You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Bibliothèque<br />
d’histoire de la Corse<br />
Collection fondée par Antoine Laurent Serpentini<br />
Giacomo, notaire de Belgodere. Ceppo n° 1.<br />
1583-1585<br />
L. Belgodere de Bagnaja, 2023<br />
L’Église de Corse en révolutions<br />
( e - e siècles)<br />
A. Rovere, 2021<br />
Témoignages sur la seconde conquête<br />
française de la Corse (1739-1740)<br />
T. Giappiconi, 2021<br />
L’Accademia dei Vagabondi.<br />
Une académie des Belles Lettres en Corse.<br />
Une histoire sociale, culturelle et littéraire<br />
( e - e siècles)<br />
Antoine Franzini, 2019<br />
De l’épopée vénitienne aux révolutions corses.<br />
Engagements militaires et combats politiques<br />
insulaires ( e - e siècle)<br />
T. Giappiconi, 2018<br />
Modernisation de la Corse au e siècle.<br />
Économie, politique et identité<br />
M. Cini, P. A. Scolca (trad.), 2016<br />
En semant ses bienfaits dans le cœur des<br />
enfants. Regards sur l’éducation en Corse.<br />
Fin e - e siècle<br />
E. F.-X. Gherardi, 2016<br />
Ære perennius.<br />
Hommages à Antoine Laurent Serpentini<br />
Collectif, C. Luzi, E. F.-X. Gherardi<br />
et D. Rey (dir.), 2015<br />
Balagne rurale.<br />
Économie et société de l’époque moderne<br />
à la fi n du e siècle<br />
L. Castellani, 2014<br />
Le grand dérangement.<br />
Confi gurations géopolitiques et culturelles en<br />
Corse – 1729-1871 – Anthologie<br />
D. Rey et E. F.-X. Gherardi, 2013<br />
Être instituteur en Corse<br />
sous le Second Empire<br />
Collectif, E. F.-X. Gherardi (dir.), 2012<br />
La distribution des prix.<br />
Tome I : Le temps de l’éloquence au lycée de<br />
Bastia (1846-1903)<br />
E. F.-X. Gherardi, 2011<br />
Théodore de Neuhoff, roi de Corse.<br />
Un aventurier européen du e siècle<br />
A. L. Serpentini, 2011<br />
Les Lucciardi.<br />
Une famille corse de poètes et d’instituteurs<br />
E. F.-X. Gherardi, 2010<br />
L’Imprimerie en Corse des origines à 1914.<br />
Aspects idéologiques, économiques<br />
et culturels<br />
V. Alberti, 2009<br />
Esprit corse et romantisme.<br />
Notes et jalons pour une histoire culturelle<br />
E. F.-X. Gherardi, 2004<br />
Histoire de l’École en Corse<br />
Collectif, J. Fusina (dir.), 2003<br />
L’âme des pierres.<br />
Sculpture et architecture, deux composantes<br />
de l’art préhistorique de la Corse<br />
F. de Lanfranchi, 2002<br />
La coltivatione.<br />
Gênes et la mise en valeur agricole<br />
de la Corse au e siècle<br />
A. L. Serpentini, 1999
Pour<br />
Charles Marchini (1966-1995, Castifao),<br />
mon frère qui de l’Histoire savait… ;<br />
le Commandant Toussaint Marchini, aviateur (1921-2003, Castifao),<br />
mon père qui lisait les étoiles ;<br />
Thérèse Balducchi (Castifao)<br />
ma mère que je connus maîtresse d’école en Afrique (1930-2008) ;<br />
Marie-Pierre Garsi (Pietralba)<br />
qui m’éclaire ;<br />
pour Davia, Vannina, Pierre-Toussaint<br />
nos enfants.
Avertissement<br />
À propos de l’usage des identités, noms et prénoms, nous avons choisi de restituer les<br />
orthographes de la langue écrite de l’époque dans le corps du texte. Il ne s’agit donc pas<br />
d’une restitution phonétique ou d’une adaptation en langue corse actuelle. Une exception à<br />
ce principe : des tableaux (par fidélité au contenu linguistique de l’archive qu’ils interprètent)<br />
ou des citations (afin de respecter le texte original dans son intégralité au moment de sa<br />
production)
7<br />
REMERCIEMENTS<br />
Chì va in Bastia senza esse spugliatu,<br />
o Gregorj è mortu o Campana è maladu.<br />
Petru Ciavatti, Diziunnariu corsu,<br />
Ajaccio, Albiana, 1985, vol. III, p. 836.<br />
Cette recherche prend source à Bastia, aux « Archives », en ce quartier<br />
dédié à l’Annonciation, à l’ordre de la Vierge Marie, un temple discret de la<br />
mémoire déposée, écrite ou sonore, vidéographique ou numérique, ce bâtiment<br />
d’allure contemporaine où la transparence du verre se réchauffe de boiseries<br />
blondes, où les silences des chercheurs abritent d’insondables passions,<br />
d’urgentes quêtes indicibles, d’innommables déceptions, l’intense plaisir des<br />
trouvailles, les excitations de la découverte, où la rencontre des temps passés<br />
arrête le temps qui passe. La salle de lecture – seulement troublée par les<br />
allées et venues d’un chariot qui porte les précieux documents remontés par<br />
un « émissaire » discret, attentif, dépositaire des requêtes de chaque « client »,<br />
seul détenteur des codes qui permettent une circulation instruite dans des<br />
sous-sols inconnus des chercheurs –, paraît comme une salle de communion.<br />
Un endroit réservé à la part de l’humanité qui ne se révolte pas contre<br />
l’historicité, qui en fait sa compagne comme un mode de compréhension<br />
du présent et de la condition humaine, un monde suranné, une provocation<br />
sans doute, alors que le refus de l’Histoire domine « l’éthique » de l’homme<br />
contemporain.<br />
C’est là qu’il y a fort longtemps, alors que depuis l’université de Nice, le<br />
professeur José Gentil Da Silva m’avait mandé chercher une documentation<br />
commerciale insulaire en vue d’un colloque tenu à Athènes sur « Économies<br />
méditerranéennes – Équilibres et intercommunications ( e - e siècle) »<br />
(1983), Jean-Pierre Salini, amical conseiller incontournable, attentionné, avisé,<br />
enthousiaste, m’indiqua les papiers Gregorj, une pièce unique, alors inédite,
8 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
charriée en ce lieu dans le fonds Mattei déposé par la famille Lota. M’intéressant<br />
alors aux formes d’organisation familiales dans la perspective d’une thèse,<br />
j’empruntai ce chemin comme un détour. Fort de l’autorisation d’accès accordée<br />
par René Lota, je me livrai à un premier dépouillement détaillé de ce livre de<br />
correspondance au départ signé par Giuseppe Gregorj marchand, négociant,<br />
à Bastia, au début du e siècle. De loin en loin, ce dossier m’accompagna, à<br />
Aix-en-Provence, à Cervioni, une dernière fois pour une production de l’université<br />
de Corse autour de Salvatore Viale, comme un clin d’œil, une invitation à<br />
aller voir, par-delà les lettres, la réalité du monde marchand de Corse et puiser<br />
dans d’autres fonds – actes d’état civil, papiers du tribunal de commerce, inventaires<br />
notariaux 1 . Tous ces outils font l’atelier de l’historien et se trouvent à<br />
l’ouest du port de Bastia, au fond d’un terrain qui abrite les lieux de pouvoir, la<br />
préfecture, la Collectivité de Corse…<br />
Là, au seuil de cet ouvrage, se logent mes dettes, mes pensées, mes<br />
hommages et demeure ma mémoire : dans cette bienveillante chaîne humaine,<br />
dans ce conservatoire où résiste la possibilité de l’histoire…<br />
1. Archives départementales de la Haute-Corse, série 21. Cette documentation a été étudiée, pour<br />
d’autres aspects, dans Marchini (1985) ; (1986) ; (1987) et (1996).
