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BOXOFFICE MAROC – N°05 / Novembre 2024

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Numéro 05 / Novembre 2024

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : SOUFIANE SBITI

Le cinéma au Maroc a enfin son magazine

MAROC

COULISSES DE

TOURNAGE:

DERRIÈRE LES

PALMIERS, LUMIÈRE SUR

MERYEM BENM’BAREK

N°05 / Novembre 2024 . 30 DH

CINÉMA RIALTO,

NOSTALGIE D’UN

CASABLANCA

CINÉPHILE

ADIL EL FADILI

LE MÔME DU

GRAND ÉCRAN



EDITO

LE TEMPS DES FESTIVALS

PAR SOUFIANE SBITI

La saison est ouverte. Celle de deux festivals

au Maroc. Quand vous aurez ce

magazine entre les mains, le Festival

national du film de Tanger aura annoncé son

palmarès, que nous relayons dans ce

numéro. Et nous serons aussi à quelques

semaines du Festival international du film

de Marrakech (FIFM).

Pendant tout le mois d’octobre, nous avons

pu faire immersion, à travers un numéro spécial,

au sein du Festival tangérois, porté par

le Centre cinématographique marocain. Le

palmarès, décidé par un jury

de choix, représente

aujourd’hui ce qu’est le

cinéma marocain et ce qu’il

allait pu faire cette année.

On retient tout d’abord, la

sélection du long-documentaire

d’Asmae El Moudir,

La mère de tous les

mensonges, auquel nous

avions déjà dédié la couverture

de notre premier

numéro. Une prouesse,

dont on peut être fier, tant elle est là, pour

raconter et relater avec beauté, des cicatrices

collectives. Dans un pays autre que

le nôtre, on refusera de voir la vérité en

face, de parler de nos erreurs et de nos malheurs

passés. On préfèrera tout nier.

Aujourd’hui, on accepte de voir l’héritage

des Années de plomb au Maroc, tel qu’il

est. Et aux personnes qui s’aventurent pour

en parler, ce sont des prix qui les attendent.

Une maturité à saluer, et à préserver face

à des démons qui peuvent à tout moment

ressurgir.

ATELIERS

DE L’ATLAS,

UN LABORATOIRE

SUR LEQUEL

L’AVENIR

DU CINÉMA

REPOSE

Outre Asmae El Moudir, on retrouve également,

comme Grand prix du Festival national du film

de Tanger, Les Meutes de Kamal Lazraq. Là

encore, il est question d’affronter notre réalité

sociale. Dans un précédent numéro, Boxoffice

Maroc avait eu l’occasion de rencontrer son

réalisateur, Kamal Lazraq. « On ne se prépare

jamais à recevoir un prix », nous dira-t-il, lui qui

parait aussi mystérieux que timide, et parlant

de son expérience, après avoir été primé au

FIFM. « Le film part dans un onirisme, un côté

un peu cauchemardesque, mais le point de

départ du film, c’est quelque chose qui est très

ancrée dans une réalité

sociale », ajoute le réalisateur.

Kamal Lazraq en était à son

premier long-métrage, après

avoir fait un court-métrage.

Asmae El Moudir était à sa

première production, un

documentaire long, qui avait

souffert de plusieurs complications

au tout début, faute

de soutien, avant de trouver

à lui seul sa voie.

Au-delà du premier coup réussi, quels liens

entre Kamal Lazraq et Asmae El Moudir ? Tous

sont issus d’un seul programme : Les Ateliers

de l’Atlas du FIFM qui arrive aujourd’hui à nous

donner des horizons dans le cinéma au Maroc.

Un laboratoire sur lequel l’avenir du septième

art dans le pays repose. A condition de savoir

soutenir et aider toutes les perles qui en ressortent,

avec les moyens qu’il faut mais aussi

et surtout en faisant preuve d’audace. Il

demeure ainsi évident que le prochain rendez-vous

à ne pas rater, est fin novembre avec

la tenue du FIFM. Et le cap qu’il nous donnera.●

MAROC

Directeur de la publication

et de la rédaction

Soufiane Sbiti

Rédaction

Salma Hamri

Jihane Bougrine

Lina Ibriz

Salomé Krumenacher

Chronique

Aïcha Akalay

Photos

Mathieu Soul

Alexandre Chaplier

MAP

Maquette

Pulse Media

Directeur artistique

Mohamed Mhannaoui

Maquettistes

Ezzoubair Elharchaoui

Zineb Azeddine

Fondateur

Hakim Chagraoui

Directrice générale

Fatima Zahra Lqadiri

fz@storyandbrands.com

Business developer

Hajar Aziani

Régie publicitaire

Story & Brands

Impression

Les imprimeries du Matin

Distribution

Sapress

BOXOFFICE MAROC

est édité par

Pulse Media

sous licence

The Boxoffice Company

de Global Cinema Maroc

Capital Business Office,

B 127, 6ème étage,

Bd Abdelmoumen,

Casablanca, Maroc

Site web :

www.boxoffice.com

Dépôt légal

10/2024

ISSN : 2024PE0026


SOMMAIRE

20

28

46

06

׀ SNAPSHOT Une pilote contre tous

08

׀ LA PÉPITE DU MOIS Khaoula Assebab

Mon film, ma bataille !

12

׀ LA RENCONTRE Aissam Bouali, Raging role

20

׀ LA COUV’ Adil El Fadili

L'enfant de la balle du cinéma marocain

Alchimiste de l'image Joli môme !

28

׀ INTERVIEW Abdellatif Chaouqi, Du jeu de corps

au jeu de rôles

32

׀ ACTU-CINÉ Une clôture audacieuse pour Le Festival

national du film de Tanger

Le Français Pathé veut céder ses salles

de cinéma en Afrique

Sonia Okacha Action ! Passion !

Festival international du film francophone de

Namur une célébration du cinéma francophone

avec une présence marocaine marquée

Marrakech Short Film Festival Le courtmétrage

à l’honneur

Ali Benjelloun Quand la lumière passe

derrière la caméra

46

׀ DOSSIER PRO Cinéma Marocain, destination monde !

50

׀ EN SALLES Joker: Folie à Deux Derrière les barreaux,

Lla folie s’échappe

The Substance corps contre jeunesse !

« Batal » ou le côté obscur de la célébrité

Monsieur Aznavour

Formidable Tahar Rahim !

La damnée ou l’exorcisme du déjà-vu

The apprentice : Trump, l’élève devenu maître

The killer le retour manqué de john woo


62

76

70

96

62

׀ REPORTAGE Meryem Benm’Barek, Derrière les palmiers,

une réalisatrice dans la lumière

70

׀ DOSSIER PRO Du papier à l’écran : paroles de scénaristes

avec Yasmine Benkiran et Basma El Hijri

76

׀ ZOOM SUR UNE SALLE Ciné Atlas à Rabat : Le Colisée réinventé

82

׀ UNE SALLE, UNE HISTOIRE

Cinéma Rialto, nostalgie d’un Casablanca

cinéphile

86

׀ INTERVIEW PRO Rachida Saadi

90

׀ GUIDE DES SORTIES 92

׀ STREAMING/VOD 94

׀ LIRE, VOIR ET ÉCOUTER 96

׀ FINAL CUT Adil Aissa

98

׀ LE CLAP DE AICHA AKALAY

Jours d’été : Une fresque poétique

sur les ruines du passé


SNAPSHOT

UNE PILOTE

CONTRE TOUS

Le tournage du biopic sur Touria Alaoui, première

femme pilote marocaine et figure emblématique

de l’histoire du Royaume, vient de

s’achever sous la direction du réalisateur Rabii

El Jouhari. Produit par Hassan Chaoui, qui

entretient un lien familial avec la légendaire

aviatrice, ce film est bien plus qu’un simple

hommage : il plonge dans la vie courageuse

et inspirante d’une femme qui, en brisant les

conventions de son époque, a ouvert la voie

à toute une génération de femmes marocaines.

En retraçant le parcours extraordinaire de Touria

Alaoui, le film met en lumière non seulement

ses exploits dans les airs, mais aussi son

rôle de pionnière dans une société où les

femmes se battaient encore pour leur émancipation.

Sous l’œil attentif de Rabii El Jouhari,

la reconstitution historique se veut fidèle aux

faits, tout en offrant un regard intime sur les

défis personnels et professionnels auxquels

Touria a dû faire face.

La production, marquée par l’implication passionnée

de Hassan Chaoui, descendant de

Touria Alaoui, porte une dimension profondément

personnelle. Ce biopic, qui a une lourde

responsabilité, s’annonce comme un film à la

fois intime et épique, destiné à rappeler l’impact

que Touria Alaoui a eu, non seulement

sur l’aviation marocaine, mais également sur

le combat pour l’égalité des sexes.●

PAR JIHANE BOUGRINE / CRÉDIT PHOTOS : HASSAN CHAOUI PRODUCTIONS

6 Maroc / Novembre 2024



LA PÉPITE DU MOIS

Le cinéma, un jeu d’enfant

8 Maroc / Novembre 2024


Khaoula

Assebab

MON FILM, MA BATAILLE !

L’année 2024 marque un tournant décisif pour Khaoula Assebab

Benomar, réalisatrice engagée, qui vient tout juste de finaliser son

second long métrage « Radia ». Après des mois de travail acharné et une

post-production intense, cette œuvre profondément féministe est sur le

point de rencontrer le public des festivals, avec une première projection

prévue au Festival du Caire. Plus qu’une simple œuvre, ce film reflète son

engagement indéfectible pour l’égalité des sexes et son combat pour

donner voix aux femmes à travers le septième art. Rencontre avec une

cinéaste au supplément d’être qui refuse la compromission.

PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

R

adia n’est pas un film comme les autres. Tourné

en noir et blanc, il propose une approche expérimentale

où deux femmes marocaines, telles

des Ying et des Yang, interrogent leur féminité à travers

une série de flashbacks et d’étapes cruciales de leurvie.

Le film plonge profondément dans la psyché féminine,

questionnant leurs choix de vie et mettant en

lumière des traumas refoulés, notamment à travers un

travail sonore percutant rythmé par un sablier angoissant

pour rappeler que le temps, une fois passé, ne peut

être rattrapé. Des comptines d’enfance qui ressurgissent

du passé hantent encore les personnages. Ce traitement

esthétique et sensoriel donne une dimension onirique

et perturbante à l’histoire, tout en accentuant la

quête intérieure intéressante des protagonistes. Pour

Khaoula Assebab, Radia est bien plus qu’un simple film,

c’est un manifeste sur la responsabilité des femmes

dans la perpétuation de certains schémas sociaux oppressifs,

tout en explorant les moyens de se libérer de ces

carcans. Comme elle l’explique, « Radia est née de mes

rêves d’égalité, de mon aspiration à une société juste

et équitable. » Ce film, bien qu’expérimental, reste ancré

dans une réalité sociale palpable, et reflète son engagement

profond en faveur des droits des femmes. Si la

réalisatrice au parcours atypique refuse de s’enfermer

dans un seul genre ou une seule carrière, elle garde

une volonté farouche de continuer à raconter des histoires

qui la touchent. Celle qui commence par un diplôme

en mass media à George Washington avant de bifurquer

vers un master en cinéma et de s’essayer à la sociologie,

confirme son attrait pour le noir et blanc qui dès

son premier film Clair Obscure est devenu sa signature

visuelle. Ce choix esthétique, qui est né par hasard, est

aujourd’hui une manière pour elle d’ouvrir un espacetemps

suspendu entre le réel et l’imaginaire. Un monde

à part, où le spectateur se voit privé d’un sens, pour

mieux se concentrer sur l’essentiel : le cadre, la lumière,

les formes

Radia : le « Mistral gagnant » féministe de Khaoula

Assebab

Un tournage à l’image de son engagement, une véritable

aventure humaine. La réalisatrice raconte que chaque

moment passé sur le plateau était empreint d’une atmos-

Novembre 2024 / Maroc

9


LA PÉPITE DU MOIS

Sauter vers de nouveaux récits

FILMO DE

KHAOULA

2017

Clair Obscur – Long

métrage (réalisation)

2019

The dared –

Documentaire

(réalisation)

2019

Aicha –

Court métrage

( production)

2022

Unique Girl -

Court métrage

(production)

2023

Presque – Roman

2024

Radia – Long

métrage (réalisation)

Une féministe engageé à travers l’art

Une cinéaste politiquement poétique

phère familiale, presque intime, où l’équipe a vécu des

émotions intenses et parfois même difficiles. Le séisme

d’Al Haouz, qui a frappé le Maroc pendant le tournage,

a laissé une trace profonde dans le projet. « Nous avons

vécu ce deuil national ensemble. La séquence des funérailles

a été tournée à la reprise. Je ressens encore ces

moments dans ma chair », raconte-t-elle avec émotion.

De l’émotion et de l’humanité qu’elle met au service de

ses équipes. Plutôt que de dicter une vision figée à ses

acteurs et actrices, elle préfère une démarche collaborative,

où chaque interprète peut apporter sa propre sensibilité

au personnage. Elle parle de sa méthode de travail

comme d'un échange, basé sur la confiance et la

générosité. « Une fois que l’on a la même vision du personnage,

je m’éclipse et laisse la magie opérer », expliquet-elle

avant d’ajouter : « Sans artifices, très discrète, sereine,

on m’entend peu sur le plateau, l’agitation me dérange,

j’aime travailler dans le calme. Consciente d’être une

éponge et donc d’être facilement déstabilisée par les

tensions, je me préserve ». « J’aime travailler avec des

êtres humains qui ont le même esprit ou du moins qui

me comprennent. Un tournage c’est lent, physique et

éprouvant. C’est un équilibre fragile entre l’humain et le

professionnel », étaye celle qui reste la même hors pla-

NOS PLATEAUX DE TOURNAGE

SONT MAJORITAIREMENT

MASCULINS, ET L’ÉVOLUTION DE

LA CARRIÈRE D’UNE FEMME DANS

NOTRE DOMAINE EST TRÈS LENTE

10 Maroc / Novembre 2024


Échos d’une enfant éternel

teaux et qui confie les questions de production à son

acolyte à la scène comme à la vie, Raouf Sebahi. « Il a

géré magnifiquement l’aspect production et a trouvé les

solutions qu’il fallait pour un film à très petit budget. Il m’a

permis de raconter mon histoire à ma manière, c’est rare.

Je n’aime pas parler argent ».

Le montage de Radia a aussi été une étape clé du processus

créatif. En salle de montage, Khaoula a travaillé

étroitement avec Julien Fouré pour donner vie à son film.

Ensemble, ils ont expérimenté de multiples approches

pour parvenir à une structure qui reflète pleinement la

vision de la réalisatrice. « À un moment, j’ai senti que

quelque chose ne fonctionnait pas, et j’ai même fait un

rejet », admet-elle. Mais grâce à la patience et à la rigueur

de son équipe, ils ont réussi à débloquer la situation et

à construire un film qui défie les conventions narratives

habituelles. « C’est très important d’être bien entouré, de

travailler dans la bienveillance. », souligne-t-elle.

Ce que veulent les femmes….

Cinéaste indépendante, Khaoula Benomar fait partie de

cette nouvelle génération de réalisatrices qui refuse de

se plier aux normes. Elle avance avec détermination dans

un milieu encore largement dominé par les hommes, tout

en restant fidèle à ses convictions et à sa vision artistique.

« Pourquoi s’enfermer dans une case ? La création

a pour terrain de jeu la liberté », conclut-elle avec un sourire

plein de malice. Engagée aussi bien dans son art que

dans la société, Khaoula Assebab milite pour une plus

grande inclusion des femmes dans le monde du cinéma.

Si elle reconnaît l’évolution visible de certaines réalisatrices

marocaines, elle reste lucide sur la réalité des plateaux,

encore largement dominés par les hommes. « Il

est certain qu’il y a eu une évolution dans le rôle des

femmes dans l’industrie cinématographique, mais il faudrait

des études pour le confirmer pleinement. Nous

avons l’impression que cette évolution est marquée par

le succès de plusieurs femmes, surtout des cinéastes.

Depuis les débuts, des réalisatrices comme Farida Belyazid,

Yza Genini, Tala Hadid, et Leila Marrakchi ont ouvert

la voie. J’ai été particulièrement touchée par le travail de

Yasmine Kassari (L’Enfant endormi), Narjiss Nejjar (Les

Yeux secs), Sofia Alaoui, Meriem Touzani, et bien sûr,

Asmae El Moudir, que nous admirons tous. Il est également

essentiel de rendre hommage à Farida Bourquia,

la première femme marocaine à réaliser un long métrage

de fiction (La Braise, 1982) ». Pour elle, la véritable bataille

se situe dans la nécessité de créer des programmes d’accompagnement

pour les femmes dans l’industrie, et elle

met un point d’honneur à inclure un maximum de femmes

dans ses équipes. « Nos plateaux de tournage sont majoritairement

masculins, et l’évolution de la carrière d’une

femme dans notre domaine est très lente ».

Et c’est comme cela que doucement mais surement,

Khaoula Assebab Benomar prouve qu’il est possible de

faire un cinéma engagé, personnel, et profondément

humain. Un cinéma qui parle à la fois de la lutte pour l’égalité,

mais aussi de la beauté des émotions partagées.●

Novembre 2024 / Maroc

11


LA RENCONTRE

12 Maroc / Novembre 2024


AISSAM BOUALI

RAGING

ROLE

Avec un charisme magnétique et une intensité

de jeu subtile, Aissam Bouali transcende les

apparitions discrètes dans les superproductions

internationales, les transformant en moments

inoubliables, tout en s’offrant des rôles plus

imposants dans le cinéma marocain. De John

Wick à Indiana Jones, il incarne la persévérance,

la rigueur et l’art de la collaboration. Immersion

dans l’univers d’un talent qui sculpte ses rôles.

INTERVIEW MENÉE PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

Depuis quelques années, vous enchaînez

les productions internationales avec des

rôles dans des films comme John Wick et

Indiana Jones. Cette année les choses

semblent s’accélérer encore. Comment

vivez-vous cette période intense ?

Cette année a été un vrai tournant pour moi.

J’ai décidé de structurer ma carrière de

manière plus sérieuse, notamment grâce à

des séances de coaching avec Sofia Sebt

qui m’ont aidé à organiser mon portfolio et

à m’engager pleinement dans la recherche

de projets, à avoir une vraie Community

Manager en la personne de ma sœur Ahad

Bouali, qui m’aide beaucoup. Ce n’était pas

facile, surtout dans un environnement où les

productions étrangères ne prennent pas

toujours beaucoup d’acteurs marocains. Il

fallait prouver ma valeur à chaque casting.

Le travail a payé et j’ai eu la chance d’être

le seul acteur marocain sur des projets

comme John Wick et Indiana Jones. Cela

montre que, même pour nous, il est possible

de s’imposer dans ces productions. Le travail

finit toujours par payer. C’est aussi grâce

au soutien de Salah Benchegra, directeur

de casting. Salah a joué un rôle clé. Non

seulement il m’a aidé à décrocher des castings,

mais il a aussi cru en moi et m’a aidé

à trouver la meilleure manière de me positionner.

Par exemple, grâce à lui, j’ai décroché

un rôle important dans un film italien à

venir. Ce n’était pas gagné d’avance, mais

avec de la persévérance, on a réussi à

convaincre les réalisateurs que je pouvais

apporter quelque chose d’unique. Il a vraiment

été un peu comme un agent pour moi.

Lors de ces castings, comment vous préparez-vous

pour un rôle ?

Avant tout, je cherche à connaître le réalisateur.

Je regarde ses films pour comprendre

son style, s’il aime travailler avec des plans

serrés, ou s’il laisse une grande liberté aux

acteurs. Ensuite, je prépare mon texte, souvent

sans avoir accès à tout le scénario.

C’est là que l’instinct entre en jeu. J’aime

aussi changer de look pour chaque rôle, que

ce soit en modifiant ma barbe ou en jouant

avec ma posture, comme je l’ai fait pour le

rôle dans Law & Shark.

Vous avez une scène magnifique avec

Keanu Reeves dans John Wick 3. Comment

avez-vous vécu cette expérience ?

Travailler avec Keanu Reeves a été une expérience

incroyable. C’est un véritable passionné

de cinéma. Ce que j’ai appris de lui,

c’est la rigueur et l’importance de répéter

et de travailler chaque scène en profondeur.

Novembre 2024 / Maroc

13


LA RENCONTRE

Sur le tournage de John Wick 3 aux côtés de Keanu Reeves

On avait une heure avec lui et le réalisateur

pour discuter de la scène et des personnages,

et cette préparation a vraiment enrichi

le tournage. J’ai aussi découvert une grande

humilité chez lui, malgré son succès

immense. Il est sans cesse en train de se

remettre en question, et c’est une qualité

rare chez les stars de cette envergure.

Avez-vous eu des moments de complicité

avec lui pendant le tournage ?

L’un des moments les plus mémorables de

ma carrière a eu lieu sur le tournage de John

Wick. Nous étions entre deux prises, et je

me suis retrouvé à discuter avec Keanu Reeves.

En tant que grand fan de L’Associé du

diable, je ne pouvais pas résister à l’envie

de lui demander de rejouer avec moi l’une

des scènes cultes du film. Sans hésitation,

Keanu a accepté, et nous avons recréé sous

la pluie la fameuse scène où son personnage

dit : That’s what I do, that’s my job.

C’était un moment unique. Non seulement

parce que je rejouais une scène emblématique

avec l’acteur qui l’a rendue célèbre,

mais aussi parce que cela s’est passé de

manière spontanée et sincère. À la fin, toute

l’équipe technique nous a applaudis. Ce fut

EN TANT QUE GRAND FAN DE L’ASSOCIÉ

DU DIABLE, JE NE POUVAIS PAS RÉSISTER

À L’ENVIE DE LUI DEMANDER DE REJOUER

AVEC MOI UNE DES SCÈNES CULTES DU

FILM. SANS HÉSITATION, KEANU A

ACCEPTÉ

un moment de pure magie pour moi, et une

expérience qui m’a beaucoup marqué.

Vous avez aussi travaillé avec Harrison

Ford. Qu’est-ce qui vous a marqué dans

cette collaboration ?

Harrison Ford est un acteur exceptionnel,

mais aussi un homme avec un sens de l’humour

très noir et surtout un grand professionnel.

Sur le tournage, malgré son âge, il

donnait tout dans ses cascades. Je me souviens

d’une scène à Fès où il a trébuché en

courant, mais il s’est relevé immédiatement

et a demandé à reprendre la scène. C’est

un passionné de cinéma, et j’ai beaucoup

appris de son éthique de travail.

Parmi les acteurs qui vous inspirent, vous

citez souvent Mads Mikkelsen. Qu’est-ce

qui vous impressionne dans son jeu d’acteur,

et comment son style vous influencet-il

dans votre propre travail ?

Sur le tournage, j’ai eu des discussions fascinantes

avec certains acteurs, et l’une des

choses qui m’a vraiment frappée, c’est leur

passion pour le cinéma, leur connaissance

approfondie du métier. Avec Mads Mikkelsen,

on discutait de ses films et de son incroyable

capacité à incarner des personnages à la

fois complexes et profondément humains.

Mikkelsen, c’est l’exemple parfait d’un acteur

qui réussit à transcender le rôle pour y apporter

quelque chose de personnel. Nous avons

14 Maroc / Novembre 2024



LA RENCONTRE

décortiqué des films comme Pusher de Nicolas

Winding Refn, une trilogie dans laquelle

Mads Mikkelsen a joué un rôle clé. On s’est

particulièrement attardé sur les deux premiers

volets, et on a échangé sur la manière

dont il a su évoluer en tant qu’acteur au fil

des années. Ce qui m’impressionne chez

Mads, c’est son aptitude à allier une certaine

froideur extérieure à une profondeur émotionnelle

intense. C’est ce genre d’acteurs

que je respecte énormément, ceux qui

apportent de la vie à leurs personnages,

même dans les moments de silence.

C’est d’ailleurs un point commun avec des

légendes comme Marlon Brando. Pour moi,

Brando est une référence incontournable.

Il y a clairement un avant et un après Brando

dans le jeu d’acteur. C’est lui qui a, selon

moi, révolutionné le métier en apportant une

vérité et une authenticité jamais vues à

l’écran auparavant. Mads Mikkelsen, dans

son approche minimaliste et brute, me fait

parfois penser à Brando. Tous deux ont cette

capacité de capturer l’essence d’un personnage

sans artifices.

Vous avez travaillé avec quelques réalisateurs

marocains sur des premiers films

surtout. Est-ce que vous privilégiez les

productions internationales ?

Je ne dirais pas que je préfère les productions

internationales, mais il est vrai qu’elles

me permettent d’explorer des rôles plus variés

et des projets de plus grande envergure. Au

Maroc, j’ai fait quelques projets, comme Casa

Street, mais souvent, les scénarios ne sont

pas à la hauteur. Cela dit, je suis toujours

ouvert aux projets marocains de qualité.

Comment percevez-vous l’évolution des

acteurs marocains dans les productions

internationales ?

Il est certain que la situation a évolué. Il y a

dix ou quinze ans, les acteurs marocains dans

les productions internationales étaient souvent

relégués à des rôles mineurs ou de figurants.

Aujourd’hui, nous avons la chance de

décrocher des rôles plus importants. Ce n’est

pas encore parfait, mais les opportunités sont

plus nombreuses, et j’espère que cela ouvrira

la voie à d’autres acteurs marocains.

Vous avez une grande passion pour le

cinéma. D’où vous vient cet amour pour

ce métier ?

Mon amour pour le cinéma remonte à mon

enfance. Mon père était un grand fan d’Apocalypse

Now, et je me souviens avoir volé la

cassette pour la regarder en cachette. Ce film

m’a marqué à vie et m’a donné envie de devenir

acteur. C’est Brando qui m’a inspiré, avec

sa manière d’apporter de la vie à ses rôles,

même dans le silence. Depuis ce moment-là,

je savais que je voulais faire du cinéma.

Quel est votre rapport avec les réalisateurs

et comment vous adaptez-vous à leurs différentes

méthodes sur le plateau ?

