You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Numéro 05 / Novembre 2024
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : SOUFIANE SBITI
Le cinéma au Maroc a enfin son magazine
MAROC
COULISSES DE
TOURNAGE:
DERRIÈRE LES
PALMIERS, LUMIÈRE SUR
MERYEM BENM’BAREK
N°05 / Novembre 2024 . 30 DH
CINÉMA RIALTO,
NOSTALGIE D’UN
CASABLANCA
CINÉPHILE
ADIL EL FADILI
LE MÔME DU
GRAND ÉCRAN
EDITO
LE TEMPS DES FESTIVALS
PAR SOUFIANE SBITI
La saison est ouverte. Celle de deux festivals
au Maroc. Quand vous aurez ce
magazine entre les mains, le Festival
national du film de Tanger aura annoncé son
palmarès, que nous relayons dans ce
numéro. Et nous serons aussi à quelques
semaines du Festival international du film
de Marrakech (FIFM).
Pendant tout le mois d’octobre, nous avons
pu faire immersion, à travers un numéro spécial,
au sein du Festival tangérois, porté par
le Centre cinématographique marocain. Le
palmarès, décidé par un jury
de choix, représente
aujourd’hui ce qu’est le
cinéma marocain et ce qu’il
allait pu faire cette année.
On retient tout d’abord, la
sélection du long-documentaire
d’Asmae El Moudir,
La mère de tous les
mensonges, auquel nous
avions déjà dédié la couverture
de notre premier
numéro. Une prouesse,
dont on peut être fier, tant elle est là, pour
raconter et relater avec beauté, des cicatrices
collectives. Dans un pays autre que
le nôtre, on refusera de voir la vérité en
face, de parler de nos erreurs et de nos malheurs
passés. On préfèrera tout nier.
Aujourd’hui, on accepte de voir l’héritage
des Années de plomb au Maroc, tel qu’il
est. Et aux personnes qui s’aventurent pour
en parler, ce sont des prix qui les attendent.
Une maturité à saluer, et à préserver face
à des démons qui peuvent à tout moment
ressurgir.
ATELIERS
DE L’ATLAS,
UN LABORATOIRE
SUR LEQUEL
L’AVENIR
DU CINÉMA
REPOSE
Outre Asmae El Moudir, on retrouve également,
comme Grand prix du Festival national du film
de Tanger, Les Meutes de Kamal Lazraq. Là
encore, il est question d’affronter notre réalité
sociale. Dans un précédent numéro, Boxoffice
Maroc avait eu l’occasion de rencontrer son
réalisateur, Kamal Lazraq. « On ne se prépare
jamais à recevoir un prix », nous dira-t-il, lui qui
parait aussi mystérieux que timide, et parlant
de son expérience, après avoir été primé au
FIFM. « Le film part dans un onirisme, un côté
un peu cauchemardesque, mais le point de
départ du film, c’est quelque chose qui est très
ancrée dans une réalité
sociale », ajoute le réalisateur.
Kamal Lazraq en était à son
premier long-métrage, après
avoir fait un court-métrage.
Asmae El Moudir était à sa
première production, un
documentaire long, qui avait
souffert de plusieurs complications
au tout début, faute
de soutien, avant de trouver
à lui seul sa voie.
Au-delà du premier coup réussi, quels liens
entre Kamal Lazraq et Asmae El Moudir ? Tous
sont issus d’un seul programme : Les Ateliers
de l’Atlas du FIFM qui arrive aujourd’hui à nous
donner des horizons dans le cinéma au Maroc.
Un laboratoire sur lequel l’avenir du septième
art dans le pays repose. A condition de savoir
soutenir et aider toutes les perles qui en ressortent,
avec les moyens qu’il faut mais aussi
et surtout en faisant preuve d’audace. Il
demeure ainsi évident que le prochain rendez-vous
à ne pas rater, est fin novembre avec
la tenue du FIFM. Et le cap qu’il nous donnera.●
MAROC
Directeur de la publication
et de la rédaction
Soufiane Sbiti
Rédaction
Salma Hamri
Jihane Bougrine
Lina Ibriz
Salomé Krumenacher
Chronique
Aïcha Akalay
Photos
Mathieu Soul
Alexandre Chaplier
MAP
Maquette
Pulse Media
Directeur artistique
Mohamed Mhannaoui
Maquettistes
Ezzoubair Elharchaoui
Zineb Azeddine
Fondateur
Hakim Chagraoui
Directrice générale
Fatima Zahra Lqadiri
fz@storyandbrands.com
Business developer
Hajar Aziani
Régie publicitaire
Story & Brands
Impression
Les imprimeries du Matin
Distribution
Sapress
BOXOFFICE MAROC
est édité par
Pulse Media
sous licence
The Boxoffice Company
de Global Cinema Maroc
Capital Business Office,
B 127, 6ème étage,
Bd Abdelmoumen,
Casablanca, Maroc
Site web :
www.boxoffice.com
Dépôt légal
10/2024
ISSN : 2024PE0026
SOMMAIRE
20
28
46
06
׀ SNAPSHOT Une pilote contre tous
08
׀ LA PÉPITE DU MOIS Khaoula Assebab
Mon film, ma bataille !
12
׀ LA RENCONTRE Aissam Bouali, Raging role
20
׀ LA COUV’ Adil El Fadili
L'enfant de la balle du cinéma marocain
Alchimiste de l'image Joli môme !
28
׀ INTERVIEW Abdellatif Chaouqi, Du jeu de corps
au jeu de rôles
32
׀ ACTU-CINÉ Une clôture audacieuse pour Le Festival
national du film de Tanger
Le Français Pathé veut céder ses salles
de cinéma en Afrique
Sonia Okacha Action ! Passion !
Festival international du film francophone de
Namur une célébration du cinéma francophone
avec une présence marocaine marquée
Marrakech Short Film Festival Le courtmétrage
à l’honneur
Ali Benjelloun Quand la lumière passe
derrière la caméra
46
׀ DOSSIER PRO Cinéma Marocain, destination monde !
50
׀ EN SALLES Joker: Folie à Deux Derrière les barreaux,
Lla folie s’échappe
The Substance corps contre jeunesse !
« Batal » ou le côté obscur de la célébrité
Monsieur Aznavour
Formidable Tahar Rahim !
La damnée ou l’exorcisme du déjà-vu
The apprentice : Trump, l’élève devenu maître
The killer le retour manqué de john woo
62
76
70
96
62
׀ REPORTAGE Meryem Benm’Barek, Derrière les palmiers,
une réalisatrice dans la lumière
70
׀ DOSSIER PRO Du papier à l’écran : paroles de scénaristes
avec Yasmine Benkiran et Basma El Hijri
76
׀ ZOOM SUR UNE SALLE Ciné Atlas à Rabat : Le Colisée réinventé
82
׀ UNE SALLE, UNE HISTOIRE
Cinéma Rialto, nostalgie d’un Casablanca
cinéphile
86
׀ INTERVIEW PRO Rachida Saadi
90
׀ GUIDE DES SORTIES 92
׀ STREAMING/VOD 94
׀ LIRE, VOIR ET ÉCOUTER 96
׀ FINAL CUT Adil Aissa
98
׀ LE CLAP DE AICHA AKALAY
Jours d’été : Une fresque poétique
sur les ruines du passé
SNAPSHOT
UNE PILOTE
CONTRE TOUS
Le tournage du biopic sur Touria Alaoui, première
femme pilote marocaine et figure emblématique
de l’histoire du Royaume, vient de
s’achever sous la direction du réalisateur Rabii
El Jouhari. Produit par Hassan Chaoui, qui
entretient un lien familial avec la légendaire
aviatrice, ce film est bien plus qu’un simple
hommage : il plonge dans la vie courageuse
et inspirante d’une femme qui, en brisant les
conventions de son époque, a ouvert la voie
à toute une génération de femmes marocaines.
En retraçant le parcours extraordinaire de Touria
Alaoui, le film met en lumière non seulement
ses exploits dans les airs, mais aussi son
rôle de pionnière dans une société où les
femmes se battaient encore pour leur émancipation.
Sous l’œil attentif de Rabii El Jouhari,
la reconstitution historique se veut fidèle aux
faits, tout en offrant un regard intime sur les
défis personnels et professionnels auxquels
Touria a dû faire face.
La production, marquée par l’implication passionnée
de Hassan Chaoui, descendant de
Touria Alaoui, porte une dimension profondément
personnelle. Ce biopic, qui a une lourde
responsabilité, s’annonce comme un film à la
fois intime et épique, destiné à rappeler l’impact
que Touria Alaoui a eu, non seulement
sur l’aviation marocaine, mais également sur
le combat pour l’égalité des sexes.●
PAR JIHANE BOUGRINE / CRÉDIT PHOTOS : HASSAN CHAOUI PRODUCTIONS
6 Maroc / Novembre 2024
LA PÉPITE DU MOIS
Le cinéma, un jeu d’enfant
8 Maroc / Novembre 2024
Khaoula
Assebab
MON FILM, MA BATAILLE !
L’année 2024 marque un tournant décisif pour Khaoula Assebab
Benomar, réalisatrice engagée, qui vient tout juste de finaliser son
second long métrage « Radia ». Après des mois de travail acharné et une
post-production intense, cette œuvre profondément féministe est sur le
point de rencontrer le public des festivals, avec une première projection
prévue au Festival du Caire. Plus qu’une simple œuvre, ce film reflète son
engagement indéfectible pour l’égalité des sexes et son combat pour
donner voix aux femmes à travers le septième art. Rencontre avec une
cinéaste au supplément d’être qui refuse la compromission.
PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
R
adia n’est pas un film comme les autres. Tourné
en noir et blanc, il propose une approche expérimentale
où deux femmes marocaines, telles
des Ying et des Yang, interrogent leur féminité à travers
une série de flashbacks et d’étapes cruciales de leurvie.
Le film plonge profondément dans la psyché féminine,
questionnant leurs choix de vie et mettant en
lumière des traumas refoulés, notamment à travers un
travail sonore percutant rythmé par un sablier angoissant
pour rappeler que le temps, une fois passé, ne peut
être rattrapé. Des comptines d’enfance qui ressurgissent
du passé hantent encore les personnages. Ce traitement
esthétique et sensoriel donne une dimension onirique
et perturbante à l’histoire, tout en accentuant la
quête intérieure intéressante des protagonistes. Pour
Khaoula Assebab, Radia est bien plus qu’un simple film,
c’est un manifeste sur la responsabilité des femmes
dans la perpétuation de certains schémas sociaux oppressifs,
tout en explorant les moyens de se libérer de ces
carcans. Comme elle l’explique, « Radia est née de mes
rêves d’égalité, de mon aspiration à une société juste
et équitable. » Ce film, bien qu’expérimental, reste ancré
dans une réalité sociale palpable, et reflète son engagement
profond en faveur des droits des femmes. Si la
réalisatrice au parcours atypique refuse de s’enfermer
dans un seul genre ou une seule carrière, elle garde
une volonté farouche de continuer à raconter des histoires
qui la touchent. Celle qui commence par un diplôme
en mass media à George Washington avant de bifurquer
vers un master en cinéma et de s’essayer à la sociologie,
confirme son attrait pour le noir et blanc qui dès
son premier film Clair Obscure est devenu sa signature
visuelle. Ce choix esthétique, qui est né par hasard, est
aujourd’hui une manière pour elle d’ouvrir un espacetemps
suspendu entre le réel et l’imaginaire. Un monde
à part, où le spectateur se voit privé d’un sens, pour
mieux se concentrer sur l’essentiel : le cadre, la lumière,
les formes
Radia : le « Mistral gagnant » féministe de Khaoula
Assebab
Un tournage à l’image de son engagement, une véritable
aventure humaine. La réalisatrice raconte que chaque
moment passé sur le plateau était empreint d’une atmos-
Novembre 2024 / Maroc
9
LA PÉPITE DU MOIS
Sauter vers de nouveaux récits
FILMO DE
KHAOULA
2017
Clair Obscur – Long
métrage (réalisation)
2019
The dared –
Documentaire
(réalisation)
2019
Aicha –
Court métrage
( production)
2022
Unique Girl -
Court métrage
(production)
2023
Presque – Roman
2024
Radia – Long
métrage (réalisation)
Une féministe engageé à travers l’art
Une cinéaste politiquement poétique
phère familiale, presque intime, où l’équipe a vécu des
émotions intenses et parfois même difficiles. Le séisme
d’Al Haouz, qui a frappé le Maroc pendant le tournage,
a laissé une trace profonde dans le projet. « Nous avons
vécu ce deuil national ensemble. La séquence des funérailles
a été tournée à la reprise. Je ressens encore ces
moments dans ma chair », raconte-t-elle avec émotion.
De l’émotion et de l’humanité qu’elle met au service de
ses équipes. Plutôt que de dicter une vision figée à ses
acteurs et actrices, elle préfère une démarche collaborative,
où chaque interprète peut apporter sa propre sensibilité
au personnage. Elle parle de sa méthode de travail
comme d'un échange, basé sur la confiance et la
générosité. « Une fois que l’on a la même vision du personnage,
je m’éclipse et laisse la magie opérer », expliquet-elle
avant d’ajouter : « Sans artifices, très discrète, sereine,
on m’entend peu sur le plateau, l’agitation me dérange,
j’aime travailler dans le calme. Consciente d’être une
éponge et donc d’être facilement déstabilisée par les
tensions, je me préserve ». « J’aime travailler avec des
êtres humains qui ont le même esprit ou du moins qui
me comprennent. Un tournage c’est lent, physique et
éprouvant. C’est un équilibre fragile entre l’humain et le
professionnel », étaye celle qui reste la même hors pla-
NOS PLATEAUX DE TOURNAGE
SONT MAJORITAIREMENT
MASCULINS, ET L’ÉVOLUTION DE
LA CARRIÈRE D’UNE FEMME DANS
NOTRE DOMAINE EST TRÈS LENTE
10 Maroc / Novembre 2024
Échos d’une enfant éternel
teaux et qui confie les questions de production à son
acolyte à la scène comme à la vie, Raouf Sebahi. « Il a
géré magnifiquement l’aspect production et a trouvé les
solutions qu’il fallait pour un film à très petit budget. Il m’a
permis de raconter mon histoire à ma manière, c’est rare.
Je n’aime pas parler argent ».
Le montage de Radia a aussi été une étape clé du processus
créatif. En salle de montage, Khaoula a travaillé
étroitement avec Julien Fouré pour donner vie à son film.
Ensemble, ils ont expérimenté de multiples approches
pour parvenir à une structure qui reflète pleinement la
vision de la réalisatrice. « À un moment, j’ai senti que
quelque chose ne fonctionnait pas, et j’ai même fait un
rejet », admet-elle. Mais grâce à la patience et à la rigueur
de son équipe, ils ont réussi à débloquer la situation et
à construire un film qui défie les conventions narratives
habituelles. « C’est très important d’être bien entouré, de
travailler dans la bienveillance. », souligne-t-elle.
Ce que veulent les femmes….
Cinéaste indépendante, Khaoula Benomar fait partie de
cette nouvelle génération de réalisatrices qui refuse de
se plier aux normes. Elle avance avec détermination dans
un milieu encore largement dominé par les hommes, tout
en restant fidèle à ses convictions et à sa vision artistique.
« Pourquoi s’enfermer dans une case ? La création
a pour terrain de jeu la liberté », conclut-elle avec un sourire
plein de malice. Engagée aussi bien dans son art que
dans la société, Khaoula Assebab milite pour une plus
grande inclusion des femmes dans le monde du cinéma.
Si elle reconnaît l’évolution visible de certaines réalisatrices
marocaines, elle reste lucide sur la réalité des plateaux,
encore largement dominés par les hommes. « Il
est certain qu’il y a eu une évolution dans le rôle des
femmes dans l’industrie cinématographique, mais il faudrait
des études pour le confirmer pleinement. Nous
avons l’impression que cette évolution est marquée par
le succès de plusieurs femmes, surtout des cinéastes.
Depuis les débuts, des réalisatrices comme Farida Belyazid,
Yza Genini, Tala Hadid, et Leila Marrakchi ont ouvert
la voie. J’ai été particulièrement touchée par le travail de
Yasmine Kassari (L’Enfant endormi), Narjiss Nejjar (Les
Yeux secs), Sofia Alaoui, Meriem Touzani, et bien sûr,
Asmae El Moudir, que nous admirons tous. Il est également
essentiel de rendre hommage à Farida Bourquia,
la première femme marocaine à réaliser un long métrage
de fiction (La Braise, 1982) ». Pour elle, la véritable bataille
se situe dans la nécessité de créer des programmes d’accompagnement
pour les femmes dans l’industrie, et elle
met un point d’honneur à inclure un maximum de femmes
dans ses équipes. « Nos plateaux de tournage sont majoritairement
masculins, et l’évolution de la carrière d’une
femme dans notre domaine est très lente ».
Et c’est comme cela que doucement mais surement,
Khaoula Assebab Benomar prouve qu’il est possible de
faire un cinéma engagé, personnel, et profondément
humain. Un cinéma qui parle à la fois de la lutte pour l’égalité,
mais aussi de la beauté des émotions partagées.●
Novembre 2024 / Maroc
11
LA RENCONTRE
12 Maroc / Novembre 2024
AISSAM BOUALI
RAGING
ROLE
Avec un charisme magnétique et une intensité
de jeu subtile, Aissam Bouali transcende les
apparitions discrètes dans les superproductions
internationales, les transformant en moments
inoubliables, tout en s’offrant des rôles plus
imposants dans le cinéma marocain. De John
Wick à Indiana Jones, il incarne la persévérance,
la rigueur et l’art de la collaboration. Immersion
dans l’univers d’un talent qui sculpte ses rôles.
INTERVIEW MENÉE PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
Depuis quelques années, vous enchaînez
les productions internationales avec des
rôles dans des films comme John Wick et
Indiana Jones. Cette année les choses
semblent s’accélérer encore. Comment
vivez-vous cette période intense ?
Cette année a été un vrai tournant pour moi.
J’ai décidé de structurer ma carrière de
manière plus sérieuse, notamment grâce à
des séances de coaching avec Sofia Sebt
qui m’ont aidé à organiser mon portfolio et
à m’engager pleinement dans la recherche
de projets, à avoir une vraie Community
Manager en la personne de ma sœur Ahad
Bouali, qui m’aide beaucoup. Ce n’était pas
facile, surtout dans un environnement où les
productions étrangères ne prennent pas
toujours beaucoup d’acteurs marocains. Il
fallait prouver ma valeur à chaque casting.
Le travail a payé et j’ai eu la chance d’être
le seul acteur marocain sur des projets
comme John Wick et Indiana Jones. Cela
montre que, même pour nous, il est possible
de s’imposer dans ces productions. Le travail
finit toujours par payer. C’est aussi grâce
au soutien de Salah Benchegra, directeur
de casting. Salah a joué un rôle clé. Non
seulement il m’a aidé à décrocher des castings,
mais il a aussi cru en moi et m’a aidé
à trouver la meilleure manière de me positionner.
Par exemple, grâce à lui, j’ai décroché
un rôle important dans un film italien à
venir. Ce n’était pas gagné d’avance, mais
avec de la persévérance, on a réussi à
convaincre les réalisateurs que je pouvais
apporter quelque chose d’unique. Il a vraiment
été un peu comme un agent pour moi.
Lors de ces castings, comment vous préparez-vous
pour un rôle ?
Avant tout, je cherche à connaître le réalisateur.
Je regarde ses films pour comprendre
son style, s’il aime travailler avec des plans
serrés, ou s’il laisse une grande liberté aux
acteurs. Ensuite, je prépare mon texte, souvent
sans avoir accès à tout le scénario.
C’est là que l’instinct entre en jeu. J’aime
aussi changer de look pour chaque rôle, que
ce soit en modifiant ma barbe ou en jouant
avec ma posture, comme je l’ai fait pour le
rôle dans Law & Shark.
Vous avez une scène magnifique avec
Keanu Reeves dans John Wick 3. Comment
avez-vous vécu cette expérience ?
Travailler avec Keanu Reeves a été une expérience
incroyable. C’est un véritable passionné
de cinéma. Ce que j’ai appris de lui,
c’est la rigueur et l’importance de répéter
et de travailler chaque scène en profondeur.
Novembre 2024 / Maroc
13
LA RENCONTRE
Sur le tournage de John Wick 3 aux côtés de Keanu Reeves
On avait une heure avec lui et le réalisateur
pour discuter de la scène et des personnages,
et cette préparation a vraiment enrichi
le tournage. J’ai aussi découvert une grande
humilité chez lui, malgré son succès
immense. Il est sans cesse en train de se
remettre en question, et c’est une qualité
rare chez les stars de cette envergure.
Avez-vous eu des moments de complicité
avec lui pendant le tournage ?
L’un des moments les plus mémorables de
ma carrière a eu lieu sur le tournage de John
Wick. Nous étions entre deux prises, et je
me suis retrouvé à discuter avec Keanu Reeves.
En tant que grand fan de L’Associé du
diable, je ne pouvais pas résister à l’envie
de lui demander de rejouer avec moi l’une
des scènes cultes du film. Sans hésitation,
Keanu a accepté, et nous avons recréé sous
la pluie la fameuse scène où son personnage
dit : That’s what I do, that’s my job.
C’était un moment unique. Non seulement
parce que je rejouais une scène emblématique
avec l’acteur qui l’a rendue célèbre,
mais aussi parce que cela s’est passé de
manière spontanée et sincère. À la fin, toute
l’équipe technique nous a applaudis. Ce fut
EN TANT QUE GRAND FAN DE L’ASSOCIÉ
DU DIABLE, JE NE POUVAIS PAS RÉSISTER
À L’ENVIE DE LUI DEMANDER DE REJOUER
AVEC MOI UNE DES SCÈNES CULTES DU
FILM. SANS HÉSITATION, KEANU A
ACCEPTÉ
un moment de pure magie pour moi, et une
expérience qui m’a beaucoup marqué.
Vous avez aussi travaillé avec Harrison
Ford. Qu’est-ce qui vous a marqué dans
cette collaboration ?
Harrison Ford est un acteur exceptionnel,
mais aussi un homme avec un sens de l’humour
très noir et surtout un grand professionnel.
Sur le tournage, malgré son âge, il
donnait tout dans ses cascades. Je me souviens
d’une scène à Fès où il a trébuché en
courant, mais il s’est relevé immédiatement
et a demandé à reprendre la scène. C’est
un passionné de cinéma, et j’ai beaucoup
appris de son éthique de travail.
Parmi les acteurs qui vous inspirent, vous
citez souvent Mads Mikkelsen. Qu’est-ce
qui vous impressionne dans son jeu d’acteur,
et comment son style vous influencet-il
dans votre propre travail ?
Sur le tournage, j’ai eu des discussions fascinantes
avec certains acteurs, et l’une des
choses qui m’a vraiment frappée, c’est leur
passion pour le cinéma, leur connaissance
approfondie du métier. Avec Mads Mikkelsen,
on discutait de ses films et de son incroyable
capacité à incarner des personnages à la
fois complexes et profondément humains.
Mikkelsen, c’est l’exemple parfait d’un acteur
qui réussit à transcender le rôle pour y apporter
quelque chose de personnel. Nous avons
14 Maroc / Novembre 2024
LA RENCONTRE
décortiqué des films comme Pusher de Nicolas
Winding Refn, une trilogie dans laquelle
Mads Mikkelsen a joué un rôle clé. On s’est
particulièrement attardé sur les deux premiers
volets, et on a échangé sur la manière
dont il a su évoluer en tant qu’acteur au fil
des années. Ce qui m’impressionne chez
Mads, c’est son aptitude à allier une certaine
froideur extérieure à une profondeur émotionnelle
intense. C’est ce genre d’acteurs
que je respecte énormément, ceux qui
apportent de la vie à leurs personnages,
même dans les moments de silence.
C’est d’ailleurs un point commun avec des
légendes comme Marlon Brando. Pour moi,
Brando est une référence incontournable.
Il y a clairement un avant et un après Brando
dans le jeu d’acteur. C’est lui qui a, selon
moi, révolutionné le métier en apportant une
vérité et une authenticité jamais vues à
l’écran auparavant. Mads Mikkelsen, dans
son approche minimaliste et brute, me fait
parfois penser à Brando. Tous deux ont cette
capacité de capturer l’essence d’un personnage
sans artifices.
Vous avez travaillé avec quelques réalisateurs
marocains sur des premiers films
surtout. Est-ce que vous privilégiez les
productions internationales ?
Je ne dirais pas que je préfère les productions
internationales, mais il est vrai qu’elles
me permettent d’explorer des rôles plus variés
et des projets de plus grande envergure. Au
Maroc, j’ai fait quelques projets, comme Casa
Street, mais souvent, les scénarios ne sont
pas à la hauteur. Cela dit, je suis toujours
ouvert aux projets marocains de qualité.
Comment percevez-vous l’évolution des
acteurs marocains dans les productions
internationales ?
Il est certain que la situation a évolué. Il y a
dix ou quinze ans, les acteurs marocains dans
les productions internationales étaient souvent
relégués à des rôles mineurs ou de figurants.
Aujourd’hui, nous avons la chance de
décrocher des rôles plus importants. Ce n’est
pas encore parfait, mais les opportunités sont
plus nombreuses, et j’espère que cela ouvrira
la voie à d’autres acteurs marocains.
Vous avez une grande passion pour le
cinéma. D’où vous vient cet amour pour
ce métier ?
Mon amour pour le cinéma remonte à mon
enfance. Mon père était un grand fan d’Apocalypse
Now, et je me souviens avoir volé la
cassette pour la regarder en cachette. Ce film
m’a marqué à vie et m’a donné envie de devenir
acteur. C’est Brando qui m’a inspiré, avec
sa manière d’apporter de la vie à ses rôles,
même dans le silence. Depuis ce moment-là,
je savais que je voulais faire du cinéma.
Quel est votre rapport avec les réalisateurs
et comment vous adaptez-vous à leurs différentes
méthodes sur le plateau ?
