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Angélique Blanc-Serra
Eugène F.-X. Gherardi
La Distribution des Prix
Le temps des guerres et des paix au lycée de Bastia (1904-1947)
Tome 2
UNIVERSITÀ DI CORSICA
À Francis Beretti,
ancien élève du lycée de Bastia, agrégé d’anglais,
professeur des universités, qui prononça, en 1968, le discours
de la dernière distribution des prix au lycée de Bastia.
7
REMERCIEMENTS
Les auteurs tiennent à remercier les personnes et les institutions qui, par leur
présence, leur concours et leur aide, ont contribué à l’élaboration du second tome de
La Distribution des prix.
Que soient remerciés la direction et le personnel des archives de la Collectivité
de Corse, centre de Bastia ; la direction et le personnel de la bibliothèque patrimoniale
Tommaso-Prelà de Bastia ; Marie-France Bereni-Canazzi ; Francis Beretti ;
Pierre Couvidat-Gherardi ; Marie-Hélène Ferrandini ; Jacques Fusina ; Denis
Jouffroy ; Mathieu Laborde ; Christophe Luzi ; Fabrice Mamino ; Pierre-François
Marchiani ; Marie-Pierre Marchini ; Andrea Mattei ; Michel-Édouard Nigaglioni ;
Romane Pierlovisi.
8
ABRÉVIATIONS
ACC-B : Archives de la Collectivité de Corse, centre de Bastia
AMB : Archives municipales de Bastia
BJ : Bastia-Journal
DP : Discours prononcé(s) à la distribution des prix
Distr. P. : Distribution des prix
éd. or. : édition originale
LPB : Le Petit Bastiais
n.p. : non paginé
par.: paragraphe
rééd. : réédition
s.e. : sans nom d’éditeur
s.l. : sans lieu d’édition
9
INTRODUCTION
« Si je ne disais enfin aux autorités civiles et militaires, aux familles de nos
jeunes gens – en particulier, à leurs mamans et à leurs sœurs, dont les toilettes
claires jettent dans cette assistance une note de gaîté – combien nous sommes
sensibles à leur présence, parmi nous, puisque cette présence est une marque,
non équivoque, de l’intérêt que ces autorités, que ces familles portent à notre
établissement secondaire de Bastia 1 . »
Ces phrases, prononcées lors de la distribution des prix de 1923 par M. Autin,
vice-recteur de la Corse, confirment l’importance accordée à cette journée qui revêt
un caractère très solennel. Reflet également de l’intérêt porté au lycée de Bastia et
aux lycées en général pour leur prestige et la culture qu’ils transmettent. Créés sous
Napoléon, ceux-ci sont d’abord synonymes d’encadrement de type militaire, tant
au niveau du rythme des journées que des conditions de vie à l’intérieur de l’établissement.
Le xx e siècle, bien qu’assouplissant cette rigueur initiale, en conserve
des traits, dont celui qui clôture la fin de l’année scolaire. En s’appuyant sur les
propos de François Morvan, on peut considérer que « la cérémonie de distribution
des prix relève symboliquement de l’initiation et peut être comprise, en suivant
Arnold Van Gennep, comme un rite de passage d’un âge de la vie à un autre 2 ». Rite
qui passe par tout un cérémonial, dont celui des discours prononcés généralement
par un professeur et une personne extérieure au lycée.
Cette cérémonie de distribution des prix a déjà fait l’objet de réflexions scientifiques,
notamment par François Morvan 3 et Viviane Isambert-Jamati 4 . À un niveau
1. Document 30.
2. François Morvan, La Distribution des prix, Perrin, 2002, p. 48.
3. François Morvan, op. cit.
4. Viviane Isambert-Jamati, Crises de la société, crises de l’enseignement, ENS Éditions, 2024.
10 La Distribution des Prix - Le temps des guerres et des paix au lycée de Bastia (1904-1947)
local, Antoine Marchini 5 a proposé un premier éclairage au sein de son ouvrage
sur le Vieux Lycée de Bastia (xvii e -xx e siècle), avant qu’Eugène F.-X. Gherardi 6
n’en fasse une direction de sa recherche (xix e siècle). C’est aujourd’hui à quatre
mains que s’est constitué le second et dernier volume de cette anthologie afin de
traiter de la distribution des prix au cours de la première moitié du xx e siècle. Du
fait qu’aussi bien la cérémonie en elle-même que les discours lus à cette occasion
interrogent la vie scolaire, sociale, économique et politique, il convenait d’étudier
les discours prononcés au lycée de Bastia entre 1904 et 1947.
