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2020 - Vol 4 - Num 1

La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.

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La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent

toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la

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Rédactrice en chef

Marie-Christine MAUREL

Sorbonne Université, MNHN, Paris

marie-christine.maurel@upmc.fr

Membres du comité

Georges Chapouthier

Sorbonne Université

georges.chapouthier@upmc.fr

Mickaël FAURE

Ecole des Beaux-Arts

mickael.faure@versailles.fr

Jean-Charles HAMEAU

Musée national Adrien

Dubouché

Cité de la Céramique Sèvres

et Limoges jeancharles.hameau

@sevresciteceramique.fr

Joëlle PIJAUDIER-CABOT

Musées de Strasbourg

joelle.pijaudier@wanadoo.fr

Ruth SCHEPS

The Weizmann Insitute

of Science, Israël

rscheps@hotmail.com

Bruno SALGUES

APIEMO et SIANA

bruno.salgues@gmail.com

Hugues VINET

IRCAM, Paris

hugues.vinet@ircam.fr

Philippe WALTER

Laboratoire d’archéologie

moléculaire et structurale

Sorbonne Université Paris

philippe.walter@upmc.fr

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Arts et sciences

2020 - Volume 4

Numéro 1

‣ La passion du vol : de Léonard de Vinci à Jean Letourneur………………….…………………………………1

Bruno Chanetz - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0466 - janvier 2020

‣ Géométries du mouvement………………………………………………………………………………………………..14

Jean Letourneur - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0467 - janvier 2020

‣ Les fabriques du vivant……………………………………………………………………………………………………….24

Ruth Scheps - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0468 - janvier 2020

‣ Dans les paysages de Motten Morvan : une expérience d’art écologique………………….……….36

Anaïs Belchun - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0469 - janvier 2020

‣ Tu es plasticien, tu travailles sur l'agriculture, donc tu travailles sur le paysage ?……………….46

Didier Christophe - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0470 - janvier 2020

‣ Proposition de mise en conscience à l’unicité du Monde par le paysage ……………………………56

Jean-Charles Lefranc - DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0471 - janvier 2020

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La passion du vol : de Léonard de Vinci à Jean

Letourneur

The passion for flight: from Leonardo da Vinci to Jean Letourneur

Bruno Chanetz 1

1

ONERA, président du Haut conseil scientifique de l’Association aéronautique et astronautique de France (3AF)

RÉSUMÉ. Léonard de Vinci a embrassé les carrières d’ingénieur et de peintre avec un égal talent et une même

réussite. S’il n’est cependant pas l’auteur de la théorie du vol, due quatre siècles plus tard à un autre autodidacte

Fréderik Lanchester, il en a posé les premiers jalons. Cet article rappelle sa quête pour arracher l’homme à l’attraction

terrestre. Il se poursuit par l’évocation de l’œuvre d’un médecin Etienne-Jules Marey, qui au crépuscule du XIXe siècle

réalisa les premières images du mouvement fluide. On présente ensuite les visualisations réalisées dans la seconde

partie du XXe siècle par un ingénieur de l’ONERA Henri Werlé. Ses films et ses photographies scientifiques furent une

source inépuisable d’inspiration de l’artiste Jean Letourneur pour son œuvre sculpté et dessiné, prouvant qu’encore

aujourd’hui l’art et la science ne sont pas des univers disjoints.

ABSTRACT. Leonardo da Vinci has embraced the careers of engineer and painter with equal talent and equal

success. However, he was not the author of the theory of theft, due four centuries later to another autodidact Frederik

Lanchester, he laid the groundwork of this theory. This article recalls his quest to wrest man from earthly attraction. It

continues with the evocation of the work of a physician Etienne-Jules Marey, who at twilight of the 19th century

produced the first images of the fluid movement. We then present the visualizations made in the second half of the

20th century by an ONERA engineer Henri Werlé. His films and scientific photographs have been an inexhaustible

source of inspiration for the artist Jean Letourneur for his sculpted and drawn work, proving that still today art and

science are not disjointed universes.

MOTS-CLÉS. théorie du vol, visualisations hydrodynamique, visualisations strioscopiques, sculpture.

KEYWORDS. theory of theft, hydrodynamic visualizations, Schlieren photographs, sculpture.

1) introduction : De la légende à la réalité

La légende d’Icare et Dédale s’enfuyant du Palais de Minos fait partie des mythes fondateurs de

notre civilisation. Elle exprime l’un des rêves les plus vieux de l’humanité : voler comme un oiseau.

Léonard de Vinci, Il y a un peu plus de cinq siècles, consacra au vol 400 dessins, dont 150 de

machines volantes. Sa quête fut longue et couronnée d’insuccès mais il eut le mérite, au soir de sa

vie, de bâtir une théorie du vol, qui même imparfaite, avait le mérite de tenir la route … des airs.

Quatre siècles plus tard, Etienne-Jules Marey, reprit le flambeau en se posant les mêmes

questions que Vinci sur le vol des oiseaux et invalidant comme lui, le vol battu. Ce médecin

physiologiste réalisa les premières visualisations fluides. Sa machine à fumée, une soufflerie dotée

d’un dispositif permettant de visualiser les images du courant d’air autour d’obstacles fut reproduite

en 1999 par le Centre national de la cinématographie et exposée lors d’une exposition au musée

d’Orsay en 2004. Cette exposition présentait les superbes clichés réalisés par Marey cent ans

auparavant, à l’époque où décollait enfin le plus lourd que l’air.

Cinquante ans plus tard, un ingénieur Henri Werlé débuta une carrière qui devait le conduire à

réaliser de magnifiques images scientifiques aux couleurs éclatantes au moyen du tunnel

hydrodynamique de l’ONERA à Chatillon-sous-Bagneux.

Ces images présentées en 1973 lors de l’exposition Sciences, Formes, Couleurs au Palais de la

Découverte, décidèrent d’une vocation : celle de Jean Letourneur de consacrer sa vie à l’expression

du mouvement fluide dans le marbre et le bronze.

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2) Léonard de Vinci et les prémices de la théorie du vol

Premier ingénieur du roi François Ier

Bien qu’il s’agisse d’un plaidoyer pro domo, mais c’est la loi du genre dans un curriculum vitae,

les talents multiples de Léonard de Vinci sont fort bien récapitulés dans son courrier d’offres de

service qu’il adresse en 1482 à Ludovic Sforza, duc de Milan. Après avoir détaillé ses compétences

dans les domaines du génie civil et de l’ingénierie militaire, il ajoute : je puis exécuter de la

sculpture en marbre, bronze ou terre cuite ; de même en peinture mon œuvre peut égaler celle de

n’importe qui [1] Mieux qu’à Milan, c’est cependant en France où il s’installe au soir de son

existence que le génie de Léonard de Vinci fut reconnu à sa plus juste valeur. En 1516, François Ier

lui confère le titre de premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi et met à sa

disposition le château de Cloux. Devenu le Clos Lucé, ce manoir perpétue la mémoire de son

glorieux locataire.

Si la notoriété de Léonard de Vinci comme ingénieur est bien établie, elle est tardive et ses

réflexions dans le domaine du vol furent inconnues pendant plusieurs siècles. Aussi 50 ans après

Léonard de Vinci, Benedetto Castelli énonce que dans un canal, la vitesse et la section varient en

sens inverse. Ce principe, capital pour la mécanique des fluides, avait pourtant été découvert par

Vinci. Malheureusement le seul traité publié tout de suite après la mort de Vinci par son disciple

Melzi était consacré uniquement à la peinture : le codex Urbinas.

C’est seulement en 1796 qu’arrivent en France les premiers dessins de Vinci consacrés au vol.

Une partie d’entre eux est conservée depuis à la bibliothèque de l’Institut de France. Ces ressources

documentaires de premier plan sont le fruit du pillage de l’Italie par les armées de Bonaparte au

cours de la première campagne d’Italie (1796-1797).

A la fin du XIXe siècle, les premiers dessins originaux de Vinci sont publiés par Abel Hureau de

Villeneuve dans le mensuel l’Aéronaute [2]. En 1893, parait le codex sur le vol des oiseaux : codice

sul volo degli ucelli.

L’hélice volante

En 1881 Gilberto Govi (1826-1889) présente à l’Académie des sciences un mémoire sur l’hélice

aérienne de Vinci [3]. Cette hélice, qu’on s’accorde à présenter comme l’ancêtre de l’hélicoptère, est

présentée en trois dimensions dans le jardin entourant la demeure du Clos-Lucé que la famille Saint-

Bris a transformé en « parc d’attraction ». Elle figure parmi les machines les plus emblématiques

rêvées par Léonard de Vinci.

Dessin de Léonard de Vinci

sa réalisation au Clos-Lucé

Crédit Bibliothèque de l’Institut de France

(manuscrit B, fol. 83v-88r)

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Pour autant le principe de cette vis n’est pas dû à Léonard de Vinci. L’idée est reprise du traité De

ingeneis de l’ingénieur siennois Mariano di Jacopa, alias Taccola (1382-1458), dit l’Archimède de

Sienne [4]. Chez Taccola la vis volante est décrite comme ludus puerorum, jouet pour enfant.

D’ailleurs un tableau de 1460, dû au Maître de Vivoin, exposé au musée de Tessé (Le Mans),

montre un enfant tenant une coquille de noix creuse traversée d’un axe et surmonté d’une hélice [3].

En tirant sur la ficelle, l’hélice tourne. Est-ce un hélicoptère jouet ou un simple moulinet ?

La littérature de la Renaissance, se fait également l’écho d’un tel jouet. Rabelais conte dans

Gargantua (1534) : Et pour s’ébattre comme les petits enfants du pays, lui firent un beau virolet des

ailes d’un moulin à vent du Mirebalais [3]. Mirebeau est une petite ville de la Vienne entre Loudun

et Poitiers, territoire subissant aujourd’hui les assauts répétés des promoteurs éoliens, attirés un peu

par le potentiel vent de la région … et plus encore par les prébendes accordées par l’Etat.

En remontant plus avant dans le temps, on apprend que ce moulinet existait déjà au 4 e siècle en

Chine, Ko Hung (283-343) révélant l’existence de jouets en bois constitués d’une planchette vrillée

qui bondit en l’air lorsqu’on fait tourner l’axe [3].

Entre 1486 et 1496, Léonard de Vinci écrit : Si cet instrument en forme de vis est bien fait – c’est

à dire fait en toile de lin cerclé dont les pores auront été obturés avec de l’empois – et proprement

tourné, cette hélice tracera sa spirale en l’air et il montera haut [3].

La vis de Léonard de Vinci pèse un poids énorme avec son diamètre de 10 m. Face à cette masse,

la puissance musculaire de l’homme est impuissante. Pourtant 20 ans après ses premières études,

Léonard de Vinci refuse d’accepter l’insuffisance des performances physiques dans le cas d’un vol

mû par la force musculaire [4].

L’acte de naissance de l’hélicoptère date du 1 er mai 1784, où un rapport de l’Académie des

Sciences exprime ses conclusions après avoir examiné un modèle de 85 g « simple et ingénieux »

élaboré par les inventeurs Launoy et Bienvenu. Deux paires d’hélices tournant en sens contraire, ces

ailes étant disposées de manière que les percussions horizontales de l’air se détruisent et que les

percussions verticales conspirent à élever le moteur [3].

Vol à ailes battantes

Entre 1485 et 1490, Léonard de Vinci effectue ses premières études sur le vol avec transmission

de force directe du pilote sur la machine. Entre 1490 et 1500, il conclut à l’impossibilité du vol

musculaire, mais croit encore à celui du vol instrumental : poulie, ressort, manivelle, pédale …

Or le principe de l’aile battante, imitée des insectes et des oiseaux ne fonctionnent pas pour des

gros aéronefs. Actuellement des micro drones, tel le projet Remanta [5] de l’ONERA qui imite la

libellule, fonctionnent sur ce principe, mais justement parce qu’il s’agit d’objets volants très petits,

de la taille du pouce.

Micro drone Remanta (crédit ONERA)

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3


Le mathématicien Jean-Baptiste Dante construisit des ailes artificielles permettant à l'homme de

s'élever dans les airs et fit plusieurs essais de son appareil sur le lac de Trasimène, dont la tradition

ne rapporte pas des succès vibrants. Pourtant dans une fête donnée à l'occasion du mariage de

Bartoloméo Alviano, il semble que Dante offrît un spectacle inédit à la ville de Pérouse. Au moyen

de son appareil, il se serait élevé très haut au-dessus de la place. Mais, le fer avec lequel il dirigeait

l'une de ses ailes s'étant brisé, il tomba sur l'église Notre-Dame et se cassa une cuisse. [2].

Léonard de Vinci aurait produit un ou plusieurs aéronefs pour Gian Antonio Di Mariolo. Il note

en avril 1505 : De la montagne qui porte son nom, le fameux oiseau prendra son essor, qui de sa

grande renommée emplira le monde. Jérôme Cardan, dans ses mémoires confirme qu’une tentative

de vol aurait eu lieu, sur les flancs du mont Ceccri (Cercero) au-dessus de Fiesole, sans doute un

planeur battant des ailes, mais ce fut un échec [3].

Cependant Léonard de Vinci reste convaincu que l’homme pourra dominer l’air et s’élever audessus

de celui-ci grâce à l’invention de grandes ailes qui opposeront une résistance à cet élément

récalcitrant et le soumettront [4]. Ces dessins des ailes de chauves-souris inspireront quatre siècles

plus tard Clément Ader, qui fit en 1890, soit treize ans avant Orville et Wilbur Wright, le premier

saut de puce avec un plus lourd que l’air motorisé, vol malheureusement non homologué.

Pourquoi l’homme ne vole pas comme un oiseau ?

En effet ce qui manquait à Léonard de Vinci, c’était un moteur. Peut-être avait-il remarqué que

tous les oiseaux ne volent pas ? L’autruche, qui atteint 150 kg, ne vole pas. Le manchot empereur

d’une masse de 40 kg ne quitte pas le sol. L’outarde Kori, avec une masse de 20 kg, est le plus grand

animal volant, mais elle doit prendre son envol d’un point haut. De même le cygne doit acquérir une

grande vitesse avant que sa portance soit supérieure à son poids. Inversement les oiseaux de faible

charge alaire décollent avec une extrême rapidité, tels les moineaux. La charge alaire exprime le

poids supporté par chaque mètre carré d’aile en N/m 2 : la mouche drosophile affiche 3,5 N/m 2 , la

libellule 5 N/m 2 , l’oiseau-mouche, d’une masse de 1,5 g, a une charge alaire de 20 N/m 2 et le pigeon

de 30 N/m 2 . Quant à la cigogne, elle atteint 66 N/m 2 et l’albatros 140 N/m 2 [6]. On se souvient de la

scène mémorable du dessin animé de Walt Disney, où Orville, pilote d’Albatross Air Service dont le

nom est un clin d’œil aux frères Wright, peine à décoller avec ses passagers Bernard et Bianca.

Pour équilibrer le poids, la portance doit être telle que la vitesse soit de l’ordre de grandeur du

poids à la puissance 1/6. Ainsi plus la charge alaire est importante, plus l’animal est contraint de

voler vite : Le Boeing 747 (400 tonnes) volent à 900 km/h, soit dix fois plus vite que le faucon (1

kg) qui vole à 45 km/h, soit dix fois plus vite que la mouche qui vole à 6 km/h. L’homme devrait

voler à 100 km/h [6].

Quatre siècles plus tard, Etienne-Jules Marey établit que la puissance musculaire de l’homme

devrait être 200 fois plus grande pour qu’il puisse s’élever en actionnant des ailes artificielles. Jean-

Marc Jancovici, professeur à l’Ecole des Mines, faisait dernièrement cette comparaison évocatrice :

la puissance développée par un simple robot ménager équivaut à celle de quatre cyclistes [7].

Prenant pour référence l’oiseau colibri, le plus lourd des animaux à sang chaud capable de voler

sur place en l’absence de vent, Jean-Michel Courty et Edouard Kierlik, ont établi qu’un homme de

75 kg recouvrant ses bras de plumes aurait besoin de 7 000 W pour pratiquer le vol stationnaire,

alors qu’un sportif développe seulement en effort prolongé une puissance de 500 Watt [3]. Il faut

bien en convenir nous sommes beaucoup trop lourds et trop faibles pour voler.

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Les prémices de la théorie du vol de Léonard de Vinci

Après 1505, Léonard de Vinci abandonne l’idée des ailes battantes et développe des idées sur la

force ascensionnelle (portance). Il réfléchit à des appareils à voilure fixe, définit le vol plané. L’air

qui s’écoule autour de l’oiseau exerce sur lui des forces. L’air s’oppose à son avancement. C’est la

traînée, qu’il lui faut vaincre pour avancer. L’air, en mouvement autour des ailes, le porte. C’est la

portance, qui s’oppose au poids et le maintient en l’air.

Il en déduit fort justement l’importance de soigner l’arrière du profil pour réduire la traînée et

postule deux lois relatives à la traînée [8] :

– elle serait proportionnelle à la surface des ailes ce qui est vrai,

– elle serait proportionnelle à la vitesse, ce qui est faux, puisque c’est au carré de la vitesse.

C’est dire que la vitesse est capitale pour voler et le capitaine Ferdinand Ferber (1862-1909), le

premier à avoir réussi en 1905 pour l’Europe l’homologation d’envol d’un avion motorisé, deux ans

après les frères Wright, exprime joliment cette vérité : La portance est une fleur qui nait de la

vitesse.

3) Les pionniers de l’air et les premières visualisations du mouvement fluide

Clément Ader (1841-1925), lointain successeur de Léonard de Vinci invente l’avion

En s’inspirant de la chauve-souris, Clément Ader réalise un véhicule à moteur capable de s’élever

un peu dans les airs et de se reposer. Le 9 octobre 1890 à Arminvilliers, à bord d’Eole, il parcourt

une cinquantaine de mètres à une vingtaine de centimètres seulement au-dessus du sol. Cet appareil

de 300 kg était équipé d’un moteur à vapeur de 20 chevaux. C’est le premier à avoir décollé, mais si

peu ... Avec un moteur moins lourd, il eut peut-être réussi à s’élever un peu plus haut. Si la paternité

du premier vol à moteur lui est disputée, en revanche Clément Ader inventa un mot destiné à

l’immortalité : avion [9].

Dessin de Léonard de Vinci d’ailes de chauve-souris et l’Éole de Clément Ader en 1890

Crédit Bibliothèque de l’Institut de France (manuscrit B, fol. 83v-88r)

Le roi pétrole préside à l’essor du vol

Plus que toute autre technologie, l’avion doit son existence à la transition énergétique. J’évoque

bien sûr la transition énergétique … qui au cours du XIXe siècle nous a fait basculer dans l’ère

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moderne. Délaissant nos moulins à vents dont la production d’énergie intermittente ne permettait

pas l’émergence d’une société industrielle, nous nous sommes tournés vers le charbon, puis le

pétrole, qui représentaient un potentiel énergétique combien plus efficace et plus facilement

mobilisable. Sans le moteur à explosion l’avion n’aurait pas existé.

De Magnus à Lanchester : la difficile gestation de la théorie du vol

En 1852, un Prussien Gustav Magnus, s’intéressa à l’effet de giration des boulets de canons,

phénomène qu’on rencontre aussi lorsque les balles ou ballons ont de l’ « effet ». Il établit ainsi que

la rotation d’un boulet infléchissait la trajectoire balistique avec pour conséquence le ratage de la

cible. La force de Magnus - ou effet Magnus - n’est autre qu’une force de portance ou de déportance

selon le sens de giration. Tout était dès lors en place – ou presque – au niveau des éléments

théoriques, pour permettre d’appréhender le vol [10]

En 1894, quelques années avant les travaux de Marey et neuf ans avant le vol des frères Wright,

Lanchester énonça une théorie du vol, dite théorie de la circulation. Il l’éprouva sur des modèles

réduits. En 1907, il publia Aerial Flight, ouvrage qui définissait les forces de portance et de traînée,

qui eut un écho en Allemagne, où Ludwig Prandtl établit mathématiquement la théorie de

Lanchester.

Il fallut en effet attendre la charnière du XIX e et du XX e siècle, quand l’invention du moteur

thermique mit à disposition des pionniers de l’air une propulsion suffisante, pour que ceux-ci

élaborent des profils cambrés dont ils allaient équiper leurs aéronefs.

Gustave Eiffel met en évidence la composante aspiration de la force de portance

On le sait peu, mais Gustave Eiffel apporta une contribution essentielle à l’aérodynamique

expérimentale en construisant une soufflerie [11] aux pieds de la Tour éponyme, qu’il transféra en

1912, rue Boileau à Auteuil, où elle fonctionne encore. Ces essais lui permirent de mettre en

évidence l’aspiration qui contribue essentiellement à la force de portance [12] :

Cette étude a fait ressortir l’importance prépondérante des dépressions à l’arrière et a montré

que l’aile de l’aéroplane est deux fois plus aspirée par l’air qui s’écoule sur sa face dorsale, qui

n’est poussée par l’air qui s’écoule sur sa face ventrale. Avant que ce fait ne fût mis en évidence au

Laboratoire du Champ de Mars, les constructeurs d’avions ne tenaient pas compte des dépressions

sur la face dorsale pour l’attache des toiles des ailes, et cela a dû amener des catastrophes par

déchirure inexpliquées de cette toile pendant le vol. On y a remédié depuis la publication de mes

travaux.

