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ÉDITION SPÉCIALE / Octobre 2024
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : SOUFIANE SBITI
MAROC
Le cinéma au Maroc a enfin son magazine
ÉDITION SPÉCIALE / Octobre 2024
SPÉCIAL 24 ÈME ÉDITION
DU FESTIVAL NATIONAL
DU FILM DE TANGER
RENCONTRE AVEC
ABDELAZIZ EL BOUZDAINI,
PATRON DU CCM
2 Maroc / Octobre 2024
EDITO
PRIORITÉ AUX
FESTIVALS NATIONAUX
PAR LA RÉDACTION
Préférence nationale. Le concept, galvaudé
à l’étranger, est allégrement
mis en avant au Maroc. Dans l’industrie,
dans l’emploi comme dans les compétences.
Sauf que dans ce qui nous intéresse,
la préférence revêt un sens particulier lorsqu’il
s’agit de l’appliquer à nos festivals.
La préférence nationale s’entend ici plutôt
comme une protection faite au secteur du
cinéma. La nouvelle réforme du secteur
comprend ainsi des dispositions
encourageant
à cette protection, par
la nécessité d’obtenir
toute autorisation du
Centre cinématographique
marocain avant
de pouvoir prétendre
passer par des circuits
internationaux pour ses
productions.
Si la disposition pourrait
paraître comme
pénalisante, en matière
de temps, pour les producteurs
et réalisateurs
désireux de voir leurs
films briller à l’international, elle est pourtant
là pour leur faciliter, si ce n’est assainir,
une situation longtemps dominée par
des pratiques douteuses.
LE FESTIVAL
NATIONAL DU FILM
DE TANGER, UN
RENDEZ-VOUS
INCONTOURNABLE
QUE BOXOFFICE PRO
MAROC COMPTE
BIEN CONTINUER À
SOUTENIR
Comme nous l’expliquons dans un article
de ce numéro de Boxoffice Pro Maroc, un
phénomène de plus en plus répandu paralyse
depuis quelques années l’essor du
cinéma marocain. Des cinéastes ont recours
à de faux festivals et à de faux prix disponibles
un peu partout, et pour une faible
contrepartie, pour pouvoir affirmer, haut et
fort, que leur film a déjà vu fait le tour du
monde et a été récompensé pour cela.
Ce n’est donc non sans surprise, qu’à plusieurs
reprises, plusieurs cinéastes ont été
pris la main dans le sac pour ainsi dire. Souhaitant
communiquer
autour de leurs films, ils
se retrouvent à distiller
dans la presse des
noms de prix jusque-là
inconnus, décrochés
dans des festivals dont
la dénomination sent la
contrefaçon.
Comme pour trouver
remède à cela, le CCM
appuie, chaque année,
l’organisation du Festival
national du film de
Tanger. Il est défini
aujourd’hui comme un
rendez-vous incontournable
pour le cinéma marocain, préconisant
que les productions marocaines y
marquent tout d’abord leur premier stop,
avant de se tourner vers l’international
Boxoffice Pro Maroc compte bien continuer
à soutenir cette initiative, avec toujours
comme crédo, nos festivals nationaux
d’abord.●
MAROC
Directeur de la publication
et de la rédaction
Soufiane Sbiti
Rédaction
Salma Hamri
Jihane Bougrine
Lina Ibriz
Salomé Krumenacher
Chronique
Aïcha Akalay
Photos
Mathieu Soul
Alexandre Chaplier
MAP
Maquette
Pulse Media
Directeur artistique
Mohamed Mhannaoui
Maquettistes
Ezzoubair Elharchaoui
Zineb Azeddine
Directrice générale
Fatima Zahra Lqadiri
fz@storyandbrands.com
Business developer
Hajar Aziani
Régie publicitaire
Story & Brands
Impression
Les imprimeries du Matin
Distribution
Sapress
Remerciements
Centre Cinématographique Marocain
BOXOFFICE PRO MAROC
est édité par
Pulse Media
sous licence
The Boxoffice Company
de Global Cinema Maroc
Capital Business Office,
B 127, 6ème étage,
Bd Abdelmoumen,
Casablanca, Maroc
Site web :
www.boxoffice.com
Dépôt légal
10/2024
ISSN : 2024PE0026
Octobre 2024 / Maroc
3
SOMMAIRE
20
06 ZOOM SUR...
Le Festival national du film en quatre
décennies
Le bilan 2023 du Centre cinématographique
marocain
Le bilan 2023 du CCM en chiffres
La réforme du cinéma ce qu’apporte
le projet de loi 18-23
Comment le CCM soutient l’industrie
du cinéma ?
La Mostra de Venise, le cinéma marocain
s’exporte
20 INTERVIEW
Abdelaziz El Bouzdaini.. « Depuis que
je suis au CCM, j’essaye un maximum
d’accompagner les films à l’étranger »
26 À LA LOUPE
Cinéma Marocain, destination monde !
Faux-festivals de film en ligne,
4 Maroc / Octobre 2024
un phénomène de plus en plus répandu
Ces productions étrangères que le maroc
a accueillies
33 EN COMPÉTITION
Mora est là, la mémoire aussi
Animalia fantastique tragique
Quand Asmae El Moudir raconte le vertige
de la mémoire
Les Meutes : la nuit leur appartient
Voyage dans les chemins troubles du désert
L’empreinte du vent, un souffle égaré qui s’éparpille
moroccan badass girl a tout cœur
Fez Summer 55 au fil des luttes
La dernière répétition quand yassine oublie
d’être fennane
51 PAROLES À
Sofia Alaoui, une rencontre du troisième type
Ana Moukhrija, Asmae el Moudir
Asmae El Moudir, la cinéaste qui ausculte les
souvenirs
Kamal Lazraq, ce que l’on voit dans le film,
c’est la réalité assez brute
Faouzi Bensaidi, Déserts, ce tiers manquant
qui crée tout le mystère
Abdelhaï Laraki, sort du cadre
Malika Chaghal, Au début, Il fallait développer
tout un travail
de médiation culturelle qui était quasi inexistant
Mohamed Khouna, Nous devons être créatifs
et innovants pour attirer le public vers les salles
de cinéma
87 MAG'
2023, L’année de moisson pour Asmae El
Moudir
Effets spéciaux, Quand le cinéma marocain
rivalise avec les grands studios Hollywoodiens
La relation tumultueuse entre cinéastes et
critiques
Les deux vies du Ciné Alcazar
98 LE CLAP DE AICHA AKALAY
26
52
84
88
76
Octobre 2024 / Maroc
5
LE FESTIVAL
NATIONAL DU FILM
EN QUATRE DÉCENNIES
OCTOBRE 1982,
1 ÈRE ÉDITION
OCTOBRE 2007,
9 ÈME ÉDITION
DÉCEMBRE 2008,
10 ÈME ÉDITION
DECEMBRE 1984,
2 ÈME ÉDITION
DECEMBRE 1995,
4 ÈME ÉDITION
DECÉMBRE 2005,
8 ÈME ÉDITION
OCT-NOV 1991,
3 ÈME ÉDITION
NOVEMBRE 1998,
5 ÈME ÉDITION
JAN-FEV 2001,
6 ÈME ÉDITION
6 Maroc / Octobre 2024
JUIN 2003,
7 ÈME ÉDITION
JANVIER 2010,
11 ÈME ÉDITION
MARS 2019,
20 ÈME ÉDITION
FEV-MAR 2020,
21 ÈME ÉDITION
JANVIER 2011,
12 ÈME ÉDITION
MARS 2018,
19 ÈME ÉDITION
SEPTEMBRE 2022,
22 ÈME ÉDITION
JANVIER 2012,
13 ÈME ÉDITION
MARS 2017,
18 ÈME ÉDITION
OCT-NOV 2023,
23 ÈME ÉDITION
FÉVRIER 2014,
15 ÈME ÉDITION
FÉVRIER 2015,
16 ÈME ÉDITION
FÉVRIER 2013,
14 ÈME ÉDITION
MARS 2016,
17 ÈME ÉDITION
Octobre 2024 / Maroc
7
ZOOM SUR...
ZOOM SUR LE BILAN 2023 DU
CENTRE CINÉMATOGRAPHIQUE
MAROCAIN
Le Centre cinématographique marocain (CCM) a dévoilé
le 12 août son bilan pour l’année 2023. 34 longs métrages
marocains ont été produits au cours de cette période, un
chiffre inédit dans l’histoire du cinéma national salué par le
CCM. Cependant, il convient de nuancer cet enthousiasme,
car derrière ce record se cachent des réalités complexes qui
méritent de décortiquer les chiffres et classements.
PAR : SALMA HAMRI
Le Centre Cinématographique Marocain (CCM), l’un des plus anciens établissements publics
chargés de la règlementation et de la promotion du cinéma dans le monde, créé en 1944
E
n 2023, le Maroc a enregistré la production
de 34 longs métrages, « un
nombre jamais atteint dans toute l’histoire
du cinéma marocain ». Cette même
année, 1 722 796 billets ont été écoulés dans
les 81 écrans actifs du Royaume, contre
1 485 166 billets en 2022 et 663 604 en
2021. Les recettes guichet au Maroc ont
pour leur part atteint 89 418 408 dirhams
( DH ) pour l’ensemble des productions,
toutes nationalités confondues. Plusieurs
des productions marocaines se sont distinguées,
soit par leur qualité artistique, soit
par les thématiques abordées.
Certains films ont particulièrement brillé au
box-office marocain. Le film Dados d’Abdelouahed
Mjahed, en tête du Box-Office des
films de toutes nationalités confondues et
marocains, a ainsi engrangé 8 706 829 DH
de recettes, attirant 164 934 spectateurs en
2023. Houma Li Bqaw – Jouj de Rabii Cha-
8 Maroc / Octobre 2024
jid suit avec 4 929 587 DH et 93 536 entrées.
Le film Nayda de Saïd Naciri a quant à lui
enregistré 85 353 entrées pour un total de
4 526 666 DH et Ana Machi Ana, 80 705
entrées pour un total de 4 576 357 DH.
D’autres ont surtout brillé lors de festivals
internationaux, notamment La mère de tous
les mensonges de Asmae El Moudir qui a
décroché le « Prix de la Mise en Scène »
dans la section Un Certain Regard au Festival
de Cannes 2023 et qui était en lice
pour les Oscars 2024. Animalia de Sofia
Alaoui s’est également distingué à l’étranger,
remportant le prix spécial du jury au
Festival du film de Sundance 2023, et la La
mer au loin de Said Hamich Benlarbi qui a
été projeté à la Semaine de la critique lors
de la 77ème édition du Festival de Cannes
en 2024. D’ailleurs, le film marocain était
présent dans 86 festivals à l’Etranger en
compétition officielle en 2023, le plus grand
nombre atteint depuis 2017.
En termes d’autorisations de tournage, il y
en a eu 730 pour les productions étrangères,
contre 564 pour les productions nationales,
avec une prédominance des reportages
étrangers (451 autorisations). Ce chiffre
souligne l’intérêt des médias internationaux
pour le Maroc, mais il interroge également
sur l’espace laissé aux productions locales.
Cette même année, 1,14 milliard de dirhams
( MMDH ) ont été investis par les productions
étrangères pour leurs tournages au
Maroc, montant le plus important réalisé
depuis 2015. Parmi les projets les plus
notables, Gladiator II de Ridley Scott se distingue
avec un budget de 306 millions de
dirhams ( MDH ). Ce type de production à
grand budget contribue non seulement à
l’économie locale mais met aussi en lumière
les infrastructures et les capacités techniques
du pays.
LE MAROC NE COMPTE AUJOURD’HUI
QUE 25 SALLES DE CINÉMA ET 81 ÉCRANS
ACTIFS, CONTRE BEAUCOUP PLUS IL Y A
QUELQUES ANNÉES
Concernant les productions nationales, sur
564 autorisations, les spots publicitaires
continuent de dominer avec 131 autorisations.
Le cinéma marocain reste égalem
e n t a c t i f d a n s l a p r o d u c t i o n
de documentaires (76 autorisations), de
long-métrages (34 autorisations) et de séries
télévisées (26 autorisations).
Parmi les autorisations de tournages de longs
métrages marocains accordées en 2023, les
projets phares incluent L’homme des signes
de Zhor Fassi Fihri, doté d’un budget déclaré
de 33,5 MDH, le plus élevé de l’année et
Octobre 2024 / Maroc
9
ZOOM SUR...
Cinéma Atlas à Rabat
dont l’avance dur recettes s’élève à 4 MDH.
Ce film qui n’est pas un biopic à proprement
parler est inspiré de la vie de l’artiste-peintre
Mehdi Qotbi, aujourd’hui président de la Fondation
nationale des musées.
L’aide aux salles de cinéma
Le Fonds d’Aide à la numérisation, rénovation
et création des salles a distribué 28,5
millions de dirhams en 2023, le plus grand
montant octroyé depuis la mise en place de
ce fonds d’aide en 2013. En effet, le soutien
annuel est passé de 4,95 MDH en 2013 à
28,5 MDH en 2023. Dans le détail, 3 MDH
ont été allouées à la numérisation, 1,5 MDH
à la rénovation et 24 MDH à la création.
Le Maroc ne compte aujourd’hui que 25
salles de cinéma et 81 écrans actifs, contre
beaucoup plus il y a quelques années.
Notons que ce chiffre n’inclut pas les 150
salles de proximité inaugurées par Le
ministre de la Jeunesse, de la culture et de
la communication, Mohammed Mehdi Bensaïd,
à travers le territoire national. Une initiative
qui concerne les localités et les villes
de petite et moyenne taille dépourvues d’espaces
adéquats de projection de films
Bien que le nombre d’écrans ait augmenté,
ils sont majoritairement concentrés entre
les mains d’un seul exploitant, le Megarama
qui détient 82 % du marché de l’exploitation
au Maroc, soit 73 685 954 dirhams de
recettes guichets. Si l’on ajoute les parts de
CinéAtlas (7 %) et de Pathé Californie Casablanca
(2,1 %) cette proportion atteint
91,2 %, étouffant ainsi les petits exploitants
marocains.
10 Maroc / Octobre 2024
Le ministre de la Culture en visite des lieux de tournage du film Gladiator II à Ouarzazate
LES COMÉDIES MAROCAINES RESTENT CELLES
QUI CUMULENT LE PLUS D’ENTRÉES, AU DÉPEND
DES FILMS D’AUTEURS QUI JOUISSENT POURTANT
D’UNE GRANDE NOTORIÉTÉ À L’ÉTRANGER
Sans oublier qu’en plus de s’accaparer le
marché de l’exploitation au Maroc, le multiplexe
français Megarama domine également
le marché de la société de distribution avec
une part de 35,64 % soit 77 films distribués
en 2023, contre 45 films distribués par Marrakech
Spectacles (20,83 %) et 28 films distribués
par Film Event Consulting (12,96 %).
Engouement pour les comédies marocaines
Le film réalisé par Abdelouahed Mjahed,
Dados, sorti en salles en février 2023,
occupe la première place du box-office des
trente films nationaux et internationaux les
plus vus en 2023. Il a réalisé 164 934 entrées
et a engrangé plus de 8,7 MDH de recettes
selon le bilan du CCM 2023. Rappelons que
cette comédie grand public, suit les aventures
criminelles de Dados et des quatre
femmes qu’il a recrutées pour ses opérations
de cambriolage, de chantage et d’escroquerie.
Il est talonné de près par le blockbuster
Barbie de la cinéaste américaine
Greta Gerwig qui capitalise 99 889 entrées
et 4,8 MDH de recettes puis du film marocain
Houma Li Bqaw-jouj de Rabii Shajid
avec 93 536 entrées et 4,9 MDH de recettes.
Toujours dans le classement des films nationaux
et inetrnationaux les plus vus en 2023,
on retrouve le film américain Oppenheimer
de Christopher Nolan, suivi de Hollywood
Smile de Ali Tahiri, puis Mission impossible,
Dead Reckoning Part One de Christopher
Mc Quarrie et Avatar: la voie de l’eau de
James Cameron.
La comédie made in Morocco reste la préférée
des Marocains et celle qui cumule le
plus d’entrées, au dépend des films d’auteurs
qui jouissent pourtant d’une grande
notoriété à l’étranger et s’écroulent sous les
prix et reconnaisses, notamment La mère
de tous les mensonges qui a reçu 7 prix à
l’étranger en 2023 et qui se retrouve en
44ème position au Box-Office des films marocains
et hors classement au Box-Office des
30 premiers films toutes nationalités confondues.
Il faut dire qu’au total, 64 personnes
ont vu au cinéma du Royauma ce film qui
était en lice pour les Oscars 2024 et qui a
empoché au Maroc une recette de 2170
dirhams. Ensuite, Le Bleu du caftan occupe
la 9ème position avec 7512 entrées et 383
626 dirhams de recettes. Quant à Reines de
Yasmin Benkiran (12ème position), celui-ci a
enregistré 3544 entrées et a engrangé 159
159 dirhams de recettes.●
Octobre 2024 / Maroc
11
ZOOM SUR...
34
longs-métrages
produits
Un nombre
jamais atteint
dans toute
l’histoire du
cinéma
marocain
BILAN 2023 DU CCM EN CHIFFRES
28.5
MDH
octroyés par
le Fonds d’aide aux
salles de cinéma
Le plus grand montant
octroyé depuis la mise en place de
ce fonds d’aide en 2013.
Le soutien annuel est passé de
4,95 MDH en 2013 à 28,5
MDH en 2023
Numérisation Rénovation Création
3 1.5 24
MDH MDH MDH
Nombre d’autorisations de tournage
564 pour les productions nationales et 730
pour les productions étrangères.
Top 5 des longs métrages
marocains autorisés
en termes de budget :
1
2
Shlomo
3
Africa
4
Un
5
L'Intermédiaire,
L'Homme des signes
Réalisé par Zhor Fassi Fihri
Budget déclaré :
33,5 MDH
Montant de l'avance sur recettes :
4 MDH
Réalisé par Mohammed Merouazi
Budget déclaré :
15,29 MDH
Montant de l'avance sur recettes :
5 MDH
blanca
Réalisé par Az El Arab Alaoui Lamharzi
Budget déclaré :
15,18 MDH
Montant de l'avance sur recettes :
3 MDH
Couple heureux
Réalisé par Hicham Lasri
Budget déclaré :
14,14 MDH
Montant de l'avance sur recettes :
4,35 MDH
La Cigale et la Fourmi
Réalisé par Yassine Fennane
Budget déclaré :
9,7 MDH
Montant de l'avance sur recettes :
3,3 MDH
Fréquentation des salles de cinéma
Total des entrées : 1 722 796 entrées
Moins fréquenté : Avril, avec 67 091 entrées
Plus fréquenté : Juillet, avec 206 576 entrées
Top 5 des productions
étrangères en termes
de budget investi :
1
2
3
4
5
Gladiator II
Réalisé par Ridley Scott
Budget investi au Maroc :
306,11 MDH
Production exécutive :
Dune Films
Atomic (Saison 1, ép 1 à 3)
Réalisé par Roger Young
Budget investi au Maroc :
150 MDH
Production exécutive :
Kasbah Films Tangier
The Terminal List (Saison 2, ép 1)
Réalisé par Max Adams
Budget investi au Maroc :
125 MDH
Production exécutive :
Kasbah Films Tangier
Mary
Réalisé par D. J. Caruso
Budget investi au Maroc :
69,94 MDH
Production exécutive :
Valkyries Productions
De Gaulle 1 & 2
Réalisé par Antonin Baudry
Budget investi au Maroc :
66,38 MDH
Production exécutive :
Lions Production & Service
1.14
MMDH investi par
les productions
étrangères pour leurs
tournages au Maroc.
« Le montant
le plus important
réalisé depuis 2015 ».
86
Festivals à l’étranger
où le film marocain est
présent en compétition
officielle. « Le plus
grand nombre
atteint depuis
2017 ».
81
Écrans actifs en
2023 (en plus des
salles de cinéma
lancées par le
ministère de la
Culture).
12 Maroc / Octobre 2024
Top 5 du Box-Office des 30 premiers films toutes nationalités confondues :
1- Dados 2- Barbie 3- Houma Li Bqaw - Jouj 4- Nayda 5- Ana Machi Ana
Nombre d'entrées :
164 934
Recettes :
8 706 829 DH
Nombre d'entrées :
164 934
Recettes :
4 879 094 DH
Nombre d'entrées :
93 536
Recettes :
4 929 587 DH
Nombre d'entrées :
85 353
Recettes :
4 526 666 DH
Nombre d'entrées :
80 705
Recettes :
4 576 357 DH
Top 5 du Box-Office
des films marocains :
1 Dados
Réalisé par :
Abdelouahed Mjahed
Nombre d'entrées :164 934
Recettes : 8 706 829 DH
Part de marché des exploitants ( Top 3 ) :
82.4%
des parts
7%
des parts
48 73 685 954 DH
écrans de recettes guichet
7 6 251 651 DH
écrans de recettes guichet
2 Houma Li Bqaw - Jouj
Réalisé par :
Rabii Chajid
Nombre d'entrées :93 536
Recettes : 4 929 587 DH
2.1%
des parts
8 1 884 690 DH
écrans de recettes guichet
Part de marché des sociétés de distribution ( Top 3 ) :
3 Nayda
Réalisé par :
Saïd Naciri
Nombre d'entrées :85 353
Recettes : 4 526 666 DH
35.64%
de parts de marché
20.83%
de parts de marché
77
films distribués
28
films distribués
4 Ana Machi Ana
Réalisé par :
Hicham El Jebbari
Nombre d'entrées :80 705
Recettes : 4 576 357 DH
12.96%
de parts de marché
28
films distribués
Liste des films marocains primés à l'étranger (Top 5) :
1 Le Bleu du caftan
2 Les Meutes
3 Kadib Abiad
5 Hollywood Smile
Réalisé par :
Abdelaali Tahiri
Réalisé par :
Maryam Touzani
Nombre de prix : 12
Réalisé par :
Kamal Lazraq
Nombre de prix : 8
Réalisé par :
Asmae El Moudir
Nombre de prix : 7
Nombre d'entrées :68 517
Recettes : 3 615 984 DH
1 Queens
5 L'Automne des pommiers
Réalisé par :
Yasmine Benkiran
Nombre de prix : 6
Réalisé par :
Mohamed Mouftakir
Nombre de prix : 5
Octobre 2024 / Maroc
13
ZOOM SUR...
RÉFORME DU CINÉMA
CE QU’APPORTE
LE PROJET DE LOI 18-23
CRÉDIT : ??????
Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la Culture
et de la Communication, et Abdelaziz Bouzdaini, directeur du CCM.
Un « code du cinéma » est en gestation pour préparer le cadre
réglementaire d’une industrie cinématographique moderne et
compétitive. Voici les détails de cette ambitieuse réforme
PAR LINA IBRIZ
14 Maroc / Octobre 2024
Les professionnels du septième art au
Royaume l’attendaient depuis des
années. Aujourd’hui, la réforme du cadre
réglementaire et de gouvernance du secteur
est en cours, promettant un arsenal législatif
adapté aux attentes et aspirations d’un cinéma
national compétitif et moderne bien outillé
pour générer une importante plus-value et
s’imposer sur la scène internationale.
Cette réforme porte sur deux axes principaux
: la restructuration du Centre cinématographique
marocain (CCM), afin d’en faire
« un véritable mécanisme de soutien au
cinéma et aux cinéastes marocains et étrangers
qui réalisent leurs œuvres au Maroc »,
selon le ministre de la Jeunesse, de la Culture
et de la Communication Mohamed Mehdi
Bensaid, en plus de la modernisation du
cadre législatif, devenu « caduc, n’accompagnant
pas les diverses évolutions que connaît
le secteur ». Actuellement soumis à l’examen
de la Chambre des représentants, le
projet de loi n° 18-23 s’articule ainsi autour
de ces deux volets.
La gouvernance comme outil de développement
La réorganisation du Centre cinématographique
marocain (CCM) portée par ce texte
entend ainsi permettre à l’institution de jouer
un rôle clé dans la régulation, le contrôle et
la consolidation du secteur et le doter de
nouvelles compétences pour promouvoir
l’industrie cinématographique nationale. Ce
texte viendra remplacer une loi vieille de 40
ans, afin d’adapter l’action du CCM aux nouveaux
défis. Alors qu’il maintient son statut
et sa forme juridiques, le centre dirigé par
Abdelaziz Bouzdaini verra son champ d’action
élargi. Au-delà de l’octroi et du retrait
des autorisations, le CCM sera amené à «
faire bouger l’économie cinématographique
», le nouveau texte prévoyant une série de
mécanismes pour promouvoir l’investissement
et l’emploi dans le secteur, ainsi que
pour sa promotion à l’international.
Les prérogatives du CCM sont également
renforcées, alors que le centre sera aussi en
charge de contrôler et délivrer les autorisations
nécessaires pour la tenue de différents
festivals du cinéma. Ses compétences sont
aussi consolidées par un pouvoir consultatif
sur les questions et sujets relatifs à son
champ d’action, en plus de la mission de
veille stratégique et de médiation en cas de
litiges entre les acteurs du secteur. Le CCM
sera également habilité à conclure des partenariats
internationaux dans les domaines
culturels et du cinéma.
Sur le plan organisationnel, la première modification
apportée par ce texte concerne le
Conseil d’administration du CCM, dont la
LE CCM SERA AMENÉ À « FAIRE BOUGER
L’ÉCONOMIE CINÉMATOGRAPHIQUE », EN
PROMOUVANT L’INVESTISSEMENT ET
L’EMPLOI DANS LE SECTEUR, AINSI QU’EN
RENFORÇANT SA COMPÉTITIVITÉ.
Siège du Centre cinématographique marocain à Rabat.
nouvelle composition offrirait une meilleure
représentativité. Outre le directeur général,
les représentants de l’Administration et ceux
des organisations professionnelles, le projet
de loi n°18-23 prévoit l’ajout de trois
membres indépendants. Par ailleurs, la nouvelle
composition du CA pourrait également
voir le nombre des représentants des professionnels
augmenter. Le texte ne précise
pas le nombre de ceux-ci -ce détail devant
être fixé par un décret d’application-, mais
le projet de loi ouvre la voie à une plus importante
représentativité des différentes organisations
professionnelles représentées sous
le cadre actuel par un seul membre chacune.
D’autres nouveautés concernent les modalités
de délivrance des autorisations et agréments.
Le projet de loi soumet en effet ce
processus aux nouvelles dispositions relatives
à la simplification des procédures administratives.
Le CCM devra ainsi observer les
délais fixés pour répondre aux demandes
qui lui parviennent, en plus de respecter les
autres mesures prévues dans la loi 55-19,
Octobre 2024 / Maroc
15
ZOOM SUR...
dont notamment la motivation et la justification
des décisions de rejet. Comme pour les
autres domaines, l’application de ces dispositions
à celui du cinéma vise à encourager
les investissements dans le secteur et en
rehausser la performance.
Un « code du cinéma » en gestation
Jusque-là, les différentes réformes du cadre
réglementaire du septième art qui se sont
succédées abordaient de manière séparée
la réorganisation du CCM et la révision de
la loi n°20-99 relative à l’organisation de l’industrie
cinématographique. Le projet de loi
n°18-23, en revanche, adopte une approche
plus globale, aspirant à mettre en place un
« texte législatif unique sous forme de code
du cinéma », selon Bensaid. Dans cette perspective,
le texte tend à unifier les principes
et les règles de base concernant l’organisation
de ce domaine.
Ainsi, ce projet de loi propose plusieurs
mesures qui unifient les règles et conditions
d’octroi et de suspension des autorisations
pour les diverses activités, en plus de la création
de deux types (national et international)
d’agréments pour les sociétés de production.
Les règles d’agrément changent à leur
tour. Actuellement, pour être agréées, il est
exigé des entreprises de production d’avoir
réalisé au moins un long métrage ou trois
courts métrages nationaux tournés au Maroc
et dirigés par trois réalisateurs marocains
différents. Avec le nouveau texte, la co-production
est aussi prise en compte. L’agrément
pourrait ainsi être octroyé aux entreprises
ayant participé à hauteur de 50% au
coût d’au moins deux longs métrages. L’approche
genre est aussi introduite, avec l’exigence
que, sur les trois courts métrages produits,
au moins un soit réalisé par une femme.
Pour l’agrément international, une grande
nouveauté concerne les entreprises agréées
depuis 3 ans au niveau national, avec les
mêmes règles qui seront appliqués.
Pour le tournage, deux types d’autorisations
également seront mises en place. En plus
de l’autorisation de tournage, on prévoit une
autre déterminant le site de tournage, avec
la possibilité d’un accompagnement par le
CCM pour l’obtention, tout au long du tournage
des autres autorisations nécessaires
pour l’accès à différents sites. En parallèle,
le texte prévoit la création d’un Registre national
du cinéma dans lequel seront enregistrées
toutes les informations relatives à l’industrie
cinématographique, ainsi que les
contrats conclus par les sociétés de production
sous la supervision du CCM.
