TEXTE - Archevêque d'Ukraine
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<strong>TEXTE</strong> D’INTERVENTION<br />
Mgr Sviatoslav (Shevchuk)<br />
L'<strong>Ukraine</strong> et<br />
notre<br />
espérance<br />
commune<br />
©UGCC<br />
Lors d’une rencontre au Collège des Bernardins, le 29<br />
octobre 2024, Mgr Sviatoslav (Shevchuk), Primat de l’Église<br />
gréco catholique ukrainienne, a partagé son expérience de la<br />
guerre en <strong>Ukraine</strong> et des ressources morales et spirituelles à<br />
développer pour résister à l’agression de l’État russe.<br />
Texte d’intervention de Mgr Sviatoslav (Shevchuk), au Collège<br />
des Bernardins<br />
©LucPäris
Communiqué de presse - SEPTEMBRE 2024<br />
L’Église, signe et messagère d’espérance<br />
L'Église partage le sort du peuple<br />
Les Ukrainiens veulent la paix<br />
Dépasser nos stéréotypes<br />
Surmonter sa peur<br />
Surmonter ses illusions<br />
Surmonter ses déceptions<br />
La guerre en <strong>Ukraine</strong>, un test pour notre humanité<br />
Tout d'abord, je vous remercie pour votre aimable<br />
hospitalité qui est un autre signe de solidarité sincère<br />
avec le peuple ukrainien, blessé mais invincible. Je<br />
remercie également tous ceux qui se sont réunis ici<br />
aujourd’hui.<br />
Pour la noblesse de la France et le respect des valeurs<br />
humaines dont fait preuve l'Union européenne, pour<br />
l'espoir que vous partagez avec nous, j'exprime ma<br />
profonde gratitude au nom de tous les Ukrainiens.<br />
Nous approchons du millième jour de la guerre à<br />
grande échelle de la russie contre l'<strong>Ukraine</strong>. Mille jours<br />
de sirènes d'alerte aérienne dans tout le pays. Mille<br />
jours d'effusion de sang, de terreur et de mort. Déjà<br />
dix ans se sont écoulés depuis le premier acte<br />
d'agression - l'annexion de la Crimée et le début de la<br />
guerre dans le Donbass.<br />
L’Église, signe et messagère d’espérance<br />
Je fais appel à vous en tant que représentant de<br />
l'Église, en tant que pasteur du peuple qui m'a été<br />
confié. En même temps, je me tiens devant vous en<br />
tant que membre d’une nation qui connaît une guerre<br />
douloureuse sans précédent en Europe depuis la<br />
Seconde Guerre mondiale.<br />
Je ne suis pas ici pour me plaindre ou me lamenter.<br />
Mon souhait est d'apporter de l'espoir, de vous<br />
encourager et de partager avec vous la source de<br />
notre force et de notre résilience. Nous avons une<br />
tâche à accomplir ensemble, car les génocides d'Hitler<br />
et de Staline ne peuvent pas se répéter.<br />
La force de l’Église réside dans sa conviction<br />
inébranlable qu’en fin de compte, malgré toutes les<br />
épreuves et tribulations, le bien l’emportera sur le mal<br />
et la vérité l’emportera sur le mensonge. Vous<br />
partagez cette conviction, comme toutes les<br />
personnes de bonne volonté. Chrétiens et croyants<br />
d’<strong>Ukraine</strong> sont appelés à être une source d’espoir et de<br />
consolation pour ceux qui traversent des épreuves<br />
indescriptibles et qui recherchent désespérément<br />
solidarité et soutien.<br />
Pendant des siècles, notre Église a accompagné son<br />
peuple dans ses joies et ses peines. Nos évêques, nos<br />
prêtres et nos religieux continuent à le faire.<br />
Malgré le danger mortel, ils restent avec le peuple<br />
jusqu'au bout, y compris dans les territoires occupés.<br />
Ils sont emprisonnés, torturés et humiliés.<br />
Lorsque j'ai demandé au maire de Kyiv, l'ancien<br />
ch<strong>amp</strong>ion du monde de boxe Vitaliy Klitschko,<br />
comment servir au mieux les habitants de la capitale<br />