Etienne-Jules Marey réalise les premières images du fluide en mouvement

Marey a produit dans un espace clos à parois transparentes un courant d’air régulier en faisant

arriver dans ce courant d’air des filets de fumée parallèles et équidistants. Il place à la rencontre de

ces filets des surfaces de formes diverses sur lesquelles ils s’infléchissent diversement. Marey :

Eclairer vivement ces fumées et en photographier instantanément l’apparence, tel était le

programme à remplir, ce qu’il fit de 1899 à 1901 [13].

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La soufflerie à fumée de Marey

La fumée est produite dans une boite métallique par la combustion d’étoffes de coton et

d’amadou. Les filets se forment en passant par une rampe constituée de tubes d’émission en plomb.

Ils sont aspirés vers le bas grâce à un ventilateur électrique et prennent alors l’apparence de cordes

tendues comme celles d’une harpe. Les clichés représentent le comportement des filets de fumée

lorsqu’ils rencontrent un plan incliné selon des angles variés. Ils sont réalisés par un appareil

photographique placé devant la vitre de la machine accompagnée d’un flash à éclair magnétique.

La dernière version de la machine de Marey indique la vitesse de l’air. Un trembleur électrique -

une simple sonnette sans timbre - ébranle dix fois par seconde les petits tubes qui conduisent la

fumée : les filets véhiculent des ondes successives dont l’écartement correspond à l’espace parcouru

par l’air à chaque dixième de seconde.

Visualisations réalisées par Marey (crédit Cinémathèque française)

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Mais Marey renonce à poursuivre ces expériences : Mes connaissances insuffisantes en

mathématiques ne me permettent pas de quitter le terrain expérimental. Je suis même parfois bien

embarrassé pour interpréter certains résultats d’expériences, par exemple les trajets bizarres que

suivent les filets de fumée.

Marey était un modeste, qualité qui avait été épargnée à Léonard de Vinci, lequel n’avait jamais

éprouvé un sentiment d’infériorité, malgré de criantes lacunes en mathématiques, concernant par

exemple le calcul des fractions ou la détermination des racines carrées …

4) D’Henri Werlé à Jean Letourneur, le sculpteur du mouvement fluide

Henri Werlé ou « le maître » du tunnel hydrodynamique de l’ONERA

Les images de Werlé se situaient en droite ligne des études de Marey. Ingénieur à l’ONERA, il

fut actif durant la seconde moitié du XXe siècle. Il réalisa pendant sa vie professionnelle des milliers

de clichés d’écoulements au tunnel hydrodynamique, à l’origine d’un apport important à

l’aéronautique et source inépuisable d’inspiration artistique [14].

Le tunnel hydrodynamique de L’ONERA à Châtillon (Hauts-de-Seine)

Parmi les visualisations réalisées par Werlé dans les années 60, certaines ont fait le tour du

monde. Ainsi les célèbres photos représentant les enroulements tourbillonnaires sur une maquette de

Concorde.

Visualisations des enroulements tourbillonnaires sur Concorde (crédit ONERA)

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Aussi populaire que Concorde, la fameuse DS de Citroën a également été testée au tunnel

hydrodynamique. On note le décollement de la Couche limite qui se produit au milieu du toit de la

DS, produisant un important sillage, source principale de la trainée du véhicule.

Visualisation au tunnel hydrodynamique autour d’une DS Citroën (crédit ONERA)

Jean Letourneur, interprète de l’instantané

« J’aurai vécu avec Henri Werlé qui prit sa retraite en 1988 la fin d’un cycle initié au début du

XVIe siècle avec Léonard de Vinci » déclare Jean Letourneur, professeur agrégé, enseignant dans

différentes écoles d’art parisiennes jusqu’en 2019. C’est un passionné d’aérodynamique. Sa

vocation de sculpteur il l’a trouvée dans son berceau, auprès de son père René Letourneur, Premier

Grand Prix de Rome de sculpture en 1926. Sa passion il l’exerce aujourd’hui encore dans l’atelier

paternel à Fontenay aux Roses. C’est auprès de lui, dont il fut le praticien durant 8 ans, qu’il

acquiert la technique de la taille directe. Il est à l’heure actuelle l’un des rares sculpteurs français à

maîtriser cette technique qui ne tolère pas la faute. Comme il le souligne : Tailler le marbre ne

s’improvise pas, l’erreur est interdite. Son attrait pour les sciences il le doit également au milieu

familial, son grand-père maternel Henri Gondet ayant dirigé durant trente ans les Etablissements

Beaudoin (fabricants d’instruments de mesures de précision) avant de devenir Directeur Scientifique

de la Physique à l’ONERA puis de prendre la direction des laboratoires du CNRS de Bellevue à

Meudon, à la demande de Frédéric Joliot-Curie. Jean Letourneur a trouvé son chemin de Damas en

1973, l’année de son bac, en visitant l’exposition Sciences, Formes, Couleurs au Palais de la

Découverte, où l’ONERA présentait ses travaux en Mécanique des Fluides. Ce fut pour lui la

révélation qui allait décider de sa carrière.

Cette carrière est le fruit de sa rencontre avec Henri Werlé, maître de recherche à l’ONERA, dont

les travaux en hydrodynamique l’ont littéralement subjugué. Les très belles visualisations réalisées

avec des colorants au tunnel hydrodynamique par Henri Werlé ont fait les heures de gloire de

l’ONERA. Elles ont fasciné Jean Letourneur, qui a vu prendre vie aux images fixes de l’exposition

du Palais de la Découverte. Il lui suffisait de regarder et de dessiner, puis de sculpter.

cette époque, le calcul numérique était encore impuissant à modéliser finement les écoulements

aérodynamiques. Aussi les études expérimentales étaient nombreuses et parmi elles, les procédures

initiées par Marey, transposées dans l’eau avec des colorants. Jean Letourneur rapprocha

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immédiatement ces études des dessins de Léonard de Vinci, fondateur de cette science et de la série

des Déluges (voir article suivant).

Le Miroir 1994, Marbre, 100 x 49 x 49 cm

visualisation d’un ellipsoïde en incidence

(Cliché Werlé crédit ONERA)

Parmi les œuvres issues de cette fructueuse collaboration entre l’artiste et le scientifique, je n’en

citerai qu’une qu’y m’est chère : Le Miroir (1994). Cette œuvre, présentant un ellipsoïde, évoque les

miroirs en bronze poli de l’antiquité, dont elle revêt la matière. Le socle, constitué de filaments

fluides entrelacés exprime avec vigueur les enroulements tourbillonnaires qui prennent naissance à

l’extrados de l’ellipsoïde en incidence. Magnifique alliance du passé et du présent et symbiose entre

l’art et la science qu’aurait appréciées Henri Poincaré, l’étude révélant aussi l’existence des points

singuliers, révélés par ce grand mathématicien cent ans auparavant [15]. Les recherches de Werlé

constituaient les prémices de la thèse que je débutai en 1983 à l’ONERA [16]. Cette sculpture est un

double hommage rendu à Jean Letourneur, qui a si remarquablement magnifié le mouvement fluide,

et à Henri Werlé, dont les superbes clichés ont fait les heures de gloire de l’ONERA. Et ce n’est pas

le moindre mérite d’Henri Werlé d’avoir, en servant de mentor à Jean Letourneur, suscité une

production artistique aussi puissante et originale.

À l’orée du XXIe siècle, Jean Letourneur prend de la vitesse

En 2005 dans le cadre de l’année internationale de la physique que Jean Letourneur décida de

monter en vitesse ! Jusque-là ses sources d’inspirations s’étaient limitées aux écoulements basse

vitesse. Il a frappé de nouveau à la porte de l’ONERA. Henri Werlé n’était plus là et j’ai eu le plaisir

de faire sa connaissance et de guider ses pas vers le supersonique. Il est venu plusieurs fois au centre

de Meudon pour découvrir les souffleries et s’intéresser aux écoulements à grande vitesse. Il a été

particulièrement intéressé par la simulation des écoulements hypersoniques dans les souffleries à

rafales où des vitesses de 1,5 km/s sont atteintes Nous lui avons montré les ondes de choc

visualisées au moyen de la méthode strioscopique. Le résultat de cette découverte du domaine des

très hautes vitesses fut la création d’une grande médaille pivotante Interférence de chocs,

représentant sur une face un croisement de choc du premier type, ou interférence régulière, et sur

l’autre face un croisement du second type, ou phénomène de Mach [17]. Cette médaille, orientée de

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bas en haut, rappelle l’envol des fusées, qui s’arrachent à l’attraction terrestre. Quant aux vues de

l’écoulement en soufflerie, elles ont une orientation horizontale, le vent venant de la gauche à une

vitesse égale à dix fois la vitesse du son, soit Mach 10.

Interférences de chocs, 2005, Stuc, 61 x 7 cm, Année Internationale de la Physique

Visualisations strioscopiques réalisées à la soufflerie R3Ch de l’ONERA à Meudon

à gauche phénomène de Mach, à droite interférence régulière (Mach 10, soit 1,5 km/s)

Sur la figure de gauche, à Mach 10 à l’aval de deux triangles mobiles, ces interférences donnent

naissance par une variation de leur écartement à un disque de Mach perpendiculaire à

l’écoulement et le ralentissant. Ce disque de Mach est le siège d’un intéressant phénomène

d’hystérésis - persistance d’un phénomène quand cesse la cause l’ayant produit - provoqué par la

rotation des triangles générateurs (argent et or sur la sculpture). On constate alors l’apparition le

long de deux lignes de glissement, des phénomènes turbulents analogues à ceux que Jean

Letourneur avait déjà exploités pour les très basses vitesses, ce qui n’est pas étonnant car en aval

d’un choc droit à fort nombre de Mach, l’écoulement atteint le bas subsonique. La figure de droite

est relative à la configuration régulière, qui apparait pour les plus faibles angles des triangles

générateurs.

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5) Conclusion

J’emprunte ma conclusion à Michael Gibson, critique d’art dans l’International Herald-Tribune,

qui a très bien exprimé cet art empreint de science et de technique, cette connivence avec la

recherche, qui est la marque de Jean Letourneur : Leonardo da Vinci s’est intéressé le premier à

cette mécanique des fluides en variant les obstacles de façon expérimentale et en dessinant les

résultats obtenus. Letourneur, qui a appris tout jeune le métier de la taille directe, a choisi

d’expérimenter ce genre dans la pierre. Il en résulte un étonnant tourbillon figé, une écume baroque

qui arrête sous nos yeux la géométrie des vortex.

L’article suivant permettra au lecteur de découvrir l’œuvre complète de Jean Letourneur avec le

meilleur des guides : l’artiste lui-même !

Bibliographie

[1] Serge Legat

Aéroclub de France, Les cent vies de Léonard de Vinci, Clubs et cercles Magazine, automne 2019, n°48

[2] Léon Darsonval

L‘Aéronautique dans le département de l’Aube du XVIIIe siècle à nos jours

https://sites.google.com/site/darsonvalleon/page-1k

[3] Bernard Bombeau

L’Hélicoptère, Privat Editions, 2006

[4] Frank Zöllner et Johannes Nathan

Léonard de Vinci l’œuvre graphique, Edition Taschen, 2003

[5] Agnès Luc-Bouhali

Progress of the Remanta project on mav with flapping wings

https://www.onera.fr/sites/default/files/Departements-scientifiques/DCPS/emav-2006-remanta-mav-flapping-wings.pdf

[6] Marielle Vergès et Kamil Fadel

Le vol des oiseaux et des insectes

Découverte, revue du Palais de la découverte n°306, mars 2003, ISSN 1621-0085

[7] Jean-Marc Jancovici

Conférence à Loudun le 22 octobre 2019

https://www.youtube.com/watch?v=Ubx9YbMz8gM

|8] Kamil Fadel

Histoire de la théorie de la sustentation, Découverte, revue du Palais de la découverte n°306, mars 2003, ISSN 1621-

0085

[9] Philippe Jung

Clément Ader, l’inventeur de l’avion, Lettre 3AF n°35 (janvier-février 2019)

https://www.3af.fr/article/culture/clement-ader-1841-1925-l-inventeur-de-l-avion

[10] Bruno Chanetz

L'application des nombres complexes au calcul des profils d'aile

Comptes Rendus Mécanique Volume 347, Issue 7, July 2019, Pages 544-549

https://www.sciencedirect.com/science/journal/16310721

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12


[11] Jean Délery, Bruno Chanetz, Patrick Gilléron, Patrick Gnemmi et Philippe Perrier

Aérodynamique expérimentale, souffleries et méthodes de mesure, Cépaduès Editions, 2017

[12] Gustave Eiffel

Résistance de l'Air, principaux résultats, 1922

[13] Marie-Laure Théodule, Laurent Mannoni, Bruno Chanetz

Marey, précurseur oublié des souffleries, La Recherche, n° 380, Novembre 2004

[14] Henri Werlé

Principaux types de décollement libre observés sur maquettes ellipsoïdales, Note Technique Onera 1985-7

[15] Henri Poincaré

Sur les propriétés des fonctions définies par les équations aux différences partielles, Gauthier-Villars 1879.

[16] Bruno Chanetz

Contribution à l’étude du décollement tridimensionnel en écoulement turbulent incompressible, Note Technique Onera

1988-6

[17] Bruno Chanetz and Richard Benay

Hysteresis phenomena associated with shock waves interference in steady flow, Int. J. of Aerodynamics, Vol 2, Nos.

2/3/4,2012

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13


Géométries du mouvement

Geometries of movement

Jean Letourneur 1

1

Sculpteur spécialiste de la taille directe et des sciences du Chaos.

A enseigné à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs, à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqués et

des Métiers d'Art, à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-la-Villette.

RÉSUMÉ. Léonard de Vinci fut un précurseur dans le domaine de la mécanique des fluides, aussi bien par son

approche expérimentale que par ses applications simplement artistiques. Sa démarche aura dicté la mienne.

Fidèle à cette méthode, j'ai pu investir les domaines de la Turbulence en une véritable « quête de l'unité » comparable

à celle des scientifiques d'aujourd'hui lorsqu'ils tentent d'aboutir à une description cohérente des lois de la Nature.

Fondée notamment sur l'invariance d'échelle, cette quête m'aura permis de prendre place parmi les précurseurs de

l' « art fractaliste », dont Léonard aura posé les prémisses aussi bien par ses études de la croissance des plantes que

par ses analyses des mouvements de l'eau.

ABSTRACT. Leonardo da Vinci was a precursor in the fluid mechanics field, thanks to his experimental approach as

well as its purely artistic applications. His creative process has inspired mine.

Keeping with this spirit, I have been able to transform the turbulence areas into a genuine “unity quest”, comparable to

that of current scientists when they try to come up with a consistent description of the laws of Nature.

Notably based on scale invariance, this quest has allowed me to take place among the precursors of “fractal art”,

whose premises have been set by Leonardo not only with his studies of plant growth but also with his analyses of

water movements.

MOTS-CLÉS. Art et science, turbulence, fractales, autosimilarité, chaos, discontinuités, vortex, mécanique des fluides.

KEYWORDS. Art and science, turbulence, fractals, self similarity, chaos, discontinuity, vortex, fluid mechanics.

Que d'impondérables dans les circonstances qui m'ont conduites à me promener entre l'atelier

paternel où je travaille encore, et les laboratoires de mécanique des fluides de l'ONÉRA ! Après

bientôt quatre décennies consacrées à tenter de donner un prolongement aux dessins que Léonard a

dédiés au mouvement de l'eau, demeure intact ce sent

t l'ONÉRA me

livrait les clefs.

Mais de cet immense traité d'anatomie qui soudain s'était ouvert devant moi, il me fallut dégager

des articulations, des systèmes, des lois.

Lorsque science et art se confondent, ce dernier devient un instrument de la connaissance, et

Léonard en avait posé les jalons par une véritable « méthode expérimentale » avant la lettre :

« On appelle connaissanc

discontinues ».

En effet, de toute évidence les dessins analytiques de Léonard, fondateur de ce qu'on appelle

maintenant la mécanique des fluides, furent réalisés à partir d'expérimentations concrètes -obstacles

divers placés dans un courant selon des incidences variables, jets d'eau à débits contrôlés... et

l'exposition du Louvre nous permet enfin d'en découvrir d'inédits [figure 1].

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Figure 1. encre, vers 1510/1513, Windsor, 15 x 17 cm

Puis Léonard transposa les leçons ainsi apprises dans les registres habituels des chevelures et des

[figure 2]

[figure 3].

Figure 2. Léda, pierre noire et encre, vers 1505/1510,

Windsor, 20 x 16,2 cm

Figure 3. encre, vers 1515, Venise galerie de

l’Académie, 9,6 x 14,9 cm

« Prends connaissance du mouvement de la surface de l'eau, qui se comporte comme les cheveux,

lesquels ont deux directions, l'une qui suit leur poids propre, et l'autre les injonctions des boucles ;

de même, l'eau décrit ses courbes tourbillonnantes, dont une partie suit le sens du courant principal,

et l'autre le mouvement fortuit et induit».

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Pour livrer, à la fin de sa vie, avec la série des Déluges [figure 4], ce que l'on devrait considérer

comme les premiers dessins « abstraits »

permis de redécouvrir.

Figure 4. encre et lavis bistre, vers 1514, Windsor, 15,7 x 20,3 cm

Mais toute médaille, aussi séduisante soit-elle, a son revers : si par ses images la science peut

devenir accessible au non-scientifique -et c'est bien dans cette catégorie que se rangent les

documents de Werlé- l'exemple de Léonard suppose non seulement la maîtrise du métier, mais aussi

de se familiariser avec les concepts sous-tendant cette science particulière. Pour voir et comprendre

ce que l'on a devant soi, il faut non seulement observer, mais aussi avoir des idées claires. Et dans ce

domaine seule la science offre par ses concepts l'ouverture indispensable à qui prétend en interpréter

les manifestations.

Parmi ces concepts, il me faut citer :

»

d'Henri Poincaré, dont d'infimes variations peuvent

modifier l'ensemble d'un système. Alliée aux

chaînes de vortex transmettant l'énergie des

grandes échelles vers les petites échelles

dissipatives, ce sont les clefs de la composition de

Katabase [figure 5] par exemple.

Figure 5. Katabase plâtre polychrome

d’après la pierre, 300 x 75 x 78 cm 1991

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16


» des fractales de Benoit Mandelbrot, qui relie les formes que revêt la

turbulence à toutes les échelles. Ce concept se retrouve aussi bien dans mes Méharées [figure 6] que

dans le traitement des formes de la partie dorsale de Citadelle [figure 7].

Figure 6. Marches au hasard, plâtre,

300 x 150 x 10 cm, 2012

Figure 7. Citadelle, plâtre, 89 x 57 x 37 cm, 2010

» »

Bifurcation)

[figure 8]. On retrouve des franges verticales comparables dans

les traces laissées par la mer sur le sable, et qui commandent la

composition de Marches au Hasard [figure 6].

Figure 8. Bifurcations (détail) -

bronze- 75 x 34,5 x 30 cm – 1995

4) Les » »

formelles équivalentes à ce que les sculpteurs faisaient par l'entremise de l'anatomie (Interférences

de Chocs, voir article précédent).

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contemporaine a démontré l'omniprésence depuis l'organisation du cosmos jusqu'à l'expression de

certains gènes.

E »

En voici quelques exemples, et la façon dont la science a pu nourrir l'art en lui fournissant non

seulement sa thématique, mais encore sa méthodologie :

KATABASE [figure 5] d'après les tourbillons contrarotatifs à l'aval du culot incliné d'un

E

R

bassins alimentés par des déversoirs [figure 10].

Figure 10. Mosaique, bassin de la place de l’église

de Fontenay-aux-Roses (détruit)

Il s'agissait de créer un espace dynamique dans un plan vertical avec la sculpture et dans un plan

horizontal avec la composition des bassins dont elle est l'axe de rotation, tout en conservant la

symétrie générale de la place, la sculpture étant placée en position centrale.

La rotation virtuelle des deux déversoirs était marquée par l'axe diagonal qui les relie, par le sens

alterné d'écoulement des déversoirs visant à suggérer une rotation que venait renforcer la

composition de la mosaïque, conçue comme la projection horizontale des tourbillons marginaux

d'un rotor d'hélicoptère au point fixe. Le Discobole [figure 11] se réfère à cette même source de

turbulence, mais dans un tout autre registre.

Figure 11. Le Discobole - bronze 70 x 50 x 50 cm – 1983-2005

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Par analogie, les deux déversoirs sont donc comme deux pales d'hélicoptère en rotation et la lame

d'eau matérialise la projection dont dépend le dessin des mosaïques établi sur trois cercles

concentriques : temps t

d'eau, tourbillon marginal en formation donc

dense et étroit, t-1 tourbillon d'un rayon légèrement inférieur, moins dense et plus dilué en largeur,

et t-2 tourbillon largement diffusé.

Les bassins circulaires deviennent comme des oculi ouverts sur un mouvement souterrain et

vivement coloré se prolongeant virtuellement sous la totalité de la place.

Le décalage des cercles dont le rayon va en décroissant à mesure que l'on remonte dans le temps

trouve sa justification par le fait qu'il fallait exprimer par le dessin et par la couleur des phases

antérieures qu'une superposition même partielle aurait rendues illisibles. De plus ces décalages ont

été mis en évidence par les visualisations de l'ONÉRA.

La Sculpture placée sur l'axe de rotation avait été taillée directement dans un prisme octogonal

dont le dessin du décaissé qui lui servait de socle gardait la mémoire.

