Gabinetto
Scientifico Litterario”, actuellement hébergé au Palazzo Strozzi).
Les lectures qu’il fera dans la bibliothèque de Vieusseux et de Ricci vont
le confirmer dans son orientation peu orthodoxe, car en 1816 à Bruxelles,
il publie “Considérations sur l’histoire des principaux conciles depuis les
Apôtres jusqu’au grand schisme d’Occident” (en six volumes !), résultat de
son étude de l’histoire de l’Eglise passée à la moulinette de la philosophie
des Lumières et premier d’une série d’ouvrages qui vont asseoir sa réputation
d’historien autodidacte.
Œuvre historique, le futur homme politique de Potter y est déjà présent.
Dans l’introduction, il donne le ton en citant Saint Grégoire de Nazianze,
le père et docteur de l’Eglise grecque : J’avoue, s’il faut parler sincèrement,
que je crois devoir fuir toute réunion d’évêques ; parce que je ne
connais aucun concile dont la fin a été heureuse. Ces assemblées ne font
u 18
qu’augmenter les maux, bien loin de pouvoir y porter remède. Grégoire
savait de quoi il traitait car il avait été un des moteurs du Concile de Nicée
qui condamna l’arianisme en 325 !
Premier livre publié par Louis de Potter (6 tomes).
19 u
L’ambassadeur Reinhold l’introduit auprès d’Anton Reinhard Falck (1777-
1843), Secrétaire général du nouveau Royaume des Pays-Bas avec qui il
noue des relations amicales en 1816 lors d’un séjour à Bruxelles, sans doute
à l’occasion de la publication de ses “Considérations” et le 27 octobre il
est reçu, en tenue de ville au mépris de l’étiquette, par le Roi Guillaume,
qui a lu l’ouvrage, et par le prince héritier.
Falck émet à cette occasion le souhait qu’il tournera son attention vers
les connaissances administratives et la politique, afin de trouver en lui un
collaborateur instruit des intérêts de son pays et exempt de préjugés, vœu
pieux on le verra.
De 1817 à 1819, il est à nouveau en Italie et remplace même Reinhold à
l’ambassade lors des absences de celui-ci, délivre des passeports et se voit
donner du “Secrétaire de son Excellence le ministre de Sa Majesté le roi des
Pays-Bas” par les quémandeurs. En août 1820, nous le retrouvons à Bruges
après un passage par Paris, où il rencontre Félicité de Lamennais et l’abbé
Grégoire qui lui donne peut-être l’idée de son “Ricci”.
A la chute du “tyran corse”, les choses changent sur les terres de ce qui
n’est qu’une “expression géographique”, comme l’appelle dédaigneusement
Metternich, où l’Autriche se réserve la meilleure part : elle annexe
purement et simplement le Trentin, l’Istrie, la Dalmatie, récupère la Lombardie
et conserve le territoire de l’ancienne République de Venise. Par
sécurité, elle installe des vassaux partout où elle le peut : l’ex-impératrice
Marie-Louise, fille de l’empereur François II et épouse de Napoléon, devient
duchesse de Parme, Plaisance et Guastaldo et conservant le code
Napoléon, instaure, fait suffisamment rare que pour être souligné, un régime
beaucoup plus libéral que dans la plupart des Etats italiens.
Le royaume des Deux-Siciles est pour sa part gouverné par la branche cadette
des Bourbons d’Espagne qui ne manqueront pas d’appeler l’Autriche
au secours lors des révoltes futures. Les “Potter” auront, quant à eux et bien
plus tard, une alliance avec les Bourbons de France. En réalité, ce retour
à la “légitimité” n’est qu’une façade derrière laquelle s’agitent carbonari et
autres sociétés plus ou moins secrètes partisanes de l’unité italienne qui
rêvent de bouter i barbari hors de la péninsule. Encore faut-il définir quel
pourrait être le régime politique qui sortira de la révolution qui s’annonce :
fédération d’états (avec le pape comme président !), république, royaume,
les jeux sont ouverts. Il appartiendra au royaume de Piémont Sardaigne de
réaliser le rêve en 1870. Mais ceci est une autre histoire.
u 20
C’est en cette année 1821 que Louis regagne la Toscane où il trouve une
nouvelle fois l’hospitalité auprès de la famille Ricci, conseillers écoutés
du souverain régnant à nouveau à Florence, le grand-duc Ferdinand III
de Habsbourg-Lorraine. Celui-ci, par la grâce des Puissances et l’appui
de l’Autriche soucieuse de placer ses pions, a retrouvé, en 1814, le trône
confisqué par Napoléon en 1800. Pas rancunier, Ferdinand accueille dans
leur exil des membres de la famille Bonaparte, comme le fait d’ailleurs
le Saint-Père à Rome. Ferdinand décèdera en 1824 et son fils Léopold II,
devenu grand duc, subira les premières secousses annonciatrices de l’unité
italienne, avant d’abdiquer en 1859.
L’esprit des lieux est donc celui d’un despotisme paternaliste héritier du
joséphisme, climat de relative liberté intellectuelle dans laquelle de Potter
évolue et qui lui permet de s’atteler à un complément aux “Considérations”
de 1816 : “L’esprit de l’église ou considérations sur l’histoire des conciles et
des papes depuis Charlemagne jusqu’à nos jours”.
La douceur des paysages toscans semble avoir, une nouvelle fois inspiré
des élans romantiques autant que sensuels à notre historien de l’Eglise car
une nouvelle présence féminine entre dans sa vie. Il s’agit cette fois d’une
artiste peintre, Matilde Meoni (1779-1858), épouse d’un sieur Malenchini
dont la discrétion sera louable et dont elle divorcera. Un talent artistique
fort honorable que celui de Matilde, membre de l’Académie de Saint-Luc
à Rome, qui est une élève de l’école de Vincenzo Camuccini (1771-1844).
C’est de cette époque que date un portrait qu’elle a réalisé de son ami
doctement installé dans la bibliothèque où sont rassemblées les collections
de Scipion de Ricci (1741-1810).
Nous reviendrons sur la vie de cet évêque de Pistoia et Prato, dont la vie
inspirera à Louis un ouvrage qui l’aidera à préciser sa pensée philosophique
et politique.
Pour ce qui est de Matilde, le rôle essentiel de la jeune femme est, pour
notre propos, de l’avoir mis en contact avec des intellectuels libéraux – ce
qui à l’époque signifie de gauche : “Carbonari” italiens, “Charbonniers”
français, francs-maçons dont le moindre n’est pas Filippo, devenu Philippe
lors de sa naturalisation française, Buonarroti (Pise, 1761 – Paris, 1867),
l’arrière petit-neveu du grand Michel-Ange.
21 u
Gravure de Louis de Potter publiée en France, transmise par Madame Céline de
Potter. “Biographie des hommes du jour”, Ed. Dellicourt, 1827.
Entre 1820 et 1823, Louis pérégrine d’Italie en Suisse et en France et il
a sans doute l’occasion de rencontrer Buonarroti à Genève où celui-ci a
obtenu en 1806, après des années de prison, l’autorisation de résider grâce
à Fouché qui protège les anciens babouvistes.
Expulsé de la cité lémanique, Buonarroti s’installera à Bruxelles en 1824. Il y
retrouvera Louis lors de réunions de carbonaristes. Insatiable dans sa recherche
d’un nouvel ordre social, de Potter fréquente toujours, en 1821 à Paris,
le salon du docteur Edwards, membre de l’Académie Royale de Médecine.
C’est l’occasion de rencontrer Henri Beyle, mieux connu sous son nom de
plume germanique de Stendhal qui vient d’être expulsé de Milan, Stendhal
qu’il introduira auprès de Vieusseux lors du séjour florentin de l’écrivain.
u 22
Il faut concéder au futur auteur de “Le Rouge et le Noir” une jolie manière
pour tourner sa demande : M. de Potter, je vais passer un mois à Florence
et serais heureux d’être recommandé par vous à quatre ou cinq hommes
supérieurs. Je vais abuser de vos bontés, et vous prier, si toutefois cela ne
vous gêne en rien, de m’adresser à Florence, trois ou quatre feuilles d’introductions.
Je reviens à Paris en janvier et serai heureux d’y cultiver votre
connaissance. Si vous avez quelque livre à rapporter, disposez de moi et
excusez cette indiscrétion. Agréez, Monsieur de Potter, l’hommage de ma
haute considération.
Retour au pays qui s’agite
En août 1823, Louis quitte l’Italie en compagnie de Matilde pour revenir
à Lophem car son père est gravement malade (il décèdera le 28 janvier
1824).
Or, depuis 1811, le vent de l’histoire a soufflé en tempête sur le pays, le
régime napoléonien a été balayé et un nouvel Etat est né par la volonté des
grandes Puissances qui, sous le couvert de la Sainte-Alliance, jouent leur
partition propre. L’Autriche ne désire nullement récupérer les territoires
perdus en 1794 et préfère, comme nous l’avons vu, trouver des compensations
en Italie. La Prusse, le royaume qui monte, y voit une étape dans
l’attente de futures acquisitions sur la rive gauche du Rhin et pourquoi pas
jusqu’à Liège La Russie d’Alexandre I er apprécie de voir la France rentrer
dans ses frontières de 1789 sous le sceptre de Louis XVIII restaurateur de
la légitimité, cheval de bataille du tsar.
Le grand vainqueur est cependant la Grande-Bretagne qui, s’étant emparée
de la majorité des colonies hollandaises durant les guerres de l’Empire,
“offre généreusement” les provinces belges en compensation à Guillaume,
fils de Guillaume IV d’Orange, le dernier stadshouder des Provinces-Unies,
chassé par les révolutionnaires français.
La “perfide Albion” s’arroge ainsi un droit de regard sur l’embouchure des
fleuves et sur les ports rivaux du commerce maritime anglais. Elle s’assure
aussi une ceinture de protection contre l’esprit de revanche de la France
(Piemont-Sardaigne, neutralité suisse, Hanovre agrandi gouverné par le
souverain anglais, forteresses le long de la frontière franco-belge).
23 u
Que ce soit en Belgique ou en Hollande, personne n’est partisan de l’union
et comme le dit un contemporain : Il n’existe dans toute la Hollande qu’un
seul individu qui désire la réunion, et cet individu c’est le prince souverain.
Après les péripéties des Cent Jours, Guillaume prend, le 16 mars 1815, le
titre de “roi des Pays-Bas”, qui englobent ce qu’on qualifie de “provinces
belges”, l’ancienne principauté de Liège et le Grand-duché de Luxembourg
actuel. Usant de “l’arithmétique hollandaise”, il obtient en août la proclamation
de la Grondwet, “la plus mauvaise Constitution qu’on ait jamais
fabriquée dans aucun temps et dans aucun pays, un monstre moitié libéral,
moitié féodal”.
Selon cette arithmétique, le projet de Constitution ayant été rejeté, le roi
biffe les 126 “non” inspirés, estime-t-il, par des motifs confessionnels.
Comme la soustraction n’est pas encore suffisante (il reste 143 voix de
majorité aux opposants), Guillaume considère les 280 abstentions comme
un accord tacite et atteint péniblement 807 “oui”. Faux bilan qui laisse mal
augurer de la suite des évènements. Se considérant comme “le premier
homme d’affaires de son royaume”, le souverain, qui a étudié l’économie à
l’Université de Berlin durant ses années d’exil, se met au travail se basant
à la manière anglaise sur le machinisme et le crédit.
Le nouveau royaume ne manque pas d’atouts : le sud produit alors que le
nord du pays importe. On verra que bien des griefs vont se développer à
ce sujet.
Guillaume, qui vise logiquement à l’unification administrative de l’Etat,
recourt de préférence à des fonctionnaires hollandais plus en fonction de
leurs sentiments monarchiques qu’à cause de leur nationalité. Héritier de la
tradition joséphiste, le roi veut faire dépendre l’enseignement – retombé aux
mains du clergé, notamment jésuite, après le Concordat napoléonien – de
l’Etat. De même, le catholicisme est mis sur le même pied que les autres
religions, d’où la crainte des évêques de voir se développer un prosélytisme
calviniste diabolique. Le divorce lui aussi reçoit des bases légales.
Situation riche d’avenir, un mouvement prônant la langue flamande (mais
laquelle, vu le nombre de patois ?) se développe au sein du clergé et de la
bourgeoisie (francophone) de Flandre face au néerlandais, véhicule potentiel
de l’hérésie protestante.
u 24
On voit ainsi naître peu à peu une “Union des Oppositions”, ou plutôt une
“union des contraires”, au sein de laquelle vont se réunir avant de s’affronter
catholiques et libéraux et dont Louis sera un acteur virulent, “électron
libre” catalyseur des énergies avant de se retrouver marginalisé à cause
de ses opinions républicaines. On verra qu’il redéfinit celles-ci dans le
sens très net de la république, “chose publique” et “respect démocratique”,
plutôt que dans le sens “anti-monarchique”.
L’établissement à Bruxelles
Dès son retour en Belgique, c’est une nouvelle vie qui commence pour
Louis, installé à Bruges avec sa mère sur laquelle il veillera avec beaucoup
de tendresse. Il décide bientôt que son avenir d’écrivain philosophe et de
journaliste politique doit se jouer à Bruxelles. La vieille dame et son fils
s’y transportent donc, tout d’abord rue de l’Empereur, puis rue Longue, et
ensuite, rue Neuve. Ils résideront ensuite place Saint-Michel ; coïncidence
de l’histoire, celle-ci deviendra, après la Révolution, la “place des Martyrs”
où seront ensevelies les victimes des combats de 1830. Il s’établira plus
tard la “rue des Epingles” (parfois “de l’Epingle”). Nouvelle coïncidence de
l’histoire, celle-ci partait de la rue Notre-Dame-aux-neiges, plus ou moins à
la hauteur de la place des Barricades, jusqu’à la rue Pacheco, dans le prolongement
de la rue du Congrès, au départ de la place du Congrès.
L’une de ses premières actions qui le place dans les rangs des contestataires
est de refuser, avec l’accord de sa mère, de lever ses titres de noblesse
ce qui lui aurait conféré la noblesse héréditaire. Au baron de Westreenen
de Tiellandt, trésorier du Conseil suprême de la noblesse qui réagit sèchement
à ce refus, il écrit le 24 février 1824 : (…) Si, donc, la noblesse ne
donne point de vertus, et si elle peut s’allier avec tous les vices, si elle-même
peut devenir la récompense de tous les crimes ; si, en un mot, la noblesse,
par elle-même, n’est rien, pourra-t-on trouver étrange que je n’en veuille
point ? (…) On est toujours assez bien né quand on est né comme tout le
monde. Notre homme a choisi son camp !
En 1825, paraissent, chez Weissenbruch, “Imprimeur du roi” à Bruxelles,
les trois volumes consacrés à la vie de Scipion Ricci, évêque de Pistoia
et de Prato et réformateur du catholicisme en Toscane sous le règne de
Léopold. Les matériaux pour cet ouvrage dont les buts sont clairs ont été
réunis lors du séjour italien. Scipion de Ricci, né en 1741, formé au collège
25 u
jésuite de Rome, ordonné prêtre en 1766, évêque en 1780, se rapprocha
ensuite de l’esprit janséniste.
Soutenu par l’archiduc de Toscane, Léopold de Habsbourg-Lorraine, futur
empereur Léopold et adepte des réformes de son frère Joseph II, Ricci, au
départ de celui-ci pour Vienne, fut attaqué par l’Eglise romaine, perdit son
siège épiscopal, rentra dans la vie privée et mourut oublié en 1810.
Dans le prospectus de lancement, une citation extraite du projet de Constitution
pour la Toscane de l’archiduc est mise en évidence : Un despote
imbécile et méchant peut seul se croire au dessus de la loi.
En exergue à son ouvrage, de Potter cite un extrait des mémoires de l’évêque
: Quand une nation a servilement soumis son intelligence à l’autorité des
prêtres et des grands, elle cesse de réfléchir et perd tout désir de s’éclairer. Et il
affirme sa certitude que ce tableau ne pourra manquer son but, à une époque
où les efforts réactionnaires du parti dominant, en Europe, ne tendent
qu’à rétablir les abus de tout genre, que Léopold cherchait à déraciner.
Le reste du texte est du même tonneau : louanges à Léopold de Habsbourg
qui va à contre-courant, même du peuple égaré par les prêtres, et qui abolit
l’Inquisition en Toscane, attaque contre les jésuites et les dominicains,
approbation de la Constitution civile du clergé en France.
Il s’agit plus profondément d’un éloge du joséphisme dont la politique du
Roi Guillaume paraît s’inspirer et que Louis en un premier temps va soutenir.
N’écrit-il pas : Je remercie le sort de ce qu’il m’a destiné à vivre, sous
des institutions libérales, qui par des principes de modération et d’équité, ne
mettent aucune barrière à la pensée. Le roi lut le livre et fit savoir à l’auteur
combien il l’avait apprécié.
Devenu un adversaire résolu du régime, de Potter témoignera cependant
toujours d’une indulgence vis-à-vis du souverain : (…) Guillaume n’était
ni un tyran, ni même un despote ordinaire. C’était tout bonnement un roi
progressif, qui ne se contentait pas d’être roi de nom, roi constitutionnel,
pour manger, oisif, au râtelier de la liste civile… ll voulait sincèrement ce
qu’il croyait le bien, et ce bien il l’aurait fait, pour autant que sa position lui
permettait ; car il était aussi éclairé que peu méchant.” (extrait des “Souvenirs
personnels de Louis de Potter”).
En 1839, il en viendra même à souhaiter, dans son opposition à la politique
gouvernementale et à Léopold I er , le retour de Guillaume.
u 26
Si l’ouvrage est évidemment mis à l’index, il suscite par contre l’intérêt des
milieux libéraux. “Le Globe” de Paris écrit : J’ai à vous parler d’un ouvrage
qui dévoile tant de honteux mystères, et reproduit tant de vérités utiles, que
l’on ne doit pas s’étonner ni des frémissements de rage ni des témoignages
d’estime qui ont accueilli sa publication.
Bien qu’écrit en “style allemand”, la “Vie de Scipion” eut droit à une seconde
édition et à une contrefaçon parisienne, censurée il est vrai par la police
de Charles X. Stuttgart et Londres eurent également leur exemplaire.
Louis de Potter fut longtemps le rédacteur en chef du “Courrier des Pays-Bas”. Par la
suite, il fut un journaliste assidu dans plusieurs autres journaux tels le “National”, la
“Gazette de France”, “Le Belge” ou le “Vaderlander” (le journal patriote issu de Gand
dont il fut membre fondateur). Il était aussi journaliste ordinaire au célèbre “Réformateur
de France” dirigé à Paris par Raspail et à bien d’autres publications encore (belges
et étrangères).
27 u
Premières armes dans la presse
Derniers effets du séjour italien, ces écrits vont céder la place à d’autres
préoccupations. En effet, de Potter débute rapidement sa collaboration
avec le “Courrier des Pays-Bas”. Journal fondé en 1821, son équipe rédactionnelle
est à l’époque composée du Louvaniste Louis Jottrand, d’Alexandre
Gendebien, de Jean-Baptiste Nothomb et de Sylvain Van de Weyer. Edouard
Ducpétiaux, Philippe Lesbroussart et la majorité des ténors libéraux de la
politique belge se manifesteront dans ses colonnes. La publication compte
alors 900 abonnés, chiffre remarquable pour l’époque, et atteindra le chiffre
impressionnant de 4.500 en 1830, la qualité et la virulence des articles
de Louis de Potter seront l’origine de son succès.
Louis lance également l’idée de réunir tous les quinze jours (le second et le
quatrième jeudi du mois) des hommes de lettres et des artistes – majoritairement
opposants au régime – qui formeront la “Société des Douze”, fondée
en 1823. Dissidence de la “Société de littérature de Bruxelles”, d’abord favorable
au pouvoir puis suspectée par celui-ci, car soucieuse de la liberté
de la presse, les Douze se réunissent dans les salons de Philippe Lesbroussart
où ils marient les plaisirs de la table – ce qui n’est pas pour déplaire à Louis
amateur de bonne chair – et les exercices de l’esprit.
Parmi ses membres, nous retrouvons entre autres l’état-major du “Courrier”
ainsi que l’ami peintre Odevaere, Jean-François Tielemans, Adolphe
Quetelet, tous maçons à l’exception de Van de Weyer.
Peut-être est-ce dans ce cénacle que de Potter écrivit sa “Pétition de Saint
Napoléon pour entrer au Paradis” (1825), dont les vers de mirliton n’auraient
pas eu de quoi inquiéter la gloire naissante de Victor Hugo.
Association de fait, sans statut officiel, le but des “Douze”, soutenue par
Van Gobbelschroy est la défense de la langue française et la lutte contre
la “hollandisation culturelle”. Se complaisant dans une certaine discrétion,
vite percée à jour, les “Douze” ne manquent pas d’attirer l’attention des
services gouvernementaux qui y voient un foyer de contestation car, si
l’une des obligations des membres est de rimailler, la satyre politique prend
rapidement le pas sur le culte des Muses car elle affirme vouloir “répandre
les lumières dans toutes les classes et surtout les classes inférieures”.
Elle établit également un comité destiné à venir en aide aux Grecs en
révolte contre l’Empire ottoman. Les “Douze”, en tant que cercle, perdra de
u 28
son importance lorsque l’union entre catholiques et libéraux deviendra une
réalité dans leur opposition commune au gouvernement.
Les membres fondateurs de la “littéraire des Douze” sont A. Van de Weyer
(Baron, docteur ès lettres), Louis de Potter (propriétaire), Ph. Doncker
(avocat), L.A. Drapier (propriétaire), Ph. Lesbroussart (professeur d’athénée),
J.D. Odevaere (peintre du roi), A. Quetelet (professeur de maths,
physique, astronomie), Ed. Smits (employé au ministère de l’Intérieur),
F. Tielemans, (avocat), F. Van Meenen, M. Gruyer et un nom qui manque à
l’appel, mais il est permis de croire qu’un certain nombre de ses membres
était appelé à se renouveler et qu’un siège était “tournant”.
Intermède sentimental
En 1825, Matilde quitte Bruxelles pour l’Angleterre et la France où l’attendent
des commandes. C’en sera fini de leurs relations, mais Louis lui
versera régulièrement une pension.
Souci de se fixer, désir d’avoir une descendance légitime, toujours est-il
qu’en 1826, Louis se met en ménage avec son amie brugeoise Sophie van
Weydeveldt, fille d’un tapissier plaisamment appelée “de Champré”, du
flamand weide (pré) et veld (champ). Ne vous figurez pas, écrit-il à son ami
Tielemans, de trouver dans ma compagne un esprit subtil et cultivé. Non.
Les qualités de Sophie se bornent à ce qui me suffit pour faire les charmes de
notre union, à une sensibilité exquise et à beaucoup de bon sens. En quels
termes élégants… Et encore : Le mariage à ma façon exigeait un consentement
de tous les jours, de chaque instant, plus flatteur par conséquent pour
celle en faveur de laquelle il est donné, que celui qui n’est volontaire qu’une
seule fois, et qui enchaîne ensuite la volonté pour toujours.
Il est permis de s’interroger quant à l’opinion de Madame de Potter mère sur
le sujet. Pour cette union, il prend garde à ne pas s’allier à l’une ou l’autre famille
de beau lignage, ne s’est-il pas exclu lui-même de ce monde, préférant
choisir quelqu’un à la fidélité et aux vertus domestiques éprouvées.
Son épouse sera toujours à ses côtés dans les épreuves comme dans l’exil
et si, dans ses souvenirs, Louis fait peu mention de sa famille, préférant
l’évocation de sa carrière politique, il témoignera toujours de beaucoup de
sollicitude à son égard.
29 u
Le jeune héros emprisonné “porté au panthéon” par le poète artiste E. Montius.
© Académie royale des Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Belgique, Archives du
Baron de Stassart, c. n° 1531.
Le combat politique européen s’impose
L’une des personnalités qui a certainement exercé une grande influence
sur l’évolution de la pensée politique de Louis de Potter est l’Italien
Philippe (Filippo) Buonarroti. Louis, on s’en souvient, l’avait déjà rencontré
en Italie et à Genève, mais l’installation de l’Italien à Bruxelles en 1824 sera
déterminante (il quittera la ville pour la capitale française après les trois
Glorieuses de 1830). Eternel conspirateur, cet avocat né à Pise en 1761,
opposant au régime du grand duc Léopold, est membre ou fondateur de
toutes les sociétés secrètes qui prolifèrent à l’époque en Europe.
u 30
Franc-maçon, affilié aux “Illuminés de Bavière”, il épouse les idées les
plus extrêmes de la révolution et accomplit diverses missions officielles en
Corse (où il se lie avec les Bonaparte), puis dans le Midi. Fondateur du club
parisien du “Panthéon” qui défend les idées du libraire français Babeuf, il
est arrêté lors de la découverte de la “Conspiration des Egaux” en 1796 et,
alors que ce dernier monte à l’échafaud, il est condamné à la déportation
commuée en détention.
La “Conspiration des Egaux” était le nom donné à la conspiration “de la
Commune” qui fut déjouée par le Directoire en 1796, partisan d’une révolution
sociale qui compléterait la révolution politique commencée en 1789.
Arrêtés le 11 mai 1796 à la veille du déclenchement de leur insurrection,
Babeuf et ses principaux associés furent condamnés à mort le 26 mai 1796
et exécutés le lendemain à Vendôme.
Il fait alors connaissance avec la Société des “Bons Cousins Charbonniers”
qui, exportée en Italie, servira de base à sa pendante, la fameuse “Carbonaria”.
A Genève, Babeuf fonde la loge maçonnique “Les Sublimes maîtres
parfaits” et, en 1812, il participe à la conspiration du général Malet. Finalement,
en 1824, expulsé définitivement de la cité du Léman, il choisit de
s’installer à Bruxelles où il renoue avec d’anciens conventionnels et joue
un rôle capital de liaison au sein de la maçonnerie et la charbonnerie.
Arrêté une dernière fois à Paris en 1833, Buonarroti mourra pauvre et aveugle.
Reconnaissons au passage que la présence de ces régicides, républicains
et autres anarchistes, avides de fraternité et d’égalité pour le peuple,
plaide en faveur de la liberté de pensée et de parole qui règne, quoi qu’on
en dise, dans le royaume des Pays-Bas si on la compare aux prouesses de
la censure dans d’autres pays.
Résumer la pensée de Buonarotti n’est pas aisé : fils des Lumières, il est
imprégné des idées de Rousseau, Locke, Condillac et son frère Mably,
Morelly, O’Connell ou Helvétius, qu’il va radicaliser. Antimonarchiste, anticlérical
et antiaristocratique, il prône une société égalitaire où la terre est
mise à la disposition de chacun au profit de tous. Il condamne le commerce,
l’industrie, la monnaie, comme corrupteurs. Jacobin, il réclame une
éducation gérée par l’Etat ouverte à tous et et prône le suffrage universel.
Ces principes développés dans son œuvre majeure, “Histoire de la conspiration
pour l’égalité, dite de Babeuf”, publiée à Bruxelles en 1828, auront
un grand retentissement. Buonarotti ouvre ainsi la voie à Marx, à Blanqui
et au-delà au communisme. Sans en adopter ces positions extrêmes, Louis
31 u
de Potter fera siens des éléments de sa pensée qui, peu à peu, l’éloigneront
de ses compagnons de lutte anti-hollandais favorables à une monarchie
parlementaire constitutionnelle.
Toujours plus anticlérical, notre historien-journaliste publie, en 1827, ses
“Lettre de Saint Pie V”, suivie d’un catéchisme catholique romain comprenant
la législation pénale de l’Eglise en matière d’hérésie. Ces lettres, écrit-il
dans la préface, expriment toutes le même désir : elles n’expriment qu’un
seul désir ; celui-ci enflammait le pape de l’extirpation de l’hérésie et de
l’extermination des hérétiques.
Le moment est venu de se souvenir des exils répétés de Louis et du bannissement
de sa famille durant sa jeunesse. Les destinataires des missives du
Saint-Père sont Philippe II, le sanguinaire duc d’Albe (qui avait persécuté
la famille de Louis, notamment son arrière-grand-oncle qui fut décapité),
Charles IX et Catherine de Médicis qui ne pouvaient qu’être d’accord avec
celui qui disait : Gardez-vous de croire que l’on puisse faire quelque chose
de plus agréable à Dieu que de persécuter ouvertement ses ennemis par un
zèle pieux pour la religion catholique (Lettre 22).
C’est également à cette époque que de Potter approfondit sa connaissance
des idées de Félicité de Lamennais. Ils s’étaient rencontrés début des
années vingt et une correspondance fournie s’était établie entre eux. Elle
durera jusqu’en 1840, leurs chemins idéologiques s’étant alors séparés.
Félicité Robert dit “de Lamennais” (1782-1854), empruntant le nom d’un
lieu-dit (“la Mennaie” en Côte d’Armor où son grand père possédait un
bien) est ordonné prêtre en 1816. Champion à ses débuts du traditionalisme,
il publie, en 1823, un “Essai sur l’indifférence en matière religieuse” où
il critique l’Université issue des réformes napoléoniennes et le gallicanisme
de la Restauration. Il proclame la nécessité pour l’Eglise de se désolidariser
des pouvoirs établis et de faire cause commune avec la liberté (“De la
religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et civil”, 1825).
En 1828, il fonde la Congrégation de Saint-Pierre, destinée à former un
clergé en phase avec son temps et à rétablir l’autorité du pape en France. Il
publie en même temps “Les progrès de la Révolution et de la guerre contre
l’Eglise” qui marque un virage à gauche.
Cette évolution le mène à fonder, en 1830, avec Montalembert et Lacordaire,
le journal “L’Avenir” auquel collaborera de Potter, qui plaide pour la
u 32
liberté de l’enseignement et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté
de conscience, de religion et de la presse.
Malgré leurs différences, les routes de Lacordaire et de Louis se trouvent
bien souvent en parallèle et une vive sympathie naît entre eux. Monsieur
de Potter, écrit Lacordaire en 1830, est un homme qui ne croit pas, mais
d’ailleurs honnête et loyal, et qui a été le principal promoteur de l’union
entre le libéralisme, ami de l’ordre, et le catholicisme, union qui doit
s’effectuer partout sur la base d’une liberté vraie, unique garantie possible
de la liberté commune.
Louis de Potter, dessiné par J. Lion pour les “Biographies des Hommes du Jour”,
G. Sarut, Paris, 1836.
33 u
Concordat, retour à la concorde
ou ferment de discorde
Un évènement va réaliser, pour des raisons différentes, cette union entre
les deux partis : la signature d’un Concordat entre le Royaume des Pays-
Bas et le Saint-Siège.
Dès la création du Royaume des Pays-Bas, la question de l’enseignement
revêt un caractère d’acuité qui ne peut que croître avec la politique menée
dans ce domaine par le Roi Guillaume. Poursuivant la tradition née avec
Marie-Thérèse et poursuivie sous Joseph II, la Révolution et l’Empire, le
souverain veut faire dépendre l’Ecole des pouvoirs publics. 1.500 écoles
royales (primaires), des athénées (les anciens lycées impériaux), des écoles
normales vouées à la formation des instituteurs, trois universités d’Etat
(Gand, Louvain, Liège) voient le jour au grand dam des ordres religieux
qui s’étaient emparés des institutions d’enseignement à la chute de l’Empire.
jésuites, frères des écoles chrétiennes venus de France, dirigent petits
séminaires et collèges diocésains.
Le roi s’attaque d’abord aux premiers, pépinières de futurs ecclésiastiques
– en trois ans, 300 prêtres avaient été ordonnés dans le diocèse de Malines –
puis exige un diplôme d’une des universités d’Etat afin de pouvoir enseigner.
Finalement, devant la fuite des jeunes cerveaux qui suivent leurs
maîtres religieux à l’étranger lors de leur éviction, il décrète qu’aucun Belge
ayant fait des études hors du pays, ne serait admis dans les universités du
royaume ou nommé à un emploi d’Etat.
En 1825, lors du discours du trône devant les Etats généraux, le roi annonce
l’ouverture d’un “Collège philosophique”, véritable séminaire d’Etat, chargé
de la formation des prêtres du royaume. De Potter, tout en reconnaissant
qu’il s’agit d’une atteinte portée à la Loi fondamentale prend la défense du
roi : (…) Le discours du roi, est franc et loyal. J’en reviens toujours pour
lui au surnom d’honnête homme que je retrouve dans toutes ses paroles et
dans toutes ses actions. Je crains beaucoup plus pour nous (il s’agit bien entendu
des libéraux) ce que l’on pourra dire touchant la haute main que le
gouvernement prend sur l’instruction publique. (…) Nous voulons avec lui
son existence et sa prospérité, quitte à le combattre lui-même dans la suite
s’il n’abdique pas, en temps et lieu, l’autorité absolue dont nous aurons été
u 34
avec joie les agents les plus dévoués pendant l’urgence. (lettre du 29 octobre
1825 à son ami Sirtema de Grovestins)
Si van Gobbelschroy, ministre de l’Intérieur depuis peu, belge et catholique,
s’efforce de calmer les esprits entre le vieil archevêque de Méan
(1756-1831) et Goubau, Secrétaire d’Etat aux cultes, les affrontements deviennent
quotidiens. Chacun comprend que le point de rupture semble
atteint car, avec un séminaire d’Etat, la mainmise de celui-ci sur l’Eglise
serait totale et le danger réel de voir renaître le fébronianisme, c’est-à-dire
une église schismatique rompant avec Rome, probablement ouverte à la
pénétration calviniste. Le Saint-Siège va alors reprendre des négociations
en vue de la conclusion d’un concordat.
Comme souvent, les premières manœuvres seront le fruit d’une diplomatie
parallèle. Ni Goubau, vieux joséphiste, ni Van Maanen, la bête noire de Louis
de Potter et du peuple belge, ministre de la Justice, Hollandais pur jus, ne
sont tenus au courant de celles-ci. Van Gobbelschroy confie les premières
approches au comte de Visscher de Celles, libéral sans sectarisme qui a ses
entrées au Vatican. Officier de cavalerie, il avait chevauché botte à botte dans
l’armée française avec le futur Monseigneur de Mercy-Argenteau, un proche
du pape, frère du grand chambellan de Guillaume des Pays-Bas.
Léon XII écoute d’une oreille attentive les propositions venues du nord et
finalement, le cardinal Cappellari et de Celles, élevé au rang d’ambassadeur,
concrétisent l’accord qui est publié en septembre 1827. De vingt-sept
articles au départ, le Concordat n’en compte plus que trois dont la teneur
prévoit la création de nouveaux évêchés, le droit de regard du souverain
dans la nomination des évêques et l’obligation du serment de fidélité au roi
à prêter par les membres du clergé.
Un article, tenu secret, envisage de rendre facultatif le Collège philosophique.
