2020 - Vol 4 - Num 2
La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.
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Arts et sciences
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Rédactrice en chef
Marie-Christine MAUREL
Sorbonne Université, MNHN, Paris
marie-christine.maurel@upmc.fr
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et Limoges jeancharles.hameau
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Laboratoire d’archéologie
moléculaire et structurale
Sorbonne Université Paris
philippe.walter@upmc.fr
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Arts et sciences
2020 - Volume 4
Numéro 2
‣ Among the trees: iterating geneses of forms, in art and in nature…………………………………………1
Giuseppe Longo et Sara Longo – DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0473
‣ Depictions of the Deep: Illustrations in the Popular Press of Deep-Sea Animals
from Jules Verne (1860's) to William Beebe (1930's) and beyond…………………………………………7
John R. Dolan – DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0475
‣ Kosmoopera : entre Cosmos et Cosmogonie……………………………………………………………………….31
Kristian Feigelson – DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0477
‣ Infini de Dieu et espace des hommes en peinture,
conditions de possibilité pour la révolution scientifique…………………………………………………..…39
Giuseppe Longo et Sara Longo – DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0486
‣ La géométrie et la vie des formes…………………………………………………………………………………….…57
Ruth Scheps – DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0498
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Among the trees: iterating geneses of forms, in art
and in nature.
Entre les arbres : itérer la genèse des formes, en art et dans la nature.
Giuseppe Longo 1 , Sara Longo 2
1
CNRS, Ecole Normale Sup., Paris,
https://www.di.ens.fr/users/longo/
2
Paris 1, Panthéon-Sorbonne,
https://hicsa.univ-paris1.fr/page.php?r=23&id=216&lang=fr
Publié le 6 février 2020 DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0473
ABSTRACT. In many dynamics of nature we may witness the iteration of a morphogenetic process. Mandelbrot
fractals allow us to give an elegant mathematical representation of those engendered by physical processes and
provide new tools for an insight into some dynamics in Quantum Physics. The art photography book, reviewed here,
proposes an original perspective of the forms and shadows of trees’ branches and leaves. It stresses the nonalgorithmic
diversity of biological morphogenesis, by adding also the artist’s interpretation by double exposures and
filtering techniques. Analogies with two modern figurative painters will be hinted as well as the distortion of knowledge
and economic action induced by fast-trading and the search of fractal regularities in the stock-market.
KEYWORDS. Mathematical fractals, art photography, shadows in painting, biological morphogenesis, physical
iteration, economic dynamics, Benoît Mandelbrot, René Magritte, Simon Hantaï, Luca Caciagli.
A recent collection of pictures by the art photograph Luca Caciagli is introduced by the author as
follows:
The "Komorebi" project is inspired by fractal geometry.
“Komorebi” is an untranslatable Japanese word, which eloquently captures the effect of sunlight
streaming through the leaves of the trees.
The term "fractal" was coined by the mathematician Benoît Mandelbrot, to describe those
irregular forms of nature, such as a cloud, a coast, a tree. Extending any part of a fractal gives a
figure similar to the original. I believe that photography can make us imagine more complete
relationships between man and nature, based on concepts of unity, interdependence and equality,
inherent in the idea of fractals. In Komorebi, the affinities in the fractal geometric structure are
reinterpreted with the double exposure trying to distance the viewer from the classic identification of
a subject present in nature.
Instagram: @lu.caciagli
Web page: www.caciagliluca.com
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1
In Caciagli's photos, the encounter between two shapes folds and unfolds nature: the interrupted
geometries bend the living being to the vision, the random ramifications explain to the observer an
uncertain visibility.
Thus, filtering through the leaves, between the branches, the trunks, reflecting in the water… the
light plays with the regularities and irregularities of nature, iteration of motifs and their diversity.
The artist highlights both but, where the living being is at the origin of these plays of light, the
diversity of the details of the iterated forms is omnipresent in the photo.
Iterated morphogenesis, hence evocation of fractal forms. Fractals are in fact a beautiful
mathematical invention, based on the iteration of a genesis of forms: they express an invariance of
scale, a symmetry, that is they describe shapes that are identical to any enlargement of the image.
The iteration of an algorithm, a set of instructions on how to draw a curve - often given as a
recursive equation - allows for the generation of remarkable ones.
Here is a very simple one, the Koch fractal (the reader can reconstruct the generating algorithm)
and two others whose description, more complex, requires however only one equation.
Do they evoke natural forms? Of course, wherever an "iteration of a morphogenetic process"
occurs, a fractal can be glimpsed: "self-similarity" characterizes them.
In mathematical physics, more and more of them are proposed in order to understand and to
describe: the inert, if subjected to regular play of forces in homogeneous environment, gives rise to
diffusion processes that are iterated, self-similar. It is not exactly so in case of an image that refers to
the result of a process of living growth. And the artist shows us: fractals not so much fractals,
diversity in the iteration. Here is the richness that creates art in Luca Caciagli's photos.
So, let's see why art photography brings us closer to Biology than the current modelling in
homogeneous mathematical spaces, including fractals, and this unlike Physics: the living is the
result of a "never identical iteration of a morphogenetic process".
In Biology, the reproduction from a cell that splits to a reproducing organism, always occurs with
variation: this is the first principle of Darwin’s heredity ("Descent with Modification") expressed
and insistently iterated, in four of the first six chapters of the Origin of Species: in a sense, each
reproduction forces a “symmetry breaking”. Modifications are induced, Darwin says, by the “high
sensitivity” (!) of the organisms both to internal and external changes – in dynamically
heterogeneous ecosystems, we may specify.
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Moreover, mathematical and physical fractals can be "beautiful", the eye is impressed with, but
they are not "art". There is not that play of broken symmetries and irregularities that the artist’s
interpretation proposes, that suggests and claims a glance, also from the viewer.
Caciagli's photos show the result of dynamics of the living being, iterating forms, of course, but
always in a different way, well beyond the obsessive and artificial invariance of scale given by an
algorithm, produced by a machine.
The artist proposes a point of view, he interprets nature, he looks at it and makes us looking at the
surprises that the living being reserves. He therefore underlines the diversity production, in the
iteration of forms too, in the reproduction of cells and complex organisms. Caciagli uses further
technical tool to diversify the views on nature, to interpret it, to interpret iteration: the double
exposure.
So, branches in front of leaves becoming water fronting trunks…in the photos the gaze walks
along the surface following the playing of whites and blacks; the eye is often attracted and stopped
by a darker part which is not a shadow but a double layer of matter.
What's foreground and what's behind? Is the darkest branch foreground?
So it would seem but looking more carefully we realize that sometimes it’s a light, almost
invisible branch which, once overlaid on the dark branch, cancels the latter.
Thanks to the double exposure technique chosen by the artist, one photo meets the other and their
matching creates an opacity, giving the graphic embroidery a third dimension.
The thickness turns into bidimensional surface again when the two photos get close, producing
white color.
One tree cancels the other, a piece of sky hides a branch and overpoweringly brings back the
opaque white of the printing sheet.
This recalls us Magritte’s painting, where the tree and the background of the painting switch
before the horse, trotting in front of the tree and the background. Not by chance Magritte entitled his
painting Le blanc-seing, the vision of white, of the background, of the flat, the sign that the “behind”
is “front” at the same time since after all it is on a flat sheet that everything takes place.
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René Magritte, Le blanc-seing, 81,3 × 65,1, oil on canvas, 1965. Washington, National Gallery of Art.
In those shades of white of Caciagli's photos, the composition creates a crease of matter.
Simon Hantaï does it with the canvas itself: he crumples the cloth, dips it in the painting, then
stretches and spreads it. Each white spot has the same thickness as the colored spots.
Simon Hantaï, Étude, 1969, oil on canvas, 275 x 238 cm. Washington, National Gallery of Art.
Let's go back to discuss the physical-mathematical significance of fractals and their modest
biological relevance, and then talk about the distortion they induce in the analysis of some human
dynamics: It is precisely the detachment from the algorithmic abstractness, which may be useful in
the analysis of the inert, that allows the photographer's gaze on life of making art.
Classical physics is based on mathematics of the continuum, more precisely on trajectories and
smooth (differentiable) surfaces: the measurement, always an interval (it is approximated) does not
allow you to go below a threshold where the differentiable continuum no longer makes sense, the
threshold of quanta.
Thus, very interesting proposals describe quantum dynamics in terms of fractals (coherent states,
condensation of bosons ...), allowing us also to conceive an infinity of optimal paths between two
points. We are not talking about the "real", inaccessible in microphysics, but of the effective
mathematical descriptions of the continuous and discrete overlapping, typical of the quantum.
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But ... the lungs and the vascular system are they fractals, as many claim? Is it so for any “natural
tree” diffusing matter for life by the formation of iterated branching?