9<br />
INTRODUCTION<br />
On croit décrire sa ville natale avec exactitude,respecter<br />
d’instinct la topographie des lieux, et puis, au<br />
fi l des pages, d’abord sans le vouloir, ensuite parce<br />
que la narration s’en trouve facilitée, des maisons<br />
glissent d’un quartier à un autre, des monuments se<br />
rapprochent, des rues se confondent, et sans doute<br />
est-ce inévitable si l’on n’a pas su choisir, au départ,<br />
entre le récit autobiographique et le roman.<br />
Angelo Rinaldi, Les Dames de France,<br />
Paris, Gallimard, 1977, p. 137.<br />
Au cœur des intrigues que nous surprenons, l’argent, autant dire le lucre, la<br />
cupidité, cette face non dite du désir, brut, effréné, violent. Des sentiments, des<br />
passions, acteurs puissants mais secrets de l’histoire… Un homme Giuseppe<br />
Gregorj, principe de relations et de liens multiples, quotidiens, échappés vers<br />
des horizons méditerranéens, italiens, européens, français, à la fois fin et début<br />
de rapports épistolaires, de pulsations permanentes, maître d’impulsions, objet<br />
de sollicitations. Lui, acteur parmi les acteurs mus par ce désir de lucre –<br />
mesure de l’être, inavouée, inavouable –, non identifié car si intégré à leur<br />
pratique qu’il fournit la substance des respirations permanentes qui, par voie<br />
de lettres, activent ce monde des affaires guidé par la rémunération qui stimule<br />
les géographies de cette société peu encline aux frontières. Cette société<br />
marchande siège de toutes les passions d’argent – où spoliation, malversation,<br />
calcul, dissimulation, hypocrisie composeraient une chimie immorale –, les<br />
conduit, les maîtrise, les ordonne par une forme de transmutation vers une<br />
forme morale accordée par la confiance. Mais la confiance qu’est-ce ? Avides,<br />
les hommes que nous rencontrons –, car peu de femmes gravitent dans ce<br />
milieu –, se fient les uns aux autres, eux qui prétendent acheter du temps, cette
10 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
autre forme de la confiance qui commande de croire en soi, de croire en l’autre,<br />
en ses capacités de rendre l’argent acquis en prêt, le crédit.<br />
Voilà ce que disent des papiers surpris dans un fonds d’archives, isolés,<br />
sans début et sans fin, plus de 1 700 lettres écrites, depuis Bastia, entre<br />
octobre 1817 et août 1822, moments d’une suite… Le moteur de cette histoire<br />
dessine cette forme paradoxale où la croyance en l’autre voisine le désir de le<br />
détruire. Paradoxe apparent mais décomposé par des formes disjointes de la<br />
temporalité. Le fond de cette affaire réside dans le rapport au temps. L’échange<br />
fondateur, cruel, carnassier s’exprime dans ce que tient de tension le troc entre<br />
l’immédiateté contenue dans le crédit et la recherche, ou le risque, de détruire<br />
le bénéficiaire du prêt à tempérament. Le, ou les bénéficiaires ? Ce monde<br />
inconnu, discret aux contemporains qui le côtoient, muet, secret, porté par<br />
des besoins divers, solides, lourds, pressants, des exigences commerciales,<br />
des urgences personnelles, des appétits insouciants, de secrètes addictions, de<br />
dispendieux trains de vie, qui, à travers le crédit, activent la circulation de<br />
l’argent dans des versions plurielles, cette inconnue, ce silence 1 …<br />
Le lieu ? Bastia, petit port tyrrhénien au seuil de la péninsule capcorsine,<br />
ville génoise, regarde sur un chapelet d’îles : au nord, Gorgone, dans l’œil du<br />
mythe, longtemps siège d’une abbaye conquérante, puis Capraia, un temps par<br />
Paoli prise ; en face Elbe, exil de Napoléon éphémère roi de l’île ; la plate Pianosa<br />
invisible ; Montecristo, retrouvée dans les romans de Dumas, pièces éparses<br />
d’un archipel silencieux. Au-delà, l’horizon italien si présent au ciel d’avril<br />
lorsqu’à la lumière transparente s’éclairent les collines toscanes. Bastia – figure<br />
d’Utopia ? – au sortir du cycle génois de l’histoire de la Corse, amoindrie, politiquement<br />
« provincialisée » par la décision napoléonienne de faire d’Ajaccio, la<br />
capitale 2 . Nul n’épuisera le sujet. Ni les livres des voyageurs, aux images parfois<br />
simplistes, ni les archives, livrées à bien trop de points de vue administratifs,<br />
absentes de ces petits riens qui font palpiter la vie, Bastia reste un mystère. Les<br />
témoignages de l’époque, la première moitié du e siècle, parlent d’un « reflet<br />
italien 3 » perceptible dans la douceur de ses mœurs et dans sa sociabilité. Tandis<br />
que, dans les rues, surprend le luxe des pavés en pierre de Brando, ce schiste<br />
effeuillé dont les pluies révèlent de brunes veines, comme s’il disait de la ville<br />
une indicible prétention 4 . Dans l’intuition de sa propre impuissance à percer<br />
1. Voir à ce propos Fontaine (2008, chapitre IV, introduction) : « On sait peu de chose de ces<br />
microcircuits financiers urbains ; pourtant il y a en ville un besoin structurel de crédit dans la<br />
plupart des groupes sociaux, du seul fait que les rentrées d’argent sont irrégulières alors que la<br />
dépense ne l’est pas. »<br />
2. Marchini (2009).<br />
3. Valery (1837), p. 4.<br />
4. Ibid. : « Le pavé de Bastia lastricato et formé de dalles de la pierre de Brando, <strong>extrait</strong>e de<br />
carrières voisines, est une espèce de marbre jaspé supérieur même au pavé de Milan, de<br />
Florence et de Naples ; il serait plus digne de palais ou de temples que de rues : les nuances<br />
de cette pierre ressortent après la pluie avec un éclat singulier. La petite ville de Bastia, cette<br />
simple sous-préfecture de France, est peut-être la première ville de l’Europe pour le pavé. »
INTRODUCTION<br />
11<br />
l’énigme, un analyste suspicieux par profession sinon par nature, informateur<br />
avisé d’un État à la légitimité toujours mal assurée, en parle certes comme d’un<br />
carrefour de complicités, prompt à la subversion, aux calculs et aux manœuvres,<br />
d’un rendez-vous de toutes les factions mais encore comme « le centre de<br />
toutes les communications », le « foyer de la correspondance ». Voilà un lieu<br />
d’échange des courants immatériels produits par les hommes en société, des<br />
hommes qui se parlent, construisent de l’opinion, ce sens commun qui, ni de la<br />
raison ni de la vérité ne fait marché 5 . Un endroit menaçant, tout comme Ajaccio,<br />
où règne « la misère générale », celle qui annonce crimes et vols. À Bastia, la<br />