Le texte aussitôt connu provoque une levée de boucliers chez les libéraux
et les calvinistes qui n’y voient évidemment que les faveurs faites aux
catholiques. Van Gobbelschroy adresse alors aux gouverneurs de provinces
une circulaire confidentielle d’où il ressort que si le roi avait semblé s’être
montré conciliant, c’était pour mieux amadouer les futurs nouveaux évêques
et ainsi atteindre “par d’autres moyens” les buts qu’il poursuivait, en clair le
maintien du tellement contesté Collège philosophique. Par une “heureuse
indiscrétion” le document tombe entre les mains de Louis de Potter qui
s’empresse de le publier dans le “Courrier” du 14 octobre 1827, à l’indignation
cette fois des catholiques qui y voient la confirmation de la duplicité
35 u
royale. La querelle rebondit donc. L’archevêque de Malines de Méan refuse
de former à la prêtrise des élèves du Collège et le roi va jusqu’à exiger du
Saint-Siège la déposition de l’irascible vieillard “ce barbouilleur”.
A cette époque un évènement familial heureux se produit pour Louis : il
devient père d’un fils, officiel cette fois : Agathon, qui deviendra médecin,
franc-maçon, défenseur de l’idéal social colinsien et mécène de l’Académie
Royale de Belgique. Que déduire de ce prénom insolite sinon le caractère
ironique de Louis qui connaît bien son histoire des papes : Saint Agathon,
pontife de 678 à 681, affirma l’indépendance et la primauté romaine, le
principe de l’infaillibilité pontificale et l’unité de l’Eglise, toutes questions
controversées à l’époque de notre pamphlétaire.
Conversion du “Révérend Père” Louis de Potter et destruction des livres hérétiques
© Archives de la Ville de Bruxelles, Collection iconographique, A575.
u 36
Liberté de la presse, liberté en tout
Si le Concordat avait été l’occasion – pour des raisons certes différentes – de
créer une opposition commune au gouvernement, la lutte pour la liberté
de la presse cimentera l’union entre libéraux et catholiques. Cette première
brèche verra s’engouffrer le torrent de toutes les revendications et aboutira
aux évènements de 1830.
Inscrite dans la Constitution de 1815, cette liberté avait été considérablement
restreinte par un arrêté du 20 avril de la même année, pris durant les
Cents Jours napoléoniens et jamais abrogé, qui permettait de traduire en
justice “tous ceux qui cherchaient à susciter entre les habitants la défiance
ou la désunion ou à exciter au désordre”. Des dizaines de prêtres et de
journalistes avaient fait les frais de cette répression qui pouvait conduire
jusqu’à la Cour d’assises. Anachronisme, dans la Belgique du XXI e siècle,
les délits de presse, bien que la plupart du temps correctionnalisés, sont
encore passibles de la Cour d’assises. En mai 1824 déjà, Lesbroussart, rédacteur
au “Courrier des Pays-Bas”, avait été emprisonné au secret pendant
un mois pour avoir publié un article qui l’avait fait accuser de “provocation
à la révolte”, alors qu’il n’en était même pas l’auteur.
Le coup d’envoi du rapprochement entre les deux partis opposés sera
donné par Paul Devaux dans le “Mathieu Laensberg”.
Née le 10 mars 1824 grâce à un trio d’avocats, Devaux, Charles Rogier et
Joseph Lebeau, la feuille liégeoise lance, le 21 mars un appel à l’union :
Libéraux et catholiques ont, les uns et les autres, leurs sujets de mécontentement
mais ils en ont beaucoup en commun. Ils veulent la liberté des langues,
la liberté de la presse, l’inamovibilité des juges et la responsabilité ministérielle.
A quoi bon s’obstiner à lutter séparément quand l’union fait la force.
Jusqu’à ce moment, de Potter avait surtout mené le combat anticlérical
dans l’affaire du Concordat : Maudits jésuites, écrivait-il encore quelques
mois auparavant, ils nous auront fait bien du mal de leur vivant ; et quoiqu’enterrés
en France, leur ombre continue encore à nous inquiéter.
Mais dans l’article célèbre (anonyme mais qui porte sa griffe) paru le
8 novembre 1828, il élargit son champ de bataille : Jusqu’ici on a traqué
les jésuites. Bafouons, honnissons-les ministériels. Que quiconque n’aura
point clairement démontré par ses actes qu’il n’est dévoué à aucun ministre
37 u
soit mis au ban de la nation et que l’anathème de l’impopularité pèse sur
lui avec toutes ses suites.
Immédiatement le ministre de la Justice Van Maanen, furieux, exige
l’ouverture d’une instruction contre l’auteur (l’indépendance des magistrats
est comme on le voit des plus relatives) et l’ancien défenseur du roi se
retrouve huit jours plus tard en prison, accusé de complot contre l’Etat et
d’excitation à la révolte.
De sa cellule aux Petits Carmes où, sous l’œil complaisant des gardiens, il
reçoit la crème de l’opposition, part (le 22) un second article encore plus
virulent : Dans les circonstances actuelles, serait-ce une lâcheté que de profiter
du peu de liberté de la presse que nous jette le ministère pour accabler
ceux qui, avec nous, la réclament tout entière. Ce serait une lâcheté d’attaquer
les jésuites qui sont devenus chez nous les piliers de l’opposition ; le
mot d’ordre dut-il être Saint Ignace, dussent les drapeaux porter le fameux
monogramme et un Sacré-Cœur, dussent enfin les instructions partir du
Vatican, le devoir de tout bon patriote est dorénavant dans les rangs de
cette opposition toujours libérale, en ce qu’elle empêche les empiètements, les
usurpations du ministère, seules véritables causes des malheurs d’un peuple
et des dangers d’un gouvernement.
Dès ce moment, de Potter apparaît comme le chef de file de l’opposition et
sa popularité dépasse le cercle des initiés pour gagner le grand public.
Arrivée des volontaires Liégeois derrière Rogier, Ch. Soubre, 5 août 1880. © Musée
royal de l’Armée.
u 38
Ce que dit la presse
Le “Courrier des Pays-Bas” était toujours le principal organe du parti
libéral. Les rédacteurs les plus assidus étaient alors MM. Ducpétiaux,
Jottrand et Lesbroussart. M. Claes, qui venait de terminer ses études
de droit à l’Université de Louvain, s’adjoignit bientôt à eux. Il se faisait
distinguer par la vivacité et l’esprit de sa polémique.
Si nous devons reconnaître que presque tous les écrivains attachés
alors à la presse libérale, avaient suivi de Potter dans le tollé qu’il avait
soulevé contre le concordat, il faut ajouter que plusieurs furent dégoûtés
de cette duplicité ministérielle. Le “Courrier des Pays-Bas” reproche,
sans hésitation, au ministère son manque de franchise et lui dit, en
propres termes, qu’il ferait mieux “de jouer cartes sur table”.
Les journaux catholiques, qui dès l’origine avaient accueilli favorablement
le concordat, avaient été un peu désarçonnés à la révélation
d’intentions que contenait la circulaire confidentielle. On voit dans les
journaux libéraux de la fin du mois d’octobre 1827, que ceux-ci triomphent
de la déconvenue du “Courrier de la Meuse” et du “Courrier
de la Flandre”.
Partout, la liberté assiège le despotisme. Même dans les Etats constitutionnels,
une tendance prononcée vers la plus grande liberté possible,
imprime à l’opposition son élan toujours progressif ; l’Angleterre a ses
radicaux, la France son côté gauche, et l’Amérique ses fédéralistes…
Au commencement de l’année 1829, les membres de la presse
Ducpétiaux, Jottrand, Claes et de Potter se trouvaient réunis aux Petits
Carmes, avec l’imprimeur Coché-Mommens, qui, suivant la jurisprudence
du temps, était le complice de ces écrivains, encore bien qu’il
lui eût été difficile, tout honnête industriel et tout courageux patriote
qu’il était, de rendre un compte grammatical satisfaisant des articles de
journaux condamnés par la justice
M. de Potter lança du fond de sa prison plusieurs écrits en faveur de
l’alliance entre les catholiques et les libéraux. En juin 1829, parut sa
brochure intitulée “Union des catholiques et des libéraux”. Plusieurs
autres lui succédèrent ; toutes étaient attendues avec impatience, lues
avec enthousiasme. Il devint l’homme le plus populaire de la Belgique.
Son nom était prononcé avec respect par tous les partis, par toutes les
classes ; il était l’idole du peuple et l’effroi des ministres.
La presse était toujours poursuivie à outrance par le pouvoir. MM.
Claes et Jottrand étaient condamnés à l’emprisonnement ; M. Coché-
Mommens, condamné aussi, se voyait menacé d’être enfermé de force
39 u
dans la maison de Saint-Bernard, s’il ne prenait l’engagement de faire
cesser les attaques du “Courrier des Pays-Bas” contre M. Van Maanen.
Mais ce système de persécutions semblait donner à la presse une
nouvelle ardeur, un nouveau courage, de nouvelles forces.
Les libéraux indépendants organisaient des démonstrations publiques,
concerts, souscriptions, etc., au profit des Grecs alors en insurrection.
Les libéraux du gouvernement et, jusqu’à un certain point, les catholiques
en étaient offusqués. Les écrivains de la Sentinelle en étaient jusqu’à
de quereller publiquement avec quelques rédacteurs du “Courrier
des Pays-Bas”. Les écrivains du “Journal de Bruxelles” cherchaient
à se rapprocher de ceux-ci.
A la décharge du Roi Guillaume, la marche des événements dans toute
l’Europe, ne permettait guère d’espérer beaucoup de succès de la
pure habileté d’une politique de cour. On était, en France, à la veille de
la chute du ministère Villèle. O’Connell tenait en échec toute l’aristocratie
anglaise, et allait lui arracher bientôt le bill d’émancipation des
catholiques.
Si l’on veut juger de la situation générale des esprits au commencement
de 1828, et particulièrement de l’état de l’opinion en Belgique,
qu’on lise les extraits suivants d’un article publié dans le numéro du
1 er janvier 1828 du “Courrier des Pays-Bas”, sous le titre de : “Etrennes
politiques”. Aussi bien n’est-il pas oiseux de rappeler, par cette citation,
de quelles idées les journalistes d’alors occupaient le public et dans
quel style ils savaient traiter les idées :
Nous voici parvenus à la 28 e année de cette ère la plus étonnante qui
n’ait jamais existé. Quel siècle ! Désormais il suffit à la liberté d’une
feuille de papier pour se promener d’un bout à l’autre de l’univers… Des
rois voyagent dans les diligences et font des articles dans les journaux ;
d’autres “roi-bourgeois” se promènent librement sans gardes… Le pouvoir
clairvoyant transige avec les peuples et abdique en leur faveur son sceptre
d’airain. Le despotisme stupide s’accroche seulement à la matière. La fable
et l’antiquité ont disparu devant l’histoire merveilleuse de notre époque ;
et le siècle incrédule aux chimères sera pour nos descendants, un temps
tout fabuleux.
A la voix impérative du génie, le vieux monde s’écroule, le genre humain
se refait, et la véritable création ne date que d’hier. Lois, gouvernement,
éloquence, tactique, industrie, besoins, idées, tout est changé,
tout est nouveau ; 30 ans de prodiges en ont effacé 6.000 d’enfance
politique ; et le temps n’aura pas d’espace pour dire tout ce qu’a fait
ce petit règne de l’esprit.
u 40
L’organisation du procès menée rondement, celui-ci s’ouvre le 19 décembre
à Bruxelles devant la Cour d’assises du Brabant méridional. Louis,
défendu par Van Meenen et Van de Weyer demande la publicité entière des
audiences, la garantie du jury, l’emploi de la langue française ce qui lui est
refusé durant son interrogatoire à huis clos.
Les audiences, finalement tenues en public, deviennent de plus en plus
tumultueuses et débordent rapidement le cadre initial pour tourner à la
mise en accusation de la politique gouvernementale. Tous les griefs belges
sont soulevés par l’accusé et ses défenseurs qui sont à leur tour menacés
de poursuites par le procureur. A la fin des débats, qui durent deux
jours, le président de Kersmacker, après avoir demandé l’avis du ministre
Van Maanen obtient la condamnation de notre journaliste à dix-huit mois
de prison et 1.000 florins d’amende.
Dans ses mémoires, de Potter écrira : (…) A peine la sentence fut-elle énoncée
que la salle retentit des huées et des coups de sifflets du public, auxquels
bientôt répondirent ceux de tout le peuple. Il me serait aussi impossible de
décrire ce moment d’effervescence qu’il le fut alors aux nombreux agents
déguisés de pouvoir le calmer. Je fus conduit hors de l’enceinte par une
porte dérobée qui menait au vestibule ; on m’y fit attendre à l’écart, tandis
que le public évacuait la salle et qu’à la faveur de l’obscurité les juges se
soustrayaient à la fureur populaire en fuyant à pied et par des issues secrètes.
Comme on s’aperçut que le peuple ne se laissait pas induire en erreur
par les assurances qu’on lui faisait donner à chaque instant que j’étais
déjà retourné en prison, il fallut bien finalement songer à m’y ramener en
effet, et l’on me fit monter dans une voiture introduite dans la cour et où
trois gendarmes se placèrent auprès de moi. A peine avions-nous passé la
porte que les vociférations les plus énergiques de “A bas le ministère ! A bas
Van Maanen !”, mêlées aux cris de “Vive de Potter !” firent une épouvantable
explosion autour de la voiture. Je l’avoue, ce fut là un des moments les
plus solennels de ma vie et il me paya amplement, par l’espoir d’un meilleur
avenir pour ma patrie, des maux personnels que je m’étais attirés pour le
faire poindre.
Une anecdote raconte que le président de Kersmacker qui faisait régulièrement
sa partie de dominos au café des “Mille Colonnes”, place de la
Monnaie, ne trouva plus de ce jour de partenaires pour jouer avec lui. Le
même soir le ministre Van Maanen donnait une réception dans son hôtel illuminé
au coin de la rue des Petits Carmes et du Sablon – le gouvernement
41 u
siégeait alternativement un an à Bruxelles et un an à La Haye – lorsqu’une
pierre fit voler en éclats une vitre de l’immeuble. Prélude à des violences
bien autrement graves qui allaient se produire un an et demi plus tard.
Reconduit triomphalement à la prison des Petits Carmes, de Potter entame
une vie de reclus qui ne lui sera pas trop dure comme le reconnaissent ses
codétenus et lui-même : (…) C’est d’ailleurs une justice générale à rendre
aux agents du gouvernement de cette époque, qu’ils ne mettaient aucune
rigueur inutile dans l’accomplissement de leurs fonctions (…) et nous nous
sommes bien souvent rappelé (…) quelques souvenirs agréables de notre
commun emprisonnement.
Il obtient en effet de purger sa peine aux Petits Carmes afin d’être proche
de sa vieille mère (elle a 76 ans), de son épouse et de son fils qui lui rendent
presque quotidiennement visite ainsi que de nombreux sympathisants.
De ces rencontres autant carcérales que conjugales naîtra début 1830, alors
que le père est toujours sous les verrous, un second fils, Eleuthère.
Une fois de plus le prénom, pour le moins original, semble puisé dans
le répertoire inépuisable des papes que Louis se plaît à critiquer : Saint
Eleuthère, pourfendeur du montanisme, hérésie qui met en cause l’unité
de l’Eglise, promoteur de l’apologétisme qui vise à démontrer la validité de
la foi chrétienne, régna de 175 à 189.
Dans sa relative solitude (les gravures d’époque montrent quelqu’un qui
jouit d’un minimum de confort), le condamné s’attelle à la rédaction de
divers écrits qui franchissent sans encombre les murs de la prison. Plusieurs
brochures se succèdent “Réponse à quelques objections, ou éclaircissements
sur la question catholique dans les Pays-Bas”, “Dernier mot de
l’anonyme de Gand sur l’Union des catholiques et des libéraux dans les
Pays-Bas”. Il estime tout en recommandant l’emprunt des voies légales que
“par la modération, la douceur, la raison, nous n’obtiendrons rien”.
A Bruxelles, en juin 1829, paraît une brochure “Union des catholiques et
des libéraux dans les Pays-Bas” dont il adresse un exemplaire au roi. Epuisée
en quinze jours, la publication connaît un second tirage, preuve du
succès des idées qu’elle défend. Dans la lettre d’accompagnement, l’auteur
s’adresse au souverain en ces termes : L’alliance qui, dans les Pays-Bas
vient d’être jurée sur l’autel de la patrie Belge par la philosophie et la religion,
est un des évènements les plus remarquables de votre règne : il nous
sera envié par les peuples civilisés des deux mondes.
u 42
Louis de Potter, confortablement installé dans sa prison des Petits-Carmes, reçoit
le ban et l’arrière-ban des forces vives belges et étrangères, qui lui font honneur à
Bruxelles.
A la même époque, Guillaume entreprend un périple dans le sud du royaume
où son attitude cassante raidit l’opposition. Comme le rapporte Carlo
Bronne : A Liège, abusé par la lecture de “Quentin Durward” où Walter
Scott fait parler aux Liégeois le dialecte de la Flandre, (il) soutint qu’autrefois,
on s’exprimait à Liège en flamand. On imagine l’ambiance.
Trompé par l’accueil des “brigades d’acclamations spontanées”, il dira : Je
vois maintenant ce que je dois croire des prétendus griefs. On doit tout cela
aux vues de quelques particuliers qui ont leurs intérêts à part. C’est une
conduite infâme (23 juin 1829).
Il suffit de quelques jours pour que, début juillet, les frères Pierre et
Constantin Rodenbach de Roulers, proches des Potter, créent “l’Ordre de
43 u
l’Infamie” et fassent frapper à Bruges un insigne, inspiré de celui des Gueux
du XVI e siècle, avec l’inscription : “Grondwet, art.1, Loi Fondamentale,
art. 1, Fidèle jusqu’à l’infamie, Lex Rex 1829”.
Les Rodenbach, admirateurs de Louis
(Knack, 1990)
Voisins de la famille régulièrement en visite au château de Potter
à Ooighem, les Rodenbach étaient de fervents admirateurs de
jeunesse de Louis de Potter. Issus d’une lignée de producteurs de
genièvre aux Pays-Bas, ils engendrèrent une descendance de brasseur
à Roulers.
Aveugle dès sa jeunesse, Alexander Rodenbach dirigea la brasserie
dès 1821. Il écrivit des pétitions contre la politique de Guillaume I er
en faveur de la liberté de la langue et de la presse. Il mena ensuite
en 1830 la révolution à Roulers et épaula ses frères Constantin et
surtout Pedro à Bruxelles.
Comme Louis, le jeune Pedro écoutait ses parents se plaindre, par
exemple des taxes sur les alcools et la récession. Son arrière-grandpère,
Ferdinand, avait déjà été emprisonné à Lille et son oncle était
un ancien combattant amplement décoré pour faits de bravoure
par Napoléon.
Révolutionnaire ardent et militaire à la Garde impériale de Napoléon,
Pedro Rodenbach participa à la campagne de Russie. Il
combattit aussi à Waterloo avec les Hollandais contre les Français.
Il participa enfin en 1830 à la “Campagne de Bruxelles” en mettant
son carrosse à disposition de Louis de Potter et le menant à
la victoire.
Même si ses parents n’appréciaient pas le côté révolutionnaire de
Louis, cela ne l’empêcha pas de se rapprocher en Flandre avec
d’aussi vaillants et anciens voisins, eux aussi bousculés par la disette
et exilés du Nord au Sud depuis des générations.
L’aventurier de Roulers, avait trouvé son compagnon ! Il avait comme
lui de profondes racines littéraires et n’avait pas peur non plus
de se sacrifier pour être libre !
u 44
En 1808, le jeune Rodenbach se rattachait à l’armée de Napoléon,
combattant contre l’armée russe, tout en écrivant poèmes et histoires.
Comme Louis, il aimait “publier des pétitions” avec de jeunes
anarchistes pour changer le monde, de manière idéaliste et sans
vieux compromis !
C’est seulement quelques années plus tard qu’il resurgit, à Waterloo,
auprès des troupes de Guillaume d’Orange cette fois. La lutte ne
dura pas car il avait prévenu : “Le sabre des libéraux sera uni, s’il le
faut, à la crosse du prêtre”, rejoignant et amplifiant par ces propos
le mot d’ordre du jeune Louis.
Le point de rupture avec la Hollande fut atteint avec la “guerre de la
bière” (soulèvement des acteurs du secteur contre une taxe inique)
et les Flandres Occidentales se soulèvent quand elles voient le journaliste
banni Louis de Potter emmené en triomphe vers Bruxelles
dans la calèche mise à sa disposition par les Rodenbach, fiers mais
ébahis par les cris du peuple : “Vivat Potter ! Vivat Rodenbach !”
Alexandre et Pedro Rodenbach, brasseurs de Roulers et amis de Louis de Potter.
Le 15 novembre 1829, paraît la célèbre “Lettre de Démophile (Louis de
Potter) à M. Van Gobbelschroy sur la garantie de la liberté des Belges à l’époque
de l’ouverture des Etats généraux”, dans laquelle il évoque la possible
séparation des deux parties du royaume dont le Congrès de Vienne avait
si malheureusement voulu faire une nation. Il met en garde le ministre de
45 u
l’Intérieur : Le peuple veille… Il arrivera à son but par les Chambres ou sans
les Chambres, où même malgré les Chambres…
“La lettre de Démophile…” à peine sortie, suit une “Lettre de Démophile
au roi sur le nouveau projet de loi contre la presse et le message qui l’accompagne”
(20 décembre 1829) : Sire, vos courtisans et vos ministres, vos
flatteurs et vos conseillers vous trompent et vous égarent ; le système dans
lequel ils font persister le gouvernement le perd sans retour, et la menace
d’une catastrophe inévitable à laquelle il sera trop tard de vouloir porter
remède lorsque l’heure fatale aura sonné…
Si, après six mois d’emprisonnement, le souverain semble disposé à lui
accorder sa grâce, Louis refuse de solliciter celle-ci et poursuit son travail
de sape : J’aime mieux, écrit-il, être en prison, libre de droit que si, libre
par le fait seulement d’en avoir moi-même mendié la faveur de qui, en me
l’accordant, m’aurait par cela seul prouvé qu’il pouvait impunément me
retenir sous les verrous.
Au même moment, une autre forme de contestation respectant les formes
légales naît : celle des “pétitionnements”. Le comte Charles Vilain XIIII et le
comte François de Robiano semblent avoir été les initiateurs de la formule
en rédigeant une pétition adressée aux Chambres demandant la liberté
de l’enseignement. Déposées chez les libraires, circulant en province, ces
pétitions récoltent des milliers de signatures tant catholiques que libérales
et bientôt d’autres suivent réclamant celle de la presse.
A l’initiative du comte Vilain XIIII, il est proposé à Louis de Potter, en prison, de tirer
une médaille pour financer son action. Celle-ci mentionne : Le pouvoir les proscrit,
le peuple les couronne ! et Préservons nos autels et foyers. Ce vocable fait référence
à l’association patriotique “Pro Aris et Focis”, créée en 1789 par Jacques-Dominique
t’Kint, J-Fr. Vonck et H. van der Noot, et qui organisa la révolte anti-autrichienne
brabançonne.
u 46
Pétitions - Extraits des “Archives de la Révolution de 1830”
par A. Bartels (Ed. Thieu, 1848, Paris)
Le signal de pétitions fut donné au public par Louis de Potter, du
fond de sa prison. Dans une adresse aux rédacteurs de tous les
journaux indépendants et patriotes des Pays-Bas, il réclama ce
droit. Plusieurs bourgmestres des Flandres furent destitués pour
s’être prononcés contre l’impôt mouture et Liége émit une pétition
contre l’arrêté-loi. Le “Courrier de la Meuse” commença la publication
de ses tableaux comparatifs sur l’inégale répartition des emplois
administratifs et militaires entre les Hollandais et les Belges,
les protestants et les catholiques. Ces chiffres accablants poussèrent
au plus haut point l’irritation des esprits, et associèrent les intérêts
matériels aux antipathies nationales. La pétition pour la liberté de
l’instruction publique portait par exemple les signatures ci-dessous
et quasi les mêmes noms figuraient pour les pétitions pour la liberté
de la presse chère à de Potter :
Bahonville, baron de
Barthels, Ve Th.
Bergeyck, baron Charles de
Berlaimont, baron de
Bethune, baron Auguste de
Beughem, vicomte
Cattoir, J-B.
Cavelier d’Adrighem, baron
Clercx de Waroux, J. N. de
Coché-Mommens, imprimeur
Cornet de Grez, comte
D’Haene Steenhuyse, L.
Debœur, négociant
Dejaer, négociant
Demanet, vicomte
Dons de Lovendeghem, E.
Ducpétiaux, Père
Fagot-Jonniaux, négociant
Faille d’Huysse, della
Fassin, avocat
Fonbaré de Fumal, baron de
Francotte, negociant
Ghellinck, de
Gourcy, A. de
Grady, Félix de
Grisard, A.
Hamal, baron de
Jacquemin, Clément
Jonghe d’Ardoye, G. comte de
Kersten ,imprimeur
Kethulle, L. Baron de la
Kockaert, bâtonnier
Lamarche, négociant
Lambert, baron F.
Lamine, L. de
Lantsheere, de
Lemarié imprimeur
Levae, Adolphe
Linden d’Hooghvorst, bar v.der
Meester de Ravenstein, baron
Mééùs, Ferdinand
Mérode, comte Henri de
Mérode, comte Werner de
Nagelmackers, G., banquier
Nève, de
Oversschie de Neerysse, baron
47 u
Pangaert d’Opdorp, vicomte
Potter – Maroucx, Vve de
Potter d’Indoye, Ec. de
Robert d’Oltrée, le baron de
Robiano de Borsbeek, baron de
Robiano, Eugène de
Rogier, Charles
Sarolea de Chéralle, le comte de
Sasse van Ysselt, député
Sauvage, chevalier E. de
Sauvage-Vercour, chev Fr. de
Sauvage-Vercour, chev. Nicolas
Scherpenzeel-Heusch, baron de
Simonis
Snoy, baron
Spoelberch, vicomte de
Stas, négociant
Steen de Jehay, baron van den
Surmont, de
Theux, chevalier B. de
Thiriard-Martiny, négociant
Van Bommel, évêque de Liége
van der Borcht, imprimeur
Van der Cruyssen
Van Thiegem
Vander Horst, avocat
Vercken, négociant
Verdussen, P.A.
Vilain XIIII, comte
Villenfagne, baron de
Viron, J. de
Wilde, J. de, étudiant en droit
Yves de Bavay, marquis d’
Yves, comte d’ (etc.)
Les villes des Flandres qui ont mis, après Roulers, le plus d’empressement
et de zèle à pétitionner sont : Courtrai, 217 signatures, comprenant toutes
les notabilités commerciales, à deux ou trois exceptions près ; Menin, 200,
dont 8 membres de la régence ; Furnes et le pays, 370 ; Bruges, 247 ;
Termonde, Grammont, Renaix, etc. A Ninove et à Alost, des fonctionnaires
se permirent de saisir les pétitions chez les dépositaires et aucun des
souscripteurs n’osa réclamer directement contre cet attentat. Parmi les
communes rurales, Zéle (Flandre Orientale), et Moorslede (Flandre Occidentale)
méritent une mention spéciale pour la promptitude de l’émission
et le nombre des signataires. On ne pétitionna ni à Audenaerde, ni à
Ostende.
L’adresse de Tournai pour la liberté de l’instruction fut signée par toute la
noblesse ; mais les autres classes s’associèrent moins activement à celte
démonstration. Les adresses pour le redressement de tous les griefs
obtinrent les adhésions de la presque totalité des principaux habitants
à Lessines et Gembloux. Plusieurs membres des états provinciaux signèrent
à Mons et Charleroi. A Namur, Dinant et Bouvignes, 417 signatures
furent recueillies.
u 48
Une caricature, conservée au Cabinet des estampes de la Bibliothèque
Royale, illustre bien l’engouement suscité par ces alliances de circonstances
: la comtesse de Robiano, debout devant une montagne de pétitions,
dit scandalisée, à son chapelain : Quoi, pour la liberté de la presse aussi ?
Y pensez-vous l’abbé ? Et celui de répondre : Hélas, oui, comtesse, si vous
voulez qu’ils signent pour la liberté de l’enseignement.
En quelques mois, 378 pétitions aboutissent sur le bureau des Etats généraux
dans lesquelles sont demandés pêle-mêle, outre la liberté de l’enseignement
et de la presse, l’inamovibilité des magistrats, la responsabilité
ministérielle, l’abolition de la taxe sur la mouture, la liberté de l’emploi des
langues, etc.
Guillaume, sensible à ces mouvements de l’opinion publique, utilise sa
technique habituelle, donner d’une main, reprendre de l’autre. Une nouvelle
loi sur la presse est promulguée, bien entendu assortie des arrêtés
qui la restreignent, alors qu’en même temps voit le jour un journal gouvernemental,
le “National”, confié à un personnage des plus suspects, Libri
Bagnano.
Les élections qui approchent voient naître d’autres foyers d’opposition destinés
à obtenir le redressement des “griefs nationaux” : les “associations
constitutionnelles”, dont le moteur est Van de Weyer, au nombre de membres
limités à dix-neuf pour ne pas tomber sous le coup de la loi relative
aux réunions. Sur une proposition de Louis (lettre à son collègue J.-B. de
Stassart), le salon de Madame de Potter-mère, place Saint-Michel accueille de
Stassart, d’Hoogvorst, Odevaere, Quetelet, Smits, Van Meenen, Van de Weyer
et autres contestataires.
En janvier et début février 1830, il défend l’idée, émise par Lebeau et
d’Oultremont, d’une “Confédération patriotique” et le lancement d’une
souscription nationale destinée à alimenter une rente au profit des fonctionnaires,
membres des Etats généraux, qui avaient refusé de voter le
budget et de ce chef, été révoqués. Le projet paraîtra dans le “Courrier” du
3 février sous la plume de Tielemans qui le payera bientôt très cher.
49 u
Tome 1 er du “Procès de Louis de Potter” publié clandestinement.
Second procès
Cette fois la coupe déborde. La plus grande partie des flèches acérées dont
le ministère était harcelé étaient tirées tranquillement d’une prison de l’Etat
et par un prisonnier enchanté de son sort (C. Bronne). Van Maanen réagit
immédiatement à cette dernière provocation, car le 9 février le procureur
Schuermans débarque aux Petits Carmes et saisit tous les papiers de de
Potter, dont sa correspondance avec François Tielemans qui servira de
base à l’accusation.
François Tielemans, fils d’un boulanger de la rue Haute, était fiancé à la
fille de Weissenbruch (l’imprimeur de “Ricci”) et de Potter l’avait recommandé
à Van Gobbelschroy, toujours bienveillant, qui en fit un référendaire,
équivalent de vérificateur, au ministère de l’Intérieur Van Gobbelschroy
qui s’était “mouillé” en suggérant la libération de de Potter venait d’être
u 50
politiquement sanctionné en étant muté de son poste de ministre de l’Intérieur
à celui de ministre des infrastructures et de l’Industrie
En apparence anodin, le courrier échangé par de Potter et Tielemans
contenait, à côté de sous-entendus transparents relatifs à M. “de la Lune”
(Van Maanen, bien sûr) et au pauvre Van Gobbelschroy (M. “Transpiration”,
allusion à sa liaison avec Mademoiselle Lesueur), des considérations
plus politiques qui n’épargnaient pas grand monde, amis comme ennemis,
même Van de Weyer son défenseur devenait “l’avocat fier à bras”.
Le style ne manquait certes pas de saveur : Tout le monde convenait avec
moi qu’il n’y a pas assez de coups de pied au bout de la botte d’un honnête
homme pour la canaille des courtisans, ou que les rois sont des idoles qui
ont des yeux pour ne point voir, des intelligences pour ne pas comprendre,
ou encore que Guillaume se montrait alors le plus stupide et le plus entêté
des rois.
Accusés de complot ayant pour but de changer ou de renverser le gouvernement,
de Potter, Tielemans, Bartels, rédacteur du “Catholique des Pays-
Bas” qui avait repris l’idée de la souscription, de Nève, éditeur du journal
et aussi du “Vaderland”, comparaissent le 16 avril devant la Cour d’assises,
défendus par Van Meenen, Gendebien et Van de Weyer, décidément peu
rancunier.
Même certains milieux progouvernementaux estiment que le procès est
une erreur. Comme l’écrit Reyphins, président de la Seconde Chambre des
Etats généraux : Que le gouvernement montre sa confiance dans ses forces
et qu’il abandonne ces malheureux à leur nullité.
Les journaux français libéraux (“Le journal des Débats”, conservateur qui
évolue vers l’opposition libérale ; “Le Constitutionnel”, organe de ralliement
des libéraux, des bonapartistes et des anticléricaux) rendent compte
des débats : Un grand procès se déroule actuellement en Belgique. Les annales
judiciaires offrent peu de procédures plus scandaleuses. (…) Dans
cette grande cause, ce ne sont pas seulement des intérêts individuels qui
sont en jeu, c’est une population en présence d’une autre, c’est la Belgique
en jugement devant la Hollande. Ces deux peuples, divisés par la langue,
la religion, les mœurs, les intérêts, n’ont qu’un lien en commun, celui du
gouvernement…
51 u
Texte de Louis de Potter saisi par le tribunal des Pays-Bas
pour motiver son arrestation
Objet : Fondation du journal “De Vaederlandt” par de Potter et
consorts chez de Nève, imprimeur du “Catholique” et du “Vaderlander”,
a Gand.
Contrat entre : MM. Le comte Vilain XIIII de Basele,
Vilain XIIII de Wetteren, marquis de Rhodes,
vicomte G. de Jonghe, J.-B. d’Hane, et
Louis de Potter, réunis en association
d’une part, et,
J.-B. de Nève, imprimeur-gérant du Catholique
des Pays-Bas, de l’autre,
il est convenu ce qui suit :
I° L’association fonde à Gand une feuille nouvelle, flamande, sous
le titre du Vaderlander, et en constitue M. J.-B. de Nève, imprimeur,
éditeur et gérant responsable durant une année à partir du 1 er octobre
prochain, date obligée de l’apparition du premier numéro du
Vaderlander, sans obliger par-là le prédit sieur de Nève à renoncer
à aucune de ses occupations actuelles ; (…)
Missive déjà adressée au gouvernement. Mutatis mutandis.
------------------------
Monsieur de Potter,
place Saint-Michel,
à Bruxelles.
