2023-03-13 - 1 - CR séance MHG
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Groupe de recherche sur l’œuvre de Louis Bouyer<br />
Année 2022-<strong>2023</strong><br />
Penser, éprouver et exprimer l’invisible<br />
Louis Bouyer, théologien à l’écoute des philosophes, des psychologues et des poètes<br />
Compte rendu de la <strong>séance</strong> du <strong>13</strong> mars <strong>2023</strong><br />
Les apports de Freud, Jung et Adler à la théologie de Louis Bouyer<br />
Présents : Mgr Jean-Pierre Batut, Ysabel de Andia, Marie-Rose Boodts, P. Grégory Woïmbée, P. Bertrand Lesoing,<br />
Jean Duchesne, Jacques Ducamp, Marie-Hélène Grintchenko, P. Pierre-Alain d’Arthuys, Robert Churlaud, P.<br />
Tanneguy Viellard.<br />
Introduction de Marie-Hélène Grintchenko : Louis Bouyer est surtout connu pour sa contribution eu renouveau<br />
liturgique et œcuménique de la théologie catholique du XX e siècle. Il a su également enraciner la foi chrétienne dans<br />
l’expérience religieuse de l’humanité et son œuvre, tout en manifestant la spécificité de la révélation chrétienne,<br />
est accueillante aux progrès de l’histoire des religions, de l’anthropologie, de l’ethnologie, de la sociologie et<br />
jusqu’aux analyses de la psychologie des profondeurs.<br />
Les « sciences humaines » sont nées en rupture avec la théologie et la crise moderniste a d’abord jeté sur elles<br />
un parfum d’hérésie. Bouyer les intègre en étant conscient des limites de méthodologies établies à l’origine sur le<br />
modèle des sciences dures, aptes à explorer la matière, mais réductrices en ce qui concerne le vivant et plus encore<br />
l’esprit humain. Cependant il prend en compte l’évolution interne de ces disciplines qui, paradoxalement, ont su se<br />
dégager en partie de leurs premiers présupposés pour élaborer progressivement une méthodologie plus<br />
respectueuse de leur objet. Il manifeste donc une grande confiance dans la raison humaine, capable de progresser<br />
en corrigeant ses erreurs. Ainsi, loin de considérer le développement des sciences humaines au XX e siècle comme<br />
un danger pour la foi, il récuse l’opposition entre « humain » et « chrétien » et intègre les meilleurs apports de la<br />
réflexion savante de son temps à la théologie.<br />
Pour manifester l’harmonie entre la nature et la grâce, il montre que les « sciences humaines » peuvent<br />
aujourd’hui aider à comprendre l’enracinement de la foi chrétienne dans l’activité la plus fondamentale de<br />
l’humanité, le rite, qui manifeste l’insertion de l’esprit humain au cœur d’une réalité cosmique créée par Dieu et<br />
habitée de sa présence. Concevoir le rite comme l’expression d’une primordiale communion de vie des hommes<br />
entre eux et avec la divinité, permet de définir la religion non comme un aspect plus ou moins provisoire et superflu<br />
de la vie humaine et des civilisations mais comme l’élément essentiel touchant toutes les dimensions de l’humanité.<br />
L’objectif de Bouyer est de ressourcer conjointement une foi désincarnée et un humanisme sécularisé dans<br />
l’expérience religieuse primordiale et toujours actuelle de l’humanité.<br />
Cette régénération d’un humanisme essentiellement religieux, que la phénoménologie religieuse et l’histoire des religions<br />
comparée mettent à notre portée, rencontre une confirmation singulière et des compléments inappréciables dans ce que les<br />
sciences humaines présentent à leur tour, aujourd’hui, de développements prometteurs. 1<br />
Bouyer faisait partie des précurseurs de la prise en compte de la psychanalyse en théologie. Plus proche de la<br />
pensée de Jung que de Freud, il ne néglige pas ce dernier pour autant. Il se tenait au courant des avancées de son<br />
époque par ses relations avec le professeur Ellenberger.<br />
Le travail de groupe portait sur les textes de Louis Bouyer :<br />
- « Récents développements de la psychologie », Le rite et l’homme, Paris, Cerf, (1962 1 ), 2012, p. 59-78.<br />
- « Mythe et psychologie des profondeurs » et « Mythe, sociologie et cosmologie », Le Père invisible, Paris, Cerf,<br />
1975, p. 31-69.<br />
- « La découverte de l’inconscient - son histoire », France catholique, n°1264, 5 mars 1971 (rééd. Les trente<br />
glorieuses, Paris, Ad Solem, 2015, p. 375-385).<br />
1<br />
Le Père invisible, p. 31.
