2023_04_14_PR_Géopolitique_CR

Département Politique et religions
Géopolitique et religions autour de la
Méditerranée, entre permanence et recomposition
Séance du 14 avril 2023
Intervenants :
Antoine Arjakovsky, Ghaleb Bencheikh et Hervé-Elie Bokobza
Dialogues, controverses et échanges interreligieux
Coordination :
Antoine Arjakovsky, historien, directeur de recherche au Collège des Bernardins
Intervenants :
Ghaleb Bencheikh, islamologue, président de la Fondation de l’islam de France
Hervé-Elie Bokobza, enseignant du judaïsme et spécialiste du dialogue judéo-chrétien
L’objet de cette séance de séminaire est de dialoguer autour des fondements métaphysiques qui
permettent de dépasser le stade de la dispute pour accéder à celui de la convergence des discours
et des pratiques. Il apparaîtra en particulier que la géopolitique comme discipline n’offre pas le
meilleur cadre épistémologique pour traiter des dialogues, controverses et échanges
interreligieux en Méditerranée. D’autant plus que depuis quelques années un nouvel horizon
épistémologique et spirituel, fondé sur de nouveaux principes et de nouvelles prises de
conscience, ressort des dialogues inter-religieux. On qualifiera celui-ci d’horizon œcuménique,
avec un qualificatif (oikouménè) à saisir dans toute sa profondeur trans-confessionnelle, transreligieuse,
trans-convictionnelle et trans-disciplinaire. La séance du séminaire portera sur cette
approche métaphysique nouvelle et sur les méthodes adéquates capables de forger des
rapprochements en Méditerranée.
Antoine Arjakovsky a publié en 2021 un livre intitulé « Essai de métaphysique œcuménique »
aux éditions du Cerf. Le principal objet de ce livre est de partir de débats et de controverses qui
animent les différentes traditions religieuses, de montrer leurs limites lorsqu’ils sont traités dans
le cadre d’une rationalité strictement moderne et conceptuelle, et de proposer une nouvelle
métaphysique, personnaliste, sapientielle et ternaire capable de faire émerger de nouvelles
convergences entre les différents courants religieux et traditions spirituelles et de nouveaux
rapprochements entre pensées classique, moderne, post-moderne et œcuménique. En particulier
la situation du dialogue entre chrétiens et musulmans en Méditerranée est abordée, à travers le
dialogue entre la théologienne musulmane Nayla Tabbara et le prêtre catholique Fadi Daou,
tous deux libanais. Les documents récents de convergence entre juifs et chrétiens et entre
musulmans et chrétiens seront également évoqués, en particulier la Déclaration pour le Jubilé à
venir de 2015 entre le Grand Rabbin de France Haïm Korsia et le cardinal André Vingt-Trois,
ainsi que le document sur la sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la
coexistence commune de 2019 entre le pape François et l’imam d’al-Azhar Ahmed el Tayeb.
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Ghaleb Bencheikh pour sa part a publié de nombreux ouvrages sur l’islam et le Coran, la laïcité,
mais aussi en 2006 avec Régis Ladous et Richard Ayoun une Initiation au judaïsme, au
christianisme et à l'islam. En qualité de président de la branche française de la Conférence
mondiale des religions pour la paix, il dispose d’une expertise qui lui permet de mettre en
relations les principes métaphysiques universels avec les bonnes méthodes herméneutiques et
les bonnes pratiques en matière de dialogue inter-religieux voire trans-religieux. Président de
la Fondation de l'Islam de France il a organisé aux Bernardins avec Dominique Avon en 2023
une grande conférence sur la liberté de conscience.
Hervé Elie Bokobza de son côté a publié en 2023 un livre intitulé « Jésus ou le messianisme à
la lumière de Torah» (Parole et Silence). Cet ouvrage s’inscrit dans une perspective
métaphysique également. Il vise à repenser à la fois la dimension messianique de Jésus telle
que décrite dans les évangiles, à la lumière de la tradition juive, mais aussi à restituer les
discours et les attitudes de Jésus dans les débats de leur temps. Il aboutit à une réponse de la
part de la pensée juive contemporaine au document Nostra Aetate du concile Vatican II.
