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Texte - Le conflit Israélo-palestinien

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ISRAËL-PALESTINE : UNE INITIATIVE POLITIQUE POUR SORTIR DE LA CRISE

L'équipe de recherche du département Politique et religions du Collège des Bernardins et

l'IREMMO ont initié un groupe de travail pour sortir de la crise israélo-palestienne. Une

vingtaine de personnalités politiques, de journalistes, de religieux, d’universitaires d’Israël, de

Palestine, d’Arabie, d’Iran, du Liban, de Jordanie, des États-Unis, de Russie, de France a été

entendue et le travail a été mené en coopération étroite avec les autorités françaises et

européennes.

Texte, 21 MAI 2024 - Signataires :

Antoine Arjakovsky, co-directeur de recherche, Collège des Bernardins

Jean-Paul Chagnollaud, professeur des universités émérite, président de l’IREMMO

Michel Duclos, ancien ambassadeur de France, conseiller à l’Institut Montaigne

Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS, IREMMO

Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France, Collège des Bernardins

Agnès Levallois, vice-présidente, IREMMO

La guerre de Gaza ouverte par les évènements tragiques du 7 octobre 2023 est une crise

majeure, porteuse de scénarios noirs, mais également d’une opportunité qu’il faut saisir pour le

règlement du conflit israélo-palestinien.

I Analyse de la situation

1 - L’inflexion stratégique du Hamas

A l’origine de cette crise, il y a l’inflexion stratégique opérée par le Hamas depuis 2021, sous

l’impulsion de ses dirigeants basés à Gaza, dont Yahya Sinwar, le vrai chef militaire du Hamas.

Alors que le Hamas gouvernait Gaza depuis 2006 sans risque particulier pour lui, du fait de la

relation de « connivence » établie avec le gouvernement de Netanyahu, les dirigeants de Gaza

vont décider de se préparer à une vraie guerre avec Israël. Cette guerre se fera aux dépens du

jeu institutionnel et diplomatique, avec l’objectif principal de ravir le leadership palestinien à

une Autorité palestinienne perçue comme « collaboratrice » et ayant trahi les intérêts du

peuple palestinien.

Alors que Mahmoud Abbas avait de nouveau annulé en 2021 les élections palestiniennes par

peur de les perdre face au Hamas, alors que l’Arabie saoudite s’apprête à signer un accord de

normalisation avec Israël qui aurait complété les « accords d’Abraham », des accords de

normalisation entre Israël et certains pays du Golfe et le Maroc sous la houlette américaine,

alors que Benjamin Netanyahu semble avoir réussi son objectif « d’enterrement » de la

question palestinienne, alors que les pays arabes ainsi que les pays occidentaux, depuis la fin

de la seconde Intifada, se sont « lassés » de la question palestinienne, le Hamas a décidé de

briser le statu quo par une action d’une violence inouïe. À l’inverse de la stratégie choisie par

l’Autorité palestinienne après Oslo, stratégie qui a échoué en ne produisant pas l’État

palestinien et en provoquant la colonisation des territoires, il faut revenir au combat armé,

provoquer une nouvelle Intifada de grande ampleur et ébranler Israël, seule façon d’obtenir des

résultats politiques tangibles pour le peuple palestinien. L’ébullition nouvelle à Naplouse et

dans d’autres centres de la Cisjordanie liée aux provocations anti arabes de colons chauffés à

blanc par les partis ultra nationalistes désormais présents au gouvernement israélien depuis les

élections de décembre 2022 convainquent encore plus les dirigeants du Hamas de la

possibilité d’une nouvelle Intifada.

©LucPäris


Communiqué de presse - SEPTEMBRE 2024

2 - L’entrée dans une nouvelle phase du conflit israélo-palestinien

L’opération armée du 7 octobre n’est pas seulement le retour brutal sur la scène internationale

du conflit israélo-palestinien, disparu de l’horizon diplomatique depuis une quinzaine d’années.

