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2019 - Vol 3 - Num 1

La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.

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La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent

toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la

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Rédactrice en chef

Marie-Christine MAUREL

Sorbonne Université, MNHN, Paris

marie-christine.maurel@upmc.fr

Membres du comité

Arshia CONT

Antescofo, Paris

arshia.cont@ircam.fr

Joëlle PIJAUDIER-CABOT

Musées de Strasbourg

joelle.pijaudier@wanadoo.fr

Hugues VINET

IRCAM, Paris

hugues.vinet@ircam.fr

Georges Chapouthier

Sorbonne Université

georges.chapouthier@upmc.fr

Bruno SALGUES

APIEMO et SIANA

bruno.salgues@gmail.com

Philippe WALTER

Laboratoire d’archéologie

moléculaire et structurale

Sorbonne Université Paris

philippe.walter@upmc.fr

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Arts et sciences

2019 - Volume 3

Numéro 1

‣ Arts, Sciences, Religions et le surdimensionnement du cerveau humain 1……………………..…….1

Jean-Pierre Gasc - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2019.0331 - février 2019

‣ Arts, Sciences, Religions et le surdimensionnement du cerveau humain 2…………..……..………11

Jean-Pierre Gasc - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2019.0332 - février 2019

‣ Géométrie interne du "Salvator Mundi" (version dite Cook, attribuée à Léonard de Vinci)…19

Jean-Pierre Crettez - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2019.0383 - mai 2019

‣ Formes vivantes………………………………………………………………………………………………………………….33

Jean-Charles Hameau, Kimberley Harthoorn - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2019.0384 – mai 2019

‣ Coalescence, un imaginaire scientifique………………………………………………….……………………..…..47

Alexandre Darmon, Julie Simon - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2019.0385 – mai 2019

‣ Conducting Archaeogaming & Protecting Digital Heritage:

Does the Future for Archaeology Lie in The Immaterial……………………………………….……..………51

Benjamin Hanussek - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2019.0414 - septembre 2019

‣ Mathematical Infinity “in prospettiva” and Spaces of Possibilities………………………………………66

Giuseppe Longo - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2019.0415 - septembre 2019

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Arts, Sciences, Religions et le surdimensionnement du

cerveau humain

Arts, Sciences, Religions and oversized human brain

Jean-Pierre Gasc 1

1 Museum National d'Histoire Naturelle, Paris, jean-pierre.gasc@mnhn.fr

RÉSUMÉ. On s’interroge sur l’universalité du fait religieux qui est socialisé sous la forme de rituels et de religions institutionnelles.

L’hypertélie cérébrale caractéristique de l’être humain, conséquence de l’évolution buissonnante des grands

primates, est à l’origine à la fois de sa réussite dans la vie réelle faite de luttes pour surmonter des handicaps biologiques

objectifs, et d’un « travail à vide » des réseaux neuroniques pendant le sommeil, producteur d’une vie imaginaire qui

échappe à la volonté et efface la frontière entre vivants et morts. Conscient de cette dualité et afin de maintenir une cohérence,

l’être humain fait appel aux mythes qu’il partage dans sa vie sociale et qui participe à la cohésion des communautés.

Ceci aboutit à une ritualisation qui prend les formes diversifiées des religions, souvent associée à la prise de

drogues. La création artistique constitue une voie parallèle, exutoire au cerveau surdimensionné, de même que l’intuition

scientifique.

ABSTRACT. One wonders about the universality of the individual religious fact that is socialized in the form of rituals and

institutional religions. The cerebral hypertelism characteristic of the human being, consequence of bushy evolution of the

great primates, is at the origin of both his success in real life made of struggles to overcome objective biological handicaps,

and a ‘vacuum work’ network neurons during sleep, producer of an imaginary life that escapes the will and erase

the limit between living and dead persons. Conscious for this dual aspect and to maintain coherence, the human being

appeals to the myths that he shares in his social life and that contribute to the cohesion of the communities. This leads to

a ritualization that takes diverse forms of religions, often joined to drugs consuming. Artistic creation is a parallel path, an

outflow for the over-sized brain, as is scientific intuition.

MOTS-CLÉS. Hypertélie, rêve, hallucinogènes, chamanisme, mythologie.

KEYWORDS. Hypertelism, dream, hallucinogenic, chamanism, Mythology.

Le fait religieux peut se définir comme un ressenti à l’origine de la croyance en des entités ne

relevant pas du monde tangible. Ce ressenti repose sur la recherche d’un soutien devant l’angoisse

diffuse ou parfois très précise que fait naître en chaque individu le simple fait de vivre. Le fait religieux

est universel, dans l’espace et dans le temps, et en raison du fait que l’être humain doit sa nature à

l’existence de la structuration des individus en communauté, le ressenti individuel tend à engendrer un

ensemble de croyances et de comportements qu’on appelle des religions. On a beaucoup écrit sur les

religions, superstructures qui marquent l’histoire de toutes les sociétés humaines, mais on s’est très peu

penché sur la source de ce phénomène intime sans lequel elles n’existeraient pas (Boyer, 2001). On

peut soupçonner que ce phénomène individuel appartient aux archétypes humains, un invariant qui

devient polymorphe par le biais de sa transmutation dans les divers modèles de relations sociales, qui

de fait religieux se transforme en religion.

Comment relier le comportement de groupe au fait religieux, avant tout un sentiment individuel.

D’où proviennent les fondements mentaux qui conduisent de façon universelle au fait religieux, une

adhésion inconditionnelle à un ensemble de croyances sans fondements sur le monde réel, phénomène

individuel (subjectif) qui par agrégation est à la base de la constitution d’une religion, phénomène

social (collectif) ?

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Une production cérébrale

Le fait religieux doit être analysé selon deux axes : l’axe historique et l’axe anthropologique. Sur le

plan anthropologique, celui qui répond à des invariants de l’espèce humaine, il faut situer l’analyse au

niveau des processus mentaux. Pour des raisons évolutives encore sujet de débats, la lignée des

hominidés se distingue par un accroissement assez régulier et général du volume de l’encéphale

correspondant à une augmentation du nombre de cellules nerveuses situées dans le cortex cérébral dont

la surface est aussi considérablement accrue par son plissement, selon un processus connu dans

l’évolution de nombreux mammifères. Le genre Homo atteint ainsi un indice d’encéphalisation, de

rapport de la masse cérébrale sur la masse de l’organisme, qui est inégalé. Le processus s’est poursuivi

pendant plus de deux millions d’années au sein de ce genre comme en témoigne les quelques fossiles

connus, et une seule espèce du genre a survécu, Homo sapiens, celle à laquelle appartient l’humanité

actuelle et qui est récente, moins de 200.000 années probablement.

Bien qu’il soit difficile de connaître avec précision les capacités mentales des autres espèces du

genre Homo qui ont à présent disparu, on peut supposer, en raison de la proximité phylogénétique, que

nous en avons conservé des traces. En particulier l’extraordinaire surabondance de neurones cérébraux

devait déjà exister. Or, la capacité de ces cellules à établir des relations synaptiques multiples, à

s’organiser en réseaux flexibles doués d’une grande plasticité, rend vraisemblable l’hypothèse que, au

moins au sein du genre Homo, les propriétés cognitives de notre propre espèce étaient déjà esquissées.

Pour avancer dans cette voie nous disposons de plusieurs faisceaux de données. Les travaux réalisés

dans l’étude du comportement des autres grands primates, tout spécialement les chimpanzés et les

bonobos dont la proximité génétique est désormais démontrée, nous montrent une similitude de traits

qui devaient être présents chez leurs ancêtres communs, il y a plusieurs millions d’années. On sait par

exemple que les grands primates reconnaissent leur propre image dans un miroir et qu’ils sont capables

d’échafauder des stratégies dans les relations interindividuelles au sein du groupe. Ils sont aussi

capables d’utiliser des outils pour s’aider dans une tâche liée à la prise de nourriture. Ils ne sont pas les

seuls à réunir ces capacités parmi les vertébrés, certains mammifères et des oiseaux les révèlent aussi

(cf revue in Andrews, 2015). Mais, ils communiquent entre eux par des vocalisations et des gestes,

postures et mimiques de la face. Ils ont une certaine connaissance empirique des effets de produits

naturels sur leur physiologie et sont capables de les utiliser en réponse à un besoin. Quant aux outils,

ils sont fabriqués en dehors d’un besoin immédiat et révèlent une typologie qui implique leur image

mentale. Ces traits comportementaux sont appris au sein de la famille qui peut se réduire au couple

mère-enfant chez l’orang-outang, mais est étendue chez les gorilles et chimpanzé. Enfin, ils sont

susceptibles d’être transmis de groupes à groupes et ainsi se diffuser.

Ces diverses activités nécessaires à la survie des groupes relèvent-elles des mêmes réseaux

neuroniques, du même champ cognitif ? L’archéologue anglais Steven Mithen a développé une théorie

qui tente une synthèse entre les connaissances acquises dans divers domaines, préhistoire,

primatologie, linguistique, neurologie (1996). Il considère que l’esprit humain est doté dès la naissance

de modules sous la forme de réseaux neuroniques correspondant à quelques-unes des facultés et qui

seraient progressivement activés par les contacts avec le milieu naturel et culturel. Ces modules

« précablés » constitueraient chez l’enfant une sorte de « couteau suisse » qui par l’expérience serait

capable de construire des schémas d’action à partir de plusieurs domaines. Il suppose ainsi l’existence

d’un module général qui assure l’intelligence générale, conduisant à la prise de décision par

apprentissage et association, utile pour assurer la survie. A ce module seraient associés des modules

plus spécialisés sur les contacts sociaux, la connaissance du monde naturel, la saisie des propriétés

physiques d’objets et matériaux. Ces modules ne doivent plus être conçus comme des entités

anatomiques, des « centres » dévolus à un type d’activité, mais comme des réseaux de neurones

interconnectés dont l’activation par les contacts extérieurs est indispensable grâce aux entrées

sensorielles. On trouve chez le neurobiologiste Edelman (2000) une idée analogue dans celle des

« cartes neuronales » formant un répertoire primaire qui est transformé par une sélection entre

neurones en répertoire secondaire sous l’effet des comportements. Edelman développe l’hypothèse que

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les cartes neuronales sont capables d’échanges entre elles, par un processus de « réentrée » des

messages, qui peuvent ainsi se renforcer ou s’inhiber de carte en carte, les résultats étant soumis à la

sélection au sein de la population de neurones par la confrontation avec les stimuli extérieurs, selon un

processus que Changeux (1983 ) qualifie ainsi : « le darwinisme des synapses prend le relais du

darwinisme des gènes ». Pour Mithen l’espèce actuelle, l’homme moderne, se singularise par la fluidité

entre les divers modules qui, dans les espèces qui l’ont précédé et chez les grands primates,

demeureraient isolés et sans échanges, ce qui interdit un enrichissement et explique une stagnation, la

répétition des mêmes pratiques pendant des générations, phénomène qu’autrefois on qualifiait

d’instinct.

De l’importance d’un effet de groupe

Dans le contexte de groupes plus nombreux et du passage de la cueillette d’aliments végétaux

(tubercules et tiges) chez les Australopithèques à une alimentation carnée par le charognage et la

chasse, les relations sociales se sont accrues au cours de l’évolution des hominidés. Ce stade

correspond aussi à un accroissement significatif de la taille du cerveau, ce qui implique surtout une

augmentation du nombre de neurones. Or, le passage à une alimentation carnée apporte des conditions

métaboliques distinctes (Aiello and Wheeler, 1995, Leonard & Robertson, 1996, Leonard et al.2007).

D’une part, les protéines d’origine animale sont plus facilement métabolisables à l’état cru que les

glucides d’origine végétale, d’autre part elles apportent deux acides gras indispensables à la croissance

de l’encéphale, acide arachidonique (AA) et acide docosahexaenoïque (DHA), très peu présents dans

les végétaux. Aiello remarque aussi que par un effet de balancement, le cerveau prend un volume de

plus en plus important par rapport au tube digestif dont certaines fractions nécessaires à la digestion

des végétaux (en particulier le gros intestin) est réduit chez les animaux carnassiers. C’est l’emploi du

feu qui va permettre plus tard une utilisation plus optimisée des glucides, à partir de l’amidon de

tubercules qui n’est digeste que sous forme cuite, et sans doute de diversifier le régime, donc élargir

l’éventail des ressources dont la conséquence est d’assurer une croissance démographique. Le langage

(un moyen de communiquer par vocalisation) se serait développé dans ce contexte en remplaçant en

partie le toilettage (grooming) dans les échanges sociaux, avec l’avantage dans un groupe de maintenir

un contact à distance entre plusieurs individus. Cependant, selon Mithen, le langage (peut-être sous

forme de chant) n’aurait eu à l’origine de fonction d’échange que dans la sphère des relations

interindividuelles au niveau des affects. En revanche il n’y aurait pas eu d’échange dans la sphère

technique et de connaissance du milieu naturel où aurait agi la simple imitation. Ceci expliquerait la

stagnation pendant des millénaires, qui se manifeste par la reproduction de la même technique dans la

fabrication d’outils « à tout faire » (taille de bifaces) par imitation gestuelle, sans chercher à l’améliorer

par un changement dans la taille ou l’emploi de nouveaux matériaux. C’est pourquoi Mithen imagine

Néanderthal dans un état de conscience automatique lorsqu’il fabriquait des outils ou poursuivait une

proie, quelque chose comme quand on conduit un véhicule tout en discutant, ce qu’Edelman (2000)

nomme conscience primaire. A la lumière des dernières découvertes sur nos cousins Néanderthal et

Denisova, il semble qu’il soit plus approprié d’envisager ce stade pour les hominidés antécédents,

beaucoup plus loin dans le passé. La conscience d’ordre supérieur réside dans le fait de se reconnaître

en tant qu’individu et de penser que ce qu’on ressent soi-même peut être aussi ressenti par un autre,

d’où dérive sans doute l’empathie. C’est donc un fait qui a besoin d’un environnement social pour se

manifester et qui existe semble-t-il chez d’autres mammifères vivant en groupe. La venue de l’homme

actuel (Homo sapiens) aurait modifié rapidement les conditions, car ce serait établie une

communication fluide entre les modules de l’intelligence : le secteur technique comme la connaissance

de la nature seraient entrés par le langage dans le domaine social. Par l’échange verbal entre les

membres du groupe, une communication des expériences individuelles crée un corpus commun de

connaissances et les animaux sont chassés plus efficacement, des outils plus complexes sont élaborés

pour des tâches spécialisées. En raison de la continuité assumée entre humains et non-humains dans la

majorité des cultures (Descola, 2005), les animaux ont été assimilés à des humains et leur

comportement devient prédictible (connaissance de leur trajet, des voies de leurs migrations) ; la

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chasse peut être planifiée selon le type de gibier, car les hommes se projettent en eux (d’où leur

représentation sur les parois des grottes). Ce qui traduit une pleine conscience d’eux-mêmes, que

l’emploi du langage facilite au sein des groupes sociaux. On ignore la cause de ce saut qualitatif dans

le fonctionnement cérébral, car il s’agit manifestement d’une complexité accrue des relations entre

neurones dont on ne saisit pas le déterminant. Bednarik (2011) développe l’hypothèse d’une

rétroaction entre langage et complexité des relations sociales. Les découvertes le plus récentes

concernant Néanderthal semblent atténuer la différence entre les deux espèces. Elle résiderait peut-être

dans la différence de sensibilité à la sélection entre une adaptation stricte, morphologique et

physiologique, de Néanderthal à certaines conditions climatiques, et une adaptabilité plus grande de

sapiens, mais Néanderthal montre semble-t-il les mêmes rituels funéraires et perfectionnements

technologiques que Cro-Magnon. Il a même produit des éléments de parure, donc une pensée

symbolique. Malgré les différences morphologiques assez nettes, il est même probable que la

différence ne soit pas du niveau spécifique, puisqu’on a eu la preuve moléculaire de leur hybridation en

Europe. On ignore à vrai dire pourquoi seules les populations étiquetées sapiens au sein du genre

Homo ont poursuivi leur expansion indifférente aux différences climatiques.

Des 900cm³ du plus ancien Homo à 1400 cm³ en moyenne chez l’actuel, le cerveau est devenu un

gros consommateur d’énergie, 20% du total de la consommation de l’oxygène pour 2% de la masse de

l’organisme. L’être humain consomme par jour trois fois et demie plus d’énergie pour faire fonctionner

son cerveau que les autres primates. La source de cette différence réside sans doute dans le nombre

énorme de neurones groupés dans l’écorce plissée qui forment des réseaux dans lesquels circulent des

signaux sous forme d’influx. Selon Leonard & Robertson (1992) cet organe aurait détourné une partie

de l’énergie nécessaire à la croissance aux dépens de la masse musculaire. En effet, contrairement à la

plupart des prédateurs chez qui la masse des muscles locomoteurs représente jusqu’à 60% de la masse

du corps (Calder, 1984), chez l’être humain elle atteint à peine 20 à 35%. Ce cerveau a permis à de

petites populations de surmonter de grands handicaps écologiques : absence d’armes naturelles contre

les grands prédateurs, très faible protection contre les éléments du climat (« le singe nu »), parturition

problématique en raison du conflit anatomique entre la bipédie propre aux hominidés, qui implique une

morphologie particulière du bassin, et la taille considérable de l’encéphale chez le nouveau-né,

croissance lente avec une dépendance de la progéniture pendant de longues années, caractéristiques qui

ont fait soupçonner une évolution impliquant l’hétérochronie du développement (néoténie). Or, c’est

précisément les boucles de rétroaction positive entre ces attributs a priori gênants et le cerveau qui a

probablement permis une sélection accélératrice.

Un seul cerveau et deux vies

Le surdimensionnement cérébral a simplement ouvert un champ de libre activité, alors qu’il apparait

comme un caractère de luxe dont pourtant l’évolution montre le caractère fatal dans la plupart des

lignées. Caractère résultant d’un processus que l’on nomme hypertélie, le cerveau humain est un

organe qui n’est pas utilisé à plein temps dans la vie réelle, il tourne beaucoup à vide. J’entends par

cette expression que pendant le sommeil le cortex cérébral ne reçoit plus d’informations qui, en

provenance du monde extérieur, impliqueraient une action. En revanche, des influx proviennent aux

noyaux centraux en provenance des récepteurs viscéraux et sont sans doute intégrés dans les circuits du

cortex. Dickens a parfaitement traduit ceci dans « Un conte de Noël » quand il fait dire à Scrooge face

au fantôme de son associé Marley « Vous n’êtes peut-être qu’un morceau de bœuf mal digéré ». Le

cerveau des vertébrés est en effet un organe singulier résultant d’une propriété du neurone. La plupart

des organes entrent en fonctionnement sous l’effet d’un signal déclencheur, le plus souvent chimique,

ce qui leur permet de s’insérer dans une chaîne d’actions, par exemple au cours de la digestion. Ils sont

donc soumis à une alternance de pause et d’activité. Même le muscle cardiaque dont le fonctionnement

est continu doit être stimulé périodiquement par un signal nerveux particulier. En revanche, le système

nerveux est en constante activité et de manière spontanée, assurant le contrôle et la modulation de

toutes les autres activités. Le cortex qui surmonte l’ensemble du système ne cesse jamais son état actif,

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les réseaux de neurones qui le composent sont parcourus de signaux dont on peut enregistrer les effets

électriques et la cessation de ces signaux signifie que l’organisme a cessé de vivre. Cette singularité est

due à une propriété essentielle de tout neurone d’émettre un signal oscillant résultant d’un système en

boucle, une pompe ionique, entre calcium et potassium, au niveau de la membrane cellulaire. Or, chez

l’être humain actuel il y a paraît-il environ 20 milliards de neurones répartis dans les 22 décimètres

carrés du cortex, organisés en réseaux qui définissent des zones fonctionnelles. Il se peut donc que le

cerveau humain soit surdimensionné par rapport aux fonctions répondant aux nécessités de la vie

quotidienne d’un primate de sa taille. Il y a manifestement une relation entre cet aspect quantitatif et les

capacités cognitives de l’être humain. Mais on peut remarquer aussi que chez beaucoup de

mammifères, en particulier les prédateurs, l’activité dans l’espace de l’environnement n’est pas

permanente. Aux phases d’exploration pour la subsistance ou la reproduction succèdent des phases où

l’organisme est mis au repos, hors du circuit ambiant, c’est le sommeil. Pourtant, les circuits corticaux

continuent d’être parcourus par des signaux, ils sont actifs. Nous savons par notre propre expérience

que cela se traduit par le sentiment d’un vécu hors du réel, le rêve.

« But then begins a journey in my head,

To work my minds, when body’s work expired »

Reconnaît Shakespeare dans son sonnet 27.

Des signaux électriques particuliers sont émis par le cortex lors de cette phase du sommeil, appelée

sommeil paradoxal. L’homme n’est pas le seul à rêver et c’est chez le chat que les travaux

fondamentaux sur ce sujet ont été réalisés (Jouvet, 1967,1992). Cependant, les propriétés de ce ressenti

sont particulièrement mises en relief chez un être qui se reconnaît comme distinct, individu, ayant

conscience de lui-même et percevant comme objet ses propres sensations. Un sujet capable de se

considérer comme un objet. Comment un tel être peut-il donner du sens à ce qu’il ressent comme une

vie qui lui est imposée, rêves et fantasmes, mirages et hallucinations, sans doute de plus en plus

complexes au cours de l’évolution et de la complexité des échanges sociaux au sein du groupe familial,

clanique, sans doute très vite stimulé par la consommation de certaines substances naturelles et une vie

imaginative. Ainsi, chaque être humain aurait eu très tôt à sa disposition deux vies parallèles. Une vie

dure, hasardeuse, où il se confronte à la réalité des forces de la nature et aux contraintes de la vie

sociale faite de conflits et de jeux d’influence. C’est là qu’il exerce ses aptitudes physiques et

cognitives, qu’il peut voir, toucher les résultats de ses actions. Et une seconde vie où il a conscience

que des forces insaisissables jouent de lui comme d’un objet, le plonge dans un monde où se déroule

l’impossible, où les êtres morts apparaissent, partagent les actions des vivants et sont même parfois

menaçants, et de cette vie il conserve la mémoire. Quelle relation entre ces deux vies ? L’une est-elle

plus importante que l’autre ? Où suis-je vraiment et qui suis-je ? Il semble qu’il y ait deux attitudes

divergentes face à ces questions. La première consiste à considérer que la vie que j’appelle imaginaire,

échappant au contrôle de l’individu, révèle l’existence de forces supérieures auxquelles il faut se

soumettre pour mieux affronter les obstacles de la vie réelle. Dans beaucoup de cultures subsiste ce qui

a sans doute été la première tendance, dans le désir de « normaliser » la contradiction entre ces deux

vies. Il s’agit de nier toute contradiction en effaçant les limites entre le monde des morts et celui des

vivants, entre les images du rêve et celles de la vie quotidienne, entre les êtres humains et les éléments

naturels, animaux, plantes et même les phénomènes atmosphériques. Il suffit alors de bâtir par le

langage des récits justificatifs, une étiologie dit Krappe (1952), les mythes, dont la mémoire orale est

maintenue par des rituels. Les mythes sont aussi une manière de placer l’histoire réelle dans le monde

imaginaire, de la soustraire à la réalité, de la contrôler afin qu’elle soit conforme aux fondamentaux qui

cimentent la communauté. Ainsi, c’est le même organe, le cerveau, qui d’un côté est responsable des

fantasmagories inquiétantes du rêve, et de l’autre élabore une « rationalisation » par l’élaboration de

mythes, afin d’échapper à l’angoisse. Il y a une « remise en ordre » sécurisante, ou comme le dit Eliade

(1990) une transformation du chaos en cosmos. C’est dans ce sens que le mythe constitue une

préfiguration de l’approche scientifique bien que les présupposés soient différents et, comme le

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souligne Lévi-Strauss (1962) que « la réflexion mythique apparaît comme une forme intellectuelle de

bricolage » dont le propre « est d’élaborer des ensembles structurés, non pas directement avec d’autres

ensembles structurés, mais en utilisant des résidus et des débris d’événements ». La transmission est

orale, elle fait partie des éléments qui structurent les communautés, et ce processus oral est soutenu par

une gestuelle, un ensemble de comportements qui jouent le rôle d’aide-mémoires exposés aux

générations. Ce sont les rituels et les cérémonies auxquels les membres de la communauté doivent se

soumettre à chaque étape de leur vie. Sinon, ils sont exclus, ce ne sont plus des « hommes » puisqu’ils

ne reconnaissent pas le même « cosmos », le même monde, en un mot ils s’excluent de la culture. Pour

Boyer (2001) le rituel aurait même précédé le concept de divinité. Il répond au sentiment d’urgence,

quelque chose d’analogue aux TOC, une précaution obligatoire. Les rituels sont issus d’actes

biologiques fondamentaux dont la répétition est une obligation physiologique, la prise de nourriture, la

miction, la défécation. L’éthologie a bien documenté les diverses manifestations et comportements

associés à ces actes (ritualisation) selon les espèces. L’être humain n’en est pas exclu. Il en est une

autre série qui ne concerne pas seulement l’individu, mais des rapports entre individus. C’est bien sûr

le cas des rapports liés à la sexualité. La ritualisation est encore plus évidente chez la plupart des

vertébrés. Le plus souvent le rituel associé à un de ces actes fondamentaux emprunte des éléments

comportementaux de base : piétinements, picorage, claquement des mâchoires, etc. Les espèces dont

les populations sont denses et où les rapports entre individus prennent un niveau de complexité, avec

de éléments de valeur (hiérarchie) propres aux organisations sociales, montrent en général un haut

niveau de ritualisation (oiseaux et mammifères). Chez l’être humain, les choses se compliquent

énormément par l’introduction de concepts dans les rapports de type social, depuis le niveau du noyau

reproducteur élémentaire, jusqu’à celui du groupe, rassemblement d’individus conçu comme unité

fonctionnelle face à «l’extérieur ». Mais surtout, vient interférer cette vie imaginaire issue du

fonctionnement « à vide » du cerveau. C’est alors que les rituels prennent un relief existentiel, et pas

seulement de participants aux impératifs biologiques. En effet, par un phénomène de déplacement, le

rituel va se substituer à l’exigence vitale du besoin physiologique auquel il est associé. Il devient

superstition et par renforcement obsession compulsive, c’est-à-dire comportement automatique sans

objet. C’est en cela que les rituels religieux participent au renforcement, à l’ancrage dans la nécessité

du sentiment religieux individuel transformé en religion du groupe. Il existe ainsi toute une échelle de

rituels, avec les différences introduite par les cultures, depuis le comportement du chat qui enterre ses

excréments, jusqu’aux gestuelles répétitives dans les offices religieux associés à la transmission

rigoureuse des mythes. Les TOC (Troubles Obsessionnels compulsifs) en sont les répliques

pathologiques.

Par voie de conséquence, dans les cultures où l’écriture devient un auxiliaire de la mémoire, le

véritable historien, celui qui raconte au plus près la réalité, sera perçu comme un blasphémateur, un

dangereux hérétique, car son récit fondé sur la réalité sans cesse changeante n’’est pas conforme aux

mythes et échappe au rituel répétitif. C’est pourquoi la plupart des historiens et historiographes ont

participé à la consolidation du mythe, quand ils ne sont pas venus lui apporter des ornementations, pris

au piège des contraintes de la communauté, c’est-à-dire de l’idéologie dominante. L’histoire a donc été

jusqu’à aujourd’hui une manière d’inclure les ancêtres dans un panthéon dont le rôle est de maintenir le

ciment communautaire, mais aussi de retenir les morts dans le monde des vivants. Il suffit de

considérer la récurrence des appels à un « roman national » par les courants politiques conservateurs

dont la rhétorique joue surtout sur le registre affectif.

La découverte, sans doute fortuite, que la consommation de certaines substances naturelles, plantes,

champignons où liquides fermentés, fait surgir à la demande la vie imaginaire du rêve, est

probablement très ancienne quand on considère son universalité (de Félice, 1936). Tout individu qui

acquiert la maîtrise de ces usages se distingue immédiatement dans le groupe social, c’est-à-dire

montre un pouvoir. Il est alors capable de franchir à volonté les limites qui séparent la vie réelle et la

vie imaginaire et, en se conformant aux rituels, de servir de médiateur entre ce qui est présenté comme

deux mondes, celui des vivants et celui des défunts et des ancêtres. A partir du chamanisme ou de la

sorcellerie s’ouvre ainsi la voie spiritualiste qui a conduit aux religions avec toutes leurs variantes.

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Leur objectif social initial a été généralement détourné au profit des structures institutionnelles qui les

soutiennent en utilisant le pouvoir que leur confèrent les éléments d’apparence surnaturelle, les

« mystères ». On doit cependant remarquer que le chaman traditionnel est seul face à la communauté et

doit rendre des comptes sur son efficacité. Il a d’une certaine façon obligation de résultats, ce qui n’est

plus le cas lorsque se constitue une caste de religieux, une « corporation de spécialistes » (Boyer,

2001), et l’apparition de sectes, c’est-à-dire que s’institue une dépendance des autres membres de la

communauté qui vont alors se comporter en « masse » (Canetti, 1966).