Sa composition s'inspire essentiellement des tourbillons contrarotatifs au culot incliné d'un

cylindre traités en ronde-bosse. L'angle de section est important afin de ménager au dos de ce

cylindre une surface uniforme où figure, en bas-relief cette fois, une transition issue elle aussi des

études de Werlé.

Les deux mouvements antagonistes, de bas en haut pour les tourbillons principaux et de haut en

bas pour la transition dorsale, créent des cisaillement que j'ai traités en m'inspirant des phénomènes

similaires se produisant à la surface de Jupiter et révélés par la sonde Voyager.

Nécessairement symétriques, j'ai accentué les différences de formes prises par ces tourbillons en

inclinant légèrement à gauche la section plane du cylindre. La grande difficulté a été de concilier la

logique de ce système dynamique telle qu'elle a été révélée par les études d'Henri Werlé et

l'impression de puissance aveugle et désordonnée que donne la lecture d'un film où ces tourbillons

sont révélés par les colorants. La sculpture étant une combinaison de plusieurs instants s'échelonnant

dans le temps, menés par un réseau de lignes de force, il m'a fallu réunir en un ensemble cohérent

des fragments analysés tout au long d'une série d'arrêts sur image.

Au travers de formes ayant pris corps et donc figées dans le temps, il s'agissait de retrouver une

impression fondée sur des contours en mouvement. En ce sens, cette étude s'apparente à la

traduction du mouvement que les sculpteurs ont des siècles durant recherché au travers de l'anatomie

humaine ou des drapés.

dorsale de Katabase,

» de Prigogine constituent le concept dominant de la partie

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L’AIR ET L’EAU [figures 12a, 12b], deux

bronzes issus des célèbres allées

tourbillonnaires de Bénard-von Kàrmàn.

inventer.

Figure 12a. L’air (Bronze, 40 x 20 x 2,5 cm -1992)

Figure 12b. L’eau (Bronze, 40 x 20 x 2,5 cm -1992)

uilibre, faisant osciller le drapé turbulent

tantôt à gauche, tantôt à droite du sillage.

»

-

donc par accumulation de formes en un

processus expansif dont le hasard est

intimement partie prenante.

FONTAINE WERLE [figure 13]

dont la partie i

Katabase.

J'écrivais en 1983 à Henri Werlé :

moteurs dans la sculpture pour

:

»

correspondance Einstein/Born, Le Seuil, 1972).

Figure 13. Fontaine Werlé - plâtre et bois,

240 x 120 x 120 cm -1994

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LE DISCOBOLE [figure 11].

sc

R

fluide qui

-delà d'un simple lancer, c'est de la condition humaine qu'il s'agit.

:

kinogrammes.

Rodin et son Homme qui marche. Toute création se nourrissant aussi de l'héritage des grands

anciens, la stabilité d'un triangle isocèle central remplace ici les arêtes extérieures des blocs de

marbre des Esclaves de Michel-Ange.

(face au torse et au sol) subsistent les vestiges des

: par endroits

Ce Discobole était destiné à accompagner la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2012,

mais pourquoi pas celle de 2024 ?

Le modèle au tiers a été fondu au domaine de Coubertin à Saint-Rémy lès Chevreuse, ancienne

J

rappellerait aussi quel fut le rôle du baron Pierre de Coubertin dans la création de l'« université

compagnonnique » qu'est devenu l'ensemble de cette fondation.

MÉHARÉES [figures 6 et 15]. Arpentant depuis l'enfance les pentes douces des plages du

Cotentin, je m'amusais dès 1996 à y retrouver les phénomènes étudiés à l'ONÉRA, tels que la mer se

retirant les suggère par ses sillons dans le sable. Après une prise d'empreinte au plâtre, son

interprétation peut commencer lorsque la marée montante me laisse le loisir de la rapporter indemne

à l'atelier. Après quelques étapes comparables au travail de médailliste, alternant modelage du

positif puis de son moulage négatif, mais rendues plus laborieuses par les surfaces beaucoup plus

importantes, la sculpture achevée ne ressemble plus à son modèle marin : elle en propose un relief

positif, largement interprété.

E

-

vent. Parmi ces travaux réalisés sur le sable normand :

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1) Marches au Hasard [figure 6], en plus des franges ordonnées évoquées plus haut, garde aussi

en son centre la mémoire d'une allée de Bénard/Kàrmàn, issue de l'épaisseur d'un relief dunaire.

E

[figures 14a, 14b] .

Figure 14a. Nuages - Fusain, 150 x 150 cm - 2011 Figure 14b. Nébuleuse -Fusain, 150 x 150 cm - 2011

2) Table basse [figure 15], issue d'une empreinte de plâtre transposée en marbre et en taille directe,

selon une composition en croix de St-André qui n'est pas sans rapport avec un dessin de Léonard

que je n'ai découvert que grâce à l'exposition du Louvre (vue figure 16).

Figure 15. Table basse, marbre 130 x 80 x 40 cm – 2001 Figure 16. encre bistre – vers 1508/1509,

Paris Institut, 14,6 x 10,6 cm

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SAINT- EXUPERY. Encore un « hasard dirigé », mais cette fois témoignage d'une dette de

reconnaissance vis-àm'a

fallu effectuer pour réaliser la médaille du cinquantenaire de sa disparition en 1994 [figure 17]

m'a irrésistiblement conduit au portrait de la Stèle de l’aéroport Lyon [figure 18], dialoguant avec

son double du Petit Prince suggéré par ces perturbations de la couche limite du profil d'aile qui le

soutient, et qu'il avait étudiées avec von Kàrmàn. Double portrait donc, que je réunissais avec le

projet Citadelle [figure 7] en une seule et même forme, à l'étude en ce moment avec le Maroc pour

un hommage à l'Aéropostale.

Figure 17. Médaille St-Exupéry – recto/verso, diamètre 8,4 cm -Monnaie de Paris, 1994

[figures 14a, 14b] ou plus directement

notre entendement. Les préoccupations humaines meurent avec

leur temps, mais comme toute science, les lois de la mécanique

des fluides sont éternelles. Et si l'intemporel cher à Malraux ne

dépendait que de la part géométrique sous- œ ?

Au delà d'un effet de mode, les rapprochements entre les arts et

les sciences trouveraient là leur signification profonde : conférer

une part d'éternité à la brièveté de notre existence.

Derniers ouvrages parus :

« Sculpture et Chaos » éditions Connaissances et Savoirs

Préface de Jean-Pierre Luminet, postface de Bruno Chanetz

« Traité de Perspective et Géométrie de la Forme » éditions

Eyrolles

Figure 18. Stèle Saint-Exupéry -

bronze, 202 x 75 x 75 cm – 2000

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Les fabriques du vivant

Factories of the living

Ruth Scheps 1

1

docteur en génétique moléculaire (The Weizmann Institute of Science, Rehovot, Israël) ; productrice à France

Culture et journaliste à la Radio Suisse Romande jusqu’en 2009 ; rédactrice en chef de la revue Mikhtav Hadash / La

Nouvelle Lettre jusqu’en 2019. rscheps@hotmail.com

RÉSUMÉ. Un livre (Xénobiologie, de Marie-Christine Maurel et Michel Cassé) et deux expositions (La Fabrique du

vivant au Centre Pompidou, Formes vivantes au Musée national Adrien Dubouché à Limoges) ont témoigné en 2019

d’un intérêt convergent pour le vivant : la science l’étudie et le synthétise ; l’art l’imagine et s’en inspire pour le

représenter, le bio-art pour le recréer. La mythologie et la littérature ont révélé depuis longtemps la porosité des

catégories de vivant et non-vivant dans l’imaginaire des peuples. Les expérimentations contemporaines menées par

les scientifiques (biologistes, informaticiens, mathématiciens) et les créateurs (artistes, designers, architectes) tendent

à estomper la séparation entre le vivant/naturel/sujet et le non-vivant/synthétique/objet. Elles donnent lieu à de

nouvelles hybridations, des « vies partielles » dont les raisons d’être vont de la multifonctionnalité à visée écologique

au questionnement philosophique sur le statut du vivant et la place de l’humain dans le monde numérique. Le présent

article entend prolonger ce questionnement et attirer l’attention sur les implications éthiques des œuvres mixtes

auxquelles la plupart de leurs créateurs n’accordent qu’une place restreinte.

ABSTRACT. In 2019, one book (Xénobiologie, by Marie-Christine Maurel and Michel Cassé) and two exhibitions (La

Fabrique du vivant at the Pompidou Center, Formes vivantes at the Musée national Adrien Dubouché in Limoges)

displayed a convergent interest for the living : science studies and synthesizes it ; art imagines it and draws inspiration

from it to represent it, bio-art to recreate it. Mythology and literature have revealed long ago the porosity between the

categories of living and non-living in peoples’ imagination. Contemporary experiments conducted by scientists

(biologists, computer scientists, mathematicians) and creators (artists, designers, architects) tend to blur the split

between the living/natural/subject and the non-living/synthetic/object. They give rise to new hybrids, « partial lives »

whose raisons d’être extend from ecologically oriented multifunctionality to philosophical questioning on the living

status and the place of the human within the numerical world. The present paper aims at extending this inquiry and

drawing attention to the ethical implications of those hybrid works to which most of their creators only pay limited

attention.

MOTS-CLÉS. Xénobiologie, vie partielle, biologie synthétique, bio-art, hybridation, cybernétique, auto-organisation,

éthique.

KEYWORDS. Xenobiology, partial life, synthetic biology, bio-art, hybridization, cybernetics, self-organization, ethics.

1. Introduction

La France a accueilli en 2018-2019 trois événements liés au vivant et situés à la croisée des arts et

des sciences : la publication du livre de Marie-Christine Maurel et Michel Cassé, Xénobiologie. Vers

d’autres vies (Odile Jacob, 2018) ; une exposition au Centre Pompidou, La Fabrique du vivant (20

février - 15 avril 2019), troisième édition de la manifestation « Mutations/Créations », qui « propose

de retracer une archéologie du vivant et de la vie artificielle dans la création artistique » 1 ; une

exposition au Musée national Adrien Dubouché à Limoges, Formes vivantes 2 (9 octobre 2019 - 10

février 2020). Un traitement conjoint de ces trois entreprises nous parait justifié dans la mesure où

elles témoignent toutes d’intérêts convergents pour le vivant, non seulement tel qu’il se présente sur

1 S. Lasvignes, B. Blistène et F. Madlener, préface du catalogue La Fabrique du vivant, éditions du Centre Pompidou, éditions HYX

– 2019.

2 Article en ligne de Jean-Charles Hameau et Kimberley Harthoorn, « Formes vivantes » (OpenScience, 16 mai 2019).

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Terre, dans ses formes réelles présentes ou passées, mais aussi tel qu’il pourrait exister ailleurs dans

l’univers, tel que les mythes et la littérature l’ont décrit, enfin tel que les arts l’ont observé, imaginé

et représenté tout au long de l’histoire.

Nous prendrons appui sur les approches spécifiques des organismes et systèmes vivants par les

pratiques contemporaines de la biologie d’une part, des arts, du design et de l’architecture d’autre

part. Nous tenterons ainsi de préciser la nature et les limites de ces approches théoriques et

expérimentales, nous risquerons quelques considérations d’ordre sémantique au regard de ce qui est

dit « vivant » et « humain », et nous ferons état de nos espoirs comme de nos craintes concernant

leurs devenirs.

2. Xénobiologie

Le livre Xénobiologie, de la biologiste Marie-Christine Maurel et de l’astrophysicien Michel

Cassé, est sous-tendu par une vaste ambition, aussi rigoureuse que poétique : embrasser l’ensemble

des connaissances scientifiques actuelles sur les conditions de possibilité de la vie, dans toutes ses

formes connues sur Terre, mais aussi ailleurs dans l’univers, comme le suggère le terme

xénobiologie (littéralement, étude des formes de vie étrangères). Pour relever ce défi, les auteurs ont

porté leurs regards sur trois terrains : le cosmos, la Terre, le laboratoire. De la composition physicochimique

du cosmos, ils font ressortir les molécules organiques complexes qui pourraient avoir

ensemencé notre planète. À partir des divers scénarios en vigueur, ils dressent un bilan des

certitudes et des hypothèses sur les mécanismes évolutifs. Des formes actuelles du vivant, ils

déduisent ce qui fait l’originalité de la vie sur Terre. Enfin, au cœur des laboratoires, ils passent au

crible la biologie de synthèse, ses enjeux, ses acquis et ses dangers.

De l’inerte au vivant

Les nouvelles possibilités génétiques de transformation du vivant, voire de création de novo de

cellules vivantes, ébranlent les distinctions traditionnelles entre le vivant (physico-biochimique) et

l’inanimé (physico-chimique) et entre le naturel et l’artificiel.

Qu’il s’agisse de rendre compte des origines de la vie, des étapes de son évolution ou des

expériences contemporaines visant à l’imiter, elle est de plus en plus souvent appréhendée en termes

de continuum : l’évolution va de l’abiotique au pré-biotique, puis au proto-biotique, enfin au

biotique (la vie pleinement vivante) ; la biologie de synthèse, elle, rend le naturel de plus en plus

artificiel. Ce continuum, l’astrophysique nous invite à le penser encore bien au-delà de ses

manifestations terrestres : jusque dans les étoiles – en particulier la nôtre, l’indispensable Soleil – et

le « vide » cosmique dans lequel elles baignent. Effarés autant qu’émerveillés, nous découvrons à

chaque page de nouvelles facettes de cet univers que le big bang semble avoir lancé dans une

dilatation sans fin : feu, glaces, poussières et vide quantique frémissent d’énergie et de matière dont

nous ne connaissons qu’une infime partie – comme pour les espèces vivantes, dont nous n’avons

répertorié que 1 à 3% de celles présentes sur Terre de nos jours, lesquelles représentent environ 1%

de toutes celles ayant existé depuis l’apparition de la vie, et dont une grande partie ont disparu avant

d’avoir pu être découvertes.

L’arbre du vivant de ces dernières années ressemble bien peu à ses prédécesseurs des siècles

passés, dont la structure évoquait en effet un arbre pourvu de racines, de troncs et de rameaux. C’est

surtout du côté des origines que la classification a été remaniée : écartée, la sacro-sainte division

binaire entre Procaryotes (unicellulaires sans noyau) et Eucaryotes (uni- ou pluricellulaires aux

cellules généralement pourvues d’un noyau et souvent d’organites). La diversité du vivant

s’envisage désormais comme une effloresence à partir d’un centre énigmatique, et sur un mode

trinitaire : Bacteria, Archaea, Eucarya – la classification actuelle des Archées étant en pleine

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évolution. N’oublions pas cependant que cette diversité caractérise aussi le corps humain. Comme le

rappelle Marie-Christine Maurel, Homo sapiens contient une multitude d’organismes associés à des

virus et/ou des microbes : « L’être vivant ainsi défini, augmenté par mutualisme et non par greffes

technologiques, n’est pas un cyborg 3 organique mais une unité écologique qui s’origine dans les

profondeurs de l’évolution et de son histoire 4 . »

L’évolution du vivant se caractérise par sa structure buissonnante et le foisonnement de ses

formes – non seulement celles des organismes constitués mais bien en amont déjà, au niveau des

molécules et même de leurs atomes. Plusieurs conditions physico-chimiques devaient être réunies

pour que la vie puisse apparaître sur Terre, s’y maintenir et évoluer : une géochimie volcanique ;

une atmosphère aux températures et aux pressions modérées, perméable aux rayonnements

cosmiques ; une chimie diversifiée, notamment grâce aux chutes de météorites et à de fructueuses

collisions avec des comètes. À travers ses récents développements (xénobiologie, exobiologie,

biologie de synthèse), la biologie se tourne aujourd’hui vers ce passé inaccessible, mais aussi vers le

futur imprévisible de la vie artificielle.

Concernant la vie connue sur Terre, plusieurs scénarios pré-biotiques ont été proposés : des

impacts météoritiques auraient pu fournir les acides aminés nécessaires à la constitution des

premières microcellules. Les conditions géochimiques favorables à leur émergence auraient pu être

réunies en surface (petites mares tièdes, cristaux d’argile…) ou en profondeur (sources chaudes

hydrothermales). Les simulations de ces processus en laboratoire confortent l’idée que la vie

terrestre serait apparue non pas une seule fois mais à de nombreuses reprises. Cependant, les

mécanismes par lesquels ces proto-organismes se sont dupliqués et reproduits – conditions

nécessaires à l’évolution – ne sont pas encore élucidés. Les processus évolutifs eux-mêmes invitent

à considérer le monde vivant comme inachevable, dans une suite ininterrompue d’extinctions et de

renaissances.

D’autres formes de vie

À la recherche de formes de vie étrangères à celles connues sur Terre, donc différentes par leurs

structures et leurs fonctions (tant somatiques que génétiques), l’exobiologie a d’ores et déjà inventé

de nouvelles méthodes d’analyse pour les répertorier. Plus de 4100 exoplanètes ont été recensées à

ce jour, qui pourraient remplir bon nombre des conditions nécessaires à l’apparition de la vie telle

que nous la connaissons. Mais est-ce raisonnable de chercher à penser l’inconnu à partir du connu ?

N’est-ce pas plutôt aux conditions nécessaires à l’apparition de la vie telle que nous ne la

connaissons pas, que devraient s’intéresser les chercheurs ? Pourront-ils relever ce défi quasi

surhumain ?

C’est du côté des nouvelles formes de vie – synthétiques ou semi-synthétiques – que les avancées

sont les plus prometteuses… et les plus menaçantes.

En se fondant sur les recherches les plus récentes concernant les débuts de la vie sur Terre, la

biologie de synthèse a créé de nouveaux génomes dont certains ont été insérés dans des organismes

naturels. Les êtres vivants ainsi obtenus sont des sortes de chimères qui relèvent à la fois de la

biologie ordinaire et de la xénobiologie. Présentées comme les promesses majeures du génie

génétique, ces vies de synthèse sont destinées à améliorer le sort de l’humanité en contribuant à

vaincre la faim dans le monde et les principales maladies qui affectent la santé humaine. Par quels

3 Cyborg : organisme cybernétique, hybride de machine et de vivant, créature de la réalité sociale comme personnage de roman

(définition de Donna Haraway, 1991).

4 Marie-Christine Maurel, Xénobiologie, op. cit., p. 31.

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mécanismes ? Le génie génétique modifie l’ADN de certaines bactéries, les transformant ainsi en

usines biologiques. Ces bactéries dites recombinantes, sont alors capables de produire des protéines

humaines aux effets thérapeutiques (hormones, facteur de coagulation, etc.). En outre, la chirurgie

génomique permet d’éliminer certains agents pathogènes, d’inventer de nouveaux traitements

(DMLA, sida), de stimuler les rendements agronomiques ou la ponte des volailles et même de

recréer des espèces perdues. Le CCNE (Comité Consultatif National d’Éthique) a cependant

souligné les dangers de ces biotechnologies 5 : « La connaissance et la compréhension croissantes du

génome ouvrent la voie à des méthodes de plus en plus spécifiques et sophistiquées d’intervention

sur l’ADN humain, ce qui n’est pas sans soulever de vastes questionnements éthiques tant dans le

domaine des cellules somatiques (thérapie génique cellulaire) que de celui des cellules

reproductrices ou de l’embryon (thérapie génique germinale). »

Les synthèses d’organismes vivants mi-artificiels, mi-naturels par imitation de processus naturels

et hybridation d’éléments naturels et artificiels font en effet de leurs auteurs des apprentis-sorciers –

un risque brièvement évoqué par les auteurs – et il est à craindre que des chercheurs sans scrupules

ne reconnaissent de limites à leur libido sciendi que celles imposées par les techniques du moment,

dont la constante évolution ne cesse d’élargir le champ réel des expérimentations.

Claude Bernard le disait déjà en 1867 (deux ans après la découverte des lois de l’hérédité par

Gregor Mendel, alors que le gène n’était encore qu’un concept abstrait) : « Je pense en un mot […]

que nous ferons apparaître des formes organisées qui existent virtuellement dans les lois

organogéniques, mais que la nature n’avait pas encore réalisées. » La formulation de Claude

Bernard, « des formes organisées qui existent virtuellement dans les lois organogéniques », justifie

par avance les nouvelles formes vivantes susceptibles d’être fabriquées, en les admettant au sein de

la Vie en général, sans distinguer à cet égard entre le naturel et l’artificiel. Claude Bernard se montre

ici à la fois très moderne – il anticipe le processus contemporain d’effacement des frontières entre

l’organique et le minéral, le naturel et le synthétique – et tout à fait de son temps – il ne peut

imaginer qu’une nouvelle forme vivante soit autre chose que l’actualisation d’une virtualité

préexistante. Autrement dit, il ne peut concevoir des vies radicalement « autres ».

3. Fabriques du vivant

Les autres vies étudiées, synthétisées ou postulées par la xénobiologie, sont aussi l’objet de

certaines formes d’art, qui font évoluer la notion de « vivant » en travaillant avec de nouveaux états

intermédiaires d’artificialité. En témoignait récemment la fascinante exposition du centre Pompidou

La Fabrique du vivant (20 février - 15 avril 2019) où l’on pouvait voir les œuvres récentes d’une

cinquantaine de créateurs (artistes, designers, architectes), ainsi que des travaux de laboratoires

scientifiques.