Dans son intervention très pédagogique, Marie-Rose Boodts, psychologue, psychanalyste et enseignante au<br />
Collège des Bernardins, a actualisé l’approche de ces disciplines que Bouyer qualifiait de « psychologie des<br />
profondeurs » et qu’il cite à plusieurs reprises dans son œuvre, notamment Freud, Jung et Adler. Cette relecture a<br />
permis de mieux évaluer la compréhension qu’en avait notre auteur et l’usage qu’il en faisait en théologien. Dans<br />
un deuxième temps Marie-Rose Boodts a pu éclairer les pratiques actuelles de la psychologie et les perspectives<br />
des sciences humaines sur les questions religieuses et spirituelles.<br />
De Freud retenons d’une part sa découverte de l’inconscient et de l’irrationnel et des blessures psychologiques<br />
enfouies dans le subconscient qui ne peuvent être guéries qu’en étant réassumées dans la conscience claire par<br />
une thérapie de la parole et d’autre part le caractère ambigu de la sexualité et la tension entre pulsion de vie et<br />
pulsion de mort sous-tendant la psychologie humaine. Ces découvertes capitales perdent de leur pertinence en<br />
étant absolutisées, l’esprit humain ne peut être réduit à ses pulsions. Mais Bouyer a très bien perçu les<br />
correspondances des intuitions freudiennes avec l’anthropologie biblique, et manifesté combien elles remettent<br />
en cause l’anthropologie rationaliste. Marie-Rose Boodts souligne également chez Freud la réflexion sur une<br />
« pulsion du savoir » permettant d’enrichir une réflexion épistémologique. L’homme est « mystère » mais ce qui<br />
est encore obscur en lui doit être réintégré à la conscience sous peine de l’écraser.<br />
Adler paraît moins déterminant dans la réflexion de notre auteur, Marie-Rose Boodts note surtout chez Adler la<br />
mise en évidence chez les jeunes délinquants de la compensation de la faiblesse par l’agressivité, nécessitant tout<br />
un travail de reconnaissance de soi pour passer du complexe d’infériorité à un épanouissement harmonieux de la<br />
personnalité.<br />
Chez Jung, Bouyer a surtout apprécié la dimension plus sociale de la psychologie et la réflexion sur l’unité de<br />
l’expérience religieuse de l’humanité à partir des archétypes de la conscience. Cela permet au théologien de poser<br />
l’expérience religieuse comme fondement primordial de l’existence humaine dans un triple rapport – immédiat et<br />
global - à la communauté, au cosmos et à Dieu. Contrairement à la pensée positiviste, cette expérience ne peut<br />
jamais être dépassée car elle demeure irréductible à la rationalisation métaphysique et échappe aux méthodes des<br />
sciences dures.<br />
Marie-Rose Boodts note que pour Freud tout se joue dans l’enfance, qu’Adler étudie plus l’adolescence et que<br />
Jung place le moment décisif autour de la quarantaine. Elle présente un large panorama du développement de la<br />
psychanalyse, complétant notamment l’approche de Bouyer à partir de Lacan, Elias et Ricœur. Elle souligne l’intérêt<br />
de la réflexion très équilibrée d’Henri Ellenberger sur lequel s’appuie notre auteur. Elle expose les distinctions<br />
nécessaires entre médecine, psychanalyse et spiritualité et présente la pensée complexe d’Edgar Morin,<br />
permettant de mieux saisir combien la Réalité dépasse toutes nos réalités. Elle conclut en soulignant que l’homme<br />
est un être en relation dont l’aspiration fondamentale est d’aimer et d’être aimé. Enfin elle propose une<br />
bibliographie permettant d’actualiser la question et d’ouvrir un riche débat. En voici quelques titres :<br />
- Henri ELLENBERGER, Histoire de la découverte de l’inconscient, tr. fr. 1974 (rééd. Paris, Fayard, 1994).<br />
- Hervé MAZUREL, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire. Profondeurs, métamorphoses et révolution de la<br />
vie affective, Paris, La découverte, 2021.<br />
- Nicole EDELMAN, L’avènement de la psychanalyse, Paris, Stilus, 2022.<br />
- Patrick GOUJON, Prière de ne pas abuser, Paris, Seuil, 2021.<br />
Pierre-Alain d’Arthuys, dans une perspective plus directement théologique, a souligné comment Bouyer cherche<br />
aussi à affirmer le caractère primordial et permanent de l’expérience religieuse de l’humanité en explorant l’histoire<br />
comparée des religions. (cf. Texte de l’intervention complète)<br />
PROCHAINES SEANCES<br />
SEANCE DE PRINTEMPS : Lundi 15 mai <strong>2023</strong> de 14h à 17h30 en salle F<br />
Intuition poétique et démarche théologique<br />
La <strong>séance</strong> sera dirigée par le Père Bertrand LESOING, Jean-Pierre LEMAIRE, poète, et Robert CHURLAUD, professeur de<br />
littérature au Collège des Bernardins, guideront notre réflexion.<br />
Pour plus d’informations : https://www.collegedesbernardins.fr/groupe-louis-bouyer<br />
Pour nous joindre : groupe.louisbouyer@collegedesbernardins.fr<br />
Marie-Hélène Grintchenko – P. Bertrand Lesoing