nuit, les rues portent dangers et maints larcins peuplent la chronique du quotidien.<br />
Ces observations tiennent d’écrits de hauts fonctionnaires continentaux en<br />
campagne. Ne possèdent-ils pas le méchant réflexe de forcer le trait ne serait-ce<br />
que pour gagner plus de crédit auprès d’une autorité royale qui attend que soient<br />
réduites toutes turbulences et assurée sa légitimité, voire celle de la France ?<br />
Les voilà qui parlent de monotonie, mais on danse dans les salons, on danse et<br />
on danse comme si on se jouait de l’essentiel, comme si dans les mouvements<br />
du corps, dans cette science du rapprochement des êtres se jouait l’être. De ce<br />
climat se plaint le comte de Willot, gouverneur de la 23 e division militaire 6 ,<br />
dérouté par le contraste entre ces apparences de vanité et la guerre larvée que s’y<br />
livrent les factions. Probablement habitué aux règles académiques des combats<br />
militaires, règles d’honneur, règles médiévales, convaincu de tenir du pouvoir,<br />
l’homme reste désarçonné face aux courants continus de « méchancetés », de<br />
calomnies, de rumeurs, de « couplets mordants » qui n’épargnent pas « les<br />
dames les plus marquantes 7 ». Le militaire n’est pas politique. À la lutte à fleuret<br />
moucheté, celle qui, dans un sourire, tait son nom, il préfère le combat singulier,<br />
l’affrontement à visage découvert. Sait-il même qu’il représente une proie,<br />
l’objet même de ces médisances, qui bien que cachées derrière l’incompatibilité<br />
d’humeur supposée entre le gouverneur et le préfet, gardent pour but ultime de<br />
contenir, sinon d’affaiblir la légitimité de l’État. Des églises – a Cuncezziò, San<br />
Roccu, San Ghjuvà (la Conception, Saint-Roch, Saint Jean-Baptiste) –, temples<br />
du faux-semblant, décors d’un théâtre urbain conçu par les convictions tridentines<br />
de la mise en scène de Dieu, ce discours qui s’inventera baroque alors que<br />
la ville sort de sa citadelle médiévale, qu’elle se répand en direction du nord<br />
5. « C’est le centre de toutes les communications, le foyer de toutes les intrigues, le point de<br />
ralliement de tous les chefs de partis, le foyer de la correspondance » (Constant , lettre du 5 août<br />
1818, Bastia), in Franceschini (1924), I, p. 131-132.<br />
6. « Ici, il y a assez de monotonie ; on danse, on danse chez moi, et voilà tout » (lettre du lieutenant<br />
général comte de Willot au commissaire spécial Constant , Bastia, 7 janvier 1817), in<br />
Franceschini (1922), p. 253-254.<br />
7. Ibid., « Point de spectacles, des méchancetés, des couplets mordants qui courent le monde, où<br />
les dames les plus marquantes sont maltraitées. Chaque jour, je reçois des lettres anonymes<br />
faites pour me brouiller avec M. de Saint Genest et je crois que ce sont les bons royalistes qui<br />
le désirent. »
12 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
depuis le port. Mais le baroque religieux fait le style de la vie des hommes et des<br />
femmes, imprime leur vision du monde, accompagne l’esthétique des rapports<br />
humains… Les lieux du pouvoir français descendent du palais des Gouverneurs<br />
au Guvernamentu installé dans l’ancien couvent des missionnaires, de la<br />
citadelle au ras de la mer. Endroit respecté et raillé dans la même expression<br />
sortie de la subtile combinaison de vrai-faux et de faux-vrai qui fait l’âme de la<br />
ville, une ville de huit mille âmes, ces Bastiais « au caractère turbulent, versatile<br />
et audacieux 8 », souvent hommes d’aventures ou en attente d’aventures, marins<br />
pour la plupart, officiers en demi-solde, vignerons. Peu de rentiers et quelques<br />
marchands… la terre, les armes, la mer, la concentration du capital 9 . Que faire<br />
de cette ville, capitale décapitée, utopie pensée au Moyen Âge – enrichie depuis<br />
la seconde moitié du e siècle par le projet de la Compagnia di Gesù qui y<br />
fonde un collège où s’exercent rhétorique, théâtre et philosophie –, qui s’évanouit<br />
trois siècles plus tard ? Que faire des habitudes, de l’habitus du lieu, du<br />
concept ? Comment faire avec l’esprit d’ironique subversion qui s’y affiche<br />
avec l’insolence et la conviction de sa force ? Un soir de mars 1818, ce mois de<br />
« maligne influence 10 », le gouverneur n’a-t-il pas trouvé, une femme en faction<br />
devant la porte de la garde nationale en train de lui présenter les armes ? Moquée,<br />
l’autorité suspicieuse et ignorante de l’histoire de Bastia, ignorante des libertés<br />
qu’y prennent des femmes, n’imagine pas que celle-là se soit ainsi posée de son<br />
propre chef. Cette provocation ne pourrait procéder que d’un calcul viril de défi<br />
au pouvoir. Masculine serait la manipulatrice intention qui rirait à la fois de la<br />
femme et du pouvoir 11 ! Parmi les « agitateurs », Rigo fils, ex-procureur du roi,<br />
l’officier en demi-solde Pomonti, un Vannucci, le fils cadet de l’ancien maire,<br />
l’avocat cortenais Casella, et un Gregorj présenté comme le prête-nom et l’agent<br />
de Murat 12 . Serait-ce Giuseppe dont nous savons le nom mêlé à la « catastrophe<br />
Murat » ? Et puis, l’épisode de 1814 – la destitution de la cité, l’effondrement<br />
du pouvoir napoléonien –, fait référence où, nous dit-on, se rebelle tout ce que<br />
la ville contient de notables. Gregorj, comme les autres, mais le journal de l’histoire,<br />
dans ses silences, en fait une énigme.<br />
Que peut voir de l’Histoire l’homme d’affaires bastiais si ce ne sont les<br />
phénomènes les plus palpables, les plus immédiats, ceux que son expérience<br />
d’homme et d’homme d’argent, lui permettent d’identifier comme des signes<br />
8. Franceschini (1923), II, Rapport du 11 mars 1818, p. 64.<br />
9. Ibid.<br />
10. Les conditions météorologiques du mois de mars provoquent des retards dans les communications,<br />
les informations parviennent mal et la situation serait ainsi propice à toutes les « désinformations<br />
» : « Le mois de mars exerce ici sa maligne influence. Les agitateurs qui tirent parti<br />
de tout ont argumenté ces jours derniers du retard du courrier à quelque révolution en France, et<br />
de l’occurrence de quelques évènements en Corse à un mécontentement général », ibid., p. 66.<br />
11. « Hier au soir, en passant devant la porte de la garde nationale, M. le gouverneur a trouvé en<br />
faction devant les armes, une femme. Et certes on avait vu venir M. le gouverneur et cette<br />
femme avait été postée là avec intention, puisqu’elle lui a présenté les armes », ibid.<br />