PS : W. vient de me remettre votre volume ; nous sommes quittes,
mon bon ami. Je ne vous dirai pas la joie que j’ai eue à vous lire,
elle est indicible. Vous la comprendrez en vous figurant que depuis
plusieurs mois je ne vous avais perdu, et que je vous ai retrouvé
tout entier dans votre dernière lettre. Oui mon digne ami, tous les
chemins mènent à Rome et ici… !
u 52
Extraits des textes de Louis de Potter
retrouvés dans ses archives personnelles
Lettre au commandant de la garde (août 1830)
Mon commandant,
(…)
Ce n’est pas tout : alors même que je ne suis pas encore entièrement
revenu de l’étonnement où me met mon nouvel emploi
d’entremetteur politique ou de politique, comme il vous plaira, ne
voilà-t-il pas qu’il m’arrive des députations de braves, et de vrais
braves Belges, car ce sont ceux des 27, 28 et 29 juillet, qui s’offrent
à moi, c’est-à-dire à la Belgique par mon entremise, avec armes
et bagages, un courage indomptable et la volonté inébranlable de
vaincre ou de mourir !
Je vous transmets donc, mon commandant, cette généreuse offrande,
pure, s’il y a quelque chose de pur au monde, de tout sentiment
d’intérêt personnel d’ambition et même de gloire à acquérir. Car la
plupart de mes guerriers (soldats est un titre qu’ils répudieraient,
ils ne demandent rien) sont pauvres, sans nom et sans autre projet
que celui d’aller aider là-bas des frères opprimés : ce sont les termes
dont presque tous se servent en me parlant ou en m’écrivant.
En un mot c’est du vrai peuple.
Vous aurez la complaisance, mon commandant, de m’avertir exactement
du jour, de l’heure et du lieu où je devrai mettre tous ces
héros futurs à votre disposition. Je puis compter sur plus de 10.000
hommes, dont 7.000 à 8.000 Belges et le reste Français (des faubouriens
du quartier Antoine), Allemands, Polonais surtout, et quelques
Anglais.
Acceptez mes respectueuses salutations, Louis de Potter.
***
53 u
Lettre de A. Bartels à F. Thielemans (juin 1830)
Cher ami,
Le résultat de notre projet serait une bonne chambre et de bons tribunaux.
Avec ces deux avantages, on irait loin, sans compter la force
qui naîtrait de l’union de tous les éléments démocratiques de l’Etat.
Je crois qu’avec le temps, on en viendra à cette extrémité, si pas
dans notre pays, dans un autre. J’aimerais mieux que ce fut dans les
Pays-Bas. On pourrait suggérer cette idée aux associations constitutionnelles
qui existent déjà. Le moment m’en paraît favorable.
Deux mots sur les Prussiens. Vous ne croyez pas aux projets d’intervention
qu’on aurait eus ? J’ai dit qu’au besoin en on viendrait
là, mais je n’ai rien dit de plus. Le besoin s’en serait présenté si le
budget avait fait la culbute, et qu’on eût résisté à l’impôt par ordonnance.
Maintenant il ne sera plus question d’eux. Je suis pourtant
d’accord avec vous que l’idée d’une intervention ne devait pas faire
reculer la seconde Chambre, et qu’il fallait MOURIR sur la brèche
plutôt que de dire OUI.
Il nous faudra du courage et de la patience, sans avoir un motif
spécial pour s’en prévaloir. Il paraît qu’on redoute beaucoup la sortie
de M. de P., non pas tant à cause des fêtes et des banquets dont
elle sera suivie, que parce qu’on la voit déjà à la tête de l’opposition,
dirigeant tout comme un autre O’Connel.
Et à ce propos, il faut lui recommander de la prudence ; qu’il se garde
des procureurs du roi ; la moindre faute lui sera imputée à crime,
et l’on saisira un prétexte pour le retenir ou le remettre où il est. La
loi sur l’instruction publique a été une déclaration de guerre : tout
ce que le gouvernement a fait depuis porte un caractère d’hostilité
ouverte. Une crise est donc possible, si non nécessaire. Les opinions
diffèrent ici sur la situation des choses.
u 54
Extraits d’une lettre codée à Louis de Potter saisie par
le tribunal des Pays-Bas et qui motiva son arrestation
Chère amie,
(Louis de Potter est ainsi désigné par l’auteur anonyme,
probablement son ami Sylvain Van de Weyer)
Depuis trois jours que nous sommes ici, Sophie est non encore dans
l’admiration, mais dans l’étourdissement, la stupéfaction. Elle commence
fort heureusement à se retrouver un peu, sans quoi je ne sais
trop en quoi cela aurait fini.
Ce soir, nous avons la Muette de Portici, un grand opéra. Nouveau
sujet à exclamations. Ce matin, nous passerons la rivière pour aller
faire les commissions de Caroline et voir le bon nécessiteux. Toutes
les lettres sont remises.
J’ai fait votre commission indirectement, c’est-à-dire par le canal
de van den Horst, à l’évêque de Liége. Celui-ci étant malade, je
n’ai pu le voir, mais son hôte n’aura pas manqué de lui expliquer
l’objet de ma visite. De réponse, je ne puis vous en donner pour le
moment ; mais aussitôt que M. van Bommel sera visible, je tirerai
tout au clair.
Vous allez donc écrire au roi ! Prenez garde de ne pas compromettre
la responsabilité ministérielle, en attribuant au maître ce qui
émane constitutionnellement des serviteurs. Vous me comprenez.
Adieu, ma chère amie, je vous embrasse de tout mon cœur, vous,
Sophie, Agathon, votre bonne mère et tutti quanti. Caroline en fait
autant et vous prie de faire remettre la lettre ci-jointe à votre mère.
Elle a voulu profiter du départ de M. de Stassart. pour se rappeler
à son souvenir. Elle aurait également écrit à Sophie, si elle n’avait
pas craint que sa lettre arrivât dans les moments d’embarras et de
souffrance qu’elle attend. Tout à vous. Demandez à M. de Stassart
de se charger de votre réponse à la présente brochure (pétition).
***
55 u
Chère amie,
(…)
Souvenez-vous de moi pour leur éducation et servez-leur des bons
légumes et quelquefois un poisson, par-dessus le marché. Vous en
tâterez j’espère au printemps prochain.
M. de Stassart me charge de vous dire que votre pétition a été envoyée
hier soir, vendredi, au président après une délibération sur son contenu
entre MM. de Gerlache, de Langhe, de Brouckère d’Omalius-Thierry et
de Sécus.
Ces messieurs l’ont lue et approuvée en tous points ; même résolution
pour celle de votre collègue, mais ils n’ont pas été fort contents
de sa rédaction qui sent trop le jeune homme. Le projet de loi sera
présenté par les mêmes députés, et de plus MM. et Celles et Le
Hon : ainsi, il le sera par huit Membres. La rédaction que vous avez
proposée sera modifiée un peu.
Envoyez-leur de suite le mémoire à consulter, ils le demandent ; et
publiez, ils le désirent. Ils s’accordent à croire au succès : Les conversations
particulières ont tellement préparé la Chambre à voter en
faveur de la proposition que peu de gens pourront s’y refuser. Au
fond, votre demande est si juste, qu’il faudrait se boucher les oreilles
et le sens commun pour ne pas en convenir. Plusieurs comptent
aussi sur le rejet du budget ; moi pas.
Comment vont Sophie, Agathon, et votre bonne mère ? Encore un
mois, mon ami, et tout ira mieux. En attendant, ne vous inquiétez
pas pour le moment des couches. Puisque Julie sera là, vous devez
être rassurés.
Je vous embrasse, L.
u 56
Nous fûmes, écrit de Potter, placés dans des voitures, malgré nos réclamations,
et transportés au lieu où se tenaient les assises, sous l’escorte de neuf
gendarmes. La lutte, je l’appelle ainsi, car c’étaient bien deux partis en présence,
l’opposition et le gouvernement, la lutte fut aussi longue qu’animée :
elle dura quinze jours, au bout desquels le président, à qui il fallait bien de
servilité pour courir ainsi les mêmes chances que le chef de mes premiers
condamnateurs, prononça, pâle comme un mort, l’arrêt de huit années de
bannissement et huit autres de surveillance de la haute police pour moi,
sept années pour MM. Tielemans et Bartels, et cinq pour l’imprimeur du
“Catholique” M. de Nève.
Louis adresse, le 22 avril, un courrier admiratif à son défenseur Van de
Weyer : (…) Mon ami, vous avez été sublime. Raison, force, logique, clarté,
sentiment, éloquence, vous avez tout réuni au plus haut degré. Il faut que
vous soyez bien mon ami pour que je ne vous envie pas un si beau talent !
Mon ami, les invectives du ministère public m’avaient laissé froid ; j’avais
fini par m’endormir. Vous m’avez fortement remué, profondément ému.
Mon âme a sans cesse répondu à la vôtre. Je vous admire beaucoup ; mais
je vous aime encore plus.
Belles paroles, mais l’amitié disparaîtra bientôt comme celle avec Gendebien
dont il dit le 5 juin, paroles prémonitoires, que M. Gendebien ne perde
pas de vue qu’il est appelé à jouer un grand et beau rôle dans notre patrie.
Trois jours après, le fameux texte incriminé paraît chez Libri Bagnano.
Le travail avait donc été réalisé bien avant le procès grâce à des fuites
organisées par le pouvoir. L’occasion nous est ici donnée de parler de ce
personnage véreux.
Libri Bagnano, un escroc au service du pouvoir
Giorgio Libri Bagnano (1780-1836), toscan d’origines aristocratiques, adopte
les idées républicaines et on le retrouve en France après le traité de
Campo Formio de 1797. Il est bientôt poursuivi pour escroquerie, mais
relaxé. Rentré en Italie, devenu bonapartiste, il complote en faveur de
Napoléon après la première abdication et à l’issue des Cents Jours rejoint
les “Sublimes Maîtres Parfaits” de Buonarroti.
Réfugié en France lors de la répression autrichienne, il est à nouveau jugé
en 1816 par la Cour d’assises de Lyon, condamné à dix ans de travaux
57 u
forcés, à la flétrissure et à l’exposition au pilori pour faux, usage de faux et
escroquerie, peine aggravée en prison à vie lors d’un nouveau jugement.
Finalement, en 1825, Louis XVIII convertit la peine en exil perpétuel.
Pour son malheur futur, de Potter avait connu à Florence le fils de Libri,
mathématicien de renom, et recommanda le comte, qu’il croyait être une
victime politique, à Van Gobbelschroy.
Le malfaiteur s’insinue alors dans les bonnes grâces de Van Maanen et sa
librairie de la rue de la Madeleine devint le siège du “National” tout à la
dévotion du pouvoir, dont le premier numéro paraît le 16 mai 1829.
Devant le flot de calomnies que cette feuille déverse sur lui, de Potter
publie dans “Le Courrier” la copie du jugement de Lyon. Les journaux
d’opposition dévoilent également les versements de centaines de milliers
de florins que Libri a reçus du gouvernement ce qui rend le “forçat libéré”
encore plus hargneux.
Après la mise à sac et l’incendie de sa librairie durant la nuit du 25 au 26
août 1830, il se réfugiera en Hollande où il poursuivra son œuvre antibelge,
attitude qui ne cadrera bientôt plus avec la politique d’apaisement
menée dans les deux pays et il finira sa vie dans l’obscurité et l’oubli.
Quant au retentissement de son procès, les pourvois en cassation introduits
par de Potter et les autres condamnés furent évidemment rejetés le 16 mai et
Van de Weyer vit son zèle d’avocat de la défense bien mal récompensé puisqu’il
fut relevé de ses fonctions à la Bibliothèque de Bruxelles où il veillait,
entre autres, sur les manuscrits de la Librairie de Bourgogne qu’il viendra
défendre, les armes à la main, durant les journées de septembre 1830.
La popularité des victimes était telle que les frais du procès, les amendes,
les dépenses de l’exil furent couverts par une souscription publique dont
de Potter tiendra scrupuleusement un décompte justificatif.
u 58
Lettres de Louis de Potter
retrouvées dans ses archives personnelles
Peuple, soyez attentif. L’attitude que vous allez prendre, pendant que
vos mandataires délibèreront sur le pacte qui doit vous régir, en déterminera
la nature. Montrez-vous calme et fort. Que les intrigants de
salon ne puissent arguer, ni de votre indifférence pour prouver qu’il est
nécessaire de vous enchaîner. Ne voulant que ce qui est de droit, vous
serez sûr de l’obtenir ; car la juste volonté du peuple est toujours la loi
suprême : sous les rois ce sont les révolutions qui l’exécutent ; sous la
République, elle comble l’abîme des révolutions.
Union, constance, nationalité, voilà notre devise ; liberté, économie, égalité,
notre but ; justice, force, ordre public, les moyens de l’atteindre.
Louis de Potter - Bruxelles, le 31 octobre 1830.
***
Ma démission comme membre du Comité central de la Belgique a
été pour moi un devoir pénible à remplir, à l’époque précisément où
il allait être question de fixer le sort de notre patrie.
Mais c’était un sacrifice à faire aux principes, et j’ai l’intime conviction
que sur les principes seuls pourra se fonder un jour l’édifice
inébranlable de notre société.
Vous m’avez rendu justice, messieurs : quoique rentré dans la vie
privée, je n’en suis pas moins citoyen belge, et je mettrai toujours
ma gloire à me montrer digne de ce titre. Quels que soient les services
que la patrie réclame de moi, je serai prêt en tout temps à
me vouer entièrement à elle, et à lui consacrer ma fortune et mon
existence.
Je finis, messieurs, en vous offrant, avec l’expression de ma plus
sincère reconnaissance, le tribut de mon admiration pour votre zèle
éclairé et pour votre patriotisme à toute épreuve.
Louis de Potter - Bruxelles, le 8 décembre 1830.
59 u
Lettre de Louis de Potter à un éditeur à Gand
(probablement le comte Vilain XIIII)
Mon cher confrère,
Bruxelles, le 6 avril 1826.
Je vous envoie cent prospectus, trente actions, dix circulaires et une
liste. Répandez les premiers, et accompagnez-les d’une circulaire si
vous le jugez utile. Distribuez les actions à ceux qui le demanderont,
et tenez-en note sur la liste ad hoc. Je ne vous recommande ni le zèle
ni l’exactitude : ce sont en vous des qualités innées. SVP. Parlez de
notre société et de son prospectus dans le “Journal de Gand”. Non
vi dirò neppure di volermi bene, perchè credo che lo facciate naturalmente,
come fò io a vostro riguardo. Perdona-temi questa scappata
sul territorio di una nazione, la di cui lingua avrete poi forse l’intenzione
di studiare. Mi preme di sapere se vi dei rapidi progressi. Vi
abbraccio cordialissimamente.
***
Signé Louis de Potter.
Lettre de Louis de Potter à Sylvain Van de Weyer
Mon ami,
Me voici à Lille, craignant et ayant beaucoup de motifs de craindre
qu’il faudra en partir demain sans en être chassé. A la porte, on ne
m’a rien dit : il est vrai que mon passeport n’y a jamais été ouvert.
Dans une heure d’ici je vais en personne à la police, comme si j’y
voulais une passe provisoire pour Paris ; je n’y demanderai fort honteusement
qu’un visa pour Bruges. Cependant, espérons encore. Je
fermerai ma lettre à mon retour, et quoi qu’il arrive, je la mettrai à
la poste à Courtray. Donnez, je vous prie, de mes nouvelles à tout
le monde et surtout n’oubliez pas l’excellent Weissenbruch. J’ai mon
passe provisoire pour Paris : Je n’ai même plus autre chose, car mon
passeport belge est parti pour Paris à ma place.
Signé Louis de Potter.
u 60
Extrait de la lettre en codes secrets
de Sylvain Van de Weyer à Louis de Potter
retrouvée dans les archives personnelles de Louis
Ma chère amie,
27 novembre 1829.
Vous vous souvenez que la pétition devait être présentée pas M. de
Stassart et qu’ensuite huit Membres devaient faire une proposition
pour la mise en liberté de MM. de Potter et Ducpétiaux.
D’abord, cette proposition a paru trop spéciale a quelques-uns
d’entre eux. Ils ne s’expliquaient pas comment le législateur peut
s’occuper d’un particulier, tandis que les lois sont faites pour les
généralités. On a donc résolu de généraliser la proposition et l’on s’y
est déterminé d’autant plus volontiers qu’on espère réussir plus tôt
en ne nommant ni M. de P… ni M. Ducp…
Vous verrez cette proposition dans les journaux et je pense que
vous en serez satisfait. La femme de soixante ans a été consultée
sur sa rédaction et l’a approuvée sauf quelques mots impropres
qui ont été remplacés par d’autres. Cela fait, les huit Membres se
sont réunis et, d’un commun accord, on a décidé qu’il fallait limiter
le nombre des signataires, attendu que plusieurs choses et Sophie
également. D’un autre côté, vous avez un excellent accoucheur et
une fort bonne garde. Tout cela est quelque chose. Quant aux formalités
à remplir, je crois que vous pouvez compter sur Alexandre.
Donnez-moi des nouvelles sur le ménage, sur votre position actuelle
et la manière dont on vous traite.
Adieu, je vous embrasse et Caroline aussi. Mille choses à votre maman
et à Sophie. Du courage et de la persévérance. Rira bien qui
rira le dernier.
L’adresse portait : Monsieur de Potter, place Saint-Michel, 595 (4),
à Bruxelles.
61 u
Extrait des textes de Louis de Potter
retrouvés dans ses archives personnelles
Mes bien chers enfants,
Mon dernier témoignage, je le fais en vous adressant un exemplaire
de mes souvenirs personnels ci-joint.
Ils sont extraits textuellement d’un écrit philosophique que je rédige
pour l’instruction des enfants, espèce de testament intellectuel et
moral, dont ceux-ci feront après ma mort tel usage qu’ils jugeront
convenable, et où le récit des principales circonstances de ma vie
forme un chapitre.
S’il m’arrive quelque malheur, veuillez employer sans délai une part
de mon argent de la manière suivante :
M. l’abbé de Haerne, pour le Comité polonais fr. 832,60
M. de Heyn, pour les pauvres de Bruxelles fr. 5.500,00
M. Julien, pour les pauvres de Bruges fr. 5.500,00
Total : 11.832,60
Je voudrais que les fr. 5.500, tant ceux pour Bruges que ceux pour
Bruxelles, fussent employés en achat d’approvisionnements en
houille et en pain. Ces comestibles et chauffage seraient déposés
en lieux et mains sûrs.
Il serait imprimé 1.100 cartes, représentant une valeur de fr. 5 en
pain et en houille, délivrables aux dépôts.
(…)
u 62
L’exil une fois de plus…
Les condamnés avaient espéré trouver asile en France. C’était sans compter
avec le gouvernement réactionnaire de Charles X. Le président du Conseil,
le Prince de Polignac, qui n’avait rien appris, rien oublié depuis l’émigration,
peaufinait ses ordonnances destinées à briser l’opposition libérale,
préparant ainsi sa propre chute, celle des Bourbons et l’avènement de
Louis-Philippe d’Orléans, trois mois plus tard.
Il n’était donc pas question pour lui de tolérer la présence sur le sol du
royaume à la fleur de lys de dangereux agitateurs, ce fut un “non” catégorique.
D’où une volée bois vert de la part de Louis : (…) Charles X,
congrégationiste bigot par haine pour la liberté, ne voulait pas de nous qui
étions en butte aux persécutions de Guillaume, intolérant jésuite par la
même haine.
De Potter se tourne alors vers la Prusse. Escorté par la maréchaussée, il
se rend à Vaels, dernier village belge avant l’Allemagne. Un quiproquo lui
avait fait croire à l’acceptation de celle-ci, mais depuis l’époque du premier
exil, les choses avaient évolué : installé au bord du Rhin, le royaume
de Frédéric-Guillaume III enserrait comme dans un étau les petits états
d’Allemagne centrale qui étaient destinés à entrer bientôt dans son orbite.
Devenus voisins immédiats de la France, le souverain et son gouvernement
craignaient la contagion révolutionnaire et désiraient, provisoirement, vivre
en paix le long de leur glacis rhénan. Louis essuie donc un nouveau refus
notifié, in extremis, par les autorités d’Aix-la-Chapelle alors qu’il a déjà
franchi la frontière. Toujours accompagné des gendarmes, qu’ils doivent
défrayer de leur poche, c’est donc le retour à Vaels où, pendant deux mois,
logés – ironie – à l’auberge du Prince d’Orange, ses compagnons et lui
rongent leur frein.
Cette solitude est brisée par l’arrivée de Madame de Potter et de l’épouse de
Tielemans, accompagnées de leurs trois petits enfants qui, espérant rejoindre
leurs maris, avaient également été refoulées du territoire allemand.
Finalement, un courrier daté du 7 juin, leur annonce que le canton helvétique
de Vaux accepte d’accueillir les proscrits. De Potter adresse une dernière
lettre au roi : Sauvez la Belgique, sauvez la Belgique, il en est temps
encore ; mais hâtez-vous de la sauver : car il pourrait n’en être plus temps.
63 u
Paroles prémonitoires car, ayant enfin pu franchir la frontière, il apprend les
évènements parisiens : les ordonnances parues le 25 juillet ont provoqué
le soulèvement populaire : ce sont les “Trois Glorieuses” (27/29 juillet), et
l’abdication de Charles X, le 2 août. Changeant alors leur plan, après avoir
longé le Rhin et fait un crochet par Strasbourg, les exilés gagnent Paris.
Circulaire du ministre de l’Intérieur et de la police prussienne
aux Commissaires de districts pour faire arrêter de Potter & co.
Le ministère royal de l’intérieur et de la police a arrêté, le 13 courant, qu’il ne sera
point permis de séjourner dans les provinces rhénanes à MM. de Potter, Bartels,
Tielemans, et de Nève, condamnés au bannissement dans les Pays-Bas pour délits
politiques, si l’un ou l’autre de ces délinquants se présente dans lesdites provinces,
non plus qu’aux personnes qui seraient publiquement connues pour partager leur
exil. En vous communiquant cet arrêté, d’après une décision de la suprême présidence
royale des provinces du Rhin, en date du 22 de ce mois, nous vous enjoignons
d’envoyer sans délai aux agences de police de votre cercle, l’ordre de faire
immédiatement transférer au-delà des frontières, par voie de transport militaire, les
coupables susmentionnés, aussitôt qu’ils auront été aperçus sur le territoire prussien.
Le cas échéant, vous nous en donnerez avis. Dusseldorf, le 27 mai 1830.
***
Régence royale, département de l’intérieur
Lettre de M. le ministre de Prusse
pour soutenir les fugitifs-exilés de Potter & co.
La Haye, ce 26 juin 1830. Messieurs, je suis fâché d’apprendre, par lettre
que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser en date du 23 de ce mois, les
difficultés que vous rencontrez à la frontière prussienne pour traverser les
provinces rhénanes. On aurait pu les prévenir si le gouvernement des Pays-
Bas s’était entendu avec celui de Prusse. J’ignore quels sont à cet égard les
ordres donnés à M. le Directeur de la police à Aix-la-Chapelle ; mais je viens
d’écrire à M. le président Reimans, et ne doute pas qu’il fera de son côté ce
qui dépend de lui pour faciliter votre passage. Je regrette de ne pas pouvoir
y contribuer d’une manière plus efficace, et je vous prie, de recevoir les assurances
de ma parfaite considération.
Signé : Le comte Waldbourg-Truchess.
u 64
La “Muette” fait parler la poudre
A ce moment à Bruxelles, le rétablissement d’un impôt sur la mouture et
des festivités onéreuses prévues pour l’anniversaire du roi avaient déjà
suscité la colère.
Des affichettes apparaissent : Lundi 23 feu d’artifice, mardi 24 illumination,
mercredi 25 révolution. Si le feu d’artifice et les illuminations sont annulés
vu le mauvais temps – il fait un soleil resplendissant – la censure qui
l’autorise n’avait sans doute pas lu le livret de la “Muette de Portici” l’opéra
d’Aubert, livret de Scribe, où il est question de la révolte, en 1647, des
Napolitains conduits par Masaniello contre le vice-roi espagnol à la suite
d’un impôt sur les denrées. Le 25 août, lorsque le ténor français Lafeuillade
attaque le duo fameux Amour sacré de la patrie. Rend-nous l’audace et la
fierté, c’est l’explosion.
Le ministre van Gobbelschroy qui est dans la salle ne semble pas mesurer
l’ampleur que prennent les évènements et estime, comme le rapporte le
comte Vilain XIIII, qu’un peloton d’agents de police suffirait après la pièce
pour disperser ces quelques trublions.
Cependant, les spectateurs tel un torrent sortent de l’opéra, se déversent
sur la place de la Monnaie, les cafés dont les consommateurs se joignent à
eux se vident, et les manifestants se muent en émeutiers qui vont saccager
et brûler la librairie de Libri Bagnano, s’en prennent à la maison du directeur
de la police de Knyff, rue de Berlaimont, à celles de Van Maanen (“le
Polignac Belge”) au Sablon et du procureur Schuermans, rue du Poinçon,
aux cris de “Vive de Potter ! Vive la Liberté !”.
La police débordée devant l’ampleur que prennent les évènements fait
appel à l’armée, forte d’un millier de fantassins à peine pour toute l’agglomération.
Les soldats dispersés, isolés, faute d’ordres énergiques restent le
plus souvent l’arme au pied et se font même désarmer par les émeutiers.
La nuit s’achève dans la plus grande confusion d’autant que devant l’évolution
insurrectionnelle de la situation, les bourgeois quittent les lieux et
laissent la rue à une foule décidée à en découdre avec les représentants du
pouvoir hollandais. Des agitateurs, dont certains seraient venus de France
(ce qui n’a pas été formellement démontré), se mêlent aux manifestants,
brandissent des drapeaux rouges ou tricolores et lancent des slogans républicains
et même rattachistes.
65 u
Le vieil ennemi de Louis, le procureur Schuermans, conclut même à une
conspiration inspirée depuis Paris par de Potter ce que Gendebien partisan,
au début, d’un rattachement à la France démentira.
Face la carence des autorités, quelques hommes énergiques (Ducpétiaux,
Delfosse, Vanderlinden) organisent, le 26, une garde bourgeoise dont le
commandement en second est confié en un premier temps à Pletinckx,
ancien maréchal des logis de hussards, le baron Emmanuel van der Linden
d’Hoogvorst nommé à la tête de celle-ci étant absent.
Alors qu’un drapeau français apparaît sur la façade de l’Hôtel de ville,
Ducpétiaux se précipite, au coin de la rue de la Colline et de la rue aux
Herbes Potagères, chez un commerçant en tissus, François Abts, dont
l’épouse coud à la hâte, perpendiculairement à une hampe, trois bandes
de tissus rouge, jaune et noir (les couleurs de la première révolution brabançonne
de 1789). Ducpétiaux arrache les couleurs étrangères du balcon
de la maison de ville et y substitue le nouvel emblème. Le premier drapeau
belge est né. Un arrêté du Gouvernement provisoire du 23 janvier 1831
décidera que les bandes seraient disposées verticalement et non horizontalement,
le rouge à la hampe. Finalement, le 12 octobre 1831, le noir
viendra à la hampe pour donner la bannière actuelle.
Sur ces entrefaits, à Paris, de Potter, informé de la situation bruxelloise, rencontre
La Fayette, glorieux vestige des temps anciens (il a septante-trois ans),
qui a pris le parti de Louis-Philippe. Le “héros des deux mondes”, craignant
la naissance d’une république en Belgique, interroge Louis à propos d’une
possible réunion à la France à laquelle celui-ci est évidemment opposé comme
le sera le nouveau souverain Orléans attentif à la réaction des Puissances
devant le retour possible à des frontières gagnées par la révolution.
D’une manière générale, les dirigeants de l’opposition ne sont pas non
plus favorables à un rapprochement. Le “Courrier des Pays-Bas” qui est
leur organe officieux, pressentant les évènements, écrivait déjà le 19 août :
Si donc la Belgique a des titres pour demeurer elle-même, nos voisins du
Midi doivent comprendre qu’il n’entrera jamais dans nos vues ni dans nos
intérêts de devenir simple province de la France…
Pendant ce temps, le 26 et le 27 août, l’émeute se déplace vers les faubourgs
et tourne à la révolte sociale. Destruction de machines génératrices
de chômage, vols, décident les bourgeois à renforcer la Garde bourgeoise
u 66
qui ouvre le feu sur les pillards. Les premiers morts de la révolution en
marche sont des Belges tués par d’autres Belges.
Informé seulement le 27 des évènements bruxellois, le roi envoie son
fils aîné, le Prince Guillaume, s’enquérir de la situation. Populaire auprès
des Belges, on lui avait construit, grâce à une souscription nationale, une
résidence devenue l’actuel Palais des Académies (où siège la Fondation
de Potter). Orange, accompagné de son frère Frédéric qui cantonne à
Vilvoorde à la tête de 6.000 hommes, pénètre le premier dans la ville avec
une escorte réduite, tandis qu’à La Haye, le gouvernement siège sans trop
savoir quel parti adopter.
Tandis que se déroulaient les affrontements, la situation avait pris un tournant
nouveau sur le plan politique. Gendebien ayant lancé l’idée d’envoyer
une délégation au roi pour lui faire connaître les griefs à “redresser”, une
réunion s’était tenue dans la soirée du 28 à l’Hôtel de ville et une quarantaine
de personnes, essentiellement des notables et des journalistes de
l’opposition avait désigné Frédéric de Mérode, François de Sécus, Emmanuel
d’Hooghvorst, catholiques, Alexandre Gendebien et Joseph Palmaert,
libéraux, pour se rendre à La Haye où il sont reçus par le roi le 30 août.
Souci d’apaisement, crainte du républicanisme affiché par de Potter, désir
de mener un jeu personnel, toujours est-il que Gendebien écrit à ce dernier
pour lui demander de ne pas revenir à Bruxelles pour l’instant.
Sous l’apparence de la concorde, les relations entre les deux hommes
commencent dès lors à se dégrader et aboutiront dans quelques mois à la
rupture totale.
Jusqu’au 3 septembre, un chassé-croisé aura lieu entre trois pôles d’indécision
: le palais de La Haye, celui du Prince d’Orange à Bruxelles et l’Hôtel
de ville de la capitale. En trois jours, les positions vont évoluer du redressement
des griefs à la réclamation de la séparation administrative du nord
et du sud du royaume.
Le Prince d’Orange, dont les relations avec son père n’avaient pas toujours
été au beau fixe, obtient pour sa part l’assurance que la monarchie ne sera
pas mise en question. On y verra un calcul dont la solution aurait été de
le voir devenir souverain des provinces du sud. Là encore, les preuves
formelles font défaut.
Le 3 septembre, le prince, escorté par un détachement de la garde bourgeoise
à cheval, quitte la ville en promettant d’appuyer les revendications
67 u
belges, notamment celle d’une union personnelle de Guillaume avec le
sud, alors que le roi convoque les Etats généraux pour le 13 à La Haye.
Gendebien, sans illusion, écrit à de Potter : Le prince s’en va, et avec lui
toutes nos espérances. Les jours suivants sont calmes, on attend la réaction
royale. Une fois de plus le souverain temporise et le 7, c’est la consternation.
S’il démet Van Maanen, il exige le retour à l’ordre et à la loi alors
qu’Orange et Van Gobbelschroy lui conseillent la séparation.
Le même jour, Charles Rogier arrive avec 250 Liégeois dépenaillés sur les
700 partis de la cité ardente, ce qui ne concourt pas à l’apaisement et
accentue la pression républicaine qui s’exprime au sein de la “Réunion
centrale”, comité dont le style rappelle celui de la France de 1789.
Devant la situation qui atteint un point de rupture, les deux parties, belges
et hollandaises, cherchent à connaître l’attitude que prendront les Puissances
en cas de conflit ouvert.
La France qui attend la reconnaissance internationale de la Monarchie de
juillet, “ne veut pas d’une république à une journée de marche de Paris”, ni
inquiéter l’Europe par un soutien au soulèvement qui s’annonce. Frédéric-
Guillaume III de Prusse, nous l’avons vu, ne désire pas s’engager au-delà
du Rhin. L’Angleterre, à son habitude, adopte le wait and see. L’Autriche
est davantage préoccupée par l’Italie que par le devenir de ses anciens
sujets. La Russie qui interviendrait volontiers est loin.
En réalité, tous les Etats avaient compris, avant Guillaume, que l’amalgame
– qu’ils avaient décidé en 1814, il est bon de le rappeler – est un échec.
A Paris, de Potter s’adresse au peuple belge dans “La Tribune” où il presse
celui-ci de déclarer : L’indépendance parlementaire et administrative de la
Belgique, la fédération immédiate de toutes les provinces, la réunion d’un
Congrès constituant et la formation d’un gouvernement révolutionnaire
provisoire.
Le 9, il écrit à Gendebien : Si le Roi Guillaume n’accepte pas d’être roi des
Belges, s’il ne déclare pas franchement et hardiment votre indépendance,
alors, érigez-vous en république fédérative séparée de la Hollande. L’idée
qu’il avait déjà avancée et qui est remise en avant par le “Courrier des Pays-
Bas” sera reprise par Gendebien, certains diront récupérée à son profit.
u 68
Frondeur mais lucide, de Potter anticipe et évoque le partage du gâteau,
auquel vous pouvez en toute sûreté de conscience procéder sans moi. Le 17,
il renchérit dans la ligne dure en évoquant les 8.000 hommes, tous Belges
(ce qui nous paraît assez optimiste) prêts à marcher sur Bruxelles, tout en
se plaignant que Gendebien et Van de Weyer lui demandent de rester jusqu’à
nouvel ordre dans la capitale française. On devine une fois de plus la
faille qui s’ouvre entre les ténors.
Les députés belges (de Stassart, de Sécus, Surlet de Chocquier, de Gerlache…)
qui se rendent à la convocation des Etats généraux sont conspués,
menacés par les Hollandais dont les journaux s’enflamment : Plus de
négociations ! La guerre ! Guerre aux rebelles, aux assassins, écrit le
“Nederlandsche Gedachten”.
Le 17, la session des Etats est ouverte par un discours de Guillaume qui une
fois de plus temporise, et le 21, par 81 voix sur 100, la seconde Chambre,
Belges et Hollandais confondus, vote une adresse favorable à la séparation.
Sitôt connu le texte de l’allocution, 200 à 300 personnes arpentent les rues
du centre de Bruxelles en vociférant : “Vive de Potter ! Vive la Liberté !
Vive Napoléon !”. Et si la Garde bourgeoise disperse sans dommage la manifestation,
il était apparu urgent de prendre une attitude claire devant la
situation. Une réunion des sections de la garde avait donc été convoquée
le 15 à l’Hôtel de ville. Loin de calmer les choses, elle avait mis en évidence
l’opposition entre radicaux et modérés.
Ces derniers, formant la Commission de Sûreté publique (Van de Weyer,
Gendebien…) désirent temporiser pour ne pas déforcer les délégués
aux Etats généraux. Mais les membres de la Réunion centrale, Rogier,
Ducpétiaux, Chazal et curieusement des étrangers comme l’Espagnol Juan
van Halen, des carbonari en exil, des bonapartistes en disponibilité, sans
mandat aucun, arrachent littéralement le 20 septembre le pouvoir des
mains de la Commission. Ils envoient des délégations en province et celleci
s’agite à son tour. A Gheel par exemple, on crie “Vive le Prince de Ligne !