Mon rapport avec les réalisateurs dépend
vraiment de leur manière de travailler. Certains
réalisateurs sont très directs et savent
exactement ce qu’ils veulent, ce qui facilite
les choses, surtout si on est sur la même
longueur d’onde. D’autres, au contraire,
donnent beaucoup de liberté et laissent les
acteurs explorer le personnage par euxmêmes.
Avec le temps, j’ai appris à m’adapter
aux différentes méthodes.
Quand je travaille avec un réalisateur comme
Talal Selhami, par exemple, qui est un véritable
passionné, c’est une expérience très
enrichissante. Talal sait où il va et il s’investit
beaucoup dans la direction d’acteurs. Il
prend le temps de discuter de chaque scène,
de chaque réplique, et ça donne une véritable
dynamique sur le plateau. Il a aussi
cette capacité à chercher très loin dans l’écriture
et la mise en scène. Travailler avec
quelqu’un comme lui, c’est vraiment une
aventure créative. On sent qu’il aime profondément
le cinéma, et cette passion se
transmet à toute l’équipe.
Aissam Bouali, maître du jeu subtil
Mais j’ai aussi eu des expériences avec des
réalisateurs qui ne dirigent pas du tout. Dans
ces cas-là, il faut savoir se débrouiller. Au
16 Maroc / Novembre 2024
début, ça me déstabilisait un peu, surtout
quand il n’y a aucune indication sur le personnage.
Mais j’ai compris que si un réalisateur
te choisit pour un rôle, c’est qu’il te
fait confiance. C’est à toi, en tant qu’acteur,
de proposer quelque chose. Et même si tu
te sens un peu seul au départ, il faut
apprendre à s’appuyer sur cette liberté pour
créer un personnage à partir de ton instinct.
Il y a aussi des réalisateurs qui dirigent un
peu trop, qui veulent tout contrôler. Là
encore, il faut s’adapter. J’ai appris à ne plus
m’attendre à un type de direction en particulier
et à être flexible. Au final, le plus important,
c’est que le réalisateur sente que l’interprétation
fonctionne. Si quelque chose
ne va pas, il va le voir et ajuster. Au fil des
années, j’ai développé cette intelligence de
plateau, ce qui me permet de mieux gérer
ces situations.
Vous travaillez régulièrement avec le réalisateur
Ali Mejdoub, et il semble y avoir
une complicité professionnelle forte entre
vous deux. Comment décririez-vous votre
relation avec lui, et comment cette collaboration
influence-t-elle votre travail sur
les plateaux ?
Ali Mejdoub, c’est plus qu’un simple collaborateur,
c’est vraiment un frère pour moi. Nous
avons commencé à travailler ensemble il y a
plusieurs années et, depuis, nous avons noué
une relation de confiance qui va au-delà des
tournages. Ce qui est formidable avec Ali, c’est
qu’il sait exactement comment tirer le meilleur
de moi en tant qu’acteur. Il connaît mes forces,
mes faiblesses, et il sait jusqu’où il peut me
pousser pour obtenir une performance authentique
et intense. C’est quelqu’un qui me fait
confiance, mais aussi quelqu’un qui n’hésite
pas à me challenger constamment.
Dans notre collaboration, il y a cette dynamique
particulière où l’on se connaît tellement
bien que parfois, il suffit d’un regard pour comprendre
ce qu’il veut. Mais en même temps,
cette proximité fait que nous sommes très exigeants
l’un envers l’autre. Ali n’a pas peur de
Celui qui puise dans l’intimité des émotions
me dire franchement si quelque chose ne
fonctionne pas, et je fais de même avec lui.
C’est ce niveau d’honnêteté qui nous permet
de créer des projets sincères et puissants.
Sur certains projets, comme La Vague
Blanche, Ali m’a littéralement pris sous son
aile. Il m’a offert des rôles qui m’ont permis
d’explorer des facettes de moi que je n’avais
jamais eu l’occasion de montrer à l’écran.
D’ailleurs, ce qui est génial avec lui, c’est
qu’il ne me propose pas un rôle simplement
parce que je suis son ami ou son acteur
fétiche. Non, il choisit toujours le rôle en
fonction de ce qu’il pense être le meilleur
pour le projet. Parfois, il me dit même : Ce
rôle-là, je ne te vois pas dedans, et c’est
quelque chose que je respecte énormément
chez lui. Il sait faire la part des choses entre
notre amitié et notre collaboration professionnelle,
ce qui est essentiel pour continuer
à évoluer artistiquement ensemble.
À CHAQUE NOUVEAU TOURNAGE, JE
DÉCOUVRE DES MÉTHODES DE TRAVAIL
DIFFÉRENTES. C’EST COMME UN LABORATOIRE
OÙ ON EXPÉRIMENTE AVEC CHAQUE ACTRICE,
ACTEUR ET CHAQUE RÉALISATEUR
Ali et moi, on a aussi fondé notre société de
production, Bang Bang Films, ce qui a encore
renforcé notre collaboration. On produit
ensemble, on développe des projets ensemble,
et je crois vraiment que cette complémentarité
est ce qui rend notre travail si fluide et si
créatif. Au final, travailler avec Ali, c’est comme
travailler avec un frère. On se pousse, on se
challenge, mais on se soutient toujours dans
un esprit de confiance et de respect mutuel.
Novembre 2024 / Maroc
17
LA RENCONTRE
Acteur aux multiples visages
Comment décririez-vous votre manière de
collaborer avec les autres acteurs sur le
plateau ? Avez-vous déjà rencontré des
difficultés ou des moments marquants
avec certains partenaires de jeu ?
Travailler avec d’autres acteurs, c’est vraiment
quelque chose d’unique à chaque fois.
Chaque partenaire de jeu apporte sa propre
énergie et cela influence directement ma
manière de jouer. Ce qui est fascinant, c’est
que parfois, tu peux avoir un partenaire qui
te donne tellement d’énergie que tout
devient fluide, comme une danse. On se
comprend instinctivement, il n’y a même pas
besoin de trop parler. Mais parfois, ce n’est
pas aussi simple. Tu peux tomber sur
quelqu’un qui est un peu en compétition
avec toi, ou pire, qui ne te donne rien en
retour dans la scène. Ça, c’est toujours un
challenge. Mais avec le temps, j’ai appris à
ne plus me laisser déstabiliser.
Quand j’étais plus jeune, ce genre de situation
me frustrait. Aujourd’hui, je prends du
recul. Je me dis que mon travail, c’est de
donner le meilleur de moi-même, peu
importe ce que je reçois en retour. Si l’autre
acteur ne me renvoie pas ce que j’attends,
ce n’est pas grave. Je me fie au réalisateur
pour sentir si la scène fonctionne. Et si le
réalisateur est content, alors je le suis aussi.
Au fond, chaque séquence est une collaboration,
mais il faut aussi savoir se débrouiller
seul quand il le faut.
En fin de compte, ce que j’apprécie le plus,
c’est ce processus d’apprentissage constant.
À chaque nouveau tournage, je découvre des
méthodes de travail différentes. C’est comme
un laboratoire où l’on expérimente avec
chaque acteur. Ça me permet de grandir en
tant qu’acteur, de m’adapter, et de toujours
chercher à m’améliorer.
Vous avez souvent évoqué votre admiration
pour le cinéma français et votre envie
d’y jouer davantage. Comment percevez-vous
l’évolution de cette industrie et
quel est votre rapport actuel avec le cinéma
hexagonal ?
J’ai toujours été un grand passionné de
cinéma français. C’est un cinéma qui a une
richesse et une diversité incroyable, tant au
niveau des réalisateurs que des acteurs. Des
figures comme Vincent Cassel ou Jacques
Audiard, ou encore des réalisateurs comme
Gaspard Noé, me parlent énormément. Ce
sont des artistes avec qui j’adorerais travailler,
et je trouve que le cinéma français a toujours
cette capacité à explorer des zones
d’ombre, des thèmes complexes, tout en
conservant une approche très humaine. C’est
ce qui fait toute la différence pour moi.
J’ai eu la chance de suivre l’évolution du
cinéma français ces dernières années, et il est
clair que les mentalités ont beaucoup changé.
Ce qui me réjouit, c’est de voir des acteurs
comme Omar Sy ou Tahar Rahim s’exporter à
l’international. C’est inspirant de voir des talents
français briller partout dans le monde, et ça
me donne de l’espoir pour le futur. Cela prouve
que, même en étant un acteur issu d’une autre
culture, comme moi en tant que Marocain, on
peut trouver sa place dans le cinéma français
et international.
Pour ce qui est de mon propre parcours, j’ai
fait quelques castings pour des productions
françaises, mais malheureusement, ça n’a
pas toujours marché. J’ai parfois été trop
jeune pour certains rôles ou simplement pas
ce que le réalisateur recherchait à ce
moment-là. Mais je ne perds pas espoir, car
le cinéma est un domaine où il faut être
patient. J’ai aussi compris que pour décrocher
plus de rôles dans des productions françaises,
il me faut un agent bien implanté en
France ou à l’étranger.
Je pense aussi que la situation pour les acteurs
marocains et nord-africains s’améliore. Il y a
dix ou quinze ans, nos rôles dans les films
étrangers se résumaient souvent à des silhouettes
ou des personnages secondaires.
Aujourd’hui, les choses évoluent, et les acteurs
marocains commencent à occuper des rôles
plus importants dans des productions internationales.
Cela me motive, et j’espère vraiment
pouvoir contribuer à cette évolution en
décrochant des rôles significatifs dans des
films français. Pour moi, c’est l’un des objectifs
majeurs de l’année à venir.●
18 Maroc / Novembre 2024
LA COUV’
20 Maroc / Novembre 2024
ADIL EL FADILI
L'ENFANT DE LA
BALLE DU CINÉMA
MAROCAIN
PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : CHRISTIAN MAMOUN - BOXOFFICE MAROC
Novembre 2024 / Maroc
21
LA COUV’
ALCHIMISTE
DE L'IMAGE
JOLI MÔME !
Sous les regards à la fois curieux et
bienveillants de ses habitants, dans
le quartier mythique de Mers Sultan
à Casablanca, Adil El Fadili se réapproprie
les rues de son enfance pour un shooting
chargé de souvenirs et d'émotions. Là où
autrefois résonnaient les rires insouciants
de l’enfance, se dessine aujourd'hui une
vision artistique raffinée, façonnée par les
années, mais jamais déconnectée de ses
racines. Mers Sultan, avec son architecture
Art déco et ses ruelles familières, devient
sous l'objectif un décor vivant, une extension
naturelle de l'univers cinématographique
d'Adil El Fadili.
Le quartier qui l’a vu grandir semble accueillir
de nouveau cet enfant de la balle, devenu
l’un des visages les plus respectés du cinéma
marocain. Ce « joli môme » n’a rien perdu de
l’énergie créative qui l’anime depuis ses premiers
pas derrière la caméra. Entouré de son
équipe, il se glisse avec une aisance naturelle
dans ce rôle qui lui va comme un gant
: celui d'un artiste qui puise dans la nostalgie
d’un passé qu’il n’a pas connu, les odeurs
et les couleurs de son passé pour les transposer
à l'écran avec une rare sensibilité.
Une sensibilité qui n’était pas passée inaperçue
lors de la dernière édition du Festival National
de Tanger puisqu’il a raflé six prix avec son
premier long métrage Mon père n’est pas mort.
Ce film, véritable ode à la mémoire et à l'identité,
a captivé par sa force visuelle et son émotion
à fleur de peau, plaçant Adil El Fadili au
cœur de l’attention du cinéma national.
Pendant que son film fait la tournée des compétitions
internationales, Adil se prête au jeu
d'un shooting à l’image de son cinéma : intime,
pudique, et par moments, délicieusement drôle.
Le décor, comme toujours, est un savant
mélange de simplicité et de sophistication, à
l’image de Mers Sultan lui-même, ce quartier
qui respire l'histoire tout en étant ancré dans
le présent. Entre les murs patinés par le temps
et les petites échoppes du quartier, le réalisateur
alchimiste tisse des liens invisibles entre
ses souvenirs d’enfant et ses ambitions futures
de cinéaste. Il livre une interview où il se dévoile
comme rarement, explorant les méandres de
son parcours, ses inspirations, sa famille d’artistes
et la manière dont le quartier qui l'a vu
grandir, continue de nourrir son imaginaire cinématographique.
Entre ombre et lumière, entre
intimité et grandeur, entre poésie et politique.●
22 Maroc / Novembre 2024
Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir Mon père
n’est pas mort avec un plan séquence? Quelle
signification narrative ou émotionnelle vouliez
vous transmettre dès le début du film ?
Commencer le film par un plan séquence servait
de prologue, permettant à la caméra de
présenter les personnages et d'immerger le
spectateur dans l'univers que je propose. Je
n'ai jamais envisagé cela comme un exploit
technique, mais plutôt comme un moyen d'introduire
l'histoire.
Comment prépare–t–on une scène pareille
avec les techniciens et les acteurs ?
Le plan séquence, d'une durée presque de 10
minutes, a exigé deux jours de préparation et
une journée entière de tournage. Cette complexité
était due à la nécessité de coordonner
300 figurants, tout en gérant les déplacements
d'une dizaine d'acteurs, dont le petit garçon
Malik, qui nous guide à travers ce décor de foire
en présentant les différents personnages. Pour
chaque sous-décor, il était crucial d'installer les
artistes avec leurs numéros respectifs, ainsi que
les spectateurs. Ce plan séquence a également
requis l'utilisation de trois grues et d'un Ronin,
un stabilisateur de caméra, pour garantir une
fluidité dans les mouvements.
D’où vient cette histoire ?
L'histoire du Maroc pendant le protectorat et
après l'indépendance m'a toujours fasciné. De
nombreux cinéastes marocains ont exploré les
années de plomb, et j'ai souhaité, moi aussi,
aborder cette période sombre de notre histoire,
mais d'une manière colorée, poétique et onirique.
Le regard innocent du petit garçon me
permet de transmettre une naïveté essentielle
pour raconter cette histoire. Mon intention est
de montrer à la nouvelle génération comment
le Maroc a su surmonter ces années difficiles
pour bâtir un avenir meilleur. En revisitant cette
période douloureuse, je vise à réconcilier le
peuple marocain avec son passé. Dans ce
contexte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a
créé l'Instance Équité et Réconciliation, un
organe de justice transitionnelle, pour aider à
guérir les blessures des années de plomb.
Adil El Fadili : à la poursuite du réel perdu
Quels étaient les plus grands défis liés à la
construction des décors pour ce film ?
La principale difficulté à laquelle nous avons
été confrontés était d'ordre financier. Une part
importante du budget a été consacrée à la
création des décors, car 90 % du film a été
tourné en studio. Avant le tournage, nous avons
réalisé de nombreux croquis et construit des
maquettes pour rester fidèles à l'univers du
film que nous souhaitions créer. Cette approche
minutieuse était essentielle pour capturer l'at-
Novembre 2024 / Maroc
23
LA COUV’
mosphère que nous imaginions. Depuis longtemps,
je suis fasciné par les films tournés en
studio, comme Les Enfants du Paradis de Marcel
Carné ou Oliver Twist de David Lean. Ces
œuvres m'ont toujours impressionné par leur
capacité à créer des mondes entiers à l'intérieur
des limites d'un plateau, et c'est cette
magie que je voulais reproduire dans mon
propre projet. Bien que les contraintes financières
aient été un défi, avec la collaboration
de feu Aziz El Fadili elles nous ont également
poussés à faire preuve de créativité et à exploiter
au maximum les ressources dont nous disposions
pour donner vie à ma vision.
Le personnage principal est un petit garçon.
Comment dirige–t–on un enfant ? Pourquoi
avoir choisi d’en faire un enfant dans le
mutisme ?
Je suis un enfant qui se prend au sérieux,
conscient des responsabilités qui m'incombent.
L'enfant en moi me permet de mieux communiquer
avec les enfants acteurs. Il est essentiel
de les impliquer dans l'aventure du film en leur
faisant comprendre que c'est un jeu, même si,
au lieu de jouer avec des jouets, ils seront en
train de vivre de vraies expériences.
Tout au long de ma carrière, l'enfant a toujours
eu une place importante dans mes histoires.
Pour le film Mon père n'est pas mort, je savais
que je ne pourrais pas réaliser ce projet sans
trouver le bon enfant. Je me préparais à auditionner
des centaines d'enfants, mais j'ai eu la
chance de rencontrer Adam Raghal. Dès notre
première rencontre, j'ai su que c'était lui.
Dans l'histoire, je voulais que le petit Malik soit
le témoin de l'action, et à travers ses yeux d'enfant
innocent, il raconterait une histoire d'adultes.
Plusieurs personnages existent autour de
Malik. Comment écrire plusieurs personnages
complexes et les faire exister ? Vous inspirez-vous
de personnes réelles ou sont-ils
purement issus de votre imagination ?
La structure du scénario repose sur trois éléments
principaux. D'une part, nous avons les
faits historiques et leurs protagonistes. D'autre
part, il y a les personnages de fiction, notamment
les forains et d'autres figures colorées.
Enfin, des personnages émergent de l'univers
pittoresque des tableaux, tous ces éléments
étant narrés à travers le regard d'un enfant.
Ce processus a été un véritable casse-tête,
car chaque personnage est tellement attachant
que je n'arrivais pas à imaginer comment
les réduire ou les écarter de l'histoire.
Leur richesse et leur profondeur méritent d'être
explorées pleinement, ce qui rendait la tâche
encore plus complexe. En fin de compte, l'objectif
est de créer une mosaïque vivante où
Conteur d'histoires Al Dente
chaque personnage apporte sa propre couleur
à l'ensemble, tout en étant vu à travers
l'innocence et la curiosité de l'enfance.
Vous êtes à la fois réalisateur, producteur et
scénariste et sur plusieurs postes au générique.
Est-ce selon vous une nécessité dans
le contexte marocain de cumuler ces rôles,
ou est-ce un choix délibéré pour garder une
maîtrise totale sur vos projets ?
Je me compare souvent à un cuisinier : il est
essentiel pour moi de toucher à tous les aspects
de mon art pour concocter un plat réussi. Depuis
mes débuts, j’ai toujours été derrière la caméra,
gérant la lumière et le montage. Je ne peux pas
me limiter à un seul rôle, non pas par souci
d’économie, mais parce que je crois fermement
que l'on n'est jamais mieux servi que par soimême.Le
processus de création me plonge
dans une dynamique similaire à celle d’un laboratoire,
où chaque élément doit être soigneusement
mélangé et ajusté. C’est dans cette
exploration active que je trouve mon véritable
épanouissement. J’aime expérimenter, ajuster
et peaufiner chaque détail, car c’est ainsi que
naît une œuvre authentique et riche.
Le film a pris des années à se concrétiser.
Quelles ont été les principales difficultés que
vous avez rencontrées et comment avez-vous
maintenu votre motivation pendant cette
longue période ?
Malgré toutes les difficultés rencontrées lors de
la réalisation de ce film, ma motivation est restée
intacte. Je suis une personne très passionnée
et je ne baisse jamais les bras. Le tournage
a duré huit semaines, réparties en trois blocs.
À chaque étape, je devais faire une pause pour
rechercher des financements afin de poursuivre
le projet. J'ai même pris la décision difficile d'hypothéquer
ma maison pour garantir la finalisation
du film. Heureusement, grâce à la coproduction
avec la SNRT, au fonds d'aide du CCM,
ainsi qu’au soutien de personnes comme Sarim
Fassi-Fihri, Fouad Challa, Julien Fouré et
Abdel-Rahim Harbal et ma famile, sans oublier
Rizki de Image Factory, j'ai pu mener ce projet
à terme. Je leur en suis profondément reconnaissant
pour leur aide précieuse, qui a été
essentielle à la réalisation de cette œuvre.
Est-ce un choix de ne pas opter pour le système
de coproduction étrangères pour financer
votre film ?
Après le succès de mon court-métrage Courte
Vie, j'ai été approché par plusieurs productions
étrangères intéressées par une coproduction.
Cependant, cela impliquait de modifier de nombreux
éléments de mon histoire pour plaire au
public occidental. Je me suis rapidement rendu
compte que ma vision du Maroc, authentique et
personnelle, ne les intéressait pas réellement.Je
ne voulais pas compromettre l’essence de mon
récit en intégrant des éléments folkloriques simplement
pour séduire. Par exemple, l'idée de remplacer
les chikhate par des danseuses du ventre
ne correspondait pas à ma vision. Pour moi, il
était essentiel de rester fidèle à ma culture et à
mes racines, même si cela signifiait refuser certaines
opportunités. Je crois fermement que la
véritable richesse d'une histoire réside dans son
authenticité, et je suis déterminé à la préserver.
24 Maroc / Novembre 2024
JE ME COMPARE SOUVENT À UN
CUISINIER : IL EST ESSENTIEL POUR MOI
DE TOUCHER À TOUS LES ASPECTS DE MON
ART POUR CONCOCTER UN PLAT RÉUSSI
UNIVERS
Vous êtes un réalisateur à l’univers singulier
dans le paysage cinématographique marocain.
Comment cet univers a-t-il évolué entre
Courte vie et Mon père n’est pas mort ? Avezvous
conscience de cette évolution au fil de
votre parcours ?
Je ne suis pas vraiment conscient d’avoir suivi
un chemin délibéré ; tout s'est fait naturellement.
Mon parcours a commencé dans le monde
de la marionnette, un univers résolument enfantin.
J'ai grandi dans l'atelier du Théâtre Municipal
de Casablanca, où mon père montait ses
spectacles. Cette expérience explique sans
doute mon penchant pour toucher à tout.
J'ai ensuite eu l'occasion de monter plusieurs
pièces de théâtre, dont Le Petit Prince d'Antoine
de Saint-Exupéry. Après mes études de cinéma,
j'ai également exploré l'humour à la télévision
avec des projets avec Hanane El Fadili. Toutes
ces expériences ont contribué à façonner un
univers coloré et poétique, que l'on retrouve
chez de nombreux réalisateurs étrangers partageant
un parcours similaire. Ils sont eux aussi
issus de l'univers du spectacle pour enfants, ce
qui enrichit notre vision artistique et notre
approche narrative.
Dès votre premier court-métrage, aviez-vous
une idée claire du réalisateur que vous vouliez
devenir ou cet univers s'est-il formé progressivement
au gré de vos expériences et
influences ?
Bien que j’aie débuté ma carrière à la télévision,
j'avais la conviction que le cinéma serait
un espace plus personnel où je pourrais vraiment
m'exprimer. Le septième art me permet
de créer un univers qui me ressemble et de
reconstituer des vies, mais d'une manière artificielle,
presque comme une illusion. Cela me
donne l'occasion de réaliser un voyage réaliste,
où chaque élément est soigneusement choisi
pour évoquer des émotions et des réflexions
profondes.Le cinéma offre une liberté créative
que je ne trouve pas toujours à la télévision.
C'est un médium qui me permet d'explorer des
thèmes plus intimes et de construire des récits
qui parlent à l'âme, tout en jouant avec la frontière
entre la réalité et la fiction. Mon objectif
est de transporter le public dans un monde qui,
bien que façonné par ma vision, résonne profondément
avec leurs propres expériences.
Comment avez-vous vécu la transition entre
le court-métrage et le long-métrage ? Y a-t-il
De la rue à l'écran : un cinéma sans filtre
des libertés ou des contraintes spécifiques
qui vous ont marqué dans ce processus ?
La transition entre le court-métrage et le
long-métrage représente pour moi une continuité
naturelle. J'ai toujours cherché à rester
fidèle à moi-même et à mon univers artistique.
Chaque projet, qu'il soit court ou long, est une
extension de ma vision créative.Dans mon
court-métrage, j'ai pu explorer des thèmes et
des émotions qui me tiennent à cœur, et je poursuis
cette exploration dans mon longs-métrages.
C'est comme une conversation qui se prolonge,
où chaque nouvelle œuvre enrichit et approfondit
l'univers que j'ai construit. Cette fidélité
à mon style et à mes valeurs me permet de
créer des histoires authentiques et cohérentes,
tout en continuant à captiver le public avec des
récits qui me ressemblent véritablement.
Quel est votre processus d'écriture ? Écrivez-vous
seul ou travaillez-vous avec des
collaborateurs à ce stade ? Est-ce une étape
de plaisir ou plutôt de doute ?
L'étape de l'écriture est un subtil mélange de
plaisir et de doute. C'est un processus à la fois
exaltant et parfois éprouvant, où chaque mot
compte. J'aime collaborer avec d'autres personnes,
car cela enrichit le récit et apporte de
nouvelles perspectives. Cependant, tout en
restant ouvert aux idées des autres, je garde
toujours en tête la direction que je souhaite
donner à mes personnages.Cette interaction
créative me permet de tester différentes
approches et d'affiner l'essence de mes protagonistes.
Je crois fermement que chaque
collaboration peut apporter une dimension
supplémentaire à l'histoire, tout en respectant
ma vision initiale. Ainsi, l'écriture devient un
voyage partagé.
Sur un plateau de tournage, quel genre de
réalisateur êtes-vous ? Préférez-vous laisser
place à l’improvisation ou aimez-vous tout
maîtriser en amont ?
Cela dit, la magie du plateau peut parfois intervenir
de manière inattendue. Des éléments
peuvent surgir de nulle part et apporter une
dimension magique à la narration. Une réaction
spontanée d'un acteur, un jeu de lumière
surprenant ou une atmosphère particulière
peuvent transformer une scène ordinaire en
un moment d'une intensité émotionnelle
incroyable. C'est dans ces instants imprévus
que le film prend véritablement vie, ajoutant
des couches de profondeur à mon récit et permettant
à l'histoire de s'épanouir de manière
inattendue.Cette interaction créative me permet
de tester différentes approches et d'affiner
l'essence de mes protagonistes. Je crois
fermement que chaque collaboration peut
Novembre 2024 / Maroc
25
LA COUV’
apporter une dimension supplémentaire à l'histoire,
tout en respectant ma vision initiale. Ainsi,
l'écriture devient un voyage partagé.
HIER ET AUJOURD’HUI
Comment votre passion pour le cinéma a-telle
vu le jour ? Était-ce une vocation précoce
ou une révélation plus tardive ?