La seconde attitude consiste à intégrer les éléments de la vie imaginaire dans la vie réelle, et c’est la

voie de l’expression esthétique qui cherche à enrichir, à rendre plus plaisante la réalité quotidienne et

d’une certaine manière reprendre la main sur le vécu en le recréant. Comme le dit Francastel (1956)

« L’œuvre d’art est le produit unique d’une activité qui se situe, à la fois, sur le plan des activités

matérielles et des activités imaginaires d’un groupe social donné »

Masque Sépik, (Nouvelle Guinée-Papouasie), représentant un ancêtre. Le petit personnage au sommet est

l'esprit de médiation. Weltkultur Museum, Francfort-sur-le-Main.

Ainsi le surplus d’activité cérébrale aurait été détourné par le jeu d’une rotation7 à vide dont

l’individu prend conscience. Ceci fait naître le fait religieux, d’abord solution individuelle à un

sentiment de discordance entre vie réelle et vie rêvée, puis conceptualisée et organisée socialement, de

manière diverse selon les sociétés et leur niveau de complexité. Mais, sans doute en parallèle quand on

considère l’ancienneté des grottes ornées, est née l’expression d’un monde imaginaire, sorti de l’esprit

et remplaçant la réalité, représentations plastiques des activités neuronales « à vide » qui ouvrent la

voie de l’abstraction. Deux dérivatifs formels donc qui se développent en parallèle, parfois convergent,

souvent s’opposent, et ne suivent pas les règles de la rationalité, de la causalité. Il n’est donc pas

étonnant qu’il y ait une tendance à l’anastomose entre expression du fait religieux et expression du

besoin esthétique. Mythes et rituels ont trouvé un canal dans l’art, jusqu’à le parasiter et y trouver un

allié, dans l’entretien d’une tradition ou pour assister le prosélytisme. L’art s’est alors trouvé soumis

aux mêmes règles, aux contraintes d’une pseudo-rationalisation au service de l’institution sociale. Il a

été soumis à un code de signes et de symboles au service du fait religieux, lui-même incarcéré dans des

rituels puis dans des religions-institutions. Il a ainsi souvent perdu son rôle de traducteur de la vie

rêvée dans le monde réel.

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Il faut néanmoins remarquer que la source de la vie imaginaire et le besoin d’exulter le trop plein de

rêves ont conduit à l’expression de personnalités, à des surprises jaillissant en dehors de l’orthodoxie,

insérant le fantastique et le plaisir sensoriel dans les stéréotypes mythologiques comme en témoignent

les arts plastiques dans les édifices religieux. Mais il se trouve aussi parfois que la vie rêvée et

l’activité de circuits en boucle débordent si fort dans la vie réelle que les exutoires que sont les mythes,

les rites et l’expression esthétique ne sont plus suffisants. Alors l’individu glisse vers des positions qui

le singularisent vis-à-vis du groupe social. Il est sujet à des dérèglements neuroniques dont les

manifestations extrêmes, hallucinations, prostration ou logorrhée, peuvent prendre une forme en

apparence organisée et structurées sur les bases préexistantes de traits sociaux ou culturels ritualisés.

Des prophètes aux déments meurtriers, on rencontre ainsi des figures susceptibles d’agir puissamment

sur les esprits de leur entourage et de déclencher des mouvements collectifs généralement destructeurs

et suicidaires. Les mouvements messianiques conduits par des prédicateurs qui surgissent

périodiquement lorsque les structures sociales se désagrègent, comme il en eu encore récemment en

Amazonie et au XIXe siècle dans le Kentucky (Canetti, 1966), conduisent ainsi des foules vers leur

perte assumée, car leur seule issue réside dans l’espérance de la destruction du monde, une apocalypse.

L’histoire nous apprend que des personnes sans scrupule peuvent utiliser consciemment ce versant

irrationnel pour mobiliser à leur profit des masses humaines, par l’intermédiaire d’êtres qui sont

persuadés de posséder des dons surnaturels ou bien d’avoir été choisis par une puissance insaisissable.

Du chaman aux palais royaux.

Mais le fait religieux a aussi pour effet sur l’individu d’écarter la conscience de l’action sur le

monde matériel dans le cadre de la vie réelle, pour la cantonner dans un travail à vide. A la limite cela

peut conduire à un tel détachement vis-à-vis de la réalité que l’anachorète ou le mystique devient une

sorte de « mort-vivant ». Les penseurs au sein des religions ont compris ce danger pour le groupe

social et sa cohésion. C’est pourquoi les mythes et les rites incluent une sauvegarde par une

valorisation d’actions dans le monde matériel. C’est le rôle des héros ou divinités dans les

polythéismes, ou bien, dans le monothéisme proche-oriental, c’est le rôle d’une exigence du Dieu visà-vis

de sa créature humaine. Ainsi Gilgamesh affronte Humbaba le gardien de la forêt du Liban, il en

coupe les arbres pour mériter le titre de civilisateur et roi d’Uruk, tandis que dans la Bible l’être

humain devient homme et femme quand il est chassé du Paradis. Il s’agit dans les deux cas d’actions

conduisant à une émancipation dangereuse, la civilisation obligée (on peut aussi penser au mythe de

Prométhée qui paie cher le vol du feu aux divinités et qui se prolonge par celui de Pandore). Ainsi, le

dieu d’Abraham force les hommes à affronter le monde réel et leur donne ordre de se rendre maître de

la nature, dont l’exploitation devient nécessitée. La réforme protestante en fera même une garantie de

salut. Mais, au cours de l’évolution des sociétés cette exploitation de la nature a pris la forme de

l’exploitation de l’homme par son semblable au sein de communautés qui se stratifient par la diversité

du travail née de la maîtrise de plus en plus affinée des ressources naturelles, la production de surplus

et donc de la possibilité d’échanges (domestication d’animaux et agriculture au néolithique). C’est en

ce sens que le fait religieux individuel, socialisé en mythes, devient alors un instrument pour justifier

l’aliénation corps et esprit, des couches productrices.

Georges Dumézil (1992) a cru pouvoir reconnaître dans l’espace linguistique indo-européen la

généralité d’une stratification des sociétés en trois ordres, l’ordre guerrier, l’ordre des prêtres et celui

des producteurs de biens. La réalité historique révèle bien une tendance de ce genre mais aussi une plus

grande complexité selon les cas, les temps et les cultures. La première strate à se distinguer est sans

doute celles des chamans, devins et prêtres, les reste de la communauté se distinguant essentiellement

par une différenciation des activités selon le sexe et l’âge. La strate des guerriers n’a dû se constituer

de façon permanente (et non pas conjoncturelle par le groupement de chasseurs à l’occasion d’une

opération de raid) lorsque la domestication de plantes et d’animaux a permis l’accumulation de

réserves qui ont attiré les convoitises donc nécessité une protection. Le pouvoir, c’est-à-dire le lieu de

prise de décisions qui engagent l’avenir de la communauté, a oscillé entre les prêtres et les guerriers,

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les premiers possédant des forces occultes, les seconds disposant des forces matérielles des armes. Le

degré de perméabilité des esprits guerriers aux superstitions (et supercheries) et déguisements rituels a

joué un rôle important dans cette oscillation du pouvoir. La ségrégation de ces deux strates ayant un

pouvoir apparaît par l’existence de quartiers distincts dans les premières villes ce qui reflète sans doute

une précaution politique. En même temps l’existence de guerriers permanents permettait à la strate

religieuse de maintenir leur pouvoir sur les producteurs en toute circonstance, par exemple pendant les

disettes et les épidémies devant lesquelles l’impuissance des forces occultes devenait source de

révoltes. Dans le monde proche-oriental et méditerranéen, à partir du 3 e millénaire, c’est une hiérarchie

fondée sur un chef de guerre qui prédomine. Il cumule la fonction religieuse en tant qu’ordonnateur des

rites. Le cuivre est devenu la matière première, et remplace la pierre (silex ou obsidienne), le char tiré

par un cheval, invention venant probablement des steppes asiatiques, est l’apanage des guerriers. La

maîtrise sans doute ancienne de la navigation n’est plus un moyen de migrer mais un outil de

communication et de conquête. Mais l’essentiel est économique : établissement de comptoirs dans des

pays lointains, échanges de productions et accumulation de richesses caractérisent les sociétés de ces

époques, qu’elles soient insulaires (par exemple à Chypre, et en Crète) ou continentales. Il en découle

l’émergence d’un nouveau groupe social, celui qui maîtrise l’écriture et jouent le rôle de comptables

autant que de chroniqueurs, ce qui d’ailleurs nous a permis de connaître certaines formes de cette

organisation sociale. Le Palais dont on trouve le prototype en Crète devient une forme d’état organisant

des activités très diverses, productions agricoles et d’élevage, artisanat utilitaire et spécialisé. Les

cultes sont célébrés dans des édifices particuliers, des « temples » présents dans les villes de

Mésopotamie et d’Anatolie, sous la responsabilité d’une classe spécialisée. Mais ce n’est pas toujours

le cas. En Crète par exemple, les cultes, très liés aux rythmes agraires, sont célébrés dans des grottes,

ancien type d’habitation au néolithique, ou bien au sommet de montagnes, ce qui dénote une absence

de véritable ségrégation d’une classe religieuse associée à des constructions. En revanche, il semble

que dans cette île les femmes jouaient le rôle d’officiants spécialisés pour les célébrations, tandis que

nombre de divinités étaient féminines. Nature, jeunesse, agilité et négation de la mort par la

résurrection périodique, semblent constituer les lignes fondamentales des rites minoens qui paraissent à

cet égard bien particuliers.

En Chine les conditions sont très différentes car il n’y a jamais eu de véritables religions

institutionnelles, avec une classe de prêtres participant au pouvoir. Ce pouvoir s’est organisé autour

d’un système matériel d’administration des choses et lorsqu’un empereur, hissé à ce niveau par la force

des armes, reçoit une qualification surnaturelle c’est en tant d’intermédiaire entre le système

d’administration des choses et un système symétrique d’administration du cosmos, du ciel (Cheng,

1997). Quant aux pratiques religieuses elles demeurent au niveau du chamanisme et de son rôle

divinatoire, celui de s’assurer de l’avenir. Ces pratiques sont exercées par des individus et sont

monnayées. Leur but est de s’assurer une protection contre les forces de la vie imaginaire et l’intrusion

des morts, fruits du surplus de l’activité cérébrale. Ceci explique qu’en Chine et dans les empires

mongols, les diverses formes de religions apparues au Proche-Orient et en Arabie, et diffusées par les

routes commerciales de l’Asie centrale, ne sont pas entrées en concurrence avec une religion officielle,

c’est-à-dire associée au pouvoir, et ont souvent coexisté au sein de l’Empire sans être inquiétées, tant

qu’elles n’ont pas cherché à influencer le pouvoir. Ce qu’on appelle religions, taoïsme, confucianisme

et le bouddhisme importé de l’Inde, sont essentiellement des philosophies donnant à l’Empire les

fondements logiques et existentiels aux règles d’administration des choses et des hommes. Il est vrai

que ces ensembles, agnostiques à l’origine, ont donné des formes syncrétiques en incorporant des

pratiques anciennes issues sans doute du chamanisme, prenant alors des formes religieuses avec

souvent une multitude de divinités populaires et un corps d’officiants, mais sans recherche du pouvoir

politique. Il n’y a pas eu en Chine de guerres pour des motifs religieux.

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Arts, Sciences, Religions et le surdimensionnement du

cerveau humain 2

Arts, Sciences, Religions and the over-sized human brain 2

Jean-Pierre Gasc 1

1 Museum National d'Histoire Naturelle, Paris, jean-pierre.gasc@mnhn.fr

RÉSUMÉ. Parmi les religions institutionnelles, les formules monothéistes se sont imposées dans le Proche-Orient en

association avec l’histoire de sociétés hiérarchisées et leurs modalités d’exercice du pouvoir. Cette relation a fait des

religions des agents responsables des plus grands massacres de l’histoire. L’exercice de la raison, du doute et de la critique

a conduit au développement de la philosophie et de la science, souvent en opposition avec les religions. Cependant,

d’une part les causes mentales de la tentation du recours à la religion résident en chaque être humain et se trouvent

renforcées par des conditions sociales, d’autre part la soif de pouvoir et l’instrumentation du fait religieux dressent

des obstacles à l’épanouissement de l’humanité. Les solutions résident dans la conjonction d’une diffusion massive des

connaissances et un partage volontariste des ressources.

ABSTRACT. Among the institutional religions, the monotheistic formulas were imposed in the Middle East in association

with the history of hierarchical societies and their modalities of power. This relationship has made religions agents responsible

for the greatest massacres in history. The exercise of reason, doubt and criticism has led to the development of

philosophy and science, often in opposition to religions. However, on the one hand, the mental causes of the temptation

to resort to religion reside in each human being and are reinforced by social conditions; on the other hand the thirst for

power and the instrumentation of religious fact create obstacles to the flourishing of humanity. The solutions lie in the

conjunction of a massive diffusion of knowledge and a proactive sharing of resources.

MOTS-CLÉS. Abraham, prophètes, messianisme, superstition, Lumières.

KEYWORDS. Abraham, prophets, messianic, superstition, Enlightment.

Les monothéismes et leur dualisme implicite

Les religions monothéistes constituent un cas particulier1, en particulier celles qui se développent

successivement au Proche-Orient à partir du même schéma d’origine, symbolisé par Abraham, et dont

les mythes fondamentaux consignés dans la Bible au sens large continuent à être pratiquées.

Historiquement, il semble que le monothéisme soit d’abord passé par une phase où une des divinités

reconnues par la société ait été mise au premier plan. Ensuite, elle aurait été reconnue comme exclusive

et le panthéon définitivement rejeté. Pour tenter d’expliquer ce phénomène, il convient encore de

distinguer le plan individuel, personnel, et celui du groupe ou d’une fraction qui a la charge des rites.

D’un point de vue individuel, les tourments nés de l’hyperactivité cérébrale, les interrogations sur la

mort et la peur du monde imaginaire qui est bien ressentie individuellement, le poids de l’inconscient,

ne sont jamais totalement satisfaits par le recours à l’animisme et ses superstitions, ni par les mythes et

sacrifices à de multiples divinités qui appartiennent aux traditions de la communauté. Cette

insatisfaction nourrit la permanence du recours de la religion et de ses pratiques souvent contraignantes

et complexes, ce qui constitue une véritable addiction se manifestant par une superstition aigue qui

pèse sur la vie quotidienne. Précisément, puisqu’il y a servitude n’est-il pas avantageux, simple et peutêtre

plus efficace de s’en remettre à une seule entité sur laquelle se concentre tous les rituels ? Et sur le

plan du ressenti introspectif le sujet se voit alors en contact avec une seule force. Le passage vers une

abstraction, un « non-nommé », est alors possible dans la fraction initiée du groupe, ce qui fait du

monothéisme une religion pour les élites. Cependant, une difficulté récurrente s’est soulevée sur la

voie conduisant au monothéisme, et a produit parfois une vive opposition des masses. En effet, la

diversité des situations inattendues, inexplicables, insolites, conduisant à des drames, à des morts,

maladies et catastrophes ne paraissent pas pouvoir être justifiées, ni par des forces naturelles

impersonnelles ni par un seul être surnaturel. Face à une typologie des maux de l’existence, il est plus

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facile, dans le cadre d’une mentalité où les relations de causalité ne sont pas perçues, de placer des

« génies » en regard de ces « accidents de la vie », une série de puissances spécialisées en vertu d’une

continuité entre l’homme et l’ensemble de la nature. Alfred Métraux (1958) rapporte comment le Dieu

unique du christianisme cohabite en Haïti avec les esprits craints et vénérés par le culte du vaudou, que

rien n’a pu déraciner. Ces esprits et le culte associé sont ressentis comme tellement nécessaires que

leur rejet s’accompagne généralement de troubles graves de la santé mentale. Il semble ainsi que les

êtres surnaturels qui sont présumés avoir un impact quotidien sont considérés comme des agents

stratégiques, contrairement aux « grands créateurs » trop éloignés du quotidien. Ils alimentent les

superstitions que combattent alors les doctrinaires, (Boyer,2001). La lecture de la Bible nous apprend

sous forme mythifiée combien il avait été long et difficile d’instaurer le monothéisme strict dans les

tribus de l’ancienne Palestine. C’est semble-t-il la cruelle épreuve de l’exil de tout un peuple à

Babylone et en Egypte qui a été déterminante dans le rejet définitif du polythéisme. L’argument décisif

fut un retournement du jugement porté sur la défaite d’Israël. Au lieu de faire naître un sentiment de

rejet face à une divinité (Jahvé ou YHVH) qui paraissait avoir abandonné ses créatures, les chefs

religieux ont mis en avant la culpabilité du peuple, et ont présenté ces revers comme un châtiment en

raison de la rupture de l’Alliance, preuve de la sollicitude du créateur et de la place prééminente des

Juifs, soumis ainsi à une épreuve destinée à resserrer les liens privilégiés que ce peuple entretient avec

le créateur. Ce fut en même temps l’occasion de créer un soutien sans faille au pouvoir des rois.

L’histoire semble montrer que le monothéisme n’a pu être imposé durablement sans l’adhésion soit

du collège des prêtres, soit des peuples subjugués par des prophètes. Ainsi, en Egypte, au 14 e siècle

avant notre ère, Aménophis IV imposa un culte monothéiste, celui du soleil (Aton) et pris le nom

d’Akhenaton. Mais ce brusque abandon d’une tradition déjà millénaire ne résista pas après la mort du

pharaon à la pression de toute une hiérarchie de prêtres et de dignitaires qui avaient perdu tout pouvoir

et richesse. Le rôle des prophètes, personnes s’imposant aux masses par la parole, paraît essentiel à la

survie des monothéismes, fragiles devant la pression des rituels anciens et de la personnalisation des

forces naturelles, des accidents de la vie et des fantasmes de l’inconscient qui poussent vers

l’animisme. C’est à plusieurs reprises que la religion des tribus d’Israël est sauvée par le discours

culpabilisant de prêcheurs qui jouent en outre du ressort divinatoire et d’un réel pouvoir de suggestion

pour susciter un élan messianique tout spécialement en période de crise.

Une autre difficulté mine le monothéisme strict. Ce Dieu unique est d’abord bon, bienveillant et

miséricordieux, il doit séduire et rassurer. Mais cette image est bien vite difficile à défendre sans un

aveuglement complet, une servitude volontaire. Le Mazdéisme venu sans doute de l’Inde vers l’Iran

ancien et prolongé par Zoroastre montre l’exemple d’un monothéisme oscillant pendant des siècles

entre son rejet initial des rituels sacrificatoires et la prise de drogues hallucinogènes et une conception

dualiste dans laquelle un dieu bon fait face, comme l’image modifiée dans un miroir truqué, à un dieu

méchant. En effet, au niveau individuel et de la famille nucléaire la vie offre trop de drames qui

paraissent injustes et l’auto-culpabilisation prônée par la doctrine ne suffit pas à effacer les

interrogations sur l’efficacité d’un dieu réputé bon. Ceci conduit à la supposition soit de l’abandon des

créatures par le créateur, soit à l’existence d’un dieu malin, dans tous les sens du terme. Les courants

d’un dualisme plus ou moins accentué (manichéisme, gnosticisme, catharisme, sont les plus célèbres)

ont régulièrement menacé les monothéismes institutionnalisés. Contrairement à leur rationalité

apparente - expliquer l’existence des effets néfastes de la vie par une cause unique, soit suprême et égal

au dieu bon, soit rebelle («ange déchu») mais laissée libre d’agir - les mouvements dualistes ouvraient

sans le vouloir les portes aux anciennes superstitions, aux génies et autres diablotins, plus proches de

l’expérience individuelles des divagations cérébrales. D’où l’ambiguïté des sculptures ornant les

chapiteaux et les modillons des églises romanes où dominent les représentations de créatures

imaginaires et inquiétantes par leur monstruosité et leurs attitudes souvent agressives.

Mahomet (Muhammad), originaire de La Mecque en Arabie, s’inscrit dans la lignée des prophètes

de la religion d’Abraham. Il reproche aux hommes de s’être une fois de plus écartés de la vraie foi, six

siècles après l’intervention de son prédécesseur, Jésus. Il a voulu refonder le monothéisme du livre

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saint, la Bible, mais dans le contexte particulier de l’Arabie, où prospèrent au 7 e siècle des tribus

nomades qui profitent de la circulation des marchandises par les voies du désert entre l’Afrique et

l’Asie. Contrairement à la plupart des autres prophètes, Mahomet apparaît sous les traits d’un fin

politique. Il ne va pas suivre l’exemple de l’échec d’Israël face à l’empire romain, ni celui de la

réussite d’un christianisme récupéré en devenant religion de l’empire en 380 par l’édit de

Thessalonique prononcé par Théodose 1er. Cette refondation rend nécessaire une diffusion massive de

sa pensée. Au cours d’un exil de 10 années à Médine, il dicte l’essentiel du Coran, recueil des

révélations divines (par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, car dieu ou Allah ne peut être personnifié)

assorties de réflexions et conseils sur la vie individuelle. Loin de faire de ce livre un conservatoire plus

ou moins réservé à une élite de prêtres, il en fait le guide obligatoire de chaque croyant, écrit dans la

langue locale, l’arabe. Son action se déroule dans un milieu tribal, sans état, c’est-à-dire dans le jeu

d’intrigues et d’échanges de services et de concurrence d’influences entre marchands, ce qu’il est à

l’origine. Il sera menacé en tant que prophète non pas par un pouvoir centralisé appuyé sur un corps de

prêtres ou de guerriers, mais par des conservateurs jaloux qui craignent tout changement comme

pernicieux pour leur commerce. Le charisme de Mohamed lui permet de réunir suffisamment d’adeptes

résolus pour employer la tactique propre au désert : la razzia contre les caravanes de ses détracteurs.

Puis il prend d’assaut La Mecque, centre important du commerce. Du même coup, il annexe un culte

préhistorique vénérant une pierre noire tombée du ciel, météorite appelée Kaaba. Commence alors une

extension fulgurante de l’Islam (qui signifie « sujétion ») par la force des armes et de la parole, un culte

qui n’exige qu’un rituel individuel quotidien et qui est strictement monothéiste, abstrait même, plus

encore que le judaïsme, et qui rejette la personnification. Mohamed lui-même n’est que le prophète

d’Allah, un messager qui meurt et dont la vénération ne viendra que plus tard. La désignation d’un

successeur, ou calife, ne posera de problèmes qu’à la seconde génération, car c’est à la fois un chef

religieux et un chef de guerre, et ce sera alors le début d’une guerre sans merci entre chiites qui fondent

leur légitimité sur la désignation d’Ali par Mahomet lui-même de son vivant, et les sunnites qui

prennent ensuite le pouvoir politique par la violence. Cependant, malgré la multiplication des sectes au

fil des siècles l’Islam ne cessera d’étendre son emprise politique sur des peuples non-arabes. Le

pouvoir y apparaît comme une délégation de celui qu’exerça le prophète, ce qui ouvre évidemment la

voie à toutes les manipulations. Il n’y a pas de hiérarchie institutionnelle, du moins à l’origine, et

comme chacun peut s’autoproclamer prédicateur ou dignitaire, il fut rapidement nécessaire d’instaurer

un système d’enseignement particulier pour préserver la doctrine, qui s’exprime en arabe. La cohésion

repose d’une part sur le livre, sa langue et le rituel, d’autre part sur une administration rigoureuse des

choses et des hommes qui rappelle le cas chinois, issue aussi d’une pratique marchande. La simplicité

structurelle et la quotidienneté rituelle ont certainement compté dans le pouvoir de séduction de

l’Islam, en plus de la sidération des peuples conquis. Cependant, une part du dualisme biblique,

l’existence de Satan un ange déchu, est conservé, mais il joue le rôle d’identifiant des ennemis, et des

rebelles incroyants. Ceci révèle d’ailleurs une contradiction que le judaïsme n’avait pas résolue non

plus. En rejetant les ennemis du côté du Mal, on nie le côté universel et bienveillant du créateur, on

définit deux catégories de créatures et on ouvre donc la porte au fanatisme meurtrier. Comment

concilier cette attitude avec le monothéisme strict et les consignes de solidarité envers les faibles et de

bienveillance fraternelle envers tout humain que déclare la doctrine ? La différence sur ce point avec le

judaïsme orthodoxe est que la conversion à l’islam suffit à entrer dans la communauté des croyants

(ummah). Il n’y a pas de peuple élu, d’où l’expansion étonnante de l’islam.

Dès que le christianisme devint en 380 religion d’état par l’édit de Thessalonique sous l’empereur

Théodose 1er, il tourna aussi le dos au monothéisme strict, et progressivement, jusqu’à la réforme

grégorienne du douzième siècle, l’Eglise se confondit avec les pouvoirs politiques, jusqu’à les

supplanter dans les domaines de la vie des individus. D’assemblée des fidèles, l’église chrétienne s’est

transformée en institution, avec une organisation hiérarchique et une distribution territoriale, les

évêchés concentrant pouvoir politique et substrat économique. Les seigneurs, représentants de la caste

guerrière, perdent du pouvoir et des ressources face aux évêques et aux monastères. D’une certaine

façon l’église romaine a sauvé momentanément l’Empire d’occident lorsqu’il tombe en miettes, puis

par le jeu de l’acculturation des envahisseurs et l’infiltration missionnaire en vue de conversion, elle est

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devenue le soutien idéologique des souverainetés européennes. Sa position hégémonique qu’est venue

renforcer l’accroissement des pouvoirs du Pape élu à partir de 1059 par les cardinaux et non plus par

l’Empereur, ouvrit là encore la porte au fanatisme. Le grand schisme intervient en 1054 entre Rome,

qui se veut hégémonique parce qu’héritière de l’apôtre Pierre, et Byzance où Empire et église restent

étroitement associés. La religion plus que jamais s’illustra comme un prétexte dans les prises de

pouvoir, et les massacres. C’est ainsi que l’aristocratie guerrière totalement apprivoisée par l’idéologie

romaine aura son énergie utilisée dans les opérations des croisades, prétexte d’une libération des lieux

saints ou de l’élimination des hérésies. L’une de ces croisades est particulièrement significative de

cette dérive de la religion catholique qui, pour défendre son socle dogmatique, n’hésite pas à se

comporter en puissance tyrannique, car la croisade contre les Albigeois eut lieu à l’instigation du pape

Innocent III au début du 13 e siècle sur les terres de la France en train de se consolider. En furent

victimes les masses habitant l’Occitanie qui défendaient leur pratique d’une foi religieuse se voulant

proche du christianisme originel, et qui rejetaient donc la réforme grégorienne et ses institutions.

Celles-ci en effet avaient officialisé une superstructure faisant écran entre le croyant et la divinité, une

hiérarchie ecclésiastique qui, du prêtre au pape, étendait son administration, son pouvoir économique et

son emprise sur la vie des individus. Mais l’inquisition, bras religieux de la répression contre le

catharisme, n’est fondée à Toulouse qu’en 1233, c’est-à-dire après l’intervention sanglante de

l’aristocratie guerrière du nord dont le véritable mobile a été le pillage et la spoliation des terres du

comté de Toulouse. Cette région était en effet convoitée à la fois par Henri Plantagenet et le capétien

Louis VII qui y voyaient une façon d’accroître leur domaine royal respectif d’Angleterre et de France.

C’est aussi l’époque, dès le 12 e siècle, où apparaissent des écrits violemment antisémites et anti

musulmans désignant des boucs émissaires ce qui entrainent des massacres populaires alimentés par

des rumeurs à l’occasion d’épidémies. On voit là au niveau de peuples, la restriction de la qualité

d’humain aux membres de la communauté, au dehors il n’y a plus d’humains. Il s’agit d’un phénomène

qui s’observe au niveau de tout groupement humain, dans toutes les sociétés, et qui se traduit très

souvent dans le langage, par la restriction de l’usage de terme désignant les hommes aux seuls

membres du groupe soumis au rituel. Et alors tout est possible, puisque les règles de la communauté ne

sont plus applicables à l’extérieur. Cimenter des communautés fut en effet un des rôles historiques des

religions, et l’une des conséquences a été de justifier le massacre massif des autres.

La récurrence au Moyen Age des schismes qui jusqu’à la Réforme réclament un retour aux sources

évangéliques et sont qualifiés d’hérésies par l’église romaine, moyen commode d’éviter le dialogue ou

la conciliation, révèle cependant la réalité d’un malaise vis-à-vis de la dérive du monothéisme

institutionnel. Les réponses furent de façon constante des massacres de masse, ce qui fait dire à Elias

Canetti (1966) :«il n’y a jamais eu sur terre un seul état qui s’entendit mieux à se défendre contre la

masse. Comparés à l’Eglise, tous les souverains font figure de piètres amateurs ». On peut noter

d’ailleurs que, comme toute secte parvenue au pouvoir, les religions issues de schisme se sont révélées

aussi intolérantes et sanguinaires que les premières religions monothéistes.