De plus, pour renforcer la compétitivité du
secteur et la qualité des productions cinématographiques,
une Marque du studio sera attribuée
aux professionnels exerçant des activités
liées à l’industrie cinématographique,
conformément aux critères et modalités qui
seront définis par un texte réglementaire. Le
texte instaure aussi l’obligation pour les sociétés
de distribution d’obtenir un visa d’exploitation
commerciale du CCM. A cet effet, la
création d’un Comité de visionnage des films
Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication.
16 Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT: ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC
Cinéma Renaissance à Rabat.
CRÉDIT : BOXOFFICE MAROC
Sur le plateau de tournage du long-métrage «Bribes» réalisé par Fatine Janane
Mohammadi et Abdelilah Ziirat. Crédit: Alexandre Chaplier - BoxOffice Maroc
cinématographiques chargé de s’assurer la
conformité des productions est prévue. Présidé
par le directeur du CCM, le comité inclura
un représentant de ce centre et d’autres de
l’Administration et des professionnels. Un Visa
culturel sera aussi mis en place pour la projection
du film dans le cadre d’un festival ou
d’un événement cinématographique.
Le renforcement de la concurrence sur le
marché fait partie des objectifs du projet de
loi n°18-23. La mesure principale dans ce
cadre est l’interdiction à une seule partie de
diriger ou gérer plus d’une société de production
ou de distribution. Pareillement, le
nouveau texte propose d’interdire aux sociétés
de distribution d’exploiter une salle cinéma
ou de détenir des actions dans son capital.
Des sanctions sont à leur tour prévues pour
renforcer cette règle, avec des amendes allant
de 50 000 à 100 000 dirhams (DH) pour les
sociétés qui y dérogent. Pour garantir une
meilleure régulation du marché, d’autres
mesures disciplinaires, pouvant aller jusqu’à
200 000 DH d’amende, sont prévues en cas
de contravention aux règles de l’organisation
des sociétés du secteur ou de celles relatives
à la production, distribution et exploitation
des œuvres cinématographiques.●
Octobre 2024 / Maroc
17
ZOOM SUR...
COMMENT LE CCM
SOUTIENT L’INDUSTRIE
110 MDH
par an en moyenne
DU CINÉMA ?
Grâce à ces
mécanismes
de soutien
90%
du parc de salles
sont numérisés
Soutien à la production
Nationale :
73.5 MDH
en 2023
56 FILMS
en 2023
Sous forme de :
Avance sur recettes aux films
pré et post production
Contribution financière à
l’écriture et à la réécriture
Une prime à la qualité
≈ 20
longs métrages
produits par an
52
festivals et autres
manifestations
soutenus
Étrangère au Maroc :
109 MDH
en « Tax Rebate »
Sous forme de :
10 FILMS 211,4 MDH 17 FILMS
Ristournes de jusqu’à 30% des dépenses au Maroc
en 2023 Accords de principe
en 2023
Soutien aux festivals
Soutien aux salles de cinéma
28,5 MDH
Création :
24 MDH
27 SALLES
Jusqu’à 1/3 du montant d’investissement
Rénovation:
1.5 MDH
1 SALLE
1 PROJECTEUR NUMÉRIQUE
Jusqu’à 50% du montant d’investissement
Numérisation :
3 MDH
3 SALLES
6 ÉCRANS
6 PROJECTEURS NUMÉRIQUES
Jusqu’à 1 MDH en aide à
la numérisation des salles de cinéma
32,5 MDH
Aides aux festivals :
62 FESTIVALS
2 MDH - 2,5 MDH pour les festivals
de catégorie A
Jusqu’à 2 MDH pour les festivals de
catégorie B
Jusqu’à 1 MDH pour les festivals de
catégorie C
Aides aux autres manifestations :
Jusqu’à 100 000 DH au Maroc
Jusqu’à 200 000 DH
à l’étranger
18 Maroc / Octobre 2024
À LA MOSTRA DE VENISE,
LE CINÉMA MAROCAIN S’EXPORTE
Le public italien bientôt séduit par les œuvres
cinématographiques et télévisées marocaines. C’est l’objectif du
partenariat entre le Centre cinématographique marocain (CCM)
et la société nationale de diffusion d’Italie, RAI Cinema, qui
collaboreront pour les promouvoir au Bel Paese
PAR LINA IBRIZ
CRÉDIT : DR
plus grande diffusion du cinéma marocain
en Italie, ouvrant ainsi la voie vers de nouveaux
horizons au riche patrimoine cinématographique
marocain au-delà de ses frontières,
annonçait un communiqué.
Ce partenariat, explique-t-on, permettra
d’élargir la distribution des films marocains
en Italie. Objectif : rapprocher le patrimoine
culturel du cinéma national à de nouveaux
publics. Bouzdaini a souligné que la collaboration
inclut l’acquisition par l’Italie
d’œuvres, en particulier celles produites
avant 2022, et la distribution de classiques
restaurés tels que Soleil du printemps de
Latif Lahlou, datant des années 1950.
Un élément clé de cette initiative consiste
à ce que le bras de production et de distribution
de Rai se chargera du sous-titrage
ou du doublage des films en italien. Cet
effort vise à améliorer la visibilité de la culture
et du cinéma marocains aussi bien auprès
du public italien qu’au sein des communautés
maghrébines et arabes en Italie.
Le directeur du Centre Cinématographique Marocain (CCM), Abdelaziz Bouzdaini et le responsable
des Relations internationales de la société de production italienne Rai Cinema, Carlo Gentile.
Double succès pour le cinéma marocain
à la 81ème édition du Festival de
Venise. Alors que les films marocains
brillaient sur les écrans, les acteurs du secteur
s’activaient dans les couloirs pour nouer
de nouveaux partenariats et prospecter de
nouveaux marchés. C’est ainsi qu’en marge
de cette manifestation culturelle, Abdelaziz
Bouzdaini, directeur du Centre cinématographique
marocain (CCM) a saisi l’occasion pour
faire avancer le partenariat entre le Maroc et
l’Italie dans le domaine du septième art.
Une première collaboration prend ainsi d’ores
et déjà la forme d’un partenariat avec Radiotelevisione
italiana (RAI), le principal groupe
audiovisuel public italien. Lors de la Mostra
de Venise, Bouzdaini s’est entretenu avec
Carlo Gentile, responsable des relations internationales
de Rai Cinema, la société de production,
de distribution et d’achat cinématographique
du même groupe. Lors de cette
réunion « stratégique » autour du renforcement
des liens cinématographiques, les deux
responsables ont convenu d’assurer une
CE PARTENARIAT PERMETTRA D’ÉLARGIR
LA DISTRIBUTION DES FILMS MAROCAINS
EN ITALIE. OBJECTIF : RAPPROCHER LE
PATRIMOINE CULTUREL DU CINÉMA
NATIONAL À DE NOUVEAUX PUBLICS
Le partenariat vient couronner les négociations
lancées entre le CCM et la société
publique italienne en 2023, lorsque les deux
responsables avaient tenu une similaire entrevue
lors du 76ème Festival de Cannes. L’idée
d’une collaboration fructueuse ayant été alors
semée, les deux parties ont continué à l’étoffer
pour arriver à la forme que prendra le partenariat
prometteur, notamment au vu des
solides relations entre les deux pays. La volonté
commune derrière cet accord, avait déclaré
Bouzdaini à la presse, est de renforcer les
liens culturels et professionnels entre les deux
nations et d’ouvrir la voie à de nouvelles collaborations
cinématographiques et artistiques.
Du côté italien, la conviction en le potentiel
du cinéma marocain est forte. C’est dans
ce sens que Gentile a exprimé un soutien
fort à la croissance du cinéma marocain,
soulignant que la coopération bilatérale vise
à accroître sa visibilité en Italie par le biais
de diffusions télévisées, de présentations
lors de festivals et de semaines du cinéma
marocain. Le responsable a également proposé
d’organiser des rencontres entre producteurs
des deux pays pour explorer les
coproductions et repérer des lieux au Maroc,
réputés pour ses paysages époustouflants.●
Octobre 2024 / Maroc
19
INTERVIEW
20 Maroc / Octobre 2024
Abdelaziz El Bouzdaini
Depuis que je suis
au CCM, j’essaye un
maximum d’accompagner
les films à l’étranger
Sous l’ère d'Abdelaziz El Bouzdaini, le Centre cinématographique marocain
redessine les contours du Festival national du film de Tanger. Dans cette
édition, le cinéma marocain dialogue avec les nouvelles technologies et des
récits trop souvent oubliés, tout en affirmant son enracinement dans la culture
nationale. Le directeur du CCM évoque les défis de l’industrie entre innovation
et sauvegarde d'un patrimoine cinématographique en pleine mutation.
INTERVIEW MENÉE PAR LINA IBRIZ - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC
Octobre 2024 / Maroc
21
INTERVIEW
Le Festival national du film de Tanger représente
un moment clé pour le cinéma marocain.
Quelles sont vos priorités pour cette
nouvelle édition ? Y a-t-il des nouveautés ou
des changements significatifs par rapport à
l’année dernière ?
Cette édition sera effectivement marquée par
plusieurs nouveautés. Certes, nous ne cherchons
pas à changer le fond, mais il est nécessaire
de refléter les évolutions que connait le
secteur et le monde d’ailleurs. L’idée est tout
simplement de capitaliser sur les nouveautés
que nous avons observées tout au long de
l’année. Cela ressort par ailleurs au niveau du
bilan du Centre cinématographique marocain
(CCM) au titre de l’année 2023. Pour le festival,
qui est organisé sous le haut patronage de S.M.
le Roi Mohammed VI, on se retrouvera cette
année avec un jury diversifié, composé surtout
de professionnels, mais également de personnes
qui s’intéressent aux métiers du cinéma.
Nous tenons compte bien évidemment de
l’expérience de ces personnes, ainsi que leurs
contributions à l’avancement du secteur.
Un grande nouveauté dans le programme de
cette année est l’organisation de tables rondes.
Nous en avons prévu quatre, en tenant compte
également des événements qu’il y a eu ces
dernières années. L’idée est aussi inspirée de
mon expérience à la tête du CCM : durant les
deux ans que j’ai passées ici, j’ai relevé quelques
manques que nous devons rattraper. De ce fait,
la première table ronde sera dédiée au scénario
et à l’écriture pour les enfants, car le paysage
cinématographique national souffre d’un
manque important en la matière et nous n’avons
pas au Maroc des spécialistes dans ce segment,
ni des scénaristes qui réfléchissent à des films
pour les petits. Cette table ronde vise ainsi à
enclencher un débat qui associe les professionnels,
dont des scénaristes, des spécialistes
et pourquoi pas des psychologues.
La deuxième table ronde concerne le film d'animation.
C’est un genre qui n’a jamais réellement
été dans le viseur du CCM, mais qui pourtant
représente toute une chaîne de valeur. Après
notre participation au Festival international
d’Annecy dédié à l'animation, nous en avons
tiré quelques leçons, et nous nous sommes
donc dit qu’il fallait organiser une table ronde
pour rassembler tous ces professionnels du
cinéma d’animation au Maroc. Aujourd’hui, il y
a tout un écosystème qui existe, mais le
domaine n’est pas encore organisé, ni développé.
Nous sommes convaincus que nous
pouvons mettre sur pied une industrie nationale
de l’animation et nous avons déjà entamé la
réflexion autour de certains projets. Dans ce
sens, nous discutons déjà la création d’un personnage
animé marocain qui sera associé à la
NOUS SOMMES AU DÉBUT DE LA
TRANSITION DU CINÉMA MAROCAIN.
C’EST L’ABOUTISSEMENT DE CE QUI A ÉTÉ
FAIT TOUT AU LONG DE CES ANNÉES,
MAIS CE N’EST QUE LE DÉMARRAGE
D’UNE NOUVELLE PHASE
culture marocaine pour ensuite être vu à
l’échelle internationale.
Par ailleurs, le cinéma connaît un énorme
développement avec les nouvelles technologies
qui arrivent et qui commencent à prendre
une grande place dans la chaîne de valeur,
dont notamment l'intelligence artificielle. À
partir de ce constat, nous avons pensé à relier
le cinéma à ces évolutions technologiques
rapides, d’où l’idée d’une table ronde dédiée
à l’intelligence artificielle. Étant donné que je
suis également secrétaire général au ministère
de la Jeunesse et que j’ai beaucoup travaillé
sur le gaming, qui repose sur les avancées
technologiques, je trouve qu’il est important
de créer des synergies entre les deux aspects:
le cinéma et la technologie.
Enfin, une table ronde autour du financement
est aussi prévue. Il s’agit là de l’un des principaux
défis que rencontrent les acteurs du secteur,
et donc nous allons aussi associer à cette
réflexion Tamwilcom avec qui nous avons déjà
signé au niveau du ministère un mémorandum
pour le développement du gaming et du cinéma,
22 Maroc / Octobre 2024
lors du salon national du gaming. Cette table
ronde se focalisera donc sur la mise en œuvre
de ce partenariat. Certes, cette problématique
a été discutée à plusieurs reprises lors de
diverses tables rondes, qui n’ont malheureusement
pas donné leurs fruits, mais là nous
passons à l’acte avec des intervenants spécialisés
dans le financement du cinéma et de la
culture en général à travers le monde.
Une dernière nouveauté est le concours pitch.
C’est un appel à projets qui était aussi organisé
auparavant, mais que nous remettons cette
année au goût du jour, pour proposer de nouvelles
possibilités aux jeunes acteurs du cinéma.
Pour cette édition, nous avons reçu une trentaine
de projets, dont nous avons sélectionné
huit, qui vont être encadrés par de vrais professionnels
du monde entier.
Pouvez-vous nous parler des mesures prises
pour soutenir les films marocains en compétition
? Comment envisagez-vous d’amplifier
leur visibilité au-delà des frontières
du Maroc, notamment après leur projection
au Festival de Tanger ?
J’ai fait de l’accompagnement et de la promotion
du film marocain à l’international ma priorité
depuis que je suis au CCM. Les productions
nationales ont déjà leur place sur les écrans
étrangers. Et l’intérêt qu’elles ont est bien plus
que ce qu’on puisse imaginer et contrairement
à ce qu’on dit, le film marocain est très vu à
travers le monde. La preuve en est que les films
marocains viennent en deuxième position au
boxoffice, où 46% de films sont américains,
mais 36% de films qui sont marocains.
À travers le monde aussi, on commence à
regarder le cinéma marocain. C’est dire qu’il y
a d’importants efforts qui sont fournis, tant en
interne qu’à l’échelle mondiale. Déjà, il est à
rappeler que tout un dispositif d’accompagnement
a été mis en place, d’abord au Maroc pour
faire revenir les gens aux salles de cinéma, et
puis pour promouvoir le cinéma marocain
auprès de nouveau publics.
À l'étranger, l’année 2023-2024 a été une
année record. Nous avons quasiment été partout
pour multiplier la présence du cinéma
marocain à l’étranger. Ceci dit, il est aussi
primordial de signaler que la qualité du film
marocain est en train de se hausser. Quand
les films marocains sélectionné à droite et à
gauche dans les grands festivals mondiaux
du cinéma, ce n’est pas pour nos beaux yeux,
mais c'est que le film marocain s’impose.
Vous avez dirigé une délégation marocaine
composée de plusieurs maisons de
production à la Mostra. Quelles sont les
opportunités concrètes qui en ont émergé
pour le cinéma marocain, notamment en
termes de co-productions ou d’accords
de distribution ?
Je suis rentré de la Mostra de Venise avec un
paquet de cadeaux. Ce festival est parmi les
plus anciens au monde, mais auquel ne nous
nous intéressions pas autant avant, ce qui a
fait que le Maroc y était mal représenté. Pourtant,
et nous l’avons prouvé cette année, le
film a sa place à Venise.
La table ronde que nous avons organisée
là-bas avait justement pour objectif de vendre
le modèle marocain, le produit marocain et
l’offre Maroc en matière de cinéma. C’est pour
cette raison d’ailleurs qu’en plus du CCM, la
délégation marocaine était composée de
quatre grandes maisons de production. Tout
cela visait à encourager et attirer des producteurs
étrangers pour venir tourner au Maroc,
et le bilan en a été les commandes qui ont
atterri dès que nous sommes rentrés. Il s’agit
là, de grandes productions avec de grandes
enveloppes et de grands investissements.
En parallèle, nous avons travaillé sur l’exportation
des films marocains. Avec la chaîne
publique italienne RAI, nous sommes en train
de finaliser l’accord en vue de bientôt le signer.
Nous leur avons déjà fourni la liste des films
et ils vont s’occuper du doublage. Il y a une
forte population en Italie qui est intéressée pas
les films marocains : les Marocains résidant
là-bas, la communauté maghrébine et puis les
Italiens qui seront intéressés dès que les films
seront traduits.
Le label « Made in Morocco » a fait sensation
lors de la 81ème Mostra de Venise. Quels
sont, selon vous, les principaux atouts du
cinéma marocain qui séduisent les professionnels
étrangers ? Comment le CCM travaille-t-il
à capitaliser sur cette dynamique ?
Le Maroc dispose de tous les atouts : nous
avons une riche culture, des paysages diversifiés
et des infrastructures cinématographiques
développées, que ce soit à Ouarzazate, à Marrakech
ou dans d’autres villes, où on retrouve
outre les sites de tournage, des studios de
production et de post-production. En plus,
l’écosystème est là et toute la chaîne de valeur
est développée. Il y a un autre élément qui
distingue le Royaume de tous les autres pays:
la lumière du jour qui est incomparable et qui
en plus change d’une ville à une autre, puis
c’est un Maroc de quatre saisons, où on
retrouve différents climats dans la même journée
dans différentes régions. Un autre élément
qui est le plus important est le potentiel humain,
car nous disposons de techniciens compétents
et polyvalents qui maîtrisent différents aspects
de la production et réalisation.
Le festival de Tanger joue aussi un rôle dans
ce sens, notamment en incarnant l’esprit de
la vision africaine et transatlantique de S.M.
le Roi Mohammed VI. Ainsi, lors de ce festival,
le public retrouvera une composante
africaine, une composante atlantique et bien
d’autres. En parallèle, nous organisons plusieurs
actions tout au long de la période du
festival, car c’est une station importante que
nous essayons d’exploiter, notamment en
invitant plusieurs personnalités du domaine
venant du monde entier.
Octobre 2024 / Maroc
23
INTERVIEW
Avec la montée en puissance des films marocains
sur la scène internationale, quels sont
les défis auxquels le CCM est confronté pour
maintenir et amplifier cette visibilité dans
des festivals majeurs comme Venise, Cannes
ou la Berlinale ?
La visibilité, c’est la qualité. Du moment qu’on
a des films de qualité, ils sont choisis automatiquement
dans ces festivals de renommée.
Nous sommes au début de la transition du
cinéma marocain. C’est l’aboutissement de
ce qui a été fait tout au long de ces années,
certes, mais ce n’est que le démarrage d’une
nouvelle phase. Tout au long des années dernières,
nous travaillions sur la quantité, cela a
été un choix pertinent, car il fallait d’abord qu’il
y ait assez de productions desquelles peuvent
émerger des précieux sésames. Aujourd’hui,
les films marocains sont connus à l’étranger
grâce à leur qualité. Aussi importants qu’ils
soient, la communication et le marketing à eux
seuls ne suffisent pas. Il y a aussi la question
du lobbying de la part des grands groupes
dans les festivals internationaux, mais ça reste
secondaire. En fin de compte, c’est le film qui
s’impose. Sur ce volet, un travail impressionnant
a été fait.
Nous sommes au point de départ et nous capitalisons
sur tout ce travail qui a été fait pour
aller de l’avant. Nous allons développer la formation,
la post-production, où on a toujours du
manque, et nous allons combler les lacunes
qui persistent. Un autre axe important est l’encouragement
de la femme et l’encouragement
des jeunes, car nous avons beaucoup de talents
dans lesquels il faut investir et croire.
IL Y A UN DISPOSITIF
D’ACCOMPAGNEMENT QUE NOUS
MENONS D’ABORD POUR FAIRE REVENIR
LES GENS AUX SALLES DE CINÉMA
Les jeunes, notamment, peuvent porter le
cinéma marocain vers une nouvelle ère, mais
il faut qu’ils acceptent ce que nous avons
comme bagage, pour qu’il n’y ait pas un conflit
intergénérationnel. Il ne faut pas que les jeunes
se développent comme s’ils partent de la case
zéro, sans capitaliser sur ce que leurs prédécesseurs
ont réalisé. Il faut qu’il aient un rétroviseur
pour qu’ils puissent se développer
davantage et aller vite.
Le CCM joue un rôle dans la préservation
du patrimoine cinématographique marocain.
Pourriez-vous nous parler des efforts
en cours pour restaurer et archiver les films
marocains, ainsi que des projets futurs
pour faciliter leur accessibilité au public ?
Tous les films marocains sont archivés au
CCM, parce que le rôle du CCM est aussi de
sauvegarder et protéger ce patrimoine. Il y
a un travail que mène également la cinémathèque
qui est en train de restaurer plusieurs
films. Nous avons déjà restauré quelques
films. La tâche n’est toutefois pas facile : pour
restaurer un film de deux heures, cela prend
des mois et des mois de travail et nécessite
d’importants moyens techniques et matériels.
Dans le cadre de la protection du patrimoine,
nous cherchons aussi à produire de grands
films historiques sur l’histoire de notre pays. Il
s’agit de refléter certaines périodes qui ont
marqué l’Histoire du Maroc, et qui font partie
de notre patrimoine qu’il faut préserver.
Les coproductions internationales se multiplient
pour les films marocains. Selon
vous, quelles sont les régions du monde
avec lesquelles le Maroc pourrait développer
de nouvelles collaborations, et quelles
initiatives le CCM met-il en place pour
faciliter ces partenariats ?
Nous n’avons pas de préférences pour un
pays ou un autre, car le Maroc est ouvert à
toutes les civilisations et à toutes les cultures.
Au CCM, nous souhaitons collaborer avec
les producteurs de toutes la nationalités. Le
choix dépend cependant de la demande et
c’est normal de privilégier des pays d’où
émane un important intérêt que ce soit en
termes du nombre de projets ou de leur poids
en terme d’investissement, mais nous restons
ouverts. D’ailleurs, si on prend pour exemple
les films en tournage actuellement au Maroc,
on trouvera des films belges, russes, américains,
italiens, français, etc.
L’important avantage que nous avons au
Maroc c’est que nous n’avons pas de censure.
Le Maroc est très ouvert, ce qui lui permet
d’accueillir toutes les productions.
Quelques mois après l’ouverture des 150
salles de cinéma de proximité dans le
cadre du projet des 250 salles du ministère
de la Culture, quels enseignements tirezvous
des résultats obtenus jusqu’à présent
? Avez-vous observé une augmentation
de la fréquentation et de l’engagement
du public, notamment dans les petites
villes ?
Nous sommes au tout début. Nous avons
ouvert 50 salles sur les 150 et nous sommes
en train de tester. Nous devons quand même
trouver une formule pour la gestion de ces
salles, loin de l’esprit administratif.
Il y a cet aspect de métier, de programmation
et d’intelligence qui rentre dans le fonctionnement
d’une salle. Nous sommes en quête
d’un modèle qui incorpore tous ces éléments.
24 Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT : MAP
Pour le moment, nous travaillons aussi pour
améliorer la programmation. C’est surtout un
travail d’adaptation, car certains films qui
peuvent être projetés dans certaines villes n’ont
pas le même intérêt dans d’autres.
En ce qui concerne le modèle actuel de la
commission pour l’octroi des subventions
cinématographiques, pensez-vous que le
système de tranches de financement par
catégories de films est toujours la meilleure
approche pour soutenir le développement
du cinéma marocain ?
Tenant compte du budget dont nous disposons
actuellement, je trouve que c’est la formule qui
a donné le plus de résultats à ce jour. Cependant,
je reste convaincu qu’il existe une marge
d’amélioration et nous menons une réflexion
approfondie pour revoir tout le dispositif, non
seulement pour la production mais aussi les
trois autres mécanismes de soutien.
Pour le soutien à la production étrangère au
Maroc, le cadre est plus ou moins figé. Il y a un
texte qui régit cela, qui nécessite quelques
retouches. Celles-ci sont en cours et seront
achevées dans quelques mois. En ce qui
concerne la production nationale, ce modèle
qui était au départ un soutien et puis s’est transformé
à l’actuel système d’avance sur recettes,
n’est pas un modèle idéal. Nous ambitionnons
à mettre en place un modèle beaucoup plus
rentable, tout en encourageant aussi bien les
films commerciaux que les films d’auteur, qui
permettent notamment une forte présence à
l’international.
Un autre défi est d’inverse la tendance actuelle,
où seulement 15% des films tournés atteignent
les salles de cinéma, tandis que les 75% vont
soit aux festivals ou dans les tiroirs. Cela est dû
en grande partie au fait que les modèles de
soutien du cinéma ne sont pas cohérents. Il est
à noter que ce n’est pas uniquement le cas au
Maroc, mais partout dans le monde.
Nous avons également observé une tendance
vers des projets de comédies et de films historiques
avec la nouvelle commission. Dans
quelle mesure cela reflète-t-il une orientation
stratégique du CCM, et comment cela s’inscrit-il
dans votre vision pour la diversité du
paysage cinématographique marocain ?
D’abord, la commission est autonome dans les
décisions qu’elle prend. S’agissant des orientations,
il y a des échanges publics qui se
tiennent pour s’aligner sur la stratégie du ministère,
car il y a un aspect de politique publique.
Mais généralement, nous n’avons pas besoin
de communiquer sur ces messages, car ils sont
évidents et les différents acteurs en ont
conscience.
En ce qui concerne le cinéma de l’enfance par
exemple, il est clair que c’est un segment qu’il
faut développer. Le film historique n’est pas
non plus développé, car nous n’avons pas les
moyens et c’est un genre qui requiert énormément
d’investissement, alors que les aides du
CCM sont plafonnées (le coût de réalisation
d’un film historique peut aller jusqu’à 100 millions
de dirhams ou 200, alors que les subventions
du CCM sont plafonnées à 5 ou 6 millions
de dirhams, ndlr).
Par conséquent, pour développer ces créneaux,
c’est l’État qui va se substituer aux producteurs
privés, et c’est le CCM qui va produire ces films
et financer ces projets. Nous comptons déjà
présenter l’idée d’un film historique dès l’année
prochaine, dont nous allons dévoiler après les
détails, une fois que le projet sera validé. C’est
une nouvelle orientation, car l’État a les moyens
de développer ces créneaux, contrairement
aux producteurs privés qui n’ont pas cette possibilité.
Par la suite, avec le développement de
cette réflexion, nous allons chercher à inclure
des investisseurs privés, du secteur, mais aussi
pourquoi pas impliquer les banques et d’autres
instituions de financement.●
Octobre 2024 / Maroc
25
À LA LOUPE
CINÉMA MAROCAIN,
DESTINATION MONDE !
L’été 2024 a marqué un tournant pour le cinéma marocain,
célébré à Angoulême avec une rétrospective et à Venise avec
une délégation influente. Des talents comme Yasmine Benkiran,
membre du jury, ont brillé, tandis que le Maroc continue de
s’imposer comme une destination prisée pour les productions
internationales, renforçant son rôle clé sur la scène mondiale.
PAR JIHANE BOUGRINE
CRÉDIT : MAPPHOTO
Le Maroc honoré au Festival du Film Francophone d’Angoulême en France
L’été 2024 a été un moment des plus
intéressants pour le cinéma marocain
sur la scène internationale, avec des
événements marquants à Angoulême et
Venise. Des hommages appuyés et des présences
influentes ont mis en lumière la
richesse et la diversité du 7ème art marocain.
À Angoulême, un hommage vibrant a
été rendu au cinéma marocain, tandis qu’à
Venise, la délégation marocaine a brillé avec
un jury composé de talents marocains et une
participation dynamique du Centre Cinématographique
Marocain (CCM).
Angoulême rend hommage au cinéma
marocain
En août 2024, le Festival du Film Francophone
d’Angoulême a mis à l’honneur le
cinéma marocain dans une rétrospective
intéressante qui a traversé plus de six décennies
de films. Cet hommage s’inscrit dans la
volonté du festival de célébrer les cinématographies
du monde francophone, et le
Maroc, avec sa production dynamique et
son influence grandissante, a été choisi
comme invité d’honneur.
La programmation a proposé une sélection
soigneusement composée de dix longs-métrages
marocains, couvrant plusieurs
périodes marquantes de l’histoire du cinéma
marocain. Parmi les œuvres présentées, des
classiques comme Quelques événements
26 Maroc / Octobre 2024
sans signification (1974) de Mohamed
Derkaoui, un film qui reflète les bouleversements
sociaux du Maroc post-colonial et
Mémoires en detention (2004) e Jilali Ferhati
sur le syndrome post traumatique après les
années de plomb. Sur des sujets plus
contemporains, des films comme Ali Zaoua
de Nabil Ayouch (2000) et Marock de Laila
Marrakchi (2005) ont transporté les spectateurs
dans les réalités de la jeunesse marocaine
urbaine et ses luttes identitaires.
