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BOXOFFICE MAROC - Edition Spéciale / Octobre 2024

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ÉDITION SPÉCIALE / Octobre 2024

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : SOUFIANE SBITI

MAROC

Le cinéma au Maroc a enfin son magazine

ÉDITION SPÉCIALE / Octobre 2024

SPÉCIAL 24 ÈME ÉDITION

DU FESTIVAL NATIONAL

DU FILM DE TANGER

RENCONTRE AVEC

ABDELAZIZ EL BOUZDAINI,

PATRON DU CCM


2 Maroc / Octobre 2024


EDITO

PRIORITÉ AUX

FESTIVALS NATIONAUX

PAR LA RÉDACTION

Préférence nationale. Le concept, galvaudé

à l’étranger, est allégrement

mis en avant au Maroc. Dans l’industrie,

dans l’emploi comme dans les compétences.

Sauf que dans ce qui nous intéresse,

la préférence revêt un sens particulier lorsqu’il

s’agit de l’appliquer à nos festivals.

La préférence nationale s’entend ici plutôt

comme une protection faite au secteur du

cinéma. La nouvelle réforme du secteur

comprend ainsi des dispositions

encourageant

à cette protection, par

la nécessité d’obtenir

toute autorisation du

Centre cinématographique

marocain avant

de pouvoir prétendre

passer par des circuits

internationaux pour ses

productions.

Si la disposition pourrait

paraître comme

pénalisante, en matière

de temps, pour les producteurs

et réalisateurs

désireux de voir leurs

films briller à l’international, elle est pourtant

là pour leur faciliter, si ce n’est assainir,

une situation longtemps dominée par

des pratiques douteuses.

LE FESTIVAL

NATIONAL DU FILM

DE TANGER, UN

RENDEZ-VOUS

INCONTOURNABLE

QUE BOXOFFICE PRO

MAROC COMPTE

BIEN CONTINUER À

SOUTENIR

Comme nous l’expliquons dans un article

de ce numéro de Boxoffice Pro Maroc, un

phénomène de plus en plus répandu paralyse

depuis quelques années l’essor du

cinéma marocain. Des cinéastes ont recours

à de faux festivals et à de faux prix disponibles

un peu partout, et pour une faible

contrepartie, pour pouvoir affirmer, haut et

fort, que leur film a déjà vu fait le tour du

monde et a été récompensé pour cela.

Ce n’est donc non sans surprise, qu’à plusieurs

reprises, plusieurs cinéastes ont été

pris la main dans le sac pour ainsi dire. Souhaitant

communiquer

autour de leurs films, ils

se retrouvent à distiller

dans la presse des

noms de prix jusque-là

inconnus, décrochés

dans des festivals dont

la dénomination sent la

contrefaçon.

Comme pour trouver

remède à cela, le CCM

appuie, chaque année,

l’organisation du Festival

national du film de

Tanger. Il est défini

aujourd’hui comme un

rendez-vous incontournable

pour le cinéma marocain, préconisant

que les productions marocaines y

marquent tout d’abord leur premier stop,

avant de se tourner vers l’international

Boxoffice Pro Maroc compte bien continuer

à soutenir cette initiative, avec toujours

comme crédo, nos festivals nationaux

d’abord.●

MAROC

Directeur de la publication

et de la rédaction

Soufiane Sbiti

Rédaction

Salma Hamri

Jihane Bougrine

Lina Ibriz

Salomé Krumenacher

Chronique

Aïcha Akalay

Photos

Mathieu Soul

Alexandre Chaplier

MAP

Maquette

Pulse Media

Directeur artistique

Mohamed Mhannaoui

Maquettistes

Ezzoubair Elharchaoui

Zineb Azeddine

Directrice générale

Fatima Zahra Lqadiri

fz@storyandbrands.com

Business developer

Hajar Aziani

Régie publicitaire

Story & Brands

Impression

Les imprimeries du Matin

Distribution

Sapress

Remerciements

Centre Cinématographique Marocain

BOXOFFICE PRO MAROC

est édité par

Pulse Media

sous licence

The Boxoffice Company

de Global Cinema Maroc

Capital Business Office,

B 127, 6ème étage,

Bd Abdelmoumen,

Casablanca, Maroc

Site web :

www.boxoffice.com

Dépôt légal

10/2024

ISSN : 2024PE0026

Octobre 2024 / Maroc

3


SOMMAIRE

20

06 ZOOM SUR...

Le Festival national du film en quatre

décennies

Le bilan 2023 du Centre cinématographique

marocain

Le bilan 2023 du CCM en chiffres

La réforme du cinéma ce qu’apporte

le projet de loi 18-23

Comment le CCM soutient l’industrie

du cinéma ?

La Mostra de Venise, le cinéma marocain

s’exporte

20 INTERVIEW

Abdelaziz El Bouzdaini.. « Depuis que

je suis au CCM, j’essaye un maximum

d’accompagner les films à l’étranger »

26 À LA LOUPE

Cinéma Marocain, destination monde !

Faux-festivals de film en ligne,

4 Maroc / Octobre 2024

un phénomène de plus en plus répandu

Ces productions étrangères que le maroc

a accueillies

33 EN COMPÉTITION

Mora est là, la mémoire aussi

Animalia fantastique tragique

Quand Asmae El Moudir raconte le vertige

de la mémoire

Les Meutes : la nuit leur appartient

Voyage dans les chemins troubles du désert

L’empreinte du vent, un souffle égaré qui s’éparpille

moroccan badass girl a tout cœur

Fez Summer 55 au fil des luttes

La dernière répétition quand yassine oublie

d’être fennane

51 PAROLES À

Sofia Alaoui, une rencontre du troisième type

Ana Moukhrija, Asmae el Moudir

Asmae El Moudir, la cinéaste qui ausculte les

souvenirs

Kamal Lazraq, ce que l’on voit dans le film,

c’est la réalité assez brute

Faouzi Bensaidi, Déserts, ce tiers manquant

qui crée tout le mystère

Abdelhaï Laraki, sort du cadre

Malika Chaghal, Au début, Il fallait développer

tout un travail

de médiation culturelle qui était quasi inexistant

Mohamed Khouna, Nous devons être créatifs

et innovants pour attirer le public vers les salles

de cinéma

87 MAG'

2023, L’année de moisson pour Asmae El

Moudir

Effets spéciaux, Quand le cinéma marocain

rivalise avec les grands studios Hollywoodiens

La relation tumultueuse entre cinéastes et

critiques

Les deux vies du Ciné Alcazar

98 LE CLAP DE AICHA AKALAY


26

52

84

88

76

Octobre 2024 / Maroc

5


LE FESTIVAL

NATIONAL DU FILM

EN QUATRE DÉCENNIES

OCTOBRE 1982,

1 ÈRE ÉDITION

OCTOBRE 2007,

9 ÈME ÉDITION

DÉCEMBRE 2008,

10 ÈME ÉDITION

DECEMBRE 1984,

2 ÈME ÉDITION

DECEMBRE 1995,

4 ÈME ÉDITION

DECÉMBRE 2005,

8 ÈME ÉDITION

OCT-NOV 1991,

3 ÈME ÉDITION

NOVEMBRE 1998,

5 ÈME ÉDITION

JAN-FEV 2001,

6 ÈME ÉDITION

6 Maroc / Octobre 2024

JUIN 2003,

7 ÈME ÉDITION


JANVIER 2010,

11 ÈME ÉDITION

MARS 2019,

20 ÈME ÉDITION

FEV-MAR 2020,

21 ÈME ÉDITION

JANVIER 2011,

12 ÈME ÉDITION

MARS 2018,

19 ÈME ÉDITION

SEPTEMBRE 2022,

22 ÈME ÉDITION

JANVIER 2012,

13 ÈME ÉDITION

MARS 2017,

18 ÈME ÉDITION

OCT-NOV 2023,

23 ÈME ÉDITION

FÉVRIER 2014,

15 ÈME ÉDITION

FÉVRIER 2015,

16 ÈME ÉDITION

FÉVRIER 2013,

14 ÈME ÉDITION

MARS 2016,

17 ÈME ÉDITION

Octobre 2024 / Maroc

7


ZOOM SUR...

ZOOM SUR LE BILAN 2023 DU

CENTRE CINÉMATOGRAPHIQUE

MAROCAIN

Le Centre cinématographique marocain (CCM) a dévoilé

le 12 août son bilan pour l’année 2023. 34 longs métrages

marocains ont été produits au cours de cette période, un

chiffre inédit dans l’histoire du cinéma national salué par le

CCM. Cependant, il convient de nuancer cet enthousiasme,

car derrière ce record se cachent des réalités complexes qui

méritent de décortiquer les chiffres et classements.

PAR : SALMA HAMRI

Le Centre Cinématographique Marocain (CCM), l’un des plus anciens établissements publics

chargés de la règlementation et de la promotion du cinéma dans le monde, créé en 1944

E

n 2023, le Maroc a enregistré la production

de 34 longs métrages, « un

nombre jamais atteint dans toute l’histoire

du cinéma marocain ». Cette même

année, 1 722 796 billets ont été écoulés dans

les 81 écrans actifs du Royaume, contre

1 485 166 billets en 2022 et 663 604 en

2021. Les recettes guichet au Maroc ont

pour leur part atteint 89 418 408 dirhams

( DH ) pour l’ensemble des productions,

toutes nationalités confondues. Plusieurs

des productions marocaines se sont distinguées,

soit par leur qualité artistique, soit

par les thématiques abordées.

Certains films ont particulièrement brillé au

box-office marocain. Le film Dados d’Abdelouahed

Mjahed, en tête du Box-Office des

films de toutes nationalités confondues et

marocains, a ainsi engrangé 8 706 829 DH

de recettes, attirant 164 934 spectateurs en

2023. Houma Li Bqaw – Jouj de Rabii Cha-

8 Maroc / Octobre 2024


jid suit avec 4 929 587 DH et 93 536 entrées.

Le film Nayda de Saïd Naciri a quant à lui

enregistré 85 353 entrées pour un total de

4 526 666 DH et Ana Machi Ana, 80 705

entrées pour un total de 4 576 357 DH.

D’autres ont surtout brillé lors de festivals

internationaux, notamment La mère de tous

les mensonges de Asmae El Moudir qui a

décroché le « Prix de la Mise en Scène »

dans la section Un Certain Regard au Festival

de Cannes 2023 et qui était en lice

pour les Oscars 2024. Animalia de Sofia

Alaoui s’est également distingué à l’étranger,

remportant le prix spécial du jury au

Festival du film de Sundance 2023, et la La

mer au loin de Said Hamich Benlarbi qui a

été projeté à la Semaine de la critique lors

de la 77ème édition du Festival de Cannes

en 2024. D’ailleurs, le film marocain était

présent dans 86 festivals à l’Etranger en

compétition officielle en 2023, le plus grand

nombre atteint depuis 2017.

En termes d’autorisations de tournage, il y

en a eu 730 pour les productions étrangères,

contre 564 pour les productions nationales,

avec une prédominance des reportages

étrangers (451 autorisations). Ce chiffre

souligne l’intérêt des médias internationaux

pour le Maroc, mais il interroge également

sur l’espace laissé aux productions locales.

Cette même année, 1,14 milliard de dirhams

( MMDH ) ont été investis par les productions

étrangères pour leurs tournages au

Maroc, montant le plus important réalisé

depuis 2015. Parmi les projets les plus

notables, Gladiator II de Ridley Scott se distingue

avec un budget de 306 millions de

dirhams ( MDH ). Ce type de production à

grand budget contribue non seulement à

l’économie locale mais met aussi en lumière

les infrastructures et les capacités techniques

du pays.

LE MAROC NE COMPTE AUJOURD’HUI

QUE 25 SALLES DE CINÉMA ET 81 ÉCRANS

ACTIFS, CONTRE BEAUCOUP PLUS IL Y A

QUELQUES ANNÉES

Concernant les productions nationales, sur

564 autorisations, les spots publicitaires

continuent de dominer avec 131 autorisations.

Le cinéma marocain reste égalem

e n t a c t i f d a n s l a p r o d u c t i o n

de documentaires (76 autorisations), de

long-métrages (34 autorisations) et de séries

télévisées (26 autorisations).

Parmi les autorisations de tournages de longs

métrages marocains accordées en 2023, les

projets phares incluent L’homme des signes

de Zhor Fassi Fihri, doté d’un budget déclaré

de 33,5 MDH, le plus élevé de l’année et

Octobre 2024 / Maroc

9


ZOOM SUR...

Cinéma Atlas à Rabat

dont l’avance dur recettes s’élève à 4 MDH.

Ce film qui n’est pas un biopic à proprement

parler est inspiré de la vie de l’artiste-peintre

Mehdi Qotbi, aujourd’hui président de la Fondation

nationale des musées.

L’aide aux salles de cinéma

Le Fonds d’Aide à la numérisation, rénovation

et création des salles a distribué 28,5

millions de dirhams en 2023, le plus grand

montant octroyé depuis la mise en place de

ce fonds d’aide en 2013. En effet, le soutien

annuel est passé de 4,95 MDH en 2013 à

28,5 MDH en 2023. Dans le détail, 3 MDH

ont été allouées à la numérisation, 1,5 MDH

à la rénovation et 24 MDH à la création.

Le Maroc ne compte aujourd’hui que 25

salles de cinéma et 81 écrans actifs, contre

beaucoup plus il y a quelques années.

Notons que ce chiffre n’inclut pas les 150

salles de proximité inaugurées par Le

ministre de la Jeunesse, de la culture et de

la communication, Mohammed Mehdi Bensaïd,

à travers le territoire national. Une initiative

qui concerne les localités et les villes

de petite et moyenne taille dépourvues d’espaces

adéquats de projection de films

Bien que le nombre d’écrans ait augmenté,

ils sont majoritairement concentrés entre

les mains d’un seul exploitant, le Megarama

qui détient 82 % du marché de l’exploitation

au Maroc, soit 73 685 954 dirhams de

recettes guichets. Si l’on ajoute les parts de

CinéAtlas (7 %) et de Pathé Californie Casablanca

(2,1 %) cette proportion atteint

91,2 %, étouffant ainsi les petits exploitants

marocains.

10 Maroc / Octobre 2024


Le ministre de la Culture en visite des lieux de tournage du film Gladiator II à Ouarzazate

LES COMÉDIES MAROCAINES RESTENT CELLES

QUI CUMULENT LE PLUS D’ENTRÉES, AU DÉPEND

DES FILMS D’AUTEURS QUI JOUISSENT POURTANT

D’UNE GRANDE NOTORIÉTÉ À L’ÉTRANGER

Sans oublier qu’en plus de s’accaparer le

marché de l’exploitation au Maroc, le multiplexe

français Megarama domine également

le marché de la société de distribution avec

une part de 35,64 % soit 77 films distribués

en 2023, contre 45 films distribués par Marrakech

Spectacles (20,83 %) et 28 films distribués

par Film Event Consulting (12,96 %).

Engouement pour les comédies marocaines

Le film réalisé par Abdelouahed Mjahed,

Dados, sorti en salles en février 2023,

occupe la première place du box-office des

trente films nationaux et internationaux les

plus vus en 2023. Il a réalisé 164 934 entrées

et a engrangé plus de 8,7 MDH de recettes

selon le bilan du CCM 2023. Rappelons que

cette comédie grand public, suit les aventures

criminelles de Dados et des quatre

femmes qu’il a recrutées pour ses opérations

de cambriolage, de chantage et d’escroquerie.

Il est talonné de près par le blockbuster

Barbie de la cinéaste américaine

Greta Gerwig qui capitalise 99 889 entrées

et 4,8 MDH de recettes puis du film marocain

Houma Li Bqaw-jouj de Rabii Shajid

avec 93 536 entrées et 4,9 MDH de recettes.

Toujours dans le classement des films nationaux

et inetrnationaux les plus vus en 2023,

on retrouve le film américain Oppenheimer

de Christopher Nolan, suivi de Hollywood

Smile de Ali Tahiri, puis Mission impossible,

Dead Reckoning Part One de Christopher

Mc Quarrie et Avatar: la voie de l’eau de

James Cameron.

La comédie made in Morocco reste la préférée

des Marocains et celle qui cumule le

plus d’entrées, au dépend des films d’auteurs

qui jouissent pourtant d’une grande

notoriété à l’étranger et s’écroulent sous les

prix et reconnaisses, notamment La mère

de tous les mensonges qui a reçu 7 prix à

l’étranger en 2023 et qui se retrouve en

44ème position au Box-Office des films marocains

et hors classement au Box-Office des

30 premiers films toutes nationalités confondues.

Il faut dire qu’au total, 64 personnes

ont vu au cinéma du Royauma ce film qui

était en lice pour les Oscars 2024 et qui a

empoché au Maroc une recette de 2170

dirhams. Ensuite, Le Bleu du caftan occupe

la 9ème position avec 7512 entrées et 383

626 dirhams de recettes. Quant à Reines de

Yasmin Benkiran (12ème position), celui-ci a

enregistré 3544 entrées et a engrangé 159

159 dirhams de recettes.●

Octobre 2024 / Maroc

11


ZOOM SUR...

34

longs-métrages

produits

Un nombre

jamais atteint

dans toute

l’histoire du

cinéma

marocain

BILAN 2023 DU CCM EN CHIFFRES

28.5

MDH

octroyés par

le Fonds d’aide aux

salles de cinéma

Le plus grand montant

octroyé depuis la mise en place de

ce fonds d’aide en 2013.

Le soutien annuel est passé de

4,95 MDH en 2013 à 28,5

MDH en 2023

Numérisation Rénovation Création

3 1.5 24

MDH MDH MDH

Nombre d’autorisations de tournage

564 pour les productions nationales et 730

pour les productions étrangères.

Top 5 des longs métrages

marocains autorisés

en termes de budget :

1

2

Shlomo

3

Africa

4

Un

5

L'Intermédiaire,

L'Homme des signes

Réalisé par Zhor Fassi Fihri

Budget déclaré :

33,5 MDH

Montant de l'avance sur recettes :

4 MDH

Réalisé par Mohammed Merouazi

Budget déclaré :

15,29 MDH

Montant de l'avance sur recettes :

5 MDH

blanca

Réalisé par Az El Arab Alaoui Lamharzi

Budget déclaré :

15,18 MDH

Montant de l'avance sur recettes :

3 MDH

Couple heureux

Réalisé par Hicham Lasri

Budget déclaré :

14,14 MDH

Montant de l'avance sur recettes :

4,35 MDH

La Cigale et la Fourmi

Réalisé par Yassine Fennane

Budget déclaré :

9,7 MDH

Montant de l'avance sur recettes :

3,3 MDH

Fréquentation des salles de cinéma

Total des entrées : 1 722 796 entrées

Moins fréquenté : Avril, avec 67 091 entrées

Plus fréquenté : Juillet, avec 206 576 entrées

Top 5 des productions

étrangères en termes

de budget investi :

1

2

3

4

5

Gladiator II

Réalisé par Ridley Scott

Budget investi au Maroc :

306,11 MDH

Production exécutive :

Dune Films

Atomic (Saison 1, ép 1 à 3)

Réalisé par Roger Young

Budget investi au Maroc :

150 MDH

Production exécutive :

Kasbah Films Tangier

The Terminal List (Saison 2, ép 1)

Réalisé par Max Adams

Budget investi au Maroc :

125 MDH

Production exécutive :

Kasbah Films Tangier

Mary

Réalisé par D. J. Caruso

Budget investi au Maroc :

69,94 MDH

Production exécutive :

Valkyries Productions

De Gaulle 1 & 2

Réalisé par Antonin Baudry

Budget investi au Maroc :

66,38 MDH

Production exécutive :

Lions Production & Service

1.14

MMDH investi par

les productions

étrangères pour leurs

tournages au Maroc.

« Le montant

le plus important

réalisé depuis 2015 ».

86

Festivals à l’étranger

où le film marocain est

présent en compétition

officielle. « Le plus

grand nombre

atteint depuis

2017 ».

81

Écrans actifs en

2023 (en plus des

salles de cinéma

lancées par le

ministère de la

Culture).

12 Maroc / Octobre 2024


Top 5 du Box-Office des 30 premiers films toutes nationalités confondues :

1- Dados 2- Barbie 3- Houma Li Bqaw - Jouj 4- Nayda 5- Ana Machi Ana

Nombre d'entrées :

164 934

Recettes :

8 706 829 DH

Nombre d'entrées :

164 934

Recettes :

4 879 094 DH

Nombre d'entrées :

93 536

Recettes :

4 929 587 DH

Nombre d'entrées :

85 353

Recettes :

4 526 666 DH

Nombre d'entrées :

80 705

Recettes :

4 576 357 DH

Top 5 du Box-Office

des films marocains :

1 Dados

Réalisé par :

Abdelouahed Mjahed

Nombre d'entrées :164 934

Recettes : 8 706 829 DH

Part de marché des exploitants ( Top 3 ) :

82.4%

des parts

7%

des parts

48 73 685 954 DH

écrans de recettes guichet

7 6 251 651 DH

écrans de recettes guichet

2 Houma Li Bqaw - Jouj

Réalisé par :

Rabii Chajid

Nombre d'entrées :93 536

Recettes : 4 929 587 DH

2.1%

des parts

8 1 884 690 DH

écrans de recettes guichet

Part de marché des sociétés de distribution ( Top 3 ) :

3 Nayda

Réalisé par :

Saïd Naciri

Nombre d'entrées :85 353

Recettes : 4 526 666 DH

35.64%

de parts de marché

20.83%

de parts de marché

77

films distribués

28

films distribués

4 Ana Machi Ana

Réalisé par :

Hicham El Jebbari

Nombre d'entrées :80 705

Recettes : 4 576 357 DH

12.96%

de parts de marché

28

films distribués

Liste des films marocains primés à l'étranger (Top 5) :

1 Le Bleu du caftan

2 Les Meutes

3 Kadib Abiad

5 Hollywood Smile

Réalisé par :

Abdelaali Tahiri

Réalisé par :

Maryam Touzani

Nombre de prix : 12

Réalisé par :

Kamal Lazraq

Nombre de prix : 8

Réalisé par :

Asmae El Moudir

Nombre de prix : 7

Nombre d'entrées :68 517

Recettes : 3 615 984 DH

1 Queens

5 L'Automne des pommiers

Réalisé par :

Yasmine Benkiran

Nombre de prix : 6

Réalisé par :

Mohamed Mouftakir

Nombre de prix : 5

Octobre 2024 / Maroc

13


ZOOM SUR...

RÉFORME DU CINÉMA

CE QU’APPORTE

LE PROJET DE LOI 18-23

CRÉDIT : ??????

Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la Culture

et de la Communication, et Abdelaziz Bouzdaini, directeur du CCM.

Un « code du cinéma » est en gestation pour préparer le cadre

réglementaire d’une industrie cinématographique moderne et

compétitive. Voici les détails de cette ambitieuse réforme

PAR LINA IBRIZ

14 Maroc / Octobre 2024


Les professionnels du septième art au

Royaume l’attendaient depuis des

années. Aujourd’hui, la réforme du cadre

réglementaire et de gouvernance du secteur

est en cours, promettant un arsenal législatif

adapté aux attentes et aspirations d’un cinéma

national compétitif et moderne bien outillé

pour générer une importante plus-value et

s’imposer sur la scène internationale.

Cette réforme porte sur deux axes principaux

: la restructuration du Centre cinématographique

marocain (CCM), afin d’en faire

« un véritable mécanisme de soutien au

cinéma et aux cinéastes marocains et étrangers

qui réalisent leurs œuvres au Maroc »,

selon le ministre de la Jeunesse, de la Culture

et de la Communication Mohamed Mehdi

Bensaid, en plus de la modernisation du

cadre législatif, devenu « caduc, n’accompagnant

pas les diverses évolutions que connaît

le secteur ». Actuellement soumis à l’examen

de la Chambre des représentants, le

projet de loi n° 18-23 s’articule ainsi autour

de ces deux volets.

La gouvernance comme outil de développement

La réorganisation du Centre cinématographique

marocain (CCM) portée par ce texte

entend ainsi permettre à l’institution de jouer

un rôle clé dans la régulation, le contrôle et

la consolidation du secteur et le doter de

nouvelles compétences pour promouvoir

l’industrie cinématographique nationale. Ce

texte viendra remplacer une loi vieille de 40

ans, afin d’adapter l’action du CCM aux nouveaux

défis. Alors qu’il maintient son statut

et sa forme juridiques, le centre dirigé par

Abdelaziz Bouzdaini verra son champ d’action

élargi. Au-delà de l’octroi et du retrait

des autorisations, le CCM sera amené à «

faire bouger l’économie cinématographique

», le nouveau texte prévoyant une série de

mécanismes pour promouvoir l’investissement

et l’emploi dans le secteur, ainsi que

pour sa promotion à l’international.

Les prérogatives du CCM sont également

renforcées, alors que le centre sera aussi en

charge de contrôler et délivrer les autorisations

nécessaires pour la tenue de différents

festivals du cinéma. Ses compétences sont

aussi consolidées par un pouvoir consultatif

sur les questions et sujets relatifs à son

champ d’action, en plus de la mission de

veille stratégique et de médiation en cas de

litiges entre les acteurs du secteur. Le CCM

sera également habilité à conclure des partenariats

internationaux dans les domaines

culturels et du cinéma.

Sur le plan organisationnel, la première modification

apportée par ce texte concerne le

Conseil d’administration du CCM, dont la

LE CCM SERA AMENÉ À « FAIRE BOUGER

L’ÉCONOMIE CINÉMATOGRAPHIQUE », EN

PROMOUVANT L’INVESTISSEMENT ET

L’EMPLOI DANS LE SECTEUR, AINSI QU’EN

RENFORÇANT SA COMPÉTITIVITÉ.

Siège du Centre cinématographique marocain à Rabat.

nouvelle composition offrirait une meilleure

représentativité. Outre le directeur général,

les représentants de l’Administration et ceux

des organisations professionnelles, le projet

de loi n°18-23 prévoit l’ajout de trois

membres indépendants. Par ailleurs, la nouvelle

composition du CA pourrait également

voir le nombre des représentants des professionnels

augmenter. Le texte ne précise

pas le nombre de ceux-ci -ce détail devant

être fixé par un décret d’application-, mais

le projet de loi ouvre la voie à une plus importante

représentativité des différentes organisations

professionnelles représentées sous

le cadre actuel par un seul membre chacune.

D’autres nouveautés concernent les modalités

de délivrance des autorisations et agréments.

Le projet de loi soumet en effet ce

processus aux nouvelles dispositions relatives

à la simplification des procédures administratives.

Le CCM devra ainsi observer les

délais fixés pour répondre aux demandes

qui lui parviennent, en plus de respecter les

autres mesures prévues dans la loi 55-19,

Octobre 2024 / Maroc

15


ZOOM SUR...

dont notamment la motivation et la justification

des décisions de rejet. Comme pour les

autres domaines, l’application de ces dispositions

à celui du cinéma vise à encourager

les investissements dans le secteur et en

rehausser la performance.

Un « code du cinéma » en gestation

Jusque-là, les différentes réformes du cadre

réglementaire du septième art qui se sont

succédées abordaient de manière séparée

la réorganisation du CCM et la révision de

la loi n°20-99 relative à l’organisation de l’industrie

cinématographique. Le projet de loi

n°18-23, en revanche, adopte une approche

plus globale, aspirant à mettre en place un

« texte législatif unique sous forme de code

du cinéma », selon Bensaid. Dans cette perspective,

le texte tend à unifier les principes

et les règles de base concernant l’organisation

de ce domaine.

Ainsi, ce projet de loi propose plusieurs

mesures qui unifient les règles et conditions

d’octroi et de suspension des autorisations

pour les diverses activités, en plus de la création

de deux types (national et international)

d’agréments pour les sociétés de production.

Les règles d’agrément changent à leur

tour. Actuellement, pour être agréées, il est

exigé des entreprises de production d’avoir

réalisé au moins un long métrage ou trois

courts métrages nationaux tournés au Maroc

et dirigés par trois réalisateurs marocains

différents. Avec le nouveau texte, la co-production

est aussi prise en compte. L’agrément

pourrait ainsi être octroyé aux entreprises

ayant participé à hauteur de 50% au

coût d’au moins deux longs métrages. L’approche

genre est aussi introduite, avec l’exigence

que, sur les trois courts métrages produits,

au moins un soit réalisé par une femme.

Pour l’agrément international, une grande

nouveauté concerne les entreprises agréées

depuis 3 ans au niveau national, avec les

mêmes règles qui seront appliqués.

Pour le tournage, deux types d’autorisations

également seront mises en place. En plus

de l’autorisation de tournage, on prévoit une

autre déterminant le site de tournage, avec

la possibilité d’un accompagnement par le

CCM pour l’obtention, tout au long du tournage

des autres autorisations nécessaires

pour l’accès à différents sites. En parallèle,

le texte prévoit la création d’un Registre national

du cinéma dans lequel seront enregistrées

toutes les informations relatives à l’industrie

cinématographique, ainsi que les

contrats conclus par les sociétés de production

sous la supervision du CCM.