La défense de l’individu

Cependant, ces soubresauts des dogmes qui ont émaillé l’histoire ne doivent pas masquer « qu’en

bas », dans les masses populaires majoritairement rurales, des cultes antiques, hérités de la préhistoire,

ont continué à être pratiqués, jusqu’à contaminer le monothéisme chrétien, particulièrement sensible au

processus de personnification. C’est ainsi que malgré une transformation opportuniste par l’église des

héros locaux en « saints » et la pose de croix sur des sites naturels dont l’antique usage rituel était ainsi

« christianisé », les pratiques considérées comme « païennes » se sont poursuivies. André Varagnac,

théoricien du folklorisme, a décrit ce glissement en surface du christianisme sur ce qu’il appelle une

« archéocivilisation » (1948) dont il voyait les traces dans le folklore et la vie quotidienne des masses

européennes rurales jusqu’au début du 20e siècle. Des pratiques typiquement païennes avaient encore

cours dans les années 1970, comme j’ai pu le constater à deux reprises. Une première alors que je

visitais une chapelle isolée dans la lande du pays bigouden, et que le jeune prêtre qui m’en avait ouvert

la porte me confia qu’il avait été horrifié par la demande de certains habitants de voir bénir leurs

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animaux ; la seconde lorsque hébergés par le curé du village au cours d’une fouille paléontologique

dans la Beauce, nôtre hôte nous confia que des rites continuaient à se dérouler dans des cavités

naturelles de la région. Boyer (2001) observe aussi que les peuples s’écartent souvent du

« théologiquement correct » défini par les religieux institutionnels. A partir de ce siècle la vie urbaine a

emporté les fêtes rythmant les saisons et les communautés villageoises autour des sites naturels,

fontaines, roches ou grottes. Cette disparition est accompagnée par la réduction de la pression

institutionnelle de la religion, du moins en France. Mais cette sécularisation de la société n’a pas effacé

la pression du travail à vide de notre cerveau qui, par un processus toujours identique, continue depuis

les origines humaines à offrir à chaque individu cette vie parallèle qui nie les relations de causalité et

concurrence l’exercice de la raison sur le monde réel. Il suffit de consulter aujourd’hui le succès des

annonces de services proposés par des devins, guérisseurs et autres charlatans. L’incorporation sociale,

dans les structures de la société par les mythes et les rituels, du fait religieux individuel souvent réduit

à la superstition, agit comme une manière d’échapper à un destin individuel et permet d’exister en tant

qu’être humain au travers du groupe social. Répétons ici que ce processus répond à la fois à un besoin

individuel et à un besoin social de l’individu. C’est aussi un facteur de cohésion du groupe humain.

C’est pourquoi ce processus a dû jouer un rôle non négligeable dans l’émergence des qualités propres

aux premières populations humaines, dès lors qu’un langage minimal a permis un échange

d’information entre individus. C’est une manière de gommer la contradiction pénible entre réel et

imaginaire, un soulagement pour l’esprit : « Si le surnaturel est senti comme réel, en effet, s’il se

mélange au réel dans le mythe, c’est que le mythe est participation vécue, et non-participation pensée,

c’est qu’il n’est pas un produit de l’activité mentale en tant que cognitive, mais en tant que sentiment

expérimenté ». (Roger Bastide, 1968). Voilà aussi les portes de l’enrôlement lent dans l’orbite des

sectes par le biais d’une persuasion jouant essentiellement sur le registre affectif, sur les émotions et un

sentiment d’abandon. Historiquement, la révolution industrielle et l’essor du capitalisme ont créé les

conditions d’une aliénation des individus par le biais du travail et de la consommation ne laissant plus

de place pour une utilisation complète des capacités cérébrales, qui sont alors dérivées vers la facilité

d’un marché du rêve programmé. Même les substances psychotropes qu’utilisaient les rituels

chamaniques et antiques sont détournées pour une fuite individuelle vers « les paradis artificiels » (de

Felice, 1936).

Mais, comme nous le disions au début de ce propos, il existe d’autres voies d’exutoire pour ce

surplus d’activité cérébrale. Dans une société où l’individu peut librement exercer sa raison et trouver

les éléments de rationalité pour appréhender objectivement l’essentiel des phénomènes agissant sur le

monde réel et accéder ainsi à une compréhension permettant d’organiser ses actions dans une chaîne

causale, le surplus d’activité neuronale, cet ensemble d’association gratuites qui échappe à son contrôle

et lui forge pendant le sommeil cette vie imaginaire dont il prend conscience au réveil, lui ouvre aussi

les portes de la création artistique comme de l’intuition scientifique. Ainsi coexistent chez un même

individu deux activités mobilisant des fonctionnements distincts de la machinerie cérébrale, ce qu’avait

bien exposé Roger Fry dès 1909 (1951). En effet, bien que dans son essai sur l’esthétique ce critique

anglais traite surtout des arts picturaux, il tente de dégager une théorie générale de l’art en se fondant

sur le rôle de ce qu’il appelle « the imaginative life », déconnectée du monde réel, et source d’une recréation.

« Ainsi, l’art est une expression et un stimulus de la vie imaginaire, qui se distingue de la vie active

par l’absence d’action en réponse. En fait cette action en réponse implique dans la vie réelle une

responsabilité morale. En art nous n’avons pas une telle responsabilité morale – il offre une vie libérée

de toutes les contraintes de notre existence réelle. » (Notre traduction).

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Jérôme Bosch, le jardin des délices, panneau central, détail. Musée du Prado.

La nécessité des Lumières

Enfin, l’esprit humain se caractérise par une autre attitude face aux interrogations que lui suggère sa

conscience supérieure. « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des

Lumières » écrit Kant à la fin du 18 e siècle. L’humain est avant tout un curieux et il ne peut lui

échapper que certains événements sont toujours précédés par d’autres et qu’il dispose ainsi d’une

cohérence qui n’a pas besoin de faire appel au surnaturel ou à des mythes, qui sort du carcan des

dogmes et échappe à l’emprise du rituel. Contrairement à l‘injonction des dogmes qui se résume à un

« circulez, il n’y a rien à voir », et qui exigent de se soumettre à des réponses simples et définitives, la

prise de conscience des relations causales entre des éléments du monde matériel et les capacités

nouvelles que l’individu peut en tirer ouvre le champ de la réflexion, celui de la constitution d’un

corpus d’idées distinctes, même si celles-ci furent au cours de l’histoire, souvent partiellement incluses

dans les traditions de nature religieuse. Ainsi est née une pensée où se sont trouvées mêlées pendant

longtemps ce qu’on nomme aujourd’hui la philosophie et la science, pensée caractérisée par l’exercice

du raisonnement et la production de règles ou guides dans le processus de la connaissance. De cette

double vie ressentie par chacun naissent aussi les questions fondamentales et récurrentes de la

philosophie : 1. La réalité a-t-elle une existence en dehors de l’esprit humain ? 2. Si oui, comment

l’appréhender et la connaître ? On comprend de suite que cette voie d’activité mentale, ou plutôt les

résultats de cette activité et leur expression par le langage, est entrée en contradiction avec toute forme

de religion institutionnalisée. Un très long combat, plus qu’un débat, a donc surgi sans doute depuis la

nuit des temps, dont nous n’avons que les traces écrites assez récemment. C’est en effet par la pensée

des philosophes grecs d’Ionie, au 6 e siècle avant notre ère, connus sous le nom de « physiciens », que

nous trouvons un courant où un savoir « désacralisé » apparaît (Vernant, 2004). Physiciens, car ils

mettent au premier plan la nature (φύσις) et tous ses phénomènes dans le cosmos dont ils recherchent

l’ordre par la géométrie et non pas par l’action de héros mythiques. Thalès, Anaximandre, Anaximène,

Héraclite diffusent leur pensée grâce à une langue disposant d’une écriture alphabétique, le grec,

échappant au secret d’une caste de scribes. Ils n’ont eu à craindre ni tyran ni grands prêtres, car ils

vivaient dans des cités dont l’organisation politique était nouvelle, où le pouvoir électif est partagé

entre les hommes d’une communauté qui est fondée sur un ordre politique (celui de la cité), des règles

débattues et instaurées par les hommes eux-mêmes (du moins ceux qui étaient des mâles libres) et qui

ne découlent pas directement de mythes. Cette période laissa une trace indélébile dans les esprits

durant des siècles, malgré sa brièveté et les régimes tyranniques et l’impérialisme romain qui lui ont

succédé. Le monde européen d’aujourd’hui doit tout à ce mouvement qui fut continuellement en butte

aux poursuites des religions instituées à qui en revanche nous sommes redevables de tant de massacres.

Que faire aujourd’hui ?

Il est tout à fait contre productif de vouloir comparer les dogmes religieux à nos connaissances

actuelles, même imparfaites, sur l’évolution de l’univers, monde vivant compris. On pourrait

soupçonner que ce ne sont pas les mêmes circuits neuroniques qui produisent d’un côté le besoin d’un

recours commode aux croyances et de l’autre la pulsion aventureuse vers un démontage des chaînes de

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causalité qui ordonnent notre univers. Fort heureusement, la réflexion philosophique d’une part, et la

création artistique sous ses diverses formes d’autre part, ont pu se développer en marge des religions,

parfois à leur ombre, souvent en opposition. Bachelard (1938) préconise de « penser contre son

cerveau ». Voilà qui rejoint notre idée que le surdimensionnement de notre cerveau conduit à une

dualité qui se manifeste par le sentiment d’une double vie, vie réelle et vie imaginaire. Ainsi pour

s’assurer d’un comportement conforme à la raison, et dans le cas évoqué par Bachelard, de pratiquer

l’usage de l’esprit scientifique, il convient d’éviter tout lien, toute influence en provenance des produits

de cette partie du cerveau qui nous échappe et qu’on peut néanmoins valoriser sur un autre registre. De

manière plutôt paradoxale, cette lutte est devenue historiquement consciente et, éclairée par la

connaissance, a produit dès les premiers âges un effort de « normalisation » par le jeu des croyances au

surnaturel, mais aussi par la création artistique, création d’une « nature parallèle ». Le tourment des

créateurs comme celui des mystiques en est la conséquence. L’erreur du positivisme est d’avoir cru à

une gradation irréversible vers le triomphe de la raison universelle. En réalité, c’est à chaque

génération, dans le cerveau de chaque humain que cette lutte a lieu, dans le contexte particulier des

diverses sociétés dont les éléments structuraux issus de l’histoire de chaque groupe humain constituent

des guides, néfastes ou bienveillants, qui renforcent les difficultés ou bien les atténuent, comme en

témoignent la diversité des cultures.

L’organisation de nos neurones dans l’encéphale nous permet une compréhension encore limitée du

monde matériel, par l’exercice libre d’une recherche des chaînes de causalité. C’est cette part issue de

notre surdimensionnement cérébral à laquelle nous devons donner une forme exclusive d’attention face

à la complexité de la réalité. Bien entendu, il faut être conscient que, malheureusement, le désarroi de

très nombreux individus les poussera encore pendant longtemps vers les illusions religieuses et la

simplicité de leurs promesses, et que celles-ci prises comme prétexte, tenteront de se saisir du pouvoir

pour entraîner des masses vers un destin suicidaire. A la fin du 19 e siècle, Kant, écrit encore : « Après

avoir rendu tout d'abord stupide leur bétail domestique, et soigneusement pris garde que ces paisibles

créatures ne puissent oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent

ensuite le danger qu'il y aurait à essayer de marcher tout seul. Or le danger n’est sans doute pas si

grand que cela, étant donné que quelques chutes finiraient bien par leur apprendre à marcher ; mais

l'exemple d'un tel accident rend malgré tout timide et fait généralement reculer devant toute autre

tentative. Il est donc difficile pour chaque individu de sortir de la minorité, qui est presque devenue

pour lui nature ».

On aurait pu espérer que les pulsions irrationnelles entrent lentement en extinction, après la

généralisation de l’enseignement des enfants dans la plupart des pays, et les effets matériels de

l’exercice de la raison, les réalisations technologiques issus de l’avancement des connaissances sur les

processus matériels qui animent le monde naturel. Mais dès son début le 21 e siècle montre tout le

contraire. C’était en effet sans compter avec les alliés puissants de l’obscurantisme que constituent la

cupidité et la soif de pouvoir. Les exemples de Gandhi et Mandela ont été bien vite oubliés. De plus, la

science, qui est totalement neutre sur le plan des valeurs, a procuré, par ses dérivés technologiques, des

moyens d’agir qui sont devenus des enjeux dans les effroyables conflits du 20 e siècle. Le positivisme et

sa religion du progrès, l’illusion du scientisme, ont largement contribué à l’aveuglement des hommes

de science. En réaction il s’est développé un rejet de la science par la population, c’est-à-dire un rejet

de la rationalité, même dans les domaines où les retombées positives sont évidentes, comme dans celui

de la santé. Enfin, engendrés par les stupidités géopolitiques des impérialismes et totalitarismes du 20 e

siècle que n’ont pu ou su éviter les révoltes, quand elles ne les ont pas instrumentalisées, des conflits

entre peuples se déclenchent à présent sous prétexte de religion. Ainsi se décline la recette tant de fois

expérimentée au cours de l’histoire : l’inquiétude et le malaise des individus sont aspirés par une

construction socialisée offrant le soutien de mythes et rites. Une communauté est ainsi constituée,

disponible pour toute manipulation visant à éliminer physiquement les « autres », jusqu’à la folie

suicidaire. De plus, il ne s’agit pas à présent d’obtenir simplement l’adhésion par le rassemblement

d’individus en un lieu, une localité, la conversion d’une cité. La puissance des communications à

distance a bouleversé la pratique et c’est par la communication électronique que se crée une vaste

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communauté d’abord virtuelle, dans la préparation d’un rassemblement promis. Le phénomène est

général, propre à tous les mouvements monothéistes et contaminent même les autres grandes religions

historiques, comme l’hindouisme. Il n’est pas indifférent que dans la sphère politique tous les

mouvements se réclamant d’un nationalisme intègrent aussi des courants religieux intégristes. Depuis

le 19 e siècle, les églises ont toujours soutenu les nationalismes, se substituant même parfois à l’idée de

nation lorsque l’état souverain disparaissait comme l’illustre l’Histoire de la Pologne. De même,

l’église orthodoxe russe est à présent littéralement associée au pouvoir du Kremlin. Forte de ses biens

retrouvés, elle construit de somptueuses églises dont l’architecture et la décoration sont des fac-similés

de l’ancienne époque, témoignage direct de sa volonté de s’opposer à tout changement et de soutenir

ainsi un pouvoir autocratique, comme au temps des Tsars. Répétons que dans tous les cas la religion

n’est qu’un prétexte, ne nous y trompons pas, pour s’assurer un pouvoir et en tirer un bénéfice matériel

en soumettant des humains à la volonté d’autres. Le moteur de ce processus de servitude volontaire

réside dans le malheur des individus ou le sentiment d’être malheureux. Sur ce plan, les armes ne sont

pas égales face à l’obscurantisme et tant que les religieux sont au pouvoir, la partie est perdue. La

solution est donc politique. Il est obligatoire et sans concession possible d’établir une séparation

inamovible entre les institutions à caractère religieux et celles qui sont chargées d’organiser la vie des

individus en un tout social. La liberté de conscience doit être garantie par le pouvoir, ce qui signifie

qu’il ne peut intervenir dans l’expression artistique ni dans l’orientation des sciences. La démocratie

sous sa forme représentative est très vulnérable si on ne développe pas d’une part un effort

considérable dans l’information scientifique et l’éducation permanente. Il est dangereux de laisser se

développer l’ignorance des principes de base de nos connaissances du monde matériel, laissant ainsi la

place aux pires manipulations régressives et au négationnisme., D’autre part, une attention de chaque

instant doit être portée à tout frein dans la répartition des fruits du travail, c’est-à-dire qu’il faut enfin

instaurer les règles d’une juste redistribution des richesses. L’humanité n’a pas d’avenir en dehors du

partage.

Or, il faut reconnaître que les décideurs politiques, même quand ils sont portés par le suffrage des

votants, ne montrent aucune volonté à mettre sur pied une protection de la démocratie, par une

véritable mise en application de ses principes fondamentaux. Le manquement aux principes

d’éducation et de justice sociale fait le lit des démagogues qui utilisent les règles de la démocratie dans

le but avoué de la démanteler et ouvre ainsi la voie aux régimes autoritaires. On sait par expérience de

l’histoire que les premiers actes de ceux-ci lorsqu’ils sont parvenus au pouvoir sont de prendre le

contrôle des consciences, de la science et des arts, en trouvant vite un appui dans le camp religieux

quand celui-ci n’a pas participé à l’anesthésie des peuples.

Références

Bachelard G. 1938. La formation de l’esprit scientifique. Librairie philosophique J. Vrin, Paris. (réédition en 1996).

Bastide R. 1968. La mythologie.In: Ethnologie générale, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard.

Boyer P. 2001. Et l’homme créa les dieux. Comment expliquer la religion, Paris, Robert Laffont.

Canetti E. 1966. Masse et puissance. Paris, Gallimard.

Felice P. de. 1936. Poisons sacrés Ivresses divines : Essai sur quelques formes inférieures de la mystique. Paris, Albin

Michel.

Fry R. 1961. An Essay in Aesthetics, 1909, In : Vision and Design, London, Penguin Books.

Kant E. 1784. Beautwortung der Fraze : Was ist Aufklärung ? Berlinische Monatschrift.

Krappe, A.H. 1952. La genèse des mythes. Paris Payot.

Lévi-Strauss C. 1962. La pensée sauvage. Paris, Plon.

Métraux A. 1958. Le Vaudou Haïtien. Paris, Gallimard.

Varagnac A. 1948. Civilisation et genres de vie. Paris, Albin Michel.

Vernant J-P. 2004. Les origines de la pensée grecque. Paris, PUF.

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Géométrie interne du "Salvator Mundi" (version dite

Cook, attribuée à Léonard de Vinci)

Internal geometry of "Salvator Mundi" (so-called Cook version, attributed

to Leonardo da Vinci)

Jean-Pierre Crettez 1

1

Chercheur émérite à Télécom-Paristech, jean-pierre.crettez@wanadoo.fr

RÉSUMÉ. L'étude présentée ici concerne la recherche de la géométrie interne du Salvator Mundi (version dite Cook,

attribuée à Léonard de Vinci), suivie, par comparaison, de celle de la version dite de Ganay. Cette approche confirme la

méthodologie que nous avons développée précédemment 1,2 . Elle met en évidence la démarche créatrice de Léonard et

en particulier sa conception dynamique de la géométrie.

ABSTRACT. The study presented here concerns the search for the internal geometry of the Salvator Mundi (so-called

Cook version, attributed to Leonardo da Vinci), followed, by comparison, with that of the so-called Ganay version. This

approach confirms the methodology we developed previously 2,3 . It highlights Leonardo's creative approach and in

particular his dynamic conception of geometry.

MOTS-CLÉS. architecture, commensurabilité, construction interne, géométrie interne, géométrie secrète, maillage

harmonique, entrelacs, poncif, filigrane d'or, formes consonantes visuelles, stylisation des formes.

KEYWORDS. architecture, commensurability, internal construction, internal geometry, secret geometry, harmonic mesh,

interlacing, pounced drawing, gold filigree, visual consonant forms, stylization of forms.

Introduction

Les peintres établissent leur composition à l'aide de la géométrie interne qui leur permet de dresser

les lignes directrices, d'établir les relations entre les éléments picturaux, et d'idéaliser en partie leur

forme à l'aide d'un compas ou d'un ellipsographe. Cependant, la géométrie interne n'est pas tracée

directement sur la fresque ou sur la toile, mais de préférence sur un patron. Sur ce patron, les peintres

commencent par tisser une trame géométrique régulière que nous avons appelée maillage. Le maillage

carré ou le plus souvent le maillage harmonique sert de support au tracé de la géométrie interne. Dans

un maillage harmonique chaque maille est un petit rectangle harmonique dont les côtés sont

respectivement proportionnels à 1 et √2, et sa diagonale à √3.

Lorsque l'étude de la composition est achevée, il est alors inutile de transférer le maillage et les

lignes de construction, seules les contours des formes sont transférées sur la toile ou sur le panneaau de

bois par la méthode du poncif. Les contours des formes tracées sur le patron, sont percés de petits

trous. Le passage d'une ponce à travers ces trous reproduit simplement les contours en pointillé sur la

toile ou sur un autre support. Par extension, certains appellent poncifs ces patrons percés de petits

trous. Les poncifs permettent au maître ou à ses disciples d'effectuer des répliques. C'est pourquoi, le

tracé du maillage et celui de la géométrie interne n'apparaissent pas dans l'œuvre peinte, ni dans son

image radiographique, et ni dans son image infra-rouge : la géométrie interne demeure secrète. Mais,

lorsque celle-ci a été tracée en se référant aux nœuds du maillage harmonique, les éléments picturaux

issus de la géométrie interne sont quantifiés, la géométrie interne devient discrète. Détecter la

géométrie interne, c'est retrouver dans le non-visible, les éléments de construction du visible 3 .

1 J-P. Crettez: [2] Les supports de la géométrie interne des peintres: de Cimabue à G. de La Tour. Editions ISTE (2017).

2 J-P. Crettez: [3] Openscience -Géométrie interne d’une "Nuit" de G. de La Tour: "L’Apparition de l’ange à saint Joseph" (musée des beaux-arts,

Nantes) vol 2 -Numero 1

3 Ibid.

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Inversement, lorsqu'une œuvre a été créée par un peintre sur un maillage carré ou harmonique, le

caractère discret de la géométrie interne rend possible et crédible la détection des points particuliers,

des éléments linéaires, et des courbes particulières comme les formes elliptiques. ll permet de déceler

le maillage avec précision. Grâce à ce dernier, il devient possible de détecter les autres éléments

picturaux, de retrouver la géométrie interne de la composition et ainsi de mettre en évidence la

démarche créatrice du peintre

En appliquant cette méthodologie, nous avons pu mettre en évidence dans notre livre, le maillage et

la géométrie interne de cinq portraits 4 de femme, peints par Léonard de Vinci, dont celui de la

Joconde.

Particularités des œuvres de L. de Vinci.

L’analyse de ces cinq portraits met bien en évidence la démarche suivie par Léonard pour construire

ses portraits. Même si son style a évolué au cours de sa vie artistique, sa démarche est restée la même.

Connaissant ses qualités de dessinateur comme le montre l'étude réalisée pour le Salvator Mundi

(figure 2), nous aurions pu penser que le tracé du contour supérieur de la tête de chacun de ces cinq

personnages, était le résultat d'un élan instinctif, mais lorsque chacun de ces contours correspond de

façon précise à un arc d’ellipse (de longueur assez importante, presque une demi-ellipse) centré sur

l’axe vertical médian, au point correspondant au centre de gravité de la tête, et tracé avec précision sur

un maillage, nous devons admettre que l’approche empruntée par Léonard de Vinci pour composer ses

cinq portraits est une approche géométrique.

Pour Léonard, la géométrie naît du mouvement. "Il est significatif que contre la conception statique

de la géométrie albertienne – pour laquelle les points juxtaposés forment la ligne tandis que les lignes

réunies (comme les fils d’une toile) forment la surface – Léonard développe la théorie dynamique de la

géométrie: « c’est le mouvement du point qui engendre la ligne, le mouvement transversal de la ligne

qui engendre la surface, et le corps est fait par le mouvement 5 » 6 ".

En effet, la géométrie permet à Léonard de modéliser, de façon parfaite, par des courbes

géométriques simples, les formes qu'il observe dans la nature, comme la forme hélicoïdale des

coquilles de nautiles, la répartition des branches et des feuilles des arbres... Car, pour Léonard, ces

formes créées par la nature ne sont pas aléatoires, elles sont dues à la Nécessité. "Nécessité est

maîtresse et tutrice de la Nature. Nécessité est le thème et l’artificier de la nature - le frein, la loi et le

thème 7 ". Elle agit de façon performante en adaptant parfaitement la forme à la fonction. "Ô

miraculeuse, ô stupéfiante Nécessité, toi dont la loi contraint tous les effets à naître de leurs causes,

par la voie la plus brève 8 ! "

Pour effectuer ses portraits, Léonard élabore sa composition sur un patron qu’il subdivise à l’aide

d’un maillage: un maillage carré pour le portrait de Ginevra de’ Benci, un maillage harmonique pour

les quatre autres. Sur ce maillage, il trace l’une des ellipses particulières 9 qui s’adapte le mieux au

profil recherché du personnage, en la centrant sur l’axe médian et en l’orientant suivant la posture que

doit prendre le modèle. Ensuite, Léonard, poursuivant la dynamique du tracé, assure la continuité du

contour en s’écartant insensiblement du tracé elliptique afin de dessiner avec minutie le pourtour du

visage. « Léonard de Vinci, en recherchant la dynamique de la formation du visage, idéalise le

portrait, en imposant aux variations de la nature, la pureté et la beauté d’une forme pure, qu’il

4 [2]. §. 8.2.3.

5 Codex Arundel, 159 r

6 D. Arasse : [1] Leonard de Vinci p. 16

7 Codex Forster III, 43 v

8 Codex Atlanticus. 345 v.b

9 [2]. §. 2.4.4.

20

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s’empresse paradoxalement de dissimuler à l’aide de sa technique qu’il a mise au point: le sfumato qui

conduit à l'invisibilité effective du contour: Les limites latérales de ces corps sont constituées par la

ligne de surface, ligne d'une épaisseur invisible. 10 »

Dans ces cinq portraits, Léonard cherche à montrer le tempérament du modèle, et en particulier sa

vie intérieure. Dans une note du codex Atlanticus, il précise : "Une peinture ou toute représentation de

figure doit être de façon que ceux qui la voient puissent aisément connaître, par les attitudes, les

mouvements de l’âme 11 ." Pour donner vie au personnage, Léonard donne à ses élèves le conseil

suivant :" Tu ne feras jamais les têtes droites sur les épaules, mais tournées de côté, à droite ou à

gauche, même si elles regardent en haut ou en bas, ou tout droit, parce qu’il est nécessaire de faire en

sorte que leurs mouvements aient l’air d’être vivants et non figés 12 ."

Le Salvator Mundi nous regarde de face: ce n'est pas un portrait. C'est une représentation : la

représentation du Christ. Néanmoins, Léonard a étudié sa composition, en suivant la même démarche

géométrique que celle exposée ci-dessus.

Présentation du Salvator Mundi version Cook

Le tableau (figure 1) représente le Christ rédempteur 13 dans la version dite Cook. Peint vers 1506, il

est contemporain de la Joconde, portrait réalisé par Léonard à partir de 1503 sur plus d'une dizaine

d'années. C’est une peinture à l'huile sur un panneau constitué d’une seule planche de noyer qui a pour

dimensions : 65,6 cm de hauteur et 45,4 cm de largeur.

Figure 1. L de Vinci : Salvator Mundi 14 (version dite Cook) (musée du Louvre, Abou Dabi).

Le tableau a pour dimensions : 65,6 cm de hauteur et 45,4 cm de largeur.

L'œuvre a été apportée en Angleterre par Henriette Marie de France lors de son mariage avec

Charles 1 er . En 1763, le tableau est vendu aux enchères par le fils du duc de Buckingham. Il réapparaît

en 1900, quand il est acheté par un collectionneur britannique, Francis Cook, vicomte de Monserrate.

10 [2]. §. 8.2.3.

11 C. A. 139 r. d, Codex Atlanticus, conservé à la Bibliothèque Ambroisienne de Milan.

12 Léonard de Vinci, Le traité de peinture, note 354, p. 149. Editions Jean de Bonnot, Paris 1982.

13 Le Salvator Mundi est un thème de l'art chrétien, inspiré du Christ pantocrator, popularisé par l'art byzantin, par Simone Martini (1315), puis par

les peintres d' Europe du Nord, comme Jan van Eyck, Hans Memling.

14 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Leonardo_da_Vinci,_Salvator_Mundi,_c.1500,_oil_on_walnut,_45.4_%C3%97_65.6_cm.jpg

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Réapparu et restauré en 2005, il est rendu public en 2011 lors d'une exposition à la National Gallery

(Londres) et authentifié par Martin Kemp comme une œuvre 15 de L. de Vinci.

Le Christ est représenté frontalement sur un fond sombre. «Symmetry and frontality were more or

less obligatory when Christ is depicted as savior of the world. 16 » Il porte une tunique bleu-mauve

finement brodée avec des garnitures en brocart d'or, formant sur sa poitrine comme une étole avec deux

bandes croisées, ornées de motifs géométriques répétitifs. Il a de longs cheveux bouclés. Ses yeux

tournés vers le devant, offrent au fidèle une confrontation directe avec le divin.

De sa main droite levée, il donne la bénédiction avec l’index et le majeur croisés, évoquant la

double nature (humaine et divine) du Christ 17 . Sa main gauche ne s'appuie pas sur un livre. Elle porte

un globe, mais il ne s’agit pas d’un globe terrestre surmonté d'une croix comme on le voit souvent,

mais d'une sphère de cristal transparente; c'est l'univers tout entier (quelques étoiles y sont incrustées)

que le Christ tient dans sa main. «So what you've got in the "Salvator Mundi" is really "a savior of the

cosmos", and this is a very Leonardesque transformation 18 ».

Cependant, le Christ semble à l'étroit dans ce tableau. L'ouverture de ses bras ne correspond pas à la

largeur de ses épaules. Sa main gauche, malgré l'importance symbolique de la sphère de cristal qu'elle

supporte, est confinée dans le coin inférieur droit du tableau. Et sur le côté gauche, l'avant-bras droit

qui a pourtant fait l'objet d'une étude préalable (figure 2) n'est pas entièrement représenté. Il faut donc

admettre que le format de la composition étudiée par le maître, devait être plus grand et plus large que

celui du tableau actuel.

Recherche du maillage de la composition

Pour déterminer la géométrie interne du tableau, il n'est donc pas possible de se fier à son cadre. On

ne peut que s'appuyer sur des éléments caractéristiques présents dans l'œuvre elle-même. Deux

éléments picturaux nous semblent essentiels (figure 2) : les bandes croisées sur la poitrine, la tête du

Christ. Le Salvator paraît légèrement incliné vers la droite. Une légère rotation (~0.5°) permet de

rétablir pleinement la frontalité, de telle sorte que l'axe vertical médian passe exactement par le milieu

du visage et par le centre du croisement des deux bandes.