Chaque projection était précédée d’un
court-métrage marocain, offrant une plongée
encore plus riche dans le paysage cinématographique
du pays. Le court-métrage
Les Pierres bleues du désert (1992) de Nabil
Ayouch a captivé l’audience par sa poésie
et son exploration des questions de foi et
de destine comme celui de la jeune Sofia
Khyari dont le film d’annimation Ayam sur
trois generations de femmes a ému. Le
WWW : What a Wonderful World de Faouzi
Bensaïdi (2006) a, quant à lui, apporté une
touche d’humour noir et un regard unique
sur la vie moderne à Casablanca. Pour célébrer
les 20 ans du film, Ismael Ferroukhi a
présenté Un grand voyage, avec une émotion
palpable, rappelant ô combien ce film
qui raconte un voyage entre père et fils que
tout sépare sur le chemin de la Mecque, n’a
prix aucune ride. Des moments de cinéma
courageux qui ont prouvé la diversité du
septième art marocain, pauvre de la sauvegarde
de ses films. Le fils maudit de Mohamed
Ousfour, considéré comme le premier
DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, LE MAROC
S’IMPOSE COMME UN ACTEUR
INCONTOURNABLE DANS LE PAYSAGE
CINÉMATOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
film marocain sorti en 1958 ou encore La
plage des enfants perdus et Les poupées
de roseaux de Jilali Ferhati n’ont pas pu être
programmés pour des raisons de copies
inexistantes. Ou difficiles à trouver.
L’hommage s’est également manifesté à travers
la présence de Mehdi Qotbi, président
de la Fondation nationale des Musées du
Maroc, qui a symboliquement hissé le drapeau
marocain à l’hôtel de ville d’Angoulême,
en présence de Xavier Bonnefont, maire de
la ville, et des délégués du festival, Marie-
France Brière et Dominique Besnehard.
« Cet acte symbolique, au-delà de la reconnaissance
du cinéma marocain, renforce les
liens culturels entre la France et le Maroc,
témoignant de la volonté commune de célébrer
la richesse des échanges entre les deux
nations », a rappelé Mehdi Qotbi.
Le Maroc , « Hollywood du Désert »
A la Mostra de Venise, le Maroc a été une
fois de plus sous le feu des projecteurs. Non
pas à travers les films sélectionnés, mais
grâce à la délégation menée par Abdelaziz
El Bouzdaini, directeur du Centre Cinématographique
Marocain (CCM). Depuis plusieurs
années, le Maroc s’impose comme un acteur
incontournable dans le paysage cinématographique
international, non seulement pour
sa production nationale, mais aussi en tant
que terre d’accueil pour des tournages internationaux
majeurs et la délegation marocaine
a tenu à confirmer ce statut.
Le Maroc a été présenté lors d’une conférence
intitulée « Le Maroc : une terre accueillante
pour la production de films étrangers
grâce au programme de soutien financier »,
qui a mis en avant les atouts du pays pour
les productions étrangères. Avec des villes
comme Ouarzazate, surnommée le Hollywood
du désert, et Essaouira, célèbre pour
ses décors historiques, le Maroc attire des
cinéastes du monde entier, comme l’a prouvé
la production récente de films tels que Gladiator
2 ou encore le cinquième volet de la
franchise Mission Impossible, tourné en
grande partie au Maroc.
Le CCM a également souligné l’importance
de son programme de soutien financier, qui
permet aux productions internationales de
bénéficier d’avantages fiscaux, rendant le
Maroc encore plus attractif. Cela, combiné
CRÉDIT : FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE D’ANGOULÊME
Octobre 2024 / Maroc
27
À LA LOUPE
CRÉDIT : AFP
A la Mostra de Venise, la réalisatrice Yasmine Benkiran faisait parti d’un des jurys de la compétition
L’EXPÉRIENCE DE YASMINE BENKIRAN
EN TANT QUE MEMBRE DU JURY À VENISE
A ÉTÉ MARQUÉE PAR DES DÉBATS
PASSIONNÉS ET DES RÉFLEXIONS
à la diversité des paysages et au professionnalisme
des équipes locales, a fait du Maroc
une destination prisée pour des productions
hollywoodiennes et européennes. DUNE
Films, ZAK Productions, AGORA Films, et
KASBAH Films étaient parmi les sociétés de
production marocaines présentes à Venise,
représentant fièrement le potentiel de l’industrie
cinématographique marocaine sur
la scène internationale.
Yasmine Benkiran, « Reine » d’un jury à
Venise
La présence marocaine à Venise s’est également
illustrée par la nomination de Yasmine
Benkiran en tant que membre du jury
à la tant respectée Semaine de la critique.
Réalisatrice marocaine prometteuse, elle a
su apporter une perspective unique en tant
que jurée. Dans ses œuvres et son approche
du cinéma, la réalisatrice met un point d’honneur
à privilégier les émotions avant la technique.
« Quand je vais au cinéma, j’essaie
de me laisser emporter par les émotions,
sans me concentrer sur les aspects techniques.
Si je regarde la technique, c’est que
quelque chose n’a pas fonctionné émotionnellement
» rappelle la réalisatrice de Reines
qui avait projetté son premier film en
avant-première à la Mostra en 2022.
Son expérience en tant que membre du jury
à Venise a été marquée par des débats passionnés
et des réflexions sur la manière dont
les films proposés apportent une vision du
monde unique. D’ailleurs, Yasmine Benkiran
accorde une importance particulière aux
récits sous-représentés, en particulier ceux
venant du Sud global mais tout en gardant
à l’esprit que la qualité prime sur la provenance
. « On part toujours d’un endroit. En
grandissant au Maroc, je vais être sensible
à la beauté de la langue, ou à la musique.
Malgré moi. J’essaie quand même de rester
fidèle à mes principes. Les récits sous
représentés ou les cultures pas très présentes
dans le cinéma. Je ne veux pas que
l’argument politique précède l’argument
émotionnel » continue celle qui cite l’exemple
de la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir,
dont le film, salué par la critique, a su
capturer des émotions profondes tout en
racontant une histoire rarement vue à l’écran.
Pour elle, le cinéma marocain se trouve à
un moment charnière, avec des talents émergents
comme Ismail El Iraki, Alaa Eddine El
Jem, et Sofia Alaoui qui gagnent en visibilité
sur la scène internationale. Cependant,
Yasmine Benkiran rappelle que, bien que le
cinéma marocain soit de plus en plus reconnu
par les professionnels, il doit encore trouver
un plus large public à l’international, à
l’instar des films coréens qui ont su conquérir
le monde. « Le cinéma marocain est remarqué
dans les festivals, mais il reste encore
du chemin à parcourir pour toucher un public
plus large », explique-t-elle.
En conclusion, l’été 2024 a été une période
charnière pour le cinéma marocain, avec
des hommages appuyés et des reconnaissances
importantes dans des festivals de
premier plan comme Angoulême et Venise.●
28 Maroc / Octobre 2024
FAUX-FESTIVALS DE FILM EN LIGNE,
UN PHÉNOMÈNE DE PLUS
EN PLUS RÉPANDU
De l’Inde au Venezuela, en passant par Amsterdam, des festivals de cinéma
émergent sur internet. Derrière ces appellations faisant penser aux grands prix
cinématographiques, se trouvent souvent des organisations douteuses,
uniquement intéressées par les frais de candidature.
PAR SALOMÉ KRUMENACHER
Depuis quelques années, des festivals
de cinéma naissent un peu partout dans
le monde. Souvent, ils ont des noms
qui rappellent les plus grandes compétitions
du cinéma, comme le Cannes Film Awards ou
encore le Royal Society of Television & Motion
Picture Awards. Après avoir remarqué le nombre
exorbitant de distinctions pour le documentaire
français Etats de choc : Primum non nocere, le
journaliste Thomas Coquaz a travaillé sur ces
pseudo-festivals pour le média Checknews.
Son enquête a ensuite été relayée par
Radiofrance et Libération.
CRÉDIT : DR
Plus l’on s’y intéresse, plus ces compétitions
semblent douteuses. Des coûts élevés pour
candidater, des centaines de films sélectionnés
pour un jeune festival, des compétitions
tous les mois, et pas de cérémonies ni de
remises organisées, sauf si l’on est prêt à payer.
Il est alors difficile de croire qu’un petit festival
émergent réussisse à avoir les moyens humains
de visionner tous les films inscrits en un court
laps de temps, et d’en faire une sélection
réfléchie, selon le journaliste.
Derrière ces sites de pseudo-festivals, aucun
nom ni contact ne s’y trouvent, aucun jury n’est
connu. Rien ne semble motiver cette compétition
si ce n’est l’appât du gain. En faisant payer
la candidature pour un film aux alentours de
30 dollars, avec des compétitions tous les mois,
en sélectionnant plus de deux cents films, les
recettes deviennent vite importantes. Sans
compter les dépenses supplémentaires possibles.
Par exemple, pour le soi-disant festival
cinématographique vénézuélien Five Continents
International Film Festival, surnommé
Ces pseudo-festivals s’inspirent des noms d’autres grandes compétitions cinématographiques.
Ficcoc, le gagnant peut acheter une statuette
en rajoutant 250 dollars. Dès les candidatures
pour ce festival, si le réalisateur souhaite inscrire
son film dans plusieurs catégories, il doit
alors déjà débourser plus de 1 000 dollars.
Des réalisateurs victimes… ou complices
Les cinéastes novices doivent rester sur
leur garde, car ils peuvent être facilement
dupés. D’abord par les noms de ces pseudo-festivals
qui imitent les plus prestigieux,
mais aussi par leur présence sur la plateforme
Film Freeway. Cette dernière permet
à un réalisateur de centraliser toutes les
POUR QUE LEUR FILM SE DÉMARQUE,
CERTAINS RÉALISATEURS PEUVENT ÊTRE
INTÉRESSÉS PAR CES PRIX QU’ILS METTENT
EN AVANT SUR LEUR AFFICHE
informations d’un film pour lui permettre de
candidater à plusieurs compétitions cinématographiques.
Parmi de vrais festivals,
qui se font à petite échelle, parfois en indépendant,
tous ces faux-festivals sont également
référencés.
Le monde du cinéma réalise l’effervescence
de cette pratique, et plusieurs institutions
mettent en garde les réalisateurs lorsqu’ils
veulent candidater à un festival. Mais pour
que leur film se démarque, certains réalisateurs,
peuvent être intéressés par ces prix
et distinctions qu’ils mettent en avant sur leur
affiche de film. La plupart du temps, ce sont
les films documentaires qui usent de cette
pratique. Car ce format a beaucoup de mal
à exister sans les distinctions de festival.
Plusieurs médias saluent parfois certains prix
reçus, en les confondant avec les grandes
compétitions aux noms similaires.●
Octobre 2024 / Maroc
29
CE QUI EST TOURNÉ
AU MAROC
DES HOMMES ET
DES DIEUX,
SORTIE EN 2010
Le réalisateur Xavier Beauvois du film
Des hommes et des dieux, a trouvé le décor
pour son film dans l’ancien monastère bénédictin
de Toumliline, près d’Azrou dans la région de
Fès-Meknès, avec un budget de production
de quatre millions d’euros. Le film raconte
l’histoire des moines chrétiens français dans
les années 1990, vivant alors en paix avec
leurs frères musulmans en Algérie, jusqu’à
leur enlèvement et assassinat en 1996.
SEX & THE CITY 2,
SORTIE EN 2010
Pour Sex & the City 2, ayant coûté 100 millions
de dollars, les scènes se déroulant à Abu
Dhabi ont été tournées à Marrakech en 2008.
Les balades à dos de chameau ont été filmées
près du Sahara, un lieu déjà utilisé lors du
tournage de Lawrence d’Arabie en 1962.
Après son mariage, Carrie Bradshaw et ses
quatre amies Samantha, Charlotte
et Miranda partent pour une
aventure exotique, pour contrer
la vieillesse. Elles embarquent
alors pour Abu Dhabi, pour ses
fêtes et ses mystères.
CES PRODUCTIONS
ÉTRANGÈRES QUE LE
MAROC A ACCUEILLIES
Depuis le XXe siècle, de nombreux films étrangers comme Ali
Baba et les 40 voleurs ou encore Lawrence d’Arabie, ont été
tournés au Maroc. Ces quinze dernières années, les paysages
marocains n’ont cessé de séduire les plus grands cinéastes du
monde entier, comme Clint Eastwood et Christopher Nolan, venus
tourner dans le pays.
PAR SALOMÉ KRUMENACHER - BOXOFFICE MAROC
GREENZONE,
SORTIE EN 2010
INCEPTION,
SORTIE EN 2010
Pendant sept semaines en 2008, l’équipe de
tournage du film de guerre Greenzone, a
tourné à Kenitra pour les scènes se déroulant
à Al-Diwaniya et l’aéroport de Bagdad en Irak.
La plupart des scènes extérieures du film ont
été prises dans les rues de Rabat. Le film a
coûté 100 millions de dollars. Pendant
l’occupation américaine de Bagdad en 2003,
l'équipe de l’adjudant-chef Roy Miller, joué
par Matt Damon, doit trouver des armes de
destruction massive, stockées dans le désert.
Inception, réalisé par Christopher Nolan, a
été tourné en partie à Tanger en 2009, pour
représenter la ville de Mombasa, au Kenya,
notamment dans la médina pour une coursepoursuite,
ainsi que pour l’émeute du deuxième
rêve de Saito. La production de ce film a coûté
160 millions d’euros. Ce film de science-fiction
raconte l’histoire de Dom Cobb et sa femme
Mall, joués par Leonardo Di Caprio et Marion
Cotillard, qui gagnent leur vie en volant des
secrets dans le subconscient des individus.
LES CHEMINS DE LA LIBERTÉ,
SORTIE EN 2010
Le film Les chemins de la liberté, a en partie été tourné au Maroc, notamment à Erfoud
et Ouarzazate, pour représenter la Mongolie. Pour ce tournage, le film disposait de
30 millions de dollars. L’histoire commence en 1940, lorsque des prisonniers s’évadent
d’un camp de travail sibérien. Ils vont parcourir des dizaines de milliers de kilomètres,
à travers l’Asie, dans le but d’atteindre l’Inde, alors sous contrôle anglais.
30 Maroc / Octobre 2024
HANNA,
SORTIE EN 2011
Le film d’action Hanna, a été tourné près de
Ouarzazate puis à Essaouira en 2010, pour
les scènes censées se dérouler en Espagne.
La production du film y a fait venir deux cents
chameaux et a installé une cinquantaine de
tentes. Les coûts de production du film étaient
de 30 millions de dollars. Celui-ci retrace
l’histoire d’Hanna, 16 ans, élevée par son
père Erik un ancien agent de la CIA. Lors
d’une mission, Hanna est enlevée à Berlin,
mais elle parvient à s’échapper.
ONLY LOVERS LEFT ALIVE,
SORTIE EN 2013
Le film Only lovers left alive, de Jim Jarmusch, a été tourné en grande partie à
Tanger, où habite Eve, jouée par Tilda Swinton, avec un budget de 7 millions
de dollars. Le choix du réalisateur s’est porté sur cette ville qui réussit à marier
modernité et tradition selon lui.
Deux vampires, Adam, joué par Tom Hiddleston et Eve, vivent leur idylle depuis
des siècles, en marge de la société. Leur relation est perturbée par l’arrivée de
la sœur d’Eve incontrôlable, Ava, jouée par Mia Wasikowska.
HOMELAND,
SORTIE ENTRE
2013 ET 2020
En 2013, une partie de la saison 3 de
Homeland se déroulant au Moyen-Orient
a été réalisée au Maroc pour des raisons
de sécurité, à Rabat, Témara, Skhirat, Tamesna et
Salé. En 2017, Rabat redevient le décor d’Abu Dhabi,
et en 2019, pour la saison 8, la série tourne à Casablanca,
représentant Kaboul. Chaque saison coûte environ
40 millions de dollars. Après avoir disparu lors de
l’invasion de Bagdad, un soldat américain réapparaît.
Une agente de la CIA est persuadée qu’il est
devenu espion.
AMERICAN SNIPER,
SORTIE EN 2014
Pour American Sniper, le cinéaste Clint
Eastwood a choisi les paysages marocains
avec un budget de 59 millions de dollars.
Les scènes se déroulant dans plusieurs
villes irakiennes, Ramadi, Falloujah et Sadr
City, ont en réalité été filmées à Rabat et Salé.
L’histoire suit le tireur d’élite Chris Kyle,
ancien membre des forces spéciales de la
marine américaine, interprété par Bradley
Cooper. Envoyé en Irak, ses exploits lui attirent
de menaces de la part des insurgés.
LA SAISON 3 DE
GAMES OF THRONES,
SORTIE EN 2013
Pour la saison 3 de la série américaine, Games
of Thrones, les scènes dans les villes fictives
d’Astapor et Yunkaï, ont été tournées à
Essaouira, Ouarzazate et la Casbah d’Aït
Benhaddou en 2012. Tirée des romans de
G. R. R. Martin, la série suit les combats de
plusieurs dynasties pour accéder au Trône
de fer, le pouvoir absolu. Avec des épisodes
coûtant environ 15 millions de dollars, la série
aurait coûté plus d’un milliard de dollars au total, un des
plus chères de l’histoire.
MISSION IMPOSSIBLE :
ROGUE NATION,
SORTIE EN 2015
Doté d’un budget de 150 millions de dollars, le cinquième volet
de Mission Impossible, Rogue Nation, a tourné plusieurs scènes
à Derb Lyhoudi à Casablanca, ainsi qu’à Rabat et au stade de
Marrakech en 2014. Le tournage a fait fermer un tronçon de
l’autoroute de Marrakech, pendant deux semaines.
Dans cet opus, l’agent Ethan Hunt, joué par
Tom Cruise se retrouve isolé alors que le groupe
criminel, le Syndicat, sévit avec des attaques
terroristes de plus en plus violentes.
007 SPECTRE,
SORTIE EN 2015
La 24 ème aventure de James Bond, Spectre, a trouvé ses décors à Oujda et Tanger. Dès
2014, des scènes ont été filmées avec Daniel Craig, jouant l’espion. Un an plus tard,
l’équipe est revenue pour tourner dans la médina de Tanger et à Erfoud, dans la région
de Rissani. Un message survenu du passé emmène James Bond dans une aventure très personnelle.
Lorsqu’il réussit à infiltrer une réunion secrète, l’agent découvre l’existence d’une redoutable organisation, Spectre.
Octobre 2024 / Maroc
31
CE QUI EST TOURNÉ
AU MAROC
SÉRIE VIKINGS, SAISON 5,
SORTIE ENTRE 2017 ET 2019
La série de guerre canado-irlandaise Vikings est venue tourner une
partie de sa cinquième saison au Maroc, notamment à Rissani,
Merzouga, Errachidia, Erfoud et Ouarzazate, en 2016 pendant un
mois. Pour cette série, chaque épisode coûte 4 millions de dollars.
La série se déroule à la fin du VII e siècle et suit les exploits d’un groupe
de Vikings, et de Ragnar Lothbrok un jeune guerrier. Avide d’aventures,
ce dernier se met à explorer l’Ouest de la Scandinavie par la mer.
BUREAU DES LÉGENDES,
SORTIE ENTRE 2016 ET 2020
Les scènes de la saison 2 de la série d’espionnage Le Bureau des
Légendes, ont été tournées à Casablanca en 2016, censée représenter
Téhéran. La série revient en 2019 pour la saison 5 à Ouarzazate,
représentant le Sinaï. Chaque saison a coûté entre 15 et 20 millions
d’euros. La série suit le département Bureau des Légendes, des services
secrets français, s’occupant de la formation des agents à l’étranger.
De retour de Syrie, l’agent Malotru semble avoir du mal à oublier ses
années de service.
MEN IN BLACK : INTERNATIONAL,
SORTIE EN 2019
Dérivé de la franchise, Men in Black : International, a tourné plusieurs
séquences au Maroc en 2018, notamment dans la médina de Marrakech
pour filmer les ruelles effervescentes. Pour ce film, le budget était de
110 millions de dollars. Dans ce spin-off s’inspirant de l’univers des Men
in black, organisation ultra-secrète contrôlant la présence d’extraterrestres,
les agents s’attaquent à une nouvelle mission : démasquer
une taupe au sein de l’organisation.
INDIANA JONES ET LE
CADRAN DE LA DESTINÉE,
SORTIE EN 2023
Le cinquième épisode de la saga
américaine Indiana Jones a filmé plusieurs
scènes à Fès, en 2021, censé représenter
Tanger. Pour ce film, le budget s’élevait
à 387,2 millions de dollars. Pour la dernière
fois, Harrison Ford endosse le costume
de l’archéologue Indiana Jones, pour
partir à la recherche du cadran d’Archimède
qui aurait le pouvoir de repérer les fissures
temporelles. Dans ce nouvel épisode,
Indiana Jones rencontre Helena Shaw,
sa filleule.
PRISON BREAK,
SAISON 5
SORTIE EN 2017
Pour le tournage de sa cinquième saison,
la série américaine Prison Break s’est
rendue dans la région de Ouarzazate
pendant plusieurs mois en 2016. Les
paysages marocains étaient censés
représenter le Yémen. Chaque épisode
a coûté environ 2 millions de dollars. La
série suit Michael Scofield, un ingénieur
surdoué, qui est persuadé de l'innocence
de son frère Lincoln, emprisonné. Pour
le sauver de la peine
de mort, Michael se fait
incarcérer avec lui pour
organiser leur évasion.
GLADIATOR 2,
SORTIE EN
NOVEMBRE 2024
Ridley Scott revient avec Gladiator 2,
après le tournage du premier film,
Gladiator. En 2023, l’équipe de tournage
est revenue en construisant une
arène géante près de Ouarzazate,
où l’essentiel du film a été tourné
avec un budget de 200 millions
de dollars.Le personnage principal
Lucius, déjà présent dans le premier
film, ici interprété par Paul Mescal,
est très admiratif du parcours de
Maximus, et doit suivre ses traces.
32 Maroc / Octobre 2024
EN COMPÉTITION
MORA EST LÀ
MORA EST LÀ,
LA MÉMOIRE AUSSI
Khalid Zairi, avec « Mora est là », offre un hommage poignant et sans artifices
aux mineurs marocains de l’après-guerre, partis travailler dans les mines du nord
de la France. Un film aussi efficace que nécessaire.
PAR JIHANE BOUGRINE
avec Mora est là, au coeur d’une histoire oubliée
Dans la douleur comme dans la douceur
Mora est là, Khalid Zairi nous
offre un regard sincère et émouvant
sur une partie méconnue de l’histoire marocaine.
Ce documentaire revient sur les parcours
douloureux des mineurs marocains
partis travailler dans les mines de charbon
du nord de la France entre les années 1950
et 1970. À travers une mise en scène classique
mais maîtrisée, Zairi nous plonge dans
les témoignages bruts de ces hommes, dont
les récits ont trop longtemps été ignorés.
Loin des documentaires souvent plus esthétisés,
Mora est là adopte une approche plus
simple et directe et vient confirmer le supplément
d’être qu’il propose. Ce qui pourrait
paraître un manque d’audace formelle se
transforme ici en une force, car cela permet
aux protagonistes d’être au cœur du récit,
sans fioritures. Leur souffrance et leur résilience
sont mises en lumière avec authenticité.
Khalid Zairi évite le piège du misérabilisme,
préférant célébrer la dignité de ces
héros de l’ombre, qui ont sacrifié leur santé
et parfois leur vie pour des conditions de travail
inhumaines. Ce film dépoussière avec
brio un pan de l’histoire marocaine qui reste
encore trop peu exploré dans le cinéma. Il
remet sur le devant de la scène des hommes
souvent oubliés par l’histoire officielle, des
hommes qui ont vécu dans l’ombre, entre le
poids de l’exil et la dureté des mines. Le réalisateur
ne cherche pas à réinventer la forme
documentaire, mais il injecte dans son film
une dose d’humanité et d’émotion qui rend
Mora est là profondément bouleversant.
En évitant de se perdre dans des effets de
style, Khalid Zairi permet au sujet d’émerger
avec une sincérité touchante. Il nous fait
redécouvrir ces hommes à travers leurs souffrances,
mais aussi leurs espoirs et leurs luttes
pour une vie meilleure. Le rôle central
CRÉDIT : DR
EN ÉVITANT DE
SE PERDRE DANS
DES EFFETS DE
STYLE, KHALID
ZAIRI PERMET AU
SUJET D’ÉMERGER
AVEC UNE SINCÉRITÉ
TOUCHANTE
du recruteur Félix Mora, sans être explicitement
montré, est omniprésent dans le film,
car ses choix ont façonné la vie de plus de
70 000 Marocains. Le film est une aventure
humaine avant tout, c’est un documentaire
qui, sans révolutionner le genre, vient combler
un vide dans la mémoire collective. Khalid
Zairi signe ici une œuvre marquante, un
hommage à ces travailleurs dont les histoires
résonnent encore aujourd’hui. Faire la
lumière sur ces parcours, c’est reconnaître
leur contribution et leur rendre justice, et
c’est là toute la force de ce documentaire
aussi humain que nécessaire. ●
Maroc
4 / 5
TITRE : Mora est là
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Khalid Zairi
GENRE : Société, Documentaire
DURÉE : 90 minutes
ANNÉE : 2023
Octobre 2024 / Maroc
33
EN COMPÉTITION
ANIMALIA
FANTASTIQUE
CRÉDIT : WRONG FILMS
TRAGIQUE
Primé en 2023 lors du prestigieux
festival Sundance en Australie,
« Animalia » de Sofia Alaoui a tout juste
fait son entrée dans les salles de cinéma
du Maroc. Il est actuellement en
compétition au Festival national du film
de Tanger, apportant une touche de
fantastique à la sélection officielle. Dans
son film, l’étrange et la remise en question
sont omniprésents et une exploration
d’univers à la limite du réel fascine.
PAR REDA K. HOUDAÏFA
L'interprétation remarquable d'Oumaima Barid dans le rôle principal d'Itto se distingue par son intensité
Portée par le personnage d'Itto, une
jeune femme tiraillée entre deux
mondes, Animalia explore les
thèmes de la richesse, du pouvoir, et en partie
celui de la quête identitaire. Confrontée
à l'abîme qui sépare son milieu d'origine de
celui de son époux, Itto est plongée dans
une spirale de chaos et de mystère. Si le
film parvient à créer une atmosphère oppressante
et à susciter la curiosité, il peine à
approfondir la psychologie de ses personnages
et à donner une véritable épaisseur
à son intrigue.
Ce long métrage se distingue par sa capacité
à instaurer une ambiance oppressante. Les
plans larges sur les montagnes de l'Atlas, associés
à une bande-son discrète mais efficace,
renforcent ce sentiment d'isolement et d'imminence.
Les phénomènes cosmiques qui
parsèment le film, bien que jamais véritablement
expliqués, troublent la réalité et invitent
le spectateur à interroger les limites entre le
visible et l'invisible.
L’interprétation d’Oumaima Barid dans le rôle
principal mérite d'être soulignée. Elle incarne
une femme à la fois fragile et déterminée,
crédible et émouvante. Sa performance, nuancée
et subtile, permet d'explorer les profondeurs
psychologiques d'une femme confrontée
à des forces qui la dépassent, telles que
sa grossesse et les événements surnaturels.
Malgré ces qualités, le film se heurte à des
problèmes de narration qui affaiblissent son
impact. Si les images sont souvent saisissantes,
leur signification reste parfois énigmatique,
voire excessive. Le film semble vouloir
aborder trop de sujets à la fois, au risque
de diluer son propos. Les thèmes, bien que
LES PLANS LARGES SUR LES MONTAGNES
DE L'ATLAS, ASSOCIÉS À UNE BANDE-SON
DISCRÈTE MAIS EFFICACE, RENFORCENT CE
SENTIMENT D'ISOLEMENT ET D'IMMINENCE
34 Maroc / Octobre 2024
d'importance, ne sont pas suffisamment développés
pour susciter une véritable réflexion.
L'utilisation de plusieurs langues – berbère,
arabe, et français – aurait pu être un atout,
mais ici, cette expérimentation linguistique
ne trouve pas son aboutissement. Les dialogues
peinent à traduire la complexité des relations
entre les personnages, manquant ainsi
de fluidité et de richesse.
Animalia nous invite à un voyage dans l'inconnu,
mais s'arrête aux portes d'un mystère
qu'il ne daigne pas résoudre. Le fantastique
y est utilisé comme un simple décor, sans véritable
fonction narrative. Les événements surnaturels,
bien que saisissants, ne servent qu'à
créer une atmosphère pesante, sans apporter
de réponses aux questions qu'ils suscitent.
Le spectateur, en quête de sens, se retrouve
déçu par un final abrupt et peu satisfaisant.
Le pari d'Alaoui de conjuguer réalisme social
et fantastique est risqué, et le film ne le relève
pas entièrement. En tentant de concilier ces
deux genres, la cinéaste peine à trouver un
équilibre satisfaisant. Plutôt que de rester
ancré dans le quotidien de son héroïne et
d’explorer plus intimement son cheminement,
le récit se disperse dans des digressions métaphysiques.