Vive la Liberté ! Vive de Potter !”, étrange amalgame, on en conviendra.
Parmi les exaltés, Pletinckx, chef de la garde bourgeoise, abandonne la Commission
dont il est membre et exige le combat. Heureusement, d’Hoogvorst
est l’un des seuls à garder la tête froide et rallie une partie de la garde bourgeoise,
ce qui malheureusement ne suffira pas, car le 18, c’est l’anarchie
totale : pas de députés, ils sont à La Haye, la bourgeoisie terrée chez elle
ou en fuite, les nobles retirés dans leurs châteaux, la garde bourgeoise
69 u
désarmée par la populace alors qu’une intervention de l’armée royale se
profile. Le Prince d’Orange qui, en signe d’apaisement, s’était replié sur
Anvers, a reçu l’ordre de revenir sur Vilvoorde avec 10.000 hommes et
30 canons.
A ce moment, de Potter est mal informé car il ignore que la bourgeoisie
est en train de changer d’attitude à son égard devant la révolte sociale qui
s’étend parce qu’il suffirait à celui-ci poser le pied sur notre sol pour être
suivi à l’instant de tout le peuple qui l’aime et qui met en lui une confiance
sans bornes (lettre de de Gatti de Gammond à Tielemans).
En réalité, un malentendu règne entre Louis et la classe possédante car,
quand il parle du peuple ou de la république, c’est d’une manière littéraire,
théorique, presque abstraite. Si, à l’époque, il connaît les questions
institutionnelles et politiques, la réalité sociale lui est mal connue, ce qui
se modifiera dans quelques années. Et pourtant, son heure de gloire va
sonner...
Les journées décisives
Devant la situation, Gendebien, Van de Weyer et ceux qui avaient la tête
politique comprirent que le mouvement se désagrégerait faute d’un chef
dont l’autorité s’imposât à tous. Ce chef, ce sera, provisoirement, Louis de
Potter. Gendebien, qui a quitté discrètement Bruxelles le 18 au soir, rencontre
Louis entre le 20 et le 22, d’abord à Lille où il se trouve avec sa mère
puis à Valenciennes en compagnie des ténors qui avaient prudemment pris
le large devant la tournure des évènements (Van de Weyer, van der Smissen,
Niellon, Chazal, Vandermeeren, Levae…). Mais de Potter refuse de se joindre
à eux et retourne à Lille.
Monsieur Van de Weyer nous annonça que tout était définitivement perdu,
écrira-t-il, ce à quoi Gendebien répondra bien à posteriori : On a mauvaise
grâce d’insulter, de calomnier ceux qui eurent un moment de défaillance
fort excusable, en présence de l’effroyable anarchie qui a précédé les combats
de Bruxelles. Vae soli ! (traduction litérale : Malheur au solitaire !).
Pendant ce temps, seuls d’Hoogvorst, Pletinckx et le docteur Grégoire,
demeurent à leur poste et reforment la garde bourgeoise, face à la progression
des cohortes du Prince Frédéric qui avancent vers la capitale. Le
2 octobre, le Gouvernement provisoire décidera la formation d’une garde
civique dans toutes les communes du pays et le 31 décembre suivant le
u 70
Congrès national décrète la loi contenant institution de la Garde civique.
Celle-ci subsistera jusqu’au 11 juin 1920, date de sa dissolution.
Le 23, la “Muette de Portici” retentit, jouée par les musiques militaires de
l’armée, en réplique à l’émeute du 25 août et, à huit heures du matin, entrant
par les portes de Schaerbeek et de Louvain, les troupes avancent jusqu’au
parc. Les combats vont dès lors se concentrer dans le haut de la ville car,
aux portes de Laeken et de Flandre, la cavalerie piétine : le sixième hussard
qui avait brillamment combattu à Waterloo est sévèrement étrillé par les
défenseurs qui sont essentiellement des ouvriers et de petits artisans bruxellois
et des faubourgs. Dès le début des combats, le général Trip, se souvenant
de l’exemple parisien récent, a compris qu’une armée habituée à se
battre en rase campagne a peu de chance de conquérir une ville aux ruelles
et impasses nombreuses d’autant que le Prince Frédéric se refuse pour sa
part à utiliser l’artillerie lourde qui provoquerait un bain de sang.
Rogier qui a quitté son refuge revient et fait appel à don Juan van Halen,
un militaire professionnel, lequel organise les groupes épars alors que des
volontaires arrivent peu à peu de province.
Les combats se poursuivent les 24 et 25 septembre et le goulet entre l’actuelle
place des Palais et la place Royale, où le canon de Charlier dit Jambe
de Bois fait merveille, devient le centre de ceux-ci. Le 27 au matin, le
prince ordonne la retraite.
Loin d’être une guerre d’opérette, ces “Quatre Glorieuses” feront près de
600 morts et un millier de blessés au sein de l’armée royale, qui compte des
Belges dans ses rangs, et 400 morts et 1.200 blessés parmi les insurgés.
Alors qu’Orange se replie, de Potter franchit la frontière. Le 28, il hésite
encore quant à la marche à suivre, mais il est emporté par une vague
populaire. A Grammont, un petit groupe d’orangistes a formé le projet de
l’enlever et de le conduire en Hollande, moyen radical pour décapiter la
révolution en marche.
Ils en seront pour leur frais car après avoir passé, par un temps affreux, la
nuit du 26 et le 27 dans une chaumière, ils apprendront que, déjouant leur
plan, Louis, prévenu par des résistants, est passé par Enghien
Sincérité ou calcul, il écrit à Van de Weyer : Je suis aux portes de Bruxelles. La
victoire est à nous : il n’y a plus qu’à en profiter. Mes amis, si je ne vous suis
pas absolument indispensable, permettez-moi de retourner tout de suite à ma
mère, à ma femme, à mes enfants, à mes occupations. J’aurais voulu vous
être utile. Vous n’avez plus besoin de personne. Laissez-moi ma liberté.
71 u
Le discours de Louis de Potter sur la Grand-Place
de Bruxelles, le 28 septembre 1830 vers 19 heures
C’était au cri de “Vive de Potter ! A bas Van Maanen !” que les
premiers mouvements insurrectionnels avaient eu lieu en Belgique,
à la fin d’août et au commencement de septembre.
A présent, rentrant de son exil français, arrivant aux portes de
Bruxelles le 28 septembre vers 18 heures, les chevaux de la voiture,
prêtée par M. Rodenbach à Roulers, furent aussitôt dételés, malgré
l’opposition et les instances formelles de l’honorable voyageur.
M. de Potter rencontra plus de 20.000 citoyens, parmi lesquels on
remarquait une foule de nos braves blessés ; sa voiture fut littéralement
tirée et portée à bout de bras jusqu’à l’Hôtel de ville. On
n’entendait que les cris “Vive de Potter ! Vive le défenseur de nos
libertés ! Vive les Belges !”, etc.
En sortant de sa voiture, il fut porté sur les bras de plus 10.000
personnes qui se trouvaient sur la place, et ce n’est qu’avec la plus
grande peine qu’il est parvenu à entrer dans l’Hôtel de ville.
Là, il fut reçu par ses collègues du Comité révolutionnaire, qui
tous se précipitèrent vers lui et l’étouffèrent pour ainsi dire leurs
embrassements.
Le peuple belge le demandait à hauts cris au balcon. Louis de Potter
s’y présenta accompagné du baron d’Hoogvorst. Il remercia ses
braves concitoyens de l’accueil, vraiment admirable, qu’ils lui avaient
fait, et leur jura que désormais il était tout à eux et que rien ne lui
coûterait pour aider à les soustraire du joug des Hollandais.
***
Mes chers concitoyens : Me voici au milieu de vous.
L’accueil que vous m’avez fait m’a vivement ému, il ne sortira jamais
de ma mémoire. Je ferai tout pour me rendre digne de vous et de
la patrie. Brave peuple belge, vous avez victorieusement vaincu. Sachez
profiter de la victoire.
u 72
Vos lâches ennemis sont dans la stupeur. Ne perdons pas un instant.
Regroupons-nous autour du gouvernement populaire qui est
votre ouvrage. De leur côté, n’en doutons pas, les incendiaires que
vous venez de chasser si ignominieusement de votre capitale préparent
de nouveaux crimes.
Plus d’hésitation, plus de ménagements. Il faut éloigner à jamais
de nos foyers les assassins qui y ont porté le fer et le feu, le viol et
le carnage. Il faut sauver nos mères, nos femmes, nos enfants, nos
propriétés. Il faut vivre libres ou nous ensevelir tous sous des monceaux
de cendres.
Soyons unis, mes chers concitoyens, et nous serons invincibles.
Conservons l’ordre parmi nous ; il nous est indispensable pour
conserver notre indépendance.
Liberté pour tous ! Egalité de tous devant le pouvoir suprême : la
nation ; devant sa volonté : la loi. Vous avez écrasé le despotisme ;
par votre confiance dans le pouvoir que vous avez créé, vous saurez
vous tenir en garde contre l’anarchie et ses funestes suites. Les Belges
ne doivent faire trembler que leurs ennemis.
Vive la Belgique !
La politique peut reprendre ses droits
Il nous faut revenir quelques jours en arrière pour comprendre la partie qui
va maintenant se jouer.
Le 23, une Commission administrative, composée d’Hoogvorst, de Rogier,
de Jolly et de Coppin s’était mise en place, bientôt rejointe par Gendebien,
Van de Weyer, de Mérode pour former, le 26, un Gouvernement provisoire,
il faut bien le reconnaître, autoproclamé face à l’urgence et dont les membres
sont des trentenaires exaltés. Le plus âgé, Gendebien, en a 41 et de
Potter, avec ses 44 ans, fait figure d’ancêtre.
Par une manoeuvre subtile inspirée par Gendebien, le petit groupe décide
le 28 de s’adjoindre de Potter, alors héros national, comptant l’utiliser
pour détourner les ouvriers de la lutte des classes au seul profit de la lutte
73 u
nationale (entendons : “celle des classes possédantes politisées”). Nous
avions fait, dira Gendebien, de Louis de Potter, un drapeau : nous savions
par expérience qu’il n’avait que la valeur d’un drapeau ; mais un drapeau,
tenu et dirigé d’une main ferme, pouvait rendre de grands services à la
cause… Il s’agissait ainsi d’éviter que les “blouses bleues” ne s’emparent
du pouvoir au détriment des “redingotes”.
Installé dans le cabriolet de Pierre Rodenbach, Louis chemine vers Bruxelles
sous les vivats et les Chansons qui glorifient le “La Fayette belge”.
Voiture dételée et portée à bras, arrivé à 18 heures à l’Hôtel de ville, intégré
immédiatement au Gouvernement provisoire, d’Hooghvorst le présente
au balcon. C’est l’apothéose pour le héros, dont les 20.000 personnes qui
l’acclament n’ont probablement lu aucun des textes, mais qui incarne la
Liberté. Pour les observateurs, il ne fait aucun doute que primus inter pares
il est, comme l’écrit l’ambassadeur d’Autriche au chancelier Metternich, “le
véritable chef du Gouvernement provisoire”.
Or, dans deux mois, il sera mort politiquement. Certains craignent qu’il ne
s’installe au Palais Royal en dictateur, ce qui nous vaut un échange savoureux
entre Plaisant, chargé de la sûreté et Van de Weyer.
Celui-ci demande à Plaisant s’il a un appartement disponible chez lui : Oui
au second… Offrez-le-lui, il n’y a point de dictateur au second étage !
Sur l’initiative de Louis, à l’image de la Convention française de 1792, une
des premières décisions du gouvernement est de créer un Comité central
exécutif dont il est le président de fait.
Le Comité intègre les différents courants qui vont dès lors s’affronter :
Rogier et Van de Weyer représentent la tendance républicaine modérée,
ils changeront bientôt d’orientation, de Mérode – bon sang ne peut mentir
– penche pour la monarchie, ce qui rassure les catholiques.
Dans la fièvre politique qui régnait, de Potter aura des mots particulièrement
échaudés à son égard : Monsieur de Mérode, caractère tenant à la fois
de l’esprit dominateur du prêtre et de l’outrageuse superbe du grand vassal
dont M. Van de Weyer disait plaisamment qu’il ne connaissait d’autre
droit que le droit canon, et d’autres canons que celui de la messe. Du reste,
M. le Comte n’était guère redoutable ; il n’était que gênant : ses chicanes et
ses détours de sacristie ennuyaient, mais n’empêchaient rien. De Mérode
pour sa part l’avait traité de “Robespierre”. Clin d’œil de l’histoire : malgré
u 74
l’opposition, un mariage Mérode-Potter aura lieu et voici, à la page suivante,
un projet de Constitution conjoint.
Même s’il n’a pas voté pour la république, contrairement à dix-sept de ses
collègues au Congrès, Louis apparaît comme un républicain et, en tous cas,
le chef de file des démocrates “radicalistes”. Des commissariats spéciaux,
sortes de ministères avant la lettre, viennent épauler le pouvoir central.
Gendebien se voit confier celui de la Justice où il satisfait les exigences
de l’opposition, entre autres, rétablissement du jury, audiences publiques.
La magistrature est épurée par la révocation ou la mise à la retraite des
orangistes. A ce chapitre, Louis de Potter regrettera de n’avoir pas au moins
préparé la future abolition de la peine de mort.
Rapidement, il se repentira aussi d’avoir accepté une charge gouvernementale
car il perdait ainsi sa liberté de manœuvre, ce qui était le but de ses
désormais adversaires politiques, il écrira (mais était-il tout à fait sincère) :
Je ne me doutai pas le moins du monde qu’en prêtant à ces messieurs tout
l’appui de ma popularité qui était immense alors, je m’ôtais à moi-même la
possibilité de la conserver, puisque, n’ayant qu’une voix au Conseil, j’assumais
sur moi la responsabilité entière de ses actes même les plus impopulaires
du gouvernement que je les eusse ou ne les eusse pas voulus…
Le Gouvernement provisoire tel qu’il se réunit le 26 septembre. Voici ceux qui en
faisaient partie d’après le dessin original de P. Verhaert appartenant à M. Robert
Gendebien. Debout de gauche à droite : Joly, Alex Gendebien, Sylvain Van de
Weyer, baron E. d’Hooghvorst. Assis : F. de Coppin, Charles Rogier et Louis de Potter
face au comte Félix de Merode. © Ceges, Bruxelles.
75 u
Note et articles constitutionnels de Louis de Potter
“Parallèle entre les rois Guillaume et Léopold”
Il y a deux sortes de gouvernement pour un peuple. La première,
et c’est la seule bonne, la seule juste, la seule durable, c’est de
consulter le peuple même sur la manière dont il veut être gouverné,
pour savoir de lui quels sont ses besoins et ses vœux, ses
opinions et ses croyances, et comment il suppose qu’on satisfera
le mieux aux unes en marchant dans le sens des autres. Et de se
conduire scrupuleusement envers et avec ce peuple comme il
se serait conduit lui-même.
Considérant que le Prince d’Orange, qui n’est plus qu’un
simple individu soumis aux lois de la Belgique, prétend exercer
un grand pouvoir dans une de ces villes, et qu’il s’y permet
même de faire des actes de gouvernement, incompatibles avec
l’indivisibilité du pouvoir exécutif actuellement confié au Gouvernement
provisoire ;
Considérant que des agitateurs instigués et soldés par le
pouvoir déchu, pour troubler les provinces, détourner l’attention
des citoyens des élections nationales, fausser le vœu populaire
et préparer par l’anarchie le retour de l’ancienne tyrannie
hollandaise ;
Arrêté : ARTICLE I er .
(M. de Potter)
Toute ville où se trouvent les Hollandais
armés ou quelque membre
de la famille des Nassau est exclue
de toute participation aux délibérations
du Congrès national.
ARTICLE II.
(M. de Potter)
Tout membre de la famille des
Nassau qui continuerait à résider
en Belgique…
(M. de Mérode.)
Toute ville occupée par des
Hollandais armés qui empêchent
l’action libre du Gouvernement
provisoire est exclue
de la participation aux délibérations
du congrès.
(M. de Mérode.)
Toute personne, quels que
soient son rang et son existence
antérieure…
u 76
Ci-dessus, le portrait de Louis de Potter réalisé par son fils Eleuthère, jeune peintre de
17 ans, qui gagna un prix de l’Académie de Peinture de Bruxelles et fût primé à Paris
avant de décéder à 24 ans lors d’un stage de peinture en Italie (collection familiale).
Le portrait ci-dessous est d’un auteur inconnu, gravure reprise dans “Histoire de
Belgique pour les classes d’humanité modernes”, Ed. Delaude, Bruxelles, 1965.
77 u
Discours d’ouverture par Louis de Potter du premier
“Congrès national belge”, le 10 novembre 1830
Au nom du peuple belge, le Gouvernement provisoire ouvre l’Assemblée
des représentants de la nation. Ces représentants, la nation les a chargés
de l’auguste mission de fonder sur les bases larges et solides de la liberté
l’édifice d’un nouvel ordre social, qui sera pour la Belgique le principe et la
garantie d’un bonheur durable.
Vous le savez, messieurs, à l’époque de notre réunion à la Hollande,
une loi fondamentale fut présentée à des notables, désignés par le
pouvoir, non pour l’examiner, la discuter, la modifier, et enfin l’accepter
et en faire la condition du pacte entre le peuple et le chef de l’Etat,
mais uniquement pour s’y soumettre aveuglément ou la rejeter dans
sa totalité.
Elle fut rejetée, comme on devait l’attendre du bon sens et de la
loyauté belges. Mais par un subterfuge sans exemple, elle fut déclarée
acceptée, et une Constitution, imposée par la Hollande, pesa sur notre
patrie. Si du moins cette loi fondamentale avait été franchement exécutée
dans toutes ces dispositions, avec le temps peut-être et à l’aide
des progrès que l’arbitraire ministériel nous forçait chaque jour à faire
dans la carrière de l’opposition constitutionnelle, elle aurait pu devenir
l’espoir de la liberté belge.
Mais loin de là ; voici la triste réalité qui gouvernait notre pays :
- consciences violées ; enseignement enchaîné ; droit de pétition méconnu
;
- presse condamnée à n’être plus que l’instrument du pouvoir, ou forcée
au silence ;
- substitution arbitraire du régime des arrêtés au système légal établi
par le pacte social ;
- confusion de tous les pouvoirs, devenus le domaine d’un seul ;
- imposition despotique d’un langage privilégié ;
- amovibilité des juges abaissés au rôle de commissaires du pouvoir ;
- absence complète de la garantie de la publicité et de celle du jury ;
- dette et dépenses énormes, seule dot que nous eût apportée la
Hollande ;
- impôts accablants par leur hauteur et plus encore par leur répartition
impopulaire ;
u 78
- lois toujours votées par les Hollandais pour la Hollande seulement,
et toujours contre la Belgique, si inégalement représentée aux anciens
Etats généraux ;
- siège de tous les grands corps constitués et de tous les établissements
importants fixé dans cette même Hollande ;
- scandaleuse distraction des fonds spécialement destinés à favoriser
l’industrie ;
- révoltante partialité dans la distribution des emplois civils et militaires.
par un gouvernement aux yeux duquel la qualité de “Belge” était un
titre de réprobation ; en un mot, la Belgique traitée comme une province
conquise, comme une colonie ; tout, messieurs, nécessitait une révolution,
la rendait inévitable, en précipitait l’époque.
De si justes griefs si réels devaient aussi en assurer le résultat. Nous
étions insurgés contre le despotisme pour reconquérir nos droits ; nous
fûmes traités par la tyrannie comme des rebelles.
Nos villes incendiées ; les actes les plus barbares exercés jusque sur des
vieillards et des femmes ; les lois de l’humanité, les droits de la guerre
foulés aux pieds, témoignent encore de la férocité de nos ennemis, en faisant
bénir la victoire du peuple qui en a purgé notre sol. Le fruit de cette
victoire était l’indépendance. Le peuple l’a déclarée par notre organe.
Interprète de ses vœux, le Gouvernement provisoire vous a appelés,
messieurs, vous, les hommes choisis par la nation belge, pour constituer
cette indépendance et pour la consolider à jamais. Mais, en attendant
que vous puissiez remplir cette tâche, un centre d’action était nécessaire
pour pourvoir aux plus urgents besoins de l’Etat.
Un Gouvernement provisoire s’est établi, et il a suppléé temporairement
à l’absence de tout pouvoir. La nécessité d’un gouvernement quelconque
justifiait sa mission ; l’assentiment du peuple confirma son mandat.
Tout était à faire, tout était à créer. Il fallait :
- réorganiser l’administration intérieure, le pouvoir judiciaire, les finances,
l’armée et la «garde citoyenne», sur laquelle désormais s’appuieront les
empires modernes ;
- abolir l’impôt odieux de l’abattage ;
- rendre entière publicité aux procédures criminelles ;instituer un jury populaire
;
- assurer de nouvelles garanties aux prévenus devant la Cour d’assises ;
- abolir la dégradante punition de la bastonnade ;
79 u
- organiser les élections populaires des bourgmestres et des régences, et
l’élection directe des députés au Congrès national ;
- plus de direction générale de police, plus de haute police ;
- affranchir l’art dramatique ;
- abolir la loterie ;
- publier les comptes et budgets des communes ;
- liberté pleine et entière pour la presse, pour l’enseignement, pour les associations
de toute espèce, et pour les opinions et les cultes, désormais
délivrés de toute crainte de persécution, de tout danger de protection.
Voilà, messieurs, les principaux titres avec lesquels le Gouvernement
provisoire s’offre devant la nation et ses représentants. De relations
avec l’étranger, nous n’avons pas cru devoir en établir, dans les circonstances
où se trouvaient et la nation et nous-mêmes.
Nous savions d’ailleurs à n’en pouvoir douter et nous pouvons vous en
donner l’assurance positive, que le principe de non-intervention serait
strictement maintenu à notre égard.
Nous jugeâmes donc que la libre Belgique devait fonder son indépendance
par ses propres forces, toujours prête à les tourner contre
quiconque voudrait entraver ce droit sacré. Depuis que nous avions pris
cette résolution, nous avons reçu assurance de la cessation prochaine
des hostilités, l’évacuation, sans conditions aucune, de tout le territoire.
Messieurs, vous allez achever de consolider notre ouvrage. Fondez l’édifice
de notre prospérité future sur les principes de la liberté de tous, de
l’égalité de tous devant la loi, et de l’économie la plus sévère. Que le
peuple soit appelé à profiter de notre révolution :
- charges de l’Etat diminuées selon ses vrais besoins ;
- salaire des fonctionnaires réduit à la juste indemnité du temps et
des talents qu’ils consacrent à la patrie ;
- suppression des emplois inutiles et nombreuses pensions, récompenses
souvent accordées à la servilité, vous mettront à même de
consommer l’œuvre de notre régénération.
Et nous, messieurs, en quelque position que nous soyons, nous soutiendrons
de tous nos vœux, tous nos moyens, tous nos efforts, cette œuvre
patriotique, trop heureux, après son entier succès, de nous confondre
dans les rangs de ce peuple qui aura, tout à la fois, vaincu et assuré les
bienfaits de la victoire !
de Potter
u 80
Quelle forme de régime choisir ?
Louis se trouve en effet isolé car, comme le dit Pirenne : Un seul eût souhaité
aller plus loin et de profiter des circonstances, non seulement pour réformer
la constitution politique, mais la constitution elle-même de la société.
En langage plus précis, instaurer la république dans son sens puritain de
l’époque qui comprend : “révolte, démocratie, liberté, fraternité, égalité…
Bref, la chose publique moderne ; ou la res publica italienne avec ses
variantes de républiques aristocratiques de Venise et Florence”.
En octobre, les évènements se précipitent et, le 4, paraît l’arrêté qui
consomme la rupture nord-sud :
Le Gouvernement provisoire, Comité central :
Considérant qu’il importe de fixer l’état futur de la
Belgique arrête :
Article premier - Les provinces de la Belgique, violemment détachées
de la Hollande, constitueront un Etat indépendant.
Art. 2 - Le Comité central s’occupera au plus tôt d’un projet de
Constitution.
Art. 3 - Un Congrès national, où seront représentés tous les
intérêts des provinces, sera convoqué. Il examinera le projet de
Constitution belge, le modifiera en ce qu’il jugera convenable, et
le rendra, comme Constitution définitive, exécutoire dans toute
la Belgique.
Bruxelles, ce 4 octobre 1830
de Potter, Ch. Rogier, Sylvain van de Weyer, comte Félix de Mérode
Par ordonnance, le secrétaire, J. Vanderlinden
81 u
Bien qu’ayant signé le document, de Potter ne peut accepter cette dictature
de fait du Comité et exige que ce soit le Congrès et lui seul qui établisse
la Constitution.
Les positions vont dès lors se radicaliser et deux camps s’affronter quant
au régime que la Belgique doit adopter : monarchie ou république (dont
certains craignent voir de Potter devenir président). Le combat, mené par
Gendebien, tendra comme l’écrit Louis à le transformer en une “innocente
mouche du coche”.
Le 10 octobre, celui-ci demande de Paris, où il a été envoyé, pour s’enquérir
de l’attitude française : de Potter voudrait-il par hasard, se faire général ?
Les membres du gouvernement hésitent encore puisque, le 18, ils envoient
de Brouckère négocier à Anvers où les troupes hollandaises se sont retirées
dans la forteresse.
En effet, une troisième force demeure en lice : les Orange-Nassau conservent
encore de nombreux appuis et le Prince Guillaume, qui joue cavalier
seul vis-à-vis de son père le roi, déclare le 16 octobre, dans une ultime
proclamation, se placer “à la tête du mouvement qui menait les Belges vers
un état de chose nouveau et stable, dont la nationalité ferait la force”.
Il sollicitera même l’appui de de Mérode, de Van de Weyer et de de Potter
par l’intermédiaire du Prince Kosloffski, ancien ministre plénipotentiaire de
Russie à la cour de Wurtemberg, disgracié, qui habite Gand, mais il s’attirera
une réponse sans ambiguïté de de Potter : Si le peuple m’eût seulement
soupçonné de vouloir présenter le Prince d’Orange comme le seul chef digne
de lui commander, il serait monté au lieu des séances du gouvernement
pour me jeter par la fenêtre, et je n’aurais eu là que ce que j’aurais mérité,
pour avoir méconnu et avoir voulu violer le vœu national.
De Mérode écrit pour sa part : Ayant reçu communication du désir qui
nous a été exprimé au nom de Votre Altesse royale d’entrer en accommodement
avec le Peuple belge, le soussigné pense qu’il est devenu très difficile
de rendre à aucun membre de la Maison d’Orange-Nassau, l’affection et
la confiance d’une nation si longtemps trompée dans ses espérances, d’une
nation privée pendant seize ans de ses droits, de ses garanties les plus chères,
et livrée à la rapacité dévorante d’étrangers hollandais ou de Belges
indignes de ce nom par une égoïste et honteuse servilité…
Finalement, le 18 octobre, les ponts sont rompus.
u 82
Extrait de la “Lettre à mes concitoyens”
de Louis de Potter, novembre 1830
Peuple, ce que nous sommes, nous le sommes par vous ; ce que
nous ferons, nous le ferons pour vous. (…) Il n’y a que vous que je
veuille convaincre de mon sincère patriotisme.
J’ai indiqué, par une lettre publiée dans “La Tribune des Départements”
combien il était absurde de permettre aux ministres étrangers
de donner Paris pour prison à ceux de leurs compatriotes qui
ne leur conviendraient pas. Cette lettre piqua vivement l’ambassadeur
néerlandais et je partis alors avec un passeport certifié bon à
la préfecture de police.
Soutenu par mon ami Tielemans, j’étais le seul au Comité central à
vouloir qu’il se dessine politiquement et qu’il prenne parti (…) nous
étions les représentants de la révolution et il nous était imposé de
la faire triompher (…) abandonner le sort de la patrie au Congrès
eût été une imprudence.
Le peuple belge possède la souveraineté réelle. Veut-on courir le
risque de le mettre aux prises avec la monarchie héréditaire qui
pourra s’établir chez lui (…) par ses vertus, le peuple belge mérite
la liberté. Lui imposer la monarchie héréditaire, ce serait le ramener
de force au régime (…) dont il s’était délivré si glorieusement, régime
de luxe et de faux éclat, d’où résultent dépravation des grands,
avilissement des petits, déconsidération de la nation et la ruine de
l’Etat.
Considérant le Gouvernement provisoire comme la véritable force
motrice de la révolution, j’avais voulu confier à ce gouvernement seul
la mission d’asseoir la révolution sur des bases inébranlables (…)
Aussi, par le refus fait au Gouvernement provisoire (…) je vis que la
royauté constitutionnelle conservait des chances de succès devant
la représentation nationale. (…) Le gouvernement jusqu’alors était
essentiellement révolutionnaire et nécessairement anti-orangiste.
83 u
Les Puissances se concertent
Pendant ce temps, les Puissances se réunissent à Londres afin de trouver
une solution au problème belge qui risque d’empoisonner les relations
internationales. Faut-il régler la question par les armes pour rétablir la
situation de 1814 ou négocier ? Comme le dit Metternich : La conférence
s’est réunie pour arranger l’affaire, mais laquelle ? Celle de Sa Majesté néerlandaise
ou bien l’affaire des révoltés belges ?
Du 4 novembre au 20 décembre, Palmerston (Grande-Bretagne), Bülow
(Prusse), Lieven (Russie), Esterhazy (Autriche), Talleyrand (France) débattent
en présence de Falck, ambassadeur hollandais, flanqué de van Zuylen,
et de Van de Weyer pour la Belgique, qui n’ont pas voix au chapitre. A
cette occasion, Van de Weyer révèle de remarquables qualités de diplomate
qui en feront une personnalité politique incontournable du futur royaume
et un Premier ministre.
Le résultat le plus positif sera la signature, le 17 novembre, d’un armistice
entre les belligérants. Ensuite, au texte lapidaire proposé par Talleyrand
(les cinq Puissances accèdent aux vœux des Belges et les reconnaissent
comme un peuple formant un Etat séparé de tout autre et indépendant) se
substitue un protocole beaucoup plus élaboré qui proclame notamment la
neutralité perpétuelle du nouvel Etat garantie par les Puissances, mais lui
impose aussi au nouvel Etat une série d’obligations porteuses de conflits
dans un avenir proche.
Finalement, la conférence se sépare en ayant évité une conflagration générale
: la France voit tomber une barrière dressée à ses frontières. Talleyrand
sans abattre ses cartes est en fait favorable au partage de la dépouille, Liège
allant à la Prusse, la Flandre et Anvers à l’Angleterre, et la Wallonie bien
évidemment à la France. S’il existe une fraction rattachiste dans cette partie
du pays, elle restera toujours minoritaire.
La Grande-Bretagne assiste à la disparition d’une concurrence commerciale
; l’Autriche se réjouit sous cape de voir qu’on n’a pas mieux réussi
l’union là où elle a échoué en son temps ; la Russie affronte au même
moment la révolte polonaise et ne peut intervenir militairement comme
elle l’aurait souhaité.
Reste aux Belges à se déterminer quant au régime qu’ils désirent adopter :
constitution, république ou monarchie ? Depuis le 6 octobre, une Commission
de Constitution avait été mise en place, elle était composée de
u 84
de Gerlache, de Brouckère, Devaux, Van Meenen, Tielemans, Balliu,
Zonde, Thorn, Lebeau, Dubus, Blargnies, quasiment tous avocats, Nothomb
est désigné comme secrétaire et rapporteur. Une série de mesures positives
y est rapidement proposée : suppression des punitions corporelles, publicité
des budgets et comptes communaux, instauration d’une garde civique
dans chaque commune, liberté des cultes, de la presse, du théâtre, du droit
d’association. Reste à déterminer la forme du futur Etat.
Le 19, de Potter envoie une lettre au “Courrier des Pays-Bas” dans laquelle
il proclame sans ambages sa position : (…) Mes opinions, je ne les ai jamais
cachées, je suis républicain… La royauté, ou l’hérédité, ou l’intérêt
dynastique, mènent presque nécessairement au luxe, au gaspillage, à l’exploitation.
Une telle attitude lui aliènera encore un peu plus la bourgeoisie
attachée au principe monarchique.
Poursuivant son travail, la Commission établit les critères d’éligibilité au
Congrès national qui va s’ouvrir : avoir 25 ans, disposer d’une fortune
permettant le paiement d’un cens élevé ou posséder des diplômes, les
officiers et les ministres des Cultes sont également admis à être candidats ce
qui ouvre fatalement la voie à la formation d’un gouvernement bourgeois.
Louis pour sa part défendra le principe du suffrage universel.
Mais surtout, elle se prononce, le 27 octobre, pour l’instauration de la
monarchie par huit voix pour et une voix contre, celle de Tielemans qui propose
un compromis assez curieux, une alternance monarchie-république,
chacune pendant trois ans.
Louis de Potter n’a pas voté ou se sera abstenu. Les autres membres étaient
soit absents, soit non encore nommés.
Tielemans démissionne tandis que de Potter désabusé dit : Ce n’était pas la
peine de verser tant de sang pour si peu de choses, car il a compris, qu’avant
même le vote de la Constitution, c’est la défaite du parti républicain qui est
consacrée. Dans ses “Souvenirs personnels”, il dira : MM. Rogier et Van de
Weyer, voyant en moi l’ennemi des dignités solides et des honneurs positifs,
se soient soumis au devoir de me perdre pour sauver la royauté, dont toute
grâce, toute faveur, tout éclat fécond émanent, et sans laquelle, comme chacun
sait, il ne pouvait plus y avoir de Belgique (…), et que : M. de Mérode,
lui, conservateur né de l’aristocratie de cour et de la religion de sacristie, ait
cru essentiel au repos de sa conscience de me mettre hors d’état de nuire à
ses curiosités de l’ancien régime.
85 u
Louis de Potter propose une réduction de la “cense” et un vrai suffarge universel.
(L’écho des vrais principes, 1829)
110
u 86
En réponse à cette décision, Louis publie le 31 octobre une “Profession de
foi politique” dans laquelle il suggère la création d’un poste de président
de la République élu pour trois ou cinq ans ; idée nouvelle pour l’époque,
comme l’est celle d’une réforme de l’impôt plus équitable. Or, (…) point
d’économie possible sous la monarchie. Il propose également la déchéance
des Nassau, rejetée dans l’immédiat, mais qui sera bientôt reprise.
Ici se place une anecdote célèbre : Gendebien qui faisait courir le bruit que
de Potter préparait un coup d’Etat républicain voit un matin des ouvriers
du canal (“les capons du rivage”) arriver pour planter un Arbre de la
Liberté devant les Etats généraux, notre parlement actuel, où était réuni le
Gouvernement provisoire. De Potter étant sorti pour les accueillir, Gendebien
(c’est lui qui le rapporte) s’exclame : Si vous proclamez la république,
je vous jette par dessus le balcon. On n’en arriva heureusement pas à une
telle extrémité, de Potter se contentant de saluer avant de rentrer dans la
salle des débats.