Figure 2. Étude pour le Salvator Mundi

(royal collection famille britannique).

Figure 3. Le contour du crâne a la forme

d'un arc d’ellipse.

15 En 2017 le tableau est acquis par le prince d'Arabie saoudite lors d'une vente aux enchères à New-York. Il devait être exposé au Musée du

Louvre d'Abou Dabi.

16 Kemp M.:[4], Leonardo, p. 208.

17 Sabine Gignoux, «Le Salvator Mundi de Léonard de Vinci décrypté par François Bœspflug», sur la-croix.com, 14 novembre 2017

18 Andrew M. Goldstein, The Male «Mona Lisa»? : Art Historian Martin Kemp on Leonardo da Vinci's Mysterious "Salvator Mundi», Blouin

Artinfo, 17 novembre 2011.

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Plus précisément, les deux bandes de l’étole (figure 3) ne se croisent pas à 45°, mais elles sont plus

précisément inclinées symétriquement par rapport à l'axe horizontal suivant un angle α = 43°31, dont la

tangente est égale à 2√2/3.

Suivant la méthode exposée plus haut, Léonard a donné au contour du crâne (figure 3) la forme d’un

arc d’ellipse supérieur à 160°. Respectant la symétrie frontale, le grand axe de l’ellipse est placé

verticalement, et il est confondu avec l’axe vertical médian du tableau. Le centre O de cette ellipse, est

situé précisément à l’extrémité du nez. Cette ellipse 19 a pour demi-grand axe a = OA, pour demi-petit

axe b = OB et pour distance focale f telle que f 2 = a 2 – b 2 . Les côtés OA et OB sont tels que OA

=OB√2, comme on peut le vérifier (figure 4) à l’aide de la diagonale du carré. Par suite, le rectangle

AOBC est un rectangle harmonique. Puisque a = b√2 , on en déduit que f = b. C'est une ellipse

particulière.

Figure 4. Les demis-axes (a et b) de cette ellipse

forment un rectangle harmonique.

Figure 5. La subdivision (3x3) de ce rectangle

détermine un maillage harmonique vertical.

La subdivision (3x3) du rectangle harmonique AOBC détermine (figure 5) un maillage harmonique

vertical. L'intersection de la première ligne et la première colonne de ce maillage coïncide précisément

avec le centre de la pupille de son œil gauche.

Figure 6. Maillage harmonique vertical (16x16)

servant de support à la composition.

Figure 7. Maillage harmonique vertical (16x16)

servant de support à la composition.

19 [2]. , § .2.4.4.

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Cette cohérence nous incite à étendre ce maillage à l’ensemble du tableau (figure 6). Elle nous

permet ainsi de déterminer rapidement le maillage qui sert de support à la composition. Le maillage est

un maillage harmonique vertical (16x16) (figure 6) qui recouvre tout le tableau, mais dépasse

physiquement ses bords, notamment vers le bas. La maille a pour hauteur m v et pour largeur m h , avec

la relation m v = m h √2.

Format de la composition

En se référant aux dimensions physiques du tableau nous pouvons estimer, grâce à la quantification,

que la composition étudiée par Léonard devait avoir une largeur de l'ordre de 56,7cm et pour hauteur

de l'ordre de 80,2cm. La maille aurait pour hauteur m v = 5,0cm et pour largeur m h = 3,5cm. Il faut

remarquer que le format de la composition est très proche du format de la composition 20 (figure 7) que

nous avions mis en évidence dans l'étude de la Joconde, et pour laquelle nous avions estimé une

largeur de 57,5cm (~ 1 braccio) et une hauteur de 81,3cm. Dans ces deux compositions, la hauteur des

yeux du personnage est située aux trois quarts de la hauteur de la composition (figure 7).

Éléments de la géométrie interne du Salvator Mundi version Cook

Figure 8. Géométrie interne du Salvator Mundi version Cook

Par suite de la symétrie frontale, chaque pupille est centrée (figure 8) sur un nœud du maillage. La

distance entre les deux pupilles est égale à 2m h . Cette distance est √2 plus grande que la distance m v

qui existe entre les deux pupilles de la Joconde (figure 10). Mais la tête de la Joconde est tournée de

trois quarts vers la droite de telle sorte que l’axe vertical médian passe par son œil gauche.

Le contour du visage du Salvator présente la forme d’un arc d’ellipse semblable à celui du crâne. Il

est centré sur l’axe vertical médian au point O’, une demi-hauteur de maille au-dessus du premier.

20 [2], §. 8.2.3.5.

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L’ouverture de la bouche est située une demi-hauteur de maille au-dessous du nez.

En haut de la tunique, la collerette en filigrane d’or est limitée par deux arcs d’ellipse égaux, décalés

d’une demi-hauteur de maille. La première est centrée en I, au quart de la hauteur de la composition.

Les deux ellipses sont tracées sur le maillage. Elles ont pour paramètres: a = 8m h , b = 3m v , f 7m h .

Les bords des deux bandes croisées sur la poitrine sont limitées par des droites tracées entre les

nœuds du maillage. En se croisant les deux bandes forment un pseudo-carré dont la diagonale vaut 2m h

. La largeur des bandes est de l’ordre de la hauteur de la maille: 2m h /√2= m v . L'ornementation de ces

bandes sera analysée par la suite.

La sphère de cristal est centrée au point U, au quart de la hauteur de la composition. Elle a pour

rayon r = 2m h .Curieusement, elle n’est pas centrée sur un nœud du maillage suivant la logique de

Léonard, mais à une distance telle que IU =4,24m h . Par raison de symétrie avec les doigts de la main

droite, elle devait se trouver plus à droite à 5 mailles de l'axe vertical médian. Lors du transfert du

patron, le peintre aurait déplacé horizontalement cette partie du poncif vers cet axe, pour que la main

gauche et la sphère de cristal soient toutes les deux, contenues dans la planche de noyer.

Ainsi, ayant disposé tous ces éléments géométriques sur le patron, le peintre poursuivait la

dynamique du tracé, achevait le pourtour du visage, dessinait les autres éléments picturaux, puis perçait

les contours de petits trous pour constituer le poncif.

Précision sur les ellipses de la tête du Salvator Mundi

Figure 9. Géométrie interne de la tête du Christ.

Figure 10. Géométrie interne de la tête

de la Joconde.

Comme nous l’avons vu précédemment, l'ellipse qui a permis de modéliser le haut du crâne est

centrée en O, elle est orientée verticalement. Ses paramètres (figure 9) sont définis sur le maillage: le

demi-grand axe OA vaut a = 3m v , le demi-petit axe OB vaut b = 3m h , et la distance focale f = √(a 2 -

b 2 ) = 3 m h est égale au demi-petit axe: f = b. Son excentricité vaut ε = f/a = m h /m v = 1/√2 = 0,707.

L'ellipse qui initialise le contour du visage, est centrée en O’, elle est orientée verticalement. Ses

paramètres (figure 9) sont aussi définis sur le maillage : le demi-grand axe OA’ vaut a’ = 3m h , le

demi-petit axe OB vaut b’ = 3m v /2, et la distance focale f’= √(a’ 2 - b’ 2 ) = 3m v /2 est aussi égale au

demi-petit axe: f’= b’. Son excentricité vaut ε’= f’/a’ = m h /m v = 1/√2 = 0,707. Ces deux ellipses sont

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du même type. Ce sont, suivant notre classification 21 , des ellipses de type 1. Nous avions appelé ellipse

"pure", cette ellipse de type 1.

Consonance visuelle

Les peintres, sensibles à l'analogie entre les harmonies visuelles et les harmonies sonores ont

cherché à modéliser certains éléments picturaux par des formes visuelles consonantes. Par définition,

deux formes visuelles sont consonantes lorsqu'elles sont semblables et lorsque le rapport de leur

surface est égal à l'un des rapports musicaux (1, 1/2, 2/3, 3/4) : l'unisson, l'octave, la quinte, la quarte.

Les ellipses de la tête et du visage du Salvator sont semblables. Leurs excentricités vérifient: ε 2 + ε' 2

= 1 : elles sont complémentaires 22 . La seconde est √2 fois plus petite que la première: a’/a= b’/b =

1/√2. Sa surface est donc deux fois plus petite. Elles sont consonantes, et résonnent à l’octave.

Cette consonance visuelle recherchée par Léonard, rappelle celle qu’il avait déjà introduite dans la

construction de la Joconde. En effet, dans l’étude de la géométrie interne de la Joconde, nous avions

mis en évidence deux formes elliptiques, tracées sur un maillage harmonique: l’une pour modéliser le

contour de la tête, l’autre pour délimiter (figure 10) le bord du voile de gaze transparent qui recouvre sa

tête, et qui passe par la commissure des lèvres. Elles sont plus arrondies que celles du Salvator . Elles

ont une même excentricité: ε = ε' = 0,5. La seconde est √2 fois plus petite que la première. Sa surface

est donc deux fois plus petite. Elles ne sont pas complémentaires, mais elles sont consonantes entre

elles, et résonnent à l’octave. Toutefois, leurs grands axes ne sont pas parallèles mais sont

orthogonaux.

Propriétés de l’ellipse de type 1

Pour modéliser la tête du Salvator mundi, à la fois homme et dieu, Léonard ne pouvait choisir

qu’une ellipse particulière, idéale, unique. Comme nous l'avons remarqué, il a choisi pour la tête et le

visage, un même type d'ellipse: une ellipse de type 1, dont la distance focale est égale au demi-axe : f =

b, et d'excentricité 1/√2 = 0,707. Cette ellipse se trouve dans l’ensemble des ellipses, précisément à la

limite entre les ellipses allongées (f>b) et les ellipses arrondies (f<b). Elle est égale à sa

complémentaire. Elle possède plusieurs propriétés géométriques.

Cette ellipse de type 1 qui est telle que a = b√2, peut être inscrite dans un rectangle harmonique:

elle est ainsi facile à représenter sur un maillage harmonique. Dans cette ellipse, on peut inscrire un

cercle passant par les foyers, ou encore un carré sur la pointe (figure 11a).

Le petit axe b de l’ellipse de la tête est égal au grand axe a' de l’ellipse du visage, ainsi l’ellipse du

visage peut être entièrement inscrite dans l’ellipse de la tête (figure 11b). La grande ellipse est alors

divisée en trois parties : une ellipse interne située entre deux croissants de lune. La surface de cette

ellipse interne est égale à la somme de la surface des deux croissants de lune.

Enfin, dans cette petite ellipse de type 1, on peut aussi inscrire une ellipse de type 1, √2 fois plus petite,

et par suite constituer une suite d’ellipses de type 1, consonantes à l’octave (figure 11c).

21 Ibid. §. 2.4.4.

22 [2]. , § .2.4.4.

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Figure 11. Propriétés de l’ellipse de type 1 modélisant la tête du Salvator. Fig. 11a : elle peut contenir un

cercle passant par les foyers et un carré sur la pointe. Fig. 11b : dans cette ellipse, on peut inscrire une ellipse

√2 fois plus petite. Fig. 11c : suite d’ellipses de type 1 consonantes à l’octave.

Autres applications de cette ellipse de type 1

Léonard connaissait bien cette ellipse de type 1, puisque seize ans plus tôt, lors de son séjour à

Milan, entre 1488 et 1490, il avait déjà déterminé le contour de la tête de la Dame à l'hermine 23 à l'aide

de cette même ellipse, orientée suivant la diagonale de la maille.

Et dix ans plus tôt, avec cette même ellipse, orientée suivant la diagonale de deux mailles

adjacentes, il avait donné forme au contour de la tête de la Belle Princesse 24

Cent trente ans plus tard, Georges de La Tour cherchant la stylisation des formes, eut lui aussi

recours aux formes idéalisées par des ellipses, en particulier par cette même ellipse de type 1.

L’image sous-jacente de la tête de l’Enfant dans la radiographie du Saint Joseph charpentier,

présente un contour qui peut être approché par cette ellipse 25 .

Dans l’Apparition de L’Ange à Saint Joseph 26 , le contour de la tête de l’Ange et et celui de la tête de

Joseph sont modélisés par ce même type d’ellipse. Ces deux ellipses tracées sur un maillage

harmonique, sont égales et orientées symétriquement suivant la diagonale de la maille. Elles sont

complémentaires, et elles sont consonantes à l'unisson.

G. de La Tour nous a laissé une œuvre tardive, peinte vers 1651: Saint-Jean Baptiste dans le

désert 27 . La forme elliptique de la chevelure est évidente, ainsi que celle de son dos courbé. Les deux

ellipses sont verticales, elles ont même excentricité ε = ε’ = 0,707. Elles sont de type 1. Leurs

dimensions sont dans le rapport 2/5, et leurs surfaces dans le rapport 4/25. Elles sont commensurables.

L'ornementation des deux bandes croisées de l’étole

Les deux bandes de l’étole ne se superposent pas: ce n’est pas une vraie étole. Elles ne se croisent

pas. Elles s’entrecroisent. Elles sont tissées dans la tunique que porte le Salvator Mundi. Leur surface

est recouverte d’une ornementation prodigieusement complexe, constituée d’une longue cordelette de

fil d’or (un filigrane) qui se repliant sur elle-même, forme des entrelacs. Léonard était passionné par les

entrelacs, probablement depuis son séjour dans l’atelier de Verrocchio.

23 [2]. §. 8.2.3.2

24 [2]. §. 8.2.3.3

25 [2]. §. 9.3.

26 [3].

27 [2]. §. 9.6.

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Figure 12. La Dame à l’hermine : (détail) une bande

d’entrelacs descend de l’épaule droite.

Figure 13. Étude d’entrelacs (L. de Vinci)

En effet, il se révèle peu à peu un maître exceptionnel dans ce domaine. En 1498, représentant La

Dame à l’hermine, il a orné le haut de sa robe d’une bande de motifs d’entrelacs (figure 12), et plus

tard, il orne aussi le haut de la robe de la Joconde. Plusieurs études d'entrelacs, réalisées entre 1495 et

1500, nous sont parvenues : six d’entre elles ont été gravées comme celle de la figure 13. Elles

semblent être le résultat d’un tracé continu. Elles sont tout à fait remarquables.

Le filigrane parcourant les bandes de l'étole (figure 14), ne suit pas des lignes courbes comme celles

de la figure 13, mais des segments de droites, parfois alignés, parfois inclinés, qui se chevauchent,

remplissant l'espace des deux bandes, en constituant des formes géométriques facilement perceptibles:

des rectangles, des hexagones allongés et des carrés sur la pointe. Ces formes qui se recouvrent

partiellement, ne sont pas créées de façon indépendante, mais résultent de la conjonction des passages

successifs du même filigrane. La répétition de ces motifs géométriques engendre des modules

caractéristiques.

Figure 14. Les deux bandes de l’étole et les motifs formés par le filigrane, modélisées figure 15

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Figure 15. Représentation du cheminement du filigrane sur les bandes croisées de l’étole,

et les différents modules, séparés par des lignes pointillées.

À l’intérieur de certains modules, la largeur de la bande est traversée par 16 passages du filigrane,

qui sont régulièrement espacés, ce qui nous suggère la démarche suivie par Léonard.

Pour concevoir le chemin emprunté par le filigrane et sa complexité, Léonard a probablement pris

comme support géométrique, un maillage carré (carré à cause du croisement). Ce maillage lui a permis

d’établir la régularité des espacements et la périodicité des motifs. Nous avons tenté de reconstituer

(figure 15) le chemin parcouru par le filigrane pour orner les deux bandes croisées de l’étole. Pour

appréhender la complexité de sa démarche, nous avons décomposé artificiellement, le cheminement du

filigrane en 4 tronçons de couleurs différenteds : rouge foncé, rouge, bleu clair et bleu foncé. Les deux

filigranes de couleur rouge foncée délimitent la largeur des bandes.

De plus, nous avons distingué 5 modules différents (figure 16), qui ont mêmes entrée-sorties.

- le module croisement qui se comporte comme un « rond-point » de forme carrée pour les

filigranes rouges, et un espace de transition pour les filigranes bleus.

- le module principal qui possède une symétrie gauche-droite et une symétrie haut-bas. Les deux

filigranes rouges traversent directement le module à l’aller et au retour, et forment 4 passages.

Les deux filigranes bleus suivent chacun, une boucle interne à l’aller, et au retour, de telle sorte

qu’ils forment 2x2x3= 12 passages. Le filigrane fait donc 16 passages dans ce module.

- le module de transition possède aussi une double symétrie. Les entrées-sorties sont à la même

hauteur mais leur pente est inversée.

- les deux modules terminaux qui assurent les entrées et les sorties, et permettent la continuité du

trajet du filigrane.

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Figure 16. Les différents modules du trajet du filigrane. Les 3 premiers sont commutatifs.

Le trajet du filigrane est le suivant (figure 15). Le filigrane, d’abord codé en rouge foncé, fait le

parcours d'une feuille quadrifoliée. Il part du point A, au Nord-Ouest, tourne à gauche au rond-point,

fait demi-tour au Nord-Est, puis tourne à gauche au rond point, fait demi-tour au Sud-Est, tourne à

gauche au rond-point, fait demi-tour au Sud-Ouest, tourne à gauche au rond-point et se dirige vers le

Nord-Ouest. Ainsi, après avoir suivi le bord des deux bandes, il devient rouge. Il effectue alors un

trajet parallèle au premier, et à l’arrivée, en B, il se transforme en un filigrane bleu clair.

Les filigranes bleus ont un parcours un peu plus complexe. Ils décorent l’intérieur des deux bandes

(module 2). D’abord la bande Nord-Ouest Sud-est, puis la bande Nord-Est Sud-Ouest. Le filigrane bleu

clair part du point B, situé au Nord-Ouest, traverse le module de transition, change de direction, ondule

au centre du module principal, puis revient en arrière par le haut de ce module, et se dirige vers le

module croisement qu’il traverse pour faire demi-tour au Sud-Est, repasser le module croisement et

revenir vers le Nord-Ouest, où il se transforme en filigrane bleu foncé. Le filigrane bleu foncé effectue

symétriquement un parcours semblable et sort en C au Nord-Ouest.

Les deux filigranes bleus parcourent ensuite la deuxième bande en partant du point D au Nord-Est.

Ainsi, malgré son apparente complexité, le trajet du filigrane est continu (un seul lever de plume!),

et est par suite compatible avec le principe du tracé des entrelacs.

Cependant, Léonard n'a pas transcrit directement sur le patron, le trajet du filigrane de la figure 15,

car les bandes ne sont pas inclinées à 45° (comme nous l’avons remarqué plus haut) mais à 43°,31.

Après avoir disposé le module croisement, il a reporté ensuite sur le patron, les modules décrits figure

16, de manière à constituer l'ensemble du trajet recherché. Le trajet du filigrane comme les contours

sont percés de petits trous pour former le poncif. Le passage d'une ponce à travers ces trous reproduit

les contours et le trajet du filigrane en pointillés sur la toile.

Évidemment, pour parvenir à un aspect plus naturel, l’artiste remplace les croisements en faisant

passer le filigrane audessus de son passage précédent. Et pour atténuer la rigueur géométrique des

modules construits sur le maillage, il adoucit les angles du tracé par une sorte de «sfumato»

géométrique.

Géométrie interne du Salvator Mundi (version de Ganay)

Vers les années 1980 est apparue une autre version du Salvator Mundi, la version de Ganay.

Le Salvator Mundi dans la version de Ganay aurait été commandé par la duchesse Anne de

Bretagne, épouse du roi de France Louis XII qui le donne au couvent des Clarisses de Nantes. Saisi à la

Révolution, le tableau, identifié comme de Léonard de Vinci, il entre dans la famille du baron de

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Lareinty, président du Conseil général de la Loire-Inférieure. Il y reste jusqu’à sa vente par ses héritiers

à une collectionneuse parisienne en 1902 qui le vend au marquis de Ganay en 1909.

Cette version 28 peinte aussi sur une planche de noyer, est légèrement plus large. La toge est de

couleur différente. Le Christ paraît moins à l’étroit. Son épaule gauche et sa manche droite sont mieux

représentées.

Figure 17. Géométrie interne du Salvator Mundi version Cook et celle de la version de Ganay

Nous avons appliqué à la version de Ganay, le même algorithme que celui qui nous a permis

d’analyser la version Cook. Les deux versions présentent figure 17, la même géométrie interne.

Les deux versions ont donc été tracées à partir du même poncif, mais en effectuant dans les deux cas

un déplacement vers l’axe vertical médian, de la partie du poncif correspondant à la sphère de cristal.

Les éléments picturaux sont situés au même emplacement, et avec la même orientation.

Néanmoins, nous pouvons remarquer une petite différence : la sphère de cristal centrée au point U, à

une distance IU = 4,10mh, est encore un peu plus rapprochée de l’axe vertical médian.

Figure 18. Détails des entrelacs des bandes croisées du Salvator Mundi version Cook

et ceux de la version de Ganay

28 https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:School_of_Leonardo_da_Vinci,_Salvator_Mundi,_Museo_Diocesano,_Napoli.jpg.

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Les bandes croisées de l'étole montrent figure 18, les mêmes entrelacs situés aux mêmes endroits.

Elles confirment l'utilisation d'un même poncif.

Existait-t-il une autre version tracée sur une planche plus large avec le même poncif, mais utilisé

dans toute son intégralité ?

Conclusion

Le Salvator Mundi n'est pas un portrait. C'est la représentation du Christ, celle d’un homme qui a

vécu parmi les hommes. Néanmoins, Léonard a suivi la même démarche que celle qu'il avait adoptée

pour dresser la géométrie interne de ses cinq portraits féminins. Ainsi, Léonard, qui aimait donner au

contour supérieur de la tête de chacun de ses personnages une forme elliptique, ne pouvait choisir

qu’une forme elliptique particulière, idéale, unique pour modéliser la tête et le visage du Christ : celle

d’une ellipse de type 1, c'est-à-dire d’excentricité ε = 1/√2. C'est grâce à la détection de cet arc

d’ellipse, porteur de renseignements topographiques, que nous avons pu remonter facilement jusqu'au

maillage et à la géométrie interne du Salvator Mundi. Le maillage harmonique 16x16 que nous avons

détecté a sensiblement la même taille que celui qui a servi de support à la construction géométrique de

la Joconde. Bien plus, ces deux compositions possèdent une particularité commune. Dans chacune

d’elles, Léonard a introduit deux formes elliptiques semblables dont l’une a une surface deux fois plus

petite que l'autre. Ces deux formes présentent ainsi dans chaque composition, une même consonance

visuelle. Elles résonnent à l'octave. Enfin, pour illustrer le principe très léonardesque de la théorie

dynamique de la géométrie, nous pouvons facilement concevoir, que c’est le mouvement de la main de

l’artiste déroulant le filigrane sur les bandes croisées de l’étole, (en suivant le tracé de la figure 15), qui

engendre petit à petit, au cours des allers et retours : les rectangles, les carrés sur la pointe et les

hexagones allongés…

Ces processus géométriques sont propres au père de la Joconde. Ils nous incitent à considérer que le

poncif (issu de la géométrie interne) qui a servi pour les deux versions du Salvator Mundi, est bien de

la main de Léonard de Vinci.

Bibliographie

[1] Arasse D., Léonard de Vinci, Edition Hazan, Paris, 1993.

[2] Crettez J-P., Les supports de la géométrie interne des peintres : de Cimabue à G. de La Tour. Editions ISTE (2017).

[3] Crettez J-P., Openscience -Géométrie interne d’une "Nuit" de G. de La Tour : "L’Apparition de l’ange à saint Joseph"

(musée des beaux-arts, Nantes)

[4] Kemp M., Leonardo, Oxford, University Press, 2005.

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Formes vivantes

Living forms

Jean-Charles Hameau 1 , Kimberley Harthoorn 2

1

Conservateur du patrimoine, Musée national Adrien Dubouché, jean-charles.hameau@sevresciteceramique.fr

2

Historienne de l’art, kimberley.harthoorn@limogesciteceramique.fr

RÉSUMÉ. L’exposition Formes vivantes, qui ouvrira le 9 octobre 2019 au Musée national Adrien Dubouché à Limoges,

se donne pour objectif d’explorer les relations entre céramique et vivant, de la Renaissance à nos jours.

Le présent article vise à exposer les axes principaux de ce projet d’exposition, mêlant histoire des arts décoratifs et

histoire des sciences : la production naturaliste, de l’image ressemblante au moulage sur le vif ; les œuvres qui relèvent

d’un imaginaire organique recomposé à partir des formes de la nature ; l’influence des révolutions visuelles que sont la

mise au jour du vivant invisible, dans ses dimensions anatomique, microscopique ou génétique.

On voit alors que la céramique est un domaine innovant de la création contemporaine, mais aussi que le matériau

céramique lui-même, par ses propriétés physiques, est apte à jouer un rôle dans les passages de frontière entre vivant et

non-vivant, tant conceptuellement que concrètement, notamment avec l’essor de la céramique biomédicale.

Une telle démarche transdisciplinaire, inscrite dans l’actualité de la création et de la recherche, nous permet ainsi

d’explorer l’évolution de notre vision du vivant, à la lumière des dernières découvertes scientifiques, mais aussi du point

de vue politique, éthique, et esthétique.

ABSTRACT. The Formes vivantes (Living forms) exhibition, which will open on October 9th, 2019 at the Musée national

Adrien Dubouché, Limoges, France, aims at exploring the relationship between ceramics and the living, from the

Renaissance until today.

This article will lay out the main axes of the exhibition project : naturalist objects, from images resembling the living to

castings of living beings ; works showing how an organic imagination is born from the recomposition of shapes found in

nature ; the influence of visual revolutions that brought to sight invisible dimensions of the living, anatomical, microscopic

or genetic.

The exhibition will show that ceramics can also be an innovative realm of contemporary creation. We also hope to

demonstrate how the ceramic material in itself, because of its physical and chemical properties, can play a role in

crossing boundaries between the living and the non-living, conceptually, but also in practice, for instance with the

emergence of biomedical ceramics.

Such a transdisciplinary approach, following the latest developments in artistic creation and scientific research, will allow

us to study our relationship to the idea of living, in the light of recent scientific discoveries, but also from a political, ethical

and aesthetical point of view.

MOTS-CLÉS. céramique, vivant, naturalisme, morphogenèse, impression 3D, arts décoratifs, transdisciplinarité, éthique,

esthétique.

KEYWORDS. ceramics, living, naturalism, morphogenesis, 3D printing, decorative arts, transdisciplinarity, ethics,

aesthetics.

Introduction

Céramique et biologie

L'idée d'une relation entre la céramique et le vivant fait écho à une hypothèse scientifique sur le rôle

joué par l'argile dans les origines de la vie. L'argile a pu être un vecteur du passage du non-vivant au

vivant, peut-être en jouant le rôle d'échafaudage ou de réacteur favorisant l'assemblage d'acides

aminés 1 .

L'étude des formes vivantes en céramique fait surgir des analogies entre la matière inerte et la

matière organique, ainsi que des rapprochements entre des concepts issus de la biologie et le travail des

céramistes.

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Selon le potier Jean Girel, « l'homme d'aujourd'hui a envie d'en savoir plus sur sa planète, de

comprendre ce qui se passe à l'intérieur, ou autour, sur d'autres, d'explorer l'infiniment grand,

l'infiniment petit. La céramique, qui met en forme les transformations de la matière, accomplit

précisément ce travail : à l'échelle corpusculaire dans le comportement des argiles, à l'échelle sidérale

dans les processus de fusion des émaux 2 ». La céramique permet donc de penser au-delà de l'échelle

humaine, de se rapprocher de phénomènes incommensurables. Elle invite à penser la matière et ses

métamorphoses qui se produisent sur des temps bien plus longs que ceux de l'histoire humaine.

Penser le vivant dans sa globalité implique également d'envisager la matière non comme inerte, mais

comme changeante, en constante évolution. On observe alors des ressemblances troublantes entre

matières minérales et organismes vivants, à tel point que les catégories de vivant et de non-vivant s'en

trouvent sinon menacées, du moins mises en question.

Ce qui justifie l'analogie entre céramique et vivant se situe également dans une commune disposition

à devenir forme, mis en forme par l'environnement. Le terme argile définit une famille de minéraux

née de l'altération de roches (généralement des silicates), qui tire sa plasticité de sa composition en

feuillets qui glissent les uns sur les autres. Par conséquent, la céramique, du fait de cette plasticité, est

un terrain privilégié de l'étude de la naissance et du devenir des formes. Le façonnage (modelage,

tournage, coulage, impression 3D...) implique une attention aux propriétés physiques de la matière

(qualité de l'argile, concentration en eau, « mémoire » de la terre 3 ). Chez les artistes et les artisans, il

devient un moyen d'acquérir des connaissances empiriques sur l'interaction entre matière et forme, une

préoccupation qui concerne également les scientifiques par le biais des études sur la morphogenèse.

La céramique impose un effort d'anticipation des transformations irrémédiables qui s'accomplissent

lors de la cuisson (retrait, changements de couleur, vitrification). Mais cet art est également nourri par

la conscience de l'aléa, des paramètres non maîtrisables du feu qui mettent en doute l'idée d'un contrôle

absolu de l'artiste sur sa production. Une tension similaire entre prédictibilité et part aléatoire intervient

dans la formation du vivant. Le gène est en effet perçu comme un code ou un texte dans lequel

l'organisme à venir serait déjà contenu 4 . La science contemporaine a néanmoins mis en balance les

mécanismes du code génétique avec ceux de l'individuation épigénétique. D'autre part, la notion

d'écologie 5 renforce l'idée selon laquelle le vivant doit être envisagé en relation avec son milieu.