L’inabouti
Bien que le film dresse un portrait juste de
la bourgeoisie marocaine, il ne va pas au-delà
des apparences. L'aspect social, pourtant
central à l'intrigue, est traité de manière
convenue. Les événements surnaturels, qui
auraient pu révéler les tensions sous-jacentes
de cette société, se contentent de les exacerber
sans les transformer. On attendait une
critique plus incisive, une véritable dissection
de ce milieu.
L'allégorie, lorsqu'elle est bien utilisée, peut
être un outil puissant pour critiquer la société,
mais elle exige une grande finesse. Les symboles,
bien que riches de sens, restent ici trop
énigmatiques, empêchant le spectateur de saisir
pleinement la portée de la critique. Le film
CRÉDIT : WRONG FILMS
se contente de suggérer, sans jamais affirmer.
Certaines séquences témoignent d'un réel
talent cinématographique, mais l'ensemble
souffre d'inégalités. Animalia oscille entre des
moments de grande poésie et des passages
plus faibles où le symbolisme l'emporte sur
la narration. Le voyage d'Itto, à la fois physique
et spirituel, aurait mérité un traitement
plus resserré, qui aurait permis au film de réellement
décoller.●
Une scène du film.
Maroc
3 / 5
TITRE : Animalia
PAYS : France / Maroc
RÉALISATEUR : Sofia Alaoui
GENRE : Documentaire/Drame
DURÉE : 90 minutes
ANNÉE : 2023
Octobre 2024 / Maroc
35
EN COMPÉTITION
QUAND ASMAE
EL MOUDIR
RACONTE LE
VERTIGE DE LA
MÉMOIRE
36 Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT : HATEM NECHI
La grand-mère d'Asmae El Moudir contemple sa figurine.
En compétition dans la catégorie longs-métrages documentaires au
Festival national du film de Tanger, « La Mère de tous les mensonges » est
un film à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, un récit aigre-doux
des douleurs du passé dans lequel la réalisatrice multi-primée Asmae El
Moudir ravive une mémoire collective froissée, en explorant ses souvenirs
d’enfance et les horreurs des années de plomb.
la nuit où le Coran a été
révélé au prophète Mohamed.
“C’est
C’est aussi la nuit où Dieu pardonne
nos péchés. Mais pour moi, c’est la
nuit où j’ai gommé le mensonge de ma mère
et où j’ai pris ma première photo ».
Celle qui a grandi dans une famille où les
photos n’étaient pas autorisées, décide à
l’âge de 12 ans de sortir discrètement de la
maison pour prendre une photo chez le
photographe du quartier à l’occasion de
Laylat al-Qadr.
Le film s’ouvre sur cet acte de rébellion dans
lequel la réalisatrice nous plonge à l’aide
de figurines qu’elle fait déambuler dans une
miniature de son quartier d’enfance,
employant sa propre voix qui introduit l’absence
violente d’images. Une anecdote
absorbante, un dispositif ingénieux et une
signature sonore qui hypnotisent le spec-
UNE ANECDOTE ABSORBANTE,
UN DISPOSITIF INGÉNIEUX ET UNE
SIGNATURE SONORE QUI HYPNOTISENT
DÈS LES PREMIÈRES MINUTES DU FILM
Octobre 2024 / Maroc
37
EN COMPÉTITION
Une idée lumineuse pour captiver le spectateur
et adoucit un sujet lourd. C'est aussi et
surtout une belle et tortueuse expérience de
docu-fiction à travers laquelle le spectateur
comprend que le rejet des images par la famille
de la réalisatrice était plus personnel et douloureux
qu'elle ne pouvait le soupçonner.
Le huis clos artistique avec les proches et
l’utilisation de figurines laisse advenir une
parole qui réveille le passé et restitue toute
l’inhumanité des années de plomb. Asmae
El Moudir parvient à évoquer avec une émotion
puissante et une audace poétique ce
qui pour tant de personnes demeure toujours
indicible : un souvenir que l’on s’est
efforcé d’oublier ou que l’on a remodelé
pour se protéger.
Kadib Abyad est le récit d’une famille où
les photographies et représentations, sauf
celles de Hassan II, étaient bannies, et un
questionnement autour de cette interdiction
devient le récit d’un trauma de quartier
: la douleur du survivant et celle du témoin
passif, et l’histoire d’un Casablanca affreusement
endeuillé après la grève réprimée
du 20 juin 1981 à Casablanca.●
Maroc
4 / 5
TITRE : La Mère de tous les mensonges
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Asmae El Moudir
GENRE : Documentaire/Drame
DURÉE : 96 minutes
ANNÉE : 2023
tateur dès les premières minutes du film.
C’est avec cette même énergie qu’Asmae
El Moudir porte son « investigation » sur son
passé et celui de ses proches : une grandmère
grincheuse, des parents aimants, un
voisin jugé instable et un autre pieux. Tous
sont rassemblés dans un atelier « le laboratoire
» dans lequel ils seront amenés à
dialoguer entre eux et à servir le besoin viscéral
de la réalisatrice : comprendre.
Sous le regard glaçant de sa grand-mère,
surnommée Diwana, Asmae El Moudir anime
des figurines au rythme de son récit et compose
grâce à une maquette du quartier de
son enfance, réalisée avec son père, des
scènes presque enfantines, mais dotées
d'un grand pouvoir d'évocation.
CRÉDIT : DR
Une grand-mère qui tourne le dos à la vérité et au présent.
38 Maroc / Octobre 2024
LES MEUTES :
LA NUIT LEUR APPARTIENT
Récompensé d’un prix du jury à Cannes et à Marrakech, le premier long-métrage
de Kamal Lazraq, « Les Meutes » est en compétition officielle au Festival national du
film de Tanger. Les Meutes nous plonge dans les artères de Casablanca la nuit, avec
un père et son fils qui, tant bien que mal, cherchent à se débarrasser d’un cadavre.
Dans ce Casablanca, les rencontres y sont
puissantes, parfois mystérieuses et loufoques.
Hassan se voit donc confier pour mission
de kidnapper un homme dont il ne sait
presque rien et embarque avec lui son fils
Issam, mais comble du sort, l’homme est
mort asphyxié dans le coffre de son véhicule.
Le père et le fils sont lancés dans une course
contre la montre pour se débarrasser du
corps avant l’aube. Au fil de leurs mésaventures,
une vision impressionnante de l’humanité
s’affirme.
Le film nous éclaire également sur une
thématique trop peu explorée dans le cinéma
marocain est qui est celle de la relation
père-fils, et comment les liens du sang qui
les unissent se voient par moment se renforcer
et par d’autres se briser. Comme la légende
de Sysyphe et son rocher qui lui revient
éternellement, nos deux antihéros voient le
corps revenir inlassablement. Le film très
immersif, nous plonge dans plusieurs recoins
de Casablanca. Caméra à l’épaule, longs
plans preque brut, et volontairement mal
éclairé pour mieux nous plonger dans l’obscurité,
la ou le bien et mal sont indifférents.
Kamal Lazraq nous offre un premier film
audacieux, entouré de ces acteurs non-professionnels
(Ayoub elaid et Abdellatif Mastouri)
et de professionnels comme le très juste
Abdellah Lebkiri dans le rôle d’un chef de
gang attachant. Les Meutes signe l’avènement
d’un nouveau cinéma au Maroc, et
c’est probabblement la meilleure découverte
de ce début d’année.●
PAR YACINE KAOUTI
Le film s’ouvre sur un combat de chien.
De cette meute, il n’en ai presque rien,
ou peut-être un peu tout à la fois. Car si
l’on pouvait s’attendre à un film violent, Les
meutes surprend par son réalisme, et pour
son côté drôle et absurde. Inspiré de son
premier court métrage produit Moul Lkelb, et
de sa passion pour prendre des comédiens
non-professionnels, le cinéma de Kamal Lazraq
a ses codes et vient s’ajouter à la liste de
polars de la région qui offrent un regard
singulier sur notre société (Le caire confidentiel
de Tarik Saleh, Mort à vendre de Faouzi
Bensaidi, Ashkal de Youssef Chebbi…)
Maroc
4 / 5
TITRE : Les Meutes
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Kamal Lazraq
GENRE : Polar
DURÉE : 94 minutes
Octobre 2024 / Maroc
39
EN COMPÉTITION
Mehdi et Hamid, deux agents de recouvrement
désorientés en plein désert.
M
ehdi et Hamid, deux agents qui
travaillent pour le compte d’une
société de recouvrement, se
retrouvent au milieu de nul part, dans un
Maroc rural et aride, à devoir faire payer
les paysans surendettés qui n’ont pas remboursé
leur prêt. Ironie du sort: la carte du
Sud du Maroc qu’ils scrutaient au départ
finit par s’envoler, désorientant encore plus
nos protagonistes préalablement paumés.
C’est avec cet imprévu chargé de sens
que Faouzi Bensaidi orchestre l’ouverture
de son film. Le périple de Mehdi et Hamid
commence ainsi par une désorientation
totale face aux lignes géographiques et à
la vie elle-même, marquant le début d’un
voyage à la fois physique et métaphysique
où la recherche de soi devient centrale.
Cette désorientation on la ressent également
en tant que spectateur face à la transition
abrupte mais surprenante d’un genre
à un autre et d’une trame narrative à une
autre. Ce qui commence comme une exploration
légère et humoristique des fractures
sociales à travers le prisme de la satire et du
burlesque, se métamorphose en un voyage
introspectif et mystique des deux protagonistes.
Cette bifurcation initie un ballet d’émotions
et de réflexions chez le spectateur,
40 Maroc / Octobre 2024
VOYAGE DANS LES
CHEMINS TROUBLES
DU DÉSERT
En mai dernier, la 29è édition du Festival International du Cinéma
Méditerranéen de Tétouan rendait un large hommage à Faouzi
Bensaidi en projetant ses treize films dont son dernier longmétrage
« Déserts », en compétition officielle dans la section longsmétrages
au Festival national du film de Tanger. Déserts plonge les
spectateurs, du sable plein les yeux, dans un monde où se mêlent
déserts géographiques et affectifs, western, absurde et onirisme.
PAR SALMA HAMRI
CRÉDIT : DULAC DISTRIBUTION
CRÉDIT : DULAC DISTRIBUTION
CE QUI COMMENCE COMME UNE
EXPLORATION LÉGÈRE ET
HUMORISTIQUE DES FRACTURES
SOCIALES À TRAVERS LE PRISME DE
LA SATIRE ET DU BURLESQUE
dérouté devant les multiples interprétations
et questions sans réponses.
Le désert, personnage à part entière dans
ce film, se mue en théâtre à ciel ouvert. Au
milieu de paysages immenses, Mehdi et
Hamid vadrouillent au volant d’une guimbarde,
dévalent et remontent les pentes dans
des mouvements presque chorégraphiés, à
la recherche du moindre sou.
Octobre 2024 / Maroc
41
EN COMPÉTITION
prendre une deuxième épouse. Ils s’emparent
aussi du seul tapis que possède une
famille qui s’est endettée pour payer le
mariage du frère, et emmènent trois chèvres
d’une autre.
Ils croisent également un coiffeur alcoolique
qui n’ouvre plus boutique, un épicier à la
boutique désertée par l’exode et un couple
de vieux dont le fils est parti tenter sa chance
de l’autre côté de la Méditerranée, tous incapables
de rembourser leurs dettes. Une
suite de gags à l’arrière fond mélancolique
et une mise en scène à travers laquelle se
profile la passion du réalisateur pour le
théâtre.
Ensuite, le choix de Bensaidi de filmer en
longs plans-séquences contribue à l’immersion
dans cet univers aride et poignant, et
enrichit ainsi la narration avec une dimension
presque métaphysique. Les paysages
du désert marocain sont magnifiés par les
plans larges, offrant un contraste avec la
petite échelle humaine des protagonistes
qui, tout comme la carte du Sud du Maroc,
sont susceptibles d’être balayés par les
vents du destin.
Les vastes étendues désertiques servent
non seulement de toile de fond mais aussi
de catalyseur émotionnel pour Hamid et
Mehdi ainsi que le spectateur, notamment
dans la deuxième partie du film lorsque le
récit prend un tournant onirique et contemplatif.
Une seconde partie faite d’errances,
de confessions de moments de silence forts
en émotions.
CRÉDIT : DULAC DISTRIBUTION
Dans l’ensemble, Déserts est un film qui
brille par son humour absurde, intrigue et
éveille les sens, laissant une grande place
à l’imagination du spectateur. Si la misère
et la fracture sociale sont au centre de récit,
de l’amour et de la tendresse rôdent discrètement
dans ce désert économique, émotionnel
et géographique.●
A chaque discussion avec les villageois, une
nouvelle petite histoire alliant le tragique et
le ridicule se dévoile. En effet, le fil débute
comme un film à sketches. Faute de soutirer
de l’argent aux villageois endettés, Mehdi
et Hamid embarquent une camionnette en
piteux état d’un villageois que sa femme a
mis à la porte, parce qu’il a décidé de
Maroc
3 / 5
TITRE : Déserts
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Faouzi Bensaidi
GENRE : Comédie/Drame
DURÉE : 120 minutes
ANNÉE : 2024
42 Maroc / Octobre 2024
L’EMPREINTE DU VENT
UN SOUFFLE ÉGARÉ
QUI S’ÉPARPILLE
Pour son premier long métrage, Layla Triqui se propose de dépoussiérer un
secret du passé qui mène à une quête de soi loin de Tanger. « L’empreinte du vent »
est un film à la fragilité touchante mais un trop plein d’information non maitrisé.
PAR JIHANE BOUGRINE
CRÉDIT : DR
Layla Triqui, à la fois co-scénariste et réalisatrice,
montre dans L’empreinte du vent une
véritable envie de mise en scène. Son
approche se distingue par la simplicité et la
sincérité de sa direction artistique, mais elle
semble parfois se perdre dans la complexité
des sujets qu’elle aborde. Elle a déjà travaillé
sur plusieurs courts-métrages et documentaires
où l’humain est au cœur du récit, et cela
se reflète ici, bien que les ambitions thématiques
débordent parfois le cadre narratif.
Azelarab Kaghatrt et Ouidad Elma entre deux scènes
En s’inspirant de faits réels , L’empreinte
du vent raconte l’histoire de Sophia,
une jeune photographe qui cherche à
s’émanciper de l’autorité paternelle. Dans sa
quête d’indépendance, elle découvre par
hasard que sa mère, qu’elle croyait morte, est
en réalité vivante. Ce bouleversement entraîne
Sophia dans un voyage intérieur où les thèmes
de l’identité, de l’immigration et des secrets
de famille s’entrecroisent.
Visuellement séduisant, le film témoigne d’une
recherche esthétique poussée. La photographie,
tout en douceur et en contrastes, capte
l’essence des paysages marocains et traduit
les émotions de Sophia avec délicatesse.
Cependant, le scénario, riche en idées et en
informations, peine à maintenir une narration
fluide. Les arcs narratifs se multiplient sans
parvenir à s’enraciner solidement, et cette dispersion
affaiblit l’intensité émotionnelle du film.
L’EMPREINTE DU VENT EST UN FILM
QUI RÉVÈLE LES PROMESSES D’UNE
JEUNE RÉALISATRICE DOTÉE D’UNE
SENSIBILITÉ ARTISTIQUE INDÉNIABLE
Du côté du jeu d’acteurs, Jilali Ferhati incarne
avec brio le père de Sophia. Son interprétation
pleine de retenue et de profondeur ancre
le film dans une vérité émotionnelle, faisant
de lui la figure centrale du récit. À ses côtés,
Nadia Niazi, dans le rôle de la mère aux
secrets, délivre une performance touchante,
offrant des moments de grande émotion. En
revanche, Ouidad Elma se retrouve souvent
mal dirigée puisque l’actrice a un charisme
naturel que l’on ne met pas en avant. Dans le
rôle principal de Sophia, elle manque parfois
de présence, rendant son personnage difficile
à cerner.
L’empreinte du vent révèle les promesses d’une
jeune réalisatrice dotée d’une sensibilité artistique
indéniable. L’identité et la maternité sont
des thèmes puissants mais qui, mal exploités,
perdent de leur impact. L’aspect émancipateur
de l’intrigue se dilue dans une structure
éclatée, ne permettant pas toujours au spectateur
de s’investir pleinement dans le récit.
Layla Triqui démontre qu’elle sait raconter des
histoires humaines avec sincérité, mais il lui
reste à maîtriser davantage l’équilibre entre
ambition thématique et narration. ●
Maroc
2 / 5
TITRE : L’empreinte du vent
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Layla Triqui
GENRE : Drame
DURÉE : 100 minutes
ANNÉE : 2024
Octobre 2024 / Maroc
43
EN COMPÉTITION
CRÉDIT : HICHAM LASRI
« Moroccan Badass Girl » marque une étape importante
dans l'évolution cinématographique de Hicham Lasri.
MOROCCAN BADASS GIRL
A TOUT CŒUR
Après une première nationale remarquée au festival
international du Film de Marrakech, « Moroccan
Badass Girl » de Hicham Lasri offrira au Festival national
du film de Tanger dans lequel il est en compétition
officielle, 83 minutes de punch, d’énergie féroce et
d’humour cinglant à travers le quotidien de Kathy,
une jeune femme marocaine en quête d’émancipation.
44 Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT : HICHAM LASRI
Hicham lasri : « Nous vivons une époque de violence éthique
terrible, où l'on nous dicte ce qu'il faut penser et ressentir. »
Fadoua Taleb incarne avec brio Khadija,
alias Kathy, une trentenaire Casablancaise
qui se bat contre les injustices
sociales et les conventions étouffantes. Lassée
d'être exploitée par son entourage, elle
décide de prendre son destin en main, quitte
à bouleverser les codes établis.
Mêlant avec brio comédie et satire, Moroccan
Badass Girl dresse le portrait d'une
société en pleine mutation, où les rêves se
heurtent aux réalités parfois cruelles. Hicham
Lasri ne recule devant rien pour dénoncer
les travers de notre société, et rendre hommage
à la résilience ainsi qu’à la combativité
des femmes marocaines.
« J'ai réalisé ce film pour critiquer la société
de consommation et ses dérives, tout en
m'amusant avec les conventions du genre de
la comédie noire », explique Hicham Lasri.
Il s'agit là d'une célébration de l'esprit combatif
de la femme marocaine, « qui n'est pas soumise
ou victimisée comme on l'imagine souvent,
mais plutôt une pionnière qui se bat,
trébuche et se relève ».
CRÉDIT : HICHAM LASRI
« Moroccan Badass Girl » : Un film audacieux et original qui
explore la « hard life » de Kathy, incarnée par Fadoua Taleb
avec une sensibilité et une créativité indéniables.
La vie en pose
Cependant, malgré le manque d'informations
sur leur vie personnelle, leurs passions et
leurs goûts, tous les personnages nous
intriguent et nous touchent par leurs interactions
et leurs réactions face aux situations
qu'ils traversent. Loin d'être définis par des
étiquettes ou des caractéristiques superficielles,
ils se révèlent à travers leurs actes et
leurs relations avec les autres.
J'AI RÉALISÉ CE FILM POUR
CRITIQUER LA SOCIÉTÉ DE
CONSOMMATION ET SES DÉRIVES,
TOUT EN M'AMUSANT AVEC LES
CONVENTIONS DU GENRE DE LA
COMÉDIE NOIRE
Octobre 2024 / Maroc
45
EN COMPÉTITION
CRÉDIT : HICHAM LASRI
Une scène du film.
Au fil du film, une connexion profonde se tisse
entre le spectateur et ces protagonistes énigmatiques.
On s'immisce dans leurs pensées
et leurs émotions, ressentant leurs joies, leurs
peines, leurs doutes et leurs aspirations. Bien
que leur passé et leurs motivations restent en
partie flous, leur humanité et leur complexité
transparaissent, nous amenant à les comprendre
et à les aimer, même si on ne les
connaît pas entièrement.
C'est là la magie de ce film : il parvient à créer
des personnages fascinants et attachants, tout
en préservant une part de mystère qui renforce
leur authenticité et leur profondeur.
Une comédie noire corrosive pour briser les
carcans
Soit ! Conscient que l'attention du public
peut parfois être détournée par l'image,
Hicham Lasri accorde une importance particulière
à la concision et à l'impact de ses
dialogues. Il privilégie des échanges brefs
et directs.
Plutôt que de longues tirades explicatives,
Hicham Lasri opte pour des phrases courtes
et percutantes qui font mouche. Les dialogues
deviennent ainsi une mélodie rythmée
qui accompagne l'image et renforce l'impact
émotionnel du film.
De gauche à droite : Salah Bensalah, Youssef Rami,
Al Kayssar Amine, Moulay Idriss Fatemi.
Ce choix stylistique n'est pas pour autant
synonyme de superficialité. Au contraire, la
concision des dialogues permet de concentrer
l'attention sur l'essentiel et de révéler
la profondeur des personnages et de leurs
interactions. Les mots choisis avec soin
portent en eux une charge émotionnelle
forte, transmettant les sentiments et les
intentions des protagonistes avec justesse
et efficacité.
LASRI PARVIENT À CRÉER DES
PERSONNAGES FASCINANTS ET
ATTACHANTS, TOUT EN PRÉSERVANT
UNE PART DE MYSTÈRE QUI RENFORCE
LEUR AUTHENTICITÉ ET LEUR
PROFONDEUR
CRÉDIT : HICHAM LASRI
46 Maroc / Octobre 2024
Long cours d’alchimie
Autour de Fadoua, un casting exceptionnel
réunit Saleh Ben Saleh, Ayoub Abou Nasr,
Malek Akhmiss et Mounia Lmkimel.
Ensemble, ils composent une galerie de
personnages hauts en couleur, cabossés
par la vie mais jamais résignés.
Le choix des acteurs est une étape cruciale
dans la réalisation d'un film, et Hicham Lasri
en est parfaitement conscient. Il sélectionne
ses interprètes avec soin et précision, s'assurant
qu'ils correspondent parfaitement aux
personnages qu'ils incarneront. Une fois sur
le plateau, Hicham guide ses acteurs avec
finesse et précision, leur insufflant la vie et
l'âme que l'histoire requiert.
Loin d'imposer une direction rigide, Hicham
crée un espace de liberté créative où ses
acteurs peuvent s'exprimer pleinement. Il
leur donne confiance et les encourage à
explorer leurs personnages en profondeur,
à apporter leur propre sensibilité et leur
propre vision à l'œuvre. Cette collaboration
étroite entre le réalisateur et ses interprètes
donne naissance à des performances authentiques
et touchantes, qui contribuent grandement
à la réussite du film.
Le talent des acteurs, combiné à la vision créative
de Hicham Lasri, donne vie à des personnages
qui nous transportent dans l'univers du
film et nous font vivre leurs émotions comme
si elles étaient les nôtres.
« Pour incarner mes personnages marginaux,
j'ai le privilège de travailler avec mes acteurs
de toujours… Leurs physiques atypiques et
leur talent brut de décoffrage font d'eux des
interprètes hors du commun. Ils sont capables
d'exprimer une multitude d'émotions et de
nuances, donnant vie à des personnages à la
fois touchants et dérangeants (…) Notre collaboration
est une aventure créative permanente.
Ensemble, nous déconstruisons les clichés
et reconstruisons des personnages
complexes et multidimensionnels. Nous nous
amusons à jouer avec les genres et les conventions,
à explorer les limites de l'acceptable »,
confie Hicham Lasri.
Caméra au point
Hicham Lasri adopte parfois une approche
immersive, plaçant souvent la caméra en
position d'observateur externe aux personnages.
Ce choix délibéré permet de créer
une distance objective et de capter la réalité
de manière brute, sans interférence
subjective.
Le spectateur devient ainsi un témoin privilégié
des événements qui se déroulent à
l'écran, comme s'il y était présent. Cette
démarche permet de plonger le public au
cœur de l'action et de ressentir les émotions
des personnages avec plus d'intensité.
En évitant de s'identifier à un point de vue
particulier, la caméra de Hicham Lasri offre
une vision globale de la situation, capturant
les interactions entre les personnages et leur
environnement. Ce choix permet de mettre
en lumière les dynamiques sociales et les
rapports de force qui sous-tendent l'histoire.
Après, Moroccan Badass Girl est un film
audacieux qui ne manquera pas de susciter
des réactions et de provoquer le débat.
« Mon film ne plaira peut-être pas à tout le
monde, et c'est tout à fait normal. Je ne
cherche pas à faire l'unanimité, mais plutôt
à susciter des réactions et à provoquer la
réflexion. Le cinéma doit être un art vivant
et audacieux qui ne laisse pas indifférent »,
affirme ce réalisateur qui n'a pas peur de
bousculer les convenances et de questionner
les normes établies. Le cinéma de Hicham
Lasri est une invitation à la réflexion et à la
remise en question, un hymne à la liberté
individuelle et à l'affirmation de soi.●
Maroc
4 / 5
TITRE : Moroccan Badass Girl
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Hicham Lasri
GENRE : Comédie
DURÉE : 83 minutes
ANNÉE : 2023
Octobre 2024 / Maroc
47
EN COMPÉTITION
FEZ SUMMER 55
AU FIL DES LUTTES
Le dernier long métrage d’Abdelhai Laraki « Fez Summer 55 », est parmi les
14 longs et courts-métrages en lice dans la catégorie Panorama du Festival national
du film de Tanger. Chronique intime des années de résistance et un condensé
d’émotions, de poésie de tendresse à la veille de l’indépendance du Maroc.
PAR REDA K. HOUDAÏFA
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
Maroc
3 / 5
Ayman Driwi (en haut) dans son
premier grand rôle. Il incarne le petit Kamal.
TITRE : Fez Summer 55
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR :
Abdelhaï Laraki.
GENRE : Politique
DURÉE : 120 minutes
ANNÉE : 2024
Nous sommes en 1955. Kamal, 11 ans,
l’interstice entre enfance et adolescence
(un monde solitaire et fragile
de poésie, de rêverie et de violence), vit les
derniers mois du Maroc sous le protectorat
français : attiré par sa voisine de terrasse,
Aïcha (Oumaima Barid), engagée aux côtés
de ses camarades étudiants-résistants de
la Qaraouiyne, Kamal (Ayman Driwi)
découvre et participe avec eux à la lutte
pour l’indépendance et le retour du Sultan
Mohammed Ben Youssef.
«En recréant des séquences de résistance
nationaliste à la violence du colonialisme,
le film renvoie à une période fondatrice de
48 Maroc / Octobre 2024
notre histoire (…) il soulève des questions
qui traversent le champ culturel, et le cinéma
en particulier notamment sur la représentation
de la violence. Les événements racontés
avec précision sont toujours réels, même
s’ils ne se sont pas toujours déroulés dans
la médina de Fès et avec la même intensité.
Je suis plus intéressé par le combat de
ces hommes et de ces femmes pour la liberté
que par l’exactitude géographique. Ce film
leur est dédié, comme un modeste geste
de reconnaissance à travers les générations»,
commente Abdelhaï Laraki.
Dans un contexte historique bouillonnant
de luttes pour l’indépendance, le film explore
avec sensibilité et réalisme les dynamiques
complexes de l’époque, mettant en lumière
la rencontre entre une petite histoire intime
et la Grande Histoire nationale.
Pour une plus belle leçon de résistance
Voilà, en substance, la trame narrative de
ce projet cinématographique qui relie des
EN RECRÉANT DES SÉQUENCES DE
RÉSISTANCE NATIONALISTE À LA
VIOLENCE DU COLONIALISME, LE FILM
RENVOIE À UNE PÉRIODE FONDATRICE
DE NOTRE HISTOIRE
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
Mounia Lamkimel interprétant la mère du petit Kamal
témoignages personnels à la grande Histoire.
L’auteur de tant de projets sur des
sujets sociaux n’a pas perdu son goût pour
la liberté et la lutte contre l’oppression, la
poésie et la folie jubilatoire. Nous avons été
déconcertés, bousculés… mais délicatement.
Avouons-le. On y trouve un univers
graphique proprement happant. La qualité
époustouflante des images et la magie de
la lumière subjuguent. La caméra ne flâne
pas, elle participe : avec son œil cinématographique
aiguisé, Laraki a capturé l’esprit
d’une époque à travers la médina de Fès,
la transformant en un personnage à part
entière. La ville devient le théâtre vibrant
de luttes armées, de romances interdites,
et de la résistance contre l’oppression coloniale.
Les contrastes visuels entre les terrasses,
symbole de liberté, et les ruelles
labyrinthiques, témoins de conflits sanglants,
ajoutent une profondeur visuelle à l’ensemble.
Les costumes, quant à eux, sont
magnifiques. Les maquillages tiennent de
la magie. Et la gestuelle des acteurs est captivante
au sens plein du terme. Une certaine
élégance. Abdelhaï Laraki a accompli à moitié
sa mission.
Les comédiens ont brillé de mille feux :
Oumaima Barid, incarnant Aïcha, se montre
délicieusement survoltée; Mounia Lamkimel
est, dans la peau de la mère du petit
Kamal (interprété brillamment par Ayman
Driwi), d’une sensualité électrisante; Mohamed
Atef arbore magiquement un des trublions-résistants…
Et les nostalgiques retrouveront
avec plaisir Chaïbia Adraoui, Nabil
Atif, Tarik Bakhari, Majida Benkirane et Mohamed
Naimane. L’ensemble est concentré,
juste; il est sans mièvrerie.