Je suis né dans le quartier de Mers Sultan, un
lieu où, à l'époque, une dizaine de salles de
cinéma se trouvaient à proximité les unes des
autres. Dès mon enfance, un véritable rituel
s'était instauré avec mes frères : chaque mercredi,
nous allions voir un film. Mon père, lui, alimentait
notre passion en projetant des films sur
un drap blanc, utilisant un projecteur Super 8.
J'assistais parfois aux plateaux de tournage, et
ce monde m'a toujours profondément fasciné.
Puis est arrivée l'ère du VHS, et là, ma consommation
de films est devenue encore plus intense
: je pouvais regarder entre deux et quatre films
par jour. Dès lors, il m'était inconcevable de faire
autre chose que de raconter des histoires, mais
cette fois-ci, derrière une caméra.
Quels sont vos premiers souvenirs marquants
de cinéma ? Est-ce un film en particulier ou
une expérience qui vous a marqué ?
Les deux premiers films qui m'ont marqué à
jamais sont Peau d'Âne de Jacques Demy et
L'Enfant sauvage de François Truffaut. Ces
œuvres ont laissé une empreinte indélébile sur
mon imaginaire. Mon goût en matière de cinéma
est très éclectique, allant des maîtres du cinéma
comme Friedrich Murnau, Orson Welles, Fritz
Lang, Jean Renoir, Marcel Carné et John Ford.
Je peux tout autant apprécier l'humour décalé
des Monty Python ou de Pierre Richard, sans
oublier bien sûr les géants du burlesque que
sont Charlie Chaplin et Buster Keaton. Cela dit,
j'ai un penchant particulier pour le cinéma
expressionniste allemand et le réalisme poétique
français, deux mouvements cinématographiques
qui captivent par leur esthétique unique
et leur profondeur. Ce sont ces films, en mêlant
poésie, humanité et innovation, qui ont éveillé
en moi l'envie irrépressible de raconter la vie à
travers l'objectif d'une caméra. Ils m'ont fait comprendre
que le cinéma est un puissant moyen
de saisir et de partager les émotions, les luttes
et les beautés de l'existence.
Quels réalisateurs, acteurs, ou films ont façonné
votre regard sur le cinéma et ont influencé
votre démarche en tant que cinéaste ?
Pour les réalisateurs marocains, deux ont été
très importants dans ma façon de voir le cinema.
Il s’agit de Mustapha Derkaoui et Ahmed
Bouanani. Des films importants et une liberté
de dire et de faire qui m’a marqué.
« Courte vie », longue gloire
Quand vous regardez vos premiers travaux,
que ressentez-vous ? Avez-vous un regard
nostalgique ou critique sur ces débuts ?
Je prends énormément de plaisir dans le processus
de création de mes films. C'est une expérience
intense, presque immersive, où chaque
étape, de l'écriture au tournage, puis au montage,
me passionne profondément. Cependant,
une fois le film terminé, je n'aime pas le revoir.
Mon regard devient alors extrêmement critique,
et chaque visionnage me révèle une multitude
de défauts que je n'avais pas forcément perçus
durant la production. Ces imperfections, parfois
minimes, finissent par occulter pour moi le travail
accompli. C'est pour cette raison que je préfère
éviter de revoir mes films, afin de préserver
le plaisir créatif sans tomber dans
l'autocritique constante.
Comment vos expériences personnelles
ont-elles influencé vos premiers films ? Y
a-t-il des moments clés de votre vie que
l’on retrouve de manière symbolique dans
vos œuvres ?
Je crois fermement que le sens de l'observation
est crucial pour un cinéaste. Je m'intéresse
profondément à ce qui se passe dans
le monde et à tout ce qui nous entoure. La
nature humaine demeure pour moi une
énigme fascinante, une source d'inspiration
inépuisable.
Dans mes travaux, je préfère poser des questions
plutôt que de donner des réponses définitives.
Cela ouvre la voie à des débats enrichissants
et invite le public à réfléchir. En
mettant en lumière les complexités et les
contradictions de notre existence, je cherche
à engager les spectateurs dans une exploration
active des thèmes abordés. Ainsi, mes
films deviennent des espaces de réflexion
où chacun peut s'interroger sur sa propre
perception de la réalité.
En tant que réalisateur marocain travaillant
dans un paysage en pleine évolution, comment
percevez-vous l’avenir du cinéma
marocain ? Quelles sont les forces et les
faiblesses de l’industrie aujourd’hui ?
Tout d'abord, nous avons la chance de vivre
dans un pays qui dispose d'un fonds d'aide
géré par le Centre Cinématographique Marocain.
Je ne peux pas imaginer comment le
cinéma marocain pourrait exister sans ce soutien,
notamment sous la forme d'avances sur
recettes. De nombreux pays n'ont pas cette
opportunité, ce qui rend notre situation particulièrement
privilégiée.Cette aide financière
est essentielle pour permettre aux cinéastes
de développer leurs projets et de donner vie
à leurs visions. Elle offre un véritable tremplin
pour la créativité, en facilitant l'accès aux ressources
nécessaires pour réaliser des films.
Grâce à ce soutien, le cinéma marocain peut
continuer à évoluer, à s'affirmer sur la scène
internationale et à raconter des histoires qui
résonnent avec notre culture et nos réalités.
Comment trouvez-vous l’équilibre entre la
création artistique et les réalités économiques
du cinéma au Maroc ?
Je pense qu'il existe des films qui nécessitent
davantage de moyens que d'autres.
Par exemple, un film tourné en studio, avec
des reconstitutions de décors élaborés et
des univers riches, demande un budget plus
conséquent qu'un film intimiste réalisé dans
un simple appartement.Les productions plus
ambitieuses nécessitent non seulement des
décors complexes, mais aussi des équipes
techniques plus importantes, des effets spéciaux,
et souvent des éléments de production
coûteux. En revanche, un film intimiste
peut se concentrer sur la profondeur des
personnages et des dialogues, ce qui permet
de créer une atmosphère poignante
sans nécessiter autant de ressources. Ainsi,
chaque projet a ses propres exigences et
défis, et le budget alloué doit être adapté
en conséquence pour réaliser la vision artistique
du cineaste.●
26 Maroc / Novembre 2024
INTERVIEW
ABDELLATIF
CHAOUQI
DU JEU
DE CORPS
AU JEU DE
RÔLES
La danse a joué
un rôle essentiel
dans mon
développement
en tant qu’acteur
28 Maroc / Novembre 2024
Acteur, chorégraphe,
musicien et scénariste en
devenir, Abdellatif Chaouqi
est un artiste aux multiples
facettes. Depuis ses premiers
pas sur la scène théâtrale de
Béni Mellal jusqu’à ses rôles
dans des productions
internationales, en passant par
ses premiers rôles dans le
cinéma marocain, il n’a cessé
d’évoluer, cherchant toujours à
montrer le meilleur de luimême
et à développer ses
capacités artistiques.
Aujourd’hui, il nous parle de
son parcours, de ses projets en
cours et de son aspiration à
l’écriture scénaristique, une
nouvelle aventure créative
qu’il explore avec passion.
PAR SALMA HAMRI
Abdellatif Chaouqi, l’acteur aux talents multiples
Comment avez-vous pris conscience de
votre vocation de comédien ?
Quand j’étais petit, je n’avais jamais vraiment
envisagé de devenir artiste. J’étais un garçon
très réservé, quelqu’un de timide, qui n’était
pas du genre à se mettre en avant, à mettre
de l’ambiance ou à interagir beaucoup avec
les autres. Cependant, j’ai toujours eu une
sensibilité pour l’art. Je m’intéressais à ce qui
se passait autour de moi, j’observais beaucoup
les gens et les situations. Au collège, j’ai participé
à des pièces de théâtre, mais c’était
plutôt pour les fêtes de fin d’année, donc ce
n’était pas quelque chose que je prenais très
au sérieux. Mais je me souviens que j’aimais
être sur scène, même si je ne comprenais pas
vraiment ce que je ressentais à ce moment-là.
Le véritable déclic est venu quand j’avais 15
ans. Je regardais un film à la télévision intitulé
Bagarres au King Créole, un film américain
de Michael Curtiz sorti en 1958 dans lequel
jouait Elvis Presley. Je ne le connaissais pas
encore à l’époque, mais ce film a réveillé
quelque chose en moi. C’était une révélation.
J’ai été immédiatement fasciné par Elvis Presley,
non seulement par sa musique, mais aussi
par son charisme et sa présence à l’écran.
C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais
faire de la comédie, de la danse, et chanter
par la même occasion. Je me suis alors mis
à apprendre ses morceaux, à améliorer mon
anglais pour comprendre les paroles, et je
m’amusais à l’imiter.
Quels ont été vos premiers pas concrets dans
le monde artistique ?
Après ma découverte d’Elvis Presley, je me
suis plongé dans la danse et la musique. À
l’époque, à Béni Mellal, il n’y avait pas vraiment
de centres culturels ou d’infrastructures
pour les jeunes artistes. J’ai donc commencé
à m’exercer seul, dans ma chambre, en imitant
les mouvements de danse de Michael
Jackson et Elvis Presley. Je mélangeais plusieurs
styles comme le rock ‘n’ roll, le rap et
la salsa, sans vraiment de méthode, juste
avec passion. Avec quelques amis, nous
avons décidé de former une petite troupe
de danse et nous faisions des chorégraphies
inspirées de tous les styles de danse que
nous aimions. Notre petite troupe a attiré
l’attention d’un metteur en scène de l’université
de Béni Mellal, qui m’a proposé de
participer à une pièce de théâtre en tant que
chorégraphes. C’est là que j’ai commencé
à me faire un nom localement, et le metteur
en scène m’a ensuite proposé de jouer un
rôle dans son adaptation de La Cantatrice
chauve de Ionesco. C’était ma première
expérience théâtrale, et cela a été un tournant
pour moi. J’ai ensuite enchaîné avec
des pièces de Tchékhov et Shakespeare
avec le même metteur en scène. C’est vraiment
à partir de là que ma carrière d’acteur
et de danseur a pris forme.
Comment votre expérience dans la danse
et la musique a-t-elle influencé votre
carrière d’acteur ?
La danse a joué un rôle essentiel dans mon
développement en tant qu’acteur. En apprenant
à danser, j’ai pris conscience de l’importance
du corps dans l’expression artistique.
La danse m’a permis de mieux
comprendre comment utiliser mon corps
dans l’espace, comment occuper la scène,
et comment transmettre des émotions sans
nécessairement utiliser les mots. C’est un
outil extrêmement puissant pour un acteur.
De plus, la danse m’a apporté le sens du
rythme, ce qui est crucial pour jouer une
scène. Pour moi, chaque scène que je joue
est comme une partition musicale. Il y a des
moments où il faut accélérer, ralentir, marquer
des pauses, tout comme en musique. Cela
permet de donner de la profondeur et de la
variété à l’interprétation et d’éviter la monotonie.
La musique a aussi beaucoup influencé
ma carrière d’acteur dans le sens où j’ai
toujours été fasciné par les différentes langues,
notamment parce que je chantais en
anglais, en espagnol, et même en russe.
Cela m’a ouvert des portes à l’international,
car je pouvais communiquer facilement avec
Novembre 2024 / Maroc
29
INTERVIEW
Chaouqi a débuté sa carrière dans le cinéma avec des productions étrangères
TRAVAILLER POUR LA TÉLÉVISION
EST UN EXERCICE TRÈS DIFFÉRENT DU
CINÉMA. IL FAUT SAVOIR S’ADAPTER
AUX CONTRAINTES DE TEMPS,
APPRENDRE LES TEXTES RAPIDEMENT
ET ÊTRE CAPABLE D’IMPROVISER
italiennes, américaines et égyptiennes),
notamment des productions comme Queen
of the Desert réalisé par Werner Herzog avec
la sublime Nicole Kidman, et bien d’autres.
Certes, les rôles qu’on me propose dans les
productions étrangères ne sont pas grandioses
pour la plupart mais travailler sur ce
genre de projets exige une grande capacité
d’adaptation et cela reste toujours une expérience
extrêmement enrichissante, tant sur le
plan professionnel que personnel.
les équipes étrangères lors de tournages.
En somme, la danse et la musique ont enrichi
mon jeu d’acteur en me donnant une plus
grande liberté dans l’expression corporelle
et en m’aidant à mieux comprendre le rythme
nécessaire pour interpréter un rôle.
Quel a été le tournant dans votre carrière
cinématographique ?
Le véritable tournant dans ma carrière cinématographique
a été lorsque j’ai décroché
mon premier rôle principal dans Destins croisés
de Driss Chouika. C’était un moment important
pour moi, car ce rôle m’a permis de vraiment
me faire connaître dans le monde du cinéma
au Maroc. Mon interprétation dans ce film a
été récompensée par le prix d’interprétation
au Festival international du cinéma d’auteur
de Rabat. Ce prix a marqué un tournant décisif
dans ma carrière, car il m’a donné une visibilité
et une reconnaissance dans le milieu du
cinéma. Après cela, j’ai enchaîné avec d’autres
films comme Pégase de Mohamed Mouftakir,
Zéro de Noureddine Lakhmari et L’Anniversaire
de Latif Lahlou. C’est à cette période que j’ai
compris qu’il était important de continuer à me
former, surtout dans les langues et l’histoire,
car je tournais de plus en plus dans des films
historiques, notamment dans des productions
étrangères. Cela m’a conduit à retourner à
l’université pour obtenir une licence en anglais
et un master en études de genre en anglais
également, ce qui m’a permis d’améliorer ma
communication avec les équipes techniques
sur les plateaux de tournage internationaux.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours
avec les productions étrangères ?
Il est essentiel de rappeler que mes débuts
dans le cinéma se sont faits avec des productions
étrangères. Ma toute première expérience
a eu lieu lors du tournage d’une série
hollandaise à Casablanca, où j’interprétais un
inspecteur de police. Cette expérience a été
complètement différente de tout ce que j’avais
connu jusqu’alors. Elle m’a ouvert les yeux
sur l’univers du cinéma international, avec ses
propres codes et exigences, et m’a confirmé
que je voulais absolument poursuivre dans
cette direction. J’ai donc commencé à me
lancer dans les castings pour des films étrangers,
principalement à Ouarzazate et Agadir,
des lieux prisés par les productions internationales.
Cependant, il a fallu du temps avant
que les directeurs de casting me fassent
confiance. À l’époque, je n’avais pas encore
d’expérience dans le cinéma marocain, ce
qui compliquait ma percée. Mais une fois que
j’ai réussi à prouver mes compétences, les
opportunités ont commencé à se multiplier.
Depuis, j’ai eu la chance de jouer dans plusieurs
productions étrangères (britanniques,
Pour conclure, pouvez-vous nous parler de
vos projets actuels et de ceux à venir, tant à
la télévision qu’au cinéma ?
Actuellement, je suis en plein tournage d’une
série de 15 épisodes réalisée par Nada
Cherkaoui. Travailler pour la télévision est un
exercice très différent du cinéma. Il faut savoir
s’adapter aux contraintes de temps, apprendre
les textes rapidement et être capable d’improviser.
C’est une expérience plus intense, moins
relaxante qu’un téléfilm, mais c’est un excellent
exercice pour un acteur. Je pense qu’il est important
pour un comédien de pouvoir s’adapter à
ces différents formats. Quant à mes autres projets,
j’ai plusieurs films qui sortiront prochainement,
notamment Triple A de Jihane El Bahhar
(actuellement en salles de cinéma), Everybody
Loves Touda de Nabil Ayouch, 401.01 de Younes
Reggab, et Quiproquo de Hamid Basket. Côté
productions internationales, je viens de terminer
le tournage de la série britannique Atomic, réalisée
par Shariff Korver et de la série docu-fiction
américaine The Saints du réalisateur Martin
Scorsese. Par ailleurs, je viens tout juste de finir
le tournage d’un film italien intitulé A Broken
Family de Rocco Ricciardulli. Et pour finir, dans
les semaines à venir, je vais commencer à jouer
dans une nouvelle pièce de théâtre intitulée Al
Mountahir, mise en scène par Brahim El Hanaï
avec la troupe de Béni Mellal. Je suis très enthousiaste
à l’idée de voir tous ces projets aboutir.●
30 Maroc / Novembre 2024
ACTU-CINÉ
Le réalisateur Kamal Lazraq, brandissant son Grand Prix lors du festival national du film de Tanger,
sous le regard bienveillant de son beau casting et du directeur du CCM
UNE CLÔTURE AUDACIEUSE POUR
LE FESTIVAL NATIONAL
DU FILM DE TANGER
La 24 ème édition du Festival national
du film de Tanger s’est achevée ce
samedi 26 octobre avec un palmarès
qui reflète la diversité et la richesse du
cinéma marocain. Coulisses.
PAR JIHANE BOUGRINE
32 Maroc / Novembre 2024
CRÉDIT : MAPPHOTO
Après plusieurs jours de visionnages
au supplément d’être, de débats
au supplément d’âme, le festival
qui célèbre la production marocaine de l’année
s’est clos devant le regard bienveillant
des professionnels du cinéma marocain.
Une clôture riche en surprises puisque le
Grand Prix a été attribué à Les Meutes de
Kamal Lazrak, une première œuvre saisissante
et audacieuse. Le choix de récompenser
ce film témoigne du courage du jury présidé
par le réalisateur marocain Mohamed
Mouftakir, mettant en avant une vision cinématographique
audacieuse, prête à explorer
des récits bruts et complexes. Parmi les
autres récompenses majeures, le Prix du
jury a été décerné à Déserts de Faouzi Bensaïdi,
qui a également remporté le Prix de
l’image. Le film impressionne par sa maîtrise
visuelle et son exploration poétique des paysages
désertiques marocains, confirmant la
singularité du style de réalisateur.
Un film d’une grande subtilité et d’une grâce
rare en deux parties assumées qui méritaient
de tout rafler pour cette édition. La
mise en scène est brillante. Le réalisateur
marocain reprend les codes du théâtre pour
donner du corps à ses personnages tout en
se permettant de la musicalité pour donner
ce rythme à part à ses scènes, des tableaux
absurdes, dansants et dansés, avec toujours
le mouvement juste qui poussera au rire sincère.
Les moments de légèreté ont toujours
du sens, les lenteurs assumées racontent
les laissés pour compte et le temps qui passe
sans qu’on les voit. On questionne sur la
société, l’injustice, les libertés individuelles,
la pauvreté, le manque d’amour. Le Prix de
la meilleure interprétation féminine a été
décerné à Meriem Bouaazaoui pour son rôle
dans Le Silence des Violons de Saâd Chraibi.
Côté masculin, Amine Ennaji a été récompensé
pour sa prestation dans Kissat Wafaa
de Ali Tahiri.
Quant à Majdouline Idrissi, elle a remporté
le Prix du second rôle féminin dans Triple A
de Jihane El Bahhar, un film qui s’est distingué
en raflant plusieurs prix, dont celui du
scénario et du meilleur acteur pour un premier
rôle Khalil Oubaqqa. Triple A, une tragi-comédie
noire, plonge dans la vie de marginaux
dont les destins se croisent de
manière inattendue. Abordant des sujets difficiles
comme le trafic d’organes et la marginalisation
sociale, le film a été salué pour
sa capacité à combiner sérieux et humour,
reflétant les contradictions de la société marocaine
contemporaine. Le Prix du montage a
été attribué à Hôtel de la Paix de Jamal
Belmejdoub, le prix de la mise en scène à
Mohamed Chrif Tribak pour Journal Intime
tandis que Animalia de Sofia Alaoui s’est
illustré en décrochant le Prix du son. Côté
musical, Hicham Lasri a marqué les esprits
avec son travail en collaboration avec le surdoué
Walid Ben Selim sur Moroccan Badass
Girl, et Kamal Kamal a remporté le prix de la
production pour Que d’amour.
CRÉDIT : MAPPHOTO
Khalid Zairi, réalisateur du documentaire « Mora est là », qui a remporté le Prix spécial du jury lors de la cérémonie de clôture
Novembre 2024 / Maroc
33
ACTU-CINÉ
CETTE ÉDITION S’EST DISTINGUÉE
PAR SA VOLONTÉ DE METTRE EN
AVANT DE NOUVELLES VOIX DU
CINÉMA MAROCAIN
Dans la section des courts métrages, Kenza
Tazi a remporté le Prix du scénario pour
Frères de lait. Le Prix du jury a été attribué
à A Lamb, a Sheed and Ravens de Aymane
Hammou, tandis que le Grand Prix a été
décerné à Rachid de Rachida El Garani, une
comédie qui a su séduire le public par son
humour subtil et son humanité.
La beauté du premier geste
Cette édition s’est distinguée par sa volonté
de mettre en avant de nouvelles voix, comme
en témoigne le Prix de la première œuvre
remis à Leyla Triqui pour L’Empreinte du Vent,
certes critiquée par la rédaction mais qui s’en
sort avec les honneurs du jury puisque le film
a le mérite d’exister. Dans une interview, la
réalisatrice confie : « Encore lycéenne, des
récits poignants se murmuraient au sein de
ma grande famille, notamment ceux de
proches en couples mixtes ayant vécu des
fins bouleversantes au début des années 80.
Ces histoires résonnaient encore en moi des
années plus tard ». Les films documentaires
ont également brillé. La Mère de tous les mensonges
d’Asmae El Moudir s’est distingué par
son approche innovante, mêlant fiction et souvenirs
familiaux pour reconstruire une mémoire
collective longtemps refoulée. Ce film, salué
pour son originalité formelle et son récit profondément
personnel, invite à réfléchir sur
les répercussions des non-dits dans l’histoire
marocaine récente. Le documentaire Mora
est là de Khalid Zairi a également été primé,
soulignant l’importance croissante de cette
section dans le festival. Loin des documentaires
souvent plus esthétisés, Mora est là
adopte une approche plus simple et directe
et vient confirmer le supplément d’être qu’il
propose. Ce qui pourrait paraître un manque
d’audace formelle se transforme ici en une
force, car cela permet aux protagonistes d’être
au cœur du récit, sans fioritures. Leur souffrance
et leur résilience sont mises en lumière
avec authenticité. Khalid Zairi évite le piège
du misérabilisme, préférant célébrer la dignité
de ces héros de l’ombre, qui ont sacrifié leur
santé et parfois leur vie pour des conditions
de travail inhumaines. Ce film dépoussière
avec brio un pan de l’Histoire marocaine qui
reste encore trop peu exploré dans le cinéma.
Avec ce palmarès riche et varié, le Festival
national du film de Tanger se clôt sur une
note d’audace et d’innovation tout en laissant
un goût amer de consensus lâche. Un
palmarès non assumé qui sauve sa peau
avec un grand prix courageux. Comment
se contenter que de prix techniques pour
Sofia Alaoui et Hicham Lasri? Comment oser
donner le prix de la mise en scène à
quelqu’un d’autre qu’à Faouzi Bensaidi?
Pourquoi contenter tout le monde sauf un
Yassine Fennane, qui malgré la critique,
méritait sa place dans ce palmarès consensuel?
Il témoigne d’une volonté de renouvellement
du cinéma marocain certes mais
le palmarès aurait gagné à être plus radical,
en célébrant autant l’expérimentation
que les récits intimes pour laisser présager
une nouvelle ère pleine de promesses pour
le septième art au Maroc. Sans compromis
et sans « Bak sahbi ».●
CRÉDIT : MAPPHOTO
Les lauréats de l’édition 2024 du Festival national du film de Tanger, heureux de leur sacre
34 Maroc / Novembre 2024
ACTU-CINÉ
LE FRANÇAIS PATHÉ
VEUT CÉDER SES SALLES
DE CINÉMA EN AFRIQUE
L’information a de quoi surprendre : en plein expansion de son
réseau de salles de cinéma en Afrique francophone, le groupe
Pathé envisage déjà leurs cessions. Voici pourquoi et l’identité du
repreneur favori.
L’information a été révélée le 23 septembre
dernier sur LeDesk.ma* : le
réseau Afrique du géant français Pathé,
spécialisé dans les complexes de cinéma,
est en passe d’être revendu.
Le patriarche Jérôme Seydoux, soucieux
de la pérennisation de son empire, envisage
une entrée en bourse pour son groupe.
Dans ce contexte, et afin de mieux structurer
Pathé, des cessions sont sur la table.
Parmi celles-ci, on retrouve celle du réseau
de salles de cinéma en Afrique. Au-delà du
Maroc, où le groupe français vient tout juste
d’ouvrir son méga-complexe, Pathé est présent
également en Tunisie, en Côte d’Ivoire
et au Sénégal.
LE DEAL TOURNE AUTOUR DE 500
MDH ET LES NÉGOCIATIONS ONT DÉJÀ
ÉTÉ CONFIÉES À UNE BANQUE
D’AFFAIRES
36 Maroc / Novembre 2024
la banque a été mandatée pour les négociations,
tandis que côté Pathé, l’interlocutrice privilégiée
pour la transaction est Anne-Laure Julienne
Camus, remplaçante d’Aurélien Bosc et qui représente
au Maroc Pathé Cinémas Services.
Le repreneur devra par ailleurs penser à éponger
les dettes de Pathé, mobilisées pour son
développement en Afrique francophone. Le
Desk fait état d’un cumul de pas moins de 250
MDH, alors que Pathé avait déjà réussi à lever
près de 160 MDH auprès de la BMCI.
Mais au-delà des aspects techniques de la cession,
un élément de marché est certainement
venu indirectement motiver Pathé, pour précipiter
sa cession au Maroc : la réforme de l’industrie
du cinéma portée par le ministre Mehdi
Bensaid, dont un des textes phares vient séparer
la casquette de distributeur à celle d’exploitant
de salles de cinéma. Bien que l’activité soit
scindée entre deux entités pour Pathé, cette
nouvelle donne servant pour l’autorité de tutelle
à faire levier en faveur des petits distributeurs
est de nature à briser une situation de quasi-monopole
des grands acteurs français. Selon des
sources du marché citées par Le Desk, avec
cette loi entrant en vigueur, Megarama par
exemple, pourrait voir conséquemment son
chiffre d’affaires chuter drastiquement.
Au total, ce sont six complexes de cinéma opérationnels.