Jean Girel, Pot à décor de peau animale, série « Batraciens », porcelaine, 2012, collection de l’artiste,

crédit photo : Jean Girel.

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L'idée d'une exposition

De nombreux créateurs d'aujourd'hui s'intéressent à la manière dont le vivant prend forme dans la

nature, à l'image de la designer Neri Oxman ou de l'architecte Achim Menges, qui s'en emparent pour

inventer des outils, des méthodes et des œuvres 6 . La scène céramique contemporaine internationale

n'échappe pas à cette confrontation avec le monde du vivant. Les concrétions florales de Johan Creten,

les grotesques agglutinés de Michel Gouéry, les bestiaires émaillés de Jean Girel ou encore les microorganismes

d'Arnold Annen témoignent de l'actualité et de la présence proliférante des formes « bioinspirées

» dans la création céramique.

L'intérêt pour cette question, loin d'être une nouveauté, s'inscrit dans une longue histoire de la

représentation du vivant : grouillant au XVI e siècle chez Bernard Palissy, stylisé dans les formes

rocaille du XVIIIe siècle ou tendant vers l'abstraction dans l'Art nouveau. Ces échos historiques

révèlent une diversité des approches mais aussi certaines constantes liées au medium.

Le Musée national Adrien Dubouché a choisi d'en faire le thème d'une exposition intitulée Formes

vivantes qui ouvrira ses portes le 9 octobre 2019, jusqu’au 10 février 2020. S'appuyant sur un corpus

d'œuvres occidentales d'une période allant du XVI e siècle à l'art contemporain, ce projet a moins pour

objectif de dresser une chronologie linéaire et exhaustive du sujet que de faire surgir des moments de

l'histoire de l'art où se manifeste, en céramique, un regard porté sur le vivant. Il s'agit également de

souligner des correspondances formelles et conceptuelles non seulement entre des œuvres d'époques

différentes, mais aussi entre des champs disciplinaires souvent cloisonnés. Centrée autour de la

céramique, dont le lien spécifique avec le monde organique sera interrogé, cette exposition offrira ainsi

des comparaisons avec d'autres techniques et cherchera à nouer un dialogue entre art et science.

Le vivant n'est pas seulement une notion scientifique : c'est aussi un enjeu social et existentiel.

L'évolution de la compréhension scientifique du vivant se fait dans le même temps qu'un changement

profond de notre rapport au vivant. Un nouvel imaginaire du vivant se construit, généré par la porosité

que l'on découvre entre des catégories autrefois isolées les unes des autres, entre vivant et non-vivant,

entre animal, végétal et minéral, entre disciplines universitaires. L'un des enjeux de l'exposition

Formes vivantes est de montrer que la céramique se situe dans cette zone d'indistinction entre vivant et

non-vivant, et que l'y placer permet de générer des questionnements originaux et féconds. Cette

approche s'inscrit dans un contexte politique dans lequel le vivant a une importance croissante.

L’exposition s’articulera autour de trois séquences thématiques correspondant à deux approches

d'abord étudiées séparément puis conjointement, lors d’un zoom sur les processus cachés du vivant.

Dans un premier temps, la notion de « naturalisme » sera abordée au regard de techniques

céramiques qui impliquent l'observation voire la captation des formes du vivant. Loin d'être univoque,

le rapport à la nature qui se manifeste dans les pièces étudiées s’inscrit toujours dans un contexte

historique et scientifique précis.

Au-delà du défi consistant à imiter la nature, l'observation des processus du vivant donne naissance

à un imaginaire organique proliférant qui colonise l'art, et en particulier la céramique, assez plastique

pour se prêter aisément au jeu des formes.

L'exposition s'attachera enfin à montrer comment cette tension entre naturalisme et imaginaire

s'introduit à l'intérieur du vivant via la céramique, à la faveur de connaissances scientifiques (anatomie,

génétique) et de technologies (microscopie, informatique, impression 3D) qui rendent visible l'intérieur

des corps, ou les corps invisibles à l’œil nu.

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1. Naturalisme et céramique

En tant que méthode artistique, le naturalisme désigne l'imitation exacte de la nature et s'oppose à la

stylisation ou au symbolisme. Loin d'être réductibles à de simples copies, les céramiques naturalistes

traduisent un désir de se mesurer à l'infinie complexité des formes de la faune et de la flore.

Célébration de la beauté du vivant, défi technique ou expression d'une pensée scientifique, ces pièces

rendent compte d’un regard sur la nature et d’une vision du monde.

Les « rustiques figulines » et les décors de grotte du célèbre potier Bernard Palissy (1510-1590)

s'éclairent lorsqu'on les rapproche de ses observations de la nature et des phénomènes qui la régissent.

La technique du moulage sur le vif inscrit sa démarche artistique dans le contexte de la redécouverte et

de l'étude des formes de la nature à la Renaissance. L’histoire naturelle se constitue en tant que champ

du savoir dès les années 1530 7 . Les universités établissent des chaires dédiées, à Padoue, notamment.

Elles organisent des cours, comme ceux du médecin et professeur Guillaume Rondelet (1507-1566) à

Montpellier, qui publie en 1554 le De piscibus marinis 8 , un ouvrage illustré sur les poissons, connu de

Palissy 9 . Chez ce dernier, les expériences qu'il mène dans le champ de la céramique sont indissociables

de sa pensée de la nature dans laquelle terre et minéraux naissent et croissent dans un mouvement qu'il

compare au vivant grâce à l'action des « eaux germinatives 10 ». Mais ses scènes inspirées de la nature

sont aussi des trompe-l’œil, des jeux rhétoriques sur l'illusion et la réalité chargés de références

religieuses et littéraires typiques de l'Europe maniériste.

Bernard Palissy, Plat à décor de rustiques figulines, terre vernissée, seconde moitié du XVI e siècle, Musée des

Beaux-Arts de Lyon, crédit photo : Alain Basset.

Au XIX e siècle, des artistes tels que Charles-Jean Avisseau (1796-1861), Georges Pull (1810-1889)

ou Victor Barbizet (1805-1870) remettent à la mode le langage artistique de Bernard Palissy, dans le

contexte de l’historicisme, plus précisément du style néo-Renaissance, qui touche les arts décoratifs à

cette époque. Reprenant plus ou moins fidèlement la technique de Bernard Palissy, ils s’attellent à

égaler, voire à dépasser ses œuvres, notamment par la taille, la richesse des couleurs ou la complexité

des compositions. Pour Charles-Jean Avisseau, qui entretient chez lui un vivarium et élève des

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batraciens dans une mare, l'observation et la connaissance du vivant demeurent le socle de son travail,

mais la mise en scène et la recherche d'effets sculpturaux priment sur la rigueur scientifique dans la

représentation des espèces et de leur milieu 11 . Dans ses œuvres, la nature en perpétuelle transformation

que célébrait Palissy fait place à un milieu foisonnant, dangereux et sauvage, théâtre de luttes

sanglantes, qui revêtent une signification morale liée à la symbolique chrétienne, en particulier le

combat entre le Bien et le Mal. Au regard de l'histoire des sciences naturelles du milieu du XIX e siècle,

on peut légitimement se demander si ces œuvres d'art n'anticipent pas la pensée darwinienne de la lutte

des espèces pour leur survie 12 .

Outre la représentation figurée de compositions envahies par le vivant, le travail de l'émail est le lieu

d'une quête naturaliste qui inspire encore de nombreux potiers contemporains fascinés par la tradition

chinoise et l'héritage de Bernard Palissy. L'obtention de nouvelles couleurs et textures nécessite en

céramique une recherche lente et précise, et bien souvent, des connaissances théoriques et pratiques en

chimie. La céramique s'approche en cela des sciences naturelles dont elle s'approprie bien souvent la

méthode et l'objet d'étude. Les séries Batraciens, Bestiaires ou Coquillages du potier Jean Girel (né en

1947) illustrent le talent de l'artiste pour imiter les peaux d'animaux. Son travail rend compte de la

pertinence artistique d'une rencontre entre la chimie des matériaux de la céramique et le génie créatif

de la vie organique. De même, Daniel de Montmollin (né en 1921) intègre à ses pâtes des cendres

végétales pour inventer des émaux polychromes. Il envisage ainsi l'art de la poterie comme la

confluence entre le minéral et le vivant, révélant, à l'échelle atomique, les processus d'une « biologie

transfigurée 13 ».

Au XVIII e siècle, l’observation scientifique de la nature produit une foule d’images nouvelles, qui

influence la représentation des animaux et des végétaux dans la céramique. Les illustrations

naturalistes circulent et s'exportent des traités scientifiques aux décors de céramique, comme le

montrent les services dits « de Buffon », produits à Sèvres entre 1782 et 1796 d’après les illustrations

de François-Nicolas Martinet (1731-180?) réalisées pour l’Histoire naturelle des oiseaux de Georges-

Louis Leclerc de Buffon (1707-1788), publiée entre 1771 et 1786. L'achat par la Manufacture royale de

Sèvres de ces planches en couleurs témoigne d'un changement d'attitude dans la représentation de

l'animal en contexte décoratif : l'évocation fantaisiste laisse place à une recherche de fidélité aux

modèles de la nature désormais plus facilement accessibles.

Vers 1731, le prince-électeur de Saxe Auguste le Fort (1670-1733) commande un large ensemble de

sculptures animalières en porcelaine dure. L'attention portée par les sculpteurs Johann Gottlieb

Kirchner (1706-1768) et Johann Joachim Kaendler (1706-1775) au réalisme des animaux, qu'ils

étudient dans la ménagerie de Dresde, doit ici servir le prestige d'un prince cherchant par une

commande monumentale à affirmer sa puissance et à promouvoir la finesse exceptionnelle de la

porcelaine de Saxe nouvellement mise au point dans les ateliers de Meissen. Les ménageries, avant

d’être des lieux d'étude des animaux, sont des parcs d’agrément, visant à la fois à montrer la richesse

du prince et l’étendue de son pouvoir sur le reste du monde 14 . La forme de celle de Versailles rappelle

d’ailleurs celle d’un panoptique. Établissant la domination symbolique de l'homme sur l'animal et du

prince sur le reste du monde, la ménagerie montre que l’enjeu de la possession, de la vision et de la

représentation des animaux est avant tout politique 15 .

En France, le Muséum d'histoire naturelle, fondé sous la Révolution, accueille les animaux

transférés depuis la ménagerie de Versailles. Des artistes romantiques, au premier rang desquels

Antoine-Louis Barye (1795-1875) et Eugène Delacroix (1798-1863), travaillent vers 1830 à une

nouvelle forme de représentation de l'animal, fondée sur l'observation, le dessin des modèles vivants ou

la prise de mesure sur des cadavres 16 . Chez Antoine-Louis Barye, cette recherche d'exactitude des

proportions est néanmoins mise au service de compositions figurant des combats largement

théâtralisés 17 . La sculpture animalière se diffuse progressivement, à partir de 1830, sous forme d'objets

décoratifs en bronze et en porcelaine de petites dimensions, adaptés aux intérieurs bourgeois. À

Limoges, le sculpteur Paul Comoléra (1818-1897) fournit aux manufactures de porcelaine de

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nombreux modèles d'oiseaux et de chiens tantôt employés comme décor d'une pièce de forme, tantôt

présentés comme sculptures autonomes. Au début du XX e siècle, la céramique devient un outil de

diffusion précieux de sculptures animalières plus accessibles, notamment les œuvres de Paul Jouve

(1878-1973) et Édouard-Marcel Sandoz (1881-1971), qui continuent à travailler d'après des modèles

animaux vivants. De l’animal romantique terrifiant qui incarnait une fascination idéalisée de la

violence à l'état sauvage 18 , on passe à une image de l’animal stylisée, adoucie et plus conforme avec le

confort et l'apaisement que le foyer moderne doit offrir. Parallèlement au développement des

ménageries et des zoos, la présence croissante d'objets d'art animalier incarne sans doute un

changement du rapport à l’animal qui s'opère en Occident à partir du début du XIX e siècle à mesure

que l'industrialisation et l'urbanisation éloignent l'homme du contact avec l'animal, autrefois

incontournable 19 .

2. Imaginaire organique

L'énergie qui se dégage des végétaux et des animaux, de leur croissance et de leur prolifération

inspire un jaillissement d'inventions formelles qui s'affranchissent des modèles offerts par la nature. La

copie d'une forme fait alors place à l'imitation d'un processus biologique qui nourrit la céramique, dont

les techniques sont employées tour à tour dans une optique de stylisation, d'abstraction ou

d'hybridation.

Au début du XVIII e siècle, des ornemanistes inventent le style rocaille, un langage décoratif qui

détourne, contorsionne et exagère avec virtuosité les formes de la nature. Ce style donne naissance à

des « caprices » qui restituent les formes surprenantes, complexes et insaisissables des coquillages,

végétaux et minéraux. Pour les manufactures de céramique de l'époque, la porcelaine (dont le nom

provient de la proximité visuelle et tactile avec le coquillage éponyme), et surtout la faïence fine, dont

la plasticité rend possible le modelage de découpes complexes, constituent un terrain d'expression

particulièrement adapté à ce goût rocaille qui caractérise les arts décoratifs français de la première

moitié du XVIII e siècle. La saucière dite « Duplessis », du nom du créateur qui la dessina en 1756 pour

la manufacture de Vincennes, est faite d'un mélange de corail, de feuillage et d'une vague sur le point

de casser 20 . Cette invention formelle, réalisée probablement plus dans un but décoratif que scientifique,

s'apparente néanmoins à l'intuition artistique d'un continuum reliant animal, végétal et matière inerte,

perceptible dans de très nombreuses pièces de cette période.

A la fin du XIX e siècle, les protagonistes français et belges de l'Art nouveau, tels Hector Guimard

(1867-1942) ou Victor Horta (1861-1947), se distancient du langage visuel ornemental de leur époque

et remettent au goût du jour l'utilisation des formes végétales dans un esprit de stylisation et

d'abstraction inédit. La profonde rénovation visuelle que constitue l’Art nouveau, qui envahit

l’architecture, le mobilier urbain et les intérieurs publics et privés des grandes villes, puise son

inspiration dans un nouveau regard porté sur la faune et la flore. À Sèvres comme à Limoges, la

porcelaine se prête au jeu de la ligne en coup de fouet. Elle se charge d'une expressivité indissociable

d'un intérêt pour les logiques organiques qui ordonnent et structurent le monde du vivant.

Le vase des Pommerets conçu par Anatole Fournier vers 1896 au sein de la manufacture nationale

de Sèvres est issu de l'interprétation libre d'un bulbe végétal. La version proposée par le décorateur

Henri Barbéris, marquée par un mouvement hélicoïdal, illustre « l'effacement de la dualité structuredécoratif

en faveur d'une composition décorative naturaliste où se fondent forme et décor 21 . » Inspirée à

l'origine à partir de lis et finalement réalisée avec des feuilles de chicorée, cette déclinaison témoigne

d'un regard plus intéressé par l'évocation de la dynamique d'une floraison que par la restitution exacte

d'une espèce en particulier.

À la fois artiste et botaniste, Émile Gallé (1846-1904) possède une connaissance scientifique de la

biodiversité nancéienne. Son regard amoureux des insectes et des plantes le pousse à s’en inspirer pour

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trouver des formes et des textures nouvelles pour les objets précieux qu’il produit, en verre, en

céramique ou en bois. Loin de la vision statique de la fleur épanouie souvent privilégiée dans les arts

décoratifs, Émile Gallé s'intéresse au cycle complet du vivant de la naissance à la mort en passant par

la croissance et la dégénérescence, et aux variations formelles que lui inspirent ces différents états 22 . Sa

connaissance des méthodes et des outils de la science ne l'empêche pas de promouvoir une vision

poétique de l'art à mille lieux de la seule recherche de fidélité avec le modèle observé : « Le document

naturaliste le plus scrupuleux, reproduit dans un ouvrage scientifique ne nous émeut pas, parce que

l'âme humaine en est absente ; tandis que la reproduction, cependant très naturelle de l'artiste japonais

par exemple, sait traduire de façon unique le motif évocateur ou le minois, tantôt moqueur, tantôt

mélancolique de l'être vivant, de la chose pensive 23 . »

À l'attention scientifique portée aux processus de la nature s'ajoute en effet l'influence des œuvres

japonaises qui font sensation aux Expositions universelles à partir des années 1860 24 . La vivacité du

trait et l'esprit de synthèse des estampes japonaises inspire des décors de céramique chez Émile Gallé

et Félix Bracquemond. L'emploi du grès et le recours à des surfaces texturées ou à des formes

biomorphiques nourrit le travail de céramistes comme Alexandre Bigot (1862-1927), Pierre-Adrien

Dalpayrat (1844-1910) ou Ernest Bussière (1863-1913). Au-delà des considérations stylistiques, c'est

un nouvel imaginaire du vivant plus proche de la nature qui est apprécié par les artistes occidentaux 25 .

L'intérêt plastique pour les phénomènes de croissance, de tension, de rétractation et de boursouflure

d'un corps vivant est toujours présent chez de nombreux artistes contemporains tels que Claire Lindner,

Johan Creten ou Farida Le Suavé. La céramique semble être un art particulièrement propice à faire

advenir des formes qui évoquent le vivant sans pour autant s'y référer directement. Il s'agirait d'une

« abstraction organique », où formes et textures font écho au vivant tout en évitant sa représentation

littérale. En histoire de l'art, le terme « biomorphisme » renvoie en général à une tendance née dans les

années 1930 à la croisée du surréalisme et de l'art abstrait, favorisant les formes arrondies, suggérant la

vie par opposition à la géométrie orthonormée. Jean Arp (1886-1966), l'un des grands représentants de

ce courant, a travaillé à la manufacture nationale de Sèvres entre 1963 et 1966 où il a conçu plusieurs

formes de vases synthétisant l'idée d'un torse humain. La pertinence de cette alliance entre forme

biomorphique et porcelaine est encore plus frappante chez Wayne Fischer, dont les sculptures

renvoient selon les cas à la tension musculaire d'une articulation, à la sensualité d'une muqueuse. Pour

pouvoir modeler et travailler en volume, l'artiste ajoute de la fibre à la porcelaine pour en accentuer la

tenue. Ses pièces sont ensuite émaillées au pistolet puis rendues mates par sablage après cuisson,

offrant ainsi à aux sculptures une douceur laiteuse 26 .

Wayne Fischer, Sans titre [9032c], porcelaine, 2018, collection de l’artiste, crédit photo : Wayne Fischer

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De la cuisson, moment d'une métamorphose décisive, surgissent bien souvent des déformations, des

créatures étranges ou monstrueuses dont les artistes et les artisans travaillant la céramique ont su tirer

profit pour inventer des formes nouvelles. Cherchant à ouvrir la sculpture à de nouvelles expériences

de matière et de couleur, des artistes de la fin du XIX e siècle tels que Jean Carriès (1855-1894) ou

Jean-Désiré Ringel d'Illzach (1847-1916) travaillent le grès et les émaux pour inventer des textures

épidermiques qu'ils appliquent à des animaux fantastiques. Dans un contexte artistique marqué par le

symbolisme, le goût du monstrueux qui s'exprime chez certains céramistes fait étrangement écho aux

bouleversements engendrés par la théorie de l'évolution de Charles Darwin (1809-1882). De la

littérature fantastique au cinéma de science-fiction, l'imaginaire de la chimère connaît un succès

croissant au cours du XX e siècle et ouvre des pistes de réflexion fructueuses pour la pensée du vivant,

de ses origines et de son devenir. À l'image des créatures hybrides de Jean Fontaine, qui mêlent animal,

empreintes de corps humain et éléments mécaniques, la céramique contemporaine peut être le lieu d'un

regard critique porté sur la biodiversité et les manipulations du vivant (clonage, organismes

génétiquement modifiés) qui agitent aujourd'hui la communauté scientifique et l'opinion publique.

Jean Carriès, Grenouille à oreilles de lapin, grès, 1891, Petit Palais – Musée des Beaux-Arts de la ville de

Paris, crédit photo : Patrick Pierrain/Petit Palis/Roger-Viollet.

3. À l'intérieur du vivant

La représentation des organes ou des mécanismes internes des êtres vivants est souvent plus

confidentielle ou circonscrite à des travaux médicaux. Elle attise pourtant la curiosité des artistes qui

s'approprient les formes invisibles et les processus cachés du vivant. Dans la céramique s'incarnent

alors différentes réflexions esthétiques et éthiques sur la définition de la vie, ses limites ou la maîtrise

que peut en avoir l'homme.

La terre, lorsqu'elle est manipulée et modelée par les mains de l'artiste, s'apparente parfois

directement à la chair. Cœur, os, réseaux sanguins ou musculature composent en céramique un paysage

fragmenté du corps parfois proche de l'étude chirurgicale et de la dissection. Des artistes

contemporains, comme Valérie Delarue ou Marc Alberghina, exploitent les nuances et l'aspect luisant

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de l'émail pour représenter des organes isolés. À la fois fragiles et monstrueux, ces cœurs et ces

langues évoquent l'intimité de l'intérieur du corps, habituellement caché. En contexte scientifique, la

pratique de la dissection, qui dévoile l'intérieur de l'animal ou du corps humain, procède d'une logique

similaire. Les illustrations anatomiques sont parfois traitées comme des œuvres à part entière,

dépassant leur objectif descriptif et pédagogique pour devenir des images autonomes. Les planches

dessinées par Jacques-Fabien Gautier d'Agoty (1716-1785) pour la Myologie complète en couleur et

grandeur naturelle (1746) illustrent autant un souci de composition artistique qu'une fascination

esthétique pour l'intérieur du corps remarquée au XX e siècle par les surréalistes. De même, la bizarrerie

des écorchés d'Honoré Fragonard (1732-1799), réalisés au moyen d'une technique d'injection

vasculaire 27

nourrit l'imaginaire de l'artiste contemporain Michel Gouéry dont les sculptures en

céramique donnent régulièrement à voir des viscères accumulés ou proliférants.

L’invention du microscope au XVII e siècle permet la découverte et l’observation d’êtres jamais vus

auparavant. Ouvrage majeur de l'histoire de l'illustration naturaliste, Micrographia, publié en 1665 par

le savant anglais Robert Hooke (1635-1703), devient rapidement un best-seller en raison du caractère

spectaculaire de ses gravures. Le vivant invisible fait l’objet d’un changement d’échelle à la fois

didactique et fantasmagorique. Plus tard, le biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919) publie en

1902 Kunstformen der Natur, un ouvrage resté célèbre pour les planches révélant l'existence de

planctons et d'êtres vivants unicellulaires dont les formes extraordinaires fascinent les artistes 28 . Les

exosquelettes blancs des radiolaires en particulier inspirent au céramiste contemporain suisse Arnold

Annen des formes organiques attirantes par leur perfection géométriques et hostiles par la transposition

à l'échelle humaine d'excroissances pointues. La porcelaine remplace ici le dioxyde de silicium et

rappelle l'utilisation créative du minéral par le vivant dans la fabrication d'architectures complexes.

L'invention de formes proches de celles d'organismes unicellulaires, des bactéries ou des virus peut

également résulter d'une intuition purement plastique : en 2011, l'exposition Céramiques vivantes, fruit

de la collaboration entre un céramiste, Jean-Michel Barathon-Cadelle, et un enseignant chercheur en

biologie de l'université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, Philippe Bouchard, expliquait certains

mécanismes de morphogenèse (symétrie, importance de la sphère, exosquelette), et permettait de se

familiariser avec le raku, une technique basée sur le refroidissement brutal de la céramique. L’univers

artistique d’un sculpteur est ainsi entré en résonance avec des observations scientifiques.

Ernst Haeckel, « Cyrtoidea – Flaschenstrahlinge » [Radiolaires nasselaires], planche XXXI pour Kunstformen

der Natur [Formes artistiques de la nature], lithographie sur papier, 1899-1904.

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Des lois de Mendel aux « ciseaux moléculaires » CRISPR-Cas9 en passant par la forme en double

hélice de l'ADN identifiée par Rosalind Franklin, James Watson et Francis Crick en 1953, la

découverte progressive des lois de la génétique a permis d'envisager le vivant comme un

« programme » sur lequel il est possible d'intervenir.

Parallèlement, la révolution numérique a offert de nouvelles perspectives d'imitation de la nature : à

la croisée du design, de la médecine et du génie génétique, il est désormais possible d'imprimer en 3D

des tissus vivants à partir de cellules-souches. Des formes scannées ou conçues informatiquement

peuvent aussi être produites en céramique via l'utilisation d'imprimantes 3D adaptées à la pâte d'argile

ou de porcelaine. Il est alors possible de bénéficier à la fois de la puissance de calcul de l'informatique

et des propriétés physiques de la céramique pour créer des prothèses médicales biocompatibles. À

Limoges, l'expertise technique héritée de plus de 250 ans de production porcelainière débouche depuis

quelques années sur ces applications techniques innovantes. Une politique de transfert de technologies

entre l'Institut de recherche sur les céramiques (IRCER) et la société 3DCeram a permis la mise au

point, en 2005, d'implants crâniens en céramique imprimée par stéréolithographie laser, système

inventé par le chercheur Thierry Chartier 29 .

L’emploi de la céramique en contexte biomédical permet d’imaginer comment on peut réparer le corps grâce

à des éléments artificiels. On trouve ainsi toujours de nouvelles façons d’éditer, de réparer et de modifier les

corps humains. Ce constat, qui peut légitimement être source d’inquiétude et ouvrir la voie à de nouvelles

formes de l’exploitation des humains, montre aussi notre intégration à un environnement profondément

technicisé.

Les codes et algorithmes permettant de simuler artificiellement la croissance du vivant et de

mémoriser des formes complexes dématérialisées stimulent autant la recherche scientifique que la

création artistique. Autour de 2010, une technique d'impression céramique dérivée de l'extrusion de fil

chaud se développe, grâce notamment aux expérimentations du studio anversois Unfold 30 , qui

recherche alors des passerelles entre artisanat et technologies numériques. Facilitée par Internet et par

la publication de données en libre accès dans un esprit collaboratif, cette pratique se diffuse et donne

naissance à des œuvres originales. Les céramiques imprimées en 3D du potier Jonathan Keep, dont

certaines ont été acquises en 2017 par le Musée national Adrien Dubouché, sont le fruit d'une réflexion

sur la forme et le vivant. Son installation Seed bed, littéralement « lit de graines », renvoie en effet à

l’idée d’une germination, d’une croissance organique, ou d’une forme prête à éclore. Pourtant, loin

d’avoir été copiées d’après nature, ces formes ont été inventées de toutes pièces par Jonathan Keep 31 , à

l’aide de fonctions mathématiques, les harmoniques sphériques. Dans le champ de l'architecture

expérimentale, l'architecte américaine Jenny Sabin développe depuis 2014 un projet baptisé Polybrick,

mêlant céramique imprimée en 3D, biologie et recherche d'une architecture intelligente. Après avoir

mis au point un modèle de brique inspiré de l'ostéogenèse, sa recherche évolue aujourd'hui vers

l'intégration sur des tuiles en céramique d'un ADN de synthèse envisagé comme un porteur

programmable d'information 32 . Ses travaux ouvrent des pistes qui conduisent non seulement à la

création de formes complexes et originales, mais aussi à l'invention d'architectures vivantes, efficientes

énergétiquement et capables de réagir à l'environnement.

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Jonathan Keep, Seed Bed, porcelaine imprimée en 3D, 2013, Musée national Adrien Dubouché, Limoges,

crédit photo : Jonathan Keep.

Conclusion

La recherche de naturalisme permet donc en céramique de saisir le vivant, de s'en approcher et d'en

fixer les formes pour le comprendre. Cette ambition révèle parfois également un rapport de captation

voire de possession du vivant qui s’inscrit dans une histoire au sein duquel l'homme, son regard et sa

soif de connaissances occupent une place centrale.

Le vivant est par ailleurs un territoire fertile pour l'imaginaire dont le caractère modelable s'accorde

avec la plasticité de la céramique. L’exploration des métamorphoses organiques génère non seulement

des formes nouvelles mais aussi des zones « inter-règne » qui invitent à repenser le vivant.

À la confluence de l'art de l'ingénierie et de la biologie, la céramique est également une porte

d'entrée vers des processus cachés du vivant qu'elle rend visible. Sa pratique permet de nouer des

alliances avec du vivant non-humain, voire avec du vivant artificiel.

Ces recherches invitent à considérer le vivant, à la suite de Donna Haraway, au sein d'une « nature »

qui serait plutôt une « natureculture », c’est-à-dire non un lieu hors-temps, dépourvu d’histoire et

radicalement autre, mais un environnement dans lequel les humains prennent place et auquel ils se

relient de façons diverses au cours de l’histoire 33 .

De nombreux objets, comme les spécimens de sciences naturelles ou les animaux de compagnie 34 , ne

sont ni « naturels » ni « culturels » : ils participent des deux, et peuvent être vus comme des sites de

renégociation de la frontière entre nous, humains, et ce qu’il est convenu d’appeler « nature ». Cette

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renégociation est un enjeu majeur. L'art peut alors se manifester comme un discours « natureculturel »

sensible. L'histoire de la céramique contribue ainsi à une histoire du rapport au vivant, nourrie de

l’histoire de l’art et de l’histoire des sciences.

Ce qui peut être commun à des disciplines aussi éloignées que la biologie et l'histoire de la

céramique nous permet de rapprocher ces domaines au service de savoirs qui les dépassent 35 .

