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Département Politique et religions<br />
<strong>Géopolitique</strong> et religions autour de la<br />
Méditerranée, entre permanence et recomposition<br />
Séance du <strong>16</strong> juin <strong>2023</strong><br />
Intervenants :<br />
Sophie Bava, Patrick Haenni, Sara Merabti Elgvin<br />
Territorialités alternatives et identités en Méditerranée<br />
Coordination :<br />
Daniel Meier, enseignant et chercheur associé, Sciences Po Grenoble/Laboratoire PACTE<br />
Intervenants :<br />
Sophie Bava, socio-anthropologue, IRD-LPED-AMU, Marseille<br />
Patrick Haenni, chercheur associé, Institut de l’Université Européenne (Florence)<br />
Sara Merabti Elgvin, politologue, consultante en géopolitique, Merabti Analyse, Oslo<br />
Norvège<br />
Introduction Daniel Meier<br />
Si l’on peut s’accorder sur le fait que les régimes autoritaires et les forces de facto profitent des<br />
Etats faillis pour s’y implanter en découpant des territorialités propres ad hoc et justifiée par<br />
divers arguments sécuritaires ou identitaires, force est de reconnaître que les pays européens<br />
jouent en Méditerranée une partition qui produit une distorsion des souverainetés territoriales<br />
avec une politique de délégation de souveraineté qui s’actualise dans l’apparition d’espaces<br />
d’exception que sont les camps et autres hot spots pour migrants. Ensemble, ces deux types de<br />
dynamiques esquissent de nouveaux rapports à l’espace stato-national de la part à la fois des<br />
acteurs politiques, des citoyens ou des migrants.<br />
Si les études sur les frontières (border studies) ont fourni le soubassement théorique à<br />
l’articulation nécessaire qu’il y a entre l’espace, le politique et l’identité, force est de noter que<br />
du chemin reste à parcourir pour lier ces dimensions, à plus forte raison pour éclairer un des<br />
aspects identitaires, celui du religieux, dans ses rapports avec l’espace et le territoire. La place<br />
de la religion n’est pas du tout symétrique dans ces nouvelles territorialités et pose même la<br />
question, au creux des mobilisations identitaires, de la relation qui existe entre le croire et ces<br />
territorialisations alternatives. Comment les acteurs politiques légitiment-ils ces entités<br />
territoriales et quelle place la religion y occupe-t-elle ? A quelles dynamiques sociales et<br />
politiques ces nouveaux régimes d’interstitialités réfèrent-ils et favorisent-ils l’émergence de<br />
forme alternative du rapport identitaire ?<br />
Collège des Bernardins<br />
20 rue de Poissy - 75005 Paris<br />
www.collegedesbernardins.fr
Résumés<br />
Sophie Bava<br />
« Dieu va ouvrir la mer »1. Migrations africaines, encadrement chrétien et constructions<br />
théologiques au Maroc.<br />
Le blocage des frontières européennes et africaines depuis plus d’une vingtaine d’années incite<br />
les migrants à s'installer de plus en plus durablement en Afrique méditerranéenne. Certains<br />
deviennent dans le contexte marocain les acteurs du déploiement d’une offre religieuse<br />
chrétienne multiple et dynamique autour d’institutions religieuses, de lieux de cultes,<br />
d’associations, d’ONG confessionnelle ou d'origine confessionnelle et d'espaces de formation<br />
religieuse. Ainsi le Maroc, qui a mis en œuvre deux campagnes de régularisation depuis 2013,<br />
voit de nombreuses instances religieuses ou d'origine confessionnelle s'organiser afin de<br />
faciliter l’accueil, la formation et l'accompagnement social et spirituel des migrants venus<br />
d’Afrique subsaharienne. En migration, la reconnaissance passe souvent par les communautés<br />
religieuses qui deviennent ainsi des communautés de destin ou de sens. La création en 2012<br />
d'un lieu de formation universitaire chrétien à Rabat au Maroc, l'institut œcuménique de<br />
théologie Al Mowafaqa, destiné aux futurs responsables religieux originaires d'Afrique<br />
subsaharienne, est le point de départ de cette communication. Cette expérience portée par les<br />
Églises catholique et protestante, s’est construite dans un paysage religieux marocain<br />
transformé par les migrations intra-africaines chrétiennes. Selon certains, l'institut est une<br />
« bénédiction » qui a permis de rendre visible l’Église au Maroc et d’assoir sa position<br />
d'intermédiaire entre leurs préoccupations, celles de leurs institutions, celles des migrants et<br />
celles des autorités religieuses marocaines. J’aborderai la création de cet institut comme le<br />
reflet d'un lieu-moment où les acteurs religieux des églises historiques au Maroc se sont saisis<br />
des défis qui se présentaient à eux grâce à la diversité religieuse des populations migrantes<br />
installées ou de passage au Maroc. Si les migrations africaines ont indéniablement revitalisé la<br />
pratique chrétienne, notamment par le biais des églises de maison et de la naissance d’une<br />
théologie de la migration, elles l’ont aussi enrichie de débats qui s’inscrivent désormais au-delà<br />
de l'histoire chrétienne et dans un contexte où le Maroc interroge également la diversité<br />