De plus, pour renforcer la compétitivité du

secteur et la qualité des productions cinématographiques,

une Marque du studio sera attribuée

aux professionnels exerçant des activités

liées à l’industrie cinématographique,

conformément aux critères et modalités qui

seront définis par un texte réglementaire. Le

texte instaure aussi l’obligation pour les sociétés

de distribution d’obtenir un visa d’exploitation

commerciale du CCM. A cet effet, la

création d’un Comité de visionnage des films

Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication.

16 Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT: ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC

Cinéma Renaissance à Rabat.

CRÉDIT : BOXOFFICE MAROC

Sur le plateau de tournage du long-métrage «Bribes» réalisé par Fatine Janane

Mohammadi et Abdelilah Ziirat. Crédit: Alexandre Chaplier - BoxOffice Maroc

cinématographiques chargé de s’assurer la

conformité des productions est prévue. Présidé

par le directeur du CCM, le comité inclura

un représentant de ce centre et d’autres de

l’Administration et des professionnels. Un Visa

culturel sera aussi mis en place pour la projection

du film dans le cadre d’un festival ou

d’un événement cinématographique.

Le renforcement de la concurrence sur le

marché fait partie des objectifs du projet de

loi n°18-23. La mesure principale dans ce

cadre est l’interdiction à une seule partie de

diriger ou gérer plus d’une société de production

ou de distribution. Pareillement, le

nouveau texte propose d’interdire aux sociétés

de distribution d’exploiter une salle cinéma

ou de détenir des actions dans son capital.

Des sanctions sont à leur tour prévues pour

renforcer cette règle, avec des amendes allant

de 50 000 à 100 000 dirhams (DH) pour les

sociétés qui y dérogent. Pour garantir une

meilleure régulation du marché, d’autres

mesures disciplinaires, pouvant aller jusqu’à

200 000 DH d’amende, sont prévues en cas

de contravention aux règles de l’organisation

des sociétés du secteur ou de celles relatives

à la production, distribution et exploitation

des œuvres cinématographiques.●

Octobre 2024 / Maroc

17


ZOOM SUR...

COMMENT LE CCM

SOUTIENT L’INDUSTRIE

110 MDH

par an en moyenne

DU CINÉMA ?

Grâce à ces

mécanismes

de soutien

90%

du parc de salles

sont numérisés

Soutien à la production

Nationale :

73.5 MDH

en 2023

56 FILMS

en 2023

Sous forme de :

Avance sur recettes aux films

pré et post production

Contribution financière à

l’écriture et à la réécriture

Une prime à la qualité

≈ 20

longs métrages

produits par an

52

festivals et autres

manifestations

soutenus

Étrangère au Maroc :

109 MDH

en « Tax Rebate »

Sous forme de :

10 FILMS 211,4 MDH 17 FILMS

Ristournes de jusqu’à 30% des dépenses au Maroc

en 2023 Accords de principe

en 2023

Soutien aux festivals

Soutien aux salles de cinéma

28,5 MDH

Création :

24 MDH

27 SALLES

Jusqu’à 1/3 du montant d’investissement

Rénovation:

1.5 MDH

1 SALLE

1 PROJECTEUR NUMÉRIQUE

Jusqu’à 50% du montant d’investissement

Numérisation :

3 MDH

3 SALLES

6 ÉCRANS

6 PROJECTEURS NUMÉRIQUES

Jusqu’à 1 MDH en aide à

la numérisation des salles de cinéma

32,5 MDH

Aides aux festivals :

62 FESTIVALS

2 MDH - 2,5 MDH pour les festivals

de catégorie A

Jusqu’à 2 MDH pour les festivals de

catégorie B

Jusqu’à 1 MDH pour les festivals de

catégorie C

Aides aux autres manifestations :

Jusqu’à 100 000 DH au Maroc

Jusqu’à 200 000 DH

à l’étranger

18 Maroc / Octobre 2024


À LA MOSTRA DE VENISE,

LE CINÉMA MAROCAIN S’EXPORTE

Le public italien bientôt séduit par les œuvres

cinématographiques et télévisées marocaines. C’est l’objectif du

partenariat entre le Centre cinématographique marocain (CCM)

et la société nationale de diffusion d’Italie, RAI Cinema, qui

collaboreront pour les promouvoir au Bel Paese

PAR LINA IBRIZ

CRÉDIT : DR

plus grande diffusion du cinéma marocain

en Italie, ouvrant ainsi la voie vers de nouveaux

horizons au riche patrimoine cinématographique

marocain au-delà de ses frontières,

annonçait un communiqué.

Ce partenariat, explique-t-on, permettra

d’élargir la distribution des films marocains

en Italie. Objectif : rapprocher le patrimoine

culturel du cinéma national à de nouveaux

publics. Bouzdaini a souligné que la collaboration

inclut l’acquisition par l’Italie

d’œuvres, en particulier celles produites

avant 2022, et la distribution de classiques

restaurés tels que Soleil du printemps de

Latif Lahlou, datant des années 1950.

Un élément clé de cette initiative consiste

à ce que le bras de production et de distribution

de Rai se chargera du sous-titrage

ou du doublage des films en italien. Cet

effort vise à améliorer la visibilité de la culture

et du cinéma marocains aussi bien auprès

du public italien qu’au sein des communautés

maghrébines et arabes en Italie.

Le directeur du Centre Cinématographique Marocain (CCM), Abdelaziz Bouzdaini et le responsable

des Relations internationales de la société de production italienne Rai Cinema, Carlo Gentile.

Double succès pour le cinéma marocain

à la 81ème édition du Festival de

Venise. Alors que les films marocains

brillaient sur les écrans, les acteurs du secteur

s’activaient dans les couloirs pour nouer

de nouveaux partenariats et prospecter de

nouveaux marchés. C’est ainsi qu’en marge

de cette manifestation culturelle, Abdelaziz

Bouzdaini, directeur du Centre cinématographique

marocain (CCM) a saisi l’occasion pour

faire avancer le partenariat entre le Maroc et

l’Italie dans le domaine du septième art.

Une première collaboration prend ainsi d’ores

et déjà la forme d’un partenariat avec Radiotelevisione

italiana (RAI), le principal groupe

audiovisuel public italien. Lors de la Mostra

de Venise, Bouzdaini s’est entretenu avec

Carlo Gentile, responsable des relations internationales

de Rai Cinema, la société de production,

de distribution et d’achat cinématographique

du même groupe. Lors de cette

réunion « stratégique » autour du renforcement

des liens cinématographiques, les deux

responsables ont convenu d’assurer une

CE PARTENARIAT PERMETTRA D’ÉLARGIR

LA DISTRIBUTION DES FILMS MAROCAINS

EN ITALIE. OBJECTIF : RAPPROCHER LE

PATRIMOINE CULTUREL DU CINÉMA

NATIONAL À DE NOUVEAUX PUBLICS

Le partenariat vient couronner les négociations

lancées entre le CCM et la société

publique italienne en 2023, lorsque les deux

responsables avaient tenu une similaire entrevue

lors du 76ème Festival de Cannes. L’idée

d’une collaboration fructueuse ayant été alors

semée, les deux parties ont continué à l’étoffer

pour arriver à la forme que prendra le partenariat

prometteur, notamment au vu des

solides relations entre les deux pays. La volonté

commune derrière cet accord, avait déclaré

Bouzdaini à la presse, est de renforcer les

liens culturels et professionnels entre les deux

nations et d’ouvrir la voie à de nouvelles collaborations

cinématographiques et artistiques.

Du côté italien, la conviction en le potentiel

du cinéma marocain est forte. C’est dans

ce sens que Gentile a exprimé un soutien

fort à la croissance du cinéma marocain,

soulignant que la coopération bilatérale vise

à accroître sa visibilité en Italie par le biais

de diffusions télévisées, de présentations

lors de festivals et de semaines du cinéma

marocain. Le responsable a également proposé

d’organiser des rencontres entre producteurs

des deux pays pour explorer les

coproductions et repérer des lieux au Maroc,

réputés pour ses paysages époustouflants.●

Octobre 2024 / Maroc

19


INTERVIEW

20 Maroc / Octobre 2024


Abdelaziz El Bouzdaini

Depuis que je suis

au CCM, j’essaye un

maximum d’accompagner

les films à l’étranger

Sous l’ère d'Abdelaziz El Bouzdaini, le Centre cinématographique marocain

redessine les contours du Festival national du film de Tanger. Dans cette

édition, le cinéma marocain dialogue avec les nouvelles technologies et des

récits trop souvent oubliés, tout en affirmant son enracinement dans la culture

nationale. Le directeur du CCM évoque les défis de l’industrie entre innovation

et sauvegarde d'un patrimoine cinématographique en pleine mutation.

INTERVIEW MENÉE PAR LINA IBRIZ - CRÉDIT PHOTOS : MATHIEU SOUL - BOXOFFICE MAROC

Octobre 2024 / Maroc

21


INTERVIEW

Le Festival national du film de Tanger représente

un moment clé pour le cinéma marocain.

Quelles sont vos priorités pour cette

nouvelle édition ? Y a-t-il des nouveautés ou

des changements significatifs par rapport à

l’année dernière ?

Cette édition sera effectivement marquée par

plusieurs nouveautés. Certes, nous ne cherchons

pas à changer le fond, mais il est nécessaire

de refléter les évolutions que connait le

secteur et le monde d’ailleurs. L’idée est tout

simplement de capitaliser sur les nouveautés

que nous avons observées tout au long de

l’année. Cela ressort par ailleurs au niveau du

bilan du Centre cinématographique marocain

(CCM) au titre de l’année 2023. Pour le festival,

qui est organisé sous le haut patronage de S.M.

le Roi Mohammed VI, on se retrouvera cette

année avec un jury diversifié, composé surtout

de professionnels, mais également de personnes

qui s’intéressent aux métiers du cinéma.

Nous tenons compte bien évidemment de

l’expérience de ces personnes, ainsi que leurs

contributions à l’avancement du secteur.

Un grande nouveauté dans le programme de

cette année est l’organisation de tables rondes.

Nous en avons prévu quatre, en tenant compte

également des événements qu’il y a eu ces

dernières années. L’idée est aussi inspirée de

mon expérience à la tête du CCM : durant les

deux ans que j’ai passées ici, j’ai relevé quelques

manques que nous devons rattraper. De ce fait,

la première table ronde sera dédiée au scénario

et à l’écriture pour les enfants, car le paysage

cinématographique national souffre d’un

manque important en la matière et nous n’avons

pas au Maroc des spécialistes dans ce segment,

ni des scénaristes qui réfléchissent à des films

pour les petits. Cette table ronde vise ainsi à

enclencher un débat qui associe les professionnels,

dont des scénaristes, des spécialistes

et pourquoi pas des psychologues.

La deuxième table ronde concerne le film d'animation.

C’est un genre qui n’a jamais réellement

été dans le viseur du CCM, mais qui pourtant

représente toute une chaîne de valeur. Après

notre participation au Festival international

d’Annecy dédié à l'animation, nous en avons

tiré quelques leçons, et nous nous sommes

donc dit qu’il fallait organiser une table ronde

pour rassembler tous ces professionnels du

cinéma d’animation au Maroc. Aujourd’hui, il y

a tout un écosystème qui existe, mais le

domaine n’est pas encore organisé, ni développé.

Nous sommes convaincus que nous

pouvons mettre sur pied une industrie nationale

de l’animation et nous avons déjà entamé la

réflexion autour de certains projets. Dans ce

sens, nous discutons déjà la création d’un personnage

animé marocain qui sera associé à la

NOUS SOMMES AU DÉBUT DE LA

TRANSITION DU CINÉMA MAROCAIN.

C’EST L’ABOUTISSEMENT DE CE QUI A ÉTÉ

FAIT TOUT AU LONG DE CES ANNÉES,

MAIS CE N’EST QUE LE DÉMARRAGE

D’UNE NOUVELLE PHASE

culture marocaine pour ensuite être vu à

l’échelle internationale.

Par ailleurs, le cinéma connaît un énorme

développement avec les nouvelles technologies

qui arrivent et qui commencent à prendre

une grande place dans la chaîne de valeur,

dont notamment l'intelligence artificielle. À

partir de ce constat, nous avons pensé à relier

le cinéma à ces évolutions technologiques

rapides, d’où l’idée d’une table ronde dédiée

à l’intelligence artificielle. Étant donné que je

suis également secrétaire général au ministère

de la Jeunesse et que j’ai beaucoup travaillé

sur le gaming, qui repose sur les avancées

technologiques, je trouve qu’il est important

de créer des synergies entre les deux aspects:

le cinéma et la technologie.

Enfin, une table ronde autour du financement

est aussi prévue. Il s’agit là de l’un des principaux

défis que rencontrent les acteurs du secteur,

et donc nous allons aussi associer à cette

réflexion Tamwilcom avec qui nous avons déjà

signé au niveau du ministère un mémorandum

pour le développement du gaming et du cinéma,

22 Maroc / Octobre 2024


lors du salon national du gaming. Cette table

ronde se focalisera donc sur la mise en œuvre

de ce partenariat. Certes, cette problématique

a été discutée à plusieurs reprises lors de

diverses tables rondes, qui n’ont malheureusement

pas donné leurs fruits, mais là nous

passons à l’acte avec des intervenants spécialisés

dans le financement du cinéma et de la

culture en général à travers le monde.

Une dernière nouveauté est le concours pitch.

C’est un appel à projets qui était aussi organisé

auparavant, mais que nous remettons cette

année au goût du jour, pour proposer de nouvelles

possibilités aux jeunes acteurs du cinéma.

Pour cette édition, nous avons reçu une trentaine

de projets, dont nous avons sélectionné

huit, qui vont être encadrés par de vrais professionnels

du monde entier.

Pouvez-vous nous parler des mesures prises

pour soutenir les films marocains en compétition

? Comment envisagez-vous d’amplifier

leur visibilité au-delà des frontières

du Maroc, notamment après leur projection

au Festival de Tanger ?

J’ai fait de l’accompagnement et de la promotion

du film marocain à l’international ma priorité

depuis que je suis au CCM. Les productions

nationales ont déjà leur place sur les écrans

étrangers. Et l’intérêt qu’elles ont est bien plus

que ce qu’on puisse imaginer et contrairement

à ce qu’on dit, le film marocain est très vu à

travers le monde. La preuve en est que les films

marocains viennent en deuxième position au

boxoffice, où 46% de films sont américains,

mais 36% de films qui sont marocains.

À travers le monde aussi, on commence à

regarder le cinéma marocain. C’est dire qu’il y

a d’importants efforts qui sont fournis, tant en

interne qu’à l’échelle mondiale. Déjà, il est à

rappeler que tout un dispositif d’accompagnement

a été mis en place, d’abord au Maroc pour

faire revenir les gens aux salles de cinéma, et

puis pour promouvoir le cinéma marocain

auprès de nouveau publics.

À l'étranger, l’année 2023-2024 a été une

année record. Nous avons quasiment été partout

pour multiplier la présence du cinéma

marocain à l’étranger. Ceci dit, il est aussi

primordial de signaler que la qualité du film

marocain est en train de se hausser. Quand

les films marocains sélectionné à droite et à

gauche dans les grands festivals mondiaux

du cinéma, ce n’est pas pour nos beaux yeux,

mais c'est que le film marocain s’impose.

Vous avez dirigé une délégation marocaine

composée de plusieurs maisons de

production à la Mostra. Quelles sont les

opportunités concrètes qui en ont émergé

pour le cinéma marocain, notamment en

termes de co-productions ou d’accords

de distribution ?

Je suis rentré de la Mostra de Venise avec un

paquet de cadeaux. Ce festival est parmi les

plus anciens au monde, mais auquel ne nous

nous intéressions pas autant avant, ce qui a

fait que le Maroc y était mal représenté. Pourtant,

et nous l’avons prouvé cette année, le

film a sa place à Venise.

La table ronde que nous avons organisée

là-bas avait justement pour objectif de vendre

le modèle marocain, le produit marocain et

l’offre Maroc en matière de cinéma. C’est pour

cette raison d’ailleurs qu’en plus du CCM, la

délégation marocaine était composée de

quatre grandes maisons de production. Tout

cela visait à encourager et attirer des producteurs

étrangers pour venir tourner au Maroc,

et le bilan en a été les commandes qui ont

atterri dès que nous sommes rentrés. Il s’agit

là, de grandes productions avec de grandes

enveloppes et de grands investissements.

En parallèle, nous avons travaillé sur l’exportation

des films marocains. Avec la chaîne

publique italienne RAI, nous sommes en train

de finaliser l’accord en vue de bientôt le signer.

Nous leur avons déjà fourni la liste des films

et ils vont s’occuper du doublage. Il y a une

forte population en Italie qui est intéressée pas

les films marocains : les Marocains résidant

là-bas, la communauté maghrébine et puis les

Italiens qui seront intéressés dès que les films

seront traduits.

Le label « Made in Morocco » a fait sensation

lors de la 81ème Mostra de Venise. Quels

sont, selon vous, les principaux atouts du

cinéma marocain qui séduisent les professionnels

étrangers ? Comment le CCM travaille-t-il

à capitaliser sur cette dynamique ?

Le Maroc dispose de tous les atouts : nous

avons une riche culture, des paysages diversifiés

et des infrastructures cinématographiques

développées, que ce soit à Ouarzazate, à Marrakech

ou dans d’autres villes, où on retrouve

outre les sites de tournage, des studios de

production et de post-production. En plus,

l’écosystème est là et toute la chaîne de valeur

est développée. Il y a un autre élément qui

distingue le Royaume de tous les autres pays:

la lumière du jour qui est incomparable et qui

en plus change d’une ville à une autre, puis

c’est un Maroc de quatre saisons, où on

retrouve différents climats dans la même journée

dans différentes régions. Un autre élément

qui est le plus important est le potentiel humain,

car nous disposons de techniciens compétents

et polyvalents qui maîtrisent différents aspects

de la production et réalisation.

Le festival de Tanger joue aussi un rôle dans

ce sens, notamment en incarnant l’esprit de

la vision africaine et transatlantique de S.M.

le Roi Mohammed VI. Ainsi, lors de ce festival,

le public retrouvera une composante

africaine, une composante atlantique et bien

d’autres. En parallèle, nous organisons plusieurs

actions tout au long de la période du

festival, car c’est une station importante que

nous essayons d’exploiter, notamment en

invitant plusieurs personnalités du domaine

venant du monde entier.

Octobre 2024 / Maroc

23


INTERVIEW

Avec la montée en puissance des films marocains

sur la scène internationale, quels sont

les défis auxquels le CCM est confronté pour

maintenir et amplifier cette visibilité dans

des festivals majeurs comme Venise, Cannes

ou la Berlinale ?

La visibilité, c’est la qualité. Du moment qu’on

a des films de qualité, ils sont choisis automatiquement

dans ces festivals de renommée.

Nous sommes au début de la transition du

cinéma marocain. C’est l’aboutissement de

ce qui a été fait tout au long de ces années,

certes, mais ce n’est que le démarrage d’une

nouvelle phase. Tout au long des années dernières,

nous travaillions sur la quantité, cela a

été un choix pertinent, car il fallait d’abord qu’il

y ait assez de productions desquelles peuvent

émerger des précieux sésames. Aujourd’hui,

les films marocains sont connus à l’étranger

grâce à leur qualité. Aussi importants qu’ils

soient, la communication et le marketing à eux

seuls ne suffisent pas. Il y a aussi la question

du lobbying de la part des grands groupes

dans les festivals internationaux, mais ça reste

secondaire. En fin de compte, c’est le film qui

s’impose. Sur ce volet, un travail impressionnant

a été fait.

Nous sommes au point de départ et nous capitalisons

sur tout ce travail qui a été fait pour

aller de l’avant. Nous allons développer la formation,

la post-production, où on a toujours du

manque, et nous allons combler les lacunes

qui persistent. Un autre axe important est l’encouragement

de la femme et l’encouragement

des jeunes, car nous avons beaucoup de talents

dans lesquels il faut investir et croire.

IL Y A UN DISPOSITIF

D’ACCOMPAGNEMENT QUE NOUS

MENONS D’ABORD POUR FAIRE REVENIR

LES GENS AUX SALLES DE CINÉMA

Les jeunes, notamment, peuvent porter le

cinéma marocain vers une nouvelle ère, mais

il faut qu’ils acceptent ce que nous avons

comme bagage, pour qu’il n’y ait pas un conflit

intergénérationnel. Il ne faut pas que les jeunes

se développent comme s’ils partent de la case

zéro, sans capitaliser sur ce que leurs prédécesseurs

ont réalisé. Il faut qu’il aient un rétroviseur

pour qu’ils puissent se développer

davantage et aller vite.

Le CCM joue un rôle dans la préservation

du patrimoine cinématographique marocain.

Pourriez-vous nous parler des efforts

en cours pour restaurer et archiver les films

marocains, ainsi que des projets futurs

pour faciliter leur accessibilité au public ?

Tous les films marocains sont archivés au

CCM, parce que le rôle du CCM est aussi de

sauvegarder et protéger ce patrimoine. Il y

a un travail que mène également la cinémathèque

qui est en train de restaurer plusieurs

films. Nous avons déjà restauré quelques

films. La tâche n’est toutefois pas facile : pour

restaurer un film de deux heures, cela prend

des mois et des mois de travail et nécessite

d’importants moyens techniques et matériels.

Dans le cadre de la protection du patrimoine,

nous cherchons aussi à produire de grands

films historiques sur l’histoire de notre pays. Il

s’agit de refléter certaines périodes qui ont

marqué l’Histoire du Maroc, et qui font partie

de notre patrimoine qu’il faut préserver.

Les coproductions internationales se multiplient

pour les films marocains. Selon

vous, quelles sont les régions du monde

avec lesquelles le Maroc pourrait développer

de nouvelles collaborations, et quelles

initiatives le CCM met-il en place pour

faciliter ces partenariats ?

Nous n’avons pas de préférences pour un

pays ou un autre, car le Maroc est ouvert à

toutes les civilisations et à toutes les cultures.

Au CCM, nous souhaitons collaborer avec

les producteurs de toutes la nationalités. Le

choix dépend cependant de la demande et

c’est normal de privilégier des pays d’où

émane un important intérêt que ce soit en

termes du nombre de projets ou de leur poids

en terme d’investissement, mais nous restons

ouverts. D’ailleurs, si on prend pour exemple

les films en tournage actuellement au Maroc,

on trouvera des films belges, russes, américains,

italiens, français, etc.

L’important avantage que nous avons au

Maroc c’est que nous n’avons pas de censure.

Le Maroc est très ouvert, ce qui lui permet

d’accueillir toutes les productions.

Quelques mois après l’ouverture des 150

salles de cinéma de proximité dans le

cadre du projet des 250 salles du ministère

de la Culture, quels enseignements tirezvous

des résultats obtenus jusqu’à présent

? Avez-vous observé une augmentation

de la fréquentation et de l’engagement

du public, notamment dans les petites

villes ?

Nous sommes au tout début. Nous avons

ouvert 50 salles sur les 150 et nous sommes

en train de tester. Nous devons quand même

trouver une formule pour la gestion de ces

salles, loin de l’esprit administratif.

Il y a cet aspect de métier, de programmation

et d’intelligence qui rentre dans le fonctionnement

d’une salle. Nous sommes en quête

d’un modèle qui incorpore tous ces éléments.

24 Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT : MAP

Pour le moment, nous travaillons aussi pour

améliorer la programmation. C’est surtout un

travail d’adaptation, car certains films qui

peuvent être projetés dans certaines villes n’ont

pas le même intérêt dans d’autres.

En ce qui concerne le modèle actuel de la

commission pour l’octroi des subventions

cinématographiques, pensez-vous que le

système de tranches de financement par

catégories de films est toujours la meilleure

approche pour soutenir le développement

du cinéma marocain ?

Tenant compte du budget dont nous disposons

actuellement, je trouve que c’est la formule qui

a donné le plus de résultats à ce jour. Cependant,

je reste convaincu qu’il existe une marge

d’amélioration et nous menons une réflexion

approfondie pour revoir tout le dispositif, non

seulement pour la production mais aussi les

trois autres mécanismes de soutien.

Pour le soutien à la production étrangère au

Maroc, le cadre est plus ou moins figé. Il y a un

texte qui régit cela, qui nécessite quelques

retouches. Celles-ci sont en cours et seront

achevées dans quelques mois. En ce qui

concerne la production nationale, ce modèle

qui était au départ un soutien et puis s’est transformé

à l’actuel système d’avance sur recettes,

n’est pas un modèle idéal. Nous ambitionnons

à mettre en place un modèle beaucoup plus

rentable, tout en encourageant aussi bien les

films commerciaux que les films d’auteur, qui

permettent notamment une forte présence à

l’international.

Un autre défi est d’inverse la tendance actuelle,

où seulement 15% des films tournés atteignent

les salles de cinéma, tandis que les 75% vont

soit aux festivals ou dans les tiroirs. Cela est dû

en grande partie au fait que les modèles de

soutien du cinéma ne sont pas cohérents. Il est

à noter que ce n’est pas uniquement le cas au

Maroc, mais partout dans le monde.

Nous avons également observé une tendance

vers des projets de comédies et de films historiques

avec la nouvelle commission. Dans

quelle mesure cela reflète-t-il une orientation

stratégique du CCM, et comment cela s’inscrit-il

dans votre vision pour la diversité du

paysage cinématographique marocain ?

D’abord, la commission est autonome dans les

décisions qu’elle prend. S’agissant des orientations,

il y a des échanges publics qui se

tiennent pour s’aligner sur la stratégie du ministère,

car il y a un aspect de politique publique.

Mais généralement, nous n’avons pas besoin

de communiquer sur ces messages, car ils sont

évidents et les différents acteurs en ont

conscience.

En ce qui concerne le cinéma de l’enfance par

exemple, il est clair que c’est un segment qu’il

faut développer. Le film historique n’est pas

non plus développé, car nous n’avons pas les

moyens et c’est un genre qui requiert énormément

d’investissement, alors que les aides du

CCM sont plafonnées (le coût de réalisation

d’un film historique peut aller jusqu’à 100 millions

de dirhams ou 200, alors que les subventions

du CCM sont plafonnées à 5 ou 6 millions

de dirhams, ndlr).

Par conséquent, pour développer ces créneaux,

c’est l’État qui va se substituer aux producteurs

privés, et c’est le CCM qui va produire ces films

et financer ces projets. Nous comptons déjà

présenter l’idée d’un film historique dès l’année

prochaine, dont nous allons dévoiler après les

détails, une fois que le projet sera validé. C’est

une nouvelle orientation, car l’État a les moyens

de développer ces créneaux, contrairement

aux producteurs privés qui n’ont pas cette possibilité.

Par la suite, avec le développement de

cette réflexion, nous allons chercher à inclure

des investisseurs privés, du secteur, mais aussi

pourquoi pas impliquer les banques et d’autres

instituions de financement.●

Octobre 2024 / Maroc

25


À LA LOUPE

CINÉMA MAROCAIN,

DESTINATION MONDE !

L’été 2024 a marqué un tournant pour le cinéma marocain,

célébré à Angoulême avec une rétrospective et à Venise avec

une délégation influente. Des talents comme Yasmine Benkiran,

membre du jury, ont brillé, tandis que le Maroc continue de

s’imposer comme une destination prisée pour les productions

internationales, renforçant son rôle clé sur la scène mondiale.

PAR JIHANE BOUGRINE

CRÉDIT : MAPPHOTO

Le Maroc honoré au Festival du Film Francophone d’Angoulême en France

L’été 2024 a été un moment des plus

intéressants pour le cinéma marocain

sur la scène internationale, avec des

événements marquants à Angoulême et

Venise. Des hommages appuyés et des présences

influentes ont mis en lumière la

richesse et la diversité du 7ème art marocain.

À Angoulême, un hommage vibrant a

été rendu au cinéma marocain, tandis qu’à

Venise, la délégation marocaine a brillé avec

un jury composé de talents marocains et une

participation dynamique du Centre Cinématographique

Marocain (CCM).

Angoulême rend hommage au cinéma

marocain

En août 2024, le Festival du Film Francophone

d’Angoulême a mis à l’honneur le

cinéma marocain dans une rétrospective

intéressante qui a traversé plus de six décennies

de films. Cet hommage s’inscrit dans la

volonté du festival de célébrer les cinématographies

du monde francophone, et le

Maroc, avec sa production dynamique et

son influence grandissante, a été choisi

comme invité d’honneur.

La programmation a proposé une sélection

soigneusement composée de dix longs-métrages

marocains, couvrant plusieurs

périodes marquantes de l’histoire du cinéma

marocain. Parmi les œuvres présentées, des

classiques comme Quelques événements

26 Maroc / Octobre 2024


sans signification (1974) de Mohamed

Derkaoui, un film qui reflète les bouleversements

sociaux du Maroc post-colonial et

Mémoires en detention (2004) e Jilali Ferhati

sur le syndrome post traumatique après les

années de plomb. Sur des sujets plus

contemporains, des films comme Ali Zaoua

de Nabil Ayouch (2000) et Marock de Laila

Marrakchi (2005) ont transporté les spectateurs

dans les réalités de la jeunesse marocaine

urbaine et ses luttes identitaires.