Dans son article liminaire du catalogue La Fabrique du vivant, Marie-Ange Brayer met d’emblée

le doigt sur ce qui empêche désormais d’opposer les arts et les sciences, dès lors qu’ils concernent le

vivant : « Aujourd’hui, à l’ère du numérique, la création se donne dans une interaction avec le

domaine des sciences du vivant, la biologie synthétique, les sciences de l’informatique et les

sciences cognitives 6 . » Nous nous proposons ici d’explorer les diverses modalités de cette

interaction ainsi que leurs conséquences théoriques et pratiques dans tous les domaines concernés.

5 Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Avis 124 : « Réflexion éthique sur l’évolution

des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN humain à très haut débit. » Avis rendu public le 21 janvier 2016.

6 Marie-Ange Brayer, « La fabrique du vivant » dans La fabrique du vivant. Mutations / Créations. Éditions du Centre Pompidou,

éditions HYX – 2019.

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D’une manière générale, les visées contemporaines de l’art et des sciences du vivant convergent,

voire s’entrecroisent, la biologie de synthèse créant de la « vie artificielle » et le bio-art s’inspirant

des processus dynamiques du vivant. Ces convergences se manifestent à plusieurs niveaux et de

différentes façons.

Multiplication des possibles

En xénobiologie comme dans les arts qui imitent, représentent ou transforment le vivant, il s’agit

autant de multiplier les possibles que d’en contrôler l’expression. Les biologistes multiplient les

possibles en simulant les conditions physico-chimiques ayant conduit à l’émergence de la vie sur

Terre, en créant de nouveaux acides nucléiques voire de nouvelles formes de vie biosynthétiques, et

en recréant des espèces vivantes disparues ; les artistes, artisans et designers, en façonnant des objets

qui représentent ou font écho à certaines formes vivantes 7 , en créant des systèmes partiellement

vivants voire de nouveaux systèmes cognitifs mixtes. Concernant les formes inspirées par le vivant,

l’art contemporain de la céramique témoigne d’un riche imaginaire organique 8 et de savoirs

empiriques sur les interactions entre forme et matière, qui rejoignent les études scientifiques sur la

morphogenèse. Quant aux productions d’entités semi-vivantes, elles peuvent être contrôlées en

amont (par programmation, numérisation, impression 3D) ou en aval (par intervention sur les

caractéristiques physiques de l’environnement). Quoi qu’il en soit, l’extension du domaine du vivant

dépend toujours de la mise en œuvre de nouvelles biotechnologies, parfois utilisées de manière

conjointe.

Dans la fabrique génétique du vivant, l’adage « un gène, une protéine » a longtemps prévalu,

mais c’est la découverte qu’un même gène peut coder des protéines différentes selon le type de

cellules où il s'exprime (années 1970), qui a permis de rendre compte de l’immense diversité des

molécules. Dans la fabrique artistique du vivant, de nombreux objets de design et projets

architecturaux sont eux aussi multifonctionnels, dans une perspective souvent écologique : c’est le

cas des architectes français Anouk Legendre et Nicolas Desmazières 9 , dont les constructions, loin

d’être passives, produisent de l’énergie (par la photosynthèse ou le photovoltaïque) et récupèrent les

déchets ou les eaux usées en vue d’autres usages. C’est également vrai pour la designer Neri

Oxman 10 , qui fabrique des objets et des bâtiments à la fois durables et biodégradables, à partir de

biomatériaux constitués de micro-organismes transformés de manière synthétique et qui

interagissent avec les paramètres physiques de leur environnement – comme son œuvre Silk

Pavilion, « construction vivante » élaborée par des milliers de vers à soie. D’autres artistes se situent

sur un terrain plus philosophique, et questionnent la définition même du vivant ou le statut de

l’humain dans un monde envahi par le numérique.

7 Jean-Charles Hameau et Kimberley Harthoorn, op. cit.

8 Jean-Charles Hameau et Kimberley Harthoorn, op. cit, sur les on rétions florales de ohan Creten les grotesques agglutinés de

i hel ouér les bestiaires émaillés de ean irel et les micro-organismes d'Arnold Annen.

9 Nicolas Desmazières et Anouk Legendre ont fondé en 2000 l’agen e d’ar hite ture et de design XTU Ar hite ts. Ave leur

équipe ils conçoivent des projets architecturaux en lien avec les sciences et la biologie dans une perspective écologique.

10 Neri Oxman travaille à la croisée du design computationnel, de la fabrication numérique, de la science des matériaux et de la

biologie synthétique. Au sein du MIT Media Lab à Boston, elle a créé le laboratoire de recherche The Mediated Matter Group.

Elle a inventé le concept de Material Ecology, qui fait de la fabrication, du calcul numérique et du matériau lui-même,

appréhendé comme « logiciel », des éléments inséparables du design. Son œuvre Silk Pavilion (2013) a été réalisée au MIT.

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Continuités et hybridations

L’interpénétration des domaines du vivant/sujet et de l’artificiel/objet concerne des champs très

variés : littérature et sciences humaines, arts plastiques, informatique, sciences de la matière et de la

vie. Elle les a transformés de manière spécifique et à des périodes historiques différentes.

Dans l’imaginaire traditionnel de la plupart des peuples autochtones, la matière inorganique n’a

jamais été opposée à la matière vivante, chacune étant susceptible de devenir l’autre. Dans le monde

latin antique, Les métamorphoses d’Ovide témoignent abondamment de cette plasticité. Plus

récemment en Occident, le golem (en hébreu, « informe » ou « inachevé ») est, dans la mystique et

la mythologie juives, un être artificiel généralement humanoïde, fait d’argile, muet et dépourvu de

libre-arbitre, façonné afin de servir son créateur. Dans une version populaire de sa légende, il naît de

la terre glaise après que quatre sages, figurant les quatre éléments, lui ont transmis leurs attributs ;

sur son front figure le mot emet (« vérité ») qui devient, lorsque sa première lettre est effacée, met

(« mort ») : l’homme artificiel est retourné à la poussière. Selon quelques auteurs, la figure du golem

aurait pu inspirer certaines créatures de l’imaginaire moderne (monstre de Frankenstein, Superman).

Dans le monde scientifique du XX ème siècle, le golem a également été source d’inspiration, par

exemple pour Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique (1940-1960) 11 . Avec la notion de

rétroaction (feedback), Wiener a tenté d’unifier les domaines émergents de l'automatique,

l'électronique et la théorie mathématique de l'information ; dans son article « Pure Patterns in a

Natural World » 12 , il a cherché à unifier l’art et la science ; enfin, dans son dernier ouvrage

intitulé God & Golem 13 , il a décrit conjointement « la machine dans son rapport à l’humain et

l’humain lui-même comme machine possible, comme devenir-Cyborg » 14 . Wiener était

intellectuellement tenté par ces figures qui révélaient le statut paradoxal de l’être humain,

plongé « entre nature et technique, entre Dieu et Bête » 15 , mais il était tout autant effrayé par la

monstruosité de ce post-humain, qu’il avait pourtant contribué à penser.

L’art contemporain va redécouvrir et mettre à l’honneur l’idée ancienne de continuité entre le

vivant et le non-vivant, pour le coup beaucoup moins inerte que ce qu’en disait la science des siècles

passés. Le céramiste Daniel de Montmollin (né en 1921) envisage ainsi l’art de la poterie comme

« la confluence entre le minéral et le vivant, révélant, à l échelle atomique, les processus d une

“biologie transfigurée” » 16 . Les céramistes, frappés par les ressemblances et la porosité qu’ils

observent entre matières minérales et organismes vivants, vont jusqu’à mettre en doute les

catégories autrefois séparées de vivant et de non-vivant, témoignant ainsi d’un « nouvel imaginaire

du vivant ». Et depuis la fin des années 1960, les productions du bio-art témoignent elles aussi de

cette continuité.

11 Norbert Wiener (1894-1964), La cybernétique : Information et régulation dans le vivant et la machine (trad. de l'anglais par

Ronan Le Roux, Robert Vallée et Nicole Vallée-Levi), Seuil, 2014, « Introduction ».

12 Norbert Wiener, « Pure Patterns in a Natural World » atalogue de l’exposition The New Landscape in Art and Science, éd. G.

Kepes, Boston, 1956.

13 Norbert Wiener, God & Golem Inc. Sur quelques points de collision entre cybernétique et religion, éd. de l’Éclat, 2001 (rééd.

2016 : Préface de Charles Mopsik. En postface : « Le Golem de Prague et le Golem de Rehovot » (1965) par Gershom Scholem.

Traduit de l’anglais par Christophe Romana & Patri ia Farazzi).

14 Sara Touiza-Ambroggiani, Golem et Cyborg dans l’imaginaire cybernétique de Norbert Wiener. Conférence organisée par

Figura, le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire. Montréal, Université du Québec à Montréal, 31 octobre 2017.

15 Sara Touiza-Ambroggiani, ibid.

16 Jean-Charles Hameau et Kimberley Harthoorn, « Formes vivantes », op. cit.

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En 1968, le sculpteur, théoricien et critique Jack Burnham (1931-2019) définit le système comme

un « complexe de formes visibles et invisibles dans une relation stable » 17 , brouillant ainsi la

distinction entre sujet et objet, et entre système vivant et pratique artistique ; il déclare même que la

sculpture sera bientôt remplacée par des systèmes simulant le vivant. En 1971, dans son œuvre

Microorganism Enclosure, Alan Sonfist 18 capture des bactéries et des champignons dans un

environnement fermé, désormais programmé par l’évolution des phénomènes naturels de croissance

et décomposition, et au sein duquel sujet et objet se confondent.

Dans cette « fabrique du vivant », les substrats vivants des œuvres sont surtout des microorganismes,

du mycélium de champignons ou des plantes ; très rarement des animaux vivants – à

l’exception notable du lapin fluorescent GFP Bunny (2000) d’Eduardo Kac, promoteur de l’art

transgénique 19 . L’humain lui-même n’y est représenté que par quelques lignées cellulaires…,

jusqu’au début des années 1990, lorsque le sociologue du design Ezio Mazzini propose de remplacer

la frontière séparant le sujet de l’objet par des « membranes osmotiques » 20 , ouvrant ainsi la voie au

« neurodesign » dans lequel l’objet (désormais intrinsèquement lié au sujet) émanerait d’un

« continuum d’interactions entre le cerveau humain et ses artefacts technologiques, basé sur le

biofeedback neuronal et la digitalisation de la cognition humaine 21 . » D’autres chercheurs

poursuivent ce type d’expérimentations et en 2008, une équipe britannique de l’université de

Reading développe « Gordon », un robot hybride animal/machine contrôlé par un cerveau composé

de neurones de rats cultivés.

Au début du XXI ème siècle, les expérimentations artistiques d’hybridations se multiplient : en

2000, les artistes Oron Catts et Ionat Zurr élaborent des entités « partiellement vivantes » 22 , qui

estompent la différence entre sujet et objet, ou entre solide et liquide. L’originalité de ces œuvres est

que leur « vie » nécessite une forme d’assistance/maintenance qui s’apparente à des soins (« rituels

d’alimentation ou de mise à mort »). En 2018, le designer Hongjie Yang, aspirant à transcender la

frontière entre vivant et artificiel à travers des objets hybrides, crée un Semi-Human Vase constitué

de cellules humaines implantées sur une structure imprimée en 3D. « Ces créations représentent,

selon lui, une « “nouvelle vision du sublime” qui suscite autant l’admiration que l’effroi devant la

connexion étrange entre le soi et l’objet 23 . » Un cap supplémentaire a été franchi : il ne s’agit plus de

micro-organismes ou de fragments de plantes, mais de cellules d’origine humaine. Celles-ci sont

certes utilisées depuis longtemps en médecine biologique (cultures de tissus, fécondation in vitro,

etc.). Mais la notion de « sublime semi-humain » pose pour le moins question, quelle que soit sa

17 Jack Burnham, Beyond Modern Sculpture. The Effects of Science and Technology on the Sculpture of this Century, George

Braziller, New York, 1968, p. 372.

18 Alan Sonfist, Microorganism Enclosure 1971. Photographie de l’installation dans . Benthall Science and Technology in Art

Today, Londres, Thames & Hudson, 1972, p. 16.

19 La fabrique du vivant, op. cit., « GFP Bunny », p. 175.

20 Ezio Manzini, Artefacts. Vers une nouvelle écologie de l’environnement artificiel. Paris, Centre Georges Pompidou, Les Essais,

1991, p. 30.

21 Voir Pierre Cutellic, Fabien Lotte, eCAADe Computation and Performance, TU Delft, ed. R. Stouffs, S. Sariyildiz, 2013.

22 Oron Catts, Ionat Zurr & Guy Ben-Ary, « Que/qui sont les êtres semi-vivants créés par Tissue Culture & Art », dans L’art

biotech’ Filigranes éd. 2003. Les Tissue Culture & Art(ificial) Wombs, Semi-Living Worry Dolls (2000) sont des entités « semivivantes

», inspirées de poupées amérindiennes, premières sculptures d’ingénierie tissulaire présentées vivantes dans une

institution.

23 La fabrique du vivant, op. cit., « Hongjie Yang », p. 234.

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justification : philosophique (effacer la frontière entre le vivant humain et l’artificiel) ou esthétique

(atteindre une beauté d’ordre « transcendant »). Dans la même veine, la bio-artiste Špela Petrič

interroge la relation entre système vivant et non-vivant. Pour réaliser son œuvre Ectogenesis : Plant-

Human Monsters (2016) 24 , elle a mélangé des embryons végétaux avec des hormones humaines,

modifiant ainsi la structure épigénétique de la plante, qui a développé une morphologie étrange

voire monstrueuse.

Face à ces œuvres dérangeantes qui visent – et parfois atteignent – tantôt au sublime, tantôt au

monstrueux, chacun est renvoyé à ses propres perplexités touchant aux limites du vivant et à la

finalité de l’art.

4. Quel statut pour les « vies partielles » ?

Des œuvres autonomes

En science comme en art, travailler avec le vivant a toujours impliqué d’être confronté à sa part

imprévisible – que l’approche statistique peut réduire mais ne supprime pas. Dans leur désir de

connaître le monde (vivant et non-vivant) jusqu’à s’en rendre « maîtres et possesseurs », les

scientifiques l’ont profondément transformé, et continuent de le faire à un rythme de plus en plus

rapide. Vers la fin du XIX ème siècle, l’utilisation de la génétique à des fins esthétiques (plantes

hybrides ornementales) a étendu cette emprise sur la nature à des formes sublimées du vivant.

Désormais, au regard des arts plastiques et dans leur matérialité, les formes vivantes ne sont plus

seulement des sources d’inspiration pour les peintres et les sculpteurs, mais atteignent elles-mêmes

au statut d’œuvres.

En contrepoint à l’idéal de la maîtrise et du contrôle qui avait gouverné les arts et les sciences

jusqu’au début du XX ème siècle, les tenants du modernisme se sont davantage intéressés à la

dimension auto-organisatrice du vivant – également célébrée par Gaston Bachelard dans La Terre et

les rêveries de la volonté (1948) : « Tout m’est pâte, je suis pâte à moi-même, mon devenir est ma

propre matière, ma propre matière est action et passion, je suis vraiment une pâte première. » Dans

les années 1930, les chercheurs, artistes et architectes des avant-gardes étudient l’auto-génération

des formes cristallines et dans les années 1960, quelques artistes, proches de l’art cinétique, se

saisissent d’outils technologiques pour créer des systèmes autonomes. L’artiste Gustav Metzger met

ainsi en œuvre un « art auto-créatif » (pendant de son « art auto-destructif » de 1959), dans lequel

« il adopte comme principe, l’autonomie du processus à l’égard de celui qui l’initie et sa

transformation imprévisible dans la durée en “permanente (auto)genèse” 25 » – par exemple, en

expérimentant sur les effets colorés de cristaux liquides modifiés par la température. En 1972, dans

le sillage des notions de « système ouvert » (Ludwig von Bertalanffy) puis de « rétroaction »

cybernétique (Norbert Wiener), au cours d’un séminaire de recherche de l'Université de Santiago, le

neurobiologiste et spécialiste des sciences cognitives Francisco J. Varela présente avec Humberto

Maturana le concept d’« autopoïèse » 26 , que Varela précisera dans son livre Autonomie et

24 Ectogenèse : gestation dans un utérus artificiel.

25 Thierry Raspail, « ustav etzger l’auto- réation… », dans Mathieu Copeland (dir.), Gustav Metzger : auto-creative art, p.4.

Catalogue d’exposition (L on usée d’art ontemporain 15 février – 14 avril 2013) L on usée d’art ontemporain de L on ;

Lagny-sur-Marne, Mathieu Copeland éditions ; Dijon, Les Presses du Réel, 2013.

26 Autopoïèse (définition simplifiée) : propriété d'un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec

son environnement, et ainsi de maintenir son organisation (structure) malgré son changement de composants (matériaux).

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connaissance 27 . Dans la même mouvance, au MIT’s Architecture Machine Group, dirigé par

Nicholas Negroponte (1967-1985), certaines œuvres s’auto-engendrent au sein d’un environnement

avec lequel elles interagissent – comme la machine Seek 28 , qui reconstruit inlassablement un terrain

de jeu aménagé pour de petits rongeurs. En 2016, Philippe Parreno active une installation

monumentale à la Tate Modern, Anywhen, contrôlée de manière aléatoire par un logiciel réagissant

aux influx électriques de levures contenues dans un bioréacteur caché sur place. Ici, c’est

l’exposition tout entière qui s’auto-organise. « L’exposition conçue par Parreno est un organisme

hybride qui existe, quelque part, au croisement de la mécanique et de la biologie, de l’électronique

et de la nature, de la musique et de l’image, entre l’artiste et son public 29 . »

En faisant de l’autonomie et de l’auto-engendrement, des caractéristiques souhaitables de leurs

œuvres systémiques, certains artistes se sont partiellement dessaisis du contrôle qu’ils exerçaient sur

leurs productions. Ils assument ce renoncement au nom d’une nouvelle esthétique évolutive,

inspirée par le vivant, et qu’ils valorisent davantage que les esthétiques figées du passé.

Nommer ce qui existe

On observe depuis quelques décennies une réticence croissante chez les biologistes comme chez

les bio-artistes, à utiliser la notion de vie. Des spécialistes des origines de la vie déclarent même

qu’ils n’en savent pas grand-chose 30 et se réfèrent plus volontiers aux formes de vie (ibid.), une

dénomination assurément moins essentialiste. Dans le catalogue de l’exposition La fabrique du

vivant, les artistes cités ont tous remplacé vie par vivant, comme si la notion de vie charriait encore

un transcendantalisme révolu. Mais voici que vivant est menacé à son tour : « La robotique

collaborative, l’intelligence artificielle et la simulation numérique sont sur le point d’engendrer de

nouveaux modèles cognitifs qui rendront obsolète la notion de vivant 31 . », sauf à le réduire à sa

matérialité machinique ou synthétique : « Le vivant synthétique donne forme et s’hybride avec la

Machine vivante dans un renversement surprenant et parfois sépulcral 32 . » Les termes de vivant

synthétique et de machine vivante ne sont plus des oxymores… Reste le terme d’organisme, lui

aussi matérialiste à souhait. L’artiste, designer et critique Alexandra Daisy Ginsberg propose

d’ailleurs de « concevoir des organismes de la même manière que nous dessinons des produits 33 . »

Concevoir des organismes, serait-ce plus éthiquement correct que créer des êtres vivants ? Il semble

bien loin, l’être vivant jadis étudié par les naturalistes et célébré par les poètes. Aujourd’hui, amputé

27 Fran is o . Varela Humberto aturana et R. Uribe “Autopoiesis: The Organization of Living S stems its Chara terization and

a odel” Biosystems, vol. 5, 1974, p. 187. Cf. H. Maturana et F. Varela, Autopoiesis and Cognition: The Realization of the Living

(Appendi e: “The Nervous S stem”) Boston D. Reidel 1980. F. J. Varela, Autonomie et connaissance, Essai sur le Vivant, Paris,

Seuil, 1989 (1980).

28 Seek de Nicholas Negroponte : installation présentée pour la première fois en 1970 à New York, au Jewish Museum. Vidéo

visible sur https://d-503.com/seek/.

29 « Anywhen, ou la métamorphose du Turbine Hall, Tate Modern, par Philippe Parreno », Connaissance des arts, 15.02.2017.

30 Cf. Marie-Christine Maurel et Michel Cassé : « Mais sait-on au moins ce que signifie la vie ? Tout au plus on la vit. Nous n’en

savons pas plus de la vie que l’oiseau du vol mais nous volons. », dans Xénobiologie. Vers d’autres vies, op. cit., p. 18.

31 Marie-Ange Brayer, « La fabrique du vivant », op. cit., p. 75.

32 Olivier Zeitoun, « Sculpter le vivant », catalogue La fabrique du vivant, op. cit., p. 88.

33 Alexandra Daisy Ginsberg, « Design as the Machines Come to Life », dans Alexandra Daisy Ginsberg, Jane Calvert, Pablo

Schyfter, Alistair Elfick, Drew Endy, Synthetic Aesthetics. Investigating Synthetic Biology’s Design on Nature, Cambridge, Mass.,

Londres, The MIT Press, 2014.

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de son être, c’est un vivant chosifié. Quant à la notion de sujet (humain), elle tend à disparaître en

tant que telle, au profit des divers sujets-objets élaborés par les artistes comme par les scientifiques.