Mon rapport avec les réalisateurs dépend

vraiment de leur manière de travailler. Certains

réalisateurs sont très directs et savent

exactement ce qu’ils veulent, ce qui facilite

les choses, surtout si on est sur la même

longueur d’onde. D’autres, au contraire,

donnent beaucoup de liberté et laissent les

acteurs explorer le personnage par euxmêmes.

Avec le temps, j’ai appris à m’adapter

aux différentes méthodes.

Quand je travaille avec un réalisateur comme

Talal Selhami, par exemple, qui est un véritable

passionné, c’est une expérience très

enrichissante. Talal sait où il va et il s’investit

beaucoup dans la direction d’acteurs. Il

prend le temps de discuter de chaque scène,

de chaque réplique, et ça donne une véritable

dynamique sur le plateau. Il a aussi

cette capacité à chercher très loin dans l’écriture

et la mise en scène. Travailler avec

quelqu’un comme lui, c’est vraiment une

aventure créative. On sent qu’il aime profondément

le cinéma, et cette passion se

transmet à toute l’équipe.

Aissam Bouali, maître du jeu subtil

Mais j’ai aussi eu des expériences avec des

réalisateurs qui ne dirigent pas du tout. Dans

ces cas-là, il faut savoir se débrouiller. Au

16 Maroc / Novembre 2024


début, ça me déstabilisait un peu, surtout

quand il n’y a aucune indication sur le personnage.

Mais j’ai compris que si un réalisateur

te choisit pour un rôle, c’est qu’il te

fait confiance. C’est à toi, en tant qu’acteur,

de proposer quelque chose. Et même si tu

te sens un peu seul au départ, il faut

apprendre à s’appuyer sur cette liberté pour

créer un personnage à partir de ton instinct.

Il y a aussi des réalisateurs qui dirigent un

peu trop, qui veulent tout contrôler. Là

encore, il faut s’adapter. J’ai appris à ne plus

m’attendre à un type de direction en particulier

et à être flexible. Au final, le plus important,

c’est que le réalisateur sente que l’interprétation

fonctionne. Si quelque chose

ne va pas, il va le voir et ajuster. Au fil des

années, j’ai développé cette intelligence de

plateau, ce qui me permet de mieux gérer

ces situations.

Vous travaillez régulièrement avec le réalisateur

Ali Mejdoub, et il semble y avoir

une complicité professionnelle forte entre

vous deux. Comment décririez-vous votre

relation avec lui, et comment cette collaboration

influence-t-elle votre travail sur

les plateaux ?

Ali Mejdoub, c’est plus qu’un simple collaborateur,

c’est vraiment un frère pour moi. Nous

avons commencé à travailler ensemble il y a

plusieurs années et, depuis, nous avons noué

une relation de confiance qui va au-delà des

tournages. Ce qui est formidable avec Ali, c’est

qu’il sait exactement comment tirer le meilleur

de moi en tant qu’acteur. Il connaît mes forces,

mes faiblesses, et il sait jusqu’où il peut me

pousser pour obtenir une performance authentique

et intense. C’est quelqu’un qui me fait

confiance, mais aussi quelqu’un qui n’hésite

pas à me challenger constamment.

Dans notre collaboration, il y a cette dynamique

particulière où l’on se connaît tellement

bien que parfois, il suffit d’un regard pour comprendre

ce qu’il veut. Mais en même temps,

cette proximité fait que nous sommes très exigeants

l’un envers l’autre. Ali n’a pas peur de

Celui qui puise dans l’intimité des émotions

me dire franchement si quelque chose ne

fonctionne pas, et je fais de même avec lui.

C’est ce niveau d’honnêteté qui nous permet

de créer des projets sincères et puissants.

Sur certains projets, comme La Vague

Blanche, Ali m’a littéralement pris sous son

aile. Il m’a offert des rôles qui m’ont permis

d’explorer des facettes de moi que je n’avais

jamais eu l’occasion de montrer à l’écran.

D’ailleurs, ce qui est génial avec lui, c’est

qu’il ne me propose pas un rôle simplement

parce que je suis son ami ou son acteur

fétiche. Non, il choisit toujours le rôle en

fonction de ce qu’il pense être le meilleur

pour le projet. Parfois, il me dit même : Ce

rôle-là, je ne te vois pas dedans, et c’est

quelque chose que je respecte énormément

chez lui. Il sait faire la part des choses entre

notre amitié et notre collaboration professionnelle,

ce qui est essentiel pour continuer

à évoluer artistiquement ensemble.

À CHAQUE NOUVEAU TOURNAGE, JE

DÉCOUVRE DES MÉTHODES DE TRAVAIL

DIFFÉRENTES. C’EST COMME UN LABORATOIRE

OÙ ON EXPÉRIMENTE AVEC CHAQUE ACTRICE,

ACTEUR ET CHAQUE RÉALISATEUR

Ali et moi, on a aussi fondé notre société de

production, Bang Bang Films, ce qui a encore

renforcé notre collaboration. On produit

ensemble, on développe des projets ensemble,

et je crois vraiment que cette complémentarité

est ce qui rend notre travail si fluide et si

créatif. Au final, travailler avec Ali, c’est comme

travailler avec un frère. On se pousse, on se

challenge, mais on se soutient toujours dans

un esprit de confiance et de respect mutuel.

Novembre 2024 / Maroc

17


LA RENCONTRE

Acteur aux multiples visages

Comment décririez-vous votre manière de

collaborer avec les autres acteurs sur le

plateau ? Avez-vous déjà rencontré des

difficultés ou des moments marquants

avec certains partenaires de jeu ?

Travailler avec d’autres acteurs, c’est vraiment

quelque chose d’unique à chaque fois.

Chaque partenaire de jeu apporte sa propre

énergie et cela influence directement ma

manière de jouer. Ce qui est fascinant, c’est

que parfois, tu peux avoir un partenaire qui

te donne tellement d’énergie que tout

devient fluide, comme une danse. On se

comprend instinctivement, il n’y a même pas

besoin de trop parler. Mais parfois, ce n’est

pas aussi simple. Tu peux tomber sur

quelqu’un qui est un peu en compétition

avec toi, ou pire, qui ne te donne rien en

retour dans la scène. Ça, c’est toujours un

challenge. Mais avec le temps, j’ai appris à

ne plus me laisser déstabiliser.

Quand j’étais plus jeune, ce genre de situation

me frustrait. Aujourd’hui, je prends du

recul. Je me dis que mon travail, c’est de

donner le meilleur de moi-même, peu

importe ce que je reçois en retour. Si l’autre

acteur ne me renvoie pas ce que j’attends,

ce n’est pas grave. Je me fie au réalisateur

pour sentir si la scène fonctionne. Et si le

réalisateur est content, alors je le suis aussi.

Au fond, chaque séquence est une collaboration,

mais il faut aussi savoir se débrouiller

seul quand il le faut.

En fin de compte, ce que j’apprécie le plus,

c’est ce processus d’apprentissage constant.

À chaque nouveau tournage, je découvre des

méthodes de travail différentes. C’est comme

un laboratoire où l’on expérimente avec

chaque acteur. Ça me permet de grandir en

tant qu’acteur, de m’adapter, et de toujours

chercher à m’améliorer.

Vous avez souvent évoqué votre admiration

pour le cinéma français et votre envie

d’y jouer davantage. Comment percevez-vous

l’évolution de cette industrie et

quel est votre rapport actuel avec le cinéma

hexagonal ?

J’ai toujours été un grand passionné de

cinéma français. C’est un cinéma qui a une

richesse et une diversité incroyable, tant au

niveau des réalisateurs que des acteurs. Des

figures comme Vincent Cassel ou Jacques

Audiard, ou encore des réalisateurs comme

Gaspard Noé, me parlent énormément. Ce

sont des artistes avec qui j’adorerais travailler,

et je trouve que le cinéma français a toujours

cette capacité à explorer des zones

d’ombre, des thèmes complexes, tout en

conservant une approche très humaine. C’est

ce qui fait toute la différence pour moi.

J’ai eu la chance de suivre l’évolution du

cinéma français ces dernières années, et il est

clair que les mentalités ont beaucoup changé.

Ce qui me réjouit, c’est de voir des acteurs

comme Omar Sy ou Tahar Rahim s’exporter à

l’international. C’est inspirant de voir des talents

français briller partout dans le monde, et ça

me donne de l’espoir pour le futur. Cela prouve

que, même en étant un acteur issu d’une autre

culture, comme moi en tant que Marocain, on

peut trouver sa place dans le cinéma français

et international.

Pour ce qui est de mon propre parcours, j’ai

fait quelques castings pour des productions

françaises, mais malheureusement, ça n’a

pas toujours marché. J’ai parfois été trop

jeune pour certains rôles ou simplement pas

ce que le réalisateur recherchait à ce

moment-là. Mais je ne perds pas espoir, car

le cinéma est un domaine où il faut être

patient. J’ai aussi compris que pour décrocher

plus de rôles dans des productions françaises,

il me faut un agent bien implanté en

France ou à l’étranger.

Je pense aussi que la situation pour les acteurs

marocains et nord-africains s’améliore. Il y a

dix ou quinze ans, nos rôles dans les films

étrangers se résumaient souvent à des silhouettes

ou des personnages secondaires.

Aujourd’hui, les choses évoluent, et les acteurs

marocains commencent à occuper des rôles

plus importants dans des productions internationales.

Cela me motive, et j’espère vraiment

pouvoir contribuer à cette évolution en

décrochant des rôles significatifs dans des

films français. Pour moi, c’est l’un des objectifs

majeurs de l’année à venir.●

18 Maroc / Novembre 2024



LA COUV’

20 Maroc / Novembre 2024


ADIL EL FADILI

L'ENFANT DE LA

BALLE DU CINÉMA

MAROCAIN

PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : CHRISTIAN MAMOUN - BOXOFFICE MAROC

Novembre 2024 / Maroc

21


LA COUV’

ALCHIMISTE

DE L'IMAGE

JOLI MÔME !

Sous les regards à la fois curieux et

bienveillants de ses habitants, dans

le quartier mythique de Mers Sultan

à Casablanca, Adil El Fadili se réapproprie

les rues de son enfance pour un shooting

chargé de souvenirs et d'émotions. Là où

autrefois résonnaient les rires insouciants

de l’enfance, se dessine aujourd'hui une

vision artistique raffinée, façonnée par les

années, mais jamais déconnectée de ses

racines. Mers Sultan, avec son architecture

Art déco et ses ruelles familières, devient

sous l'objectif un décor vivant, une extension

naturelle de l'univers cinématographique

d'Adil El Fadili.

Le quartier qui l’a vu grandir semble accueillir

de nouveau cet enfant de la balle, devenu

l’un des visages les plus respectés du cinéma

marocain. Ce « joli môme » n’a rien perdu de

l’énergie créative qui l’anime depuis ses premiers

pas derrière la caméra. Entouré de son

équipe, il se glisse avec une aisance naturelle

dans ce rôle qui lui va comme un gant

: celui d'un artiste qui puise dans la nostalgie

d’un passé qu’il n’a pas connu, les odeurs

et les couleurs de son passé pour les transposer

à l'écran avec une rare sensibilité.

Une sensibilité qui n’était pas passée inaperçue

lors de la dernière édition du Festival National

de Tanger puisqu’il a raflé six prix avec son

premier long métrage Mon père n’est pas mort.

Ce film, véritable ode à la mémoire et à l'identité,

a captivé par sa force visuelle et son émotion

à fleur de peau, plaçant Adil El Fadili au

cœur de l’attention du cinéma national.

Pendant que son film fait la tournée des compétitions

internationales, Adil se prête au jeu

d'un shooting à l’image de son cinéma : intime,

pudique, et par moments, délicieusement drôle.

Le décor, comme toujours, est un savant

mélange de simplicité et de sophistication, à

l’image de Mers Sultan lui-même, ce quartier

qui respire l'histoire tout en étant ancré dans

le présent. Entre les murs patinés par le temps

et les petites échoppes du quartier, le réalisateur

alchimiste tisse des liens invisibles entre

ses souvenirs d’enfant et ses ambitions futures

de cinéaste. Il livre une interview où il se dévoile

comme rarement, explorant les méandres de

son parcours, ses inspirations, sa famille d’artistes

et la manière dont le quartier qui l'a vu

grandir, continue de nourrir son imaginaire cinématographique.

Entre ombre et lumière, entre

intimité et grandeur, entre poésie et politique.●

22 Maroc / Novembre 2024


Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir Mon père

n’est pas mort avec un plan séquence? Quelle

signification narrative ou émotionnelle vouliez

vous transmettre dès le début du film ?

Commencer le film par un plan séquence servait

de prologue, permettant à la caméra de

présenter les personnages et d'immerger le

spectateur dans l'univers que je propose. Je

n'ai jamais envisagé cela comme un exploit

technique, mais plutôt comme un moyen d'introduire

l'histoire.

Comment prépare–t–on une scène pareille

avec les techniciens et les acteurs ?

Le plan séquence, d'une durée presque de 10

minutes, a exigé deux jours de préparation et

une journée entière de tournage. Cette complexité

était due à la nécessité de coordonner

300 figurants, tout en gérant les déplacements

d'une dizaine d'acteurs, dont le petit garçon

Malik, qui nous guide à travers ce décor de foire

en présentant les différents personnages. Pour

chaque sous-décor, il était crucial d'installer les

artistes avec leurs numéros respectifs, ainsi que

les spectateurs. Ce plan séquence a également

requis l'utilisation de trois grues et d'un Ronin,

un stabilisateur de caméra, pour garantir une

fluidité dans les mouvements.

D’où vient cette histoire ?

L'histoire du Maroc pendant le protectorat et

après l'indépendance m'a toujours fasciné. De

nombreux cinéastes marocains ont exploré les

années de plomb, et j'ai souhaité, moi aussi,

aborder cette période sombre de notre histoire,

mais d'une manière colorée, poétique et onirique.

Le regard innocent du petit garçon me

permet de transmettre une naïveté essentielle

pour raconter cette histoire. Mon intention est

de montrer à la nouvelle génération comment

le Maroc a su surmonter ces années difficiles

pour bâtir un avenir meilleur. En revisitant cette

période douloureuse, je vise à réconcilier le

peuple marocain avec son passé. Dans ce

contexte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a

créé l'Instance Équité et Réconciliation, un

organe de justice transitionnelle, pour aider à

guérir les blessures des années de plomb.

Adil El Fadili : à la poursuite du réel perdu

Quels étaient les plus grands défis liés à la

construction des décors pour ce film ?

La principale difficulté à laquelle nous avons

été confrontés était d'ordre financier. Une part

importante du budget a été consacrée à la

création des décors, car 90 % du film a été

tourné en studio. Avant le tournage, nous avons

réalisé de nombreux croquis et construit des

maquettes pour rester fidèles à l'univers du

film que nous souhaitions créer. Cette approche

minutieuse était essentielle pour capturer l'at-

Novembre 2024 / Maroc

23


LA COUV’

mosphère que nous imaginions. Depuis longtemps,

je suis fasciné par les films tournés en

studio, comme Les Enfants du Paradis de Marcel

Carné ou Oliver Twist de David Lean. Ces

œuvres m'ont toujours impressionné par leur

capacité à créer des mondes entiers à l'intérieur

des limites d'un plateau, et c'est cette

magie que je voulais reproduire dans mon

propre projet. Bien que les contraintes financières

aient été un défi, avec la collaboration

de feu Aziz El Fadili elles nous ont également

poussés à faire preuve de créativité et à exploiter

au maximum les ressources dont nous disposions

pour donner vie à ma vision.

Le personnage principal est un petit garçon.

Comment dirige–t–on un enfant ? Pourquoi

avoir choisi d’en faire un enfant dans le

mutisme ?

Je suis un enfant qui se prend au sérieux,

conscient des responsabilités qui m'incombent.

L'enfant en moi me permet de mieux communiquer

avec les enfants acteurs. Il est essentiel

de les impliquer dans l'aventure du film en leur

faisant comprendre que c'est un jeu, même si,

au lieu de jouer avec des jouets, ils seront en

train de vivre de vraies expériences.

Tout au long de ma carrière, l'enfant a toujours

eu une place importante dans mes histoires.

Pour le film Mon père n'est pas mort, je savais

que je ne pourrais pas réaliser ce projet sans

trouver le bon enfant. Je me préparais à auditionner

des centaines d'enfants, mais j'ai eu la

chance de rencontrer Adam Raghal. Dès notre

première rencontre, j'ai su que c'était lui.

Dans l'histoire, je voulais que le petit Malik soit

le témoin de l'action, et à travers ses yeux d'enfant

innocent, il raconterait une histoire d'adultes.

Plusieurs personnages existent autour de

Malik. Comment écrire plusieurs personnages

complexes et les faire exister ? Vous inspirez-vous

de personnes réelles ou sont-ils

purement issus de votre imagination ?

La structure du scénario repose sur trois éléments

principaux. D'une part, nous avons les

faits historiques et leurs protagonistes. D'autre

part, il y a les personnages de fiction, notamment

les forains et d'autres figures colorées.

Enfin, des personnages émergent de l'univers

pittoresque des tableaux, tous ces éléments

étant narrés à travers le regard d'un enfant.

Ce processus a été un véritable casse-tête,

car chaque personnage est tellement attachant

que je n'arrivais pas à imaginer comment

les réduire ou les écarter de l'histoire.

Leur richesse et leur profondeur méritent d'être

explorées pleinement, ce qui rendait la tâche

encore plus complexe. En fin de compte, l'objectif

est de créer une mosaïque vivante où

Conteur d'histoires Al Dente

chaque personnage apporte sa propre couleur

à l'ensemble, tout en étant vu à travers

l'innocence et la curiosité de l'enfance.

Vous êtes à la fois réalisateur, producteur et

scénariste et sur plusieurs postes au générique.

Est-ce selon vous une nécessité dans

le contexte marocain de cumuler ces rôles,

ou est-ce un choix délibéré pour garder une

maîtrise totale sur vos projets ?

Je me compare souvent à un cuisinier : il est

essentiel pour moi de toucher à tous les aspects

de mon art pour concocter un plat réussi. Depuis

mes débuts, j’ai toujours été derrière la caméra,

gérant la lumière et le montage. Je ne peux pas

me limiter à un seul rôle, non pas par souci

d’économie, mais parce que je crois fermement

que l'on n'est jamais mieux servi que par soimême.Le

processus de création me plonge

dans une dynamique similaire à celle d’un laboratoire,

où chaque élément doit être soigneusement

mélangé et ajusté. C’est dans cette

exploration active que je trouve mon véritable

épanouissement. J’aime expérimenter, ajuster

et peaufiner chaque détail, car c’est ainsi que

naît une œuvre authentique et riche.

Le film a pris des années à se concrétiser.

Quelles ont été les principales difficultés que

vous avez rencontrées et comment avez-vous

maintenu votre motivation pendant cette

longue période ?

Malgré toutes les difficultés rencontrées lors de

la réalisation de ce film, ma motivation est restée

intacte. Je suis une personne très passionnée

et je ne baisse jamais les bras. Le tournage

a duré huit semaines, réparties en trois blocs.

À chaque étape, je devais faire une pause pour

rechercher des financements afin de poursuivre

le projet. J'ai même pris la décision difficile d'hypothéquer

ma maison pour garantir la finalisation

du film. Heureusement, grâce à la coproduction

avec la SNRT, au fonds d'aide du CCM,

ainsi qu’au soutien de personnes comme Sarim

Fassi-Fihri, Fouad Challa, Julien Fouré et

Abdel-Rahim Harbal et ma famile, sans oublier

Rizki de Image Factory, j'ai pu mener ce projet

à terme. Je leur en suis profondément reconnaissant

pour leur aide précieuse, qui a été

essentielle à la réalisation de cette œuvre.

Est-ce un choix de ne pas opter pour le système

de coproduction étrangères pour financer

votre film ?

Après le succès de mon court-métrage Courte

Vie, j'ai été approché par plusieurs productions

étrangères intéressées par une coproduction.

Cependant, cela impliquait de modifier de nombreux

éléments de mon histoire pour plaire au

public occidental. Je me suis rapidement rendu

compte que ma vision du Maroc, authentique et

personnelle, ne les intéressait pas réellement.Je

ne voulais pas compromettre l’essence de mon

récit en intégrant des éléments folkloriques simplement

pour séduire. Par exemple, l'idée de remplacer

les chikhate par des danseuses du ventre

ne correspondait pas à ma vision. Pour moi, il

était essentiel de rester fidèle à ma culture et à

mes racines, même si cela signifiait refuser certaines

opportunités. Je crois fermement que la

véritable richesse d'une histoire réside dans son

authenticité, et je suis déterminé à la préserver.

24 Maroc / Novembre 2024


JE ME COMPARE SOUVENT À UN

CUISINIER : IL EST ESSENTIEL POUR MOI

DE TOUCHER À TOUS LES ASPECTS DE MON

ART POUR CONCOCTER UN PLAT RÉUSSI

UNIVERS

Vous êtes un réalisateur à l’univers singulier

dans le paysage cinématographique marocain.

Comment cet univers a-t-il évolué entre

Courte vie et Mon père n’est pas mort ? Avezvous

conscience de cette évolution au fil de

votre parcours ?

Je ne suis pas vraiment conscient d’avoir suivi

un chemin délibéré ; tout s'est fait naturellement.

Mon parcours a commencé dans le monde

de la marionnette, un univers résolument enfantin.

J'ai grandi dans l'atelier du Théâtre Municipal

de Casablanca, où mon père montait ses

spectacles. Cette expérience explique sans

doute mon penchant pour toucher à tout.

J'ai ensuite eu l'occasion de monter plusieurs

pièces de théâtre, dont Le Petit Prince d'Antoine

de Saint-Exupéry. Après mes études de cinéma,

j'ai également exploré l'humour à la télévision

avec des projets avec Hanane El Fadili. Toutes

ces expériences ont contribué à façonner un

univers coloré et poétique, que l'on retrouve

chez de nombreux réalisateurs étrangers partageant

un parcours similaire. Ils sont eux aussi

issus de l'univers du spectacle pour enfants, ce

qui enrichit notre vision artistique et notre

approche narrative.

Dès votre premier court-métrage, aviez-vous

une idée claire du réalisateur que vous vouliez

devenir ou cet univers s'est-il formé progressivement

au gré de vos expériences et

influences ?

Bien que j’aie débuté ma carrière à la télévision,

j'avais la conviction que le cinéma serait

un espace plus personnel où je pourrais vraiment

m'exprimer. Le septième art me permet

de créer un univers qui me ressemble et de

reconstituer des vies, mais d'une manière artificielle,

presque comme une illusion. Cela me

donne l'occasion de réaliser un voyage réaliste,

où chaque élément est soigneusement choisi

pour évoquer des émotions et des réflexions

profondes.Le cinéma offre une liberté créative

que je ne trouve pas toujours à la télévision.

C'est un médium qui me permet d'explorer des

thèmes plus intimes et de construire des récits

qui parlent à l'âme, tout en jouant avec la frontière

entre la réalité et la fiction. Mon objectif

est de transporter le public dans un monde qui,

bien que façonné par ma vision, résonne profondément

avec leurs propres expériences.

Comment avez-vous vécu la transition entre

le court-métrage et le long-métrage ? Y a-t-il

De la rue à l'écran : un cinéma sans filtre

des libertés ou des contraintes spécifiques

qui vous ont marqué dans ce processus ?

La transition entre le court-métrage et le

long-métrage représente pour moi une continuité

naturelle. J'ai toujours cherché à rester

fidèle à moi-même et à mon univers artistique.

Chaque projet, qu'il soit court ou long, est une

extension de ma vision créative.Dans mon

court-métrage, j'ai pu explorer des thèmes et

des émotions qui me tiennent à cœur, et je poursuis

cette exploration dans mon longs-métrages.

C'est comme une conversation qui se prolonge,

où chaque nouvelle œuvre enrichit et approfondit

l'univers que j'ai construit. Cette fidélité

à mon style et à mes valeurs me permet de

créer des histoires authentiques et cohérentes,

tout en continuant à captiver le public avec des

récits qui me ressemblent véritablement.

Quel est votre processus d'écriture ? Écrivez-vous

seul ou travaillez-vous avec des

collaborateurs à ce stade ? Est-ce une étape

de plaisir ou plutôt de doute ?

L'étape de l'écriture est un subtil mélange de

plaisir et de doute. C'est un processus à la fois

exaltant et parfois éprouvant, où chaque mot

compte. J'aime collaborer avec d'autres personnes,

car cela enrichit le récit et apporte de

nouvelles perspectives. Cependant, tout en

restant ouvert aux idées des autres, je garde

toujours en tête la direction que je souhaite

donner à mes personnages.Cette interaction

créative me permet de tester différentes

approches et d'affiner l'essence de mes protagonistes.

Je crois fermement que chaque

collaboration peut apporter une dimension

supplémentaire à l'histoire, tout en respectant

ma vision initiale. Ainsi, l'écriture devient un

voyage partagé.

Sur un plateau de tournage, quel genre de

réalisateur êtes-vous ? Préférez-vous laisser

place à l’improvisation ou aimez-vous tout

maîtriser en amont ?

Cela dit, la magie du plateau peut parfois intervenir

de manière inattendue. Des éléments

peuvent surgir de nulle part et apporter une

dimension magique à la narration. Une réaction

spontanée d'un acteur, un jeu de lumière

surprenant ou une atmosphère particulière

peuvent transformer une scène ordinaire en

un moment d'une intensité émotionnelle

incroyable. C'est dans ces instants imprévus

que le film prend véritablement vie, ajoutant

des couches de profondeur à mon récit et permettant

à l'histoire de s'épanouir de manière

inattendue.Cette interaction créative me permet

de tester différentes approches et d'affiner

l'essence de mes protagonistes. Je crois

fermement que chaque collaboration peut

Novembre 2024 / Maroc

25


LA COUV’

apporter une dimension supplémentaire à l'histoire,

tout en respectant ma vision initiale. Ainsi,

l'écriture devient un voyage partagé.

HIER ET AUJOURD’HUI

Comment votre passion pour le cinéma a-telle

vu le jour ? Était-ce une vocation précoce

ou une révélation plus tardive ?