Vaguely so ... lungs and arteries are not made of inert, soft matter, fully shaped by physical
forces, such as the pre-natal pressure of the inhaled amniotic fluid, of the blood pumped from the
embryonic heart, a forced flow. They are instead made of cells that reproduce with variation
(Darwin) and move: those physical forces, pressures and flows, act as physical constraints that
canalize cells’ reproduction with variation and motility in a "roughly" fractal form. Diversity, within
a lung and of lungs in a population, contributes to their stability, to "fitness": this is unimaginable if
these organs were exact, scale invariant fractals. Moreover, in some cases, such as the mammary
glands, no internal flow, no lactation forces their embryogenesis: their vaguely fractal structure
(more an iterated disconnected graph) derives from active cell reproduction and motility under the
constraints of the tissue texture that they simultaneously generate (see the work by M. Montévil
linked below). At lactation, the dispersed branching becomes connected and functional, by its
penetrating diversity and irregularities.
Have a look to a field of true sunflowers or cauliflowers, often evoked for the "fractality" of some
of their forms: they are all different and each individual violates the alleged fractal structure
generated by Fibonacci series, as it is sometimes told. And this diversity, as always in the living, is
functional to the resilience of the field, of the single flower, its resistance to changes in the
ecosystem. Life dynamics break the symmetries; randomness is not noise, dirt, like in
algorithmically created drawings of fractals or in crystals, but variability and diversity production at
the core of biological dynamics.
The fractal suggests a background "pattern", not useless to understanding, but highly incomplete.
The “causal” analysis must be reversed: first reproduction with variation and motility of cells, then
forces constraining the iterated dynamics, thus the quasi-fractal form, the apparent Fibonacci’s
series.
Caciagli’s trees tell us about it very well and the way the artist shows it, by adding to the
biological variability the diversity of his sights and of the techniques, does underline it further. Art
and science touch each other.
Biology is a science whose time is marked by the production of diversity, by broken symmetries,
such as scale invariance / symmetry. So is the economy, yet another historical science. The anhistoricity
of physical-mathematical origin makes a caricature of it and often produces disasters. See
for example the fractals used in the stock exchange.
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These take part in an analysis of short, very short, ultra-short term trends: often refined
mathematical analyses allow to make profits on very rapid price fluctuations, in which those who
better identify local regularities, fractals for example, earn more, very far from underlying economic
trends.
In other words, non-trivial mathematics helps to hide economic trends: when the profit is mainly
or exclusively based on very rapid price fluctuations, we definitely move away from the economic
and ecosystem value of investments, not to mention labor-value or production, presumed
"underlying values". Nano-second fast-trading helps to make people forget the alleged "priceindicator”,
the basic trends that may also be destroying the ecosystem.
We need a reconstruction of meaning, in relation to nature, to economy, and the look of art on
nature, on its diversity, on the plays of light and possible readings, can make an important
contribution to both beauty and knowledge.
We also need to invent, and some of us try, new non-homogeneous mathematics, not only based
on symmetries and invariances, but also on their breakings, on the heterogenesis of forms, where
randomness is not noise but a component of variability and diversity production. The reader may go
to https://cardano.visions-des-sciences.eu/en/content/presentation-0, for the work by A. Sarti, M. Montévil on
heterogenesis, its mathematics and biological modeling, as well as, for an analysis of the “fog”
diffused by the stock exchange on economy, by N. Bouleau, a mathematician of stochastic
processes. These scientific analyses go beyond formal automatisms and the identical iteration of an
algorithm, from which also Caciagli's photos take us away with great inventiveness.
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Depictions of the Deep: Illustrations in the Popular
Press of Deep-Sea Animals from Jules Verne
(1860's) to William Beebe (1930's) and beyond
Portrait des eaux profondes : Évolution des illustrations d'animaux des
profondeurs dans la presse populaire, de Jules Verne (1860) à William
Beebe (1930) jusqu’aujourd’hui
John R. Dolan 1
1
Sorbonne Université, CNRS, Laboratoire d'Océanographie de Villefranche-sur-Mer, Station Zoologique, 06230
Villefranche-sur-Mar, France, dolan@obs-vlfr.fr
Publié le 19 février 2020 DOI : 10.21494/ISTE.OP.2020.0475
ABSTRACT. Our vision of deep-sea life changed dramatically with the results of scientific explorations and study of
the deep that began in the 1860's. Mythical monsters, epitomized by Jules Verne's giant octopus, gave way to
mysterious landscapes inhabited by odd creatures actually dredged up from the deep. While we now know of the
diversity and unusual life cycles of deep-sea creatures, visions of the deep as a world of monstrous creatures persists
today in the popular press.
KEYWORDS. scientific illustrations, popular press, oceanography, deep-sea exploration, history of science, history of
oceanography, marine biology.
Introduction
Here are shown, in five 'chapters', changes in the depictions of deep-sea life in popular books and
magazines. The time period covered is from the era of Jules Verne (1860's) to that of William Beebe
(1930's) and to recent years. The major focus is on the period of the 1860's to the 1930's as it
corresponds, firstly with early scientific exploration of the deep-sea, and secondly, growth in our
knowledge of natural history of organisms in the deep-sea. Traditionally images such as those
illustrating "20,000 Leagues under Sea" (and before) were of mythical monsters in the deep sea.
With the first scientific explorations of the deep sea, from the 1860's - 1920's, the existence of odd
creatures became known. The deep-sea was then depicted as an eerie land of monstrous forms but
about which little was known. Finally with the first systematic studies, including in situ observations
by William Beebe, some of the natural history of deep-sea organisms became known. Organisms
were then shown with their predator-prey relationships and depictions of life-cycle stages of deepsea
animals appeared. From the eras of Jules Verne to that of William Beebe, the imaginary
monsters of the deep were gradually replaced by actual animals but of many with frightening shapes
and unimaginable life cycles. Nonetheless, ferocious-looking and monstrous forms of the deep-sea
still remain popular in contemporary works.
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I. Jules Verne's 1860's: Mythical Giants ruled the Deep in the Popular Press
1869. Left Panel: Jules Verne's "20,000 leagues Under the Sea", the frontispiece in first edition
1869 showing sea serpents, giant narwhals and octopus observed by deep-sea divers. Right Panel:
Captain Nemo admiring a giant octopus. Illustrations by Édouard Riou. The inspiration for Nemo's
encounter is said to have been inspired by the "Calmar de Bouyer" alleged event of 1861 in which a
giant squid was captured (below).
1865. "Le Monde de la Mer" (Frédol 1865) contained an illustration of an alleged "1861 event":
the capture of a giant squid by the crew of the French steamer Alecon, near Cayene. Illustration by
P. Lackerbauer. The event, doubted by Frédol, included killing the squid by firing several canon
balls into it. The images of this event are said to have inspired Jules Verne (Hatcher & Battey 2013).
The giant deep-sea creatures in Jules Verne's book were commonly thought to exist in the 1860's
despite the dominant scientific view that life was not possible at great depth. Images of giant
creatures from the deep attacking ships have a long history as shown below.
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1868. An illustration of the "Kraken" - the mythical deep-sea creature attacking a ship during a
storm at sea. Illustration by E. Etherington. From Mangin's 1868 "Les Mystères de l'Océan".
Mangin detailed the long existence of Kraken stories.
1802. The first "scientific description" of a giant cephalopod: Le Pouple Colossal (Giant
Octopus) from Denys-Monfort (1802). Illustration by P. Denys-Monfort. Today it is considered no
more than an imagined deep-sea monster based on Denys-Monfort's finding a large tentacle, likely
from a deep-sea squid.
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II. Early Scientific Explorations of the Deep-Sea 1862- 1900: Existence of life and strange
creatures at great depths revealed
1862. This sketch of a brittlestar wrapped around of piece of sounding rope is likely the first
image of a deep-sea creature (from 2000 m depth) brought up alive, from Wallich 1862, Plate I.
Illustration by G.C. Wallich. About the same time that 20,000 Leagues was being written, the first
deep-sea explorations were underway. Early observations of deep-sea creatures were of organisms
on telegraph cable brought up from deep water for repair (e.g. Milne-Edwards 1861) dispelling the
dominant scientific notion of the time that life was not possible at great depth (i.e., Forbes 1844).
One of the early expeditions to determine the suitability of the sea-bed characteristics for laying
telegraph cables was an expedition of the British ship H.M.S. Bulldog sounding between Great
Britain and Canada in 1860. During the sounding operations, living deep-sea animals were brought
up, seastars - having attached themselves to the ropes dragged along the sea bottom. The image
above is from Wallich's 1862 account of the Bulldog expedition. He found deep-sea forms that
resembled those known from shallow waters, not monsters of any sort.
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1873. Following soon after the explorations of the Bulldog were the voyages of the Porcupine
and Lightening made famous in Thompson's 1873 book: "The depths of the Sea". While the Bulldog
expedition was a submarine survey seeking information for laying a telegraph cable, the Porcupine
and Lightning expeditions were specifically focused on collecting deep-sea life. The book's
illustrations of novel organisms in the dark sea, on a black background, were striking and the first
use of white on a black background. Illustrations by J. Wild. The organisms shown above appeared
as 4 separate illustrations. At the left, a stalked crinoid (relative of a seastar), top center is a
brittlestar much like the one retrieved on a sounding rope from the Bulldog expedition, the bottom
center shows a microscopic amorphous mass "Bathybius", thought to be a primordial life form, a
few years later revealed to be an inert chemical precipitate (Rehbock 1975), and at the left, a deepsea
sponge skeleton.