Avant de fixer ses pénates au Maroc, le film
s’est offert des premières à travers quelques
festivals (en sélection officielle du prestigieux
festival de Tallinn ; en Asie au 54ème
Goa IFFI et, dans la région MENA, lors du
récent Red Sea film festival de Djeddah)
comme pour nous mettre en haleine. Partout
où il s’est exhibé, il força l’admiration.
Oumaima Barid campe le rôle de la jeune Aïcha.
L’actrice, qui fait notre Couv’, connaît actuellement une
ascension fulgurante.
Ainsi, Fez Summer 55 peut, en toute
confiance, se donner à voir au public
marocain car c’est un bon film, vibrant, qui
palpite d’une vive émotion. Ce qui n’est
pas mal.●
Octobre 2024 / Maroc
49
EN COMPÉTITION
LA DERNIÈRE RÉPÉTITION
QUAND YASSINE
OUBLIE D’ÊTRE FENNANE
Avec « La dernière repetition », Yassine Fennane livre un film qui, malgré de
grandes promesses, se perd dans une mise en scène égocentrique et une tension
psychologique mal exploitée. Loin de la radicalité attendue, cette plongée dans
l’univers théâtral manque d’intensité et laisse le spectateur sur sa faim.
PAR JIHANE BOUGRINE
On l’avait découvert avec sa fougue
légendaire sur des films aussi inventifs
que Karyan Bollywood ou El Haykel
(Squelette), et où il nous avait habitués
à un cinéma original, capable de capturer
des instantanés saisissants de la société
marocaine, entre satire sociale et exploration
des marges. Ses précédentes œuvres
se distinguaient par un regard à la fois critique
et poétique, et Karyan Bollywood notamment,
avec son hommage ludique à l’industrie
cinématographique indienne, avait su
conquérir un public séduit par sa fraîcheur
et son audace. Dans El Haykel (Squelette),
Yassine Fennane plongeait avec brio dans
un univers sombre et métaphorique, explorant
la fragilité de la condition humaine.
Autant dire que l’attente était grande pour
ce nouveau film.
Avec La dernière répétition, Yassine Fennane
nous entraîne dans l’univers du théâtre
avec une promesse alléchante : celle de
la mise en scène de Les Bonnes de Jean
Genet, pièce déjà riche en tensions psychologiques.
Le synopsis est intrigant : un metteur
en scène en proie à ses démons intérieurs,
entre antidépresseurs et crises
existentielles, prépare sa troupe pour une
représentation devant des figures importantes
de la culture. Le film, qui aurait dû capitaliser
sur le potentiel dramatique du processus
théâtral, perd pied en se focalisant
sur un personnage principal trop égocentré,
sans jamais vraiment s’interroger sur ce qui
fait l’essence même du théâtre. Le spectateur
reste en dehors de cette mise en scène,
comme un témoin impuissant des tourments
d’un metteur en scène qui se bat avec ses
propres démons, sans pour autant réussir à
nous faire entrer dans son univers mental.
Cette répétition semble en effet être celle
de ses propres travers, où le réalisateur s’enferme
dans une mise en scène désordonnée
CE QUI DEVAIT ÊTRE UN HUIS CLOS
INTENSE SE TRANSFORME EN UN
ENCHAÎNEMENT DE SCÈNES SANS
VÉRITABLE TENSION
et une narration qui ne tient pas la route. Ce
qui devait être un huis clos intense se transforme
en un enchaînement de scènes sans
véritable tension.
Cependant, il serait injuste de ne pas souligner
le talent de Yassine Fennane pour le sens
de certains détails. Il conserve une certaine
maîtrise dans la captation de l’atmosphère
théâtrale, mais cela ne suffit pas à sauver un
propos qui devient parfois dérangeant. En
traitant de la maladie mentale avec une telle
légèreté, le réalisateur frôle le cliché et nous
prive de cette finesse psychologique qui aurait
pu donner plus de profondeur à l’intrigue.
Faire un film sur le processus de création
d’une pièce est un sujet classique, mais ici, il
manque cette radicalité qui aurait pu insuffler
une énergie nouvelle au projet.
Cette heure en enfer peut être porteuse
d’une certaine catharsis au cinéma et on
aurait aimé voir cette heure transformée en
un moment fort, puissant, capable de provoquer
des émotions contradictoires. La
dernière répétition semble bien porter son
nom: une répétition de ce que Yassine Fennane
a déjà fait, mais en moins maîtrisé, et
avec une tension psychologique qui s’évapore
trop vite.●
Maroc
2 / 5
TITRE : La dernière répétition
PAYS : Maroc
RÉALISATEUR : Yassine Fennane
GENRE : Drame psychologique
DURÉE : 95 minutes
ANNÉE : 2024
50 Maroc / Octobre 2024
PAROLES À
Octobre 2024 / Maroc
51
PAROLES À
52 Maroc / Octobre 2024
SOFIA ALAOUI
UNE RENCONTRE
DU TROISIÈME
TYPE
Sofia Alaoui a dû patienter un peu trop
longtemps pour voir son premier long métrage,
« Animalia », sortir enfin dans les salles de cinéma
au Maroc. Elle le présentera quelques semaines
plus tard au Festival national du film de Tanger
dans lequel il est en compétition dans la sélection
officielle. Rencontre avec une artiste qui refuse
de se laisser enfermer dans des cases.
PAR YACINE KAOUTI - CRÉDIT PHOTOS : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC
Octobre 2024 / Maroc
53
PAROLES À
TRENTE ANS ET
DES POUSSIÈRES,
Sofia Alaoui passe
à la cour des longs
Née à Casablanca, elle a partagé son
enfance entre le Maroc et la Chine.
« J’avais cinq ans lorsque mon père
a été affecté en Chine. Je suis revenue au
Maroc à l’âge de onze ans », précise-t-elle.
Durant cette période, son père lui offre une
petite caméra, qu’elle utilise pour immortaliser
les voyages familiaux en Asie. « Je prenais plaisir
à réaliser de petits films avec mes amis »,
se souvient-elle lors d’une interview qu’elle
nous avait accordée il y a quelques mois.
Ainsi, ce qui n'était au départ qu'une aspiration
s'est transformé en une véritable nécessité
à l'obtention de son baccalauréat. Le destin
est scellé. Animée par une passion
dévorante pour le cinéma, elle se dirige résolument
vers la ville des arts : Paris.
« C’est le scénario qui m’a toujours captivée,
car c’est ce qui me transporte le plus dans un
film. J’ai rapidement compris qu’il était essentiel
de maîtriser cet aspect à la perfection. »
Pour réaliser un bon film, trois éléments sont
indispensables : une bonne histoire, une bonne
histoire, et une bonne histoire. On l’imagine
aisément passer des nuits entières à écrire,
absorbée par ses pensées, oubliant le temps
qui s’écoule... « Cela demande énormément
de temps. Mon approche du scénario est très
classique, à l’américaine, avec des techniques
de dramaturgie. Je m’appuie sur des modèles,
des schémas... C’est très mathématique »,
confie-t-elle avec un sourire.
Puis, à un certain moment, la belle mécanique
des rendez-vous parisiens s'enrayait : « il n’y
avait pas de réseau ». Il fallait alors improviser
et tirer parti de toutes les ressources disponibles.
Sofia s’est découverte une âme de messie :
« Je me suis dite : je ne vais pas attendre que
les rencontres se produisent, il faut les provoquer.
» C’est ainsi qu’elle a lancé les « Rendez-vous
des scénaristes », en faisant de cet
événement un espace d’échanges et de
débats. « J’avais invité les directeurs d’acquisition,
ceux qui achètent les films, de presque
toutes les chaînes : M6, TF1, Canal+... Des
personnalités clés dans le financement des
films », précise-t-elle.
Elle y exerçait en tant que lectrice et sélectionniste
de scénarios pour le « pitch » et les
« séances de consulting ». L’aventure fut écourtée,
faute de temps, inévitablement. Après un
an et quelques mois de bons et loyaux services,
elle rendit son tablier.
Le salut finit par arriver. Elle se serre drastiquement
la ceinture et, en 2013, mijote à petit
feu mais avec une grande flamme un court-métrage
intitulé éloquemment : Le Rêve de Cendrillon.
Quelques années plus tard, elle réalise
coup sur coup quatre autres
courts-métrages : Kenza des choux (2018),
Qu'importe si les bêtes meurent (2019), Les
Vagues ou rien (2019), et The Hidden Lake
(2020).
Mais jusque-là Sofia s'est consacrée exclusivement
aux courts-métrages. On l'incite vivement
à se lancer dans le long. Elle ne se sent
pas encore d’attaque, tergiverse longuement,
puis prend le mors aux dents. C'est ainsi qu'Animalia
voit le jour.
Sofia a toujours été en quête de nouvelles
manières de raconter et de structurer un récit.
Elle s'efforce de pousser les limites de ce qui
peut être représenté : « Je vais vraiment jusqu'au
bout, même dans l’intention visuelle. D'autant
plus que je suis quelqu’un de très instinctif : je
fais les choses comme je les ressens ».
Sofia ne doute de rien. Elle a gagné la reconnaissance
du métier et fera en sorte que ses
premiers pas dans le long-métrage ne vacillent
pas. Moteur !●
PAR REDA K. HOUDAÏFA
54
Maroc / Octobre 2024
Octobre 2024 / Maroc 55
PAROLES À
Depuis votre César, vous avez rapidement
enchaîné avec votre premier long métrage,
Animalia. On retrouve souvent une continuité
entre un premier court-métrage et
un premier long chez certains réalisateurs.
Est-ce que cette linéarité entre Qu'importe
si les bêtes meurent et Animalia était une
démarche intentionnelle dès le départ ?
J’ai toujours été attirée par le mystère et
l’étrange dans mes films. Les thèmes explorés
dans Qu’importe si les bêtes meurent et
Animalia sont des sujets qui me passionnent
depuis longtemps. Le court métrage m’a
permis de tester des idées, de mieux comprendre
ma manière de travailler, non seulement
pour les autres, mais aussi pour moimême.
Le succès de votre court métrage a-t-il
ouvert les portes plus rapidement pour la
réalisation d'Animalia ?
On ne va pas se mentir, sans le succès du
court-métrage, je n’aurais jamais eu la liberté
de faire un film comme Animalia, où j’ai vraiment
eu carte blanche. C’était une véritable
chance.
Le temps de production entre votre dernier
court-métrage et votre premier long
a été court. Comment vous êtes-vous organisée
pour un projet aussi ambitieux ?
Animalia était un projet extrêmement ambitieux
pour un premier long métrage. Entre
les animaux, les acteurs non-professionnels,
et les nombreux effets spéciaux—que je
n’avais jamais abordés auparavant—c’était
une vraie machine à orchestrer. Le film pouvait
facilement tomber dans le kitsch, ce qui
ajoutait à la pression. Nous n’avions pas
beaucoup de temps entre le court et le long,
et cela a eu ses avantages et ses inconvénients.
D'un côté, le succès du court métrage
a rassuré et facilité le financement du long,
surtout pour un projet aussi complexe. Mais
d’un autre côté, le court a suscité des
attentes élevées. En France comme au
Maroc, il a été largement vu, notamment
grâce à sa diffusion en ligne pendant la pandémie
du Covid-19. Cette visibilité t'expose
à être attendue au tournant pour ton premier
long métrage, ce qui peut être très
stressant. J'essaie de ne pas me laisser sub-
56
Maroc / Octobre 2024
merger par ces attentes, et de me concentrer
sur la création d'un film qui me ressemble,
mais il faut savoir prendre du recul.
Comment s'est porté votre choix sur
Oumaima Barid, l’actrice principale qui
joue le rôle d’Ito ?
Dès que j'ai vu ses premières vidéos, j'ai
senti que c'était une évidence. Quand je l'ai
rencontrée, j'ai été frappée par la complexité
qu'elle dégageait. Oumaima incarne à la fois
une fragilité apparente, celle d'une jeune
femme douce selon les stéréotypes, mais
elle révèle aussi une force intérieure presque
agressive. Elle casse l'image traditionnelle
de la femme qu'on voit souvent. Je cherchais
un personnage qui incarne cette dualité
: une jeune femme qui, tout en semblant
conforme, cache un esprit rebelle, mais pas
de la manière stéréotypée. Souvent, on voit
des personnages féminins qui sont soit des
victimes, soit des rebelles. Mais pour moi,
en tant que femme, la réalité est plus complexe.
On peut être à la fois forte et douce
sans entrer dans ces clichés.
MÊME SI JE POSE TROP DE QUESTIONS,
MON BUT ULTIME EST DE RACONTER DES
HISTOIRES À TRAVERS DES IMAGES ET
NON PAS MENER UNE INVESTIGATION
Votre film commence avec l'impression
de voir un drame social marocain classique,
puis au bout de vingt minutes, on
bascule dans un road-movie fantastique.
Comment vous êtes-vous imprégnée de
ces genres ?
Ce que je voulais, c’était créer une rupture
non seulement dans l’histoire, mais aussi
dans la manière de surprendre le spectateur.
L'idée était de le sortir de ses attentes
pour l'emmener dans un voyage inattendu.
On débute dans une famille marocaine bourgeoise
avec des dynamiques de classe bien
établies, mais je voulais bouleverser cette
situation.
À Sundance, on a qualifié le film de « Grounded
Sci-Fi », un genre qui me parle beaucoup
et que je continue d'explorer parce
qu'il m'excite aussi bien en tant que réalisatrice
qu'en tant que spectatrice. Ce sont des
films ancrés dans le réel, mais où quelque
chose d'étrange se produit.
Octobre 2024 / Maroc
57
PAROLES À
C’était aussi la première fois ou vous travailliez
avec des effets spéciaux…
Je n’ai jamais été particulièrement fan des
effets spéciaux. Ce qui est intéressant, c’est
que même ceux qui travaillent régulièrement
avec, comme Denis Villeneuve, cherchent à
les minimiser. Villeneuve privilégie les décors
naturels autant que possible, même sur des
films à gros budget comme Dune. Arnaud
Fouquet, le superviseur des effets spéciaux
sur Animalia, partage cette philosophie. Il dit
toujours : « Si on peut le faire en vrai, on le
fait en vrai ». Ce n’est pas une approche de
passionnés d’effets spéciaux qui veulent tout
transformer numériquement. Travailler avec
des gens qui comprennent les limites des
effets spéciaux est vraiment agréable. Cela
dit, ces effets permettent de raconter des
histoires autrement inaccessibles.
Il y a pourtant très peu de films marocains
qui utilisent des effets spéciaux, souvent
par manque de moyens et d’ambition.
C'est vrai qu'aujourd'hui, rassembler les
fonds nécessaires pour une bonne post-production
et de beaux effets spéciaux reste
un défi, surtout au Maroc. Quand j’ai présenté
Animalia aux États-Unis, ils ont été
surpris de voir ce que j’avais réussi à faire
avec un budget aussi limité. Pour eux, c’était
presque irréaliste, surtout vu le nombre d'effets
spéciaux et le temps de post-production
qui aurait dû être beaucoup plus long.
Aux États-Unis, on m’a dit que j’avais fait des
miracles avec deux francs six sous. À l’échelle
du Maroc, ou même de la région arabe, c’est
certain qu’on a été chanceux.
Ce genre de film nécessite une organisation
spécifique dès le départ, notamment en
ce qui concerne la post-production. On ne
peut pas simplement suivre le schéma classique
du tournage, montage, puis livraison.
Il faut prévoir des pauses pour intégrer les
effets spéciaux, ce qui demande une
approche différente, une déconstruction du
processus habituel. Et il faut aussi des producteurs
qui comprennent ces spécificités
et qui sont prêts à s’adapter à différentes
manières de fabriquer un film.
Animalia est un film trilingue, avec de
l’arabe, du berbère et du français. Parfois,
on peut se sentir un peu perdu quand les
personnages passent d'une langue à l'autre.
Comment avez-vous réussi à harmoniser
ces trois langues dans un même film ?
Oui, Animalia est trilingue, et cela reflète la
réalité de la société marocaine. Pour moi, c’était
une évidence. Quand on est dans les montagnes
de l'Atlas, par exemple, les gens parlent
berbère, c’est leur langue. Cela fait une dizaine
d'années que je suis revenue au Maroc, et j'ai
constaté qu'il y a encore une sorte de mépris
de classe entre ceux qui parlent darija et ceux
qui parlent berbère. C'est une réalité marocaine
: les gens de la ville et ceux de la montagne
sont perçus différemment. Il était important
pour moi de représenter cette diversité
linguistique et sociale à travers les langues
utilisées dans le film.
Pouvez-vous revenir sur les conditions de
tournage et les plus grands défis que vous
avez rencontrés ?
Les défis ont été nombreux, et certains ont
vraiment mis à l’épreuve notre capacité à
improviser. Par exemple, pour une scène clé
où Oumaima devait enlacer un mouton, on
avait besoin d’un animal dressé. Mais le jour
J, j’ai découvert que le mouton avait été
récupéré chez un berger la veille. C'était un
moment de panique car la scène, centrale
dans le film, risquait de ne pas fonctionner.
58
Maroc / Octobre 2024
Par chance, un miracle s’est produit, et on
a réussi à obtenir une prise.
Ce qui est difficile, c’est cette lutte constante
pour que tes idées se concrétisent. On se
retrouve souvent à devoir batailler pour préserver
la vision initiale, parfois contre des éléments
imprévus. Par exemple, pour les décors
de l'Atlas, je voulais des plans précis pour capturer
l’aspect lunaire du paysage. Deux jours
avant le tournage, on m'a dit que je ne pourrais
pas tourner là où je l'avais prévu. Ces
décors étaient essentiels pour l'aspect poétique
du film. Heureusement, j'avais une équipe
déterminée qui a cherché à contourner ces
obstacles, en trouvant des fenêtres météo favorables
pour tourner, même si ce n’était que
pour une heure. C’est très compliqué de gérer
ce genre de situations, surtout quand tu dois
jongler avec les caprices de la météo.
Votre film est sorti et a été distribué dans
plusieurs pays. Il sort enfin le 18 septembre
au Maroc. La boucle est enfin bouclée ?
Le film a fait sa première à Marrakech il y a
un an, et même si j'aurais aimé qu'il sorte
plus tôt, le voir enfin dans les salles marocaines
marque une sorte de finalité. C’est
un moment à la fois excitant et un peu déstabilisant.
Une fois qu’un film est montré au
public, il ne t’appartient plus totalement. Il
prend son propre chemin.
On voit émerger une nouvelle vague de
réalisateurs marocains comme Asmae El
Moudir, Yasmine Benkiran et vous-même.
Comment vous sentez-vous par rapport à
l’idée d’être porte-drapeau de ce renouveau
cinématographique ?
Il y a une vraie fierté nationale à voir ce qui
se passe au Maroc aujourd'hui, au-delà du
cinéma. Le pays connaît un renouveau dans
de nombreux domaines comme la photographie,
la peinture, et la musique, c’est un
moment incroyablement dynamique pour la
jeunesse marocaine. Alors, parler uniquement
de cinéma serait réducteur. Le Maroc
est en train de produire des talents dans tous
les domaines, y compris le sport, et le monde
entier commence à nous regarder différemment,
à attendre des choses de nous. C'est
gratifiant de faire partie de ce mouvement,
d'être présente à ce moment particulier,
même si le concept de « bon moment » est
relatif. Nos métiers restent extrêmement difficiles,
mais c’est passionnant de voir ce
renouveau s’épanouir autour de nous.
Après Animalia, vous vous êtes rapidement
lancée dans la préparation de votre
prochain long métrage, Tarfaya. Pouvez-vous
nous en dire plus sur ce projet ?
Tarfaya est un film que j’ai en tête depuis
longtemps. C’est une sorte de thriller médical
qui se déroule à Tarfaya, une ville du sud
du Maroc. L’histoire suit une jeune médecin
d’une quarantaine d’années, interprétée par
Zineb Triki, confrontée à une série de cas
médicaux mystérieux. Les habitants de Tarfaya
commencent à sombrer peu à peu dans
un sommeil dont ils ne se réveilleront pas.
Le film explore cette enquête médicale dans
un futur proche, où la ville est bouleversée
par des changements climatiques. C’est un
projet qui me passionne, et nous espérons
le tourner dans un an. Nous avons eu la
chance de recevoir le soutien du Centre
Cinématographique Marocain (CCM), ce qui
est un grand pas en avant, et nous sommes
en pleine recherche de financement.
Vous vous apprêtez également à réaliser
un film anglais…
Oui, en effet. Mon agent américain m'a proposé
une nouvelle de J.G. Ballard, un auteur
culte qui a été adapté par des réalisateurs
comme Spielberg et Cronenberg. La nouvelle
s'appelle Delta at Sunset et se déroule dans
une jungle où des événements très étranges
se produisent. J’ai immédiatement eu un coup
de cœur pour l’histoire, car elle résonne avec
mon amour pour les paysages et l’étrangeté.
Je suis actuellement en pleine écriture de ce
projet avec la BBC et des producteurs anglais,
notamment ceux de Call Me by Your Name.
C’est un projet qui me passionne énormément,
car il me permet de grandir en tant que
réalisatrice et de montrer que nous, les réalisateurs
marocains, avons également notre
place sur la scène internationale.●
Octobre 2024 / Maroc
59
PAROLES À
«na
ourija !»
Les prix et les nominations, « La Mère de tous les
mensonges » d’Asmae El Moudir les collectionne
depuis mai 2023. La réalisatrice qui a fait le choix de
d’utiliser des figurines pour raconter sa mémoire et celle
de tous, revient dans cette interview sur les rouages de
son dispositif ingénieux et sur ses bavardages d’esprit
autour des souvenirs qui ont façonné son film en
compétition au Festival national du film de Tanger.
PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT PHOTOS : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC
60 Maroc / Octobre 2024
Octobre 2024 / Maroc
61
PAROLES À
ASMAE
EL MOUDIR,
la cinéaste
qui ausculte
les souvenirs
Asmae El Moudir a eu la révélation
du documentaire en 2012, à la
Fémis à Paris, après trois ans
d'études à l’Institut Supérieur des Métiers
de l'Audiovisuel et du Cinéma (ISMAC) de
Rabat. Elle commence à écrire son film en
2013 avant de se mettre en quête de financement,
puis développe son idée à l’aide
de son père qui réalise des figurines en
argile et une miniature du quartier de son
enfance à Casablanca, Sbata.
Elle a écrit, réalisé, produit et monté un projet
dont l’idée a finalement pris la forme d’un
long métrage hybride qui mêle documentaire
et fiction. Dix ans de travail, huit ans de tournage,
et 500 rushs plus tard, Kadib Abyad
fait sa première mondiale à Cannes, où il reçoit
deux prix: L’Oeil d’or ex-aequo avec Les Filles
d’Olfa, de Kaouther Ben Hania et le prix de
la mise en scène - section Un certain regard.
Le long métrage marque ensuite l’histoire
du Festival international du Film de Marrakech
(FIFM) en décrochant le 2 décembre
dernier la première Étoile d’or marocaine,
avant de rafler plusieurs prix internationaux,
notamment le premier prix du 70ème Festival
du film de Sydney.
Kadib Abyad a été shortlisté dans la course
aux Oscars 2024 et même sans victoire, la
prouesse est déjà là, car Asmae El Moudir
est en train d’accomplir ce que très peu de
films marocains sont parvenus à faire:
séduire à la fois professionnels et spectateurs.
et collectionner les nominations aux
prestigieuses cérémonies de récompense.
Asmae El Moudir avait 12 ans quand elle a
pris conscience qu’il n’existait aucune photo
d’elle enfant. Cette découverte déclenche
alors un processus d’investigation durant
lequel la cinéaste interroge les petits mensonges
qu’on lui a raconté et essaye de comprendre
pourquoi sa grand-mère, figure centrale
du film, interdisait les photos à la maison.
Grâce à une maquette de son quartier d’enfance
et des figurines qui représentent son
entourage, Asmae El Moudir décide alors
de raviver la mémoire de chacun pour recréer
les souvenir familiaux, ce qui la conduit vers
une libération de la parole autour d’une
mémoire collective ensevelie et des évènements
traumatisants passés sous silence :
les émeutes de Casablanca en 1981.
Dans le tourbillon de son emploi du temps
chargé et à l’interstice entre deux avant premières
nationales, Asmae El Moudir revient sur
la genèse de son film, les rouages de son dispositif
ingénieux, et sur ses bavardages d’esprit
autour des souvenirs et de la mémoire.●
62
Maroc / Octobre 2024
Octobre 2024 / Maroc
63
PAROLES À
Vous enchaînez les avant-premières en
France et au Maroc, après une tournée
aux Etats-Unis. Comment vivez-vous ces
moments intenses ?
J’ai fait plus de 135 projections à l’international.
C’est très intense mais enivrant. Les
salles sont combles, les tickets sont sold out
et ça ne peut qu' être de bon augure pour
le film. Au Maroc comme à l’international,
les gens posent des questions sans arrêt
pendant les Q&A. (questions-réponses;ndlr)
Je suis toujours touchée quand le Maghreb
est présent dans la salle et quand j’ai des
questions similaires sur cette grand-mère
qu’on peut trouver dans toutes les maisons
arabes. Je suis très heureuse de voir qu’il y
a beaucoup de jeunes dans les salles, j'adore
aussi quand ils partagent avec moi leur émoi
quant à la manière avec laquelle je raconte
la mémoire et un événement auquel ni eux
ni moi même nous avions assisté. Donc oui
c’est fatigant de faire autant d’avant premières
mais gratifiant, et ce sentiment n’a
pas de prix.
Le film s’ouvre sur votre petite escapade
chez le photographe du quartier la nuit
de Laylat Al Qadr pour prendre une photo
à l’insu de vos parents. Quelle importance
donnez-vous à cet acte de rébellion qui
dessine dès les premières minutes l’esprit
du film ?
Il était indispensable pour moi de démarrer
par cet élément déclencheur: mon envie de
garder un souvenir photographique face à
l ’absence de photos de mon enfance à la
maison. Je tisse ensuite, autour de cette
histoire intime, une réflexion sur la mémoire
individuelle et collective, les souvenirs et
les archives, jusqu’à ce que le puzzle soit
complet à la fin. C’est pourquoi le fait de me
révolter et faire ma première photo réelle
MÊME SI JE POSE TROP DE QUESTIONS,
MON BUT ULTIME EST DE RACONTER DES
HISTOIRES À TRAVERS DES IMAGES ET
NON PAS MENER UNE INVESTIGATION
CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC
est un moment important qu’il fallait placer
au début. Il fallait mettre en avant ce côté
intime et raconter l’histoire de manière très
simple et simplifiée, ce qui est finalement
compliqué et complexe. D’ailleurs, ce n’est
qu’après 10 ans et 500 heures de rush que
j’ai réussi à pondre un dispositif filmique qui
fait dialoguer entre eux, un volet intime et
un autre national tous deux ayant trait à l'histoire
et à la mémoire.
Racontez-nous comment vous êtes passée
d’une histoire de famille à un traumatisme
national ?
En 2012, j’ai commencé à développer l’idée
de base de mon film; qui est celle de la mémoire,
des souvenirs d’enfance et des photos manquantes.
En 2016, je découvre via les infos
qu’un «cimetière des victimes des événements
de juin 1981 » sera bientôt inauguré. Et c’est à
ce moment là que je commence à me poser
des questions sur l’existence d’images d’archives
sur cet événement tragique. En l’absence
de photos, j’ai eu l’idée de créer mes
propres archives en donnant la paroles à des
personnes qui ont une relation directe avec
l'événement. Je n’ai jamais cherché les gens
coupables ni à les faire parler. Ce n’est pas
mon travail, c’est pourquoi j’insiste sur le fait
que je suis réalisatrice et non pas journaliste.
Je ne suis pas en train de faire une investigation
sur ce qui s’est passé mais plutôt en train
de créer et aguicher une interaction avec ma
famille et les voisins pour comprendre comment
on peut raconter une histoire quand on
n’a pas d’archives et par conséquent pas de
preuves.
Même si je pose trop de questions, mon but
ultime est de raconter des histoires à travers
des images et non pas mener une investigation.
Je raconte certes un point traumatique
de l’Histoire mais d’un point de vue cinématographique,
ce qui me permet de protéger
mes proches car la fiction ne peut jamais être
jugée, ça reste de l’ordre de l’imaginaire.
Comment décririez-vous votre relation aux
archives ?