12. Ibid., p. 66.
INTRODUCTION<br />
13<br />
de changement ou comme des évènements susceptibles d’aménager ou de<br />
modifier, de déranger sa vie, sa pratique marchande, ou qui touchent à ses<br />
intérêts directs ? Ceux qui, si vifs et si brutaux, l’obligent à penser des adaptations<br />
rapides… Ces mouvements visibles ont à voir avec des réalités géographiques<br />
inconscientes – que dit l’île de l’Histoire ? –, de courants profonds,<br />
parfois anciens, qui agissent à la façon de la tectonique des plaques, se<br />
combinent, se heurtent, s’opposent, parfois dans la violence, et participent du<br />
statut de l’argent, de la production, de l’État, et de ce mouvement de balancier<br />
entre centralisation et morcellement qui fait la biologie de l’Europe occidentale.<br />
Ainsi, le fait insulaire fait énigme, non pas ce corset imprégné de déterminisme<br />
13 ou baigné de spécifisme 14 , mais bien le dialogue historique palpable des<br />
hommes avec les éléments, le rapport plus ou moins distendu à la terre et à la<br />
mer, l’idée de franchissement – une île, une île se gagne et, à cette époque, au<br />
terme d’un voyage maritime poussé par la voile, par le vent, découverte lente<br />
d’une masse dormante entraperçue dans l’horizon marin, rassurante, inquiétante,<br />
une île s’aborde autant que, la quittant, elle s’éloigne dans un sentiment<br />
amer de séparation, amertume mêlée de l’excitante attraction de rivages continentaux<br />
et, parmi eux, cette idée de Terra ferma qui renverrait, dans l’implicite,<br />
à celle d’une terre insulaire, instable, mouvante. Une île, la Corse, « dessinée<br />
par la mer 15 », affiche ses formes, ses confins, identifiables dans l’immédiateté,<br />
par les êtres qui la peuplent. L’insularité fait culture des limites, des frontières :<br />
que faire de cette révélation où l’homme s’instruit de la séparation, de l’infranchissable,<br />
de cette impossibilité de dépasser le rivage par des moyens pédestres,<br />
prison naturelle, île d’exil ? Que faire des enseignements des sciences préhistoriques<br />
qui témoignent pour Kalliste avant Kalliste d’une impossible fédération<br />
des « tribus », d’un morcellement géographique, géopolitique, cette structure<br />
morcelée qui perdure au temps des pièves, des cantons, des rughjoni 16 ?<br />
Où placer ces témoignages qui, encore dans la seconde moitié du e siècle,<br />
couraient pour signaler qu’un tel ou une telle n’avait jamais vu la mer, ni même<br />
Bastia ou pour rappeler qu’à l’annonce de la Première Guerre mondiale, une telle<br />
avait demandé si le village voisin ferait partie de ses alliés ? Morcelée, la Corse<br />
multiple, plurielle, tel un continent, offre maints découpages où vallées et cols<br />
délimitent des possibles et les hommes y paraissent îles dans l’Île… Jamais ses<br />
habitants ne peuvent s’affranchir de la question de l’altérité : horizons sans fin<br />
13. Sur les préventions émises par les géographes, Dolfus (1985) ; voir aussi Labinal (2019).<br />
14. Bien que nous puissions interroger la culture de la spécificité comme une « structure culturelle<br />
» historicisée : à partir de quand l’idée de spécificité s’est-elle imposée comme une lecture<br />
culturelle de l’histoire ?<br />
15. Pour reprendre, à propos de la Corse, l’expression de Blondin (1965), p. 102-103, « Dessinée<br />
par la mer en ses contours hardis, tendres ou grandioses, “l’île de Beauté”, comme toute<br />
personne de qualité, ne saurait valoir uniquement par ses formes. Elle possède un cœur que<br />
l’on ignore trop souvent. »<br />
16. Nous renvoyons aux synthèses de De Lanfranchi (2009).
14 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
chargés d’interrogations, îles voisines, promesses d’échanges, incompressibles<br />
besoins d’ailleurs, et d’ailleurs, tout aussi irrépressibles besoins de retours,<br />
voilà l’horloge intime des insulaires, qui, instruits par la succession des évènements,<br />
des situations, des temps, échafaudent des représentations du monde et<br />
des autres, d’eux-mêmes et de l’Histoire. Car dans l’île productrice d’histoire,<br />
l’histoire insulaire activée par de multiples contradictions, sociales, géopolitiques<br />
17 , se condense dans un ou plusieurs récits qui, à leur tour, produisent une<br />
« structure culturelle » qui active de l’histoire 18 … La représentation historique<br />
d’un homme sorti des Chroniques de Giovanni della Grossa et peuplée par les<br />
exploits des comtes, Ugo, Boniface, Arrigo Bel Messer, Giudice de la Cinarca,<br />
se sépare de celle d’un homme, un Bastiais, qui émet des lettres marchandes<br />
au début du e siècle, éventuellement imprégnée de la légendaire trinité des<br />
héros insulaires, Sambucucciu, Sampieru, Paoli, mythique histoire dont un de<br />
ses fils, Gian Carlo, fera chaînon…<br />
Le déclassement de l’ensemble méditerranéen, amorcé dès le e siècle,<br />
qui accélère l’effacement des cités marchandes et éclaire la bataille des légitimités<br />
lancée en Corse au e siècle, dit des difficultés de l’économie et des<br />
échanges dans cet espace désormais commandé par les villes du nord européen.<br />
La transition politique corse, singulière, – où dans un demi-siècle, et dans le<br />
contexte du Settecento riformatore 19 dont parla Franco Venturi s’invente un<br />
dispositif autocentré (1755-1769), des frontières, une monnaie, un espace<br />
national, pari sur la capacité d’un groupe social à monopoliser la violence, à<br />
conjurer l’obscure et lointaine propension insulaire au morcellement – , renvoie<br />
à l’idée de contrarier, de freiner, les mouvements centripètes de formation<br />
de l’État qui travaillent l’Europe, à l’Est comme à l’Ouest, et, dans sa zone<br />
occidentale, avec une grande réussite. Ramenée à la « Dynamique de l’Occident<br />
», cette souveraineté éphémère, cependant ancrée dans une longue suite<br />
de tentatives aux profondeurs médiévales, prend place dans la résistance du<br />
couloir lotharingien aux entreprises des blocs voisins, ces Francie, si différentes<br />
l’une de l’autre, mais toutes deux produites par la dissolution de l’Empire de<br />
Charlemagne, une proposition pour l’Europe. À l’Ouest, la royauté française<br />
procède d’une position monopolistique acquise depuis le e siècle à partir de la<br />
seigneurie des capétiens. Alors qu’au e siècle, le processus hégémonique<br />
s’élargit à la Lorraine (1766), à la Corse (1769), la Révolution opère la transition<br />
d’un pouvoir contrôlé par un système dynastique à une souveraineté populaire<br />
dominée par la bourgeoisie, la « classe moyenne » dont parla Tocqueville 20 .<br />
C’est une façon spontanée de répondre à la question des coûts de gestion induits<br />