en ces temps difficiles, il a répondu : « Plus que de<br />
pain et de vêtements, nous avons besoin, de la part de<br />
l'Église, de paroles d'espérance. Soyez signe et<br />
annonciateur d'espoir ! ».<br />
C'est pourquoi nous sommes debout, nous nous<br />
battons, nous prions ! Et nous savons que vous êtes à<br />
nos côtés et que vous nous encouragez. Je vous<br />
remercie pour notre rencontre d'aujourd'hui, car c'est<br />
une occasion d'inspiration mutuelle.<br />
L'Église partage le sort du peuple<br />
Les massacres et les fosses communes à Bucha, Irpin,<br />
Borodyanka et Izyum, le bombardement de la<br />
maternité et du théâtre dramatique de Marioupol,<br />
l'attaque à la roquette cet été contre l'hôpital pour<br />
enfants "Okhmatdit" à Kyiv, 13 millions de personnes<br />
contraintes de quitter leur domicile (8 millions de<br />
réfugiés et 5 millions de personnes déplacées à<br />
l'intérieur du pays (IDP)) rappellent les fruits amers du<br />
plan néo-impérialiste de Poutine.<br />
©LucPäris<br />
Que pouvons-nous faire ? L'Église n'a que cette force<br />
qui vient du fait de suivre la volonté et les<br />
commandements de Dieu, du témoignage de la réalité,<br />
selon laquelle Dieu est le maître de l'histoire. La force<br />
de l'Église réside dans sa foi inébranlable en la<br />
promesse de Dieu, qui est celui qui « fait justice aux<br />
opprimés ; aux affamés, donne du pain. le Seigneur<br />
délie les enchaînés… le Seigneur protège l'étranger,<br />
soutient la veuve et l'orphelin » (Ps 145, 7-9) Dieu est<br />
toujours du côté de la victime innocente. Donc, Il est<br />
avec nous, Il se tient à nos côtés.<br />
Notre peuple sait que l'occupation russe entraîne des<br />
enlèvements massifs d'enfants, des viols de femmes,<br />
la conscription forcée des hommes dans l'armée russe,<br />
qui tuent ensuite leurs propres frères et sœurs, et<br />
l'imposition d'une identité russe-fasciste ou « rashiste<br />
» à notre jeunesse.
Communiqué de presse - SEPTEMBRE 2024<br />
Vous le savez bien. L’agression russe contre l’<strong>Ukraine</strong><br />
repose sur la destruction délibérée des infrastructures<br />
civiles dans tout le pays. Les données collectées à<br />
partir de sources ouvertes l’illustrent bien : environ 1,4<br />
million d’immeubles, dans lesquelles vivaient 3,4<br />
millions de personnes, ont été endommagés ou<br />
détruits. Les établissements d'enseignement ont été<br />
extrêmement touchés : 3 793 écoles et universités ont<br />
subi des bombardements ou des tirs. Le système de<br />
santé a également été détérioré, avec des pertes<br />
s'élevant à 3,12 milliards de dollars : 1 736 installations<br />
médicales ont été endommagées ou détruites et 212<br />
travailleurs médicaux ont été tués. Les lieux de culte<br />
n'ont pas été épargnés. Au moins 630 églises et sites<br />
religieux sont détruits ou endommagés.<br />
Si Poutine parvient à occuper l’ensemble de l’<strong>Ukraine</strong>,<br />
toutes les églises ukrainiennes seront détruites. Notre<br />
Église a déjà été interdite dans les régions sous<br />
occupation de l’<strong>Ukraine</strong>. Le 26 décembre 2022, les<br />
activités de l'EGCU ont été reconnues comme «<br />
violant la législation sur les organisations religieuses et<br />
publiques de la Fédération de Russie ». Presque<br />
toutes nos paroisses ont été détruites, les églises et<br />
les monastères ont été confisqués et leurs biens pillés.<br />
Au cours des trois derniers siècles, chaque fois que la<br />
russie a occupé des territoires peuplés de catholiques<br />
orientaux, elle les a convertis de force à l'orthodoxie<br />
russe, les a exilés ou les a envoyés à la mort au<br />