1877. The results from the Porcupine and Lightning revealing the existence of deep-sea life,
motivated in large part the organization of the Challenger Expedition (1873-1876), the first globalscale
oceanographic expedition (Bailey 1953). The 3-year voyage eventually yielded a massive
series of 50 volumes composed of over 80 monographs published from 1885 to 1889. The
illustrations above, from the Preliminary Report by C.W. Thompson in 1878, showed ferocious fish,
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monstrous, but small (left panel) and showed armored prawns, perhaps monstrous, but also small.
Illustrations by J. Wild.
1877. Another illustration from the Preliminary Report by C.W. Thompson in 1878 showed tiny
jewels of the deep sea - "Challengerids", protists of the microzooplankton, he named them (all about
200 µm in size) for the ship, the Challenger. Illustrations by J. Wild.
1885. The first French oceanographic expedition was the expedition of the Travailleur in 1880
(Rice 1980). In 1885 Filhol published "La Vie au Fonds des Mers: Les explorations sous-marines et
les voyages du Travailleur et du Talisman". Left Panel: Animals of the deep sea shown in an eerie
landscape. Right Panel: a fantastic, garden-like seascape. Illustrations by A.L. Clément.
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1885. A sea of fierce anglerfish from Filhol "La Vie au Fonds des Mers: Les explorations sousmarines
et les voyages du Travailleur et du Talisman". Illustration by A.L. Clément.
1894. By 1894 some of Filhol's images of scary fish mages were becoming wide-spread
appearing in other books such as Hickson's book "Fauna of the Deep" published in 1894.
Illustration by A.L. Clément.
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III. Early Modern Period 1900 - 1928: Actual deep-sea creatures appear in not only in books
but also newspapers and magazines
1900. The San Francisco Chronicle reporting on the findings of the Albatross explorations of the
deep Pacific. Pictured were preserved odd deep-sea fish but note that a deep-sea octopus still
decorated the view of the deep sea. Illustration by L. Anguth.
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1902. From an article in "Everybody's Magazine" by C.H. Townsend: "Life in the Deep Sea",
also on the Albatross expeditions. Note that that non- monstrous organisms, a microscopic
foraminifera (top) and a flower-like crinoid (bottom) were shown along with the Gulper Eel. The
unattributed illustrations were likely those of J. Wild.
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1902. "The Way of a Deep-Sea Fish". Illustration by A. Alcock. Perhaps the first depiction of the
natural history of a deep-sea fish, as it shows what it ate, a squid larger than itself. From Alcott's
1902 book, "A Naturalist in Indian Seas"
1903. The cover of Chun's popular book on the 1901 Valdivia Expedition was decorated with the
strange shapes of deep-sea fish. The Valdivia Expedition was the first large-scale (global) devoted
to investigation of deep-sea life. Cover artwork not attributed.
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1903. From Carl Chun's popular book (1903) on the Valdivia Expedition. More deep-sea oddities
from the first large-scale oceanographic expedition dedicated to deep-sea exploration, the Valdivia
Deep-Sea Expedition. Illustration by F. Winter.
1904. The mysterious view of the deep-sea persisted. From a Strand Magazine article by C.J.
Cornish "Living Lamps on Land and Sea" on bioluminescent creatures. Note that 2 of the 3 forms of
deep-sea fish shown are fearsome. Illustration not attributed.
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1904. Bullen's popular book "Denizens of the Deep" showing actual fish described as "strange
monsters", then known to exist and shown fearsome, in an eerie landscape. Illustration by C.L. Bull.
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1912. Illustrations of scary fish and bright red shrimp in the second large-scale expedition
dedicated to deep-sea explorations in 1910, from Murray and Hjort (1912) on Michael Sars
Expedition in the North Atlantic in their book "The Depths of the Ocean". Illustrations not
attributed.
1915. By Cleveland Moffett in Strand Magazine. Still showing deep-sea as full of Anglerfish and
monstrous forms. The artistic images of bizarre fish were based on actual reports from the Albatross
Expedition. Illustrations not attributed.
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1922. An illustration from the book "Haunts of Life" by J.A. Thomson. As the ship dredging is a
steamer, it is possibly the Albatross. Note the often-shown gulper eel, and the fish with stalked eyes
(also on the cover of Chun's 1903 book) but also a non-monstrous, flower-like, meter-long stalked
crinoid at the left. Illustration by W. Smith.
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1922. Bioluminescence in deep-sea squids from an article by Dahlgren (1922) on light production
by plants and animals in Natural History Magazine. The squid are non-threatening, not all deep-sea
creatures depicted were fearsome. Illustration by E. Grace.
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1926. Left Panel: The first illustration, the frontispiece, in William Beebe's book "The Arcturus
Adventure", an account of a 6-month oceanographic expedition in 1924 focused on deep-water
sampling. Illustration by H. Tee-Van. Note that the hachetfish, shown also by Chun in his 1903
book and Murray & Hjorts's 1912 book, while quite odd are not threatening. Right Panel: One of the
last illustrations in William Beebe's book, the anglerfish shown were found in deep water about 125
Km off New York in the deep-sea Hudson River Canyon. Ferocious fish, one with a diabolical
smile, were still prominent. Illustration by D. Franklin.
IV. Modern Period Views (1928 - Present Day): Beyond Deep-Sea Ferocity - Depictions of
Natural History
1928. "The Country of Perpetual Night", a picture of a deep-sea diorama showing fish swimming
about a whale skeleton. From Gregory (1928), an article in Natural History Magazine on the new
fish exhibition hall in the American Museum of Natural History. The caption emphasizes that
science has revealed that the odd morphologies of deep-sea fish are simply adaptations to live in the
'Perpetual Night'.
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1930. Illustration of the very strange life cycle of the deep-sea anglerfish, discovered in a few
years earlier by C.T. Regan (1925). The illustration is from an article by C.G. Noble in Natural
History Magazine, "Probing Life's Mysteries". The male of the fish species is a very small form that
attaches itself to the female and feeds from its blood. The life cycle of the fish is actually much
stranger than its morphology. The differences in male and female morphologies of the deep-sea
anglerfish are the most extreme example of sexual dimorphism known among all vertebrate animals
(Fairbairn 2013).
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1931. Odd, but non-threatening, deep-sea fish shown by William Beebe in his article in the
Annual Report of the New York Zoological Society on his deep sea sampling in Bermuda. Beebe
established a field station from which near daily deep-sea sampling was carried out. The Annual
Reports were distributed to all the over 4000 members of the Zoological Society of the Bronz Zoo.
The 1931 illustration may be the first of a deep-sea fish in the popular press as an appealing, rather
than a monstrous, form. Illustration not attributed.
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1932. Fierce fish from the cover of the Bulletin of the New York Zoological Society, the Bronz
Zoo member's newsletter, in September 1932. Threatening fish were still a popular image but this
time shown feeding on squid, not prey larger than themselves, and not as solitary monsters, but a
pair. Illustration by E. Bostelman.
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1934. An illustration in Beebe's 1934 article in Annual Report of the Zoological Society showing
some deep-sea fish, non-threatening, to be similar in feeding habits to surface water fish, feeding on
prey smaller than themselves shown magnified in the circle. Illustration not attributed.
1934. Left Panel: The inside back cover illustration from William Beebe's book "Half Mile
Down" on his dives in the bathysphere to observe deep sea creatures, the first in situ observations
ever made. Illustration by J. Tee-Van. Right Panel: Plate 1 from Beebe's book, Hachet fish as seen
through the porthole of the Bathysphere, crossing the light beam of the Bathysphere's light. Note the
harmless, social (schooling) depiction compared to the hachetfish images in the 1903 plate of Chun
or the 1912 plate of Murray & Hjort. Illustration by E. Bostelman.
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1934. Beebe's "Half-Mile Down" book had illustrations showing predator-prey relationships in
the deep based on his observations. Again, social scenes as schools of fish are shown, as predators
in the left panel, and as prey in the right panel. Illustrations by E. Bostelman.
1938. From Beebe's last popular article (1938) in New York Zoological Society Bulletin on a
deep-sea species concerned its life cycle - showing the remarkable sexual dimorphism and male
parasitism in deep-sea anglerfish in a cartoon-like fashion. A school of dwarf males are shown
headed toward the female. The species is the same as that shown in the 1930 article in Natural
History magazine. The bizarre secret lives of deep-sea fish were revealed to the public in a nearly
comical fashion. Illustration by G. Swanson.
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V. Contemporary Images of Deep-Sea Life: persistence of odd and ferocious forms
2009. Cover art from the book "Oceanic Anglerfishes: Extraordinary Diversity in the Deep Sea"
by Pietsch (2009). Beebe's bathysphere is shown descending into a monstrous sea of anglerfishes
much like that shown in Filhol's 1885 "La Vie au Fonds des Mers". Artwork by Ray Troll © 2008,
courtesy of Ted Pietsch.