J’adore observer le monde qui m’entoure, mais
aussi apprendre des choses sur l’Histoire. J’ai
commencé à m’intéresser aux archives durant
mes études de cinéma. Je me suis donc naturellement
posée des questions sur la mémoire
et je suis rentrée par la force des choses dans
une réflexion profonde autour des souvenirs
notamment à cause du manque de photos chez
moi. J’ai donc porté en moi cette envie de fouiner
dans les archives de notre histoire
Toutefois, lorsque j’ai commencé cette aventure,
il n’y avait que très peu d’archives. Il fal-
64
Maroc / Octobre 2024
lait donc fabriquer mes propres images avec
ma petite caméra, ce que j’appelle « mes
archives ». Et ce n'est qu’après avoir vu les rushs
que je me suis dit « ok maintenant je vais faire
le film, maintenant je dois voir comment intégrer
ces images que j'ai fait moi-même ». Le
tournage s’est déroulé dans ce que j’appelle
« le laboratoire », j’y ai rassemblé mes proches
et on y a créé avec mon père les figurines et
les modèles miniatures. J’ai fini donc par créer
mes propres archives, dans mon propre atelier
et avec mes proches. Il fallait aussi convaincre
mes proches, protagonistes de mes archives,
de participer au film, ce qui n'était pas simple
du tout, surtout avec ma grand-mère qui n’a fini
par accepter qu’à la dernière minute.
POUSSER LES GENS À PARLER N’EST
PAS SIMPLE, MAIS C’EST UNIQUEMENT
LORSQU’ON PARLE QUE L’ON COMPREND
À QUEL POINT LE SILENCE EST ÂPRE
Quel sens donnez-vous à ces figurines ?
Outre l’aspect artistique et l’attachement émotionnel
que j’ai pour elles du moment que c’est
l'œuvre de mon père, c'était pour moi une
nécessité. D’un côté, je n’avais pas le droit ni
l’autorisation de filmer mes proches dans pas
mal de décors, ce qui constituait un obstacle
et me retardait énormément. J’étais donc obligée
de créer des décors et des figurines qui
l'occupent pour raconter mon histoire. Les figurines
remplaçaient même mes proches à des
moments où ces derniers étaient dans des
moments de colère ou dans l’incapacité de
s’exprimer. Je n’avais pas de timeline non plus.
Les figurines étaient là pour raconter l’histoire
des protagonistes et si quelqu’un meurt en
cours de route, les figurines seront là pour finir
l’histoire. J’avais aussi comme objectif de faire
dialoguer les protagonistes et les figurines
pour libérer la parole et accélérer le processus
de sortie du silence et d’exorcisation.
Vous aviez dit dans le cadre d’une Q&A
que « nous ne mesurons pas à quel point
le silence est douloureux jusqu'au jour où
nous parlons ». Quand est-ce que vous
avez réalisé cela ?
Je l’ai réalisé en pleine discussion avec mes
proches. Tout le processus du film m’a appris
énormément de choses et le silence dont je
parle est intimement lié au processus. Je
découvre au fil des années et des échanges
de nouvelles choses sur les protagonistes,
autant à l'intérieur qu’à l'extérieur du « laboratoire
». Et c'est grâce à la libération de la
parole que j’ai fait ce constat: pousser les
gens à parler n’est pas simple, mais c’est uniquement
lorsqu’on parle que l’on comprend
à quel point le silence est âpre. Parler c’est
aussi un moyen de se protéger aussi, c’est
se forcer à digérer. Moi je dis: c’est bien de
faire face aux trucs qui nous font mal. C’est
thérapeutique et le fruit de cet exercice familial
d’exorcisation a été ressenti beaucoup
plus tard, je dirai après la projection à Cannes.
Le titre arabe du film se traduit par « petits
mensonges» ou «mensonges pieux » en français.
Pourquoi avez-vous choisi La mère de
tous les mensonges comme titre officiel.
Kadib Abyad, en plus d'être un clin d'œil culturel,
est le titre intime du film. Je commence le
film avec cette envie de lever le voile sur plusieurs
mensonges et de non dits au sein de la
famille. Toutefois, l’idée n’est pas de faire des
reproches à ma famille ni d’être dure avec elle.
Ces mêmes mensonges ne m’ont pas réellement
fait mal, je les considère donc comme
« Kedba Bayda », ça atténue la gravité de la
situation et ça me permet aussi d’en parler sans
culpabiliser ou blesser ma famille.
Je sais que ma mère m’a menti pour m’apaiser,
qu’elle m’a fait croire que j’apparais dans la
seule photo qu’on a pour me réconforter. Je
sais aussi qu’il y a une raison derrière l’interdiction
de prendre des photos à la maison ou l’absence
d’archives. Si ces mensonges me taraudaient
depuis toute petite, je les comprends
mieux à ce stade et je ne veux en aucun cas
être dure avec la partie intime de mon film .
Il y a cette idée que le titre arabe du film est
dédié à ma communauté marocaine, mais il y
a aussi cette envie de rappeler que je tisse mes
idées autour d’une histoire intime mais qu’au
film du film celle-ci devient collective, propriété
de tous, d’où le titre international La Mère de
tous les mensonges ou The Mother of all lies.
Le crescendo dans le titre est voulu et réfléchi.●
CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC
Octobre 2024 / Maroc
65
PAROLES À
CRÉDIT : LVONDER WEID
KAMAL LAZRAQ
CE QUE L’ON VOIT
DANS LE FILM,
C’EST LA RÉALITÉ
ASSEZ BRUTE
Kamal Lazraq, a été primé au Festival international du film de Marrakech
et au Festival de Cannes pour son long-métrage poignant « Les Meutes », en
compétition officielle au Festival national du film de Tanger. Rencontre
avec le réalisateur sage d’un film furieux.
INTERVIEW MENÉE PAR YACINE KAOUTI
Kamal Lazrak, réalisateur de Les Meutes.
66 Maroc / Octobre 2024
Le film a été présenté à Cannes dans la
sélection Un certain regard et a remporté le
prix du jury. Comment as-tu vécu cette
sélection ?
Cannes, c’était spécial parce que nous avions fini
le tournage, début décembre. C’était un tournage
de nuit pendant six semaines. Il y avait beaucoup
de fatigue parce qu’on ne dormait pas. Et nous
avions enchainé le montage tout de suite après.
Nous avions envoyé une première version au
comité de sélection. Et c’est là où on apprend
que le film est sélectionné à Cannes.
Il y a eu un coup de pression parce qu’il fallait
finir le film. Je suis arrivé à Cannes avec les
acteurs qui prenaient l’avion pour la première
fois. On arrive le soir. Deux heures du matin, on
est dans la salle pour faire le test technique.
C’est la première fois que je le vois dans une
salle de cinéma. Nous regardons trois minutes
pour régler le son, et puis à 11 heures du matin,
on arrive pour la projection devant 1 000 personnes.
Donc tu le vois pour la première fois
sur un grand écran, dans une vraie salle, avec
eux. Il y avait beaucoup d’appréhension et puis
il y avait un côté un peu irréel. On était un peu
en apnée pendant la projection.
Et on se prépare à recevoir un prix ou pas ?
On ne se prépare jamais à le recevoir. Non, je
ne crois pas. C’est vrai qu’on nous a appelés le
CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION
CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION
De gauche à droite: Ayoub Elaid dans le rôle de Issam et
Abdellatif El Mastouri dans le rôle de Hassan.
LE FILM PART DANS UN ONIRISME,
UN CÔTÉ UN PEU CAUCHEMARDESQUE,
MAIS LE POINT DE DÉPART DU FILM,
C’EST QUELQUE CHOSE QUI EST TRÈS
ANCRÉE DANS UNE RÉALITÉ SOCIALE
jour même. Donc on sait qu’il y a quelque chose
qui se trame. ll faut être dans la salle, on ne sait
pas ce qu’il y a. Après, c’est sûr que le prix,
c’était un très grand soulagement après tout le
travail qui a été fait. Ça nous a montré que le
film, dans ses thématiques qui sont quand même
très marocaines, a été compris de façon universelle
par un jury international.
Il y a certaines similitudes entre ton premier
court métrage produit Moul Lkelb et ton premier
long-métrage Les Meutes. Peux-tu nous
en dire plus ?
Moul Lkelb, était une histoire qui était arrivée à
un des acteurs du film, qui n’est pas un acteur
professionnel. Il avait perdu son chien et a passé
toute une nuit à le chercher dans les bas-fonds
de Casablanca. J’avais construit le film sur la
base d’une histoire réelle.
Ayoub Elaid dans le rôle de Issam
J’avais envie, suite à ce court métrage, de refaire
un film en une nuit, à Casablanca, dans le même
univers. Quand j’ai commencé à réfléchir à l’histoire,
je me suis rappelé les castings de Moul
Lkelb. J’avais rencontré plein de jeunes personnes,
qui n’étaient pas des acteurs, mais qui
venaient, qui racontaient leur vie, leur expérience,
leurs anecdotes de la vie à Casablanca,
Octobre 2024 / Maroc
67
PAROLES À
dans les quartiers populaires de la ville. Et
quand j’ai voulu écrire mon premier long, ça
m’est revenu. J’ai imaginé cette histoire, d’un
père et son fils, qui sont pris dans un engrenage
infernal, en une nuit, parce que je trouvais
que faire un film avec une unité de temps
forte, ça donne un peu plus de tension et d’intensité
dramatique. Et les deux acteurs principaux
qui m’ont inspiré l’histoire pendant les
castings, ont depuis disparu de la circulation.
J’ai dû refaire le casting pour retrouver les deux
acteurs principaux.
CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION
Tu as fais le choix de travailler une nouvelle
fois avec des acteurs non professionnels.
Comment les as-tu trouvés? Et
comment se passe l’expérience avec des
personnes qui n’ont jamais travaillé
devant une caméra ?
C’était un casting sauvage, on a travaillé avec
un directeur de casting qui a un peu l’habitude
de ça. Il a des assistants dans tous les quartiers
de la ville, dès qu’il voit un visage intéressant,
il le met dans son fichier. Et du coup, j’en
ai rencontré beaucoup, mais quand j’ai vu
Ayoub Elaid sur photo, je trouvais qu’il avait
un truc. Il me fait penser à Franco Cicci, qui
joue dans Accattone de Pasolini. Il avait cette
gueule, ce côté un peu sec, mais nerveux en
même temps. Je savais que je tenais le personnage
auquel je pensais. Du coup, il a fallu
le retrouver, parce que cette photo avait été
prise il y a un an et demi ou deux.
Ils allaient dans la médina (ndlr : le responsable
casting et ses assistants) avec sa photo, les
gens croyaient qu’il était recherché. Qu’il y
avait un problème. Quelqu’un a compris que
ce n’était pas la police, et l’a ramené au casting.
J’ai tout de suite accroché avec lui. Après,
il y a eu tout un travail pour le convaincre. Parce
qu’il disait, « moi, quand j’étais petit, c’est vrai,
je rêvais secrètement d’être acteur, mais je ne
pensais pas qu’un jour on allait me proposer
ça ». Il avait du mal à être convaincu, moi j’avais
une méthode de travail où il allait être à l’aise.
Je savais comment faire.
Puis il fallait ensuite trouver le père. Et
comme je passais beaucoup de temps avec
Ayoub pour le préparer au rôle, on allait
dans son quartier. On était dans un petit
café. Il réfléchissait comme ça, et me dit «
je vais te présenter quelqu’un ». Il m’a
emmené. Et là, on tombe sur Hassan, qui
était en train de griller des sardines dans le
petit stand. Ayoub m’explique que c’est en
quelque sorte un père pour lui. Quand j’ai
vu le visage de Hassan, sa posture, son charisme,
sa voix, je me suis dit, lui, il a un vrai
potentiel. Ils ont la relation père-fils qui existe
déjà. On est partis faire des essais en
caméra, voir s’ils arrivaient, les deux, à jouer
ensemble. Tout ça a bien fonctionné sur les
essais. Je sentais que ça pouvait donner
quelque chose d’intéressant.
Dans Les Meutes les dialogues sont relativement
courts. Les silences sont importants.
C’est très brut. Comment as-tu travaillé avec
tes comédiens, et est-ce que le film était écrit
avec précision ou tu t’es permis certaines
libertés liées au fait de travailler avec des
non-professionnels ?
Le film était écrit, très écrit, avec les dialogues,
c’était très précis. On a financé le film sur la
base d’un scénario très classique. Après, moi,
je ne leur donnais pas les dialogues à
apprendre par cœur. Je savais que dès qu’ils
voulaient réciter, on perdait la spontanéité. Et
ça, je l’avais expérimenté justement sur mes
précédents courts-métrages. Dès qu’il y avait
certaines phrases que je pensais importantes,
je leur disais, « dites la phrase mot à mot ». Je
n’ai jamais pu garder la prise. Dès qu’ils étaient
dans le contrôle, ça ne marchait pas. Du coup,
ce qu’il se passait, c’est qu’on arrivait sur le
plateau, je leur expliquais la séquence, je leur
Ayoub Elaid dans le rôle de Issam.
donnais quelques points importants par lesquels
il fallait passer. On tournait toute la
séquence en un long master shot, c’est-à-dire
qu’on ne coupait pas. On allait de l’un à l’autre.
Et là, tout de suite, ils utilisaient leur propre
monde, ils avaient leur liberté de mouvement.
Et en général, les deux premières prises étaient
toujours très bonnes. Les prises d’après, ça
s’épuisait.
Puis il y a aussi des comédiens professionnels
comme Abdellah Lebkiri qui joue le
rôle de Dib. Comment réussit-on à faire
travailler des acteurs professionnels et non
professionnels ensemble ?
Pour être honnête, à un moment, je pensais
qur Abdellah Lebkiri allait jouer le rôle du père.
Parce que je ne trouvais pas les acteurs non
professionnels. Je me suis dit que ce rôle de
Dib, que je n’avais pas encore trouvé, il correspond
aussi très bien. Il a beaucoup de talent,
je trouve. Et il a surtout su s’adapter à ceux qui
étaient en face de lui. Certains acteurs professionnels
attendent la réplique qu’ils pensent
recevoir. Ils sont dans une maîtrise du jeu qui
fait qu’ils n’arrivent pas à s’adapter à des acteurs
non professionnels, à une forme d’improvisation.
Mais avec Abdellah Lebkiri, c’était tout à
68 Maroc / Octobre 2024
fait le contraire. Il était vraiment très à l’aise
avec ça. Il a beaucoup aidé les deux acteurs
principaux. Il les a un peu coachés.
Tu as tourné ton film à Casablanca et ses environs.
Beaucoup de réalisateurs ont pris des
risques en faisant des films sur cette ville ?
N’y avait t-il pas une peur de faire un film sur
Casablanca et tout ce qu’elle représente ?
Je n’avais pas cette peur-là parce que je
savais qu’on allait avoir une approche quand
même assez documentaire, assez brute,
assez authentique du film. Je n’allais pas
essayer de reconstruire quelque chose ou
d’aller soit vers le misérabilisme ou d’accentuer
une réalité.
Nous, ce qu’on voit dans le film, c’est la réalité
assez brute. Tous les décors sont des
vrais décors naturels. On n’a rien construit.
Après, le film part dans un onirisme, un côté
un peu cauchemardesque, mais le point de
départ du film, c’est quelque chose qui est
très ancré dans une réalité sociale.
La plupart des endroits du film, je les connaissais.
J’ai écrit en pensant à ces endroits, que
ce soit en tant que Casablancais, dans mon
rapport à moi, à la ville, mais aussi en tant
que réalisateur. Comme j’ai fait deux films
précédemment, deux petits court-métrages,
j’avais accumulé beaucoup de décors, de
repérages.
Pour les gens qui n’ont pas vu le film, la scène
finale, c’est un endroit que j’avais vu en repérage.
Et je pense même que le film a été écrit
en pensant à ce lieu et à cette fin. C’est vraiment
un rapport à la ville qui a beaucoup
nourri l’écriture.
CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION
On sent que l’image est très naturelle dans
le film, avec beaucoup de plans caméra à
l’épaule et des lumières presque naturelles.
Comment s’est passé ta collaboration avec
Amine Berrada (Lire p. 10-12), ton directeur
de la photographie ?
On a beaucoup discuté avec Amine en préparation
sur comment on allait filmer ce film. Et ce
que je lui disais, c’était on va travailler avec des
acteurs non professionnels, la nuit, à Casablanca,
on n’aura pas beaucoup de temps de tournage,
on va faire ça un peu comme un documentaire.
C’est-à-dire, qu’il fallait qu’on éclaire chaque
séquence avec un éclairage qui puisse nous
laisser la liberté de se déplacer à 360°. En même
temps, on ne voulait pas non plus faire un film
moche. Il y avait aussi un enjeu esthétique.
C’est pour ça qu’on s’est dit qu’on va se servir
beaucoup de l’éclairage naturel de la ville, d’être
dans les contrastes, d’assumer l’obscurité. On
a certaines séquences où on ne voit quasiment
rien, mais on s’est dit qu’on allait essayer de
trouver le bon équilibre pour que ça soit à la
fois naturel, qu’on ne sente pas d’éclairage artificiel,
mais qu’en même temps, ça ne soit pas
désagréable pour le spectateur. Et Amine a été
très fort sur ça parce qu’il s’adaptait toujours
très vite et il trouvait toujours la bonne solution.
Revenons un peu plus à la trame de ton
film, et à l’un des thêmes centraux qui est
la relation père-fils ou parfois même filspère,
notamment lorsque Ayoub prend le
dessus sur son père
Ça m’intéressait de voir comment un père et
un fils pouvaient évoluer, et comment les liens
du sang allaient soit se renforcer, soit se briser
dans ce genre de contexte. C’était un peu une
des trajectoires du film. Comment le fils, par respect
envers son père, n’ose pas trop contester
sa parole et l’accompagne là-dedans. Et comment
à un moment du film, le père, perd pied.
Et présenter Les Meutes en compétition
au Festival international du film de Marrakech,
j’imagine que ça a une autre saveur,
un autre goût ?
Il y avait quasiment plus d’appréhension de le
présenter pour la première fois au Maroc. On
ne savait pas trop comment le public marocain
allait réagir. On sait que des fois, il peut y avoir
certaines choses qui dérangent. Il y avait pas
mal d’appréhension.
De gauche à droite: Ayoub Elaid dans le rôle de Issam et
Abdellatif El Mastouri dans le rôle de Hassan.
C’est vrai qu’on sent tout de suite si la salle vit
le film ou si elle est un peu en dehors. Et à Marrakech
on voyait que le film avait eu de bonnes
réactions. Ça montre qu’il y a une immersion
qui fonctionne.●
Octobre 2024 / Maroc
69
PAROLES À
A quelques heures de l’avant-première à Casablanca,
Faouzi est plus qu’enthousiaste à l’idée de rencontrer son public.
70 Maroc / Octobre 2024
FAOUZI
BENSAIDI
DÉSERTS, CE TIERS
MANQUANT QUI
CRÉE TOUT LE
MYSTÈRE
Octobre 2024 / Maroc
71
PAROLES À
Faouzi Bensaidi, metteur en scène de théâtre, scénariste et réalisateur.
Faouzi Bensaidi, metteur en scène de théâtre ,scénariste et
réalisateur de plusieurs courts et longs-métrages, présente
« Déserts » sa cinquième expérience cinématographique dans la
catégorie des longs-métrages en compétition offcielle au Festival
nation du film de Tanger. Traversée des grands thèmes de
Déserts avec Faouzi Bensaidi
INTERVIEW MENÉE PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC
Comment vous est venue l’idée du film
Déserts ?
L’idée de tous mes films nait à travers des
scènes de vie quotidiennes. J’étais dans un
hôtel à Marrakech et au petit déjeuner, il y
avait deux hommes qui prenaient leur petit
déjeuner en costume cravate et mallette. Il
y avait entre eux une certaine complicité
flagrante et donc tout est parti de là. J’ai commencé
à imaginer leur vie mais je n’avais
pas leur métier en tête. L’idée n’est donc pas
tout de suite sortie de mon carnet de notes
; et puis un jour à Casablanca j’ai vu une
publicité d’une agence de recouvrement de
crédit, puis j’ai connecté cela avec une envie
très lointaine de western.
Le structure du film est particulière. On a
l’impression de voir un film en deux parties
qui brouillent les pistes du genre.
Je n’aime pas dire qu’il y a deux parties dans
le film mais c’est plus simple à expliquer. Le
film s’ouvre sur le duo Hamid et Mehdi, tous
deux employés dans une société de recouvrement
qui vont sillonner des zones rurales et
arides du sud du Maroc en costume cravate
pour tenter de récupérer les dettes auprès
des villageois. Dans cette première partie la
satire prédomine. Puis, à partir du moment
où le duo va rencontrer le voleur en fuite, le
film va basculer vers quelque chose de mystique
et poétique où fable métaphysique,
tragique et abstrait s’entremêlent.
Parlez-nous du duo Mehdi et Hamid
Le film était écrit en pensant à Fehd Benchemsi
et Abdelhadi Talbi. J’ai quand même
fait un casting même si j’étais sûr de les avoir
parce que j’aime tout remettre en doute. J’ai
pensé à eux dès le départ et je croyais fortement
à cette intuition, l’idée s’est confirmée
par la suite au fil des castings.
Si certains réalisateurs ont des acteurs
fétiches, vous avez plutôt une troupe
fétiche que vous embarquez dans vos différents
projets.
Cela me vient du théâtre. J’aime bien cet
esprit de troupe. Elle s’est constituée petit à
petit autour de moi au fil des projets.
72
Maroc / Octobre 2024
Déserts, son cinquième long métrage traverse plusieurs thématiques.
Quand je parle de troupe, il ne s’agit pas
uniquement de comédiens mais de techniciens
aussi. J’aime travailler avec les gens
avec qui je suis ami, ils me nourrissent, et
cette complicité et entente qu’on a développé
au fur et à mesure nous permettent
d’aller plus loin.
Faouzi raconte son film, à la croisée de la satire sociale et du western.
Vous avez parlé d’une envie lointaine de
western. Est-ce que cela a orienté votre
choix du désert comme décor principal ?
Le film a appelé les grands espaces comme
il a appelé les grands sentiments, parce qu’il
y a cette dimension mystique qui prend le
dessus dans l’histoire. Les deux personnages
principaux font une traversée mystique du
désert qui les change à jamais pour qu’ils
deviennent plus sensibles au monde qui les
entoure. J’aime beaucoup l’espace, j’aime
le filmer, et j’aime qu’il raconte aussi le film.
Octobre 2024 / Maroc 73
PAROLES À
CRÉDIT : MONT FLEURI PRODUCTION
De gauche à droite, Abdelhadi Taleb et Fehd Benchemsi dans le film Déserts de Faouzi Bensaidi.
Ça ne m’intéresse pas d’être réaliste et de
jouer avec les espaces comme s’ils étaient
simplement des points de départ, d’arrivée
ou de transition. Je cherche toujours une
cohérence émotionnelle des espaces, plus
qu’une cohérence géographique. Dans mon
court métrage La falaise , on est à Meknès
mais c’est un Meknès avec la mer. Un même
espace peut donc être tendre, violent, mélancolique,
romantique… tout ce qu’on veut.
Cela dépend du regard que porte le cinéaste
sur le lieu, encore faut-il qu’il y ait un regard
du cinéaste, parce que malheureusement,
le cinéma est souvent réduit à des plans
informatifs.
La forte présence de plans séquences s’est
imposée à vous dans ce décor ?
Les plans séquences pour moi sont avant
tout très intuitifs. C’est comme une écriture
musicale, une mélodie. Ce n’est qu’après
que j’y met du sens, mais j’ai l’impression
que sur cette partie-là je suis plus dans l’intuition
que dans la construction. Il y a des
moments où je sens que le plan séquence
va apporter quelque chose au rythme du
film. Dès que j’ai aimé le cinéma, mon amour
pour le plan séquence s’est directement
imposé à moi. Je me souviens qu’à l’âge de
14 ans déjà j’aimais de manière intuitive et
inconsciente les plans séquences et les
cinéastes qui en faisaient beaucoup dans
leurs films. Cela est dû au fait que je déteste
ce langage très simple et classique dans les
films. Le plan séquence c’est de la poésie et
ce qui est autour c’est de la prose. C’est aussi
une chorégraphie, chaque mouvement est
travaillé. Le cinéma permet des choses formidables
pour celui ou celle qui veut explorer
ce genre de choses.
Vous avez choisi de titrer votre film
Déserts au pluriel. Cette pluralité se manifeste
sur plusieurs plans, notamment les
genres qui s’entremêlent dans votre long
métrage, mais aussi sur le plan géographique
et émotionnel, entre autres.
Le titre au pluriel est arrivé très vite. Le film
est principalement tourné dans un désert et
sur le coup la notion de désert est partie plus
loin, du désert affectif des personnages principaux
au désert économique. Le désert fait
également référence à cette dimension mystique
et cosmique. Au niveau du genre, il y
a quelque chose de pluriel aussi dans le film
qui est une comédie burlesque, un western,
une histoire de vengeance et d’amour et une
quête existentielle des protagonistes. Talt al
khali, le titre marocain parle plus aux Marocains.
C’est ce tiers manquant qui crée tout
le mystère autour de beaucoup de choses
LE FILM A APPELÉ LES GRANDS
ESPACES COMME IL A APPELÉ LES
GRANDS SENTIMENTS, PARCE QU’IL Y A
CETTE DIMENSION MYSTIQUE QUI
PREND LE DESSUS DANS L’HISTOIRE
74 Maroc / Octobre 2024
auxquelles le film n’apporte pas de réponse.
Votre sixième long-métrage, sélectionné
à la Quinzaine des Cinéastes et doublement
primé à la Mostra de Valence (meilleurs
acteurs/meilleur réalisateur), arrive
en salles marocaines à partir du 15 mai. A
quelques heures de l’avant-première à
Casablanca, quelles sont vos impressions
à chaud ?
J’ai beaucoup d’attentes quant à la réaction
du public marocain face à l’humour développé
dans ce film. J’ai la conviction qu’il y
a un imaginaire intéressant dans l’humour
marocain qui est à mon sens un humour quasi
surréaliste, parfois assez noir. Cet humour
n’a pas été assez exploité au Maroc, il est
resté en surface. La comédie au Maroc est
une comédie de dialogues et de blagues, et
on est rarement allé sur un humour de situation
plus décalé ou sur du burlesque. Dans
ce film, on a fait un travail très précis sur les
dialogues et je m’attends à ce que les
nuances (qui n’empêchent pas la compréhension
du film, s’il elles ne sont pas assimilées)
soient captées par le public marocain,
plus que le public étranger. Il y a donc cette
attente qui m’accompagne, je m’attends à
ce que le public marocain réagisse bien à
l’humour proprement marocain qui se dégage
du film.
Vous pensez que le public marocain est
beaucoup plus réceptif aux gags qu’à un
humour fin de situation ?
Je pense qu’il faudrait habituer le public à
se dire que ce sont des films pour lui aussi.
L’humour reste très présent des films de Faouzi Bensaidi.
J’AIME BEAUCOUP LES ESPACES, ET
J’AIME QU’ILS RACONTENT LE FILM.
D’AILLEURS, JE LEUR CHERCHE TOUJOURS
UNE COHÉRENCE ÉMOTIONNELLE, PLUS
QU’UNE COHÉRENCE GÉOGRAPHIQUE
Il y a une espèce de séparation que je ressens
entre les comédies marocaines et les
films de genre qui recèlent de l’humour. C’est
comme si ces films pour lesquels on a un
peu plus d’ambition et qui peuvent nous parler
à nous et au monde sont des films que
peut être une partie du public ne considère
pas pour lui. Il va donc plus vers des films
directs, plus accessibles et finit par se dire
que peut-être il n’y a que ça qui existe.
Il faut permettre à ce même public d’aller
vers des films qui proposent à la fois une
comédie et un accès à la poésie, parce que
la comédie est une poésie aussi. Aucune
personne au monde n’est insensible à la
beauté même les gens qui viennent voir la
comédie lourdingue. Il faut donc réveiller en
eux cet amour pour la beauté par le grand
art, en faisant un travail d’éducation et de
médiation, tout en gardant en tête qu’il ne
faut pas désespérer s’ils ne réagissent pas
tout de suite.●
Octobre 2024 / Maroc
75
PAROLES À
CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC
SORT
ABDELHAÏ
LARAKI
DU
CADRE
76
Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
Abdelhaï Laraki a trouvé le bon créneau : rien de mieux qu’une époque « sombre » reconstituée pour river le téléspectateur à l’écran.
A l’occasion de la sélection de « Fez Summer 55 » dans la catégorie Panorama du
Festival national du film de Tanger, son réalisateur Abdelhai Laraki revient sur les
coulisses de sa carrière et offre des réflexions éclairées sur le pouvoir du cinéma en
tant que vecteur de sensibilisation et d’évolution. Plongée dans l’univers
cinématographique de Abdelhai Laraki.
INTERVIEW MENÉE PAR REDA K. HOUDAÏFA
D’où provient votre passion pour
le cinéma ?
Ma passion pour le cinéma prend racine
dans mon enfance à Meknès, une cité
cinéphile où, au cours de mes années
lycée, je fréquentais assidûment les
ciné-clubs, me délectant de trois à quatre
films par semaine. Mais, l’événement
marquant remonte à l’âge de onze ans,
lorsque la découverte du cinéma Caméra
à Meknès, un lieu emblématique auquel
je fais référence dans mon film 401 coups,
a déclenché une connexion profonde
avec le septième art. Cette liaison a été
renforcée par une expérience personnelle
liée au film Les Quatre Cents Coups
de François Truffaut. A l’entracte, je me
suis retrouvé nez-à-nez avec un de mes
professeurs que nous craignions tous: M.