Je suis né dans le quartier de Mers Sultan, un

lieu où, à l'époque, une dizaine de salles de

cinéma se trouvaient à proximité les unes des

autres. Dès mon enfance, un véritable rituel

s'était instauré avec mes frères : chaque mercredi,

nous allions voir un film. Mon père, lui, alimentait

notre passion en projetant des films sur

un drap blanc, utilisant un projecteur Super 8.

J'assistais parfois aux plateaux de tournage, et

ce monde m'a toujours profondément fasciné.

Puis est arrivée l'ère du VHS, et là, ma consommation

de films est devenue encore plus intense

: je pouvais regarder entre deux et quatre films

par jour. Dès lors, il m'était inconcevable de faire

autre chose que de raconter des histoires, mais

cette fois-ci, derrière une caméra.

Quels sont vos premiers souvenirs marquants

de cinéma ? Est-ce un film en particulier ou

une expérience qui vous a marqué ?

Les deux premiers films qui m'ont marqué à

jamais sont Peau d'Âne de Jacques Demy et

L'Enfant sauvage de François Truffaut. Ces

œuvres ont laissé une empreinte indélébile sur

mon imaginaire. Mon goût en matière de cinéma

est très éclectique, allant des maîtres du cinéma

comme Friedrich Murnau, Orson Welles, Fritz

Lang, Jean Renoir, Marcel Carné et John Ford.

Je peux tout autant apprécier l'humour décalé

des Monty Python ou de Pierre Richard, sans

oublier bien sûr les géants du burlesque que

sont Charlie Chaplin et Buster Keaton. Cela dit,

j'ai un penchant particulier pour le cinéma

expressionniste allemand et le réalisme poétique

français, deux mouvements cinématographiques

qui captivent par leur esthétique unique

et leur profondeur. Ce sont ces films, en mêlant

poésie, humanité et innovation, qui ont éveillé

en moi l'envie irrépressible de raconter la vie à

travers l'objectif d'une caméra. Ils m'ont fait comprendre

que le cinéma est un puissant moyen

de saisir et de partager les émotions, les luttes

et les beautés de l'existence.

Quels réalisateurs, acteurs, ou films ont façonné

votre regard sur le cinéma et ont influencé

votre démarche en tant que cinéaste ?

Pour les réalisateurs marocains, deux ont été

très importants dans ma façon de voir le cinema.

Il s’agit de Mustapha Derkaoui et Ahmed

Bouanani. Des films importants et une liberté

de dire et de faire qui m’a marqué.

« Courte vie », longue gloire

Quand vous regardez vos premiers travaux,

que ressentez-vous ? Avez-vous un regard

nostalgique ou critique sur ces débuts ?

Je prends énormément de plaisir dans le processus

de création de mes films. C'est une expérience

intense, presque immersive, où chaque

étape, de l'écriture au tournage, puis au montage,

me passionne profondément. Cependant,

une fois le film terminé, je n'aime pas le revoir.

Mon regard devient alors extrêmement critique,

et chaque visionnage me révèle une multitude

de défauts que je n'avais pas forcément perçus

durant la production. Ces imperfections, parfois

minimes, finissent par occulter pour moi le travail

accompli. C'est pour cette raison que je préfère

éviter de revoir mes films, afin de préserver

le plaisir créatif sans tomber dans

l'autocritique constante.

Comment vos expériences personnelles

ont-elles influencé vos premiers films ? Y

a-t-il des moments clés de votre vie que

l’on retrouve de manière symbolique dans

vos œuvres ?

Je crois fermement que le sens de l'observation

est crucial pour un cinéaste. Je m'intéresse

profondément à ce qui se passe dans

le monde et à tout ce qui nous entoure. La

nature humaine demeure pour moi une

énigme fascinante, une source d'inspiration

inépuisable.

Dans mes travaux, je préfère poser des questions

plutôt que de donner des réponses définitives.

Cela ouvre la voie à des débats enrichissants

et invite le public à réfléchir. En

mettant en lumière les complexités et les

contradictions de notre existence, je cherche

à engager les spectateurs dans une exploration

active des thèmes abordés. Ainsi, mes

films deviennent des espaces de réflexion

où chacun peut s'interroger sur sa propre

perception de la réalité.

En tant que réalisateur marocain travaillant

dans un paysage en pleine évolution, comment

percevez-vous l’avenir du cinéma

marocain ? Quelles sont les forces et les

faiblesses de l’industrie aujourd’hui ?

Tout d'abord, nous avons la chance de vivre

dans un pays qui dispose d'un fonds d'aide

géré par le Centre Cinématographique Marocain.

Je ne peux pas imaginer comment le

cinéma marocain pourrait exister sans ce soutien,

notamment sous la forme d'avances sur

recettes. De nombreux pays n'ont pas cette

opportunité, ce qui rend notre situation particulièrement

privilégiée.Cette aide financière

est essentielle pour permettre aux cinéastes

de développer leurs projets et de donner vie

à leurs visions. Elle offre un véritable tremplin

pour la créativité, en facilitant l'accès aux ressources

nécessaires pour réaliser des films.

Grâce à ce soutien, le cinéma marocain peut

continuer à évoluer, à s'affirmer sur la scène

internationale et à raconter des histoires qui

résonnent avec notre culture et nos réalités.

Comment trouvez-vous l’équilibre entre la

création artistique et les réalités économiques

du cinéma au Maroc ?

Je pense qu'il existe des films qui nécessitent

davantage de moyens que d'autres.

Par exemple, un film tourné en studio, avec

des reconstitutions de décors élaborés et

des univers riches, demande un budget plus

conséquent qu'un film intimiste réalisé dans

un simple appartement.Les productions plus

ambitieuses nécessitent non seulement des

décors complexes, mais aussi des équipes

techniques plus importantes, des effets spéciaux,

et souvent des éléments de production

coûteux. En revanche, un film intimiste

peut se concentrer sur la profondeur des

personnages et des dialogues, ce qui permet

de créer une atmosphère poignante

sans nécessiter autant de ressources. Ainsi,

chaque projet a ses propres exigences et

défis, et le budget alloué doit être adapté

en conséquence pour réaliser la vision artistique

du cineaste.●

26 Maroc / Novembre 2024



INTERVIEW

ABDELLATIF

CHAOUQI

DU JEU

DE CORPS

AU JEU DE

RÔLES

La danse a joué

un rôle essentiel

dans mon

développement

en tant qu’acteur

28 Maroc / Novembre 2024


Acteur, chorégraphe,

musicien et scénariste en

devenir, Abdellatif Chaouqi

est un artiste aux multiples

facettes. Depuis ses premiers

pas sur la scène théâtrale de

Béni Mellal jusqu’à ses rôles

dans des productions

internationales, en passant par

ses premiers rôles dans le

cinéma marocain, il n’a cessé

d’évoluer, cherchant toujours à

montrer le meilleur de luimême

et à développer ses

capacités artistiques.

Aujourd’hui, il nous parle de

son parcours, de ses projets en

cours et de son aspiration à

l’écriture scénaristique, une

nouvelle aventure créative

qu’il explore avec passion.

PAR SALMA HAMRI

Abdellatif Chaouqi, l’acteur aux talents multiples

Comment avez-vous pris conscience de

votre vocation de comédien ?

Quand j’étais petit, je n’avais jamais vraiment

envisagé de devenir artiste. J’étais un garçon

très réservé, quelqu’un de timide, qui n’était

pas du genre à se mettre en avant, à mettre

de l’ambiance ou à interagir beaucoup avec

les autres. Cependant, j’ai toujours eu une

sensibilité pour l’art. Je m’intéressais à ce qui

se passait autour de moi, j’observais beaucoup

les gens et les situations. Au collège, j’ai participé

à des pièces de théâtre, mais c’était

plutôt pour les fêtes de fin d’année, donc ce

n’était pas quelque chose que je prenais très

au sérieux. Mais je me souviens que j’aimais

être sur scène, même si je ne comprenais pas

vraiment ce que je ressentais à ce moment-là.

Le véritable déclic est venu quand j’avais 15

ans. Je regardais un film à la télévision intitulé

Bagarres au King Créole, un film américain

de Michael Curtiz sorti en 1958 dans lequel

jouait Elvis Presley. Je ne le connaissais pas

encore à l’époque, mais ce film a réveillé

quelque chose en moi. C’était une révélation.

J’ai été immédiatement fasciné par Elvis Presley,

non seulement par sa musique, mais aussi

par son charisme et sa présence à l’écran.

C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais

faire de la comédie, de la danse, et chanter

par la même occasion. Je me suis alors mis

à apprendre ses morceaux, à améliorer mon

anglais pour comprendre les paroles, et je

m’amusais à l’imiter.

Quels ont été vos premiers pas concrets dans

le monde artistique ?

Après ma découverte d’Elvis Presley, je me

suis plongé dans la danse et la musique. À

l’époque, à Béni Mellal, il n’y avait pas vraiment

de centres culturels ou d’infrastructures

pour les jeunes artistes. J’ai donc commencé

à m’exercer seul, dans ma chambre, en imitant

les mouvements de danse de Michael

Jackson et Elvis Presley. Je mélangeais plusieurs

styles comme le rock ‘n’ roll, le rap et

la salsa, sans vraiment de méthode, juste

avec passion. Avec quelques amis, nous

avons décidé de former une petite troupe

de danse et nous faisions des chorégraphies

inspirées de tous les styles de danse que

nous aimions. Notre petite troupe a attiré

l’attention d’un metteur en scène de l’université

de Béni Mellal, qui m’a proposé de

participer à une pièce de théâtre en tant que

chorégraphes. C’est là que j’ai commencé

à me faire un nom localement, et le metteur

en scène m’a ensuite proposé de jouer un

rôle dans son adaptation de La Cantatrice

chauve de Ionesco. C’était ma première

expérience théâtrale, et cela a été un tournant

pour moi. J’ai ensuite enchaîné avec

des pièces de Tchékhov et Shakespeare

avec le même metteur en scène. C’est vraiment

à partir de là que ma carrière d’acteur

et de danseur a pris forme.

Comment votre expérience dans la danse

et la musique a-t-elle influencé votre

carrière d’acteur ?

La danse a joué un rôle essentiel dans mon

développement en tant qu’acteur. En apprenant

à danser, j’ai pris conscience de l’importance

du corps dans l’expression artistique.

La danse m’a permis de mieux

comprendre comment utiliser mon corps

dans l’espace, comment occuper la scène,

et comment transmettre des émotions sans

nécessairement utiliser les mots. C’est un

outil extrêmement puissant pour un acteur.

De plus, la danse m’a apporté le sens du

rythme, ce qui est crucial pour jouer une

scène. Pour moi, chaque scène que je joue

est comme une partition musicale. Il y a des

moments où il faut accélérer, ralentir, marquer

des pauses, tout comme en musique. Cela

permet de donner de la profondeur et de la

variété à l’interprétation et d’éviter la monotonie.

La musique a aussi beaucoup influencé

ma carrière d’acteur dans le sens où j’ai

toujours été fasciné par les différentes langues,

notamment parce que je chantais en

anglais, en espagnol, et même en russe.

Cela m’a ouvert des portes à l’international,

car je pouvais communiquer facilement avec

Novembre 2024 / Maroc

29


INTERVIEW

Chaouqi a débuté sa carrière dans le cinéma avec des productions étrangères

TRAVAILLER POUR LA TÉLÉVISION

EST UN EXERCICE TRÈS DIFFÉRENT DU

CINÉMA. IL FAUT SAVOIR S’ADAPTER

AUX CONTRAINTES DE TEMPS,

APPRENDRE LES TEXTES RAPIDEMENT

ET ÊTRE CAPABLE D’IMPROVISER

italiennes, américaines et égyptiennes),

notamment des productions comme Queen

of the Desert réalisé par Werner Herzog avec

la sublime Nicole Kidman, et bien d’autres.

Certes, les rôles qu’on me propose dans les

productions étrangères ne sont pas grandioses

pour la plupart mais travailler sur ce

genre de projets exige une grande capacité

d’adaptation et cela reste toujours une expérience

extrêmement enrichissante, tant sur le

plan professionnel que personnel.

les équipes étrangères lors de tournages.

En somme, la danse et la musique ont enrichi

mon jeu d’acteur en me donnant une plus

grande liberté dans l’expression corporelle

et en m’aidant à mieux comprendre le rythme

nécessaire pour interpréter un rôle.

Quel a été le tournant dans votre carrière

cinématographique ?

Le véritable tournant dans ma carrière cinématographique

a été lorsque j’ai décroché

mon premier rôle principal dans Destins croisés

de Driss Chouika. C’était un moment important

pour moi, car ce rôle m’a permis de vraiment

me faire connaître dans le monde du cinéma

au Maroc. Mon interprétation dans ce film a

été récompensée par le prix d’interprétation

au Festival international du cinéma d’auteur

de Rabat. Ce prix a marqué un tournant décisif

dans ma carrière, car il m’a donné une visibilité

et une reconnaissance dans le milieu du

cinéma. Après cela, j’ai enchaîné avec d’autres

films comme Pégase de Mohamed Mouftakir,

Zéro de Noureddine Lakhmari et L’Anniversaire

de Latif Lahlou. C’est à cette période que j’ai

compris qu’il était important de continuer à me

former, surtout dans les langues et l’histoire,

car je tournais de plus en plus dans des films

historiques, notamment dans des productions

étrangères. Cela m’a conduit à retourner à

l’université pour obtenir une licence en anglais

et un master en études de genre en anglais

également, ce qui m’a permis d’améliorer ma

communication avec les équipes techniques

sur les plateaux de tournage internationaux.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours

avec les productions étrangères ?

Il est essentiel de rappeler que mes débuts

dans le cinéma se sont faits avec des productions

étrangères. Ma toute première expérience

a eu lieu lors du tournage d’une série

hollandaise à Casablanca, où j’interprétais un

inspecteur de police. Cette expérience a été

complètement différente de tout ce que j’avais

connu jusqu’alors. Elle m’a ouvert les yeux

sur l’univers du cinéma international, avec ses

propres codes et exigences, et m’a confirmé

que je voulais absolument poursuivre dans

cette direction. J’ai donc commencé à me

lancer dans les castings pour des films étrangers,

principalement à Ouarzazate et Agadir,

des lieux prisés par les productions internationales.

Cependant, il a fallu du temps avant

que les directeurs de casting me fassent

confiance. À l’époque, je n’avais pas encore

d’expérience dans le cinéma marocain, ce

qui compliquait ma percée. Mais une fois que

j’ai réussi à prouver mes compétences, les

opportunités ont commencé à se multiplier.

Depuis, j’ai eu la chance de jouer dans plusieurs

productions étrangères (britanniques,

Pour conclure, pouvez-vous nous parler de

vos projets actuels et de ceux à venir, tant à

la télévision qu’au cinéma ?

Actuellement, je suis en plein tournage d’une

série de 15 épisodes réalisée par Nada

Cherkaoui. Travailler pour la télévision est un

exercice très différent du cinéma. Il faut savoir

s’adapter aux contraintes de temps, apprendre

les textes rapidement et être capable d’improviser.

C’est une expérience plus intense, moins

relaxante qu’un téléfilm, mais c’est un excellent

exercice pour un acteur. Je pense qu’il est important

pour un comédien de pouvoir s’adapter à

ces différents formats. Quant à mes autres projets,

j’ai plusieurs films qui sortiront prochainement,

notamment Triple A de Jihane El Bahhar

(actuellement en salles de cinéma), Everybody

Loves Touda de Nabil Ayouch, 401.01 de Younes

Reggab, et Quiproquo de Hamid Basket. Côté

productions internationales, je viens de terminer

le tournage de la série britannique Atomic, réalisée

par Shariff Korver et de la série docu-fiction

américaine The Saints du réalisateur Martin

Scorsese. Par ailleurs, je viens tout juste de finir

le tournage d’un film italien intitulé A Broken

Family de Rocco Ricciardulli. Et pour finir, dans

les semaines à venir, je vais commencer à jouer

dans une nouvelle pièce de théâtre intitulée Al

Mountahir, mise en scène par Brahim El Hanaï

avec la troupe de Béni Mellal. Je suis très enthousiaste

à l’idée de voir tous ces projets aboutir.●

30 Maroc / Novembre 2024



ACTU-CINÉ

Le réalisateur Kamal Lazraq, brandissant son Grand Prix lors du festival national du film de Tanger,

sous le regard bienveillant de son beau casting et du directeur du CCM

UNE CLÔTURE AUDACIEUSE POUR

LE FESTIVAL NATIONAL

DU FILM DE TANGER

La 24 ème édition du Festival national

du film de Tanger s’est achevée ce

samedi 26 octobre avec un palmarès

qui reflète la diversité et la richesse du

cinéma marocain. Coulisses.

PAR JIHANE BOUGRINE

32 Maroc / Novembre 2024


CRÉDIT : MAPPHOTO

Après plusieurs jours de visionnages

au supplément d’être, de débats

au supplément d’âme, le festival

qui célèbre la production marocaine de l’année

s’est clos devant le regard bienveillant

des professionnels du cinéma marocain.

Une clôture riche en surprises puisque le

Grand Prix a été attribué à Les Meutes de

Kamal Lazrak, une première œuvre saisissante

et audacieuse. Le choix de récompenser

ce film témoigne du courage du jury présidé

par le réalisateur marocain Mohamed

Mouftakir, mettant en avant une vision cinématographique

audacieuse, prête à explorer

des récits bruts et complexes. Parmi les

autres récompenses majeures, le Prix du

jury a été décerné à Déserts de Faouzi Bensaïdi,

qui a également remporté le Prix de

l’image. Le film impressionne par sa maîtrise

visuelle et son exploration poétique des paysages

désertiques marocains, confirmant la

singularité du style de réalisateur.

Un film d’une grande subtilité et d’une grâce

rare en deux parties assumées qui méritaient

de tout rafler pour cette édition. La

mise en scène est brillante. Le réalisateur

marocain reprend les codes du théâtre pour

donner du corps à ses personnages tout en

se permettant de la musicalité pour donner

ce rythme à part à ses scènes, des tableaux

absurdes, dansants et dansés, avec toujours

le mouvement juste qui poussera au rire sincère.

Les moments de légèreté ont toujours

du sens, les lenteurs assumées racontent

les laissés pour compte et le temps qui passe

sans qu’on les voit. On questionne sur la

société, l’injustice, les libertés individuelles,

la pauvreté, le manque d’amour. Le Prix de

la meilleure interprétation féminine a été

décerné à Meriem Bouaazaoui pour son rôle

dans Le Silence des Violons de Saâd Chraibi.

Côté masculin, Amine Ennaji a été récompensé

pour sa prestation dans Kissat Wafaa

de Ali Tahiri.

Quant à Majdouline Idrissi, elle a remporté

le Prix du second rôle féminin dans Triple A

de Jihane El Bahhar, un film qui s’est distingué

en raflant plusieurs prix, dont celui du

scénario et du meilleur acteur pour un premier

rôle Khalil Oubaqqa. Triple A, une tragi-comédie

noire, plonge dans la vie de marginaux

dont les destins se croisent de

manière inattendue. Abordant des sujets difficiles

comme le trafic d’organes et la marginalisation

sociale, le film a été salué pour

sa capacité à combiner sérieux et humour,

reflétant les contradictions de la société marocaine

contemporaine. Le Prix du montage a

été attribué à Hôtel de la Paix de Jamal

Belmejdoub, le prix de la mise en scène à

Mohamed Chrif Tribak pour Journal Intime

tandis que Animalia de Sofia Alaoui s’est

illustré en décrochant le Prix du son. Côté

musical, Hicham Lasri a marqué les esprits

avec son travail en collaboration avec le surdoué

Walid Ben Selim sur Moroccan Badass

Girl, et Kamal Kamal a remporté le prix de la

production pour Que d’amour.

CRÉDIT : MAPPHOTO

Khalid Zairi, réalisateur du documentaire « Mora est là », qui a remporté le Prix spécial du jury lors de la cérémonie de clôture

Novembre 2024 / Maroc

33


ACTU-CINÉ

CETTE ÉDITION S’EST DISTINGUÉE

PAR SA VOLONTÉ DE METTRE EN

AVANT DE NOUVELLES VOIX DU

CINÉMA MAROCAIN

Dans la section des courts métrages, Kenza

Tazi a remporté le Prix du scénario pour

Frères de lait. Le Prix du jury a été attribué

à A Lamb, a Sheed and Ravens de Aymane

Hammou, tandis que le Grand Prix a été

décerné à Rachid de Rachida El Garani, une

comédie qui a su séduire le public par son

humour subtil et son humanité.

La beauté du premier geste

Cette édition s’est distinguée par sa volonté

de mettre en avant de nouvelles voix, comme

en témoigne le Prix de la première œuvre

remis à Leyla Triqui pour L’Empreinte du Vent,

certes critiquée par la rédaction mais qui s’en

sort avec les honneurs du jury puisque le film

a le mérite d’exister. Dans une interview, la

réalisatrice confie : « Encore lycéenne, des

récits poignants se murmuraient au sein de

ma grande famille, notamment ceux de

proches en couples mixtes ayant vécu des

fins bouleversantes au début des années 80.

Ces histoires résonnaient encore en moi des

années plus tard ». Les films documentaires

ont également brillé. La Mère de tous les mensonges

d’Asmae El Moudir s’est distingué par

son approche innovante, mêlant fiction et souvenirs

familiaux pour reconstruire une mémoire

collective longtemps refoulée. Ce film, salué

pour son originalité formelle et son récit profondément

personnel, invite à réfléchir sur

les répercussions des non-dits dans l’histoire

marocaine récente. Le documentaire Mora

est là de Khalid Zairi a également été primé,

soulignant l’importance croissante de cette

section dans le festival. Loin des documentaires

souvent plus esthétisés, Mora est là

adopte une approche plus simple et directe

et vient confirmer le supplément d’être qu’il

propose. Ce qui pourrait paraître un manque

d’audace formelle se transforme ici en une

force, car cela permet aux protagonistes d’être

au cœur du récit, sans fioritures. Leur souffrance

et leur résilience sont mises en lumière

avec authenticité. Khalid Zairi évite le piège

du misérabilisme, préférant célébrer la dignité

de ces héros de l’ombre, qui ont sacrifié leur

santé et parfois leur vie pour des conditions

de travail inhumaines. Ce film dépoussière

avec brio un pan de l’Histoire marocaine qui

reste encore trop peu exploré dans le cinéma.

Avec ce palmarès riche et varié, le Festival

national du film de Tanger se clôt sur une

note d’audace et d’innovation tout en laissant

un goût amer de consensus lâche. Un

palmarès non assumé qui sauve sa peau

avec un grand prix courageux. Comment

se contenter que de prix techniques pour

Sofia Alaoui et Hicham Lasri? Comment oser

donner le prix de la mise en scène à

quelqu’un d’autre qu’à Faouzi Bensaidi?

Pourquoi contenter tout le monde sauf un

Yassine Fennane, qui malgré la critique,

méritait sa place dans ce palmarès consensuel?

Il témoigne d’une volonté de renouvellement

du cinéma marocain certes mais

le palmarès aurait gagné à être plus radical,

en célébrant autant l’expérimentation

que les récits intimes pour laisser présager

une nouvelle ère pleine de promesses pour

le septième art au Maroc. Sans compromis

et sans « Bak sahbi ».●

CRÉDIT : MAPPHOTO

Les lauréats de l’édition 2024 du Festival national du film de Tanger, heureux de leur sacre

34 Maroc / Novembre 2024



ACTU-CINÉ

LE FRANÇAIS PATHÉ

VEUT CÉDER SES SALLES

DE CINÉMA EN AFRIQUE

L’information a de quoi surprendre : en plein expansion de son

réseau de salles de cinéma en Afrique francophone, le groupe

Pathé envisage déjà leurs cessions. Voici pourquoi et l’identité du

repreneur favori.

L’information a été révélée le 23 septembre

dernier sur LeDesk.ma* : le

réseau Afrique du géant français Pathé,

spécialisé dans les complexes de cinéma,

est en passe d’être revendu.

Le patriarche Jérôme Seydoux, soucieux

de la pérennisation de son empire, envisage

une entrée en bourse pour son groupe.

Dans ce contexte, et afin de mieux structurer

Pathé, des cessions sont sur la table.

Parmi celles-ci, on retrouve celle du réseau

de salles de cinéma en Afrique. Au-delà du

Maroc, où le groupe français vient tout juste

d’ouvrir son méga-complexe, Pathé est présent

également en Tunisie, en Côte d’Ivoire

et au Sénégal.

LE DEAL TOURNE AUTOUR DE 500

MDH ET LES NÉGOCIATIONS ONT DÉJÀ

ÉTÉ CONFIÉES À UNE BANQUE

D’AFFAIRES

36 Maroc / Novembre 2024


la banque a été mandatée pour les négociations,

tandis que côté Pathé, l’interlocutrice privilégiée

pour la transaction est Anne-Laure Julienne

Camus, remplaçante d’Aurélien Bosc et qui représente

au Maroc Pathé Cinémas Services.

Le repreneur devra par ailleurs penser à éponger

les dettes de Pathé, mobilisées pour son

développement en Afrique francophone. Le

Desk fait état d’un cumul de pas moins de 250

MDH, alors que Pathé avait déjà réussi à lever

près de 160 MDH auprès de la BMCI.

Mais au-delà des aspects techniques de la cession,

un élément de marché est certainement

venu indirectement motiver Pathé, pour précipiter

sa cession au Maroc : la réforme de l’industrie

du cinéma portée par le ministre Mehdi

Bensaid, dont un des textes phares vient séparer

la casquette de distributeur à celle d’exploitant

de salles de cinéma. Bien que l’activité soit

scindée entre deux entités pour Pathé, cette

nouvelle donne servant pour l’autorité de tutelle

à faire levier en faveur des petits distributeurs

est de nature à briser une situation de quasi-monopole

des grands acteurs français. Selon des

sources du marché citées par Le Desk, avec

cette loi entrant en vigueur, Megarama par

exemple, pourrait voir conséquemment son

chiffre d’affaires chuter drastiquement.

Au total, ce sont six complexes de cinéma opérationnels.