2014. A painting by Henry Compton. From "Fire in the Sea: Bioluminescence & Henry
Compton's Art of the Deep" by David A. McKee, courtesy of Texas A&M University Press, College
Station, Texas, USA (www.tamupress.com). Note that the monstrous stalk-eyed fish larvae, (shown
by Chun in 1903, Moffet in 1915 and Thomson in 1922), appear to be attracted to the lighted lure of
the anglerfish. The stalk-eyed form was found by Beebe (1933) to be no more than a larval form of
a normal-looking, cigar-shaped fish, another example of a strange life cycle in deep-sea forms.
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Conclusion
Our visions of life in the deep dark sea changed dramatically from 19th to the 20th century. In the
popular imagination, the inhabitants changed from giant ship-eating cephalopods to ferocious, longfanged
fish in eerie landscapes. The change was due to scientific explorations of the deep-sea
revealing the odd inhabitants of the deep. The explorations also changed a scientific view of the
deep-sea from that of a life-less zone to that of a biome of surprising diversity of species with odd
morphologies and unusual life histories. Work in recent decades has revealed the deep sea to be
peppered with zones of hydrothermal vents inhabited by a unique fauna of amazing worms and
bivalves, dependent on symbiotic bacteria, in turn fueled by the hydrothermal vents (e.g.,Van Dover
1997). Nonetheless, it seems that the most popular visions of deep-sea life remain the monstrous
forms of strange fish!
References
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Beebe, W. 1931. Report of the director, department of tropical research. New York Zoological Society Thirty-fifth
Annual Report, pp. 89-94
Beebe, W. 1932. New York Zoological Society Bulletin 35, no. 5, cover illustration
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Kosmoopera : entre Cosmos et Cosmogonie
Kosmoopera: between cosmos and cosmogony
Kristian Feigelson 1
1
Professeur des Universités - Université Sorbonne Nouvelle - Paris
RÉSUMÉ. L’exposition Kosmoopera est un projet de recherche qui a débuté en avril 2019. Un an après, on pourra
découvrir les oeuvres de Valentina Mir au Centre de Russie pour la science et la culture à Paris. Cette exposition
événement ouvrira ses portes le 7 avril 2020 à la veille de la fête nationale russe qui commémore le premier voyage
de l’homme dans l’espace le 12 avril 1961. Grâce à l’amabilité et au soutien de Konstantin Volkov, le directeur du
CRSC, Valentina Mir a pu fréquenter l’Institut et rencontrer à plusieurs reprises les cosmonautes G. Padalka et A.
Borisenko. Ce dernier sera présent lors du vernissage et tiendra une conférence à cette occasion.
ABSTRACT. The Kosmoopera exhibition research project started in April 2019. A year later, the Russian Center for
Science and Culture in Paris invite you to discover the works of Valentina Mir. The exhibition event take place on April
7, 2020, a few days before the Russian National Day, which commemorates the first human journey into outer space.
Thanks to the kindness and support of Konstantin Volkov, chairman of the CRSC, Valentina Mir joins the Institute and
meet the cosmonauts G. Padalka and A. Borisenko on several occasions. A. Borisenko will be present at the opening
and will hold a conference.
MOTS-CLÉS. Valentina Mir, miramorphoses, kosmoopera, collage, Gagarine, Padalka, Borisenko, cosmonaute,
Konstantin Volkov, CRSC.
KEYWORDS. Valentina Mir, miramorphoses, kosmoopera, collage, Gagarine, Padalka, Borisenko, cosmonaute,
Konstantin Volkov, CRSC.
D’Europe jusqu’en Russie, Valentina Mir perpétue aujourd’hui à Paris son itinéraire d’artistevoyageuse
du Cosmos. Le prisme de son regard initial s’élargit dans son Kosmoopera au-delà
des frontières. Ici cet espace d’infni déploie des visions étonnées pour révéler un Cosmos
inédit, inventif et expressif. A partir d’un processus de collage/recomposition, Valentina Mir
nous propulse dans ce nouvel inconnu qui au départ nous semblait familier mais nous échappe.
Cette mise en scène de l’espace comme des espaces pourrait rappeler les techniques russes du
photo-montage. Mais son travail participe aussi d’une forme de décadrage. Elle nous propose
en fait une invitation à un voyage bien plus vaste dans le Cosmos, alternant formes et fonds,
conciliant le mouvement et l’espace-temps, la couleur et le noir et blanc. Rythmée de signes
mystérieux, de références toujours plus colorées mais aussi fragmentées, faites de traces et
d’empreintes dynamiques, issues des différents supports médias utilisés, cette œuvre composite
nous invite à toute une série de rencontres interstellaires. Son Cosmos renvoie tant à la nostalgie de
territoires nouveaux à conquérir que de territoires finalement inaccessibles. En explorant
l’espace-temps de ces cosmonautes toujours plus aux confins de la terre et du ciel, Valentina Mir
transgresse leurs frontières pour les rendre possibles et visibles. Sa démarche ancrée dans cette
aventure soviétique du Cosmos peut alors se concevoir comme un nouveau récit de voyage hors
du temps. Mais comment appréhender ce nouveau voyage utopique vers le Cosmos ? Dans une
démarche initiale qui pourrait nous rappeler le film soviétique muet « Aelita » de Protazanov
1924, lorsque la conquête de Mars apparaissait comme la métaphore décriée d’une utopie
nouvelle. Mais ici, sa galaxie plus personnelle se revisite à partir de figures spatiales
mélangées où les vaisseaux nous envelopperaient pour nous emporter vers de nouvelles
fantasmagories. Ces Miramorphoses sont entre ciel et terre, entre imaginaire et réalité, entre
photographie et peinture, entre verticalité et horizontalité. Elles dessinent des strates d’images
diverses empilées ou juxtaposées, mêlant Mark Rothko et Valentina Terechkova, Alexeï Léonov
et Vera Moukhina, Tatline et Lénine, Strelka avec Belka …Elles irriguent et vivifent en
permanence ce Cosmos réinventé comme lieu de passage personnel, entre droites, courbes,
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surfaces et profondeurs. Ses processus de collage s’ils révèlent en apparence une simplicité
à la fois stylistique et ludique, dissimulent sur le fond une recherche sur l’image toujours
personnelle et exigeante. Celle d’un Cosmos en suspension qui deviendrait au fur et à mesure
la quête personnelle de sa propre Cosmogonie. Comme si cette recherche oscillant autour de ce
mouvement perpétuel des images, nous invitait autant à un travail associatif qu’à une
méditation sur l’infini. Les représentations accolées et collées de ces Mirs deviennent tout un
kaleïdoscope d’impressions éclatées, renouvelées. Elles participent en permanence à un
processus de métamorphoses des images. Celles-ci deviennent inépuisables, rappelant leurs
sources multiples et démultipliées. Mais ces images sont autant d’histoires, décryptant les
relations entre mémoires collectives et individuelles. La texture de ces images rassemblées, ne
fait pas que révéler le passé mythique et glorieux de ces cosmonautes soviétiques, conquérants
d’un inutile mais semble retranscrire leurs gestes, leurs voix, leurs confidences, leurs
inquiétudes à vouloir toujours explorer cet infini. En redescendant sur terre avec Vostok 1,
Youri Gagarine figure tutélaire, décrivait ces transformations : « Le vaisseau spatial était
entouré de flammes,...j’étais un nuage de feu qui fonçait vers la terre ! ». Des paroles déjà
prophétiques qui lui conféreront dans l’éternité un statut d’astre terrestre, tour à tour
astéroïde puis ange céleste bien que proclamant ne pas y avoir rencontrer son Dieu !
D’ailleurs, en conclusion Youri Gagarine propose dans son autobiographie « Chemin du
Cosmos » (1961) sa propre vision pacifique de l’espace déclinant le Monde (Mir) sous
l’angle de la Paix (Mirou) « Mir Mirou : nous faisons tout pour la paix !». Sans oublier que
cette aventure spatiale soviétique s’était déroulée à l’époque dans un contexte de tensions
internationales et de guerre froide, le Cosmos devenant un champ de compétitions nouvelles
pour gagner la suprématie de l’espace. Ces paroles s’avèrent apporter un clin d’œil rétrospectif
aux tableaux de Valentina Mir, nous proposant sa vision pacifiée et artistique du Cosmos. Ici
les images se relient sous forme d’un récit. Derrière chaque histoire, il y aurait une part latente de
Cosmos. Il ne s’agit pas de dépeindre un Cosmos abstrait mais de recréer un Cosmos plus
intime où une image pourrait en cacher une autre. Participant d’une sorte d’histoire visuelle,
Kosmoopera permet sous un mode ludique, de retrouver des images cachées pour en faire
ressurgir d’autres. L’énergie de cet univers ne reflète pas la seule atmosphère de nos planètes
mais nous offre la possibilité de partir dans un voyage de l’espace-temps autour de galaxie en
mouvements. Aussi ces Miramorphoses, ne réhabilitent pas uniquement cette mémoire
collective mais interpellent et réinventent ce Cosmos des promeneurs de l’espace.