Le 5 novembre, après les élections, Gendebien écrit triomphalement à
Van de Weyer : Monsieur de Potter boude. Il est déconcerté du résultat des
élections. Il ne voit plus d’espoir pour la présidence… Il fera du bruit. Il
sacrifiera au besoin le repos de son pays à des idées qui ne sont partagées
par aucun membre du Comité central.
Une question se pose ici : de Potter a-t-il été candidat comme membre du
Congrès ? Sans doute l’a-t-on pressenti, mais ses déclarations ultérieures
le démentent. Encore peut-on y voir l’expression des ressentiments dont
les “Mémoires” abondent : (…) Je ne tenais pas mon mandat du Congrès
National, je ne devais donc, ni ne pouvais le résigner entre ses mains…
Argument sans doute valable, car il n’avait pas été élu mais intégré dans un
Gouvernement provisoire autoproclamé et n’avait donc aucune fonction
légale à soumettre à la ratification du vote, d’autant que le régime censitaire
destiné à rassurer la bourgeoisie lui était odieux.
Bien que n’en faisant pas officiellement partie, il accepte cependant, comme
doyen d’âge du pouvoir intérimaire, de prononcer le discours d’ouverture
de ce que nous pouvons maintenant appeler le Parlement. Harangue
au contenu convenu qui ne laisse pas deviner ses sentiments profonds.
Le 10 novembre s’ouvre donc le Congrès national, Assemblée constituante
dont les 200 membres (152 seront présents le premier jour) sont désignés
suivant un système censitaire que de Potter rejette : 46.000 électeurs votent
87 u
sur 4 millions de citoyens ; 45 aristocrates (dont lui ?), 59 hommes de loi,
13 prêtres, 13 propriétaires sont envoyés siéger. Fortune et diplômes sont
les critères retenus, voie fatalement ouverte à l’instauration d’un gouvernement
bourgeois.
Tirant le bilan de l’action du Gouvernement provisoire, dont il a été leader
un peu malgré lui, de Potter écrira dans ses mémoires qu’il a été tout à fait
au-dessous de sa mission qui était de :
- chasser sans tarder les Hollandais du territoire belge ;
- déclarer, avec l’indépendance de la Belgique, la délimitation de ses
frontières, déjà conquises à l’ennemi ;
- déterminer positivement la forme du gouvernement futur des provinces
belges, forme que le peuple belge aurait acceptée ou rejetée, avec les
bases de la Constitution que le Congrès aurait été appelé à organiser ;
- convoquer le Congrès constituant, la Constitution ayant été promulguée
et le pouvoir définitif institué, se retirer devant lui simultanément avec
le Congrès, et, comme le Congrès se serait retiré devant le nouveau
Parlement national.
Deux jours plus tard, coup de théâtre. Il annonce par une lettre adressée au
Gouvernement provisoire, transmise au Congrès national, son retrait de la
vie politique active : Vous m’accusiez d’ambition, parce que je paraissais,
prétendiez-vous, vouloir rester au pouvoir, même malgré les représentants de
la nation. Vous vous trompiez, Messieurs, et je le prouve aujourd’hui à ma
manière, c’est-à-dire, en me retirant sans espoir aucun de confirmation…
Son explication, alambiquée, montre sa crainte de voir le Gouvernement
provisoire tenter de se maintenir au-dessus de l’Assemblée et de lui dicter sa
loi ce qui “mènerait au despotisme et pis encore à la contre-révolution”. Je
rentrais enfin dans la position d’où je n’aurais jamais du sortir : j’étais redevenu
moi-même (une fois de plus coquetterie ou sincérité, chacun jugera).
Le 23 novembre, il publie sa “Lettre à mes concitoyens”, véritable plaidoyer
républicain, d’autant que la veille l’Assemblée s’est prononcée par 174 voix
contre 13 pour la monarchie.
Rendant hommage à Tielemans pour son attitude de refus au sein de la
Commission de Constitution et sa proposition de déclarer la déchéance des
Nassau, il écrit :
(…) Dès l’abord, je rêvai de la République des provinces belges (…) Les monarchistes
étaient alors (septembre 1830) ce qu’ils sont aujourd’hui. (…)
u 88
Nous ne pouvions nous entendre. (…) Je prouvai ensuite que l’économie
naturelle à ce régime (la république) convenait plus que tout autre à une
nation longtemps pressurée par la rapacité d’un roi marchand, dilapidateur
pour ses courtisans, avare pour lui-même. (…) Physiquement faible
comme monarchie constitutionnelle, nous aurions été forts comme République.
(…) Le peuple belge mérite la liberté. Imposer la monarchie héréditaire,
ce serait le ramener de force au régime de corruption et d’immoralité
dont il s’était délivré si glorieusement.
Piètre consolation, le 24, par 160 voix contre 28 sur les membres présents, le
Congrès, révolté par le bombardement d’Anvers par les Hollandais, votera la
déchéance de la dynastie des Orange avec laquelle il a si souvent croisé le fer.
Y aura-t-il une Belgique ?, par Louis de Potter, 1838.
89 u
Louis de Potter, doyen de l’Assemblée constituante,
président du Comité central du Gouvernement,
adresse sa démission le 15 novembre 1830
et la dissolution du Gouvernement provisoire
au Congrès national belge
Messieurs, au bas de l’acte par lequel mes collègues vous ont offert
hier leur démission de membres du Gouvernement provisoire de
la Belgique, vous n’avez pas lu mon nom. Vous en verrez les motifs
dans la lettre ci-jointe, que j’adresse à MM. Gendebien, Rogier, de
Mérode, Jolly, Van der Linden et de Coppin, ayant fait partie du dit
Gouvernement provisoire, et par laquelle je leur fais part de ma
résolution de me retirer.
J’ai cru, messieurs, devoir vous en donner communication. Avant de
terminer cette lettre d’envoi, je prendrai la liberté de vous témoigner
combien m’a surpris votre prompte décision sur la démission donnée,
au nom d’un corps, par quelques membres de ce corps, dont tous
n’avaient pas signé cette même démission, et cela sans avoir provoqué
une explication sur les raisons qui avaient déterminé tant la signature
des uns que le refus ou l’absence de la signature des autres.
Depuis plusieurs jours, nous discutions la question de la démission
à donner au Congrès national par le Gouvernement provisoire. Sûrs,
disiez-vous, d’être confirmés, vous vouliez, en offrant de vous retirer,
prouver au Congrès et au pays votre désintéressement. Outre les
autres accusations graves, vous m’accusiez d’ambition, parce que je
paraissais, prétendiez-vous, vouloir rester au pouvoir, même malgré
les représentants de la nation.
Vous vous trompiez, messieurs, et je le prouve aujourd’hui à ma
manière, c’est-à-dire, en me retirant réellement sans espoir aucun
de confirmation. Mes motifs, à moi, sont que je crois le Congrès
national un corps purement constituant, exclusivement appelé par
le Gouvernement provisoire pour fonder notre nouvel ordre social et
pour instituer le pouvoir définitif qui présidera aux destinées de la
Belgique.
u 90
Le Gouvernement provisoire était un pouvoir antérieur au Congrès,
extérieur au Congrès, et neutre entre le peuple et sa représentation
nationale ; un pouvoir qui avait convoqué le Congrès lui-même,
d’après un mode qu’il avait déterminé et dont l’existence du Congrès
était le résultat ; un pouvoir pour exécuter les décisions de la majorité
de cette Assemblée, tout en se conservant néanmoins et avant
tout entièrement indépendant d’elle. Il fallait que ce pouvoir reste
entier, jusqu’à ce que le pouvoir définitif le remplace ; car alors, et
alors seulement, ses fonctions cesseraient de plein droit.
Chaque fois qu’une Assemblée souveraine se trouve seule en présence
de la minorité, rien n’est plus facile à celle-ci, pour peu qu’elle
veuille chercher un appui dans les masses, que de renverser cette
majorité, et avec elle l’Assemblée elle-même. Dès ce moment, la
révolution commence et court toutes les phases de l’anarchie ; elle
traîne à sa suite le despotisme, et la contre-révolution. C’est l’histoire
de la Convention nationale de France et de la restauration
des Bourbons. Je désirais que ce ne fut pas celle de la Belgique.
Comme chef du Comité central, je me sentais la mission d’exercer
un pouvoir modérateur du Congrès, de défendre le Congrès contre
lui-même.
Ce sont là, messieurs, les principaux arguments que j’ai fait valoir
auprès de vous pour vous empêcher de commettre une faute qui
me semblait irréparable, et que la patrie peut-être, et l’histoire, sans
nul doute, nous reprocheront un jour. Vous avez cru devoir passer
outre. Je ne m’en plains pas et je vous laisse la responsabilité de votre
décision. Je ne tenais pas mon mandat du Congrès. Je ne pouvais
le résigner entre ses mains. Ce mandat est devenu nul, dès l’instant
que vous avez investi le Congrès, comme vous venez de le faire.
91 u
Un monarque oui, mais qui choisir ?
Alors que les Puissances (Grande-Bretagne et France) auraient vu avec
faveur le Prince d’Orange sur le trône, le Congrès a, par son refus, montré
qu’il désire être le maître des destinées du pays. Les mois qui vont suivre
seront donc marqués par la quête d’un souverain qui fasse l’unanimité.
Après l’élection, le 24 février 1831, d’un “roi par intérim” en la personne
aimable du Régent Erasme Surlet de Chokier, homme intelligent, spirituel
et léger ; très égoïste et profondément sceptique ; incapable de rien faire
parce qu’il n’a aucune foi politique, croyant à tout, excepté à la nationalité
belge ; convaincu que les évènements de 1830 amèneraient une guerre
générale et que la Belgique irait définitivement à la France (Nothomb),
auquel ses longs cheveux gris et bouclé… donnaient l’air d’un vieux lion
mal tenu (C. Bronne).
La quête se poursuit donc et une caricature de l’époque montre la “Ménagerie
royale” tant les candidatures, parfois surprenantes sont envisagées. Du
comte Felix de Mérode au Prince de Ligne, les membres de l’aristocratie de
nos régions déclinent cet honneur périlleux. La noblesse demeurera assez
longtemps dans une prudente réserve vis-à-vis de la nouvelle monarchie.
On pense aussi à Napoléon-Achille Murat, le fils du maréchal, défunt roi
de Naples, exilé aux Etats-Unis ; à La Fayette – il a près de 75 ans – que
propose Gendebien, nostalgique du rattachisme, au duc de Leuchtenberg,
fils d’Eugène de Beauharnais et petit-fils de l’ex-impératrice Joséphine. Ce
dernier se heurte à l’opposition de la France à qui il rappelle l’épopée napoléonienne.
L’archiduc Charles d’Autriche, fils de l’empereur Léopold II,
petit-fils de Marie-Thérèse, obtient 35 suffrages, nostalgie d’une époque
révolue mais pas si lointaine.
Louis aura beau jeu de se gausser rétrospectivement de ces candidatures
de noms obscurs ou ridicules de petits princes en disponibilité (…) dont le
petit Othon de Bavière qui, depuis, s’est fait sur le trône de Grèce une si triste
réputation de nullité monstrueuse (élu en 1832, il sera détrôné en 1862).
Plus sérieusement, Louis d’Orléans, duc de Nemours, second fils du nouveau
Roi Louis-Philippe, défendu en un premier temps par Van de Weyer,
recueille 97 suffrages sur 192 votants. Mais le souverain à la sagesse de
refuser face aux complications qui s’annoncent avec l’Europe pour qui le
glacis dressé devant l’esprit de revanche français risque de disparaître et
u 92
dont l’Angleterre de Palmerston ne voulait absolument pas, ce que Van de
Weyer comprit rapidement.
Il existe un courant, minoritaire, pour le rattachement pur et simple à la
France, mais “Le Belge” résume le sentiment général : La réunion n’a pas
de racine dans le peuple qui veut être belge et rien que belge.
Lors du retrait de Nemours, de Potter écrira encore, le 13 février 1831, à
l’Assemblée pour plaider la cause de “la république définitive”, mais sa
popularité est maintenant au plus bas.
Finalement, la solution viendra de la famille de Saxe-Cobourg (le haras de
l’Europe, dira Bismarck avec son élégance habituelle) en la personne de
Léopold-Georges-Chrétien-Frédéric, un prince protestant à qui le catholicisme
de ses futurs sujets ne semble pas poser de problème. Devaux proposera
sa candidature dès janvier 1831. Encore faut-il l’accord des Puissances.
Il reçoit l’appui de l’Angleterre, ce qui est essentiel. Il est veuf de la Princesse
Charlotte-Augusta, fille de Georges, le Prince de Galles. La France, qui a
besoin de l’appui anglais, se range plus ou moins de bon cœur à ses côtés.
La Russie, dans l’armée de laquelle il a servi, bien qu’hostile à l’indépendance
belge, y voit un moindre mal. La Prusse considère qu’un prince
allemand sur le trône de Belgique augure bien de l’avenir. L’Autriche n’est
pas favorable mais n’a plus les moyens de sa politique.
Le 20 avril 1831, après des travaux d’approches menés par Lebeau, une
délégation composée de de Mérode, Vilain XIIII, de Brouckère, Van Praet,
le beau-frère de Devaux qui parle parfaitement anglais, et l’abbé de Foere
rencontre Stockmar, le médecin, secrétaire et ami de Léopold.
Ensuite, le 22, Léopold lui-même, assez inquiet devant le contenu de la
Constitution belge qui limite les pouvoirs du souverain dit : Messieurs, vous
avez rudement traité la royauté qui n’était pas là pour se défendre.
Finalement, le 4 juin 1831, par 152 voix sur 196 votants, quatre membres
sont absents, le Congrès ratifie l’élection de celui qui devient Léopold I er ,
roi des Belges. Louis de Potter est évidemment contre cette décision qu’il
considère comme imposée par les Puissances.
93 u
Extraits du livre “Y aura-t-il une Belgique ?”
de Louis de Potter à ses concitoyens
Cette question qui a agité a Belgique entière pendant deux ans, et
qui aurait dû être décidée là même où elle avait surgi et par ceux
seulement qui l’avaient soulevée, occupe l’Europe depuis que les
Belges paraissent avoir renoncé à y mettre de l’importance parce
qu’ils la croient résolue.
On s’est intéressé qu’aux questions secondaires de savoir ce que
la Belgique sera, comment elle sera, et surtout qui y sera quelque
chose ; comme si tous les accidents de forme et les intérêts particuliers
n’étaient pas subordonnés à l’intérêt commun. Partout où
l’égoïsme et la passion n’avaient pas oblitéré les intelligences, la
logique inflexible n’a-t-elle point cessé de poser sans ambages ni
circonlocutions, la question primitive : Y aura-t-il une Belgique ?
Complètement oubliée, la question d’existence se représente
aujourd’hui aussi problématique qu’avant notre séparation de la
Hollande, et exigeant aussi impérieusement que jamais d’être tranchée
définitivement. Elle avait cependant été formulée avec netteté
et précision en 1828, par l’opposition fédérée ou unioniste en lutte
avec le despotisme unitaire et centralisateur de Guillaume. (…)
Dès que l’existence de la Belgique fut réalisée par la victoire populaire
et constatée par la déclaration d’indépendance du gouvernement,
elle fut remise en question par le Congrès constituant belge.
Celui-ci décréta la monarchie parce qu’il avait peur des Puissances
étrangères ; c’était un pas rétrograde vers la soumission : il espéra
que ceux-ci, pour employer l’expression d’un ancien membre du
Congrès, qu’ils “consentiraient à l’existence d’une Belgique”, rentrée
dans le bercail des cours ; cet espoir nous fit plier à l’intérêt dynastique,
si pompeusement appelé l’intérêt de la civilisation, pouvait
nous faire imposer par les rois d’Europe. La diplomatie se chargera
du reste. (…)
u 94
Ou nous soumettre de bonne grâce et accepter sans murmurer les
temps et les circonstances tels que nous-mêmes, confessons-le sans
détour, puisque le mal n’est pas à avouer ses fautes, mais à en commettre,
tels que nous-mêmes les avions faits ; Ou bien nous relever
à toute la hauteur où nous étions parvenus en 1830. (…)
La vigueur qu’en ce moment la patrie réclame de nous, il faut qu’elle
éclate spontanée et sans aucun retard. Car le temps, ce grand mystificateur
des peuples, l’auxiliaire le plus puissant de la diplomatie,
est contre nous. Rien ne s’use comme l’enthousiasme qui devient
du “pur calcul”, et les rois calculent beaucoup plus habilement que
les peuples. (…)
Le premier mouvement des peuples est toujours franc et bon ; voilà
pourquoi les rois s’en défient : mais, ce moment de crise passé, la
diplomatie s’empare du terrain et agit sans obstacle, amuse l’un,
séduit l’autre, promet, intimide, trompe tout le monde et règne sur
des ruines. Si chacun de nous n’a pas le courage de détourner quelques
mois son attention de lui-même, de l’argent, de spéculations,
d’entreprises, d’actions industrielles, qui l’absorbent, pour la porter
toute entière, avec tout son dévouement, sur la question de notre
existence comme le peuple libre, tout est perdu. (…)
Ne parlons plus de patrie ni d’honneur ; sacrifions l’honneur et la
patrie au veau d’or ; immolons-nous nous-mêmes sur son sordide
autel, nation aujourd’hui, demain province, libres un instant, toujours
prêts à servir, mais riches.
Ce sera donc probablement le peuple de juillet qui, chose incroyable
mais vraie, aura la gloire d’avoir imposé l’ordre selon la conférence
de Londres au peuple de septembre.
Et par là la dynastie du roi des barricades se trouvera consolidée
d’autant (…) dans l’esprit des rois par la gloire de Dieu. En outre,
continuera à figurer dans les almanachs des cours un tout petit
Royaume de Belgique où, comme a dit le Chansonnier, les Bourbons
règneront toujours. (…)
95 u
Ne renoncerons-nous jamais à la déplorable manie de nous vexer
et harceler mutuellement sans but comme sans terme ? L’union et
la concorde nous ont émancipés ; est-il à croire que la division et la
haine nous conserveront libres et forts ?
Que nous discutions avec bienveillance entre nous sur lesquels nous
différons, que nous cherchions à nous éclairer les uns les autres, je
le conçois ; c’est même un devoir.
Mais il faut éviter un odieux éclat qui, aigrissant les esprits, nous
empêche, comme on a dit, de laver notre linge sale en famille. Il
passe alors à la buanderie diplomatique ; et là, les rois l’ont bientôt
rendu inblanchissable. (…)
Notre lot, c’est l’obéissance la plus absolue, du moment que nous
ne sentons pas le force de pousser le courage jusqu’au désespoir.
Nous commencions une vie bien réelle en 1830, aussi réelle qu’elle
était glorieuse.
Je n’ai jusqu’ici considéré la question que sous le rapport de la Belgique
: c’est le seul dont j’eusse à m’occuper dans l’intérêt des Belges,
mes concitoyens.
Mais il y a un point de vue plus élevé, d’où l’acceptation des 24
articles, soit dans leur pureté native, soit plus ou moins modifiés, ou
le refus de la part des Belges de ses soumettre à l’arbitraire de la
diplomatie, à la loi de l’étranger, prennent un aspect bien plus large,
et se présentent comme question européenne, humanitaire.
Je ne ferai que l’indiquer ici. L’existence de la Belgique, existence de
fait et même de nom, qu’est-elle autre chose, si ce n’est une victoire
du droit sur la force ? C’est un produit exclusivement révolutionnaire.
(…)
Et c’est la Belgique, comme géographiquement la plus faible, et
la plus tenace moralement dans ses prétentions à la liberté vraie,
qu’ils ont choisie pour achever leur triomphe et rétablir l’ordre antérieur,
c’est-à-dire le droit de quelques familles sur la fortune, la
pensée, les croyances, la vie de tous les peuples.
u 96
Encore et toujours l’exil
Cependant, le 14 février était née “l’Association pour l’Indépendance
nationale”, au sein de laquelle se retrouvent de Potter et Lesbroussart,
de tendance résolument radicale et républicaine. Ces républicains que
M. Rogier appelle “anarchistes”, comme l’écrit Louis dans un article paru
dans “Le Belge” et qui veulent avant tout le bien du pays.
Mais désormais il n’apparaît plus que comme un gêneur accusé en de
curieux amalgames d’être tout à la fois “un prêtre juif” (sic), un “saintsimonien
”, un “égalitaire”, un “orangiste”.
Aux violences verbales succèdent les menaces et, si le 21 février un meeting
de l’Association est encore un succès et se termine par les cris “Vive de
Potter ! Vive la Liberté !”, il est prévenu de ne pas se rendre le lendemain
à une réunion à l’estaminet “La Bergère”. Celle-ci est en effet dispersée à
coup de masses plombées par des individus, en majorité des chômeurs,
stipendiés très probablement par Plaisant, chef de la police qui avait fait
ses études de Droit à l’Université de Bologne de 1815 à 1820, époque où
Louis était en Italie, et ancien compagnon de lutte de celui-ci. C’en est trop
et fin février de Potter quitte Bruxelles pour Paris.
Le séjour dans la capitale française durera de février 1831 à 1839. Séjour et
non exil ; lorsqu’il quitte la Belgique, c’est parce que la pression politique
lui est devenue insupportable et non sous le coup d’une condamnation qui
lui aurait interdit le territoire national.
La preuve en est qu’il reviendra à diverses reprises au pays. En 1834, il sera
même proposé pour la Croix de Fer qu’il refusera comme tous les “hochets
ridicules” que sont pour lui les distinctions honorifiques.
La Croix de Fer, instaurée par la loi du 8 octobre 1833 était destinée à récompenser
les membres du Gouvernement provisoire et les autres citoyens
qui, depuis le 25 août 1830 et jusqu’au 4 février 1831, ont été blessés ou ont
fait preuve d’une bravoure éclatante dans les combats pour l’indépendance
nationale, ou ont rendu des services signalés au pays.
En 1835, il y avait 1.635 décorés, les deux classes de la décoration ayant
été fusionnées. En 1860, il restait 463 décorés vivants. Par contre ayant
appris qu’il avait été “oublié” par le Congrès qui avait voté la distribution
des 150.000 florins des Pays-Bas destinés aux membres du Gouvernement
97 u
provisoire, il fit intervenir son avocat et obtint 11.000 francs aussitôt distribués
aux chômeurs de Bruxelles et de Bruges.
Après ce départ, Gendebien revient au premier plan et fait de la surenchère
patriotique avec la fondation d’une “Association nationale” qui combat une
dernière tentative de replacer le Prince d’Orange sur les rangs des candidats
au trône et combat les résultats de la conférence de Londres tout en
encourageant en sous-main des menées républicaines vouées à l’échec,
mais qui assurent – il faut prévoir l’avenir – sa popularité auprès des classes
moyennes et ouvrières.
De Potter, toujours lucide mais caustique, pourra dire : Monsieur Gendebien,
et pour cela on n’en saurait douter, ne voulait, en se débarrassant de
moi, que protéger la Belgique.
Sur le plan familial, il y aura le décès, le 22 juin 1833, de sa mère âgée de
81 ans. Elle résidait à Bruxelles chez Baudouin, l’ancien maître en humanités
de Louis.
Un évènement plus heureux sera la naissance, le 1 er août 1834, de son
dernier enfant, sa fille Justa (décédée en 1875) qui épousera en 1859 le
capitaine (futur lieutenant-général) Alexis Brialmont (1821-1903), spécialiste
des fortifications, créateur des ceintures défensives d’Anvers et de
Liège, apprécié par Léopold I er et Léopold II.
A partir de cette nouvelle étape parisienne, les centres d’intérêt de Louis
de Potter vont progressivement se déplacer. Si la vie politique belge ne
le laisse pas indifférent, il s’impliquera de plus en plus dans ce que nous
appellerons la “sociologie politique”.
Il va en effet renouer avec Lamennais et donnera de nombreux articles à
“L’Avenir” dans les bureaux duquel il rencontrera Lacordaire et Montalembert.
Il écrira également dans les colonnes de divers journaux républicains tel
“La Tribune” et “Le Réformateur”.
De cette collaboration naît un projet de pacte d’union, sorte d’Internationale
socialiste avant la lettre, qui propose une confédération républicaine des
peuples belges, hollandais, rhénans, français dont s’effraie même Buonarroti
devant les risques de conflits internationaux qu’il susciterait, ainsi que du
poids qu’occuperait la France connue pour son esprit centralisateur.
u 98
Buste de Justa de Potter, fille de Louis de Potter et épouse du général Brialmont.
© Musée Royal des Beaux-Arts de Belgique, IRPA-KIK, Bruxelles.
D’autres réactions ne tarderont pas puisqu’en 1832, le pape Grégoire XVI
condamnera par l’encyclique “Mirari Vos” cette vision faite de catholicisme
libéral, de liberté individuelle et de politique sociale.
Si Montalembert et Lacordaire se soumettent, Lamennais réplique en 1834
par “Les paroles d’un croyant” où l’Evangile apparaît comme une prophétie
révolutionnaire. La publication marque ainsi sa rupture définitive avec
l’Eglise. Précurseur de la démocratie chrétienne, devenu député d’extrême
gauche en 1848, il mourra après avoir refusé les sacrements.
On trouve un écho de la démarche de Lamennais dans la publication par
Louis, en 1836, de son “Histoire philosophique, politique et critique du
christianisme et des églises chrétiennes depuis Jésus jusqu’au XIX e siècle,
huit volumes pas moins, soigneusement ignorés par la presse conservatrice,
sorte d’amplification de ses “Considérations sur l’histoire des principaux
conciles…” de 1816. Extrait choisi : Par le christianisme que je combats,
il faut toujours entendre le christianisme hiérarchiquement organisé. (…)
99 u
Jésus et ses principes d’égalité sociale, de fraternité universelle sont pour moi
la manifestation de l’homme moral au degré le plus sublime.
S’il tend la main aux réformateurs dans l’Eglise, il se méfie d’un catholicisme
soi-disant social : Tolérance donc, et tolérance entière ! Liberté absolue
d’opinions et de doctrines. (…) Il faudra nécessairement que le christianisme
cède la place à la philosophie. (…) Et lorsqu’il fait en apparence une
marche arrière : (…) La religion est le moyen le plus efficace de stabilité et
d’ordre ; et l’ordre que la liberté affermit est le premier besoin des hommes
en société (…), c’est pour annoncer qu’elle finira par céder : (…) nous
devons, en ne cherchant pas à précipiter imprudemment la perte du catholicisme
le laisser se perdre lui-même, entièrement et sans retour.
Pendant ce temps-là en Belgique
Depuis le départ de Louis, les évènements se sont précipités. A peine
Léopold a-t-il prêté le serment constitutionnel que les Hollandais rompent
l’armistice (2 août 1831) et envahissent le pays.
Le roi désabusé dira : Une partie de l’armée me trahit, l’autre s’enfuit. Il
y avait un pont près de Malines que je ne pus maintenir en mon pouvoir
qu’en m’asseyant dessus.
Devant le désastre imminent, Léopold fait appel aux garants de la neutralité
belge – en l’occurrence la France – et le 11 août, le maréchal Gérard
entre à Bruxelles à la tête de 60.000 hommes, ce qui provoque des remous
au Parlement car “aucune troupe étrangère ne peut traverser le territoire
qu’en vertu d’une loi”, mais cette fois nécessité fait loi.
Le 20, les Hollandais évacuent, sauf la forteresse d’Anvers, après une campagne
qui aura fait 91 morts et 453 blessés dans les rangs belges. Plus grave,
devant la faiblesse du nouveau royaume et sous la pression anglaise, les
Chambres devront ratifier un nouveau traité (les XXIV articles) par lequel
une partie du Limbourg et du Luxembourg sont attribués à la Hollande. Le
député Bekaert tombera mort à son banc, étouffé par l’émotion.
Député du Luxembourg, Gendebien abandonnera son siège le 19 mars
1839, lors de la ratification définitive du traité, après avoir lancé son célèbre
: Non, trois cent quatre-vingts mille fois non pour trois cent quatrevingts
mille Belges que vous sacrifiez à la peur.
u 100
Finalement, de Potter et Gendebien se rapprochent dans leur attitude
intransigeante vis-à-vis du traité ce qui correspond bien à leurs caractères
opposés. Gendebien, pour sa part, avait un tempérament pour le moins
agressif : le 26 juin 1833, il se battra en duel avec Rogier, alors ministre
de l’Intérieur, pour un motif qu’aujourd’hui on considérerait comme futile,
touchant à l’honneur de Devaux. Si Rogier se contenta de tirer sans viser,
Gendebien lui transperça bel et bien la joue lui brisant des dents. Sanctionné
par le Code pénal en 1841 (peine d’emprisonnement de sept jours
à trois mois, amende de 100 à 500 francs, indexée), le duel n’est toujours
pas légalement interdit en Belgique !
Cependant, Louis ne désarme pas dans son opposition au principe monarchique
et envoie lettre sur lettre au roi ne craignant pas de lui écrire :
Bizarre destinée ! Vous qui, étranger à la révolution, êtes venu à sa suite,
vous trouvez moyen de vous rendre agréable au peuple avec qui, sans elle,
vous n’auriez jamais eu aucun point de contact, en la répudiant aussi
naïvement qu’il la répudie lui-même ; et moi qui, après en avoir rassemblé
les éléments, y aurais volontiers mis obstacle avant qu’elle n’éclatât, je
suis, pour l’avoir voulue, maudit et persécuté par le peuple qui l’a faite !
Ou : Vous avez voué la Belgique à la neutralité morale et politique, espèce
de castration sociale, de quasi-existence vague ambiguë, équivoque, qui est
à jamais flétrie sous le nom de juste milieu. Et encore : J’ai seulement voulu
vous prouver par là que c’en était assez et plus même qu’il ne fallait pour
vous débarrasser au plus tôt d’une charge dont le poids vous deviendra de
jour en jour plus insupportable. Louis reconnaîtra d’ailleurs que : le roi
avait beaucoup ri en lisant mes réflexions.
Cependant, la basse politique le rattrape : le 4 mars 1838, à l’instigation
de son homologue belge, la police française opère une descente à son
domicile parisien, 8, rue de Fleurus, et saisit des papiers – un échange de
courrier – qui se rapportaient au mouvement insurrectionnel de Bartels.
Curieusement les documents aboutissent sur le bureau de Charles Lehon,
ministre plénipotentiaire du Royaume de Belgique à Paris.
A l’époque Bartels, vieux compagnon de lutte de Louis dans les années 1820,
auteur en 1836 de “Sur la Révolution belge”, publiait “Le Radical”, journal
libéral dont les positions inquiétaient le pouvoir sans vraiment le menacer.
101 u
Lettre adressée à l’avocat général de la deuxième
chambre du tribunal correctionnel des Etats généraux,
par MM. de Potter, Tielemans et Bartels à l’issue du procès
d’assises les condamnant à huit ans de bannissement,
suite à la saisie de la correspondance de Louis de Potter.
Nobles et puissants seigneurs,
Ce n’est pas contre la condamnation que nous venons de subir
que nous réclamons auprès de vous, quoiqu’elle nous prive d’une
patrie qui nous est chère et d’institutions auxquelles nous sommes
sincèrement dévoués.
Nous faisons volontiers le sacrifice de nos affections et de nos intérêts
à cette même patrie, et nous ne formons d’autre vœu que celui
d’y voir enfin la liberté sortir triomphante de la lutte où quelques
hommes l’ont si imprudemment et si maladroitement engagée.
Nous nous bornons, nobles et puissants seigneurs, à vous signaler
un scandale inouï dans les annales des peuples civilisés, savoir :
la publication, par la voie de la presse, de notre correspondance
confidentielle, intime, secrète, de toute notre vie privée et de celles
des personnes qui, malheureusement pour elles, étaient en relation
avec nous.
Un pareil scandale demeurant impuni, il n’y a plus de sûreté
pour les citoyens, il n’y a plus de repos : les liens de l’amitié et de la
confiance sont rompus et les mères de familles les plus honnêtes
bafouées.
u 102
Extraits de “Archives de la Révolution de 1830”
par Adolphe Bartels (Ed. Thieu & Ponthoz, 1848, Paris)
(…) A Paris, un banquet fut offert aux honorables bannis, par une
nombreuse réunion de Français et de Belges. (…) Un toast aux
rédacteurs du “Catholique”, du “Courrier des Pays-Bas” et autres
organes de l’opposition belge fut longuement applaudi. Le toast suivant
fut porté par M. de Potter :“A la France ! Elle est libre. Qu’elle
poursuive sa noble carrière ! A la Belgique ! Puisse-t-elle bientôt être
libre et n’avoir plus à envier à la France que l’honneur de l’avoir
devancée. Vous le savez tous, Messieurs, la liberté des Belges peut
seule affermir l’indépendance des Pays-Bas. Que les Belges donc
secouent le joug hollandais ! Ils ne doivent, ni ne veulent opprimer
la Hollande, mais aussi ne veulent-ils plus être opprimés par elle.
Séparation réelle, parlementaire et administrative, entre les deux
peuples, mais union indissoluble des deux peuples sous un même
chef constitutionnel. Vive le Royaume-Uni des Pays-Bas ! Vive la libre,
l’héroïque, l’hospitalière France !” (…)
(…) Soyez heureux, la couronne civique ; Dans vos foyers vous attend
au retour ; Souvenez-vous, vous fûtes nos frères ; L’Europe encore
pourra dans l’avenir ; Par un poteau planté sur nos frontières, Nous
séparer, mais non nous désunir. Ce couplet redemandé avec enthousiasme
par tous est chanté en chœur par : catholiques indépendants
et sincères, philosophes de bonne foi, députés, écrivains, proscrits, industriels,
tous animés d’une égale ardeur pour la cause des peuples
et la chute du despotisme dans le monde entier, se serrent les mains
en formant une chaîne d’hommes libres. (…)
(…) Le cri de “Vive de Potter !” retentit du Châlelet à la rive opposée
de la Seine. Notre compatriote parait au balcon. Les convives
l’entourent de flambeaux car l’obscurité ne permet pas de distinguer
ses traits. Les cris redoublent : “Vive le brave peuple de Paris
!”, s’écrie de Potter. “Vive le brave peuple de la Belgique ! Vive de
Potter ! Vivent les bannis”, répètent les héros de la grande semaine,
en élevant des torches allumées. (…)
103 u
Retrouver la Belgique
En septembre 1839, de Potter décide de rentrer au pays, ce qui, pour quelqu’un
accusé par certains auteurs de fomenter un complot, aurait été pour
le moins dangereux. Il s’installe à Schaerbeek, rue Royale Extérieure tout
en séjournant à l’occasion à Bruges.
En avril 1840, Lebeau forme le premier ministère libéral homogène. C’en
est fini de l’unionisme. Un an plus tard, un complot orangiste, organisé par
deux anciens généraux Vander Smissen et Vander Meere est découvert. Il
s’agissait d’enlever Léopold I er et de rétablir les Nassau.