17. Se reporter aux Chroniques de Giovanni della Grossa dans leurs diverses éditions.<br />
18. Sur cette question du rapport entre « structure » et histoire, entre anthropologie et histoire,<br />
Sahlins (1989).<br />
19. Venturi (1969).<br />
20. A. de Tocqueville (1999).
INTRODUCTION<br />
15<br />
par le processus hégémonique, une façon de collectiviser le système fiscal,<br />
d’élargir les ressources financières, de créer une catégorie de fonctionnaires<br />
efficaces au service du renforcement du projet. C’est ainsi que nous pourrions<br />
comprendre le difficile passage français vers la République (1789-1876). Près<br />
d’un siècle pour parvenir à appliquer le programme révolutionnaire où la loi se<br />
fonde dans la souveraineté du peuple. L’ère révolutionnaire inaugure, de façon<br />
chaotique, incertaine, une évolution vers le « capitalisme démocratique », cette<br />
époque où les rapports d’argent favorisent la liberté de la personne, l’expression<br />
individuelle mais aussi le progrès social 21 . Que put saisir Giuseppe Gregorj<br />
de ces mouvements profonds, de ces prégnantes réalités impalpables, qu’en<br />
sut-il, lui qui se meut dans la béance ouverte par la Révolution, dans l’impériale<br />
dilatation orientale de la Francie occidentale, lui si proche d’un Pozzo di Borgo<br />
comme d’Orazio Sebastiani ?<br />
De ces faits et gestes aucune chair ne reste et jusqu’à leurs échos nourrissent<br />
le doute, cette maïeutique. Envolés mots, paroles, intonations, accents et jusqu’au<br />
timbre et au son des voix, évanouis regards, expressions, cris, sourires et jusqu’au<br />
bruit des pas sur les dalles des étroites rues qui irriguent le port, évanescents<br />
les émois, angoisses, colères, peines. Comment ne pas le voir ? Subsistent les<br />
archives, morceaux d’existence, qu’elles savent porter lorsqu’elles transmettent<br />
la pratique directe des hommes, ces lettres de Giuseppe Gregorj disent la vérité<br />
d’instants multiples, tapis dans la cité, en gardent la saveur, la sensibilité, celle<br />
d’un homme de ces temps révolus. Ces papiers ne démentent pas que la puissance<br />
palpite sous la déchéance de l’ancienne capitale de la Corse génoise, que la vie<br />
se faufile, dense, dans la bastille ébranlée. Ainsi va la pathologie d’une ville<br />
condamnée à végéter. Le capital y prospère dans des formes à découvrir, ainsi<br />
le disent ces documents qui rajoutent à la connaissance profonde d’une situation<br />
historique instable, – entre déroute de l’Empire et incertaine Restauration,<br />
entre héritage des Révolutions du e siècle et tentations des réactions monarchiques<br />
– , d’une forme urbaine méditerranéenne, des hommes, des relations<br />
qu’ils commandent. De l’archive s’exhument les conditions d’expression d’un<br />
personnage peu connu, puis d’un groupe d’individus, occupés à la pratique<br />
discrète et feutrée du commerce et de la banque, hommes d’écritures et lecteurs à<br />
la fois. Chacun écrit, lit, agit, écrit et lit dans une forme de mouvement routinier<br />
et pourtant si créatif. L’argent s’allie à l’écriture. L’écriture produit l’argent…<br />
La lettre, ce personnage, conduit vers des horizons géographiques, économiques<br />
et politiques inattendus : point de réponse explicite, pas d’écho détaillé,<br />
excepté les références, les accusés de réception qui conduisent le lecteur<br />
extérieur, des décennies plus tard, à considérer de ces textes la part d’implicite<br />
Des écrits sans retour… De fait, ces quelques centaines de lettres supposent<br />
des doubles conservés dans les registres de « correspondance à l’arrivée », mais<br />
21. Se reporter au court, stimulant, essai de Filippi (2009), p. 10-11.
16 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
où ? L’identité de chaque missive se dessine dans la combinaison de variables<br />
mentionnées avec la régularité d’une horloge : le nom du destinataire, parfois sa<br />
fonction, sa localisation, et la date d’expédition. La gamme des sujets abordés<br />
dans chaque lettre se fait très large : de l’anecdote à l’exposé d’une opération,<br />
bref ou détaillé. Leur étendue varie. Ces variations deviennent objet d’analyse<br />
parce qu’elles désignent des relations privilégiées. Nous trouvons les correspondants,<br />
les affaires, les transactions, les paiements, les ordres et les modes<br />
de paiement. Les jugements, les appréciations sur la situation des marchés<br />
succèdent, dessinant les motivations des choix, la pratique du représentant d’une<br />
des principales maisons de Bastia. À cette époque, Gregorj côtoie les frères<br />
Lota, les frères Campana, Augustin Castellini, Luigi Cecconi, Luigi Berlingeri,<br />
et les Santelli, Podesta, et Catoni, pour constituer le cercle fermé et influent des<br />
hommes d’argent, ceux qui dominent le principal centre commercial de l’île.<br />
Une lecture superficielle de cette littérature situe exactement la fonction du<br />
personnage. Aux activités de commerce, il adjoint celles de banquier, dualité<br />
qui le range dans la catégorie alors répandue alors des marchands-banquiers,<br />
ensemble aux contours incertains, évolutifs. Cette première découverte nous le<br />
situe aussi parmi les « perdants » possibles à plus ou moins long terme : le début<br />
du e siècle accélère la division du travail, en ce domaine comme dans les<br />
autres. Le personnage du banquier, dégagé des activités commerciales, connaît<br />
une rapide promotion 22 . Voilà un point de vue insulaire, exotique sur cette période<br />
où l’État bourgeois 23 se renforce en accélérant la centralisation politique, financière,<br />
économique. S’imposent les interlocuteurs parisiens ou lyonnais, malgré<br />
la subsistance d’une correspondance italienne ou corse : en quoi cette liaison<br />
avec Paris indique-t-elle une insertion plus étroite de la pratique commerciale et<br />
bancaire locale au centre des affaires et selon quelle modalité ?<br />
Ces questions incitent à mener une analyse plurielle, sinon exhaustive, de<br />
cette correspondance, à saisir l’aspect relationnel et dynamique de ces activités,<br />
en tentant de définir le système dans lequel elles évoluent. Car les affaires du<br />
marchand-banquier s’insèrent dans un temps et dans un espace, s’appuient sur un<br />
réseau de relations composé de correspondants privilégiés, des partenaires plus<br />
22. Braudel (1979), III, p. 370-371, et aussi Bergeron (1979) ; (1999).<br />
23. Sur l’époque et l’impact économique et politique de la bourgeoisie, voir le livre désormais<br />
classique de Morazé (1957). Sur les aspects problématiques, et un état récent de la question,<br />
se reporter à Maza (2007). Dans cet article, l’auteur revient aux interrogations de base, celles<br />
auxquelles pensait Karl Marx lorsqu’il reliait l’existence d’une classe sociale à la conscience<br />
qu’avaient les acteurs d’appartenir à cette classe. Dans l’imaginaire social de la France post-révolutionnaire,<br />
le statut de la « bourgeoisie », prise comme catégorie d’analyse, fait problème.<br />
Sous l’Ancien Régime, et durant la Révolution, elle n’apparaîtrait pas comme catégorie incluse<br />
dans les discours. « La bourgeoisie », ainsi comprise, émerge des circonstances politiques<br />
générée par la Restauration de 1815 et procède surtout de « la réaction ultra des années 1820 ».<br />
Pour l’auteur, « il convient, en somme, de se demander si “la bourgeoisie” en tant que groupe<br />
unifié et conscient de soi a vraiment existé au début du e siècle autrement que dans les<br />
dénonciations et les satires de ses ennemis ».
INTRODUCTION<br />
17<br />
occasionnels et des intervenants exceptionnels, dessinent une géographie le menant<br />
à Paris, à Marseille, en Provence et en Italie. Ces horizons se rapportent à des<br />
formes d’activités, à des types d’interventions toujours spécifiques et néanmoins<br />
hiérarchisés. Interdépendantes, les opérations de Gregorj se complètent. Une<br />
formule de crédit aux agents de l’État, les « avances », lui fournit les fonds nécessaires<br />
à l’approvisionnement de ses comptes parisiens. Ceux-ci viennent payer ses<br />
transactions marchandes, conclues massivement à la foire de Beaucaire, tenue une<br />
fois l’an. Ces pratiques mises en œuvre entre les hommes d’affaires, leurs échanges<br />
qui débouchent à Beaucaire, les circuits dominés par Paris, nous font penser aux<br />
vieux circuits en place au moins depuis le Moyen Âge. Tout se passe comme si<br />
l’expansion de l’État s’opérait par pression sur des cadres et des techniques très<br />
anciens caractérisant les vieilles recettes du « change vertical », cette opération<br />
de création et de conservation de la valeur 24 , ce « rapport variable entre hautes et<br />
basses monnaies, toujours favorables aux premières 25 ».<br />
L’archive commande et commande l’insondable mystère de l’archive,<br />
l’archive n’est point singulière ainsi qu’en attestent les plus anciens dictionnaires<br />
qui notent « archives », sans rejeter l’idée d’un singulier, et toujours<br />
marquent le caractère métonymique où le lieu des archives se comprend pour<br />
leur contenu, « se prend aussi pour les papiers 26 ». L’archive commande l’historien,<br />
lecteur solitaire animé par la foi du clerc, par les doutes du philosophe, par<br />
l’acharnement du policier en quête. Elle demande une forme d’ascèse monacale,<br />
une lecture où se bousculent et s’accumulent les points de vue, lecture critique<br />
par essence, dénuée de complaisance. L’enquête historique additionne et traque<br />
les indices, reconnaît les contenus implicites, sinon au service d’une hypothèse,<br />
du moins autour d’une question centrale, ou d’un ensemble d’interrogations qui<br />
la justifie, tout comme l’autorisent les matériaux dont dispose l’enquêteur qui<br />
finissent par façonner un projet. La recherche part d’une question posée a priori,<br />
comme une forme d’appui, pour aboutir à d’autres interrogations imprévues,<br />
éloignées d’un scénario posé d’avance…<br />
Au cœur de cette investigation se situe une forme, la lettre marchande,<br />
lettera mercantile qui appartient à ces « sources que le temps n’a pas volontiers<br />
conservées 27 », et relève de modèles qui circulent en Europe, au e siècle,<br />
dans le stile tout-à-fait particulier 28 des marchands, une expression paradoxale<br />
qui s’affranchit des conventions de la langue, qu’elle soit françoise ou italienne,<br />
pour mieux observer le discours des commerçants, un langage coutumier qui<br />
24. Nous empruntons l’expression « change vertical » à Da Silva (1970). Dans cette thèse, l’auteur<br />
étudie les techniques du change dans l’exemple italien du e siècle. Il propose une distinction<br />
entre deux changes : un « change horizontal » qui sert à drainer les liquidités, un « change<br />