Ce qui est nouveau est que ce vieux conflit est entré depuis le 7 octobre dans une phase

nouvelle, inquiétante et dangereuse, de son histoire. D’abord, la guerre enclenchée par

l’opération du Hamas et la réaction israélienne est la plus meurtrière et la plus destructrice de

toute l’histoire du conflit. Elle a tué 1 200 civils israéliens le 7 octobre et plus de 35. 000

palestiniens dans les 8 mois de la guerre. Elle a également additionné les crimes de guerre des

deux côtés, elle a provoqué une « catastrophe humaine » de grande ampleur pour les deux

millions d’habitants de la zone de Gaza. D’autre part, cette guerre est marquée par le poids des

acteurs religieux, le Hamas d’un côté et les partis « nationaux religieux » israéliens de l’autre, la

radicalité de leurs discours et de leurs comportements, rendant encore plus difficile que

d’habitude toute négociation et tout accord. Enfin, pour la première fois, le conflit israélopalestinien

a provoqué une guerre régionale, entre Israël et l’Iran, qui aurait pu déraper plus

encore. Ces trois facteurs nouveaux du conflit israélo-palestinien, la violence destructrice, la

radicalité religieuse, et la régionalisation du conflit, font que ce conflit, que l’on croyait être « à

petit feu », est devenu un « brasier ardent » dangereux non seulement pour le Moyen-Orient

mais également pour la sécurité internationale.

3 - Quatre scénarios « noirs »

Cette crise majeure de Gaza peut produire des résultats catastrophiques.

Comme l’a révélé la séquence guerrière israélo-iranienne d’avril 2024, il y a la possibilité

d’une guerre régionale par l’escalade d’un incident entre Israël et un acteur lié à l’Iran,

pouvant déboucher sur la confrontation armée entre l’Iran et Israël, et conduisant États

occidentaux et pays arabes à s’y impliquer.

Il existe également la possibilité d’une nouvelle « Nakba », d’un nettoyage ethnique par le

transfert massif de palestiniens de Gaza en Égypte, un scénario ouvertement affiché par

l’extrême droite israélienne, souhaité par une partie du Likoud, et qui hante les dirigeants

palestiniens.

Il est un troisième scénario « noir « possible, celui d’un Gaza devenu une « Somalie », une

zone sans maître, chaotique, objet d’affrontements sans fin entre l’armée israélienne et des

éléments reconstitués du Hamas, à l’image du Liban sud occupé entre 1978 et 2000.

Il est enfin le scénario d’une Cisjordanie enflammée par la guerre de Gaza, débouchant sur

une troisième Intifada.

Chacun de ces scénarios entraînerait une radicalisation des esprits tant en Israël que dans les

territoires palestiniens, faisant naître notamment une génération de palestiniens prônant la lutte

armée sous toutes ses formes.

Ces quatre scénarios « noirs » sont les plus probables si on laisse cette guerre de Gaza se

poursuivre.

©LucPäris

4 - Le blocage du processus d’Oslo

Or, les deux protagonistes restent tous deux dans une logique de guerre totale et sont

incapables d’en sortir par eux-mêmes.


D’un côté, la « catastrophe humaine » vécue à Gaza n’est pas ressentie en Israël, tant il y

domine l’idée d’une vengeance de masse contre les atrocités du 7 octobre, illustrée par les

propos suivants rapportés par un témoin :« C’est la faute du Hamas, ils s’en prennent plein la

gueule maintenant, et si ça évite d’avoir une autre tragédie, ça en vaut le coup ».