goulag.<br />
Et pourtant, après chaque tentative de nous détruire,<br />
nous vivons et nous témoignons.<br />
Notre Église fait partie intégrante de la société et nous<br />
restons avec notre troupeau dans des circonstances<br />
de mort et d'anarchie. La proximité et la loyauté<br />
envers les siens exigent des sacrifices et exposent<br />
souvent à de grands dangers. Deux prêtres grécocatholiques<br />
ukrainiens, les pères rédemptoristes<br />
Bohdan Heleta et Ivan Levytsky, sont récemment<br />
rentrés de captivité russe après plus d'un an et demi<br />
d'emprisonnement, de torture et d'humiliation.<br />
Notre solidarité et notre résilience ont un prix, comme<br />
la vôtre aussi.<br />
Face au mal, il n'y a pas d'autre voie.<br />
Je voudrais également réfuter certains mythes sur<br />
l'<strong>Ukraine</strong> qui peuvent déformer la vision de l'Occident,<br />
obscurcir la perspective éthique appropriée et<br />
empêcher une action décisive.<br />
Les Ukrainiens veulent la paix<br />
Rien n’est plus éloigné de la vérité que l’affirmation<br />
selon laquelle l’<strong>Ukraine</strong> ne veut pas de paix. Personne<br />
ne souhaite plus la paix que les Ukrainiens.<br />
Contrairement à la russie, dont le dirigeant déclare que<br />
l’effondrement de l’Union soviétique a été « la pire<br />
catastrophe géopolitique du XXe siècle », nous nous<br />
sommes réjouis de notre libération de l’empire du mal<br />
rouge. Nous avons rejoint les démocraties d'Europe et<br />
du monde, pour lesquelles les vertus de liberté, de<br />
justice, de respect des droits et de la dignité des<br />
personnes et des nations sont fondamentales.<br />
Nous avons apporté une contribution particulière et<br />
visionnaire au développement de la paix et de la liberté<br />
mondiales. Comme l’a souligné le pape François,<br />
beaucoup oublient qu’il y a 30 ans, trois ans après son<br />
accession à l’indépendance, en décembre 1994,<br />
l’<strong>Ukraine</strong> a renoncé à son arsenal nucléaire, qui à<br />
l’époque dépassait celui de la Grande-Bretagne, de la<br />
France et de la Chine réunis. Il conviendrait de<br />
marquer publiquement l'anniversaire de ce précédent<br />
en France et dans l'Union européenne. Si je puis me<br />
permettre, je dirai même, que cette démarche<br />
mériterait un prix Nobel de la paix.<br />
Au lieu de cela, l'<strong>Ukraine</strong> a été punie par la guerre par<br />
l'un des signataires de l'accord de désarmement<br />
nucléaire, un partenaire qui s'est engagé à protéger sa<br />
souveraineté et son indépendance. L'<strong>Ukraine</strong> a le droit<br />
moral d'attendre que les autres garants, ainsi que le<br />
reste du monde démocratique, l'aident à protéger sa<br />
souveraineté et son intégrité territoriale.<br />
Les Ukrainiens, comme nul autre, aspirent à la paix. Ce<br />
sont eux qui subissent des souffrances indescriptibles,<br />
perdent famille et amis, sont mutilés et blessés par la<br />
brutalité de la guerre.<br />
Nous aspirons à la paix de tout notre cœur, de toute<br />
notre âme, mais à une paix juste, car seule une paix<br />
juste sera réelle et durable.<br />
Dépasser ses stéréotypes<br />
©LucPäris<br />
La propagande russe vise à discréditer notre État, à<br />
convaincre les Européens que cette guerre n’est pas la<br />
leur, et à leur faire croire qu’il n’y a aucun moyen de<br />
contrecarrer l’agenda néo-impérial de la russie ni de<br />
l’empêcher d’atteindre ses objectifs expansionnistes et<br />
révisionnistes. Elle dépeint l'<strong>Ukraine</strong> comme un « État<br />
en faillite », une société traumatisée sans identité<br />
nationale authentique.