Un exemple spectaculaire de ce type de mélanges est fourni par l’artiste Pamela Rosenkranz avec

son monochrome « vivant » Skin Pool 34 , qui présente le sujet humain comme « une trace fluide », un

composé organique indissociable des matériaux synthétiques avec lesquels il se confond.

Questions éthiques

Si nous nous adressons de manière plus frontale aux aspects éthiques des recherches et des

créations sur le vivant, le paysage est contrasté. Dans les sciences du vivant, les avancées médicales

et agronomiques des biotechnologies, qui promettent d’améliorer globalement la condition humaine,

vont de pair avec des incertitudes sur lesquelles le CCNE a attiré l’attention (cf. supra). Au sein des

arts du vivant, le cas particulier de la céramique, située à la croisée de l'art, de l ingénierie et de la

biologie, milite en faveur d’une continuité entre l’inorganique et le vivant, qui nous permet

d’« entrevoir des rapports d’empathie avec les autres membres de la communauté du vivant 35 . »

Cependant, dans le catalogue La fabrique du vivant, les textes présentant les bio-artistes soucieux

d’éthique, expédient ce versant de leurs travaux en quelques formules standardisées : les œuvres des

artistes, designers et architectes en question, sont censées « interroger » la définition du vivant, la

nature du vivant modifié, la place de l’humain ou encore, ce que signifie être humain. Seule l’artiste

Julia Lohmann 36 , qui conçoit son travail comme un « baromètre éthique », a droit à une présentation

plus fournie en la matière : « Elle enquête et cherche à critiquer les systèmes de valeurs éthiques à la

base de la relation entre l’homme et la nature. […] Lors d’une résidence au Victoria & Albert

Museum de Londres, elle crée le Department of Seaweed, une plate-forme transdisciplinaire tournée

vers l’exploration des algues marines en tant que ressource durable. » Dans son article déjà cité,

Marie-Ange Brayer se demande (p. 72) : « Si les outils numériques de simulation générative

autorisent la recréation du vivant, la question qui se pose désormais, est : Comment programmer le

vivant ? » Autoriser la recréation du vivant : le terme est employé ici au sens restreint de permettre

techniquement. Mais qu’en est-il du bien-fondé éthique de cette « recréation » et de l’idée, déjà

partiellement mise en œuvre, de « programmer le vivant » ? Cette question rejoint celle posée par

l’historien d’art et curateur Emanuele Quinz 37 sur le statut du « vivant » dans les démarches

artistiques qui s’inspirent des modèles cybernétiques et font cohabiter dans un même « écosystème »

éléments organiques et inorganiques.

En 1991, Ezio Manzini déclarait : « Essayons d’imaginer […] des objets qui, comme un arbre,

soient appréciés pour ce qu’ils sont autant que pour ce qu’ils font, des objets qui rendent un service

et réclament des soins 38 . » Ce que demande ici Manzini, c’est que nous, humains conscients de notre

34 Skin Pool (2019, collection du Mnam-Cci, Centre Pompidou) : bassin ir ulaire en a ier et PVC omposé d’eau de ellulose de

peinture acrylique et de colorant alimentaire. Le liquide monochrome, qui interagit avec les mi robes présents dans l’air ambiant

et eux agités par les spe tateurs hange sans esse de ouleur et d’aspe t et renvoie l’humain à sa nature organique et

métabolique.

35 Jean-Charles Hameau et Kimberley Harthoorn, op. cit.

36 Julia Lohmann : travaille ave des matériaux inhabituels d’origine souvent animale ou végétale (algues estoma papier et .).

La fabrique du vivant, op. cit., p. 184.

37 Emanuele Quinz, « Préface. Conceptual focus » dans Jack Burnham et Hans Haacke, Esthétique des systèmes, Les Presses du

Réel, 2015, p. 25.

38 Ezio Manzini, Artefacts. Vers une nouvelle écologie de l’environnement artificiel, Paris, Centre Georges Pompidou, Les Essais,

1991, pp. 181-182.

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humanité, devenions capables d’aimer les objets auxquels nous prêtons une ontologie. Cette

demande est-elle si exorbitante ? N’avons-nous pas assisté il y a quelques décennies à un

engouement planétaire pour les Tamagotchis, ces animaux de compagnie virtuels ? Et ne

considérons-nous pas nos ordinateurs portables comme des partenaires de vie dont nous chérissons

les performances (« ce qu’ils font ») et l’apparence (« ce qu’ils sont ») ? N’aimons-nous pas leur

esthétique et leur légèreté, et ne blâmons-nous pas leurs défauts (lenteur, bugs), considérés

quasiment comme des maladies ?

Tout comme la xénobiologie, les arts du vivant proposent, bricolent et accueillent d’autres vies.

Or ces vies nouvellement découvertes ou fabriquées, ne sont pas indépendantes de nos propres vies

– de la structure de nos organismes jusqu’aux vies que nous menons en tant que telles, et en

interaction avec les autres existants qui peuplent la Terre. Ce dernier point a conduit plusieurs

penseurs contemporains à revaloriser le statut de non-humain.

Bruno Latour prend les non-humains très au sérieux. Dans son Enquête sur les modes

d’existence 39 , il considère qu’avec le développement des sciences et des techniques, les

attachements entre humains et non-humains étant devenus de plus en plus intimes, il s’agit de penser

vraiment ces nouveaux rapports et d’en faire dialoguer les divers actants. Il va même jusqu’à

souhaiter la création d’un « parlement des choses », dans lequel celles-ci seraient représentées par

des personnes qualifiées dans un domaine particulier, tout comme les députés représentent

aujourd’hui les citoyens. Donna Haraway montre à travers la métaphore du cyborg 40 que des choses

qui semblent naturelles, comme le corps humain, dépendent en fait de ce que nous en pensons. Cette

idée, évidemment intéressante pour le féminisme, l’est aussi en tant que critique de l’opposition

entre naturalité et artificialité, le cyborg étant un être mixte. Peter Sloterdijk, quant à lui, propose de

passer de la « philosophie », de la vieille Europe, à la « biosophie » 41 , qui considère la vie comme ce

qui ne cesse de devenir en s’auto-organisant, grâce aux systèmes immunitaires permettant l’attaque

et la défense. Sloterdijk appelle de ses vœux une théorie générale des systèmes immunitaires et des

systèmes communs afin de mieux penser divers modes de coexistences et de partages entre humains

et non-humains, et d’une façon générale entre natures et cultures. Citons enfin Philippe Descola, que

préoccupent les bouleversements systémiques de l’écosystème terrestre (êtres humains inclus). Pour

répondre à l’infériorisation des non-humains (objets, animaux et végétaux, agencements divers…)

dans le monde de l’Anthropocène, il envisage que puissent être représentés juridiquement par des

personnes mandataires, non pas des êtres non-humains en tant que tels, mais « des écosystèmes,

c’est-à-dire des rapports d’un certain type entre des êtres localisés dans des espaces plus ou moins

vastes, à des milieux de vie donc, quelle que soit leur nature : des bassins-versants, des massifs

montagneux, des villes, des littoraux, des quartiers, des zones écologiquement sensibles, des mers,

etc. 42 . »

5. Remarques conclusives

Ce qui fascine dans le phénomène vivant, ce n’est pas l’être qui vit sa vie mais toute sa

machinerie invisible, révélée par la science ; pas l’être qui existe aujourd’hui sur Terre mais l’être

39 Bruno Latour, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes, Paris, La Découverte, 2012.

40 Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007.

41 Peter Sloterdijk, Sphères III. Écumes, Paris, Fayard, 2003.

42 Philippe Descola, « Humain, trop humain », conférence inaugurale du colloque Comment penser l’anthropocène ? organisé par

Philippe Descola et Catherine Larrère au Collège de France, les 5-6 novembre 2015.

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imaginable dans un ailleurs ou un avant hors d’atteinte ; pas l’être naturel mais le vivant

synthétique, cette réponse créatrice qui ne met pas fin à la question de l’émergence.

Qu’on les appelle « vies partielles », « vivants synthétiques », « machines vivantes ou semivivantes

», « cyborg », etc., ces modes d’existence relèvent aussi des autres vies

« xénobiologiques » et de leur degré de légitimité en tant que vies. Il y aurait donc lieu de se

demander, à propos de chaque être « partiellement vivant », par quels critères il satisfait ou non à ce

qu’on pourrait appeler la condition vivante.

Le monde vivant est intrinsèquement inachevé, et inachevable : ce constat d’ordre scientifique a

des implications phénoménologiques et, dans le monde judéo-chrétien, des origines théologiques :

en créant l’homme « à son image », le Dieu créateur de la Bible a fait de lui son « associé »,

indéfiniment chargé d’enrichir le monde inachevé en y exerçant sa créativité de manière libre et

responsable. Les bio-artistes d’œuvres qui s’auto-engendrent, seraient-ils les représentants les plus

emblématiques de cette conception de l’acte créateur qui laisse à son œuvre la liberté d’évoluer ?

En science comme en art, la notion de « vivant artificiel » s’est banalisée et le « continuum

d’interactions entre le cerveau humain et ses artefacts technologiques » est en passe d’advenir. Face

à ces recompositions unitaires de la matière vivante et de celle que l’on n’ose plus qualifier d’inerte,

il est urgent d’enrichir le potentiel relationnel des humains entre eux comme avec les autres

existants, y compris les vies artificielles qui deviendraient utiles au plus grand nombre d’humains et

de non-humains. De tels efforts iraient dans le sens de la coévolution qui a toujours présidé à

« l’évolution créatrice » 43 .

43 Henri Bergson, L’évolution créatrice, Paris, Félix Alcan, 1907.

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Dans les paysages de Motten Morvan :

une expérience d’art écologique

In the landscapes of Motten Morvan: an experience of ecological art

Anaïs Belchun 1

1

LARA-SEPPIA, Université Toulouse Jean-Jaurès.

RÉSUMÉ. Cet article présente un travail de création-recherche en art, croisant des réflexions sur le paysage et

l’écologie. Comment une pensée de l’écologie peut-elle guider des pratiques artistiques et paysagères ? Quel rôle

peuvent jouer la recherche universitaire et création artistique dans le partage et le déploiement d’une vision du monde

écologique ? Ces interrogations ont été explorées à travers un projet fondé sur une démarche de création-recherche

et une démarche de création inductive. Je présente ici les particularités méthodologiques et épistémologiques de ce

processus de recherche, à travers des expérimentations concrètes. Je présenterai ensuite les expériences artistiques

et paysagères qui ont été mises en œuvre sur le site de Motten Morvan. Il s’agit d’abord de créations artistique in situ,

sous la forme d’un sentier paysager et la conception d’installations ; ensuite d’actions pédagogiques, à travers des

ateliers d’écoformation par les arts du paysage. Cette expérience d’art écologique propose ainsi une piste de réflexion

pour comprendre comment l’étude et la pratique des arts du paysage peuvent nous aider à mieux habiter la Terre.

ABSTRACT. This article presents a creation-research work in arts, meeting thoughts about landscape and ecology.

How can an ecological thinking guide artistic and landscape practices? What role can academic research and artistic

creation play in sharing and deploying an ecological world view? These questions were explored through a project

based on a creation-research approach and an inductive approach. Here I present the methodological and

epistemological particularities of this research process, through concrete experiments. I will then present the artistic

and landscape experiments that have been carried out on the site of Motten Morvan. These are, first of all, in situ

artistic creations, in the form of a landscape trail and art installation’s design ; then of educational actions, through

workshops of ecoformation by the landscape arts. This ecological art experience offers a way to think about how the

study and practice of landscape arts can help us to better inhabit the Earth.

MOTS-CLÉS. Art écologique, création-recherche, écoformation, paysage.

KEYWORDS. Ecological art, research-creation, eco-education, landscape.

Introduction

La question d’une approche écologique et sensible du paysage 1 est au cœur de mon travail de

recherche. Je prépare actuellement une thèse en arts plastiques intitulée « Écopoétiques paysagères :

une pensée de l’écologie à l’œuvre dans les arts du paysage ». J’étudie donc comment l’approche

paysagère peut s’instaurer, au croisement d’une pensée de l’écologie et d’une pratique artistique. La

problématique guidant cette recherche est issue de deux questions complémentaires : d’une part,

comment une vision du monde écologique peut-elle nourrir des pratiques artistiques et paysagères ?

D’autre part, quel rôles peuvent jouer les approches paysagères et artistiques dans le développement

et le partage de cette pensée écologique ? Cette deuxième question élargit le champ de la recherche

en art, en intégrant un objectif pédagogique d’écoformation.

Je vais présenter ici les modalités concrètes de ces recherches. Dans un premier temps, je

présenterai le processus de travail, en expliquant l’approche dite de « création-recherche » que j’ai

adoptée, et en détaillant la démarche de création inductive qui en découle. Dans un second temps, je

1 Cet article présente un travail en cours, présenté en février 2019 lors du séminaire de création-recherche « Approches

écologiques et sensibles du paysage : approches artistiques » au sein du LARA-SEPPIA, laboratoire de recherche en arts de

l’Université Toulouse – Jean Jaurès.

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vous présenterai les expériences artistiques que j’ai menées depuis 2016 sur le site de Motten

Morvan, qui comprennent un aménagement et la conception d’installations in situ, ainsi que

l’animation d’ateliers d’écoformation. Pour préciser le sens de ce travail par rapport à mes

thématiques de recherche que sont le paysage et l’écologie, il me faut d’abord présenter rapidement

quelle sont mes approches de ces deux notions.

Que signifie « penser l’écologie » ? Cela commence par la mise en question des discours

ordinaires sur l’écologie, selon une approche critique de la « fiction verte ». L’écologie peut être

reconsidérée à partir de sa définition scientifique, en tant que « science des relations entre les êtres

vivants et leur milieu », et la mise en relation avec la pensée systémique permet de mieux en cerner

les subtilités. Une pensée de l’écologie émerge dans les domaines philosophiques et politiques,

selon deux courants divergents : l’environnementalisme (lié au développement durable) et l’écologie

radicale (incluant l’écologie profonde). Des nombreuses réflexions sur l’écologie se déploient aussi

dans le domaine des sciences humaines, parmi lesquelles se dessinent des pistes de convergences. Il

en émerge une nouvelle forme de pensée, systémique et transdisciplinaire, dont les problématiques

peuvent être résumées en deux questions : « Comment vivre dans la communauté du Vivant ? » et

« Comment habiter la Terre ? ». Cela implique de développer une forme de respect et de solidarité

entre l’ensemble des êtres vivants (humains, animaux, végétaux…), tout en prenant en compte les

dynamiques écosystémiques, de l’échelle locale à l’échelle planétaire. Une nouvelle vision du

monde émerge de cette pensée écologique, qui peut être rapprochée de la mésologie d’Augustin

Berque ou de la géopoétique de Kenneth White. Elle s’exprime aussi sous des formes plus sensibles,

littéraires et esthétiques. J’étudie le concept d’écopoétique, pour désigner cette approche sensible de

l’écologie, qui évoque le sens que nous donnons au monde selon les expériences relationnelles que

nous vivons.

Que peut alors être une approche écopoétique du paysage ? Et d’abord, qu’est-ce-que le

paysage ? Cette notion ne désigne pas la même chose pour un géographe, un historien de l’art, un

écologue, etc. Je m’intéresse en fait au paysage pour la complexité et la transdisciplinarité que cette

notion suppose, en le redéfinissant comme une expérience relationnelle dotée de sens entre un être

humain et un milieu. J’analyse selon une approche critique différents modèles paysagers, qui se

rattachent à la fiction verte, ou au contraire se dirigent vers une écopoétique paysagère. J’étudie plus

précisément leur expression dans les arts du paysage, ce qui désigne différentes formes artistiques,

de l’aménagement de site à la représentation visuelle, en passant par la marche ou le land art.

1. Processus de création-recherche

1.1. Un projet de création-recherche

Ces recherches théoriques que je développe à travers des études d’écrits et d’œuvres ne

constituent pas l’ensemble de mon travail de recherche, qui est abordé selon une démarche

spécifique de « création-recherche ». Cette approche, qui s’inscrit dans la ligne identitaire de notre

laboratoire de recherche, consiste à associer la création artistique à la recherche universitaire, dans

un seul et même processus. La recherche en art ainsi conçue ne se limite donc pas à la production

d’un discours scientifique sur l’art, par l’étude d’œuvres réalisées par d’autres artistes ; elle y

associe la recherche par l’art, en intégrant la conception et la réalisation artistique en tant que

processus producteur de savoirs.

Cette démarche de création-recherche peut être abordée de multiples manières. Par exemple, elle

peut être le fait d’un-e artiste qui s’interroge sur les modalités et les enjeux de sa création, sur le sens

qui en émerge, et décide d’entreprendre des recherches pour approfondir ces réflexions. Auquel cas

la relation entre la création et la recherche se présente comme une évidence. Il peut aussi s’agir d’un

désir de mettre en relation deux activités initialement séparées, de création artistique et de réflexion

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théorique. C’est un tel processus qui a guidé mes toutes premières recherches en master, sur les

relations entre la pratique du graphisme et mes idées sur l’écologie. Ce travail a donné lieu à une

production graphique et un mémoire intitulé « praxis du graphisme et écologie, un engagement audelà

de la fiction verte ». J’ai ensuite décidé d’approfondir ces recherches, en les ouvrant à d’autres

pratiques artistiques, autour de la notion de paysage. Mais pour ce travail de thèse, la situation était

différente, puisque j’avais peu d’expériences préalables sur lesquelles me fonder. Il m’a donc fallu

adopter une autre approche de la création-recherche, qui ne soit pas construite à partir d’une pratique

antérieure, mais en vue d’élaborer à la fois une pratique artistique nouvelle – pour moi – et une

pensée théorique originale.

Avec cette approche orientée vers un objectif, on entre dans une démarche de projet. La création

artistique est alors conçue comme une expérimentation pratique, qui se fonde sur une recherche

théorique et la nourrit également. Cette approche par la démarche de projet et par l’expérience

m’amène à une vision pragmatique de la recherche et de la création artistique : pragmatique dans le

sens philosophique du terme, d’après les idées de John Dewey, qui mettait l’expérience au centre de

ses visions de l’art et de la pédagogie. L’expérience sous toutes ses formes est donc une notion

centrale de ma démarche de création-recherche, qu’il s’agisse de l’expérience directe et sensible du

monde qui en est le point de départ, de l’expérimentation qui est au cœur du processus de recherche,

ou encore de l’expérience que je tire de ces pratiques et qui me permet de développer un

positionnement théorique sur des bases solides.

Ce travail d’expérimentation, tout à fait concret, ne pouvait se réaliser qu’à partir d’un terrain tout

aussi concret. Issue des sciences sociales, la notion de terrain renvoie à un environnement défini par

des critères géographiques, temporels et sociaux, qui permet de confronter des hypothèses

théoriques à une situation réelle, et sert de support à une enquête, dont les données seront ensuite

interprétées pour l’élaboration théorique. Mais pour une artiste, le terrain est plutôt considéré

comme l’environnement de création d’une œuvre. Et, dans un travail sur le paysage et l’écologie, on

est ramené à la définition littérale du terrain en tant que « portion de terre ». Il s’agit donc d’un lieu

défini à la surface de la terre, marqué par ses caractéristiques géographiques – c’est-à-dire ses

singularités physiques, écologiques, historiques, sociales, etc. J’ai trouvé ce terrain dont j’avais

besoin en rencontrant une association, qui a mis à ma disposition un site de trois hectares en

Bretagne pour développer ce projet, ainsi qu’un réseau de relations locales. Ce n’est que lorsque j’ai

trouvé ce terrain que j’ai pu développer vraiment mon travail de recherche.

La démarche de projet qui débute alors est marquée par la complexité. Il s’agissait d’abord de

prendre en compte en pratique la complexité induite par mes sujets de recherche : l’approche

transdisciplinaire impliquée par les thématiques de l’écologie du paysage d’une part, la complexité

de la notion même de paysage d’autre part. Ce qui m’a aussi amené à adopter la pensée complexe

comme traduction méthodologique de la pensée systémique associée à l’écologie. De plus, la

démarche de création-recherche induit aussi sa propre complexité, inhérente aux aller-retours entre

la science et l’art et entre la théorie et la pratique. Il faut ajouter la complexité des diverses formes

artistiques que j’ai été amenée à expérimenter, in situ et in visu, avec toute l’indétermination

impliquée par l’évolution du terrain dans le temps.

Tout cela m’amène à développer une méthodologie adaptée, que je nomme une approche

systémique du projet. Cette approche repose sur l'application des grands principes de la pensée

systémique : la prise en compte de la complexité, une attention portée sur les relations (plutôt que

sur la distinction entre les éléments), et la prise en compte de leur dimension dynamique, évolutive.