Au Maroc, outre Casablanca, il était

normalement prévu de passer à la vitesse supérieure,

avec l’ouverture de deux autres sites :

aux environs de Casablanca, à Dar Bouazza,

dans le très prisé Domaine d’Anfa, mais aussi

à Rabat. Ces projets demeureront dans le pipe.

D’après les révélations du Desk, des investisseurs

ont d’ores et déjà déposé leurs dossiers

pour le rachat de ce réseau d’Afrique. Parmi

eux, un sérieux candidat: la holding

Al Mada, dont l’actionnaire de référence n’est

autre que le roi Mohammed VI, à travers Siger,

déjà propriétaire des centres commerciaux Marjane.

Le site le plus phare demeure celui abritant

déjà un Pathé, le Marjane Californie situé

à Casablanca, au quartier Sidi Maârouf.

Selon la même source, le deal tourne autour des

500 millions de dirhams (MDH) pour la cession

des salles de cinéma. Une banque d’affaires de

Outre cette question, Al Mada est en lice, car

aussi soucieuse d’assurer le développement de

son activité retail et divertissement. Ses centres

commerciaux gagneront ici à articuler leur

business autour d’un méga-complexe de cinéma,

comme ce qu’ont pu faire d’autres concurrents

: Aksal avec son Morocco Mall qui était doté d’un

IMAX, ou encore les projets à venir du groupe

Retail Holding, détenteur de la franchise Carrefour

et dont un des projets à venir verra l’ouverture

des premières salles de cinéma de Cinerji.

De quoi donner un booster au sein du retail,

mais aussi et surtout, à l’activité cinéma au

Maroc… Tout bénéf.●

*LeDesk.ma est le premier média d’investigation

et d’informations exclusives au Maroc.

Il est édité par Pulse Media, la même société

éditrice de Boxoffice Maroc.

Novembre 2024 / Maroc

37


ACTU-CINÉ

SONIA OKACHA

ACTION ! PASSION !

Sonia Okacha, actrice discrète aux multiples casquettes, est sur le

point de donner une nouvelle dimension à son parcours en partageant sa

passion à travers des cours de jeu face caméra. Plongée dans l’art de

l’enseignement, le cours d’une vie. Les détails.

PAR JIHANE BOUGRINE

CRÉDIT : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

Une actrice aussi à l’aise dans la lumière que dans l’ombre

Actrice viscérale, elle joue sa vie à

la scène et fait de la scène une vie.

Sonia Okacha écume les rôles différents

depuis quelques années passant

du médecin libre dans Zéro de Nourredine

Lakhmari, en passant par l’épouse tout

sauf victime dans La Moitié du ciel de

Abdelkader Lagtaâ avant de donner chair

et sang au rôle-titre dans Sayida El Horra

revisité par Brahim Chkiri pour la télévision.

Des rôles aussi emblématiques que

forts qui montrent la large palette de jeu

de cette comédienne aux multiples

facettes. Mais elle est moins connue pour

son potentiel comique ! Un talent qu’elle

met au profit d’une troupe d’improvisation

depuis 2020 en parallèle à sa carrière et

à la transmission.

La fureur de dire

Pour Sonia Okacha, être actrice n’est pas

simplement une carrière, mais une passion

inébranlable. « Il y a une frustration dans l’attente

de propositions de rôles », explique-t-

38 Maroc / Novembre 2024


CRÉDIT : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

CRÉDIT : CHRISTIAN MAMOUN

Une actrice à la palette d’émotion large

lycée Françoise Druel, qui a marqué sa jeunesse

d’une empreinte indélébile. La comédienne

souhaite transmettre cet amour du

théâtre et du cinéma à ses élèves. « J’espère,

à mon niveau, faire naître des vocations

comme elle l’a fait pour moi », confiet-elle

avec enthousiasme.

Le jeu, une passion et un plaisir à transmettre

elle. « Enseigner me permet de me sentir

utile. C’est un acte de partage et de transmission

». Elle évoque la satisfaction qu’elle

ressent en voyant ses élèves s’épanouir et

gagner en confiance. « Une jeune fille avait

du mal à soutenir le regard au début de l’année.

À la fin, elle nous a offert un monologue

de Juliette où elle s’est complètement livrée.

C’était un moment magique ». Car dans sa

méthode d’enseignement, l’actrice prône

l’importance de l’expérience pratique. « La

théorie est essentielle, mais rien ne remplace

la pratique », souligne-t-elle. C’est en répétant

et en se confrontant à la caméra que

l’on progresse réellement. « Il faut apprendre

à accepter son image, ce qui n’est pas facile

dans notre société critique », ajoute-t-elle. À

l’ère des réseaux sociaux et de la retouche

d’image, elle guide ses élèves dans cette

acceptation de soi. « Ce n’est pas exercice

facile. Et plus on avance en âge, moins c’est

facile, dans une société critique et sévère. Il

suffit de voir l’explosion des filtres dans les

réseaux sociaux pour comprendre que le

rapport à l’image et le rapport à soi est compliqué.

Pour ma part je l’assume, c’est un

exercice de chaque instant. En jouant, on

oublie la caméra. Et quand le film sort, le

résultat ne nous appartient plus. Il faut lâcher

prise. On apprend à l’accepter en faisant ce

métier », confie celle qui a profondément été

influencée par sa mentore et professeure au

IMPROVISER, C’EST ÊTRE DANS LE

LÂCHER-PRISE ET LA RÉACTIVITÉ.

C’EST UN ÉQUILIBRE DÉLICAT ENTRE

CONFIANCE EN SOI ET EN L’AUTRE

Se jouer de la vie

Le plaisir est au cœur de sa démarche pédagogique.

« Sans le plaisir de jouer, il est difficile

de transmettre des émotions », affirmet-elle.

Sonia évoque le jeu comme une

exploration. « C’est un processus de découverte

de soi et des autres. On joue avec les

mots, les personnages, et cela doit être

authentique ». Sa méthode inclut également

des exercices de préparation, tant physique

que mentale, car, comme elle le souligne :

« Un comédien ne peut pas arriver sur scène

sans préparation ».

Face caméra, le jeu devient plus introspectif.

« On travaille sur l’intériorité des émotions

», explique-t-elle. « Le théâtre, en

revanche, demande une projection plus

forte ». Sonia veille à ce que ses élèves

développent une aisance et une confiance

en eux, essentielles dans cet art. « Improviser,

c’est être dans le lâcher-prise et la réactivité.

C’est un équilibre délicat entre

confiance en soi et en l’autre ».

Sonia Okacha, par ses cours, souhaite non

seulement former des acteurs, mais aussi

des individus épanouis. Son ambition est

de créer un espace où chacun peut se révéler

et se surpasser. « Chaque élève a un

potentiel unique. Je veux les voir briller, que

ce soit sur scène ou à l’écran ». Ainsi, en

transmettant sa passion, Sonia Okacha

aspire à marquer à son tour le parcours de

ses élèves, comme sa mentore et la vie l’ont

fait pour elle.●

Novembre 2024 / Maroc

39


ACTU-CINÉ

FESTIVAL INTERNATIONAL

DU FILM FRANCOPHONE

DE NAMUR

UNE CÉLÉBRATION DU

CINÉMA FRANCOPHONE

AVEC UNE PRÉSENCE

MAROCAINE MARQUÉE

CRÉDIT : LORE THOUVENIN

La 39 e édition du Festival International du

Film Francophone de Namur (FIFF) s’est

déroulée du 27 septembre au 4 octobre,

mettant en lumière la richesse et la diversité

des productions francophones. Cette année, le

Maroc a brillé, tant à travers la présence de ses

talents dans les jurys que par le succès de ses

œuvres sur grand écran.

PAR JIHANE BOUGRINE

Michel Hazanavicius pour sublimer la compétition

De la scène au fameux chapiteau, le

festival belge a su accueillir avec

cette energie et cette simplicité qui

lui sont chères. Fidèle aux valeurs d’un festival

qui sont le partage et la rencontre avant

tout, Namur récidive avec une édition au supplément

d’âme et avec une touche marocaine

qui n’est pas passée inaperçue.

Inès Lehaire de l’ESAV Maroc au cœur du

Jury Emile Cantillon

Le jury de la compétition 1er œuvre (Prix Emile

Cantillon), dédié aux premières réalisations,

a accueilli Inès Lehaire, représentante de

l’ESAV (École Supérieure des Arts Visuels de

Marrakech), parmi ses membres. Aux côtés

de jurés venus de France, du Québec et du

Sénégal, elle a contribué à récompenser le

Bayard de la Meilleure 1ère Œuvre attribué

à Là d’où l’on vient (Mé el Aïn) de Meryam

Joobeur (Tunisie/Québec/France), une œuvre

poignante qui aborde les thèmes de la guerre

et de la famille. Le jury a également décerné

une mention spéciale à Niki de Céline Sallette,

autre premier film marquant.

Un court métrage marocain primé :

Terre de Dieu de Imad Benomar

Outre la participation remarquée de Mon

père n’est pas mort de Adil El Fadili dans la

catégorie Compétition première oeuvre, c’est

dans la catégorie des courts métrages, que

le film Terre de Dieu du réalisateur marocain

Imad Benomar a été récompensé par le prix

de la meilleure photographie pour le travail

du directeur de la photographie Akram

Kbibchi, dans ce film qui explore les défis

liés à l’eau dans une région rurale marocaine.

Le film, par son approche visuelle et thématique,

a su captiver le jury et démontrer une

fois de plus le potentiel créatif des jeunes

réalisateurs marocains.

Un jury prestigieux pour les longs métrages

et une présence glamour

Le jury des longs métrages, présidé par le réalisateur

suisse Frédéric Baillif, était composé

de personnalités telles que les acteurs Karim

Leklou, Nahéma Ricci, la réalisatrice belge

Paloma Sermon-Daï, et Alex Moussa

Sawadogo, directeur du festival panafricain

de Ouagadougou. Ce jury a attribué le Bayard

d’Or du Meilleur Film à Les enfants rouges de

Lotfi Achour (Tunisie/Belgique/France), un

40 Maroc / Novembre 2024


CRÉDIT : LORE THOUVENIN

La joie de Imad Benomar après son sacre !

OUTRE LA PARTICIPATION REMARQUÉE

DE «MON PÈRE N’EST PAS MORT » DE ADIL

EL FADILI , C’EST DANS LA CATÉGORIE DES

COURTS MÉTRAGES, QUE LE FILM «TERRE

DE DIEU» DU RÉALISATEUR MAROCAIN

IMAD BENOMAR A ÉTÉ RÉCOMPENSÉ

CRÉDIT : LORE THOUVENIN

Le festival belge à l’accueil simple et chaleureux

drame poignant sur la violence et la résilience.

Le festival a également vu la présence de

nombreuses stars du cinéma francophone,

notamment Romain Duris, Louis Garrel, Charlotte

Le Bon, Zabou Breitman et Michel

Hazanavicius, qui ont partagé des moments

privilégiés avec le public à travers des rencontres

et des débats. Le festival s’est ouvert

avec la comédie d’Emmanuel Courcol, En

fanfare, et s’est clôturé avec le dernier film

de François Ozon, Quand vient l’automne,

soulignant la diversité des œuvres francophones

présentées cette année.

Une édition marquante pour le cinéma

marocain

La reconnaissance de Terre de Dieu et la participation

active d’Inès Lehaire dans le jury

Emile Cantillon confirment la place croissante

du cinéma marocain sur la scène internationale.

Grâce à des initiatives comme l’ESAV et

des jeunes talents comme Imad Benomar, le

Maroc continue de s’affirmer comme un acteur

majeur du cinéma francophone.

En attendant la 40 e édition, qui promet déjà

d’être exceptionnelle, le FIFF 2024 aura été

une belle célébration de la créativité et du

talent francophone, avec un clin d’œil particulier

à la scène cinématographique marocaine,

en plein essor.●

Novembre 2024 / Maroc

41


ACTU-CINÉ

MARRAKECH SHORT FILM FESTIVAL

LE COURT-MÉTRAGE À L’HONNEUR

Du 27 septembre au 2 octobre 2024, Marrakech a accueilli la

quatrième édition du Marrakech Short Film Festival (MSFF).

Organisé sous l’impulsion de Ramia Beladel, fondatrice du

festival, cet événement est sans doute une plateforme pour la

promotion des courts-métrages et la découverte de nouveaux

talents cinématographiques.

PAR SALMA HAMRI

CRÉDIT : BOX OFFICE MAROC

et le Cyberpark de Marrakech, offrant une atmosphère

unique et immersive aux spectateurs. Les

premiers jours ont été ensuite rythmés le matin

par des ateliers interactifs et des rencontres

enrichissantes entre cinéastes, professionnels

de l’industrie et passionnés de cinéma. Le soir,

les intervenants et cinéphiles se retrouvent pour

des projections captivantes, Ces activités ont

permis de créer une atmosphère propice à l’innovation

et à la créativité, faisant du MSFF un

véritable carrefour de rencontres culturelles et

artistiques, a souligné la fondatrice du festival

Ramia Beladel.

Ambiance feutrée au Cyberpark de Marrakech dans l’attente des projections de courts-métrages programmés

Cette édition s’inscrivait dans le cadre

du programme « Qatar X Morocco

Year of Culture 2024 », mettant en

lumière la richesse culturelle et cinématographique

du Qatar et renforçant les liens

interculturels entre les deux nations. D’ailleurs,

la collaboration avec des partenaires

prestigieux tels que le Doha Film Institute

(DFI) et les Musées du Qatar a permis cette

année d’enrichir encore plus l’offre culturelle

du festival.

Le festival a débuté en fanfare le vendredi soir

27 septembre, avec l’arrivée des invités sur

le tapis berbère au Palais El Bad, ainsi que du

jury présidé cette année par Mayssa Maghrebi,

actrice et productrice renommée. Celle-ci était

accompagnée de Sofia Alaoui, la réalisatrice

primée du long-métrage Animalia, ainsi que

de l’actrice talentueuse Nadia Kounda.

Les projections se sont ensuite succédées dans

des lieux emblématiques tels que le Palais Bahia

PARMI LES FILMS EN COMPÉTITION,

«LA SCARECROW» D’ANAS ZAMATI

S’EST DISTINGUÉ EN REMPORTANT LE

PRIX DU MEILLEUR FILM

Parmi les films en compétition, La Scarecrow

d’Anas Zamati s’est distingué en remportant

le prix du Meilleur Film. La réalisatrice marocaine

Dhiya Bia a pour sa part été honorée du

prix du Meilleur Réalisateur pour son œuvre

Ce qui pousse sur la paume de ta main, tandis

qu’Aya Jebran a brillé en décrochant le

prix de la Meilleure Actrice pour son interprétation

émouvante dans La Scarecrow. Le film

iranien Suffocation de Pedram Mehrkhah a

également été récompensé par le prestigieux

prix Dakkat Qalb, témoignant de l’internationalisation

croissante de l’événement.

Lors de notre échange avec Mayssa Maghrebi,

la présidente du jury a souligné l’importance

du MSFF comme une plateforme essentielle

pour les jeunes réalisateurs marocains et internationaux.

Selon elle, le festival favorise les

collaborations et ouvre de nouvelles perspectives

pour le cinéma marocain à l’échelle mondiale,

renforçant ainsi la position du Maroc sur

la scène cinématographique internationale.

Pour les prochaines éditions, les organisateurs

souhaitent poursuivre sur cette lancée en

développant davantage de collaborations internationales

et en continuant à offrir une vitrine

prestigieuse aux talents émergents du cinéma

court. Ramia Beladel ambitionne de faire du

MSFF un événement encore plus influent,

capable de faire découvrir et de promouvoir

les talents les plus prometteurs du cinéma

marocain et international.●

42 Maroc / Novembre 2024



ACTU-CINÉ

ALI BENJELLOUN

QUAND

LA LUMIÈRE

PASSE DERRIÈRE

LA CAMÉRA

PAR JIHANE BOUGRINE

Ali Benjelloun, reconnu comme l'un des meilleurs

directeurs de la photographie sur la place, fait ses

débuts en tant que réalisateur de long métrage avec

« Goundafa » après plusieurs courts métrages et

documentaires. Ce projet, d'abord intitulé « Le Chant

Maudit », est le fruit d'une rencontre presque

accidentelle, qui a rapidement pris la forme d'une

quête pour capturer l'essence des traditions

amazighes à travers un récit qui s’avère déjà

visuellement et musicalement captivant.

Karima Gouit

Tout est parti d’une rencontre avec un

lieu, avec des gens. « J’étais en tournage

d’un documentaire pour une

chaîne libanaise et j’ai découvert la région de

Goundafa, à environ 1h30 de Marrakech. On a

rencontré des gens formidables et l’idée du

film m’est venue à ce moment-là. C’est grâce

à mon père, qui est l’initiateur de l’idée puisqu’on

a voulu faire un film sur la région mais surtout

sur les traditions amazighes », raconte Ali Benjelloun.

Une rencontre avec un lieu et ses habitants

déterminante. Le réalisateur fasciné par

la beauté brute de cette région et par la richesse

des traditions locales, a vu émerger une histoire

ancrée dans le quotidien des gens de

Goundafa. Ce désir de rendre hommage à une

culture souvent sous-représentée au cinéma

marocain a été le point de départ d'une aventure

cinématographique unique. Une idée soufflée

par son père, le réalisateur Hassan Benjelloun,

producteur sur ce projet.

Une trame tissée par la musique et les couleurs

Le film se distingue par son approche dynamique

et son rapport intime à la musique.

« Nous avons enregistré la musique en studio

et on a filmé en playback. Il y avait des

parties musicales dans le village, filmées de

manière assez dynamique, avec une caméra

nerveuse pour montrer l’énergie des jeunes.

La partie des concerts en ville a été filmée

de manière différente : caméra stable, travelling

long, beaucoup plus soft. On suivait

le rythme de la musique. Pendant ces

moments, il y avait de la narration. Les comédiens

devaient chanter et jouer en même

temps, un vrai challenge », confie le réalisateur

qui a fait confiance au musician Fettah

Ngadi pour les concerts, tandis que les

musiques traditionnelles ont été enregistrées

avec de jeunes musiciens du village, capturant

ainsi l'authenticité et la vitalité de la

culture amazighe. Les choix esthétiques

reflètent cette même diversité : une caméra

mobile pour les scènes villageoises, symbolisant

la jeunesse et l’énergie, contrastant

avec la douceur et la stabilité des scènes

urbaines. De la musique mais des acteurs

FATIMA ATTIF, JE LA VOYAIS DÈS LE

DÉBUT, MÊME PENDANT L’ÉCRITURE,

POUR LE PERSONNAGE DE FADMA, QUI

EST CENTRAL DANS LE FILM

44 Maroc / Novembre 2024


Hamza Benmoussa Chef op (à droite), Hassan benjelloun (producteur), Ali benjelloun (Realisateur), Ikram Abida (Script)

pour porter l’histoire. Le casting, soigneusement

sélectionné, réunit des talents issus de

différentes régions du Maroc.

« Fatima Attif, je la voyais dès le début, même

pendant l’écriture, pour le personnage de

Fadma, qui est central dans le film. Elle n’est

pas originaire de Souss mais de l’Atlas, et

nous avons travaillé ensemble sur la langue.

Abdellatif Atif, Zahia Zahiri, Said Darif, ce sont

de très bons comédiens qui se sont imposés

par eux-mêmes ». Imposés , choisis mais

surtout réfléchis puisque le réalisateur tenait

à avoir un casting du Rif, de Souss et de l’Atlas,

un choix délibéré pour refléter la diversité

des communautés amazighes du Maroc.

Cette volonté de représenter la pluralité des

identités culturelles amazighes donne déjà

au film une richesse ethnographique tout en

étant profondément ancrée dans la fiction.

Tournage doux, scenario mouvant

Le tournage de Goundafa s’est déroulé dans

une atmosphère de sérénité, malgré des

défis logistiques importants. « On a eu un

tournage dans la douceur. On était très bien

préparés. La difficulté du film s’est posée

avant. Le scénario s’est écrit autour d’un village,

en fonction de ce village. Le café du

village, qui est un décor principal, était en

face de la route et d’un forgeron. Malheureusement,

le tremblement de terre d’El

Haouz a complètement détruit le village. On

a dû se rabattre sur un autre village à Agadir,

où nous avons été très bien accueillis ».

Ce bouleversement a demandé une flexibilité

à l’équipe, mais Ali Benjelloun et ses collaborateurs

ont su trouver des solutions,

transformant cet obstacle en opportunité

pour réinventer l’univers visuel du film. Un

univers visuel qu’il a su voir à travers un autre

directeur de la photographie.

« Ce que j’ai appris, c’est qu’il faut qu’une

confiance s’installe entre les deux postes.

J’avais besoin de quelqu’un de confiance.

Hamza Benmoussa m’a fait cet honneur. Je

ne pense pas avoir empiété sur son travail,

mais il faudrait lui demander à lui ! » s’amuse

celui qui s'est concentré sur la direction des

comédiens et le fil narratif, tout en laissant à

son équipe technique la liberté de s'exprimer.

Fatima Attif

« Un réalisateur, c’est quelqu’un qui sait

s’entourer », affirme t-il avant de passer à

l’étape du montage. « Je sais qu’il va falloir

de la patience pour le montage. C’est un

travail de longue haleine, et il faudra trouver

un rythme intéressant. Mais je pense

qu’on a fait un bon travail au niveau de

l’image pendant le tournage. J’espère que

la trame narrative se tiendra et que tout se

passera bien ».●

Novembre 2024 / Maroc

45


DOSSIER PRO

CINÉMA MAROCAIN,

DESTINATION MONDE !

L’été 2024 a marqué un tournant pour le cinéma marocain, célébré

à Angoulême avec une rétrospective et à Venise avec une délégation

influente. Des talents comme Yasmine Benkiran, membre du jury,

ont brillé, tandis que le Maroc continue de s’imposer comme une

destination prisée pour les productions internationales, renforçant

son rôle clé sur la scène mondiale.

PAR JIHANE BOUGRINE

CRÉDIT : MAPPHOTO

Le Maroc honoré au Festival du Film Francophone d’Angoulême en France

L’été 2024 a été un moment des plus

intéressants pour le cinéma marocain

sur la scène internationale, avec des

événements marquants à Angoulême et

Venise. Des hommages appuyés et des présences

influentes ont mis en lumière la

richesse et la diversité du 7ème art marocain.

À Angoulême, un hommage vibrant a

été rendu au cinéma marocain, tandis qu’à

Venise, la délégation marocaine a brillé avec

un jury composé de talents marocains et une

participation dynamique du Centre Cinématographique

Marocain (CCM).

Angoulême rend hommage au cinéma

marocain

En août 2024, le Festival du Film Francophone

d’Angoulême a mis à l’honneur le

cinéma marocain dans une rétrospective

intéressante qui a traversé plus de six décennies

de films. Cet hommage s’inscrit dans la

volonté du festival de célébrer les cinématographies

du monde francophone, et le

Maroc, avec sa production dynamique et

son influence grandissante, a été choisi

comme invité d’honneur.

La programmation a proposé une sélection

soigneusement composée de dix longs-métrages

marocains, couvrant plusieurs

périodes marquantes de l’histoire du cinéma

marocain. Parmi les œuvres présentées, des

classiques comme Quelques événements

46 Maroc / Novembre 2024


sans signification (1974) de Mohamed

Derkaoui, un film qui reflète les bouleversements

sociaux du Maroc post-colonial et

Mémoires en detention (2004) e Jilali Ferhati

sur le syndrome post traumatique après les

années de plomb. Sur des sujets plus

contemporains, des films comme Ali Zaoua

de Nabil Ayouch (2000) et Marock de Laila

Marrakchi (2005) ont transporté les spectateurs

dans les réalités de la jeunesse marocaine

urbaine et ses luttes identitaires.

Chaque projection était précédée d’un

court-métrage marocain, offrant une plongée

encore plus riche dans le paysage cinématographique

du pays. Le court-métrage

Les Pierres bleues du désert (1992) de Nabil

Ayouch a captivé l’audience par sa poésie

et son exploration des questions de foi et

de destine comme celui de la jeune Sofia

Khyari dont le film d’annimation Ayam sur

trois generations de femmes a ému. Le

WWW : What a Wonderful World de Faouzi

Bensaïdi (2006) a, quant à lui, apporté une

touche d’humour noir et un regard unique

sur la vie moderne à Casablanca. Pour célébrer

les 20 ans du film, Ismael Ferroukhi a

présenté Un grand voyage, avec une émotion

palpable, rappelant ô combien ce film

qui raconte un voyage entre père et fils que

tout sépare sur le chemin de la Mecque, n’a

prix aucune ride. Des moments de cinéma

courageux qui ont prouvé la diversité du

septième art marocain, pauvre de la sauvegarde

de ses films. Le fils maudit de Mohamed

Ousfour, considéré comme le premier

DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, LE MAROC

S’IMPOSE COMME UN ACTEUR

INCONTOURNABLE DANS LE PAYSAGE

CINÉMATOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

film marocain sorti en 1958 ou encore La

plage des enfants perdus et Les poupées

de roseaux de Jilali Ferhati n’ont pas pu être

programmés pour des raisons de copies

inexistantes. Ou difficiles à trouver.

L’hommage s’est également manifesté à travers

la présence de Mehdi Qotbi, président

de la Fondation nationale des Musées du

Maroc, qui a symboliquement hissé le drapeau

marocain à l’hôtel de ville d’Angoulême,

en présence de Xavier Bonnefont, maire de

la ville, et des délégués du festival, Marie-

France Brière et Dominique Besnehard.

« Cet acte symbolique, au-delà de la reconnaissance

du cinéma marocain, renforce les

liens culturels entre la France et le Maroc,

témoignant de la volonté commune de célébrer

la richesse des échanges entre les deux

nations », a rappelé Mehdi Qotbi.

Le Maroc , « Hollywood du Désert »

A la Mostra de Venise, le Maroc a été une

fois de plus sous le feu des projecteurs. Non

pas à travers les films sélectionnés, mais

grâce à la délégation menée par Abdelaziz

El Bouzdaini, directeur du Centre Cinématographique

Marocain (CCM). Depuis plusieurs

années, le Maroc s’impose comme un acteur

incontournable dans le paysage cinématographique

international, non seulement pour

sa production nationale, mais aussi en tant

que terre d’accueil pour des tournages internationaux

majeurs et la délegation marocaine

a tenu à confirmer ce statut.