vertical » qui participe à l’élaboration et à la protection de la valeur.<br />
25. Braudel (1986), p. 370-372.<br />
26. Dictionnaire de l’Académie française (1694).<br />
27. Castillo (1962), p. 177.<br />
28. Antonini (1761), p. XVI (préface).
18 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
possède ses règles propres, une de ces « langues spéciales » dont parlèrent,<br />
beaucoup plus tard, au début du e siècle, Van Gennep et Durkheim 29 : le<br />
concept ne se trouve pas toujours au rendez-vous de la pratique.<br />
Dans l’esprit d’un témoin du e siècle, le langage des marchands se<br />
distingue du « meilleur langage » à un point tel qu’il déclasserait le locuteur<br />
qui le pratiquerait en lieu et place de la langue commune car « condamnable<br />
comme plein de fautes ». Le langage des marchands contrevient aux conventions<br />
dominantes parce qu’il utilise un lexique différent, connu d’eux seuls,<br />
parce qu’encore les mots s’y colportent dans un style qui ne s’embarrasse ni<br />
d’élégance ni d’orthodoxie, dans l’esprit de la lingua franca. De fait, peut-on<br />
s’introniser marchand sans l’être par la collectivité, sinon la communauté, des<br />
marchands ? Pour un individu doté d’une culture savante conforme à l’époque et<br />
capable d’écrire selon les principes de la langue commune, l’entrée dans le groupe<br />
social des marchands s’effectue au prix d’une triple obligation : – l’usage d’un<br />
vocabulaire professionnel, « des mots qui sont en usage parmi ses correspondants<br />
» ; – la reproduction non critique « de la mauvaise coutume des autres » ;<br />
– la nécessité morale d’« écrire de la même manière 30 ». Écrire, oui : mais se<br />
conformer au plus petit dénominateur commun liant un ensemble de participants<br />
traversés par des niveaux culturels inégaux et par des ensembles linguistiques<br />
différents quoique voisins, ou dominés par la romanité, nous songeons, pour<br />
Gregorj, à l’italien, dans ses variantes, au français, qui pour lui ne fut pas une<br />
donnée biographique mais bien une acquisition, à l’espagnol, au corse, dans sa<br />
nuance bastiaise 31 , infusée de ligure, de toscan, parler du quotidien, du voisinage,<br />
de la proximité, langue populaire au goût salé, plongée dans la mer, réputée<br />
« bâtarde », âpre, où des mots se contractent en une voyelle, en un son rauque et<br />
grave. À Bastia, Piazza d’arma devient Piazza d’à, où le son du « a » et du « e »<br />
mutent l’un vers l’autre, s’emmêlent. L’acculturation comme passeport pour une<br />
autre culture, l’efficacité au détriment de l’élégance, la pratique au service d’un<br />
ensemble interculturel qui fait culture unique, transfrontalière sinon transnationale,<br />
une transculture au prix d’une frontière impalpable, non dite, protectrice,<br />
une langue distincte sinon de distinction, dépouillée des oripeaux de la langue<br />
littéraire ou savante mais forte des savoir-faire, des compétences, des signes<br />
de reconnaissance, des pratiques, des objectifs de ses locuteurs, marchands,<br />
négociants, banquiers, une langue passerelle où s’exprime, se développe, le<br />
change, l’échange, le cambium, il cambio, au service du capitalisme marchand<br />
29. Voir, Wald (2012) et les ouvrages de Van Gennep (1908/1968), Durkheim, (1894).<br />
30. Pour reprendre les expressions d’Antonini (1761).<br />
31. Sur le « parler bastiais », un exemple éclairant, (Dalzeto, 1990) : s’arrêter à la préface de Marie-<br />
Jean Vinciguerra pour un point de vue érudit et éclairé sur le matériau linguistique utilisé dans<br />
cet ouvrage. Sur le tempérament culturel d’une petite société maritime, Alessandri, De Mari,<br />
De Zerbi, et Raffalli (2006).
INTRODUCTION<br />
19<br />
dont parlent Marx, Weber, Schumpeter, Braudel ou Wallerstein 32 , au service de<br />
la conversion, ce passage mais aussi ce changement, cette transformation, et du<br />
crédit cette opération qui noue la confiance, le temps et l’argent.<br />
Les liens entretenus par la confiance avec l’argent, avec le temps façonnent<br />
le projet de cette enquête, une recherche sur les figures de ces rapports multiples<br />
à travers le discours marchand de Giuseppe Gregorj, discours épistolaire,<br />
une correspondance au départ – une série de documents mis à jour au début des<br />
années 1980 par un probable hasard conduit par une nécessité édifiante, la généalogie<br />
des grandes époques de l’esprit d’entreprise bastiais, capcorsin (la maison<br />
Gregorj, la maison Mattei, la maison Lota) –, série exceptionnelle car produite<br />
à l’intérieur d’un seul et unique registre, série homogène dans sa chronologie,<br />
même si concentrée sur un temps très court, entre 1817 et 1821. Ces écritures,<br />
en « langue spéciale » répétées dans la courte durée témoignent de l’intensité de<br />
l’engagement du négociant bastiais dans la collectivité marchande européenne.<br />
La langue, la pratique écrite d’une langue à part, distingue autant qu’elle accrédite<br />
l’auteur sinon son scribe 33 au sein de l’ensemble professionnel et social des<br />
marchands. De façon littérale, elle le met en crédit, en réputation auprès de ses<br />
pairs qui le reconnaissent comme l’un des leurs et « croient » en lui : acreditar,<br />
d’Espagne, semble en donner la clef dès le premier tiers du e siècle 34 . La<br />
langue porte accréditation, la lettre, la lettre de crédit symbolique, et ainsi, la<br />
protection, le droit d’entrée dans une sphère de confiance et sa preuve, le droit<br />
accordé d’écrire et l’écrit répété au quotidien 35 . Et notre témoin participe à ce<br />
groupe qui le considère comme digne de foi ne serait-ce que par le droit qu’il a<br />
acquis d’entrer en cette langue et de la pratiquer, signe de reconnaissance de son<br />
appartenance au groupe et à la fois principe d’exclusion des autres, car hermétique.<br />
Pour la comprendre, il faudrait la traduire 36 , conversion qui s’applique à<br />
une langue étrangère… La lettre, ce témoin qui se passe, et porte preuve aussi<br />
vrai qu’en dit l’étymologie 37 , la lettre nous conduit, ce certificat de confiance,<br />
cette garantie, cette assurance, littéralement ce document qui certifie un acte, un<br />
32. Voir de Braudel (2018) et (1979) ; cf. Wallerstein (2000). Pour un point de vue décentré<br />
venant de la philosophie, pour comprendre comment le contenu de l’expression « capitalisme<br />
marchand » évolue au gré des auteurs et demeure un champ critique ouvert, cf. Groyer (2015).<br />
33. Rien n’indique en effet que les lettres, qui sont des copies, soient consignées en ce registre par<br />
Gregorj lui-même.<br />
34. Sur le mot « acréditer », Ortolang, Cnrtl, Atilf-Cnrs, Nancy université, via Lexilogos : « 1553<br />
“mettre (une pers.) en crédit, en réputation” […]. 1689 “mettre (une boutique, une maison) en<br />
réputation” […] ; 1671 “donner cours (à qqc.)” ». « Emprunté à l’espagnol acreditar, d’abord<br />
pronom, “obtenir la confiance, le crédit de quelqu’un” (depuis 1533-56, J. de Avila), puis actif,<br />
“mettre (une personne) en crédit” (depuis 1554, J. Rodriguez Florian, Florinea, Nueva biblioteca<br />
de autores españoles XIV, Madrid 1910 : Marcelia, […] sabes que no se muestra pesar<br />
contigo en casa, y aun estás bien acreditada en la reputación de mi padre), composé de credito,<br />