Cette attention aux relations s'applique d'abord aux relations entre les différentes composantes

internes du projet : il s'agit par exemple d’accorder ensemble les questions budgétaires et d'écoconception,

d'associer les moyens techniques et humains, etc. Elle s'applique aussi aux relations

environnementales, le projet étant conçu et évoluant selon le contexte social, le réseau relationnel,

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l'environnement naturel, d’autres projets existants, etc. La perception de la dimension dynamique du

projet implique de prévoir ou du moins d’intégrer au fur et à mesure les évolutions possibles du

projet : par exemple selon la progression théorique, une baisse de budget, de nouveaux partenaires,

l’évolution de la végétation sur le terrain (enfrichement ou défrichage, arbres abattus)…

La dernière dimension importante de ma démarche de création-recherche est liée à l’orientation

écologique de ce projet paysager, avec l’étude de ce que peut être une démarche d'éco-conception

artistique et paysagère. L’éco-conception est une notion issue du domaine industriel, désignant une

démarche de conception de produits visant à limiter les impacts environnementaux tout au long de

son cycle de vie (de la matière première à la fin de vie, en passant par la fabrication, la logistique, la

distribution et l'usage). Elle est aussi appliquée à d’autres domaines, notamment ceux de

l’architecture ou de l’aménagement paysager. J’estime que cette notion d’éco-conception peut être

appliquée plus largement, à tout type de projet. En effet, une vision du monde écologique implique

une praxis écologique, qui se traduit dans une démarche de création particulière. J'utilise ici le terme

de praxis comme notion philosophique, pour désigner une pratique qui se déploie en relation avec

une pensée théorique et selon une posture politiquement engagée. C’est selon cette optique que

j’étudie comment l'éco-conception peut être appliquée dans ce projet, en tant que projet de paysage,

et en tant que projet artistique. Différentes dimensions du projet doivent alors être prises en compte,

selon des paramètres concrets (environnementaux, matériels, humains…), mais aussi culturels

(éthique, sens de la réalisation, message communiqué, écopoétique…). Cette démarche d'écoconception

m'amène également à prendre en compte les dimensions expérimentales et pédagogiques

de l'oeuvre. Mais avant tout, elle implique d’adopter une démarche de création centrée sur les

singularités écologiques du terrain investi pour la réalisation du projet.

1.2. Une démarche de création inductive

Les spécificités de mes recherches m’entrainent à accorder une grande importance au terrain,

pour plusieurs raisons. Sur le plan théorique, la vision du monde écologique et systémique adoptée,

ainsi qu’une conception du paysage comme expérience relationnelle entre l’humain et le monde,

supposent une attention aux relations – toujours singulières – qui s’établissent entre un être ou une

personne et son milieu de vie. Sur le plan pratique, les démarches de projet paysager et d’écoconception

impliquent de considérer le terrain choisi, avec toutes ses particularités, comme point de

départ du projet. Tout cela nous amène donc à une démarche de création inductive : c’est le terrain

qui impulse la conception du projet artistique, en fonction notamment des particularités du site. Ce

terrain est en effet avant tout un lieu, c’est-à-dire une portion d’espace telle qu’elle peut être perçue

par un être vivant. Cette attention à la perception sensible du lieu est celle d’une expérience

esthétique – ce terme provenant du grec aesthesis qui signifie « qui a la faculté de sentir, sensible,

perceptible ». On pourrait donc penser que cette démarche inductive est dirigée vers une esthétique

du lieu. Mais mon approche écologique du paysage m’amène à aller au-delà de la notion de lieu, en

considérant comment la relation entre un lieu et un être vivant devient pour lui signifiante, et par là

constitutive de son monde propre. Il n’est donc plus question seulement de lieu mais de milieu. De

plus, si l’esthétique est centrale dans cette approche, c’est en tant qu’expérience sensible du milieu,

et non selon la définition plus courante de l’esthétique concernant uniquement la réception de

l’œuvre. Il s’agit de considérer la singularité de l’expérience paysagère qui a lieu, en amont du

projet, au cours de la création et lors de sa réception. Cette démarche valorisant les relations

écologiques et paysagères d'un être vivant et sensible avec son milieu nous fait donc passer d'une

esthétique du lieu à une expérience du milieu.

Cette démarche de création inductive, établie dans le cadre d'une approche systémique et

expérimentale du projet, implique que le projet commence aussi avec une étude analytique du site.

Cette étude vise à repérer les caractéristiques du site, selon différentes approches complémentaires

et relationnelles :

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– analyse géographique et naturaliste : géologie, pédologie, hydrologie, climat, faune et flore ;

– analyse géographique anthropique : démographie, aménagement du territoire (habitation, voirie,

infrastructures, « espaces verts », exploitation agricole et forestière) ;

– analyse historique : évolution du paysage au cours du temps, patrimoine historique et culturel ;

– analyse perceptive : visuelle, sensorielle, perception et appréciation esthétique ;

analyse écologique, reliant les différentes relations naturalistes (notamment grâce aux approches

synécologique et d'écologie du paysage) et anthropiques ;

Ces différents éléments sont étudiés à différentes échelles, de celle du site à celle de la planète, ce

qui permet de les situer dans leurs relations environnementales. Cela se fait par un travail de lecture

paysagère (observation sur le terrain), l'étude de documents (cartographiques, historiques…) et les

échanges avec les habitants et voisins du site. La prise en compte de l'environnement inclut

l'environnement culturel, en occurrence l’histoire et la culture bretonne, et son influence sur les

formes du paysage.

L'objectif - artistique et pédagogique - du projet étant de partager une expérience, cette étude de

site rationnelle est complétée par une approche plus sensible du terrain. Cette expérience sensible, à

la source de la création, se développe d'abord dans un travail de terrain : de découverte,

d'observation et d'imprégnation. Concrètement, il s'agit de parcourir le site, marcher et s’arrêter,

regarder, écouter, sentir : en bref, d'approfondir une expérience d'immersion d'abord dans ses

dimensions corporelles et sensorielles. Il s'agit d'appréhender le paysage comme relation entre un

corps et un milieu, la place du corps dans cette démarche artistique consistant à « faire corps avec le

paysage » pour « faire le paysage avec son corps ». Les pieds représentent la marche abordée

comme démarche de création : il s’agit d’abord de parcourir un lieu pour s’en imprégner, mais aussi

de voir comment la marche peut entrainer des modifications du site. Les cinq sens précisent la place

du corps dans cette immersion en un lieu : pourquoi et comment voir, toucher, entendre, sentir,

goûter un paysage ? On remarque ici l'importance des circonstances particulières de l'immersion (la

saison, l'heure du jour ou de la nuit, le temps qu'il fait…). Enfin, l’oeil et la main introduisent une

pratique de notation paysagère - par la photographie, le croquis, l'écriture et les relevés (de terre, de

végétation...) - pour exposer comment s’effectue, par le corps, le passage de la perception à la

présentation du paysage.

Qualifier cette expérience paysagère de « sensible » me permet de relier différentes dimensions

de l'expérience : les sensations, la sensibilité (émotionnelle et esthétique) et le sens donné à ce qui

est perçu (la signification). Au cours du processus d'immersion, l'expérience corporelle est en fait

inséparable d'une expérience émotionnelle et esthétique. Le site perçu est automatiquement mis en

relation avec la connaissance intellectuelle que nous en avons, mais aussi avec nos expériences

passées. Les dimensions cognitives et émotionnelles influencent directement sur notre perception du

paysage. De plus, le site est, plus ou moins consciemment, perçu en relation avec des modèles

esthétiques existants. La dimension symbolique du paysage contribue aussi, par la mise en relation

des dimensions perceptives, cognitives et émotionnelles, à construire le sens que nous y percevons.

Tout cela s'applique au type de paysage concerné (paysage forestier, maritime, marécageux…), aux

éléments qui le constituent (arbre, rivière, pierre…) et aux circonstances de l'expérience paysagère

(jour ou nuit, saison, climat, luminosité…). L'expérience sensible du paysage se déploie donc à

travers divers processus d'évocation, de projection et d'imagination, et c'est ainsi qu'elle « fait sens »

pour le sujet de l'expérience.

Dans le cadre d’un projet artistique, cette expérience doit être traduite en signes. Ce qui

commence aussi sur le terrain, par un travail de notation, qui prend différentes formes. La notation

peut être écrite, par la prise de notes ou l’écriture d’un journal de terrain. Elle peut être visuelle, par

la réalisation de croquis cartographiques ou paysagers et la prise de vue photographique. Il peut

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aussi s’agir d’effectuer des relevées, comme des relevés de couleurs, de terre, de végétation, etc. Il

s'agit ici d'un travail in situ, réalisé entièrement sur le terrain et dans le moment de l'expérience

d'immersion. Ces pratiques de notations sont aussi des formes de médiation, qui entrainent une

évolution du statut du paysage. On passe du site au « non-site », expression que Robert Smithson

utilisait pour désigner les présentations et représentations d’un paysage dans d'autres lieux et sous

d'autres formes : littéraires, graphiques, photographiques et matériologiques. Ces expériences de

notations ne se limitent donc pas à des constats sur l'état existant du site, mais impliquent aussi une

projection : dans les écrits et croquis apparaissent des idées concernant le projet artistique qui sera

mis en place sur le site. On constate que le projet est déjà en germe dans l'observation, ce qui justifie

la démarche inductive de création adoptée.

2. Expériences artistiques et paysagères

Je vais maintenant vous présenter les réalisations artistiques et les ateliers pédagogiques conçus

lors de ce travail de création-recherche, comme des expérimentations visant à partager des

expériences écopoétiques.

Je vais commencer par vous présenter mon terrain : le site de Motten Morvan, sur lequel j’ai

travaillé de l’été 2016 à l’été 2018. Il se trouve au centre de la Bretagne, sur la commune de Saint-

Aignan, dans une région dont les paysages sont marqués par l’exploitation agricole. Il s’agit d’un

terrain de trois hectares, sur les flancs Sud et Ouest d’une colline, qui était en friche depuis quelques

années quand je suis arrivée. Ce site était à l’emplacement d’une motte féodale, construite au XVe

siècle ; il a ensuite été transformé en une petite propriété agricole. Les paysages sont très diversifiés

: il y a une petite ferme traditionnelle (qui tombe en ruine), près de laquelle coule un ruisseau, une

petite prairie humide, un ancien verger, un bois, dans lequel se trouvent les vestiges de la motte

féodale, et une prairie, dont une partie est régulièrement fauchée, et l’autre, laissée en friche, s’est

transformée en saulaie, ainsi que des chemins bordés de haies, le long des champs et habitations

voisines. Ce site sur lequel on trouve donc différents milieux écosystémiques constitue en quelque

sorte une miniature présentant les divers aspects des paysages de bocage typiques des campagnes

bretonnes.

L’objectif de mon projet sur ce terrain était de valoriser la découverte, la connaissance et

l’appréciation des différents écosystèmes, en partageant des expériences sensibles de ces paysages.

J’ai d’abord privilégié la création d’œuvres et l’animation d’ateliers in situ, afin que que cette

expérience soit vécue directement par le public.

2.1. Réalisations artistiques in situ

La première création est un sentier paysager, né de la pratique de la marche lors du travail de

découverte et d’immersion sur le site. En explorant le site, de manière à découvrir les différents

milieux qui le composent, mes pas ont tracé une ligne, que j’ai ensuite élargie à la débroussailleuse.

Ce qui a mené à la réalisation d’un sentier paysager, conçu et réalisé de manière à traverser chaque

écosystème, ainsi que différents points d’intérêt sur le site. Entretenu par un simple défrichage

régulier pendant deux ans, ce parcours permet de visiter tous les milieux caractéristiques de la

campagne bretonne. J’ai ensuite conçu trois installations pour ce site (non réalisées à ce jour), dans

l’intention de partager avec le public des expériences paysagères inspirées par une approche

écopoétique des milieux.

Les « salons sauvages » sont des constructions conçues pour que le marcheur s'y arrête un

moment, en s'y asseyant comme dans un salon – mais en extérieur, en pleine nature. Les sièges sont

constitués par un ensemble de rondins de chêne disposés en cercle. On s’y assoit en regardant vers

l’extérieur du cercle. Il s'agit ici de proposer une approche paysagère singulière, consistant à

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présenter la nature de l'intérieur. Cette installation s’inspire de certaines œuvres d’art

environnemental, qui ont pris le contre-pied des approches représentatives du paysage, picturales ou

photographiques (qui exposent des images hors de la nature, considérée d’un point de vue extérieur)

en proposant une présentation « en direct » des écosystèmes (comme les « sanctuaires » de hermann

de vries). Cependant « la nature » y est toujours présentée dans un espace circonscrit sur lequel on

pose un regard depuis l'extérieur. L’objectif esthétique des « salons sauvages » est encore plus

immersif : la forme circulaire des salons provoque une inversion de la position du spectateur : ce qui

est présenté (le paysage) est vu de l'intérieur. Car ce qui apparaît de prime abord comme une

installation « au milieu » d'un espace, n'est en fait qu'un prétexte pour présenter le milieu

environnant.

L'expérience induite par le fait de s'assoir dans un salon est d'abord une expérience d'immersion,

la durée de la pause permettant d'accorder plus d'attention aux sensations et émotions perçues, et

donc à la relation établie avec le milieu naturel. Elle est aussi l'occasion de (re)découvrir la vie

foisonnante dont sont constitués ces milieux auxquels nous portons rarement attention, et d'observer

directement ce que représente la notion de biodiversité (par l'observation des plantes, insectes,

oiseaux, etc.). Enfin, il s'agit toujours d'une expérience singulière, qui peut être répétée mais sera

toujours différente, selon l'heure, la saison, le temps qu'il fait, etc. Il s'agit donc de partager

l'expérience des paysages comme « milieux » de vie dynamiques.

L’intérêt de ces installation, pour instaurer une expérience écopoétique, réside dans leur

positionnement dans trois milieux différents : la prairie, la friche et la forêt. Les trois milieux

présentent trois niveaux de végétation : les strates herbacée, buissonnière et arborée, qui

correspondent aux étapes successives de la végétalisation. Un terrain laissé en friche est d’abord

conquis par des herbes, qui poussent au ras du sol et ne montent pas à plus d’un mètre, puis par des

ronces, qui protègent les pousses d’arbustes, comme les saules, d’une hauteur entre un et sept

mètres, et enfin des arbres, constituant une forêt. La dimension spatiale, c’est-à-dire la hauteur et la

forme de la végétation, rend ici visible - et donc immédiatement compréhensible - la dimension

temporelle de l'évolution des paysages. L’interêt de ces salons sauvage est aussi de proposer une

approche esthétique de la friche, pour en montrer la dimension vivante et biologiquement positive, à

l'opposé de la vision traditionnelle de la friche comme ruine agricole, espace abandonné, en cours de

dégradation, valorisant ainsi une vision écologique plutôt que productiviste du paysage.

La « cabane-observatoire » est une cabane en bois, conçue pour être construite au point culminant

du site, en haut de la prairie de fauche, d'où le regard porte sur les paysages environnant à 360° (en

hiver). Elle est inspirée de la présence sur le site des vestiges de la motte féodale, qui constituait à la

fois une habitation et un point d'observation. L'association des modèles de la cabane et de

l'observatoire me permet de mettre en forme la corrélation entre observer et habiter le paysage,

remettant ainsi en question le présupposé d'un regard extérieur. Il s'agit d'une construction sommaire

et de taille réduite, réalisée avec des matériaux simples, extraits du site. En tant qu'observatoire, elle

comporte une ouverture dans chaque mur présentant un point de vue privilégié sur le paysage

environnant. Ces fenêtres jouent le rôle de « cadre » définissant une portion de paysage, qui est

représentée graphiquement à l'intérieur de la cabane – à la manière des tables d’orientation que l’on

peut voir sur des chemins de randonnée en montagne. Seulement, ces représentations paysagères

montrent les caractéristiques écologiques des paysages observés. La cabane-observatoire propose

ainsi une expérience à la fois poétique (liée aux symboliques de la cabane et de l'observatoire),

esthétique (vision et représentation paysagère) et pédagogique (découverte de l'écologie). Mais

l'essentiel de l'expérience réside dans cette sensation d'habiter le paysage, qui permet d'appréhender

autrement notre relation au milieu environnant. Ainsi l'expérience artistique ouvre à une autre

manière de voir et d'habiter le monde.

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La troisième installation est plutôt inspirée de ce que l’on appelle le land art, et vise à évoquer

des problématiques écologiques globales. Le titre de cette installation : « le foyer », joue sur les

deux significations du terme « foyer » : le foyer de cheminée, et par extension le lieu d’habitation,

de vie ; ou le foyer d’incendie : l’endroit où le feu a démarré, source de la destruction du milieu

environnant et donc de mort. L’idée est issue d’une réflexion sur les quatre éléments primordiaux

issus de la culture grecque antique : la Terre, l'Air, le Feu et l'Eau. J’ai voulu m’approprier cette

approche « élémentaire » pour représenter une vision du monde écologique, en mettant en relation

ses dimensions poétiques (la théorie des quatre éléments en tant que système d’analogie unificateur

de l'expérience), esthétique (caractéristiques esthétiques, couleurs et matières) et poïétique

(matériologie et processus). Les différentes propriétés du feu (matérielles, esthétiques et

symboliques) sont mises en œuvre, en relation avec une écopoétique paysagère, pour évoquer de

manière sensible la question de la maîtrise de l’énergie et interroger son impact sur nos milieux de

vie. La double symbolique du feu, entre création et destruction, associée aux notions d’énergie et de

puissance, permettra d’évoquer l’ambivalence de la technologie et les limites de son usage.

Cette œuvre est elle aussi conçue et réalisée dans et pour un milieu singulier, et réalisée à la main

à partir de matériaux naturels trouvés sur place. Le milieu choisi pour réaliser cette œuvre est le pied

du pylône électrique situé dans la clairière (ancienne basse-cour), le poteau électrique matérialisant

la maîtrise de l’énergie et son utilisation abondante dans notre société, et la clairière représentant un

exemple concret de modification du milieu par l’action humaine. L’esthétique du feu est abordée

comme esthétique de la trace et de la destruction. Le processus poïétique est donc associé à

l’utilisation du feu lui-même comme outil de création, par l’action de brûler. Les couleurs du feu

seront directement présentes, du rouge-orangé des flammes au noir du charbon, en passant par le

gris de la cendre. Le matériau privilégié pour cette œuvre est le bois, forme typique de matériau

inflammable. La dimension vitale du feu, comme foyer d’habitation, est représentée par un élément

en bois représentant une maison en miniature, placée au pied du pylône électrique. Il s’agit en fait

d’une ruche abandonnée, récupérée dans cette clairière même. L’évocation des abeilles, symbolisant

l’activité industrieuse et collective, et la fonction d’habitation que remplit une ruche renforcent la

signification recherchée. Le fait qu’elle ne soit plus habitée interroge par contre sur la pérennité de

ce foyer. L’aspect destructeur du feu, comme foyer d’incendie, est révélé par un cercle de végétation

brûlée tout autour de la ruche et du poteau électrique, incluant un saule entièrement noirci par le feu

et un tas de cendres.

2.2. Ateliers d’écoformation par les arts du paysage

Afin d’approfondir la dimension pédagogique de ce projet et l’implication du public dans un

processus non seulement de réception mais aussi de création, j’ai également animé des ateliers

pédagogiques, combinant médiation artistique et écoformation.

J’ai imaginé trois ateliers, qui ont ensuite été organisés et animés en partenariat avec le service

d’éducation à l’environnement de la Communauté de communes de Pontivy. Les ateliers « Terres de

Motten Morvan » et « Les habitants de l’air » faisaient partie d’un programme éducatif annuel, avec

un réseau d’écoles privées ayant choisi cette année de développer des activités sur le thème des

quatre éléments. L’atelier « Chasseurs de paysage » était intégré au programme des animations

d’été, pour la commune de Saint-Aignan, destiné à un public plus large.

Le premier atelier, intitulé « Terres de Motten Morvan », s’est déroulé sur une journée, avec des

élèves de maternelle, qui travaille sur le thème de la terre. Le parcours paysager a servi de trame à

l’organisation de la journée, autour des différents milieux traversés : la forêt, la friche, la prairie, le

ruisseau et la haie. Dans un premier temps, des animations de découverte de la faune et de la flore

ont eu lieu dans chaque milieu : observation des terriers de blaireaux et des « petites bêtes » dans

l’humus dans la forêt, observation des insectes volants dans la prairie, fabrication de jouets

buissonniers avec les branches de saule dans la friche, pêche d’animaux aquatiques dans le ruisseau.

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La deuxième partie de cet atelier est issue de mon propre travail de découverte du site et

d’expérimentation artistique, par la pratique du relevé. J’avais ainsi réalisé des relevés de terre et de

végétation dans l’idée de présenter les différents milieux par des échantillons, associés à des photos.

Les relevés de terre ont été réalisés en frottant une poignée de terre sur une feuille de papier

(révélant des différences de couleur et de texture) et ceux de végétation, en disposant des herbes,

feuilles ou fleurs sur une autre feuille. L’association de ces deux procédés m’a permis d’imaginer la

réalisation d’un carnet d’artiste par les enfants eux-même. La matérialité et le contact direct avec la

terre et les plantes en font un procédé adapté aux jeunes enfants, plus sensibles à l’expérience

sensible et directe qu’à l’abstraction ou la représentation. Il en résulte un carnet présentant des

caractéristiques de différents éco-systèmes tout en témoignant de l’expérience sensible que chaque

enfant a vécu dans ces milieux.

Le deuxième atelier, intitulé « Les habitants de l’air », a été réalisé à deux reprises, avec des

élèves de CM1 et CM2. La journée a commencée par un « jeu du miroir », activité destinée à

enclencher un processus d’immersion : un enfant, guidé par un autre, marche en regardant un miroir

placé sous son nez, de manière à voir le ciel (ou les branches des arbres) à la place du sol. Un tour

du site en suivant le « parcours paysager » à ensuite été effectué avec l’ensemble des enfants, avec

une animation dans chaque milieu, centrée sur la différenciation des écosystèmes et l’observation

des « habitants de l’air », c’est-à-dire les animaux volants : écoute des oiseaux dans la forêt,

observation des insectes dans la friche, et des oiseaux à la jumelle dans la prairie. Les enfants ont

ensuite été répartis en quatre groupes, chacun dans un milieu (ruisseau, friche, forêt, prairie). Les

élèves de chaque groupe ont choisi un animal vivant dans ce milieu, puis lequel ils ont construit une

« cabane », en utilisant les matériaux trouvés sur place (avec couteau et ficelle comme seuls outils).