Le profond traumatisme du 7 octobre demeure entier dans la quasi-totalité de la société

israélienne. Certes, les nuances sont réelles entre le premier ministre Netanyahu, le ministre de

la Défense Y. Gallant, les deux représentants du parti de l’Unité Nationale entrés dans le

cabinet de guerre B. Gantz et G. Eisenkot, sur la conduite de la guerre ou les négociations sur

la libération des otages. Mais le double objectif de l’élimination de la menace militaire du Hamas

et d’une sécurisation totale de la bande de Gaza est partagé par tous les dirigeants politiques et

est largement soutenu par la population israélienne. Le premier ministre Netanyahu, jusqu’ici, a

joué la prolongation de la guerre. Il sait que tant que la guerre continue, elle lui sert de bouclier

légitime face à tous ses détracteurs, et que s’il en sort vainqueur, il peut retrouver l’image qui

était la sienne avant le 7 octobre du vainqueur. D’autre part, il sait pertinemment que tout arrêt

de la guerre fera éclater son gouvernement sur les conditions d’arrêt de celle-ci ainsi que sur la

définition du « jour d’après ». Pour les ultra nationalistes, Gaza est une zone à reconquérir

territorialement et à recoloniser, alors que le ministre de la Défense Y. Gallant a affirmé le

contraire en indiquant que l’enclave devra être transféré le jour venu à une Autorité

palestinienne renforcée.

Ainsi, pour l’heure, tant la majorité de la population que la majorité du gouvernement israélien,

le premier ministre Netanyahu en tête, soutiennent la poursuite de la guerre.

De leur côté, les organisations palestiniennes combattantes, Hamas et Djihad Islamique, ont

campé depuis le 7 octobre sur leurs revendications initiales, un cessez-le-feu immédiat et

définitif, un retrait total des troupes israéliennes, une levée du blocus, et un retour dans le nord

de l’enclave des populations. Elles n’en ont pas varié, comme si elles étaient convaincues

qu’elles maîtrisaient le temps de la guerre. Pour le Hamas qui a déclenché cette guerre, il est

essentiel de la poursuivre jusqu’au moment ou un accord de cessez-le-feu apparaisse comme

une « victoire » politique.

La question centrale, aux yeux de Y. Sinwar, est la fin de l’occupation israélienne de Gaza. Le

Hamas veut en premier lieu rester le futur « patron » de Gaza et devenir vis à vis d’Israël le «

Hezbollah de Gaza ». Fort de son emprise sur une partie de l’administration et de la police

gazaouie, il pense qu’il pourrait reconstituer très vite une force combattante ainsi que son

contrôle sur la population après le départ des troupes israéliennes. Il demeurerait ainsi l’acteur

maître à Gaza, ce qui est et restera totalement inacceptable pour les Israéliens, gouvernement

et population.

Ainsi, à l’heure présente, les deux protagonistes, Israël et le Hamas, restent dans une logique de

guerre. Malgré les pertes humaines des deux côtés et les immenses souffrances infligées à la

population civile de Gaza, les deux belligérants restent déterminés à gagner cette guerre, tant

chacun des deux a le sentiment de jouer sa peau, physique ou politique. Parce que le Hamas et

Israël, et pas seulement Netanyahu, veulent tous deux sortir vainqueurs de cette guerre, et

parce qu’ils pensent tous deux y arriver, la guerre de Gaza dure depuis près de sept mois. Et si

demain il y avait une trêve ou un cessez-le feu, le gouvernement israélien, le Hamas mais

également l’Autorité palestinienne seraient incapables d’organiser l’avenir de Gaza.

©LucPäris

On doit bien constater aujourd’hui l’impuissance des deux protagonistes, Israël et les

Palestiniens, à bâtir par eux-mêmes une paix et une sécurité mutuelle. Après le double échec

des années 1995/1996 et de l’année 2000, les deux protagonistes du conflit israélo-palestinien

n’ont plus eu la capacité ni la volonté de négocier et de compromettre pour un accord final sur

l’État palestinien.


Les 15 années de règne quasi ininterrompu de Netanyahu, l’homme qui a toujours affirmé son

hostilité totale à tout État palestinien, ont joué un rôle certain dans « l’enterrement » du

processus d’Oslo. De plus, Oslo a toujours été plus ou moins une relation du pot de fer israélien

avec le pot de terre palestinien. Et Oslo a couvert le processus de la colonisation des territoires

palestiniens. Il fallait bien constater, dès avant le 7 octobre 2023, que des deux côtés, la

méfiance et la frustration, voire le rejet de l’autre, avaient fait disparaître toute volonté de bâtir

une cohabitation de deux États. Le 7 octobre 2023, voulu par le Hamas, est un produit dérivé,

tragique et insupportable, de cette crise de longue durée qui marque la question palestinienne.