Bien qu’imprimés pour l’occasion sous forme de livret avec le palmarès,
leur accès est aujourd'hui lacunaire, et ce, malgré l’édition de plusieurs centaines
d’exemplaires – pour les notabilités, les familles et le lycée lui-même. Sans nul
doute peut-on trouver des explications dans un des rapports du proviseur de 1928 :
« Dans des cartonniers démodés et dans des armoires incommodes s’entassent
des quantités inimaginables de papiers inutiles qui rendent illusoire tout classement
sérieux. On pourrait, avec la dépense qu’exigerait une année de traitement
d’un répétiteur-secrétaire, procéder à une organisation moderne qui, en simplifiant
le classement des papiers et la recherche des documents, ferait gagner
beaucoup de temps 7 . »
Les archives du lycée de Bastia, conservées aujourd’hui dans le centre bastiais
des archives de la Collectivité de Corse ont d'abord été récupérées en 1979 au musée
d’ethnographie corse de Bastia puis en 1981 dans un local du « Vieux Lycée »,
actuel collège Simon-Jean-Vinciguerra, lycée de Bastia de 1838 à 1946, date de son
transfert dans les locaux de la caserne Marbeuf, actuel lycée Jean-Nicoli. Ces déplacements
successifs, associés au rapport du proviseur, expliquent la présence d’une
partie seulement des livrets de distribution des prix. Dans un souci d’accéder à un
corpus le plus complet possible, nous nous sommes tournés vers la presse locale, à
savoir Le Petit Bastiais et Bastia-Journal. Reproduisant quelquefois les allocutions
en intégralité, mais plus souvent avec les passages principaux, ces journaux nous
ont donné à voir au-delà du discours et de son auteur, notamment en décrivant le
déroulement de la cérémonie et l’atmosphère qui s’en dégageait. Précieux témoignages
d’une époque aujourd’hui révolue. L’ensemble de ces investigations nous a
permis d’obtenir la totalité des discours, à l’exception de l’année 1921 et des années
1940 à 1945. Pour ces dernières, la cérémonie de distribution et de remise des prix
semble avoir été suspendue, car nulle trace n’en apparaît dans les fonds consultés.
Dans ce corpus, riche et varié, il convenait d’effectuer des choix. Nous
avons opté pour des axes de réflexions qui fassent lien avec le premier tome et
l’enrichissent.
Les discours étant indissociables de la cérémonie qui les entoure, il importait
dans une première partie de présenter les origines de cette tradition, la façon dont
5. Antoine Marchini, De l’école jésuite à l’école laïque, le « Vieux lycée » de Bastia dans l’histoire,
Ajaccio, CNDP-CRDP de Corse, 2001.
6. Eugène F.-X. Gherardi, La Distribution des prix, t. I, Ajaccio, Albiana, 2011.
7. Archives de la Collectivité de Corse, centre de Bastia, 1 T 1/95. Rapport trimestriel du 19 avril 1928.
introduction
11
s’obtient un prix et, enfin, de mettre en avant son organisation. Cette journée tant
attendue par l’ensemble du lycée et de la ville de Bastia est le fruit d’une année de
travail pour les élèves, mais elle est aussi synonyme de budget pour le lycée et de
réflexions pédagogiques pour les orateurs.
Orateurs qui sont au cœur de la deuxième partie. En s’appuyant sur les professeurs
et les notabilités qui ont pris place sur l’estrade pour prononcer un discours,
il convenait ici de mettre en exergue quelques portraits de ces fonctionnaires, mais
aussi d’étudier les permanences et les ruptures qui peuvent apparaître dans leurs
discours au cours de la période étudiée. Entre les temps de paix et ceux de guerre,
les thématiques varient, mais l’amour des fonctionnaires pour leur métier et leurs
élèves reste immuable.