L’iconographie alors de Kosmoopera se redéploie comme une zone de virtualités nouvelles,
dépassant l’épopée héroïque de la conquête de l’espace. Valentina Mir ne fait pas qu’illustrer
tous ces points de passages pour recomposer en profondeur l’imagerie et l’imaginaire d’une
épopée mythique. Conçu comme une véritable recherche, Kosmoopera participe à
l’élaboration d’un nouveau mouvement vers l’infini. Son Cosmos devient une invitation
nouvelle au voyage dans un cheminement toujours plus coloré à la croisée de différentes
temporalités, celle d’hier et d’aujourd’hui. Mais ce voyage révèle aussi sa propre cosmogonie.
Si Valentina Mir permet de reconstruire une vision nostalgique du Kosmoopera, nous invitant à
l’accompagner ici dans de futurs périples, elle nous propose d’apprivoiser cette série de mystères
cosmiques et d’y projeter nos propres imaginaires.
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Avant-goût de l’exposition KOSMOOPERA - Valentina Mir
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Biographie
Valentina Mir est une artiste italienne qui vit et travaille à Paris.
Ses oeuvres se situent entre l’analyse de la mémoire individuelle et
l’étude de la façon dont cette mémoire devient imaginaire collectif.
Les dates à retenir (sous réserve)
28 mars 2020.
Vernissage de l’exposition collective: « Champ libre ». Valentina Mir y participe avec une
installation immersive: Miramorphose KOSMOOPERA. Commissaire d’exposition Raphael
Ocampo. L’exposition se poursuivra jusqu’au 31 Août 2020. Centre d’Art La Chapelle, 78120
Clairefontaine-en-Yvelines, France. Info: 01.34.94.39.87
7 avril 2020.
Vernissage de l’exposition personnelle KOSMOOPERA. Centre de Russie pour la science et
la culture à Paris. L’exposition se poursuivra jusqu’au 12 Avril 2020. L’exposition a lieu dans
le cadre de l’anniversaire de la cosmonautique liée à l’exploration de l’espace. CRSC, 61 rue
Boissière, 75016 Paris. Réservation : crsc.paris@crsc.fr.
17 Juillet 2020.
Vernissage de l’exposition personnelle KOSMOOPERA. Quadrifoglio, Galleria d’Arte
Contemporanea, Ortigia. L’exposition se poursuivra jusqu’au 31 Juillet 2020. Via dei Santi
Coronati, 13, 96100 Siracusa SR, Italie. Info: 0039 093164443
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Article translated by Geraldine Vine
From Europe to Russia, Valentina Mir pursues her itinerary of artist-traveller of the Cosmos
today in Paris. The scope of her initial work stretches out far beyond usual borders in her
Kosmoopera. Her artworks unfold astonishing visions to reveal a new Cosmos, both inventive
and expressive. Using a process of collage/re-composition, Valentina Mir propels us into this
new unknown which seems familiar at first but then eludes us. Her depiction of space as spaces
could remind us of the Russian techniques of photo-montage. But her work also uses a form of
deframing. She offers us an invitation to undertake a much longer journey into the Cosmos,
alternating forms and backgrounds, conciliating movement and space time, colour and black and
white. Punctuated rhythmically by mysterious signs, by more and more colourful but also
fragmented references made up of traces and dynamic imprints, resulting from the different
media supports used, this composite work offers us a whole series of interstellar meetings. Her
Cosmos evokes the nostalgia of new territories to be conquered and also of territories which are
finally inaccessible. By exploring the space time of the cosmonauts flying ever closer to the
edges of the earth and the sky, Valentina Mir trespasses into their frontiers to render them
possible and visible. Based on the Soviet adventure of the Cosmos, her art can be conceived as an
original tale of a journey out of time. But how to apprehend this new, utopic journey towards the
Cosmos? In an initial approach reminiscent of the silent Soviet movie “Aelita” by Prazanov in
1924, when the conquest of Mars appeared as the much criticised metaphor of a new utopia. But
here, her more personal galaxy is revisited in a jumble of space figures where the vessels wrap
themselves around us to carry us off towards new phantasmagoria. These Miramorphoses are
between sky and earth, between photography and painting, between verticality and horizontality.
They form strata of diverse images, piled up one on top of another or juxtaposed, mingling Mark
Rothko and Valentina Terechkova, Alexeï Léonov and Vera Moukhina, Tatline and Lenin,
Strelka with Belka…They irrigate and bring to life all the time this reinvented Cosmos as a
personal crossroads between straight lines, curves, surfaces and depths. Although apparently
revealing a playful and stylistic simplicity, her collage processes in fact dissimulate her highly
personal and demanding research on the image: that of a Cosmos in suspension which gradually
becomes the quest for her own Cosmogony. As if this research were oscillating around the
perpetual movement of images, prompting us in equal measure to work on associations and to
meditate on the infnite. The representations inserted and glued together in these Mirs are
transformed into a whole kaleidoscope of impressions, shattered, renewed. They participate
continuously in a process of metamorphosis of the images. The latter become inexhaustible,
reminding us of their multiple and de-multiplied sources. Her artworks constitute so many stories
decrypting the relations between collective and individual memories. The texture of these
reassembled images not only reveals the mythical and glorious past of Soviet cosmonauts,
conquerors of the useless, but seems to re-transcribe their gestures, their voices, their
confidences, their anxieties about always wishing to explore the infnity of space. Coming back to
earth in Vostok 1, Yuri Gagarin, the tutelary fgure, described these transformations : “ The
spaceship was surrounded by flames. I was a cloud of fre hurtling towards the earth!” Prophetic
words which would confer for all time his status as an earthly star, both asteroid and celestial
angel, although proclaiming that he had not met his God! Besides Yuri Gagarin proposes in the
conclusion of his autobiography “Road to the Stars” (1961) his own pacifc vision of space
declining the World (Mir) under the angle of Peace (Mirou) “ Mir Mirou : we do everything for
peace!
We cannot forget that this Soviet space adventure took place in a context of international
tension and a period of cold war, where the Cosmos became the field for new competition to win
the supremacy of space. Gagarin’s words add a retrospective nod to Valentina Mir’s pictures
which propose her peaceful and artistic vision of the Cosmos. Here the images are linked in the
form of a tale. Behind each story there could be a latent part of the Cosmos. It is not a case of
depicting an abstract Cosmos but rather of recreating a more intimate Cosmos where one image
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might hide another. In a sort of visual history, Kosmoopera playfully prompts us to find the
hidden images which will make others emerge. The energy of this universe does not only refect
the atmosphere of our planets, but offers us the possibility to set off on a voyage in space time
around galaxies in movement. Thus these Miramorphoses do not only rehabilitate our collective
memory but also question and reinvent the Cosmos of those who walked in space. The
iconography of Kosmoopera is deployed like a zone of new virtualities, going beyond the heroic
epic of the conquest of space. Valentina Mir does not merely recompose in depth the imagery
and the fantasy of a mythical epic. Conceived as a true work of research, Kosmoopera elaborates
a new movement towards the infinite. Her Cosmos becomes a novel invitation to travel along an
ever more colourful path at the crossroads of different temporalities, those of yesterday and of
today. But this journey reveals her own Cosmogony. If Valentina Mir allows us to reconstruct a
nostalgic vision of Kosmoopera, inviting us to accompany her here on future adventures, she
also engages us to tame this series of cosmic mysteries and to project our own imagination into
them.
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Infini de Dieu et espace des hommes en peinture,
conditions de possibilité pour la révolution
scientifique 1
Infinity of God and Space of Man in Painting, Conditions of Possibility
for the Scientific Revolution
Giuseppe Longo 1 , Sara Longo 2
1
CNRS, Ecole Normale Sup., Paris,
https://www.di.ens.fr/users/longo/
2
History of Art, PhD, Paris 1, Panthéon-Sorbonne
https://hicsa.univ-paris1.fr/page.php?r=23&id=216&lang=fr
RÉSUMÉ. Le riche débat grec et médiéval sur la nature de l’infini, en puissance et en acte, trouve une synthèse et
une réponse dans l’invention, en Italie et à la Renaissance, de la perspective géométrique. Dès le milieu du XIV e
siècle, des peintres-théologiens donneront à l’infini en acte de Dieu sa première forme symbolique : la ligne ou le point
de fuite dans les Annonciations, lieu de rencontre entre l’incommensurable et le mesurable, entre l’incirconscriptible et
le lieu, entre Dieu et l’homme. La géométrie projective des peintres renaissants, une décision théologico-picturale, un
geste à la limite infinie, organise alors l’espace des hommes, pour une humanité plus pleine, dans sa finitude, toujours
confrontée à l’infini de Dieu. Ensuite, l’espace et l’infini encadreront les dynamiques physiques, en tant que conditions
de possibilité pour la construction de la science moderne. Au cœur de cette nouvelle construction d’objectivité, le rôle
du sujet connaissant et de la relativité des systèmes de référence est aussi à retrouver dans l’explicitation du regard
relativisant du spectateur et de l’artiste en peinture. On posera la question de la pertinence de ses cadres, imprégnés
d’a priori épistémiques, voire ontologiques, dans une science historique telle la biologie.