Et à son tour, le 7 octobre et la guerre de Gaza, par les traumatismes engendrés dans les deux

peuples et leurs dirigeants, ont rendu encore plus impossible un dialogue israélo-palestinien

productif.

Il faut donc tirer les leçons du blocage du processus bilatéral israélo-palestinien, dont ne

profitent plus que les acteurs radicaux israéliens et palestiniens. Le processus d’Oslo donc ne

peut plus être le cadre du règlement du conflit israélo palestinien.

5 - Les perspectives de sortie de crise sont très limitées – un trou de souris – mais réelles

Est-il possible, cette fois ci, de régler le conflit israélo palestinien ? La réponse est « oui ».

Paradoxalement, la guerre de Gaza peut rebattre toutes les cartes du conflit israélo-palestinien.

Tout était bloqué, tout peut se rouvrir. Il existe un scénario positif, celui du « trou de souris ».

La crise de Gaza pourrait ouvrir la voie à un processus par lequel se mettrait enfin en place la

mise en œuvre du principe des deux États par la création d’un État palestinien. Certes, si l’on

prend en compte le traumatisme anti-palestinien de l’opinion israélienne après le 7 octobre, la

politique du gouvernement israélien actuelle, l’étendue de la colonisation en Cisjordanie,

l’impotence et la faiblesse des dirigeants palestiniens, la radicalité du Hamas, « l’Axe de la

résistance » animé par l’Iran, la possibilité d’une Amérique présidée demain par D. Trump, il

existe une chance sur dix pour que ce scénario « rose » voit le jour. Il est d’autant plus

important de saisir cette possibilité, d’explorer ce « trou de souris ».

La gestion de « l’après-guerre » de Gaza devrait être soustraite des mains des protagonistes et

revenir à la communauté internationale. Alors que le processus d’Oslo était venu confier le

règlement de la question palestinienne aux seuls protagonistes, l’ampleur et la gravité de la

crise actuelle doivent conduire à effectuer un retour aux sources de la question de la Palestine.

Car seules les puissances autres que les protagonistes pourront produire la sortie de crise.

II Que faire dans l’immédiat ?

1 - Prendre trois initiatives politiques

La première phase du scénario du « trou de souris » serait la suivante. Il faut que se manifeste

dès maintenant une forte volonté politique de tous les acteurs qui souhaitent sortir de cette

crise par le haut et bâtir un nouveau processus de paix. Cette forte volonté politique devrait

s’affirmer dès maintenant par trois initiatives, la reconnaissance de l’État palestinien, l’adoption

d’une résolution du Conseil de Sécurité sur les principes d’un règlement et la constitution d’une

« coalition pour la paix et la sécurité ».

©LucPäris


La reconnaissance de l’État palestinien

D’emblée, il faut affirmer les principes qui constituent la toile de fond du règlement du conflit

actuel. Ces principes sont ceux qui découlent de la doctrine des deux États.

Le premier principe est l’affirmation de l’État palestinien regroupant la Cisjordanie, Gaza, et

Jérusalem Est, et l’engagement de sa construction dans les deux prochaines années. Il est

important que l’initiative de reconnaissance de l’État palestinien vienne des pays européens de

façon à montrer que ces derniers ne pratiquent pas la doctrine des « deux poids deux mesures

» entre la crise ukrainienne et la crise de Gaza. Dans cet esprit, il faudrait que les actes de

reconnaissance de l’État palestinien souhaités par plusieurs États européens soient

coordonnés dans une même séquence.