Résumé
L’approche géopolitique de la Méditerranée a tendance à instrumentaliser les données
géographiques et politiques au service d’une vision du monde elle-même inavouée. Il convient
par conséquent de renverser la science positiviste contemporaine, d’assumer une démarche
pleinement métaphysique, capable d’auto-critique par rapport à elle-même, pour saisir les
dynamiques politiques du monde réel. Cette approche conduit à réunir toutes les disciplines, de
la géographie à l’histoire, de la théologie à la philosophie, par une méthode ouverte et
universelle, éthique et dialogique. Cette méthode conduit à s’intéresser à la dynamique des
rapports, à la fois conflictuels et convergents, entre les différentes traditions religieuses, à
commencer par le judaïsme, le christianisme et l’islam.
Au cours de la première partie de la séance, Antoine Arjakovsky, directeur de recherche au
Collège des Bernardins et auteur du livre Essai de métaphysique œcuménique (Paris, Cerf,
2021), a présenté la métaphysique œcuménique dans la mesure où cette nouvelle discipline
permet le mieux de comprendre l’évolution actuelle des dialogues et des controverses interreligieuses.
La rationalité strictement moderne et conceptuelle a tendance, par son caractère
binaire, à transformer les différences de vision du monde en confrontations. En revanche la
métaphysique œcuménique, par son caractère polaire, est capable de faire émerger de nouvelles
convergences entre les différents courants religieux et traditions spirituelles mais aussi de
nouveaux rapprochements entre pensées classique, moderne, post-moderne et œcuménique. Il
convient pour ce faire que ces dialogues intègrent, chacun à leur manière, les 4 pôles de la foivérité.
Les institutions religieuses parviennent à s’épanouir et à contribuer au bien commun
lorsqu’elles mobilisent, et cherchent à équilibrer, au-delà de leurs propres frontières, -
convictionnelles et liturgiques, morales et politiques -, les ressources de l’imagination et de la
transmission, de la régulation et de la résistance. Le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux
mais aussi la Congrégation pour l’évangélisation des peuples fondent leur méthode de
travail sur cette même logique en tension de la métaphysique œcuménique avec ses 4 pôles :
Le dialogue de la vie (ou pôle de la cohérence ou encore le pôle de la loi), le dialogue des
œuvres (ou pôle du consensus et de la justice), le dialogue des échanges théologiques (ou pôle
de la fidélité et de la mémoire), enfin le dialogue de l’expérience croyante (ou pôle de la
correspondance et de la gloire).
L’intervenant a présenté dans un second temps un exemple de ces dialogues entre chrétiens et
musulmans au Liban, mais aussi entre juifs et chrétiens en France. Il a montré pour conclure
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comment la métaphysique œcuménique permet d’éclairer les dynamiques religieuses et
politiques convergentes qui traversent aujourd’hui l’espace méditerranéen (la « Déclaration
pour le Jubilé » du 23 novembre 2015 présentée à Paris, au Collège des Bernardins, au nom des
juifs de France par le rabbin Haïm Korsia ; le document du pape François et de l’imam Ahmed
al Tayyeb sur « La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » le 4
février 2019).
Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation pour l’islam de France, a rejoint A. Arjakovsky
sur la nécessité de s’ouvrir à ce qu’il appelle une « raison émergente » capable de s’émanciper
de la raison raisonnante par une réouverture à la transcendance. Il s’est accordé également avec
une métaphysique œcuménique, en tension, capable de tenir ensemble les pôles de l’identité et
de l’altérité, mais aussi de la gloire et de la mémoire. Il s’est référé pour ce faire à la sourate 5
de la table servie. Il est donc raisonnable selon lui de penser l’avenir politique du bassin
méditerranéen par la promotion des dialogues au sein de la famille abrahamique et par une quête
solidaire de la fraternité en acte.
Hervé Elie Bokobza, enseignant du judaïsme et spécialiste du dialogue judéo-chrétien, a
soutenu également le projet de retrouver une métaphysique pleinement universelle capable de
dépasser un certain nombre de limites de la raison moderne, notamment la séparation opérée
entre foi et science. Il a insisté sur la dimension eschatologique de cette nouvelle forme de
rationalité. Il s’est également référé à son dernier ouvrage, Jésus ou le messianisme à la lumière
de la Torah (Parole et Silence, 2023), dans lequel il présente les évangiles chrétiens comme des
illustrations d’une certaine conception juive du messianisme.
Lors du débat nourri qui a suivi les participants sont revenus en particulier sur la question de la
Modernité et sur les voies possibles d’accès à un paradigme méta-moderne capable de conserver
le meilleur de l’âge séculier (à commencer par le respect de la dignité de chaque être humain,
le rapport critique aux Ecritures révélées, etc..) avec le sens d’une rationalité symbolique
capable de dépasser lun conceptualisme coupant les relations mobiles entre signifiants, signifiés
et référents.
Antoine Arjakovsky
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