Puis nous avons refait le tour du site tous ensemble, chaque groupe présentant sa création aux autres.

Une vidéo a ensuite été réalisée, présentant ces journées d’atelier.

Le dernier était un atelier photo, intitulé « Chasseurs de paysages », qui a eu lieu en août, sur une

durée de trois heures. Quinze personnes y ont participé, la plupart en famille. L’objectif de cet

atelier était d’utiliser la pratique de la photographie pour amener le public à observer le paysage et

explorer le site avec la plus grande attention, tout en révélant les transformations des milieux

naturels dans le temps. J’avais au préalable constitué une série d’une trentaine de photos, prises lors

de mes résidences de création sur le site au cours des deux années précédentes. Le choix de ces

images a été effectué pour présenter chaque milieu, pour inciter à les observer sous différents

angles, pour mettre en valeur des éléments paysagers ayant changé (coupe ou pousse de la

végétation, variation de niveau d’eau du ruisseau, clôture ou ouverture de chemin…), et pour

valoriser les changements esthétiques des paysages au fil du temps (selon la saison, le temps qu’il

fait, l’heure du jour ou de la nuit…). Après un tour du site effectué avec l’ensemble des familles

pour leur présenter le terrain et ses limites, un exemplaire de cette série a été confiée à chaque

participant, avec la mission de retrouver le lieu exact de la prise de vue, afin d’en réaliser une

similaire. Après une heure de « chasse », tout le monde s’est réuni afin de visionner et comparer les

photographies. Un dossier photo a été réalisé, réunissant les photographies originales et les recréation

de chacun des participants.

Conclusion

La problématique à l’origine de la préparation de ma thèse en arts plastiques résidait dans la mise

en relation entre une pensée de l’écologie et une pratique artistique, afin de voir comment elles

pouvaient se développer et s’enrichir l’une et l’autre. La méthode de création-recherche, appliquée à

travers le développement d’un projet artistique et de recherche, se montre particulièrement adaptée

pour y répondre. Mes réflexions sur l’écologie m’ont amenée a travailler sur le terrain, pour

appréhender la relation à un milieu de vie à travers l’expérience sensible vécue. Les

expérimentations artistiques m’ont permis d’aller au-delà de l’idée d’une pensée de l’écologie, en

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déployant le concept d’écopoétique dans une approche transdisciplinaire, puis appliquée au paysage.

Il en résulte également des résultats de recherches inattendus concernant le rôle de l’art pour

l’éducation à l’écologie. En effet, ce n’est pas tant le résultat de la création, c’est-à-dire l’œuvre

achevée, que la démarche même de création qui s’est avérée pertinente pour partager une vision du

monde écopoétique. Ainsi la recherche par la création artistique sur l’environnement m’a amené à

développer des propositions de formation par la création artistique et dans l’environnement.

Pour en savoir plus : www.anaisbelchun.com

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Tu es plasticien, tu travailles sur l'agriculture, donc tu

travailles sur le paysage ?

You’re a visual artist, you work in agriculture, so you work on

landscape?

Didier Christophe 1

1

École Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole de Toulouse, chercheur associé LARA-SEPPIA.

RÉSUMÉ. Lorsque l'on est plasticien, travailler sur l'agriculture ou travailler sur le paysage n'est pas équivalent.

S'appuyant sur la recension de ses expériences de chercheur en arts, d'enseignant dans l'Enseignement agricole et

de chargé de mission animation et développement des territoires, autant que sur la productions scientifique d'autres

chercheurs, l'auteur aborde la place du paysage dans le vécu des agriculteurs et des acteurs du monde rural, à

l'épreuve du terrain. Intégrant des points de vue agricoles (en Limousin, Berry, Cantal) et géoagronomiques, il les

confronte à des témoignages issus de la littérature régionale et de l'histoire de l'art, afin d'étayer son positionnement

de chercheur-créateur.

ABSTRACT. When you are a visual artist, working on agriculture or working on the landscape is not equivalent.

Drawing on the review of his experiences as a researcher in arts, as a teacher in agricultural education and as a

project manager on a mission of animation and development of the territories, as well as on the scientific productions

of other researchers, the author discusses the place of the landscape in the experience of farmers and rural actors,

who are on the ground. Integrating agricultural and geoagronomic viewpoints (in the french territories of Limousin,

Berry and Cantal), he confronts them with testimonies from regional literature and art history, in order to support his

position as researcher-creator.

MOTS-CLÉS. paysage, agriculture, arts visuels, littérature régionale, développement local, activités technicoéconomiques,

sciences sociales, recherche-création.

KEYWORDS. landscape, agriculture, visual arts, regional literature, local developement, technico-economical

activities, social sciences, research-creation.

Introduction

« Tu es plasticien, tu travailles sur l'agriculture, donc tu travailles sur le paysage ? » Cette

question nous interroge, en ceci que la perception sociale, et visuelle, que nous avons de

l’agriculture y est posée comme une évidence. Mais cette évidence est-elle fondée ? C’est ce que cet

article se propose d’étudier.

C'est, effectivement, la question que j'ai entendue plusieurs fois, de la part de doctorants comme

de la part d'artistes, lorsque je commençais ma thèse, au début des années 2000. À l’occasion du

colloque de mai 2019, avec le laboratoire LARA-SEPPIA, il a paru opportun de faire un point sur

cette assertion, au regard d’une longue expérience de terrain acquise dans la fréquentation du monde

agricole selon des visées relevant à la fois des arts plastiques et de la sociologie rurale.

Nous verrons donc pourquoi le fait de travailler en plasticien, sur le thème de l’agriculture,

impliquerait de – ou reviendrait à – travailler sur le paysage, ne constitue pas une évidence mais

plutôt une représentation assez peu partagée dans le monde agricole. Certes, la construction de nos

représentations doit à la valeur symbolique nous accordons à ce à quoi elles se rapportent, rappellent

Sandra Jovchelovitch et Birgitta Orfali ; et le pouvoir de cette symbolisation repose sur « une représentation

signifiante de quelque chose produit par quelqu’un d’autre. […] l’acquisition d’un

savoir sur les objets et la formation de symboles se construit petit à petit plutôt qu’il n’est inné ou

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donné par l’expérience » (Jovchelovitch et Orfali, 2005). Cette approche empruntée à Vytgotsky

suppose une connaissance ou une méconnaissance sur laquelle nous co-construisons le

soubassement de nos représentations, qu’elles soient socialement partagées ou non.

Dans le cas qui nous occupe, pour l’artiste comme pour nos contemporains, la représentation de

l’agriculture (au sens psychosocial comme au sens artistique) serait réductible au paysage, et

réciproquement, le paysage serait « l’image » de l’agriculture et des activités rurales – étant entendu

que l’adjectif rural signifie « qui appartient aux champs, qui concerne les champs, la campagne ; de

la campagne » (cf. CNRTL). Mais qu’en est-il vraiment, pour qui s’intéresse d’un peu près aux

pratiques agricoles dans leurs territoires ?

Au-delà de strictes questions de méthodologie de recherche, que l’on tâchera de ne pas éluder,

nous évoquerons, dans ces pages, certaines implications de ce questionnement dans la création, ainsi

que l'impact de la connexion des sciences humaines et sociales avec la recherche en arts.

Ce qui, au départ d'une thèse, en constitue le terreau nourricier 1 , peut se révéler in fine une sorte

de rampe de lancement vers d'autres sujets d'étude. C'est le cas si d'autres champs d'investigations

s'invitent dans l'outillage conceptuel et méthodologique nécessaire, et la fréquentation d'autres

chercheurs peut précipiter cette évolution. Tout chercheur aura pu vivre cela, peut-être spécialement

dans les disciplines artistiques, mais aussi bien en sciences humaines et sociales. Que le lecteur ne se

méprenne pas : cet article ne se veut ni un bilan ni une carte postale ancienne, mais plutôt un

parcours réflexif en territoire transdisciplinaire.

Je propose dès lors quatre étapes de réflexion, fondées sur des expériences successives de

chercheur en arts et de chargé de mission animation et développement du territoire, au fil de plus de

vingt ans de parcours professionnel dans l'Enseignement Agricole, en lycée technologique et

professionnel agricole et dans l'enseignement supérieur agricole, à VetAgro Sup Clermont-Ferrand

puis à l'ENSFEA.

S'il s'agit ici d'évoquer la place du paysage dans le vécu des agriculteurs et des acteurs et familiers

du monde rural, en intégrant l'approche systémique (en référence à Joël de Rosnay), et le décryptage

de la complexité (en référence à Edgar Morin), on ne peut négliger les données qui contribuent à

marginaliser l'attention au paysage du point de vue du paysan (ce qu'attestent les travaux de Michèle

Alifat-Peylet en géographie, de Laurent Dussutour en sciences politiques, et les miens en sociologie

rurale).

La question qui donne son titre à ce article interroge donc les écarts de représentations qui se font

jour à l'épreuve du terrain, et l'approche proposée tâchera aussi de mettre en regard quelques

expressions artistiques significatives. Mais elle intégrera aussi le point de vue des agriculteurs.

Le parcours proposé passera donc par l'angle de vue des agriculteurs en Limousin, Berry et

Cantal, et celui des chercheurs.

Une deuxième phase abordera la place du paysage dans l'expression des enjeux de

« l’appartenir » dans le monde rural, vue sous deux types de témoignages différents, littéraires et

agricoles.

1 Dans mon cas, il s’agissait donc de rendre lisible, par les moyens de l’art, des réalités de l'agriculture et l'adaptation de

ses pratiques à des territoires divers.

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Puis rapidement j'évoquerai l'expérience d'un projet de développement territorial en Corrèze,

avant de revenir vers la création plastique, afin de conclure sur une quatrième et dernière phase qui

permettra d'aborder le point de vue offert par quelques artistes plasticiens et photographes au fil des

siècles et jusqu'à maintenant.

I. Auprès des agriculteurs, en artiste et en sociologue.

La première phase de recherche relève d'un parcours de chercheur en arts plastiques déviant vers

une approche anthropologique, en visant à assigner à la création plastique le rôle de révélateur de

l'identité agricole d'un territoire, initiée par une thèse véritablement transdisciplinaire sous la

houlette de la plasticienne Hélène Saule-Sorbé et du sociologue ruraliste Jean-Pierre Prod'homme

(Christophe, 2006).

L'historien de l'art constate que ce n'est qu'en de rares exceptions que le paysage prend vraiment

sens et s'impose comme clé de la composition dans les œuvres picturales ou photographiques

figurant des travaux agricoles. Le géographe peut aborder l'environnement physique dans ses

diverses composantes, pédologiques et climatiques, économiques et humaines, et les éléments du

paysage deviennent dans ce cas de simples indicateurs relatifs à des objets d'études extérieurs à luimême.

Le sociologue ruraliste enquête la profession agricole et le contexte fourni par les territoires

et des filières de production. Le plasticien a donc à se déterminer en réponse aux données collectées

par les trois autres approches, complétées d’entrées relevant de l'historien des territoires et de

l’agriculture.

Méthodologiquement, cet « état de l'art » permet de préparer des entretiens d’acteurs puis de les

analyser, et c'est de ces entretiens que se nourrissent le travail du plasticien ainsi que les écrits du

sociologue. Qu'en ressort-il quant à la prise en compte du paysage ? Ce sont les acteurs enquêtés qui

en livrent la clé.

Les agriculteurs semblent porter plus d'attention à leur territoire qu'à leur paysage. Pourtant, au

détour des entretiens menés, le rapport au paysage surgit là où on ne l'attend pas forcément, c'est-àdire

comme donnée ou variable d'ajustement dans une dynamique globale de développement

agricole : il n'est que le lieu de déroulement d'une activité professionnelle, implantation d'un

bâtiment nouveau, refonte du parcellaire, aménagement fonctionnel des pacages, gestion floristique

d'une jachère, rôle d'abri de bétail joué par des arbres, réutilisation pour l'élevage d'anciens présvergers,

et jusque dans la surveillance par drone ou par satellite des changements de couleur

localisés dans une culture, annonciateur d’un problème sanitaire, pour l'agriculture dite de précision.

C'est peut-être là que l'on pourrait utiliser, à la place de paysage, le mot milieu, au sens du XVII e

siècle et de Descartes (Rey, 2012) – ou encore le néologisme miliage proposé par Benjamin Arnault.

Que disent, de la place du paysage, mes collègues chercheurs de l’enseignement agricole ?

Laurent Dussutour, dans une entrée interdisciplinaire entre sciences politiques et éducation socioculturelle,

questionne à la fois la construction pédagogique du paysage et la formalisation de ce qu’il

nomme une « pensée agronomique paysagère », dans laquelle aborder le paysage de manière

rationalisée serait une « voie d’accès à l’espace ou au territoire », dans laquelle domine la notion de

« systèmes agraires ». Il note que « l’exploitation agricole est la “boîte noire” de tels systèmes et le

paysage en est l’environnement », et observant que ce systémisme contribue simplement à

l’entretien de visions ruralistes. On peut alors citer les mots de Jean-Pierre Deffontaines : « Est-ce

qu’en soutenant la race normande, je peux soutenir le paysage normand ? ». Dussutour suggère

plutôt les méthodes de « tâtonnement » et de « bricolage » revendiquées par les enseignants de

l’Enseignement agricole, bricolage didactique défendu par nombre de chercheurs en sciences de

l’éducation, d’Anne Petit à John Didier et Giacco Grazia. La rencontre, la descente sur le terrain et

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la lecture de paysage sont dès lors prescrites tant par Laurent Dussutour que par Claude Benois qui

admet que « le niveau de la sensibilité établie n’a pas à être mis en échec par le niveau faible des

techniques dont chacun dispose pour exprimer ce qu’il ressent ».

Si Dussutour a montré que la notion de paysage est assujettie à des usages sociaux (Dussutour, s.

d. ; Dussutour, 2002 ; Picon, Dussutour et Jacqué, 2003), cristallisant le lieu d'un fétichisme du

territoire non exempt de conflits, Yves Michelin et Sophie Gauchet (2000) ont pu repérer que la

notion de paysage confère à « l'espace du quotidien » (donc au territoire) une valeur dans laquelle

« les sociétés locales se reconnaissent ».

« Pour les agronomes, le paysage est le support des activités agricoles, le système où les

agriculteurs interagissent avec les ressources naturelles et sociales à travers la gestion de leurs

champs et des motifs associés comme la bordure de champs », rappelle Esther Sanz Sanz (2013)

pour qui on peut parler d'« agricultures productrices de paysage » : « Dans cette perspective, les

systèmes de culture et l'organisation stratégique de l'exploitation sont les facteurs déterminants de

l'organisation du paysage agricole » 2 .

Aussi, sur des enjeux de création plastique, de collecte d'information et de compréhension du

domaine d'étude, voire d'éducation populaire, j'ai demandé à de plus familiers que moi des faits

agricoles de me confier des images, voire d'en réaliser, comme ce fut le cas dans une résidence

d'artiste que j'ai faite au lycée agricole de l'Indre sur proposition de l’École des Beaux-Arts de

Châteauroux, et qui a donné lieu à un portfolio. Qu'il s'agisse des photos proposées par des

agriculteurs installés ou des « technimages » – le terme est d'Anne Cauquelin (1996) – produites par

des élèves de bac professionnel agricole, leurs regards évacuent très majoritairement la présence

paysagère. Et ce sont prioritairement les points d'attention que j'ai cités précédemment qui sont mis

en valeur. Claire Blouin-Gourbilière (2011), dans un article analysant le rapport au paysage de la

région rurale la Brenne, dont le matériau d'étude a été fourni par un concours photographique

ouvert 3 , en repérant que peu d'agriculteurs ont participé, note que les agriculteurs comme les

ouvriers pratiquent peu la photographie relativement aux autres catégories socioprofessionnelles,

reprenant en cela Pierre Bourdieu 4 .

La question de la qualité technique est cependant secondaire au sens où un post-traitement est

souvent administré aux photos réalisées, notamment de la part des élèves que j'ai accompagnés

durant la résidence d'artiste dans l'Indre. La question du cadrage et de la composition ne se pose

guère plus. On est là dans la production de ce que Christian Malaurie (2015) nomme des « images

de peu ». Elles ont un impact fort, ces images, parce qu'elles font sens pour celui qui cherche à

comprendre quelque chose d'une agriculture qu'il méconnaît comme pour le spécialiste, et parce

qu'elles sont porteuses d'une dynamique de partage et d'échange oral entre leur auteur et l'artiste en

recherche-création. Elles nous renvoient aussi à Jacques Rancière (2000), pour un partage

démocratique du sensible. Elles autorisent à la fois ce qu’Éric Chauvier ([2011] 2017) nomme

« l'anthropologie de l'ordinaire » et ce que Marcel Mauss (2002) a expliqué comme l'enjeu de don et

contre-don dans la recherche sociologique, deux clés déterminantes pour les chercheurs liant la

production de données en sciences humaines sociales à une approche par la création artistique,

2 Tous ces auteurs se réfèrent aussi aux écrits de géoagronome spécialistes de l'impact de l'agriculture sur nos paysages,

comme les directeurs de recherche de l'INRA Jean-Pierre Deffontaines (2000) et Yves Luginbühl (2012). On se reportera aussi à

Claude Benois. Cf. aussi Picon, Dussutour et Jacqué (2003).

3 Concours organisé par le Parc naturel régional de la Brenne.

4 Bourdieu, P. ([1967] 2007). Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie. Paris : Les Éditions de minuit.

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comme le font Philippe Sahuc, sociologue à l'ENSFEA en même temps qu'homme de spectacle

(Sahuc, 2011 ; 2012) et Davia Benedetti, anthropologue en même temps que danseuse et

chorégraphe, tous deux enquêtant le monde rural – ils partagent avec moi la même approche sinon le

même modus operandi, mais nous relevons à trois sections différentes du CNU 5 .

À ce point, je dois faire deux constats.

L'un, c'est qu'en déterminant les images produites en plasticien à partir des entretiens réalisés, des

croquis et des photos ramenés, et de leur relecture interdisciplinaire, la place du paysage est

fortement minimisée par rapport à la représentation du contexte de travail – entendons par là les

bâtiments autant que les animaux, et le matériel autant que le produit des cultures (Christophe,

2007).

L'autre constat est que la réponse que je faisais dès 2002 à la question « Tu es plasticien, tu

travailles sur l'agriculture et la ruralité, donc tu travailles sur le paysage ? » correspond à la réalité

révélée au fil de la réalisation d'environ quatre-vingt-dix entretiens d’acteurs du monde agricole et

para-agricole, et diverses publications ; cette réponse, la voici : « Non, je ne travaille pas sur le

paysage, je travaille sur l'agriculture qui est une activité technico-économique dont le paysage n'est

qu'une résultante ».

II. Le paysage dans l'expression littéraire et agricole de l'appartenir

Abordons maintenant la place du paysage dans l'expression des enjeux de « l'appartenir » dans le

monde rural. Quand le paysage intervient-il, s'il intervient ? Par quels truchements ? À quelles fins ?

Deux entrées peuvent être brièvement évoquées : le paysage dans les écrits des auteurs limousins,

et le paysage dans le quotidien et les projets des acteurs locaux de la vallée du Mars dans le Cantal.

Ce sont là des angles d'étude utilisés entre 2011 et 2014 à Bordeaux au sein de l'équipe CLARE lors

du programme de recherche « L'Appartenir », qui étudiait la notion d'appartenance au milieu rural

dans une approche interdisciplinaire mêlant arts plastiques, littérature, géographie et anthropologie,

en substantivant le verbe appartenir.