Les dynamiques morphogénétiques, dont on a vu qu’elles étaient un sujet exploré par les artistes

pratiquant la céramique, mettent en jeu à la fois la biologie et l’histoire de l’art. Les formes sont le

résultat de contraintes, mais aussi d’une histoire. En s’intéressant aux études scientifiques sur la

morphogenèse 36

et aux écrits d’historiens d’art 37 et de philosophes 38 , on voit émerger un champ

transdisciplinaire de l’étude des formes.

Toutes ces formes vivantes nous amènent à un moment de l’histoire qui voit la notion de vivant être

profondément remise en question, non seulement dans les sciences mais aussi dans l’imaginaire

collectif.

Les procédés techniques et les possibilités d’inventions formelles propres à la céramique contribuent

à troubler les catégories (espèces, branches de l’évolution, règnes) et les frontières (minéral, organique)

du vivant. Ce constat fait écho aux recherches scientifiques récentes mettant en évidence toujours plus

d’éléments (cristaux, virus, tissus vivants artificiels, etc.) dont les propriétés physiques ou le

comportement déstabilisent les définitions qui structurent notre rapport au monde.

Cette remise en question nous fait nous intéresser de plus en plus à l’idée d’un continuum vivantnon-vivant,

qui existait déjà, quoique sous une autre forme, chez Bernard Palissy. Privilégier l’idée de

continuité plutôt que celle de catégorie invite à se concevoir comme partie intégrante de la matière du

monde et de ses transformations. C’est à cette condition que nous pouvons entrevoir des rapports

d’empathie avec les autres membres de la communauté du vivant.

L’intérêt du designer François Azambourg 39 pour les termitières va dans le sens de cette réflexion.

L’emploi de la terre est en effet caractéristique de l’activité des termites du Burkina Faso. Ces

dernières, en digérant la terre, la filtrent et lui donnent une qualité spécifique, que les potiers locaux

utilisent pour la céramique. L’idée d’Azambourg est de se servir de la partie émergée de la termitière,

séchée par le soleil, qui conserve l’empreinte des galeries construites par les termites, comme matériau

de création. Il met ainsi en évidence nos points communs avec ces animaux : le travail de la terre, mais

aussi la nécessité d’habiter et la pratique de l’architecture qui en découle. Elle fait de la technique et de

l’habitat non des spécificités culturelles humaines mais des besoins communs à tous les vivants.

Notes

1 Marie-Christine Maurel, Les origines de la vie, Le Pommier, Paris, 2017, p. 125.

2 Jean Girel, La sagesse du potier, JC Béhar, Paris, 2004, p. 18.

3 « La mémoire de la porcelaine est redoutable. C'est un phénomène bien connu à Sèvres, où les anses des tasses sont

collées de travers, suivant un angle propre à chaque tourneur ; la pièce se dévissant proportionnellement au vissage qu'elle

a subi, l'anse retrouve la verticale après cuisson », ibid., p. 48.

4 Voir Christophe Bonneuil « Le siècle du gène » in Histoire des sciences et des savoirs, sous la direction de Dominique

Pestre, Seuil, Paris, 2015, pp. 297-317.

5 La paternité de ce terme est attribuée à Ernst Haeckel, en 1866.

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6 Ces recherches liant art et vivant font l'objet depuis quelques années de publications et d'expositions parmi lesquelles

on compte notamment Bêtes Off (Paris, Musée de la conciergerie, 2011), Beauté animale (Paris, Grand Palais, 2012) pour

la question de l'animal ; Jardins (Paris, Grand Palais 2017), Jardins infinis, (Paris, Centre Pompidou Metz, 2017) pour la

question du végétal et du paysage ; ou bien En vie/Alive - Aux frontières du design (Fondation EDF 2013), Naturaliser

l'architecture (Orléans, FRAC Centre, 2014) ; La Fabrique du vivant (Paris, Centre Pompidou, 2019) pour la question de

la morphogenèse et du design bio-inspiré.

7 Marie-Noëlle Bourguet, Pierre-Yves Lacour, « Les mondes naturalistes : Europe (1530-1802), Dominique Pestre dir.,

Histoire des sciences et des savoirs, Stéphane Van Damme dir., Tome I : De la Renaissance aux Lumières, Seuil, Paris,

2015, p. 256.

8 Rafael Mandressi, « Cultures visuelles des sciences », ibid., p. 238.

9 Léonard N. Amico, À la recherche du paradis terrestre. Bernard Palissy et ses continuateurs, Flammarion, Paris, 1996,

p. 42.

10 Pour une analyse plus complète de la pensée théorique de la nature de Bernard Palissy, voir Léonard N. Amico, À la

recherche du paradis terrestre. Bernard Palissy et ses continuateurs, Flammarion, Paris, 1996, pp. 44-43. Voir également

Philippe Morel, Les grottes maniéristes en Italie au XVI e siècle, Macula, Paris 1998, pp.35-36

11

Léonard N. Amico et Danielle Oger, « De l'histoire naturelle et de la nature historiée » in Un bestiaire fantastique,

Avisseau et la faïence de Tours (1840-1910), Réunion des musées nationaux, Paris, 2002, pp. 53-58

12 « La nature y est conçue comme le théâtre d'affrontement mortels permanents : sur toutes les pièces, on peut relever

plusieurs scènes de prédation ou d'affût. […] En ce sens, ces céramiques sont bien de leur époque, celle de Malthus et de

Darwin. Le XIX e siècle, marqué par l'industrialisation forcenée et son cortège de misères, conçoit la vie comme une lutte

à mort permanente, le fameux struggle for life. » Pierre Cabard, « Faune et flore », in Bestiaire fantastique, Avisseau et la

faïence de Tours (1840-1910), op. cit. p. 47.

13

« Si le feu ne conserve que les minéraux de la plante, si ce processus de stérilisante minéralisation semble nous éloigner

de la vie, serait-ce divaguer de se dire que cette agitation, cette danse plutôt de particules d'autant plus intenses que la

température monte, ce va-et-vient des atomes qui se séparent pour se regrouper en vertu de nouvelles affinités, que cette

intense vibration est en somme assimilable à une nouvelle biologie faisant écho à la vie de la plante, non pas retrouvée

mais transfigurée elle aussi ? Une biologie ne se reproduisant que dans la ferveur d'une incandescence » Daniel de

Montmollin, Pierres habitées, Éditions de la revue de la céramique et du verre, Vendin-le-Vieil, 2009, p. 52.

14

Samuel Wittwer, The Gallery of Meissen Animals, Hirmer, Munich, 2006, p. 60.

15

John Berger, « Why Look at Animals? », 1977, About Looking, Pantheon Books, New York, 1980, p. 21.

16

Emmanuelle Brugerolles éd., Antoine-Louis Barye, « Le Michel-Ange de la Ménagerie », Carnets d'études N° 28,

Éditions des Beaux-arts de Paris, Paris, 2014.

17

« Barye met en scène des combats qui ne peuvent se produire dans le cadre du zoo. Certes, le tigre et le gavial sont tous

deux issus du sous-continent indien, en revanche, la probabilité qu'un lion terrasse un sanglier ou qu'un jaguar dévore un

lièvre est nulle. Tout son art se résume à la lutte pour la vie : celle que les animaux se livrent dans leurs féroces combats,

et celle qu'il mène lui-même pour qu'ils aient, dans le bronze, l'apparence la plus vivante possible. » Emmanuelle Héran,

« Antoine-Louis Barye, Tigre dévorant un gavial » in Beauté Animale, Réunion des musées nationaux, Paris, 2012, p.

210.

18

« The treatment of animal in 19th century romantic painting was already an acknowledgement of their impending

disappearance. The images are of animals receding into a wildness that existed only in the imagination. » John Berger,

« Why Look at Animals? », op. cit., p. 17.

19

John Berger, « Why Look at Animals? », op. cit., passim.

20

Tamara Préaud et Antoine d’Albis, La Porcelaine de Vincennes, Paris, Adam Biro, 1991, notice diffusée sur le site du

musée des Arts décoratifs de Paris : https://madparis.fr/francais/musees/musee-des-arts-decoratifs/parcours/xviie-xviiiesiecles/la-rocaille/sauciere-duplessis

21

Isabelle Laurin, « L'Art nouveau à Sèvres, l'école Guérin et le vase des Pommerets », Revue de la société des amis du

musée national de céramique, N° 19, 2010, p. 132-142.

22 Valérie Thomas, « Emile Gallé, de la nature à l'atelier », Organismi, cat. exp. Galerie d’Art moderne de Turin, Skira,

Milan, 2016.

23

Emile Gallé, discours du 17 mai 1900 à l'Académie Stanislas de Nancy, cité par Henri Claude, « le décor symbolique »,

dans Emile Gallé, nature & symbolisme « influence du japon », catalogue de l'exposition Vic-sur-Seille, 2009, p. 25.

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24

Lionel Lambourne, Japonisme, échanges culturels entre le Japon et l'Occident. Phaidon, Paris 2006, pp. 68-83.

25 « C'est donc au moment précis où la culture occidentale cherchait à établir un rapport de type nouveau avec son milieu

naturel qu'elle prit connaissance de la façon dont les japonais l'appréhendaient dans leur art. […] Les japonais d'avant la

modernisation du pays ne distinguent pas, eux, de façon aussi précise entre éléments naturels d'un côté et éléments

purement humain de l'autre. » Akiko Mabuchi, « Japonisme et naturalisme » in Le Japonisme, cat. exp. Galeries

nationales du grand Palais, 17 mai-15 août 1988, RMN, Paris, 1988, p. 34.

26

Nicole Crestou, site Internet de l’artiste, https://mail.waynefischer.net/index.php/fr/

27 Michel Lemire, « Fortunes et infortunes de l’anatomie et des préparatins anatomiques, naturelles et artificielles », in

L'âme au corps, Réunion des musées nationaux, éditions Gallimard/Electa, Paris, 1993, pp. 70-98.

28 Erika Krause, « L'influence de Ernst Haeckel sur l'Art nouveau » in L'âme au corps, op.cit., pp. 342-350.

29 Voir la vidéo de présentation réalisée par le CNRS : https://www.youtube.com/watch?v=j35gAH2arRg

30

Tamar Shafrir, « Unfold : Reinventing the Wheel », Michel Paysant dir., Les Arts du feu à l’heure actuelle, rencontres

entre la céramique, le verre et les langages numériques, La céramique comme expérience, vol. 2, journées d’étude,

ENSA, Limoges, 2017, Naima, publication numérique, pp. 53-79, https://www.naimaunlimited.com/biblio/la-ceramiquecomme-experience-vol-2/.

31

Voir le site internet de l'artiste, particulièrement riche en documentation sur sa démarche et sa technique :

http://www.keep-art.co.uk/index.htm.

32

David Rosenwasser, Shogo Hamada, Dan Luo, Jenny E. Sabin, « PolyBrick 3.0: live signatures through DNA

hydrogels », International Journal of Rapid Manufacturing, Vol. 7, Nos. 2/3, 2018, pp. 205-218.

33

Delphine Gardey, « Donna Haraway : poétique et politique du vivant », Cahiers du Genre, N°55, 2013, L’Harmattan,

Paris, pp. 171-194.

34

Ces deux exemples ont été étudiés par Donna Haraway, la taxidermie dans « Teddy Bear Patriarchy: Taxidermy in the

Garden of Eden, New York City, 1908-1936 », Social Text, N° 11, hiver 1984-1985, pp. 20-64, et la notion d’espèce de

compagnie dans The Companion Species Manifesto: Dogs, People and Significant Otherness, Prickly Paradigm Press,

Chicago, 2003.

35

Voir la définition de la transdisciplinarité proposée par Francine Pellaud, professeur à la Haute école de pédagogie de

Fribourg : https://www.canal-u.tv/video/canal_uved/4_multi_pluri_inter_ou_transdisciplinarite.19763

36

Paul Bourgine, Annick Lesne dir., Morphogenèse. L’origine des formes, Belin, Paris, 2006.

37

Par exemple des historiens d’art issus de la tradition formaliste, tels qu’Henri Focillon, Vie des formes, PUF, Paris,

1943.

38 On peut notamment citer Gilbert Simondon, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Millon,

Grenoble, 2005 (publication de la thèse de Simondon, soutenue en 1958 et publiée en deux fois en 1964 et 1989). Cité par

Sarah Margairaz, « Entre apeiron présocratique et métastabilité thermodynamique : l’idée de préindividuel chez Gilbert

Simondon », Methodos. Savoirs et textes, N° 13, 2013, en ligne, https://journals.openedition.org/methodos/3191#ftn1.

39

L’artiste est actuellement en résidence à la Manufacture nationale de Sèvres, où il mène une recherche sur les

termitières, dans le prolongement de la fabrication du trône en termitière réalisé en 2010 pour l’éditeur Poltrona Frau au

festival parisien de design D’Days.

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Coalescence, un imaginaire scientifique

Coalescence, Visions of Science

Alexandre Darmon 1 , Julie Simon 1

1

AiR – Art in Research, Paris, darmon@artinresearch.com, julie.simon@artinresearch.com

RÉSUMÉ. Coalescence. Inévitable attraction, fusion inéluctable de deux matières identiques qui résulte en la création

d’une nouvelle entité, plus efficace énergétiquement. Telle est l’essence de cet ouvrage qui associe science et art au

service de la recherche du beau. Révélant l’esthétique saisissante des nombreuses formes de la nature, les

photographies du livre Coalescence, un imaginaire scientifique subliment la recherche scientifique et rappellent à quel

point la nature peut être belle et déconcertante. Saisis par les chercheurs, ces instantanés de beauté déroutent et font

travailler l’imaginaire ; ils sont autant emplis de mystère qu’empreints d’une indiscutable vérité.

ABSTRACT. Coalescence. Inevitable attraction, inescapable fusion of two identical materials that results in the creation

of a new, more energy-efficient entity. This is the essence of this work which associates science and art in a quest for

beauty. Revealing the striking aesthetics of the many forms of nature, the photographs of the book Coalescence, Visions

of Science enhance scientific research and remind us how beautiful and disconcerting nature can be. Captured by

researchers in their laboratory, these moments of beauty spark the imagination. Although filled with a sense of mystery,

they expose an indisputable truth.

MOTS-CLÉS. Coalescence, Science, Art, Photographie, Recherche, Imaginaire, Nature.

KEYWORDS. Coalescence, Science, Art, Photography, Research, Imaginary, Nature.

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Coalescence : inévitable attraction, fusion inéluctable de deux matières identiques qui résulte en la

création d’une nouvelle entité, plus efficace énergétiquement. Telle est l’essence de cet ouvrage qui

associe science et art au service de la recherche du beau. Révélant l’esthétique saisissante des

nombreuses formes de la nature, les photographies du livre Coalescence, un imaginaire scientifique

subliment la recherche scientifique et rappellent à quel point la nature peut être belle et déconcertante.

Saisis par les chercheurs, ces instantanés de beauté déroutent et font travailler l’imaginaire ; ils sont

autant emplis de mystère qu’empreints d’une indiscutable vérité.

Un instant de répit

Florence Elias

Consciente que la science est emplie d’une beauté stupéfiante, AiR - Art in Research s’est donnée

pour mission de révéler au plus grand monde le travail de la recherche scientifique en y intégrant une

dimension artistique à la croisée du réel et de l’imaginaire. En regroupant près de 70 images,

principalement des photographies, de plus d’une quinzaine de chercheuses et de chercheurs français,

Coalescence, un imaginaire scientifique dévoile à tous un aperçu de l’infinie beauté de la recherche

scientifique. L’ambition d’un tel projet est de mettre en avant le travail que portent les scientifiques sur

leur travail en proposant des tirages d’art de photographies prises par les chercheurs dans leur

laboratoire.

L’utilisation de la photographie est aujourd’hui prépondérante dans bien des domaines

scientifiques : médecine, biologie, physique, chimie, sismologie… Véritable outil d’investigation

scientifique, les chercheurs l’emploient aussi bien pour l’interprétation que pour le partage de

l’information. Il s’agit en vérité d’une réelle passion qu’ils décident de transmettre par le biais des

images aussi fascinantes soient-elles. En enfilant le costume d’artiste, les scientifiques contribuent

ainsi à révéler la splendeur des phénomènes qu’ils observent et dévoilent de la plus belle des façons la

dimension artistique de la science.

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Neurones en lumières I

Claire Wyart & Kristen Severi

La collection de photographies de Coalescence, un imaginaire scientifique s’articule autour des

thèmes de la vie et du jeu d’échelle. Les prises de vue, tantôt microscopiques, tantôt macroscopiques,

jouent avec les perceptions du spectateur, plongé dans un univers aux échelles nouvelles. Ce dernier y

découvre les formes insoupçonnées de la nature évoluant dans un monde infiniment grand et puissant,

en proie à une incroyable complexité. C’est notamment cette suprématie de l’univers qui attise depuis

toujours la curiosité des chercheurs fascinés par la capacité de la science à répondre aux questions qui

les submergent.

"Le travail de AiR nous rappelle, mieux que tout autre, que la nature est la plus grande

des artistes." Cédric Villani, Médaille Fields

Les photographies présentes dans ce livre stimulent l’imaginaire et invitent le spectateur à

s’immiscer dans un monde irréel. L’ouvrage permet de laisser libre cours à son imagination et

d’interpréter de façon totalement insouciante la beauté de la nature qui se révèle sous nos yeux. Il

s’agit là de véritablement plonger, le temps d’un instant, celui qui admire les images dans un univers

aux échelles dérisoires, souvent imperceptible à l’œil nu. L’expérience du spectateur est notamment

prolongée par les textes qui accompagnent chacune des œuvres : autant poétiques qu’explicatifs, les

descriptifs sont là pour prolonger la rêverie et donner quelques clés de lecture scientifique.

Galaxie microscopique

Alexandre Darmon

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« Diatomées de tous les pays, unissez-vous !

Soyez fécondes et multipliez-vous, remplissez

la mer ! Ce couple de microalgues

unicellulaires a pris au pied de la lettre cette très

vieille injonction et se retrouve surpris à un

moment critique, celui de la division cellulaire.

Simultanément, ces deux bourgeons pellucides

donnent corps à des copies parfaitement

identiques d’elles-mêmes. En bleu, le squelette

en silice va lui aussi bientôt se fractionner et

chacune des moitiés migrer avec la cellule fille

en rouge. Pour ces diatomées, c’est le début

d’une nouvelle vie, d’une nouvelle ère. »

Diatomées, mère et fille III

Pascal-Jean Lopez

Le livre Coalescence, un imaginaire scientifique est le travail de plus d’un an de réflexion et

d’immersion dans les laboratoires de recherche dont l’ambition est de révéler au monde la beauté

cachée des sciences de la nature. Alliant réel et imaginaire, les photographies incitent le spectateur à

voyager dans un monde aux échelles déroutantes et à interpréter à sa façon les images qu’il perçoit.

Plus qu’un livre scientifique, il s’agit là d’un véritable ouvrage d’art qui interpelle et interroge les plus

curieux sur les mystères de la science.

Un article sur le thème de la photographie scientifique paraîtra prochainement dans la revue.

Référence

ART IN RESEARCH, Coalescence, un imaginaire scientifique, LIENART édition, 2019, 127 p. ISBN : 978-2-35906-

280-9.

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Conducting Archaeogaming & Protecting Digital

Heritage: Does the Future for Archaeology Lie in The

Immaterial

La Conduction de l’Archaeogaming et la Protection du Patrimoine

Numérique: l’Avenir de l’archéologie repose-t-il dans l’Immatériel?

Benjamin Hanussek 1

1

Institute of Archaeology, University of Warsaw, Poland, benjamin.hanussek@gmail.com

Biographical Note: The author is a student of archaeology with a background in economic psychology. He is currently

writing his thesis on the transition of board game design in Middle Kingdom Egypt. Besides that, his extracurricular

research concerns the perception and theory of archaeology and heritage in the digital era, with a special interest in

digital games and museums as transmitter of past realities.

ABSTRACT. Digital games have become considerable and influential cultural transmitters throughout the past years.

As social sciences had grasped the importance of this medium as an object of study, the field of archaeology has

increasingly taken notice of the digital leisure worlds of millions of players. Studying games as artefacts or

archaeological sites have been therefore pioneering research programmes by scholars like Andrew Reinhard in order

to test the boundaries of the archaeological framework, as also to generate important insight on our society by

applying archaeological methodology on digital games. The aim of this paper is to discuss the possible role of

archaeology in its conjunction with video games and tries to establish a critical perspective towards the enthusiastic

first wave of the archaeology of video games.

KEYWORDS. Digital Archaeology, Digital Heritage, Digital Games, Archaeological Theory, Archaeogaming.

1. Introduction

The digital revolution our world has been pursuing since the commercialisation of the internet

(Twenge, 2018) has changed all aspects of our (western) life: the way we learn, interact socially,

perceive the world and especially the way how we spend our leisure time.

While it is unquestionable that the concept of “play and game” is an universal one, embedded in

every known culture (Huizinga, 2016) its role nowadays has reached of ungraspable influence on us

through its fusion with computer sciences. Digital games 1 have become therefore an omnipresent

and omnipotent entity lingering on our smartphones, tablets, consoles and computers; ready to give

us pleasure, fun and challenge on demand: the casual revolution (Muriel and Crawford, 2018: 3).

The implication of digital games in our society is understated by the growing amount of literature on

the topic (popular and scientific) (Chapman, 2016), the billion-dollar fold revenues of the game

industry (Muriel and Crawford, 2018, p. 31) and other aspects like gamesque behaviour patterns,

called gamification, which are transported from the virtual realm into the private and professional

life in order to stimulate motivation and cognition (Ruffino, 2018: 28); possibly the contemporary

equivalent to social engineering.

1 It was decided, as suggested by Andrew Reinhard, to use the term digital game instead of the conventional term video game in

order to shake off the undermining implications mass media has associated with the term video game.

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The importance of digital games for archaeology has been relentlessly forwarded by a growing

pool of archaeologists with fruitful projects on studying digital games’ ontology and epistemology

with (theoretical) archaeological methods in order to retrieve valuable data on our contemporary

society (Mol, 2014; Morgan, 2017; Reinhard, 2018). Also, ways in relaying archaeological

knowledge through digital games are being studied (Ariese-Vandemeulebroucke, Boom, Mol, &

Politopoulos, 2017).

The unarguable need to deal with games in archaeology derives from the notion of digital games

as digital heritage which “includes texts, databases, still and moving images, audio, graphics,

software and web pages.” (Macmillan, 2015: 96). Digital Heritage which logically derives from

material heritage is, even without being aware of any theoretical frameworks, an essential concern

for archaeology.

Still what it seems to lack is a critical perspective. A kind of research based on the model of

Heinz von Foerster’s 2 second order. The second order according to Foerster adds another reflective

dimension to a stream of thought and enables the researcher to question and enhance the quality of

the field of research (von Foerster and Pörksen, 2001: 114-121).

It is evident that all research in the field of digital archaeology concerning digital games has been

mostly focusing on the positive aspects in proving the applicability of archaeological methodology

on the synthetic space (Hanussek in press), the value and importance of combining archaeology with

the study of digital games. These novel approaches have led to a huge progress in archaeological

theory but by now it seems that “theories are fabricated only in order to accommodate known facts.”

(Lakatos 1978: 5). The mathematician Imre Lakatos 3 would label this development as an attitude of

a degenerating research programme (Lakatos, 1978).

The goal of this paper is to calculate 4 the generated progress in the field of digital game

archaeologies 5 and confront it with understudied concerns in its own field in order to establish a

critical counterweight. The idea of this paper is neither to strengthen the importance of digital games

in archaeological studies nor to discredit the work and research of the growing number of

archaeogamers (Reinhard, 2018) but to add an overdue critical dimension. Digital game

archaeologies have reached a point of “maturity to allow diversity, controversy and uncertainty”

(Hodder, 2003: xii). Therefore, the injection of a second order research and its repercussions will

serve as the ultimate examination of the relevance of this field for a progressive future for digital

archaeologies in general.

Therefore, the second section will open the discussion with a summary on the primal core

concepts that drive the field of digital game archaeologies. In order to give a variation of the targets

that can be pursued in this field, Reinhard’s concept of Archaeogaming (Stream of York) and Mol’s

concept of the interactive past (Stream of Leiden) will serve to illustrate the status quo.

2 Heinz von Foerster, born 1911, was a polymath (mainly centred around physics and philosophy) who became famous for his

Biological Computer Laboratory at the University of Illinois and his works on cybernetics

3 Imre Lakatos, born 1922, was theoretical mathematician who became a scholar at the London School of Economics where he

worked with important contemporaries as Karl Popper. He became famous for his discourses on the fallibility of scientific

research programmes

4 The term calculate is used according to its semantic root which means „to set into relations “ and not as to calculate from a

mathematical perspective

5 The term digital (game) archaeologies is used to overarch every concept that combines archaeology with digital games and

digital heritage. It is to be understood as a subfield of digital archaeology

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The third section will be introduced under the scope of von Foerster’s concept of first- and

second-order sciences and will be further elaborated by Lakatos’ methodology of scientific research

programmes in order to establish a critical and self-reflective overview on the field of digital game

archaeologies.

The fourth section will use the case of Ubisoft’s Notre Dame 6 to present a rather questionable

issue surrounding the field of digital game archaeologies which still neglect complex problems as

for example the copyrighting of material culture and the total commercialisation of heritage.

Lastly the fifth section will relate the preceding sections and conclude the discussion under the

notion of materiality and will try to answer the question if archaeology should position itself as a

mediator of material culture or if this role has become obsolete in perspective on the digital

avalanche that our society has faced (and is still facing).

This paper can be seen as the sum of two parts. The former (section 2 and 3) which serves as a

preface in form of a historical archaeological account and the latter (section 4 and 5) as actual case

and critical account.

2. On the State of Digital Game Archaeologies

In order to illustrate the core concepts and mission of digital game archaeologies this section will

present two streams in this field which have two fairly different emphasises concerning the

conjunction of digital games and archaeology. The idea to distinguish and refer explicitly to specific

actors in this field serves a post-structuralist nature; as transparency seems fit to improve the

understanding of actors behind the emergence of specific (archaeological) thought (Foucault, 2002).

The current main actors or streams 7 of thought that can be divided are the Stream of Leiden which

focuses on the dissemination of archaeological thought through digital games and the Stream of

York which focuses more on the archaeologically measurable ontology of digital games.

(a) Stream of York: Archaeogaming

The Stream of York does pursue a rather abstract approach in hindsight to traditional

archaeology. This particular stream of archaeological thought which surrounds itself by Sara Perry 8 ,

Coleen Morgan and Andrew Reinhard pursues a contemporary archaeology (Holtorf, 2007) under

the notion of the near-immediate (Reinhard, 2018: 5).

The digital game is thus part of our material culture in the near-immediate 9 . The approach builds

itself upon the idea that “videogames provide landscapes and objects that are productive for

6 On the 15th of April, 2019 the Notre-Dame de Paris has caught fire and was majorly damaged. The game developer Ubisoft that

produces the game series Assassin’s Creed has then offered one of the games of the series for free (the offer lasted one week),

which contained a full-scale digital reconstruction of the gothic cathedral.

7 The term stream is used in a similar manner as schools in philosophical discourses. Anyhow to name these approaches schools

seems to static in this context, therefore stream serves to conceptualise the idea of approaches with a kind of fixed source that

on the other hand also act dislocated

8 Even though Perry is to be located in the general field of digital humanities rather than digital (game) archaeology she has been

fundamental for the philosophy behind approaches of Reinhard and Morgan

9 The concept of the near-immediate bases on the notion that the perception of time prior to the industrial revolution has been

completely different to the way we perceive time now. The idea sees the density and sequence of technologies as a more

reasonable benchmark to define temporalities in our contemporary society.

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archaeological investigations” (Morgan, 2016: 9). While Morgan has been testing the boundaries of

archaeological theory concerning the general digital space; USB sticks as archaeological sites (Perry

and Morgan, 2015), Reinhard has been able to craft something close to a framework to this specific

approach. His concept of archaeogaming (Reinhard, 2018) embodies many approaches. Important

for this piece of work is the notion that archaeogaming interprets “games as sites, built

environments, landscapes and artefacts, no different than any place on earth that has been

manipulated, managed and transformed by people past and present.” (Reinhard, 2018, 2). The idea

is to transport terrestrial archaeological methodology into a synthetic space (Hanussek in press) and

as an effect to complement interpretational narratives of the fields of game studies and sociology,

which lack the notion of materiality. Archaeogaming enables therefore the researcher to study

digital games as an artefact in order to study our society. Even though it is debatable if

archaeogaming offers An Archaeology (Orser, 2015: 6) or simply the proof of the importance of

archaeological theory in studying the immaterial (Buchli, 2016), it is unquestionable that Reinhard

was able to manifest an idea of a modern archaeology and influence the international archaeological

discourse according to contemporary socio-cultural developments (Trigger, 2006: 38).