Chaque projection était précédée d’un

court-métrage marocain, offrant une plongée

encore plus riche dans le paysage cinématographique

du pays. Le court-métrage

Les Pierres bleues du désert (1992) de Nabil

Ayouch a captivé l’audience par sa poésie

et son exploration des questions de foi et

de destine comme celui de la jeune Sofia

Khyari dont le film d’annimation Ayam sur

trois generations de femmes a ému. Le

WWW : What a Wonderful World de Faouzi

Bensaïdi (2006) a, quant à lui, apporté une

touche d’humour noir et un regard unique

sur la vie moderne à Casablanca. Pour célébrer

les 20 ans du film, Ismael Ferroukhi a

présenté Un grand voyage, avec une émotion

palpable, rappelant ô combien ce film

qui raconte un voyage entre père et fils que

tout sépare sur le chemin de la Mecque, n’a

prix aucune ride. Des moments de cinéma

courageux qui ont prouvé la diversité du

septième art marocain, pauvre de la sauvegarde

de ses films. Le fils maudit de Mohamed

Ousfour, considéré comme le premier

DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, LE MAROC

S’IMPOSE COMME UN ACTEUR

INCONTOURNABLE DANS LE PAYSAGE

CINÉMATOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

film marocain sorti en 1958 ou encore La

plage des enfants perdus et Les poupées

de roseaux de Jilali Ferhati n’ont pas pu être

programmés pour des raisons de copies

inexistantes. Ou difficiles à trouver.

L’hommage s’est également manifesté à travers

la présence de Mehdi Qotbi, président

de la Fondation nationale des Musées du

Maroc, qui a symboliquement hissé le drapeau

marocain à l’hôtel de ville d’Angoulême,

en présence de Xavier Bonnefont, maire de

la ville, et des délégués du festival, Marie-

France Brière et Dominique Besnehard.

« Cet acte symbolique, au-delà de la reconnaissance

du cinéma marocain, renforce les

liens culturels entre la France et le Maroc,

témoignant de la volonté commune de célébrer

la richesse des échanges entre les deux

nations », a rappelé Mehdi Qotbi.

Le Maroc , « Hollywood du Désert »

A la Mostra de Venise, le Maroc a été une

fois de plus sous le feu des projecteurs. Non

pas à travers les films sélectionnés, mais

grâce à la délégation menée par Abdelaziz

El Bouzdaini, directeur du Centre Cinématographique

Marocain (CCM). Depuis plusieurs

années, le Maroc s’impose comme un acteur

incontournable dans le paysage cinématographique

international, non seulement pour

sa production nationale, mais aussi en tant

que terre d’accueil pour des tournages internationaux

majeurs et la délegation marocaine

a tenu à confirmer ce statut.

Le Maroc a été présenté lors d’une conférence

intitulée « Le Maroc : une terre accueillante

pour la production de films étrangers

grâce au programme de soutien financier »,

qui a mis en avant les atouts du pays pour

les productions étrangères. Avec des villes

comme Ouarzazate, surnommée le Hollywood

du désert, et Essaouira, célèbre pour

ses décors historiques, le Maroc attire des

cinéastes du monde entier, comme l’a prouvé

la production récente de films tels que Gladiator

2 ou encore le cinquième volet de la

franchise Mission Impossible, tourné en

grande partie au Maroc.

Le CCM a également souligné l’importance

de son programme de soutien financier, qui

permet aux productions internationales de

bénéficier d’avantages fiscaux, rendant le

Maroc encore plus attractif. Cela, combiné

CRÉDIT : FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE D’ANGOULÊME

Octobre 2024 / Maroc

27


À LA LOUPE

CRÉDIT : AFP

A la Mostra de Venise, la réalisatrice Yasmine Benkiran faisait parti d’un des jurys de la compétition

L’EXPÉRIENCE DE YASMINE BENKIRAN

EN TANT QUE MEMBRE DU JURY À VENISE

A ÉTÉ MARQUÉE PAR DES DÉBATS

PASSIONNÉS ET DES RÉFLEXIONS

à la diversité des paysages et au professionnalisme

des équipes locales, a fait du Maroc

une destination prisée pour des productions

hollywoodiennes et européennes. DUNE

Films, ZAK Productions, AGORA Films, et

KASBAH Films étaient parmi les sociétés de

production marocaines présentes à Venise,

représentant fièrement le potentiel de l’industrie

cinématographique marocaine sur

la scène internationale.

Yasmine Benkiran, « Reine » d’un jury à

Venise

La présence marocaine à Venise s’est également

illustrée par la nomination de Yasmine

Benkiran en tant que membre du jury

à la tant respectée Semaine de la critique.

Réalisatrice marocaine prometteuse, elle a

su apporter une perspective unique en tant

que jurée. Dans ses œuvres et son approche

du cinéma, la réalisatrice met un point d’honneur

à privilégier les émotions avant la technique.

« Quand je vais au cinéma, j’essaie

de me laisser emporter par les émotions,

sans me concentrer sur les aspects techniques.

Si je regarde la technique, c’est que

quelque chose n’a pas fonctionné émotionnellement

» rappelle la réalisatrice de Reines

qui avait projetté son premier film en

avant-première à la Mostra en 2022.

Son expérience en tant que membre du jury

à Venise a été marquée par des débats passionnés

et des réflexions sur la manière dont

les films proposés apportent une vision du

monde unique. D’ailleurs, Yasmine Benkiran

accorde une importance particulière aux

récits sous-représentés, en particulier ceux

venant du Sud global mais tout en gardant

à l’esprit que la qualité prime sur la provenance

. « On part toujours d’un endroit. En

grandissant au Maroc, je vais être sensible

à la beauté de la langue, ou à la musique.

Malgré moi. J’essaie quand même de rester

fidèle à mes principes. Les récits sous

représentés ou les cultures pas très présentes

dans le cinéma. Je ne veux pas que

l’argument politique précède l’argument

émotionnel » continue celle qui cite l’exemple

de la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir,

dont le film, salué par la critique, a su

capturer des émotions profondes tout en

racontant une histoire rarement vue à l’écran.

Pour elle, le cinéma marocain se trouve à

un moment charnière, avec des talents émergents

comme Ismail El Iraki, Alaa Eddine El

Jem, et Sofia Alaoui qui gagnent en visibilité

sur la scène internationale. Cependant,

Yasmine Benkiran rappelle que, bien que le

cinéma marocain soit de plus en plus reconnu

par les professionnels, il doit encore trouver

un plus large public à l’international, à

l’instar des films coréens qui ont su conquérir

le monde. « Le cinéma marocain est remarqué

dans les festivals, mais il reste encore

du chemin à parcourir pour toucher un public

plus large », explique-t-elle.

En conclusion, l’été 2024 a été une période

charnière pour le cinéma marocain, avec

des hommages appuyés et des reconnaissances

importantes dans des festivals de

premier plan comme Angoulême et Venise.●

28 Maroc / Octobre 2024


FAUX-FESTIVALS DE FILM EN LIGNE,

UN PHÉNOMÈNE DE PLUS

EN PLUS RÉPANDU

De l’Inde au Venezuela, en passant par Amsterdam, des festivals de cinéma

émergent sur internet. Derrière ces appellations faisant penser aux grands prix

cinématographiques, se trouvent souvent des organisations douteuses,

uniquement intéressées par les frais de candidature.

PAR SALOMÉ KRUMENACHER

Depuis quelques années, des festivals

de cinéma naissent un peu partout dans

le monde. Souvent, ils ont des noms

qui rappellent les plus grandes compétitions

du cinéma, comme le Cannes Film Awards ou

encore le Royal Society of Television & Motion

Picture Awards. Après avoir remarqué le nombre

exorbitant de distinctions pour le documentaire

français Etats de choc : Primum non nocere, le

journaliste Thomas Coquaz a travaillé sur ces

pseudo-festivals pour le média Checknews.

Son enquête a ensuite été relayée par

Radiofrance et Libération.

CRÉDIT : DR

Plus l’on s’y intéresse, plus ces compétitions

semblent douteuses. Des coûts élevés pour

candidater, des centaines de films sélectionnés

pour un jeune festival, des compétitions

tous les mois, et pas de cérémonies ni de

remises organisées, sauf si l’on est prêt à payer.

Il est alors difficile de croire qu’un petit festival

émergent réussisse à avoir les moyens humains

de visionner tous les films inscrits en un court

laps de temps, et d’en faire une sélection

réfléchie, selon le journaliste.

Derrière ces sites de pseudo-festivals, aucun

nom ni contact ne s’y trouvent, aucun jury n’est

connu. Rien ne semble motiver cette compétition

si ce n’est l’appât du gain. En faisant payer

la candidature pour un film aux alentours de

30 dollars, avec des compétitions tous les mois,

en sélectionnant plus de deux cents films, les

recettes deviennent vite importantes. Sans

compter les dépenses supplémentaires possibles.

Par exemple, pour le soi-disant festival

cinématographique vénézuélien Five Continents

International Film Festival, surnommé

Ces pseudo-festivals s’inspirent des noms d’autres grandes compétitions cinématographiques.

Ficcoc, le gagnant peut acheter une statuette

en rajoutant 250 dollars. Dès les candidatures

pour ce festival, si le réalisateur souhaite inscrire

son film dans plusieurs catégories, il doit

alors déjà débourser plus de 1 000 dollars.

Des réalisateurs victimes… ou complices

Les cinéastes novices doivent rester sur

leur garde, car ils peuvent être facilement

dupés. D’abord par les noms de ces pseudo-festivals

qui imitent les plus prestigieux,

mais aussi par leur présence sur la plateforme

Film Freeway. Cette dernière permet

à un réalisateur de centraliser toutes les

POUR QUE LEUR FILM SE DÉMARQUE,

CERTAINS RÉALISATEURS PEUVENT ÊTRE

INTÉRESSÉS PAR CES PRIX QU’ILS METTENT

EN AVANT SUR LEUR AFFICHE

informations d’un film pour lui permettre de

candidater à plusieurs compétitions cinématographiques.

Parmi de vrais festivals,

qui se font à petite échelle, parfois en indépendant,

tous ces faux-festivals sont également

référencés.

Le monde du cinéma réalise l’effervescence

de cette pratique, et plusieurs institutions

mettent en garde les réalisateurs lorsqu’ils

veulent candidater à un festival. Mais pour

que leur film se démarque, certains réalisateurs,

peuvent être intéressés par ces prix

et distinctions qu’ils mettent en avant sur leur

affiche de film. La plupart du temps, ce sont

les films documentaires qui usent de cette

pratique. Car ce format a beaucoup de mal

à exister sans les distinctions de festival.

Plusieurs médias saluent parfois certains prix

reçus, en les confondant avec les grandes

compétitions aux noms similaires.●

Octobre 2024 / Maroc

29


CE QUI EST TOURNÉ

AU MAROC

DES HOMMES ET

DES DIEUX,

SORTIE EN 2010

Le réalisateur Xavier Beauvois du film

Des hommes et des dieux, a trouvé le décor

pour son film dans l’ancien monastère bénédictin

de Toumliline, près d’Azrou dans la région de

Fès-Meknès, avec un budget de production

de quatre millions d’euros. Le film raconte

l’histoire des moines chrétiens français dans

les années 1990, vivant alors en paix avec

leurs frères musulmans en Algérie, jusqu’à

leur enlèvement et assassinat en 1996.

SEX & THE CITY 2,

SORTIE EN 2010

Pour Sex & the City 2, ayant coûté 100 millions

de dollars, les scènes se déroulant à Abu

Dhabi ont été tournées à Marrakech en 2008.

Les balades à dos de chameau ont été filmées

près du Sahara, un lieu déjà utilisé lors du

tournage de Lawrence d’Arabie en 1962.

Après son mariage, Carrie Bradshaw et ses

quatre amies Samantha, Charlotte

et Miranda partent pour une

aventure exotique, pour contrer

la vieillesse. Elles embarquent

alors pour Abu Dhabi, pour ses

fêtes et ses mystères.

CES PRODUCTIONS

ÉTRANGÈRES QUE LE

MAROC A ACCUEILLIES

Depuis le XXe siècle, de nombreux films étrangers comme Ali

Baba et les 40 voleurs ou encore Lawrence d’Arabie, ont été

tournés au Maroc. Ces quinze dernières années, les paysages

marocains n’ont cessé de séduire les plus grands cinéastes du

monde entier, comme Clint Eastwood et Christopher Nolan, venus

tourner dans le pays.

PAR SALOMÉ KRUMENACHER - BOXOFFICE MAROC

GREENZONE,

SORTIE EN 2010

INCEPTION,

SORTIE EN 2010

Pendant sept semaines en 2008, l’équipe de

tournage du film de guerre Greenzone, a

tourné à Kenitra pour les scènes se déroulant

à Al-Diwaniya et l’aéroport de Bagdad en Irak.

La plupart des scènes extérieures du film ont

été prises dans les rues de Rabat. Le film a

coûté 100 millions de dollars. Pendant

l’occupation américaine de Bagdad en 2003,

l'équipe de l’adjudant-chef Roy Miller, joué

par Matt Damon, doit trouver des armes de

destruction massive, stockées dans le désert.

Inception, réalisé par Christopher Nolan, a

été tourné en partie à Tanger en 2009, pour

représenter la ville de Mombasa, au Kenya,

notamment dans la médina pour une coursepoursuite,

ainsi que pour l’émeute du deuxième

rêve de Saito. La production de ce film a coûté

160 millions d’euros. Ce film de science-fiction

raconte l’histoire de Dom Cobb et sa femme

Mall, joués par Leonardo Di Caprio et Marion

Cotillard, qui gagnent leur vie en volant des

secrets dans le subconscient des individus.

LES CHEMINS DE LA LIBERTÉ,

SORTIE EN 2010

Le film Les chemins de la liberté, a en partie été tourné au Maroc, notamment à Erfoud

et Ouarzazate, pour représenter la Mongolie. Pour ce tournage, le film disposait de

30 millions de dollars. L’histoire commence en 1940, lorsque des prisonniers s’évadent

d’un camp de travail sibérien. Ils vont parcourir des dizaines de milliers de kilomètres,

à travers l’Asie, dans le but d’atteindre l’Inde, alors sous contrôle anglais.

30 Maroc / Octobre 2024


HANNA,

SORTIE EN 2011

Le film d’action Hanna, a été tourné près de

Ouarzazate puis à Essaouira en 2010, pour

les scènes censées se dérouler en Espagne.

La production du film y a fait venir deux cents

chameaux et a installé une cinquantaine de

tentes. Les coûts de production du film étaient

de 30 millions de dollars. Celui-ci retrace

l’histoire d’Hanna, 16 ans, élevée par son

père Erik un ancien agent de la CIA. Lors

d’une mission, Hanna est enlevée à Berlin,

mais elle parvient à s’échapper.

ONLY LOVERS LEFT ALIVE,

SORTIE EN 2013

Le film Only lovers left alive, de Jim Jarmusch, a été tourné en grande partie à

Tanger, où habite Eve, jouée par Tilda Swinton, avec un budget de 7 millions

de dollars. Le choix du réalisateur s’est porté sur cette ville qui réussit à marier

modernité et tradition selon lui.

Deux vampires, Adam, joué par Tom Hiddleston et Eve, vivent leur idylle depuis

des siècles, en marge de la société. Leur relation est perturbée par l’arrivée de

la sœur d’Eve incontrôlable, Ava, jouée par Mia Wasikowska.

HOMELAND,

SORTIE ENTRE

2013 ET 2020

En 2013, une partie de la saison 3 de

Homeland se déroulant au Moyen-Orient

a été réalisée au Maroc pour des raisons

de sécurité, à Rabat, Témara, Skhirat, Tamesna et

Salé. En 2017, Rabat redevient le décor d’Abu Dhabi,

et en 2019, pour la saison 8, la série tourne à Casablanca,

représentant Kaboul. Chaque saison coûte environ

40 millions de dollars. Après avoir disparu lors de

l’invasion de Bagdad, un soldat américain réapparaît.

Une agente de la CIA est persuadée qu’il est

devenu espion.

AMERICAN SNIPER,

SORTIE EN 2014

Pour American Sniper, le cinéaste Clint

Eastwood a choisi les paysages marocains

avec un budget de 59 millions de dollars.

Les scènes se déroulant dans plusieurs

villes irakiennes, Ramadi, Falloujah et Sadr

City, ont en réalité été filmées à Rabat et Salé.

L’histoire suit le tireur d’élite Chris Kyle,

ancien membre des forces spéciales de la

marine américaine, interprété par Bradley

Cooper. Envoyé en Irak, ses exploits lui attirent

de menaces de la part des insurgés.

LA SAISON 3 DE

GAMES OF THRONES,

SORTIE EN 2013

Pour la saison 3 de la série américaine, Games

of Thrones, les scènes dans les villes fictives

d’Astapor et Yunkaï, ont été tournées à

Essaouira, Ouarzazate et la Casbah d’Aït

Benhaddou en 2012. Tirée des romans de

G. R. R. Martin, la série suit les combats de

plusieurs dynasties pour accéder au Trône

de fer, le pouvoir absolu. Avec des épisodes

coûtant environ 15 millions de dollars, la série

aurait coûté plus d’un milliard de dollars au total, un des

plus chères de l’histoire.

MISSION IMPOSSIBLE :

ROGUE NATION,

SORTIE EN 2015

Doté d’un budget de 150 millions de dollars, le cinquième volet

de Mission Impossible, Rogue Nation, a tourné plusieurs scènes

à Derb Lyhoudi à Casablanca, ainsi qu’à Rabat et au stade de

Marrakech en 2014. Le tournage a fait fermer un tronçon de

l’autoroute de Marrakech, pendant deux semaines.

Dans cet opus, l’agent Ethan Hunt, joué par

Tom Cruise se retrouve isolé alors que le groupe

criminel, le Syndicat, sévit avec des attaques

terroristes de plus en plus violentes.

007 SPECTRE,

SORTIE EN 2015

La 24 ème aventure de James Bond, Spectre, a trouvé ses décors à Oujda et Tanger. Dès

2014, des scènes ont été filmées avec Daniel Craig, jouant l’espion. Un an plus tard,

l’équipe est revenue pour tourner dans la médina de Tanger et à Erfoud, dans la région

de Rissani. Un message survenu du passé emmène James Bond dans une aventure très personnelle.

Lorsqu’il réussit à infiltrer une réunion secrète, l’agent découvre l’existence d’une redoutable organisation, Spectre.

Octobre 2024 / Maroc

31


CE QUI EST TOURNÉ

AU MAROC

SÉRIE VIKINGS, SAISON 5,

SORTIE ENTRE 2017 ET 2019

La série de guerre canado-irlandaise Vikings est venue tourner une

partie de sa cinquième saison au Maroc, notamment à Rissani,

Merzouga, Errachidia, Erfoud et Ouarzazate, en 2016 pendant un

mois. Pour cette série, chaque épisode coûte 4 millions de dollars.

La série se déroule à la fin du VII e siècle et suit les exploits d’un groupe

de Vikings, et de Ragnar Lothbrok un jeune guerrier. Avide d’aventures,

ce dernier se met à explorer l’Ouest de la Scandinavie par la mer.

BUREAU DES LÉGENDES,

SORTIE ENTRE 2016 ET 2020

Les scènes de la saison 2 de la série d’espionnage Le Bureau des

Légendes, ont été tournées à Casablanca en 2016, censée représenter

Téhéran. La série revient en 2019 pour la saison 5 à Ouarzazate,

représentant le Sinaï. Chaque saison a coûté entre 15 et 20 millions

d’euros. La série suit le département Bureau des Légendes, des services

secrets français, s’occupant de la formation des agents à l’étranger.

De retour de Syrie, l’agent Malotru semble avoir du mal à oublier ses

années de service.

MEN IN BLACK : INTERNATIONAL,

SORTIE EN 2019

Dérivé de la franchise, Men in Black : International, a tourné plusieurs

séquences au Maroc en 2018, notamment dans la médina de Marrakech

pour filmer les ruelles effervescentes. Pour ce film, le budget était de

110 millions de dollars. Dans ce spin-off s’inspirant de l’univers des Men

in black, organisation ultra-secrète contrôlant la présence d’extraterrestres,

les agents s’attaquent à une nouvelle mission : démasquer

une taupe au sein de l’organisation.

INDIANA JONES ET LE

CADRAN DE LA DESTINÉE,

SORTIE EN 2023

Le cinquième épisode de la saga

américaine Indiana Jones a filmé plusieurs

scènes à Fès, en 2021, censé représenter

Tanger. Pour ce film, le budget s’élevait

à 387,2 millions de dollars. Pour la dernière

fois, Harrison Ford endosse le costume

de l’archéologue Indiana Jones, pour

partir à la recherche du cadran d’Archimède

qui aurait le pouvoir de repérer les fissures

temporelles. Dans ce nouvel épisode,

Indiana Jones rencontre Helena Shaw,

sa filleule.

PRISON BREAK,

SAISON 5

SORTIE EN 2017

Pour le tournage de sa cinquième saison,

la série américaine Prison Break s’est

rendue dans la région de Ouarzazate

pendant plusieurs mois en 2016. Les

paysages marocains étaient censés

représenter le Yémen. Chaque épisode

a coûté environ 2 millions de dollars. La

série suit Michael Scofield, un ingénieur

surdoué, qui est persuadé de l'innocence

de son frère Lincoln, emprisonné. Pour

le sauver de la peine

de mort, Michael se fait

incarcérer avec lui pour

organiser leur évasion.

GLADIATOR 2,

SORTIE EN

NOVEMBRE 2024

Ridley Scott revient avec Gladiator 2,

après le tournage du premier film,

Gladiator. En 2023, l’équipe de tournage

est revenue en construisant une

arène géante près de Ouarzazate,

où l’essentiel du film a été tourné

avec un budget de 200 millions

de dollars.Le personnage principal

Lucius, déjà présent dans le premier

film, ici interprété par Paul Mescal,

est très admiratif du parcours de

Maximus, et doit suivre ses traces.

32 Maroc / Octobre 2024


EN COMPÉTITION

MORA EST LÀ

MORA EST LÀ,

LA MÉMOIRE AUSSI

Khalid Zairi, avec « Mora est là », offre un hommage poignant et sans artifices

aux mineurs marocains de l’après-guerre, partis travailler dans les mines du nord

de la France. Un film aussi efficace que nécessaire.

PAR JIHANE BOUGRINE

avec Mora est là, au coeur d’une histoire oubliée

Dans la douleur comme dans la douceur

Mora est là, Khalid Zairi nous

offre un regard sincère et émouvant

sur une partie méconnue de l’histoire marocaine.

Ce documentaire revient sur les parcours

douloureux des mineurs marocains

partis travailler dans les mines de charbon

du nord de la France entre les années 1950

et 1970. À travers une mise en scène classique

mais maîtrisée, Zairi nous plonge dans

les témoignages bruts de ces hommes, dont

les récits ont trop longtemps été ignorés.

Loin des documentaires souvent plus esthétisés,

Mora est là adopte une approche plus

simple et directe et vient confirmer le supplément

d’être qu’il propose. Ce qui pourrait

paraître un manque d’audace formelle se

transforme ici en une force, car cela permet

aux protagonistes d’être au cœur du récit,

sans fioritures. Leur souffrance et leur résilience

sont mises en lumière avec authenticité.

Khalid Zairi évite le piège du misérabilisme,

préférant célébrer la dignité de ces

héros de l’ombre, qui ont sacrifié leur santé

et parfois leur vie pour des conditions de travail

inhumaines. Ce film dépoussière avec

brio un pan de l’histoire marocaine qui reste

encore trop peu exploré dans le cinéma. Il

remet sur le devant de la scène des hommes

souvent oubliés par l’histoire officielle, des

hommes qui ont vécu dans l’ombre, entre le

poids de l’exil et la dureté des mines. Le réalisateur

ne cherche pas à réinventer la forme

documentaire, mais il injecte dans son film

une dose d’humanité et d’émotion qui rend

Mora est là profondément bouleversant.

En évitant de se perdre dans des effets de

style, Khalid Zairi permet au sujet d’émerger

avec une sincérité touchante. Il nous fait

redécouvrir ces hommes à travers leurs souffrances,

mais aussi leurs espoirs et leurs luttes

pour une vie meilleure. Le rôle central

CRÉDIT : DR

EN ÉVITANT DE

SE PERDRE DANS

DES EFFETS DE

STYLE, KHALID

ZAIRI PERMET AU

SUJET D’ÉMERGER

AVEC UNE SINCÉRITÉ

TOUCHANTE

du recruteur Félix Mora, sans être explicitement

montré, est omniprésent dans le film,

car ses choix ont façonné la vie de plus de

70 000 Marocains. Le film est une aventure

humaine avant tout, c’est un documentaire

qui, sans révolutionner le genre, vient combler

un vide dans la mémoire collective. Khalid

Zairi signe ici une œuvre marquante, un

hommage à ces travailleurs dont les histoires

résonnent encore aujourd’hui. Faire la

lumière sur ces parcours, c’est reconnaître

leur contribution et leur rendre justice, et

c’est là toute la force de ce documentaire

aussi humain que nécessaire. ●

Maroc

4 / 5

TITRE : Mora est là

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Khalid Zairi

GENRE : Société, Documentaire

DURÉE : 90 minutes

ANNÉE : 2023

Octobre 2024 / Maroc

33


EN COMPÉTITION

ANIMALIA

FANTASTIQUE

CRÉDIT : WRONG FILMS

TRAGIQUE

Primé en 2023 lors du prestigieux

festival Sundance en Australie,

« Animalia » de Sofia Alaoui a tout juste

fait son entrée dans les salles de cinéma

du Maroc. Il est actuellement en

compétition au Festival national du film

de Tanger, apportant une touche de

fantastique à la sélection officielle. Dans

son film, l’étrange et la remise en question

sont omniprésents et une exploration

d’univers à la limite du réel fascine.

PAR REDA K. HOUDAÏFA

L'interprétation remarquable d'Oumaima Barid dans le rôle principal d'Itto se distingue par son intensité

Portée par le personnage d'Itto, une

jeune femme tiraillée entre deux

mondes, Animalia explore les

thèmes de la richesse, du pouvoir, et en partie

celui de la quête identitaire. Confrontée

à l'abîme qui sépare son milieu d'origine de

celui de son époux, Itto est plongée dans

une spirale de chaos et de mystère. Si le

film parvient à créer une atmosphère oppressante

et à susciter la curiosité, il peine à

approfondir la psychologie de ses personnages

et à donner une véritable épaisseur

à son intrigue.

Ce long métrage se distingue par sa capacité

à instaurer une ambiance oppressante. Les

plans larges sur les montagnes de l'Atlas, associés

à une bande-son discrète mais efficace,

renforcent ce sentiment d'isolement et d'imminence.

Les phénomènes cosmiques qui

parsèment le film, bien que jamais véritablement

expliqués, troublent la réalité et invitent

le spectateur à interroger les limites entre le

visible et l'invisible.

L’interprétation d’Oumaima Barid dans le rôle

principal mérite d'être soulignée. Elle incarne

une femme à la fois fragile et déterminée,

crédible et émouvante. Sa performance, nuancée

et subtile, permet d'explorer les profondeurs

psychologiques d'une femme confrontée

à des forces qui la dépassent, telles que

sa grossesse et les événements surnaturels.

Malgré ces qualités, le film se heurte à des

problèmes de narration qui affaiblissent son

impact. Si les images sont souvent saisissantes,

leur signification reste parfois énigmatique,

voire excessive. Le film semble vouloir

aborder trop de sujets à la fois, au risque

de diluer son propos. Les thèmes, bien que

LES PLANS LARGES SUR LES MONTAGNES

DE L'ATLAS, ASSOCIÉS À UNE BANDE-SON

DISCRÈTE MAIS EFFICACE, RENFORCENT CE

SENTIMENT D'ISOLEMENT ET D'IMMINENCE

34 Maroc / Octobre 2024


d'importance, ne sont pas suffisamment développés

pour susciter une véritable réflexion.

L'utilisation de plusieurs langues – berbère,

arabe, et français – aurait pu être un atout,

mais ici, cette expérimentation linguistique

ne trouve pas son aboutissement. Les dialogues

peinent à traduire la complexité des relations

entre les personnages, manquant ainsi

de fluidité et de richesse.

Animalia nous invite à un voyage dans l'inconnu,

mais s'arrête aux portes d'un mystère

qu'il ne daigne pas résoudre. Le fantastique

y est utilisé comme un simple décor, sans véritable

fonction narrative. Les événements surnaturels,

bien que saisissants, ne servent qu'à

créer une atmosphère pesante, sans apporter

de réponses aux questions qu'ils suscitent.

Le spectateur, en quête de sens, se retrouve

déçu par un final abrupt et peu satisfaisant.

Le pari d'Alaoui de conjuguer réalisme social

et fantastique est risqué, et le film ne le relève

pas entièrement. En tentant de concilier ces

deux genres, la cinéaste peine à trouver un

équilibre satisfaisant. Plutôt que de rester

ancré dans le quotidien de son héroïne et

d’explorer plus intimement son cheminement,

le récit se disperse dans des digressions métaphysiques.