Au Maroc, outre Casablanca, il était
normalement prévu de passer à la vitesse supérieure,
avec l’ouverture de deux autres sites :
aux environs de Casablanca, à Dar Bouazza,
dans le très prisé Domaine d’Anfa, mais aussi
à Rabat. Ces projets demeureront dans le pipe.
D’après les révélations du Desk, des investisseurs
ont d’ores et déjà déposé leurs dossiers
pour le rachat de ce réseau d’Afrique. Parmi
eux, un sérieux candidat: la holding
Al Mada, dont l’actionnaire de référence n’est
autre que le roi Mohammed VI, à travers Siger,
déjà propriétaire des centres commerciaux Marjane.
Le site le plus phare demeure celui abritant
déjà un Pathé, le Marjane Californie situé
à Casablanca, au quartier Sidi Maârouf.
Selon la même source, le deal tourne autour des
500 millions de dirhams (MDH) pour la cession
des salles de cinéma. Une banque d’affaires de
Outre cette question, Al Mada est en lice, car
aussi soucieuse d’assurer le développement de
son activité retail et divertissement. Ses centres
commerciaux gagneront ici à articuler leur
business autour d’un méga-complexe de cinéma,
comme ce qu’ont pu faire d’autres concurrents
: Aksal avec son Morocco Mall qui était doté d’un
IMAX, ou encore les projets à venir du groupe
Retail Holding, détenteur de la franchise Carrefour
et dont un des projets à venir verra l’ouverture
des premières salles de cinéma de Cinerji.
De quoi donner un booster au sein du retail,
mais aussi et surtout, à l’activité cinéma au
Maroc… Tout bénéf.●
*LeDesk.ma est le premier média d’investigation
et d’informations exclusives au Maroc.
Il est édité par Pulse Media, la même société
éditrice de Boxoffice Maroc.
Novembre 2024 / Maroc
37
ACTU-CINÉ
SONIA OKACHA
ACTION ! PASSION !
Sonia Okacha, actrice discrète aux multiples casquettes, est sur le
point de donner une nouvelle dimension à son parcours en partageant sa
passion à travers des cours de jeu face caméra. Plongée dans l’art de
l’enseignement, le cours d’une vie. Les détails.
PAR JIHANE BOUGRINE
CRÉDIT : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
Une actrice aussi à l’aise dans la lumière que dans l’ombre
Actrice viscérale, elle joue sa vie à
la scène et fait de la scène une vie.
Sonia Okacha écume les rôles différents
depuis quelques années passant
du médecin libre dans Zéro de Nourredine
Lakhmari, en passant par l’épouse tout
sauf victime dans La Moitié du ciel de
Abdelkader Lagtaâ avant de donner chair
et sang au rôle-titre dans Sayida El Horra
revisité par Brahim Chkiri pour la télévision.
Des rôles aussi emblématiques que
forts qui montrent la large palette de jeu
de cette comédienne aux multiples
facettes. Mais elle est moins connue pour
son potentiel comique ! Un talent qu’elle
met au profit d’une troupe d’improvisation
depuis 2020 en parallèle à sa carrière et
à la transmission.
La fureur de dire
Pour Sonia Okacha, être actrice n’est pas
simplement une carrière, mais une passion
inébranlable. « Il y a une frustration dans l’attente
de propositions de rôles », explique-t-
38 Maroc / Novembre 2024
CRÉDIT : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
CRÉDIT : CHRISTIAN MAMOUN
Une actrice à la palette d’émotion large
lycée Françoise Druel, qui a marqué sa jeunesse
d’une empreinte indélébile. La comédienne
souhaite transmettre cet amour du
théâtre et du cinéma à ses élèves. « J’espère,
à mon niveau, faire naître des vocations
comme elle l’a fait pour moi », confiet-elle
avec enthousiasme.
Le jeu, une passion et un plaisir à transmettre
elle. « Enseigner me permet de me sentir
utile. C’est un acte de partage et de transmission
». Elle évoque la satisfaction qu’elle
ressent en voyant ses élèves s’épanouir et
gagner en confiance. « Une jeune fille avait
du mal à soutenir le regard au début de l’année.
À la fin, elle nous a offert un monologue
de Juliette où elle s’est complètement livrée.
C’était un moment magique ». Car dans sa
méthode d’enseignement, l’actrice prône
l’importance de l’expérience pratique. « La
théorie est essentielle, mais rien ne remplace
la pratique », souligne-t-elle. C’est en répétant
et en se confrontant à la caméra que
l’on progresse réellement. « Il faut apprendre
à accepter son image, ce qui n’est pas facile
dans notre société critique », ajoute-t-elle. À
l’ère des réseaux sociaux et de la retouche
d’image, elle guide ses élèves dans cette
acceptation de soi. « Ce n’est pas exercice
facile. Et plus on avance en âge, moins c’est
facile, dans une société critique et sévère. Il
suffit de voir l’explosion des filtres dans les
réseaux sociaux pour comprendre que le
rapport à l’image et le rapport à soi est compliqué.
Pour ma part je l’assume, c’est un
exercice de chaque instant. En jouant, on
oublie la caméra. Et quand le film sort, le
résultat ne nous appartient plus. Il faut lâcher
prise. On apprend à l’accepter en faisant ce
métier », confie celle qui a profondément été
influencée par sa mentore et professeure au
IMPROVISER, C’EST ÊTRE DANS LE
LÂCHER-PRISE ET LA RÉACTIVITÉ.
C’EST UN ÉQUILIBRE DÉLICAT ENTRE
CONFIANCE EN SOI ET EN L’AUTRE
Se jouer de la vie
Le plaisir est au cœur de sa démarche pédagogique.
« Sans le plaisir de jouer, il est difficile
de transmettre des émotions », affirmet-elle.
Sonia évoque le jeu comme une
exploration. « C’est un processus de découverte
de soi et des autres. On joue avec les
mots, les personnages, et cela doit être
authentique ». Sa méthode inclut également
des exercices de préparation, tant physique
que mentale, car, comme elle le souligne :
« Un comédien ne peut pas arriver sur scène
sans préparation ».
Face caméra, le jeu devient plus introspectif.
« On travaille sur l’intériorité des émotions
», explique-t-elle. « Le théâtre, en
revanche, demande une projection plus
forte ». Sonia veille à ce que ses élèves
développent une aisance et une confiance
en eux, essentielles dans cet art. « Improviser,
c’est être dans le lâcher-prise et la réactivité.
C’est un équilibre délicat entre
confiance en soi et en l’autre ».
Sonia Okacha, par ses cours, souhaite non
seulement former des acteurs, mais aussi
des individus épanouis. Son ambition est
de créer un espace où chacun peut se révéler
et se surpasser. « Chaque élève a un
potentiel unique. Je veux les voir briller, que
ce soit sur scène ou à l’écran ». Ainsi, en
transmettant sa passion, Sonia Okacha
aspire à marquer à son tour le parcours de
ses élèves, comme sa mentore et la vie l’ont
fait pour elle.●
Novembre 2024 / Maroc
39
ACTU-CINÉ
FESTIVAL INTERNATIONAL
DU FILM FRANCOPHONE
DE NAMUR
UNE CÉLÉBRATION DU
CINÉMA FRANCOPHONE
AVEC UNE PRÉSENCE
MAROCAINE MARQUÉE
CRÉDIT : LORE THOUVENIN
La 39 e édition du Festival International du
Film Francophone de Namur (FIFF) s’est
déroulée du 27 septembre au 4 octobre,
mettant en lumière la richesse et la diversité
des productions francophones. Cette année, le
Maroc a brillé, tant à travers la présence de ses
talents dans les jurys que par le succès de ses
œuvres sur grand écran.
PAR JIHANE BOUGRINE
Michel Hazanavicius pour sublimer la compétition
De la scène au fameux chapiteau, le
festival belge a su accueillir avec
cette energie et cette simplicité qui
lui sont chères. Fidèle aux valeurs d’un festival
qui sont le partage et la rencontre avant
tout, Namur récidive avec une édition au supplément
d’âme et avec une touche marocaine
qui n’est pas passée inaperçue.
Inès Lehaire de l’ESAV Maroc au cœur du
Jury Emile Cantillon
Le jury de la compétition 1er œuvre (Prix Emile
Cantillon), dédié aux premières réalisations,
a accueilli Inès Lehaire, représentante de
l’ESAV (École Supérieure des Arts Visuels de
Marrakech), parmi ses membres. Aux côtés
de jurés venus de France, du Québec et du
Sénégal, elle a contribué à récompenser le
Bayard de la Meilleure 1ère Œuvre attribué
à Là d’où l’on vient (Mé el Aïn) de Meryam
Joobeur (Tunisie/Québec/France), une œuvre
poignante qui aborde les thèmes de la guerre
et de la famille. Le jury a également décerné
une mention spéciale à Niki de Céline Sallette,
autre premier film marquant.
Un court métrage marocain primé :
Terre de Dieu de Imad Benomar
Outre la participation remarquée de Mon
père n’est pas mort de Adil El Fadili dans la
catégorie Compétition première oeuvre, c’est
dans la catégorie des courts métrages, que
le film Terre de Dieu du réalisateur marocain
Imad Benomar a été récompensé par le prix
de la meilleure photographie pour le travail
du directeur de la photographie Akram
Kbibchi, dans ce film qui explore les défis
liés à l’eau dans une région rurale marocaine.
Le film, par son approche visuelle et thématique,
a su captiver le jury et démontrer une
fois de plus le potentiel créatif des jeunes
réalisateurs marocains.
Un jury prestigieux pour les longs métrages
et une présence glamour
Le jury des longs métrages, présidé par le réalisateur
suisse Frédéric Baillif, était composé
de personnalités telles que les acteurs Karim
Leklou, Nahéma Ricci, la réalisatrice belge
Paloma Sermon-Daï, et Alex Moussa
Sawadogo, directeur du festival panafricain
de Ouagadougou. Ce jury a attribué le Bayard
d’Or du Meilleur Film à Les enfants rouges de
Lotfi Achour (Tunisie/Belgique/France), un
40 Maroc / Novembre 2024
CRÉDIT : LORE THOUVENIN
La joie de Imad Benomar après son sacre !
OUTRE LA PARTICIPATION REMARQUÉE
DE «MON PÈRE N’EST PAS MORT » DE ADIL
EL FADILI , C’EST DANS LA CATÉGORIE DES
COURTS MÉTRAGES, QUE LE FILM «TERRE
DE DIEU» DU RÉALISATEUR MAROCAIN
IMAD BENOMAR A ÉTÉ RÉCOMPENSÉ
CRÉDIT : LORE THOUVENIN
Le festival belge à l’accueil simple et chaleureux
drame poignant sur la violence et la résilience.
Le festival a également vu la présence de
nombreuses stars du cinéma francophone,
notamment Romain Duris, Louis Garrel, Charlotte
Le Bon, Zabou Breitman et Michel
Hazanavicius, qui ont partagé des moments
privilégiés avec le public à travers des rencontres
et des débats. Le festival s’est ouvert
avec la comédie d’Emmanuel Courcol, En
fanfare, et s’est clôturé avec le dernier film
de François Ozon, Quand vient l’automne,
soulignant la diversité des œuvres francophones
présentées cette année.
Une édition marquante pour le cinéma
marocain
La reconnaissance de Terre de Dieu et la participation
active d’Inès Lehaire dans le jury
Emile Cantillon confirment la place croissante
du cinéma marocain sur la scène internationale.
Grâce à des initiatives comme l’ESAV et
des jeunes talents comme Imad Benomar, le
Maroc continue de s’affirmer comme un acteur
majeur du cinéma francophone.
En attendant la 40 e édition, qui promet déjà
d’être exceptionnelle, le FIFF 2024 aura été
une belle célébration de la créativité et du
talent francophone, avec un clin d’œil particulier
à la scène cinématographique marocaine,
en plein essor.●
Novembre 2024 / Maroc
41
ACTU-CINÉ
MARRAKECH SHORT FILM FESTIVAL
LE COURT-MÉTRAGE À L’HONNEUR
Du 27 septembre au 2 octobre 2024, Marrakech a accueilli la
quatrième édition du Marrakech Short Film Festival (MSFF).
Organisé sous l’impulsion de Ramia Beladel, fondatrice du
festival, cet événement est sans doute une plateforme pour la
promotion des courts-métrages et la découverte de nouveaux
talents cinématographiques.
PAR SALMA HAMRI
CRÉDIT : BOX OFFICE MAROC
et le Cyberpark de Marrakech, offrant une atmosphère
unique et immersive aux spectateurs. Les
premiers jours ont été ensuite rythmés le matin
par des ateliers interactifs et des rencontres
enrichissantes entre cinéastes, professionnels
de l’industrie et passionnés de cinéma. Le soir,
les intervenants et cinéphiles se retrouvent pour
des projections captivantes, Ces activités ont
permis de créer une atmosphère propice à l’innovation
et à la créativité, faisant du MSFF un
véritable carrefour de rencontres culturelles et
artistiques, a souligné la fondatrice du festival
Ramia Beladel.
Ambiance feutrée au Cyberpark de Marrakech dans l’attente des projections de courts-métrages programmés
Cette édition s’inscrivait dans le cadre
du programme « Qatar X Morocco
Year of Culture 2024 », mettant en
lumière la richesse culturelle et cinématographique
du Qatar et renforçant les liens
interculturels entre les deux nations. D’ailleurs,
la collaboration avec des partenaires
prestigieux tels que le Doha Film Institute
(DFI) et les Musées du Qatar a permis cette
année d’enrichir encore plus l’offre culturelle
du festival.
Le festival a débuté en fanfare le vendredi soir
27 septembre, avec l’arrivée des invités sur
le tapis berbère au Palais El Bad, ainsi que du
jury présidé cette année par Mayssa Maghrebi,
actrice et productrice renommée. Celle-ci était
accompagnée de Sofia Alaoui, la réalisatrice
primée du long-métrage Animalia, ainsi que
de l’actrice talentueuse Nadia Kounda.
Les projections se sont ensuite succédées dans
des lieux emblématiques tels que le Palais Bahia
PARMI LES FILMS EN COMPÉTITION,
«LA SCARECROW» D’ANAS ZAMATI
S’EST DISTINGUÉ EN REMPORTANT LE
PRIX DU MEILLEUR FILM
Parmi les films en compétition, La Scarecrow
d’Anas Zamati s’est distingué en remportant
le prix du Meilleur Film. La réalisatrice marocaine
Dhiya Bia a pour sa part été honorée du
prix du Meilleur Réalisateur pour son œuvre
Ce qui pousse sur la paume de ta main, tandis
qu’Aya Jebran a brillé en décrochant le
prix de la Meilleure Actrice pour son interprétation
émouvante dans La Scarecrow. Le film
iranien Suffocation de Pedram Mehrkhah a
également été récompensé par le prestigieux
prix Dakkat Qalb, témoignant de l’internationalisation
croissante de l’événement.
Lors de notre échange avec Mayssa Maghrebi,
la présidente du jury a souligné l’importance
du MSFF comme une plateforme essentielle
pour les jeunes réalisateurs marocains et internationaux.
Selon elle, le festival favorise les
collaborations et ouvre de nouvelles perspectives
pour le cinéma marocain à l’échelle mondiale,
renforçant ainsi la position du Maroc sur
la scène cinématographique internationale.
Pour les prochaines éditions, les organisateurs
souhaitent poursuivre sur cette lancée en
développant davantage de collaborations internationales
et en continuant à offrir une vitrine
prestigieuse aux talents émergents du cinéma
court. Ramia Beladel ambitionne de faire du
MSFF un événement encore plus influent,
capable de faire découvrir et de promouvoir
les talents les plus prometteurs du cinéma
marocain et international.●
42 Maroc / Novembre 2024
ACTU-CINÉ
ALI BENJELLOUN
QUAND
LA LUMIÈRE
PASSE DERRIÈRE
LA CAMÉRA
PAR JIHANE BOUGRINE
Ali Benjelloun, reconnu comme l'un des meilleurs
directeurs de la photographie sur la place, fait ses
débuts en tant que réalisateur de long métrage avec
« Goundafa » après plusieurs courts métrages et
documentaires. Ce projet, d'abord intitulé « Le Chant
Maudit », est le fruit d'une rencontre presque
accidentelle, qui a rapidement pris la forme d'une
quête pour capturer l'essence des traditions
amazighes à travers un récit qui s’avère déjà
visuellement et musicalement captivant.
Karima Gouit
Tout est parti d’une rencontre avec un
lieu, avec des gens. « J’étais en tournage
d’un documentaire pour une
chaîne libanaise et j’ai découvert la région de
Goundafa, à environ 1h30 de Marrakech. On a
rencontré des gens formidables et l’idée du
film m’est venue à ce moment-là. C’est grâce
à mon père, qui est l’initiateur de l’idée puisqu’on
a voulu faire un film sur la région mais surtout
sur les traditions amazighes », raconte Ali Benjelloun.
Une rencontre avec un lieu et ses habitants
déterminante. Le réalisateur fasciné par
la beauté brute de cette région et par la richesse
des traditions locales, a vu émerger une histoire
ancrée dans le quotidien des gens de
Goundafa. Ce désir de rendre hommage à une
culture souvent sous-représentée au cinéma
marocain a été le point de départ d'une aventure
cinématographique unique. Une idée soufflée
par son père, le réalisateur Hassan Benjelloun,
producteur sur ce projet.
Une trame tissée par la musique et les couleurs
Le film se distingue par son approche dynamique
et son rapport intime à la musique.
« Nous avons enregistré la musique en studio
et on a filmé en playback. Il y avait des
parties musicales dans le village, filmées de
manière assez dynamique, avec une caméra
nerveuse pour montrer l’énergie des jeunes.
La partie des concerts en ville a été filmée
de manière différente : caméra stable, travelling
long, beaucoup plus soft. On suivait
le rythme de la musique. Pendant ces
moments, il y avait de la narration. Les comédiens
devaient chanter et jouer en même
temps, un vrai challenge », confie le réalisateur
qui a fait confiance au musician Fettah
Ngadi pour les concerts, tandis que les
musiques traditionnelles ont été enregistrées
avec de jeunes musiciens du village, capturant
ainsi l'authenticité et la vitalité de la
culture amazighe. Les choix esthétiques
reflètent cette même diversité : une caméra
mobile pour les scènes villageoises, symbolisant
la jeunesse et l’énergie, contrastant
avec la douceur et la stabilité des scènes
urbaines. De la musique mais des acteurs
FATIMA ATTIF, JE LA VOYAIS DÈS LE
DÉBUT, MÊME PENDANT L’ÉCRITURE,
POUR LE PERSONNAGE DE FADMA, QUI
EST CENTRAL DANS LE FILM
44 Maroc / Novembre 2024
Hamza Benmoussa Chef op (à droite), Hassan benjelloun (producteur), Ali benjelloun (Realisateur), Ikram Abida (Script)
pour porter l’histoire. Le casting, soigneusement
sélectionné, réunit des talents issus de
différentes régions du Maroc.
« Fatima Attif, je la voyais dès le début, même
pendant l’écriture, pour le personnage de
Fadma, qui est central dans le film. Elle n’est
pas originaire de Souss mais de l’Atlas, et
nous avons travaillé ensemble sur la langue.
Abdellatif Atif, Zahia Zahiri, Said Darif, ce sont
de très bons comédiens qui se sont imposés
par eux-mêmes ». Imposés , choisis mais
surtout réfléchis puisque le réalisateur tenait
à avoir un casting du Rif, de Souss et de l’Atlas,
un choix délibéré pour refléter la diversité
des communautés amazighes du Maroc.
Cette volonté de représenter la pluralité des
identités culturelles amazighes donne déjà
au film une richesse ethnographique tout en
étant profondément ancrée dans la fiction.
Tournage doux, scenario mouvant
Le tournage de Goundafa s’est déroulé dans
une atmosphère de sérénité, malgré des
défis logistiques importants. « On a eu un
tournage dans la douceur. On était très bien
préparés. La difficulté du film s’est posée
avant. Le scénario s’est écrit autour d’un village,
en fonction de ce village. Le café du
village, qui est un décor principal, était en
face de la route et d’un forgeron. Malheureusement,
le tremblement de terre d’El
Haouz a complètement détruit le village. On
a dû se rabattre sur un autre village à Agadir,
où nous avons été très bien accueillis ».
Ce bouleversement a demandé une flexibilité
à l’équipe, mais Ali Benjelloun et ses collaborateurs
ont su trouver des solutions,
transformant cet obstacle en opportunité
pour réinventer l’univers visuel du film. Un
univers visuel qu’il a su voir à travers un autre
directeur de la photographie.
« Ce que j’ai appris, c’est qu’il faut qu’une
confiance s’installe entre les deux postes.
J’avais besoin de quelqu’un de confiance.
Hamza Benmoussa m’a fait cet honneur. Je
ne pense pas avoir empiété sur son travail,
mais il faudrait lui demander à lui ! » s’amuse
celui qui s'est concentré sur la direction des
comédiens et le fil narratif, tout en laissant à
son équipe technique la liberté de s'exprimer.
Fatima Attif
« Un réalisateur, c’est quelqu’un qui sait
s’entourer », affirme t-il avant de passer à
l’étape du montage. « Je sais qu’il va falloir
de la patience pour le montage. C’est un
travail de longue haleine, et il faudra trouver
un rythme intéressant. Mais je pense
qu’on a fait un bon travail au niveau de
l’image pendant le tournage. J’espère que
la trame narrative se tiendra et que tout se
passera bien ».●
Novembre 2024 / Maroc
45
DOSSIER PRO
CINÉMA MAROCAIN,
DESTINATION MONDE !
L’été 2024 a marqué un tournant pour le cinéma marocain, célébré
à Angoulême avec une rétrospective et à Venise avec une délégation
influente. Des talents comme Yasmine Benkiran, membre du jury,
ont brillé, tandis que le Maroc continue de s’imposer comme une
destination prisée pour les productions internationales, renforçant
son rôle clé sur la scène mondiale.
PAR JIHANE BOUGRINE
CRÉDIT : MAPPHOTO
Le Maroc honoré au Festival du Film Francophone d’Angoulême en France
L’été 2024 a été un moment des plus
intéressants pour le cinéma marocain
sur la scène internationale, avec des
événements marquants à Angoulême et
Venise. Des hommages appuyés et des présences
influentes ont mis en lumière la
richesse et la diversité du 7ème art marocain.
À Angoulême, un hommage vibrant a
été rendu au cinéma marocain, tandis qu’à
Venise, la délégation marocaine a brillé avec
un jury composé de talents marocains et une
participation dynamique du Centre Cinématographique
Marocain (CCM).
Angoulême rend hommage au cinéma
marocain
En août 2024, le Festival du Film Francophone
d’Angoulême a mis à l’honneur le
cinéma marocain dans une rétrospective
intéressante qui a traversé plus de six décennies
de films. Cet hommage s’inscrit dans la
volonté du festival de célébrer les cinématographies
du monde francophone, et le
Maroc, avec sa production dynamique et
son influence grandissante, a été choisi
comme invité d’honneur.
La programmation a proposé une sélection
soigneusement composée de dix longs-métrages
marocains, couvrant plusieurs
périodes marquantes de l’histoire du cinéma
marocain. Parmi les œuvres présentées, des
classiques comme Quelques événements
46 Maroc / Novembre 2024
sans signification (1974) de Mohamed
Derkaoui, un film qui reflète les bouleversements
sociaux du Maroc post-colonial et
Mémoires en detention (2004) e Jilali Ferhati
sur le syndrome post traumatique après les
années de plomb. Sur des sujets plus
contemporains, des films comme Ali Zaoua
de Nabil Ayouch (2000) et Marock de Laila
Marrakchi (2005) ont transporté les spectateurs
dans les réalités de la jeunesse marocaine
urbaine et ses luttes identitaires.
Chaque projection était précédée d’un
court-métrage marocain, offrant une plongée
encore plus riche dans le paysage cinématographique
du pays. Le court-métrage
Les Pierres bleues du désert (1992) de Nabil
Ayouch a captivé l’audience par sa poésie
et son exploration des questions de foi et
de destine comme celui de la jeune Sofia
Khyari dont le film d’annimation Ayam sur
trois generations de femmes a ému. Le
WWW : What a Wonderful World de Faouzi
Bensaïdi (2006) a, quant à lui, apporté une
touche d’humour noir et un regard unique
sur la vie moderne à Casablanca. Pour célébrer
les 20 ans du film, Ismael Ferroukhi a
présenté Un grand voyage, avec une émotion
palpable, rappelant ô combien ce film
qui raconte un voyage entre père et fils que
tout sépare sur le chemin de la Mecque, n’a
prix aucune ride. Des moments de cinéma
courageux qui ont prouvé la diversité du
septième art marocain, pauvre de la sauvegarde
de ses films. Le fils maudit de Mohamed
Ousfour, considéré comme le premier
DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, LE MAROC
S’IMPOSE COMME UN ACTEUR
INCONTOURNABLE DANS LE PAYSAGE
CINÉMATOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
film marocain sorti en 1958 ou encore La
plage des enfants perdus et Les poupées
de roseaux de Jilali Ferhati n’ont pas pu être
programmés pour des raisons de copies
inexistantes. Ou difficiles à trouver.
L’hommage s’est également manifesté à travers
la présence de Mehdi Qotbi, président
de la Fondation nationale des Musées du
Maroc, qui a symboliquement hissé le drapeau
marocain à l’hôtel de ville d’Angoulême,
en présence de Xavier Bonnefont, maire de
la ville, et des délégués du festival, Marie-
France Brière et Dominique Besnehard.
« Cet acte symbolique, au-delà de la reconnaissance
du cinéma marocain, renforce les
liens culturels entre la France et le Maroc,
témoignant de la volonté commune de célébrer
la richesse des échanges entre les deux
nations », a rappelé Mehdi Qotbi.
Le Maroc , « Hollywood du Désert »
A la Mostra de Venise, le Maroc a été une
fois de plus sous le feu des projecteurs. Non
pas à travers les films sélectionnés, mais
grâce à la délégation menée par Abdelaziz
El Bouzdaini, directeur du Centre Cinématographique
Marocain (CCM). Depuis plusieurs
années, le Maroc s’impose comme un acteur
incontournable dans le paysage cinématographique
international, non seulement pour
sa production nationale, mais aussi en tant
que terre d’accueil pour des tournages internationaux
majeurs et la délegation marocaine
a tenu à confirmer ce statut.