Une nouvelle résolution du Conseil de Sécurité sur les deux États israélien et palestinien

Les Nations Unies, et plus particulièrement le Conseil de Sécurité, doivent retrouver leur rôle

quant à la définition des principes d’un règlement du conflit. Par ses résolutions, le Conseil peut

produire des principes fondamentaux, des règles de référence. Il l’a fait en 1948 par la

résolution 181 de partage de la Palestine, en 1967 avec la résolution 242 au lendemain de la

guerre des 6 jours, en 2002 au moment de la seconde intifada par la résolution 1397 affirmant

la solution des deux États, et en 2016 par la résolution 2334 sur la colonisation.

Dans la foulée de ces reconnaissances, les pays européens devraient porter le projet français

de résolution devant le Conseil de sécurité sur l’État palestinien souverain et son admission

aux Nations Unies. Même si ce projet n’était pas adopté du fait du veto américain, il aurait

constitué un « marqueur » important et devrait ouvrir la voie à un « dialogue » européoaméricain

sur l’État palestinien.

Mais il est un second principe essentiel, qui est la garantie de la sécurité d’Israël. Il faut être

clair. La sécurité d’Israël ne reposera pas, bien sûr, sur la conquête ou l’occupation des

territoires palestiniens. Mais elle ne reposera pas non plus sur la seule construction d’un État

palestinien. Un État palestinien en soi n’est pas une garantie suffisante de paix et de sécurité

pour rassurer Israël. Il faudra, pour une période transitoire de plusieurs années, établir une

séparation forte entre les deux États combinée à la présence d’une force internationale «

robuste » et à un État palestinien démilitarisé au sein duquel les milices se seraient dissoutes.

Création d’une « Coalition pour la paix et la sécurité »

Tous les témoignages confirment que l’émotion et les tensions politiques, humanitaires et

religieuses, sont telles que les acteurs locaux sont dans l’incapacité de régler le conflit. Il faut

donc retirer les clefs du règlement du conflit israélo-palestinien des mains d’Israël et des

acteurs palestiniens.

L’histoire a montré que l’ONU ne peut pas par elle-même assurer l’application de ses principes

sur le terrain. Elle ne peut donc pas être à elle seule le nouveau cadre de règlement du conflit

israélo-palestinien. La plupart des témoins auditionnés ont exprimé le souhait, voire la

nécessité de la formation d’une « volonté collective », propre à imposer une solution à des

protagonistes plus que jamais adversaires, et donc impuissants. Il faut maintenant sauter le pas

et bâtir cette « volonté collective ».

©LucPäris


Il faut donc créer un cadre nouveau, adapté à la situation actuelle du conflit israélo -

palestinien. Ce ne peut pas être non plus la seule Amérique, ni un nouveau Quartet (USA,

Russie, UE, ONU), ni le seul couple américano-saoudien, qui pourraient aujourd’hui remplir les

objectifs de la reconstruction de Gaza et sa sécurisation, pousser à la réorganisation du

mouvement palestinien, et relancer le processus des deux États. Il faut un cadre « inclusif »

embarquant tous les acteurs impliqués dans la gestion du conflit.

La « Coalition pour la paix et la sécurité », serait un groupe opérationnel d’États agissant

comme facilitateur, un arbitre et un garant de la construction du « jour d’après », et donc doté

d’objectifs et de leviers d’action. Le premier cercle de cette « Coalition pour la paix et la

sécurité » doit comprendre l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte, la Jordanie, le

Qatar, les États -Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’UE. Il existe aujourd’hui un certain «

alignement des planètes » entre tous ces États à peu près en accord sur les principes

fondamentaux de résolution du conflit israélo-palestinien. Les États arabes n’étant pas

parvenus jusqu’ici à obtenir des États-Unis l’écoute qu’ils espéraient, la France devrait agir à

l’occasion des prochaines rencontres euro arabes pour constituer dans une première étape

une coalition euro-arabe. Ce premier cercle pourrait s’élargir à d’autres États décidés à

s’impliquer dans tel ou tel domaine de la solution du conflit (forces de sécurité, reconstruction

de Gaza…).

Les termes de référence de cette « Coalition pour la paix et la sécurité » serait un mandat pour

faciliter les changements politiques, les « bascules » devant conduire à l’issue du conflit.