ABSTRACT. The rich Greek and medieval debate on the nature of the infinite, potential vs actual infinity, finds a
synthesis and an answer in the invention, in Italy and during the Renaissance, of the geometric perspective. From the
middle of the 14th century, painter-theologians gave actual infinite of God its first symbolic form: the line or vanishing
point in the Annunciations, the meeting place between the immeasurable and the measurable, between the
incircumscribable and the locality, between God and man. The projective geometry of the Renaissance painters, a
theological-pictorial decision, a gesture at the infinite limit, organizes then the space of men, for a fuller humanity, in its
finitude, yet always confronted with the infinity of God. Then space and infinity will frame the physical dynamics, as
conditions of possibility for the construction of modern science. At the heart of this new construction of objectivity, the
role of the knowing subject and the relativity of reference systems is also to be found in the explicitation of the
relativizing gaze of the spectator and the artist in painting. The question will be raised as to the relevance of these
frames, impregnated with epistemic, even ontological a priori, in a historical science such as biology.
MOTS-CLÉS. Perspective en peinture, Renaissance scientifique, infini mathématique, épistémologie, espaces
physico-mathématiques, espaces biologiques.
KEYWORDS. Perspective in painting, scientific renaissance, mathematical infinity, epistemology, physicomathematical
spaces, biological spaces.
1. Une brève introduction à l’infini
Il n'y a pas d'espace dans la géométrie grecque. En traçant des lignes, à la règle et au compas
disons-nous aujourd‟hui, on mesure, on construit des figures, sans un "contenant infini", un plan, un
1 Dans ‘‘Les mathématiques dans l’oeuvre d’art’’ (R. Scheps et M.-C. Maurel resp.), ISTE-WILEY, 2020.
Version largement amplifiée et revue d’un texte paru dans ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd, London, UK, 2019, et,
en forme très préliminaire en français, dans "Le formalisme en action : aspects mathématiques et philosophiques", (J.
Benoist, T. Paul eds) Hermann, 2013.
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espace, qui serait "derrière" elles. Des symétries – des rotations et des translations – produisent la
preuve, au fini. Et l'infini potentiel (apeiron, sans limite, sans borne) est construit par des extensions,
des itérations : on étend sans limite finie le segment en une droite (le deuxième axiome), eis apeiron.
Si l'on se donne une collection de nombres premiers, on peut construire un nouveau nombre premier
qui est plus grand que tout élément de cette collection (le théorème d‟Euclide sur l‟infinité des
nombres premiers). Une extension et une itération sans fin du fini, du geste qui trace la droite à la
construction des nombres entiers. Le temps est infini dans ce sens, jamais présent dans sa totalité
dans notre pensée. L‟infini n‟est pas ce au-delà duquel il n‟y a rien, dit Aristote dans La Physique,
mais ce au-delà duquel il y a toujours quelque chose. Il est un devenir.
Paolo Zellini 2 nous explique que la distinction aristotélicienne entre cet infini mathématique à
construire pas à pas, potentiel, et l'infini qui est "déjà" là, en acte, qui englobe tout, sera reprise dans
le débat métaphysique au cours du Moyen Âge. Dieu est un infini qui enveloppe tout, inclut tout, audelà
duquel rien n‟est donné. Mais ce concept d‟infini actuel n‟est pas simple. Il est compris par la
négation par les aristotéliciens, comme chez Aristote ; et Dieu ne peut pas avoir un attribut négatif.
Saint Thomas toutefois forcera les esprits en excluant l‟existence d‟un tel infini en acte, sauf comme
attribut de Dieu et lui seul. Et ce concept d‟infini actuel se renforce, se précise positivement dans les
esprits. Au point que l‟évêque de Paris, Etienne Templier, décréta en 1277 l‟infini actuel comme
étant un attribut positif de Dieu et de sa création. Dieu, quand Il veut, installe l‟infini actuel aussi
dans le monde, par exemple en attribuant la Grâce Pleine et Infinie même à une femme, finie, Marie
- le bûcher était prêt pour ceux qui n‟étaient pas d‟accord. Cette “posture axiomatique” ferme
contribua certainement à stabiliser le concept d‟infini.
Zellini souligne fort justement l‟importance de ce débat pour la naissance d‟une cosmologie de
l‟infini qui va trouver sa plénitude, mystique d‟abord, puis scientifique, dans l‟Univers infini et « gli
infiniti mondi » de Nicolas de Cues (1401 - 1464) et Giordano Bruno (1548 - 1600).
2. L’infini dans le tableau et l’invention de l’espace mathématique
Le concept d‟infini actuel se précise donc dans un débat métaphysique, qui cerne l‟infini en une
seule “entité” et force la pensée à le concevoir dans sa totalité. Comment va-t-il passer aux
mathématiques, qui en feront un objet rigoureux du discours, voire une composante de la preuve ?
Le passage se fait par l‟invention de la perspective (la « prospettiva ») dans la peinture italienne
de la Renaissance 3 .
Le problème de la représentation des lieux où répartir les figures de la narration est au centre des
attentions des peintres depuis la fin du XIII e siècle. Les “boîtes” giottesques (ces maisons de poupée,
sans un mur, ouvertes vers le spectateur) sont des lieux qui ont pour finalité de contenir l‟historia et
d‟en rendre compréhensible l‟enseignement théologique. Par un agencement contigu, des lieux
spatiaux (boîtes, paysage, collines) rythment la narration - on y reviendra.
2 P. Zellini, A brief history of infinity. New York: Penguin, 2005 (en italien : Adelphi, Roma, 1980).
3 En Italie, le débat fut aigu à l’époque sur le nom à attribuer à cette nouvelle technique : « perspettiva », un “voir à travers”, qui
passera aux autres langues, ou, de façon plus pertinente, le choix d’un point de vue, une « prospettiva », comme on le verra.
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Giotto di Bondone, Vie de saint François, fresque, vers 1290. Assise, basilique saint François.
La perspective géométrique expérimentée par Filippo Brunelleschi en 1417 et définie en 1435 par
Leon Battista Alberti est une révolution : non seulement elle construit un espace unique de la
composition (et donc, sauf quelques rares exceptions, une narration unifiée) mais surtout elle est le
fait d‟une construction où l‟homme est à l‟origine de toute mesure (voir Alberti, De pictura, I, 19) et
où l‟infini, point de convergence des lignes orthogonales à la base du tableau, est contenu, enfermé
dans le cadre de la représentation. Depuis la seconde moitié du siècle dernier et en réaction à
l‟article inaugural d‟Erwin Panofsky (La perspective comme forme symbolique, 1925), des
historiens de l‟art comme Pierre Francastel, Hubert Damisch et Louis Marin à l‟École des Hautes
Études en Sciences Sociales, ont mis en évidence l‟importance de cette révolution picturale.
Dans l‟essai fondateur d‟Erwin Panofsky, publié en Allemagne en 1927 mais traduit en français
seulement en 1975, la représentation d‟un espace par la géométrie des lignes orthogonales
développerait « le concept d‟un infini dont il n‟y a pas seulement un modèle en Dieu, mais qui est
effectivement réalisé dans la réalité empirique » 4 . Erwin Panofsky a noté que l‟Annonciation
d‟Ambrogio Lorenzetti (ci-dessous), peinte un siècle avant la théorisation d‟Alberti, est la première
construction géométrique où les fuyantes convergent, non pas vers un seul point, mais vers un seul
axe vertical (sur le plan du tableau, la colonne qui sépare Gabriel et Marie). Daniel Arasse ira plus
loin pour étendre cette intuition à l‟essor tout à fait particulier de constructions géométriques
complexes dans les scènes de l‟Annonce à Marie.
Son argumentation est tout à fait pertinente pour notre propos : l‟affinité particulière qui a existé,
au XV e siècle, entre Annonciation et perspective, est due au fait que, dans l‟histoire chrétienne, le
moment où l‟infini vient dans le fini et bien celui de la venue miraculeuse du fils de Dieu dans la
chair humaine, par la rencontre entre Dieu et la Madone, pleine de Grâce. Daniel Arasse discute
cette idée par la mise en évidence de ce qu‟il appelle un souci d‟ordre « théologico-pictural », qui
joue des effets et de l‟efficace de l‟image : les allers-retours entre profondeur et surface, les
paradoxes internes aux structures spatiales de certaines Annonciations, manifestent l‟impossibilité
de figurer Dieu dans l‟espace de la géométrie humaine. Cette recherche en peinture serait
intimement liée à une conception du divin qui n‟est pas exclu, comme disait Panofsky, mais présent
dans le tableau.