Le Maroc a été présenté lors d’une conférence
intitulée « Le Maroc : une terre accueillante
pour la production de films étrangers
grâce au programme de soutien financier »,
qui a mis en avant les atouts du pays pour
les productions étrangères. Avec des villes
comme Ouarzazate, surnommée le Hollywood
du désert, et Essaouira, célèbre pour
ses décors historiques, le Maroc attire des
cinéastes du monde entier, comme l’a prouvé
la production récente de films tels que Gladiator
2 ou encore le cinquième volet de la
franchise Mission Impossible, tourné en
grande partie au Maroc.
Le CCM a également souligné l’importance
de son programme de soutien financier, qui
permet aux productions internationales de
bénéficier d’avantages fiscaux, rendant le
Maroc encore plus attractif. Cela, combiné
CRÉDIT : FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE D’ANGOULÊME
Novembre 2024 / Maroc
47
DOSSIER PRO
CRÉDIT : AFP
A la Mostra de Venise, la réalisatrice Yasmine Benkiran faisait partie d’un des jurys de la compétition
L’EXPÉRIENCE DE YASMINE BENKIRAN
EN TANT QUE MEMBRE DU JURY À VENISE
A ÉTÉ MARQUÉE PAR DES DÉBATS
PASSIONNÉS ET DES RÉFLEXIONS
à la diversité des paysages et au professionnalisme
des équipes locales, a fait du Maroc
une destination prisée pour des productions
hollywoodiennes et européennes. DUNE
Films, ZAK Productions, AGORA Films, et
KASBAH Films étaient parmi les sociétés de
production marocaines présentes à Venise,
représentant fièrement le potentiel de l’industrie
cinématographique marocaine sur
la scène internationale.
Yasmine Benkiran, « Reine » d’un jury à
Venise
La présence marocaine à Venise s’est également
illustrée par la nomination de Yasmine
Benkiran en tant que membre du jury
à la tant respectée Semaine de la critique.
Réalisatrice marocaine prometteuse, elle a
su apporter une perspective unique en tant
que jurée. Dans ses œuvres et son approche
du cinéma, la réalisatrice met un point d’honneur
à privilégier les émotions avant la technique.
« Quand je vais au cinéma, j’essaie
de me laisser emporter par les émotions,
sans me concentrer sur les aspects techniques.
Si je regarde la technique, c’est que
quelque chose n’a pas fonctionné émotionnellement
» rappelle la réalisatrice de Reines
qui avait projetté son premier film en
avant-première à la Mostra en 2022.
Son expérience en tant que membre du jury
à Venise a été marquée par des débats passionnés
et des réflexions sur la manière dont
les films proposés apportent une vision du
monde unique. D’ailleurs, Yasmine Benkiran
accorde une importance particulière aux
récits sous-représentés, en particulier ceux
venant du Sud global mais tout en gardant
à l’esprit que la qualité prime sur la provenance
. « On part toujours d’un endroit. En
grandissant au Maroc, je vais être sensible
à la beauté de la langue, ou à la musique.
Malgré moi. J’essaie quand même de rester
fidèle à mes principes. Les récits sous
représentés ou les cultures pas très présentes
dans le cinéma. Je ne veux pas que
l’argument politique précède l’argument
émotionnel » continue celle qui cite l’exemple
de la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir,
dont le film, salué par la critique, a su
capturer des émotions profondes tout en
racontant une histoire rarement vue à l’écran.
Pour elle, le cinéma marocain se trouve à
un moment charnière, avec des talents émergents
comme Ismail El Iraki, Alaa Eddine El
Jem, et Sofia Alaoui qui gagnent en visibilité
sur la scène internationale. Cependant,
Yasmine Benkiran rappelle que, bien que le
cinéma marocain soit de plus en plus reconnu
par les professionnels, il doit encore trouver
un plus large public à l’international, à
l’instar des films coréens qui ont su conquérir
le monde. « Le cinéma marocain est remarqué
dans les festivals, mais il reste encore
du chemin à parcourir pour toucher un public
plus large », explique-t-elle.
En conclusion, l’été 2024 a été une période
charnière pour le cinéma marocain, avec
des hommages appuyés et des reconnaissances
importantes dans des festivals de
premier plan comme Angoulême et Venise.●
48 Maroc / Novembre 2024
EN SALLES
JOKER: FOLIE À DEUX
DERRIÈRE LES
BARREAUX, LA FOLIE
S’ÉCHAPPE
Après un premier opus couronné
de succès, Joker: Folie à Deux
reprend les rênes avec un Arthur
Fleck encore plus torturé et
déroutant, poussant le spectateur
à questionner la nature même de
la folie. Entre drame psychologique
et comédie musicale, ce deuxième
volet ose une approche singulière,
jouant avec les genres et les attentes.
PAR SALMA HAMRI
50 Maroc / Novembre 2024
D
ans Joker: Folie à Deux, Todd Phillips
nous plonge de nouveau dans
la tête d’Arthur Fleck, incarné par
Joaquin Phoenix. La décision audacieuse
d’inclure des éléments de comédie musicale
surprend, mais s’inscrit dans la logique d’un
personnage de plus en plus détaché du
monde qui l’entoure. Ces séquences, partagées
avec Lady Gaga, qui interprète une
Harley Quinn aussi envoûtante que déséquilibrée,
apportent une dimension nouvelle
à l’univers d’Arthur Fleck.
L’alchimie entre Phoenix et Gaga est indéniable.
Loin d’une romance classique, leur
relation s’apparente à une danse destructrice
où chaque geste, chaque regard, est empreint
de danger. Le film joue habilement sur cette
tension, alternant moments d’intimité poignante
et éclats de violence incontrôlée.
Un élément clé de cette suite réside dans le
contraste frappant avec le premier opus.
Dans Joker, Arthur Fleck soignait ses blessures
et reprenait le contrôle de sa vie en
passant à l’acte de manière brutale et démesurée,
tuant sans pitié. Chaque meurtre devenait
pour lui un acte de rébellion et de libération.
Mais dans Joker: Folie à Deux, son
incarcération limite sa liberté de mouvement,
chaque geste est scruté et contrôlé. Face à
cette restriction physique, il se réfugie dans
son esprit, là où rien ni personne ne peut
l’atteindre. Cet enfermement mental ouvre
la voie à des fantasmes, des spectacles de
danse grandioses, et des passages à l’acte
imaginés mais non réalisés. Arthur Fleck
trouve dans cet échappatoire mental un
semblant de liberté, mais cette liberté
est illusoire, car elle ne fait que renforcer
son isolement et sa folie intérieure.
Cette dualité est aussi renforcée par la juxtaposition
du film de procès et de la comédie
musicale. D’un côté, les scènes de procès
capturent la froideur et le contrôle
exercé sur Arthur : chaque mouvement est
décortiqué, chaque parole analysée. De
l’autre, les séquences de comédie musicale
libèrent son esprit et lui offrent un espace
où il peut échapper à cette emprise. Ce
mélange improbable de genres fonctionne
comme une métaphore visuelle de son
enfermement : son corps est prisonnier, mais
son esprit se libère dans des envolées théâtrales
et colorées.
LE FILM JOUE HABILEMENT SUR
CETTE TENSION, ALTERNANT MOMENTS
D’INTIMITÉ POIGNANTE ET ÉCLATS DE
VIOLENCE INCONTRÔLÉE
Visuellement, Joker : Folie à Deux reprend les
codes esthétiques du premier film : une palette
de couleurs sombres et ternes, qui contraste
avec les moments de folie éclatante, sublimés
par la musique. La bande-son, qui fusionne des
morceaux originaux avec des classiques revisités,
accentue l’aspect irréel de certaines
scènes. Ce choix de marier des tonalités musicales
joyeuses à des moments d’une violence
psychologique extrême crée une atmosphère
déstabilisante, et renforce l’immersion du spectateur
dans la psyché troublée d’Arthur.●
Maroc
4 / 5
TITRE : Joker : Folie à deux
PAYS : États-Unis
RÉALISATEUR : Todd Phillips
GENRE : Musical-Thriller
DURÉE : 138 minutes
ANNÉE : 2024
Novembre 2024 / Maroc
51
EN SALLES
THE SUBSTANCE
CORPS CONTRE
JEUNESSE !
Avec The Substance , Coralie Fargeat livre l’un des ovnis
cinématographiques de l’année, attendu en salles le 6 novembre.
Glacial et énervant de maitrise, le film aurait mérité bien plus que son prix
du scénario à Cannes, tant sa mise en scène nous en met plein les yeux.
Demi Moore y livre une performance magistrale,
incarnant une star vieillissante, tiraillée
entre son désir de retrouver sa jeunesse et les
conséquences physiques et psychologiques
de ses choix. Lorsque l’on sait que l’actrice est
elle-même ravagée par la chirurgie esthétique,
accepter un tel rôle est digne de la grande
comédienne qu’elle a toujours été. L’alchimie
entre elle et Margaret Qualley, dans ce jeu de
doubles narcissiques, est l’une des forces du
film. Les actrices, aussi puissantes qu’authentiques,
subliment un scénario qui, malgré un
sujet déjà exploré et des arcs narratifs peu développés
par rapport à la puissance de la mise en
scène, est traité avec une subtilité certaine.
Coralie Fargeat, Demi Moore et Margaret Qualley en route vers les Oscars ?
La réalisatrice, à la touche si particulière,
a réussi à dompter un casting de rêve
pour nous offrir une véritable prouesse
avec un film d’une force rare, primé lors du dernier
festival de Cannes pour son scénario. Coralie
Fargeat signe ainsi avec The Substance un
film visuellement maitrisé et renoue avec son
audace indéniable déjà aperçue dans sa précédente
œuvre Revenge. Ce body-horror, à la
croisée du cinéma de Cronenberg et des références
esthétiques contemporaines, déploie
une mise en scène d’une belle rigueur et d’une
inventivité presque malaisante. La réalisatrice
aurait amplement mérité le prix de la mise en
scène à Cannes pour cette œuvre radicale où
chaque plan semble soigneusement calculé
pour capturer l’angoisse et la métamorphose
de ses personnages.
LE FILM, AVEC SES COULEURS
SATURÉES ET SA VIOLENCE VISCÉRALE,
OFFRE UN VÉRITABLE EXERCICE DE STYLE
Si les thèmes de la possession de soi et de
la quête de la perfection ne sont pas nouveaux,
Coralie Fargeat les revisite avec
finesse. Le film, avec ses couleurs saturées
et sa violence viscérale, offre un véritable
exercice de style. Le tout est impeccablement
tenu du début à la fin, oscillant entre horreur
et beauté grotesque, sans jamais fléchir dans
sa direction. Bien qu’il y ait une certaine prévisibilité
dans le propos, The Substance transcende
ces critiques grâce à une exécution
artistique remarquable, confirmant Coralie
Fargeat en tant que figure désormais incontournable
du cinéma de genre.●
Maroc
4 / 5
TITRE : The Substance
PAYS : États-Unis
RÉALISATEUR : Coralie Fargeat
GENRE : Body Horror
DURÉE : 140 minutes
ANNÉE : 2024
PAR JIHANE BOUGRINE
52 Maroc / Novembre 2024
EN SALLES
« BATAL »
OU LE CÔTÉ OBSCUR
DE LA CÉLÉBRITÉ
Quand Omar Lotfi s’attaque à son propre métier avec un
humour mordant et une finesse surprenante, cela donne « Batal »,
première réalisation du célèbre acteur révélé par « Casa Negra ».
Cette comédie intelligente, portée par un casting XXL, va bien
au-delà des simples rires. Elle offre une réflexion critique sur les
dessous du métier d’acteur. Parce que… les copains d’abord !
comédies cultes des Monty Python et à l’absurde
satirique de Louis de Funès. Batal
devient ainsi une œuvre qui mêle critique
sociale et satire populaire sans jamais sombrer
dans le cynisme.
Aziz Dadas, dans le rôle du professeur de
théâtre désabusé, est tout simplement brillant.
Son personnage, à la fois pathétique
et attachant, tente de maintenir à flot une
carrière qui n’a jamais décollé, et ses
répliques acérées résonnent comme autant
de piques bien placées. Fehd Benchemsi,
en agent improvisé maladroit mais sincère,
livre une prestation nuancée, tandis que
Rafik Boubker, dans le rôle du méchant, surprend
par sa subtilité, apportant une dimension
à la fois drôle et inquiétante à son personnage.
Majdouline Idrissi, Raouia, et Farah
El Fassi complètent ce casting XXL, chacun
jouant un rôle clé dans l’évolution des thématiques
du film.
Casting XXL pour une comédie dopée à l’adrénaline
Dès les premières minutes, Batal nous
fait rentrer dans une cérémonie des
Césars kitsch, et l’on craint d’abord
une comédie trop légère. Pourtant, très vite,
le film déjoue les attentes. La comédie
d’Omar Lotfi, l’un des acteurs préférés du
public marocain, se révèle à son image :
intelligente, sincère, et bien plus subtile qu’il
n’y paraît. On y suit les aventures d’un jeune
comédien travaillant dans le café de sa mère,
qui, entre castings improvisés grâce à son
agent peu conventionnel et rêves de grandeur
avec son professeur de théâtre
excentrique, va être embarqué malgré lui
dans le film de sa vie.
Cette comédie humaine, incisive et piquante,
dépasse le simple divertissement pour offrir
une réflexion sur la place de l’acteur dans
une société où l’ego, la célébrité et les frustrations
personnelles s’entrechoquent souvent.
Omar Lotfi, en tant que réalisateur,
n’hésite pas à se moquer de lui-même et de
son métier, empruntant des éléments aux
Ce film dans le film se distingue par sa capacité
à critiquer l’industrie cinématographique
tout en la célébrant. Le film ne cherche pas
à dénoncer, mais plutôt à souligner, avec
humour et ironie, les contradictions d’un
métier à la fois ridicule et profondément
humain. Malgré ses failles et ses maladresses,
Batal parvient à offrir une profondeur
inattendue à un sujet souvent traité
avec légèreté. Omar Lotfi signe ici un premier
film sincère et audacieux, où la technique
laisse parfois place à une authenticité
désarmante, rendant l’œuvre particulièrement
attachante.●
Maroc
3 / 5
TITRE : Batal
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Omar Lotfi
GENRE : comédie
DURÉE : 102 minutes
ANNÉE : 2024
PAR JIHANE BOUGRINE
54 Maroc / Novembre 2024
EN SALLES
MONSIEUR AZNAVOUR
FORMIDABLE TAHAR
RAHIM !
Dans « Monsieur Aznavour », Mehdi Idir et Grand Corps Malade
relèvent le défi de retracer la vie de l’une des figures les plus
marquantes de la chanson française. Si le film souffre d’une
narration parfois trop linéaire, il est porté par une performance
monumentale de Tahar Rahim, qui devient Aznavour.
Avec Monsieur Aznavour, Mehdi Idir
et Grand Corps Malade offrent un
hommage ambitieux à l’un des
géants de la chanson française. Le film, porté
par l’interprétation magistrale de Tahar
Rahim, explore les étapes clés de la carrière
du Franco-arménien, tout en tentant
de révéler les contradictions de cet artiste
à la fois visionnaire et tourmenté. Si le film
peine parfois à trouver son rythme narratif,
il parvient néanmoins à capter des moments
poignants, notamment grâce à la performance
d’un acteur en état de grâce. Le plus
grand atout du film réside indéniablement
dans l’incarnation d’Aznavour par Tahar
Rahim. L’acteur ne se contente pas de jouer
un rôle : il devient Aznavour, habité par ses
doutes, ses ambitions et sa quête incessante
de reconnaissance. Grâce à un travail
méticuleux sur le maquillage et les prothèses,
le « Prophète » de cinema français
parvient à se fondre dans le personnage,
allant jusqu’à chanter plusieurs titres emblématiques
avec une voix empreinte de justesse
et d’émotion. Cette transformation
impressionnante est l’un des piliers du film,
conférant une authenticité qui transcende
l’écran.
CRÉDIT : KALLOUCHE CINÉMA; MANDARIN ET COMPAGNIE
Cependant, malgré cette performance éblouissante,
Monsieur Aznavour peine à éviter certains
écueils classiques du biopic. Le scénario,
bien qu’honnête, manque parfois de
souffle et de relief. Le film suit une trame
linéaire qui, à certains moments, ressemble
davantage à une succession d’anecdotes qu’à
un véritable récit structuré. Le portrait de l’artiste
reste aussi un peu trop lisse, effleurant
à peine les zones d’ombre de sa personnalité,
telles que son obsession pour le succès,
qui a parfois terni ses relations personnelles.
Malgré ces faiblesses, le film brille lors de certaines
scènes marquantes, comme celle évoquant
la création de Comme ils disent, une
chanson révolutionnaire pour son époque,
abordant l’homophobie avec une tendresse
et une audace rares. Ce sont ces instants suspendus,
portés par la caméra sensible des
réalisateurs et par l’intensité de Tahar Rahim,
qui laissent une empreinte durable.
Oui, Monsieur Aznavour n’est pas un biopic
parfait, mais il reste un film à voir. La performance
de Tahar Rahim est à elle seule une
raison suffisante pour plonger dans cet hommage
aussi musical que cinématographique.
En redonnant vie à un artiste aussi emblématique
qu’Aznavour, le film nous rappelle l’importance
de ces figures intemporelles, dont
l’œuvre continue de résonner bien au-delà
des époques et des frontières. Toujours en
haut de l’affiche !●
PAR JIHANE BOUGRINE
Quand Tahar incarne Charles , il devient Aznavour
CE SONT CES INSTANTS SUSPENDUS,
PORTÉS PAR LA CAMÉRA SENSIBLE DES
RÉALISATEURS ET PAR L’INTENSITÉ DE
TAHAR RAHIM, QUI LAISSENT UNE
EMPREINTE DURABLE
Maroc
4 / 5
TITRE : Monsieur Aznavour
PAYS : France
RÉALISATEUR : Grand Corps Malade,
Mehdi Idir
GENRE : Musical/Drama
DURÉE : 134 minutes
ANNÉE : 2024
56
Maroc / Novembre 2024
EN SALLES
LE FILM
DU MOIS
Lina El Arabi porte le film sur ses épaules
LA DAMNÉE
OU L’EXORCISME
DU DÉJÀ-VU
Avec « La Damnée », son premier long métrage, le réalisateur
franco-marocain Abel Danan confirme son attrait pour le
cinéma de genre. Une proposition aussi ambitieuse que cassegueule,
présentée en avant-première au festival d’Angoulême.
PAR JIHANE BOUGRINE
Les souvenirs collectifs d’un confinement
qui semble si loin et pourtant si
proche auxquels on ajoute une once
de folie. C’est ce que propose le réalisateur
Abel Danan qui utilise la pandémie comme
toile de fond pour explorer les fissures psychologiques
d’une jeune marocaine, Yara
(Lina El Arabi), fraîchement installée dans un
appartement parisien désespérément miteux.
Ce huis-clos oppressant, soutenu par une
mise en scène claustrophobique, plonge le
spectateur dans une ambiance entre le rêve
et le cauchemar. Seule face à ses démons,
le personnage sombre et confirme le talent
de Lina El Arabi qui porte le film sur ses
épaules avec une performance habitée. Le
SEULE FACE À SES DÉMONS, LE PERSONNAGE
SOMBRE ET CONFIRME LE TALENT DE LINA EL
ARABI QUI PORTE LE FILM SUR SES ÉPAULES
AVEC UNE PERFORMANCE HABITÉE
réalisateur n’arrive pourtant pas à tenir le
rythme du film tant les nuances sont faibles
et l’écriture pas assez viscérale. Abel Danan,
déjà remarqué pour son court-métrage
Canine, continue d’explorer la frontière entre
le réel et l’imaginaire, jouant sur la fine ligne
qui sépare la santé mentale du délire. La première
moitié du film est prenante : l’appartement
de Yara y devient un personnage à
part entière, où chaque craquement, chaque
clignotement de lumière semble refléter sa
propre dégradation mentale.
Le film perd ensuite de son élan lorsqu’il
s’aventure au Maroc et dans le passé de
Yara. Cette partie du récit, censée apporter
une profondeur narrative et expliquer les
phénomènes surnaturels, échoue à
convaincre. Non seulement elle n’est pas
maîtrisée, mais elle sombre dans un folklore
maladroit qui contraste avec la subtilité du
huis-clos parisien. Le mystère se dissipe, et
la tension psychologique cède la place aux
clichés, privant le film d’une fin à la hauteur
de ses promesses initiales.
Malgré ces faiblesses, La Damnée reste un
essai prometteur, porté par une mise en scène
efficace, une performance à saluer de Lina El
Arabi et un réalisateur à suivre de près.●
Maroc
2 / 5
TITRE : La Damnée
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Abel Danan
GENRE : Thriller
DURÉE : 80 minutes
ANNÉE : 2024
58
Maroc / Novembre 2024
THE APPRENTICE
TRUMP, L’ÉLÈVE
DEVENU MAÎTRE
Acclamé en 2022 pour « Holy Spider », Ali Abbassi revient cette année avec
The Apprentice , un portrait très peu flatteur de Donald Trump qui s’attaque
à un chapitre moins connu de sa vie, alors qu’il commence à forger son nom
dans le milieu de l’immobilier, bien avant qu’il ne devienne la figure
controversée que l’on connaît aujourd’hui.
PAR SALMA HAMRI
L’un des points forts de The Apprentice
est sans conteste sa reconstitution
minutieuse du New York des années
1970, une ville alors rongée par la pauvreté
et le délabrement, offrant un terrain de jeu
idéal pour les opportunistes comme Trump.
Le réalisateur capte avec justesse l’ambiance
bouillonnante de l’époque, sublimée par une
bande-son entre les rythmes disco de Baccara
et la new wave de New Order. Cette
plongée dans l’atmosphère vibrante de
Manhattan est renforcée par des rencontres
avec des figures emblématiques telles
qu’Andy Warhol et Liberace qui accentuent
l’immersion dans ce monde à la fois décadent
et en pleine effervescence.
Au cœur du film se trouve la relation fascinante
entre Donald Trump (interprété avec
justesse par Sebastian Stan) et son mentor,
Roy Cohn (Jeremy Strong), avocat redoutable
et manipulateur sans scrupules. Cohn,
figure de pouvoir dans l’ombre, enseigne à
Trump ses trois règles d’or : attaquer sans
relâche, ne jamais admettre la défaite et toujours
se proclamer vainqueur. À travers cette
dynamique mentor-élève, Abbassi dépeint
un Trump encore balbutiant, en quête de
reconnaissance, qui absorbe les leçons de
son mentor jusqu’à finalement le surpasser.
Leçons d’immoralité avec Sebastian Stan, à gauche, dans le rôle
de Donald Trump et Jeremy Strong, dans le rôle de Roy Cohn
intensité terrifiante ce mentor machiavélique.
Cynique et décomplexé, son Roy Cohn
est une figure d’influence qui sculpte le
jeune Trump en un prédateur économique.
Stan, de son côté, offre une performance
tout en subtilité, qui oscille entre la vulnérabilité
d’un homme en quête de validation
et la froide ambition qui le conduira vers la
gloire.
jugement moral trop évident. Il livre plutôt
un récit équilibré, parfois satirique, qui alterne
entre des moments d’intimité troublante et
des scènes percutantes de pouvoir et de
manipulation. Le film parvient ainsi à humaniser
son sujet sans pour autant occulter l’ascension
cynique de Trump, mettant en
lumière ses faiblesses comme ses forces. ●
CRÉDIT : PIEF WEYMAN
Jeremy Strong, que l’on connaît pour son
rôle dans Succession, incarne avec une
Dans The Apprentice, Ali Abbassi évite de
tomber dans une caricature simpliste ou un
ABBASSI DÉPEINT UN TRUMP ENCORE
BALBUTIANT, QUI ABSORBE LES LEÇONS
DE SON MENTOR JUSQU’À FINALEMENT
LE SURPASSER
Maroc
2 / 5
TITRE : The Apprentice
PAYS : États-Unis
RÉALISATEUR : Ali Abbasi
GENRE : Drame
DURÉE : 120 minutes
ANNÉE : 2024
Novembre 2024 / Maroc
59
EN SALLES
THE KILLER
LE RETOUR MANQUÉ
DE JOHN WOO
John Woo, maître incontesté du cinéma d’action hongkongais, revient avec
« The Killer » (2024), un remake de l’un de ses chefs-d’œuvre de 1989. Censé être
un retour triomphal pour le cinéaste, cet hommage revisité à l’une des œuvres
les plus marquantes de sa carrière s’avère être un échec aussi cuisant qu’amer.
PAR SALMA HAMRI
CRÉDIT : UNIVERSAL A COMCAST COMPANY
JOHN WOO,
AUTREFOIS MAÎTRE
DU CINÉMA
D’ACTION, SEMBLE
ICI PIÉTINER SON
PROPRE HÉRITAGE
DANS UN FILM QUI
RESSEMBLE PLUS
À UNE PARODIE
INVOLONTAIRE
Nathalie Emmanuel dans le rôle de Zee, une tueuse qui cherche à se racheter, et Omar Sy, dans le rôle de l’inspecteur Sey
En 1989, The Killer était un choc esthétique
et émotionnel, avec une mise
en scène ponctuée de fusillades
chorégraphiées sublimées par la relation
entre le tueur (Chow Yun-Fat) et l’inspecteur
(Danny Lee). Cette version de 2024 tente de
revisiter cette alchimie, mais perd rapidement
en intensité et en sens. Dès les premières
minutes, le film nous plonge dans
une version parisienne de l’histoire, avec
des décors emblématiques. Un cadre français,
qui aurait pu revitaliser l’univers de Woo
mais s’avère sous-exploité. D’autant plus
que les fusillades et explosions ne semblent
pas troubler la ville, laissant un goût d’incrédulité
après le visionnage.