Autant dire que la « coalition » aurait à gérer une période de transition de plusieurs années.

2 - Faciliter quatre changements politiques, quatre « bascules »

La construction d’un nouveau statut de Gaza

La « coalition » aura une triple tâche à accomplir pour permettre cette première bascule.

Dans l’immédiat, elle doit agir de façon beaucoup plus active et coordonnée pour le

rétablissement d’une sécurité humanitaire, alimentaire et sanitaire à Gaza. Il existe en quelque

sorte un devoir « d’ingérence humanitaire ».

Mais elle doit également peser de tout son poids sur les deux protagonistes pour la cessation

de la guerre. Elle doit d’autant plus agir en faveur de la fin de la guerre que celle-ci devrait

avoir des conséquences importantes, sur l’attitude du Hezbollah à la frontière libanaise, mais

aussi en Israël ou le débat politique devrait se débloquer.

Enfin, la « coalition « doit préparer le « jour d’après ». La « coalition » devra être garante de la

sécurité d’Israël ainsi que du futur État palestinien. Cela ne peut se faire que si elle devient pour

une certaine période le « tuteur » de Gaza. Car compte tenu de la faiblesse présente de

l’Autorité Palestinienne et de la méfiance viscérale d’Israël à son égard, une longue phase de

transition sera nécessaire avant le plein retour de l’Autorité Palestinienne à Gaza. Le statut

futur de Gaza ne doit être ni le « Hamastan », ni l’occupation israélienne. Il s’agit de remettre

progressivement en selle une Autorité palestinienne renouvelée, capable de gérer le territoire

dans l’ordre et l’efficacité, après la période de gestion transitoire assurée par la « coalition ».

©LucPäris

Ce « tutorat » sur Gaza sera légitimé par une résolution du Conseil de Sécurité. Il comprendra

l’affirmation des « principes de Tokyo » adoptés par le G7 de novembre 2023 (fin de la

plateforme terroriste, pas de déplacement forcé des populations, levée du blocus, non

réoccupation de Gaza), l’organisation du retour progressif de la population au nord, la

reconstruction de la ville, la mise sur pied d’une administration « mixte », palestinienne et

internationale, combiné au retour des institutions internationales, mais également les garanties

de la sécurité d’Israël par rapport à Gaza (buffer zone), un statut de démilitarisation de Gaza, la

présence d’une force internationale “robuste “.


Il s’agit là d’une tâche considérable. Ce tutorat n’a aucune chance de se déployer si, dans le

même temps, la colonisation se poursuit en Cisjordanie avec toutes les violences qu’elle

implique à l’égard de la société palestinienne. Il est donc nécessaire que la « coalition »prenne

des mesures énergiques pour la faire cesser.

Une profonde réorganisation du mouvement palestinien

Il faut bien distinguer l’Autorité palestinienne et l’Olp, et les réformes nécessaires de ces deux

institutions. L’acteur majeur demeure l’OLP.

La crise actuelle amène à soulever une question, celle de l’avenir du Hamas. On sait que les

avis sont très partagés sur l’avenir du Hamas. Mais ce que l’on peut dire est que le Hamas ne

disparaîtra pas après la guerre de Gaza. Le Hamas n’est pas qu’une organisation pratiquant le

terrorisme. Il est dans son histoire un mouvement religieux, puis une organisation politique,

présente dans les élections palestiniennes et vainqueur en 2006. On n’élimine pas une

idéologie, aussi critiquable qu’elle soit. Un certain nombre de responsables du Fatah, dont

l’ancien premier ministre Salam Fayad, l’ancien leader du Fatah emprisonné depuis la seconde

intifada Marwan Barghouti, Nasser al Qidwa, tous critiques de Mahmoud Abbas, préconisent

l’élargissement de l’Olp à toutes les factions politiques palestiniennes y compris le Hamas. Cet

élargissement serait possible sous conditions de renonciation au terrorisme, d’acceptation des

accords conclus par l’Olp, et d’élaboration par l’Olp élargie d’une plateforme de règlement dans

le cadre d’une solution à deux États.