religieuse de son territoire dans une optique résolument plus africaine. Ce christianisme qui se<br />
reconstruit par les Sud n'est pas celui des colons, ni des croisades, ni celui des églises africaines<br />
transnationales, même si le lien n'est pas coupé il est le produit de tout cela. Cette religion d'en<br />
bas rappelle à une marge de la société marocaine l'urgence d'accueillir la religion de l'autre<br />
comme un effet miroir de la situation des marocains musulmans vivant en Europe.<br />
Patrick Haenni<br />
La reterritorialisation du jihad global : le cas de HTS à Idlib (Syrie)<br />
Nous nous intéressons ici à la création d’un territoire politique (la poche de Idlib au Nord-Ouest<br />
de la Syrie). Ce territoire de 4 millions de personnes est dirigé par une administration mise en<br />
place par le mouvement Hayat Tahrir al Sham, ancienne franchise syrienne de al Qaeda.<br />
Confrontés aux défis stratégiques du moment (confrontation avec l’armée syrienne ; protection<br />
turque) et aux impératifs de gestion locale dans un contexte de faiblesse (faiblesse en termes de<br />
ressources financières, mais aussi en ressources humaines), le mouvement entre dans un<br />
processus d’interaction avec la société et se fera profondément transformer par « l’inertie du<br />
social » (F Furet). La transformation tient de la conspiration du silence : elle avance sans<br />
discours, sans aggiornamento théologique, sans « murajaat » comme l’ont fait d’autres<br />
1<br />
En référence à notre ouvrage: Bava Sophie, Bernard Coyault & Malik Nejmi, ‘Dieu va ouvrir la mer.<br />
Christianismes africains au Maroc’, ed.Kulte, 2022.<br />
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mouvement jihadistes ayant choisi la déradicalisation. Ici, la déradicalisation c’est le paysage<br />
stratégique qui se dessine sans master plan en résultat d’une accumulation d’adaptations<br />
tactiques. Mais à force, le mouvement est « pris au jeu » et les retours ne sont plus possibles car<br />
le jeu d’adaptations tactiques est un jeu de contraintes qui s’impose au leadership du<br />
mouvement. Une nouvelle identité militante se dessine, elle n’est plus salafiste, elle relève mal<br />
de l’islam politique et, plus important, elle ne cherche pas de carte d’identité idéologique<br />
particulière. Les enjeux sont pourtant énormes. Nous sommes dans un cas de déradicalisation<br />
« par le haut » où un viatique de près de 15’000 militants/combattants est entré dans une phase<br />
de transformation où deux tendances dominent : 1) la relocalisation d’un mouvement<br />
représentant un moment le « global jihad » 2) une déradicalisation de l’offre idéologique de ce<br />
mouvement. Nous montrerons que la délocalisation/déradicalisation gagnent à être analysés<br />
dans une perspective de sociologie historique du politique ; la meilleur grille d’analyse est la<br />
comparaison. La dynamique n’est pas portée par une conversion à la modération, ou un<br />
changement de paradigme, mais par une dynamique thermidorienne.<br />
Sara Merabti Elgvin<br />
Identités tribales et djihadisme au sud de la Libye<br />
Depuis la chute du régime de Kadhafi, la Libye connaît des affrontements entre divers groupes<br />
armés aux identités tribales et appartenances politiques divergentes, ce qui a plongé le pays<br />
dans une instabilité chronique. La présence de groupes djihadistes comme le groupe État<br />
islamique à l'est du pays (2014-20<strong>16</strong>) a relancé le débat sur l'existence de liens entre les État<br />
défaillants et la menace terroriste dans la région. Bien que le groupe État islamique ait perdu<br />
son fief à l'est de la Libye en 20<strong>16</strong>, de nombreux experts estiment que le groupe se serait réfugié<br />
au sud de la Libye et qu'il profiterait des tensions ethniques et tribales entre les groupes locaux<br />
pour créer des alliances de circonstance nécessaires à son maintien.<br />
Ce postulat nous a amenés à questionner la nature des liens entre le groupe État islamique et les<br />
groupes ethniques locaux, notamment les Touaregs et les Tebus. Nous avons interrogé<br />
différents acteurs originaires du sud de la Libye sur le lien supposé entre leur groupe ethnique<br />
ou tribal, et le groupe État islamique. Dans notre intervention, nous démontrerons que les<br />
appartenances religieuses, tribales et ethniques, ainsi que les pratiques sociales et les intérêts<br />
économiques des acteurs interrogés, ne sont pas favorables à l'établissement d'alliances entre<br />
eux et le groupe État islamique. Par exemple, le groupe État islamique tente de promouvoir<br />
l'idée d'une seule communauté de croyants qui transcende les appartenances ethniques, tribales<br />
et sociales, ce qui n'est pas le cas des groupes ethniques locaux qui sont attachés à leur identité.<br />
Nous estimons que les identités tribales et ethniques des groupes locaux présents au sud de la<br />
Libye sont un obstacle à l'établissement de liens entre eux et l'État islamique.<br />
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