La mise en scène, autrefois virtuose, est ici
affaiblie par un manque d’inventivité et une
redondance, notamment les ralentis ou les
colombes. L’action, jadis chorégraphiée avec
une précision presque poétique, devient ici
une simple accumulation de scènes spectaculaires
sans émotion. Le casting, pourtant
prometteur, n’arrive pas à sauver le film.
Nathalie Emmanuel incarne Zee, une tueuse
qui cherche à se racheter, mais son personnage
est peu développé. Omar Sy, dans le
rôle de l’inspecteur Sey, semble perdu entre
des dialogues en anglais et en français qui
manquent de fluidité. Leurs interactions manquent
cruellement d’émotion et de profondeur,
là où le film de 1989 brillait par la complexité
des liens entre les protagonistes.
Les enjeux criminels, quant à eux, semblent
désincarnés, réduits à des dialogues convenus
et des twists scénaristiques caricaturaux,
notamment la révélation d’un lien
passé entre le policier et la tueuse, qui frôle
l’absurde.
Woo, autrefois maître du cinéma d’action,
semble ici piétiner son propre héritage dans
un film qui, au final, ressemble plus à une
parodie involontaire de Woo qu’à un véritable
hommage à son cinéma. ●
Maroc
2 / 5
TITRE : The Killer
PAYS : États-Unis
RÉALISATEUR : John Woo
GENRE : Action, Thriller, Crime
DURÉE : 126 minutes
ANNÉE : 2024
60 Maroc / Novembre 2024
REPORTAGE
62 Maroc / Novembre 2024
MERYEM BENM’BAREK
DERRIÈRE LES PALMIERS,
UNE RÉALISATRICE DANS
LA LUMIÈRE
Dans les coulisses du tournage de
Behind the Palm Trees , Meryem
Benm’Barek, en pleine maîtrise de son
art, dirige son équipe avec une sérénité
rare, dans une atmosphère à la fois
feutrée et intense. Sous le ciel changeant
de Tanger, la réalisatrice marocaine
nous plonge dans l’univers de son
deuxième long métrage, après le succès
de Sofia en 2018.
PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
Novembre 2024 / Maroc
63
REPORTAGE
L’ambiance est celle d’un cabaret en plein jour,
où les sons de l’Aita résonnent dans toute la
rue du Morocco Palace. Ce ne sont que les
répétitions, mais déjà les figurants prennent
place, les acteurs principaux entrent en scène,
sous le regard bienveillant de Meryem Benm’Barek, qui
entame la première semaine de tournage de son nouveau
film. Ce dernier raconte l’histoire de Mehdi, apparemment
heureux dans une vie bien ordonnée avec une
famille aimante et une relation amoureuse avec Selma,
jusqu’à sa rencontre déterminante avec Marie, une française
vivant au Maroc.
Ce film marque une évolution notable dans la carrière
de Benm’Barek, qui, après le succès critique de son premier
long métrage, s’aventure cette fois dans le territoire
du thriller psychologique. « Même si ce film commence
comme une romance, il glisse peu à peu vers un thriller,
tout comme Sofia, que je considère d’ailleurs comme un
thriller social plus qu’un drame », confie-t-elle avec une
détermination tranquille. L’approche stylistique est plus
sophistiquée, reflétant le milieu aisé dans lequel évoluent
ses personnages. Les décors somptueux, les costumes
élégants et l’utilisation soignée de la lumière
témoignent de cette volonté d’immersion dans un univers
particulier.
Sur le plateau, tout est méticuleusement planifié, sans
pour autant exclure l’improvisation. Meryem Benm’Barek,
toujours attentive aux détails, arrive à midi, l’heure prévue
selon le planning du jour. Elle apaise les équipes,
vérifie les dernières retouches, demande aux figurants
de changer de place, car chaque détail compte. Elle collabore
étroitement avec son chef opérateur, à qui elle
fait confiance pour choisir la caméra la plus adaptée à
ses intentions. « Je travaille avec Son Doan, mon directeur
de la photographie, depuis longtemps, depuis mon
film de fin d’études, Jennah. Nous avons une complicité
forte, ce qui fait de lui un allié de taille à mes côtés. Nous
DANS LES DEUX FILMS, LE
POLITIQUE VIENT QUESTIONNER
OU BOULEVERSER L’INTIME, QUE
CE SOIT AU SEIN DE LA CELLULE
FAMILIALE DANS SOFIA, OU À
TRAVERS UNE HISTOIRE D’AMOUR
DANS BEHIND THE PALM TREES
Le travail en équipe, la clé du succès de la cinéaste
64
Maroc / Novembre 2024
Synopsis-Behind
the Palm Trees
Mehdi mène une vie aussi exemplaire que modeste auprès de sa famille et
de Selma, sa nouvelle petite amie. Pour le jeune couple, tout se passe à
merveille jusqu’à ce que Mehdi fasse la rencontre de Marie, une jeune expatriée
française à la vie mondaine. Si le film s’annonce comme une romance sous
le soleil et le vent de Tanger, il glisse progressivement vers un thriller
psychologique à l’atmosphère crépusculaire.●
Pour ce film, la réalisatrice a misé sur une photographie stylisée
partageons des goûts similaires et, surtout, nous nous
connaissons très bien, ce qui rend la communication très
fluide », explique la réalisatrice, pour qui la cohésion de
l’équipe est essentielle. « Maintenir cette cohésion au
sein du groupe, ainsi que l’entente et le respect du travail
de chacun, est crucial. Nous passons plusieurs
semaines ensemble, et si la bienveillance n’est pas installée,
cela peut rapidement virer au cauchemar pour
tout le monde. Créer un environnement positif et solidaire
est donc une priorité sur le plateau ».
La direction d’acteurs dans la confiance et l’échange
Et cette promesse est tenue, car un simple regard suffit
à se comprendre. Inutile d’en dire plus. Le film de la réalisatrice
est déjà clair dans son esprit. « Je ne m’interroge
jamais en termes de technique au départ, mais toujours
en termes d’intention. Le choix de la caméra revient
principalement à mon chef opérateur, à qui je fais
confiance pour choisir le meilleur outil en fonction de
mes intentions et des besoins du film sur le tournage.
De mon côté, dès l’écriture, j’ai déjà une idée précise du
découpage ». Mais ce qui frappe le plus, c’est sa capacité
à anticiper le montage dès le tournage, en ajustant
Novembre 2024 / Maroc
65
REPORTAGE
Driss Ramdi, antihéro
sous les palmiers
Du haut de ses 1,80 m et de son allure nonchalante
parfaitement maîtrisée, Driss Ramdi est l’un de ces
visages que l’on n’oublie pas, que ce soit à la ville ou
à l’écran. Cet acteur déjà caméléon, qui sait se glisser
dans des rôles aussi variés que complexes, s’est fait
remarquer dans des courts métrages de réalisateurs
comme Youssef Michraf et Kamal Lazraq, notamment
dans Déjà la nuit et L’Ordre des pantins. Chacun de
ses personnages est une nouvelle peau, une nouvelle
aventure, qu’il incarne avec une aisance déconcertante.
Sur le plateau de Derrière les palmiers, il devient le
Mehdi de Meryem Benm’Barek, un personnage dont
la transformation à l’écran est à la fois subtile et
saisissante. Changement d’allure, d’énergie, de visage…
Driss Ramdi semble se réinventer à chaque scène,
offrant une performance marquée par une intensité qui
n’a rien de superflu. Formé en France, aux Cours Viriot
sous l’enseignement de Dominique Viriot, Driss a affiné
son art dans des ateliers de mime et de théâtre à la
MJC de Saint-Denis. Il a également forgé son talent en
se produisant au café-théâtre avec la Compagnie Lasri
du Rire. Ses collaborations avec des réalisateurs de
renom tels que Mehdi Ben Attia, Laurence Ferreira
Barbosa, Emmanuel Finkiel ou encore Emmanuel
Hamon, lui ont permis de diversifier son jeu, allant de
rôles dramatiques à des performances plus légères.
Filmer dans le Morocco Palace? Un grand défi
les plans et en jouant avec les silences, essentiels pour
créer la tension nécessaire dans un thriller.
Sa présence à l’écran, bien que souvent dans des
seconds rôles, ne passe jamais inaperçue. Que ce soit
dans la série Le Bureau des légendes où il a marqué
les esprits dans la troisième saison, ou dans des films
comme Exfiltrés ou Je ne suis pas mort , Driss Ramdi
impose son charisme avec une force tranquille. Ses
performances, toujours justes, captivent et laissent une
empreinte durable sur le spectateur. Talent à suivre …●
Son calme apparent sur le plateau n’est pas un hasard.
Il résulte d’une préparation rigoureuse en amont. « En
ce qui concerne le stress, je ne le ressens pas vraiment
sur le plateau. Les jours et les nuits s’enchaînent tellement
vite que je n’ai pas le temps de réaliser dans quoi
je suis. En revanche, la préparation est très stressante,
car on a toujours des problèmes à régler qui nous
tombent dessus. Une fois sur le tournage, les soucis se
résolvent en temps réel, ce qui nous permet de ne pas
trimbaler notre stress pendant des semaines, comme
c’est souvent le cas en préparation », confie-t-elle. Sa
seule routine est de se lever suffisamment tôt pour pouvoir
embrasser et respirer l’odeur de sa fille avant de
partir. Elle consacre également beaucoup de temps à
travailler avec les acteurs, discutant longuement des
personnages avant le début du tournage et explorant
Driss Ramdi, le « Mehdi » de Benm’Barek
66
Maroc / Novembre 2024
APRÈS « SOFIA », J’ÉTAIS
DÉTERMINÉE À ÉCRIRE UN FILM
QUI SERAIT UN COMPOSITE DE
TOUTES CES HISTOIRES VÉCUES
OU QUE L’ON M’A CONFIÉES
différentes nuances lors de lectures approfondies. Cette
phase de préparation permet aux acteurs d’arriver sur
le plateau en toute confiance, prêts à se laisser guider
par la réalisatrice, qui, une fois la caméra en marche,
leur laisse une grande liberté.
« Je communique beaucoup avec mes acteurs, mais une
fois sur le plateau, je leur fais confiance », explique-telle.
Cette confiance mutuelle donne naissance à des
performances riches en émotions, où les silences
deviennent aussi éloquents que les dialogues. Des dialogues
travaillés et réécrits depuis des années. La réalisatrice
ne laisse rien au hasard. « Je reste fidèle quasiment
au mot près. Ce serait dommage, même inquiétant,
après avoir passé sept ans à écrire un scénario, de le
changer au tournage ».
De Marrakech à Tanger
Tanger, ville aux mille visages, joue un rôle central dans
l’atmosphère du film. Pour Meryem Benm’Barek, ce retour
dans la ville où elle a vécu a été une sorte de cercle bouclé,
après des années passées loin du Maroc. Elle avait
d’abord envisagé Marrakech comme décor, mais c’est
finalement Tanger qui s’est imposée, presque malgré
elle. « Après Sofia, j’étais déterminée à écrire un film qui
serait un composite de toutes ces histoires vécues ou
que l’on m’a confiées. Initialement, je pensais à Marrakech
pour le film, car le sujet de la présence étrangère
au Maroc y semblait bien convenir. Mais une fois que j’ai
commencé les repérages, je ne trouvais pas ce que je
voulais. J’ai persisté, mais ça ne fonctionnait pas ». Ce
choix s’avère payant, tant la ville semble imprégner le
film de son histoire et de sa complexité, renforçant les
thèmes de tension et de dualité. Filmer dans le Morocco
Palace, un lieu aussi emblématique que complexe, a présenté
des défis considérables. L’obtention des autorisations
pour tourner dans ce cadre, où l’intimité des personnes
présentes est jalousement protégée, a nécessité
des négociations délicates.
Pourtant, Meryem Benm’Barek a su capter l’essence
même du lieu, optant pour une caméra à l’épaule pour
saisir l’authenticité des scènes improvisées par les
Novembre 2024 / Maroc
67
REPORTAGE
Meryem Benm’Barek, calme et concentrée sur le plateau
cheikhates et leurs musiciens. « Ces hommes et ces
femmes dégagent une grande beauté, une profonde
humanité, que je tenais absolument à capturer à l’écran»,
dit-elle avec une émotion palpable. Dans le film, la
séquence de cabaret répond à une autre scène clé. Marie
fait entrer Mehdi dans son univers, un monde de mondanité
où la fête est guindée et superficielle. À l’opposé,
dans la séquence qui suit, Mehdi l’emmène dans son
propre monde, où la fête est authentique. Dans cet espace,
les corps bougent, transpirent et s’expriment librement.
« Pour donner une référence classique, on peut penser
à Titanic, où Rose introduit d’abord Jack dans un monde
ennuyeux avant d’être emmenée dans un univers plus
vivant et audacieux. Mehdi, comme Jack, prend un risque
en révélant son monde à celle qui lui plaît, mais c’est précisément
ainsi qu’il parvient à la séduire. Le fait qu’elle
soit séduite ici raconte quelque chose de ses failles, mais
aussi de ses fantasmes et projections sur qui est ce jeune
Marocain qu’elle vient de rencontrer », explique la cinéaste,
qui admet évoluer de film en film.
Depuis Sofia, la réalisatrice a beaucoup évolué, tant sur
le plan personnel que professionnel. « Ce dernier film
m’a demandé beaucoup de nerfs et de patience, et j’ai
découvert en moi des ressources insoupçonnées »,
confie-t-elle. « Dans les deux films, le politique vient questionner
ou bouleverser l’intime, que ce soit au sein de
la cellule familiale dans Sofia, ou à travers une histoire
d’amour dans Behind the Palm Trees. Ce qui change en
revanche, c’est la mise en scène. Pour Sofia, j’avais choisi
une approche très sobre et épurée, car cela correspondait
à la nature de l’histoire que je voulais raconter. En
revanche, Behind the Palm Trees est beaucoup plus stylisé
», confie la cinéaste tout en évoquant l’importance
de rester fidèle à ses convictions, même dans les moments
de doute. Elle souligne l’importance de la sincérité dans
la création cinématographique, convaincue que c’est
cette honnêteté qui touche le spectateur.
En quittant le plateau, on ne peut qu’être impressionné
par la maîtrise tranquille de cette réalisatrice, qui semble
garder le contrôle sans jamais forcer les choses. Behind
the Palm Trees s’annonce comme une œuvre riche, où
l’esthétique soignée et l’émotion brute se rencontrent
pour créer une expérience cinématographique au supplément
d’âme.●
68
Maroc / Novembre 2024
DOSSIER PRO
DU PAPIER
À L’ÉCRAN :
PAROLES DE
SCÉNARISTES
AVEC YASMINE
BENKIRAN ET
BASMA EL HIJRI
L’écriture scénaristique, essentielle à toute
œuvre audiovisuelle, suit un processus
minutieux qui diffère selon le médium pour
lequel elle est destinée. Au Maroc, ce métier
se développe à mesure que l’industrie du
cinéma et de la télévision gagne en visibilité,
offrant aux scénaristes de nouvelles
opportunités. À travers les témoignages de
deux professionnelles du secteur, Yasmine
Benkiran, scénariste et réalisatrice de longmétrages,
et Basma El Hijri, spécialisée dans
l’écriture pour la télévision, cet article dévoile
les rouages de la création de scénarios, entre
cinéma et télévision.
PAR SALMA HAMRI
70
Maroc / Novembre 2024
Yasmin Benkiran
Dans le monde du cinéma, l’écriture
scénaristique est un processus complexe
qui repose autant sur la créativité
individuelle que sur une solide formation
technique. Pour Yasmine Benkiran et Basma
El Hijri, deux scénaristes marocaines aux parcours
distincts, ce métier s’est construit à travers
des expériences professionnelles variées
et une passion grandissante pour la narration
visuelle. Bien que leurs trajectoires aient pris
des chemins différents, l’une ayant découvert
sa vocation après avoir travaillé dans une
société de production (Yasmine Benkiran) et
l’autre ayant fait le saut après une longue carrière
journalistique (Basma El Hijri), toutes
deux partagent une conviction : l’écriture scénaristique
est un artisanat qui s’affine avec le
temps et l’expérience.
Leur approche est marquée par une réflexion
profonde sur les enjeux narratifs et émotionnels
du cinéma, et elles mettent en avant l’importance
du travail collaboratif et de la critique
constructive dans le processus d’écriture. Leurs
parcours illustrent comment l’apprentissage,
qu’il soit académique ou autodidacte, peut
révéler de véritables talents, tout en montrant
que le métier de scénariste n’est jamais figé,
mais en constante évolution.
Yasmine Benkiran ne s’est pas immédiatement
dirigée vers la scénarisation. Petite, elle ne
s’autorisait pas à se projeter comme scénariste
ou cinéaste, en partie à cause de ce qu’elle
décrit comme « le mythe du génie ». Elle pensait
que l’on possédait un talent inné ou non,
sans se rendre compte que c’était avant tout
un métier qui s’apprenait. C’est en travaillant
dans une société de production que cette révélation
s’est faite : « J’ai réalisé que c’était un
métier que l’on pouvait apprendre, que même
les grands cinéastes pouvaient avoir des premières
versions de scénarios non convaincantes
». C’est à ce moment qu’elle décide de
quitter la production pour intégrer l’atelier scénario
de La Fémis, une étape qui lui a apporté
une approche pratique et concrète. Pour elle,
l’essentiel n’est pas de suivre strictement des
règles académiques, mais plutôt d’apprendre
en forgeant ses propres outils et en étant à
l’écoute des autres. Ce « travail d’artisanat »,
comme elle le décrit, est au cœur de son
approche scénaristique.
De son côté, Basma El Hijri a toujours eu une
passion pour la fiction, dès son plus jeune
âge. Cependant, avant de devenir scénariste,
elle a travaillé comme journaliste, une
profession qui a façonné sa manière d’aborder
l’écriture scénaristique. « Mon amour
pour la fiction est resté ancré en moi, même
lorsque j’ai choisi le journalisme pour mieux
comprendre mon pays », explique-t-elle. Ce
Septembre Novembre 2024 / Maroc
71
DOSSIER PRO
TOUT PEUT DEVENIR MATIÈRE À FICTION.
LES THÉMATIQUES, QUANT À ELLES,
S’IMPOSENT D’ELLES-MÊMES AU FIL
DU PROCESSUS
travail sur le terrain, ses rencontres avec des
cinéastes marocains et étrangers lors de festivals
de cinéma, ont nourri son envie de passer
à l’écriture scénaristique.
Sa transition vers l’écriture de scénarios s’est
faite après sa démission de son poste à la télévision.
« J’ai pris la décision de quitter la télévision
pour me consacrer pleinement à l’écriture
scénaristique, et c’est la meilleure décision
de ma vie », dit-elle. Pour Basma, son expérience
journalistique lui a permis de développer
une sensibilité accrue aux réalités humaines,
ce qui se reflète dans ses scénarios. Le journalisme
l’a préparée à observer, analyser et
relater des histoires avec justesse, des compétences
qu’elle réinvestit aujourd’hui dans
son travail de scénariste.
Ces deux trajectoires, bien que différentes,
témoignent de l’importance de l’expérience
personnelle et du travail d’apprentissage dans
l’écriture de scénarios. Que ce soit à travers
la pratique concrète dans un cadre académique
comme pour Yasmine, ou grâce à une
longue carrière de journaliste comme pour
Basma, le métier de scénariste se construit
avant tout par l’expérience et la passion.
Entre émotions et structure
Yasmine Benkiran, scénariste et réalisatrice
du long-métrage Reines, s’illustre par une
approche très personnelle du cinéma. Son
travail débute souvent par une émotion ou
une idée qui germe progressivement avant
de se transformer en une structure narrative
cohérente. L’écriture d’un long-métrage
repose pour elle sur un processus introspectif
profond, où l’histoire se construit étape
par étape. « Faire un film sur une thématique
ou sur une idée abstraite ou sociétale c’est
quelque chose qui ne m’intéresse pas en
termes de cinéma mais d’un coup s’il y a une
ambiance, des personnages, des images,
CRÉDIT : BOXOFICEMAROC
Basma El Hijri, scénariste de séries et téléfilms
72
Maroc / Novembre 2024
CRÉDIT : BOXOFICEMAROC
matière à fiction. Les thématiques, quant à elles,
s’imposent d’elles-mêmes au fil du processus».
Son approche est toutefois plus rapide et
directe, du fait de la nature spécifique de la
production télévisée, où les délais sont souvent
plus serrés. « Une fois l’idée trouvée, je
me plonge dans la recherche. Je m’informe
abondamment sur le sujet, échange avec des
experts et m’assure de maîtriser chaque aspect.
Pour moi, cette phase de prospection est essentielle.
Ensuite, je commence à développer un
synopsis en m’appuyant sur une structure narrative
solide. À mesure que le synopsis se développe,
les personnages prennent forme presque
naturellement et une fois les personnages bien
établis, je développe des arcs narratifs pour
structurer le récit. Bien sûr, il est naturel de
changer de direction en cours de route, de se
laisser porter par sa créativité et ses émotions.
Mais je veille toujours à baliser le terrain dès le
départ, histoire d’avoir une boussole pour éviter
de me perdre », détaille la scénariste.
une musique, quelque chose de très sensible
qui vient à moi là je peux avoir des
envies très fortes et ensuite la réflexion et
le théorique arrivent après le sensoriel ».
L’une des premières étapes clés est le développement
du synopsis, un résumé condensé
de l’intrigue qui permet d’envisager le fil conducteur
du film. Ce synopsis évolue ensuite en un
séquencier, qui découpe l’histoire en séquences
précises. Ce travail de structuration est crucial
pour un long-métrage, car il permet de gérer
le rythme et l’évolution dramatique de l’intrigue.
« Je ne pars jamais sur une dialoguée je pars
d’abord sur la structure, ce que je veux raconter,
quels sont mes personnages, mon histoire
et pour moi c’est ce travail de tâtonnement qui
est le plus difficile et qui met le plus de temps,
le reste c’est du pur plaisir d’écriture. C’est
pour moi l’étape la plus réjouissante parce
qu’on voit le film prendre forme, mais le plus
important et le plus difficile c’est le travail de
structure et de narration. Mettre les envies et
les intuitions sur papier, voir si ça marche et
les mettre sur papier », explique-t-elle.
Basma El Hijri, de son côté, évolue dans un
registre différent, celui de l’écriture pour la
télévision. Elle a notamment travaillé sur la
série Aâm o Nhar et le téléfilm Forsa Tania.
« Forsa Tania a été mon premier opus et mon
premier challenge dans mon aventure de scénariste
et j’ai eu la chance de collaborer avec
Hicham El Jebbari dont je respecte le travail
et l’abnégation. La série, quant à elle, obéit à
des codes très différents. C’est un exercice
bien plus complexe qui nécessite souvent un
travail d’équipe, au sein d’une cellule d’écriture.
Pour Aâm o Nhar, j’ai eu la chance de
coécrire la série avec des auteurs que j’admire
profondément, comme Jawad Lahlou, Ayoub
Layoussifi, Mounia Magueri, et Ayoub Lahnoud,
qui a également réalisé la série. Ce sont plusieurs
mois d’intenses réflexions, de débats
passionnés, d’embranchements et de compromis
qui ont finalement donné toute sa consistance
à l’histoire », nous raconte Basma.
Tout comme Yasmine Benkiran, choisir une thématique
n’est pas sa première préoccupation.
« Ce qui me pousse à écrire, c’est souvent un
besoin viscéral de raconter des histoires qui
me touchent profondément, parce que je les
ai vécues ou entendues. Tout peut devenir
L’écriture pour un téléfilm ou une série débute
également par un synopsis, mais le séquencier
est ici encore plus essentiel, car chaque
épisode ou acte d’un téléfilm doit avoir son
propre arc narratif tout en s’intégrant dans la
continuité de l’histoire. « Écrire un scénario se
fait souvent en deux grandes étapes : le
séquencier, puis la continuité dialoguée. Le
séquencier est la structure de base, un enchaînement
de scènes qui s’organisent en
séquences. Il inclut le décor, les personnages,
la description des lieux, ainsi que les didascalies,
permettant de visualiser l’univers et l’action
», poursuit Basma El Hijri.
Ensuite vient l’étape cruciale des dialogues.
Le passage de la rédaction au dialogue diffère
pour Yasmine Benkiran et Basma El Hijri, mais
il est essentiel pour chacune d’elles. Pour la
première, les dialogues prennent véritablement
forme à la fin du processus d’écriture. «
Néanmoins, quand on écrit un synopsis on a
des dialogues et des choses qui sortent par
moments et qu’il faut garder en tête. D’ailleurs
ce sont toujours les meilleurs dialogues, ceux
L’INTERACTION AVEC LES ACTEURS JOUE UN
RÔLE CLÉ DANS L’AFFINAGE DES RÉPLIQUES. CE
TRAVAIL COLLABORATIF PERMET D’AJUSTER LE
TEXTE EN FONCTION DE LA PERFORMANCE DES
COMÉDIENS, NOTAMMENT LORSQUE CERTAINES
RÉPLIQUES NE SONNENT PAS COMME PRÉVU
Novembre 2024 / Maroc
73
DOSSIER PRO
Les défis de l’écriture scénaristique au Maroc
Les défis auxquels sont confrontées les scénaristes
marocaines varient selon leur parcours
et le type de scénario. A titre d’exemple, pour
Basma, l’un des plus grands défis de l’écriture
pour la télévision est de maintenir l’attention
du spectateur sur une période plus longue, que
ce soit à travers des épisodes successifs ou un
téléfilm complet, mais certaines difficultés sont
universelles. Yasmine Benkiran met en avant
une difficulté structurelle propre à l’industrie :
« Le nerf de la guerre de l’écriture, c’est l’argent
». Elle déplore que le scénario soit à la fois
sous-estimé et sous-payé, malgré son rôle central
dans la production d’un film. Selon elle,
l’écriture de scénarios est un processus long,
pouvant s’étendre sur plusieurs années, souvent
rémunéré au minimum car il constitue un
risque pour les producteurs qui doivent lever
des fonds sur la base de ce travail. Elle décrit
également ce métier comme ingrat, avec peu
de reconnaissance. « Vous ne verrez que rarement
un scénariste sur un tapis rouge », ajoutet-elle.