Quant à la future Autorité palestinienne, elle devra être formée au lendemain des élections

palestiniennes qui devront être organisées dans l’ensemble de la Palestine pacifiée.

Cette réorganisation du mouvement palestinien ne se fera pas facilement, par la seule volonté

de ses actuels dirigeants. Il a déjà fallu toute la pression américaine et saoudienne pour que

Mahmoud Abbas procède au changement de son gouvernement, un changement cosmétique.

La « Coalition », notamment les pays arabes et l’Union européenne, dispose de plusieurs

leviers politique et financier pour qu’émerge un mouvement palestinien tout à la fois

représentatif, ouvert aux nouvelles générations palestiniennes, et capable de gouverner un État

ainsi que d’exister en paix aux côtés d’Israël.

Un changement politique en Israël

Les sondages faits depuis le 7 octobre expriment une chute sensible du parti de Netanyahu, le

Likoud, ainsi que de sa propre personne. Et la fin de la guerre mettrait en branle plusieurs

processus, la possibilité d’une commission d’enquête contre le premier ministre, le départ du

couple B. Gantz /G. Eisenkot, l’explosion de la coalition gouvernementale sur les conditions

politiques de l’après-guerre, de nouvelles manifestations de rue analogues au mouvement de

2023. Il faut être conscient que l’opinion israélienne est très sensible à ce que le monde

extérieur dit d’Israël. La « coalition » aura en la matière un rôle essentiel à jouer pour rassurer

Israël sur son avenir sécuritaire, faire comprendre aux israéliens, plus traumatisés que jamais,

pourquoi et comment une solution à deux États vient consolider leur sécurité. Il faudra

développer le discours de la « séparation sécuritaire ». L’assurance de la constitution d’une

force internationale présente à Gaza et en Cisjordanie, de même que la perspective de la

normalisation de la relation avec l’Arabie saoudite, seront deux leviers importants.

©LucPäris


L’émergence d’un nouvel ordre régional

Il est clair que le règlement du conflit israélo-palestinien ne pourra se construire durablement

sans une implication forte de l’Arabie saoudite, ni sans une attitude « responsable « de l’Iran.

Cette « bascule » est possible, si on y travaille avec détermination en s’appuyant sur le

processus de normalisation ouvert entre les deux puissances. Il faut agir pour que l’Arabie

Saoudite et l’Iran se comportent comme de grandes puissances régionales « responsables ».

Il est indispensable que l’Arabie veuille vraiment jouer un rôle majeur dans la région et devienne

la puissance régionale garante d’une stabilité à Gaza et d’un règlement de la question

palestinienne, en échange de sa normalisation avec Israël et de son accord avec les États Unis

sur sa sécurité et le nucléaire. Rappelons que cette normalisation conditionnelle avait été

proposée en 2002 par « L’initiative de paix arabe », à l’initiative de l’Arabie saoudite.

La « coalition » devra se poser la question de sa relation avec l’Iran, certes adversaire d’Israël

et animateur de « l’axe de la résistance », mais grande puissance régionale forte de son

influence sur plusieurs acteurs locaux (Hezbollah, Houthis, Djihad Islamique, Hamas). Il faut

préconiser à ce sujet plutôt une relation de dialogue « franc et nourri » qu’une confrontation. Il

sera utile d’associer l’Iran aux travaux de la « coalition » en échange d’une évolution de sa

vision antagoniste de la région et de son rapport à Israël. Car l’acceptation du principe des deux

États, pour être viable et pacifique, ne doit pas être simplement le fait d’Israël et des

Palestiniens mais également des acteurs environnants, dont l’Iran et le Hezbollah. Et cela

passe par un certain ordre régional incluant l’Iran.

Conclusions

La création de l’État palestinien

Si ces différentes bascules se produisaient, au mieux dans les deux ans à venir, elles

faciliteraient l’ouverture d’un nouveau processus de résolution du conflit israélo-palestinien

reposant sur le principe des deux États.