(b) Stream of Leiden: The Interactive Past

The Interactive Past can be considered as an outlet of a circle of scholars that follow a rather

extrinsic and didactic pursuit in the quest of combining archaeology with digital games (Ariese-

Vandemeulebroucke, Boom, Mol, & Politopoulos, 2017). That the potential of video games can

serve as a narrative for the past (Chapman 2016, 136-138) and also as a “mediated experience”

(Muriel and Crawford, 2018: 86) of the past is the crucial agenda of the Stream of Leiden. The core

concept of this stream of thought has gathered under the banner of the VALUE Foundation 10 ; A

group of scholars from the Leiden University that tries to explore the avenues that can help to

transmit archaeological knowledge through games in a more sustainable manner to students of

archaeology and also a wider field of the people. Even though the Stream of Leiden can be

considered of much more pragmatic in nature (providing workshops 11 , conferences and lectures) it

does not fail to recognize the intrinsic value of digital games as a container of heritage. “The games

discussed here create immersive virtual environments, inspired by and incorporating traditional

values, teachings, and knowledge (…) demonstrating an immense capacity for the expression and

protection of tradigital knowledge.” (Hughes, 2017: 34). The contribution for the progression of

digital game archaeologies through the work of the members of the VALUE Foundation cannot be

marginalised as it has proven the practical and valid connection between archaeology and digital

games in an extensive manner with considerable outreach into the traditional academia of

archaeology as also into the general public. The Stream of Leiden clearly pursues its goal of

transporting the past into the present through involvement. “Participation and demonstration are

such priceless ingredients of interpretation that we should diligently search for possibilities and

never let slip a real opportunity for including them.” (Tilden, 1977: 76).

To sum up one could say that while the Stream of York is mainly concerned with the ontology of

digital games from an archaeological perspective the Stream of Leiden is trying to study and apply

the epistemology of games as an interactive medium in transmitting archaeological knowledge (see

fig. 1). These accentuations surely portrait only the hard core 12 (Lakatos, 1978: 4-5) of the particular

10 The VALUE Foundation was founded in 2017 and consists of A. Mol, V. Vandemeulebroucke, C. Ariese-Vandemeulebroucke, K.

Boom and A. Politopoulos

11 A workshop hosted by A. Mol and A. Politopoulos at the CAA Conference 2019 in Krakow enabled the participants to craft with

the open source software twine an interactive storytelling game in which archaeological subjects could be playfully conveyed

12 After Lakatos a hard core is a fundamental theory of a research programme. The hard core cannot be contradicted

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stream of thought but they help to realise that the field of digital game archaeologies has already

been able to establish itself to such an extent that it has distributed itself already into further

subfields. Anyhow, it is also important to mention that both streams do not contradict each other in

their philosophy and are driven from the same positive enthusiasm that endorses the empirical

exploration of digital games as an object of study and dissemination tool of archaeological

importance. The efforts of those two streams have since then being several times repeated and even

though the possible empirical experiments are due to the nature of digital games infinite, the

theoretical basis has not provided any novel prospects on much else except that the study of digital

games from an archaeological perspective is important for its own sake.

Figure 1. Simplified model of the main approaches in digital game archaeologies. Illustration by the author

According to Heinz von Foerster’s concept of first and second order sciences (von Foerster and

Pörksen, 2001: 114-121; von Foerster, 2003: 243-244) it seems reasonable to appoint the previous

presented stream of thoughts as part of a first order (or first wave) of an established scientific field.

“The first-order domain/level of research can be characterized as an exploratory problem-solving

operation 13 . It is designed, on the one hand, for the exploration of the natural and social worlds as

well as for the construction of a technological sphere and, on the other hand, for the axiomatization

and orderings of the possible worlds of logic (…)” (Mueller and Riegler, 2014: 8).

A first order that manages to establish itself in a field of science does according to von Foerster

tragically conceive a blind spot (von Foerster, 2003: 284) which makes it sterile towards the

generation of novel facts and critical self-reflection. Looking at the growing field of digital game

archaeologies it seems undoubtable that the latest research in this field has brought little novel

insight and unquestionably uncritical research towards questions of copyright and an apparently

decreasing consciousness for materiality (Stobiecka, 2018). This state of a research field can be

attributed with a deficiency of a second order “and the only way to overcome such deficiencies is

with therapies of the second order.” (von Foerster 2003: 284).

13 The problem-solving operations these streams were pursuing were the (by now successful) justification attempts tob e

accepted as legitimate part of the archaeological science through practical experiments and projects in public archaeological

domains (Leiden Stream) and theoretical and contemporary archaeological domains (York Stream)

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3. Validating the Need for a Second Order in Digital Game Archaeologies

This section will apply Imre Lakatos’ Methodology of Scientific Research Programmes (Lakatos,

1978) on the state of research in digital game archaeologies in order to observe if the research that

is still being undertaken in the field has degenerated or is still being progressive 14 (Lakatos, 1978: 5-

6). At this point it is sufficient to identify progressive research as having theoretical content that

exceeds the empirical and degenerating research that has empirical content that exceeds the

theoretical (Wild, 1986: 24).

This identifiable life cycle of research agendas (Mueller and Riegler, 2014) can be analogised by

comparing the emergence of digital game archaeologies (but also digital archaeology in general)

with the emergence of processual archaeology.

“[I]n the early 1960s, a group of American processual archaeologists launched an all-out attack

on culture-historical archaeology, which they proposed to replace with an approach that was

evolutionist, behaviourist, ecological, and positivist in orientation.” (Trigger, 2006: 368). This

progress of archaeological science was as in the case of the first order digital game archaeologies

centred around the sensation of computer sciences in awe of their possibilities and chances (Trigger,

2006: 540). Stobiecka has been able to establish the concept of digital escapism (Stobiecka, 2018) in

the context of archaeological museums that is able to grasp many aspects surrounding the rejoicing

between archaeology and computer sciences.

Anyhow, to calculate the emergence of digital game archaeologies in perspective towards the

rise of the new archaeology (Binford, 1972) of the 1960s it must be added that the preceding

concept of punk archaeology 15 (Caraher, Kourelis, & Reinhard, 2014) was the needed

establishment for digital game archaeologies to unfold itself fully. According to Hodder this aspect

mirrors “the gradual development of an idea, or rather an inter-related set of ideas” (Hodder, 2016:

85) that enabled the vision of a valid connection between digital games and archaeological science

to prosper.

As in the processual era, punk archaeology and the succeeding digital game archaeologies both

benefitted from “the introduction of philosophers to archaeo-thinking”, which “meant that

archaeologists began to explore topics entirely new to them” (Orser, 2015: 21). After Lakatos this

circumstance in processual archaeology as also digital game archaeologies can be measured as

“progressive, by the degree to which [a] series of theories le[d] us to the discovery of novel facts.”

(Lakatos, 1978: 34). These novel facts can be generalised as the validation of possible extensions of

the archaeological frameworks that enabled us to collect more data, analyse data differently and

apply new methods. Looking at digital game archaeologies a decade ago one would have

considered the methods that the current streams of thought pursue as unscientific while now this

paper discusses this movement as an established branch. The same path can be identified for

processual archaeology that has introduced prior refuted concepts like “systems view” (Renfrew

and Bahn, 2004 (Binford, 1972): 163) which changed the way how archaeology was conducted for

more than a decade.

14 The concept of von Foerster does broadly identify the same patterns as Lakatos. The reason why Lakatos concept was chosen

to elaborate the issue further is that Lakatos offers a more universally applicable definition of parameters to identify progressive

(first order) and degenerating (second order) research

15 Punk archaeology was the idea to transport archaeological methods to contemporary issues like the study of recent

subcultures that have centred around punk (rock) music.

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It may be debatable if the new archaeology (Binford, 1972) ultimately failed to become more

than a negative heuristic 16 (Lakatos, 1978: 47) because its systemic approach tried to establish a

universal “yardstick for measuring the past” (Hodder, 2003: 38) which corrupted its whole

theoretical framework by hubris or if it turned degenerating due to the fact that its own limitations

and inability to prospect novel theories forced a second order, namely post-processual archaeology,

to replace it.

However, by now the processual analogy has served its goal to illustrate the state of affairs in

which digital game archaeologies are to be located. Therefore, it is needed to introduce Lakatos

formula on the evaluation of scientific research programmes to validate the claim for a second order

of digital game archaeologies.

“A scientific theory T 17 is falsified 18 if and only if another theory T’ 19 has been proposed with the

following characteristics: (1) T’ has excess empirical content 20 over T: that is, it predicts novel facts,

that is facts improbable in the light of, or even forbidden, by T; (2) T’ explains the previous success

of T, that is, all the unrefuted content of T is included (within the limits of observational error) in the

content of T’; and (3) some of the excess content of T’ is corroborated.” (Lakatos, 1978: 32)

So, if we turn our attention to condition (1) of Lakatos’ formula we can claim to have established

that the current state of digital game archaeologies fails to produce any new theoretical output in

order to progress itself and that a second order is able to provide the general research in this field

with new perspectives; copyright issues and the disappearing appeal of materiality have been briefly

addressed in the first section and will be elaborated in the next section. It can also be argued that in

light of condition (2) a self-reflective second order is capable of rationalising the success of the

initial first order and can apply the results that have been extracted and cultivated until now.

Concerning condition (3) one can say that the second order does provide already content that can be

corroborated as it cannot be refuted that copyright issues concerning heritage do arise (Porsdam,

2015: 8-10) and that the understanding of materiality nowadays (in relation to our digitised society)

has become a matter of archaeological concern (Gonzáles-Ruibal, 2013: 17-19). Ergo, there is a

valid need to establish a new stream of thought, a new critical dimension and a new self-reflective

approach towards digital game archaeologies to be able to detect its own flaws and to be able to

become once more relevant and fruitful to the archaeological science in general.

4. Ubisoft’s Notre-Dame: Introducing Second Order Issues

This section is dedicated to far reaching issues in the realm of digital game archaeologies that

stay generally undetected and understudied due to the first order characteristics of digital

archaeologies. In the following the case of Ubisoft’s Notre-Dame 21 is used to discuss subjects

concerning copyright and digital policies, the transformation of material heritage into digital

16 A negative example on how not to do science

17 T = digital game archaeologies of the first order

18 falsified = needed to be revised, as in this case the first order is cannot be falsified

19 T’= proposed (critical) digital game archaeologies of the second order

20 The excess of empircal content of T’ must found on novel theories

21 Ubisoft’s Notre-Dame is a full-scale digital reconstruction of the Notre-Dame de Paris by the Franco/Canadian game

developer/publisher Ubisoft which was designed for the game Assassin’s Creed: Unity. The concept of Ubisoft’s Notre-Dame for

this paper concerns always the burning of the actual Notre-Dame in April 2019

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heritage and questions on the notion of materiality in our contemporary society. The goal of this

section is to visualise the aspects and importance of a critical digital archaeology to address issues

that may affect the archaeological discipline as a whole.

On the 15 th of April the Notre-Dame de Paris, one of the most known gothic cathedrals, caught

fire and was majorly damaged. Hence, the cathedral has been closed to the public until the

reconstruction and restauration work is finished. The contributions and solidarities from public

agents to the reconstruction of the cathedral have been tremendous. The French/Canadian publisher

and developer Ubisoft may have contributed to the case in the most creative way. The publishing

house provided its game Assassin’s Creed: Unity for free. The game consisted of a full-scale digital

reconstruction of the Notre-Dame cathedral (see fig. 2) (Hanussek, 2019).

Figure 2. The Notre-Dame in Assassin's Creed: Unity. Courtesy of Aleksandra Stachyra

The present case at hand is unique and needs careful and rigorous investigation as its implication

for archaeology must be considered. In order to sum up the aspects which constitute the issue,

following actions must be highlighted: (a) material heritage is destroyed, (b) material heritage is

substituted by digital heritage, (c) the substituted digital heritage is owned by a private company, (d)

digital game archaeologies were not able to address the issue.

(a) Material Heritage is Destroyed

The basis from which the whole presented case derives off is the fact that material heritage has

been destroyed. The Notre-Dame de Paris was declared world heritage in 1991 by the UNESCO

(ICOMOS, 1991) and apparently bells, paintings, textiles and architectural features have been either

damaged or fully destroyed (BBC, 2019). The destruction and entropic behaviour of material

heritage is something natural (Shanks, 1998, pp. 16-17), seen either by the intentional destruction of

material heritage like in the case of the Bamian Buddhas (Renfrew and Bahn, 2016, p. 17) and the

Temple of Bel in Palmyra (Kamash, 2017) or the accidental destruction through negligence of

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precautions like it seems to be the case of Notre-Dame itself. Not to mention the variety of

possibilities for material heritage to subject itself to destruction in nature; natural catastrophes,

erosion, corrosion, (Price, 1995), et cetera.

(b) Material Heritage is Substituted by Digital Heritage

According to the cathedral’s rector the monument will be closed down for around “five to six

years” 22 (CBC, 2019). So even though heritage is being restored to be once again publically

accessible it is incapacitated for an immense period of time. It has been therefore Ubisoft’s idea to

fill this gap with their virtual version of the cathedral which is part of its game Assassin’s Creed

Unity. The game was offered for free and a donation of about 500.000 euro was granted for the

restoration of the cathedral (The Guardian, 2019). The digital reconstruction has been carefully

designed in a course of about two years with the help of a historian and is to be perceived as an

“artistic creation, not a scientific one.” (Forbes, 2019). Still the reconstruction can be considered as

the most ambitious and interactive reconstruction to date of the monument. The digital

reconstruction is available since 2014 but went now significantly viral through the incident. This

also led Ubisoft to increase its server capacities (PC Gamer, 2019) in order to withstand the

onslaught of virtual migrants (Reinhard 2018: 104-105) keen on dwelling around the digital

cathedral.

It is also clear that this act has helped to raise international awareness on the loss of heritage to

millions of gamers that might have never came in touch with the monument. It is interesting to

speculate on how the perception of monumental heritage as the Notre Dame is altered through its

transformation into digital heritage. The perception of time in our contemporary society seems to

constitute our conceptualisation of past realities (Holtorf, 2017; Meskell, 2013: 245) and a case like

this offers a perfect possibility to study the shift in meaning of heritage to the public through a

digital game which mirrors western society with its multi-temporality (Morton, 2013: 119-121).

(c) Substituted Digital Heritage is owned by a Private Company

While the real Notre-Dame stays inaccessible, Ubisoft owns a publically accepted and celebrated

substitute. Second thoughts seem legitimate in light of the fact that a monument which underwent

destruction is currently only accessible through a propagated digital reconstruction which is owned

by a corporate body of the entertainment industry (Hanussek, 2019). One needs to understand the

implication this holds for the mediation of cultural heritage. Even though it is unquestionable that

Ubisoft has acted out of great virtue and solidarity it seems that the archaeological narration of this

monument has been completely compromised by a corporate body (Harrison, 2000).

It makes sense to increase the scope and discuss in this subsection if there is any legal basis

surrounding this topic. So, can heritage be copyrighted? At first glance, no. “Copyright is a private

property right whereas cultural heritage rights are enjoyed in community.” (Porsdam 2015: 8).

Heritage can therefore not be owned by a private body. But considering the fact that digital heritage

is accepted and protected by the UNESCO (Macmillan 2015: 96) as a form of cultural heritage does

this mean that Ubisoft’s Notre-Dame holds a triple status in being software, thus private property

(Reynolds, 2016: 123) on one side, while being digital heritage by its own and a copy of material

heritage on the other side? If this means that a grey zone offers the legal basis for cultural heritage to

be owned by a private body and used for commercial purposes, steps must be undertaken to “limit

the privatisation of cultural heritage through copyright” (Porsdam 2015: 8). Even though this case

can also be seen as the private sector’s contribution “to create new ways of funding digitisation of

cultural material” (European Commission, 2011: 4) it stays debatable if heritage must stay

22 Recent news surrounding the count of over 2 billion euros seem to decrease the anticipated restoration period

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exploitable to such an extent, being “a public asset at the service of other cultural enterprises”

(Colomer, 2019: p. 125). In addition, it seems difficult to illuminate the issue with the perspective

from within the game industry as “actors are often obfuscated by nondisclosure agreements”

(Conway and de Winter, 2016: 2).

(d) Digital Game Archaeologies were not able to Address the Issue

There has been no visible vocalisation of any projects to confront the loss with active initiatives

nor was there any critique to the fact that material heritage could be substituted by a private

company or that the transformation of material heritage into digital heritage could offer something

else than benefits. Contemporary digital game archaeologies have not been able to detect such an

issue prior to the event nor afterwards.

The issue that has been presented here may not be as visible as the opportunities that the game

Minecraft holds for recreating the past (McGraw, Reid and Sanders, 2017: 167-170) but the

implications are fundamental for a science that is based on the importance of material culture

(Orser, 2013: 146). On one hand, the academic narration and the educational merit of material

heritage has been replaced to the public by the sensationalism surrounding a digital copy owned by

a private company while on the other hand the digital has been presented to the public as ultima

ratio; the digital as successor of materiality. “The ideological underpinnings of the technologies that

surround us in our daily lives are frequently invisible” (Vie, 2016: 57) and must be critically

questioned if archaeology decides to delegate the interpretation and dissemination of their results to

the gaming industry (see fig.3).

Figure 3. Simplified model of the main approach in a critical digital game archaeology.

Illustration by the author.

5 Does the Future for Archaeology Lie in The Immaterial?

It has been so for recapitulated in how far digital game archaeologies operate and how they

changed archaeological thought but also how they fail to detect important research questions. This

paper has on various occasions pointed towards the notion of materiality and will stress in this

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section further on it. The idea of this section is to give a perspective on why digital game

archaeologies may not succeed in being beneficial to archaeology if archaeological studies of digital

games serve the popularity of games more than that of a sustainable archaeology itself. It is in a

complex case as this, that shows that archaeology must find its role again as a mediator of material

culture in order to create sustainable material realities (Haefner 1985: 218). Archaeology should not

subdue itself so naively to the ongoing digitisation and drift into an objectless world (Buchli, 2016:

144). It may be said that archaeological thought has the responsibility to create the importance of

tangible heritage. While the rise of Object-Oriented Ontology was a quantum leap in trying to give

materialities (Domańska, 2006) a respectable stance, digital archaeologies seem to reverse the

progress. On one side stating the immense benefits of digital technologies for archaeology on the

other side ignoring the technology’s own agency and influence on our interpretations. The sensory

experience of archaeological interpretation has become “distilled into unisensory studies” (Favro,

2013: 251).

Digital heritage may seem charming and exciting to study but after all its ontology may has more

to do with the blurred dancing shadow in Plato’s cave (Gergely, 1986: 255) than something

deserving the admiration that the synthetic space does receive from academia (Ruffino, 2018: 8-11).

It should be the archaeologists quest to step out of the cave and find the source of the immaterial

fantastic projection. These could reveal themselves as more material than one might want to handle;

server farms, plastics, electronics, aluminium and garbage. Are these the materialities of digital

games? Is this the illusionary, uncanny and dislocated 163 billion dollar hyperobject (Morton, 2013)

we consider as the ultima ratio? (Ruffino, 2018)

So, is this the future for archaeology? Does the Future for Archaeology lie in the immaterial?

In order to attempt to answer this question the dichotomy between the material and immaterial

must be diluted (Olsen, Shanks, Webmoor and Witmore, 2012: 8). Only then we see that the answer

does not matter. Rather how we try to answer the question is of importance. Cornelius Holtorf once

stated that one of the most important tasks of archaeology is bound to the action of conducting

archaeology and not to its results (Holtorf, 2007). Doing archaeology to reconnect humanity with

the past and reconnecting it with the material that was left by our ancestors.

“An enduring sense of heritage from our fathers is vital to our future, and this knowledge is to be

gained by keeping the past a living reality.” (Tilden, 1977: 77). Digital Game Archaeologies can

help to wield the digital game for archaeology. The potential of digital games as a new form of

public archaeology (Hanussek, in press) and as an object of study (Reinhard, 2018) has been proven

throughout the years. Anyhow digital games are not anymore, the output of a group of nerds

producing a medium that is free of all boundaries (Barton, 2008). Digital games are now the output

of a hard core economic deus ex machina which generates more revenues than those of the film and

music industry combines (Plothe, 2016: 51). The products of this industry possess an ontology that

is beyond the scope of uncritical research. It may be said that game scholars (or archaeogamers) are

“called upon to illuminate power relations and networks of production to interrogate ideological

systems that may or may not be in the best interest of the people involved.” (Conway and de Winter,

2016: 3).

The studies on digital games through the framework of archaeology are a reasonable contribution

to the study of the Anthropocene (Reinhard, 2018: 59) and challenges our own theoretical

framework. The study of digital games has revealed that the past can be represented as something

beyond facts where the question about a true or real interpretation becomes somehow obsolete in

light of the fiction which enables players to interact with a past reality like never before (Morgan,

2019). The archaeological framework is thus forced to become flexible and fluid in order to abolish

the static dogma of standardisation (Latour, 2005: 143-149).

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Nevertheless, critical research must not become “unaware of the presence of the medium” (Vie,

2016: p. 57, after Warnick, 2002) in contrast to its transparency that forces us to ignore the

dislocated action that is forced upon us. One might be fooled by the reality of digital technologies

that blinds us to our own “Western bias, which sees affect as synonymous with visual fidelity. (…)

Again, a lack of diversity is evident in this kind of articulation, where the predominantly white,

Western worldview is entrenched discursively as common sense.” (Conway and Crawford, 2016, p.

92) 23 .

Even considering the approach of the Stream of Leiden to digital game archaeologies needs to

reflect on its approach of gamifying archaeology. Gamification has been questioned in the latest

outputs of academic game studies as neoliberal form of exploitation (Muriel and Crawford, 2018;

Ruffino, 2018) where “fun is the new work.”. The growing exploitation of playfulness though

business since the industrial revolution has been ironically observed by the father of ludology,

Johann Huizinga from the Leiden University (Huizinga, 1938, p. 200-211). “The illusion of

interactivity sponsors a sense of agency – but agency has been externally predetermined or predesigned.”

(Muriel and Crawford, 2018: 67) which might compromise the experience of a past

reality after all to the narrative of a prefixed limited algorithm (Reinhard, 2018, p. 129). The video

game can be therefore seen as a dispotif. A limitation to themselves and a manifestation of the

conditions of its socio-cultural background (Muriel and Crawford, 2018: 65) and inevitably of its

maker’s hand.

So, what does this tell us about Ubisoft’s Notre-Dame?

6. Conclusion

It must be evident to the reader that the topic has the potential to be elaborated beyond the word

limitation of this paper. Nevertheless, the paper has served its purpose as an introduction to a second

order of digital game archaeologies; a critical study on itself. This paper bases on the vision of an

archaeology with a responsibility in this digitised 21st century. A vision of forming a bridge

between the human and the thing. Archaeology must form a cognitive technology (Buchli, 2016: 51)

enabling us to augment a material reality with thought encouraging values and an inspirational

merit. Digital technologies can help us to develop a modern archaeology if we take the time to

evaluate the processes our world undergoes and if we take the time to evaluate the technologies that

change our world.

One of those world-changing technologies are digital games. “Digital games as cultural artifacts

are some of the most technically complex, intellectually provocative, ethical challenging, and

politically contentious products in contemporary society” (Conway and de Winter, 2016: 1-2) and

they (as different kind of media before) have changed archaeology (Clack and Brittain, 2007). The

way we gather data, evaluate results and perceive ourselves as archaeologists. Still in order generate

solid interpretations that hold scientific integrity we cannot allow ourselves to be too immersed into

the object of study. We need to maintain a professional relationship to the game (Muriel and

Crawford, 2018: 159). The impression arises that research which includes the act of gaming as

epistemological approach is obscured by the excitement of the act in itself. This may be something

that will define the great border between the interpretational mechanisms of traditional

archaeologies and digital archaeologies; cognitive technologies versus digital technologies.

23 Conway and Crawford were discussing the implication of game classification and review boards in Australia which were

consisting of mainly middle aged white men. These boards are deciding about visual censorship in digital games. This was

contrasted to the Australian aboriginal culture which sees sound as more important than visual representation.

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We have gained a lot from digital games but are we also about to lose something? Should we try

to archaeofy gaming instead of letting archaeology be gamified? Does more time spent online and

being immersed in gaming correlate with an ignorance towards the real world and its material

culture? Does the digital revolution devour its own children?

Anyhow, how many contradictions there might be to discover from this critical approach one

thing should be said at last: A digital archaeology must serve a material archaeology

This may be termed the hard core of an alternative stream in digital archaeologies. A second

order, hopefully to be revised and replaced by a third order once this approach has served its

purpose.

Acknowledgements

I would like to thank Andrew Reinhard and Sara Perry for their correspondence, Angus Mol and

Aris Politopoulos for their workshop and discussion on an interactive past and Monika Stobiecka for

her remarks on my work and interesting discussions on the importance of a critical archaeology.

Also, I would like to credit Aleksandra Stachyra for her provided in-game footage of the game

Assassin’s Creed: Unity and Lea Assad for the French translation of the title.

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Mathematical Infinity “in prospettiva” and Spaces of

Possibilities

L'infini mathématique "in prospettiva" et les espaces des possibles

Giuseppe Longo 1

1

Centre Cavaillès, République des Savoirs,

CNRS et Ecole Normale Supérieure, Paris

School of Medicine, Tufts University, Boston

http://www.di.ens.fr/users/longo/

ABSTRACT. The Italian Renaissance painters invented the first symbolic form for the mathematical concept of

''actual'' infinity : the projective point of the perspective. This was the result of a long debate on infinity, in philosophy,

since Aristotle, and in theology, during the Middle Age, and had a major fall out in this early geometrization of space.

In particular, this invention set the grounds for the construction of the infinite spaces of all possible physical dynamics.

In spite of the diversity of the theories in physics (Classical, Relativistic, Quantum … theories), an a priori ''phase

space'', as a generalization of the infinite Newtonian space-time, is a core presupposition of each theoretical frame.

The problem will be posed of the pertinence of this construction as for historical sciences, biology in particular, where

the “space of all possible paths” (the list of all phenotypes and their phylogenetic history) cannot be pre-given.

KEYWORDS. Potential infinity, actual infinity, perspective, phase space, evolution.

A Short Introduction to Infinity

There is no space in ancient Greek geometry. By tracing lines, using the ruler and compass as we

would say today, measurements are made, figures are constructed, but without an “infinite

container” that would be “behind” them, not even a plane as a mathematical, explicitly defined

structure. Symmetries – rotations and translations – produce the proof, in the finite, over figures.

And potential infinity (apeiron, unbounded) is constructed by means of extensions and iterations.

The segment is extended without a finite boundary into a straight line eis apeiron – towards infinity,

or with no limit (Euclid’s second axiom). If we give ourselves a collection of prime numbers, we

can construct a new number which is larger than any element of that collection (Euclid’s theorem on

the infinitude of prime numbers); an extension and an endless iteration of the finite, from the

gesture which traces the line to the construction of integers. Time is infinite in this sense, never

being present in our mind in its whole totality. Infinity is not that beyond where there is nothing,

says Aristotle in his Physics, but that beyond where there is always something. It is a potential.

Paolo Zellini [1] explains that the Aristotelian distinction between this mathematical infinity to be

constructed step by step, in potentia, and the infinity which is “already” there, the actual infinity,

and which encompasses everything, will be revived with intensity during the medieval period’s

metaphysical debate. God is an infinity that is all-encompassing and beyond which there is nothing.

But this concept of actual infinity is not so simple. Aristotelians understand it through negation,

following Aristotle. But God cannot have a negative attribute. What St-Thomas will do is to exclude

the existence of such actual infinity except as attribute of God and of God alone. And this concept of

actual infinity will be reinforced; it will take form positively in the minds of men. To a point where

the Bishop of Paris, Etienne Templier, will decree in 1277 that actual infinity constitutes a positive

attribute of God and of Creation. God, when He so desires, also introduces actual infinity into the

world, for example by bestowing Full and Infinite Grace upon a finite woman, Mary – and the

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stakes were ready for anyone who would disagree. This firm “axiomatic posture” certainly

contributed to stabilize the concept of infinity.

Zellini is correct in emphasizing the importance of this debate with respect to the birth of a

cosmology of infinity which will reach its plenitude, at first mystical, and then scientific, in the

infinite Universe and “gli infiniti mondi” of Nicholas of Cusa (1401-1464) and Giordano Bruno

(1548-1600).

Infinity in Painting [2]

The concept of actual infinity is therefore shaped by a metaphysical debate, which circumscribes

infinity into a single “thing”, forcing the mind to conceive of it in its totality. How will it be picked

up by Mathematics, which will make of it a rigorous object of discourse, or even a component of

proof? The passage will occur with the invention of perspective (“prospettiva”) in Italian

Renaissance painting. [3]

The issue of the representation of the space within which to set narrative figures will become a

central concern for painters from the end of the XIIIth century onwards. Giottesque “boxes” (those

“doll houses”, lacking a wall, exposed to the spectator) are settings, in a “local space”, that have for

purpose to contain the historia and to make intelligible the theological teaching. Yet, there is no

global organization of space in the painting, no projective line or point, proposing a “perspective”.

The human gestures and sufferings of Giotto’s bodily masses construct/force tri-dimensional space

as “depth”: the green heavy body at the lower center, the movements of the arms, the desperation of

the angels … (Deposizione, Cappella degli Scrovegni, Padova, 1303 – 1306):

The geometric perspective, closely experimented by Filippo Brunelleschi in 1417, was later

defined by Leon Battista Alberti as the result of a construction where man is at the origin of all

measurement and where infinity, the convergence point for the orthogonal lines at the base of the

painting, is contained, enclosed within the representation (Alberti, De pictura, I, 19, 1435). Since

the ’80s and in reaction to the inaugural article by Erwin Panofsky (Perspective as Symbolic Form,

1925), art historians, such as Hubert Damisch and Louis Marin in Paris, highlighted the importance

of the pictorial revolutions constituted by the invention of costruzione leggittima.