L’inabouti

Bien que le film dresse un portrait juste de

la bourgeoisie marocaine, il ne va pas au-delà

des apparences. L'aspect social, pourtant

central à l'intrigue, est traité de manière

convenue. Les événements surnaturels, qui

auraient pu révéler les tensions sous-jacentes

de cette société, se contentent de les exacerber

sans les transformer. On attendait une

critique plus incisive, une véritable dissection

de ce milieu.

L'allégorie, lorsqu'elle est bien utilisée, peut

être un outil puissant pour critiquer la société,

mais elle exige une grande finesse. Les symboles,

bien que riches de sens, restent ici trop

énigmatiques, empêchant le spectateur de saisir

pleinement la portée de la critique. Le film

CRÉDIT : WRONG FILMS

se contente de suggérer, sans jamais affirmer.

Certaines séquences témoignent d'un réel

talent cinématographique, mais l'ensemble

souffre d'inégalités. Animalia oscille entre des

moments de grande poésie et des passages

plus faibles où le symbolisme l'emporte sur

la narration. Le voyage d'Itto, à la fois physique

et spirituel, aurait mérité un traitement

plus resserré, qui aurait permis au film de réellement

décoller.●

Une scène du film.

Maroc

3 / 5

TITRE : Animalia

PAYS : France / Maroc

RÉALISATEUR : Sofia Alaoui

GENRE : Documentaire/Drame

DURÉE : 90 minutes

ANNÉE : 2023

Octobre 2024 / Maroc

35


EN COMPÉTITION

QUAND ASMAE

EL MOUDIR

RACONTE LE

VERTIGE DE LA

MÉMOIRE

36 Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT : HATEM NECHI

La grand-mère d'Asmae El Moudir contemple sa figurine.

En compétition dans la catégorie longs-métrages documentaires au

Festival national du film de Tanger, « La Mère de tous les mensonges » est

un film à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, un récit aigre-doux

des douleurs du passé dans lequel la réalisatrice multi-primée Asmae El

Moudir ravive une mémoire collective froissée, en explorant ses souvenirs

d’enfance et les horreurs des années de plomb.

la nuit où le Coran a été

révélé au prophète Mohamed.

“C’est

C’est aussi la nuit où Dieu pardonne

nos péchés. Mais pour moi, c’est la

nuit où j’ai gommé le mensonge de ma mère

et où j’ai pris ma première photo ».

Celle qui a grandi dans une famille où les

photos n’étaient pas autorisées, décide à

l’âge de 12 ans de sortir discrètement de la

maison pour prendre une photo chez le

photographe du quartier à l’occasion de

Laylat al-Qadr.

Le film s’ouvre sur cet acte de rébellion dans

lequel la réalisatrice nous plonge à l’aide

de figurines qu’elle fait déambuler dans une

miniature de son quartier d’enfance,

employant sa propre voix qui introduit l’absence

violente d’images. Une anecdote

absorbante, un dispositif ingénieux et une

signature sonore qui hypnotisent le spec-

UNE ANECDOTE ABSORBANTE,

UN DISPOSITIF INGÉNIEUX ET UNE

SIGNATURE SONORE QUI HYPNOTISENT

DÈS LES PREMIÈRES MINUTES DU FILM

Octobre 2024 / Maroc

37


EN COMPÉTITION

Une idée lumineuse pour captiver le spectateur

et adoucit un sujet lourd. C'est aussi et

surtout une belle et tortueuse expérience de

docu-fiction à travers laquelle le spectateur

comprend que le rejet des images par la famille

de la réalisatrice était plus personnel et douloureux

qu'elle ne pouvait le soupçonner.

Le huis clos artistique avec les proches et

l’utilisation de figurines laisse advenir une

parole qui réveille le passé et restitue toute

l’inhumanité des années de plomb. Asmae

El Moudir parvient à évoquer avec une émotion

puissante et une audace poétique ce

qui pour tant de personnes demeure toujours

indicible : un souvenir que l’on s’est

efforcé d’oublier ou que l’on a remodelé

pour se protéger.

Kadib Abyad est le récit d’une famille où

les photographies et représentations, sauf

celles de Hassan II, étaient bannies, et un

questionnement autour de cette interdiction

devient le récit d’un trauma de quartier

: la douleur du survivant et celle du témoin

passif, et l’histoire d’un Casablanca affreusement

endeuillé après la grève réprimée

du 20 juin 1981 à Casablanca.●

Maroc

4 / 5

TITRE : La Mère de tous les mensonges

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Asmae El Moudir

GENRE : Documentaire/Drame

DURÉE : 96 minutes

ANNÉE : 2023

tateur dès les premières minutes du film.

C’est avec cette même énergie qu’Asmae

El Moudir porte son « investigation » sur son

passé et celui de ses proches : une grandmère

grincheuse, des parents aimants, un

voisin jugé instable et un autre pieux. Tous

sont rassemblés dans un atelier « le laboratoire

» dans lequel ils seront amenés à

dialoguer entre eux et à servir le besoin viscéral

de la réalisatrice : comprendre.

Sous le regard glaçant de sa grand-mère,

surnommée Diwana, Asmae El Moudir anime

des figurines au rythme de son récit et compose

grâce à une maquette du quartier de

son enfance, réalisée avec son père, des

scènes presque enfantines, mais dotées

d'un grand pouvoir d'évocation.

CRÉDIT : DR

Une grand-mère qui tourne le dos à la vérité et au présent.

38 Maroc / Octobre 2024


LES MEUTES :

LA NUIT LEUR APPARTIENT

Récompensé d’un prix du jury à Cannes et à Marrakech, le premier long-métrage

de Kamal Lazraq, « Les Meutes » est en compétition officielle au Festival national du

film de Tanger. Les Meutes nous plonge dans les artères de Casablanca la nuit, avec

un père et son fils qui, tant bien que mal, cherchent à se débarrasser d’un cadavre.

Dans ce Casablanca, les rencontres y sont

puissantes, parfois mystérieuses et loufoques.

Hassan se voit donc confier pour mission

de kidnapper un homme dont il ne sait

presque rien et embarque avec lui son fils

Issam, mais comble du sort, l’homme est

mort asphyxié dans le coffre de son véhicule.

Le père et le fils sont lancés dans une course

contre la montre pour se débarrasser du

corps avant l’aube. Au fil de leurs mésaventures,

une vision impressionnante de l’humanité

s’affirme.

Le film nous éclaire également sur une

thématique trop peu explorée dans le cinéma

marocain est qui est celle de la relation

père-fils, et comment les liens du sang qui

les unissent se voient par moment se renforcer

et par d’autres se briser. Comme la légende

de Sysyphe et son rocher qui lui revient

éternellement, nos deux antihéros voient le

corps revenir inlassablement. Le film très

immersif, nous plonge dans plusieurs recoins

de Casablanca. Caméra à l’épaule, longs

plans preque brut, et volontairement mal

éclairé pour mieux nous plonger dans l’obscurité,

la ou le bien et mal sont indifférents.

Kamal Lazraq nous offre un premier film

audacieux, entouré de ces acteurs non-professionnels

(Ayoub elaid et Abdellatif Mastouri)

et de professionnels comme le très juste

Abdellah Lebkiri dans le rôle d’un chef de

gang attachant. Les Meutes signe l’avènement

d’un nouveau cinéma au Maroc, et

c’est probabblement la meilleure découverte

de ce début d’année.●

PAR YACINE KAOUTI

Le film s’ouvre sur un combat de chien.

De cette meute, il n’en ai presque rien,

ou peut-être un peu tout à la fois. Car si

l’on pouvait s’attendre à un film violent, Les

meutes surprend par son réalisme, et pour

son côté drôle et absurde. Inspiré de son

premier court métrage produit Moul Lkelb, et

de sa passion pour prendre des comédiens

non-professionnels, le cinéma de Kamal Lazraq

a ses codes et vient s’ajouter à la liste de

polars de la région qui offrent un regard

singulier sur notre société (Le caire confidentiel

de Tarik Saleh, Mort à vendre de Faouzi

Bensaidi, Ashkal de Youssef Chebbi…)

Maroc

4 / 5

TITRE : Les Meutes

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Kamal Lazraq

GENRE : Polar

DURÉE : 94 minutes

Octobre 2024 / Maroc

39


EN COMPÉTITION

Mehdi et Hamid, deux agents de recouvrement

désorientés en plein désert.

M

ehdi et Hamid, deux agents qui

travaillent pour le compte d’une

société de recouvrement, se

retrouvent au milieu de nul part, dans un

Maroc rural et aride, à devoir faire payer

les paysans surendettés qui n’ont pas remboursé

leur prêt. Ironie du sort: la carte du

Sud du Maroc qu’ils scrutaient au départ

finit par s’envoler, désorientant encore plus

nos protagonistes préalablement paumés.

C’est avec cet imprévu chargé de sens

que Faouzi Bensaidi orchestre l’ouverture

de son film. Le périple de Mehdi et Hamid

commence ainsi par une désorientation

totale face aux lignes géographiques et à

la vie elle-même, marquant le début d’un

voyage à la fois physique et métaphysique

où la recherche de soi devient centrale.

Cette désorientation on la ressent également

en tant que spectateur face à la transition

abrupte mais surprenante d’un genre

à un autre et d’une trame narrative à une

autre. Ce qui commence comme une exploration

légère et humoristique des fractures

sociales à travers le prisme de la satire et du

burlesque, se métamorphose en un voyage

introspectif et mystique des deux protagonistes.

Cette bifurcation initie un ballet d’émotions

et de réflexions chez le spectateur,

40 Maroc / Octobre 2024


VOYAGE DANS LES

CHEMINS TROUBLES

DU DÉSERT

En mai dernier, la 29è édition du Festival International du Cinéma

Méditerranéen de Tétouan rendait un large hommage à Faouzi

Bensaidi en projetant ses treize films dont son dernier longmétrage

« Déserts », en compétition officielle dans la section longsmétrages

au Festival national du film de Tanger. Déserts plonge les

spectateurs, du sable plein les yeux, dans un monde où se mêlent

déserts géographiques et affectifs, western, absurde et onirisme.

PAR SALMA HAMRI

CRÉDIT : DULAC DISTRIBUTION

CRÉDIT : DULAC DISTRIBUTION

CE QUI COMMENCE COMME UNE

EXPLORATION LÉGÈRE ET

HUMORISTIQUE DES FRACTURES

SOCIALES À TRAVERS LE PRISME DE

LA SATIRE ET DU BURLESQUE

dérouté devant les multiples interprétations

et questions sans réponses.

Le désert, personnage à part entière dans

ce film, se mue en théâtre à ciel ouvert. Au

milieu de paysages immenses, Mehdi et

Hamid vadrouillent au volant d’une guimbarde,

dévalent et remontent les pentes dans

des mouvements presque chorégraphiés, à

la recherche du moindre sou.

Octobre 2024 / Maroc

41


EN COMPÉTITION

prendre une deuxième épouse. Ils s’emparent

aussi du seul tapis que possède une

famille qui s’est endettée pour payer le

mariage du frère, et emmènent trois chèvres

d’une autre.

Ils croisent également un coiffeur alcoolique

qui n’ouvre plus boutique, un épicier à la

boutique désertée par l’exode et un couple

de vieux dont le fils est parti tenter sa chance

de l’autre côté de la Méditerranée, tous incapables

de rembourser leurs dettes. Une

suite de gags à l’arrière fond mélancolique

et une mise en scène à travers laquelle se

profile la passion du réalisateur pour le

théâtre.

Ensuite, le choix de Bensaidi de filmer en

longs plans-séquences contribue à l’immersion

dans cet univers aride et poignant, et

enrichit ainsi la narration avec une dimension

presque métaphysique. Les paysages

du désert marocain sont magnifiés par les

plans larges, offrant un contraste avec la

petite échelle humaine des protagonistes

qui, tout comme la carte du Sud du Maroc,

sont susceptibles d’être balayés par les

vents du destin.

Les vastes étendues désertiques servent

non seulement de toile de fond mais aussi

de catalyseur émotionnel pour Hamid et

Mehdi ainsi que le spectateur, notamment

dans la deuxième partie du film lorsque le

récit prend un tournant onirique et contemplatif.

Une seconde partie faite d’errances,

de confessions de moments de silence forts

en émotions.

CRÉDIT : DULAC DISTRIBUTION

Dans l’ensemble, Déserts est un film qui

brille par son humour absurde, intrigue et

éveille les sens, laissant une grande place

à l’imagination du spectateur. Si la misère

et la fracture sociale sont au centre de récit,

de l’amour et de la tendresse rôdent discrètement

dans ce désert économique, émotionnel

et géographique.●

A chaque discussion avec les villageois, une

nouvelle petite histoire alliant le tragique et

le ridicule se dévoile. En effet, le fil débute

comme un film à sketches. Faute de soutirer

de l’argent aux villageois endettés, Mehdi

et Hamid embarquent une camionnette en

piteux état d’un villageois que sa femme a

mis à la porte, parce qu’il a décidé de

Maroc

3 / 5

TITRE : Déserts

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Faouzi Bensaidi

GENRE : Comédie/Drame

DURÉE : 120 minutes

ANNÉE : 2024

42 Maroc / Octobre 2024


L’EMPREINTE DU VENT

UN SOUFFLE ÉGARÉ

QUI S’ÉPARPILLE

Pour son premier long métrage, Layla Triqui se propose de dépoussiérer un

secret du passé qui mène à une quête de soi loin de Tanger. « L’empreinte du vent »

est un film à la fragilité touchante mais un trop plein d’information non maitrisé.

PAR JIHANE BOUGRINE

CRÉDIT : DR

Layla Triqui, à la fois co-scénariste et réalisatrice,

montre dans L’empreinte du vent une

véritable envie de mise en scène. Son

approche se distingue par la simplicité et la

sincérité de sa direction artistique, mais elle

semble parfois se perdre dans la complexité

des sujets qu’elle aborde. Elle a déjà travaillé

sur plusieurs courts-métrages et documentaires

où l’humain est au cœur du récit, et cela

se reflète ici, bien que les ambitions thématiques

débordent parfois le cadre narratif.

Azelarab Kaghatrt et Ouidad Elma entre deux scènes

En s’inspirant de faits réels , L’empreinte

du vent raconte l’histoire de Sophia,

une jeune photographe qui cherche à

s’émanciper de l’autorité paternelle. Dans sa

quête d’indépendance, elle découvre par

hasard que sa mère, qu’elle croyait morte, est

en réalité vivante. Ce bouleversement entraîne

Sophia dans un voyage intérieur où les thèmes

de l’identité, de l’immigration et des secrets

de famille s’entrecroisent.

Visuellement séduisant, le film témoigne d’une

recherche esthétique poussée. La photographie,

tout en douceur et en contrastes, capte

l’essence des paysages marocains et traduit

les émotions de Sophia avec délicatesse.

Cependant, le scénario, riche en idées et en

informations, peine à maintenir une narration

fluide. Les arcs narratifs se multiplient sans

parvenir à s’enraciner solidement, et cette dispersion

affaiblit l’intensité émotionnelle du film.

L’EMPREINTE DU VENT EST UN FILM

QUI RÉVÈLE LES PROMESSES D’UNE

JEUNE RÉALISATRICE DOTÉE D’UNE

SENSIBILITÉ ARTISTIQUE INDÉNIABLE

Du côté du jeu d’acteurs, Jilali Ferhati incarne

avec brio le père de Sophia. Son interprétation

pleine de retenue et de profondeur ancre

le film dans une vérité émotionnelle, faisant

de lui la figure centrale du récit. À ses côtés,

Nadia Niazi, dans le rôle de la mère aux

secrets, délivre une performance touchante,

offrant des moments de grande émotion. En

revanche, Ouidad Elma se retrouve souvent

mal dirigée puisque l’actrice a un charisme

naturel que l’on ne met pas en avant. Dans le

rôle principal de Sophia, elle manque parfois

de présence, rendant son personnage difficile

à cerner.

L’empreinte du vent révèle les promesses d’une

jeune réalisatrice dotée d’une sensibilité artistique

indéniable. L’identité et la maternité sont

des thèmes puissants mais qui, mal exploités,

perdent de leur impact. L’aspect émancipateur

de l’intrigue se dilue dans une structure

éclatée, ne permettant pas toujours au spectateur

de s’investir pleinement dans le récit.

Layla Triqui démontre qu’elle sait raconter des

histoires humaines avec sincérité, mais il lui

reste à maîtriser davantage l’équilibre entre

ambition thématique et narration. ●

Maroc

2 / 5

TITRE : L’empreinte du vent

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Layla Triqui

GENRE : Drame

DURÉE : 100 minutes

ANNÉE : 2024

Octobre 2024 / Maroc

43


EN COMPÉTITION

CRÉDIT : HICHAM LASRI

« Moroccan Badass Girl » marque une étape importante

dans l'évolution cinématographique de Hicham Lasri.

MOROCCAN BADASS GIRL

A TOUT CŒUR

Après une première nationale remarquée au festival

international du Film de Marrakech, « Moroccan

Badass Girl » de Hicham Lasri offrira au Festival national

du film de Tanger dans lequel il est en compétition

officielle, 83 minutes de punch, d’énergie féroce et

d’humour cinglant à travers le quotidien de Kathy,

une jeune femme marocaine en quête d’émancipation.

44 Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT : HICHAM LASRI

Hicham lasri : « Nous vivons une époque de violence éthique

terrible, où l'on nous dicte ce qu'il faut penser et ressentir. »

Fadoua Taleb incarne avec brio Khadija,

alias Kathy, une trentenaire Casablancaise

qui se bat contre les injustices

sociales et les conventions étouffantes. Lassée

d'être exploitée par son entourage, elle

décide de prendre son destin en main, quitte

à bouleverser les codes établis.

Mêlant avec brio comédie et satire, Moroccan

Badass Girl dresse le portrait d'une

société en pleine mutation, où les rêves se

heurtent aux réalités parfois cruelles. Hicham

Lasri ne recule devant rien pour dénoncer

les travers de notre société, et rendre hommage

à la résilience ainsi qu’à la combativité

des femmes marocaines.

« J'ai réalisé ce film pour critiquer la société

de consommation et ses dérives, tout en

m'amusant avec les conventions du genre de

la comédie noire », explique Hicham Lasri.

Il s'agit là d'une célébration de l'esprit combatif

de la femme marocaine, « qui n'est pas soumise

ou victimisée comme on l'imagine souvent,

mais plutôt une pionnière qui se bat,

trébuche et se relève ».

CRÉDIT : HICHAM LASRI

« Moroccan Badass Girl » : Un film audacieux et original qui

explore la « hard life » de Kathy, incarnée par Fadoua Taleb

avec une sensibilité et une créativité indéniables.

La vie en pose

Cependant, malgré le manque d'informations

sur leur vie personnelle, leurs passions et

leurs goûts, tous les personnages nous

intriguent et nous touchent par leurs interactions

et leurs réactions face aux situations

qu'ils traversent. Loin d'être définis par des

étiquettes ou des caractéristiques superficielles,

ils se révèlent à travers leurs actes et

leurs relations avec les autres.

J'AI RÉALISÉ CE FILM POUR

CRITIQUER LA SOCIÉTÉ DE

CONSOMMATION ET SES DÉRIVES,

TOUT EN M'AMUSANT AVEC LES

CONVENTIONS DU GENRE DE LA

COMÉDIE NOIRE

Octobre 2024 / Maroc

45


EN COMPÉTITION

CRÉDIT : HICHAM LASRI

Une scène du film.

Au fil du film, une connexion profonde se tisse

entre le spectateur et ces protagonistes énigmatiques.

On s'immisce dans leurs pensées

et leurs émotions, ressentant leurs joies, leurs

peines, leurs doutes et leurs aspirations. Bien

que leur passé et leurs motivations restent en

partie flous, leur humanité et leur complexité

transparaissent, nous amenant à les comprendre

et à les aimer, même si on ne les

connaît pas entièrement.

C'est là la magie de ce film : il parvient à créer

des personnages fascinants et attachants, tout

en préservant une part de mystère qui renforce

leur authenticité et leur profondeur.

Une comédie noire corrosive pour briser les

carcans

Soit ! Conscient que l'attention du public

peut parfois être détournée par l'image,

Hicham Lasri accorde une importance particulière

à la concision et à l'impact de ses

dialogues. Il privilégie des échanges brefs

et directs.

Plutôt que de longues tirades explicatives,

Hicham Lasri opte pour des phrases courtes

et percutantes qui font mouche. Les dialogues

deviennent ainsi une mélodie rythmée

qui accompagne l'image et renforce l'impact

émotionnel du film.

De gauche à droite : Salah Bensalah, Youssef Rami,

Al Kayssar Amine, Moulay Idriss Fatemi.

Ce choix stylistique n'est pas pour autant

synonyme de superficialité. Au contraire, la

concision des dialogues permet de concentrer

l'attention sur l'essentiel et de révéler

la profondeur des personnages et de leurs

interactions. Les mots choisis avec soin

portent en eux une charge émotionnelle

forte, transmettant les sentiments et les

intentions des protagonistes avec justesse

et efficacité.

LASRI PARVIENT À CRÉER DES

PERSONNAGES FASCINANTS ET

ATTACHANTS, TOUT EN PRÉSERVANT

UNE PART DE MYSTÈRE QUI RENFORCE

LEUR AUTHENTICITÉ ET LEUR

PROFONDEUR

CRÉDIT : HICHAM LASRI

46 Maroc / Octobre 2024


Long cours d’alchimie

Autour de Fadoua, un casting exceptionnel

réunit Saleh Ben Saleh, Ayoub Abou Nasr,

Malek Akhmiss et Mounia Lmkimel.

Ensemble, ils composent une galerie de

personnages hauts en couleur, cabossés

par la vie mais jamais résignés.

Le choix des acteurs est une étape cruciale

dans la réalisation d'un film, et Hicham Lasri

en est parfaitement conscient. Il sélectionne

ses interprètes avec soin et précision, s'assurant

qu'ils correspondent parfaitement aux

personnages qu'ils incarneront. Une fois sur

le plateau, Hicham guide ses acteurs avec

finesse et précision, leur insufflant la vie et

l'âme que l'histoire requiert.

Loin d'imposer une direction rigide, Hicham

crée un espace de liberté créative où ses

acteurs peuvent s'exprimer pleinement. Il

leur donne confiance et les encourage à

explorer leurs personnages en profondeur,

à apporter leur propre sensibilité et leur

propre vision à l'œuvre. Cette collaboration

étroite entre le réalisateur et ses interprètes

donne naissance à des performances authentiques

et touchantes, qui contribuent grandement

à la réussite du film.

Le talent des acteurs, combiné à la vision créative

de Hicham Lasri, donne vie à des personnages

qui nous transportent dans l'univers du

film et nous font vivre leurs émotions comme

si elles étaient les nôtres.

« Pour incarner mes personnages marginaux,

j'ai le privilège de travailler avec mes acteurs

de toujours… Leurs physiques atypiques et

leur talent brut de décoffrage font d'eux des

interprètes hors du commun. Ils sont capables

d'exprimer une multitude d'émotions et de

nuances, donnant vie à des personnages à la

fois touchants et dérangeants (…) Notre collaboration

est une aventure créative permanente.

Ensemble, nous déconstruisons les clichés

et reconstruisons des personnages

complexes et multidimensionnels. Nous nous

amusons à jouer avec les genres et les conventions,

à explorer les limites de l'acceptable »,

confie Hicham Lasri.

Caméra au point

Hicham Lasri adopte parfois une approche

immersive, plaçant souvent la caméra en

position d'observateur externe aux personnages.

Ce choix délibéré permet de créer

une distance objective et de capter la réalité

de manière brute, sans interférence

subjective.

Le spectateur devient ainsi un témoin privilégié

des événements qui se déroulent à

l'écran, comme s'il y était présent. Cette

démarche permet de plonger le public au

cœur de l'action et de ressentir les émotions

des personnages avec plus d'intensité.

En évitant de s'identifier à un point de vue

particulier, la caméra de Hicham Lasri offre

une vision globale de la situation, capturant

les interactions entre les personnages et leur

environnement. Ce choix permet de mettre

en lumière les dynamiques sociales et les

rapports de force qui sous-tendent l'histoire.

Après, Moroccan Badass Girl est un film

audacieux qui ne manquera pas de susciter

des réactions et de provoquer le débat.

« Mon film ne plaira peut-être pas à tout le

monde, et c'est tout à fait normal. Je ne

cherche pas à faire l'unanimité, mais plutôt

à susciter des réactions et à provoquer la

réflexion. Le cinéma doit être un art vivant

et audacieux qui ne laisse pas indifférent »,

affirme ce réalisateur qui n'a pas peur de

bousculer les convenances et de questionner

les normes établies. Le cinéma de Hicham

Lasri est une invitation à la réflexion et à la

remise en question, un hymne à la liberté

individuelle et à l'affirmation de soi.●

Maroc

4 / 5

TITRE : Moroccan Badass Girl

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Hicham Lasri

GENRE : Comédie

DURÉE : 83 minutes

ANNÉE : 2023

Octobre 2024 / Maroc

47


EN COMPÉTITION

FEZ SUMMER 55

AU FIL DES LUTTES

Le dernier long métrage d’Abdelhai Laraki « Fez Summer 55 », est parmi les

14 longs et courts-métrages en lice dans la catégorie Panorama du Festival national

du film de Tanger. Chronique intime des années de résistance et un condensé

d’émotions, de poésie de tendresse à la veille de l’indépendance du Maroc.

PAR REDA K. HOUDAÏFA

CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

Maroc

3 / 5

Ayman Driwi (en haut) dans son

premier grand rôle. Il incarne le petit Kamal.

TITRE : Fez Summer 55

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR :

Abdelhaï Laraki.

GENRE : Politique

DURÉE : 120 minutes

ANNÉE : 2024

Nous sommes en 1955. Kamal, 11 ans,

l’interstice entre enfance et adolescence

(un monde solitaire et fragile

de poésie, de rêverie et de violence), vit les

derniers mois du Maroc sous le protectorat

français : attiré par sa voisine de terrasse,

Aïcha (Oumaima Barid), engagée aux côtés

de ses camarades étudiants-résistants de

la Qaraouiyne, Kamal (Ayman Driwi)

découvre et participe avec eux à la lutte

pour l’indépendance et le retour du Sultan

Mohammed Ben Youssef.

«En recréant des séquences de résistance

nationaliste à la violence du colonialisme,

le film renvoie à une période fondatrice de

48 Maroc / Octobre 2024


notre histoire (…) il soulève des questions

qui traversent le champ culturel, et le cinéma

en particulier notamment sur la représentation

de la violence. Les événements racontés

avec précision sont toujours réels, même

s’ils ne se sont pas toujours déroulés dans

la médina de Fès et avec la même intensité.

Je suis plus intéressé par le combat de

ces hommes et de ces femmes pour la liberté

que par l’exactitude géographique. Ce film

leur est dédié, comme un modeste geste

de reconnaissance à travers les générations»,

commente Abdelhaï Laraki.

Dans un contexte historique bouillonnant

de luttes pour l’indépendance, le film explore

avec sensibilité et réalisme les dynamiques

complexes de l’époque, mettant en lumière

la rencontre entre une petite histoire intime

et la Grande Histoire nationale.

Pour une plus belle leçon de résistance

Voilà, en substance, la trame narrative de

ce projet cinématographique qui relie des

EN RECRÉANT DES SÉQUENCES DE

RÉSISTANCE NATIONALISTE À LA

VIOLENCE DU COLONIALISME, LE FILM

RENVOIE À UNE PÉRIODE FONDATRICE

DE NOTRE HISTOIRE

CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

Mounia Lamkimel interprétant la mère du petit Kamal

témoignages personnels à la grande Histoire.

L’auteur de tant de projets sur des

sujets sociaux n’a pas perdu son goût pour

la liberté et la lutte contre l’oppression, la

poésie et la folie jubilatoire. Nous avons été

déconcertés, bousculés… mais délicatement.

Avouons-le. On y trouve un univers

graphique proprement happant. La qualité

époustouflante des images et la magie de

la lumière subjuguent. La caméra ne flâne

pas, elle participe : avec son œil cinématographique

aiguisé, Laraki a capturé l’esprit

d’une époque à travers la médina de Fès,

la transformant en un personnage à part

entière. La ville devient le théâtre vibrant

de luttes armées, de romances interdites,

et de la résistance contre l’oppression coloniale.

Les contrastes visuels entre les terrasses,

symbole de liberté, et les ruelles

labyrinthiques, témoins de conflits sanglants,

ajoutent une profondeur visuelle à l’ensemble.

Les costumes, quant à eux, sont

magnifiques. Les maquillages tiennent de

la magie. Et la gestuelle des acteurs est captivante

au sens plein du terme. Une certaine

élégance. Abdelhaï Laraki a accompli à moitié

sa mission.

Les comédiens ont brillé de mille feux :

Oumaima Barid, incarnant Aïcha, se montre

délicieusement survoltée; Mounia Lamkimel

est, dans la peau de la mère du petit

Kamal (interprété brillamment par Ayman

Driwi), d’une sensualité électrisante; Mohamed

Atef arbore magiquement un des trublions-résistants…

Et les nostalgiques retrouveront

avec plaisir Chaïbia Adraoui, Nabil

Atif, Tarik Bakhari, Majida Benkirane et Mohamed

Naimane. L’ensemble est concentré,

juste; il est sans mièvrerie.