Le Maroc a été présenté lors d’une conférence

intitulée « Le Maroc : une terre accueillante

pour la production de films étrangers

grâce au programme de soutien financier »,

qui a mis en avant les atouts du pays pour

les productions étrangères. Avec des villes

comme Ouarzazate, surnommée le Hollywood

du désert, et Essaouira, célèbre pour

ses décors historiques, le Maroc attire des

cinéastes du monde entier, comme l’a prouvé

la production récente de films tels que Gladiator

2 ou encore le cinquième volet de la

franchise Mission Impossible, tourné en

grande partie au Maroc.

Le CCM a également souligné l’importance

de son programme de soutien financier, qui

permet aux productions internationales de

bénéficier d’avantages fiscaux, rendant le

Maroc encore plus attractif. Cela, combiné

CRÉDIT : FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE D’ANGOULÊME

Novembre 2024 / Maroc

47


DOSSIER PRO

CRÉDIT : AFP

A la Mostra de Venise, la réalisatrice Yasmine Benkiran faisait partie d’un des jurys de la compétition

L’EXPÉRIENCE DE YASMINE BENKIRAN

EN TANT QUE MEMBRE DU JURY À VENISE

A ÉTÉ MARQUÉE PAR DES DÉBATS

PASSIONNÉS ET DES RÉFLEXIONS

à la diversité des paysages et au professionnalisme

des équipes locales, a fait du Maroc

une destination prisée pour des productions

hollywoodiennes et européennes. DUNE

Films, ZAK Productions, AGORA Films, et

KASBAH Films étaient parmi les sociétés de

production marocaines présentes à Venise,

représentant fièrement le potentiel de l’industrie

cinématographique marocaine sur

la scène internationale.

Yasmine Benkiran, « Reine » d’un jury à

Venise

La présence marocaine à Venise s’est également

illustrée par la nomination de Yasmine

Benkiran en tant que membre du jury

à la tant respectée Semaine de la critique.

Réalisatrice marocaine prometteuse, elle a

su apporter une perspective unique en tant

que jurée. Dans ses œuvres et son approche

du cinéma, la réalisatrice met un point d’honneur

à privilégier les émotions avant la technique.

« Quand je vais au cinéma, j’essaie

de me laisser emporter par les émotions,

sans me concentrer sur les aspects techniques.

Si je regarde la technique, c’est que

quelque chose n’a pas fonctionné émotionnellement

» rappelle la réalisatrice de Reines

qui avait projetté son premier film en

avant-première à la Mostra en 2022.

Son expérience en tant que membre du jury

à Venise a été marquée par des débats passionnés

et des réflexions sur la manière dont

les films proposés apportent une vision du

monde unique. D’ailleurs, Yasmine Benkiran

accorde une importance particulière aux

récits sous-représentés, en particulier ceux

venant du Sud global mais tout en gardant

à l’esprit que la qualité prime sur la provenance

. « On part toujours d’un endroit. En

grandissant au Maroc, je vais être sensible

à la beauté de la langue, ou à la musique.

Malgré moi. J’essaie quand même de rester

fidèle à mes principes. Les récits sous

représentés ou les cultures pas très présentes

dans le cinéma. Je ne veux pas que

l’argument politique précède l’argument

émotionnel » continue celle qui cite l’exemple

de la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir,

dont le film, salué par la critique, a su

capturer des émotions profondes tout en

racontant une histoire rarement vue à l’écran.

Pour elle, le cinéma marocain se trouve à

un moment charnière, avec des talents émergents

comme Ismail El Iraki, Alaa Eddine El

Jem, et Sofia Alaoui qui gagnent en visibilité

sur la scène internationale. Cependant,

Yasmine Benkiran rappelle que, bien que le

cinéma marocain soit de plus en plus reconnu

par les professionnels, il doit encore trouver

un plus large public à l’international, à

l’instar des films coréens qui ont su conquérir

le monde. « Le cinéma marocain est remarqué

dans les festivals, mais il reste encore

du chemin à parcourir pour toucher un public

plus large », explique-t-elle.

En conclusion, l’été 2024 a été une période

charnière pour le cinéma marocain, avec

des hommages appuyés et des reconnaissances

importantes dans des festivals de

premier plan comme Angoulême et Venise.●

48 Maroc / Novembre 2024



EN SALLES

JOKER: FOLIE À DEUX

DERRIÈRE LES

BARREAUX, LA FOLIE

S’ÉCHAPPE

Après un premier opus couronné

de succès, Joker: Folie à Deux

reprend les rênes avec un Arthur

Fleck encore plus torturé et

déroutant, poussant le spectateur

à questionner la nature même de

la folie. Entre drame psychologique

et comédie musicale, ce deuxième

volet ose une approche singulière,

jouant avec les genres et les attentes.

PAR SALMA HAMRI

50 Maroc / Novembre 2024


D

ans Joker: Folie à Deux, Todd Phillips

nous plonge de nouveau dans

la tête d’Arthur Fleck, incarné par

Joaquin Phoenix. La décision audacieuse

d’inclure des éléments de comédie musicale

surprend, mais s’inscrit dans la logique d’un

personnage de plus en plus détaché du

monde qui l’entoure. Ces séquences, partagées

avec Lady Gaga, qui interprète une

Harley Quinn aussi envoûtante que déséquilibrée,

apportent une dimension nouvelle

à l’univers d’Arthur Fleck.

L’alchimie entre Phoenix et Gaga est indéniable.

Loin d’une romance classique, leur

relation s’apparente à une danse destructrice

où chaque geste, chaque regard, est empreint

de danger. Le film joue habilement sur cette

tension, alternant moments d’intimité poignante

et éclats de violence incontrôlée.

Un élément clé de cette suite réside dans le

contraste frappant avec le premier opus.

Dans Joker, Arthur Fleck soignait ses blessures

et reprenait le contrôle de sa vie en

passant à l’acte de manière brutale et démesurée,

tuant sans pitié. Chaque meurtre devenait

pour lui un acte de rébellion et de libération.

Mais dans Joker: Folie à Deux, son

incarcération limite sa liberté de mouvement,

chaque geste est scruté et contrôlé. Face à

cette restriction physique, il se réfugie dans

son esprit, là où rien ni personne ne peut

l’atteindre. Cet enfermement mental ouvre

la voie à des fantasmes, des spectacles de

danse grandioses, et des passages à l’acte

imaginés mais non réalisés. Arthur Fleck

trouve dans cet échappatoire mental un

semblant de liberté, mais cette liberté

est illusoire, car elle ne fait que renforcer

son isolement et sa folie intérieure.

Cette dualité est aussi renforcée par la juxtaposition

du film de procès et de la comédie

musicale. D’un côté, les scènes de procès

capturent la froideur et le contrôle

exercé sur Arthur : chaque mouvement est

décortiqué, chaque parole analysée. De

l’autre, les séquences de comédie musicale

libèrent son esprit et lui offrent un espace

où il peut échapper à cette emprise. Ce

mélange improbable de genres fonctionne

comme une métaphore visuelle de son

enfermement : son corps est prisonnier, mais

son esprit se libère dans des envolées théâtrales

et colorées.

LE FILM JOUE HABILEMENT SUR

CETTE TENSION, ALTERNANT MOMENTS

D’INTIMITÉ POIGNANTE ET ÉCLATS DE

VIOLENCE INCONTRÔLÉE

Visuellement, Joker : Folie à Deux reprend les

codes esthétiques du premier film : une palette

de couleurs sombres et ternes, qui contraste

avec les moments de folie éclatante, sublimés

par la musique. La bande-son, qui fusionne des

morceaux originaux avec des classiques revisités,

accentue l’aspect irréel de certaines

scènes. Ce choix de marier des tonalités musicales

joyeuses à des moments d’une violence

psychologique extrême crée une atmosphère

déstabilisante, et renforce l’immersion du spectateur

dans la psyché troublée d’Arthur.●

Maroc

4 / 5

TITRE : Joker : Folie à deux

PAYS : États-Unis

RÉALISATEUR : Todd Phillips

GENRE : Musical-Thriller

DURÉE : 138 minutes

ANNÉE : 2024

Novembre 2024 / Maroc

51


EN SALLES

THE SUBSTANCE

CORPS CONTRE

JEUNESSE !

Avec The Substance , Coralie Fargeat livre l’un des ovnis

cinématographiques de l’année, attendu en salles le 6 novembre.

Glacial et énervant de maitrise, le film aurait mérité bien plus que son prix

du scénario à Cannes, tant sa mise en scène nous en met plein les yeux.

Demi Moore y livre une performance magistrale,

incarnant une star vieillissante, tiraillée

entre son désir de retrouver sa jeunesse et les

conséquences physiques et psychologiques

de ses choix. Lorsque l’on sait que l’actrice est

elle-même ravagée par la chirurgie esthétique,

accepter un tel rôle est digne de la grande

comédienne qu’elle a toujours été. L’alchimie

entre elle et Margaret Qualley, dans ce jeu de

doubles narcissiques, est l’une des forces du

film. Les actrices, aussi puissantes qu’authentiques,

subliment un scénario qui, malgré un

sujet déjà exploré et des arcs narratifs peu développés

par rapport à la puissance de la mise en

scène, est traité avec une subtilité certaine.

Coralie Fargeat, Demi Moore et Margaret Qualley en route vers les Oscars ?

La réalisatrice, à la touche si particulière,

a réussi à dompter un casting de rêve

pour nous offrir une véritable prouesse

avec un film d’une force rare, primé lors du dernier

festival de Cannes pour son scénario. Coralie

Fargeat signe ainsi avec The Substance un

film visuellement maitrisé et renoue avec son

audace indéniable déjà aperçue dans sa précédente

œuvre Revenge. Ce body-horror, à la

croisée du cinéma de Cronenberg et des références

esthétiques contemporaines, déploie

une mise en scène d’une belle rigueur et d’une

inventivité presque malaisante. La réalisatrice

aurait amplement mérité le prix de la mise en

scène à Cannes pour cette œuvre radicale où

chaque plan semble soigneusement calculé

pour capturer l’angoisse et la métamorphose

de ses personnages.

LE FILM, AVEC SES COULEURS

SATURÉES ET SA VIOLENCE VISCÉRALE,

OFFRE UN VÉRITABLE EXERCICE DE STYLE

Si les thèmes de la possession de soi et de

la quête de la perfection ne sont pas nouveaux,

Coralie Fargeat les revisite avec

finesse. Le film, avec ses couleurs saturées

et sa violence viscérale, offre un véritable

exercice de style. Le tout est impeccablement

tenu du début à la fin, oscillant entre horreur

et beauté grotesque, sans jamais fléchir dans

sa direction. Bien qu’il y ait une certaine prévisibilité

dans le propos, The Substance transcende

ces critiques grâce à une exécution

artistique remarquable, confirmant Coralie

Fargeat en tant que figure désormais incontournable

du cinéma de genre.●

Maroc

4 / 5

TITRE : The Substance

PAYS : États-Unis

RÉALISATEUR : Coralie Fargeat

GENRE : Body Horror

DURÉE : 140 minutes

ANNÉE : 2024

PAR JIHANE BOUGRINE

52 Maroc / Novembre 2024



EN SALLES

« BATAL »

OU LE CÔTÉ OBSCUR

DE LA CÉLÉBRITÉ

Quand Omar Lotfi s’attaque à son propre métier avec un

humour mordant et une finesse surprenante, cela donne « Batal »,

première réalisation du célèbre acteur révélé par « Casa Negra ».

Cette comédie intelligente, portée par un casting XXL, va bien

au-delà des simples rires. Elle offre une réflexion critique sur les

dessous du métier d’acteur. Parce que… les copains d’abord !

comédies cultes des Monty Python et à l’absurde

satirique de Louis de Funès. Batal

devient ainsi une œuvre qui mêle critique

sociale et satire populaire sans jamais sombrer

dans le cynisme.

Aziz Dadas, dans le rôle du professeur de

théâtre désabusé, est tout simplement brillant.

Son personnage, à la fois pathétique

et attachant, tente de maintenir à flot une

carrière qui n’a jamais décollé, et ses

répliques acérées résonnent comme autant

de piques bien placées. Fehd Benchemsi,

en agent improvisé maladroit mais sincère,

livre une prestation nuancée, tandis que

Rafik Boubker, dans le rôle du méchant, surprend

par sa subtilité, apportant une dimension

à la fois drôle et inquiétante à son personnage.

Majdouline Idrissi, Raouia, et Farah

El Fassi complètent ce casting XXL, chacun

jouant un rôle clé dans l’évolution des thématiques

du film.

Casting XXL pour une comédie dopée à l’adrénaline

Dès les premières minutes, Batal nous

fait rentrer dans une cérémonie des

Césars kitsch, et l’on craint d’abord

une comédie trop légère. Pourtant, très vite,

le film déjoue les attentes. La comédie

d’Omar Lotfi, l’un des acteurs préférés du

public marocain, se révèle à son image :

intelligente, sincère, et bien plus subtile qu’il

n’y paraît. On y suit les aventures d’un jeune

comédien travaillant dans le café de sa mère,

qui, entre castings improvisés grâce à son

agent peu conventionnel et rêves de grandeur

avec son professeur de théâtre

excentrique, va être embarqué malgré lui

dans le film de sa vie.

Cette comédie humaine, incisive et piquante,

dépasse le simple divertissement pour offrir

une réflexion sur la place de l’acteur dans

une société où l’ego, la célébrité et les frustrations

personnelles s’entrechoquent souvent.

Omar Lotfi, en tant que réalisateur,

n’hésite pas à se moquer de lui-même et de

son métier, empruntant des éléments aux

Ce film dans le film se distingue par sa capacité

à critiquer l’industrie cinématographique

tout en la célébrant. Le film ne cherche pas

à dénoncer, mais plutôt à souligner, avec

humour et ironie, les contradictions d’un

métier à la fois ridicule et profondément

humain. Malgré ses failles et ses maladresses,

Batal parvient à offrir une profondeur

inattendue à un sujet souvent traité

avec légèreté. Omar Lotfi signe ici un premier

film sincère et audacieux, où la technique

laisse parfois place à une authenticité

désarmante, rendant l’œuvre particulièrement

attachante.●

Maroc

3 / 5

TITRE : Batal

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Omar Lotfi

GENRE : comédie

DURÉE : 102 minutes

ANNÉE : 2024

PAR JIHANE BOUGRINE

54 Maroc / Novembre 2024



EN SALLES

MONSIEUR AZNAVOUR

FORMIDABLE TAHAR

RAHIM !

Dans « Monsieur Aznavour », Mehdi Idir et Grand Corps Malade

relèvent le défi de retracer la vie de l’une des figures les plus

marquantes de la chanson française. Si le film souffre d’une

narration parfois trop linéaire, il est porté par une performance

monumentale de Tahar Rahim, qui devient Aznavour.

Avec Monsieur Aznavour, Mehdi Idir

et Grand Corps Malade offrent un

hommage ambitieux à l’un des

géants de la chanson française. Le film, porté

par l’interprétation magistrale de Tahar

Rahim, explore les étapes clés de la carrière

du Franco-arménien, tout en tentant

de révéler les contradictions de cet artiste

à la fois visionnaire et tourmenté. Si le film

peine parfois à trouver son rythme narratif,

il parvient néanmoins à capter des moments

poignants, notamment grâce à la performance

d’un acteur en état de grâce. Le plus

grand atout du film réside indéniablement

dans l’incarnation d’Aznavour par Tahar

Rahim. L’acteur ne se contente pas de jouer

un rôle : il devient Aznavour, habité par ses

doutes, ses ambitions et sa quête incessante

de reconnaissance. Grâce à un travail

méticuleux sur le maquillage et les prothèses,

le « Prophète » de cinema français

parvient à se fondre dans le personnage,

allant jusqu’à chanter plusieurs titres emblématiques

avec une voix empreinte de justesse

et d’émotion. Cette transformation

impressionnante est l’un des piliers du film,

conférant une authenticité qui transcende

l’écran.

CRÉDIT : KALLOUCHE CINÉMA; MANDARIN ET COMPAGNIE

Cependant, malgré cette performance éblouissante,

Monsieur Aznavour peine à éviter certains

écueils classiques du biopic. Le scénario,

bien qu’honnête, manque parfois de

souffle et de relief. Le film suit une trame

linéaire qui, à certains moments, ressemble

davantage à une succession d’anecdotes qu’à

un véritable récit structuré. Le portrait de l’artiste

reste aussi un peu trop lisse, effleurant

à peine les zones d’ombre de sa personnalité,

telles que son obsession pour le succès,

qui a parfois terni ses relations personnelles.

Malgré ces faiblesses, le film brille lors de certaines

scènes marquantes, comme celle évoquant

la création de Comme ils disent, une

chanson révolutionnaire pour son époque,

abordant l’homophobie avec une tendresse

et une audace rares. Ce sont ces instants suspendus,

portés par la caméra sensible des

réalisateurs et par l’intensité de Tahar Rahim,

qui laissent une empreinte durable.

Oui, Monsieur Aznavour n’est pas un biopic

parfait, mais il reste un film à voir. La performance

de Tahar Rahim est à elle seule une

raison suffisante pour plonger dans cet hommage

aussi musical que cinématographique.

En redonnant vie à un artiste aussi emblématique

qu’Aznavour, le film nous rappelle l’importance

de ces figures intemporelles, dont

l’œuvre continue de résonner bien au-delà

des époques et des frontières. Toujours en

haut de l’affiche !●

PAR JIHANE BOUGRINE

Quand Tahar incarne Charles , il devient Aznavour

CE SONT CES INSTANTS SUSPENDUS,

PORTÉS PAR LA CAMÉRA SENSIBLE DES

RÉALISATEURS ET PAR L’INTENSITÉ DE

TAHAR RAHIM, QUI LAISSENT UNE

EMPREINTE DURABLE

Maroc

4 / 5

TITRE : Monsieur Aznavour

PAYS : France

RÉALISATEUR : Grand Corps Malade,

Mehdi Idir

GENRE : Musical/Drama

DURÉE : 134 minutes

ANNÉE : 2024

56

Maroc / Novembre 2024



EN SALLES

LE FILM

DU MOIS

Lina El Arabi porte le film sur ses épaules

LA DAMNÉE

OU L’EXORCISME

DU DÉJÀ-VU

Avec « La Damnée », son premier long métrage, le réalisateur

franco-marocain Abel Danan confirme son attrait pour le

cinéma de genre. Une proposition aussi ambitieuse que cassegueule,

présentée en avant-première au festival d’Angoulême.

PAR JIHANE BOUGRINE

Les souvenirs collectifs d’un confinement

qui semble si loin et pourtant si

proche auxquels on ajoute une once

de folie. C’est ce que propose le réalisateur

Abel Danan qui utilise la pandémie comme

toile de fond pour explorer les fissures psychologiques

d’une jeune marocaine, Yara

(Lina El Arabi), fraîchement installée dans un

appartement parisien désespérément miteux.

Ce huis-clos oppressant, soutenu par une

mise en scène claustrophobique, plonge le

spectateur dans une ambiance entre le rêve

et le cauchemar. Seule face à ses démons,

le personnage sombre et confirme le talent

de Lina El Arabi qui porte le film sur ses

épaules avec une performance habitée. Le

SEULE FACE À SES DÉMONS, LE PERSONNAGE

SOMBRE ET CONFIRME LE TALENT DE LINA EL

ARABI QUI PORTE LE FILM SUR SES ÉPAULES

AVEC UNE PERFORMANCE HABITÉE

réalisateur n’arrive pourtant pas à tenir le

rythme du film tant les nuances sont faibles

et l’écriture pas assez viscérale. Abel Danan,

déjà remarqué pour son court-métrage

Canine, continue d’explorer la frontière entre

le réel et l’imaginaire, jouant sur la fine ligne

qui sépare la santé mentale du délire. La première

moitié du film est prenante : l’appartement

de Yara y devient un personnage à

part entière, où chaque craquement, chaque

clignotement de lumière semble refléter sa

propre dégradation mentale.

Le film perd ensuite de son élan lorsqu’il

s’aventure au Maroc et dans le passé de

Yara. Cette partie du récit, censée apporter

une profondeur narrative et expliquer les

phénomènes surnaturels, échoue à

convaincre. Non seulement elle n’est pas

maîtrisée, mais elle sombre dans un folklore

maladroit qui contraste avec la subtilité du

huis-clos parisien. Le mystère se dissipe, et

la tension psychologique cède la place aux

clichés, privant le film d’une fin à la hauteur

de ses promesses initiales.

Malgré ces faiblesses, La Damnée reste un

essai prometteur, porté par une mise en scène

efficace, une performance à saluer de Lina El

Arabi et un réalisateur à suivre de près.●

Maroc

2 / 5

TITRE : La Damnée

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Abel Danan

GENRE : Thriller

DURÉE : 80 minutes

ANNÉE : 2024

58

Maroc / Novembre 2024


THE APPRENTICE

TRUMP, L’ÉLÈVE

DEVENU MAÎTRE

Acclamé en 2022 pour « Holy Spider », Ali Abbassi revient cette année avec

The Apprentice , un portrait très peu flatteur de Donald Trump qui s’attaque

à un chapitre moins connu de sa vie, alors qu’il commence à forger son nom

dans le milieu de l’immobilier, bien avant qu’il ne devienne la figure

controversée que l’on connaît aujourd’hui.

PAR SALMA HAMRI

L’un des points forts de The Apprentice

est sans conteste sa reconstitution

minutieuse du New York des années

1970, une ville alors rongée par la pauvreté

et le délabrement, offrant un terrain de jeu

idéal pour les opportunistes comme Trump.

Le réalisateur capte avec justesse l’ambiance

bouillonnante de l’époque, sublimée par une

bande-son entre les rythmes disco de Baccara

et la new wave de New Order. Cette

plongée dans l’atmosphère vibrante de

Manhattan est renforcée par des rencontres

avec des figures emblématiques telles

qu’Andy Warhol et Liberace qui accentuent

l’immersion dans ce monde à la fois décadent

et en pleine effervescence.

Au cœur du film se trouve la relation fascinante

entre Donald Trump (interprété avec

justesse par Sebastian Stan) et son mentor,

Roy Cohn (Jeremy Strong), avocat redoutable

et manipulateur sans scrupules. Cohn,

figure de pouvoir dans l’ombre, enseigne à

Trump ses trois règles d’or : attaquer sans

relâche, ne jamais admettre la défaite et toujours

se proclamer vainqueur. À travers cette

dynamique mentor-élève, Abbassi dépeint

un Trump encore balbutiant, en quête de

reconnaissance, qui absorbe les leçons de

son mentor jusqu’à finalement le surpasser.

Leçons d’immoralité avec Sebastian Stan, à gauche, dans le rôle

de Donald Trump et Jeremy Strong, dans le rôle de Roy Cohn

intensité terrifiante ce mentor machiavélique.

Cynique et décomplexé, son Roy Cohn

est une figure d’influence qui sculpte le

jeune Trump en un prédateur économique.

Stan, de son côté, offre une performance

tout en subtilité, qui oscille entre la vulnérabilité

d’un homme en quête de validation

et la froide ambition qui le conduira vers la

gloire.

jugement moral trop évident. Il livre plutôt

un récit équilibré, parfois satirique, qui alterne

entre des moments d’intimité troublante et

des scènes percutantes de pouvoir et de

manipulation. Le film parvient ainsi à humaniser

son sujet sans pour autant occulter l’ascension

cynique de Trump, mettant en

lumière ses faiblesses comme ses forces. ●

CRÉDIT : PIEF WEYMAN

Jeremy Strong, que l’on connaît pour son

rôle dans Succession, incarne avec une

Dans The Apprentice, Ali Abbassi évite de

tomber dans une caricature simpliste ou un

ABBASSI DÉPEINT UN TRUMP ENCORE

BALBUTIANT, QUI ABSORBE LES LEÇONS

DE SON MENTOR JUSQU’À FINALEMENT

LE SURPASSER

Maroc

2 / 5

TITRE : The Apprentice

PAYS : États-Unis

RÉALISATEUR : Ali Abbasi

GENRE : Drame

DURÉE : 120 minutes

ANNÉE : 2024

Novembre 2024 / Maroc

59


EN SALLES

THE KILLER

LE RETOUR MANQUÉ

DE JOHN WOO

John Woo, maître incontesté du cinéma d’action hongkongais, revient avec

« The Killer » (2024), un remake de l’un de ses chefs-d’œuvre de 1989. Censé être

un retour triomphal pour le cinéaste, cet hommage revisité à l’une des œuvres

les plus marquantes de sa carrière s’avère être un échec aussi cuisant qu’amer.

PAR SALMA HAMRI

CRÉDIT : UNIVERSAL A COMCAST COMPANY

JOHN WOO,

AUTREFOIS MAÎTRE

DU CINÉMA

D’ACTION, SEMBLE

ICI PIÉTINER SON

PROPRE HÉRITAGE

DANS UN FILM QUI

RESSEMBLE PLUS

À UNE PARODIE

INVOLONTAIRE

Nathalie Emmanuel dans le rôle de Zee, une tueuse qui cherche à se racheter, et Omar Sy, dans le rôle de l’inspecteur Sey

En 1989, The Killer était un choc esthétique

et émotionnel, avec une mise

en scène ponctuée de fusillades

chorégraphiées sublimées par la relation

entre le tueur (Chow Yun-Fat) et l’inspecteur

(Danny Lee). Cette version de 2024 tente de

revisiter cette alchimie, mais perd rapidement

en intensité et en sens. Dès les premières

minutes, le film nous plonge dans

une version parisienne de l’histoire, avec

des décors emblématiques. Un cadre français,

qui aurait pu revitaliser l’univers de Woo

mais s’avère sous-exploité. D’autant plus

que les fusillades et explosions ne semblent

pas troubler la ville, laissant un goût d’incrédulité

après le visionnage.