Barnard. « Ce n’est pas un film pour toi »,
m’a-t-il dit en me confisquant mon carton.
Le lendemain, par curiosité mais aussi par
bravade, j’ai séché les cours et j’y suis
retourné. Cette expérience a modelé mon
amour du cinéma, le considérant comme
une fenêtre ouverte sur la liberté.
Mais encore…
Lors des tournages, cette connexion
profonde avec le jeune protagoniste des
Les Quatre Cents Coups persiste, malgré
la présence imposante d’une équipe. La
solitude qui m’envahit à ce moment,
associée à une liberté démesurée,
constitue une expérience nourrie par mes
premières incursions dans les salles
obscures.
Le cri de « moteur ! » annonce le commencement
d’un moment où je me
retrouve seul, une grande solitude
partagée avec le cinéma lui-même,
lorsque je demeure devant l’écran dans
l’obscurité.
Cette solitude renforce mon amour
profond du cinéma, un amour enraciné
depuis mon enfance. L’expérience
partagée avec le jeune protagoniste des
Quatre Cents Coups et les moments de
liberté ainsi que de solitude pendant le
tournage constituent le socle de cet
amour cinématographique que je
porte en moi.
Comment votre formation à l’école
Louis-Lumière et à la Sorbonne a-t-elle
influencé votre carrière ?
Mon parcours académique a
profondément influencé ma trajectoire
cinématographique. Malgré un échec la
première fois, j’ai opté pour le cinéma à la
Sorbonne. Dans le contexte post-68, j’ai
également rejoint Vincennes, captivé par
le département tiers-monde et le cinéma
palestinien dirigé par le réalisateur et
scénariste Serge Le Péron. Ici, je me suis
épanoui à travers l’exploration du cinéma
de la lutte en Amérique latine et la mise
Octobre 2024 / Maroc
77
PAROLES À
en lumière du cinéma palestinien. En tant
que coproducteur avec Serge Le Péron,
j’ai contribué au film J’ai vu tuer Ben
Barka, produit au Maroc. Parallèlement,
ma participation à L’Olivier a marqué mon
engagement dans les premiers films
français sur le thème palestinien.
Intégrant l’école Vaugirard de cinéma
après avoir réussi le concours, j’ai suivi
une formation technique tout en
poursuivant mes études à la Sorbonne…
Cette période a été cruciale, entre
l’acquisition des aspects techniques à
Louis-Lumière assurant ma sécurité
technique, et l’essence même de l’art
cinématographique acquise à Vincennes.
Dans cet environnement révolutionnaire,
j’ai participé activement à l’ébullition du
cinéma nouveau. Ces facettes de ma
formation ont façonné ma carrière, me
conférant une perspective unique au sein
du monde cinématographique.
Quelle définition pourrait-on proposer
du cinéma ?
Le cinéma, à mon sens, constitue une
« expérience sacrée » qui se fait
LE CINÉMA, À MON SENS,
CONSTITUE UNE « EXPÉRIENCE
SACRÉE » QUI SE FAIT
INDUBITABLEMENT AU SEIN DES
SALLES OBSCURES
indubitablement au sein des salles
obscures. Il incarne la magie de 24
images par seconde, chacune revêtant le
caractère d’une vérité subjective. Plutôt
que de servir de simple fenêtre sur la
réalité, le cinéma opère une
métamorphose du réel, le transcendant à
travers les émotions et la perception
propre à l’artiste.
Dans l’acte de filmer, je façonne les
éléments, conférant une nouvelle réalité à
ce qui fut autrefois tangible. Le cinéma se
présente comme un art transcendant la
réalité, une succession de 24 vérités ou
de 24 mensonges par seconde, offrant
une vision singulière, forgée par l’artiste et
ressentie de manière personnelle par
chaque spectateur.
De quoi un réalisateur est-il porteur ?
Un réalisateur porte toute sa vie et son
expérience personnelle. Aujourd’hui, la
nouvelle génération de cinéastes se
manifeste avec des visions plus
personnelles que celles des générations
précédentes, souvent caractérisées par
des perspectives davantage orientées
vers le social. En tant que cinéaste, je
cherche à susciter le questionnement
sans imposer mon point de vue, guidant
le public vers une réflexion,
potentiellement vers une perspective
centrée sur la lutte des classes, animée
par l’humanisme, dénuée de sexisme, et
assoiffée de la quête du beau et du vrai.
Comment le cinéma peut-il être un
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
Abdelhaï Laraki en compagnie de sa femme
Caroline Locardi qui gère et dirige les productions
de A2L Production.
78
Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
Bavarder avec Abdelhaï Laraki prend vite l’allure d’une
conversation en roue libre. Sans entraves, il navigue sur la
curiosité qu’il suscite avec liberté et sincérité
moyen puissant pour sensibiliser le
public sur des questions importantes ?
Le cinéma est le moyen le plus puissant
pour influencer. De fait, une responsabilité
envers le public s’impose. Chaque film,
envisagé comme une opportunité
d’interpeller et de susciter la réflexion,
crée un espace où le spectateur
s’approprie l’œuvre.
Guidé par le désir d’instiguer la pensée
plutôt que de transmettre un message
direct, mon approche vise à susciter une
réflexion personnelle du spectateur. Tout en
respectant sa liberté de prendre position,
mon objectif ultime est de contribuer à
l’évolution de sa pensée, caractérisant ainsi
l’essence du septième art.
Parlez-nous des défis liés à l’expression
artistique dans des sujets sensibles
En art, je ne m’impose aucune forme de
censure, bien que je m’identifie à des
restrictions internes. Au cours du
processus d’écriture, mon objectif
consiste à fédérer un vaste public autour
de ma perspective en établissant des
connexions entre mes idées et les
fondements de la nation. C’est là le
dilemme des scénaristes !
Comment travaillez-vous en tant que
scénariste ?
L’écriture du scénario est complexe :
partant d’une image, le scénario évolue à
travers le dialogue et les collaborations
(une approche enracinée dans mon passé
documentaire).
La responsabilité du réalisateur et des
intellectuels revêt une importance
considérable, car elle contribue à la création
de l’imaginaire collectif. Participer
activement à sa construction confère une
influence directe sur la perception des
individus lorsqu’ils s’immergent dans un film.
Fréquentant assidûment les salles de
cinéma au Maroc, chaque film est scruté
avec attention, offrant une
compréhension approfondie de la relation
du public avec l’écran, le cinéma, et le film
lui-même. Cette observation attentive
éclaire mon écriture, conférant à ma
vision personnelle une perspective sur la
manière dont le film peut atteindre et être
vécu par le spectateur.
L’acte d’écrire, pour moi, se teinte d’une
approche filmique, où l’image préconçue
guide la construction du scénario. Ce
processus, complexe par nature, s’articule
autour de diverses étapes, de l’image
initiale à la réalité visuelle façonnée au
montage. Bien que le scénario soit parfois
préalablement écrit, des décisions
spontanées peuvent influencer le
processus créatif lors du tournage,
illustrant l’adaptabilité nécessaire à l’art
cinématographique.
Mon expérience, dans des productions
telles que celles de Godard ou du
Franco-italien Bernardo Bertolucci (Le
dernier Tango à Paris), à l’époque où la
réalisation sans scénario préétabli était
courante, a façonné mon approche,
conciliant structure et spontanéité pour
un résultat cinématographique riche et
authentique.
Vous avez une filmographie étendue.
Fez Summer 55 est, maintenant, votre
4ème long métrage; vous avez une
dizaine de films courts et plusieurs
productions en une quarantaine
d’années d’immersion dans le bain
cinématographique. On peut dire que
vous êtes prolifique…
Les 401 coups, c’est un moyen métrage.
Puis, j’ai beaucoup de télévision : j’ai six
ou sept téléfilms, ainsi que trois séries…
Ceci dit, je ne me considère pas être
prolifique. Je prends mon temps, réalisant
en moyenne un film tous les cinq ou six
ans. Ce rythme, parfois étiré par des
raisons de force majeure, souligne ma
volonté d’accorder une attention
particulière à chaque étape du processus
cinématographique, du tournage à la
distribution. L’observation attentive des
réactions du public lors des projections
est une source de satisfaction,
contribuant à approfondir ma
compréhension des attentes et des
perceptions des spectateurs.
Une expérience marquante lors d’une
Octobre 2024 / Maroc 79
PAROLES À
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
Une scène du Fez Summer 55 (de gauche à droite :
Oumaima Barid, Ayman Driwi et l’un des trublionsrésistants).
projection de Mona Saber a eu un impact
significatif sur ma démarche artistique.
Lorsqu’une jeune fille, après vingt minutes de
film demande à son père « qui accompagne
la Française ? » et lui rétorque par : « son
cousin, je pense ! », un éclat de rire général
s’est déclenché dans la salle. Cette anecdote,
bien qu’interprétée comme comique, a
profondément touché ma sensibilité. Cette
interaction a influencé ma décision de créer
que des films accessibles au public local.
Désormais, la compréhension et
l’appréciation de mon travail par le public
occupent une place centrale dans mes
projets cinématographiques, renforçant ainsi
le lien entre mon art et son auditoire.
On sent là affleurer une pointe de regret…
Non, en aucun cas ! Le film dépeint une
réalité où une Française, ayant résidé en
France, part à la recherche de son père
marocain disparu. Bien qu’elle ne parvienne
pas à le retrouver, elle explore un Maroc
authentique en pleine transformation,
symbolisant la période entre Hassan II et
Mohammed VI, marquée par
l’épanouissement et l’ouverture vers la
liberté. Le film célèbre cette période
charnière, rendant hommage à ceux qui ont
lutté pour la liberté. Il met en lumière un
Maroc en éveil, accueillant une Française liée
par ses origines. Cette démarche vise à
dévoiler l’ébullition sociale et l’éveil du pays à
la liberté.
Parlez-nous de la genèse du film
Fez Summer 55 …
Plusieurs expériences ont laissé une
empreinte profonde en moi, notamment la
nuit où nous avons tous vu le sultan
Mohammed Ben Youssef dans la lune
(sourire)… Ces expériences ont laissé leur
marque en moi, mais l’approche pour les
aborder me demeurait insaisissable. Lors d’un
mariage à Fès, on m’a reproché de ne jamais
avoir tourné dans ma ville natale...
Au fil de mes échanges avec ceux qui ont
vécu cette époque, des récits poignants ont
émergé, comme celui d’un jeune de dix-sept
POUR CAPTIVER LE PUBLIC, LE FILM
DEVAIT INDÉNIABLEMENT, CERTES
S’ANCRER DANS DES FAITS, MAIS
ÉLABORER UN RÉCIT RYTHMÉ PAR DES
PERSONNAGES, DES SITUATIONS ET
DES PÉRIPÉTIES
ans touché par une balle perdue ou d’un
enfant de douze ans transportant des armes
de terrasse en terrasse. Ces anecdotes ont
constitué le point de départ de l’idée centrale
du film. Ainsi, dès que l’image de cet enfant,
imprégné d’amour, confronté à la violence et
prenant conscience de la lutte pour la
libération, a surgi, le scénario s’est imposé.
Tout le reste a paru ensuite plus simple.
Les expériences douloureuses dont vous
avez eu connaissance étaient multiples,
mais les retracer ont une centaine de
minutes, relève de la gageur…
Les expériences douloureuses recueillies
étaient diversifiées, provenant d’entretiens,
de récits familiaux et de mes propres
expériences à Fès. Retracer ces récits
constituait effectivement un défi !
Il était impératif de ne pas succomber à la
tentation documentariste, évitant également
de sombrer dans l’écueil d’une démonstration
fastidieuse. Pour captiver le public, le film
devait indéniablement, certes s’ancrer dans
des faits, mais élaborer un récit rythmé par
des personnages, des situations et des
péripéties.
Ensuite, tourner à Fès fut une expérience
plaisante, offrant l’occasion de rendre
hommage à ses artisans et habitants.
Pour le casting, vous avez réuni des
acteurs expérimentés et des néophytes.
Quelle logique explique ce dosage ?
L’expérience m’importe peu ! J’ai procédé à
80
Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS
un casting méticuleux, allant jusqu’aux
figurants, car il est essentiel pour moi de
vérifier s’ils adhèrent à ma vision.
Dans le film Mona Saber, la remarquable
Chaïbia Adraoui a joué un rôle crucial. Au
départ, une autre actrice était envisagée pour
ce personnage. Malgré son apparente
adéquation, son refus de passer une audition
a conduit à son remplacement par Adraoui.
Son audition spontanée a été une révélation.
Depuis ce moment, elle est devenue une
présence incontournable dans mes films, une
amie, une sœur. Convaincre certains acteurs
peut être complexe, mais cela ne signifie pas
qu’ils manquent de talent. Certains rôles
exigent une correspondance particulière, et
c’est ce que le public doit comprendre.
Chaïbia Adraoui, avec son talent exceptionnel,
a su faire partie intégrante de mes œuvres,
apportant sa présence significative, que ce
soit dans un petit ou grand rôle.
Les acteurs, soigneusement choisis, sont des
personnes que j’ai approchées
personnellement. Ainsi, ils sont sélectionnés
en fonction de ce qu’ils peuvent apporter à
leur personnage et à ma vision. Même si j’ai
travaillé avec certains d’entre eux
précédemment, chacun est évalué pour son
aptitude au rôle spécifique. Certains ont été
appelés, comme Tarik Boukhari, en raison de
leur adéquation naturelle avec le personnage.
Nabil Atif, par exemple, a déjà révélé son
talent dans Ali Ya Ali…
Parmi les nouveaux talents, Oumaima Barid,
la jeune actrice qui joue Aïsha, a été une
révélation. Sa performance exceptionnelle la
démarque ! Elle incarne pour moi la femme
marocaine moderne avec tout son potentiel,
ses valeurs et son caractère.
Ainsi, chaque acteur, qu’il soit amateur ou
expérimenté, est soigneusement évalué, puis
choisi pour son rôle spécifique. Ma démarche
va au-delà des simples compétences,
cherchant une connexion plus profonde entre
l’acteur, le personnage et ma vision. C’est un
processus délibéré et sélectif qui aboutit à
une distribution soigneusement orchestrée,
enrichissant ainsi chaque film d’une présence
authentique et significative.
Parlons de votre approche de la caméra.
Vous adoptez une manière compulsive,
comme s’il y avait un état d’urgence ;
comme si vous étiez mû par une hâte de
montrer, un besoin impérieux de
témoigner…
Une grande partie de l’œuvre se déploie à
travers les yeux de l’enfant, une vision
souvent à sa hauteur, dans laquelle la
caméra, nerveuse, capture les agitations.
Chaque scène, à l’exception de quelquesunes,
est tissée à partir du prisme de
l’enfant, son regard en ébullition dans les
ruelles de la médina, lors des barrages de
police, dans ses courses effrénées sur les
terrasses. Une caméra qui capture la réalité
avec une intensité nerveuse, une
impression cinématographique où chaque
plan, chaque mouvement est pensé comme
une émotion viscérale.
Abdelhaï Laraki n’hésite pas à retourner sa veste de
réalisateur pour se muer en directeur d’acteurs
Les rares moments de pause, avec un
travelling ou un plan fixe, sont comme des
respirations, permettant au spectateur de
contempler l’architecture des maisons, des
riads, des intérieurs. Un jeu de lumière posé,
stable, révèle des havres de paix derrière les
portes closes, illustrant la dichotomie entre
l’intérieur protégé et l’extérieur tumultueux.●
Octobre 2024 / Maroc
81
PAROLES À
Au début, Il fallait
développer tout un
travail de médiation
culturelle qui était
quasi inexistant
C’est au café de la cinémathèque
de Tanger que son infatigable
vice-prési d e n t e M a l i ka
Chaghal, dont la carrière est
marquée par un engagement
profond pour l’éducation à
l’image, nous accueille. Entre
le cliquetis des tasses et les
discussions enchevêtrées des
clients et visiteurs, Malika nous
parle de son parcours, des
métiers d’exploitation et de
distribution au Maroc et de la
plus-value de ce cinéma
emblématique dans le paysage
cinématographique marocain.
INTERVIEW MENÉE PAR SALMA HAMRI
CRÉDIT PHOTO : ALEXANDRE CHAPLI - BOXOFFICE MAROC
Malika Chaghal, vice-présidente de la Cinémathèque de Tanger
82
Maroc / Octobre 2024
Parlez-nous de votre parcours.
J’ai fait des études de lettres
modernes en France avant de
démarrer ma carrière dans le
domaine culturel, dans la
musique, Je suis arrivée un peu par
hasard dans le cinéma au début des années
2000. J’ai été directrice de deux cinémas
en région Île-de-France, Galilée à Argenteuil
(un complexe de 4 salles) et L’Etoile à
la Courneuve. J’ai ensuite vu qu’en 2012 la
cinémathèque de Tanger recrutait un(e)
délégué(e) général(e). J’ai postulé et c’est
comme ça que j’ai traversé la Méditerranée
pour venir m’installer à Tanger et assurer
la gestion de la cinémathèque, qui a
comme particularité le fait d’être une association
à but non lucratif qui ne reçoit aucune
aide étatique, et se finance par ses propres
ressources, à savoir la billetterie, le café et
la privatisation de l’espace pour des évènements.
J’ai toujours travaillé dans des
cinéma Art et Essai, qui mettent en avant
le cinéma d’auteur et font du travail d’éducation
à l’image et d’animation culturelle,
et mon travail au sein de la cinémathèque
va dans ce sens. Au début, Il fallait développer
tout un travail de médiation culturelle
qui était quasi inexistant.
En quoi consiste la gestion de la
cinémathèque de Tanger ?
C’est d’abord avoir une ligne éditoriale précise
pour offrir une programmation riche et
singulière, et fournir une éducation par
l’image. On travaille beaucoup avec les
écoles, les universités et les associations.
Nous allons souvent chercher les publics
éloignés de la culture, dans les quartiers
excentrés, et nous les ramenons au cinéma
pour qu’ils découvrent des films de tous
genres et toutes nationalité. Ce travail de
médiation est primordial.
L’offre cinéma au Maroc est essentiellement
axée sur les films commerciaux et blockbusters,
en d’autres termes, les films qui
ramènent de l’argent. A la cinémathèque,
c’est un travail différent qu’on fait. On montre
des films des quatre coins du monde en version
originale. On peut passer du documentaire,
au drame, aux films d’animation et films
de répertoire, et on fait également un travail
de collecte, de conservation et de valorisation
de films.
Mon travail consiste aussi à aller chercher
de l’argent pour pouvoir financer les films
que je veux projeter, d’ailleurs le modèle
économique de la cinémathèque repose en
grande partie sur les partenariats que nous
mettons en place avec les distributeurs de
IL Y A UN INTÉRÊT GRANDISSANT
POUR LES FILMS D’AUTEUR QUI SONT
D’AILLEURS DE PLUS EN PLUS
PROJETÉS DANS LES GRANDES
SALLES DE CINÉMA, ET C’EST
RÉCONFORTANT.
films ou les organismes comme l’Institut français,
Cervantes, Le Goethe-Institut …
Comment fonctionne le processus de
programmation des films à la
cinémathèque de Tanger ?
En France, la programmation est hyper simple.
Tu as une liste de toutes les sorties (et au
moins 20 films sortent par semaine) et il faut
ensuite juste voir qui distribue le film puis
appeler le distributeur puis programmer le
film, après une simple négociation en fonction
du nombre de séances… Au Maroc, ca
diffère dépendamment du lieu de distribution
du film. Quand le film est distribué au Maroc,
j’appelle directement son distributeur au
Maroc pour négocier. Par exemple, pour le
film Back to Black, qui est actuellement dans
les salles de cinéma au Maroc, c’est Megarama
qui fait sa distribution. Je l’appelle donc
pour programmer le film à la Cinémathèque.
Dans ce cas, on fait un partage de recette.
Chez moi tu vas payer la place à 40 dirhams.
La première semaine de programmation ça
sera du 50/50 entre le distributeur (Megarama)
et l’exploitant (La Cinémathèque), donc
20 dirhams chacun. C’est ensuite dégressif,
la deuxième semaine je vais donner 55 % des
recettes au distributeur et garder 45 % etc...
Il y a ensuite ce qu’on appelle les bordereaux
de recette. Toutes les caisses des salles de
cinéma sont normalement numérisées en lien
avec le Centre cinématographique marocain
(CCM). Toutes les fins de journée le CCM sait
combien de place ont été vendues, à quel
prix et pour quel film, et à la fin de chaque
semaine cinématographique tu dois donner
les bordereaux de recette au distributeur. Et
là-dessus il fait le partage avant de t’envoyer
la facture.
Comment ça se passe quand le
distributeur n’est pas au Maroc ?
Dans ce cas, il faut chercher les ayants droit.
Ce sont généralement les producteurs. Une
fois trouvés, tu négocies avec eux pour qu’ils
te vendent le film. Typiquement il y a eu une
remasterisation du film culte La cité de Dieu.
J’ai acheté le film auprès des ayants droits
et que je vais le projeter au mois de mai, six
séances au total. Pour le film Parasite qu’il
fallait absolument que projette, j’ai dû appeler
l’ambassade de Corée au Maroc pour
qu’ils m’aident à trouver les ayants droits.
J’ai ensuite réussi à négocier avec un distributeur
français. Un autre exemple : les
droits du film français Little Girl Blue avaient
été achetés par l’Institut français, ce qui
nous a donc facilité la tâche. C’est au cas
par cas, mais c’est souvent super compliqué.
Pour les recettes il n’y a pas de partage,
tout me revient mais souvent je paye
cher les films et les recettes ne sont pas
équivalentes à ce que j’ai payé projeter le
film chez moi. Ça peut aller de 300/ 500
euros la séance jusqu’à 1000 euros. C’est
horriblement cher.
Vous avez distribué le film de Asmae
El Moudir, La Mère de tous les
mensonges. Comment avez-vous atterri
dans la distribution ?
Il y a plusieurs années, je voulais projeter
un film palestinien pour enfants à la Cinémathèque.
J’ai donc contacté les distributeurs
Pyramide Films qui m’avaient proposé
1800 euros pour une dizaine de séances.
J’ai répondu « non à ce prix-là j’achète le
film et je le garde toute l’année et je le distribue
au Maroc ». C’est ce que j’ai fini par
faire et c’est comme ça que je me suis lancée
dans la distribution, sauf que quand je
m’y suis mise, les films que je distribuais
(principalement des films d’auteurs) n’intéressaient
pas les autres salles de cinéma.
J’ai donc arrêté car je distribuais souvent à
perte. J’ai repris depuis peu la distribution,
parce que les salles s’ouvrent maintenant
à plusieurs types de programmations, et
c’est réconfortant. Il y a un intérêt grandissant
pour les films d’auteur qui sont d’ailleurs
de plus en plus projetés dans les
grandes salles de cinéma, je parle notamment
du film de Asmae El Moudir La Mère
de tous les Mensonges, ou encore d’Anatomie
d’une Chute de Justine Triet, etc... ●
Octobre 2024 / Maroc
83
PAROLES À
CRÉDIT : MAP
MOHAMED KHOUNA
« NOUS DEVONS
ÊTRE CRÉATIFS ET
INNOVANTS POUR
ATTIRER LE PUBLIC VERS
LES SALLES DE CINÉMA »
Mohamed Khouna, président de la Commission
d’aide à la numérisation, la modernisation et
la création des salles de cinéma du Centre
Cinématographique Marocain (CCM), partage
sa vision audacieuse concernant la création de
150 salles pour revitaliser la consommation
cinématographique.
INTERVIEW MENÉE PAR REDA K. HOUDAÏFA
Qu’est-ce qui vous a motivé à revenir au
Maroc et à vous engager dans la promotion
du cinéma ?
Je suis Marocain, bien que né en France. En
tant que Marocain résidant à l’étranger, le
souhait de contribuer au développement du
pays est naturel. Ma passion pour le cinéma
m’a poussé à apporter mon expertise à la
scène marocaine.
Parlez-nous du projet de création de 150
salles de cinéma en collaboration avec le
ministère de la Jeunesse, de la Culture et
de la Communication.
L’objectif est de revitaliser la consommation
cinématographique au Maroc en promouvant
l’éducation par l’image. Le cinéma, à
ses débuts, était une forme d’éducation
visuelle, et il est primordial de réintroduire
cette perspective. Nous voulons sensibiliser
la jeunesse à travers les maisons de
culture et autres moyens, afin de créer une
nouvelle génération de cinéphiles.
Est-ce ainsi que vous envisagez de créer
des cinéphiles au Maroc, en particulier
chez la jeunesse ?
Comme cité auparavant, il est nécessaire de
rétablir une éducation cinématographique. Par
le biais de ciné-clubs, de cinémathèques et de
médiathèques, il est possible de susciter des
discussions et des débats autour du 7ème art.
La démarche vise à retrouver l’engouement
d’antan, où les salles de cinéma étaient des
lieux de rencontres et d’échanges culturels.
La Commission d’aide à la numérisation,
la modernisation et la création des salles
de cinéma est une instance d’allocation
des budgets à des projets, après examen.
84 Maroc / Octobre 2024
Mohamed Khouna, président de la Commission d’aide à la numérisation.
Procède-t-elle selon des critères objectifs,
précis, connus ?
Les critères d’allocation des budgets sont définis
par des circulaires du CCM, couvrant la
rénovation de salles mythiques, la création de
nouvelles salles et la numérisation pour accompagner
les salles existantes. Les dossiers sont
examinés attentivement, et la commission veille
à respecter les normes établies.
Vous donnez plus d’importance aux
régions dans le développement cinématographique…
Actuellement, la concentration des salles de
cinéma est limitée à certaines grandes villes,
et il est essentiel de diversifier cette répartition.
Cela pourrait créer des synergies et
encourager la création d’exploitants-distributeurs
locaux, tenant compte des spécificités
culturelles de chaque région.
OUVRIR UNE SALLE DE CINÉMA
NÉCESSITE UNE PLANIFICATION
MÉTICULEUSE, AVEC UN ACCENT SUR
LA PROGRAMMATION ET LA PROMOTION
Quels sont les défis liés à l’ouverture de
nouvelles salles de cinéma ?
Les coûts et la logistique sont des défis
importants. Les budgets alloués par le ministère
sont un soutien, mais les promoteurs
doivent compléter avec des fonds d’investissement,
des prêts bancaires ou des ressources
personnelles. Ouvrir une salle de
cinéma nécessite une planification méticuleuse,
avec un accent particulier sur la programmation
et la promotion pour garantir le
succès à long terme.
Avez-vous songé à une stratégie de
tarification plus flexible pour permettre à
un public plus large de profiter des
projections ?
Le ministre avait déploré à maintes occasions,
plusieurs faillites paralysant encore le
cinéma au Maroc, particulièrement celles
relatives à la politique tarifaire. Des tarifs qui,
selon lui, ne correspondent malheureusement
pas au pourvoir d’achat des Marocains.
Ces 150 salles seront accessibles à un tarif
compris entre 15 à 20 dirhams.
Octobre 2024 / Maroc
85
PAROLES À
CRÉDIT : MAP
Mohamed Khouna au Festival International du
Film de Marrakech
Vous percevez
des changements
dans le cinéma
marocain ?
Il est indéniable que notre cinéma évolue
dans un sens favorable. Nous avons de
plus en plus de cinéastes pétris d’un
indiscutable talent. Le pas peut
s’enorgueillir. Car ils en sont la fierté. De
fait, je reste optimiste quant à l’avenir du
cinéma au Maroc. Nous avons les moyens
et la volonté nécessaires, ainsi que
l’engagement de tous les acteurs du
secteur est crucial. C’est un projet
collectif, et nous devons travailler
ensemble pour son succès.
Par ailleurs, la plus petite salle compte 200
places ; en tout, pour les 55 salles prêtes d’ici
fin janvier, 24 000 fauteuils sont prévus. Elles
seront toutes équipées de projecteurs numériques
de grande qualité, de la marque Christie,
avec un système son et un serveur.
CREDIT : DR
Comment envisagez-vous la concurrence
avec les plateformes de streaming ?
Les plateformes de streaming offrent une
accessibilité et une diversité de contenus,
mais elles ne peuvent pas remplacer l’expérience
collective et sociale du cinéma en
salle. Pour rester pertinents, nous devons travailler
sur la qualité de l’expérience en salle,
la diversité de la programmation et la promotion
des films marocains et africains. C’est un
défi, mais aussi une opportunité, et nous
devons être créatifs et innovants pour attirer
le public vers les salles de cinéma.
Qu’en est-il de la collaboration avec les
réalisateurs et producteurs marocains ?
Cette collaboration est essentielle. Nous
devons travailler ensemble pour promouvoir
le cinéma marocain, soutenir la création locale,
et encourager les talents émergents. Organiser
des événements, des rencontres, et des
ateliers favorisera les échanges et la collaboration.