Avant de fixer ses pénates au Maroc, le film

s’est offert des premières à travers quelques

festivals (en sélection officielle du prestigieux

festival de Tallinn ; en Asie au 54ème

Goa IFFI et, dans la région MENA, lors du

récent Red Sea film festival de Djeddah)

comme pour nous mettre en haleine. Partout

où il s’est exhibé, il força l’admiration.

Oumaima Barid campe le rôle de la jeune Aïcha.

L’actrice, qui fait notre Couv’, connaît actuellement une

ascension fulgurante.

Ainsi, Fez Summer 55 peut, en toute

confiance, se donner à voir au public

marocain car c’est un bon film, vibrant, qui

palpite d’une vive émotion. Ce qui n’est

pas mal.●

Octobre 2024 / Maroc

49


EN COMPÉTITION

LA DERNIÈRE RÉPÉTITION

QUAND YASSINE

OUBLIE D’ÊTRE FENNANE

Avec « La dernière repetition », Yassine Fennane livre un film qui, malgré de

grandes promesses, se perd dans une mise en scène égocentrique et une tension

psychologique mal exploitée. Loin de la radicalité attendue, cette plongée dans

l’univers théâtral manque d’intensité et laisse le spectateur sur sa faim.

PAR JIHANE BOUGRINE

On l’avait découvert avec sa fougue

légendaire sur des films aussi inventifs

que Karyan Bollywood ou El Haykel

(Squelette), et où il nous avait habitués

à un cinéma original, capable de capturer

des instantanés saisissants de la société

marocaine, entre satire sociale et exploration

des marges. Ses précédentes œuvres

se distinguaient par un regard à la fois critique

et poétique, et Karyan Bollywood notamment,

avec son hommage ludique à l’industrie

cinématographique indienne, avait su

conquérir un public séduit par sa fraîcheur

et son audace. Dans El Haykel (Squelette),

Yassine Fennane plongeait avec brio dans

un univers sombre et métaphorique, explorant

la fragilité de la condition humaine.

Autant dire que l’attente était grande pour

ce nouveau film.

Avec La dernière répétition, Yassine Fennane

nous entraîne dans l’univers du théâtre

avec une promesse alléchante : celle de

la mise en scène de Les Bonnes de Jean

Genet, pièce déjà riche en tensions psychologiques.

Le synopsis est intrigant : un metteur

en scène en proie à ses démons intérieurs,

entre antidépresseurs et crises

existentielles, prépare sa troupe pour une

représentation devant des figures importantes

de la culture. Le film, qui aurait dû capitaliser

sur le potentiel dramatique du processus

théâtral, perd pied en se focalisant

sur un personnage principal trop égocentré,

sans jamais vraiment s’interroger sur ce qui

fait l’essence même du théâtre. Le spectateur

reste en dehors de cette mise en scène,

comme un témoin impuissant des tourments

d’un metteur en scène qui se bat avec ses

propres démons, sans pour autant réussir à

nous faire entrer dans son univers mental.

Cette répétition semble en effet être celle

de ses propres travers, où le réalisateur s’enferme

dans une mise en scène désordonnée

CE QUI DEVAIT ÊTRE UN HUIS CLOS

INTENSE SE TRANSFORME EN UN

ENCHAÎNEMENT DE SCÈNES SANS

VÉRITABLE TENSION

et une narration qui ne tient pas la route. Ce

qui devait être un huis clos intense se transforme

en un enchaînement de scènes sans

véritable tension.

Cependant, il serait injuste de ne pas souligner

le talent de Yassine Fennane pour le sens

de certains détails. Il conserve une certaine

maîtrise dans la captation de l’atmosphère

théâtrale, mais cela ne suffit pas à sauver un

propos qui devient parfois dérangeant. En

traitant de la maladie mentale avec une telle

légèreté, le réalisateur frôle le cliché et nous

prive de cette finesse psychologique qui aurait

pu donner plus de profondeur à l’intrigue.

Faire un film sur le processus de création

d’une pièce est un sujet classique, mais ici, il

manque cette radicalité qui aurait pu insuffler

une énergie nouvelle au projet.

Cette heure en enfer peut être porteuse

d’une certaine catharsis au cinéma et on

aurait aimé voir cette heure transformée en

un moment fort, puissant, capable de provoquer

des émotions contradictoires. La

dernière répétition semble bien porter son

nom: une répétition de ce que Yassine Fennane

a déjà fait, mais en moins maîtrisé, et

avec une tension psychologique qui s’évapore

trop vite.●

Maroc

2 / 5

TITRE : La dernière répétition

PAYS : Maroc

RÉALISATEUR : Yassine Fennane

GENRE : Drame psychologique

DURÉE : 95 minutes

ANNÉE : 2024

50 Maroc / Octobre 2024


PAROLES À

Octobre 2024 / Maroc

51


PAROLES À

52 Maroc / Octobre 2024


SOFIA ALAOUI

UNE RENCONTRE

DU TROISIÈME

TYPE

Sofia Alaoui a dû patienter un peu trop

longtemps pour voir son premier long métrage,

« Animalia », sortir enfin dans les salles de cinéma

au Maroc. Elle le présentera quelques semaines

plus tard au Festival national du film de Tanger

dans lequel il est en compétition dans la sélection

officielle. Rencontre avec une artiste qui refuse

de se laisser enfermer dans des cases.

PAR YACINE KAOUTI - CRÉDIT PHOTOS : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC

Octobre 2024 / Maroc

53


PAROLES À

TRENTE ANS ET

DES POUSSIÈRES,

Sofia Alaoui passe

à la cour des longs

Née à Casablanca, elle a partagé son

enfance entre le Maroc et la Chine.

« J’avais cinq ans lorsque mon père

a été affecté en Chine. Je suis revenue au

Maroc à l’âge de onze ans », précise-t-elle.

Durant cette période, son père lui offre une

petite caméra, qu’elle utilise pour immortaliser

les voyages familiaux en Asie. « Je prenais plaisir

à réaliser de petits films avec mes amis »,

se souvient-elle lors d’une interview qu’elle

nous avait accordée il y a quelques mois.

Ainsi, ce qui n'était au départ qu'une aspiration

s'est transformé en une véritable nécessité

à l'obtention de son baccalauréat. Le destin

est scellé. Animée par une passion

dévorante pour le cinéma, elle se dirige résolument

vers la ville des arts : Paris.

« C’est le scénario qui m’a toujours captivée,

car c’est ce qui me transporte le plus dans un

film. J’ai rapidement compris qu’il était essentiel

de maîtriser cet aspect à la perfection. »

Pour réaliser un bon film, trois éléments sont

indispensables : une bonne histoire, une bonne

histoire, et une bonne histoire. On l’imagine

aisément passer des nuits entières à écrire,

absorbée par ses pensées, oubliant le temps

qui s’écoule... « Cela demande énormément

de temps. Mon approche du scénario est très

classique, à l’américaine, avec des techniques

de dramaturgie. Je m’appuie sur des modèles,

des schémas... C’est très mathématique »,

confie-t-elle avec un sourire.

Puis, à un certain moment, la belle mécanique

des rendez-vous parisiens s'enrayait : « il n’y

avait pas de réseau ». Il fallait alors improviser

et tirer parti de toutes les ressources disponibles.

Sofia s’est découverte une âme de messie :

« Je me suis dite : je ne vais pas attendre que

les rencontres se produisent, il faut les provoquer.

» C’est ainsi qu’elle a lancé les « Rendez-vous

des scénaristes », en faisant de cet

événement un espace d’échanges et de

débats. « J’avais invité les directeurs d’acquisition,

ceux qui achètent les films, de presque

toutes les chaînes : M6, TF1, Canal+... Des

personnalités clés dans le financement des

films », précise-t-elle.

Elle y exerçait en tant que lectrice et sélectionniste

de scénarios pour le « pitch » et les

« séances de consulting ». L’aventure fut écourtée,

faute de temps, inévitablement. Après un

an et quelques mois de bons et loyaux services,

elle rendit son tablier.

Le salut finit par arriver. Elle se serre drastiquement

la ceinture et, en 2013, mijote à petit

feu mais avec une grande flamme un court-métrage

intitulé éloquemment : Le Rêve de Cendrillon.

Quelques années plus tard, elle réalise

coup sur coup quatre autres

courts-métrages : Kenza des choux (2018),

Qu'importe si les bêtes meurent (2019), Les

Vagues ou rien (2019), et The Hidden Lake

(2020).

Mais jusque-là Sofia s'est consacrée exclusivement

aux courts-métrages. On l'incite vivement

à se lancer dans le long. Elle ne se sent

pas encore d’attaque, tergiverse longuement,

puis prend le mors aux dents. C'est ainsi qu'Animalia

voit le jour.

Sofia a toujours été en quête de nouvelles

manières de raconter et de structurer un récit.

Elle s'efforce de pousser les limites de ce qui

peut être représenté : « Je vais vraiment jusqu'au

bout, même dans l’intention visuelle. D'autant

plus que je suis quelqu’un de très instinctif : je

fais les choses comme je les ressens ».

Sofia ne doute de rien. Elle a gagné la reconnaissance

du métier et fera en sorte que ses

premiers pas dans le long-métrage ne vacillent

pas. Moteur !●

PAR REDA K. HOUDAÏFA

54

Maroc / Octobre 2024


Octobre 2024 / Maroc 55


PAROLES À

Depuis votre César, vous avez rapidement

enchaîné avec votre premier long métrage,

Animalia. On retrouve souvent une continuité

entre un premier court-métrage et

un premier long chez certains réalisateurs.

Est-ce que cette linéarité entre Qu'importe

si les bêtes meurent et Animalia était une

démarche intentionnelle dès le départ ?

J’ai toujours été attirée par le mystère et

l’étrange dans mes films. Les thèmes explorés

dans Qu’importe si les bêtes meurent et

Animalia sont des sujets qui me passionnent

depuis longtemps. Le court métrage m’a

permis de tester des idées, de mieux comprendre

ma manière de travailler, non seulement

pour les autres, mais aussi pour moimême.

Le succès de votre court métrage a-t-il

ouvert les portes plus rapidement pour la

réalisation d'Animalia ?

On ne va pas se mentir, sans le succès du

court-métrage, je n’aurais jamais eu la liberté

de faire un film comme Animalia, où j’ai vraiment

eu carte blanche. C’était une véritable

chance.

Le temps de production entre votre dernier

court-métrage et votre premier long

a été court. Comment vous êtes-vous organisée

pour un projet aussi ambitieux ?

Animalia était un projet extrêmement ambitieux

pour un premier long métrage. Entre

les animaux, les acteurs non-professionnels,

et les nombreux effets spéciaux—que je

n’avais jamais abordés auparavant—c’était

une vraie machine à orchestrer. Le film pouvait

facilement tomber dans le kitsch, ce qui

ajoutait à la pression. Nous n’avions pas

beaucoup de temps entre le court et le long,

et cela a eu ses avantages et ses inconvénients.

D'un côté, le succès du court métrage

a rassuré et facilité le financement du long,

surtout pour un projet aussi complexe. Mais

d’un autre côté, le court a suscité des

attentes élevées. En France comme au

Maroc, il a été largement vu, notamment

grâce à sa diffusion en ligne pendant la pandémie

du Covid-19. Cette visibilité t'expose

à être attendue au tournant pour ton premier

long métrage, ce qui peut être très

stressant. J'essaie de ne pas me laisser sub-

56

Maroc / Octobre 2024


merger par ces attentes, et de me concentrer

sur la création d'un film qui me ressemble,

mais il faut savoir prendre du recul.

Comment s'est porté votre choix sur

Oumaima Barid, l’actrice principale qui

joue le rôle d’Ito ?

Dès que j'ai vu ses premières vidéos, j'ai

senti que c'était une évidence. Quand je l'ai

rencontrée, j'ai été frappée par la complexité

qu'elle dégageait. Oumaima incarne à la fois

une fragilité apparente, celle d'une jeune

femme douce selon les stéréotypes, mais

elle révèle aussi une force intérieure presque

agressive. Elle casse l'image traditionnelle

de la femme qu'on voit souvent. Je cherchais

un personnage qui incarne cette dualité

: une jeune femme qui, tout en semblant

conforme, cache un esprit rebelle, mais pas

de la manière stéréotypée. Souvent, on voit

des personnages féminins qui sont soit des

victimes, soit des rebelles. Mais pour moi,

en tant que femme, la réalité est plus complexe.

On peut être à la fois forte et douce

sans entrer dans ces clichés.

MÊME SI JE POSE TROP DE QUESTIONS,

MON BUT ULTIME EST DE RACONTER DES

HISTOIRES À TRAVERS DES IMAGES ET

NON PAS MENER UNE INVESTIGATION

Votre film commence avec l'impression

de voir un drame social marocain classique,

puis au bout de vingt minutes, on

bascule dans un road-movie fantastique.

Comment vous êtes-vous imprégnée de

ces genres ?

Ce que je voulais, c’était créer une rupture

non seulement dans l’histoire, mais aussi

dans la manière de surprendre le spectateur.

L'idée était de le sortir de ses attentes

pour l'emmener dans un voyage inattendu.

On débute dans une famille marocaine bourgeoise

avec des dynamiques de classe bien

établies, mais je voulais bouleverser cette

situation.

À Sundance, on a qualifié le film de « Grounded

Sci-Fi », un genre qui me parle beaucoup

et que je continue d'explorer parce

qu'il m'excite aussi bien en tant que réalisatrice

qu'en tant que spectatrice. Ce sont des

films ancrés dans le réel, mais où quelque

chose d'étrange se produit.

Octobre 2024 / Maroc

57


PAROLES À

C’était aussi la première fois ou vous travailliez

avec des effets spéciaux…

Je n’ai jamais été particulièrement fan des

effets spéciaux. Ce qui est intéressant, c’est

que même ceux qui travaillent régulièrement

avec, comme Denis Villeneuve, cherchent à

les minimiser. Villeneuve privilégie les décors

naturels autant que possible, même sur des

films à gros budget comme Dune. Arnaud

Fouquet, le superviseur des effets spéciaux

sur Animalia, partage cette philosophie. Il dit

toujours : « Si on peut le faire en vrai, on le

fait en vrai ». Ce n’est pas une approche de

passionnés d’effets spéciaux qui veulent tout

transformer numériquement. Travailler avec

des gens qui comprennent les limites des

effets spéciaux est vraiment agréable. Cela

dit, ces effets permettent de raconter des

histoires autrement inaccessibles.

Il y a pourtant très peu de films marocains

qui utilisent des effets spéciaux, souvent

par manque de moyens et d’ambition.

C'est vrai qu'aujourd'hui, rassembler les

fonds nécessaires pour une bonne post-production

et de beaux effets spéciaux reste

un défi, surtout au Maroc. Quand j’ai présenté

Animalia aux États-Unis, ils ont été

surpris de voir ce que j’avais réussi à faire

avec un budget aussi limité. Pour eux, c’était

presque irréaliste, surtout vu le nombre d'effets

spéciaux et le temps de post-production

qui aurait dû être beaucoup plus long.

Aux États-Unis, on m’a dit que j’avais fait des

miracles avec deux francs six sous. À l’échelle

du Maroc, ou même de la région arabe, c’est

certain qu’on a été chanceux.

Ce genre de film nécessite une organisation

spécifique dès le départ, notamment en

ce qui concerne la post-production. On ne

peut pas simplement suivre le schéma classique

du tournage, montage, puis livraison.

Il faut prévoir des pauses pour intégrer les

effets spéciaux, ce qui demande une

approche différente, une déconstruction du

processus habituel. Et il faut aussi des producteurs

qui comprennent ces spécificités

et qui sont prêts à s’adapter à différentes

manières de fabriquer un film.

Animalia est un film trilingue, avec de

l’arabe, du berbère et du français. Parfois,

on peut se sentir un peu perdu quand les

personnages passent d'une langue à l'autre.

Comment avez-vous réussi à harmoniser

ces trois langues dans un même film ?

Oui, Animalia est trilingue, et cela reflète la

réalité de la société marocaine. Pour moi, c’était

une évidence. Quand on est dans les montagnes

de l'Atlas, par exemple, les gens parlent

berbère, c’est leur langue. Cela fait une dizaine

d'années que je suis revenue au Maroc, et j'ai

constaté qu'il y a encore une sorte de mépris

de classe entre ceux qui parlent darija et ceux

qui parlent berbère. C'est une réalité marocaine

: les gens de la ville et ceux de la montagne

sont perçus différemment. Il était important

pour moi de représenter cette diversité

linguistique et sociale à travers les langues

utilisées dans le film.

Pouvez-vous revenir sur les conditions de

tournage et les plus grands défis que vous

avez rencontrés ?

Les défis ont été nombreux, et certains ont

vraiment mis à l’épreuve notre capacité à

improviser. Par exemple, pour une scène clé

où Oumaima devait enlacer un mouton, on

avait besoin d’un animal dressé. Mais le jour

J, j’ai découvert que le mouton avait été

récupéré chez un berger la veille. C'était un

moment de panique car la scène, centrale

dans le film, risquait de ne pas fonctionner.

58

Maroc / Octobre 2024


Par chance, un miracle s’est produit, et on

a réussi à obtenir une prise.

Ce qui est difficile, c’est cette lutte constante

pour que tes idées se concrétisent. On se

retrouve souvent à devoir batailler pour préserver

la vision initiale, parfois contre des éléments

imprévus. Par exemple, pour les décors

de l'Atlas, je voulais des plans précis pour capturer

l’aspect lunaire du paysage. Deux jours

avant le tournage, on m'a dit que je ne pourrais

pas tourner là où je l'avais prévu. Ces

décors étaient essentiels pour l'aspect poétique

du film. Heureusement, j'avais une équipe

déterminée qui a cherché à contourner ces

obstacles, en trouvant des fenêtres météo favorables

pour tourner, même si ce n’était que

pour une heure. C’est très compliqué de gérer

ce genre de situations, surtout quand tu dois

jongler avec les caprices de la météo.

Votre film est sorti et a été distribué dans

plusieurs pays. Il sort enfin le 18 septembre

au Maroc. La boucle est enfin bouclée ?

Le film a fait sa première à Marrakech il y a

un an, et même si j'aurais aimé qu'il sorte

plus tôt, le voir enfin dans les salles marocaines

marque une sorte de finalité. C’est

un moment à la fois excitant et un peu déstabilisant.

Une fois qu’un film est montré au

public, il ne t’appartient plus totalement. Il

prend son propre chemin.

On voit émerger une nouvelle vague de

réalisateurs marocains comme Asmae El

Moudir, Yasmine Benkiran et vous-même.

Comment vous sentez-vous par rapport à

l’idée d’être porte-drapeau de ce renouveau

cinématographique ?

Il y a une vraie fierté nationale à voir ce qui

se passe au Maroc aujourd'hui, au-delà du

cinéma. Le pays connaît un renouveau dans

de nombreux domaines comme la photographie,

la peinture, et la musique, c’est un

moment incroyablement dynamique pour la

jeunesse marocaine. Alors, parler uniquement

de cinéma serait réducteur. Le Maroc

est en train de produire des talents dans tous

les domaines, y compris le sport, et le monde

entier commence à nous regarder différemment,

à attendre des choses de nous. C'est

gratifiant de faire partie de ce mouvement,

d'être présente à ce moment particulier,

même si le concept de « bon moment » est

relatif. Nos métiers restent extrêmement difficiles,

mais c’est passionnant de voir ce

renouveau s’épanouir autour de nous.

Après Animalia, vous vous êtes rapidement

lancée dans la préparation de votre

prochain long métrage, Tarfaya. Pouvez-vous

nous en dire plus sur ce projet ?

Tarfaya est un film que j’ai en tête depuis

longtemps. C’est une sorte de thriller médical

qui se déroule à Tarfaya, une ville du sud

du Maroc. L’histoire suit une jeune médecin

d’une quarantaine d’années, interprétée par

Zineb Triki, confrontée à une série de cas

médicaux mystérieux. Les habitants de Tarfaya

commencent à sombrer peu à peu dans

un sommeil dont ils ne se réveilleront pas.

Le film explore cette enquête médicale dans

un futur proche, où la ville est bouleversée

par des changements climatiques. C’est un

projet qui me passionne, et nous espérons

le tourner dans un an. Nous avons eu la

chance de recevoir le soutien du Centre

Cinématographique Marocain (CCM), ce qui

est un grand pas en avant, et nous sommes

en pleine recherche de financement.

Vous vous apprêtez également à réaliser

un film anglais…

Oui, en effet. Mon agent américain m'a proposé

une nouvelle de J.G. Ballard, un auteur

culte qui a été adapté par des réalisateurs

comme Spielberg et Cronenberg. La nouvelle

s'appelle Delta at Sunset et se déroule dans

une jungle où des événements très étranges

se produisent. J’ai immédiatement eu un coup

de cœur pour l’histoire, car elle résonne avec

mon amour pour les paysages et l’étrangeté.

Je suis actuellement en pleine écriture de ce

projet avec la BBC et des producteurs anglais,

notamment ceux de Call Me by Your Name.

C’est un projet qui me passionne énormément,

car il me permet de grandir en tant que

réalisatrice et de montrer que nous, les réalisateurs

marocains, avons également notre

place sur la scène internationale.●

Octobre 2024 / Maroc

59


PAROLES À

«na

ourija !»

Les prix et les nominations, « La Mère de tous les

mensonges » d’Asmae El Moudir les collectionne

depuis mai 2023. La réalisatrice qui a fait le choix de

d’utiliser des figurines pour raconter sa mémoire et celle

de tous, revient dans cette interview sur les rouages de

son dispositif ingénieux et sur ses bavardages d’esprit

autour des souvenirs qui ont façonné son film en

compétition au Festival national du film de Tanger.

PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT PHOTOS : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC

60 Maroc / Octobre 2024


Octobre 2024 / Maroc

61


PAROLES À

ASMAE

EL MOUDIR,

la cinéaste

qui ausculte

les souvenirs

Asmae El Moudir a eu la révélation

du documentaire en 2012, à la

Fémis à Paris, après trois ans

d'études à l’Institut Supérieur des Métiers

de l'Audiovisuel et du Cinéma (ISMAC) de

Rabat. Elle commence à écrire son film en

2013 avant de se mettre en quête de financement,

puis développe son idée à l’aide

de son père qui réalise des figurines en

argile et une miniature du quartier de son

enfance à Casablanca, Sbata.

Elle a écrit, réalisé, produit et monté un projet

dont l’idée a finalement pris la forme d’un

long métrage hybride qui mêle documentaire

et fiction. Dix ans de travail, huit ans de tournage,

et 500 rushs plus tard, Kadib Abyad

fait sa première mondiale à Cannes, où il reçoit

deux prix: L’Oeil d’or ex-aequo avec Les Filles

d’Olfa, de Kaouther Ben Hania et le prix de

la mise en scène - section Un certain regard.

Le long métrage marque ensuite l’histoire

du Festival international du Film de Marrakech

(FIFM) en décrochant le 2 décembre

dernier la première Étoile d’or marocaine,

avant de rafler plusieurs prix internationaux,

notamment le premier prix du 70ème Festival

du film de Sydney.

Kadib Abyad a été shortlisté dans la course

aux Oscars 2024 et même sans victoire, la

prouesse est déjà là, car Asmae El Moudir

est en train d’accomplir ce que très peu de

films marocains sont parvenus à faire:

séduire à la fois professionnels et spectateurs.

et collectionner les nominations aux

prestigieuses cérémonies de récompense.

Asmae El Moudir avait 12 ans quand elle a

pris conscience qu’il n’existait aucune photo

d’elle enfant. Cette découverte déclenche

alors un processus d’investigation durant

lequel la cinéaste interroge les petits mensonges

qu’on lui a raconté et essaye de comprendre

pourquoi sa grand-mère, figure centrale

du film, interdisait les photos à la maison.

Grâce à une maquette de son quartier d’enfance

et des figurines qui représentent son

entourage, Asmae El Moudir décide alors

de raviver la mémoire de chacun pour recréer

les souvenir familiaux, ce qui la conduit vers

une libération de la parole autour d’une

mémoire collective ensevelie et des évènements

traumatisants passés sous silence :

les émeutes de Casablanca en 1981.

Dans le tourbillon de son emploi du temps

chargé et à l’interstice entre deux avant premières

nationales, Asmae El Moudir revient sur

la genèse de son film, les rouages de son dispositif

ingénieux, et sur ses bavardages d’esprit

autour des souvenirs et de la mémoire.●

62

Maroc / Octobre 2024


Octobre 2024 / Maroc

63


PAROLES À

Vous enchaînez les avant-premières en

France et au Maroc, après une tournée

aux Etats-Unis. Comment vivez-vous ces

moments intenses ?

J’ai fait plus de 135 projections à l’international.

C’est très intense mais enivrant. Les

salles sont combles, les tickets sont sold out

et ça ne peut qu' être de bon augure pour

le film. Au Maroc comme à l’international,

les gens posent des questions sans arrêt

pendant les Q&A. (questions-réponses;ndlr)

Je suis toujours touchée quand le Maghreb

est présent dans la salle et quand j’ai des

questions similaires sur cette grand-mère

qu’on peut trouver dans toutes les maisons

arabes. Je suis très heureuse de voir qu’il y

a beaucoup de jeunes dans les salles, j'adore

aussi quand ils partagent avec moi leur émoi

quant à la manière avec laquelle je raconte

la mémoire et un événement auquel ni eux

ni moi même nous avions assisté. Donc oui

c’est fatigant de faire autant d’avant premières

mais gratifiant, et ce sentiment n’a

pas de prix.

Le film s’ouvre sur votre petite escapade

chez le photographe du quartier la nuit

de Laylat Al Qadr pour prendre une photo

à l’insu de vos parents. Quelle importance

donnez-vous à cet acte de rébellion qui

dessine dès les premières minutes l’esprit

du film ?

Il était indispensable pour moi de démarrer

par cet élément déclencheur: mon envie de

garder un souvenir photographique face à

l ’absence de photos de mon enfance à la

maison. Je tisse ensuite, autour de cette

histoire intime, une réflexion sur la mémoire

individuelle et collective, les souvenirs et

les archives, jusqu’à ce que le puzzle soit

complet à la fin. C’est pourquoi le fait de me

révolter et faire ma première photo réelle

MÊME SI JE POSE TROP DE QUESTIONS,

MON BUT ULTIME EST DE RACONTER DES

HISTOIRES À TRAVERS DES IMAGES ET

NON PAS MENER UNE INVESTIGATION

CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC

est un moment important qu’il fallait placer

au début. Il fallait mettre en avant ce côté

intime et raconter l’histoire de manière très

simple et simplifiée, ce qui est finalement

compliqué et complexe. D’ailleurs, ce n’est

qu’après 10 ans et 500 heures de rush que

j’ai réussi à pondre un dispositif filmique qui

fait dialoguer entre eux, un volet intime et

un autre national tous deux ayant trait à l'histoire

et à la mémoire.

Racontez-nous comment vous êtes passée

d’une histoire de famille à un traumatisme

national ?

En 2012, j’ai commencé à développer l’idée

de base de mon film; qui est celle de la mémoire,

des souvenirs d’enfance et des photos manquantes.

En 2016, je découvre via les infos

qu’un «cimetière des victimes des événements

de juin 1981 » sera bientôt inauguré. Et c’est à

ce moment là que je commence à me poser

des questions sur l’existence d’images d’archives

sur cet événement tragique. En l’absence

de photos, j’ai eu l’idée de créer mes

propres archives en donnant la paroles à des

personnes qui ont une relation directe avec

l'événement. Je n’ai jamais cherché les gens

coupables ni à les faire parler. Ce n’est pas

mon travail, c’est pourquoi j’insiste sur le fait

que je suis réalisatrice et non pas journaliste.

Je ne suis pas en train de faire une investigation

sur ce qui s’est passé mais plutôt en train

de créer et aguicher une interaction avec ma

famille et les voisins pour comprendre comment

on peut raconter une histoire quand on

n’a pas d’archives et par conséquent pas de

preuves.

Même si je pose trop de questions, mon but

ultime est de raconter des histoires à travers

des images et non pas mener une investigation.

Je raconte certes un point traumatique

de l’Histoire mais d’un point de vue cinématographique,

ce qui me permet de protéger

mes proches car la fiction ne peut jamais être

jugée, ça reste de l’ordre de l’imaginaire.

Comment décririez-vous votre relation aux

archives ?