La mise en scène, autrefois virtuose, est ici

affaiblie par un manque d’inventivité et une

redondance, notamment les ralentis ou les

colombes. L’action, jadis chorégraphiée avec

une précision presque poétique, devient ici

une simple accumulation de scènes spectaculaires

sans émotion. Le casting, pourtant

prometteur, n’arrive pas à sauver le film.

Nathalie Emmanuel incarne Zee, une tueuse

qui cherche à se racheter, mais son personnage

est peu développé. Omar Sy, dans le

rôle de l’inspecteur Sey, semble perdu entre

des dialogues en anglais et en français qui

manquent de fluidité. Leurs interactions manquent

cruellement d’émotion et de profondeur,

là où le film de 1989 brillait par la complexité

des liens entre les protagonistes.

Les enjeux criminels, quant à eux, semblent

désincarnés, réduits à des dialogues convenus

et des twists scénaristiques caricaturaux,

notamment la révélation d’un lien

passé entre le policier et la tueuse, qui frôle

l’absurde.

Woo, autrefois maître du cinéma d’action,

semble ici piétiner son propre héritage dans

un film qui, au final, ressemble plus à une

parodie involontaire de Woo qu’à un véritable

hommage à son cinéma. ●

Maroc

2 / 5

TITRE : The Killer

PAYS : États-Unis

RÉALISATEUR : John Woo

GENRE : Action, Thriller, Crime

DURÉE : 126 minutes

ANNÉE : 2024

60 Maroc / Novembre 2024



REPORTAGE

62 Maroc / Novembre 2024


MERYEM BENM’BAREK

DERRIÈRE LES PALMIERS,

UNE RÉALISATRICE DANS

LA LUMIÈRE

Dans les coulisses du tournage de

Behind the Palm Trees , Meryem

Benm’Barek, en pleine maîtrise de son

art, dirige son équipe avec une sérénité

rare, dans une atmosphère à la fois

feutrée et intense. Sous le ciel changeant

de Tanger, la réalisatrice marocaine

nous plonge dans l’univers de son

deuxième long métrage, après le succès

de Sofia en 2018.

PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

Novembre 2024 / Maroc

63


REPORTAGE

L’ambiance est celle d’un cabaret en plein jour,

où les sons de l’Aita résonnent dans toute la

rue du Morocco Palace. Ce ne sont que les

répétitions, mais déjà les figurants prennent

place, les acteurs principaux entrent en scène,

sous le regard bienveillant de Meryem Benm’Barek, qui

entame la première semaine de tournage de son nouveau

film. Ce dernier raconte l’histoire de Mehdi, apparemment

heureux dans une vie bien ordonnée avec une

famille aimante et une relation amoureuse avec Selma,

jusqu’à sa rencontre déterminante avec Marie, une française

vivant au Maroc.

Ce film marque une évolution notable dans la carrière

de Benm’Barek, qui, après le succès critique de son premier

long métrage, s’aventure cette fois dans le territoire

du thriller psychologique. « Même si ce film commence

comme une romance, il glisse peu à peu vers un thriller,

tout comme Sofia, que je considère d’ailleurs comme un

thriller social plus qu’un drame », confie-t-elle avec une

détermination tranquille. L’approche stylistique est plus

sophistiquée, reflétant le milieu aisé dans lequel évoluent

ses personnages. Les décors somptueux, les costumes

élégants et l’utilisation soignée de la lumière

témoignent de cette volonté d’immersion dans un univers

particulier.

Sur le plateau, tout est méticuleusement planifié, sans

pour autant exclure l’improvisation. Meryem Benm’Barek,

toujours attentive aux détails, arrive à midi, l’heure prévue

selon le planning du jour. Elle apaise les équipes,

vérifie les dernières retouches, demande aux figurants

de changer de place, car chaque détail compte. Elle collabore

étroitement avec son chef opérateur, à qui elle

fait confiance pour choisir la caméra la plus adaptée à

ses intentions. « Je travaille avec Son Doan, mon directeur

de la photographie, depuis longtemps, depuis mon

film de fin d’études, Jennah. Nous avons une complicité

forte, ce qui fait de lui un allié de taille à mes côtés. Nous

DANS LES DEUX FILMS, LE

POLITIQUE VIENT QUESTIONNER

OU BOULEVERSER L’INTIME, QUE

CE SOIT AU SEIN DE LA CELLULE

FAMILIALE DANS SOFIA, OU À

TRAVERS UNE HISTOIRE D’AMOUR

DANS BEHIND THE PALM TREES

Le travail en équipe, la clé du succès de la cinéaste

64

Maroc / Novembre 2024


Synopsis-Behind

the Palm Trees

Mehdi mène une vie aussi exemplaire que modeste auprès de sa famille et

de Selma, sa nouvelle petite amie. Pour le jeune couple, tout se passe à

merveille jusqu’à ce que Mehdi fasse la rencontre de Marie, une jeune expatriée

française à la vie mondaine. Si le film s’annonce comme une romance sous

le soleil et le vent de Tanger, il glisse progressivement vers un thriller

psychologique à l’atmosphère crépusculaire.●

Pour ce film, la réalisatrice a misé sur une photographie stylisée

partageons des goûts similaires et, surtout, nous nous

connaissons très bien, ce qui rend la communication très

fluide », explique la réalisatrice, pour qui la cohésion de

l’équipe est essentielle. « Maintenir cette cohésion au

sein du groupe, ainsi que l’entente et le respect du travail

de chacun, est crucial. Nous passons plusieurs

semaines ensemble, et si la bienveillance n’est pas installée,

cela peut rapidement virer au cauchemar pour

tout le monde. Créer un environnement positif et solidaire

est donc une priorité sur le plateau ».

La direction d’acteurs dans la confiance et l’échange

Et cette promesse est tenue, car un simple regard suffit

à se comprendre. Inutile d’en dire plus. Le film de la réalisatrice

est déjà clair dans son esprit. « Je ne m’interroge

jamais en termes de technique au départ, mais toujours

en termes d’intention. Le choix de la caméra revient

principalement à mon chef opérateur, à qui je fais

confiance pour choisir le meilleur outil en fonction de

mes intentions et des besoins du film sur le tournage.

De mon côté, dès l’écriture, j’ai déjà une idée précise du

découpage ». Mais ce qui frappe le plus, c’est sa capacité

à anticiper le montage dès le tournage, en ajustant

Novembre 2024 / Maroc

65


REPORTAGE

Driss Ramdi, antihéro

sous les palmiers

Du haut de ses 1,80 m et de son allure nonchalante

parfaitement maîtrisée, Driss Ramdi est l’un de ces

visages que l’on n’oublie pas, que ce soit à la ville ou

à l’écran. Cet acteur déjà caméléon, qui sait se glisser

dans des rôles aussi variés que complexes, s’est fait

remarquer dans des courts métrages de réalisateurs

comme Youssef Michraf et Kamal Lazraq, notamment

dans Déjà la nuit et L’Ordre des pantins. Chacun de

ses personnages est une nouvelle peau, une nouvelle

aventure, qu’il incarne avec une aisance déconcertante.

Sur le plateau de Derrière les palmiers, il devient le

Mehdi de Meryem Benm’Barek, un personnage dont

la transformation à l’écran est à la fois subtile et

saisissante. Changement d’allure, d’énergie, de visage…

Driss Ramdi semble se réinventer à chaque scène,

offrant une performance marquée par une intensité qui

n’a rien de superflu. Formé en France, aux Cours Viriot

sous l’enseignement de Dominique Viriot, Driss a affiné

son art dans des ateliers de mime et de théâtre à la

MJC de Saint-Denis. Il a également forgé son talent en

se produisant au café-théâtre avec la Compagnie Lasri

du Rire. Ses collaborations avec des réalisateurs de

renom tels que Mehdi Ben Attia, Laurence Ferreira

Barbosa, Emmanuel Finkiel ou encore Emmanuel

Hamon, lui ont permis de diversifier son jeu, allant de

rôles dramatiques à des performances plus légères.

Filmer dans le Morocco Palace? Un grand défi

les plans et en jouant avec les silences, essentiels pour

créer la tension nécessaire dans un thriller.

Sa présence à l’écran, bien que souvent dans des

seconds rôles, ne passe jamais inaperçue. Que ce soit

dans la série Le Bureau des légendes où il a marqué

les esprits dans la troisième saison, ou dans des films

comme Exfiltrés ou Je ne suis pas mort , Driss Ramdi

impose son charisme avec une force tranquille. Ses

performances, toujours justes, captivent et laissent une

empreinte durable sur le spectateur. Talent à suivre …●

Son calme apparent sur le plateau n’est pas un hasard.

Il résulte d’une préparation rigoureuse en amont. « En

ce qui concerne le stress, je ne le ressens pas vraiment

sur le plateau. Les jours et les nuits s’enchaînent tellement

vite que je n’ai pas le temps de réaliser dans quoi

je suis. En revanche, la préparation est très stressante,

car on a toujours des problèmes à régler qui nous

tombent dessus. Une fois sur le tournage, les soucis se

résolvent en temps réel, ce qui nous permet de ne pas

trimbaler notre stress pendant des semaines, comme

c’est souvent le cas en préparation », confie-t-elle. Sa

seule routine est de se lever suffisamment tôt pour pouvoir

embrasser et respirer l’odeur de sa fille avant de

partir. Elle consacre également beaucoup de temps à

travailler avec les acteurs, discutant longuement des

personnages avant le début du tournage et explorant

Driss Ramdi, le « Mehdi » de Benm’Barek

66

Maroc / Novembre 2024


APRÈS « SOFIA », J’ÉTAIS

DÉTERMINÉE À ÉCRIRE UN FILM

QUI SERAIT UN COMPOSITE DE

TOUTES CES HISTOIRES VÉCUES

OU QUE L’ON M’A CONFIÉES

différentes nuances lors de lectures approfondies. Cette

phase de préparation permet aux acteurs d’arriver sur

le plateau en toute confiance, prêts à se laisser guider

par la réalisatrice, qui, une fois la caméra en marche,

leur laisse une grande liberté.

« Je communique beaucoup avec mes acteurs, mais une

fois sur le plateau, je leur fais confiance », explique-telle.

Cette confiance mutuelle donne naissance à des

performances riches en émotions, où les silences

deviennent aussi éloquents que les dialogues. Des dialogues

travaillés et réécrits depuis des années. La réalisatrice

ne laisse rien au hasard. « Je reste fidèle quasiment

au mot près. Ce serait dommage, même inquiétant,

après avoir passé sept ans à écrire un scénario, de le

changer au tournage ».

De Marrakech à Tanger

Tanger, ville aux mille visages, joue un rôle central dans

l’atmosphère du film. Pour Meryem Benm’Barek, ce retour

dans la ville où elle a vécu a été une sorte de cercle bouclé,

après des années passées loin du Maroc. Elle avait

d’abord envisagé Marrakech comme décor, mais c’est

finalement Tanger qui s’est imposée, presque malgré

elle. « Après Sofia, j’étais déterminée à écrire un film qui

serait un composite de toutes ces histoires vécues ou

que l’on m’a confiées. Initialement, je pensais à Marrakech

pour le film, car le sujet de la présence étrangère

au Maroc y semblait bien convenir. Mais une fois que j’ai

commencé les repérages, je ne trouvais pas ce que je

voulais. J’ai persisté, mais ça ne fonctionnait pas ». Ce

choix s’avère payant, tant la ville semble imprégner le

film de son histoire et de sa complexité, renforçant les

thèmes de tension et de dualité. Filmer dans le Morocco

Palace, un lieu aussi emblématique que complexe, a présenté

des défis considérables. L’obtention des autorisations

pour tourner dans ce cadre, où l’intimité des personnes

présentes est jalousement protégée, a nécessité

des négociations délicates.

Pourtant, Meryem Benm’Barek a su capter l’essence

même du lieu, optant pour une caméra à l’épaule pour

saisir l’authenticité des scènes improvisées par les

Novembre 2024 / Maroc

67


REPORTAGE

Meryem Benm’Barek, calme et concentrée sur le plateau

cheikhates et leurs musiciens. « Ces hommes et ces

femmes dégagent une grande beauté, une profonde

humanité, que je tenais absolument à capturer à l’écran»,

dit-elle avec une émotion palpable. Dans le film, la

séquence de cabaret répond à une autre scène clé. Marie

fait entrer Mehdi dans son univers, un monde de mondanité

où la fête est guindée et superficielle. À l’opposé,

dans la séquence qui suit, Mehdi l’emmène dans son

propre monde, où la fête est authentique. Dans cet espace,

les corps bougent, transpirent et s’expriment librement.

« Pour donner une référence classique, on peut penser

à Titanic, où Rose introduit d’abord Jack dans un monde

ennuyeux avant d’être emmenée dans un univers plus

vivant et audacieux. Mehdi, comme Jack, prend un risque

en révélant son monde à celle qui lui plaît, mais c’est précisément

ainsi qu’il parvient à la séduire. Le fait qu’elle

soit séduite ici raconte quelque chose de ses failles, mais

aussi de ses fantasmes et projections sur qui est ce jeune

Marocain qu’elle vient de rencontrer », explique la cinéaste,

qui admet évoluer de film en film.

Depuis Sofia, la réalisatrice a beaucoup évolué, tant sur

le plan personnel que professionnel. « Ce dernier film

m’a demandé beaucoup de nerfs et de patience, et j’ai

découvert en moi des ressources insoupçonnées »,

confie-t-elle. « Dans les deux films, le politique vient questionner

ou bouleverser l’intime, que ce soit au sein de

la cellule familiale dans Sofia, ou à travers une histoire

d’amour dans Behind the Palm Trees. Ce qui change en

revanche, c’est la mise en scène. Pour Sofia, j’avais choisi

une approche très sobre et épurée, car cela correspondait

à la nature de l’histoire que je voulais raconter. En

revanche, Behind the Palm Trees est beaucoup plus stylisé

», confie la cinéaste tout en évoquant l’importance

de rester fidèle à ses convictions, même dans les moments

de doute. Elle souligne l’importance de la sincérité dans

la création cinématographique, convaincue que c’est

cette honnêteté qui touche le spectateur.

En quittant le plateau, on ne peut qu’être impressionné

par la maîtrise tranquille de cette réalisatrice, qui semble

garder le contrôle sans jamais forcer les choses. Behind

the Palm Trees s’annonce comme une œuvre riche, où

l’esthétique soignée et l’émotion brute se rencontrent

pour créer une expérience cinématographique au supplément

d’âme.●

68

Maroc / Novembre 2024



DOSSIER PRO

DU PAPIER

À L’ÉCRAN :

PAROLES DE

SCÉNARISTES

AVEC YASMINE

BENKIRAN ET

BASMA EL HIJRI

L’écriture scénaristique, essentielle à toute

œuvre audiovisuelle, suit un processus

minutieux qui diffère selon le médium pour

lequel elle est destinée. Au Maroc, ce métier

se développe à mesure que l’industrie du

cinéma et de la télévision gagne en visibilité,

offrant aux scénaristes de nouvelles

opportunités. À travers les témoignages de

deux professionnelles du secteur, Yasmine

Benkiran, scénariste et réalisatrice de longmétrages,

et Basma El Hijri, spécialisée dans

l’écriture pour la télévision, cet article dévoile

les rouages de la création de scénarios, entre

cinéma et télévision.

PAR SALMA HAMRI

70

Maroc / Novembre 2024


Yasmin Benkiran

Dans le monde du cinéma, l’écriture

scénaristique est un processus complexe

qui repose autant sur la créativité

individuelle que sur une solide formation

technique. Pour Yasmine Benkiran et Basma

El Hijri, deux scénaristes marocaines aux parcours

distincts, ce métier s’est construit à travers

des expériences professionnelles variées

et une passion grandissante pour la narration

visuelle. Bien que leurs trajectoires aient pris

des chemins différents, l’une ayant découvert

sa vocation après avoir travaillé dans une

société de production (Yasmine Benkiran) et

l’autre ayant fait le saut après une longue carrière

journalistique (Basma El Hijri), toutes

deux partagent une conviction : l’écriture scénaristique

est un artisanat qui s’affine avec le

temps et l’expérience.

Leur approche est marquée par une réflexion

profonde sur les enjeux narratifs et émotionnels

du cinéma, et elles mettent en avant l’importance

du travail collaboratif et de la critique

constructive dans le processus d’écriture. Leurs

parcours illustrent comment l’apprentissage,

qu’il soit académique ou autodidacte, peut

révéler de véritables talents, tout en montrant

que le métier de scénariste n’est jamais figé,

mais en constante évolution.

Yasmine Benkiran ne s’est pas immédiatement

dirigée vers la scénarisation. Petite, elle ne

s’autorisait pas à se projeter comme scénariste

ou cinéaste, en partie à cause de ce qu’elle

décrit comme « le mythe du génie ». Elle pensait

que l’on possédait un talent inné ou non,

sans se rendre compte que c’était avant tout

un métier qui s’apprenait. C’est en travaillant

dans une société de production que cette révélation

s’est faite : « J’ai réalisé que c’était un

métier que l’on pouvait apprendre, que même

les grands cinéastes pouvaient avoir des premières

versions de scénarios non convaincantes

». C’est à ce moment qu’elle décide de

quitter la production pour intégrer l’atelier scénario

de La Fémis, une étape qui lui a apporté

une approche pratique et concrète. Pour elle,

l’essentiel n’est pas de suivre strictement des

règles académiques, mais plutôt d’apprendre

en forgeant ses propres outils et en étant à

l’écoute des autres. Ce « travail d’artisanat »,

comme elle le décrit, est au cœur de son

approche scénaristique.

De son côté, Basma El Hijri a toujours eu une

passion pour la fiction, dès son plus jeune

âge. Cependant, avant de devenir scénariste,

elle a travaillé comme journaliste, une

profession qui a façonné sa manière d’aborder

l’écriture scénaristique. « Mon amour

pour la fiction est resté ancré en moi, même

lorsque j’ai choisi le journalisme pour mieux

comprendre mon pays », explique-t-elle. Ce

Septembre Novembre 2024 / Maroc

71


DOSSIER PRO

TOUT PEUT DEVENIR MATIÈRE À FICTION.

LES THÉMATIQUES, QUANT À ELLES,

S’IMPOSENT D’ELLES-MÊMES AU FIL

DU PROCESSUS

travail sur le terrain, ses rencontres avec des

cinéastes marocains et étrangers lors de festivals

de cinéma, ont nourri son envie de passer

à l’écriture scénaristique.

Sa transition vers l’écriture de scénarios s’est

faite après sa démission de son poste à la télévision.

« J’ai pris la décision de quitter la télévision

pour me consacrer pleinement à l’écriture

scénaristique, et c’est la meilleure décision

de ma vie », dit-elle. Pour Basma, son expérience

journalistique lui a permis de développer

une sensibilité accrue aux réalités humaines,

ce qui se reflète dans ses scénarios. Le journalisme

l’a préparée à observer, analyser et

relater des histoires avec justesse, des compétences

qu’elle réinvestit aujourd’hui dans

son travail de scénariste.

Ces deux trajectoires, bien que différentes,

témoignent de l’importance de l’expérience

personnelle et du travail d’apprentissage dans

l’écriture de scénarios. Que ce soit à travers

la pratique concrète dans un cadre académique

comme pour Yasmine, ou grâce à une

longue carrière de journaliste comme pour

Basma, le métier de scénariste se construit

avant tout par l’expérience et la passion.

Entre émotions et structure

Yasmine Benkiran, scénariste et réalisatrice

du long-métrage Reines, s’illustre par une

approche très personnelle du cinéma. Son

travail débute souvent par une émotion ou

une idée qui germe progressivement avant

de se transformer en une structure narrative

cohérente. L’écriture d’un long-métrage

repose pour elle sur un processus introspectif

profond, où l’histoire se construit étape

par étape. « Faire un film sur une thématique

ou sur une idée abstraite ou sociétale c’est

quelque chose qui ne m’intéresse pas en

termes de cinéma mais d’un coup s’il y a une

ambiance, des personnages, des images,

CRÉDIT : BOXOFICEMAROC

Basma El Hijri, scénariste de séries et téléfilms

72

Maroc / Novembre 2024


CRÉDIT : BOXOFICEMAROC

matière à fiction. Les thématiques, quant à elles,

s’imposent d’elles-mêmes au fil du processus».

Son approche est toutefois plus rapide et

directe, du fait de la nature spécifique de la

production télévisée, où les délais sont souvent

plus serrés. « Une fois l’idée trouvée, je

me plonge dans la recherche. Je m’informe

abondamment sur le sujet, échange avec des

experts et m’assure de maîtriser chaque aspect.

Pour moi, cette phase de prospection est essentielle.

Ensuite, je commence à développer un

synopsis en m’appuyant sur une structure narrative

solide. À mesure que le synopsis se développe,

les personnages prennent forme presque

naturellement et une fois les personnages bien

établis, je développe des arcs narratifs pour

structurer le récit. Bien sûr, il est naturel de

changer de direction en cours de route, de se

laisser porter par sa créativité et ses émotions.

Mais je veille toujours à baliser le terrain dès le

départ, histoire d’avoir une boussole pour éviter

de me perdre », détaille la scénariste.

une musique, quelque chose de très sensible

qui vient à moi là je peux avoir des

envies très fortes et ensuite la réflexion et

le théorique arrivent après le sensoriel ».

L’une des premières étapes clés est le développement

du synopsis, un résumé condensé

de l’intrigue qui permet d’envisager le fil conducteur

du film. Ce synopsis évolue ensuite en un

séquencier, qui découpe l’histoire en séquences

précises. Ce travail de structuration est crucial

pour un long-métrage, car il permet de gérer

le rythme et l’évolution dramatique de l’intrigue.

« Je ne pars jamais sur une dialoguée je pars

d’abord sur la structure, ce que je veux raconter,

quels sont mes personnages, mon histoire

et pour moi c’est ce travail de tâtonnement qui

est le plus difficile et qui met le plus de temps,

le reste c’est du pur plaisir d’écriture. C’est

pour moi l’étape la plus réjouissante parce

qu’on voit le film prendre forme, mais le plus

important et le plus difficile c’est le travail de

structure et de narration. Mettre les envies et

les intuitions sur papier, voir si ça marche et

les mettre sur papier », explique-t-elle.

Basma El Hijri, de son côté, évolue dans un

registre différent, celui de l’écriture pour la

télévision. Elle a notamment travaillé sur la

série Aâm o Nhar et le téléfilm Forsa Tania.

« Forsa Tania a été mon premier opus et mon

premier challenge dans mon aventure de scénariste

et j’ai eu la chance de collaborer avec

Hicham El Jebbari dont je respecte le travail

et l’abnégation. La série, quant à elle, obéit à

des codes très différents. C’est un exercice

bien plus complexe qui nécessite souvent un

travail d’équipe, au sein d’une cellule d’écriture.

Pour Aâm o Nhar, j’ai eu la chance de

coécrire la série avec des auteurs que j’admire

profondément, comme Jawad Lahlou, Ayoub

Layoussifi, Mounia Magueri, et Ayoub Lahnoud,

qui a également réalisé la série. Ce sont plusieurs

mois d’intenses réflexions, de débats

passionnés, d’embranchements et de compromis

qui ont finalement donné toute sa consistance

à l’histoire », nous raconte Basma.

Tout comme Yasmine Benkiran, choisir une thématique

n’est pas sa première préoccupation.

« Ce qui me pousse à écrire, c’est souvent un

besoin viscéral de raconter des histoires qui

me touchent profondément, parce que je les

ai vécues ou entendues. Tout peut devenir

L’écriture pour un téléfilm ou une série débute

également par un synopsis, mais le séquencier

est ici encore plus essentiel, car chaque

épisode ou acte d’un téléfilm doit avoir son

propre arc narratif tout en s’intégrant dans la

continuité de l’histoire. « Écrire un scénario se

fait souvent en deux grandes étapes : le

séquencier, puis la continuité dialoguée. Le

séquencier est la structure de base, un enchaînement

de scènes qui s’organisent en

séquences. Il inclut le décor, les personnages,

la description des lieux, ainsi que les didascalies,

permettant de visualiser l’univers et l’action

», poursuit Basma El Hijri.

Ensuite vient l’étape cruciale des dialogues.

Le passage de la rédaction au dialogue diffère

pour Yasmine Benkiran et Basma El Hijri, mais

il est essentiel pour chacune d’elles. Pour la

première, les dialogues prennent véritablement

forme à la fin du processus d’écriture. «

Néanmoins, quand on écrit un synopsis on a

des dialogues et des choses qui sortent par

moments et qu’il faut garder en tête. D’ailleurs

ce sont toujours les meilleurs dialogues, ceux

L’INTERACTION AVEC LES ACTEURS JOUE UN

RÔLE CLÉ DANS L’AFFINAGE DES RÉPLIQUES. CE

TRAVAIL COLLABORATIF PERMET D’AJUSTER LE

TEXTE EN FONCTION DE LA PERFORMANCE DES

COMÉDIENS, NOTAMMENT LORSQUE CERTAINES

RÉPLIQUES NE SONNENT PAS COMME PRÉVU

Novembre 2024 / Maroc

73


DOSSIER PRO

Les défis de l’écriture scénaristique au Maroc

Les défis auxquels sont confrontées les scénaristes

marocaines varient selon leur parcours

et le type de scénario. A titre d’exemple, pour

Basma, l’un des plus grands défis de l’écriture

pour la télévision est de maintenir l’attention

du spectateur sur une période plus longue, que

ce soit à travers des épisodes successifs ou un

téléfilm complet, mais certaines difficultés sont

universelles. Yasmine Benkiran met en avant

une difficulté structurelle propre à l’industrie :

« Le nerf de la guerre de l’écriture, c’est l’argent

». Elle déplore que le scénario soit à la fois

sous-estimé et sous-payé, malgré son rôle central

dans la production d’un film. Selon elle,

l’écriture de scénarios est un processus long,

pouvant s’étendre sur plusieurs années, souvent

rémunéré au minimum car il constitue un

risque pour les producteurs qui doivent lever

des fonds sur la base de ce travail. Elle décrit

également ce métier comme ingrat, avec peu

de reconnaissance. « Vous ne verrez que rarement

un scénariste sur un tapis rouge », ajoutet-elle.