Le cinéma est une chaîne, et tous les
maillons de cette chaîne sont importants. Nous
devons créer une dynamique positive pour
que le cinéma marocain rayonne à l’échelle
nationale et internationale.
Ne trouvez-vous pas que la qualité
n’accompagne pas toujours la
quantité ?
J’admets que la qualité fait parfois défaut. Pour
autant convient-il de faire la fine bouche ? Pour
ma part, je reste admiratif devant cette profusion
de talents, cette inventivité et cette créativité…
Autant de gage du merveilleux élan pris
par le Maroc.
Quelles actions peuvent contribuer à la
croissance de l’industrie cinématographique
au Maroc ?
Une approche holistique impliquant toutes
les parties prenantes. La communication
accrue, le partage des problèmes, et une
écoute réciproque contribuent à créer une
dynamique positive, favorisant le progrès et
le développement de l’industrie cinématographique.
Qui plus est, encourager la diversité
culturelle, créer des synergies entre les
régions, investir dans la qualité artistique, et
rechercher des partenariats internationaux
Mohamed Khouna (à gauche) avec le ministre de la
Culture, Mehdi Bensaid (à droite), lors de sa nomination.
afin de compenser les limitations des financements
locaux sont des éléments clés pour
un écosystème cinématographique florissant
au Maroc.
Les résultats ne sont pas toujours immédiats,
et une vision à long terme est nécessaire pour
évaluer le succès d’initiatives telles que la
création de nouvelles salles de cinéma.
Un dernier mot ?
Il est crucial de trouver un équilibre entre la
préservation de l’identité culturelle et l’ouverture
à des perspectives plus universelles. Les
festivals jouent un rôle clé en permettant aux
films marocains de rayonner à l’international
tout en restant ancrés dans leur contexte d’origine.
La diversité des films présentés dans
ces festivals contribue à une compréhension
plus riche de la culture marocaine. ●
86 Maroc / Octobre 2024
MAG'
Octobre 2024 / Maroc
87
MAG'
2023
L’ANNÉE DE
MOISSON POUR
ASMAE EL MOUDIR
Une expérience visuelle poignante qui transcende le cinéma
traditionnel et tutoie les sommets. Il n’y a pas d’autres mots
pour qualifier le film de Asmae El Moudir « La Mère de tous les
mensonges», dont le succès fait boule de neige à l’international et
continue de faire écho au Maroc une année après avoir
décroché la première Etoile d’or marocaine au Festival
international du film de Marrakech.
PAR SALMA HAMRI
CRÉDIT : ASMAE EL MOUDIR / INSTAGRAM
Elle a commencé à l’écrire en 2013,
s’est battue pour obtenir des financements
et a pris 10 ans pour faire mûrir
un projet qui est aujourd’hui shortlisté dans
la course aux Oscars 2024. Une deuxième
pour le cinéma marocain et une reconnaissance
du talent et de l’audace d’une nouvelle
génération de cinéastes du pays.
Présenté à deux reprises aux Ateliers de l’Atlas,
The Mother of All Lies y a obtenu le prix
au développement en 2019 et le prix à la
post-production en 2021. Il fait en mai 2023
sa première mondiale à Cannes, où il reçoit
le prix de la mise en scène dans la catégorie
« Un certain regard » ainsi que l’Œil d’or
ex-æquo avec Les Filles d’Olfa, de Kaouther
Ben Hania, et remporte en juin le premier
prix du 70ème Festival du film de Sydney.
Asmae El Moudir marque quelques mois plus
tard l’histoire du Festival international du Film
de Marrakech (FIFM) en décrochant le 2
décembre dernier la première Étoile d’or
marocaine en 20 ans de festival ; puis le 13
décembre le prix de la meilleure réalisation
aux IDA Documentary Awards à New York.
Si elle clôture 2023 en apothéose, une
année d’ivresse s’annonce pour Asmae El
Moudir qui travaille déjà sur son deuxième
long métrage dans le cadre de la 46ème
résidence du Festival de Cannes qui
accueille du 1er octobre 2023 au 15 février
2024 six réalisateurs.
En attendant le 10 mars, date des prochains
Oscars, Asmae El Moudir enchaine les pro-
2023
26 MAI
Prix de la mise en
scène - section Un
certain regard
27 MAI
L’Œil d’or ex-æquo
avec Les Filles d’Olfa,
de Kaouther Ben Hania
18 JUIN
Premier Prix au
Festival du Film
de Sydney
88
Maroc / Octobre 2024
jections aux États-Unis et continue de faire voyager
son film autour du monde en alignant les
récompenses et nominations à l’international.
Le documentaire est d’ailleurs pogrammé dans
les salles marocaines à partir du 21 février et
sera projeté en France une semaine plus tard.
Une Asmae El Moudir comblée
au Festival international du film
de Marrakech, en compagnie de
sa mère et sa grand-mère,
personnage central du
documentaire.
The Mother of All Lies se distingue par le choix
de la réalisatrice d’utiliser des figurines, notamment
celle de sa grand-mère, qui a une place
centrale dans le récit, et une maquette du
quartier de son enfance casablancaise pour
narrer un passé familial truffé de non-dits sur
CRÉDIT : MAP
SI ELLE
CLÔTURE 2023 EN
APOTHÉOSE, UNE
ANNÉE D’IVRESSE
S’ANNONCE POUR
ASMAE EL MOUDIR
QUI TRAVAILLE
DÉJÀ SUR SON
DEUXIÈME LONG
MÉTRAGE
fond d’une métropole ébranlée par les émeutes
du pain de 1981.
Une photo retrouvée par la cinéaste chez
ses parents déclenche ce processus d’investigation
durant lequel la réalisatrice interroge
les petits mensonges qu’on lui a
raconté à travers un dispositif ingénieux qui
mêle documentaire et fiction et auquel la
pluie de récompenses confère toute sa légitimité.●
26 OCTOBRE
Prix du meilleur documentaire
international au Festival
international du film de Bergen
28 OCTOBRE
Prix du meilleur
documentaire - section
Temps d’Histoire
12 DÉCEMBRE
Prix de la meilleure
réalisation aux IDA
Documentary Awards
L’Etoile d’Or au Festival
International du Film de
Marrakech
4 DÉCEMBRE
Octobre 2024 / Maroc
89
MAG'
EFFETS SPÉCIAUX
QUAND LE CINÉMA
MAROCAIN
RIVALISE
STUDIOS
AVEC
LES GRANDS
HOLLYWOODIENS
En 2024, le cinéma marocain se renouvelle, et se
distingue par sa créativité en offrant aux spectateurs
une expérience unique truffée d’effets visuels. « Animalia
», en compétition officielle au Festival national du film de
Tanger et « Mon père n’est pas mort » font partie de ces
films. Plongée dans la fabrique des effets spéciaux au Maroc.
PAR YACINE KAOUTI
CRÉDIT : WRONG FILMS
Boulevard Rahal Meskini, dans un
immeuble du centre-ville casablancais.
Une petite plaque signale discrètement
l’entrée de Free Monkeyz, l’un
des seuls studios dédié à la post-production
au Maroc. L’appartement refait à neuf, cache
bien des secrets. Posés sur un comptoir, des
numéros des magazines Mad Movies, Cinema
Teaser ou So film aiguisent autant notre curiosité
que le nombre d’affiches de films marocains
ayant tous eu leur post-production ici.
Dans une grande salle à coté, plusieurs monteurs
s’activent, on y aperçoit même une réalisatrice
venue superviser la post-production
de son prochain long-métrage. « Ici c’est l’endroit
que j’ai rêvé d’avoir », pour Julien Fouré
co-fondateur de Free Monkeyz avec son acolyte
Youssef Barrada, la création d’un studio
de post-production s’est rapidement imposée,
car « ce que l’on oublie souvent, c’est
que dans la post-production, il y a plusieurs
métiers. Et on a voulu reprendre cette chaîne
qui était cassée au Maroc ».
Oumaima Barid dans Animalia réalisé par Sofia Alaoui.
Car si plusieurs films marocains voient une
partie de leur post-production se faire en
dehors du Maroc, ce n’est plus totalement
90
Maroc / Octobre 2024
VFX breakdown
de la scène du
rêve du film «
Mon père n’est
pas mort ».
Réalisé par Adil
Fadili.
CRÉDIT : ADIL FADILI / FREEMONKEYS
CRÉDIT : ADIL FADILI / FREEMONKEYS
le cas aujourd’hui, et les compétences marocaines
n’ont plus à rougir face à celle des
étrangers. Le premier film de Adil Fadili,
Mon père n’est pas mort, préparé sur près
de 10 ans, et qui a remporté six trophées
lors de la dernière édition du festival national
du film de Tanger, a été post-produit
chez Free Monkeyz. Un sacré défi pour un
film marocain, tourné à moitié en studio, et
avec plusieurs séquences contenant des
effets spéciaux.
« Une fois qu’Adil avait fini le premier bloc,
on s’est posé, il avait fait son pré-montage,
on a resserré, on a commencé à analyser
les plans qui allaient devoir être truqués, et
on a fait ça sur chaque bloc. C’était une
réelle collaboration. J’aime beaucoup les
réalisateurs perfectionnistes comme lui, car
nous étions capable de changer le fond
quatre fois derrière la fenêtre, parce qu’il
AVOIR UN FOND D’AIDE QUI SERAIT DÉDIÉ
À LA POST-PRODUCTION CHANGERAIT LA
DONNE ET NOUS PERMETTRAIT DE FAIRE DE
MEILLEURS FILMS
fallait que ce soit le plus réaliste possible »,
explique notre interlocuteur.
Julien Fouré a dû également faire face à un
vrai challenge, quand il a fallu revoir l’une
des séquences les plus importantes du film.
« Lorsque j’ai monté la séquence du rêve et
du Pégase, c’était une séquence à 18 plans
et je regarde Adil, et je me dis, comment on
peut monter ça ? C’est du full compositing,
avec ce qui est le plus difficile à faire, créer
une créature avec du poil », se rappelle-t-il.
Aujourd’hui, chez Free Monkeyz, comme
ailleurs, l’intérêt est d’être là dès le début,
de pouvoir superviser les séquences en
amont et en préparation du tournage est
crucial. « On arrive des fois à la fin comme
des pompiers, superviseur de post-prod ou
superviseur de VFX, c’est à inclure dans le
budget de tournage », confie Julien Fouré.
Beaucoup de souvenirs cinématographiques
n’existeraient pas aujourd’hui sans cette
industrie des effets spéciaux, qui nous
Octobre 2024 / Maroc
91
MAG'
CRÉDIT : FREEMONKEYS
offrent par la même occasion un monde de
possibilités pour la narration, et
l’exploration de nouveaux genres de cinéma.
C’est le cas, d’Animalia, le premier long
métrage de Sofia Alaoui, drame fantastique
hanté par la présence de forces surnaturelles,
et road-movie mystique d’une jeune
femme enceinte jouée par Oumaima Barid
(en couverture de notre édition de ce mois)
La réalisatrice nous plonge dans un univers
propre à elle, et brouille les pistes du genre
cinématographique.
CRÉDIT : FREEMONKEYS
Un triporteur en plein milieu des routes montagneuses,
un oiseau mystérieux, et des animaux
qui se comportent étrangement, puis
une grande vague qui se lève prête à tout
emporter dérrière elle. C’est un peu ça Animalia
de Sofia Alaoui. « Je ne voulais pas vraiment
faire un film d’effets spéciaux. Je me
méfiais beaucoup de ça, mais comme c’est lié
à la thématique du film... Ce rapport à la nature,
et au monde dans lequel on est, du coup je
n’avais d’autres choix que d’utiliser des effets
spéciaux », nous dit la jeune réalisatrice dont
le premier film a remporté un prix lors de la
dernière édition du festival de Sundance.
VFX breakdown de Abdelinho
de Hicham Ayouch.
Les effets spéciaux sur Animalia ont été
confiés à MPC, l’un des studios les plus importants
de VFX dans le monde et ont été supervisés
par Arnaud Fouquet, qui a reçu par ailleurs
une nomination aux Césars. « On a fait
un storyboard et nous nous sommes envoyés
beaucoup de références avec Arnaud. Sa
présence sur le plateau de tournage m’a été
d’une aide précieuse ». Sofia Alaoui, ne s’en
cache pas. « On a eu les moyens et des pro-
CRÉDIT : WRONG FILMS
Scène de la vague dans Animalia.
92 Maroc / Octobre 2024
VFX Breadown du film Animalia.
CRÉDIT : MPC FILMS
ducteurs nous ont suivi pour mettre de
l’argent sur les effets spéciaux du film ». Une
chance que n’ont pas d’autres productions
marocaines, qui voient toujours la post-production
comme l’un des parents pauvres de
la chaine de production d’un film.
Pour Julien Fouré de Free Monkeyz, les films
marocains n’ont pas assez d’argent pour
leurs ambitions, ce qui impacte de manière
plus directe la post-production et l’ambition
de pouvoir faire des VFX dans des films.
« Quand un film a besoin de huit millions de
dirhams, le Centre cinématographique marocain
en remonte quatre, et tout l’argent part
en règle général sur le tournage. Pour la
LES EFFETS
SPÉCIAUX SUR
ANIMALIA ONT ÉTÉ
CONFIÉS À MPC,
L’UN DES STUDIOS
LES PLUS
IMPORTANTS DE
VFX DANS LE
MONDE
post-production, tu te dis, on verra après »,
étaye Fouré. Un constat pessimiste, mais qui
n’empêche pas le fondateur de Free Monkeyz
d’avoir une lueur d’espoir pour l’avenir,
lui qui est en pleine post-production, de Atoman,
un film de superhéros marocain, et qui
nécessite un des budgets VFX les plus importants
du cinéma marocain.
« Aujourd’hui on est de plus en plus ambitieux
en effets spéciaux, sons, bruitages, et
avoir un fond d’aide qui serait dédié à la
post-production, et qui pourrait tout simplement
être calculé sur des scénarios, changerait
la donne et nous permettrait de faire
de meilleurs films », préconise Julien Fouré.
CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC
Le film de Sofia Alaoui a quant à lui été épargné
de ces difficultés. « J’ai fait mes effets
spéciaux en France car il y avait un système
de financement qui le voulait, avec la possibilité
d’obtenir des aides pour les effets spéciaux
», nous glisse Sofia Alaoui. Un financement,
qui aura permis aux équipes
d’Animalia de travailler les effets spéciaux
sur près de 84 plans.
Comme la vague qui surgit dans Animalia,
celle des effets spéciaux dans le cinéma
marocain est prête à prendre de l’ampleur.
Permettant aux cinéastes marocains de pouvoir
raconter des histoires plus audacieuses
et impressionnantes visuellement. Amen.●
Julien Fouré, à la tête de l’agence
casablancaise Free Monkeyz, spécialisée
dans la conception d’effets spéciaux.
Octobre 2024 / Maroc
93
MAG'
LA RELATION
TUMULTUEUSE
ENTRE CINÉASTES
ET CRITIQUES
La plupart des cinéastes répondent immédiatement que les
critiques de cinéma sont indispensables. Mais quand on les presse
d’approfondir leur appréciation, des qualificatifs désobligeants
surgissent. Les critiques de cinéma seraient incultes, désinvoltes,
malveillants, intéressés...
DOSSIER RÉALISÉ PAR REDA K. HOUDAÏFA
CRÉDIT : BOXOFFICE MAROC
Une critique se présente comme une analyse aiguisée, un
jugement éclairé porté sur une œuvre. Elle permet de
cerner les points forts et les points faibles d’un film.
94 Maroc / Octobre 2024
CRÉDIT : FICAM
Si l’expression d’une opinion sur un film est accessible à tous, le
métier de critique requiert des compétences et un savoir-faire
spécifiques. Il ne suffit pas d’apprécier ou de ne pas apprécier une
œuvre pour en proposer une analyse critique de qualité.
Lieu de jonction entre l’information, supposée
objective, et l’opinion, intrinsèquement
subjective, la critique s’applique
à remplir cette double fonction :
inspirer aux lecteurs le désir de voir un film,
leur éviter de voir tel autre, tout en les renseignant.
Immense responsabilité que les
critiques entendent assumer pleinement,
librement, fermement.
Pendant que les créateurs mettent en avant
une conception distincte. Toute bonne critique,
clament-ils, est descriptive, parce que
le rôle du critique est exclusivement un rôle
d’information. S’il s’aventure hors de ce territoire,
il s’engage dans un terrain glissant
où il risque de laisser des plumes.
Un critique, nous disait un réalisateur en vue,
doit être un metteur en lumière, jamais un
metteur en ombre. Et de nous citer Jean-
Louis Bory, qui possédait ce don inestimable
de s’enthousiasmer et de savoir faire partager
ses passions. Rares sont nos critiques,
ajoute notre interlocuteur, qui sont à même
d’aimer et de défendre ce qu’ils aiment. La
plupart s’enferrent dans le dénigrement systématique,
la démolition obstinée, la formule
manière incendiaire. En bref, la critique
s’exerce surtout de manière négative.
Un mauvais accueil critique influerait-il sur
la carrière d’un film ? Sur ce point essentiel,
les cinéastes s’accordent à penser que non.
La critique n’aurait, selon eux, aucun effet
ni positif ni négatif sur le destin d’une œuvre.
L’unanimité ne suffit pas à faire marcher un
film si celui-ci ne bénéficie pas d’un lancement
publicitaire, la diatribe ne saurait desservir
un film efficacement mis en place.
Une interrogation affleure : « Pourquoi les
réalisateurs sont-ils tant sensibles à la presse
? ». Par narcissisme, tout d’abord. En choisissant
de révéler sa création, alors que personne
ne l’y a contraint, le créateur se soumet
à l’opinion d’autrui. Celle-ci lui importe
grandement, question d’égo.
Narcissisme, mais surtout enjeu. L’image du
metteur en scène, celle qu’en donne la critique,
demeure auprès des guichets de financement
hyperdéterminante pour la suite
d’une carrière. Certes, les critiques ne contribuent
nullement au succès d’un film, il n’en
demeure pas moins qu’ils apportent leur
pierre à la notoriété d’un auteur. Ce qui n’est
pas négligeable.
Un fossé entre critiques et spectateurs
Une certitude acquise : les goûts des critiques
diffèrent radicalement de ceux des
EN CHOISISSANT DE RÉVÉLER SA
CRÉATION, ALORS QUE PERSONNE NE L’Y
A CONTRAINT, LE CRÉATEUR SE SOUMET
À L’OPINION D’AUTRUI
spectateurs. Les uns, engoncés dans les
préjugés théoriques et les querelles d’école,
ne jurent que par des « œuvres », les autres
se précipitent sur un cinéma qui parle d’eux,
se gavent d’images qui ne sont pas coupées
de leur vie, se délectent de mots qui sont
les leurs. Les premiers vitupèrent « ce terrible
appel vers le bas que constitue le goût
du public », lequel fait bon marché de leurs
jugement et s’en va applaudir des deux mains
ce qu’ils ont descendu en flammes.
De là à conclure que la critique ne sert à
rien, ou comme se plaît à dire un critique,
reprenant le mot d’André Bazin, que l’essentiel
du plaisir que lui procure la critique provient
justement de l’inutilité de cette pratique,
il n’y a qu’un pas que nous nous
garderons de franchir. Poser péremptoirement
leur inutilité reviendrait à prétendre
que le langage cinématographique est si
limpide qu’il pourrait faire l’économie d’un
décryptage. Cela signifierait également que
le cinéma marocain, longtemps mis sous
l’éteignoir, aurait eu sa place au soleil sans
l’action généreuse et militante de la critique
dans les années soixante et soixante-dix.
Des auteurs comme Tazi, Noury, Lagtaa,
Chraibi.... aujourd’hui reconnus, auraient-ils
émergé de l’anonymat dans lequel ont les
confinait, sans la contribution de la presse
? Des distributeurs se seraient-ils intéressés
à des jeunes comme Nabil Ayouch, Nour-Eddine
Lakhmari, Faouzi Bensaïdi... tous créateurs
d’œuvres qui n’appartiennent pas au
courant dominant, si les critiques n’avaient
pas attiré l’attention sur eux ?●
Octobre 2024 / Maroc
95
MAG'
LES DEUX VIES
DU CINÉ ALCAZAR
Initialement inauguré comme théâtre, le cinéma Alcazar a brillé de toute sa splendeur à Tanger,
Initialement inaugure comme theatre, le cinema Alcazar a brille de toute sa splendeur a Tanger, avant
de connaitre une periode sombre qui l’a condamne a fermer ses portes. Le cinema dont la facade a
figure sur le film « The Sheltering Sky » de Bernardo Bertolucci, renait de ses cendres en 2022 pour
redevenir un havre de paix pour les cinephiles. Retour sur les deux vies d’une salle emblematique de
la ville du Detroit qui accueille du 18 au 26 octobre le Festival national du film de Tanger.
PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT PHOTOS : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC
Érigé au cœur de Tanger, entre le jardin
de la Mendoubia et la tombe d’Ibn
Battuta, le ciné Alcazar a été fondé en
1913 par un commerçant juif d’origine andalouse
qui envisageait cet espace comme un
centre de divertissement pour les habitants
du centre-ville. Le Cinéma Alcazar (initialement
Teatro Alcazar) a d’abord été un théâtre
avant de devenir une des premières salles
de cinéma au Maroc.
La salle a d’ailleurs accueilli
de nombreuses troupes
de théâtre mais aussi
des chanteurs de
renom. En 1917, afin de concurrencer deux
salles de cinéma qui avaient ouvert leurs
portes à quelques mètres du Teatro Alcazar
(le Capitol et l’American Cinéma), les propriétaires
décident de transformer cet
espace en cinéma. Le Teatro Alcazar devint
ainsi le Ciné Alcazar.
Doté de deux entrées distinctes, l’une permettant
d’accéder aux loges et au balcon
et l’autre à l’orchestre, le cinéma pouvait
accueillir jusqu’à 700 spectateurs. On y
projetait dans un premier temps des films
muets et les images étaient accompagnées
par la musique d’un pianiste qui jouait derrière
l’écran.
Des pellicules inédites y étaient montrées,
ainsi que certaines premières images cinématographiques
en couleurs dans les
années 1930, relatent des habitués
du cinéma. Les années suivantes,
le ciné Alcazar
s’est distingué par sa
programmation
éclectique, attirant
des films internationaux de tous genres.
« Cette petite salle, malgré sa capacité limitée,
était devenue un lieu incontournable
de la vie artistique tangéroise, offrant aux
jeunes un précieux accès au cinéma mondial
et une initiation aux principes de base
du septième art », nous assure Aïcha Msaidi,
la vice-présidente de l’Association TanjAflam,
qui assure actuellement la gestion du cinéma
Alcazar,
Dans les années 30, malgré l’avènement de
cinémas offrant une capacité plus importante,
notamment le Rex (Cinéma Rif), le
Roxy, le Goya et le Mauritania, la popularité
du Ciné Alcazar resta intacte. Il fut même le
cinéma le plus populaire de la ville, « réputé
pour la qualité de ses projections,
toutes en langue espagnole.
« Le ticket d’entrée coûtait
60 centimes,
96 Maroc / Octobre 2024
et il y avait toujours des vendeurs de limonades
et un agent de police dans la salle »,
précisent avec nostalgie les habitués de
cette salle de cinéma à l’époque.
En 1945 le bâtiment fut racheté par Mimoune
Cohen, un homme d’affaires tangérois qui
y a effectué des travaux pour améliorer l’intérieur
et en faire l’une des salles les plus
importantes dans la zone sous administration
espagnole. Toutefois, dans les années
80, le ciné Alcazar commence malgré lui à
perdre de son éclat. Progressivement délaissée,
la salle a été contrainte de fermer ses
portes en 1993, plongeant ainsi dans une
longue période d’oubli.
une deuxième vie pour le ciné Alczar, où l’ancien et le nouveau se complètent harmonieusement.
En 2010, lors de la 11e édition du Festival
National du Film de Tanger, « une lueur d’espoir
surgit lorsque Nour Eddine Saïl, à
l’époque directeur du Centre Cinématographique
Marocain (CCM) et autrefois spectateur
assidu de l’Alcazar, dévoila un projet
de restauration ambitieux », explique la
vice-présidente de l’Association TanjAflam.
Grâce à un investissement de huit millions
de dirhams, soutenu par la Wilaya de la
région Tanger-Tétouan Al-Hoceima, le Ministère
de la Jeunesse et de la Culture, ainsi
que l’Agence pour le Développement des
Provinces du Nord, le cinéma a été entièrement
rénové avec comme ligne directrice
: « moderniser les installations, tout en préservant
le style architectural mauresque distinctif
du bâtiment ».
Le 26 mars 2022, le ciné Alcazar entame
Ancien projecteur à bobines, conservé à l'entrée du cinéma.
AVEC UNE CAPACITÉ DE 1 500
PLACES, IL RIVALISAIT EN CONCEPTION
ET EN CONFORT AVEC LES PLUS
GRANDS CINÉMAS DU MONDE
une deuxième vie où l’ancien et le nouveau
se complètent harmonieusement. A l’entrée
de la salle de cinéma, un projecteur de film
classique est exposé avec de vieilles affiches
de film, qui servent de rappel nostalgique
de l’histoire du cinéma. De nouveaux sièges
élégants avec un tissu bleu et des accoudoirs
en bois clair ont été installés créant
une atmosphère moderne au côté du mur
de pierre conservé qui ajoute un aspect rustique
et historique à l’espace.
Désormais, le cinéma Alcazar héberge un
projet éducatif et culturel visant principalement
à développer la sensibilité des enfants
et des jeunes à l’image. « Ce projet, géré
avec passion par l’association Tanja Films,
permet au Cinéma Alcazar de continuer à
briller comme un joyau historique, veillant
méticuleusement à son rayonnement culturel
», conclut notre interlocutrice.●
Octobre 2024 / Maroc
97
LE CLAP DE AICHA AKALAY
98 Maroc / Octobre 2024
Le 6 août 1997, un décret conjoint du
ministre de la Communication et du
ministre des Finances remanie le
fonctionnement du Fonds d’aide au
cinéma, et institue une commission de
lecture des scenarii et d’évaluation des
projets de films. En 1997, le banquier Omar
Akalay est nommé président de cette
commission, prend note des activités de
cette dernière, et les publie en témoignage
dans son livre « Au service du
cinéma marocain ». A sa disparition, il y
a bientôt un an, l’auteur de ses lignes,
liée à l’auteur, a pris connaissance du
contenu de ce livre. Reconnaissance à
ceux, trop peu nombreux sous nos cieux,
qui assument leur devoir de transmission.
Ce qui est rapporté n’est pas parole
d’évangile mais éclaire sur l’intention
claire des décideurs publics lors de son
institution. « Ce que la commission a
apporté au cinéma, je ne le sais pas. Il
est trop tôt pour évaluer le travail réalisé.
(…) Elle a fixé des règles de jeu de façon
que chaque postulant à l’aide puisse comprendre
le mécanisme des décisions
prises. Au-delà du bon fonctionnement
de la commission, c’est le développement
de l’industrie du cinéma qui est visé.
LA MAROC A UNE PRODUCTION
NATIONALE QUI SE DÉVELOPPE ET SE
MAINTIENT, ET LE FESTIVAL NATIONAL
DU FILM DE TANGER EN EST L’UNE DES
VITRINES MAJEURES
UNE PETITE
PARENTHÈSE DANS LA VIE
DE LA COMMISSION D’AIDE
Celui-ci n’est pas de la compétence de
la commission, mais on ne peut rester
indifférent à cet aspect du problème. En
effet l’activité cinématographique se situe
à l’intersection de l’industrie, de l’artisanat,
et de la culture. A ce titre, elle mobilise
des compétences très variées. Le
secteur est créateur d’emplois. Il est donc
utile d’en parler », écrit Akalay. Plusieurs
décennies plus tard, l’apport du travail
de cette commission qui alloue aujourd’hui
les avances sur recettes est indéniable.
La Maroc a une production nationale qui
se développe et se maintient, et le Festival
national du Film de Tanger en est
l’une des vitrines majeures.
Cette année, encore, les débats tourneront
sur la qualité de tel film, la pauvreté
de tel scénario, de belles surprises aussi,
espérons-le. Et cette antienne : sur quels
critères, la commission choisit-elle d’aider
au financement d’un film ? En 1997, le professeur
Hassan Esmili proposa une grille
avec ces critères pour juger un scénario :
la cohérence, l’explication, le respect des
principes dramaturgiques, l’étude des personnages,
le dialogue, l’articulation du récit
filmique, la proximité, le sens civique (vécu
proche du spectateur). Cette année-là,
Hakim Noury avait eu 1,5 million de dirhams
pour Destin de femme, l’année d’après
Faouzi Bensaidi recevait 135 000 dirhams
pour son court-métrage La Falaise, et Nabyl
Ayouch 2,6 millions de dirhams pour Ali
Zaoua. Aux critères définis il y a près de
trente ans, nous aimerions en ajouter ici
un seul, celui du réalisateur américain Sidney
Lumet : aider celles et ceux qui veulent
faire un bon film.●
Octobre 2024 / Maroc
99
100 Maroc / Octobre 2024