J’adore observer le monde qui m’entoure, mais

aussi apprendre des choses sur l’Histoire. J’ai

commencé à m’intéresser aux archives durant

mes études de cinéma. Je me suis donc naturellement

posée des questions sur la mémoire

et je suis rentrée par la force des choses dans

une réflexion profonde autour des souvenirs

notamment à cause du manque de photos chez

moi. J’ai donc porté en moi cette envie de fouiner

dans les archives de notre histoire

Toutefois, lorsque j’ai commencé cette aventure,

il n’y avait que très peu d’archives. Il fal-

64

Maroc / Octobre 2024


lait donc fabriquer mes propres images avec

ma petite caméra, ce que j’appelle « mes

archives ». Et ce n'est qu’après avoir vu les rushs

que je me suis dit « ok maintenant je vais faire

le film, maintenant je dois voir comment intégrer

ces images que j'ai fait moi-même ». Le

tournage s’est déroulé dans ce que j’appelle

« le laboratoire », j’y ai rassemblé mes proches

et on y a créé avec mon père les figurines et

les modèles miniatures. J’ai fini donc par créer

mes propres archives, dans mon propre atelier

et avec mes proches. Il fallait aussi convaincre

mes proches, protagonistes de mes archives,

de participer au film, ce qui n'était pas simple

du tout, surtout avec ma grand-mère qui n’a fini

par accepter qu’à la dernière minute.

POUSSER LES GENS À PARLER N’EST

PAS SIMPLE, MAIS C’EST UNIQUEMENT

LORSQU’ON PARLE QUE L’ON COMPREND

À QUEL POINT LE SILENCE EST ÂPRE

Quel sens donnez-vous à ces figurines ?

Outre l’aspect artistique et l’attachement émotionnel

que j’ai pour elles du moment que c’est

l'œuvre de mon père, c'était pour moi une

nécessité. D’un côté, je n’avais pas le droit ni

l’autorisation de filmer mes proches dans pas

mal de décors, ce qui constituait un obstacle

et me retardait énormément. J’étais donc obligée

de créer des décors et des figurines qui

l'occupent pour raconter mon histoire. Les figurines

remplaçaient même mes proches à des

moments où ces derniers étaient dans des

moments de colère ou dans l’incapacité de

s’exprimer. Je n’avais pas de timeline non plus.

Les figurines étaient là pour raconter l’histoire

des protagonistes et si quelqu’un meurt en

cours de route, les figurines seront là pour finir

l’histoire. J’avais aussi comme objectif de faire

dialoguer les protagonistes et les figurines

pour libérer la parole et accélérer le processus

de sortie du silence et d’exorcisation.

Vous aviez dit dans le cadre d’une Q&A

que « nous ne mesurons pas à quel point

le silence est douloureux jusqu'au jour où

nous parlons ». Quand est-ce que vous

avez réalisé cela ?

Je l’ai réalisé en pleine discussion avec mes

proches. Tout le processus du film m’a appris

énormément de choses et le silence dont je

parle est intimement lié au processus. Je

découvre au fil des années et des échanges

de nouvelles choses sur les protagonistes,

autant à l'intérieur qu’à l'extérieur du « laboratoire

». Et c'est grâce à la libération de la

parole que j’ai fait ce constat: pousser les

gens à parler n’est pas simple, mais c’est uniquement

lorsqu’on parle que l’on comprend

à quel point le silence est âpre. Parler c’est

aussi un moyen de se protéger aussi, c’est

se forcer à digérer. Moi je dis: c’est bien de

faire face aux trucs qui nous font mal. C’est

thérapeutique et le fruit de cet exercice familial

d’exorcisation a été ressenti beaucoup

plus tard, je dirai après la projection à Cannes.

Le titre arabe du film se traduit par « petits

mensonges» ou «mensonges pieux » en français.

Pourquoi avez-vous choisi La mère de

tous les mensonges comme titre officiel.

Kadib Abyad, en plus d'être un clin d'œil culturel,

est le titre intime du film. Je commence le

film avec cette envie de lever le voile sur plusieurs

mensonges et de non dits au sein de la

famille. Toutefois, l’idée n’est pas de faire des

reproches à ma famille ni d’être dure avec elle.

Ces mêmes mensonges ne m’ont pas réellement

fait mal, je les considère donc comme

« Kedba Bayda », ça atténue la gravité de la

situation et ça me permet aussi d’en parler sans

culpabiliser ou blesser ma famille.

Je sais que ma mère m’a menti pour m’apaiser,

qu’elle m’a fait croire que j’apparais dans la

seule photo qu’on a pour me réconforter. Je

sais aussi qu’il y a une raison derrière l’interdiction

de prendre des photos à la maison ou l’absence

d’archives. Si ces mensonges me taraudaient

depuis toute petite, je les comprends

mieux à ce stade et je ne veux en aucun cas

être dure avec la partie intime de mon film .

Il y a cette idée que le titre arabe du film est

dédié à ma communauté marocaine, mais il y

a aussi cette envie de rappeler que je tisse mes

idées autour d’une histoire intime mais qu’au

film du film celle-ci devient collective, propriété

de tous, d’où le titre international La Mère de

tous les mensonges ou The Mother of all lies.

Le crescendo dans le titre est voulu et réfléchi.●

CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC

Octobre 2024 / Maroc

65


PAROLES À

CRÉDIT : LVONDER WEID

KAMAL LAZRAQ

CE QUE L’ON VOIT

DANS LE FILM,

C’EST LA RÉALITÉ

ASSEZ BRUTE

Kamal Lazraq, a été primé au Festival international du film de Marrakech

et au Festival de Cannes pour son long-métrage poignant « Les Meutes », en

compétition officielle au Festival national du film de Tanger. Rencontre

avec le réalisateur sage d’un film furieux.

INTERVIEW MENÉE PAR YACINE KAOUTI

Kamal Lazrak, réalisateur de Les Meutes.

66 Maroc / Octobre 2024


Le film a été présenté à Cannes dans la

sélection Un certain regard et a remporté le

prix du jury. Comment as-tu vécu cette

sélection ?

Cannes, c’était spécial parce que nous avions fini

le tournage, début décembre. C’était un tournage

de nuit pendant six semaines. Il y avait beaucoup

de fatigue parce qu’on ne dormait pas. Et nous

avions enchainé le montage tout de suite après.

Nous avions envoyé une première version au

comité de sélection. Et c’est là où on apprend

que le film est sélectionné à Cannes.

Il y a eu un coup de pression parce qu’il fallait

finir le film. Je suis arrivé à Cannes avec les

acteurs qui prenaient l’avion pour la première

fois. On arrive le soir. Deux heures du matin, on

est dans la salle pour faire le test technique.

C’est la première fois que je le vois dans une

salle de cinéma. Nous regardons trois minutes

pour régler le son, et puis à 11 heures du matin,

on arrive pour la projection devant 1 000 personnes.

Donc tu le vois pour la première fois

sur un grand écran, dans une vraie salle, avec

eux. Il y avait beaucoup d’appréhension et puis

il y avait un côté un peu irréel. On était un peu

en apnée pendant la projection.

Et on se prépare à recevoir un prix ou pas ?

On ne se prépare jamais à le recevoir. Non, je

ne crois pas. C’est vrai qu’on nous a appelés le

CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION

CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION

De gauche à droite: Ayoub Elaid dans le rôle de Issam et

Abdellatif El Mastouri dans le rôle de Hassan.

LE FILM PART DANS UN ONIRISME,

UN CÔTÉ UN PEU CAUCHEMARDESQUE,

MAIS LE POINT DE DÉPART DU FILM,

C’EST QUELQUE CHOSE QUI EST TRÈS

ANCRÉE DANS UNE RÉALITÉ SOCIALE

jour même. Donc on sait qu’il y a quelque chose

qui se trame. ll faut être dans la salle, on ne sait

pas ce qu’il y a. Après, c’est sûr que le prix,

c’était un très grand soulagement après tout le

travail qui a été fait. Ça nous a montré que le

film, dans ses thématiques qui sont quand même

très marocaines, a été compris de façon universelle

par un jury international.

Il y a certaines similitudes entre ton premier

court métrage produit Moul Lkelb et ton premier

long-métrage Les Meutes. Peux-tu nous

en dire plus ?

Moul Lkelb, était une histoire qui était arrivée à

un des acteurs du film, qui n’est pas un acteur

professionnel. Il avait perdu son chien et a passé

toute une nuit à le chercher dans les bas-fonds

de Casablanca. J’avais construit le film sur la

base d’une histoire réelle.

Ayoub Elaid dans le rôle de Issam

J’avais envie, suite à ce court métrage, de refaire

un film en une nuit, à Casablanca, dans le même

univers. Quand j’ai commencé à réfléchir à l’histoire,

je me suis rappelé les castings de Moul

Lkelb. J’avais rencontré plein de jeunes personnes,

qui n’étaient pas des acteurs, mais qui

venaient, qui racontaient leur vie, leur expérience,

leurs anecdotes de la vie à Casablanca,

Octobre 2024 / Maroc

67


PAROLES À

dans les quartiers populaires de la ville. Et

quand j’ai voulu écrire mon premier long, ça

m’est revenu. J’ai imaginé cette histoire, d’un

père et son fils, qui sont pris dans un engrenage

infernal, en une nuit, parce que je trouvais

que faire un film avec une unité de temps

forte, ça donne un peu plus de tension et d’intensité

dramatique. Et les deux acteurs principaux

qui m’ont inspiré l’histoire pendant les

castings, ont depuis disparu de la circulation.

J’ai dû refaire le casting pour retrouver les deux

acteurs principaux.

CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION

Tu as fais le choix de travailler une nouvelle

fois avec des acteurs non professionnels.

Comment les as-tu trouvés? Et

comment se passe l’expérience avec des

personnes qui n’ont jamais travaillé

devant une caméra ?

C’était un casting sauvage, on a travaillé avec

un directeur de casting qui a un peu l’habitude

de ça. Il a des assistants dans tous les quartiers

de la ville, dès qu’il voit un visage intéressant,

il le met dans son fichier. Et du coup, j’en

ai rencontré beaucoup, mais quand j’ai vu

Ayoub Elaid sur photo, je trouvais qu’il avait

un truc. Il me fait penser à Franco Cicci, qui

joue dans Accattone de Pasolini. Il avait cette

gueule, ce côté un peu sec, mais nerveux en

même temps. Je savais que je tenais le personnage

auquel je pensais. Du coup, il a fallu

le retrouver, parce que cette photo avait été

prise il y a un an et demi ou deux.

Ils allaient dans la médina (ndlr : le responsable

casting et ses assistants) avec sa photo, les

gens croyaient qu’il était recherché. Qu’il y

avait un problème. Quelqu’un a compris que

ce n’était pas la police, et l’a ramené au casting.

J’ai tout de suite accroché avec lui. Après,

il y a eu tout un travail pour le convaincre. Parce

qu’il disait, « moi, quand j’étais petit, c’est vrai,

je rêvais secrètement d’être acteur, mais je ne

pensais pas qu’un jour on allait me proposer

ça ». Il avait du mal à être convaincu, moi j’avais

une méthode de travail où il allait être à l’aise.

Je savais comment faire.

Puis il fallait ensuite trouver le père. Et

comme je passais beaucoup de temps avec

Ayoub pour le préparer au rôle, on allait

dans son quartier. On était dans un petit

café. Il réfléchissait comme ça, et me dit «

je vais te présenter quelqu’un ». Il m’a

emmené. Et là, on tombe sur Hassan, qui

était en train de griller des sardines dans le

petit stand. Ayoub m’explique que c’est en

quelque sorte un père pour lui. Quand j’ai

vu le visage de Hassan, sa posture, son charisme,

sa voix, je me suis dit, lui, il a un vrai

potentiel. Ils ont la relation père-fils qui existe

déjà. On est partis faire des essais en

caméra, voir s’ils arrivaient, les deux, à jouer

ensemble. Tout ça a bien fonctionné sur les

essais. Je sentais que ça pouvait donner

quelque chose d’intéressant.

Dans Les Meutes les dialogues sont relativement

courts. Les silences sont importants.

C’est très brut. Comment as-tu travaillé avec

tes comédiens, et est-ce que le film était écrit

avec précision ou tu t’es permis certaines

libertés liées au fait de travailler avec des

non-professionnels ?

Le film était écrit, très écrit, avec les dialogues,

c’était très précis. On a financé le film sur la

base d’un scénario très classique. Après, moi,

je ne leur donnais pas les dialogues à

apprendre par cœur. Je savais que dès qu’ils

voulaient réciter, on perdait la spontanéité. Et

ça, je l’avais expérimenté justement sur mes

précédents courts-métrages. Dès qu’il y avait

certaines phrases que je pensais importantes,

je leur disais, « dites la phrase mot à mot ». Je

n’ai jamais pu garder la prise. Dès qu’ils étaient

dans le contrôle, ça ne marchait pas. Du coup,

ce qu’il se passait, c’est qu’on arrivait sur le

plateau, je leur expliquais la séquence, je leur

Ayoub Elaid dans le rôle de Issam.

donnais quelques points importants par lesquels

il fallait passer. On tournait toute la

séquence en un long master shot, c’est-à-dire

qu’on ne coupait pas. On allait de l’un à l’autre.

Et là, tout de suite, ils utilisaient leur propre

monde, ils avaient leur liberté de mouvement.

Et en général, les deux premières prises étaient

toujours très bonnes. Les prises d’après, ça

s’épuisait.

Puis il y a aussi des comédiens professionnels

comme Abdellah Lebkiri qui joue le

rôle de Dib. Comment réussit-on à faire

travailler des acteurs professionnels et non

professionnels ensemble ?

Pour être honnête, à un moment, je pensais

qur Abdellah Lebkiri allait jouer le rôle du père.

Parce que je ne trouvais pas les acteurs non

professionnels. Je me suis dit que ce rôle de

Dib, que je n’avais pas encore trouvé, il correspond

aussi très bien. Il a beaucoup de talent,

je trouve. Et il a surtout su s’adapter à ceux qui

étaient en face de lui. Certains acteurs professionnels

attendent la réplique qu’ils pensent

recevoir. Ils sont dans une maîtrise du jeu qui

fait qu’ils n’arrivent pas à s’adapter à des acteurs

non professionnels, à une forme d’improvisation.

Mais avec Abdellah Lebkiri, c’était tout à

68 Maroc / Octobre 2024


fait le contraire. Il était vraiment très à l’aise

avec ça. Il a beaucoup aidé les deux acteurs

principaux. Il les a un peu coachés.

Tu as tourné ton film à Casablanca et ses environs.

Beaucoup de réalisateurs ont pris des

risques en faisant des films sur cette ville ?

N’y avait t-il pas une peur de faire un film sur

Casablanca et tout ce qu’elle représente ?

Je n’avais pas cette peur-là parce que je

savais qu’on allait avoir une approche quand

même assez documentaire, assez brute,

assez authentique du film. Je n’allais pas

essayer de reconstruire quelque chose ou

d’aller soit vers le misérabilisme ou d’accentuer

une réalité.

Nous, ce qu’on voit dans le film, c’est la réalité

assez brute. Tous les décors sont des

vrais décors naturels. On n’a rien construit.

Après, le film part dans un onirisme, un côté

un peu cauchemardesque, mais le point de

départ du film, c’est quelque chose qui est

très ancré dans une réalité sociale.

La plupart des endroits du film, je les connaissais.

J’ai écrit en pensant à ces endroits, que

ce soit en tant que Casablancais, dans mon

rapport à moi, à la ville, mais aussi en tant

que réalisateur. Comme j’ai fait deux films

précédemment, deux petits court-métrages,

j’avais accumulé beaucoup de décors, de

repérages.

Pour les gens qui n’ont pas vu le film, la scène

finale, c’est un endroit que j’avais vu en repérage.

Et je pense même que le film a été écrit

en pensant à ce lieu et à cette fin. C’est vraiment

un rapport à la ville qui a beaucoup

nourri l’écriture.

CRÉDIT : BARNEY PRODUCTION - MONT FLEURI PRODUCTION

On sent que l’image est très naturelle dans

le film, avec beaucoup de plans caméra à

l’épaule et des lumières presque naturelles.

Comment s’est passé ta collaboration avec

Amine Berrada (Lire p. 10-12), ton directeur

de la photographie ?

On a beaucoup discuté avec Amine en préparation

sur comment on allait filmer ce film. Et ce

que je lui disais, c’était on va travailler avec des

acteurs non professionnels, la nuit, à Casablanca,

on n’aura pas beaucoup de temps de tournage,

on va faire ça un peu comme un documentaire.

C’est-à-dire, qu’il fallait qu’on éclaire chaque

séquence avec un éclairage qui puisse nous

laisser la liberté de se déplacer à 360°. En même

temps, on ne voulait pas non plus faire un film

moche. Il y avait aussi un enjeu esthétique.

C’est pour ça qu’on s’est dit qu’on va se servir

beaucoup de l’éclairage naturel de la ville, d’être

dans les contrastes, d’assumer l’obscurité. On

a certaines séquences où on ne voit quasiment

rien, mais on s’est dit qu’on allait essayer de

trouver le bon équilibre pour que ça soit à la

fois naturel, qu’on ne sente pas d’éclairage artificiel,

mais qu’en même temps, ça ne soit pas

désagréable pour le spectateur. Et Amine a été

très fort sur ça parce qu’il s’adaptait toujours

très vite et il trouvait toujours la bonne solution.

Revenons un peu plus à la trame de ton

film, et à l’un des thêmes centraux qui est

la relation père-fils ou parfois même filspère,

notamment lorsque Ayoub prend le

dessus sur son père

Ça m’intéressait de voir comment un père et

un fils pouvaient évoluer, et comment les liens

du sang allaient soit se renforcer, soit se briser

dans ce genre de contexte. C’était un peu une

des trajectoires du film. Comment le fils, par respect

envers son père, n’ose pas trop contester

sa parole et l’accompagne là-dedans. Et comment

à un moment du film, le père, perd pied.

Et présenter Les Meutes en compétition

au Festival international du film de Marrakech,

j’imagine que ça a une autre saveur,

un autre goût ?

Il y avait quasiment plus d’appréhension de le

présenter pour la première fois au Maroc. On

ne savait pas trop comment le public marocain

allait réagir. On sait que des fois, il peut y avoir

certaines choses qui dérangent. Il y avait pas

mal d’appréhension.

De gauche à droite: Ayoub Elaid dans le rôle de Issam et

Abdellatif El Mastouri dans le rôle de Hassan.

C’est vrai qu’on sent tout de suite si la salle vit

le film ou si elle est un peu en dehors. Et à Marrakech

on voyait que le film avait eu de bonnes

réactions. Ça montre qu’il y a une immersion

qui fonctionne.●

Octobre 2024 / Maroc

69


PAROLES À

A quelques heures de l’avant-première à Casablanca,

Faouzi est plus qu’enthousiaste à l’idée de rencontrer son public.

70 Maroc / Octobre 2024


FAOUZI

BENSAIDI

DÉSERTS, CE TIERS

MANQUANT QUI

CRÉE TOUT LE

MYSTÈRE

Octobre 2024 / Maroc

71


PAROLES À

Faouzi Bensaidi, metteur en scène de théâtre, scénariste et réalisateur.

Faouzi Bensaidi, metteur en scène de théâtre ,scénariste et

réalisateur de plusieurs courts et longs-métrages, présente

« Déserts » sa cinquième expérience cinématographique dans la

catégorie des longs-métrages en compétition offcielle au Festival

nation du film de Tanger. Traversée des grands thèmes de

Déserts avec Faouzi Bensaidi

INTERVIEW MENÉE PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC

Comment vous est venue l’idée du film

Déserts ?

L’idée de tous mes films nait à travers des

scènes de vie quotidiennes. J’étais dans un

hôtel à Marrakech et au petit déjeuner, il y

avait deux hommes qui prenaient leur petit

déjeuner en costume cravate et mallette. Il

y avait entre eux une certaine complicité

flagrante et donc tout est parti de là. J’ai commencé

à imaginer leur vie mais je n’avais

pas leur métier en tête. L’idée n’est donc pas

tout de suite sortie de mon carnet de notes

; et puis un jour à Casablanca j’ai vu une

publicité d’une agence de recouvrement de

crédit, puis j’ai connecté cela avec une envie

très lointaine de western.

Le structure du film est particulière. On a

l’impression de voir un film en deux parties

qui brouillent les pistes du genre.

Je n’aime pas dire qu’il y a deux parties dans

le film mais c’est plus simple à expliquer. Le

film s’ouvre sur le duo Hamid et Mehdi, tous

deux employés dans une société de recouvrement

qui vont sillonner des zones rurales et

arides du sud du Maroc en costume cravate

pour tenter de récupérer les dettes auprès

des villageois. Dans cette première partie la

satire prédomine. Puis, à partir du moment

où le duo va rencontrer le voleur en fuite, le

film va basculer vers quelque chose de mystique

et poétique où fable métaphysique,

tragique et abstrait s’entremêlent.

Parlez-nous du duo Mehdi et Hamid

Le film était écrit en pensant à Fehd Benchemsi

et Abdelhadi Talbi. J’ai quand même

fait un casting même si j’étais sûr de les avoir

parce que j’aime tout remettre en doute. J’ai

pensé à eux dès le départ et je croyais fortement

à cette intuition, l’idée s’est confirmée

par la suite au fil des castings.

Si certains réalisateurs ont des acteurs

fétiches, vous avez plutôt une troupe

fétiche que vous embarquez dans vos différents

projets.

Cela me vient du théâtre. J’aime bien cet

esprit de troupe. Elle s’est constituée petit à

petit autour de moi au fil des projets.

72

Maroc / Octobre 2024


Déserts, son cinquième long métrage traverse plusieurs thématiques.

Quand je parle de troupe, il ne s’agit pas

uniquement de comédiens mais de techniciens

aussi. J’aime travailler avec les gens

avec qui je suis ami, ils me nourrissent, et

cette complicité et entente qu’on a développé

au fur et à mesure nous permettent

d’aller plus loin.

Faouzi raconte son film, à la croisée de la satire sociale et du western.

Vous avez parlé d’une envie lointaine de

western. Est-ce que cela a orienté votre

choix du désert comme décor principal ?

Le film a appelé les grands espaces comme

il a appelé les grands sentiments, parce qu’il

y a cette dimension mystique qui prend le

dessus dans l’histoire. Les deux personnages

principaux font une traversée mystique du

désert qui les change à jamais pour qu’ils

deviennent plus sensibles au monde qui les

entoure. J’aime beaucoup l’espace, j’aime

le filmer, et j’aime qu’il raconte aussi le film.

Octobre 2024 / Maroc 73


PAROLES À

CRÉDIT : MONT FLEURI PRODUCTION

De gauche à droite, Abdelhadi Taleb et Fehd Benchemsi dans le film Déserts de Faouzi Bensaidi.

Ça ne m’intéresse pas d’être réaliste et de

jouer avec les espaces comme s’ils étaient

simplement des points de départ, d’arrivée

ou de transition. Je cherche toujours une

cohérence émotionnelle des espaces, plus

qu’une cohérence géographique. Dans mon

court métrage La falaise , on est à Meknès

mais c’est un Meknès avec la mer. Un même

espace peut donc être tendre, violent, mélancolique,

romantique… tout ce qu’on veut.

Cela dépend du regard que porte le cinéaste

sur le lieu, encore faut-il qu’il y ait un regard

du cinéaste, parce que malheureusement,

le cinéma est souvent réduit à des plans

informatifs.

La forte présence de plans séquences s’est

imposée à vous dans ce décor ?

Les plans séquences pour moi sont avant

tout très intuitifs. C’est comme une écriture

musicale, une mélodie. Ce n’est qu’après

que j’y met du sens, mais j’ai l’impression

que sur cette partie-là je suis plus dans l’intuition

que dans la construction. Il y a des

moments où je sens que le plan séquence

va apporter quelque chose au rythme du

film. Dès que j’ai aimé le cinéma, mon amour

pour le plan séquence s’est directement

imposé à moi. Je me souviens qu’à l’âge de

14 ans déjà j’aimais de manière intuitive et

inconsciente les plans séquences et les

cinéastes qui en faisaient beaucoup dans

leurs films. Cela est dû au fait que je déteste

ce langage très simple et classique dans les

films. Le plan séquence c’est de la poésie et

ce qui est autour c’est de la prose. C’est aussi

une chorégraphie, chaque mouvement est

travaillé. Le cinéma permet des choses formidables

pour celui ou celle qui veut explorer

ce genre de choses.

Vous avez choisi de titrer votre film

Déserts au pluriel. Cette pluralité se manifeste

sur plusieurs plans, notamment les

genres qui s’entremêlent dans votre long

métrage, mais aussi sur le plan géographique

et émotionnel, entre autres.

Le titre au pluriel est arrivé très vite. Le film

est principalement tourné dans un désert et

sur le coup la notion de désert est partie plus

loin, du désert affectif des personnages principaux

au désert économique. Le désert fait

également référence à cette dimension mystique

et cosmique. Au niveau du genre, il y

a quelque chose de pluriel aussi dans le film

qui est une comédie burlesque, un western,

une histoire de vengeance et d’amour et une

quête existentielle des protagonistes. Talt al

khali, le titre marocain parle plus aux Marocains.

C’est ce tiers manquant qui crée tout

le mystère autour de beaucoup de choses

LE FILM A APPELÉ LES GRANDS

ESPACES COMME IL A APPELÉ LES

GRANDS SENTIMENTS, PARCE QU’IL Y A

CETTE DIMENSION MYSTIQUE QUI

PREND LE DESSUS DANS L’HISTOIRE

74 Maroc / Octobre 2024


auxquelles le film n’apporte pas de réponse.

Votre sixième long-métrage, sélectionné

à la Quinzaine des Cinéastes et doublement

primé à la Mostra de Valence (meilleurs

acteurs/meilleur réalisateur), arrive

en salles marocaines à partir du 15 mai. A

quelques heures de l’avant-première à

Casablanca, quelles sont vos impressions

à chaud ?

J’ai beaucoup d’attentes quant à la réaction

du public marocain face à l’humour développé

dans ce film. J’ai la conviction qu’il y

a un imaginaire intéressant dans l’humour

marocain qui est à mon sens un humour quasi

surréaliste, parfois assez noir. Cet humour

n’a pas été assez exploité au Maroc, il est

resté en surface. La comédie au Maroc est

une comédie de dialogues et de blagues, et

on est rarement allé sur un humour de situation

plus décalé ou sur du burlesque. Dans

ce film, on a fait un travail très précis sur les

dialogues et je m’attends à ce que les

nuances (qui n’empêchent pas la compréhension

du film, s’il elles ne sont pas assimilées)

soient captées par le public marocain,

plus que le public étranger. Il y a donc cette

attente qui m’accompagne, je m’attends à

ce que le public marocain réagisse bien à

l’humour proprement marocain qui se dégage

du film.

Vous pensez que le public marocain est

beaucoup plus réceptif aux gags qu’à un

humour fin de situation ?

Je pense qu’il faudrait habituer le public à

se dire que ce sont des films pour lui aussi.

L’humour reste très présent des films de Faouzi Bensaidi.

J’AIME BEAUCOUP LES ESPACES, ET

J’AIME QU’ILS RACONTENT LE FILM.

D’AILLEURS, JE LEUR CHERCHE TOUJOURS

UNE COHÉRENCE ÉMOTIONNELLE, PLUS

QU’UNE COHÉRENCE GÉOGRAPHIQUE

Il y a une espèce de séparation que je ressens

entre les comédies marocaines et les

films de genre qui recèlent de l’humour. C’est

comme si ces films pour lesquels on a un

peu plus d’ambition et qui peuvent nous parler

à nous et au monde sont des films que

peut être une partie du public ne considère

pas pour lui. Il va donc plus vers des films

directs, plus accessibles et finit par se dire

que peut-être il n’y a que ça qui existe.

Il faut permettre à ce même public d’aller

vers des films qui proposent à la fois une

comédie et un accès à la poésie, parce que

la comédie est une poésie aussi. Aucune

personne au monde n’est insensible à la

beauté même les gens qui viennent voir la

comédie lourdingue. Il faut donc réveiller en

eux cet amour pour la beauté par le grand

art, en faisant un travail d’éducation et de

médiation, tout en gardant en tête qu’il ne

faut pas désespérer s’ils ne réagissent pas

tout de suite.●

Octobre 2024 / Maroc

75


PAROLES À

CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC

SORT

ABDELHAÏ

LARAKI

DU

CADRE

76

Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

Abdelhaï Laraki a trouvé le bon créneau : rien de mieux qu’une époque « sombre » reconstituée pour river le téléspectateur à l’écran.

A l’occasion de la sélection de « Fez Summer 55 » dans la catégorie Panorama du

Festival national du film de Tanger, son réalisateur Abdelhai Laraki revient sur les

coulisses de sa carrière et offre des réflexions éclairées sur le pouvoir du cinéma en

tant que vecteur de sensibilisation et d’évolution. Plongée dans l’univers

cinématographique de Abdelhai Laraki.

INTERVIEW MENÉE PAR REDA K. HOUDAÏFA

D’où provient votre passion pour

le cinéma ?

Ma passion pour le cinéma prend racine

dans mon enfance à Meknès, une cité

cinéphile où, au cours de mes années

lycée, je fréquentais assidûment les

ciné-clubs, me délectant de trois à quatre

films par semaine. Mais, l’événement

marquant remonte à l’âge de onze ans,

lorsque la découverte du cinéma Caméra

à Meknès, un lieu emblématique auquel

je fais référence dans mon film 401 coups,

a déclenché une connexion profonde

avec le septième art. Cette liaison a été

renforcée par une expérience personnelle

liée au film Les Quatre Cents Coups

de François Truffaut. A l’entracte, je me

suis retrouvé nez-à-nez avec un de mes

professeurs que nous craignions tous: M.