La législation scolaire évolue au cours de ce xx e siècle, tout en modifiant
profondément les lycées. Cette dernière partie, par le biais d’entrées thématiques,
croise les réformes, les réflexions pédagogiques et leur application au lycée de
Bastia. Les locaux et leur amélioration, les études, avec la question centrale des
lettres et des sciences, sont analysés, tout comme la mise en œuvre de la gratuité de
l’enseignement.
Un dossier aussi complet que possible parfait l’ouvrage. L’ensemble des
discours en notre possession a été ici retranscrit, avec deux palmarès du lycée de
Bastia. Les dates les plus extrêmes ont été choisies (1903-1904 et 1937-1938) afin
d’observer l’évolution des disciplines et du nombre de prix distribués. À la suite
de ces documents, et parce qu’ils constituent des instantanés qui donnent une idée
assez précise de la manière dont un proviseur de lycée de « province » pouvait se
représenter l’Instruction publique, trois rapports qui couvrent la période 1926-1929
sont publiés.
Il ne nous reste maintenant plus qu’à inviter le lecteur, mais aussi l’élève
aujourd’hui adulte, l’ancien professeur, à pousser une des portes du lycée de Bastia
et à venir s’installer parmi les familles, afin d’écouter ces discours emplis de
nostalgie pour le passé et d’espoir en l’avenir.
La tribune. La distribution des prix au lycée de Bastia, vers 1900. Coll. part.
Le public. La distribution des prix au lycée de Bastia, vers 1900. Coll. part.
La fanfare municipale, lors de la remise des prix au Lycée - vers 1900 - Coll J. P.
Tristan Lucchetti portant l'uniforme des
lycéens de Bastia. Folchi, photographe
à Bastia, vers 1910. Coll. part.
Bouton de l'uniforme des lycéens
de Bastia, détail. Coll. part.
15
UNE CÉRÉMONIE ATTENDUE :
LA DISTRIBUTION DES PRIX
LES PRIX, UNE TRADITION ANCIENNE
Il faut remonter à l’Ancien Régime, et plus précisément au xvii e siècle, pour trouver
les traces des premières distributions de prix. Les pères jésuites sont considérés
comme les initiateurs de ce temps de récompense.
« Leur Ration studiorum dit que l’on pourra distribuer publiquement des prix
une fois par an, “pourvu que cela se fasse aux frais d’hommes connus”. Ces
prix ne récompenseront pas le travail de l’année entière mais honoreront les
“vainqueurs” d’un “concours écrit” fait les jours précédents et portant sur le latin
et le grec. “En outre dans chaque classe, on donnera un ou deux prix à qui aura
récité le mieux la doctrine chrétienne 1 .” »
Le modèle de remise des récompenses, où l’on appelle tour à tour les élèves
ayant remporté une distinction devant une assemblée importante, imprégnera pour
plusieurs siècles la forme de ce cérémonial. Cette journée est également synonyme
de représentation théâtrale avec les élèves et d’exercices publics pour les meilleurs
d’entre eux. Ces exercices consistent entre autres en une récitation de fable, de
réponses à des questions ou d’un développement sur une thématique précise. La
pratique de la distribution des prix s’étend ensuite à de nombreux collèges, sur
l’ensemble du territoire.
Malgré la Révolution française et la fermeture des établissements secondaires
d’alors, les lycées – nouvellement créés par Napoléon en 1802 – reprennent
les contours de cette célébration de fin d’année scolaire. Près de vingt plus tard,
l’arrêté portant sur le statut des collèges royaux et communaux (4 septembre 1821)
consacre 16 articles à la question des prix (n o 206 à 221). Il est précisé à cet effet les
modalités et l’organisation pratique de cette cérémonie : date, discours, composi-