“crédit”, issu du latin creditum (voir crédit). »<br />
35. Sur la langue des marchands, se reporter à Buti, Janin-Thivos, Raveux, et al. (2013).<br />
36. Antonini (1761), p. XVI.<br />
37. Cf. article « témoin », in Ortolang, Cnrtl, Atilf-Cnrs, Nancy université via Lexilogos.
20 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
ordre, une demande, et d’abord authentifie la voix, la volonté, le choix, le calcul,<br />
la stratégie de celui qui la dicte ou qui l’écrit, la signe et signifie. C’est acquis.<br />
Pour devenir auteur de lettres marchandes, l’agrément de ses pairs devient nécessité<br />
qui réserve le droit d’écrire à des personnes autorisées, capables de pratiquer<br />
leur langue, et de l’appuyer sur la confiance, ce non-dit dont la ruse ultime serait<br />
de se travestir en une donnée ahistorique.<br />
Nous n’empruntons pas cette voie en solitaire. Les travaux de Laurence<br />
Fontaine montrent combien la confiance reste la condition nécessaire, structurelle,<br />
le support des collectivités marchandes 38 . Ils démontrent aussi à quel<br />
point l’idée de confiance ne se décline pas comme une idée absolue, intangible,<br />
mais bien comme une donnée relative, modulable, problématique, le lieu de<br />
l’examen critique mais aussi celui de l’expression des liens entre morale et<br />
économie, et, mieux, la mesure du degré plus ou moins important d’intégration<br />
de l’économie à l’environnement social, politique, religieux, champ révélateur<br />
de l’affrontement entre « économisme » et perspective culturelle, entre l’idée<br />
d’une domination de l’économie sur le mouvement historique, et celle du rôle<br />
déterminant de la culture 39 . Auparavant, au cœur des années 1990, un académicien,<br />
ancien ministre de la V e République, publie La Société de confi ance et<br />
assume que « le lien social le plus fort et le plus fécond est celui qui repose sur<br />
la confiance réciproque 40 ». Cette thèse d’État postule que le développement<br />
procède non du couple capital/travail mais d’un « tiers facteur immatériel »,<br />
facteur culturel, représenté par la « confiance 41 ». Au moment d’entreprendre un<br />
voyage dans les papiers d’un marchand-banquier corse, ce livre nous retient par<br />
le postulat énoncé dès les premières lignes. En effet, l’auteur rapporte comment<br />
sa réflexion autour du « sentiment de confiance », sujet déposé en 1948, l’a<br />
conduit à s’immerger dans la société corse pour aller à la rencontre de ce qu’il<br />
nomme la « société de défiance », envers de la « société de confiance », revers<br />
38. Fontaine (2008).<br />
39. Cette donne dont l’absence pèserait sur les travaux de Braudel lorsqu’au seuil de sa<br />
Civilisation matérielle…, il propose sa « tripartition » (les structures du quotidien ; les jeux<br />
de l’échange ; le temps du monde). C’est oublier que l’auteur de La Méditerranée… place<br />
« les civilisations et les cultures » parmi les éléments forts, déterminants, qui donnent sens<br />
à l’aspect disparate de la vie quotidienne, que sa somme intègre la donnée démographique<br />
(« Le poids du nombre »), ces battements intimes des sociétés humaines, la respiration des<br />
amours, les expirations de la vie. Cf. Braudel (1979), I, op. cit., p. 7-10. Et encore, du même,<br />
p. 494 : « Parmi les régularités, le lecteur aura remarqué que nous avons poussé au premier<br />
plan celles qui relèvent des civilisations et des cultures. Ce livre s’intitule, non sans motif,<br />
Civilisation matérielle : c’est choisir un langage. Les civilisations créent, en effet, des liens,<br />
c’est-à-dire un ordre, entre des milliers de biens culturels en fait hétéroclites, à première vue<br />
comme étrangers les uns aux autres, depuis ceux qui relèvent de la spiritualité et de l’intelligence<br />