Communiqué de presse - SEPTEMBRE 2024<br />
Elle présente l'<strong>Ukraine</strong> comme une menace agressive<br />
pour la russie, comme peu disposée à mener des<br />
négociations de paix réalistes et comme déraisonnable<br />
dans son insistance à obtenir une paix juste.<br />
Malheureusement, de telles opinions peuvent être<br />
entendues non seulement dans les médias et les<br />
canaux de propagande officiels russes, mais aussi<br />
chez des scientifiques, des intellectuels publics et des<br />
hommes politiques faisant autorité dans les pays<br />
occidentaux, en particulier en France. Pour leur propre<br />
sécurité, les démocraties occidentales doivent<br />
examiner comment des régimes malveillants peuvent<br />
abuser de la liberté d'expression et déformer la vérité<br />
tout en évitant de rendre des comptes.<br />
Surmonter sa peur<br />
Premièrement, on pourrait être tenté d’assimiler un<br />
cessez-le-feu facile à la paix. Une paix naïvement<br />
imaginée et inconsidérément promulguée se révélera<br />
être une trêve de courte durée, après laquelle<br />
l'agresseur récompensé reviendra réarmé, plus fort et<br />
plus vorace qu'auparavant. Les dirigeants russes<br />
cherchent ouvertement et sans équivoque à recréer<br />
l'empire dans sa dimension soviétique. Il est simpliste<br />
et insensé de penser qu'ils se contenteront de la<br />
Crimée et du Donbass. La prise de l'<strong>Ukraine</strong> n'est<br />
qu'un « en-cas ». Les États baltes, le Caucase et l'Asie<br />
centrale ne se font pas d'illusions sur le fait qu'ils<br />
seront le prochain plat. Personne ne devrait se faire<br />
d'illusions. Les paroles de l'apôtre Paul devraient être<br />
un avertissement : « Quand les gens diront : « Quelle<br />
paix ! Quelle tranquillité ! », c’est alors que, tout à<br />
coup, la catastrophe s’abattra sur eux… » (1Thes. 5,3)<br />
La Russie joue sur la peur et la terreur. Elle menace les<br />
populations occidentales d'un conflit militaire direct<br />
avec l'OTAN. Elle intimide avec des scénarios de<br />
troisième guerre mondiale et d'attaque nucléaire. Elle<br />
alimente l'anxiété et la panique en Occident !<br />
La peur est mauvaise conseillère. Nous ne devrions<br />
jamais discerner ou agir sous l’emprise de la peur. D'un<br />
point de vue spirituel, la meilleure façon de surmonter<br />
la peur est de la confronter à une action significative<br />
en faveur du bien. Lorsque nous nous solidarisons<br />
autour de la vertu, notre anxiété s'apaise.<br />
Permettez-moi de vous raconter l'histoire du père<br />
Herman Budzinski. Il était prêtre dans les catacombes<br />
pendant la persécution soviétique de l'Église grécocatholique<br />
ukrainienne. Pendant quatre décennies, ce<br />
moine fidèle a été, à plusieurs reprises, arrêté et<br />
injustement condamné. Il a passé de nombreuses<br />
années en prison. Après avoir été libéré d'un de ses<br />
séjours au goulag, le père Herman commença à<br />
rassembler des articles de magazines soviétiques<br />
diffamant l'Église. Il rédigea une répudiation complète<br />
des textes diffamatoires et l'envoya aux mêmes<br />
médias. Pour cette raison, il fut à nouveau arrêté,<br />
condamné et renvoyé en prison. Plus tard, « Wende »<br />
lui a demandé pourquoi il avait affronté à plusieurs<br />
reprises les autorités soviétiques, pourquoi il n'avait<br />
pas eu peur. Le père Herman a répondu : « En fait, j'ai<br />
eu peur. Mais quelle joie j'ai ressentie lorsque j'ai<br />
surmonté ma peur. Quelle joie j'ai ressentie, lorsque<br />
j'en ai été libéré !<br />
Surmonter ses illusions<br />
La peur donne souvent naissance à des espoirs<br />
illusoires et à des projets de paix rapide, bon marché<br />
et commode. De tels mirages sont dangereux pour<br />
plusieurs raisons.<br />
Deuxièmement, ni les démocraties mondiales ni<br />
l'Église ne devraient soutenir une paix qui accepte<br />
l'agression comme une méthode efficace pour<br />
s'approprier le territoire souverain d'un autre pays.<br />
Cela porterait un coup fatal à la sécurité mondiale car<br />