1. François Grèzes-Rueff, Jean Leduc, Histoire des élèves en France, Paris, Armand Colin, 2007, p. 221.
16 La Distribution des Prix - Le temps des guerres et des paix au lycée de Bastia (1904-1947)
tion, nombre et type de prix distribués, etc. Cette journée n’évolue que peu au cours
de ce xix e siècle, y compris au lycée de Bastia. C’est ainsi qu’annuellement :
« Les poèmes, les pièces de théâtre et les discours, la scénographie, l’annonce
des professeurs distingués par l’obtention des palmes académiques, l’annonce du
palmarès, les applaudissements, les livres de prix et les couronnes de laurier font
forte impression sur le public 2 . »
En revanche, la fin du siècle, et plus précisément l’année 1890, est synonyme
de modifications assez profondes dans le régime des établissements publics d’enseignement
secondaire, si l’on reprend les propos contenus dans la lettre adressée par
Léon Bourgeois, alors ministre de l’Instruction publique, aux membres du personnel
administratif et enseignant des lycées et collèges (15 juillet). En effet, il indique que
de nouveaux règlements sont prévus pour la rentrée suivante aussi bien au niveau
des emplois du temps que de la discipline et de l’enseignement. Une partie du
document concerne d’ailleurs l’émulation, les compositions et les prix à distribuer :
« Que dirons-nous maintenant des places et des prix ? Ce sont des récompenses
naturelles et fort bonnes, mais la manière dont elles sont réglées présentement
appelle quelques observations. Les élèves sont au lycée pour étudier : il est très
bon qu’ils se rendent compte exactement du point où ils en sont. Se sentir en
progrès est la vraie récompense de leurs efforts ; se voir stationnaires ou en retard
est le juste châtiment de leur paresse, en tout cas, un utile avertissement. Mais
pour les renseigner de la sorte sur la qualité de leur travail, il n’est pas nécessaire
peut-être de les soumettre à une perpétuelle comparaison entre eux 3 . »
Observations qui ne sont pas réellement suivies d’effets, du moins au lycée
bastiais. Les compositions sont toujours présentes, et en nombre, pour permettre
le classement annuel ainsi que celui des lauréats pour la distribution des prix. En
revanche, peu avant la Première Guerre mondiale, Jean Poirier, professeur du lycée,
mentionne :
« Les élèves eux-mêmes se désintéressent de l’ancien système d’émulation.
Les accessits perdent de leur prestige ; quant aux mentions, on les accueille
avec indifférence ; et trop souvent les premiers, satisfaits d’avoir le prix, ne se
dérangent plus pour venir le prendre. Déjà sensible chez les “petits”, ce changement
est plus net encore dans les grandes classes ; chez le jeune homme moderne
domine le souci du carnet scolaire ; pour lui, le succès au baccalauréat est sa
seule préoccupation ; pour lui, la liste des admis, c’est le véritable palmarès 4 . »
Malgré ce possible désintérêt de la part de certains lycéens, la cérémonie et
la distribution de prix resteront en vigueur jusqu’aux années 1960. Pendant un
2. Eugène F.-X. Gherardi, La Distribution des prix, t. I, Ajaccio, Albiana, 2011, p. 20.
3. Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Instructions, programmes et règlements, Paris,
Imprimerie nationale, 1890, p. 216.
4. Le Petit Bastiais, édition du 30 juillet 1911, document 12.
une cérémonie attendue : la distribution des prix
17
demi-siècle encore, les élèves composeront et étudieront en vue d’obtenir prix et
reconnaissance des professeurs et des familles.
DE LA COMPOSITION À L’OBTENTION D’UN PRIX
« C’est une chose très digne de remarque que notre pays soit le seul, ou peu
s’en faut, où les compositions ont pris dans l’éducation publique la part que
nous leur accordons, le seul où l’institution des prix existe avec cette importance
démesurée 5 . »
La composition – exercice noté dans un temps imparti pour l’ensemble d’une
classe – évalue régulièrement les acquis des élèves à un moment donné. Tout
en ponctuant l’année scolaire, elle permet d’établir des classements mensuels,
trimestriels, mais aussi, en fin d’année, de décerner des prix.
L’ensemble des disciplines scolaires est concerné ; ainsi, aussi bien l’écriture
que les mathématiques ou le dessin sont soumis aux élèves, comme en attestent les
extraits ci-après 6 :
Classe de 4 e nouvelle
Discipline : composition française, 23 avril 1948.