L’ensemble des dossiers du futur État palestinien devra être traité dans un travail entre la «

coalition » et les deux parties israélienne et palestinienne. Ces dossiers sont l’établissement

des frontières et du territoire, le statut des colonies, la sécurité sur le Jourdain, la

démilitarisation, Jérusalem, le droit de retour des réfugiés, la gestion de l’eau, les relations

économiques de l’État palestinien.

Il existe d’ores et déjà deux éléments de référence essentiels. Ce sont les travaux menés en

parallèle aux Accords d’Oslo sur l’eau et l’économie. Et ce sont les documents de Taba,

négociés entre ministres israéliens et représentants d’Arafat en janvier 2001, la déclaration

commune publique et le « deposit » confidentiel. Les futurs paramètres de l’État palestinien y

sont déjà tous présents. Il suffit de les reprendre.

©LucPäris

Le scénario serait donc le suivant. Après que les différentes bascules se soient produites, le

processus de négociation entre la « coalition » et les deux protagonistes israélien et

palestinien met en place les paramètres de l’État palestinien. Une fois l’État palestinien établi,

les élections pourront avoir lieu pour la constitution des organes législatif et exécutif de

l’Autorité palestinienne.

La sécurisation des rapports entre Israël et l’État palestinien devra être garantie et assurée par

la « coalition ».


Face à la radicalité religieuse du conflit, une initiative forte pour une action commune des acteurs

religieux

A l’évidence, le conflit israélo-palestinien est pourvu aujourd’hui bien plus qu’hier d’une forte

dimension religieuse. La crise des acteurs laïcs israéliens et palestiniens, la montée en puissance des

acteurs religieux et des radicalisations religieuses, Hamas et partis ultra nationalistes religieux

israéliens, la « sacralisation » des territoires, font qu’il est essentiel qu’un message de paix, de

fraternité, de dialogue, condamnant fermement tout discours de haine et toute pratique enrôlant le

religieux dans des actions de violence, soit exprimé par les leaders religieux locaux, juifs, musulmans

et chrétiens. Le Vatican, le Conseil œcuménique des Églises, l’imam al-Tayyeb, de grands rabbins

européens et américains, devraient s’associer à ce message.

Au-delà, il sera nécessaire de promouvoir une résolution « intégrale » du conflit par

l’accompagnement de sociétés brisées par la haine. Un travail culturel, psychologique, approfondi

devra être mené des deux côtés. Le dialogue inter religieux local entre les trois monothéismes aura

dans cette perspective un rôle essentiel.

Agir en faveur du respect du droit international

Il y a eu à l’évidence, dans cette guerre de Gaza, un non-respect du droit humanitaire, ainsi que

l’accomplissement de crimes de guerre, tant par le Hamas que par Israël. Et il demeure des risques

de génocide. Il convient de poser la question de ce non-respect du droit international et notamment

d’agir en faveur de la liberté d’action de la Cour pénale internationale.

La France doit prendre l’initiative afin que ce scénario du « trou de souris » prévale. L’enjeu est

ambitieux mais il est à la hauteur de la crise ouverte le 7 octobre.

La France est très bien placée pour prendre l’initiative d’un tel projet de paix et de sécurité

La France a quatre atouts à faire valoir. Sa présence historique dans la région, son lien fort avec

toutes les puissances de la région, sa relation privilégiée d’amitié et de solidarité avec Israël et le

mouvement palestinien, et sa relation de travail avec l’Amérique. Aucune autre puissance

européenne ne dispose de ces atouts. Notamment, la France a toute la capacité d’agir et d’influer

auprès de ses partenaires européens, américain, et arabes, pour qu’un groupe d’États de bonne

volonté se forme au sein d’une « coalition » décidée à agir en faveur d’un processus de règlement,

d’un conflit séculaire qui a suffisamment duré.

Collège des Bernardins - 20 rue de Poissy - 75005 Paris

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