Le contraste entre l’importance du scénario
et le manque de visibilité des scénaristes
est un autre obstacle qu’elle soulève dans l’industrie
cinématographique marocaine.
??????
Yasmine Benkiran, scénariste et réalisatrice du film Reines
qui font mouches ». Ensuite, c’est du travail
d’écriture. Yasmine Benkiran nous fait également
savoir que l’interaction avec les acteurs
joue un rôle clé dans l’affinage des répliques.
Ce travail collaboratif permet d’ajuster le texte
en fonction de la performance des comédiens,
notamment lorsque certaines répliques ne
sonnent pas comme prévu. « Les vrais dialogues
se trouvent aussi avec les comédiens.
On peut avoir une envie de dialogue, mais des
fois quand on l’entend de la bouche d’un comédien
ça sonne faux ou ce comédien n’arrive
pas à le dire comme on l’a imaginé, il a peutêtre
aussi une meilleure proposition à ce
moment-là. Donc voilà, les dialogues parfois
changent quand on met en scène ».
De son côté, Basma El Hijri adopte une
approche plus structurée. Pour elle, l’écriture
des dialogues intervient après le séquencier,
une étape où l’on construit la trame narrative
scène par scène. « Les dialogues insufflent la
vie à l’histoire à travers les répliques des personnages.
Chaque personnage possède son
propre référentiel, sa manière de s’exprimer,
un ton qui lui est spécifique. C’est pourquoi il
est essentiel d’avoir des fiches personnages
détaillées, pour bien cerner leur personnalité
et leur façon de parler. D’une séquence à l’autre,
le dialogue joue un rôle fondamental : il doit
permettre à l’histoire de se dérouler naturellement,
tout en révélant la profondeur des personnages
et les enjeux de l’intrigue ».
Pour Basma El Hijri, la compétition dans le
domaine du scénario est intense. « La concurrence
y est féroce, et les professionnels rivalisent
d’ingéniosité d’une année à l’autre pour
se démarquer. Il est donc essentiel de renouveler
constamment ses idées, afin de proposer
des créations originales qui captent l’attention
», explique-t-elle. Trouver un producteur
capable de reconnaître le potentiel d’une histoire
est un autre obstacle majeur, bien qu’elle
ait eu la chance de collaborer avec des professionnels
comme Amine Benjelloun et Nabil
Ayouch, qui ont su l’accompagner. Toutefois,
elle souligne qu’au Maroc, le processus de
sélection des projets télévisuels est codifié.
« Les principaux diffuseurs choisissent les projets
sur la base d’un appel d’offres public. Ce
qui permet à tout le monde de tenter sa chance
et se démarquer ».
La recette d’un bon scénario
La force d’un bon scénario, selon les deux
scénaristes, repose sur des éléments différents,
mais complémentaires. Pour Basma,
la clé d’un bon scénario se trouve dans la
solidité de son intrigue, la profondeur de ses
personnages complexes et nuancés, et surtout
son authenticité qui touche le public. Il
s’agit également de « doser le rythme entre
des moments d’intensité et des pauses, tout
en se démarquant par son originalité, qu’il
s’agisse d’un point de vue singulier ou d’un
rebondissement surprenant. Enfin, il doit susciter
une forte résonance émotionnelle, permettant
ainsi au public de s’immerger profondément
dans l’histoire », dit-elle.
Yasmine, de son côté, reconnaît que son
approche de ce qui constitue un bon scénario
a évolué avec le temps. « Avant, je pensais avant
que les bons scénarios devraient être extrêmement
balisés dramaturgiquement comme les
scénarios de Pixar que je trouve exceptionnels,
mais j’ai changé d’avis car je vois des œuvres
extraordinaires qui ne répondent pas à ces
balises-là. Je n’ai donc pas de réponses ou de
formules pour un bon scénario ». Selon elle,
certains films échappent aux structures classiques
et pourtant, la magie opère. La force d’un
scénario peut aussi résider dans des éléments
qui transcendent la dramaturgie stricte, comme
la force des situations ou le jeu des comédiens,
et parfois, comme dans un roman, c’est le style
qui l’emporte sur l’histoire elle-même.●
74
Maroc / Novembre 2024
75
ZOOM SUR UNE SALLE
CINÉ ATLAS À RABAT
LE COLISÉE
RÉINVENTÉ
Le Ciné Atlas, autrefois connu sous le nom de Colisée,
a retrouvé toute sa splendeur en 2018 après avoir
passé plusieurs années dans l’oubli. Situé sur l’avenue
Mohammed V, en plein cœur de la capitale marocaine,
ce cinéma mythique fermé en 2002 est devenu le
premier multiplexe de Rabat et représente aujourd’hui
une fusion entre patrimoine historique et modernité
sous le nom de « Ciné Atlas Rabat Colisée ».
PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
76 Maroc / Novembre 2024
L
es origines du Ciné Atlas
remontent à l’inauguration de la
salle Rex en 1935. Conçue par
l’architecte J.-E. Robert pour la
société Balima, cette salle, bien
que brève sous ce nom, s’est rapidement
réinventée. En 1936, les frères Ténoudji,
des exploitants algériens de cinéma,
reprennent l’établissement et le renomment
Colisée. À partir de ce moment, le
Colisée devient l’une des salles de référence
de Rabat, aux côtés du Royal et du
cinéma Renaissance. Il est rapidement
devenu un symbole du dynamisme culturel
de la capitale, attirant des foules nombreuses
pour ses projections de films internationaux
et locaux.
Pendant des décennies, le Colisée a été le
théâtre de nombreuses avant-premières et
projections mémorables. Parmi les événements
marquants, la sortie de Saturday Night
Fever en 1978 reste gravée dans la mémoire
collective, avec des billets vendus des jours
à l’avance. De plus, dans les années 1980,
le cinéma marocain connaissait un âge d’or
avec près de 40 millions de billets vendus à
travers le pays, et le Colisée était au cœur
de cette effervescence cinématographique.
Le Colisée finit toutefois par fermer ses portes
en 2002, suite à une longue lutte contre le
déclin de la fréquentation des salles au début
des années 2000.
Cet évènement aurait pu signifier la fin de
cette salle emblématique, mais c’était sans
compter sur la vision de Pierre-François Bernet,
entrepreneur français et amoureux du
cinéma. En 2018, après une année de travaux,
le Colisée rouvre sous le nom de Ciné Atlas
Rabat Colisée, devenant ainsi le premier multiplexe
de la capitale. L’initiateur de ce projet
a investi 15 millions de dirhams dans la reconstruction
et l’équipement du Colisée de Rabat
et a été soutenu par le Centre cinématographique
marocain (CCM), qui a investi pour sa
part 3 millions de dirhams dans la réhabilitation.
Cette transformation ne s’est pas faite à
la légère : tout le projet a été conçu « dans un
souci de préservation du patrimoine », mariant
l’architecture d’origine à des équipements de
pointe, tient à préciser Bernet.
L’ancien balcon a été rallongé de 7 mètres par
une dalle, et un mur vertical à double cloison
acoustique a été érigé pour former la grande
salle 1. En dessous de ce balcon, la grande
salle d’origine de 1150 places a été divisée en
trois espaces distincts grâce à un autre mur
acoustique, donnant naissance aux salles 2,
3 et 4. Chacune de ces salles a été aménagée
pour offrir aux spectateurs « une expérience
confortable et immersive ». Les ferronniers
locaux ont été sollicités pour restaurer
les détails métalliques, et les matériaux d’origine
tels que le marbre de Bejaâd, le marbre
blanc de Carrare et le marbre de Tiflet ont été
utilisés pour préserver l’authenticité du lieu,
détaille le directeur de Ciné Atlas.
En plus de son architecture préservée, le
multiplexe propose des sièges confortables
à double accoudoir, un système de projection
4K, et une qualité sonore optimale. Le
cinéma Atlas Rabat dispose d’une salle 3D,
ainsi que 3 salles procédé éclair color. Par
ailleurs, pour rendre l’expérience encore
plus agréable, les spectateurs peuvent réserver
leurs places en ligne avec un plan de
salle interactif. Les moins de 12 ans paient
45 dirhams, contre 50 pour les étudiants et
65 en plein tarif. Le cinéma propose également
des abonnements avantageux comme
un tarif spécial couple : 50 dirhams chacun.
Le Ciné Atlas n’est que le début d’une ambition
plus large. En 2022, la ville d’El Jadida
a accueilli son premier complexe cinématographique
de trois salles bâties sur la
corniche : Ciné Atlas El Jadida. Pierre-François
Bernet envisage d’ouvrir d’autres multiplexes
à travers le Maroc. Deux sont déjà
en préparation : l’une à Casablanca, et
l’autre à Tanger, où elle remplacera le
cinéma Mauritania. Un projet audacieux
de Bernet qui est convaincu que la solution
pour « réconcilier les Marocains avec
le cinéma repose sur une offre premium,
alliant confort, qualité de projection et service
irréprochable ».●
Novembre 2024 / Maroc
77
ZOOM SUR UNE SALLE
Ciné Atlas Rabat Colisée, premier multiplexe de la capitale
Des tableaux représentant des acteurs marocains et étrangers ornent tout l’espace
78
Maroc / Novembre 2024
CINÉ ATLAS:
LE COLISÉE
SALLE 1
Nombre de fauteuils
252
Taille de l’écran
13 M X 4.4 M
Marque du projecteur
SONY ET CHRISTIE
Résolution
du projecteur
4K - 2K
Son
DOLBY 7.1
L’entrée du cinéma Atlas, sur l’avenue Mohammed V, en plein cœur de Rabat
Le projet a été conçu dans un souci de préservation du patrimoine, mariant l’architecture d’origine à des équipements de pointe
Novembre 2024 / Maroc
79
ZOOM SUR UNE SALLE
Chacune de ces salles a été aménagée pour offrir aux spectateurs une expérience confortable et immersive
CINÉ ATLAS:
LE COLISÉE
SALLE
2-3 ET 4
Nombre de fauteuils
73-75-54 + 2PMR
Taille de l’écran
7.15 M X 3M
Marque du projecteur
SONY ET CHRISTIE
Résolution
du projecteur
4K
Son
DOLBY 7.1
Au guichet, les moins de 12 ans paient 45 dirhams,
contre 50 pour les étudiants et 65 en plein tarif
Le multiplexe propose des sièges confortables à double accoudoir, un système de projec- tion 4K, et une qualité sonore optimale
80
Maroc / Novembre 2024
La salle d’attente du cinéma, pour les cinéphiles qui arrivent à l’avance et les gourmands à la recherche de pop-corn
La devanture du cinéma avec les films à l’affiche
Novembre 2024 / Maroc
81
UNE SALLE, UNE HISTOIRE
CINÉMA RIALTO,
NOSTALGIE D’UN
CASABLANCA
CINÉPHILE
Situé en plein cœur de Casablanca, sur la rue Mohammed El Qori, le cinéma Rialto
qui portait autrefois le nom de Splendid, est bien plus qu’une simple salle obscure. Construit
en 1930 par l’architecte Pierre Jabin, ce chef-d’œuvre d’architecture Art déco est le premier
cinéma parlant de la ville et l’un des plus anciens encore en activité au Maroc. Dès son
inauguration, le Rialto se veut un espace culturel avant-gardiste et un monument
incontournable du centre-ville de Casablanca.
PAR SALMA HAMRI
82 Maroc / Novembre 2024
Architecturalement, le cinéma Rialto
est un véritable joyau. Sa façade
rouge et blanche, typique de l’Art
déco, se dresse fièrement sur la rue Mohammed
El Qori, attirant les regards de tous ceux
qui traversent le centre-ville. À l’intérieur, le
vaste hall d’entrée et les décors soignés
témoignent d’une époque où le cinéma était
une expérience sensorielle totale. En plus
de son héritage architectural, le Rialto fait
partie de ces rares cinémas au Maroc à être
encore répertoriés dans les guides touristiques,
notamment en raison de son lien
avec le film Casablanca, une œuvre légendaire
qui contribue à renforcer le mythe
entourant la salle.
Avec ses 1350 places, réparties entre loges,
balcon et parterre, le cinéma occupe une
surface impressionnante de 1500 mètres carrés.
Sa structure en béton armé, dominée
par une coupole monumentale à 14 mètres
de hauteur, offre une acoustique exceptionnelle,
idéale pour les projections cinématographiques,
mais aussi pour les spectacles
de music-hall et d’opéra. C’est d’ailleurs cette
polyvalence qui a permis au Rialto de s’imposer
comme l’une des plus importantes
salles de spectacle d’Afrique du Nord.
Dans Le Maroc en 1938, d’Edouard Sarrat,
l’auteur détaille les composantes de la salle
de cinéma. « À part les murs des façades,
tout est en béton armé. La grande poutre du
balcon (22 m) et la coupole située à 14 m de
hauteur sont des merveilles de calcul et d’exécution.
Les cabines de projection, situées
dans la coupole, grâce à des revêtements
de faïence blanche, et à une propreté méticuleuse,
ont l’aspect austère d’un laboratoire.
Des dispositions ont été prises pour que,
pendant les chaleurs de l’été, une fraîcheur
exquise regne dans la salle. Les portes de
secours, judicieusement disposées, per
LE RIALTO FAIT PARTIE DE CES RARES
CINÉMAS AU MAROC À ÊTRE ENCORE
RÉPERTORIÉS DANS LES GUIDES
TOURISTIQUES
Novembre 2024 / Maroc
83
UNE SALLE, UNE HISTOIRE
Extrait du journal Le Petit Marocain 9 avril 1943
Extrait du journal Le Petit Marocain 21 février 1953
mettent une évacuation rapide des spectateurs.
En cas de panique, la salle peut être
vidée en moins de deux minutes et demie ».
« De plus, et ceci est à considérer, le Rialto,
en dehors des installations techniques de
projection, a été fait, construit, décoré,
meublé, éclairé, etc., par des Casablancais
ou des industries casablancaises. Les fauteuils
même, qui sont des merveilles de
confort, ont été faits à Casablanca. Le soin
qu’a mis la direction du Rialto à faire de ce
cinéma l’une des plus belles salles de l’Afrique
du Nord serait vain si les programmes les
mieux choisis n’attiraient les spectateurs ».
Le cinéma a rapidement gagné en prestige,
notamment en raison des nombreuses célébrités
internationales qui s’y sont produites.
Parmi elles, Joséphine Baker, qui y donna
un récital inoubliable en 1943 devant des
soldats américains dans le cadre de l’Opération
Torch, un moment emblématique de
l’histoire du lieu. D’autres figures légendaires,
comme Édith Piaf, Charles Aznavour, Maurice
Chevalier et Tino Rossi, ont également
foulé la scène du Rialto, contribuant à renforcer
son statut d’icône culturelle. Le cinéma
a également projeté les chefs-d’œuvre du
7e art international, faisant découvrir au
public marocain des films inédits, dans un
cadre unique où se mêlaient art et histoire.
Le Rialto, comme bien d’autres cinémas de
l’époque, a joué un rôle crucial dans l’émergence
d’une société cosmopolite et ouverte.
À l’époque de sa construction, Casablanca
était en plein essor, et la salle est devenue
un point de rencontre pour les habitants de
tous horizons, réunissant aussi bien les élites
que le grand public autour de la magie du
cinéma et des spectacles. D’ailleurs, c’est
avec le Rialto que le cinéma parlant fait son
apparition au Maroc, soit à peine quelques
mois après la France et quelques mois avant
l’Empire et le Régent de Seiberras.
La gestion de la salle de cinéma passe des
mains de Jean Gautier et Ugo Tosi qui
reprennent la direction du Rialto en 1936 à
celles de la famille Belghiti, qui a acquis la
salle en 1975. Au fil des décennies, notamment
à la fin des années 90, le cinéma a dû
faire face à des défis importants. L’expansion
des chaînes satellitaires, l’arrivée des
DVD piratés, ainsi que la construction de
multiplexes modernes ont contribué au déclin
progressif des salles de cinéma traditionnelles
comme le Rialto.
LE RIALTO, EN DEHORS DES
INSTALLATIONS TECHNIQUES DE PROJECTION,
A ÉTÉ FAIT, CONSTRUIT, DÉCORÉ, MEUBLÉ,
ÉCLAIRÉ, ETC., PAR DES CASABLANCAIS
Bien que la salle ait maintenu une programmation
régulière jusqu’aux années 2000,
elle a finalement fermé ses portes en raison
d’un manque de rentabilité, une situation
qui a affecté de nombreuses autres salles
historiques de Casablanca. Le cinéma Lux,
le Vox ou encore le cinéma Colisée ont eux
aussi souffert du même sort, marquant la fin
d’une époque où le cinéma mono-écran
dominait la vie culturelle de la ville.
Dans un contexte difficile, le Rialto a néanmoins
tenté de se réinventer pour subsister.
Dès 2016, l’association Wydad Action a
loué la salle pour la retransmission en direct
d’un match crucial de la CAF Champions
League opposant le Wydad de Casablanca
à Al Ahly du Caire. Pour la première fois, des
supporters ont pu vibrer au rythme du football,
non pas dans les gradins d’un stade,
mais confortablement installés dans les fauteuils
du Rialto. Cet événement a marqué
un tournant dans l’utilisation de la salle, qui
a commencé à miser sur l’événementiel
comme la retransmission de matchs de foot,
des conférences ou des pièces de théâtre,
attirant un public plus large en diversifiant
ses activités. Plus récemment, la chaîne saoudienne
MBC5 a transformé la salle pour y
accueillir son émission Masrah Al Maghreb,
redonnant vie à ce lieu mythique, même
temporairement.
Notons que Masrah Al Maghrib, est un projet
artistique lancé en 2020 sous la direction
de la chaîne MBC 5 et qui avait pour
volonté de relancer le mouvement théâtral.
L’écriture de la série de spectacles était
confiée à Abdellah Didane, Hassan Fouta
et Meryem Idrissi. Une constellation de stars
et de figures prometteuses toutes lauréates
de l’ISADAC, ont participé à cette pièce et
les 20 représentations de la troupe du Masrah
Al Maghrib, actuellement disponibles
sur la plateforme Shahid, avaient eu lieu sur
la scène du cinéma Rialto de Casablanca
les jeudis, vendredis et samedis de chaque
semaine.●
84 Maroc / Novembre 2024
INTERVIEW PRO
RACHIDA SAADI
« L’UN DES PLUS GRANDS
DÉFIS AUXQUELS JE SUIS
CONFRONTÉE EST LA
RECHERCHE DE
FINANCEMENTS »
Dans un paysage cinématographique
marocain en pleine mutation, Rachida Saadi
se démarque par sa capacité à naviguer entre
les défis de la production et les exigences de la
création artistique. Productrice chevronnée et
réalisatrice passionnée, elle partage les coulisses
d’une industrie où chaque projet est une aventure
unique. Echange avec la dame de fer de la
production marocaine qui s’efforce de donner
vie à des récits puissants, tout en ouvrant la voie
à une nouvelle génération de talents.
INTERVIEW MENÉE PAR JIHANE BOUGRINE
CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
Détermination et patience pour mener à bien un projet de film
Le cinéma marocain est en pleine évolution.
En tant que productrice, quels sont les plus
grands défis auxquels vous êtes confrontée
pour mener à bien des projets ?
En tant que productrice, l’un des plus grands
défis auxquels je suis confrontée est la
recherche de financements. Cela peut
prendre pour certains projets des années.
Une fois le budget bouclé et le financement
acquis, le défi suivant est de s’adapter à ce
budget et de gérer efficacement les ressources
tout au long du processus de production
et garantir que le film soit terminé
dans les délais et selon les normes de qualité
attendues.
Enfin, une fois le film terminé, un autre défi
majeur consiste à assurer une distribution
efficace et à promouvoir le film pour qu’il
atteigne un large public. En somme, chaque
projet représente un défi unique et stimulant
qui nécessite compétence, créativité et détermination
pour mener à bien du début à la fin
En tant que femme productrice dans l’industrie
du cinéma au Maroc, avez-vous
rencontré des obstacles spécifiques, et si
oui, comment les avez-vous surmontés ?
Les obstacles que j’ai rencontrés dans l’industrie
du cinéma ne sont pas liés au fait que
je suis une femme, car les défis peuvent toucher
aussi bien les femmes que les hommes.
J’ai surmonté ces obstacles en m’entourant
d’une équipe solide et compétente, car la
collaboration et le soutien mutuel sont essentiels
pour faire face aux défis rencontrés dans
la production cinématographique.
Vous avez travaillé sur des films variés,
comme La Cinquième Corde, La Guérisseuse,
L’Orchestre des Aveugles… Comment choisissez-vous
les projets que vous produisez ?
Pour la plupart des projets que j’ai choisis
de produire, la décision s’est imposée naturellement
pour moi. Les réalisateurs et réalisatrices
avec lesquels je collabore sont avant
tout des amis, et une complicité s’est naturellement
instaurée entre nous au fil du
temps. Travaillant ensemble dès l’écriture
des scénarios, une relation de confiance
86 Maroc / Novembre 2024
s’est établie, et ils savent que si je leur
demande de faire des concessions, c’est
parce que je suis contrainte de le faire pour
des raisons budgétaires ou logistiques. Cette
dynamique de collaboration basée sur la
confiance et la compréhension mutuelle a
contribué à renforcer notre partenariat et à
faire de chaque projet une aventure humaine
et artistique enrichissante.
LES OBSTACLES QUE J’AI RENCONTRÉS
DANS L’INDUSTRIE DU CINÉMA NE SONT
PAS LIÉS AU FAIT QUE JE SUIS UNE FEMME,
CAR LES DÉFIS PEUVENT TOUCHER AUSSI
BIEN LES FEMMES QUE LES HOMMES
En tant que productrice, comment parvenez-vous
à équilibrer la nécessité d’un
retour sur investissement et la volonté de
produire des œuvres artistiques et culturelles
fortes ?
Il est important de noter que le retour sur
investissement peut être influencé par de
nombreux facteurs tels que la popularité des
acteurs, la stratégie de marketing, la concurrence
sur le marché. Pour équilibrer la nécessité
d’un retour sur investissement et la production
d’œuvres artistiques et culturelles
fortes il faut trouver un juste milieu en travaillant
avec des partenaires financiers partageant
les mêmes valeurs.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes
producteurs marocains qui débutent dans le
cinéma, en particulier dans un marché qui
évolue rapidement et où les ressources
peuvent être limitées ?
Aux jeunes producteurs marocains débutant
dans le cinéma, je conseille de rester passionnés,
de s’entourer de mentors expérimentés,
de saisir toutes les opportunités de formation
et de réseautage, et de toujours rester ouverts
aux nouvelles idées et aux collaborations. Il est
crucial de ne pas se laisser décourager par les
obstacles et surtout de ne pas avoir peur de
faire des erreurs et de s’entourer de personnes
compétentes et de confiance.
Le système de la Commission du Centre Cinématographique
Marocain (CCM) et le système
des avances sur recettes reste le principal
moyen de financement des films au Maroc.
Pensez-vous que ce système est efficace pour
soutenir les cinéastes marocains ?
Le CCM a soutenu un grand nombre de films
depuis la mise en place de l’avance sur recettes,
ce qui a permis à un grand nombre de réalisateurs
et de producteurs de concrétiser leurs
projets. Il semble que selon le bilan cinématographique
de l’année 2023, un total de 34 longs
métrages ont été produits, dont 12 ont été
auto-produits et 22 ont bénéficié de l’avance
sur recettes du CCM. Parmi ces films, 14 sont
Novembre 2024 / Maroc
87
INTERVIEW PRO
des premières œuvres, ce qui souligne l’importance
du soutien aux jeunes talents et aux réalisateurs
émergents.
Il est intéressant de noter que chaque commission
du CCM reçoit un nombre important de
projets : 48 projets de longs métrages candidats
à l’avance sur recettes avant production dans
une session de 2024. Mais seuls 4 à 6 d’entre
eux bénéficient effectivement de l’avance sur
recettes. L’idéal et le rêve serait que le CCM
soutienne plus de films, ce qui veut dire une
augmentation des fonds alloués à l’avance sur
recettes. Par ailleurs, soutenir la distribution des
films marocains dans les salles pour assurer
leur visibilité auprès du public. Un accompagnement
spécifique incluant des actions de
promotion et de communication et d’accompagnements
des exploitants.
Dans un marché où la distribution semble
restreinte, quelles sont, selon vous, les alternatives
pour permettre à davantage de films
marocains de toucher un large public ?
La visibilité des films marocains dans les festivals
internationaux tels que Cannes, Venise et
Toronto ces dernières années a été remarquable,
mettant en lumière la diversité et la
qualité de la production cinématographique
marocaine. Cependant, il est également essentiel
de souligner l’importance de la télévision
comme un média de diffusion clé pour promouvoir
les films locaux. Il serait bénéfique que les
chaînes de télévision diffusent plus de films de
cette catégorie, mais pas seulement ceux
qu’elles coproduisent.
En investissant dans l’acquisition de films
marocains et en consacrant des émissions
spéciales pour en parler, les chaînes de télévision
pourraient contribuer à la promotion et
à la publicité de ces films, offrant ainsi une
exposition plus large et une reconnaissance
accrue au cinéma national.
Vous avez souvent travaillé avec des budgets
limités. Dans ce contexte, comment arrivez-vous
à optimiser les ressources pour
maintenir une qualité artistique tout en respectant
les contraintes économiques ?
Lorsque je travaille avec des budgets limités, il
est essentiel de trouver des moyens d’optimiser
les ressources tout en maintenant une qualité
artistique tout en respectant les contraintes
économiques. Dans ce contexte, je m’implique
étroitement avec le réalisateur pour assurer une
préparation minutieuse du projet. Cela implique
une gestion rigoureuse des ressources disponibles
et une planification méticuleuse pour
maximiser l’efficacité de chaque dépense. Il est
également crucial que le réalisateur soit prêt à
faire des concessions et à trouver des solutions
Se réaliser en tant que productrice
créatives pour surmonter les obstacles liés au
budget restreint. Cette approche collaborative
et proactive est essentielle pour garantir le succès
du projet malgré les limitations financières.
Cela bien sûr se révèle particulièrement plus
difficile avec les réalisateurs qui en sont à leur
premier film.