Le contraste entre l’importance du scénario

et le manque de visibilité des scénaristes

est un autre obstacle qu’elle soulève dans l’industrie

cinématographique marocaine.

??????

Yasmine Benkiran, scénariste et réalisatrice du film Reines

qui font mouches ». Ensuite, c’est du travail

d’écriture. Yasmine Benkiran nous fait également

savoir que l’interaction avec les acteurs

joue un rôle clé dans l’affinage des répliques.

Ce travail collaboratif permet d’ajuster le texte

en fonction de la performance des comédiens,

notamment lorsque certaines répliques ne

sonnent pas comme prévu. « Les vrais dialogues

se trouvent aussi avec les comédiens.

On peut avoir une envie de dialogue, mais des

fois quand on l’entend de la bouche d’un comédien

ça sonne faux ou ce comédien n’arrive

pas à le dire comme on l’a imaginé, il a peutêtre

aussi une meilleure proposition à ce

moment-là. Donc voilà, les dialogues parfois

changent quand on met en scène ».

De son côté, Basma El Hijri adopte une

approche plus structurée. Pour elle, l’écriture

des dialogues intervient après le séquencier,

une étape où l’on construit la trame narrative

scène par scène. « Les dialogues insufflent la

vie à l’histoire à travers les répliques des personnages.

Chaque personnage possède son

propre référentiel, sa manière de s’exprimer,

un ton qui lui est spécifique. C’est pourquoi il

est essentiel d’avoir des fiches personnages

détaillées, pour bien cerner leur personnalité

et leur façon de parler. D’une séquence à l’autre,

le dialogue joue un rôle fondamental : il doit

permettre à l’histoire de se dérouler naturellement,

tout en révélant la profondeur des personnages

et les enjeux de l’intrigue ».

Pour Basma El Hijri, la compétition dans le

domaine du scénario est intense. « La concurrence

y est féroce, et les professionnels rivalisent

d’ingéniosité d’une année à l’autre pour

se démarquer. Il est donc essentiel de renouveler

constamment ses idées, afin de proposer

des créations originales qui captent l’attention

», explique-t-elle. Trouver un producteur

capable de reconnaître le potentiel d’une histoire

est un autre obstacle majeur, bien qu’elle

ait eu la chance de collaborer avec des professionnels

comme Amine Benjelloun et Nabil

Ayouch, qui ont su l’accompagner. Toutefois,

elle souligne qu’au Maroc, le processus de

sélection des projets télévisuels est codifié.

« Les principaux diffuseurs choisissent les projets

sur la base d’un appel d’offres public. Ce

qui permet à tout le monde de tenter sa chance

et se démarquer ».

La recette d’un bon scénario

La force d’un bon scénario, selon les deux

scénaristes, repose sur des éléments différents,

mais complémentaires. Pour Basma,

la clé d’un bon scénario se trouve dans la

solidité de son intrigue, la profondeur de ses

personnages complexes et nuancés, et surtout

son authenticité qui touche le public. Il

s’agit également de « doser le rythme entre

des moments d’intensité et des pauses, tout

en se démarquant par son originalité, qu’il

s’agisse d’un point de vue singulier ou d’un

rebondissement surprenant. Enfin, il doit susciter

une forte résonance émotionnelle, permettant

ainsi au public de s’immerger profondément

dans l’histoire », dit-elle.

Yasmine, de son côté, reconnaît que son

approche de ce qui constitue un bon scénario

a évolué avec le temps. « Avant, je pensais avant

que les bons scénarios devraient être extrêmement

balisés dramaturgiquement comme les

scénarios de Pixar que je trouve exceptionnels,

mais j’ai changé d’avis car je vois des œuvres

extraordinaires qui ne répondent pas à ces

balises-là. Je n’ai donc pas de réponses ou de

formules pour un bon scénario ». Selon elle,

certains films échappent aux structures classiques

et pourtant, la magie opère. La force d’un

scénario peut aussi résider dans des éléments

qui transcendent la dramaturgie stricte, comme

la force des situations ou le jeu des comédiens,

et parfois, comme dans un roman, c’est le style

qui l’emporte sur l’histoire elle-même.●

74

Maroc / Novembre 2024


75


ZOOM SUR UNE SALLE

CINÉ ATLAS À RABAT

LE COLISÉE

RÉINVENTÉ

Le Ciné Atlas, autrefois connu sous le nom de Colisée,

a retrouvé toute sa splendeur en 2018 après avoir

passé plusieurs années dans l’oubli. Situé sur l’avenue

Mohammed V, en plein cœur de la capitale marocaine,

ce cinéma mythique fermé en 2002 est devenu le

premier multiplexe de Rabat et représente aujourd’hui

une fusion entre patrimoine historique et modernité

sous le nom de « Ciné Atlas Rabat Colisée ».

PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

76 Maroc / Novembre 2024


L

es origines du Ciné Atlas

remontent à l’inauguration de la

salle Rex en 1935. Conçue par

l’architecte J.-E. Robert pour la

société Balima, cette salle, bien

que brève sous ce nom, s’est rapidement

réinventée. En 1936, les frères Ténoudji,

des exploitants algériens de cinéma,

reprennent l’établissement et le renomment

Colisée. À partir de ce moment, le

Colisée devient l’une des salles de référence

de Rabat, aux côtés du Royal et du

cinéma Renaissance. Il est rapidement

devenu un symbole du dynamisme culturel

de la capitale, attirant des foules nombreuses

pour ses projections de films internationaux

et locaux.

Pendant des décennies, le Colisée a été le

théâtre de nombreuses avant-premières et

projections mémorables. Parmi les événements

marquants, la sortie de Saturday Night

Fever en 1978 reste gravée dans la mémoire

collective, avec des billets vendus des jours

à l’avance. De plus, dans les années 1980,

le cinéma marocain connaissait un âge d’or

avec près de 40 millions de billets vendus à

travers le pays, et le Colisée était au cœur

de cette effervescence cinématographique.

Le Colisée finit toutefois par fermer ses portes

en 2002, suite à une longue lutte contre le

déclin de la fréquentation des salles au début

des années 2000.

Cet évènement aurait pu signifier la fin de

cette salle emblématique, mais c’était sans

compter sur la vision de Pierre-François Bernet,

entrepreneur français et amoureux du

cinéma. En 2018, après une année de travaux,

le Colisée rouvre sous le nom de Ciné Atlas

Rabat Colisée, devenant ainsi le premier multiplexe

de la capitale. L’initiateur de ce projet

a investi 15 millions de dirhams dans la reconstruction

et l’équipement du Colisée de Rabat

et a été soutenu par le Centre cinématographique

marocain (CCM), qui a investi pour sa

part 3 millions de dirhams dans la réhabilitation.

Cette transformation ne s’est pas faite à

la légère : tout le projet a été conçu « dans un

souci de préservation du patrimoine », mariant

l’architecture d’origine à des équipements de

pointe, tient à préciser Bernet.

L’ancien balcon a été rallongé de 7 mètres par

une dalle, et un mur vertical à double cloison

acoustique a été érigé pour former la grande

salle 1. En dessous de ce balcon, la grande

salle d’origine de 1150 places a été divisée en

trois espaces distincts grâce à un autre mur

acoustique, donnant naissance aux salles 2,

3 et 4. Chacune de ces salles a été aménagée

pour offrir aux spectateurs « une expérience

confortable et immersive ». Les ferronniers

locaux ont été sollicités pour restaurer

les détails métalliques, et les matériaux d’origine

tels que le marbre de Bejaâd, le marbre

blanc de Carrare et le marbre de Tiflet ont été

utilisés pour préserver l’authenticité du lieu,

détaille le directeur de Ciné Atlas.

En plus de son architecture préservée, le

multiplexe propose des sièges confortables

à double accoudoir, un système de projection

4K, et une qualité sonore optimale. Le

cinéma Atlas Rabat dispose d’une salle 3D,

ainsi que 3 salles procédé éclair color. Par

ailleurs, pour rendre l’expérience encore

plus agréable, les spectateurs peuvent réserver

leurs places en ligne avec un plan de

salle interactif. Les moins de 12 ans paient

45 dirhams, contre 50 pour les étudiants et

65 en plein tarif. Le cinéma propose également

des abonnements avantageux comme

un tarif spécial couple : 50 dirhams chacun.

Le Ciné Atlas n’est que le début d’une ambition

plus large. En 2022, la ville d’El Jadida

a accueilli son premier complexe cinématographique

de trois salles bâties sur la

corniche : Ciné Atlas El Jadida. Pierre-François

Bernet envisage d’ouvrir d’autres multiplexes

à travers le Maroc. Deux sont déjà

en préparation : l’une à Casablanca, et

l’autre à Tanger, où elle remplacera le

cinéma Mauritania. Un projet audacieux

de Bernet qui est convaincu que la solution

pour « réconcilier les Marocains avec

le cinéma repose sur une offre premium,

alliant confort, qualité de projection et service

irréprochable ».●

Novembre 2024 / Maroc

77


ZOOM SUR UNE SALLE

Ciné Atlas Rabat Colisée, premier multiplexe de la capitale

Des tableaux représentant des acteurs marocains et étrangers ornent tout l’espace

78

Maroc / Novembre 2024


CINÉ ATLAS:

LE COLISÉE

SALLE 1

Nombre de fauteuils

252

Taille de l’écran

13 M X 4.4 M

Marque du projecteur

SONY ET CHRISTIE

Résolution

du projecteur

4K - 2K

Son

DOLBY 7.1

L’entrée du cinéma Atlas, sur l’avenue Mohammed V, en plein cœur de Rabat

Le projet a été conçu dans un souci de préservation du patrimoine, mariant l’architecture d’origine à des équipements de pointe

Novembre 2024 / Maroc

79


ZOOM SUR UNE SALLE

Chacune de ces salles a été aménagée pour offrir aux spectateurs une expérience confortable et immersive

CINÉ ATLAS:

LE COLISÉE

SALLE

2-3 ET 4

Nombre de fauteuils

73-75-54 + 2PMR

Taille de l’écran

7.15 M X 3M

Marque du projecteur

SONY ET CHRISTIE

Résolution

du projecteur

4K

Son

DOLBY 7.1

Au guichet, les moins de 12 ans paient 45 dirhams,

contre 50 pour les étudiants et 65 en plein tarif

Le multiplexe propose des sièges confortables à double accoudoir, un système de projec- tion 4K, et une qualité sonore optimale

80

Maroc / Novembre 2024


La salle d’attente du cinéma, pour les cinéphiles qui arrivent à l’avance et les gourmands à la recherche de pop-corn

La devanture du cinéma avec les films à l’affiche

Novembre 2024 / Maroc

81


UNE SALLE, UNE HISTOIRE

CINÉMA RIALTO,

NOSTALGIE D’UN

CASABLANCA

CINÉPHILE

Situé en plein cœur de Casablanca, sur la rue Mohammed El Qori, le cinéma Rialto

qui portait autrefois le nom de Splendid, est bien plus qu’une simple salle obscure. Construit

en 1930 par l’architecte Pierre Jabin, ce chef-d’œuvre d’architecture Art déco est le premier

cinéma parlant de la ville et l’un des plus anciens encore en activité au Maroc. Dès son

inauguration, le Rialto se veut un espace culturel avant-gardiste et un monument

incontournable du centre-ville de Casablanca.

PAR SALMA HAMRI

82 Maroc / Novembre 2024


Architecturalement, le cinéma Rialto

est un véritable joyau. Sa façade

rouge et blanche, typique de l’Art

déco, se dresse fièrement sur la rue Mohammed

El Qori, attirant les regards de tous ceux

qui traversent le centre-ville. À l’intérieur, le

vaste hall d’entrée et les décors soignés

témoignent d’une époque où le cinéma était

une expérience sensorielle totale. En plus

de son héritage architectural, le Rialto fait

partie de ces rares cinémas au Maroc à être

encore répertoriés dans les guides touristiques,

notamment en raison de son lien

avec le film Casablanca, une œuvre légendaire

qui contribue à renforcer le mythe

entourant la salle.

Avec ses 1350 places, réparties entre loges,

balcon et parterre, le cinéma occupe une

surface impressionnante de 1500 mètres carrés.

Sa structure en béton armé, dominée

par une coupole monumentale à 14 mètres

de hauteur, offre une acoustique exceptionnelle,

idéale pour les projections cinématographiques,

mais aussi pour les spectacles

de music-hall et d’opéra. C’est d’ailleurs cette

polyvalence qui a permis au Rialto de s’imposer

comme l’une des plus importantes

salles de spectacle d’Afrique du Nord.

Dans Le Maroc en 1938, d’Edouard Sarrat,

l’auteur détaille les composantes de la salle

de cinéma. « À part les murs des façades,

tout est en béton armé. La grande poutre du

balcon (22 m) et la coupole située à 14 m de

hauteur sont des merveilles de calcul et d’exécution.

Les cabines de projection, situées

dans la coupole, grâce à des revêtements

de faïence blanche, et à une propreté méticuleuse,

ont l’aspect austère d’un laboratoire.

Des dispositions ont été prises pour que,

pendant les chaleurs de l’été, une fraîcheur

exquise regne dans la salle. Les portes de

secours, judicieusement disposées, per

LE RIALTO FAIT PARTIE DE CES RARES

CINÉMAS AU MAROC À ÊTRE ENCORE

RÉPERTORIÉS DANS LES GUIDES

TOURISTIQUES

Novembre 2024 / Maroc

83


UNE SALLE, UNE HISTOIRE

Extrait du journal Le Petit Marocain 9 avril 1943

Extrait du journal Le Petit Marocain 21 février 1953

mettent une évacuation rapide des spectateurs.

En cas de panique, la salle peut être

vidée en moins de deux minutes et demie ».

« De plus, et ceci est à considérer, le Rialto,

en dehors des installations techniques de

projection, a été fait, construit, décoré,

meublé, éclairé, etc., par des Casablancais

ou des industries casablancaises. Les fauteuils

même, qui sont des merveilles de

confort, ont été faits à Casablanca. Le soin

qu’a mis la direction du Rialto à faire de ce

cinéma l’une des plus belles salles de l’Afrique

du Nord serait vain si les programmes les

mieux choisis n’attiraient les spectateurs ».

Le cinéma a rapidement gagné en prestige,

notamment en raison des nombreuses célébrités

internationales qui s’y sont produites.

Parmi elles, Joséphine Baker, qui y donna

un récital inoubliable en 1943 devant des

soldats américains dans le cadre de l’Opération

Torch, un moment emblématique de

l’histoire du lieu. D’autres figures légendaires,

comme Édith Piaf, Charles Aznavour, Maurice

Chevalier et Tino Rossi, ont également

foulé la scène du Rialto, contribuant à renforcer

son statut d’icône culturelle. Le cinéma

a également projeté les chefs-d’œuvre du

7e art international, faisant découvrir au

public marocain des films inédits, dans un

cadre unique où se mêlaient art et histoire.

Le Rialto, comme bien d’autres cinémas de

l’époque, a joué un rôle crucial dans l’émergence

d’une société cosmopolite et ouverte.

À l’époque de sa construction, Casablanca

était en plein essor, et la salle est devenue

un point de rencontre pour les habitants de

tous horizons, réunissant aussi bien les élites

que le grand public autour de la magie du

cinéma et des spectacles. D’ailleurs, c’est

avec le Rialto que le cinéma parlant fait son

apparition au Maroc, soit à peine quelques

mois après la France et quelques mois avant

l’Empire et le Régent de Seiberras.

La gestion de la salle de cinéma passe des

mains de Jean Gautier et Ugo Tosi qui

reprennent la direction du Rialto en 1936 à

celles de la famille Belghiti, qui a acquis la

salle en 1975. Au fil des décennies, notamment

à la fin des années 90, le cinéma a dû

faire face à des défis importants. L’expansion

des chaînes satellitaires, l’arrivée des

DVD piratés, ainsi que la construction de

multiplexes modernes ont contribué au déclin

progressif des salles de cinéma traditionnelles

comme le Rialto.

LE RIALTO, EN DEHORS DES

INSTALLATIONS TECHNIQUES DE PROJECTION,

A ÉTÉ FAIT, CONSTRUIT, DÉCORÉ, MEUBLÉ,

ÉCLAIRÉ, ETC., PAR DES CASABLANCAIS

Bien que la salle ait maintenu une programmation

régulière jusqu’aux années 2000,

elle a finalement fermé ses portes en raison

d’un manque de rentabilité, une situation

qui a affecté de nombreuses autres salles

historiques de Casablanca. Le cinéma Lux,

le Vox ou encore le cinéma Colisée ont eux

aussi souffert du même sort, marquant la fin

d’une époque où le cinéma mono-écran

dominait la vie culturelle de la ville.

Dans un contexte difficile, le Rialto a néanmoins

tenté de se réinventer pour subsister.

Dès 2016, l’association Wydad Action a

loué la salle pour la retransmission en direct

d’un match crucial de la CAF Champions

League opposant le Wydad de Casablanca

à Al Ahly du Caire. Pour la première fois, des

supporters ont pu vibrer au rythme du football,

non pas dans les gradins d’un stade,

mais confortablement installés dans les fauteuils

du Rialto. Cet événement a marqué

un tournant dans l’utilisation de la salle, qui

a commencé à miser sur l’événementiel

comme la retransmission de matchs de foot,

des conférences ou des pièces de théâtre,

attirant un public plus large en diversifiant

ses activités. Plus récemment, la chaîne saoudienne

MBC5 a transformé la salle pour y

accueillir son émission Masrah Al Maghreb,

redonnant vie à ce lieu mythique, même

temporairement.

Notons que Masrah Al Maghrib, est un projet

artistique lancé en 2020 sous la direction

de la chaîne MBC 5 et qui avait pour

volonté de relancer le mouvement théâtral.

L’écriture de la série de spectacles était

confiée à Abdellah Didane, Hassan Fouta

et Meryem Idrissi. Une constellation de stars

et de figures prometteuses toutes lauréates

de l’ISADAC, ont participé à cette pièce et

les 20 représentations de la troupe du Masrah

Al Maghrib, actuellement disponibles

sur la plateforme Shahid, avaient eu lieu sur

la scène du cinéma Rialto de Casablanca

les jeudis, vendredis et samedis de chaque

semaine.●

84 Maroc / Novembre 2024



INTERVIEW PRO

RACHIDA SAADI

« L’UN DES PLUS GRANDS

DÉFIS AUXQUELS JE SUIS

CONFRONTÉE EST LA

RECHERCHE DE

FINANCEMENTS »

Dans un paysage cinématographique

marocain en pleine mutation, Rachida Saadi

se démarque par sa capacité à naviguer entre

les défis de la production et les exigences de la

création artistique. Productrice chevronnée et

réalisatrice passionnée, elle partage les coulisses

d’une industrie où chaque projet est une aventure

unique. Echange avec la dame de fer de la

production marocaine qui s’efforce de donner

vie à des récits puissants, tout en ouvrant la voie

à une nouvelle génération de talents.

INTERVIEW MENÉE PAR JIHANE BOUGRINE

CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

Détermination et patience pour mener à bien un projet de film

Le cinéma marocain est en pleine évolution.

En tant que productrice, quels sont les plus

grands défis auxquels vous êtes confrontée

pour mener à bien des projets ?

En tant que productrice, l’un des plus grands

défis auxquels je suis confrontée est la

recherche de financements. Cela peut

prendre pour certains projets des années.

Une fois le budget bouclé et le financement

acquis, le défi suivant est de s’adapter à ce

budget et de gérer efficacement les ressources

tout au long du processus de production

et garantir que le film soit terminé

dans les délais et selon les normes de qualité

attendues.

Enfin, une fois le film terminé, un autre défi

majeur consiste à assurer une distribution

efficace et à promouvoir le film pour qu’il

atteigne un large public. En somme, chaque

projet représente un défi unique et stimulant

qui nécessite compétence, créativité et détermination

pour mener à bien du début à la fin

En tant que femme productrice dans l’industrie

du cinéma au Maroc, avez-vous

rencontré des obstacles spécifiques, et si

oui, comment les avez-vous surmontés ?

Les obstacles que j’ai rencontrés dans l’industrie

du cinéma ne sont pas liés au fait que

je suis une femme, car les défis peuvent toucher

aussi bien les femmes que les hommes.

J’ai surmonté ces obstacles en m’entourant

d’une équipe solide et compétente, car la

collaboration et le soutien mutuel sont essentiels

pour faire face aux défis rencontrés dans

la production cinématographique.

Vous avez travaillé sur des films variés,

comme La Cinquième Corde, La Guérisseuse,

L’Orchestre des Aveugles… Comment choisissez-vous

les projets que vous produisez ?

Pour la plupart des projets que j’ai choisis

de produire, la décision s’est imposée naturellement

pour moi. Les réalisateurs et réalisatrices

avec lesquels je collabore sont avant

tout des amis, et une complicité s’est naturellement

instaurée entre nous au fil du

temps. Travaillant ensemble dès l’écriture

des scénarios, une relation de confiance

86 Maroc / Novembre 2024


s’est établie, et ils savent que si je leur

demande de faire des concessions, c’est

parce que je suis contrainte de le faire pour

des raisons budgétaires ou logistiques. Cette

dynamique de collaboration basée sur la

confiance et la compréhension mutuelle a

contribué à renforcer notre partenariat et à

faire de chaque projet une aventure humaine

et artistique enrichissante.

LES OBSTACLES QUE J’AI RENCONTRÉS

DANS L’INDUSTRIE DU CINÉMA NE SONT

PAS LIÉS AU FAIT QUE JE SUIS UNE FEMME,

CAR LES DÉFIS PEUVENT TOUCHER AUSSI

BIEN LES FEMMES QUE LES HOMMES

En tant que productrice, comment parvenez-vous

à équilibrer la nécessité d’un

retour sur investissement et la volonté de

produire des œuvres artistiques et culturelles

fortes ?

Il est important de noter que le retour sur

investissement peut être influencé par de

nombreux facteurs tels que la popularité des

acteurs, la stratégie de marketing, la concurrence

sur le marché. Pour équilibrer la nécessité

d’un retour sur investissement et la production

d’œuvres artistiques et culturelles

fortes il faut trouver un juste milieu en travaillant

avec des partenaires financiers partageant

les mêmes valeurs.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes

producteurs marocains qui débutent dans le

cinéma, en particulier dans un marché qui

évolue rapidement et où les ressources

peuvent être limitées ?

Aux jeunes producteurs marocains débutant

dans le cinéma, je conseille de rester passionnés,

de s’entourer de mentors expérimentés,

de saisir toutes les opportunités de formation

et de réseautage, et de toujours rester ouverts

aux nouvelles idées et aux collaborations. Il est

crucial de ne pas se laisser décourager par les

obstacles et surtout de ne pas avoir peur de

faire des erreurs et de s’entourer de personnes

compétentes et de confiance.

Le système de la Commission du Centre Cinématographique

Marocain (CCM) et le système

des avances sur recettes reste le principal

moyen de financement des films au Maroc.

Pensez-vous que ce système est efficace pour

soutenir les cinéastes marocains ?

Le CCM a soutenu un grand nombre de films

depuis la mise en place de l’avance sur recettes,

ce qui a permis à un grand nombre de réalisateurs

et de producteurs de concrétiser leurs

projets. Il semble que selon le bilan cinématographique

de l’année 2023, un total de 34 longs

métrages ont été produits, dont 12 ont été

auto-produits et 22 ont bénéficié de l’avance

sur recettes du CCM. Parmi ces films, 14 sont

Novembre 2024 / Maroc

87


INTERVIEW PRO

des premières œuvres, ce qui souligne l’importance

du soutien aux jeunes talents et aux réalisateurs

émergents.

Il est intéressant de noter que chaque commission

du CCM reçoit un nombre important de

projets : 48 projets de longs métrages candidats

à l’avance sur recettes avant production dans

une session de 2024. Mais seuls 4 à 6 d’entre

eux bénéficient effectivement de l’avance sur

recettes. L’idéal et le rêve serait que le CCM

soutienne plus de films, ce qui veut dire une

augmentation des fonds alloués à l’avance sur

recettes. Par ailleurs, soutenir la distribution des

films marocains dans les salles pour assurer

leur visibilité auprès du public. Un accompagnement

spécifique incluant des actions de

promotion et de communication et d’accompagnements

des exploitants.

Dans un marché où la distribution semble

restreinte, quelles sont, selon vous, les alternatives

pour permettre à davantage de films

marocains de toucher un large public ?

La visibilité des films marocains dans les festivals

internationaux tels que Cannes, Venise et

Toronto ces dernières années a été remarquable,

mettant en lumière la diversité et la

qualité de la production cinématographique

marocaine. Cependant, il est également essentiel

de souligner l’importance de la télévision

comme un média de diffusion clé pour promouvoir

les films locaux. Il serait bénéfique que les

chaînes de télévision diffusent plus de films de

cette catégorie, mais pas seulement ceux

qu’elles coproduisent.

En investissant dans l’acquisition de films

marocains et en consacrant des émissions

spéciales pour en parler, les chaînes de télévision

pourraient contribuer à la promotion et

à la publicité de ces films, offrant ainsi une

exposition plus large et une reconnaissance

accrue au cinéma national.

Vous avez souvent travaillé avec des budgets

limités. Dans ce contexte, comment arrivez-vous

à optimiser les ressources pour

maintenir une qualité artistique tout en respectant

les contraintes économiques ?

Lorsque je travaille avec des budgets limités, il

est essentiel de trouver des moyens d’optimiser

les ressources tout en maintenant une qualité

artistique tout en respectant les contraintes

économiques. Dans ce contexte, je m’implique

étroitement avec le réalisateur pour assurer une

préparation minutieuse du projet. Cela implique

une gestion rigoureuse des ressources disponibles

et une planification méticuleuse pour

maximiser l’efficacité de chaque dépense. Il est

également crucial que le réalisateur soit prêt à

faire des concessions et à trouver des solutions

Se réaliser en tant que productrice

créatives pour surmonter les obstacles liés au

budget restreint. Cette approche collaborative

et proactive est essentielle pour garantir le succès

du projet malgré les limitations financières.