Barnard. « Ce n’est pas un film pour toi »,

m’a-t-il dit en me confisquant mon carton.

Le lendemain, par curiosité mais aussi par

bravade, j’ai séché les cours et j’y suis

retourné. Cette expérience a modelé mon

amour du cinéma, le considérant comme

une fenêtre ouverte sur la liberté.

Mais encore…

Lors des tournages, cette connexion

profonde avec le jeune protagoniste des

Les Quatre Cents Coups persiste, malgré

la présence imposante d’une équipe. La

solitude qui m’envahit à ce moment,

associée à une liberté démesurée,

constitue une expérience nourrie par mes

premières incursions dans les salles

obscures.

Le cri de « moteur ! » annonce le commencement

d’un moment où je me

retrouve seul, une grande solitude

partagée avec le cinéma lui-même,

lorsque je demeure devant l’écran dans

l’obscurité.

Cette solitude renforce mon amour

profond du cinéma, un amour enraciné

depuis mon enfance. L’expérience

partagée avec le jeune protagoniste des

Quatre Cents Coups et les moments de

liberté ainsi que de solitude pendant le

tournage constituent le socle de cet

amour cinématographique que je

porte en moi.

Comment votre formation à l’école

Louis-Lumière et à la Sorbonne a-t-elle

influencé votre carrière ?

Mon parcours académique a

profondément influencé ma trajectoire

cinématographique. Malgré un échec la

première fois, j’ai opté pour le cinéma à la

Sorbonne. Dans le contexte post-68, j’ai

également rejoint Vincennes, captivé par

le département tiers-monde et le cinéma

palestinien dirigé par le réalisateur et

scénariste Serge Le Péron. Ici, je me suis

épanoui à travers l’exploration du cinéma

de la lutte en Amérique latine et la mise

Octobre 2024 / Maroc

77


PAROLES À

en lumière du cinéma palestinien. En tant

que coproducteur avec Serge Le Péron,

j’ai contribué au film J’ai vu tuer Ben

Barka, produit au Maroc. Parallèlement,

ma participation à L’Olivier a marqué mon

engagement dans les premiers films

français sur le thème palestinien.

Intégrant l’école Vaugirard de cinéma

après avoir réussi le concours, j’ai suivi

une formation technique tout en

poursuivant mes études à la Sorbonne…

Cette période a été cruciale, entre

l’acquisition des aspects techniques à

Louis-Lumière assurant ma sécurité

technique, et l’essence même de l’art

cinématographique acquise à Vincennes.

Dans cet environnement révolutionnaire,

j’ai participé activement à l’ébullition du

cinéma nouveau. Ces facettes de ma

formation ont façonné ma carrière, me

conférant une perspective unique au sein

du monde cinématographique.

Quelle définition pourrait-on proposer

du cinéma ?

Le cinéma, à mon sens, constitue une

« expérience sacrée » qui se fait

LE CINÉMA, À MON SENS,

CONSTITUE UNE « EXPÉRIENCE

SACRÉE » QUI SE FAIT

INDUBITABLEMENT AU SEIN DES

SALLES OBSCURES

indubitablement au sein des salles

obscures. Il incarne la magie de 24

images par seconde, chacune revêtant le

caractère d’une vérité subjective. Plutôt

que de servir de simple fenêtre sur la

réalité, le cinéma opère une

métamorphose du réel, le transcendant à

travers les émotions et la perception

propre à l’artiste.

Dans l’acte de filmer, je façonne les

éléments, conférant une nouvelle réalité à

ce qui fut autrefois tangible. Le cinéma se

présente comme un art transcendant la

réalité, une succession de 24 vérités ou

de 24 mensonges par seconde, offrant

une vision singulière, forgée par l’artiste et

ressentie de manière personnelle par

chaque spectateur.

De quoi un réalisateur est-il porteur ?

Un réalisateur porte toute sa vie et son

expérience personnelle. Aujourd’hui, la

nouvelle génération de cinéastes se

manifeste avec des visions plus

personnelles que celles des générations

précédentes, souvent caractérisées par

des perspectives davantage orientées

vers le social. En tant que cinéaste, je

cherche à susciter le questionnement

sans imposer mon point de vue, guidant

le public vers une réflexion,

potentiellement vers une perspective

centrée sur la lutte des classes, animée

par l’humanisme, dénuée de sexisme, et

assoiffée de la quête du beau et du vrai.

Comment le cinéma peut-il être un

CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

Abdelhaï Laraki en compagnie de sa femme

Caroline Locardi qui gère et dirige les productions

de A2L Production.

78

Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

Bavarder avec Abdelhaï Laraki prend vite l’allure d’une

conversation en roue libre. Sans entraves, il navigue sur la

curiosité qu’il suscite avec liberté et sincérité

moyen puissant pour sensibiliser le

public sur des questions importantes ?

Le cinéma est le moyen le plus puissant

pour influencer. De fait, une responsabilité

envers le public s’impose. Chaque film,

envisagé comme une opportunité

d’interpeller et de susciter la réflexion,

crée un espace où le spectateur

s’approprie l’œuvre.

Guidé par le désir d’instiguer la pensée

plutôt que de transmettre un message

direct, mon approche vise à susciter une

réflexion personnelle du spectateur. Tout en

respectant sa liberté de prendre position,

mon objectif ultime est de contribuer à

l’évolution de sa pensée, caractérisant ainsi

l’essence du septième art.

Parlez-nous des défis liés à l’expression

artistique dans des sujets sensibles

En art, je ne m’impose aucune forme de

censure, bien que je m’identifie à des

restrictions internes. Au cours du

processus d’écriture, mon objectif

consiste à fédérer un vaste public autour

de ma perspective en établissant des

connexions entre mes idées et les

fondements de la nation. C’est là le

dilemme des scénaristes !

Comment travaillez-vous en tant que

scénariste ?

L’écriture du scénario est complexe :

partant d’une image, le scénario évolue à

travers le dialogue et les collaborations

(une approche enracinée dans mon passé

documentaire).

La responsabilité du réalisateur et des

intellectuels revêt une importance

considérable, car elle contribue à la création

de l’imaginaire collectif. Participer

activement à sa construction confère une

influence directe sur la perception des

individus lorsqu’ils s’immergent dans un film.

Fréquentant assidûment les salles de

cinéma au Maroc, chaque film est scruté

avec attention, offrant une

compréhension approfondie de la relation

du public avec l’écran, le cinéma, et le film

lui-même. Cette observation attentive

éclaire mon écriture, conférant à ma

vision personnelle une perspective sur la

manière dont le film peut atteindre et être

vécu par le spectateur.

L’acte d’écrire, pour moi, se teinte d’une

approche filmique, où l’image préconçue

guide la construction du scénario. Ce

processus, complexe par nature, s’articule

autour de diverses étapes, de l’image

initiale à la réalité visuelle façonnée au

montage. Bien que le scénario soit parfois

préalablement écrit, des décisions

spontanées peuvent influencer le

processus créatif lors du tournage,

illustrant l’adaptabilité nécessaire à l’art

cinématographique.

Mon expérience, dans des productions

telles que celles de Godard ou du

Franco-italien Bernardo Bertolucci (Le

dernier Tango à Paris), à l’époque où la

réalisation sans scénario préétabli était

courante, a façonné mon approche,

conciliant structure et spontanéité pour

un résultat cinématographique riche et

authentique.

Vous avez une filmographie étendue.

Fez Summer 55 est, maintenant, votre

4ème long métrage; vous avez une

dizaine de films courts et plusieurs

productions en une quarantaine

d’années d’immersion dans le bain

cinématographique. On peut dire que

vous êtes prolifique…

Les 401 coups, c’est un moyen métrage.

Puis, j’ai beaucoup de télévision : j’ai six

ou sept téléfilms, ainsi que trois séries…

Ceci dit, je ne me considère pas être

prolifique. Je prends mon temps, réalisant

en moyenne un film tous les cinq ou six

ans. Ce rythme, parfois étiré par des

raisons de force majeure, souligne ma

volonté d’accorder une attention

particulière à chaque étape du processus

cinématographique, du tournage à la

distribution. L’observation attentive des

réactions du public lors des projections

est une source de satisfaction,

contribuant à approfondir ma

compréhension des attentes et des

perceptions des spectateurs.

Une expérience marquante lors d’une

Octobre 2024 / Maroc 79


PAROLES À

CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

Une scène du Fez Summer 55 (de gauche à droite :

Oumaima Barid, Ayman Driwi et l’un des trublionsrésistants).

projection de Mona Saber a eu un impact

significatif sur ma démarche artistique.

Lorsqu’une jeune fille, après vingt minutes de

film demande à son père « qui accompagne

la Française ? » et lui rétorque par : « son

cousin, je pense ! », un éclat de rire général

s’est déclenché dans la salle. Cette anecdote,

bien qu’interprétée comme comique, a

profondément touché ma sensibilité. Cette

interaction a influencé ma décision de créer

que des films accessibles au public local.

Désormais, la compréhension et

l’appréciation de mon travail par le public

occupent une place centrale dans mes

projets cinématographiques, renforçant ainsi

le lien entre mon art et son auditoire.

On sent là affleurer une pointe de regret…

Non, en aucun cas ! Le film dépeint une

réalité où une Française, ayant résidé en

France, part à la recherche de son père

marocain disparu. Bien qu’elle ne parvienne

pas à le retrouver, elle explore un Maroc

authentique en pleine transformation,

symbolisant la période entre Hassan II et

Mohammed VI, marquée par

l’épanouissement et l’ouverture vers la

liberté. Le film célèbre cette période

charnière, rendant hommage à ceux qui ont

lutté pour la liberté. Il met en lumière un

Maroc en éveil, accueillant une Française liée

par ses origines. Cette démarche vise à

dévoiler l’ébullition sociale et l’éveil du pays à

la liberté.

Parlez-nous de la genèse du film

Fez Summer 55 …

Plusieurs expériences ont laissé une

empreinte profonde en moi, notamment la

nuit où nous avons tous vu le sultan

Mohammed Ben Youssef dans la lune

(sourire)… Ces expériences ont laissé leur

marque en moi, mais l’approche pour les

aborder me demeurait insaisissable. Lors d’un

mariage à Fès, on m’a reproché de ne jamais

avoir tourné dans ma ville natale...

Au fil de mes échanges avec ceux qui ont

vécu cette époque, des récits poignants ont

émergé, comme celui d’un jeune de dix-sept

POUR CAPTIVER LE PUBLIC, LE FILM

DEVAIT INDÉNIABLEMENT, CERTES

S’ANCRER DANS DES FAITS, MAIS

ÉLABORER UN RÉCIT RYTHMÉ PAR DES

PERSONNAGES, DES SITUATIONS ET

DES PÉRIPÉTIES

ans touché par une balle perdue ou d’un

enfant de douze ans transportant des armes

de terrasse en terrasse. Ces anecdotes ont

constitué le point de départ de l’idée centrale

du film. Ainsi, dès que l’image de cet enfant,

imprégné d’amour, confronté à la violence et

prenant conscience de la lutte pour la

libération, a surgi, le scénario s’est imposé.

Tout le reste a paru ensuite plus simple.

Les expériences douloureuses dont vous

avez eu connaissance étaient multiples,

mais les retracer ont une centaine de

minutes, relève de la gageur…

Les expériences douloureuses recueillies

étaient diversifiées, provenant d’entretiens,

de récits familiaux et de mes propres

expériences à Fès. Retracer ces récits

constituait effectivement un défi !

Il était impératif de ne pas succomber à la

tentation documentariste, évitant également

de sombrer dans l’écueil d’une démonstration

fastidieuse. Pour captiver le public, le film

devait indéniablement, certes s’ancrer dans

des faits, mais élaborer un récit rythmé par

des personnages, des situations et des

péripéties.

Ensuite, tourner à Fès fut une expérience

plaisante, offrant l’occasion de rendre

hommage à ses artisans et habitants.

Pour le casting, vous avez réuni des

acteurs expérimentés et des néophytes.

Quelle logique explique ce dosage ?

L’expérience m’importe peu ! J’ai procédé à

80

Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT : A2L PRODUCTIONS

un casting méticuleux, allant jusqu’aux

figurants, car il est essentiel pour moi de

vérifier s’ils adhèrent à ma vision.

Dans le film Mona Saber, la remarquable

Chaïbia Adraoui a joué un rôle crucial. Au

départ, une autre actrice était envisagée pour

ce personnage. Malgré son apparente

adéquation, son refus de passer une audition

a conduit à son remplacement par Adraoui.

Son audition spontanée a été une révélation.

Depuis ce moment, elle est devenue une

présence incontournable dans mes films, une

amie, une sœur. Convaincre certains acteurs

peut être complexe, mais cela ne signifie pas

qu’ils manquent de talent. Certains rôles

exigent une correspondance particulière, et

c’est ce que le public doit comprendre.

Chaïbia Adraoui, avec son talent exceptionnel,

a su faire partie intégrante de mes œuvres,

apportant sa présence significative, que ce

soit dans un petit ou grand rôle.

Les acteurs, soigneusement choisis, sont des

personnes que j’ai approchées

personnellement. Ainsi, ils sont sélectionnés

en fonction de ce qu’ils peuvent apporter à

leur personnage et à ma vision. Même si j’ai

travaillé avec certains d’entre eux

précédemment, chacun est évalué pour son

aptitude au rôle spécifique. Certains ont été

appelés, comme Tarik Boukhari, en raison de

leur adéquation naturelle avec le personnage.

Nabil Atif, par exemple, a déjà révélé son

talent dans Ali Ya Ali…

Parmi les nouveaux talents, Oumaima Barid,

la jeune actrice qui joue Aïsha, a été une

révélation. Sa performance exceptionnelle la

démarque ! Elle incarne pour moi la femme

marocaine moderne avec tout son potentiel,

ses valeurs et son caractère.

Ainsi, chaque acteur, qu’il soit amateur ou

expérimenté, est soigneusement évalué, puis

choisi pour son rôle spécifique. Ma démarche

va au-delà des simples compétences,

cherchant une connexion plus profonde entre

l’acteur, le personnage et ma vision. C’est un

processus délibéré et sélectif qui aboutit à

une distribution soigneusement orchestrée,

enrichissant ainsi chaque film d’une présence

authentique et significative.

Parlons de votre approche de la caméra.

Vous adoptez une manière compulsive,

comme s’il y avait un état d’urgence ;

comme si vous étiez mû par une hâte de

montrer, un besoin impérieux de

témoigner…

Une grande partie de l’œuvre se déploie à

travers les yeux de l’enfant, une vision

souvent à sa hauteur, dans laquelle la

caméra, nerveuse, capture les agitations.

Chaque scène, à l’exception de quelquesunes,

est tissée à partir du prisme de

l’enfant, son regard en ébullition dans les

ruelles de la médina, lors des barrages de

police, dans ses courses effrénées sur les

terrasses. Une caméra qui capture la réalité

avec une intensité nerveuse, une

impression cinématographique où chaque

plan, chaque mouvement est pensé comme

une émotion viscérale.

Abdelhaï Laraki n’hésite pas à retourner sa veste de

réalisateur pour se muer en directeur d’acteurs

Les rares moments de pause, avec un

travelling ou un plan fixe, sont comme des

respirations, permettant au spectateur de

contempler l’architecture des maisons, des

riads, des intérieurs. Un jeu de lumière posé,

stable, révèle des havres de paix derrière les

portes closes, illustrant la dichotomie entre

l’intérieur protégé et l’extérieur tumultueux.●

Octobre 2024 / Maroc

81


PAROLES À

Au début, Il fallait

développer tout un

travail de médiation

culturelle qui était

quasi inexistant

C’est au café de la cinémathèque

de Tanger que son infatigable

vice-prési d e n t e M a l i ka

Chaghal, dont la carrière est

marquée par un engagement

profond pour l’éducation à

l’image, nous accueille. Entre

le cliquetis des tasses et les

discussions enchevêtrées des

clients et visiteurs, Malika nous

parle de son parcours, des

métiers d’exploitation et de

distribution au Maroc et de la

plus-value de ce cinéma

emblématique dans le paysage

cinématographique marocain.

INTERVIEW MENÉE PAR SALMA HAMRI

CRÉDIT PHOTO : ALEXANDRE CHAPLI - BOXOFFICE MAROC

Malika Chaghal, vice-présidente de la Cinémathèque de Tanger

82

Maroc / Octobre 2024


Parlez-nous de votre parcours.

J’ai fait des études de lettres

modernes en France avant de

démarrer ma carrière dans le

domaine culturel, dans la

musique, Je suis arrivée un peu par

hasard dans le cinéma au début des années

2000. J’ai été directrice de deux cinémas

en région Île-de-France, Galilée à Argenteuil

(un complexe de 4 salles) et L’Etoile à

la Courneuve. J’ai ensuite vu qu’en 2012 la

cinémathèque de Tanger recrutait un(e)

délégué(e) général(e). J’ai postulé et c’est

comme ça que j’ai traversé la Méditerranée

pour venir m’installer à Tanger et assurer

la gestion de la cinémathèque, qui a

comme particularité le fait d’être une association

à but non lucratif qui ne reçoit aucune

aide étatique, et se finance par ses propres

ressources, à savoir la billetterie, le café et

la privatisation de l’espace pour des évènements.

J’ai toujours travaillé dans des

cinéma Art et Essai, qui mettent en avant

le cinéma d’auteur et font du travail d’éducation

à l’image et d’animation culturelle,

et mon travail au sein de la cinémathèque

va dans ce sens. Au début, Il fallait développer

tout un travail de médiation culturelle

qui était quasi inexistant.

En quoi consiste la gestion de la

cinémathèque de Tanger ?

C’est d’abord avoir une ligne éditoriale précise

pour offrir une programmation riche et

singulière, et fournir une éducation par

l’image. On travaille beaucoup avec les

écoles, les universités et les associations.

Nous allons souvent chercher les publics

éloignés de la culture, dans les quartiers

excentrés, et nous les ramenons au cinéma

pour qu’ils découvrent des films de tous

genres et toutes nationalité. Ce travail de

médiation est primordial.

L’offre cinéma au Maroc est essentiellement

axée sur les films commerciaux et blockbusters,

en d’autres termes, les films qui

ramènent de l’argent. A la cinémathèque,

c’est un travail différent qu’on fait. On montre

des films des quatre coins du monde en version

originale. On peut passer du documentaire,

au drame, aux films d’animation et films

de répertoire, et on fait également un travail

de collecte, de conservation et de valorisation

de films.

Mon travail consiste aussi à aller chercher

de l’argent pour pouvoir financer les films

que je veux projeter, d’ailleurs le modèle

économique de la cinémathèque repose en

grande partie sur les partenariats que nous

mettons en place avec les distributeurs de

IL Y A UN INTÉRÊT GRANDISSANT

POUR LES FILMS D’AUTEUR QUI SONT

D’AILLEURS DE PLUS EN PLUS

PROJETÉS DANS LES GRANDES

SALLES DE CINÉMA, ET C’EST

RÉCONFORTANT.

films ou les organismes comme l’Institut français,

Cervantes, Le Goethe-Institut …

Comment fonctionne le processus de

programmation des films à la

cinémathèque de Tanger ?

En France, la programmation est hyper simple.

Tu as une liste de toutes les sorties (et au

moins 20 films sortent par semaine) et il faut

ensuite juste voir qui distribue le film puis

appeler le distributeur puis programmer le

film, après une simple négociation en fonction

du nombre de séances… Au Maroc, ca

diffère dépendamment du lieu de distribution

du film. Quand le film est distribué au Maroc,

j’appelle directement son distributeur au

Maroc pour négocier. Par exemple, pour le

film Back to Black, qui est actuellement dans

les salles de cinéma au Maroc, c’est Megarama

qui fait sa distribution. Je l’appelle donc

pour programmer le film à la Cinémathèque.

Dans ce cas, on fait un partage de recette.

Chez moi tu vas payer la place à 40 dirhams.

La première semaine de programmation ça

sera du 50/50 entre le distributeur (Megarama)

et l’exploitant (La Cinémathèque), donc

20 dirhams chacun. C’est ensuite dégressif,

la deuxième semaine je vais donner 55 % des

recettes au distributeur et garder 45 % etc...

Il y a ensuite ce qu’on appelle les bordereaux

de recette. Toutes les caisses des salles de

cinéma sont normalement numérisées en lien

avec le Centre cinématographique marocain

(CCM). Toutes les fins de journée le CCM sait

combien de place ont été vendues, à quel

prix et pour quel film, et à la fin de chaque

semaine cinématographique tu dois donner

les bordereaux de recette au distributeur. Et

là-dessus il fait le partage avant de t’envoyer

la facture.

Comment ça se passe quand le

distributeur n’est pas au Maroc ?

Dans ce cas, il faut chercher les ayants droit.

Ce sont généralement les producteurs. Une

fois trouvés, tu négocies avec eux pour qu’ils

te vendent le film. Typiquement il y a eu une

remasterisation du film culte La cité de Dieu.

J’ai acheté le film auprès des ayants droits

et que je vais le projeter au mois de mai, six

séances au total. Pour le film Parasite qu’il

fallait absolument que projette, j’ai dû appeler

l’ambassade de Corée au Maroc pour

qu’ils m’aident à trouver les ayants droits.

J’ai ensuite réussi à négocier avec un distributeur

français. Un autre exemple : les

droits du film français Little Girl Blue avaient

été achetés par l’Institut français, ce qui

nous a donc facilité la tâche. C’est au cas

par cas, mais c’est souvent super compliqué.

Pour les recettes il n’y a pas de partage,

tout me revient mais souvent je paye

cher les films et les recettes ne sont pas

équivalentes à ce que j’ai payé projeter le

film chez moi. Ça peut aller de 300/ 500

euros la séance jusqu’à 1000 euros. C’est

horriblement cher.

Vous avez distribué le film de Asmae

El Moudir, La Mère de tous les

mensonges. Comment avez-vous atterri

dans la distribution ?

Il y a plusieurs années, je voulais projeter

un film palestinien pour enfants à la Cinémathèque.

J’ai donc contacté les distributeurs

Pyramide Films qui m’avaient proposé

1800 euros pour une dizaine de séances.

J’ai répondu « non à ce prix-là j’achète le

film et je le garde toute l’année et je le distribue

au Maroc ». C’est ce que j’ai fini par

faire et c’est comme ça que je me suis lancée

dans la distribution, sauf que quand je

m’y suis mise, les films que je distribuais

(principalement des films d’auteurs) n’intéressaient

pas les autres salles de cinéma.

J’ai donc arrêté car je distribuais souvent à

perte. J’ai repris depuis peu la distribution,

parce que les salles s’ouvrent maintenant

à plusieurs types de programmations, et

c’est réconfortant. Il y a un intérêt grandissant

pour les films d’auteur qui sont d’ailleurs

de plus en plus projetés dans les

grandes salles de cinéma, je parle notamment

du film de Asmae El Moudir La Mère

de tous les Mensonges, ou encore d’Anatomie

d’une Chute de Justine Triet, etc... ●

Octobre 2024 / Maroc

83


PAROLES À

CRÉDIT : MAP

MOHAMED KHOUNA

« NOUS DEVONS

ÊTRE CRÉATIFS ET

INNOVANTS POUR

ATTIRER LE PUBLIC VERS

LES SALLES DE CINÉMA »

Mohamed Khouna, président de la Commission

d’aide à la numérisation, la modernisation et

la création des salles de cinéma du Centre

Cinématographique Marocain (CCM), partage

sa vision audacieuse concernant la création de

150 salles pour revitaliser la consommation

cinématographique.

INTERVIEW MENÉE PAR REDA K. HOUDAÏFA

Qu’est-ce qui vous a motivé à revenir au

Maroc et à vous engager dans la promotion

du cinéma ?

Je suis Marocain, bien que né en France. En

tant que Marocain résidant à l’étranger, le

souhait de contribuer au développement du

pays est naturel. Ma passion pour le cinéma

m’a poussé à apporter mon expertise à la

scène marocaine.

Parlez-nous du projet de création de 150

salles de cinéma en collaboration avec le

ministère de la Jeunesse, de la Culture et

de la Communication.

L’objectif est de revitaliser la consommation

cinématographique au Maroc en promouvant

l’éducation par l’image. Le cinéma, à

ses débuts, était une forme d’éducation

visuelle, et il est primordial de réintroduire

cette perspective. Nous voulons sensibiliser

la jeunesse à travers les maisons de

culture et autres moyens, afin de créer une

nouvelle génération de cinéphiles.

Est-ce ainsi que vous envisagez de créer

des cinéphiles au Maroc, en particulier

chez la jeunesse ?

Comme cité auparavant, il est nécessaire de

rétablir une éducation cinématographique. Par

le biais de ciné-clubs, de cinémathèques et de

médiathèques, il est possible de susciter des

discussions et des débats autour du 7ème art.

La démarche vise à retrouver l’engouement

d’antan, où les salles de cinéma étaient des

lieux de rencontres et d’échanges culturels.

La Commission d’aide à la numérisation,

la modernisation et la création des salles

de cinéma est une instance d’allocation

des budgets à des projets, après examen.

84 Maroc / Octobre 2024


Mohamed Khouna, président de la Commission d’aide à la numérisation.

Procède-t-elle selon des critères objectifs,

précis, connus ?

Les critères d’allocation des budgets sont définis

par des circulaires du CCM, couvrant la

rénovation de salles mythiques, la création de

nouvelles salles et la numérisation pour accompagner

les salles existantes. Les dossiers sont

examinés attentivement, et la commission veille

à respecter les normes établies.

Vous donnez plus d’importance aux

régions dans le développement cinématographique…

Actuellement, la concentration des salles de

cinéma est limitée à certaines grandes villes,

et il est essentiel de diversifier cette répartition.

Cela pourrait créer des synergies et

encourager la création d’exploitants-distributeurs

locaux, tenant compte des spécificités

culturelles de chaque région.

OUVRIR UNE SALLE DE CINÉMA

NÉCESSITE UNE PLANIFICATION

MÉTICULEUSE, AVEC UN ACCENT SUR

LA PROGRAMMATION ET LA PROMOTION

Quels sont les défis liés à l’ouverture de

nouvelles salles de cinéma ?

Les coûts et la logistique sont des défis

importants. Les budgets alloués par le ministère

sont un soutien, mais les promoteurs

doivent compléter avec des fonds d’investissement,

des prêts bancaires ou des ressources

personnelles. Ouvrir une salle de

cinéma nécessite une planification méticuleuse,

avec un accent particulier sur la programmation

et la promotion pour garantir le

succès à long terme.

Avez-vous songé à une stratégie de

tarification plus flexible pour permettre à

un public plus large de profiter des

projections ?

Le ministre avait déploré à maintes occasions,

plusieurs faillites paralysant encore le

cinéma au Maroc, particulièrement celles

relatives à la politique tarifaire. Des tarifs qui,

selon lui, ne correspondent malheureusement

pas au pourvoir d’achat des Marocains.

Ces 150 salles seront accessibles à un tarif

compris entre 15 à 20 dirhams.

Octobre 2024 / Maroc

85


PAROLES À

CRÉDIT : MAP

Mohamed Khouna au Festival International du

Film de Marrakech

Vous percevez

des changements

dans le cinéma

marocain ?

Il est indéniable que notre cinéma évolue

dans un sens favorable. Nous avons de

plus en plus de cinéastes pétris d’un

indiscutable talent. Le pas peut

s’enorgueillir. Car ils en sont la fierté. De

fait, je reste optimiste quant à l’avenir du

cinéma au Maroc. Nous avons les moyens

et la volonté nécessaires, ainsi que

l’engagement de tous les acteurs du

secteur est crucial. C’est un projet

collectif, et nous devons travailler

ensemble pour son succès.

Par ailleurs, la plus petite salle compte 200

places ; en tout, pour les 55 salles prêtes d’ici

fin janvier, 24 000 fauteuils sont prévus. Elles

seront toutes équipées de projecteurs numériques

de grande qualité, de la marque Christie,

avec un système son et un serveur.

CREDIT : DR

Comment envisagez-vous la concurrence

avec les plateformes de streaming ?

Les plateformes de streaming offrent une

accessibilité et une diversité de contenus,

mais elles ne peuvent pas remplacer l’expérience

collective et sociale du cinéma en

salle. Pour rester pertinents, nous devons travailler

sur la qualité de l’expérience en salle,

la diversité de la programmation et la promotion

des films marocains et africains. C’est un

défi, mais aussi une opportunité, et nous

devons être créatifs et innovants pour attirer

le public vers les salles de cinéma.

Qu’en est-il de la collaboration avec les

réalisateurs et producteurs marocains ?

Cette collaboration est essentielle. Nous

devons travailler ensemble pour promouvoir

le cinéma marocain, soutenir la création locale,

et encourager les talents émergents. Organiser

des événements, des rencontres, et des

ateliers favorisera les échanges et la collaboration.

Le cinéma est une chaîne, et tous les

maillons de cette chaîne sont importants. Nous

devons créer une dynamique positive pour

que le cinéma marocain rayonne à l’échelle

nationale et internationale.