4 Erwin Panofsky, La perspective comme forme symbolique, p. 157.
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Pour appuyer son propos, Arasse s‟appuie, en particulier, sur un sermon de Saint Bernardin de
Sienne prononcé sur le campo de Sienne en 1427 : l‟Annonciation est le moment où « l‟immensité
vient dans la mesure …, l‟infigurable dans la figure, l‟incirconscriptible dans le lieu, l‟invisible
dans la vision …, la longueur dans la brièveté, la largeur dans l‟étroitesse, la hauteur dans la
bassesse » 5 ... autant de paradoxes conceptuels qui sont à l‟origine de paradoxes spatiaux de la part
des peintres. Daniel Arasse met aussi en évidence comment les plus savants perspectivistes se
plaisent à se jouer des règles de la perspective géométrique pour montrer la venue paradoxale de
l‟infini dans le fini.
Ambrogio Lorenzetti, Annonciation, détrempe sur bois, 1344. Sienne, Pinacoteca nazionale.
Dans cette Annonciation, une colonne, souvent un symbole du Christ, bien concrète au sol,
s‟atténue vers le haut où elle se superpose et cache l’axe de fuite, disions-nous, à l‟infini, une
référence explicite à Dieu. Voilà une extraordinaire nouveauté, en 1344 : un espace projectif dessiné
avec rigueur. Et, du coup, par l‟effet de la géométrie de ce plancher qui va de l‟homme à Dieu, un
nouveau lieu se déploie : Dieu y a sa place, caché, lointain à l‟infini, mais présent dans l‟histoire
racontée. Et la Madone aussi a une nouvelle épaisseur humaine : son corps solide, tridimensionnel,
accompagne l‟expression d‟un humanisme qui se dessine. La perspective introduit Dieu comme
limite actuelle, à l‟infini, donc comme la limite d‟un espace que tout englobe, y compris les espaces
humains qui se renouvellent. Et les tous premiers tableaux peints en « prospettiva » seront des
annonciations, ce lieu unique de la rencontre infini/fini 6 . Ensuite, avec Piero della Francesca, cet
exposé en peinture d‟une métaphysique deviendra aussi une technique, sans nécessairement perdre
son âme religieuse. Le livre de Piero, De prospectiva pingendi, est un vrai traité de géométrie
projective “pratique”, le plus important texte de mathématiques de son époque, écrira Vasari.
Or, la „„prospettiva‟‟ permet au peintre d‟organiser l‟espace des hommes et des choses ainsi que
de choisir un point de vue. Le choix de l‟emplacement du point de fuite fixe le point de vue du
5 Saint Bernardin de Sienne, De triplici Christi nativitate, dans Opera omnia, Venise, 1745, IV, p. 3, cité dans San Bernardino de
Siena, Pagine scelte, Milan, 1950, p. 54.
6 Sara Longo, « L’Annonciation en Italie. Enjeux méthodologiques et historiographiques, autour du colloque florentin de 1986 »,
« ‘La perspective de l’Annonciation’, présentation d’une étude de Daniel Arasse » et « L’intervalle sacré » in Studiolo, revue de
l’Académie de France à Rome, X, 2013, p. 24-32 et p. 75-93.
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spectateur, il propose/impose un regard, comme celui qui voit, humblement d‟en bas, le saint
Sébastien martyr d‟Antonello da Messina (1476).
Antonello da Messina, Saint Sébastien, détrempe sur bois transposée sur toile, 1476.
Dresde, Gemäldegalerie.
Et voilà que cette métaphysique et cosmologie religieuse devient une géométrie de l‟espace :
Dieu, les astres et les hommes y trouveront un nouvel emplacement, organisé par un point de vue
unifiant, et modifiable. On est bien loin des absolus hors de l‟espace et du monde des mosaïques
byzantines, que l‟on se souvienne de Ravenne. Cette (ré-)organisation de l‟espace, ce talent nouveau
à choisir un point de vue, cette technique bientôt répandue en Europe aidera Copernic (1473 – 1543)
à “voir” le système solaire du “point de vue du Soleil”, la nouvelle “prospettiva” de la science
moderne 7 .
Dans l‟invention de la perspective renaissante, c‟est donc bien de l‟invention simultanée d‟une
structure explicite de l‟espace et d‟un point de vue qu‟il s‟agit, et même d‟une „„révolution
copernicienne‟‟ de ce point, nouveau et relativisant, on y reviendra en sciences. Elle est la
conséquence d‟un changement diamétral : le spectateur ne doit plus se déplacer selon un système
d‟agencement de lieux contigus, il est le point fixe à partir duquel se déroule un récit continu. Le
changement est très important, car il situe différemment l‟homme dans l‟espace de l‟action voire
dans l‟Univers : l‟espace physique aristotélicien résulte de la somme de lieux différents, il n‟a pas de
structure globale et donne forme à un espace pictural conçu comme la somme des lieux de
l‟historia. La plus haute expression de cette idée étant les boîtes spatiales de Giotto, disions-nous, et
de ses compagnons du Trecento : des „„maisonnettes‟‟, voire des pièces, sont habitées par les acteurs
de différentes histoires, souvent indépendantes. La construction monofocale théorisée par Alberti en
1435, quatre-vingt-dix ans après les premières expériences de Lorenzetti, bouleverse cette pratique.
En faisant de l‟espace pictural un corps unifié, bien qu‟articulé en lieux (ses membres), elle aura
7 Il s’agit d’une remarque dans B. C. van FRASSEN, An introduction to the Philosophy of Space and Time, Random House, New York,
1970.
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pour particularité d‟être construite à partir d‟un point unique et mathématique, proposé par le peintre
et qui identifie aussi l‟œil du spectateur immobile, relativement auquel tout s‟organise.
L‟idée du point de vue unique et immobile, choisi, constitue un saut théorique, une mutation
épistémologique 8 . La peinture pense l‟espace jusqu‟alors fermé du tableau comme ouvert sur le récit
« presque jusqu‟à une distance infinie » 9 . Comme nous l‟ont appris, entre autres, Hubert Damisch et
Daniel Arasse, la peinture pense mais, plus encore, elle montre. La perspective linéaire, la
costruzione leggittima albertienne, donc, est une abstraction géométrique qui unifie les lieux de
l‟histoire et en cela elle constitue une rupture théorique par rapport aux techniques précédentes. Et
l‟espace mathématique est posé.
3. L’optique géométrique et le sujet dans l’espace projectif
Les peintres et les scientifiques du XV e paraissent bien connaître l‟optique géométrique, inventée
par Euclide et développée par les grandes écoles de l‟algèbre et géométrie de langue arabe. Certains
auteurs soulignent les références chez Alberti aux „„anciens‟‟ qui avaient si bien étudié les réflexions
sur les surfaces et les convergences des rayons de lumière 10 . Bien évidemment, il s‟agissait d‟une
analyse des lignes au fini, parfois poussées „„eis apeiron‟‟, sans limite, comme chez Euclide, donc
potentiellement vers l‟infini, par exemple dans les calculs des angles qui sous-tendent un objet qui
s‟éloigne de l‟œil. Idn al-Haytham (Egypte, XI e siècle) a été l‟un des grands maîtres de ces calculs.
Mais l‟infini actuel, décision métaphysique difficile, n‟était pas là, ce point projectif à la limite
asymptotique qui structure l‟espace et force un point de vue pour tout spectateur.
L‟optique géométrique interviendra toutefois massivement dans le travail des peintres, à partir du
XV e siècle ; elle introduira une nouvelle rigueur géométrique, enrichira le répertoire figuratif pour
mieux représenter les distances et organiser les figures dans l‟espace projectif. Mais elle n‟est pas à
l‟origine du tournant métaphysique, antérieur d‟un siècle, qui a permis l‟invention picturale de
l‟espace que nous évoquons ici.
Concernant cette nouvelle rigueur technique, dans un article rarement cité, Daniel Arasse prend
en exemple les tavolette de Brunelleschi, considérées comme le premier exemple d‟une géométrie
rigoureuse dans la construction „„prospettica‟‟: il décrit l‟action de l‟ingénieur/architecte florentin
lors de la vérification de sa représentation en perspective du Baptistère et propose au lecteur
d‟inverser les étapes de la vérification telles qu‟elles sont racontées par Antonio Manetti dans la
biographie de Brunelleschi.
Brunelleschi trace le baptistère vu depuis l‟entrée de Santa Maria del Fiore. Il fait ensuite un trou
à la hauteur du point de fuite et retourne la tablette avec le dessin. Il met son œil face au trou et
regarde le vrai baptistère. Puis il soulève un miroir à la hauteur du dessin et regarde le reflet ; en
baissant puis levant à nouveau le miroir, il vérifie la conformité entre ce qu‟il voit devant lui et les
lignes de son dessin 11 .
8 Micheal Baxandall a très finement mis en relation la conception albertienne de la peinture avec le modèle oratoire de la
rhétorique. Voir M. BAXANDALL, Giotto et les humanistes : la découverte de la composition en peinture, 1340-1450, Paris, Points,
2013 (Clarendon Press 1971).
9 L. B. ALBERTI, La peinture, 2004, p. 84.
10 G. SIMON, Optique et perspective : Ptolémée, Alhazen, Alberti. Revue d'histoire des sciences, 54, n°3, 2001. pp. 325-350.