Cela bien sûr se révèle particulièrement plus

difficile avec les réalisateurs qui en sont à leur

premier film.

Pourquoi encore peu de films marocains

optent pour la co-production et les financements

étrangers ?

De nombreux producteurs marocains aspirent

à trouver des coproducteurs étrangers pour

leurs projets, mais se heurtent à une concurrence

féroce sur le marché international.

Cependant, on observe de plus en plus de

projets marocains qui sont sélectionnés dans

des forums de coproduction, où ils ont l’opportunité

de rencontrer des partenaires potentiels

et de présenter leurs projets à un public

international. Malgré les défis rencontrés, la

tendance vers la coproduction et les financements

étrangers semble progresser, ouvrant

de nouvelles voies pour le cinéma marocain

sur la scène internationale. La coproduction

avec le Canada du dernier film de Mohamed

Nadif, L’Héritier des secrets, a été une expérience

très enrichissante. Nous avons tourné

une partie du film à Montréal, ce qui a apporté

une dimension internationale au film.

Est-ce qu’l y a des films plus difficiles à produire

que d’autres ?

Certains films peuvent être plus difficiles à produire

que d’autres en raison de leurs besoins

logistiques, de leur budget restreint. Cependant,

chaque projet apporte son lot de défis et surtout

son lot d’imprévus.

Après des années en tant que productrice,

qu’est-ce qui vous a motivée à passer derrière

la caméra pour réaliser un premier long, Quitte

ou double ?

Ce n’est pas ma première expérience dans la

réalisation. J’ai réalisé mon premier court-métrage

La Mer en 2007, qui a été sélectionné

au Fespaco. Je n’ai pas immédiatement

enchaîné avec un nouveau projet de réalisation.

Peut-être par auto-critique excessive ou par

manque de confiance en moi, je n’ai pas osé

me relancer dans la réalisation pendant un

certain temps. Cependant, l’opportunité s’est

présentée lorsque j’ai décidé de reprendre un

scénario qui était resté en suspens. La reprise

du scénario, combinée aux encouragements

de mon entourage, a été le déclic qui m’a poussée

à franchir le pas et à renouer avec ma

passion pour la réalisation. Le déclic a été si

fort que j’ai réalisé un court-métrage, Amira, la

même année, et également co-réalisé un documentaire

intitulé Amazone avec une jeune

réalisatrice, Salma Lokhmass, actuellement en

phase de post-production.

En quoi le processus de réalisation a-t-il

différé de celui de la production ? Avez-vous

trouvé que votre expérience en tant que

productrice vous a facilité la tâche en tant

que réalisatrice ?

Le processus de réalisation diffère de celui

de la production en ce sens que le réalisateur

est chargé de donner vie au scénario sur le

plan visuel, tandis que le producteur est responsable

de la gestion financière et logistique

du film. En tant que productrice, mon expérience

m’a certainement aidé en tant que

réalisatrice, car j’avais déjà une bonne connais-

88

Maroc / Novembre 2024


JE PENSE QUE PARLER DE SUJETS

TABOUS PEUT AIDER À OUVRIR DES

DISCUSSIONS PLUS LARGES SUR LES

PROBLÈMES SOCIAUX AU MAROC ET À

SENSIBILISER LE PUBLIC

sance des différentes étapes de production

et des contraintes budgétaires

Il y a des moments où les préoccupations logistiques

ont pris le dessus sur les aspects créatifs,

mais j’ai toujours veillé - avec la collaboration

de l’équipe technique - à ce que la vision du

film reste intacte.

Quitte ou double aborde le sujet délicat et

rarement traité de l’addiction au jeu, en particulier

chez une femme. Qu’est-ce qui vous

a poussé à explorer ce thème, peu commun

dans le cinéma marocain ?

J’ai choisi d’explorer le thème de l’addiction au

jeu dans Quitte ou double car je trouvais intéressant

de traiter un sujet peu abordé dans le

cinéma marocain, en particulier chez une femme.

Ce thème de l’addiction peut s’étendre à d’autres

à d’autres formes d’addictions telles que la

drogue ou l’alcool.

Pensez-vous qu’aborder une thématique

aussi atypique que celle de l’addiction au

jeu peut aider à ouvrir des discussions plus

larges sur les tabous et les problèmes

sociaux au Maroc ?

Je pense que parler de sujets tabous peut aider

à ouvrir des discussions plus larges sur les problèmes

sociaux au Maroc et à sensibiliser le public

à ces problématiques et à susciter une réflexion

sur l’addiction et sur les moyens de s’en sortir.

Parler des tabous est primordial pour la réalisatrice

Le personnage principal, une femme accro

au jeu, est une figure courageuse et inattendue

dans le paysage cinématographique

marocain. Comment avez-vous construit ce

personnage ? Est-ce inspiré d’une réalité

observée ou s’agit-il d’une pure fiction ?

Le personnage principal, une femme accro au

jeu, a été construit en m’inspirant de certaines

situations réelles observées, j’ai approfondi ma

recherche et j’ai eu des rencontres avec des

personnes qui ont partagé avec moi des histoires

de femmes et d’hommes confrontés à l’addiction

du jeu. En intégrant quelques témoignages et

en ajoutant des éléments de fiction, j’ai cherché

à rendre le personnage plus complexe.

Comment s’est porté le choix sur Farah El

Fassi ? Comment l’avez-vous dirigée ?

Farah El Fassi a été choisie pour incarner ce

personnage en raison de son talent et de sa

capacité à transmettre la vulnérabilité d’un personnage

complexe. Après avoir lu le scénario,

elle s’est totalement investie dans le rôle. Elle

a pris des cours de moto pour se mettre dans

la peau du personnage. Elle a également bénéficié

de l’expérience d’une professionnelle de

poker pour la rendre aussi authentique que

possible. Je l’ai dirigée en lui donnant des indications

précises sur la psychologie du personnage

et en lui laissant également une certaine

liberté d’interprétation

Quitte ou double est un film autoproduit.

Quelles sont les principales leçons que

vous avez tirées de cette expérience d’autoproduction,

tant en termes créatifs que

logistiques ?

Cette expérience d’autoproduction n’est

pas ma première, ce qui m’a permis de tirer

des leçons précieuses pour mener à bien

ce projet. J’ai réalisé que dans le cadre de

l’autoproduction, il est essentiel de savoir

faire des concessions. J’ai pris le temps

nécessaire pour la préparation, en collaborant

avec une équipe réduite mais engagée.

En tant que réalisatrice et avec le producteur

Hassan Benjelloun, nous avons mobilisé

nos connaissances et notre réseau pour

rassembler une équipe technique et artistique

motivée et compétente.

Le fait d’autoproduire votre premier

long-métrage a-t-il modifié votre manière

d’aborder le processus créatif ? Avez-vous

senti une plus grande liberté ou des

contraintes supplémentaires ?

Autoproduire Quitte ou double a été une

expérience enrichissante qui m’a permis

d’apprendre beaucoup sur les aspects créatifs

et logistiques de la réalisation d’un film.

J’ai appris à être plus flexible, j’ai dû trouver

des solutions sur place pour surmonter

certains obstacles. J’avoue que pour certaines

scènes, je suis restée sur ma faim,

car j’aurais souhaité avoir plus de matériel

ou de temps pour les filmer selon mes aspirations

créatives.

Comment avez-vous géré les aspects

créatifs et organisationnels du film ?

Est-ce que la productrice a pris le dessus

des fois sur la réalisatrice ?

J’ai géré les aspects créatifs et organisationnels

du film en travaillant en étroite

collaboration avec mon équipe de production.

Il y a eu des moments où les préoccupations

logistiques ont pris le dessus sur

les aspects créatifs, mais j’ai toujours veillé

à ce que la vision du film reste intacte.

Est-ce que vous envisagez de poursuivre

votre carrière de réalisatrice après Quitte

ou double ? Si oui, quels genres de récits

aimeriez-vous raconter à l’avenir ?

Je compte certainement poursuivre ma

carrière de réalisatrice après Quitte ou

double. J’aimerais aborder des thématiques

sociales et humaines qui me tiennent à

cœur. J’aspire à suivre le cours du destin

et à laisser le temps me guider. Chaque

expérience que je vis est un cadeau précieux.●

Novembre 2024 / Maroc

89


GUIDE DES SORTIES

DEPUIS LE 11 SEP 2024

NOM DU FILM : Triple A

DURÉE : 119 minutes

GENRE : Drame

RÉALISATEUR : Jihane El Bahhar

PAYS : Maroc

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama, Colisée

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

Meknès : Camera

El Jadida : CineAtlas

DEPUIS LE 04 OCT 2024

NOM DU FILM : Le robot sauvage

DURÉE : 102 minutes

GENRE : Animation, Science-

Fiction, Familial

RÉALISATEUR : Chris Sanders

PAYS : États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé,

Lutetia

Rabat : Mégarama, CineAtlas,

Renaissance

Marrakech : Mégarama

Tanger : Mégarama,

Cinémathèque RIF

Fès : Mégarama

Meknès : Camera

El Jadida : CineAtlas

DEPUIS LE 09 OCT 2024

NOM DU FILM : The Apprentice

DURÉE : 120 minutes

GENRE : Biopic, Drame, Historique

RÉALISATEUR : Ali Abbasi

PAYS : Canada, Danemark,

Irlande, États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Pathé, Lutetia

Tanger : Alcazar

Meknès : Camera

DEPUIS LE 09 OCT 2024

PAYS : États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

El Jadida : CineAtlas

DEPUIS LE 16 OCT 2024

DEPUIS LE 04 OCT 2024

DEPUIS LE 09 OCT 2024

NOM DU FILM : Joker: folie à deux

DURÉE : 138 minutes

GENRE : Drame, Action, Romance,

Suspense, Crime, Thriller

RÉALISATEUR : Todd Phillips

PAYS : États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé

Rabat : Mégarama, CineAtlas,

Renaissance

Marrakech : Mégarama

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

El Jadida : CineAtlas

NOM DU FILM : Lee Miller

DURÉE : 112 minutes

GENRE : Biopic, Drame, Guerre

RÉALISATRICE : Ellen Kuras

PAYS : Grande-Bretagne

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama

Rabat : Mégarama

Marrakech : Mégarama

Tanger : Mégarama,

Cinémathèque RIF

Fès : Mégarama

NOM DU FILM : L’batal

DURÉE : 90 minutes

GENRE : Comédie

RÉALISATEUR : Omar Lofti

PAYS : Maroc

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama, Colisée

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

Meknès : Camera

El Jadida : CineAtlas

DEPUIS LE 09 OCT 2024

NOM DU FILM : Terrifier 3

DURÉE : 125 minutes

GENRE : Horreur, Thriller,

Fantastique

RÉALISATEUR : Damien Leone

NOM DU FILM : Croquette le chat

merveilleux

DURÉE : 87 minutes

GENRE : Animation, Comédie,

Famille

RÉALISATEUR : Christopher Jenkins

PAYS : Grande-Bretagne

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé,

Lutetia

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama, Colisée

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

El Jadida : CineAtlas

DEPUIS LE 16 OCT 2024

NOM DU FILM : Smile 2

DURÉE : 132 minutes

GENRE : Horreur

RÉALISATEUR : Parker Finn

PAYS : États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé

90 Maroc / Novembre 2024


Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama

Fès : Mégarama

Meknès : Camera

El Jadida : CineAtlas

NOM DU FILM : The killer

DURÉE : 126 minutes

GENRE : Action, Thriller, Crime

RÉALISATEUR : John Woo

PAYS : États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama, Colisée

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

El Jadida : CineAtlas

NOM DU FILM : 4 zéros

DURÉE : 102 minutes

GENRE : Comédie

RÉALISATEURS : Fabien

Onteniente

PAYS : France

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

PAYS : États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama, Colisée

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

El Jadida : CineAtlas

INFOS PRATIQUES

DEPUIS LE 16 OCT 2024

DEPUIS LE 23 OCT 2024

NOM DU FILM : Monsieur Aznavour

DURÉE : 133 minutes

GENRE : Histoire, Musique

RÉALISATEUR : Grand Corps

Malade, Mehdi Idir

PAYS : France

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé,

Lutetia

Rabat : Mégarama, CineAtlas,

Renaissance

Marrakech : Mégarama, Colisée

Tanger : Mégarama,

Cinémathèque RIF

Fès : Mégarama

El Jadida : CineAtlas

DEPUIS LE 23 OCT 2024

NOM DU FILM : Whitney Houston:

the concert for a new south africa

(durban)

DURÉE : 117 minutes

GENRE : Musique

RÉALISATEUR : Marty Callner

PAYS : Afrique du Sud

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama, Pathé

Rabat : Mégarama

Marrakech : Mégarama

Tanger : Mégarama

Fès : Mégarama

NOM DU FILM : Harold et

le crayon magique

DURÉE : 89 minutes

GENRE : Comédie, Famille

RÉALISATEUR : Carlos Saldanha

PAYS : États-Unis

PROJECTIONS :

Casablanca : Mégarama

Rabat : Mégarama, CineAtlas

Marrakech : Mégarama

El Jadida : CineAtlas

DEPUIS LE 23 OCT 2024

DEPUIS LE 23 OCT 2024

DEPUIS LE 23 OCT 2024

NOM DU FILM : Transformers :

le commencement

DURÉE : 104 minutes

GENRE : Animation

RÉALISATEUR : Josh Cooley

Novembre 2024 / Maroc

91


STREAMING/VOD

DAREDEVIL: BORN AGAIN

LE RETOUR DU JUSTICIER AVEUGLE

LA CAGE

LE MMA DANS TOUS

SES COUPS

La première série française dédiée au monde

du MMA débarque bientôt sur Netflix avec cinq

épisodes de 45 minutes. Coréalisée par Franck

Gastambide et David Krespine, cette série promet

de nous plonger au cœur de la compétition

impitoyable et des coups physiques et émotionnels,

avec des séquences haletantes et des

performances physiques époustouflantes

Portée par Melvin Boomer (Sage homme, Le

Monde de demain) et le rappeur Bosh, la série

peut également compter sur la participation de

Georges Saint-Pierre, légende de l’UFC, ainsi

que de combattants renommés comme Ciryl

Gane, Abdoul Abdouraguimov, Salahdine Parnasse,

etc… Pour les fans de sports de combat et de

drames intenses, cette série est un rendez-vous

incontournable sur Netflix.●

« La Cage » arrive sur Netflix le 8 novembre

Les fans de l’univers Marvel retrouveront

Matt Murdock, l’avocat aveugle aux capacités

surhumaines, dès le 4 mars 2025

sur Disney+ avec Daredevil: Born Again.

Après plusieurs années de silence, retour

fracassant dans l’univers de Hell’s Kitchen.

Dans cette nouvelle version, Matt Murdock

(Charlie Cox) gère son cabinet d’avocats

tout en reprenant son costume de Daredevil

pour affronter les criminels de New

York. Cependant, l’ancien chef de la

mafia Wilson Fisk (Vincent D’Onofrio),

maintenant engagé dans une carrière

politique, revient hanter son passé. Les

deux hommes se dirigent vers un inévitable

affrontement qui risque de bouleverser

leur ville.

Le casting réunit également des talents

tels que Margarita Levieva, Deborah Ann

Woll, Elden Henson, et bien d’autres, sous

la direction de Dario Scardapane en tant

que showrunner. La série est réalisée par

un ensemble de réalisateurs, dont Justin

Benson et Aaron Moorhead, et promet

une intensité dramatique et des scènes

d’action à la hauteur des attentes des fans.●

« Daredevil : Born Again » débarque sur Disney+

le 4 mars prochain

DUNE: PROPHECY

LES ORIGINES

DES BENE

GESSERIT

Dune: Prophecy, l’une des séries les

plus attendues de l’année, débarque

sur HBO Max le 17 novembre 2024.

Ce préquel à l’univers de Dune, 10

000 ans avant les événements des

films de Denis Villeneuve, revient

sur les origines des Bene Gesserit,

ces femmes aux capacités extraordinaires

qui manipulent l’avenir

de l’humanité.

Le casting de la série est prestigieux,

avec Emily Watson dans le rôle de

Valya Harkonnen et Olivia Williams

dans celui de sa sœur, Tula et d’autres

personnages qui vont tous se retrouver

mêlés à des luttes de pouvoir féroces.

Sous la direction d’Alison Schapker

(Westworld) et avec Denis Villeneuve

comme producteur exécutif, Dune:

Prophecy, la série comptera six

épisodes, diffusés chaque semaine,

pour une expérience immersive dans

cet univers mythique.●

« Dune : Prophecy », à partir du 17

novembre sur HBO

92 Maroc / Novembre 2024



LIRE, VOIR ET ÉCOUTER

VOIR

THE VILE EYE

LIVRE

CINÉCASABLANCA,

LA VILLE BLANCHE

EN 100 FILMS

Dans CinéCasablanca, la Ville Blanche en

100 films, Roland Carrée et Rabéa Ridaoui

sélectionnent cent films, nationaux et internationaux,

allant du début du XX e siècle à

nos jours, pour décrire la manière dont

Casablanca y est représentée. Les auteurs,

Roland Carrée, enseignant en cinéma à

l’ESAV de Marrakech, et Rabéa Ridaoui,

ancienne présidente de l’association Casamémoire

et formatrice en cinéma à l’Institut

français du Maroc, réinventent le récit de la

ville blanche tout en parcourant l’histoire

du cinéma, entrelaçant ainsi les films et la

ville avec une dimension poétique. Les

auteurs y explorent les intentions artistiques,

le choix des lieux de tournage, ainsi que le

contexte historique et architectural, tout en

décryptant comment ces représentations

se rapportent à la réalité de la ville.●

Disponible en librairie aux Éditions Le Fennec,

2024 (288 pages). Prix public : 200 DH

Vous êtes amateur de films d’horreur ?

Les personnages maléfiques et complexes

vous intriguent ? The Vile Eye est la

chaine de vidéos qu’il vous faut pour

explorer en profondeur les méchants,

monstres et esprits torturés qui peuplent

nos cauchemars cinématographiques.

Chaque épisode dissèque minutieusement

les œuvres emblématiques du

genre horrifique, tout en offrant des

analyses psychologiques et narratives

captivantes sur la construction de ces

figures sombres. Que ce soit pour

comprendre les motivations d’un tueur

ou la symbolique derrière un film culte,

The Vile Eye vous invite à un voyage

fascinant à travers l’histoire et l’impact

de l’horreur.●

Disponible sur YouTube

ÉCOUTER

PODCAST MACHI ROJOLA - ÉPISODE 2, SAISON 3

est questionnée et réévaluée, Ismael El

Iraki, réalisateur marocain connu pour son

film Zanka Contact, partage ses réflexions

sur la masculinité, la vulnérabilité et l’expression

artistique au Maroc. À travers une

conversation sincère et sans filtre, El Iraki

aborde des sujets tels que la représentation

des hommes dans le cinéma, l’impact

de la culture sur la construction des identités

masculines, et son propre parcours

en tant que créateur. Un dialogue captivant

qui déconstruit les normes traditionnelles,

tout en offrant un éclairage sur les réalités

sociales et culturelles marocaines.●

Dans cet épisode de Machi Rojola, le

podcast marocain où la notion de «virilité»

Disponible sur Spotify et toutes les plateformes

de streaming.

94 Maroc / Novembre 2024



FINAL

CUT

ADIL AISSA

Compositeur de musique de films, sound designer et

sound mixer, il est l’un des noms les plus respectés dans

l’industrie cinématographique marocaine. Diplômé en

musique en 1994, il a depuis ouvert quatre studios

d’enregistrement et collaboré sur de nombreux projets

cinématographiques . Son travail, empreint de finesse et

d’humanité, a marqué plusieurs productions marocaines et

internationales. Rencontre avec Adil Aissa, l’homme qui

murmure à l’oreille des films.

INTERVIEW MENÉE PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

Parle-nous de ta dernière collaboration…

Ma dernière collaboration a été sur Mira

de Nour-Eddine Lakhmari. C’était une très

belle opportunité, car travailler avec un réalisateur

que j’admire beaucoup a été un

honneur. Nous avons passé près de huit

mois sur le projet musical, où le thème central

s’inspirait du Moyen Atlas, avec des

sonorités purement traditionnelles marocaines.

Il y a eu des moments où certains

thèmes ont été abandonnés

après beaucoup de travail, mais c’est

cela la magie de la création. Ce

que j’ai apprécié le plus, c’est la

grande écoute de Nour-Eddine.

Il était ouvert aux propositions,

et nous faisions

souvent écouter

nos morceaux à nos

proches pour obtenir

des retours. Ce fut un véritable échange,

rempli d’humanité et de fraternité.

Quel a été ton plus grand défi à ce jour ?

Le plus grand défi de ma carrière a été durant

une série pour le Ramadan. La production

était en retard et j’ai dû composer et mixer

30 épisodes sans équipe, à raison de trois

épisodes par jour ! C’était inhumain ! (rires).

D’habitude, avant de commencer un projet,

je fais une séance de visionnage avec le

réalisateur pour avoir un ressenti global sur

le montage et le rythme du film. Ensuite, je

travaille avec une équipe dédiée sur le montage

des dialogues, les bruitages et la composition.

Mais sur ce projet-là, c’était une

course contre la montre. Malgré tout, cela

m’a appris la gestion du stress et l’importance

de l’organisation.

As-tu récemment découvert un film que

tu recommanderais ?

Je recommanderais Man on Fire de Tony

Scott. C’est un film qui me touche à chaque

visionnage, notamment par le travail remarquable

sur le son. Denzel Washington, qui

est l’un de mes acteurs préférés, livre une

performance saisissante. J’ai vu tous ses

films, mais celui-ci a une place particulière

dans mon cœur. La combinaison

de l’intensité dramatique et du travail

sonore en fait un chef-d’œuvre que je

revis toujours avec plaisir.

La dernière fois que tu as pleuré devant

un film ?

J’ai pleuré cette année en regardant The

Goat Life. C’est le premier film indien que

j’ai regardé en entier, et il m’a touché profondément.

Je n’ai pas l’habitude des films

indiens, mais celui-ci m’a surpris. L’acteur

principal est incroyable, il a incarné son rôle

avec une telle vérité que l’émotion est passée

directement. C'est rare pour moi qu'un

film me fasse pleurer, mais celui-là a réussi.●

96 Maroc / Novembre 2024



LE CLAP DE AICHA AKALAY

JOURS D’ÉTÉ : UNE

FRESQUE POÉTIQUE SUR

LES RUINES DU PASSÉ

Quel est ce monde où la poésie n’a

plus sa place ? Ainsi s’interroge

Kamal, personnage campé par

Faouzi Bensaidi, dans son dernier film, Jours

d’été. Ce monde-là, ce n’est surement pas

celui du réalisateur marocain qui signe un

poème serti d’un générique. Cela commence

même dès l’affiche du film : très

belle, dans un nuancier de couleurs

chaudes, puis un roll up d’une autre déclinaison

de l’affiche du film, juste avant d’entrer

en salle. Dans un multiplexe, c’est la

seule équipe de film qui fait l’effort de la

variété. On distingue un remake de la

sublime affiche bleue des Parapluies de

Cherbourg de Jacques Demy. À la place

de Catherine Deneuve, Mouna Fettou. À la

place de Nino Castelnuevo, Faouzi Bensaidi.

Avant de s’engouffrer dans l’obscurité,

ces égards de beauté annoncent au

spectateur que dans ce monde, sa sensibilité

sera respectée.​

Quand la lumière se fait, nous sommes à

Tanger. L’entrée de la ville est marquée par

des époques bouleversées, sans pouvoir

dire si c’est pour mieux ou pire. Des bâtiments

qu’on érige, la dynamique d’une

ville qui grossit, s’industrialise, mais garde

les stigmates persistants d’une cité par

laquelle on pénètre par la plus laide des

entrées. Une Tanger nostalgique de sa

marque internationale, devenue simple

ville de passage, redevenue eldorado pour

âmes sensibles.

QUEL EST CE MONDE OÙ LA POÉSIE

N’A PLUS SA PLACE ? AINSI

S’INTERROGE KAMAL, PERSONNAGE

CAMPÉ PAR FAOUZI BENSAIDI, DANS

SON DERNIER FILM, JOURS D’ÉTÉ

La famille que l’on va découvrir dans Jours

d’été, a elle aussi eu un glorieux passé, des

drames également. Alors qu’elle risque de

perdre son opulente villa, on peine à franchement

souhaiter la rédemption de cette

bourgeoisie déclinante, où l’héritage

compte jusqu’aux enfants du personnel.

Dépossédée, peut-être la famille va-t-elle

« apprendre à travailler, et donc à partager »,

selon les mots de Ghita, la benjamine, sublimement

incarnée par Nadia Kounda.

Et Faouzi Bensaidi, de tout son art, de donner

du rythme à ses acteurs — le très juste

Mouhcine Malzi, la femme libre Mouna Fettou,

l’hypnotique Said Bey, l’évanescent

Faouzi-lui-même — dans des séquences

qui se succèdent avec poésie. Comme

lorsque Ghita danse la vie, entourée d’une

horde de jeunes joyeux dans la demeure

familiale, en face d’eux, des vieux, assis sur

un canapé, leurs visages déconfits en observant

ces déhanchements qui leur échappent.

Deux mondes face à face.

Le monde que Faouzi Bensaidi fait triompher,

c’est celui que choisit l’auteur russe

Anton Tchékhov dans La Cerisaie et que

le réalisateur marocain reprend comme

trame. En 1904, Tchekov fait dire à Trofimov

: « C’est pourtant lumineux que pour

commencer à vivre au présent, il faille

d’abord expier notre passé, en finir, et on

ne peut l’expier que par la souffrance,

que par le labeur inouï, constant. Il faut

que ceci soit clair pour vous, Ania ». Ghita

est l’Ania marocaine, et le message est

clair pour elle. La poésie de Bensaïdi tient

à ça : passer de la Russie au Maroc, du

20e au 21e siècle, avec la cohérence des

grands artisans de film. Qui ira voir ce

film ? C’est peut-être un début de réponse

à la question qui traverse cette œuvre :

quel est ce monde où la poésie n’a plus

sa place ?●

98 Maroc / Novembre 2024



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