Ne trouvez-vous pas que la qualité

n’accompagne pas toujours la

quantité ?

J’admets que la qualité fait parfois défaut. Pour

autant convient-il de faire la fine bouche ? Pour

ma part, je reste admiratif devant cette profusion

de talents, cette inventivité et cette créativité…

Autant de gage du merveilleux élan pris

par le Maroc.

Quelles actions peuvent contribuer à la

croissance de l’industrie cinématographique

au Maroc ?

Une approche holistique impliquant toutes

les parties prenantes. La communication

accrue, le partage des problèmes, et une

écoute réciproque contribuent à créer une

dynamique positive, favorisant le progrès et

le développement de l’industrie cinématographique.

Qui plus est, encourager la diversité

culturelle, créer des synergies entre les

régions, investir dans la qualité artistique, et

rechercher des partenariats internationaux

Mohamed Khouna (à gauche) avec le ministre de la

Culture, Mehdi Bensaid (à droite), lors de sa nomination.

afin de compenser les limitations des financements

locaux sont des éléments clés pour

un écosystème cinématographique florissant

au Maroc.

Les résultats ne sont pas toujours immédiats,

et une vision à long terme est nécessaire pour

évaluer le succès d’initiatives telles que la

création de nouvelles salles de cinéma.

Un dernier mot ?

Il est crucial de trouver un équilibre entre la

préservation de l’identité culturelle et l’ouverture

à des perspectives plus universelles. Les

festivals jouent un rôle clé en permettant aux

films marocains de rayonner à l’international

tout en restant ancrés dans leur contexte d’origine.

La diversité des films présentés dans

ces festivals contribue à une compréhension

plus riche de la culture marocaine. ●

86 Maroc / Octobre 2024


MAG'

Octobre 2024 / Maroc

87


MAG'

2023

L’ANNÉE DE

MOISSON POUR

ASMAE EL MOUDIR

Une expérience visuelle poignante qui transcende le cinéma

traditionnel et tutoie les sommets. Il n’y a pas d’autres mots

pour qualifier le film de Asmae El Moudir « La Mère de tous les

mensonges», dont le succès fait boule de neige à l’international et

continue de faire écho au Maroc une année après avoir

décroché la première Etoile d’or marocaine au Festival

international du film de Marrakech.

PAR SALMA HAMRI

CRÉDIT : ASMAE EL MOUDIR / INSTAGRAM

Elle a commencé à l’écrire en 2013,

s’est battue pour obtenir des financements

et a pris 10 ans pour faire mûrir

un projet qui est aujourd’hui shortlisté dans

la course aux Oscars 2024. Une deuxième

pour le cinéma marocain et une reconnaissance

du talent et de l’audace d’une nouvelle

génération de cinéastes du pays.

Présenté à deux reprises aux Ateliers de l’Atlas,

The Mother of All Lies y a obtenu le prix

au développement en 2019 et le prix à la

post-production en 2021. Il fait en mai 2023

sa première mondiale à Cannes, où il reçoit

le prix de la mise en scène dans la catégorie

« Un certain regard » ainsi que l’Œil d’or

ex-æquo avec Les Filles d’Olfa, de Kaouther

Ben Hania, et remporte en juin le premier

prix du 70ème Festival du film de Sydney.

Asmae El Moudir marque quelques mois plus

tard l’histoire du Festival international du Film

de Marrakech (FIFM) en décrochant le 2

décembre dernier la première Étoile d’or

marocaine en 20 ans de festival ; puis le 13

décembre le prix de la meilleure réalisation

aux IDA Documentary Awards à New York.

Si elle clôture 2023 en apothéose, une

année d’ivresse s’annonce pour Asmae El

Moudir qui travaille déjà sur son deuxième

long métrage dans le cadre de la 46ème

résidence du Festival de Cannes qui

accueille du 1er octobre 2023 au 15 février

2024 six réalisateurs.

En attendant le 10 mars, date des prochains

Oscars, Asmae El Moudir enchaine les pro-

2023

26 MAI

Prix de la mise en

scène - section Un

certain regard

27 MAI

L’Œil d’or ex-æquo

avec Les Filles d’Olfa,

de Kaouther Ben Hania

18 JUIN

Premier Prix au

Festival du Film

de Sydney

88

Maroc / Octobre 2024


jections aux États-Unis et continue de faire voyager

son film autour du monde en alignant les

récompenses et nominations à l’international.

Le documentaire est d’ailleurs pogrammé dans

les salles marocaines à partir du 21 février et

sera projeté en France une semaine plus tard.

Une Asmae El Moudir comblée

au Festival international du film

de Marrakech, en compagnie de

sa mère et sa grand-mère,

personnage central du

documentaire.

The Mother of All Lies se distingue par le choix

de la réalisatrice d’utiliser des figurines, notamment

celle de sa grand-mère, qui a une place

centrale dans le récit, et une maquette du

quartier de son enfance casablancaise pour

narrer un passé familial truffé de non-dits sur

CRÉDIT : MAP

SI ELLE

CLÔTURE 2023 EN

APOTHÉOSE, UNE

ANNÉE D’IVRESSE

S’ANNONCE POUR

ASMAE EL MOUDIR

QUI TRAVAILLE

DÉJÀ SUR SON

DEUXIÈME LONG

MÉTRAGE

fond d’une métropole ébranlée par les émeutes

du pain de 1981.

Une photo retrouvée par la cinéaste chez

ses parents déclenche ce processus d’investigation

durant lequel la réalisatrice interroge

les petits mensonges qu’on lui a

raconté à travers un dispositif ingénieux qui

mêle documentaire et fiction et auquel la

pluie de récompenses confère toute sa légitimité.●

26 OCTOBRE

Prix du meilleur documentaire

international au Festival

international du film de Bergen

28 OCTOBRE

Prix du meilleur

documentaire - section

Temps d’Histoire

12 DÉCEMBRE

Prix de la meilleure

réalisation aux IDA

Documentary Awards

L’Etoile d’Or au Festival

International du Film de

Marrakech

4 DÉCEMBRE

Octobre 2024 / Maroc

89


MAG'

EFFETS SPÉCIAUX

QUAND LE CINÉMA

MAROCAIN

RIVALISE

STUDIOS

AVEC

LES GRANDS

HOLLYWOODIENS

En 2024, le cinéma marocain se renouvelle, et se

distingue par sa créativité en offrant aux spectateurs

une expérience unique truffée d’effets visuels. « Animalia

», en compétition officielle au Festival national du film de

Tanger et « Mon père n’est pas mort » font partie de ces

films. Plongée dans la fabrique des effets spéciaux au Maroc.

PAR YACINE KAOUTI

CRÉDIT : WRONG FILMS

Boulevard Rahal Meskini, dans un

immeuble du centre-ville casablancais.

Une petite plaque signale discrètement

l’entrée de Free Monkeyz, l’un

des seuls studios dédié à la post-production

au Maroc. L’appartement refait à neuf, cache

bien des secrets. Posés sur un comptoir, des

numéros des magazines Mad Movies, Cinema

Teaser ou So film aiguisent autant notre curiosité

que le nombre d’affiches de films marocains

ayant tous eu leur post-production ici.

Dans une grande salle à coté, plusieurs monteurs

s’activent, on y aperçoit même une réalisatrice

venue superviser la post-production

de son prochain long-métrage. « Ici c’est l’endroit

que j’ai rêvé d’avoir », pour Julien Fouré

co-fondateur de Free Monkeyz avec son acolyte

Youssef Barrada, la création d’un studio

de post-production s’est rapidement imposée,

car « ce que l’on oublie souvent, c’est

que dans la post-production, il y a plusieurs

métiers. Et on a voulu reprendre cette chaîne

qui était cassée au Maroc ».

Oumaima Barid dans Animalia réalisé par Sofia Alaoui.

Car si plusieurs films marocains voient une

partie de leur post-production se faire en

dehors du Maroc, ce n’est plus totalement

90

Maroc / Octobre 2024


VFX breakdown

de la scène du

rêve du film «

Mon père n’est

pas mort ».

Réalisé par Adil

Fadili.

CRÉDIT : ADIL FADILI / FREEMONKEYS

CRÉDIT : ADIL FADILI / FREEMONKEYS

le cas aujourd’hui, et les compétences marocaines

n’ont plus à rougir face à celle des

étrangers. Le premier film de Adil Fadili,

Mon père n’est pas mort, préparé sur près

de 10 ans, et qui a remporté six trophées

lors de la dernière édition du festival national

du film de Tanger, a été post-produit

chez Free Monkeyz. Un sacré défi pour un

film marocain, tourné à moitié en studio, et

avec plusieurs séquences contenant des

effets spéciaux.

« Une fois qu’Adil avait fini le premier bloc,

on s’est posé, il avait fait son pré-montage,

on a resserré, on a commencé à analyser

les plans qui allaient devoir être truqués, et

on a fait ça sur chaque bloc. C’était une

réelle collaboration. J’aime beaucoup les

réalisateurs perfectionnistes comme lui, car

nous étions capable de changer le fond

quatre fois derrière la fenêtre, parce qu’il

AVOIR UN FOND D’AIDE QUI SERAIT DÉDIÉ

À LA POST-PRODUCTION CHANGERAIT LA

DONNE ET NOUS PERMETTRAIT DE FAIRE DE

MEILLEURS FILMS

fallait que ce soit le plus réaliste possible »,

explique notre interlocuteur.

Julien Fouré a dû également faire face à un

vrai challenge, quand il a fallu revoir l’une

des séquences les plus importantes du film.

« Lorsque j’ai monté la séquence du rêve et

du Pégase, c’était une séquence à 18 plans

et je regarde Adil, et je me dis, comment on

peut monter ça ? C’est du full compositing,

avec ce qui est le plus difficile à faire, créer

une créature avec du poil », se rappelle-t-il.

Aujourd’hui, chez Free Monkeyz, comme

ailleurs, l’intérêt est d’être là dès le début,

de pouvoir superviser les séquences en

amont et en préparation du tournage est

crucial. « On arrive des fois à la fin comme

des pompiers, superviseur de post-prod ou

superviseur de VFX, c’est à inclure dans le

budget de tournage », confie Julien Fouré.

Beaucoup de souvenirs cinématographiques

n’existeraient pas aujourd’hui sans cette

industrie des effets spéciaux, qui nous

Octobre 2024 / Maroc

91


MAG'

CRÉDIT : FREEMONKEYS

offrent par la même occasion un monde de

possibilités pour la narration, et

l’exploration de nouveaux genres de cinéma.

C’est le cas, d’Animalia, le premier long

métrage de Sofia Alaoui, drame fantastique

hanté par la présence de forces surnaturelles,

et road-movie mystique d’une jeune

femme enceinte jouée par Oumaima Barid

(en couverture de notre édition de ce mois)

La réalisatrice nous plonge dans un univers

propre à elle, et brouille les pistes du genre

cinématographique.

CRÉDIT : FREEMONKEYS

Un triporteur en plein milieu des routes montagneuses,

un oiseau mystérieux, et des animaux

qui se comportent étrangement, puis

une grande vague qui se lève prête à tout

emporter dérrière elle. C’est un peu ça Animalia

de Sofia Alaoui. « Je ne voulais pas vraiment

faire un film d’effets spéciaux. Je me

méfiais beaucoup de ça, mais comme c’est lié

à la thématique du film... Ce rapport à la nature,

et au monde dans lequel on est, du coup je

n’avais d’autres choix que d’utiliser des effets

spéciaux », nous dit la jeune réalisatrice dont

le premier film a remporté un prix lors de la

dernière édition du festival de Sundance.

VFX breakdown de Abdelinho

de Hicham Ayouch.

Les effets spéciaux sur Animalia ont été

confiés à MPC, l’un des studios les plus importants

de VFX dans le monde et ont été supervisés

par Arnaud Fouquet, qui a reçu par ailleurs

une nomination aux Césars. « On a fait

un storyboard et nous nous sommes envoyés

beaucoup de références avec Arnaud. Sa

présence sur le plateau de tournage m’a été

d’une aide précieuse ». Sofia Alaoui, ne s’en

cache pas. « On a eu les moyens et des pro-

CRÉDIT : WRONG FILMS

Scène de la vague dans Animalia.

92 Maroc / Octobre 2024


VFX Breadown du film Animalia.

CRÉDIT : MPC FILMS

ducteurs nous ont suivi pour mettre de

l’argent sur les effets spéciaux du film ». Une

chance que n’ont pas d’autres productions

marocaines, qui voient toujours la post-production

comme l’un des parents pauvres de

la chaine de production d’un film.

Pour Julien Fouré de Free Monkeyz, les films

marocains n’ont pas assez d’argent pour

leurs ambitions, ce qui impacte de manière

plus directe la post-production et l’ambition

de pouvoir faire des VFX dans des films.

« Quand un film a besoin de huit millions de

dirhams, le Centre cinématographique marocain

en remonte quatre, et tout l’argent part

en règle général sur le tournage. Pour la

LES EFFETS

SPÉCIAUX SUR

ANIMALIA ONT ÉTÉ

CONFIÉS À MPC,

L’UN DES STUDIOS

LES PLUS

IMPORTANTS DE

VFX DANS LE

MONDE

post-production, tu te dis, on verra après »,

étaye Fouré. Un constat pessimiste, mais qui

n’empêche pas le fondateur de Free Monkeyz

d’avoir une lueur d’espoir pour l’avenir,

lui qui est en pleine post-production, de Atoman,

un film de superhéros marocain, et qui

nécessite un des budgets VFX les plus importants

du cinéma marocain.

« Aujourd’hui on est de plus en plus ambitieux

en effets spéciaux, sons, bruitages, et

avoir un fond d’aide qui serait dédié à la

post-production, et qui pourrait tout simplement

être calculé sur des scénarios, changerait

la donne et nous permettrait de faire

de meilleurs films », préconise Julien Fouré.

CRÉDIT : MUSTAPHA RAZI / BOXOFFICE MAROC

Le film de Sofia Alaoui a quant à lui été épargné

de ces difficultés. « J’ai fait mes effets

spéciaux en France car il y avait un système

de financement qui le voulait, avec la possibilité

d’obtenir des aides pour les effets spéciaux

», nous glisse Sofia Alaoui. Un financement,

qui aura permis aux équipes

d’Animalia de travailler les effets spéciaux

sur près de 84 plans.

Comme la vague qui surgit dans Animalia,

celle des effets spéciaux dans le cinéma

marocain est prête à prendre de l’ampleur.

Permettant aux cinéastes marocains de pouvoir

raconter des histoires plus audacieuses

et impressionnantes visuellement. Amen.●

Julien Fouré, à la tête de l’agence

casablancaise Free Monkeyz, spécialisée

dans la conception d’effets spéciaux.

Octobre 2024 / Maroc

93


MAG'

LA RELATION

TUMULTUEUSE

ENTRE CINÉASTES

ET CRITIQUES

La plupart des cinéastes répondent immédiatement que les

critiques de cinéma sont indispensables. Mais quand on les presse

d’approfondir leur appréciation, des qualificatifs désobligeants

surgissent. Les critiques de cinéma seraient incultes, désinvoltes,

malveillants, intéressés...

DOSSIER RÉALISÉ PAR REDA K. HOUDAÏFA

CRÉDIT : BOXOFFICE MAROC

Une critique se présente comme une analyse aiguisée, un

jugement éclairé porté sur une œuvre. Elle permet de

cerner les points forts et les points faibles d’un film.

94 Maroc / Octobre 2024


CRÉDIT : FICAM

Si l’expression d’une opinion sur un film est accessible à tous, le

métier de critique requiert des compétences et un savoir-faire

spécifiques. Il ne suffit pas d’apprécier ou de ne pas apprécier une

œuvre pour en proposer une analyse critique de qualité.

Lieu de jonction entre l’information, supposée

objective, et l’opinion, intrinsèquement

subjective, la critique s’applique

à remplir cette double fonction :

inspirer aux lecteurs le désir de voir un film,

leur éviter de voir tel autre, tout en les renseignant.

Immense responsabilité que les

critiques entendent assumer pleinement,

librement, fermement.

Pendant que les créateurs mettent en avant

une conception distincte. Toute bonne critique,

clament-ils, est descriptive, parce que

le rôle du critique est exclusivement un rôle

d’information. S’il s’aventure hors de ce territoire,

il s’engage dans un terrain glissant

où il risque de laisser des plumes.

Un critique, nous disait un réalisateur en vue,

doit être un metteur en lumière, jamais un

metteur en ombre. Et de nous citer Jean-

Louis Bory, qui possédait ce don inestimable

de s’enthousiasmer et de savoir faire partager

ses passions. Rares sont nos critiques,

ajoute notre interlocuteur, qui sont à même

d’aimer et de défendre ce qu’ils aiment. La

plupart s’enferrent dans le dénigrement systématique,

la démolition obstinée, la formule

manière incendiaire. En bref, la critique

s’exerce surtout de manière négative.

Un mauvais accueil critique influerait-il sur

la carrière d’un film ? Sur ce point essentiel,

les cinéastes s’accordent à penser que non.

La critique n’aurait, selon eux, aucun effet

ni positif ni négatif sur le destin d’une œuvre.

L’unanimité ne suffit pas à faire marcher un

film si celui-ci ne bénéficie pas d’un lancement

publicitaire, la diatribe ne saurait desservir

un film efficacement mis en place.

Une interrogation affleure : « Pourquoi les

réalisateurs sont-ils tant sensibles à la presse

? ». Par narcissisme, tout d’abord. En choisissant

de révéler sa création, alors que personne

ne l’y a contraint, le créateur se soumet

à l’opinion d’autrui. Celle-ci lui importe

grandement, question d’égo.

Narcissisme, mais surtout enjeu. L’image du

metteur en scène, celle qu’en donne la critique,

demeure auprès des guichets de financement

hyperdéterminante pour la suite

d’une carrière. Certes, les critiques ne contribuent

nullement au succès d’un film, il n’en

demeure pas moins qu’ils apportent leur

pierre à la notoriété d’un auteur. Ce qui n’est

pas négligeable.

Un fossé entre critiques et spectateurs

Une certitude acquise : les goûts des critiques

diffèrent radicalement de ceux des

EN CHOISISSANT DE RÉVÉLER SA

CRÉATION, ALORS QUE PERSONNE NE L’Y

A CONTRAINT, LE CRÉATEUR SE SOUMET

À L’OPINION D’AUTRUI

spectateurs. Les uns, engoncés dans les

préjugés théoriques et les querelles d’école,

ne jurent que par des « œuvres », les autres

se précipitent sur un cinéma qui parle d’eux,

se gavent d’images qui ne sont pas coupées

de leur vie, se délectent de mots qui sont

les leurs. Les premiers vitupèrent « ce terrible

appel vers le bas que constitue le goût

du public », lequel fait bon marché de leurs

jugement et s’en va applaudir des deux mains

ce qu’ils ont descendu en flammes.

De là à conclure que la critique ne sert à

rien, ou comme se plaît à dire un critique,

reprenant le mot d’André Bazin, que l’essentiel

du plaisir que lui procure la critique provient

justement de l’inutilité de cette pratique,

il n’y a qu’un pas que nous nous

garderons de franchir. Poser péremptoirement

leur inutilité reviendrait à prétendre

que le langage cinématographique est si

limpide qu’il pourrait faire l’économie d’un

décryptage. Cela signifierait également que

le cinéma marocain, longtemps mis sous

l’éteignoir, aurait eu sa place au soleil sans

l’action généreuse et militante de la critique

dans les années soixante et soixante-dix.

Des auteurs comme Tazi, Noury, Lagtaa,

Chraibi.... aujourd’hui reconnus, auraient-ils

émergé de l’anonymat dans lequel ont les

confinait, sans la contribution de la presse

? Des distributeurs se seraient-ils intéressés

à des jeunes comme Nabil Ayouch, Nour-Eddine

Lakhmari, Faouzi Bensaïdi... tous créateurs

d’œuvres qui n’appartiennent pas au

courant dominant, si les critiques n’avaient

pas attiré l’attention sur eux ?●

Octobre 2024 / Maroc

95


MAG'

LES DEUX VIES

DU CINÉ ALCAZAR

Initialement inauguré comme théâtre, le cinéma Alcazar a brillé de toute sa splendeur à Tanger,

Initialement inaugure comme theatre, le cinema Alcazar a brille de toute sa splendeur a Tanger, avant

de connaitre une periode sombre qui l’a condamne a fermer ses portes. Le cinema dont la facade a

figure sur le film « The Sheltering Sky » de Bernardo Bertolucci, renait de ses cendres en 2022 pour

redevenir un havre de paix pour les cinephiles. Retour sur les deux vies d’une salle emblematique de

la ville du Detroit qui accueille du 18 au 26 octobre le Festival national du film de Tanger.

PAR SALMA HAMRI - CRÉDIT PHOTOS : ALEXANDRE CHAPLIER - BOXOFFICE MAROC

Érigé au cœur de Tanger, entre le jardin

de la Mendoubia et la tombe d’Ibn

Battuta, le ciné Alcazar a été fondé en

1913 par un commerçant juif d’origine andalouse

qui envisageait cet espace comme un

centre de divertissement pour les habitants

du centre-ville. Le Cinéma Alcazar (initialement

Teatro Alcazar) a d’abord été un théâtre

avant de devenir une des premières salles

de cinéma au Maroc.

La salle a d’ailleurs accueilli

de nombreuses troupes

de théâtre mais aussi

des chanteurs de

renom. En 1917, afin de concurrencer deux

salles de cinéma qui avaient ouvert leurs

portes à quelques mètres du Teatro Alcazar

(le Capitol et l’American Cinéma), les propriétaires

décident de transformer cet

espace en cinéma. Le Teatro Alcazar devint

ainsi le Ciné Alcazar.

Doté de deux entrées distinctes, l’une permettant

d’accéder aux loges et au balcon

et l’autre à l’orchestre, le cinéma pouvait

accueillir jusqu’à 700 spectateurs. On y

projetait dans un premier temps des films

muets et les images étaient accompagnées

par la musique d’un pianiste qui jouait derrière

l’écran.

Des pellicules inédites y étaient montrées,

ainsi que certaines premières images cinématographiques

en couleurs dans les

années 1930, relatent des habitués

du cinéma. Les années suivantes,

le ciné Alcazar

s’est distingué par sa

programmation

éclectique, attirant

des films internationaux de tous genres.

« Cette petite salle, malgré sa capacité limitée,

était devenue un lieu incontournable

de la vie artistique tangéroise, offrant aux

jeunes un précieux accès au cinéma mondial

et une initiation aux principes de base

du septième art », nous assure Aïcha Msaidi,

la vice-présidente de l’Association TanjAflam,

qui assure actuellement la gestion du cinéma

Alcazar,

Dans les années 30, malgré l’avènement de

cinémas offrant une capacité plus importante,

notamment le Rex (Cinéma Rif), le

Roxy, le Goya et le Mauritania, la popularité

du Ciné Alcazar resta intacte. Il fut même le

cinéma le plus populaire de la ville, « réputé

pour la qualité de ses projections,

toutes en langue espagnole.

« Le ticket d’entrée coûtait

60 centimes,

96 Maroc / Octobre 2024


et il y avait toujours des vendeurs de limonades

et un agent de police dans la salle »,

précisent avec nostalgie les habitués de

cette salle de cinéma à l’époque.

En 1945 le bâtiment fut racheté par Mimoune

Cohen, un homme d’affaires tangérois qui

y a effectué des travaux pour améliorer l’intérieur

et en faire l’une des salles les plus

importantes dans la zone sous administration

espagnole. Toutefois, dans les années

80, le ciné Alcazar commence malgré lui à

perdre de son éclat. Progressivement délaissée,

la salle a été contrainte de fermer ses

portes en 1993, plongeant ainsi dans une

longue période d’oubli.

une deuxième vie pour le ciné Alczar, où l’ancien et le nouveau se complètent harmonieusement.

En 2010, lors de la 11e édition du Festival

National du Film de Tanger, « une lueur d’espoir

surgit lorsque Nour Eddine Saïl, à

l’époque directeur du Centre Cinématographique

Marocain (CCM) et autrefois spectateur

assidu de l’Alcazar, dévoila un projet

de restauration ambitieux », explique la

vice-présidente de l’Association TanjAflam.

Grâce à un investissement de huit millions

de dirhams, soutenu par la Wilaya de la

région Tanger-Tétouan Al-Hoceima, le Ministère

de la Jeunesse et de la Culture, ainsi

que l’Agence pour le Développement des

Provinces du Nord, le cinéma a été entièrement

rénové avec comme ligne directrice

: « moderniser les installations, tout en préservant

le style architectural mauresque distinctif

du bâtiment ».

Le 26 mars 2022, le ciné Alcazar entame

Ancien projecteur à bobines, conservé à l'entrée du cinéma.

AVEC UNE CAPACITÉ DE 1 500

PLACES, IL RIVALISAIT EN CONCEPTION

ET EN CONFORT AVEC LES PLUS

GRANDS CINÉMAS DU MONDE

une deuxième vie où l’ancien et le nouveau

se complètent harmonieusement. A l’entrée

de la salle de cinéma, un projecteur de film

classique est exposé avec de vieilles affiches

de film, qui servent de rappel nostalgique

de l’histoire du cinéma. De nouveaux sièges

élégants avec un tissu bleu et des accoudoirs

en bois clair ont été installés créant

une atmosphère moderne au côté du mur

de pierre conservé qui ajoute un aspect rustique

et historique à l’espace.

Désormais, le cinéma Alcazar héberge un

projet éducatif et culturel visant principalement

à développer la sensibilité des enfants

et des jeunes à l’image. « Ce projet, géré

avec passion par l’association Tanja Films,

permet au Cinéma Alcazar de continuer à

briller comme un joyau historique, veillant

méticuleusement à son rayonnement culturel

», conclut notre interlocutrice.●

Octobre 2024 / Maroc

97


LE CLAP DE AICHA AKALAY

98 Maroc / Octobre 2024

Le 6 août 1997, un décret conjoint du

ministre de la Communication et du

ministre des Finances remanie le

fonctionnement du Fonds d’aide au

cinéma, et institue une commission de

lecture des scenarii et d’évaluation des

projets de films. En 1997, le banquier Omar

Akalay est nommé président de cette

commission, prend note des activités de

cette dernière, et les publie en témoignage

dans son livre « Au service du

cinéma marocain ». A sa disparition, il y

a bientôt un an, l’auteur de ses lignes,

liée à l’auteur, a pris connaissance du

contenu de ce livre. Reconnaissance à

ceux, trop peu nombreux sous nos cieux,

qui assument leur devoir de transmission.

Ce qui est rapporté n’est pas parole

d’évangile mais éclaire sur l’intention

claire des décideurs publics lors de son

institution. « Ce que la commission a

apporté au cinéma, je ne le sais pas. Il

est trop tôt pour évaluer le travail réalisé.

(…) Elle a fixé des règles de jeu de façon

que chaque postulant à l’aide puisse comprendre

le mécanisme des décisions

prises. Au-delà du bon fonctionnement

de la commission, c’est le développement

de l’industrie du cinéma qui est visé.

LA MAROC A UNE PRODUCTION

NATIONALE QUI SE DÉVELOPPE ET SE

MAINTIENT, ET LE FESTIVAL NATIONAL

DU FILM DE TANGER EN EST L’UNE DES

VITRINES MAJEURES

UNE PETITE

PARENTHÈSE DANS LA VIE

DE LA COMMISSION D’AIDE

Celui-ci n’est pas de la compétence de

la commission, mais on ne peut rester

indifférent à cet aspect du problème. En

effet l’activité cinématographique se situe

à l’intersection de l’industrie, de l’artisanat,

et de la culture. A ce titre, elle mobilise

des compétences très variées. Le

secteur est créateur d’emplois. Il est donc

utile d’en parler », écrit Akalay. Plusieurs

décennies plus tard, l’apport du travail

de cette commission qui alloue aujourd’hui

les avances sur recettes est indéniable.

La Maroc a une production nationale qui

se développe et se maintient, et le Festival

national du Film de Tanger en est

l’une des vitrines majeures.

Cette année, encore, les débats tourneront

sur la qualité de tel film, la pauvreté

de tel scénario, de belles surprises aussi,

espérons-le. Et cette antienne : sur quels

critères, la commission choisit-elle d’aider

au financement d’un film ? En 1997, le professeur

Hassan Esmili proposa une grille

avec ces critères pour juger un scénario :

la cohérence, l’explication, le respect des

principes dramaturgiques, l’étude des personnages,

le dialogue, l’articulation du récit

filmique, la proximité, le sens civique (vécu

proche du spectateur). Cette année-là,

Hakim Noury avait eu 1,5 million de dirhams

pour Destin de femme, l’année d’après

Faouzi Bensaidi recevait 135 000 dirhams

pour son court-métrage La Falaise, et Nabyl

Ayouch 2,6 millions de dirhams pour Ali

Zaoua. Aux critères définis il y a près de

trente ans, nous aimerions en ajouter ici

un seul, celui du réalisateur américain Sidney

Lumet : aider celles et ceux qui veulent

faire un bon film.●


Octobre 2024 / Maroc

99


100 Maroc / Octobre 2024

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