Ce complot des “paniers percés” mena les conjurés devant la Cour d’assises
et aboutit à quatre condamnations à mort, non exécutées. A cette époque,
de Potter opère un revirement qui va lui attirer des réactions violentes de
la part de ses anciens amis républicains.
Il publie en deux volumes “Révolution belge. Souvenirs personnels” dont les
500 exemplaires sont vendus en dix jours d’où, en 1840, une seconde édition
sous le titre “Souvenirs intimes”. Retour sur ma vie intellectuelle et le peu
d’incidents qu’elle causa” accompagnée d’une traduction néerlandaise.
Dans l’avis au public, il dit : La Révolution belge, conçue en 1828, née en
1830, décédée en 1839, appartient désormais à l’histoire. (…) Mes souvenirs
de cette révolution, quoique purement personnels ne seront pas inutiles
à ceux qui, plus tard, écriront sa nécrologie.
L’ouvrage donne à lire des choses étonnantes au regard de l’intransigeance
que l’auteur a manifesté jusqu’alors : La Révolution de 1830 avait pour but
de fonder une République sociale. Elle n’a pas atteint son but et elle n’a eu
pour résultat que de diviser un puissant Etat en deux parties. Il est donc
temps de réunir à nouveau deux peuples qui se complétaient l’un l’autre.
Louis en revient donc, sans doute devant les projets de partage du pays
entre la France et l’Allemagne (Bismarck présentera dans quelques années
cette politique des “pourboires” à Louis-Napoléon devenu prince-président
puis empereur) l’idée d’un pacte fédéral sous la forme d’une “Monarchie
socialiste” dont le souverain serait… Guillaume d’Orange !
Depuis la fin des années trente, de Potter était en relation avec Jean-Guillaume
de Colins, dont les idées sociales vont l’inspirer et transparaîtront dans ses
écrits. Etrange personnage que ce baron rouge né à Bruxelles en 1783, fils
d’un chambellan à la cour des gouverneurs généraux autrichiens. Imprégné
u 104
de l’esprit des encyclopédistes, il fait une carrière militaire sous l’Empire
et, à la Restauration, dédaignant la promotion à un grade supérieur dans
l’armée du royaume des Pays-Bas, il s’exile aux Etats-Unis, puis à Cuba où
il fait fortune comme planteur de café.
Nouveau revirement puisqu’il passe les examens qui lui confèrent le titre
de docteur en médecine. En 1830, la révolution parisienne le pousse à
revenir en France. Il trempe dans des complots bonapartistes pour finalement
se consacrer à l’étude des théories sociales qu’il développe dans “Le
Pacte social ” et “Le Socialisme rationnel”.
Emprisonné de juin 1848 à mars 1849 lors de la chute de Louis-Philippe et
de la naissance d’une république éphémère, il se convertit à l’idée d’un régime
militaire fort, seul capable d’amener l’égalitarisme dont il rêve. Louis-
Napoléon réalisera ses vœux, mais dans une optique un peu différente !
A ce moment, de Potter rompra avec lui car, profitant des évènements en
France, Colins aurait voulu instaurer la république en Belgique, idée que
Louis avait abandonnée prévoyant l’aboutissement des évènements et un
retour au despotisme : Exactement le même, qu’il soit exercé d’ailleurs au
nom de la légitimité, ou de la monarchie de fait, ou de la république tricolore,
ou de la démocratie rouge ou enfin du socialisme.
Colins publiera encore, de 1851 à 1854, “Qu’est-ce que la science sociale ?”
tout en entretenant une abondante correspondance avec quelques disciples,
actifs notamment à Verviers jusque dans les années 1870. Il meurt isolé en
1859, entrant au panthéon des réformateurs radicaux du XIX e siècle.
De nombreuses publications de Louis de Potter, “Etudes sociales ” (1843),
“La Justice et la Sanction religieuse” (1846), “La Réalité déterminée par le
raisonnement” (1848), “Le cathéchisme social” (1850), “ABC de la Science
sociale” (1850), “Cathéchisme rationnel” (1854) et le “Dictionnaire rationnel”,
paru l’année de son décès, puiseront largement dans l’idéologie colinsienne
que son fils Agathon défendra à son tour.
L’idée de la collectivisation de la propriété foncière, la création de coopératives
gérées par des associations de travailleurs mais l’interdiction de
regroupements capitalistes, l’instauration des droits de succession pour les
propriétaires de biens immobiliers, l’extinction des dettes au décès des
débiteurs, l’instauration d’une dot sociale pour démarrer dans la vie professionnelle,
le prêt à intérêt le plus bas possible, l’instruction gratuite, une
législation vieillesse, sont des buts que poursuivront les nouveaux partis
qui vont éclore.
105 u
Extrait d’une note de l’Institut de Colins de Ham
concernant la correspondance de Louis de Potter
avec l’économiste Jean-Baptiste de Colins de Ham
Lorsque Louis de Potter revint se fixer définitivement en Belgique,
une correspondance suivie, très étendue, eut lieu entre le baron
Jean-Baptiste de Colins de Ham et lui.
Dans ses lettres, Louis de Potter “harcelait sans relâche M. De Colins
de difficultés, de doutes, d’objections et de réflexions de toutes
espèces” ; sur quoi il recevait “de belles dissertations, des développements
clairs et des conclusions sans répliques”. Jean-Baptiste de
Colins, à la naissance de ses relations avec Louis de Potter, avait déjà
publié un livre remarquable, intitulé : Du pacte social et de la liberté
publique considérée comme développement moral de l’homme.
Mais l’épigraphe de ce livre, Dieu et liberté, révèle clairement que
l’auteur était encore dans l’ignorance de la réalité du droit et de la
sanction éternelle : “A mesure que je composais ce travail sur la
science sociale, je l’envoyais à M. de Potter, de Bruxelles, qui en prenait
copie et s’en servait pour l’éducation de son fils Agathon, jeune
homme distingué et lettré, alors étudiant en médecine sociale, et,
depuis lors, docteur en médecine.”
L’institut Colins dira plus tard, au sujet du jeune homme :“Son ouvrage
intitulé “Etudes sociales”, rassemblait divers opuscules consacrés
à la “science sociale rationnelle”. On y trouve des thèses colinsiennes
quant à l’indétermination du langage et à l’avènement de la
souveraineté de la raison fondée sur l’immatérialité et de l’éternité
des âmes. C’est dans un autre ouvrage publié sous le titre étonnant
de “La justice et sa sanction religieuse” et une seconde fois, sous le
titre non moins intrigant de “La réalité déterminée par le raisonnement
ou Questions sociales” qu’il apporta les contributions les plus
décisives à l’ontologie rationaliste colinsienne…
u 106
En janvier 1842, Louis avait été le moteur de la création de “L’Humanité”,
un bi-hebdomadaire du dimanche et du jeudi qui cessera de paraître après
26 numéros, le 1 er mai. Il est curieux de noter que Marx et Engels, installés
à Bruxelles, élaboreront de 1845 à 1848, leur théorie du matérialisme historique
(“Le Manifeste du Parti Communiste”) sans évoquer nulle part les
publications pourtant nombreuses de Louis de Potter.
Une autre revendication, essentielle, celle de l’abaissement du cens électoral,
sera adoptée par le gouvernement libéral en 1848. Plus élevé dans les
villes que dans les campagnes, il empêchait le vote d’une partie de la petite
bourgeoisie urbaine. Ramené au minimum légal, 42 francs d’impôts directs,
il élargit la base du corps des électeurs.
Grâce aux mesures prises par le cabinet Rogier, notamment des concessions
sociales, notre pays échappe à la contagion révolutionnaire française.
Une bande d’aventuriers et d’utopistes, violant la frontière au hameau de
“Risquons-Tout” fut même décimée par un détachement de l’armée belge
commandée par le général Fleury-Duray.
Louis de Potter, franc-maçon ?
Les maçons étant quasiment tous libéraux et, s’étant battu lors de la Révolution
de 1830 pour la liberté de l’enseignement, l’Eglise voyait dans l’activité
des loges une menace pour son emprise. Le résultat fut l’inverse de celui
espéré et donna même lieu à un regain d’engouement pour la maçonnerie
et aussi à la naissance d’un parti libéral structuré en 1846.
Alors que, nous l’avons constaté, la majorité des acteurs de la Révolution
de 1830 faisaient partie des loges, nous n’avons pas trouvé d’indice et encore
moins de preuve de l’appartenance de de Potter à la franc-maçonnerie
et c’est probablement à tort que Paul Delsemme (“Les écrivains francsmaçons
de Belgique”) le signale comme membre d’une loge bruxelloise
“La Paix” en 1814 , époque où il était en Italie.
En 1827, un frère Imbert l’invita à rejoindre la maçonnerie mais il déclina en
raison des “mômeries” (sic) qui accompagnent les cérémonies et les rendent
ridicules (Bologne, “Louis de Potter, un banni de l’histoire”). Il refusera de
même une affiliation que lui proposera Lucien Jottrand. Dans ses rapports
avec Goswin de Stassart – qu’il qualifie à diverses reprises de “mon Frère”
(appellation maçonnique) –, à l’époque Grand Maître du Grand Orient, il
107 u
écrit, le 22 novembre 1838, être un maçon aussi peu zélé que je suis mauvais
catholique (M.R. Thielemans, Goswin de Stassart).
Si le Prince Guillaume, qui avait sa sympathie, avait été initié, le Prince
Frédéric d’Orange, qu’il ne portait pas dans son cœur, avait été élevé, par
la volonté du Roi Guillaume, à la dignité de Grand Maître de l’Ordre en
1818, avant d’être déchu lors de la Révolution. Une des conséquences fut
la naissance, le 18 janvier 1833, du Grand Orient de Belgique qui se sépara
de la Grande Loge d’Administration des Pays-Bas.
Par ailleurs, de Potter devait certainement savoir que Léopold I er , initié
en 1813 dans la loge militaire “l’Espérance” à Berne, avait exercé, avant
son avènement au trône de Belgique, les fonctions de Premier Grand
Surveillant de la Grande Loge d’Angleterre et son peu d’enthousiasme visà-vis
du souverain ne devait pas le pousser à le rejoindre. Il est toutefois
juste de dire que le roi se servit plus de la maçonnerie qu’elle ne se servit
de lui et qu’il prit ses distances vis-à-vis de celle-ci.
Les funérailles de de Potter, qui se firent selon “un de ces modes établis
depuis quelques temps par des sociétés particulières… sans les rites catholiques”
(L. Jottrand, “Louis de Potter”), évoquent la laïcité et non la maçonnerie,
même si ses anciens compagnons, quasiment tous maçons, suivirent
le convoi. La question reste ouverte.
Epilogue
Louis sera donc remplacé par ceux avec qui il avait rompu et devint le
voisin posthume de Léopold I er qui, malice de l’Histoire, du haut de la colonne
du Congrès, peut jouir depuis 1859, année du décès de celui-ci, de
son triomphe sur son vieil adversaire.
En 1850, il refusera de se présenter aux élections comme le lui proposaient
des députés… catholiques.
Le 24 mars 1854, c’est le décès brutal de son jeune fils Eleuthère qui menait
en Italie une carrière d’artiste peintre trop tôt brisée.
La même année, il assiste aux obsèques de Goswin de Stassart, Grand
Maître du Grand Orient en 1835, avant que ce dernier ne soit banni par la
maçonnerie qui l’avait défendu lors de son procès.
u 108
Souffrant depuis des années de bronchites, il tombe malade à Blankenberghe
où il prenait les bains de mer. Ramené à Bruges, c’est dans sa ville
natale qu’il s’éteint le 22 juillet 1859. Son fils Agathon et son beau-fils, le
général Brialmont, conduiront le deuil tandis que son vieil ami le peintre
Navez tiendra l’un des cordons du poêle. Témoins de son histoire et
de l’Histoire, Gendebien, Van der Linden, Rodenbach, Bartels, Quettelet,
Jottrand, Ducpétiaux, oubliant pour un temps leurs querelles seront présents.
Le peuple lui fit de modestes obsèques, d’après un de ces modes nouveaux
établis depuis quelques temps par des sociétés particulières pour
l’inhumation de leurs affiliés. Louis de Potter ayant désiré et réglé d’avance
ce genre d’obsèques (Jottrand), sans les rites de la religion (Je suis loin d’être
un catholique de conviction, et si je feignais de l’être, je serais coupable
d’hypocrisie) et sans discours.
Les Souvenirs personnels de Louis de Potter (2 tomes).
109 u
Analyse des “Souvenirs personnels” de Louis de Potter
par Théodore Juste (1860)
(…) Mais que voulez-vous que fit un simple homme de lettres, un
savant si vous voulez, mais un pur savant, au milieu de la confusion
de rouages d’une machine qu’il n’avait jamais vue auparavant : la
machine gouvernementale ?
Louis de Potter était à la base d’un milieu politique tout neuf où
le hasard avait mêlé quelques lettrés dans l’expérience, et souvent
aux opinions divergentes, avec quelques hommes d’affaires,
capables sans doute, mais déjà trop dégrisés de ce que cette
classe d’hommes appelle “des utopies”.
Il comprenait si bien cependant que les objections qu’il rencontrait
à la mise à exécution de ses principes n’avaient pas une
valeur absolue, et s’en expliqua clairement dans ses “Souvenirs
personnels” : Dans les temps ordinaires, mieux vaut sans doute
une loi passable mais appliquée, exécutée et respectée que tout un
code de bonnes lois que l’on méprise ou qu’on néglige. Mais nous
représentions pour la Belgique une époque toute exceptionnelle :
ce n’étaient point en effet de lois pour le moment présent que
nous promulguions, mais bien des principes que nous posions pour
source et pour base des lois futures.
Et c’était sous ce point de vue tout d’avenir, que je voulais que nous
renversassions le plus possible d’obstacles qui s’étaient jusqu’alors
opposés à notre émancipation et à nos progrès. Je sentais bien que
nos successeurs n’auraient ni le courage, ni la force de revenir sur
nos réformes ; et notre Constitution, une des moins imparfaites qu’il
y ait, entièrement puisée, pour tout ce qu’elle a de bon, dans les
arrêtés du gouvernement révolutionnaire pendant le mois d’octobre,
prouve assez que j’aie eu complètement raison.
u 110
Louis de Potter ne peut être soupçonné d’avoir voulu constituer
la Belgique nouvelle principalement au profit d’une aristocratie.
C’est le défaut de coopération au sein du Gouvernement
provisoire qui lui aura fait donner sa signature aux décrets sur
les élections pour le Congrès. Pas un défaut de démocratie qui
aurait justifié l’adhésion forcée, dans l’intérêt de la Belgique.
Les publicistes les plus avancés à cette époque n’avaient presque
aucune idée de la nécessité de faire descendre le droit électoral
dans les masses démocratiques pour constituer la nation par
suffrage universel. On s’imaginait qu’il suffisait de faire participer
au droit électoral toutes les classes pour que les droits de toutes
les autres fussent parfaitement garantis.
Fin 1830, il fallait admettre que ce défi, intéressant d’ailleurs l’Europe
toute entière, ne se règlerait pas sans l’intervention de
l’Europe. Il déclara : Notre pays se trouvera encore dans des circonstances
où l’intervention de nos voisins sera nécessaire. Ce que
l’exemple de 1830 devrait nous enseigner, c’est à payer d’abord de
nos propres moyens, assez pour garder voix au chapitre où nos affaires
doivent en définitive toujours se régler. Ce que nous voudrons
énergiquement, nous finirons toujours par l’obtenir de l’impossibilité
où tous nos grands voisins se trouvent de s’entendre assez entre
eux tous à formuler une autre volonté qui nous contrarie. Apprenons
des souvenirs de 1830 à ne pas nous lasser si vite, à ne pas céder
de si tôt. Apprenons des Suisses ce que les petites nations gagnent
à savoir d’abord s’affirmer à propos.
Concluons par cet extrait du 8 e volume de “L’Histoire du christianisme”
par Louis de Potter, page 355 : Comme garantie de
toutes ces libertés, le gouvernement avait affranchi la commune,
voulant pourvoir à la recomposition des régences d’après les principes
d’une révolution populaire ; Cette recomposition aurait dû
aboutir à la nomination de tous les magistrats formant le collège
par le peuple.
111 u
Déménagé du cimetière de Bruxelles au début du siècle, il repose
aujourd’hui au cimetière de Saint-Josse ten Node. Sans doute était-il trop
proche de l’église où dorment de leur dernier sommeil les honorables
membres d’une dynastie qu’il tenta en vain de réformer. Son épouse décèdera
en 1896.
Le tableau célèbre de Picqué représentant les membres du Gouvernement
provisoire de 1830 sera l’occasion d’un ultime règlement de comptes, car
les anciens rebelles refusèrent de poser si le portrait du plus rebelle d’entre
eux n’était pas relégué dans l’ombre, occasion d’un dernier bon mot : Mon
crâne pelé fut ce que le public remarqua le plus au milieu de tant de cuirs
chevelus.
En 1870, Agathon publiera “Les Rognures” compilations des souvenirs paternels
datant notamment de ses séjours italiens de jeunesse dans lesquels
religion, indulgences, jeûnes et abstinences, inquisition, administration papale
tiennent une place de choix, mais où il évoque également la reine
de Naples, Caroline, la régente du royaume d’Etrurie Marie-Louise des
Bourbons d’Espagne (mariage de cette branche avec la famille de Potter
dont descendance en Amérique), Joachim Murat, héros des modernistes de
l’époque, à qui il témoigne sa sympathie.
Dans l’histoire sélective et unanimiste de notre pays écrite au XIX e siècle,
son épitaphe aurait pu être de sa plume : Je suis de ceux qu’on ne veut
pas rappeler à la mémoire. Nous lui préférerons celle-ci, également de sa
main : Le nom d’un mort ne peut plus être un épouvantail ; il peut devenir
un symbole.
Que reste-t-il de cet “oublié de l’histoire” dans les annales de notre pays.
Un buste posthume du à Joseph Jaquet dans une galerie du Palais de
la Nation, un nom de rue à Schaerbeek où il voisine avec Gendebien,
d’Hoogvorst, Rogier et Van de Weyer, et enfin, et c’est important, le souvenir
des “premiers pas” de la Belgique dans votre mémoire !
u 112
Louis de Potter, par lui-même… (Souvenirs personnels, 1839)
Fig. 26 : Bref passage sur Louis de Potter, par lui-même …
151
113 u
u 114
Lettre concernant la visite de M. t’Kindt.
Louis de Potter, porte-flambeau de la liberté
et de la nationalité belge, feu-follet politique
ou simple “homme libre” ?
Francis Balace,
professeur honoraire à l’Université de Liège.
Les saints, proclamés santo subito, risquent souvent de voir leur auréole
pâlir très peu de temps après leur hâtive canonisation, parce que leurs
vertus sont passées de mode, parce que leur rigueur morale a été par trop
intransigeante… ou tout simplement par manque de miracles éclatants à
mettre à leur actif et à proposer à la dévotion du bon peuple.
Cette phrase un peu cynique pourrait parfaitement résumer la course du
météore ou de l’étoile filante Louis de Potter dans le ciel politique belge.
Rien ne semblait, hormis les qualités intellectuelles et la vive curiosité pour
les spéculations politico-sociales, prédisposer ce fils de famille, né dans un
milieu aristocratique, à jouer un rôle important dans la naissance du futur
Etat belge.
La famille passait pour joséphiste, pratiquait un subtil mélange d’irrévérence
envers les intrusions de la religion dans l’espace public, doublé de
conservatisme et d’adhésion à l’ordre établi, de rejet craintif des bouleversements
révolutionnaires bien plus que du simple maintien de la fidélité à
l’Empereur.
Le “voyage en Italie” que lui offre une famille bien nantie est peut être
moins motivé par un souci éducatif que par celui de le mettre à l’abri des
aléas de la conscription mais aussi des suites biologiques non désirées
d’une liaison amoureuse.
Se partageant entre une Rome retombée sous un pouvoir pontifical de plus
en plus mesquin et étouffant et une Florence terre protectrice des arts, de
la culture et d’un sage réformisme, courant les bibliothèques, fréquentant
assidûment salons littéraires et ateliers d’artistes, en correspondance avec
Stendhal (qui lui réclame à lui le jeune Brugeois inconnu des lettres de
115 u
recommandation auprès de la haute société florentine), Louis de Potter a
pu acquérir un bagage culturel peu fréquent parmi les Belges du temps.
La documentation recueillie en Italie va lui permettre de publier la vie
de l’évêque réformateur toscan, Scipio de Ricci, et son gros ouvrage sur
“l’Histoire des conciles”. Des fragments en seront bien plus tard traduits
en anglais et publiés à New York pour alimenter à l’époque de l’agitation
nativiste et de la “Protestant Crusade” la polémique contre les couvents
féminins et leurs supposées turpitudes.
Hélas, il n’est bon bec ou bonne plume que de Paris et la critique de Stendhal
fustigera une œuvre “aussi bien pensée que mal écrite”, lui reprochant
un style lourd et pesant d’érudit teutonique qui a fait “de cette amusante
matière un livre assommant”. L’histoire du corps est souvent parallèle à celle
de l’esprit : l’hédoniste guitariste aux cheveux frisés peint par Odevaere en
1811 s’est transformé en quelques années seulement en une espèce de “privat-dozent
bavarois” dont la calvitie fort précoce fait ressortir l’amplitude de
la boîte crânienne en forme d’œuf et l’allure volontairement compassée.
Rappelé en Belgique en août 1823 par la maladie de son père, Louis va
aller s’installer à Bruxelles, capitale alternante d’un royaume hybride dont
le Souverain est tenu par les Huit Articles de Chaumont de pratiquer l’amalgame
le plus parfait entre ses sujets du Nord et du Sud, alors que le même
texte rédigé par les Alliés ne cesse de se référer à l’existence de deux
peuples bien distincts – Belges et Hollandais – réunis sous une même couronne
et dont il faudra préserver les droits et les religions.
Obligé par les Puissances de soumettre aux électeurs belges (1 pour 2.000
habitants !) la wijze Constitutie déjà accordée aux Néerlandais, Guillaume
avait consacré tous ses efforts jusqu’en 1820-1821 à briser la résistance
de l’épiscopat et d’une partie des catholiques, hostiles à une Grondwet
qui mettait sur pied d’égalité la vérité et l’erreur et qui refusent d’y prêter
serment de fidélité puisqu’elle prévoyait la tolérance religieuse et la nonsuprématie
dogmatique du catholicisme.
Obsédé par cette lutte, confiant qu’à terme il finirait par se rallier les Belges
par ses mesures économiques hardies et novatrices, Guillaume I er ne s’est
pas rendu compte à temps qu’entre ses peuples du Nord et du Sud s’est
creusé un fossé de mœurs et d’habitudes rendant illusoire tout réel amalgame.
Les diplomates étrangers sont plus perspicaces : “extrême antipathie
naturelle”, “ils sont comme l’eau et le feu”.
u 116
L’Autrichien Binder signale à Metternich que les Belges sont blessés dans
leur amour-propre d’être réunis à un si petit pays que la Hollande et que
l’amalgame moral est impossible… Or, sur le plan d’éventuelles mesures
liberticides, l’opposition n’est pas forcément là où le Belge de 2011 croit
devoir la trouver.
Lors du vote de la mi-août 1815 sur la Grondwet, les partisans du oui se recrutent
majoritairement en Wallonie et dans les villes du Sud, les opposants
en Flandre (100 % de votes négatifs à Ypres et à Anvers). Des dispositions
contenues dans la Grondwet, comme la liberté de la presse et l’absence de
toute censure préalable, sont corrigées par un simple arrêté royal de 1815
érigeant en délit la critique des actes gouvernementaux ou toute tentative
d’exciter l’opinion publique.
Quand cet arrêté deviendra la loi du 6 mars 1818 qui y ajoute la suppression
du jury dans les affaires de presse, on s’aperçoit qu’elle a été votée par une
majorité parlementaire groupant les députés hollandais et ceux des provinces
du Sud considérés comme de Vieux-Libéraux. L’union des catholiques et libéraux
qui fera l’indépendance belge, cet unionisme de plus en plus vacillant
après 1830 mais qui conditionnera toute la vie politique, avec ses hauts et
ses bas, ses espoirs et ses crises de confiance, jusqu’à la rupture de 1846 et
l’émergence d’un parti authentiquement libéral, est née des efforts maladroits
du Roi Guillaume pour tenter de cimenter l’union de ses peuples.
Il a remporté en 1820 sa victoire facile sur l’opposition catholique grâce au
soutien que lui ont apporté les Vieux-Libéraux belges, disciples de Voltaire
et de Benjamin Constant, qui transposaient dans la personne du souverain
leur révérence philosophique pour la prédominance de l’Etat sur une
Eglise qui prétendait se situer à la fois en dehors et au-dessus de lui.
Une propagande anticléricale avait été discrètement encouragée dans la
presse tandis qu’une législation muselière s’était abattue sur les organes
catholiques comme “Le Spectateur Belge de l’abbé De Foere”, condamné à
deux ans de prison, ou la condamnation de van der Straeten et à la radiation
du barreau de ses avocats.
Le roi croit, naïvement, que le regain d’opposition en Belgique reste d’origine
religieuse. Il craint la force d’attraction que la France bourbonienne de
la Congrégation et des Chevaliers de la Foi pourrait encore exercer sur les
catholiques belges. Les gouvernements voisins se regardent en chiens de
faïence depuis 1815, se soupçonnant de noirs desseins réciproques.
117 u
Ne prêtait-on pas au “conspirateur stendhalien” grenoblois Didier, officiellement
guillotiné pour bonapartisme, le projet de proclamer roi de France
le Prince d’Orange ou son père ? Un certain Libri-Bagnano, plus tard folliculaire
à gages de Guillaume, est comme par hasard mêlé au complot. La
Haye pour sa part soupçonnait le ministère Polignac d’attiser par l’envoi
d’agents secrets l’opposition catholique dans l’espoir de récupérer les départements
belges et, par un succès extérieur éclatant, calmer la fronde
parlementaire en France.
Le projet de Guillaume et de son ministre van Maanen (un ancien jacobin
batave qui avait tonné jadis contre l’exécrable maison d’Orange) était
double, mais les deux hommes tissaient sans le savoir une tunique de
Nessus qui allait les dévorer. Pour combattre les catholiques belges et leur
opposition, il faut profiter de la présence surabondante de Français jacobins,
bonapartistes, girondins ou montagnards de toutes obédiences, dans
les salles de rédaction des journaux, où ils se sont imposés par inaptitude
locale à la littérature politique.
Licence totale leur est donnée d’attaquer la France de la Restauration, les jésuites,
la Congrégation car leur prose anticléricale sert jusqu’en 1820 contre
les partisans de l’évêque de Gand Mgr. de Broglie, contre les opposants
au Collège philosophique après 1825, contre les signataires catholiques du
pétitionnement en 1827-1828.
Comme l’arrêté royal de 1815 et la loi de 1818 érigent en délit toute critique
des actes du gouvernement par voie de presse, comme l’ignorance
linguistique phénoménale d’alors empêche les journalistes de remplir les
colonnes d’articles traduits de l’anglais ou de l’allemand, la surface rédactionnelle
des journaux (même ceux que Guillaume n’a pu ni acheter ni
faire rédiger par des réfugiés français à sa solde) sera de facto consacrée
aux seules choses de France.
Quand le gouvernement des Tuileries se plaint de cette campagne de presse
hostile, le pouvoir hollandais qui, en quelques années, avait fait saisir 23 journaux
et condamner 80 journalistes, se donnera les gants d’invoquer la Grondwet
et la liberté de la presse, pour lui opposer une fin de non-recevoir…
Et là, Guillaume et son ministre n’ont pas perçu le danger d’un phénomène
de génération. Les jeunes diplômés des nouvelles universités fondées en
1817, ces jeunes avocats auxquels la politique linguistique, la méconnaissance
de la “landtaal” ou, tout simplement, la prépondérance scandaleuse
u 118
des ressortissants des provinces du nord dans la distribution des emplois
administratifs ferment bien des carrières, se sont rabattus sur le métier de
journaliste, lui-même empreint d’un intérêt forcé pour les choses politiques
françaises.
Les débats parlementaires, la Charte, les procès de presse, les ordonnances
de Charles X les passionnent. Là où les Vieux-Libéraux, restés joséphistes
ou voltairiens, ne pensaient qu’en termes d’anticléricalisme et d’étatisme,
ils vont penser, à la lecture des journaux d’outre-Quiévrain, en termes de
liberté.
Insensiblement, au fil des mois, ils vont s’apercevoir que la conduite du
roi et du gouvernement, quelles qu’en soient les motivations ou excuses,
relève du même absolutisme, du même sic volo, sic jubeo que celui qu’ils
ont eu pleine licence de dénoncer en France. Et l’inévitable rapprochement
se fera entre Jeunes-Libéraux et Jeunes-Catholiques, influencés par
Lamennais et secouant le poids d’une hiérarchie trop attachée au maintien
de privilèges surannés. On sursaute en lisant au fil des rapports des gouverneurs
et fonctionnaires royaux, la virulente dénonciation de la coalition
jésuito-libérale.
Louis de Potter se situe très exactement à la ligne de séparation des eaux
entre “vieux” et “jeunes” Libéraux. Son goût pour les réformes toscanohabsbourgeoises,
ses restes de joséphisme le situent clairement, à son retour
en Belgique, dans le premier camp.
Le discours de Guillaume devant les Etats généraux lui semble en 1825, à
propos du tant décrié Collège philosophique, franc et loyal, digne de lui
valoir le surnom d’honnête homme. Il a fait hommage au roi de sa biographie
de Scipio de Ricci, louant le sort qui lui permet de vivre sous des
institutions libérales qui, par des principes de modération et d’équité, ne
mettent aucune barrière à la pensée.
Le fougueux tribun commencerait-il une carrière de sycophante ou de
journaliste à gages, à l’exemple du français Louis Teste, pilier de la Loge de
Liège, propagandiste stipendié de Guillaume I er en attendant de devenir le
coryphée de l’agitation orangiste après 1830 et un ministre concussionnaire
de Louis-Philippe ?
Chez de Potter, le royalisme orangiste hérité du joséphisme ne va pas
jusque-là. Sa fréquentation probable des cénacles célébrant pêle-mêle
Buonarotti, carbonari d’Outre-Monts et Egaux chers à Gracchus Babeuf, a
119 u
développé chez ce quadragénaire une volonté de rompre avec l’aristocratie
et la bonne bourgeoisie dont il est issu, comme en témoigne son mariage
avec la fille d’un tapissier, mais aussi son refus, à la mort de son père, de
relever ses titres de noblesse.
A notre sens, il s’agit moins d’un souci d’égalitarisme, ou d’économies sur
les taxes de relief, que de celui d’éviter de se lier politiquement les mains
en risquant d’être désigné par le pouvoir pour siéger dans l’Ordre équestre
au sein des Etats provinciaux. “L’homme libre” de Potter, tonnait encore, au
nom de la liberté de pensée, contre les maudits jésuites dans les polémiques
relatives à la signature d’un concordat entre Rome et Guillaume.
Mais quand cette même liberté de penser, et surtout d’écrire, lui semblera
menacée par les durcissements de la législation sur la presse, qui tournent
allègrement les garanties de la Grondwet, quand il lui semblera, comme
naguère à Beaumarchais, qu’il n’est plus possible de louer si l’on n’a pas
licence de critiquer, le glissement se fera tout naturellement vers les rangs
des Jeunes-Libéraux qui, comme Charles Rogier, Joseph Lebeau ou Paul
Devaux, ont lancé un appel à l’union des catholiques et des libéraux sur
un programme minimal en quatre points qui évitent soigneusement toute
référence de type philosophique ou religieux : liberté des langues – liberté
de la presse – inamovibilité des juges – responsabilité ministérielle.
C’est ce dernier point qui permet à de Potter, adversaire du ministre van
Maanen, de franchir le pont, au nom même des principes libéraux, et
d’exhorter à bafouer et honnir les ministériels, hommes politiques ou journalistes
dévoués au pouvoir. Cet article non signé (8 novembre 1828) lui
vaut inculpation et incarcération, et c’est de sa cellule que partira le fameux
article du Courrier des Pays-Bas du 19 novembre qui concrétrise, en termes
frappants, le ralliement du futur “martyr de Potter” au nouvel évangile
qu’est l’unionisme :
Les anti-jésuites ont tant fait que dans les circonstances actuelles ce serait
une lâcheté que de profiter du peu de liberté de presse que nous laisse le
ministère pour accabler ceux qui, avec nous, la réclament toute entière.
Ce serait une lâcheté d’attaquer le jésuitisme qui est devenu chez nous synonyme
d’opposition. Que dût le mot d’ordre être Saint Ignace, dussent les
drapeaux porter un monogramme et le Sacré-Cœur… Dussent enfin les instructions
partir du Vatican, le devoir de tout vrai patriote est dorénavant de
combattre dans les rangs de cette opposition toujours libérale en ce qu’elle
u 120
empêche les usurpations du ministère, seules véritables causes des malheurs
d’un peuple et des dangers d’un gouvernement.”
On connaît bien la suite : condamnation à dix-huit mois de prison (dans des
conditions confortables aux Petits Carmes : guitare, cage à canaris, petit poêle
et secrétaire, défilé incessant de visiteurs et sympathisants), sans compter la
possibilité laissée au “martyr” de donner un second fils à son épouse.
Il garde toujours un espoir naïf en un roi qui ne serait que mal conseillé,
(vos ministres, vos flatteurs et vos conseillers vous trompent et vous égarent),
auquel il a envoyé sa brochure sur l’union catholico-libérale (cette alliance
qui, jurée sur l’autel de la patrie belge par la philosophie et la religion, est
un des événements les plus remarquables de votre règne ; il nous sera envié
par les peuples civilisés des deux mondes). Mais le gouvernement a perdu
patience devant cet homme qu’on a incarcéré pour le faire taire et qui a
réussi à transformer sa cellule en salle de rédaction, en tribune et en centre
de correspondance.
On saisit ses papiers, feint d’y trouver les traces d’un vaste complot subversif,
on le frappe de huit années de bannissement. Il finira, après diverses
péripéties, contées dans le corps de l’ouvrage, à gagner la France, non
sans avoir adjuré en juin 1830 encore Guillaume I er de sauver la Belgique
tant qu’il en était encore temps. Bref, un Mirabeau malgré lui dont le mythe
patriotique fera un Danton…
Nous touchons ici à un insondable mystère. Comment un publiciste aux
origines flamandes, mais qui ne s’exprime qu’en français, aux formules
ampoulées, aux distinctions subtiles entre anticléricalisme de principe et
union de cœur avec l’opposition catholique, entre révérence envers un
roi qu’il pense honnête et n’être en rien un tyran et la virulente dénonciation
de ses ministres, va-t-il du fond de sa cellule ou de son tardif exil en
France passer pour un “martyr” d’abord, pour l’inspirateur de la révolte et le
Lafayette belge ensuite ?