jusqu’aux objets et outils de la vie quotidienne. » Lire aussi p. 15-80.<br />
40. Peyrefitte (1995), p. 8-9.<br />
41. Ibid., p. 9.
485<br />
TAB<strong>LE</strong> DES MATIÈRES<br />
Introduction .......................................................................................................................... 9<br />
Configuration Un – La Morale de l’échange .................................................................. 25<br />
1 – Géographies ? Biogéographies ?..................................................................................... 27<br />
Écrire, conjurer l’incertain ................................................................................................... 29<br />
La lettre, un espace aux géométries variables ...................................................................... 37<br />
Emploi du temps : les écrits du marchand enfermés dans le cycle de vie des affaires ......... 44<br />
Paris, Livourne, Marseille… Corte : sur une bascule de l’Europe ....................................... 45<br />
Corti, Sartène, Cervioni : une Corse « intérieure »?............................................................ 47<br />
2 – La domination des banquiers parisiens .......................................................................... 51<br />
Une communauté de paiement, mais comment ? ................................................................. 52<br />
La durée des relations : fidélité, pas exclusivité ................................................................... 54<br />
S’adapter aux recompositions de la banque ......................................................................... 58<br />
3 – Les affaires se hiérarchisent vers Paris .......................................................................... 65<br />
Spéculer sur les produits, sur l’argent, sur les services ? ..................................................... 66<br />
Jeux de créances entre notabilités : une mutuelle de crédit, l’argent et le temps ................. 69<br />
Spéculations sur le marché « régional » méditerranéen : Marseille, Livourne, Corse… ..... 75<br />
De l’usage des complicités : recherche de positions monopolistiques ................................. 82<br />
Draperies du Languedoc, commandes de l’État, Gregorj intermédiaire à Bastia ................ 84<br />
4 – À Marseille, Figarella, corse, parent, ami… .................................................................. 91<br />
Un pont symbolique entre Bastia et Marseille : un comptoir pour le marchand bastiais ..... 92<br />
Dans une lettre, la photographie d’un réseau ....................................................................... 93<br />
L’écrit fait l’argent, il y a de l’argent dans l’écrit ................................................................ 97<br />
Ora, oggi, giorni. Temps court de l’action commerciale et incertitude, le besoin<br />
de confiance ......................................................................................................................... 99<br />
5 – Les « avances » au cœur du système ........................................................................... 107<br />
À Paris, régler les créances sur l’État. ............................................................................... 110<br />
À Ajaccio, la clef du système des « avances »................................................................... 112<br />
« Avances »: règlements en monnaie ou en nature, création de la valeur ......................... 120<br />
Des dépendances sans aucun doute… Vulnérabilité du marchand-banquier ..................... 125<br />
L’État institue la confiance ................................................................................................. 126
486 <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong>, <strong>LA</strong> <strong>CONFIANCE</strong>, L’<strong>ARGENT</strong>…<br />
6 – Pouvoir d’achat : monnaie, travail, consommation ...................................................... 129<br />
Incapacités des salariés insulaires à dégager de l’épargne ................................................. 129<br />
Une économie dominée par des prix céréaliers élevés ...................................................... 134<br />
7 – Un monde médiéval ? Les paiements s’équilibrent à la foire de Beaucaire ................. 143<br />
Des relations de compte… ................................................................................................. 144<br />
À Beaucaire, un tournant dans le cycle de vie des affaires ................................................ 148<br />
L’effet Beaucaire : comptes Gregorj chez Gros, Davillier, Odier Cie (Paris) .................... 149<br />
De vieilles recettes au service de l’État moderne ? ............................................................ 157<br />
8 – L’horizon italien, une frontière immatérielle ............................................................... 161<br />
Lettres : le discours et ses limites, le certain et l’incertain. ................................................ 164<br />
Entre expéditeur (énonciateur) et destinataire (coénonciateur) : médiateurs et comparses 166<br />
Espace et temps : Bastia entre Livourne et Paris, le problème, le stimulant ? .................... 173<br />
Les Italies de Gregorj : sémiologie d’une conjoncture ....................................................... 175<br />
Les relais italiens : quelles affaires, quels intérêts liaient Gregorj à la Senn,<br />
Guebhard et Cie ? ............................................................................................................... 176<br />
Configuration Deux – Fondations anthropologiques .................................................... 191<br />
9 – Fortunes de mer ? ......................................................................................................... 195<br />
Armateurs et corsaires, la fraternité Gregorj ...................................................................... 196<br />
Enjeux de course : Nicolao Semidei (beau-frère de Giuseppe) contre le pacha de Tripoli 205<br />
Les Gregorj, acteurs du marché des navires ...................................................................... 208<br />
À la mer, l’être de Bastia ................................................................................................... 210<br />
10 – Vivre, s’allier… transmettre ...................................................................................... 213<br />
Giuseppe Gregorj et Devota Semidei en leur famille nucléaire, une fin ? ......................... 216<br />
Politique de lignages : les Guasco, les Semidei, les Santelli, les Lota, des alliés .............. 219<br />
Autour des Gregorj, construire une généalogie : les figures de l’échange ......................... 222<br />
Entre préférence et égalité, transmettre, l’obsessionnel objet ............................................ 231<br />
Contrôle des écrits et généalogie, Giuseppe Gregorj, « père » mais « sujet écrivant »..... 236<br />
11 – Réseaux : réseaux de parenté, les êtres agents d’impulsion ....................................... 239<br />
Le réseau de parenté Gregorj ............................................................................................. 241<br />
Dans leurs relations aux autres, les êtres composent avec des contraintes ........................ 246<br />
Les individus se hiérarchisent selon les degrés d’impulsion qu’ils impriment<br />
au réseau (intermédiarité, proximité) ................................................................................. 249<br />
Acteurs, producteurs de réseaux et figures de l’alliance : les mariages<br />
(réseaux, sous-réseaux et composantes) ............................................................................ 252<br />
Autour de Giuseppe Gregorj et de Devota Semidei, quel(s) circuit(s) matrimonial(aux) ? 256<br />
La dynamique du réseau Gregorj : alliances, descendances, lignes masculines<br />
et lignes féminines ............................................................................................................. 261<br />
12 – Réseau familial, réseau marchand ? ........................................................................... 265<br />
Le réseau familial Gregorj se superpose à la sphère marchande bastiaise ........................ 267<br />
Famille et commerce : la femme au cœur des relations généalogiques ............................. 268<br />
Alliance, prix de l’alliance, femmes et capitaux : le cas d’Anna Prelà .............................. 269<br />
Liens parentaux entre acteurs commerciaux : Giuseppe Gregorj au carrefour .................. 273<br />
Réseau familial, société marchande, territoire urbain font synthèse<br />
dans un espace ramassé ...................................................................................................... 278<br />
13 – Liens symboliques : une parenté hors du sang ........................................................... 283<br />
Les frères Gregorj, appel à témoins, parrainages intrafamiliaux… ................................... 285<br />
Témoins hors de la sphère familiale… Gio Natale, homme de crédit ............................... 289<br />
Giuseppe Gregorj à la « surface » sociale plus ramassée .................................................. 296
TAB<strong>LE</strong> DES MATIÈRES<br />
487<br />
14 – Intérêts et sentiments… L’homme au miroir des lettres ............................................ 299<br />
Père et fils… Gian Carlo Gregorj, jusqu’à l’obsession ...................................................... 300<br />
« Amitié intime », « parfaite amitié », « rispettabile amicizia » ........................................ 307<br />
Dureté et détermination ...................................................................................................... 312<br />
Confiance : francheza e lealta, déférence et séduction ....................................................... 314<br />
« Pays » et « maison »........................................................................................................ 320<br />
Configuration Trois – Revers de la confiance, conflictualités : l’histoire .................... 323<br />
15 – Le tribunal de commerce ou les revers de la confiance (1800-1820) ........................ 327<br />
La fraternité Gregorj, la famille comme « assurance » ...................................................... 329<br />
Réguler les conflits, réparer la confiance ........................................................................... 337<br />
Juges et parties, confiance et doutes .................................................................................. 341<br />
16 – Mars 1814, emprunt forcé, réfractaires fortunes ....................................................... 345<br />
« Croisière anglaise », mauvaises récoltes, banqueroute des finances publiques :<br />
l’expédient d’un emprunt forcé .......................................................................................... 348<br />
Du caractère fictif de l’archive : la carte économique de la Corse au sortir de l’Empire ... 351<br />
Pouvoir central, représentation locale et société insulaire : répartition et évaluation<br />
des fortunes individuelles, le problème ............................................................................. 353<br />
D’une archive de l’incertain tirer de l’intelligibilité : la liste bastiaise<br />
et « l’effacé » Giuseppe Gregorj ......................................................................................... 362<br />
À l’État résister, la géométrie variable des listes électorales, un contrepoint .................... 365<br />
17 – Bastia, la rupture de 1814 : faits ; arguments ; analyse ............................................... 371<br />
12 avril 1814, Comité supérieur de Bastia (procès-verbal) : des Gregorj insurgés ............ 374<br />
Au nom du « peuple » : sentiment anti-bonapartiste, revendication libérale ..................... 378<br />
Tactiques britanniques, connivences toscanes : voie anglaise et malentendu Bentinck ..... 385<br />
Statut de la Corse dans les relations internationales et la nouvelle géopolitique<br />
de l’Europe ......................................................................................................................... 390<br />
18 – Temps, argent, défiance… De Murat à Gregorj, le roi déchu et le banquier<br />
(septembre 1815) ....................................................................................................... 395<br />
La « catastrophe Murat » et le financement de l’expédition de Pizzo Calabro :<br />
épisode corse ...................................................................................................................... 396<br />
La soi-disant « affaire Gregorj » ........................................................................................ 404<br />
Pour conclure… .................................................................................................................. 415<br />
Annexes .............................................................................................................................. 425<br />
Sources et ressources ......................................................................................................... 461<br />
Bibliographie ..................................................................................................................... 465