Sujet : Un voyage en imagination : « Étudier la géographie, a-t-on dit, c’est voyager
à prix réduit à travers le monde ».
En étudiant votre manuel de géographie (descriptions, gravures, récits), vous avez
fait un beau voyage. Racontez-le.
Classe de 1 re AB
Discipline : mathématiques, 2 décembre 1947.
Sujet :
1. Calculer le discriminant de l’équation (m - 1)x 2 - 2(m - 2) x + m + 1 = 0
Pour quelles valeurs de m est-il positif ?
2. Déterminer m pour que l’une des racines de l’équation soit égale à 3. Calculer
dans ce cas l’autre racine.
5. Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Instructions, programmes et règlements, Paris,
Imprimerie nationale, 1890, p. 217.
6. Archives de la Collectivité de Corse, centre de Bastia, 1 T 1/107 et 1 T 1/108.
18 La Distribution des Prix - Le temps des guerres et des paix au lycée de Bastia (1904-1947)
une cérémonie attendue : la distribution des prix
19
20 La Distribution des Prix - Le temps des guerres et des paix au lycée de Bastia (1904-1947)
Deux éléments méritent d’être soulignés par rapport à ces dessins d’élèves.
Le premier concerne la thématique de la composition ; les élèves peuvent opter
entre une maison, un avion ou un bateau. Comme on le constate, les premiers
prix intègrent davantage de dessins représentant des véhicules – principalement
de guerre – alors même que la majorité des enfants de la classe a choisi de représenter
une maison. En effet, sur les 25 élèves, seuls quatre d’entre eux ont dessiné
un bateau, et deux, un avion. Ces dessins mettent en avant des symboles forts
comme le drapeau français ou un nom, Le Richelieu. La guerre est dès lors toujours
bien présente dans les esprits en 1947 pour ces élèves qui ont connu l’occupation
italienne à Bastia pendant dix mois (11 novembre 1942 - 9 septembre 1943) et la
peur liée aux alertes aériennes 7 . On peut aisément supposer que les professeurs ont
souhaité valoriser ces dessins. Le second élément concerne la présence d’élèves
ex æquo. Phénomène relativement récent, la notion d’ex æquo est évoquée dans
les Instructions, programmes et règlements de l’enseignement secondaire établis
en 1890.
« Il suffirait presque, sans rien changer en apparence, au mode de classement
traditionnel [c’est-à-dire le classement linéaire qui est considéré comme juste et
bon], que le professeur put faire autant d’ex æquo qu’il le jugera bon. Si deux
copies ou même plusieurs témoignent que leurs auteurs ont à un égal degré des
qualités différentes, mais également estimables, il pourra y avoir deux ou trois
premiers ex æquo, seconds ex æquo, etc. La possibilité de donner le même rang
à deux copies équivalentes constitue à la fois un soulagement pour la conscience
du professeur et une garantie pour les efforts des élèves laborieux. N’étant plus
soumis à la pénible nécessité de choisir le meilleur entre deux très bons, le maître
sera plus à l’aise pour accueillir et faire valoir des qualités très diverses […] 8 . »
Ainsi que le mentionne cet extrait, le classement traditionnel, incluant la note,
est conservé. C’est cette dernière qui est prise en compte pour l’obtention d’un prix,
et plus précisément, « le total des notes obtenues par tous les élèves dans les compositions,
les compositions finales ayant un coefficient double ». L’extrait du règlement
du 5 juillet 1890 inséré au début du livret du Palmarès du lycée de Bastia ajoute que
« selon le travail des élèves et la valeur des compositions, il pourra n’être attribué
aucun prix, ou, au contraire, en être attribué plus de deux dans une faculté donnée 9 ».
Les prix offerts dans chaque discipline suivent l’évolution des études et du
contenu des programmes ; c’est le cas également du lycée de Bastia au cours de
cette première moitié du xx e siècle. Bien qu’une permanence se constate entre
le palmarès des années scolaires 1903-1904 et 1937-1938 10 – mentionnons la
7. Sylvain Gregori, « L’occupation italienne à Bastia, 1942-1943 », in Bastia 43, L’occupation italienne
vue par les enfants (1942-1943), Jean-Baptiste Raffalli et Élisabeth Cornetto (dir.), Bastia, Musée
de Bastia, 2012, p. 35-48.
8. Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, op. cit., p. 218-219.
9. ACC-B, 1 T 1/97.
10. Ces deux palmarès ont été retranscrits et insérés dans le dossier ACC-B, 1 T 1/97.
une cérémonie attendue : la distribution des prix
21
composition française, les mathématiques, l'histoire et la géographie ou encore
les langues vivantes (allemand, anglais, italien) –, des disciplines disparaissent au
profit d’autres. C’est le cas de la morale ou de la comptabilité, seulement présentes
au début du siècle, et de l’éducation physique qui apparaît uniquement dans le
second palmarès. Soulignons que les prix distribués sont au nombre de deux au
maximum (avec possibilité d’ex æquo). En revanche, le nombre d’élèves recevant
un accessit par discipline est plus important. La délivrance de cette distinction,
accordée à tous les élèves qui se sont approchés d’un prix, mais sans l’obtenir,
peut aller d’aucun à neuf par discipline. Néanmoins, ils sont en moyenne trois ou
quatre élèves à en obtenir un.
Un Prix d’excellence est également offert lors de la cérémonie de distribution
des prix. A contrario des autres prix, celui-ci ne s’acquiert pas par les compositions.
Il s’agit d’un « prix d’ensemble, distinct et indépendant de tous les autres, décerné
dans chaque classe et chaque division, aux élèves qui auront le mieux satisfait à tous
leurs devoirs et mérité au plus haut point l’estime générale 11 » ; les notes obtenues
lors des séances d’exercices physiques sont également prises en compte.
Considéré comme la plus haute récompense, ce prix est attribué par décision
commune des professeurs. Ces derniers prennent notamment en compte le travail
fourni ainsi que sa qualité.
« Si, la plupart du temps, la récompense va à l’élève le plus performant dans
chaque discipline, les exceptions nombreuses laissent deviner que d’autres
facteurs d’évaluation entrent en jeu. L’excellence n’est pas pure résultante d’une
addition mathématique 12 . »
Ainsi, recevoir de nombreux prix n’est donc pas toujours synonyme d’obtention
du Prix d’excellence.
UNE ORGANISATION SUR LE TEMPS LONG
La cérémonie de la distribution des prix représente dans la vie du lycée un
temps fort qu’il convient d’organiser préalablement. Cette tâche, qui incombe à
l’administration du lycée, comprend l’achat des prix et les invitations notamment.
Grâce aux bordereaux de chaque secteur de dépenses effectuées au lycée de Bastia
pendant l’année 1933, nous avons une idée assez précise des sommes engagées,
lesquelles sont présentées ci-après dans ce tableau récapitulatif.
11. Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, op. cit., p. 220.
12. Antoine Marchini, De l’école jésuite à l’école laïque, le « Vieux lycée » de Bastia dans l’histoire,
Ajaccio, CNDP-CRDP de Corse, 2001, p. 93.
22 La Distribution des Prix - Le temps des guerres et des paix au lycée de Bastia (1904-1947)
Distribution des prix, année 1933*
Désignation de la dépense
Somme payée (en francs)
Palmarès et lettres d’invitation 3 070
Prix par fondation 100
Remboursement d’avances 15
Livres pour prix 7 576,36
Fournitures de bolduc 210
10 971,36
* Source : ACC-B, 1 T 1/101. Dépenses du lycée pour l’exercice 1933, avec bordereau
de chaque secteur de dépenses.
L’onglet « Palmarès et lettres d’invitation » regroupe de nombreux achats.
À savoir l’envoi de courriers, soit 1 000 lettres, présumons-nous à destination
des familles, et 200 lettres d’invitation pour les notabilités de la ville et de Corse.