cela encouragerait tous les autres agresseurs<br />
potentiels. Plus nous faisons fi des valeurs et des<br />
principes éthiques, en faisant des concessions à un<br />
envahisseur, plus ce dernier s'enhardit et moins nous<br />
sommes protégés. « Construire des ponts » avec le<br />
mal ne fait qu'alimenter sa folie des grandeurs. C'est<br />
pourquoi les démocraties mondiales ont besoin d'une<br />
nouvelle feuille de route pour une paix juste qui écarte<br />
la fausse logique de l'apaisement de l'agresseur.<br />
S'appuyant sur son expérience des deux guerres<br />
mondiales, le légendaire chef de notre Église (1901-<br />
1944), le métropolite Andrey Sheptytskyi, a écrit : «<br />
Chacun comprend qu'une paix qui ne tiendrait pas<br />
compte des besoins des peuples et dans laquelle les<br />
peuples se considéreraient comme offensés et<br />
seraient en fait offensés ne serait pas une paix, mais<br />
plutôt la cause de complications nouvelles et plus<br />
graves et de haines mutuelles qui conduiraient<br />
nécessairement à de nouvelles guerres. »<br />
(«Про почитання і посвяту себе Пречистій<br />
Богородиці»)<br />
©LucPäris<br />
Troisièmement, un accord de paix a du sens lorsqu’il<br />
est certain que toutes les parties qui l’ont signé<br />
honoreront leurs engagements. Les traités<br />
présupposent la confiance, du moins dans une<br />
certaine mesure. Mais posons-nous la question :<br />
existe-t-il un seul accord de sécurité entre l'<strong>Ukraine</strong> et<br />
la Russie que cette dernière n'ait pas violé ? Aucun.
Communiqué de presse - SEPTEMBRE 2024<br />
Après tout, elle nie ouvertement le statut juridique de<br />
l'<strong>Ukraine</strong> en tant qu'État, son droit même d'exister. Et,<br />
comme le montre l'échec du mémorandum de<br />
Budapest de 1994, les promesses d'autres États en<br />
tant que garants ne dissuadent pas nécessairement la<br />
russie. Ainsi, il est politiquement incorrect et<br />
stratégiquement imprudent de croire que la logique qui<br />
gouverne les pays et les peuples démocratiques<br />
s’applique aux totalitaires et aux dictateurs ou les<br />
influence un tant soit peu.<br />
L’<strong>Ukraine</strong> a besoin et aspire profondément à une paix<br />
réelle, juste et durable, et non à une trêve éphémère et<br />
illusoire.<br />
Surmonter ses déceptions<br />
La russie tente de présenter l'<strong>Ukraine</strong> comme le pays<br />
le plus corrompu en Europe, si ce n’est au monde. Je<br />
ne prétends pas qu'il n'y a pas de corruption en<br />
<strong>Ukraine</strong> et je ne minimise pas non plus son impact sur<br />
la société ukrainienne. Aucune société n'est à l'abri de<br />
cette maladie. Toutefois, je suis convaincu qu'elle peut<br />
être soignée.<br />
La société civile, principal protagoniste de la lutte<br />
contre la corruption, est suffisamment forte pour<br />
contenir la menace et guérir la maladie. La corruption<br />
est une chose épouvantable. Son éradication est<br />
nécessaire pour gagner la paix en <strong>Ukraine</strong> et devra<br />
constituer un nouvel accord social dans l'avenir<br />
d'après-guerre du pays.<br />
Le système soviétique se caractérisait par une anticulture<br />
de la corruption basée sur le double standard,<br />
les mensonges et les stratégies de survie. Il volait ce<br />
qu'il pouvait aux gens, et les gens volaient ce qu'ils<br />
pouvaient au système. Cet héritage post-communiste<br />
a été aggravé par la politique russe d'exportation de la<br />
corruption.<br />
PLa guerre est une expérience traumatisante et la<br />
corruption prospère souvent lors de tels cataclysmes.<br />
Mais nous sommes également témoins des efforts<br />
persistants de ceux qui cherchent à l’éradiquer de la<br />
société ukrainienne. En consentant des sacrifices, les<br />
Ukrainiens démontrent qu’ils veulent construire une<br />
société fondée sur l’État de droit, la transparence et la<br />
responsabilité. Ces valeurs, après tout, sont ancrées<br />
dans l’Évangile et exprimées dans l’enseignement<br />