Il y a certes le battage organisé autour de son incarcération et sa proscription
par les rédacteurs et lecteurs du “Courrier des Pays-Bas” et feuilles alliées ;
les collectes et souscriptions organisées pour couvrir les frais de sa défense
et amendes, les hourvaris autour des tribunaux qui le condamnent.
N’en reste pas moins un fait aveuglant : fin XVIII e siècle, le taux moyen
d’analphabétisme, villes et campagnes confondues, est de 39 % au moins
chez les hommes, 63 % chez les femmes. Dans les premières années du
121 u
règne de Léopold I er , après quarante ans de troubles et de guerres, il a atteint
entre 80 et 90 % et aucune des feuilles d’opposition nées sous le régime
hollandais et qui ont “fait la Belgique” n’avait plus de 3.000 lecteurs !
Les Bruxellois, les Belges qui criaient “Vive de Potter !” n’avaient jamais lu un
traître mot sorti de sa plume. Comment dès lors expliquer cette popularité ?
Un nom facile à retenir et prononçable sans effort dans les deux idiomes ?
Des subsides incitatifs distribués à bon escient par ses amis parmi les classes
populaires qui, au fond, ont toujours été, parce qu’elles n’ont rien à perdre,
les seules à gueuler puis à se faire casser la gueule sur les barricades, parmi
les Waterkapoenen, ces stokslagers utilisables par le plus offrant, comme
certains épisodes de la révolution brabançonne l’avaient montré ?
Des mémoires du temps mentionnent que “ce cri partait de la bouche des
meneurs, car la populace criait vive tout le monde, tantôt de Potter, tantôt
Napoléon, tellement il est vrai que tout est parodie chez ces singes perpétuels
de la France, comme elle criait vive la liberté, vive la république, et
vive ou meure tout ce qui lui passait par la tête”. Il est vrai qu’il est plus
aisé de courir aux armes et au besoin de mourir, en criant “vive quelqu’un”
que “vive l’inamovibilité des juges”.
Le 18 octobre 1830 encore, le commandant local de la Koninklijke
Marechaussee ne signale-t-il pas à Heerlen, ville de l’actuel Zuid-Limburg
hollandais qui n’avait rien de “belge”, une émeute au cri de “Vive de Potter !”
qui se terminera par la pendaison en effigie, à la sonnette du commissariat
de police, de “M. le ministre du Culte protestant” ? Décidément, Louis de
Potter était a man for all seasons dont le nom recouvrait tous les motifs de
toutes les oppositions !
Avec justesse, feu le Professeur Robert Demoulin, le grand spécialiste de la
Révolution de 1830, pouvait clore ce débat en écrivant : Louis de Potter est
un grand nom : sa popularité est immense dans toute la Belgique. C’est un
persécuté, un exilé, et auprès des masses, c’est le plus beau des titres. Bien
sûr, mais reste l’essentielle et insoluble question de savoir qui a popularisé
dans ces masses le nom du “martyr” ?
Réfugiés en France, ni de Potter, ni Bartels, ces deux “porte-drapeaux de
l’anti-Hollande”, ne sont pour rien dans les émeutes qui suivent la représentation
de la “Muette de Portici”. Bartels écrira même en 1836 : de Potter
et moi, nous n’avons jamais prévu ou voulu la Révolution. La presse d’opposition
se déclare encore favorable au maintien de la dynastie, pour autant
u 122
qu’elle enterre “le monstrueux amalgame, cette chimérique centralisation,
cette union contre nature”, se bornant à réclamer la séparation législative et
administrative, et que “dorénavant, tout sera Belge en Belgique”.
C’est un des grands paradoxes de l’Histoire. Tout ce qui s’est fait, en septembre,
au cri de “Vive de Potter !” s’est fait sans de Potter, comme si ses
amis et admirateurs eux-mêmes voulaient bien se servir de son nom, de sa
popularité, mais ne le voyaient nullement, lui l’homme des bibliothèques
et de l’étude, comme un leader charismatique, capable d’enflammer le
peuple, voire tout simplement comme un homme d’action.
Quand à l’heure de l’abattement et du doute, devant l’anarchie politique
régnant à Bruxelles peu avant l’intervention des troupes du Prince Frédéric,
les leaders Gendebien, Van de Weyer, Chazal, etc., ont “un moment de défaillance”,
gagnent Lille ou Valenciennes et vont consulter de Potter, celuici,
loin de les exhorter à la fermeté, se contentera de refuser de se joindre
à eux en un comité en exil et se retirera à Lille.
Ce n’est qu’à l’issue des sanglantes journées de septembre qu’il franchira
la frontière, écrivant encore à Sylvain Van de Weyer qu’il ne se sent pas
indispensable au succès, déjà acquis à ses yeux, de la cause et préférerait
retourner à sa famille et à ses occupations. Faut-il pour autant croire,
comme ce présent livre l’écrit après bien d’autres, qu’il y aurait eu “une
manoeuvre subtile inspirée par Gendebien” visant à adjoindre de Potter au
gouvernement “pour détourner les ouvriers de la lutte des classes au seul
profit de la lutte nationale”.
C’est là une reconstruction postérieure dans la ligne des écrits de Bartels
et des historiens postérieurs tenants du thème d’une “révolution prolétarienne”
confisquée par la bourgeoisie. Beaucoup plus simplement, il était
malaisé de faire passer le “martyr” à la trappe, tout en se rendant compte
qu’il serait encombrant et quelque peu limité, après avoir fait acclamer
son nom pendant de longues semaines. C’est le sens des paroles de Gendebien,
admettant implicitement et prophétiquement qu’on s’est servi du
nom du journaliste exilé mais qu’il fallait lui tenir les rênes très courtes, le
canaliser comme on dirait aujourd’hui.
Le principal service que rend au tout frais Gouvernement provisoire celui
dont la voiture, dételée, est portée à bouts de bras à l’Hôtel de ville
de Bruxelles le soir du 28 septembre est de cautionner devant la foule le
nouveau pouvoir (gouvernement populaire qui est votre ouvrage), d’adjurer
123 u
de conserver l’ordre et de se tenir en garde contre l’anarchie et ses funestes
suites. Toujours beaucoup de Mirabeau et fort peu de Danton...
Ses initiatives font peur, comme cette lettre où il affirmera à un leader
militaire éventuel disposer le 17 septembre de plus de 10.000 vétérans
armés des Trois Glorieuses parisiennes de juillet 1830 (qui s’offrent à moi,
c’est-à-dire à la Belgique par mon entremise), dont 7.000 à 8.000 Belges de
France, le reste des Français recrutés dans le faubourg Saint-Antoine, des
Allemands, des Polonais surtout et quelques Anglais, du vrai peuple (sic).
On sait les difficultés qu’auront le jeune Etat belge et son armée à se débarrasser
plus tard de ces encombrantes légions belges-parisiennes, brigade “La
Victorieuse” et autres corps non-régnicoles attirés vers les juteuses opportunités
de grades et de carrière offertes par la Révolution. Au Gouvernement
provisoire, on ironisait : de Potter voudrait-il par hasard se faire général ?
Il est, au Gouvernement provisoire, comme au Comité central, une sorte
de pièce rapportée, la tête chauve et l’homme mûr (44 ans !), qui tranche
sur le reste de l’équipe, beaucoup plus jeune. Qui tranche aussi parce que
son nom est connu de tous alors que ses collègues sont pour la plupart très
largement ses cadets et de simples notabilités locales soudain propulsées
au premier plan par les événements.
D’emblée, il a persiflé sur le partage du gâteau auquel il ne tient guère à
participer, se mettant volontairement hors jeu en professant des sentiments
ouvertement républicains et ultra-radicaux, qui lui valent de ses collègues
comme d’observateurs étrangers et surtout de la propagande orangiste et
hollandaise le soupçon d’aspirer à la dictature personnelle en flattant le
peuple. Lui-même considère ses collègues et anciens amis comme courant
après titres et prébendes.
Il voulait, à l’image des premiers révolutionnaires d’Amérique, faire des
membres du gouvernement de simples exécutants des volontés d’un
Congrès national élu démocratiquement, et se sentira mis au placard quand
les élections au Congrès se solderont par la défaite de ses idées et le succès
d’options nationales certes, mais solidement conservatrices ou modérées.
Il n’y a dans les rangs des députés qu’une très nette minorité républicaine
dont deux de ses amis, Lucien Jottrand (l’homme de la double contradiction
: catholique et libéral avancé, wallon et flamingant) et l’étrange abbé
Désiré de Haerne, Brugeois comme de Potter. Désormais pour ce dernier,
u 124
qui a traversé comme une comète le ciel de la Révolution belge, tout est
fini quelques semaines seulement après son retour triomphal à Bruxelles.
Deux jours après l’ouverture du Congrès national, il démissionne de ses
fonctions pour, dit-il, couper court aux calomnies qui l’accusent de rêver
de pouvoir personnel. Le 23 novembre 1830, le lendemain de l’adoption
par le Congrès de la monarchie constitutionnelle par 174 voix contre 13, il
publie une dernière et éclatante profession de foi républicaine dans laquelle
il avoue avoir rêvé d’une République des provinces belges, sans se rendre
compte que le seul mot de république faisait, comme Joseph Lebeau
l’affirmera dans son grand discours, l’effet d’un épouvantail sur les nations
européennes, et surtout sur les électeurs et députés âgés de cinquante ans
et qui avaient connu et le pitoyable échec des Etats-Belgique-Unis, utopie
fédéraliste, et les excès des Sans-culottes.
Louis de Potter essaye d’animer la républicaine Association pour l’Indépendance
nationale, mais n’est plus aux yeux cette fois des autorités belges
qu’un encombrant legs des années 1828-1830. On le lui fait sentir, au besoin
par des allusions à des menaces physiques, et le Pater Patriae n’a plus qu’à
s’exiler en France. Cette fois il n’y a bien sûr pas de bannissement judiciaire,
mais un exil volontaire à Paris qui durera de fin février 1831 à septembre
1839. Il pourra y méditer à loisir sur l’ingratitude des masses, de ce peuple
qu’il a naguère déifié mais qu’il n’a jamais vraiment connu, ni compris.
Pour lui, il y a eu une Révolution belge et qui n’a pu tenir ses promesses
d’émancipation sociale parce qu’elle a été mise sous l’éteignoir institutionnel
par ses anciens amis et la nouvelle dynastie. Lucide, il fustigera, dans
une lettre ouverte à Léopold I er , la versatilité des masses et leur ralliement
au roi :
Vous qui, étranger à la révolution, êtes venu à sa suite, vous trouvez moyen
de vous rendre agréable au peuple avec qui, sans elle, vous n’auriez jamais
eu aucun point de contact, en la répudiant aussi naïvement qu’il la répudie
lui-même ; et moi, qui après en avoir rassemblé les éléments, y aurais
volontiers mis obstacle avant qu’elle n’éclatât, je suis, pour l’avoir voulue,
maudit et persécuté par le peuple qui l’a faite...
Dès lors, comme il le reconnaîtra de façon désabusée dans ses Souvenirs
personnels publiés en 1839, il reste “Démophile”, pour le peuple,
mais devient très sceptique sur la possibilité de construire des réformes et
la république de ses rêves par le peuple : Réaliser dans l’état actuel des
125 u
intelligences le suffrage universel n’engendrerait que l’anarchie. Le peuple
n’avait ni les lumières, ni la force de volonté indispensable pour réduire ses
adversaires au silence et les ranger au devoir. La république, je le reconnais
aujourd’hui, était impossible.
En septembre 1839, de Potter rentre en Belgique. Pourquoi ? Il a bien sûr
subi quelques tracasseries de la part de la police de Louis-Philippe à cause
des contacts maintenus avec le catholique ultra-démocrate Bartels soupçonné
d’ourdir des complots, mais aussi avec nombre d’utopistes égalitaires et
“sociologues” de France. Ces coups d’épingle et une perquisition ne sont pas
suffisants. Il y a le désir d’être présent dans sa patrie pour le cas où.
En effet, et sur ce point il a raison, le pays est de nouveau dans une situation
trouble. La période révolutionnaire va-t-elle s’achever et “décéder”
en 1839 où les années écoulées ne sont-elles que pré-révolutionnaires ? La
décision de Guillaume I er , en date du 11 mars 1838, de signer enfin le Traité
des XXIV Articles mettait la Belgique au pied du mur.
Ou elle refusait et se brouillait avec toutes les Puissances, ou elle se ralliait
à un traité qui l’amputait des parties du Limbourg et du Luxembourg qui
s’étaient ralliées à la Révolution belge et qu’elle administrait depuis le refus
de Guillaume dans un provisoire qu’elle croyait naïvement finir par être
définitif. Un Alexandre Gendebien, farouchement opposé à la ratification
du traité, agite des projets de soulèvement de l’armée, travaille les classes
populaires des villes.
Le parti orangiste, qui se tenait plus ou moins coi depuis 1834 et s’effritait,
y voit paradoxalement l’occasion de regagner du terrain en versant l’huile
de ses subsides sur le feu de l’agitation républicaine et anti-dynastique.
Enfin, les débuts de la grande Crise d’Orient de 1839-1841 vont mettre fin
à l’entente cordiale Londres-Paris, les mettre même au bord de la guerre en
1840, ce qui risque de priver le jeune Etat belge de la protection efficace
des deux garants qui sont surtout ses parrains.
Nous touchons à l’épisode le plus délicat et le plus controversé de la vie
de Louis de Potter : le “martyr” de la prison des Petits Carmes devient,
à la stupéfaction de ceux qui connaissent mal l’action des agents orangistes
au sein de l’extrême gauche et de tous les déçus de la Révolution,
partisan non pas d’une reconstitution telle quelle du défunt royaume de
l’amalgame, mais de ce qui était le voeu des pétitionnaires de 1828 : deux
u 126
états séparés unis au sein d’une “Fédération Hollando-Belge”, rêveries de de
Potter en 1839, jugera péremptoirement Henri Pirenne.
Le raisonnement s’apparente à la chanson satirique. C’était bien la peine
assurément de changer de gouvernement. En effet, gommant l’aspect national
de la révolte de 1830, de Potter n’hésite pas à écrire : La Révolution
de 1830 avait pour but de fonder une République sociale. Elle n’a pas atteint
son but et elle n’a eu pour résultat que de diviser un puissant Etat en
deux parties. Il est donc temps de réunir à nouveau deux peuples qui se
complétaient l’un l’autre. Ces propos se comprendraient plus aisément si
de Potter avait envisagé une alliance, fédérale ou confédérale, entre une
République belge et une République des Provinces-Unies ressuscitée. Mais
comme il considère maintenant la République comme une utopie irréalisable
à cause de l’apathie des masses populaires, le voilà devenu orangiste
au sens de partisan de la maison d’Orange-Nassau !
Le Louis de Potter qui a été l’auteur de la première proposition – avortée –
de déchéance de la maison d’Orange et qui a félicité Tielemans de l’avoir
poursuivie au sein de la Commission de Constitution, qui a défini la Belgique
comme une nation longtemps pressurée par la rapacité d’un roi marchand,
dilapidateur pour ses courtisans, avare pour lui-même est retourné à ses
anciennes amours de joséphiste et de vieux libéral. Guillaume I er ? : C’était
tout bonnement un roi progressif, qui ne se contentait pas d’être roi de nom,
roi constitutionnel, pour manger oisif, au râtelier de la liste civile. Il voulait
sincèrement ce qu’il croyait le bien, et ce bien il l’aurait fait, pour autant que
sa position lui permettait ; car il était aussi éclairé que peu méchant...
En effet, c’était bien la peine d’avoir fait la révolution... Même si la
dynastie qui couvrirait de son manteau d’hermine le nouveau pacte fédéral
hollando-belge se devrait d’être une Monarchie socialiste (sic).
Le problème est qu’en reconnaissant la Belgique et une fois le Traité ratifié
le 19 mars 1839, Guillaume a abdiqué en faveur du Prince d’Orange, celui
naguère si populaire en Belgique. Devenu Guillaume II, il fut lui aussi
victime de son imagination, des flatteries prodiguées par les dernières députations
d’orangistes belges, des espoirs insensés de pouvoir, à la faveur
de la crise internationale soit partager la Belgique entre la France et les
Pays-Bas soit établir la monarchie double, but éphémère des premiers jours
de septembre 1830.
127 u
En septembre 1841, Guillaume se compromettra sottement dans le “Complot
des Paniers percés” organisé en son nom contre Léopold I er par une
série de laissés-pour-compte de 1830. L’orangisme est mort et le ralliement
à la Belgique des grands aristocrates et industriels qui l’avaient jadis dirigé
tiendra de la cavalcade, si ce n’est à Gand où l’avocat Metdepenningen et la
Loge Le Septentrion le garderont encore vivace par hostilité libre-penseuse
à l’emprise catholique sur l’Etat belge.
Louis de Potter, homme indiscutablement sincère même dans ses palinodies
politiques, dépourvu de tout esprit de lucre et de recherche d’avantages
personnels, n’a pas été un des folliculaires stipendiés par un orangisme
mourant, mais qui ratissait large parmi tous les mécontents. Désormais, il
boude en pessimiste la politique qui ne peut aboutir qu’au despotisme qui,
quels qu’en soient les oripeaux, sera exactement le même qu’il soit exercé
au nom de la légitimité, ou de la monarchie de fait, ou de la république
tricolore, ou de la démocratie rouge ou enfin du socialisme.
Ultime avatar anarchiste, tous les régimes étant à ses yeux viciés par le
simple fait qu’ils exercent un pouvoir ? Non, il ne veut plus être qu’un
réformateur social, un rationaliste colinsien, resté fidèle aux vues généreuses
du Buonarotti de ses enthousiasmes de jeunesse. Ses revendications
dans de nombreuses brochures éditées à ses frais ou dans l’éphémère
feuille “L’Humanité” sont tantôt prophétiques (prêts à faible taux d’intérêt,
instruction gratuite, législation vieillesse, droits de succession, “dot sociale”
annonçant les actuelles primes d’installation) tantôt illusoires (collectivisation
de la propriété foncière, extinction des dettes au décès des débiteurs,
fin des regroupements capitalistes). Il n’a, faute d’engagement nouveau en
politique, aucune chance de les voir aboutir.
Louis de Potter ? Un homme libre, qui a su et voulu rester libre, n’être
guidé que par sa sincérité indéniable, ce qui explique qu’en Belgique il
sera toujours, en dépit d’une énorme mais très éphémère popularité, à
contre-courant de “l’air du temps”. Ce fut sans doute, là, son honneur...
u 128
Louis de Potter jeune, jouant de la “guitarra” italienne, peint par Joseph-Denis
Odevaere (1775-1830) en 1811. © Collection de la Fondation J. van Caloen, Lophem
(Bruges).
129 u
Auto-portrait par Matilde Malenchini-Meoni (école de Vincenzo Camuccini 1771-1844),
peignant son ami dans la bibliothèque de Scipio de Ricci, évêque de Pistoie et
Prato, conseiller du grand-duc de Habsbourg. Le petit portrait en arrière-plan se
trouve au musée Groeninghe à Bruges et est reproduit à la page suivante.
© Hugo Maertens, Sint-Andries – Courtoisie Musées Royaux des Beaux-Arts de
Belgique et Annuaire des musées de Bruges, 1989-1990, Bruges.
u 130
Louis de Potter de Droogenwalle peint par son amie Matilde Malenchini-Meoni
dans la bibliothèque de Scipion de Ricci, évêque de Pistoye et Prato, Florence,
vers 1818.
© Collection privée à Bruges. Remerciements à M. Dominique Maréchal, conservateur
(hon.) du Musée d’Art Ancien à Bruges et conservateur des Musées des
Beaux-Arts de Bruxelles.
131 u
La sœur de Louis, Marie-Christine de Potter, épouse du baron J. van Caloen, joue
d’une grande harpe au château de Lophem. Elle est peinte par Joseph Odevaere
(Bruges, 1775-1830). Remerciements à la Fondation Jean van Caloen, Lophem.
Château initial de Lophem où naquit Louis de Potter, construit par son père sur
l’ancienne cure de l’évêque de Bruges.
Aquarelle du peintre Holvoet, 1848. © Fondation J. van Caloen, Lophem.
u 132
Entrée triomphante de Louis de Potter à Bruxelles dans le carrosse de Rodenbach,
le 18 septembre 1830. © Archives de la Ville de Bruxelles.
“Scène des Jours du Septembre de 1830” (Louis de Potter tenant le bas du drapeau
belge), peinture de G. Wappers, 1835. © Musées royaux d’art et d’histoire, Bruxelles.
133 u
Louis de Potter dans la prison rue des Petits Carmes, par un auteur non identifié.
© Archives de la Ville de Bruxelles, collection iconographique.
u 134
Louis de Potter, habillé de pots, incite les gens à devenir des “mendiants de la
liberté belge” (S.M. Coster, Amsterdam).
Rogier portant le drapeau belge sur lequel est inscrit le nom de Louis de Potter
et d’autres membres du Gouvernement provisoire (Ch. Soubre, 1878).
© Musée d’Art wallon.
135 u
Premier “gouvernement révolutionnaire de Belgique” dénommé “Gouvernement
Provisoire” dont le Doyen est Louis de Potter et, à la mode Robespierre de France,
le fameux “Comité central” présidé par Louis de Potter. Au premier rang, on trouve
Charles Rogier, Louis de Potter (de profil) et Félix de Mérode. Au second, Gendebien,
Jolly, van de Weyer, de Coppin, van der Linden et d’Hooghvorst.
Dessin d’après la peinture de Picqué, située dans la Cour de Cassation à Bruxelles.
Médaille commémorative “de Potter – Unio”, Vhyrat, F., 1830, Cabinet des médailles,
ministère des Finances.
u 136
Origine des “Potter”
Nicolas de Potter
Pour mieux saisir l’esprit du chef spirituel de la Révolution belge, ses origines
familiales et industrielles – bousculées par plusieurs guerres et exils –
méritent d’être mieux cernées.
Anciennes frontières
Cette vieille souche familiale nommée “Potter” trouve ses origines au cœur
des comtés et principautés de Liège, de Picardie, de Flandre Occidentale
et de Flandre française.
Un texte de la famille Kranenburg cite un Jacob de Potter comme bourgmestre
de Renaix en 1270 tandis qu’un acte de 1357 cite son fils Gilles de
Potter comme étant un échevin de Renaix et en même temps rentier dans
le Franc de Bruges. Sa propriété se nomme “Ten Ysengaerde Bruges” .
C’est de lui que descend la branche du co-auteur .
La généalogie mentionne aussi, en 1530, un Gilles de Potter de Dixmude,
près de Bruges. C’est de ces deux Gilles que descend la branche du célèbre
Louis de Potter, basée à Lophem, également à côté de Bruges .
Ces lignées se rejoignent dans l’antique baronnie de Heule à Courtrai.
Cette métropole, accrochée à Lille, réunit les artisans du textile de la Lys
transfrontalier. Ceux-ci produisent depuis Renaix et Roubaix pour les
Généalogie de la famille Kranenburg, uitgeverij Dijksma, Utrecht, 1922.
Histoire généalogique Potter, Madame Henri de Potter d’Indoye, née Princesse Elisabeth de
Mérode, Tradition & Vie, 1963, 422 p.
Annuaire de la Noblesse de Belgique de 1896, Office Généalogique et Héraldique du Royaume de
Belgique, p. 76.
On y trouve la seigneurie d’Indooie (d’Indoye), un mot qui signifie dégel, fonte des neiges et crues
d’eau.
Les trois références ci-dessus réunies.
137 u
métiers à tisser d’Audenaerde et traitent aussi le lin depuis Tourhout pour
l’exporter à travers Bruges, Courtrai puis Dunkerque.
Corporations et métiers
Les antiques artisans potiers du premier millénaire sont donc devenus de solides
marchands de textiles qui se convertissent au fil de l’eau de la Lys et des
siècles et réussissent à préserver leur patrimoine, jusqu’à l’arrivée de Louis ?
S’agissant des métiers, le patronyme “Droogenwalle” rajouté au nom de
Louis provient d’une seigneurie, dotée de plusieurs arrière-fiefs à Dixmude
qui relevaient au XVII e siècle du comte Louis de Mérode , qui devint la
propriété des Potter en 1713.
Soit, il s’agissait d’un vallon et sa colline à l’abri des fréquentes inondations
du plat pays (droge walle – colline asséchée) . Soit, il s’agissait du blanchiment
de la laine que l’on réalisait avec du lait à Torhout, et son séchage
(drooge wolle – laine séchée) .
Anciennes armes “Potter” représentant le métier de potier fabricants
de récipients indispensables au 1 er millémaire.
Inventaire Patrimoine de Flandre au XVII e siècle., ministère de la Communauté flamande.
Source : Répertoire 42, liasse d’archives A/1553, bibliothèque de la Fondation J. Van Caloen,
château de Lophem, Bruges.
Inventaire du Patrimoine de Flandre, XVII e siècle, blanchisserie de Cuupere de Potter, château
Ravenhof, rue de la Blanchisserie et Marché-aux-laines, Tourhout.
Idem.
Source : Office Généalogique et Héraldique de Belgique. Selon cultures et religions, souhait familial
ou retranscriptions, l’ancien vocable “potteure” (récipents) variait à l’époque en “Pottere” ou “Potter”
voire “Pottier” en France. Notons qu’une branche de la famille, établie en Amérique au XVIII e siècle,
garda le patronyme “Pottere”. L’histoire demeure un éternel recommencement car cette branche
s’allia avec l’illustre famille de Bourbon-Parme, réconciliant ainsi d’anciens opposants.
u 138
Avant les révolutions, les corporations de métiers permettaient aux familles
de s’unir au plan commercial. La branche de Louis y parvint aussi mais on
comprend à présent que son destin littéraire avait été héroïque sur le plan
démocratique, mais financièrement désastreuse. Elle incarna le romantisme
révolutionnaire, style “fleur de lys à la française”.
Ces métiers textiles étaient ancrés sur la Lys, du XIV e au XVII e siècle, dans
la zone frontalière Roubaix-Furnes. La logique était bâtie sur l’axe nordsud,
entre Renaix (contre la Principauté de Liége) et Bruges (chef-lieu du
Franc de Bruges). Les terres Potter bordaient la route Renaix, Avelgem, Ooigem,
Kerckhove au XIV e siècle. Celle de Wevelgem, Marcke et Renaix, au XV e siècle,
puis Tourhout, Aertrycke, Kortemark, Leke, Vladsloo aux XVI e et XVII e siècles
et, au déclin, Lophem et Bruges aux XVIII e et XIX e siècles .
Invasions successives
Hélas, ces commerces familiaux furent brisés successivement par les passages
des troupes des rois d’Espagne et des Pays-Bas, mais aussi par celles
des empires autrichiens, français et prussiens, imposant une très contrariante
division territoriale d’est en ouest, frustrant fortement la famille de Louis.
Au XVI e siècle, les ancêtres Potter durent donc fuir aux Pays-Bas, ensuite
au Royaume-Uni et certains même aux Etats-Unis. Au XVII e siècle, ils
s’enfuyaient en France, au XVIII e siècle ils s’exilaient en Allemagne et, au
XIX e siècle, ils séjournaient en Italie et en Suisse . Les guerres de religion
brisèrent les corporations de métiers et forçaient à l’exode. La famille de
Louis avait donc été victime de cette situation et nous comprenons à présent
toute la frustration de Louis et cette “revanche” qu’il souhaita prendre
sur l’histoire. Plusieurs des lettres papales analysées par Louis concernent
ces anciens ravages (exemple, celle au duc d’Albe).
Liévin de Potter, un aïeul de Louis, est même décapité par les troupes du duc
d’Albe pour ses opinions religieuses exprimées à travers les tapisseries qu’il
produit dans la région avec les de Moore.
Entre croyants, non-croyants, jacobins, protestants, libéraux, catholiques, des
luttes fratricides ont lieu et des séparations douloureuses se produisent. La
Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963 et ANB de
1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.
Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963, 422 p.
139 u
branche de l’ancêtre Abraham de Potter quitta en hâte le sud des Pays-Bas.
Heureusement, Amsterdam la propulsa à la tête de l’un des premiers groupes
d’achat de soies et draperies du nord de l’Europe .
Les ancêtres de Louis sont exilés. En France durant l’invasion autrichienne,
en Allemagne lors de l’invasion française et en Italie à l’arrivée de
Napoléon. Les divers cousins Potter étaient, soit alliés par mariages, soit
par leurs terres voisines, soit par le compagnonnage de métiers (à Bruges
et Renaix et Courtrai), unis dans la défaite lors de faits d’armes .
Seigneuries Potter, 750 ans entre la mer, Roubaix et Renaix.
Source : Google © : Multiples et antiques seigneuries Potter à Aertrycke, Avelghem,
Alveringhem, Ballin, Droogenwalle, Folquinswerve, Ghybalde, Heule, Keyem, Kerchove,
Kortemarck, Leke, Lophem, Marcke, Ooighem, Picquendaele, Renaix, Ryghaertsvliet,
Tourhout, Ysengaerde…
Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, édition de 1963
et ANB de 1896.
Idem.
Les deux branches “Potter”, celle de Louis et celle de Nicolas, furent anoblies par Marie-Thérèse
d’Autriche, pour faits de bravoure distincts mais concomitants.
u 140
Zone de chalandise Potter fracturée par les guerres.
Source : B. Huyghe, De Belgische Revolutie, T. Verschaffel (VUB) et A. Dedijn (KUL).
Carte : Peeters, E., Le labyrinthe du passé, Louvain, 2003.
Abraham de Potter (1592-1650, par Carel Fabritius), commerçant en tissus, et Helena
de Pottere (1586-1637 par J.-A. van Ravesteyn), exilés à Amsterdam.
© Rijksmuseum, Amsterdam.
141 u
Petits-enfants de Abraham de Potter et blason, circ. 1640, école Fabritius.
© Rijksmuseum, Amsterdam.
Apogée à Bruges
Face aux invasions, bien des paysans, artisans et patrons de la zone frontalière
franco-belge eurent à franchir plusieurs fois la démarcation entre Lille
et Courtrai, tissant ou retissant petit à petit leurs précieux contacts commerciaux
à partir de Dixmude et retrouvant d’ancestrales racines à Bruges.
Le doyen des métiers de Bruges n’était pas moins que le grand tisserand
Jacques de Pottere, issu de Courtrai, cousin de Jacob de Pottere alors échevin
de Renaix, dont descend le fameux Liévin, maître ès tapisseries à Audenaerde,
ville-lumière textile . Mais les liens tissés entre la Hollande, les parties nord
et sud du Franc de Bruges, de la Principauté de Liège et le nord de la France
se brisent.
G. de Pottere, fils de Jacques, se rend à Bruges chez le Comte de Flandre, époux de Barbe, fille de Louis.
Ce dernier émigra de Renaix à Bruges. Document Maes, 1609, Renaix. Généalogie Potter p. 271.
u 142
Malgré leur position et leur capacité de signer le “Compromis de Renaix”,
par exemple, on voit que les Potter doivent fuir encore. Pourtant, on
observe un nantissement commercial datant de 1392, en faveur du Franc
de Bruges (sorte de “Principauté”), qui était endossé par le doyen des métiers
de la ville, Jacques de Pottere. Ce dernier était pourtant issu de Renaix
et Courtrai, dès le XIV e siècle alors que Liévin de Pottere était doyen des
métiers au XV e siècle à Renaix. Seule la famille réussit à les unir ainsi.
L’annuaire des métiers du Franc de Bruges reprend Robert de Pottere comme
métayer au XVII e siècle. Alors que le grand-père de Louis (Clément)
était aussi doyen de la guilde Saint-Georges de Bruges au XVIII e siècle. Une
tradition donc solidement ancrée entre Renaix et Bruges, en passant par
Courtrai et Audenaerde.
Sources : Archives Générales du Royaume de Belgique, cartulaires et annuaires des
corps de métiers de ces villes.
143 u
Un passage de l’histoire de la famille van Coppenolle illustre bien l’ampleur
des changements amenés par les grands tisserands au sein des guildes brugeoises
et renaisiennes. On y découvre cette note intéressante au sujet de la
famille de Potter et l’appui discret aux réformes qu’ils fournirent, sans perdre
leur crédit auprès de Marie-Thérèse d’Autriche qui les anoblira d’ailleurs
par la suite : Sous le règne de l’impératrice Marie-Thérèse, Gand fut sauvée
de la famine par les Coppenolle qui fournirent le grain. Au XVII e siècle, ils
vendaient leurs tapisseries à travers le monde, selon la maîtrise des de Moore
et de Pottere. Jacob de Pottere, Bourgmestre de Renaix en 1310, habitait la
région dès le XIII e siècle et, à Bruges, Jan van Coppenolle obtint l’emprisonnement
de l’empereur Maximilien d’Autriche en 1487 durant quatre mois pour
obtenir la libération de Bruges. Il défendit Gand durant un siège de 1490 à
1492. Comme son compagnon d’infortune, Liévin de Potter, il fut décapité.
Un texte de la généalogie confirme ces heurs familiaux, source de plusieurs
des défis relevés par Louis de Potter : Vers 1484 apparaît un certain Leuder
(Liévin) de Pottere, commerçant, né à Ter Lambeke près de Renaix. Il habitait
sur la Grand-Place de Renaix et aussi à Bruges. Il comparut devant le magistrat
et fut décapité pour ses croyances religieuses. Il était veuf de Catalina van
den Berge et s’était marié en 1510 avec Tanneke de Bruderode.
Plutôt que le tissage, le négoce textile avait heureusement pris le dessus et la
famille se redressa à partir de Courtrai et Dixmude, reconquérant sa fortune
entamée par ces guerres passées et ses lettres de noblesse. Comme les ancêtres
du “Compromis de Renaix” (voir page suivante), notre héros, 200 ans plus
tard, marqué par ces épisodes tragiques de l’histoire de sa famille, s’employa
à rendre le pouvoir plus pacifique et son accession plus démocratique.
A la recherche de pacification et développement des affaires, la famille
de Louis prend plusieurs points d’appui dans la région. L’aïeul Guillaume
y épouse, en 1631, Marie de Costere et ensuite, en 1633, Antoinette de
Doppere à Vladsloo (Dixmude).
Elle s’étendra rapidement comme “seigneurs de Droogenwalle, Keiem,
Kerckhove, Leke, Alveringhem, Cortemarck” (Bruges), sans renier ni
perdre pour autant leurs attaches avec leurs fiefs de Heule, Ooigem et
Avelgem (Courtrai) ni celles des antiques origines de Kerckhove, Maarcke
et Kerkem (Renaix) .
Histoire de la famille van Coppenolle, P. Dhaese uitg., Gand, 1978.
Généalogie de la famille Kranenburg, uitgeverij Dijksma, Utrecht, 1922.
ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.
u 144
Le “Compromis de Renaix” signé par les “Potter” en 1566 lié aux guerres de religions
et aux exécutions de Liévin de Pottere et l’allié Stévin van Coppenolle, maîtres
tisserands. Parchemin aux Archives Générales du Royaume à Alost.
Peinture du XVI e siècle par S. de Ruysdael illustrant les Potter quittant Renaix suite
aux guerres de religion. © Collection de Madame Henri de Potter d’Indoye, née
Princesse Elisabeth de Mérode, château de Melle.
145 u
Jean, le fils de Guillaume, aussi commerçant en textiles, épousa à Cortemark
Pétronille de Cuupere, fille du greffier. Son fils Pierre épousa à Tourhout,
en 1743, Margueritte de Cuupere, fille de Jean, avocat général, receveur
du Duc de Nieubourg à Wynendaele, grand Bailli du pays de Wynendaele.
Cet ancêtre-clé est effectivement Pierre de Potter, précédant à la fois Jean-
Guillaume, Pierre-Clément et Clément-Joseph (ce dernier étant le père de
Louis de Potter) .
Ce dernier est donc installé au XVII e siècle, à Tourhout où vécut Nicolas.
Ce hasard est dû à cette alliance avec la fille du “blanchisseur” Jacobus
de Cuupere dont la famille occupait le château du Ravenhof . Devenu
aujourd’hui le centre culturel de la ville de Tourhout, il se situe sur un
promontoire dominant l’ancien Marché-aux-laines, et possédait une solide
blanchisserie de lin, rue de la Blanchisserie.
Repris par les de Potter de Droogenwalle au XVIII e siècle, le château du
Ravenhof, datant à l’origine du XIII e siècle, est donc situé sur l’un des
rares petits promontoires vallonnés de la région du plat pays ; d’où la
signification du patronyme évoquée plus haut : à l’abri des inondations
(en néerlandais : droge walle).
Le frère de Pierre, marguillier du Saint-Sauveur à Bruges, épousa Marie de
Lannoy, de la famille des métayers des villes de Lille et de Lannoy. Elle
était la fille de Jacques, greffier à la cour de Heule, fief sis à cheval entre
les deux Flandres, belge et française. Un autre ancrage français pour la
famille de Louis.
Les branches (de Renaix et Courtrai) se retrouvent
Suite à ces recherches sur Louis, on découvrit que c’est par deux fiefs
situés dans la baronnie de Heule que les ancêtres de Louis devinrent, en
1698, seigneurs de Droogenwalle, et ceux de Nicolas, en 1643, seigneurs
d’Indoye .
ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses. Inventaire du Patrimoine de
Flandre, XVII e siècle, blanchisserie de Cuupere de Potter, château Ravenhof, rue de la Blanchisserie
et Marché-aux-laines, Tourhout.
Histoire généalogique “Potter”, ANB 1896, OGHB diverses années et archives familiales diverses.
Inventaire du patrimoine de Flandre, ministère de la Communauté flamande.
(http ://inventaris.vioe.be/dibe/relict/87510)
ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.
u 146
Toujours au XVII e siècle, Joseph de Potter s’installe au domaine d’Aertrycke .
Par mariage, ce lignage s’allie au procureur général de Flandre et, par métier,
se rattache au puissant vicomte de Dixmude et de Wynendaele .
Au sujet d’Aertrycke, nous avons trouvé cette note : Pierre Clément de
Potter, époux de Marie Erreboot, décédé en 1720, était le septième Bailli de
Dixmude, maître des requêtes au Grand Conseil de Flandre, avait autorité
sur les fiefs d’Aertrycke .
Comme Louis descend de Pierre Clément, voilà la confirmation de cette
convergence et des liens étroits entre les branches “Potter” . A un jet
de pierre, et au XVIII e siècle, Pierre Joseph, l’ancêtre de Nicolas, s’installe
également à Tourhout. C’est dans la zone des prairies boisées dite
Verloren Kost qu’il s’établit, une terre répertoriée dès le XIII e siècle comme
appartenant au “domaine d’Aertrycke”, rapprochant ainsi les deux branches.
Siège du Collège d’Europe, cet hôtel de maître de 98 fenêtres fut bâti au n° 16 du
Dyver à Bruges par le père de Louis de Potter. Il fut saccagé par les soldats de Napoléon.
Source : Province de Flandre Occidentale et © Collège d’Europe, Bruges.
Le site des châteaux de Belgique.
(http ://www.chateauxdebelgique.eu/flandreOC/Aertrycke.aspx ?search_ai=pottere)
Histoire de la famille van Hille, Ed. Tablettes des Flandres, recueil 4, 128 p., Bruges, 1954.
Archives Générales du Royaume de Belgique, inv. lettre “i”, ref. 001, manuscrit, répertoires
397/98/99.
Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963 et ANB
1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.
Inventaire du patrimoine de Flandre, ministère de la Communauté flamande.
(http ://inventaris.vioe.be/dibe/relict/87510).
147 u
Le petit château du Ravenhof à Tourhout, adossé à des terres, une ferme et une
blanchisserie de laine et lin, au lait. Datant partiellement du XIII e siècle, il fut acquis
par les de Potter de Droogenwalle au XVII e siècle, via l’alliance avec la famille de
blanchisseurs, de Margueritte de Cuupere , épouse de Pierre Clément de Potter, fils
de Jean de Potter, arrière arrière-grand-père de Louis de Potter. Il se trouve entre la
rue de la Blanchisserie et le Marché-aux-laines
Jean-Guillaume de Potter, seigneur de Droogenwalle, de Kerchove, de
Ghybalde, de Scheurvliet, de Haveskerke, de Folquinswerve et de Heule,
licencié ès lois, conseiller de Dixmude et de Nieuport, fut anobli, lui et
sa descendance, par charge de maître des requêtes au Grand Conseil de
Flandre à laquelle il fut nommé par lettres patentes de 1726 par S.A.S.
Marie-Elisabeth, archiduchesse gouvernante des Pays-Bas .
Il avait épousé Jeanne Pattheet, fille de Pierre, greffier de Furnes, et de
Pétronille de Cressin, fille de Juste de Cressin, seigneur de Ballin, de
ANB 1896 et OGHB diverses années et archives familiales diverses.
Source : Inventaire du patrimoine de Flandre, ministère de la Région flamande.
(http ://inventaris.vioe.be/dibe/relict/87510).
Histoire généalogique “Potter”, Madame Henri de Potter d’Indoye, Tradition & Vie, 1963.
u 148
Picquendaele, conseiller de Furnes. Jean-Guillaume décéda en son château
de Kerchove en 1759 à l’âge de 75 ans, étant depuis longtemps le doyen du
Grand Conseil de Flandre . Il engendra Clément de Potter de Droogenwalle,
Bailli de Dixmude, qui acquiert, en 1756, auprès de l’évêque de Bruges,
la cure désaffectée de Lophem qu’il agrandit pour en faire le Château de
Lophem , et fait ériger un hôtel de 98 fenêtres au Dyver à Bruges, devenu
entre-temps le siège du fameux Collège d’Europe .
Au décès du grand-père de Louis, le patrimoine familial comprenait plusieurs
importants fiefs au château de Keyem, au château de Kerchove et
au château de Ooighem. Les châteaux de Lophem, Tourhout et Aertrycke
n’y figuraient pas.
Au vu de ces antécédents, et quand on sait que l’autre branche des “Potter”
comptait, à cette période, trois autres châteaux, on réalise que le noble
sacrifice, par Louis, de tous ses biens matériels et de sa position aristocratique,
au profit de sa “carrière de publiciste belge” bouleversa la famille et le
public .
En approfondissant la partie brugeoise du travail du Père Jacques de
Potter et de madame Henri de Potter d’Indoye, née Princesse Elisabeth de
Mérode , nous avons observé que les branches Potter dites de Renaix et
de Bruges se rapprochent.
Gilles possédait en 1357 un arrentement nommé Ter Ysergaerde Brugghe
à Bruges et était échevin à Renaix. Gilles (1550) exportait du textile de
Renaix à partir de Bruges où il donne naissance à la branche de Louis, à
travers Firmin.
Annuaire de la noblesse de Belgique de 1896, Office Généalogique et Héraldique du
Royaume de Belgique, p. 78.
Histoire du château de Lophem par la Bonne Véronique van Caloen, Fondation Jean van
Caloen, 1990-1995.
Site et brochure du château de Lophem, Fondation J-B. van Caloen.
http ://www.coleurop.be/content/thecollege/locations/images/Dijver-building.jpg
Testament de Pierre Clément de Potter de Droogenwalle, liasse 27, chiro 1, bibliothèque
du château de Lophem, Fondation J-B. van Caloen.
Généalogie “Potter”, Tradition & Vie, 1964, Madame H. de Potter d’Indoye et le R.P. Jacques de
Potter.
149 u
Ci-dessus : Château d’Heye à Kerckhove (Audenaerde) où s’éteint Jean-Guillaume
de Potter, doyen du Grand Conseil des Flandres, en 1759. (J. Delcampe, Bruxelles
et V. Pouilly, Monuments de Flandre Occidentale)
C-dessous : Château de Ooighem sur Lys près de Roulers qui appartenait à Guillaume
de Potter, époux de Marie de Costere au XVII e siècle. Source : ministère de
la Communauté flamande, 2008.
u 150
Outre la concordance des lieux d’origine, celle des époques, des métiers
du textile, des terres contiguës à Torhout, des patronymes…, c’est dans la
petite baronnie de Heule (Courtrai), que l’on trouve le point de convergence
le plus significatif.
Le dit “Seigneur de Heule” n’est autre que Clément Potter Droogenwalle et
la dite “Seigneurie d’Indoye”, qui se situe dans la dite baronnie de Heule,
devient, en 1643, la propriété de… Joseph de Potter d’Indoye.
Les trois documents ci-dessus sont disponibles à présent. Gageons que la
prochaine génération arrivera à apporter les liens matériels requis pour
réunir les branches de cet intéressant remembrement familial.
Celui-ci ne figure pas encore dans le remarquable travail de M. Jean-François
Houtart et permettrait aussi de prolonger l’origine familiale des Potter jusqu’au
XIII e siècle, par rapport au XVIII e siècle actuellement indiqué.
Plusieurs textes officiels requis à cet effet sont disponibles mais requièrent
un travail de réconciliation que Nicolas a entamé avec l’aide d’un généalogiste
hors pair.
Victor Armand de Potter dit d’Elseghem
Selon Joanna Scott, finaliste au “Prix Pulitzer” (USA), et sa mère, Yvonne de
Potter, descendantes de Louis, ce dernier aurait eu un enfant hors mariage,
un dénommé Victor Armand de Potter dit d’Elseghem.
Cet enfant naturel naquit en 1807 et fut assigné, durant l’exil de son père,
au château d’Elseghem , village attenant à la seigneurie de Kerckhove (fief
Potter précité), chez sa cousine à la mode de Bretagne, Reine de Potter ,
née en 1784 et épouse du chevalier Charles-Louis de Ghellinck d’Elseghem,
beau-fils du chancelier hon. de l’empereur d’Autriche, Jean de Bay.
J-Fr. Houtart, Histoire des anciennes Familles de Belgique, en collaboration avec l’Office Généalogique
et Héraldique de Belgique, 2009.
http ://inventaris.vioe.be/dibe/geheel/21265
http ://www.geneall.net/W/per_page.php ?id=1098129
151 u
Arbre généalogique “Potter”.
u 152
Il avait épousé en premières noces Sylvie, fille du général Van den Hende,
membre de l’état-major du Roi Louis-Napoléon qu’il suivit en France lorsque
ce souverain y reprit le trône. En secondes noces il avait épousé
Sophie de More , membre d’une famille citée plus haut dans le cadre de
l’industrie textile des environs d’Audenaerde. Il décéda à Melle en 1894 et
fut inhumé près de la branche “Potter” précitée qui habitait le château de
Melle et tenait le mayorat de la cité gantoise.
Les distinctions du “Mérite civique de 1830, de Grand-officier de l’Ordre
de Léopold et de Chevalier de la Légion d’Honneur de France” font penser
à l’aide donnée à son père. Mais on sait juste qu’il rencontra le général
Lafayette et eut un fils : Pierre Louis Armand de Potter. Ce dernier fit ses
études à Paris et émigra aux Etats-Unis où il devint professeur d’archéologie
et gérant d’une agence de voyages sur Broadway 45 à New York.
Pour services rendus, lui aussi, reçut l’Ordre de Léopold… belge et le brevet
de colonel… belge. Il était chevalier de la Croix Blanche… d’Italie et
de l’Ordre de Mélusine… français. Il avait un diplôme italien de docteur en
philosophie et était membre des Sociétés d’archéologie française et américaine.
Il avait une vaste collection égyptienne exposée aux Etats-Unis.
Après trois voyages autour du monde, il décéda sur les côtes de Grèce...
où son père naturel avait posé un feu-follet ?
Château d’Eselghem (Audenaerde) où serait né Armand de Potter.
http ://gw1.geneanet.org/index.php3 ?b=gillesdumas&lang=fr ;p=albert+francois ;n=de+more
153 u
A gauche : Grand-mère de Louis de Potter, Mme van Hille, dessinée par Eleuthère
de Potter à 17 ans. Source : Alain van Hille.
A droite : Portrait de la mère de Louis de Potter, la douairière Marie Maroucx
d’Opbraekel (1758-1833), fille de Louis Maroucx d’Opbraekel, conseiller de Bruges
au Grand Conseil de Flandre, seigneur de Reyghaertsvliet et de Bellem. Dessin de
Emile J. Verbrouckhoven, reproduction par M. Werkman. Source : famille van Hille,
épouse de Potter.
Château de Lophem où habita Marie-Christine de Potter, sœur de Louis. Commandés
peu avant le décès de son mari, en 1848, les plans pour remplacer le château
Potter furent soumis de 1852 à 1856. Approuvés par la maître d’œuvre, la construction
dura de 1858 à 1862, soit deux ans avant le décès de Marie-Christine de Potter.
Source : livre “Château de Lophem”, © Fondation J. van Caloen, 2001.
u 154
Avis funéraire d’Armand de Potter, petit-fils naturel de Louis.
P.-Louis Armand de Potter Sr, Paris et Détroit.
155 u
Première affiche électorale de Belgique, imprimée le 13 octobre 1830. Elle est
signée par le “Comité central”, composé de six membres représentant le Gouvernement
provisoire, Comité présidé par Louis de Potter.
u 156
157 u
Description de la personnalité de Louis de Potter
par Lucien Jottrand, membre du Congrès de Belgique
Lucien Jottrand, fils d’un notaire de Genappe, fut avocat et journaliste au
“Courrier des Pays-Bas”, comme Louis de Potter. Wallon d’origine mais rebelle
perpétuel, après son passage au Congrès, il rejoindra sur le tard un certain
mouvement flamand. Aux côtés de Louis de Potter, il fut emprisonné aux Petits
Carmes avec Edouard Ducpétiaux (âgé de 26 ans !) et imagina le drapeau
belge, tricolore vertical, bardé de rouge, jaune et noir. Il connaissait donc fort
bien son compagnon d’infortune et voici ce qu’il en dit :
Louis de Potter avait une grande facilité d’esprit, une humeur bienveillante, une égalité
sans nuages qui le rendait sympathique à tous. Sa probité et la dignité de sa
vie lui donnaient une grande importance. Il ne s’agit point ici de sa loyauté privée,
c’était un fait de notoriété universelle qu’il disposait d’un très haut degré de probité
de conduite et du sens du devoir. Il n’était pas de ceux qui, pour sauver leur amourpropre,
s’acharne à défendre une opinion pour le seul fait qu’ils l’ont émise. (…)
Il était vif, gai, parfois jovial, (…) il était spontanément serviable envers tous ceux
pour lesquels il avait estime ou affection. C’était avant tout l’homme de la règle,
d’une grande assiduité au travail disposant des qualités du chercheur alliées à celles
du condisciple. (…) Il s’adonnait beaucoup aux exercices de gymnastique. Tout
Bruxelles l’a connu comme un excellent nageur et élégant patineur. (…)
D’une activité d’esprit qui devait le rendre «autodidacte», il fut comme Jean-Jacques
Rousseau ce que les Anglais appellent “a perfect scholar” c’est-à-dire un homme
versé dans la connaissance des langues anciennes (…) et modernes, et quoiqu’il
parlait familièrement dans le dialecte flamand de Bruges, il ne l’écrivait pas.
Les antécédents de Louis le désignaient naturellement comme conseiller de Guillaume
I er ou comme un excellent instrument à employer, à son insu, à la guerre calviniste
de la maison d’Orange contre le catholicisme belge. Nous nous souvenons
parfaitement de cet ‘entourage politique’ que lui faisaient les Gobbelschroy, Goubau
et autres agents du roi. (…) Les hommes d’Etat hollandais étaient parvenus à diviser
l’opposition belge et essayaient de semer la zizanie entre les parties. (…)
Louis fut confronté à ces manigances en se battant pour l’instauration du suffrage
universel. Bien que très populaire, il fut devancé par ses collègues dans
la mise en place d’élections, hélas censitaires. La bourgeoisie belge substituait
une nouvelle légalité à l’ancienne, et abandonna la révolution.
L’action véritablement démocratique de la Révolution de 1830 cessait ce jour-là, et
la retraite de Louis de Potter devait en être la conséquence. Voyant dévier la Révolution
belge des voies où il croyait sincèrement l’avoir vu entrer, et dans lesquelles il
croyait qu’on l’avait appelé à la guider, se retira dès qu’il reconnut s’être trompé.
u 158
Tirés de son livre édité en 1946,
voici les extraits choisis écrits par Louis de Potter en 1829-1831
L’Union n’est pas le résultat d’une convention humaine au profit de quelques hommes.
Elle est le produit de la Force des choses. Outre la conquête de la liberté civile,
elle a pour but l’affranchissement de toutes les intelligences, l’expression de toutes
les opinions et la garantie de dignité pour ceux qui se sont sacrifiés pour garantir
la stabilité sur laquelle elle repose. (…)
L’union des citoyens, condition sine qua non du bonheur public dans tous les temps,
devenait dans ces moments critiques où l’on se trouvait, une condition de salut et
d’existence. (…)
Marchons consciencieusement et d’un pas ferme dans la nouvelle voie qui s’ouvre
devant nous ; et, libéraux et catholiques, tous également amis des libertés publiques,
serrons cordialement nos rangs en disant, à l’exemple de O’Connell parlant
de Cobbett : “Nous avons ratifié notre éternelle réconciliation pour la liberté de
tous les hommes de toute religion, opinion, profession, espèce, classe ou rang !”
Sire, vos courtisans, vos ministres, vos flatteurs et vos conseillers vous trompent et
vous égarent ; (…) Non, sire, vous n’êtes pas le maître des Belges, vous n’êtes que
le premier d’entre eux (…) La loi qui nous régit, et vous régit avec nous, offre à tous
des garanties pour nos libertés, nos droits et nos obligations. (…)
Aujourd’hui que nous connaissons le peu de longueur de nos chaînes, et qu’à nos
efforts pour les rompre on répond par des actes contraires pour les raccourcir et en
augmenter le poids, peu nous importe ces promesses ombrageuses !
J’écris au roi pour lui faire toucher au doigt les impertinences et le gaspillage de ses
ministres qui, non contents de ruiner le peuple, les injurient encore et les maltraitent..
J’aime ma patrie et mes concitoyens et je ferais bien des sacrifices pour leur
assurer la liberté la plus entière. Mais si nous ne sommes pas encore mûrs pour
elle je me dirai : cela ne dépend pas de moi et je me résignerai.
Les libéraux de tous pays commettent la faute de vouloir réformer les idées par les
lois. Il ne savent donc pas que tourmenter, vexer, violenter les hommes est un très
mauvais moyen de les convaincre ? Et qu’abattre des têtes n’est aucunement les
changer. La conviction ne fait jamais place à une autre conviction. Croit-on parce
que l’on craint ou que l’on espère ? Non. On croit parce qu’on croit. Tout moyen
humain échoue contre la foi qui se fortifie dans la persécution. Le raisonnement
seul est puissant contre le raisonnement.
159 u
u 160
Extraits de “Louis de Potter et la Révolution de 1830”
par le professeur Paul Harsin de l’Université de Liége
Dès 1828, Louis de Potter était un des chefs les plus écoutés du parti libéral avancé.
L’intelligence avertie du publiciste brugeois avait compris le danger que présentaient
pour les Belges leurs divisions. Son but aurait été d’obtenir du roi une autonomie
pour la libre propagation des idées de tous. Un changement dans l’important journal
libéral, le “Courrier des Pays-Bas”, vint lui permettre d’en modifier les tendances. (…)
Il y publiait un article qui eût un immense retentissement : Que quiconque n’aura pas
clairement démontré par ses actions qu’il n’est dévoué à aucun ministre soit mis au ban de
la nation ! (…) Le gouvernement saisit le danger et Louis de Potter était arrêté. De sa
prison, il lança de nouveaux appels à l’opinion publique, appels qui furent entendus.
Le sacrifice de sa liberté galvanisa l’opposition et la victime du patriotisme devint l’idole
de la nation. (…) A peine la sentence de son procès fut-elle prononcée que la salle
d’audience retentit de huées auxquelles répondirent celles de tout un peuple à l’unisson.
(…) A la faveur de l’obscurité, ses juges se soustrayaient à la fureur populaire en
fuyant à pied par des issues secrètes. (…) A peine avions-nous passé la porte que les
vociférations les plus énergiques firent une épouvantable explosion populaire autour
de la voiture :“A bas le ministère ! A bas van Maanen ! Vive de Potter !”
Sa prison devint un centre où l’on agitait tous les moyens pour combattre le despotisme
ministériel. Il vit défiler autour de lui tout ce que la commune patrie avait
de caractères les plus distingués et d’esprits les plus sages, tous voulant comme
lui la liberté de la Belgique. De multiples revendications furent consignées dans ne
multitude de brochures rédigées pas Louis dans sa prison et disséminées avec un
incroyable succès dans tous le pays. Du fond de sa prison, il dirigeait comme s’il était
encore installé dans son bureau, proposant un plan de confédération patriotique.
Il déclina l’offre de ses amis pour les élections de 1829 et contribua au succès de
celles-ci. Le gouvernement pris peur et fit mettre de Potter au secret, saisissant tous
ses papiers de cinq à six années, prétextant à une correspondance subversive pour
le faire ré-inculper. Le bruit que souleva son second procès fut énorme vu la fronde
populaire contre la divulgation de ses lettres. Le 30 avril le président des assises
prononça, pâle comme un mort : huit années d’exil. (…)
Tandis que le peuple saccageait les demeures des ministres et fonctionnaires aux cris
de “Vive de Potter ! Vive la Liberté !”, notre publiciste lança une adresse au peuple
belge l’exhortant à proclamer l’indépendance réelle de la Belgique. Rappelé de France,
de Lille à Bruxelles, son voyage ne fut qu’un cortège triomphal. L’enthousiasme
qu’il soulevait tenait du délire. Dans les moindres villages, on dételait sa voiture pour
avoir l’honneur de la tirer. A Bruxelles, où il parvint le 28 septembre, on porta sa
voiture au dessus des barricades.
La carrière de l’illustre publiciste était loin d’être terminée, mais son rôle dans la
préparation de la Révolution belge se clôt par cette victoire. Son honneur, dans notre
histoire, sera d’avoir su payer de sa personne pour le triomphe d’une noble cause,
d’avoir consacré le premier la formule que les Belges devaient prendre pour devise :
L’union fait la force !
Extraits de la lettre de Louis de Potter
à S.M. Léopold I er , roi des Belges
Sire,
Dans le temps, j’ai écrit plusieurs lettres au Roi Guillaume, toujours aux époques que
ses fautes rendaient les plus critiques, je cherchais à lui signaler ses fautes, à le rappeler
à la raison, et je lui prédisais que, s’il continuait à heurter comme il avait fait jusqu’alors,
la vérité et la justice, son règne ne serait pas de longue durée.
Je crois le moment actuel plus critique encore, pour la Belgique comme pour l’Europe
toute entière, que ne l’a été aucun de ceux des quinze dernières années qui ont hâté
l’explosion de juillet.
Pourquoi hésiterais-je à le dire et à le dire tout haut ? Et pourquoi ne vous le dirais-je
pas de préférence à vous, qui avez accepté une si large part de solidarité dans le grand
drame social dont le dénouement semble approcher à grands pas ? Vous êtes sur le
trône, il est vrai, et je suis sans patrie, mais qu’importe ? (…)
Et puis, je voulais réellement empêcher la chute de l’ex-roi des pays bas. Avant la révolution,
deux choses devaient concourir à préparer la liberté future, c’est-à-dire, le bonheur
durable de la Belgique : il fallait que le gouvernement hollandais continuât à y faire de
l’arbitraire, et que les Belges apprissent chaque jour à mieux résister à l’oppression.
Mes moyens pour atteindre ce but, auquel je me sacrifiais tout entier c’était de l’opposition
constitutionnelle, persévéramment soutenue pendant bien du temps encore.
Les ennemis de Guillaume en Belgique étaient nombreux et acharnés ; mais quels
étaient les motifs de cette haine ? Chez les nobles, leur servilité avait été dédaignée ;
chez les prêtres, la crainte d’une secte dominatrice, chez les hommes avides, la certitude
de ne pouvoir arracher aux Hollandais les faveurs royales ; chez les masses un
instinct aveugle d’aversion contre un autre peuple présomptueux et arrogant.
De véritable amour de la liberté, désintéressé et pur de tout mobile personnel, on n’en
voyait pas, mais grâce au système d’oppression général sous lequel on gémissait, la
liberté, qui était dans toutes les bouches, serait descendue dans tous les cœurs. Il fallait
lui laisser le temps d’y prendre racine. Alors, on n’aurait pas été affligé par le spectacle
de grands seigneurs convertis fraîchement au libéralisme parce que Guillaume les avait
exclus des antichambres, prêts à étaler leur rampante morgue dans les cénacles de
quiconque aurait donné à dîner et à danser dans les salons de l’ex-roi.
En ami sincère de mon pays, j’attendais avec impatience que le temps de la liberté fut
venu, bien décidé néanmoins à ne jamais la devancer. Outre les raisons particulières
Belges, il me semblait imprudent de provoquer le jugement d’un roi quelconque, avant
d’avoir mûrement préparé le jury populaire qui devait se prononcer sur les faits à
charge, non plus d’un individu, mais de la royauté en tant qu’institution ancienne solennellement
traduite devant les assises du genre humain. (…)
161 u
Extrait de la biographie de Louis de Potter
par le professeur d’histoire Emile de Laveleye (1822-1892)
(…) Le nom de Louis de Potter mérite d’être inscrit au tout premier rang de la
Belgique moderne.
Il a pensé avec force et profondeur sur les principales questions qui occupent notre
temps.
Il n’a recherché ni pouvoir ni grandeur, échappant à l’égoïsme qui se fortifie à quand
l’esprit perd en vigueur.
Son désintéressement de tout ce qui est petit et bas était si incontesté, son amour
de vérité si évident, que ses adversaires mêmes se sont vus forcés de lui rendre
hommage.
Chose rare à notre époque de convictions flottantes pour tout, sauf pour la conquête
de la fortune.
Il a ordonné sa vie d’après les notions qu’il s’était faites du vrai, du juste et du bien.
Jamais le penseur ne fut inférieur à l’homme public. (…)
***
Extrait de “Stendhal et ses amis belges” (Le Divan, 1981)
et “Stendhal raconté par ceux qui l’ont vu” (Jourda, 1931)
L’ouvrage de M. de Potter, vaste mine de faits, est le fruit de quatorze ans d’études
consciencieuses dans les bibliothèques de Florence, Venise et Rome. Eh
bien !, se sera-t-il dit, je suis l’homme le plus riche de Rome, je vais en être aussi le
plus brave et me moquer publiquement de tout ce que ces gens-là respectent, qui
ressemble si peu à ce qu’on doit respecter. Car un don Juan, pour être tel, doit être
homme de coeur et posséder cet esprit vif et net qui fait voir clair dans les motifs
des actions des hommes. Si son livre eût paru en 1750, nul doute qu’il n’eut valu à
l’auteur une réputation européenne. Tous les ouvrages de M. de Potter devraient
être traduits en anglais. Ils contiennent une mine de vérités historiques.
Jottrand disait : Stendhal doit beaucoup au “véridique”, au “savant” de Potter, qu’il
qualifiait de “Gelehrter Allemand et historien chevronné”. Une des quelques personnalités
belges que Stendhal tenait en très haute estime.
u 162
163 u
Et le mot de la fin pour Louis de Potter...
Source : Coup d’œil rétrospectif sur 1830, 1857.
u 164
Biographies des auteurs
René Dalemans, licencié agrégé en Philosophie et Lettres,
Histoire de l’art et Archéologie, maître de stages d’agrégation
à l’Université Libre de Bruxelles, directeur honoraire de
l’Académie des Arts de Woluwé-Saint-Pierre, auteur de nombreux
ouvrages et conférences d’art et d’histoire, notamment
celle de Léopold I er .
Nicolas de Potter, issu de Bruges, père de six enfants avec
Carine t’Kint de Roodenbeke, fut conseiller aux gouvernements
du Québec et d’Eurorégions franco-belge et francobritannique.
Il développa les contacts pour plusieurs médias
européens et, à présent, crée une Société coopérative dans
27 pays de l’Union européenne.
Francis Balace, docteur en Philosophie et Lettres, professeur
honoraire de l’Université de Liège, est un des spécialistes
renommés de l’histoire de la monarchie belge, des guerres
et divers autres sujets historiques et philosophiques. Il
est l’époux de Catherine Lanneau, titulaire de la chaire
d’Histoire européenne de l’Université de Liège.
165 u
Déjà parus chez le même éditeur
Michel Quévit
Flandre-Wallonie Quelle solidarité ?
De la création de l’Etat belge
à l’Europe des Régions
Nous sommes le peuple le plus
multilingue et le plus solidaire
du monde. Cela fait cent
soixante-quinze ans que nous
payons pour la Wallonie, ça ne
peut plus durer !, déclarait J-M.
Dedecker à l’hebdomadaire Le
Point en décembre 2008.
A quelle réalité correspond cette
image que la Flandre donne de la Wallonie et
d’elle-même ? Michel Quévit a voulu confronter
le discours nationaliste aux faits. Son analyse a
l’intérêt d’ouvrir les yeux sur l’engrenage nationalitaire
dans lequel la Belgique est entraînée et qui
s’amorce dans d’autres régions européennes.
n 184 p. n 13,5*20,5 cm n 19 e n
Jérôme Adant
Le Baron Rouge ?
Antoine Allard, de Stop-War à Oxfam
Issu des plus hautes branches
de l’aristocratie et de la finance,
rien ne prédestinait Antoine
Allard (1907-1981) à sortir du
simple cercle de charité chrétienne
tracé dans son milieu. Et
pourtant…
Ce livre traverse le siècle passé
en empruntant un sentier historique
encore mal balisé : celui d’un combattant
pour la paix. La personnalité extrêmement riche
d’Allard permet d’aborder des sujets aussi divers
que la Première Guerre mondiale, la montée
des fascismes, le monde diplomatique belge, les
réseaux pacifistes… en passant par l’altermondialisme
d’Oxfam, les attentes œcuménistes de
Vatican II, les relations Est-Ouest…
n 152 p. n 15*22 cm n 18 e n
Sous la direction d’Anne Morelli
Rebelles et subversifs de Belgique
des Gaulois jusqu’à nos jours
L’Histoire de nos régions se
résume-t-elle aux actions des
gouvernants et à la passivité
du bon peuple ? La foule n’a-telle
jamais pour rôle que d’acclamer
les rois ou les cyclistes
vainqueurs ?
Ce livre exhume des moments
de notre histoire où des hommes et des femmes,
mécontents de l’ordre des choses, se sont levés
pour tenter de le changer.
Depuis la révolte gauloise contre les Romains, se
rebeller comporte des risques avérés mais modifie
parfois une situation que l’on estime insupportable.
L’action collective fait aussi partie de l’histoire de
nos régions…
n 296 p. n 15*22 cm n 24 e n
Martial de Selva
Petite histoire de Belgique
De la préhistoire à nos jours,
une petite histoire illustrée de
nos contrées pour mieux appréhender
la complexité de
leur(s) identité(s), en décortiquer
les mythes, en éclairer
les paradoxes et comprendre
les ressorts d’une nation européenne
dont on se demande
chaque automne si elle passera l’hiver.
L’Encyclo, c’est un ton et des illustrations. Une
collection qui a pour ambition de s’intéresser à
tous les aspects de notre histoire, du folklore aux
sujets de société, de l’anecdote à l’essentiel.
n 136 p. n 12,5*18 cm n 12 e n
Questions et débats de société, pédagogie, formation, récits de vie...
www.couleurlivres.be
Table des matières
Remerciements....................................................................................... 3
Introduction ........................................................................................... 5
La vie de Louis de Potter......................................................................11
L’Ancien Régime..............................................................................................11
Un double exil.................................................................................................13
Retour à lophem..............................................................................................14
L’Italie et la découverte des Lumières............................................................17
Les “mauvaises fréquentations”.......................................................................18
Retour au pays qui s’agite...............................................................................23
L’établissement à Bruxelles.............................................................................25
Premières armes dans la presse......................................................................28
Intermède sentimental.....................................................................................29
Le combat politique européen s’impose........................................................30
Concordat, retour à la concorde ou ferment de discorde.............................34
Liberté de la presse, liberté en tout................................................................37
Second procès..................................................................................................50
Libri Bagnano, un escroc au service du pouvoir...........................................57
L’exil une fois de plus.....................................................................................63
La “Muette” fait parler la poudre....................................................................65
Les journées décisives.....................................................................................70
La politique peut reprendre ses droits ...........................................................73
Quelle forme de régime choisir ? ...................................................................81
Les Puissances se concertent ..........................................................................84
Un monarque oui, mais qui choisir ?..............................................................92
Encore et toujours l’exil ..................................................................................97
Pendant ce temps-là en belgique.................................................................100
Retrouver la Belgique....................................................................................104
Louis de Potter, franc-maçon ?......................................................................107
Epilogue.........................................................................................................108
Louis de Potter, porte-flambeau de la liberté et de la nationalité
belge, feu-follet politique ou simple “homme libre” ? ................115
Origine des “Potter”............................................................................137
Anciennes frontières......................................................................................137
Corporations et métiers.................................................................................138
Invasions successives ....................................................................................139
Apogée à Bruges ...........................................................................................142
Les branches (de Renaix et Courtrai) se retrouvent....................................146
Victor Armand de Potter dit d’Elseghem......................................................151
Biographie des auteurs.......................................................................165
***
En savoir plus
Vous trouverez sur le site www.potter.c.la une bibliographie complète ainsi que
de nombreuses archives et illustrations qui témoignent de la richesse de la documentation
réunie par Nicolas de Potter.
Imprimé en Belgique