De nombreux billets d’autorisation et de non-autorisation de sortie de l’établissement
pour les élèves ont également été achetés. À ces dépenses s’ajoutent
l’acquisition d’un registre (110 francs) et l’impression de 600 exemplaires du
Palmarès (3 000 francs) ; d’où le coût financier important de cette première ligne
de dépense. Plus étonnant est le remboursement d’avance de 15 francs. Il fait
suite à la « Manutention des fauteuils de la cour d’Appel, prêtés à l’occasion de
la Distribution des Prix 13 ». Par le biais de cet emprunt transparaît l’importance
donnée à cet événement et l'image que le lycée souhaite renvoyer. Ce qui explique
le détail porté à la bonne installation des notabilités invitées.
Le bolduc, petit ruban plat, a été acheté en vue d’enrubanner les livres mis en
prix ; d’où sa quantité importante (six douzaines de rouleaux de 263 mètres chacun).
Au cœur de la distribution, un ou plusieurs livres sont offerts aux élèves,
lesquels représentent un symbole fort du savoir scolaire 14 . Les ouvrages, préalablement
commandés en s’appuyant sur le catalogue des éditeurs et les recommandations
du ministère, ont été achetés pour l’année 1933 à M. Costa, libraire à Bastia.
« Livres récréatifs au contraire des manuels scolaires, les livres de prix doivent
néanmoins disposer d’une valeur éducative et/ou édifiante selon les prescripteurs.
Le discours éditorial met donc en évidence la capacité d’un livre ou d’une série à
instruire l’enfance 15 », grâce notamment à ses valeurs morales.
La liste d’ouvrages en notre possession contient 317 titres aux thématiques
variées, lesquelles peuvent se classer en treize catégories différentes, dont voici
le détail.
13. ACC-B, 1 T 1/101. Bordereau d’achats et des menues dépenses effectuées à l’occasion de la distribution
des prix.
14. François Morvan, La Distribution des prix, Perrin, 2002, p. 30.
15. Florian Moine, « Produite des “étuis à sermons” ? La valeur morale des livres de prix à l’heure de
la “bataille du livre” », Hypothèses, n° 23, 2022, p. 209-218.
une cérémonie attendue : la distribution des prix
23
On constate une prédominance des romans (104 titres différents) dans les
achats effectués ; il s’agit principalement de romans à destination de la jeunesse
(L’Illustre Docteur Mathéus, par Erckmann-Chatrian ; M. Méridien au pays des
neiges, par Eugène Le Mouël ; etc.). Le lycée regroupant aussi bien des jeunes
enfants que des adolescents, la littérature classique ou les livres de citations sont
également en nombre important (57 titres). On retrouve comme principaux auteurs
Jules Verne, Alexandre Dumas, Honoré de Balzac, mais aussi Dante, Pascal, Boileau
ou Mérimée. Plus surprenante est la présence d’ouvrages portant sur la société.
Leurs contenus sont variés et traitent aussi bien de la politique (Les Démocraties
modernes, par Wickham Steed) que de la sociologie (Lacépède et la sociologie
humanitaire selon la nature, par Louis Roule) ou de la psychologie (Psychologie
des temps nouveaux, par Gustave Le Bon). Sans doute l’intérêt du proviseur pour
les revues et ouvrages d’ordre pédagogique – notamment Jean Piaget –, tout comme
la constitution au cours de l’année scolaire 1928-1929 d’une bibliothèque pédagogique
16 , influence-t-il le choix de ces dernières thématiques.
Les sciences, qui occupent désormais une réelle place dans le cursus et les
contenus scolaires, proposent 20 titres. Citons Henri Poincaré, avec deux livres
intitulés respectivement La Physique moderne et Science et Méthode, un ouvrage
de Marcel Boll, L’Électricité à la ville, à la campagne, en auto, et d’autres encore
sur les sciences vivantes, comme Les Sols humides de Rémi Dumont. Certaines
thématiques sont en nombre restreint, comme le sport ou l’histoire, de même que
les ouvrages portant sur les langues étrangères ou mortes. La littérature classique
regroupe également davantage de prix de valeur (de 30 à 36 francs). C'est dans cette
dernière catégorie que se trouve l'ouvrage le plus onéreux: L'enfant dans la littéra-
16. ACC-B, 1 T 1/95. Rapport annuel 1928-1929, p. 8-9.