social catholique.<br />
La corruption n'aura aucune chance de prospérer si<br />
l'<strong>Ukraine</strong> est en paix et devient membre de l'Union<br />
européenne. - En fait, je pense vraiment que si<br />
l'<strong>Ukraine</strong> avait été invitée à rejoindre l'UE dans les<br />
années 1990, en même temps que la Pologne et<br />
d'autres pays d'Europe centrale et orientale, elle aurait<br />
disposé d'un puissant levier pour lutter contre la<br />
corruption et l'éradiquer bien plus tôt.<br />
La guerre est une expérience de dégrisement. Elle<br />
amène les gens à reconsidérer et à transformer leur<br />
mode de vie. Nous gagnerons la guerre contre la<br />
russie, et la guerre contre la corruption.<br />
Avec votre aide. Pour notre bien-être mutuel. Nous<br />
n’avons pas d’autre choix viable pour préserver notre<br />
existence et sauvegarder notre dignité.<br />
Aujourd’hui, l’<strong>Ukraine</strong> expérimente le sacrement pascal<br />
et accumule un immense capital spirituel fondé sur la<br />
vertu du sacrifice de soi. Ces ressources morales<br />
produiront des dividendes sociaux et économiques.<br />
Aujourd'hui, l'<strong>Ukraine</strong> paie le prix ultime pour la liberté,<br />
la vérité et la justice et démontre son engagement<br />
moral pour un avenir démocratique et légal, social,<br />
politique et économique.<br />
La guerre en <strong>Ukraine</strong>, un test pour notre humanité<br />
Cet héritage post-communiste a été aggravé par la<br />
politique russe d'exportation de la corruption. La<br />
russie a corrompu nos élites politiques, nos médias et<br />
notre culture populaire. Ces astuces ne s’arrêtent pas<br />
aux frontières de l’ex-Union soviétique.<br />
L’offre de financements, d’énergie bon marché et de<br />
privilèges commerciaux continue d’acheter le<br />
consentement tacite international non seulement à<br />
l’invasion de l’<strong>Ukraine</strong>, mais aussi à la violation des<br />
droits de l’homme en russie. Il est facile de tomber<br />
dans le piège de l'adage selon lequel « l'argent n'a pas<br />
d'odeur ».<br />
Le respect de la dignité humaine et de la vie humaine<br />
est au cœur de l'enseignement social catholique et de<br />
la démocratie. La poursuite sincère de ces principes<br />
constitue la différence fondamentale entre nos pays et<br />
les régimes totalitaires et autoritaires, dont la russie. Si<br />
une personne est consciente de sa propre dignité et<br />
de celle de ses concitoyens et s’efforce de la<br />
préserver, voire de l’accroître, elle est alors capable de<br />
surmonter sa peur et d’affronter l’injustice d’une<br />
manière convaincante sur le plan éthique.<br />
©LucPäris
Communiqué de presse - SEPTEMBRE 2024<br />
Aujourd’hui, les soldats, médecins, volontaires et<br />
aumôniers ukrainiens témoignent de la dignité<br />
humaine, risquant leur vie pour sauver les autres et<br />
leur donner la possibilité de rêver et de travailler à un<br />
avenir libre et digne. Je vais vous raconter une histoire<br />
vraie. Un soldat russe gravement blessé a dit au soldat<br />
ukrainien qui l'avait fait prisonnier : « Achève-moi ».<br />
L'Ukrainien lui a répondu : « Non, nous ne sommes pas<br />
comme vous, et lui a sauvé la vie ».<br />
Pour de nombreux Ukrainiens, cette guerre est<br />
devenue un test et une expérience vécue de la dignité<br />
humaine. Je suis convaincu qu'ils préserveront et<br />
intégreront cette expérience en la traduisant dans les<br />
structures sociales et les institutions de l'<strong>Ukraine</strong><br />
d'après-guerre.<br />
Dans ce sens, une fin juste à la guerre est cruciale.<br />
Après tout, « la justice élève le peuple », lit-on dans<br />
les Proverbes (14, 34). À l’inverse, une nation qui a<br />
désespéré de la possibilité d’obtenir justice décline et<br />
ne peut pas surmonter ses problèmes sociaux.<br />
L'injustice ne voyage pas seule. Comme le dit le<br />
psalmiste : « Qui conçoit le mal et couve le crime<br />
enfantera le mensonge » (Psaume 7, 15).<br />