Pourquoi encore peu de films marocains
optent pour la co-production et les financements
étrangers ?
De nombreux producteurs marocains aspirent
à trouver des coproducteurs étrangers pour
leurs projets, mais se heurtent à une concurrence
féroce sur le marché international.
Cependant, on observe de plus en plus de
projets marocains qui sont sélectionnés dans
des forums de coproduction, où ils ont l’opportunité
de rencontrer des partenaires potentiels
et de présenter leurs projets à un public
international. Malgré les défis rencontrés, la
tendance vers la coproduction et les financements
étrangers semble progresser, ouvrant
de nouvelles voies pour le cinéma marocain
sur la scène internationale. La coproduction
avec le Canada du dernier film de Mohamed
Nadif, L’Héritier des secrets, a été une expérience
très enrichissante. Nous avons tourné
une partie du film à Montréal, ce qui a apporté
une dimension internationale au film.
Est-ce qu’l y a des films plus difficiles à produire
que d’autres ?
Certains films peuvent être plus difficiles à produire
que d’autres en raison de leurs besoins
logistiques, de leur budget restreint. Cependant,
chaque projet apporte son lot de défis et surtout
son lot d’imprévus.
Après des années en tant que productrice,
qu’est-ce qui vous a motivée à passer derrière
la caméra pour réaliser un premier long, Quitte
ou double ?
Ce n’est pas ma première expérience dans la
réalisation. J’ai réalisé mon premier court-métrage
La Mer en 2007, qui a été sélectionné
au Fespaco. Je n’ai pas immédiatement
enchaîné avec un nouveau projet de réalisation.
Peut-être par auto-critique excessive ou par
manque de confiance en moi, je n’ai pas osé
me relancer dans la réalisation pendant un
certain temps. Cependant, l’opportunité s’est
présentée lorsque j’ai décidé de reprendre un
scénario qui était resté en suspens. La reprise
du scénario, combinée aux encouragements
de mon entourage, a été le déclic qui m’a poussée
à franchir le pas et à renouer avec ma
passion pour la réalisation. Le déclic a été si
fort que j’ai réalisé un court-métrage, Amira, la
même année, et également co-réalisé un documentaire
intitulé Amazone avec une jeune
réalisatrice, Salma Lokhmass, actuellement en
phase de post-production.
En quoi le processus de réalisation a-t-il
différé de celui de la production ? Avez-vous
trouvé que votre expérience en tant que
productrice vous a facilité la tâche en tant
que réalisatrice ?
Le processus de réalisation diffère de celui
de la production en ce sens que le réalisateur
est chargé de donner vie au scénario sur le
plan visuel, tandis que le producteur est responsable
de la gestion financière et logistique
du film. En tant que productrice, mon expérience
m’a certainement aidé en tant que
réalisatrice, car j’avais déjà une bonne connais-
88
Maroc / Novembre 2024
JE PENSE QUE PARLER DE SUJETS
TABOUS PEUT AIDER À OUVRIR DES
DISCUSSIONS PLUS LARGES SUR LES
PROBLÈMES SOCIAUX AU MAROC ET À
SENSIBILISER LE PUBLIC
sance des différentes étapes de production
et des contraintes budgétaires
Il y a des moments où les préoccupations logistiques
ont pris le dessus sur les aspects créatifs,
mais j’ai toujours veillé - avec la collaboration
de l’équipe technique - à ce que la vision du
film reste intacte.
Quitte ou double aborde le sujet délicat et
rarement traité de l’addiction au jeu, en particulier
chez une femme. Qu’est-ce qui vous
a poussé à explorer ce thème, peu commun
dans le cinéma marocain ?
J’ai choisi d’explorer le thème de l’addiction au
jeu dans Quitte ou double car je trouvais intéressant
de traiter un sujet peu abordé dans le
cinéma marocain, en particulier chez une femme.
Ce thème de l’addiction peut s’étendre à d’autres
à d’autres formes d’addictions telles que la
drogue ou l’alcool.
Pensez-vous qu’aborder une thématique
aussi atypique que celle de l’addiction au
jeu peut aider à ouvrir des discussions plus
larges sur les tabous et les problèmes
sociaux au Maroc ?
Je pense que parler de sujets tabous peut aider
à ouvrir des discussions plus larges sur les problèmes
sociaux au Maroc et à sensibiliser le public
à ces problématiques et à susciter une réflexion
sur l’addiction et sur les moyens de s’en sortir.
Parler des tabous est primordial pour la réalisatrice
Le personnage principal, une femme accro
au jeu, est une figure courageuse et inattendue
dans le paysage cinématographique
marocain. Comment avez-vous construit ce
personnage ? Est-ce inspiré d’une réalité
observée ou s’agit-il d’une pure fiction ?
Le personnage principal, une femme accro au
jeu, a été construit en m’inspirant de certaines
situations réelles observées, j’ai approfondi ma
recherche et j’ai eu des rencontres avec des
personnes qui ont partagé avec moi des histoires
de femmes et d’hommes confrontés à l’addiction
du jeu. En intégrant quelques témoignages et
en ajoutant des éléments de fiction, j’ai cherché
à rendre le personnage plus complexe.
Comment s’est porté le choix sur Farah El
Fassi ? Comment l’avez-vous dirigée ?
Farah El Fassi a été choisie pour incarner ce
personnage en raison de son talent et de sa
capacité à transmettre la vulnérabilité d’un personnage
complexe. Après avoir lu le scénario,
elle s’est totalement investie dans le rôle. Elle
a pris des cours de moto pour se mettre dans
la peau du personnage. Elle a également bénéficié
de l’expérience d’une professionnelle de
poker pour la rendre aussi authentique que
possible. Je l’ai dirigée en lui donnant des indications
précises sur la psychologie du personnage
et en lui laissant également une certaine
liberté d’interprétation
Quitte ou double est un film autoproduit.
Quelles sont les principales leçons que
vous avez tirées de cette expérience d’autoproduction,
tant en termes créatifs que
logistiques ?
Cette expérience d’autoproduction n’est
pas ma première, ce qui m’a permis de tirer
des leçons précieuses pour mener à bien
ce projet. J’ai réalisé que dans le cadre de
l’autoproduction, il est essentiel de savoir
faire des concessions. J’ai pris le temps
nécessaire pour la préparation, en collaborant
avec une équipe réduite mais engagée.
En tant que réalisatrice et avec le producteur
Hassan Benjelloun, nous avons mobilisé
nos connaissances et notre réseau pour
rassembler une équipe technique et artistique
motivée et compétente.
Le fait d’autoproduire votre premier
long-métrage a-t-il modifié votre manière
d’aborder le processus créatif ? Avez-vous
senti une plus grande liberté ou des
contraintes supplémentaires ?
Autoproduire Quitte ou double a été une
expérience enrichissante qui m’a permis
d’apprendre beaucoup sur les aspects créatifs
et logistiques de la réalisation d’un film.
J’ai appris à être plus flexible, j’ai dû trouver
des solutions sur place pour surmonter
certains obstacles. J’avoue que pour certaines
scènes, je suis restée sur ma faim,
car j’aurais souhaité avoir plus de matériel
ou de temps pour les filmer selon mes aspirations
créatives.
Comment avez-vous géré les aspects
créatifs et organisationnels du film ?
Est-ce que la productrice a pris le dessus
des fois sur la réalisatrice ?
J’ai géré les aspects créatifs et organisationnels
du film en travaillant en étroite
collaboration avec mon équipe de production.
Il y a eu des moments où les préoccupations
logistiques ont pris le dessus sur
les aspects créatifs, mais j’ai toujours veillé
à ce que la vision du film reste intacte.
Est-ce que vous envisagez de poursuivre
votre carrière de réalisatrice après Quitte
ou double ? Si oui, quels genres de récits
aimeriez-vous raconter à l’avenir ?
Je compte certainement poursuivre ma
carrière de réalisatrice après Quitte ou
double. J’aimerais aborder des thématiques
sociales et humaines qui me tiennent à
cœur. J’aspire à suivre le cours du destin
et à laisser le temps me guider. Chaque
expérience que je vis est un cadeau précieux.●
Novembre 2024 / Maroc
89
GUIDE DES SORTIES
DEPUIS LE 11 SEP 2024
NOM DU FILM : Triple A
DURÉE : 119 minutes
GENRE : Drame
RÉALISATEUR : Jihane El Bahhar
PAYS : Maroc
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama, Colisée
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
Meknès : Camera
El Jadida : CineAtlas
DEPUIS LE 04 OCT 2024
NOM DU FILM : Le robot sauvage
DURÉE : 102 minutes
GENRE : Animation, Science-
Fiction, Familial
RÉALISATEUR : Chris Sanders
PAYS : États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé,
Lutetia
Rabat : Mégarama, CineAtlas,
Renaissance
Marrakech : Mégarama
Tanger : Mégarama,
Cinémathèque RIF
Fès : Mégarama
Meknès : Camera
El Jadida : CineAtlas
DEPUIS LE 09 OCT 2024
NOM DU FILM : The Apprentice
DURÉE : 120 minutes
GENRE : Biopic, Drame, Historique
RÉALISATEUR : Ali Abbasi
PAYS : Canada, Danemark,
Irlande, États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Pathé, Lutetia
Tanger : Alcazar
Meknès : Camera
DEPUIS LE 09 OCT 2024
PAYS : États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
El Jadida : CineAtlas
DEPUIS LE 16 OCT 2024
DEPUIS LE 04 OCT 2024
DEPUIS LE 09 OCT 2024
NOM DU FILM : Joker: folie à deux
DURÉE : 138 minutes
GENRE : Drame, Action, Romance,
Suspense, Crime, Thriller
RÉALISATEUR : Todd Phillips
PAYS : États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé
Rabat : Mégarama, CineAtlas,
Renaissance
Marrakech : Mégarama
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
El Jadida : CineAtlas
NOM DU FILM : Lee Miller
DURÉE : 112 minutes
GENRE : Biopic, Drame, Guerre
RÉALISATRICE : Ellen Kuras
PAYS : Grande-Bretagne
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama
Rabat : Mégarama
Marrakech : Mégarama
Tanger : Mégarama,
Cinémathèque RIF
Fès : Mégarama
NOM DU FILM : L’batal
DURÉE : 90 minutes
GENRE : Comédie
RÉALISATEUR : Omar Lofti
PAYS : Maroc
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama, Colisée
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
Meknès : Camera
El Jadida : CineAtlas
DEPUIS LE 09 OCT 2024
NOM DU FILM : Terrifier 3
DURÉE : 125 minutes
GENRE : Horreur, Thriller,
Fantastique
RÉALISATEUR : Damien Leone
NOM DU FILM : Croquette le chat
merveilleux
DURÉE : 87 minutes
GENRE : Animation, Comédie,
Famille
RÉALISATEUR : Christopher Jenkins
PAYS : Grande-Bretagne
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé,
Lutetia
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama, Colisée
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
El Jadida : CineAtlas
DEPUIS LE 16 OCT 2024
NOM DU FILM : Smile 2
DURÉE : 132 minutes
GENRE : Horreur
RÉALISATEUR : Parker Finn
PAYS : États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé
90 Maroc / Novembre 2024
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama
Fès : Mégarama
Meknès : Camera
El Jadida : CineAtlas
NOM DU FILM : The killer
DURÉE : 126 minutes
GENRE : Action, Thriller, Crime
RÉALISATEUR : John Woo
PAYS : États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama, Colisée
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
El Jadida : CineAtlas
NOM DU FILM : 4 zéros
DURÉE : 102 minutes
GENRE : Comédie
RÉALISATEURS : Fabien
Onteniente
PAYS : France
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
PAYS : États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama, Colisée
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
El Jadida : CineAtlas
INFOS PRATIQUES
DEPUIS LE 16 OCT 2024
DEPUIS LE 23 OCT 2024
NOM DU FILM : Monsieur Aznavour
DURÉE : 133 minutes
GENRE : Histoire, Musique
RÉALISATEUR : Grand Corps
Malade, Mehdi Idir
PAYS : France
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé,
Lutetia
Rabat : Mégarama, CineAtlas,
Renaissance
Marrakech : Mégarama, Colisée
Tanger : Mégarama,
Cinémathèque RIF
Fès : Mégarama
El Jadida : CineAtlas
DEPUIS LE 23 OCT 2024
NOM DU FILM : Whitney Houston:
the concert for a new south africa
(durban)
DURÉE : 117 minutes
GENRE : Musique
RÉALISATEUR : Marty Callner
PAYS : Afrique du Sud
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama, Pathé
Rabat : Mégarama
Marrakech : Mégarama
Tanger : Mégarama
Fès : Mégarama
NOM DU FILM : Harold et
le crayon magique
DURÉE : 89 minutes
GENRE : Comédie, Famille
RÉALISATEUR : Carlos Saldanha
PAYS : États-Unis
PROJECTIONS :
Casablanca : Mégarama
Rabat : Mégarama, CineAtlas
Marrakech : Mégarama
El Jadida : CineAtlas
DEPUIS LE 23 OCT 2024
DEPUIS LE 23 OCT 2024
DEPUIS LE 23 OCT 2024
NOM DU FILM : Transformers :
le commencement
DURÉE : 104 minutes
GENRE : Animation
RÉALISATEUR : Josh Cooley
Novembre 2024 / Maroc
91
STREAMING/VOD
DAREDEVIL: BORN AGAIN
LE RETOUR DU JUSTICIER AVEUGLE
LA CAGE
LE MMA DANS TOUS
SES COUPS
La première série française dédiée au monde
du MMA débarque bientôt sur Netflix avec cinq
épisodes de 45 minutes. Coréalisée par Franck
Gastambide et David Krespine, cette série promet
de nous plonger au cœur de la compétition
impitoyable et des coups physiques et émotionnels,
avec des séquences haletantes et des
performances physiques époustouflantes
Portée par Melvin Boomer (Sage homme, Le
Monde de demain) et le rappeur Bosh, la série
peut également compter sur la participation de
Georges Saint-Pierre, légende de l’UFC, ainsi
que de combattants renommés comme Ciryl
Gane, Abdoul Abdouraguimov, Salahdine Parnasse,
etc… Pour les fans de sports de combat et de
drames intenses, cette série est un rendez-vous
incontournable sur Netflix.●
« La Cage » arrive sur Netflix le 8 novembre
Les fans de l’univers Marvel retrouveront
Matt Murdock, l’avocat aveugle aux capacités
surhumaines, dès le 4 mars 2025
sur Disney+ avec Daredevil: Born Again.
Après plusieurs années de silence, retour
fracassant dans l’univers de Hell’s Kitchen.
Dans cette nouvelle version, Matt Murdock
(Charlie Cox) gère son cabinet d’avocats
tout en reprenant son costume de Daredevil
pour affronter les criminels de New
York. Cependant, l’ancien chef de la
mafia Wilson Fisk (Vincent D’Onofrio),
maintenant engagé dans une carrière
politique, revient hanter son passé. Les
deux hommes se dirigent vers un inévitable
affrontement qui risque de bouleverser
leur ville.
Le casting réunit également des talents
tels que Margarita Levieva, Deborah Ann
Woll, Elden Henson, et bien d’autres, sous
la direction de Dario Scardapane en tant
que showrunner. La série est réalisée par
un ensemble de réalisateurs, dont Justin
Benson et Aaron Moorhead, et promet
une intensité dramatique et des scènes
d’action à la hauteur des attentes des fans.●
« Daredevil : Born Again » débarque sur Disney+
le 4 mars prochain
DUNE: PROPHECY
LES ORIGINES
DES BENE
GESSERIT
Dune: Prophecy, l’une des séries les
plus attendues de l’année, débarque
sur HBO Max le 17 novembre 2024.
Ce préquel à l’univers de Dune, 10
000 ans avant les événements des
films de Denis Villeneuve, revient
sur les origines des Bene Gesserit,
ces femmes aux capacités extraordinaires
qui manipulent l’avenir
de l’humanité.
Le casting de la série est prestigieux,
avec Emily Watson dans le rôle de
Valya Harkonnen et Olivia Williams
dans celui de sa sœur, Tula et d’autres
personnages qui vont tous se retrouver
mêlés à des luttes de pouvoir féroces.
Sous la direction d’Alison Schapker
(Westworld) et avec Denis Villeneuve
comme producteur exécutif, Dune:
Prophecy, la série comptera six
épisodes, diffusés chaque semaine,
pour une expérience immersive dans
cet univers mythique.●
« Dune : Prophecy », à partir du 17
novembre sur HBO
92 Maroc / Novembre 2024
LIRE, VOIR ET ÉCOUTER
VOIR
THE VILE EYE
LIVRE
CINÉCASABLANCA,
LA VILLE BLANCHE
EN 100 FILMS
Dans CinéCasablanca, la Ville Blanche en
100 films, Roland Carrée et Rabéa Ridaoui
sélectionnent cent films, nationaux et internationaux,
allant du début du XX e siècle à
nos jours, pour décrire la manière dont
Casablanca y est représentée. Les auteurs,
Roland Carrée, enseignant en cinéma à
l’ESAV de Marrakech, et Rabéa Ridaoui,
ancienne présidente de l’association Casamémoire
et formatrice en cinéma à l’Institut
français du Maroc, réinventent le récit de la
ville blanche tout en parcourant l’histoire
du cinéma, entrelaçant ainsi les films et la
ville avec une dimension poétique. Les
auteurs y explorent les intentions artistiques,
le choix des lieux de tournage, ainsi que le
contexte historique et architectural, tout en
décryptant comment ces représentations
se rapportent à la réalité de la ville.●
Disponible en librairie aux Éditions Le Fennec,
2024 (288 pages). Prix public : 200 DH
Vous êtes amateur de films d’horreur ?
Les personnages maléfiques et complexes
vous intriguent ? The Vile Eye est la
chaine de vidéos qu’il vous faut pour
explorer en profondeur les méchants,
monstres et esprits torturés qui peuplent
nos cauchemars cinématographiques.
Chaque épisode dissèque minutieusement
les œuvres emblématiques du
genre horrifique, tout en offrant des
analyses psychologiques et narratives
captivantes sur la construction de ces
figures sombres. Que ce soit pour
comprendre les motivations d’un tueur
ou la symbolique derrière un film culte,
The Vile Eye vous invite à un voyage
fascinant à travers l’histoire et l’impact
de l’horreur.●
Disponible sur YouTube
ÉCOUTER
PODCAST MACHI ROJOLA - ÉPISODE 2, SAISON 3
est questionnée et réévaluée, Ismael El
Iraki, réalisateur marocain connu pour son
film Zanka Contact, partage ses réflexions
sur la masculinité, la vulnérabilité et l’expression
artistique au Maroc. À travers une
conversation sincère et sans filtre, El Iraki
aborde des sujets tels que la représentation
des hommes dans le cinéma, l’impact
de la culture sur la construction des identités
masculines, et son propre parcours
en tant que créateur. Un dialogue captivant
qui déconstruit les normes traditionnelles,
tout en offrant un éclairage sur les réalités
sociales et culturelles marocaines.●
Dans cet épisode de Machi Rojola, le
podcast marocain où la notion de «virilité»
Disponible sur Spotify et toutes les plateformes
de streaming.
94 Maroc / Novembre 2024
FINAL
CUT
ADIL AISSA
Compositeur de musique de films, sound designer et
sound mixer, il est l’un des noms les plus respectés dans
l’industrie cinématographique marocaine. Diplômé en
musique en 1994, il a depuis ouvert quatre studios
d’enregistrement et collaboré sur de nombreux projets
cinématographiques . Son travail, empreint de finesse et
d’humanité, a marqué plusieurs productions marocaines et
internationales. Rencontre avec Adil Aissa, l’homme qui
murmure à l’oreille des films.
INTERVIEW MENÉE PAR JIHANE BOUGRINE - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
Parle-nous de ta dernière collaboration…
Ma dernière collaboration a été sur Mira
de Nour-Eddine Lakhmari. C’était une très
belle opportunité, car travailler avec un réalisateur
que j’admire beaucoup a été un
honneur. Nous avons passé près de huit
mois sur le projet musical, où le thème central
s’inspirait du Moyen Atlas, avec des
sonorités purement traditionnelles marocaines.
Il y a eu des moments où certains
thèmes ont été abandonnés
après beaucoup de travail, mais c’est
cela la magie de la création. Ce
que j’ai apprécié le plus, c’est la
grande écoute de Nour-Eddine.
Il était ouvert aux propositions,
et nous faisions
souvent écouter
nos morceaux à nos
proches pour obtenir
des retours. Ce fut un véritable échange,
rempli d’humanité et de fraternité.
Quel a été ton plus grand défi à ce jour ?
Le plus grand défi de ma carrière a été durant
une série pour le Ramadan. La production
était en retard et j’ai dû composer et mixer
30 épisodes sans équipe, à raison de trois
épisodes par jour ! C’était inhumain ! (rires).
D’habitude, avant de commencer un projet,
je fais une séance de visionnage avec le
réalisateur pour avoir un ressenti global sur
le montage et le rythme du film. Ensuite, je
travaille avec une équipe dédiée sur le montage
des dialogues, les bruitages et la composition.
Mais sur ce projet-là, c’était une
course contre la montre. Malgré tout, cela
m’a appris la gestion du stress et l’importance
de l’organisation.
As-tu récemment découvert un film que
tu recommanderais ?
Je recommanderais Man on Fire de Tony
Scott. C’est un film qui me touche à chaque
visionnage, notamment par le travail remarquable
sur le son. Denzel Washington, qui
est l’un de mes acteurs préférés, livre une
performance saisissante. J’ai vu tous ses
films, mais celui-ci a une place particulière
dans mon cœur. La combinaison
de l’intensité dramatique et du travail
sonore en fait un chef-d’œuvre que je
revis toujours avec plaisir.
La dernière fois que tu as pleuré devant
un film ?
J’ai pleuré cette année en regardant The
Goat Life. C’est le premier film indien que
j’ai regardé en entier, et il m’a touché profondément.
Je n’ai pas l’habitude des films
indiens, mais celui-ci m’a surpris. L’acteur
principal est incroyable, il a incarné son rôle
avec une telle vérité que l’émotion est passée
directement. C'est rare pour moi qu'un
film me fasse pleurer, mais celui-là a réussi.●
96 Maroc / Novembre 2024
LE CLAP DE AICHA AKALAY
JOURS D’ÉTÉ : UNE
FRESQUE POÉTIQUE SUR
LES RUINES DU PASSÉ
Quel est ce monde où la poésie n’a
plus sa place ? Ainsi s’interroge
Kamal, personnage campé par
Faouzi Bensaidi, dans son dernier film, Jours
d’été. Ce monde-là, ce n’est surement pas
celui du réalisateur marocain qui signe un
poème serti d’un générique. Cela commence
même dès l’affiche du film : très
belle, dans un nuancier de couleurs
chaudes, puis un roll up d’une autre déclinaison
de l’affiche du film, juste avant d’entrer
en salle. Dans un multiplexe, c’est la
seule équipe de film qui fait l’effort de la
variété. On distingue un remake de la
sublime affiche bleue des Parapluies de
Cherbourg de Jacques Demy. À la place
de Catherine Deneuve, Mouna Fettou. À la
place de Nino Castelnuevo, Faouzi Bensaidi.
Avant de s’engouffrer dans l’obscurité,
ces égards de beauté annoncent au
spectateur que dans ce monde, sa sensibilité
sera respectée.
Quand la lumière se fait, nous sommes à
Tanger. L’entrée de la ville est marquée par
des époques bouleversées, sans pouvoir
dire si c’est pour mieux ou pire. Des bâtiments
qu’on érige, la dynamique d’une
ville qui grossit, s’industrialise, mais garde
les stigmates persistants d’une cité par
laquelle on pénètre par la plus laide des
entrées. Une Tanger nostalgique de sa
marque internationale, devenue simple
ville de passage, redevenue eldorado pour
âmes sensibles.
QUEL EST CE MONDE OÙ LA POÉSIE
N’A PLUS SA PLACE ? AINSI
S’INTERROGE KAMAL, PERSONNAGE
CAMPÉ PAR FAOUZI BENSAIDI, DANS
SON DERNIER FILM, JOURS D’ÉTÉ
La famille que l’on va découvrir dans Jours
d’été, a elle aussi eu un glorieux passé, des
drames également. Alors qu’elle risque de
perdre son opulente villa, on peine à franchement
souhaiter la rédemption de cette
bourgeoisie déclinante, où l’héritage
compte jusqu’aux enfants du personnel.
Dépossédée, peut-être la famille va-t-elle
« apprendre à travailler, et donc à partager »,
selon les mots de Ghita, la benjamine, sublimement
incarnée par Nadia Kounda.
Et Faouzi Bensaidi, de tout son art, de donner
du rythme à ses acteurs — le très juste
Mouhcine Malzi, la femme libre Mouna Fettou,
l’hypnotique Said Bey, l’évanescent
Faouzi-lui-même — dans des séquences
qui se succèdent avec poésie. Comme
lorsque Ghita danse la vie, entourée d’une
horde de jeunes joyeux dans la demeure
familiale, en face d’eux, des vieux, assis sur
un canapé, leurs visages déconfits en observant
ces déhanchements qui leur échappent.
Deux mondes face à face.
Le monde que Faouzi Bensaidi fait triompher,
c’est celui que choisit l’auteur russe
Anton Tchékhov dans La Cerisaie et que
le réalisateur marocain reprend comme
trame. En 1904, Tchekov fait dire à Trofimov
: « C’est pourtant lumineux que pour
commencer à vivre au présent, il faille
d’abord expier notre passé, en finir, et on
ne peut l’expier que par la souffrance,
que par le labeur inouï, constant. Il faut
que ceci soit clair pour vous, Ania ». Ghita
est l’Ania marocaine, et le message est
clair pour elle. La poésie de Bensaïdi tient
à ça : passer de la Russie au Maroc, du
20e au 21e siècle, avec la cohérence des
grands artisans de film. Qui ira voir ce
film ? C’est peut-être un début de réponse
à la question qui traverse cette œuvre :
quel est ce monde où la poésie n’a plus
sa place ?●
98 Maroc / Novembre 2024