Un détour par l'approche de quelques écrivains témoignant du monde rural montre que pour le

Limousin, qui a constitué ma région d'étude privilégiée, le paysage n'est pas vraiment traité en tant

que tel. C'est plutôt ce qui en constitue les fondements qui est mis en valeur : les reliefs et le substrat

rocheux principalement. Ils deviennent des éléments métaphoriques souvent rapprochés au caractère

attribué aux paysans et aux habitants de cette région de moyenne montagne, mélange d'austérité,

d'une certaine rudesse et du courage qu'il faut pour travailler les sols pauvres des plateaux et des

pentes pour une revenu économique décevant. Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Richard Millet,

Jean-Paul Michel, et bien d'autres (comme Marcelle Delpastre ou Gilbert Lascault dans la

génération précédente), ont récemment emprunté cette veine caillouteuse, comme l'ont notamment

souligné les chercheurs Jean-Yves Laurichesse (2014), Agnès Castiglione (2012), Claude Filteau

(2012) ou encore Thomas Bauer (2014). Chez ces auteurs limousins (on pourrait y ajouter Claude

Duneton ou Régine Rossi-Lagorce), le paysage est généralement présenté comme visualisation d'un

contexte local rude, car dans cette région granitique, il est le lieu d'un labeur qui coûte en sueur et

rapporte peu en céréales. On ne s'en étonnera pas : « C'est dans l'évocation des pratiques, et par la

liaison organique entre “les pratiques locales de façonnement” et les “formes de regard” que le

5 Conseil national des universités.

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rapport aux lieux se structure dans toute sa richesse et sa complexité » (Dubost et Lizet, 1995). On

comprendra que Bergounioux (2018) puisse évoquer « le socle granitique de l'imaginaire limousin »

Lors de deux journées de terrain avec l'équipe du programme « L'appartenir », dans la vallée de

Mars qui permet de gagner, dans le Cantal, le Puy Mary depuis la Corrèze, nous avons entendu

acteurs du territoire et chercheurs porter un regard contextualisé sur le lien au territoire (Alifat-

Peylet, 2014). On y parlait des prairies d'estive et des carrières, des burons des éleveurs et des

routes, des labels de qualité et du parc naturel, mais y parlait-on de paysage ? Oui, mais seulement

comme signe de l'évolution des pratiques agricoles. L'entrée esthétique a semblé ne valoir que pour

sa valeur touristique, ou du point de vue du technicien du parc naturel régional. Les bas-côtés de la

route sont-ils gagnés par les arbres depuis une vingtaine d'année parce que ni les propriétaires ni les

exploitants agricoles ne soignent les abords, et l'on déplore que les touristes ne puissent plus voir de

loin le Puy Mary culminant à 1783 m, lorsqu'ils font route vers lui. Les burons sont-ils à l'abandon,

et l'on déplore que le patrimoine foute le camp sans pouvoir y attirer les touristes. Les éleveurs

aveyronnais louent-ils des estives délaissées par les locaux, et l'on déplore que les animaux ne soient

qu'en transit constant et que les prairies soient moins bien entretenues. Le paysage ne se lit que par

des focus sur telle ou telle de ses composantes et en ce qu’elles témoignent d'une perte de savoirfaire

ou d'un changement de pratique agricole. Veut-on redynamiser tel village par un nouvel attrait

culturel, on envisage des résidences d'artiste ou un parcours de sculptures, et l'on n'envisage pas

d'agir sur le patrimoine paysager autrement que par des mesures partielles de protection.

Confrontés aux réalités de terrain, nous comprenons pourquoi le paysage est une résultante du

travail des agriculteurs : l'évolution des pratiques d'élevage ou de cultures l'impacte grandement,

mais sans qu'on en saisisse bien l'échelle temporelle ni les possibles remédiations. Et le monde

continue de tourner : « l'homme qui laboure ne se détourne pas pour un homme qui meurt », dit un

proverbe flamand mis en scène par Pieter Bruegel l'Ancien dans son tableau La chute d'Icare,

comme l'ont rappelé Fierens (1949) puis Lancri (1989).

III. Le paysage, grand absent d'un projet para-agricole de développement territorial

Une troisième phase de cette réflexion, très succincte, se rapporte à une expérience de chargé de

mission Animation et développement des territoires au sein du Ministère de l'Agriculture, en

Corrèze. Là encore, la notion de territoire se révèle plus prégnante pour les différentes catégories

d'acteurs et partenaires du projet, que celle de paysage. De fin 2012 à début 2019, autour d'un lycée

agricole et d'une communauté d'agglomération, des agriculteurs, des consommateurs, des

associations, des techniciens du territoire, des élus locaux, des enseignants de la formation agricole

et leurs étudiants ont œuvré collectivement, avec le soutien ponctuel de la Chambre d'agriculture, à

la conception d'un atelier de transformation, équipement partagé structurant de développement

technique et économique au profit des petites fermes. La question du paysage n'est jamais

intervenue, dans aucune des quatre phases d'études préalables menées par les étudiants de VetAgro-

Sup Clermont-Ferrand, ni par les bureaux d'étude ayant finalisé le projet de construction d'un atelier

de transformation de produits carnés et de légumes. Et quand on en arrive à l'implantation de la

structure voulue par tous mais projetée dans des réunions et enquêtes ayant évacué le rapport de

l'agriculteur à son paysage, vous imaginez aisément qu'un Conseil communautaire d'agglomération

se pose davantage la question de l’accès au réseau routier que celle de l'impact paysager pour acter

la construction de 2500 m 2 nouveaux. Mais ayant été le chargé de mission qui a lancé ce projet, je

savais déjà, comme on l’a vu, que « Non, je ne travaille pas sur le paysage, je travaille sur

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l'agriculture qui est une activité technico-économique dont le paysage n'est qu'une résultante » 6 ; et

pourtant, j'y repérais évidemment des liens à l'appartenir et des enjeux d'identité et d’interrelations

territoriales que j'allais valoriser dans des articles et communications (Christophe, 2018a ; 2017 ;

Teyssandier et Christophe, 2016)... mais pas en plasticien. Je n'étais plus alors dans la créationrecherche

portant à la transdisciplinarité mais un simple fonctionnaire dissociant ses pôles de

compétences.

Et l’on ne va pas reprendre là une approche marxiste comme peuvent en développer William

Hayon et Jean-François Chevrier (2003) ou Brian Holmes, à propos de photographes ayant

documenté le rural comme Marc Pataut, Gilles Saussier ou Gérard Dalla Santa.

IV. Sous le regard des plasticiens

Une dernière entrée permet d'aborder le point de vue offert par des artistes plasticiens. Une

déclinaison de notre problématique est déjà repérables à travers deux grands noms de l'histoire de

l'art occidentale : Pieter Bruegel et Louis Le Nain. Cela nous offre un comparatif par un flash-back

aux XVI e et XVII e siècles, puis nous reviendrons vers les conscientisations des artistes de notre

époque (Christophe, 2018b).

Bruegel ne peint pas des paysages réels, il les recompose au besoin à l'aide de quelques croquis

rapportés de son voyage en Italie, des Alpes à la baie de Naples, et il y intègre ceux réalisés en

observant des paysans flamands, travaillant au jardin, collectant le miel, fauchant, ou se reposant

après la moisson. Dans La chute d'Icare, il peint un paysan qui tourne le dos non seulement à

l'homme qui meurt et à la bourse abandonnée au coin du champ, mais au magnifique paysage côtier

et au bateau qui vogue vers les îles lointaines. Regardeurs maintenus à l'extérieur de la scène, nous

savons que « l'homme qui laboure ne se détourne pas pour un homme qui meurt ». Mais Bruegel ne

s'intéresse pas au véritable paysage des travaux champêtres qu'il nous montre. C'est tout le contraire

de Louis Le Nain, qui comprend au XVII e siècle que l'agriculture de grandes cultures céréalières a

déjà profondément modifié la plaine de Laon, supprimant les arbres et les haies, et, devant ce

remembrement avant la lettre, il peint la première vue de ce que les agronomes nommeront bien plus

tard un paysage d'open fields. Un paysage plat, dépourvu de relief et de verticales puisque sans

buttes ni bosquets, un paysage qu'on dirait volontiers triste et moche.

Qu'on n'aille pas me faire dire ce que je n'ai pas dit, il y a bien des artistes figurant la vie rurale

pour qui le paysage lui-même compte autant que la représentation des activités paysannes, depuis

les frères Limbourg situant la série des « travaux des mois » devant les châteaux du duc de Berry,

jusqu’aux peintres de la III ème République rurale, Léon Lhermitte ou Jules Breton, et aux

photographes de la Farm Security Administration à l'époque du New Deal, comme Marion Post

Wolcott dans les champs de coton ou de tabac du sud des États-Unis, ou les peintres Grant Wood et

Alexandre Hogue dans le Middle West. Mais ces artistes ne sont pas la majorité, et plus on avance

dans le temps, plus ils s'approprient un autre enjeu à travers leurs images du monde paysan, celui de

la conscientisation des nouvelles problématiques sociétales, environnementales et mondialisées,

comme certains de nos contemporains ayant été invités en résidence d'artiste dans des

établissements d'Enseignement agricole, et je pense à Eduardo Kac intervenant en Poitou, à Jean-

Paul Ganem en Périgord ou à Phet Cheng Suor en Corrèze. Quoi qu'il en soit, si perspective,

cadrage, site et carte sont bien utiles à Anne Cauquelin (2000) pour reconstituer une histoire de la

6 C’était d’autant plus évident dans ce cas j'intervenais en tant que fonctionnaire de l'Agriculture chargé de mission et

non pas comme chercheur-intervenant, bien qu’étant dans ces mêmes années chercheur associé à CLARE – Cultures,

Littératures, Arts, Représentations, Esthétiques, EA 4593, Université Bordeaux Montaigne.

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relation à la nature et à l'environnement par la peinture, les objectifs sont ailleurs avec les artistes

que je viens d'évoquer : leurs emplois du paysage se font vecteurs de discours sur la société rurale de

leur temps.

Je me risquerai pour terminer à un retour sur « l'appartenir » limousin, à travers l'évocation de

trois artistes du XX e siècle, aux statuts divers. Cela nous permet de retrouver dans des expressions

plasticiennes les échos des questionnements que nous avons eu précédemment sur la place du

paysage dans les témoignages recueillis. Léon Jouhaud (abandonnant l'exercice de la médecine

après la Grande Guerre pour devenir le plus important peintre et émailleur de sa génération en

Limousin), Antoine Paucard (paysan, maçon et sculpteur inconnu au pied du massif des

Monédières), Henri Cueco (professeur au collège d'Uzerche puis à l'ENSB-A à Paris). Trois

identités, trois liens au territoire limousin, trois approches du paysage.

Léon Jouhaud, dans une veine inspirée des Impressionnistes, des Nabis puis des Cubistes, a laissé

des milliers de pastels et d'émaux paysagers, et d’assez nombreuses scènes urbaines mais très

rarement de scènes paysannes. Il fut en cela un peintre héritier de Monet, un coloriste proche de

Gauguin, un dessinateur comparable à Steinlen, un compositeur suiveur d'André Lhote. Un homme

du XIX e siècle, atterri en Limousin et donnant une œuvre d'émail novateur pour le XX e siècle. Il ne

s'est pas plus intéressé à l'activité agricole que Paul Cézanne ou Fernand Léger : dans ses

compositions, le paysage joue seul sa partition, insensible à l'activité humaine dont il pourrait être le

cadre.

Antoine Paucard, véritable artiste brut, a sculpté son appartenir. Petit paysan et maçon, fils de

meunier, il fut un élève appliqué puis fut cavalier dans un régiment de chasseur d'Afrique, avant de

revenir au pays : le gars typique de la III ème République. Devenu vieux, il sculpta grandeur nature

son panthéon personnel : le général Marguerite côtoie Napoléon, Vercingétorix s’allie avec Sédulix,

chef des Lémovices, « Ève, notre mère à tous » jouxte le Chasseur d'Afrique, son père voisine avec

sa grand-mère maternelle. Figues de pierres grossièrement taillées, calées d'un bout d'ardoise,

assemblées au ciment. À côté, dans un ciment grossier, un moulin en réduction, une assiette de

crêpes de blé noir (les tourtous), une poule, quelques évocations ésotériques d'un ciel mystérieux

(« J'interroge le ciel mais je n'en doute pas », inscrit-il sur son tombeau-œuvre). L'appartenir, oui, il

est bien devant nous, dans le modeste musée Paucard de sa commune de Saint-Salvadour, mais le

paysage, non, il n'y est pas, même pas dans les œuvres en bas-relief. Ce petit paysan corrézien avait

d’autres soucis que le paysage, entre son travail, ses velléités d’expatriation, son engagement

politique et ses amis du maquis (Christophe, 2018c).

Peintre et fondateur du Salon de la Jeune Peinture, promoteur de la Figuration critique, professeur

aux Beaux-Arts de Paris, écrivain aussi, Henri Cueco a travaillé la question du paysage, et

spécialement du paysage limousin. Il en a fait ce qu'il nomme de la « petite peinture », sans

prétention, ludique sans tomber dans l'anecdotique, et aussi de très grands dessins détaillant les

herbes d'une prairie, ou la brebis morte de faim et de soif par un été trop sec sur les pentes

caillouteuses où ses pas croiseraient ceux de Pierre Bergounioux pour qui l'âpre Limousin est Une

terre sans art (2018). Cueco dessine son voisin paysan, Louis, devant le paysage étagé des affluents

de la Vézère. Il a écrit sur ce pays – notamment dans La petite peinture (2001) –, et comme

Bergounioux, il se remémore ce qu'en disaient et et pensaient les anciens. « Il est brave, le

paysage », note-t-il. Il sait qu'il écrit pour des lecteurs cultivés, souvent urbains, propres sur eux,

mais qui ne connaissent pas le rapport des paysans limousins à leur terre. « Il est brave ! », « Qu'o

bravo ! » disait mon arrière-grand-tante Catherine, en patois limousin, ça signifiait : il est fort, il est

courageux au travail. On le dit d'un homme, on peut le dire d'un cheval ou d'un coin de terre. Et,

nous rappelle Cueco, d'un paysage : c'est-à-dire qu'il nous donne ce qu'on en attend quand on le

cultive, qu'on y fait du foin ou du sarrasin, des navets ou des courges, des châtaigniers ou de la

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vigne. Et s'il est « brave », le paysage, c'est parce que, pour l'agriculteur (qui se dit maintenant chef

d'exploitation s'il penche syndicalement à droite ou paysan s'il penche à gauche), il est avant tout

une vaillante terre de production.

Brève conclusion en ritournelle

Alors non, durant toutes ces années, je n'ai pas travaillé sur le paysage, mais sur l'agriculture qui

est une activité technico-économique dont le paysage n'est qu'une résultante. Et ce faisant, je n'ai pas

fait qu’œuvre de plasticien ; je produisais aussi des données en sciences humaines et sociales.

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http://www.projetsdepaysage.fr/fr/caracterisation_spatiale_et_mesure_des_paysages_agricoles

Teyssandier, J.-P., et Christophe, D. (2016). « De l'ouverture internationale à l'action locale ! », in Pour, Revue du

GREP, n° 288.

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Proposition de mise en conscience à l’unicité du

Monde par le paysage

Proposal to raise awareness of the unicity of the World through the

landscape

Jean-Charles Lefranc 1

1

Association Nijal (jean-charles@nijal.org)

RÉSUMÉ. La vie est une géographie et le paysage une présence en conscience aux mondes. La Terre est la maison

que nous partageons avec l’ensemble de tous les autres êtres vivants. Cette présentation a pour objectif de mettre en

perspective les paysages planétaires dans les diverses représentations de ceux-ci par les peuples autochtones, à

travers une conscience holistique des paysages, à la fois lieux de vie et ressources pour le vivant. Afin de remettre en

perspective nos représentations occidentales des paysages, j’ai proposé via un support photographique de suivre un

chemin à travers l’escarpement sinueux d’une réflexion plurielle transversale et intégrale du paysage planétaire

(photographies prises lors de mes voyages). Ce questionnement pluriel a pour vocation d'ouvrir l'auditoire aux

démarches écosystémiques de l’être en conscience dans le paysage, vécu dans le cadre des liens d'interdépendance.

Le cheminement qui vous est proposé ici s'appuie sur un questionnement personnel à travers le prisme universel.

Chaque question est une proposition, une invitation au voyage par le changement même de perspective sur le

paysage lui-même. La rencontre entre l'envie et les « possibles–paysages », met en synchronicité les métamorphoses

et les synergies des implications ouvrant aux consciences des mondes. Cette approche systémique peut être mise en

lien avec une approche sphérique des représentations des mondes du Vivant.

ABSTRACT. The earth is the house that we share with the whole living beings. The purpose of this presentation was

to put into perspective the landscapes all over the planet and their various representations by the native people

through a holistic conscience of the landscapes, these being at the same time living spaces and resources for the

living. In order to put into perspective our western representations of the landscapes, I proposed by way of visual

photographic aids, to follow a way through the tortuous escarpment of a plural transversal and total reflection of the

world landscapes.

This plural questioning aims to make the audience aware of the ecosystemic processes of the « being » in

consciousness into the landscape experienced with interdependence links. The reflection that is proposed to you is

based on a personal questioning through the universal prism. Each question is a proposal, an invitation to travel by

changing your point of view on the landscape itself. The meeting between the desire and the « possible-landscapes »

out into synchronicity the transformations, the metamorphoses, and the synergies of the implications open on the

consciousness of the worlds. This systemic approach of the representations of the worlds of the living beings.

MOTS-CLÉS. Paysage, mondes, terre, vivant, conscience, unicité, holistique.

KEYWORDS. Landscapes, worlds, earth, living beings, consciousness, unicity, holistic.

Le texte de cet article fut présenté lors d’un colloque à l’Université - Toulouse Jean Jaurès, sous

la forme d’une conférence autour d’une série de photographie, pour amorcer un questionnement sur

le paysage. Il s’agissait d’introduire l’atelier in situ qui eu lieu le jour même, sous la forme d’une

marche de quelques heures autour du village de Clermont-le-Fort, lors duquel nous avons partagé

une lecture cosmologique du paysage, à partir de la perception sensible et des échanges collectifs.

Cette présentation avait pour objectif de mettre en perspective les paysages planétaires dans les

diverses représentations de ceux-ci par les peuples autochtones, à travers une conscience holistique

des paysages, à la fois lieux de vie et ressources pour le vivant. Afin de remettre en perspective nos

représentations occidentales des paysages, j’ai proposé via un support photographique de suivre un

chemin à travers l’escarpement sinueux d’une réflexion plurielle transversale et intégrale du paysage

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planétaire (photographies prises lors de mes voyages planétaires). Ce questionnement pluriel a pour

vocation d’ouvrir l’auditoire aux démarches écosystémiques de l’être en conscience dans le paysage,

vécues dans le cadre des liens d’interdépendance. Après cette présentation, l’auditoire a été convié à

se rendre en paysage pendant trois heures afin de découvrir des outils et d’ouvrir l’œil avec un autre

prisme sur les constituants de ce lieu de vie. Ici, un petit village sur les hauteurs de la vallée de

l’Ariège s’ouvrant sur la chaîne des Pyrénées.

La Terre est la maison que nous partageons avec l’ensemble de tous les autres êtres vivants - qu’il

s’agisse des autres animaux, des insectes, des poissons, des arbres, des plantes, etc. Ici, sur Terre,

nous habitons tous le même lieu dans Laniakea (« paradis incommensurable » ou « horizon céleste

immense » en hawaïen). Un point dans l’Univers. Le cheminement qui vous est proposé ici s’appuie

sur un questionnement personnel à travers le prisme universel. Chaque question est une proposition,

une invitation au voyage par le changement de perspective sur le paysage lui-même.

– Quelles perspectives offre le paysage dans le cadre de nos mobilités de perception de celui-ci ?

– Comment partir à la rencontre des paysages ?

– Comment bien vivre sur place ses découvertes des paysages ?

– Comment bien revenir d’un voyage en paysages pour poursuivre l’Odyssée de ses réalisations

paysagères ?

– Comment bien se préparer à rencontrer le paysage ?

– Par la lecture et la littérature ?

– Par l’observation et l’oralité ?

– Quelles mobilités sont offertes à nos sens dans les géographies paysagères ?

– Quelle carte utiliser pour se repérer dans les paysages ?

– Pourquoi s’ouvrir aux paysages ?

– Comment partir en paysages ?

– À quels moments regardons-nous le paysage ?

– Dans quel état d’esprit accueillir le paysage ?

– Comment se déplacer dans les paysages ?

– Dans quels paysages évoluons-nous ?

– Comment faire paysage ?

– Dans quelle esthétique des paysages évoluons-nous ?

– Le paysage a-t-il un impact sur la morphologie de ses habitants ?

– Quels types de ressource est un paysage ?

– Quels sont les liens entre les paysages et les ressources alimentaires ?

– Dans quelle esthétique des paysages évoluons-nous ?

– Dans quelle éthique des paysages évoluons-nous ?

– Comment est vécu le paysage de l’autre côté de nos frontières ?

– Comment est vécu le paysage par les autochtones ?

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– D’où regardons-nous le paysage ?

– Le paysage a-t-il un impact sur notre espérance de vie ?

– Comment s’orienter dans les paysages ?

– Suivons-nous les sentiers battus ?

– Quelles cultures structurent l'imaginaire du paysage ?

– Comment accueillir culturellement le paysage ?

– Comment regarder le planisphère dans l’espace-temps géopoétique et paysager de la Terre ?

– Qui vit le paysage ?

– Le paysage a-t-il un impact sur notre joie de vivre ?

– Comment regarder un paysage ?

– Comment bien vivre la réalité d’un paysage urbanisé ?

– Comment accommoder son quotidien au paysage ?

– Quelles consciences des rencontres dans le paysage ?

– Quels paysages pour nos enfants demain ?

– Comment bien se repérer dans l’espace géographique civilisationnel ?

– Quand les humains et les dieux communiquent-ils par le paysage ?

– Quand le fleuve façonne-il le paysage et comment ses sinuosités enivrent-elles nos sens ?

– Comment bien se repérer dans l’espace et le paysage du littoral ?

– Comment bien se repérer dans l’espace et le paysage de montagne ?

– Comment bien se repérer dans l’espace face à soi en toute objectivité ?

Enfin, je vous propose une approche sensible des paysages à travers la réflexion d’Hubert

Reeves :

« Toute philosophie est indissociable du monde émotif duquel elle émerge. Son intérêt

vient du fait qu'elle témoigne d'une expérience humaine, d'une rencontre d'un monde

extérieur avec le monde intérieur. Personne ne sait comment sont exactement les choses

quand on ne les regarde pas. »

La rencontre entre l’envie et les « possibles-paysages » met en synchronicité les métamorphoses

et les synergies des implications qui ouvrent aux consciences des mondes. L’approche systémique

qui vient de vous être présentée peut être mise en lien avec une approche sphérique des

représentations des mondes du Vivant.

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