L’<strong>Ukraine</strong> tire les leçons de la démocratie dans des<br />
circonstances extrêmes. Elle apprend par l’abnégation.<br />
Elle adopte les principes de liberté et de responsabilité<br />
alors que des réflexes autoritaires et nihilistes<br />
renaissent en Europe et que de plus en plus de gens<br />
deviennent sceptiques quant à la démocratie et à ses<br />
mérites.<br />
La lutte courageuse de l'<strong>Ukraine</strong> remet en question<br />
l'idée que la sécurité physique et le confort matériel<br />
sont les seuls objectifs de la démocratie. Elle nous<br />
enseigne que la démocratie mérite d'être défendue au<br />
prix de son propre confort, de sa santé et même de sa<br />
vie.<br />
Pavlo Kazarin, un journaliste ukrainien devenu soldat,<br />
l'a souligné : « Si l'<strong>Ukraine</strong> perd, de nombreuses<br />
sociétés à travers le monde diront : aha, regardez - ils<br />
étaient une démocratie, ils ont créé un espace pour la<br />
concurrence d'opinions, d'idées, de contextes, de<br />
significations diverses, et ils ont perdu. Par<br />
conséquent, pour la survie de notre État, nous n'avons<br />
pas besoin de tous ces vestiges du XXe siècle. Une<br />
économie de marché peut être établie sans eux (par<br />
exemple en Chine et en Russie), et dans la vie<br />
publique, nous pouvons nous résigner à une certaine<br />
forme d'autoritarisme ».<br />
Nous pouvons beaucoup apprendre les uns des autres.<br />
Nous pouvons nous entraider pour défendre et<br />
promouvoir la démocratie pour les bonnes raisons et<br />
dans le bon but. Mais, l'<strong>Ukraine</strong> doit tout d’abord<br />
obtenir la paix !<br />
Je vous demande d'aider les Français et les autres<br />
pays occidentaux à dépasser leurs stéréotypes et à<br />
surmonter leurs peurs, leurs illusions et leurs<br />
déceptions. Je vous demande de leur expliquer qu’il ne<br />
s’agit pas seulement d’une guerre ukrainienne, mais<br />
d’une guerre dont dépend l’avenir de la démocratie en<br />
<strong>Ukraine</strong>, en Europe et dans le monde entier.<br />
La guerre contre l'<strong>Ukraine</strong> est une guerre contre la<br />
France, toute l'Europe et tout l'ordre démocratique.<br />
Malheureusement, c'est aussi votre guerre. L'<strong>Ukraine</strong> a<br />
besoin de votre soutien, non seulement dans son<br />
propre intérêt, mais aussi dans le vôtre !<br />
Nous vivons une époque tumultueuse et difficile, un<br />
temps de décisions difficiles, un temps de sacrifices,<br />
mais je ne voudrais pas parler uniquement du « temps<br />
», mais aussi de notre Kairos. Nous vivons une<br />
occasion, une chance spéciale, un temps béni, ici et<br />
maintenant, où le Seigneur envoie son Esprit pour<br />
vaincre les forces du mal qui attaquent la personne<br />
humaine et la société humaine aujourd'hui. Nous<br />
croyons que l’Esprit de Dieu, Esprit de vérité, Esprit de<br />
liberté, Esprit d’amour est plus fort que la puissance de<br />
l’ennemi. Puissions-nous tous avoir la sagesse de voir<br />
notre réalité sous cet angle.<br />
Je nous souhaite à tous une parrhésie évangélique,<br />
afin que nous puissions librement, sans flancher,<br />
témoigner de la vérité, avoir le courage de prendre des<br />
décisions audacieuses et de les mettre en œuvre au<br />
profit de notre maison commune européenne.<br />
Ensemble, en contribuant à une fin juste de la guerre,<br />
nous accomplirons ce qu'Isaïe a prophétisé : « Comme<br />
la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses<br />
semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la<br />
louange devant toutes les nations » (Isaïe 61, 11).<br />
+Sviatoslav Shevchuk<br />
<strong>Archevêque</strong> Majeur de Kyiv-Halych<br />
Primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne<br />
©LucPäris<br />
En rhétorique, la parrhésie (en grec : παρρησία) désigne le fait de<br />
parler librement, sans avoir à se prononcer . Elle implique non<br />
seulement la liberté d'expression, mais aussi l'obligation de dire la<br />
vérité pour le bien commun, même au péril de sa vie.