Erwin Panofsky had designated Ambrogio Lorenzetti’s Annunciation (below) as being the first

geometric construction where vanishing lines converge not towards a single point, but towards a

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single vertical axis (“behind” the column separating Gabriel and Mary). Yet, Daniel Arasse (and

Sara Longo, see endnote 2) will go further to extend this intuition to the quite particular surge in

complex geometric constructions to be found in annunciation scenes. Their argument is quite

relevant with respect to our topic: the particular affinity which existed, during the XVth century,

between the Annunciation and perspective, is due to the fact that in Christian history, the main

moment where God’s actual infinity entered the realm of the finite was that of the miraculous arrival

of the son of God born into a human body, Full of infinite Grace. To support his argument, the

author bases himself also on a sermon pronounced by Saint Bernardino of Siena, spoken in the

Campo in Siena in 1427: the Annunciation is the moment where “immensity comes in measurement

[…], the unfigurable in the figure, the uncircumscribable in place, the invisible in vision [...], length

in brevity, breadth in narrowness, height in lowness” [4], a number of conceptual paradoxes which

are at the origin of spatial paradoxes produced by painters, who brought infinity in the painting, as

stressed by Alberti. Daniel Arasse highlights how the most skillful perspectivists play with the rules

of geometric perspective in order to show the paradoxical entry of infinity into the finite.

In Lorenzetti’s Annunciation (above), a column, often a symbol of Christ, very tangible near the

ground, is attenuated towards the top where it overlaps and hides the vanishing axis of perspective,

at infinity, an explicit reference to God [5]. In 1344, this was an extraordinary innovation: a

rigorously drawn projective space, with a limit line, not just a point, a metaphysical decision. And

then, by the effect of the geometry of this floor that goes from man to God, a new space is deployed:

God is present in the story being told, albeit hidden, far away at infinity. And the Madonna has a

new human dimension: her solid, three-dimensional body accompanies the expression of a nascent

humanism. Perspective introduces God as the actual limit, at infinity, therefore as the limit of a

space which encompasses everything, including the human spaces which are renewed. And all of the

first paintings with “prospettiva” will be annunciations, this unique locus of the meeting between

infinitude and finitude. Then, with Piero della Francesca, this painterly exposition of a metaphysical

position will also become a technique, without necessarily loosing its religious undertone. In his

Annonciations, in particular and with even more evidence than in the other paintings, the projective

point will evocate the infinity of God. Piero’s book, De prospectiva pingendi, is a real practical

treatise of projective geometry, the most important mathematical text of its time as Vasari will state.

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Now, the “prospettiva” enables the painter to organize the space of men and things as well as to

select a point of view. The choice of the location of the vanishing point determines the spectator’s

point of view; it proposes/imposes the way the scene is gazed upon, for example humbly from a low

standpoint as in this representation of Saint Sebastian the martyr by Antonello da Messina (1476).

And so this metaphysical and religious cosmology becomes a geometry of space: God, the stars

and men will find a new position within it, organized by means of a unifying and modifiable point of

view, the choice of the projective point. By the end of the XV century, a variety of constructions are

proposed: several projective points are possible, like in Paolo Uccello and Dürer, as well as a

spherical perspective. We are quite far from the absolutes beyond the world and beyond space that

we had with Byzantine mosaics, for instance in Ravenna. But the true revolution inspired by this

pictorial practice and its theorization, is summarized in De Sculptura, by Pomponio Gaurico: the

“locus” precedes the bodies. Before painting any object, the painter must construct the spatial frame

(the locus) for situating them. Panofsky explicitly refers to Gaurico in order to stress the birth of a

Kantian view of space, as the a priori or “condition of possibility” for making science [6].

Painters at one stroke proved how to make actual infinity visible, by its first symbolic

representation, and opened the way at the forthcoming mathematics of infinity, including the infinite

spaces, from Descartes and Desargues to Newton. Art preceded mathematics or … weren't many of

these painters also excellent geometers? Moreover, this (re-)organization of space, this new talent

for choosing a “prospettiva”, a technique that will soon become widespread in Europe, will help

Copernicus, Kepler and Galileo to “see” the solar system from the “point of view of the Sun”, the

new “prospettiva” of modern science [7].

Other constructive experiences of space made the invention of the modern mathematical notion of

space possible. Cartography, in an age of explorers, surely contributed to it, as well the renewed

urbanism that allowed to view and organize the space of the city, as a unity (see Pienza, in

Tuscany). However, it would be wrong to oppose these historical experiences and consider one as

the privileged origin of the modern geometry of space. A (fundamental) mathematical invariant is

always the result of a plurality of acts of experience: its invariance w.r. to different conceptual and

practical frames is an essential component of a rigorous mathematical formulation, independent of

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each specific praxis, but rooted in all of them and in the transformations from one construction to

another. However, the role of space as a priori of knowledge, so fruitful in the mathematization of

physics, from Newton to Relativity Theory and Quantum Mechanics, will be questioned below, in

relation to the historicity of the sciences of life.

Intermezzo: the Boundary of Time

Since Aristotle, time is considered as a paradigmatic form of potential infinity, because it is never

present in its totality in our mind. In fact, which “temporal” sense would have its projective limit

[8]? However, it is interesting to see that this new arrival, in mathematics, the concept of actual

infinity, was constituted through a religious debate, and came to be through painting, the latter being

explicitly mathematized as we observed, in particular by the great painter and geometer Piero della

Francesca. Note though that the conceptual and geometric construction of an infinite space does not

necessary base itself on actual infinity: Descartes’ space can very well be conceived of as potential

infinity produced, in principle, by an endless extension from its point of origin. Yet, infinite spaces

were first conceived in paintings, by “projection”, over a plane. Clearly, actual infinity is inherent to

projective construction, when it is used for the two-dimensional representation of a threedimensional

space. And the projective point objectivates actual infinity: it shows it, there, in the

depths of the painting. One may dare to summarize this process as follows. In the Renaissance,

space was described in mathematics, by first drawing it in two dimensions. This made visible and,

thus, intelligible, at once, actual infinity and three dimensional space, by organizing it by the

projective limit – the result of a metaphysical debate.

Two centuries later, Desargues will render this projective synthesis between actual infinity and

geometry fully mathematical. By the Differential Calculus, Newton and Leibniz will propose the

analytic notions of derivative and of integral as operations at the infinite limit, in the absolute

infinity of God's space, as for Newton.

Cantor, in the 19 th century, will further objectivate actual infinity, by means of a syntax, by giving

it a name and associating a symbol to it. By manipulating it algebraically, up to the invention of an

Arithmetic of infinities, that is of ordinals and of transfinite cardinals. Nothing is better for

stabilizing a concept than a mathematical praxis, a technical usage of a sign for the concept of which

the meaning will be enriched by this very usage. The debate on the infinity of God will also be of

interest to Cantor, a deeply religious man: God will be (at) the limit of all limits, beyond, at the limit

of all these transfinites.

It must be noted that, in all of these cases, mathematical infinity is a tool for the intelligibility of

the world. In Renaissance painting, projective geometry, a mystical decision, organizes at once the

space of God and of man, for a fuller humanity. From Descartes to the actual infinity of Newton and

Leibniz, mathematical physics will describe finite movements around us by means of infinity – the

limit operations of derivative and integral calculus. In logic, from Gentzen (1935) onwards, the

ordinal analysis of proof will be based on Cantor’s Arithmetics of Infinity [9]. Besides, as Galileo

explained to Simplicius, in the analysis of a mathematical sphere based on a plan, “Mathematics is a

science at the infinite limit”. [10] The finite fetichizes iteration and remains its prisoner [11].

Infinity instead organizes the finite. The finitist formalist who rejects infinity, by declaring it beyond

the world and Physics, does not understand the human sense, with respect to our designs and praxis,

of this gesture which sets infinity in the world, by structuring it through language, geometry and

symbolic writing. The epistemology of this organizing concept must first be “historical”: a history

of ideas and of the constitutive praxes, a dynamical history, to be always re-thought, in time.

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The Rational Spaces of Commerce and Physics [12]?

The birth of modern science was achieved by the construction of an infinite space of possibilities,

a space and time within which any possible phenomenon or physical dynamic may exist. Choosing

the origin of Cartesian coordinates proposes the reference system within which physics after Galileo

will be constructed. In fact, Descartes’ analytical approach sets the origin and measurement of

space; by this, it gives it a “prospettiva”, enabling to frame and understand the world.

In the rich and novel Galilean relationship between experiments and theories, physical theorizing

is meant to provide intelligibility of phenomena as well as predictability: one first observes and

measures, then the theory should produce a prediction capable of confirming it. The scientifically, or

mathematically, expected future was set at the core of the understanding of modern science.

Unpredictable (random) events are produced only by human activities, like financial ones or games,

closely analyzed in original statistical terms by Pacioli (1445 – 1517), Cardano (1501- 1576),

Galileo [13]. As for natural phenomena, predictions are made in the space and time of physical

events, mathematically described by the Cartesian analytic representation of space enriched by

Galileo's relativity: the modern space-time of phenomena is born from an analysis on how to go

from one (Cartesian) reference system to another while preserving physical laws, inertial movement

in particular. More precisely, in the pre-given infinite space-time of all possible trajectories, the

invariants are described as symmetries by Galileo’s group.

Once again, however, I would ascribe the turning point towards the myth of a scientific

expectation of a possible (and predictable) future to the early Italian Renaissance. The audacity of

seeking for a rational insight into the future, within a given space of possibilities, goes back to the

appreciation of progress and of possible estimates of it, in Italy, in the XIVth and XVth centuries.

This is when artisan technologies, even great productive structures (the “arsenale di Venezia” to

which Galileo refers) began to change the relationship to Nature itself. And this is also when the

bank credit was invented, at the time of Lorenzetti’s painting, also in Tuscany. Mathematics will

come to play a massive part in this progress: from Fibonacci da Pisa (1170 - 1250) to Pacioli,

mathematicians proposed their calculi to merchants. Pacioli, in particular, with his Summa de

Arithmetica, Geometria and other writings, considerably developed the Arithmetics of Fibonacci

and invented the “partita doppia”, a fundamental tool for finance and commerce.

Lending money was finally allowed around the mid-XIVth century in Italy, under the form of the

“letters of credit” or early paper money. No more a sin, one could bet on possible future progress,

obtain money from a bank, then invest, expect the return of the money, plus interest, and also obtain

personal gain. This novelty was an economic and a conceptual revolution. There was no more need

for magic or divination in the expectation of progress and in the capacity to foresee the future, but

instead rational, even mathematical knowledge. Of course, hazards were possible, but within a

perfectly pre-given space of possibilities: like throwing dice—it is a risk, but within the six possible

outputs, no more, no less—and the symmetries of the dice determine the probabilities. Having

expectations and betting is rational: within a pre-given space, one can compute the probabilities and

evaluate the risk. Human production of random events could also be partially mastered, by statistics

and probabilities.

And thus arose the society of an expected future progress, in a predetermined list of possible

worlds— the society where one can dare to borrow and lend money as well as to construct scientific

knowledge within a mathematically pre-determined albeit infinite space-time; a science, where it is

possible to predict an economical or commercial action or, by a scientific theory, the output of an

experiment.

Later on, Newton, Leibniz, Laplace and many others will give us the mathematics of modern

“state determined systems”. Indeed, by solving Newton’s equations in the spaces of Descartes “one

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must be able to predict all future events of mechanics” (celestial mechanics, said Laplace, but he

was actually thinking of the entire physical world). Pascal’s and Laplace's mathematical analysis of

probabilities scientifically deal also with unpredictability, but randomness for them is extraneous to

mathematical determination and must be analyzed in probabilistic terms. In any case, for them,

unpredictable events happen within the infinite but pre-determined Cartesian space of all possible

trajectories and facts. This space of observables which will be successively generalized to the phase

space (that is, of relevant observables and parameters). Borrowing originally from the invention of

immense painters, mathematics and physics went well beyond: a better understanding of physical

dynamics requires their embedding in a more general notion of space, not just the Newtonian ones.

Position will be enriched by momentum, time by energy in order to obtain the minimal (phase)

space for analyzing physical dynamics.

In such spaces, Poincaré will understand unpredictability within determination, by showing us the

unpredictability of perfectly deterministic dynamics: non-linear dynamics plus the approximation of

measurement produces deterministic unpredictability. Much later, quantum mechanics will integrate

randomness into the theory, in the form of intrinsic indetermination [14]. However, the space of

possible “trajectories” and events will still be mathematically predetermined, whether they are

infinite, from Descartes to Poincaré, or even infinite dimensional—Hilbert and Fock spaces in

quantum mechanics. In these spaces, the trajectory of a law of probability, determined by

Schrödinger’s equation outside of ordinary space-time, will determine the quantum dynamics; the

measurement, by projecting onto a real number this dynamic of a density of probability,

mathematically describes the indeterministic character of quantum mechanics. Consequently, this

theory also gives, a priori, the spaces of all possible evolutions, which may have infinite

dimensions, but will accommodate the most unpredictable quantum event, including the

creation/annihilation of a quanton.

Note now that the finite description of these possibly infinite spaces, from Descartes to quantum

spaces, is made possible by their regularities: they are given in terms of mathematical symmetries

(as sets of invariants and invariant preserving transformations). Symmetries thus allow describe

these strongly infinite spaces synthetically, in finite words, possibly axiomatically. We are far from

Lorenzetti spaces, but these spaces set our doubly asymptotic constructions (infinite spaces of an

infinite number of dimensions) on the solid grounds of their early metaphysical origin and

subsequent audacious symbolic constructions.

What Possible Spaces for the Evolution of Life Phenomena?

I think that this is where we are stuck now: in the analysis of the living, both as biological and as

societal entities, we understand that there is no way to (mathematically) pre-define the very space of

possible evolutions, of the “phases” of life phenomena. Let’s try to further clarify this claim [15].

The randomness of dice or coin flipping, of a quantum event, as said earlier, takes place in a pregiven

space of possible dynamics. We are able to give ourselves mathematical infinity at once, by

geometry, analysis and algebra, since the Renaissance painters, and use it in physics, since

Descartes, Desargues, Newton and Schrödinger’s Hilbert Spaces. Their symmetries (the

mathematical invariants) enable to define geometrically and formally these infinite spaces (of

phases, of possibilities).

In contrast to this mathematical predefinability of physical phase spaces, there is no way to

predetermine the space of possible future phenotypes (biological forms) along evolution—and

phenotypes, or even organisms, constitute the biologically relevant observables [16]. By no means

was there a sign of the nose of mammals in the bacterial DNA of 600 million years ago, no more

than there was in their forms. And we could not have placed into a list of possibilities the internal

bones of their ears, as derived from the double jaw of a few vertebrates from 200 million years ago

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(an example of Gould-type “ex-aptation”). Any phenotype is the result of a vast genetic network as

well as evolutionary, changing epigenetic and ecosystemic interactions.

Even next century’s list of possible biological events, eukaryotes' forms for example, is not in

mathematically pre-given spaces. Along evolution, phenotypes and ecosystems co-constitute

themselves and jointly produce the space of possibilities. And the slightest fluctuations in these

interactions within, or even between, various levels of organization do not only change

“trajectories” within the phase spaces, as in physical dynamics, but change these spaces themselves.

The symmetries that beautifully ruled physics are continually changed: as we summarize elsewhere,

biology is a never identical iteration of a morphogenetic process [17], which simultaneously shapes

the ecosystem. Structural stability preserves some global symmetries (e.g. basic bodily bauplans),

but each mitosis is a symmetry change: the two novel cells are never identical, not even to the

mother cell. This “never identical” is a change of symmetry. Typically, after a mitosis in a

multicellular organism, it is due to a diversity of the proteome, of DNA, of the membranes, of

chromatin …, of the reconstitution of the matrix of a tissue.

And this is fundamental for the variability and diversity that are at the core of evolution and

ontogenesis. The permanent changes (in symmetry), in particularly with respect to relevant

observables, the phenotypes, are at the basis of variability, hence of diversity, and of the very

possibility of the living state of matter. They enable selection among new forms, create adaptability

and contribute to the modification of the ecosystem itself.

In short, the phylogenetic and ontogenetic trajectory of an organism is a cascade of symmetry

changes [18].

Of course, then, the exclusively molecular analyses, of which the observables are pre-definable,

are intrinsically incomplete, albeit very useful: they do not even manage to describe the hereditary

transmission of certain acquired deformations in the membrane of ciliates, nor the dynamics of the

proteome during modifications induced and inherited from the lactose operon—so in this case, at a

purely molecular level. Indeed, the genotype often happens to be a follower more than a driver of

phenotypic change [19].

Mathematics is a science of invariants and invariant preserving transformations, hence of

symmetries. Will we be able to invent new mathematics to deal with continual symmetry changes?

Why not? The founding fathers invented their tools, the mathematics of invariance, from Euclid to

Newton and Riemann and Grothendieck (a topos, a categorical notion, is the actual maximum of a

philosophy of mathematics as science of invariants and invariant preserving transformations).

In any case, we need to dare, in order to deal with life as well as with economics, far away from

the absurd theories of equilibrium: there is no ecosystem nor a society “at equilibrium”, unless

everybody is dead, not even tending or close to equilibrium. Life is not only a dynamic, a process,

far away from equilibrium. It is always in “transition”, on a critical threshold: from a mathematical

standpoint, it is (in) an “extended critical transition” (see the book with Bailly and the paper with

Montévil, both quoted). And the economy is always “in crisis”.

Intermezzo: the Possibilities of Finance

The need for change in our conceptual frameworks comes also from the recurrent crises of the

bank lending system, a system which contributed largely in starting the whole story six centuries

ago, in Toscany: that is, the notion of progress, rational and scientific prediction, and the

mathematics that will ensue, since Pacioli. These audacious and once fruitful bets on a foreseeable

future, described in a mastered list of possibilities, have now become the pure transferal of wealth

towards the richest, totally disconnected from the work-value. The mathematics of finance provides

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the tools, without any further correlation with any sort of industrial or social productivity. Their

objective is not prediction, but an invention of possibilities, that is, of constructing new possibilities

for these investments/bets— the derived products, or derivatives. Its aim is not just to estimate

probabilities, but more to construct new possibilities for bets, to shape unforeseeable markets and to

distribute the risk maximally throughout the world, so that workers in China and India will buy the

debts caused by risks taken by American finance.

Financial mathematicians have played a major role in this process. “Derived financial

instruments” have been invented as “derivatives” in the mathematical sense (first, second order...):

they express tendencies. They were then combined, creating new “correlation surfaces”, which

compare and relate rates. The latter are also evaluations of the tendencies of a price, of a good, of a

derived product. And the predictions which are associated with them have shaped the markets: these

analysis surfaces determine the rates to come, because they are expected. Note that by

mathematically analyzing the planets, in principle, we do not change their trajectories. In quantum

physics, the instrument of measurement indeed serves as an interface with “reality” and creates a

new object. But this is a “constitution of physical objectivity”, always identical in principle—the

experiments can be iterated. On the financial markets, predictive mathematics creates values by

proposing predictions: the stock market prices largely depend on the prediction, as anticipation,

which is a mathematical result whenever possible, with little or no correlation to any “intrinsic”

value whatsoever (work-value, typically - the value of a good as sum of all the work meant to

produce it).

To summarize, in the absence of a pre-given phase space and therefore of the possible predefinable

economic evolutions, the mathematics of finance was able to play the game of inventing,

without limit and outside of any shared meaning and value, possible observables and to mix them in

an always new and creative way (for example, by securitization—the endless mix and embedding of

securities, obscure to the buyer).

As a mathematician, I feel deeply offended by this immoral use of our beautiful science, bought

with money in order to organize theft and the transferal of wealth towards the richest 1% of the

world (during the Bush years, 80% of the GDP's growth was transferred to the richest 1% of

Americans - an extraordinary political and mathematical feat!). We must react from both an ethical

and a scientific standpoint - as, historically, mathematics has been shaped through its use. Yet we do

not react [20].

Back to Science

So apart from mathematically organized financial swindles, rich in auto-predictive symmetries, in

what concerns biological evolution, we must face a major challenge: the emergence of new “phase

spaces” or, more specifically, of new observables which could require their own mathematical

dimension. To give a very simple example, biological rhythms (respiration, heartbeats... invented by

animals and very different from clocks and physical rhythms) are better understood by setting them

in a second temporal dimension, thus by proposing a new observable. The time of life phenomena

then becomes two-dimensional. Maybe we could all encode within one dimension: encoding,

encoding… and loss of meaning as with all reductions, when they work.

In three book and in several downloadable papers, with Francis Bailly, Maël Montévil and Ana

Soto (see footnotes and http://www.di.ens.fr/users/longo ), we hinted at novel conceptual (and

mathematical) structures which aim at a better understanding of the physical singularity of the living

state of matter: the change of perspective regarding symmetries is at the core of our scientific

proposal. The idea of a pre-given space of possibilities in which, since Lorenzetti, it is even possible

to set God, no longer suffices. Predictability, not even of the space of possibilities, is no longer at

the center of knowledge construction, in biology. This construction aims at the understanding of the

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historical contingency of life (and, eventually, society—but we will not develop our analysis that

far). This must not hinder our awareness of the role of our activity in a totally unpredictable world,

where we judge for the better, by making explicit the perspective (and values) that guide our actions.

In short, the theoretical challenge is to invent tools for understanding, but not necessarily for

prediction, as René Thom was already saying. Darwin's Theory of Evolution predicts nothing—yet

it provides an extraordinary framework for knowledge. So, qualitative estimates regarding the

effects of an activity may allow us to act in the world, if these estimates are grounded on criteria of

robustness of development, as (increasing) diversity and adaptability. These words, in a societal

context, mean justice (which alone makes a society “robust”, by diversity in particular) and

democracy (adaptation through change).

Science is one of our active forms of being in the world, between knowledge and praxis. We

construct knowledge also to act within this world and we indeed need predictability, but it is

possible that it is provisional and qualitative, that we will be required to free ourselves from the

myth of these pre-given possibilities, a myth as beautiful and soothing as Piero spaces.

The only assurance we could have regarding wether an action works for the best (or according to

expectancies) resides in taking an ethical stance: to be critical regarding the very principles of

knowledge we employ, in science; always maximizing democracy and justice, both locally and, as

much as possible, in perspective, in societies able to change course by means of democratic control.

The Transferal of Mathematical Tools

The power and elegance of these mathematical frameworks for the intelligibility of the world, the

infinite pre-given spaces, from the projective spaces of painting to the most complex phase spaces of

theoretical physics, as well as their symmetries, are not adapted to phylogenetic and ontogenetic

dynamics. It is therefore necessary to gain some perspective before transferring tools from the

physico-mathematical to biology (and to the social sciences) and to reflect about these tools. One

can get the impression that too many colleagues prefer their equations and techniques to the

biological (and social) phenomena they claim to study. This was not the attitude of the revolutionary

thinkers who made science by inventing their own mathematics.

In this radical lack of rational predictability, historical knowledge in biology, such as Darwinian

evolution, provides the tools for understanding and, thus, acting on nature. As for societal

knowledge, where decisions must be made, if an action aiming for justice produces the opposite

effect (this can happen), democracy, we say, is there to ensure the adjustments, to impose a

correction: it is adaptive. But this requires critical thinking, which must be at the heart of science

and constitute its relationship to philosophy. This is why one of the projects of neo-liberalism is to

obliterate or dilute the latter and to subordinate the former to the “market of knowledge”.

Knowledge in this market must absolutely not be critical, but subordinated to expectancies and to

evaluations exclusively in terms of possible applications: “there is no more difference, today,

between theory and application”, we are told—with the objective of breaking any theory, especially

if it is critical and original, beyond of any foreseeable application. Such knowledge would be

evaluated the way agencies evaluate markets: in compliance with dominant theories - and in science,

by means of bibliometric indices.

To summarize and to conclude, biological and human evolution clearly produces lots of nonlinear

effects, upon which several mathematicians are working (and among which a rare few

consider them far from equilibrium, dissipative systems, or even in critical transitions). But there is

much more than that, since evolution creates new observables, in particular by permanent changes

of symmetries, in fact of phase spaces. Yet, even with a minimal understanding of evolution and

history, the latter being an extension of evolution through language and its writing (unexpected

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when looking at the first tetrapods), we can hope to better our actions, if we do it in a critical and

adaptive manner. Moreover, mathematics and thought are not “already there”, before our historical

praxes; they are rather co-constituted with our changing activities in this very world. We invented

the infinite spaces of mathematics and physics by an ontological commitment to the infinity of God,

we need to depart now from this powerful metaphysics and invent new conceptual dynamics of the

very phase spaces. In our “group'', in a broad sense, some is happening in this direction (see the

ongoing work by Sarti and collaborators: http://cams.ehess.fr/alessandro-sarti/ ).

[1] P. Zellini, A brief history of infinity. New York: Penguin, 2005 (in Italian: Adelphi, Roma, 1980).

[2] This section is mostly the work of my daughter Sara Longo, whom I thank for everything she has taught me on the

subject as well as for her contribution to this article. Please refer to her Doctoral Thesis in Art History “Voir et

savoirs dans la théorie de l'art de Daniel Arasse” (2014) and to her works, in particular “L’annonciation en Italie.

Enjeux méthodologiques et historiographiques, autour du colloque florentin de 1986. La perspective de

l’Annonciation’, présentation d’une étude de Daniel Arasse” and “L’intervalle sacré”, both in Studiolo, revue de

l'Académie de France à Rome (n. 10, 2013, p. 24-32 et p. 75-93), for a much deeper reflection on these topics (see

also: https://char.hypotheses.org/membres/sara-longo )

[3] In Italy, there was at the time a heated debate regarding which name to attribute to this new technique:

“perspettiva”, “seeing through”, which will pass into other languages or, more relevantly, a choice of viewpoint, a

“prospettiva”, as we will see.

[4] Saint Bernardino da Siena, De triplici Christi nativitate, in Opera omnia, Venice, 1745, IV, p.3, quoted in San

Bernardino de Siena, Pagine scelte, Milan, 1950, p.54.

[5] Thus, by the mathematically very audacious convergence of the points towards a line at infinity, not just a point,

the painter is also giving a symbolic representation of the relation between the infinity of God and His Son: the

asymptotic line vs. the column (Christ, column of the Church).

[6] A broad synthesis of the debate on the birth of the modern concept of space and the role of the perspective may be

found in V. De Risi ‘‘Arte e scienza della sfera. La nascita del concetto moderno di spazio fra la teoria

rinascimentale della prospettiva e la geometria di Leibniz’’ Sphaera : Forma immagine e metafora, tra Medioevo

ed Età Moderna, Olschki, Roma, 2012.

[7] This is a remark in B. C. van Frassen, An introduction to the Philosophy of Space and Time, Random House, New

York, 1970.

[8] In the attempt to make Relativity compatible with the Big Bang theory, some physicists think of the origin of time

as an asymptotic inverse limit, in inversion with the temporal order given by the expansion of the Universe. In fact,

Noether’s theorems in particular (the conservation of energy as invariant of the equations of movement by temporal

translations) are at the core of the relativistic turn and are incompatible with an origin of time, see F. Bailly, G.

Longo, Mathematics and Natural Sciences: the Physical Singularity of Life, Imperial College Press, London, 2011

(translation and revision of the book for Hermann, Paris, 2006).

[9] Infinity becomes part of proof, in fact, as infinity between algebra and geometry, that of the “well-order” of

integers, G. Longo “Reflections on Concrete Incompleteness”, Philosophia Mathematica 19(3): 255-280, 2011

(Longo's papers are downloadable from https://www.di.ens.fr/users/longo/download.html ).

[10] A story which serves as starting point for a great little book, A. Gargani, Il sapere senza fondamenti, Einaudi,

1975.

[11] G. Châtelet, Les enjeux du mobile, Seuil, Paris, 1993.

[12] A preliminary version of this section appeared in blog interview form in National Public Radios (NPR, USA),

http://www.npr.org/blogs/13.7/2011/06/13/137154418/are-financial-and-scientific-views-of-the-worldsimilar#more

[13] C. Calude, G. Longo. Classical, ‘‘Quantum and Biological Randomness as Relative Unpredictability’’. Special

issue of Natural Computing, vol. 15, 2, 263–278, Springer, 2016.

[14] Calude C., Longo G. Classical, ''Quantum and Biological Randomness as Relative Unpredictability''. In a special

issue of Natural Computing, Volume 15, Issue 2, pp 263–278, Springer, 2016.

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[ 15 ] See Kauffman S.A., Investigations, Oxford University Press, USA, 2002 and Bailly, F and Longo, G.

Mathematics and the natural sciences: the physical singularity of life. London: Imperial College Press, (original

French version, Hermann, 2006), 2011.

[16] Longo, G. ''How Future Depends on Past Histories and Rare Events in Systems of Life'', in Foundations of

Science, (DOI), vol. 23, September 2017.

[17] Soto A., Longo G. (guest eds.) From the century of the genome to the century of the organism: New theoretical

approaches, a Special issue of Progress in Biophysics and Mol. Biology, Vol. 122, 1, Elsevier, 2016.

[18] Longo G., Montévil M. . ''From Physics to Biology by Extending Criticality and Symmetry Breakings''. In a

special issue of Progress in Biophysics and Molecular Biology: 106(2):340 – 347, 2011 and Longo, G, Montévil,

M & Kauffman, S. ''No entailing laws, but enablement in the evolution of the biosphere''. In the ACM proceedings

of Genetic and evolutionary Computation Conference, GECCO’12, Philadelphia (PA, USA), July 7-11, 2012.

[19] West-Eberhard M-J. Developmental Plasticity and evolution. Oxford University Press, New York, 2003.

[20] A few do react. We are also trying by starting the Association Cardano for the scientific responsibility, against

''scientism'' : http://cardano.visions-des-sciences.eu/fr

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