11 A. MANETTI, Opere historiche, Florence, G. Milanesi, 1887, p. 83-85.
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Daniel Arasse imagine le sujet qui se regarde d‟abord dans le miroir, puis qui lève le bras avec la
tavoletta retournée entre lui-même et le miroir, appliquant un seul œil au trou pratiqué dans la
tablette pour voir le dessin. Le reflet de celui qui se regarde s‟occulte au profit du reflet du
Baptistère puis, en baissant le miroir, au profit de la vision du vrai bâtiment. « … Le modèle
théorique de la peinture en perspective se constitue par l‟occultation de l‟image du moi dans le
miroir, à laquelle est substituée l‟image de l‟ensemble du visible » 12 .
Cette idée de renverser les modalités d‟exécution d‟un procédé de vérification élevé par l‟histoire
de l‟art au rang de paradigme cognitif permet de rapprocher le récit de la vérification de
Brunelleschi à l‟autre mythe fondateur de la peinture, celui de Narcisse, dont le visage s‟abolit dans
la source. Mais dans notre cas, le sujet revient. Car le point de vue est toujours choisi par le peintre,
le choix du placement de l‟horizon est la première opération conseillée par Alberti. Ainsi, à partir
des années 1450, les horizons placés particulièrement bas ou haut traduisent une conscience précise
de la présence d‟un regardeur, que les effets de plongée ou de contre-plongée vont frapper. Par le
choix du point projectif, la position supposée du regardeur conditionne l‟espace de la peinture. « Ce
qui se marque là, c‟est que l‟image n‟existe pas sans celui qui l‟a élaborée » 13 . Le sujet moderne,
peintre, spectateur, est inventé 14 .
On retrouve ces inventions sous le pinceau de l‟autre grand « perspecteur », Andrea Mantegna,
cette fois dans un corps peint. Pas n‟importe lequel, celui du Rédempteur, à peine déposé de la
croix, non pas dans son tombeau mais sur un plan de marbre. Par un sublime raccourci perspectif,
nous sommes placés au plus près des pieds du Christ et le regardons non pas da sotto in su, mais des
pieds à la tête. Le choix de Mantegna est audacieux, au point que l‟on s‟accorde à voir dans le
Christ mort le testament artistique du padouan.
Pour mieux comprendre le tableau regardons d‟abord des études. Parmi des dessins récemment
attribués à Mantegna et publiés, on retrouve la recherche du perspecteur, amoureux des corps
représentés en raccourci, tout comme dans les dessins préparatoires pour le Christ mort : le dessin
étudie le corps du Christ vu depuis les pieds puis depuis la tête, mais toujours légèrement de biais
par rapport au plan de la représentation, et non pas à quatre-vingt-dix degrés, comme dans le tableau
final.
12 D. ARASSE, « La peinture de la Renaissance italienne et les perspectives du Moi », 1983, p. 237.
13 D. ARASSE, « La peinture de la Renaissance italienne et les perspectives du Moi », 1983, p. 238.
14
Sara LONGO, thèse de Doctorat en Histoire de l’art, "Voir et savoirs dans la théorie de l'art de Daniel Arasse", en cours de
publication, Paris 1, Panthéon-Sorbonne, 2014.
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Andrea Mantegna, Étude pour le Christ mort, plume et lavis brun sur papier, 1460-1465.
Milan, collection privée.
L‟exercice est le même chez Paolo Uccello, dans les mêmes années. Lorsque sa femme l‟appelait
dans la nuit, nous raconte Vasari, Paolo la rejoignait au lit en marmonnant : « Oh ! quelle douce
chose que cette perspective ! » … Les corps allongés de la bataille de San Romano donnent au sol
de la bataille toute sa profondeur.
Paolo Uccello, Bataille de San Romano, détail, détrempe sur bois, 1456. Londres, National Gallery.
Mais l‟invention retenue dans le Christ mort est unique : le point de vue choisi est celui du
pénitent, du fidèle en adoration qui se penche sur les stigmates – celui de Madeleine peut-être.
Andrea Mantegna, Christ mort, détrempe sur toile, 1490. Milan, Pinacoteca di Brera.
Son flacon d‟onguent est posé sur le marbre près de la tête du Christ. Celle-ci repose sur un
coussin, lui aussi en marbre rose, pour ne pas déroger au chromatisme minéral de l‟ensemble du
tableau (corps, drap et lit, tout est de pierre). À gauche, trois figures pleurent le corps mort. En bas,
c‟est nous. Nous regardons ce corps et le peintre a bien pris soin de tout nous montrer : les plantes
de pieds et les dos des mains écorchés par les clous, les malléoles latérales et le péroné puis, sur le
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torse, le nombril, le stigmate du flanc droit et la poitrine. Enfin, sur le visage, menton, bouche, nez,
yeux, sourcils, front et cheveux, tout est parfaitement visible et dénombrable.
Un raccourci perspectif rigoureux et géométrique issu d‟un simple calcul depuis un point de vue
n‟aurait pas permis cela. Le front aurait été caché par le nez, le nez par le menton, le torse par le
ventre et, surtout, les pieds auraient été immensément plus grands. La linéarité de la perspective et
l‟optique géométrique sont consciemment dépassées, par décision du peintre. On peut dire, en
positivant, que le point de vue n‟est pas exactement à la hauteur des pieds, que nous sommes un peu
surélevés et la tête du Christ est aussi levée, sur le coussin de marbre. Or l‟impression de raccourci
est bien là, nous sommes aux pieds du Christ, mais notre adoration porte sur tout son corps, et c‟est
donc tout le corps que le peintre doit donner à voir. Aucun réalisme là-dedans, comme le confirment
les bras, qui sont reliés au buste par d‟étranges et impossibles muscles qui partent de sous la
poitrine. Anatomiquement, le corps est monstrueux ; picturalement, il est parfaitement en
monstration. En bref, la perspective, en apparence et en principe si rigoureuse, n‟a rien d‟absolu,
encore moins d‟objectif. Elle est un relatif par lequel le sujet regardant façonne la forme.
Un dernier exemple, encore une Annonciation, peinte par Piero della Francesca autour de 1470
pour les sœurs tertiaires de l‟ordre de saint Antoine de Pérouse.
Polyptyque de Pérouse, registre supérieur (voir plus haut).
L‟Annonciation qui décore la cimaise de ce grand retable est peinte dans un espace que le cadre
ne clôt pas. La perspective permet en effet à Piero de donner l‟illusion que ce que nous voyons,
découpé par l‟imposant cadre à degrés, n‟est qu‟une partie d‟un espace bien plus ample, celui d‟un
cloître. Contrairement au registre médian, où le fond doré donne une unité spatiale mais peu de
profondeur, et au registre inférieur, prédelle traditionnelle où chaque scénette a son propre espace de
narration perspectif, unifié et fermé, le registre supérieur donne à voir un espace infiniment grand,
autant sur les côtés (chaque élément architectural sort du cadre), qu‟en profondeur (l‟enfilade de
colonnes est impressionnante). Gabriel est agenouillé devant Marie et lève les yeux vers elle. Marie
croise les mains et baisse légèrement la tête en signe d‟acceptation. Elle n‟est pas devant
l‟architecture, comme Gabriel, mais sous une avancée du bâtiment. Que le lecteur regarde les
massifs des colonnes à droite et à gauche de la figure de Marie : ils sont les seuls éléments du
tableau situés au premier plan. Or la Vierge est bien face à Gabriel, à la même distance de nous, on
le voit à leurs pieds posés sur la même bande blanche de pavement, qui est derrière ces
soubassements. Quel est l’effet visuel de cette disposition des personnages dans l‟architecture ?
Il y a moins d‟un demi-siècle, des historiens de l‟art amoureux de perspective ont remarqué un
paradoxe au sein de la grande complexité géométrique de cette peinture. Du point de vue de Gabriel,
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Marie est invisible. Elle est cachée par le deuxième massif de colonnes qui ne nous est pas visible, à
nous spectateur, car nous sommes presque à quatre-vingt-dix degrés de l‟enfilade… mais ce massif
doit être là, puisque, face à Marie, en haut, on distingue bien deux arcs. C‟est donc vers des
colonnes qu‟elle s‟incline, et non vers Gabriel. Thomas Martone, qui a relevé et discuté cette
invention, emploie la belle formule de « trompe-l‟intelligence » 15 . Piero della Francesca, peintre
géomètre par excellence, joue des paradoxes impliqués par un double point de vue, le nôtre et celui
de l‟ange, pour tromper non pas notre œil mais notre esprit.
De Martone, article cité.
Nous, fidèles en prière, voyons Gabriel et Marie face à face et contemplons leur dialogue, leur
échange spirituel qui devient le support de notre prière, de notre croyance. Nous devons penser
qu‟ils se voient pour dialoguer. Mais, géométriquement, rationnellement, nous dit (en secret) Piero,
les deux ne peuvent se voir, car ils se voient en pensée, leur dialogue est muet et aveugle.
Théologiquement, il y a entre eux le divin, le miracle dans toute son invisibilité qui n‟est pas
explicable par la rationalité, encore moins géométrique, mais qui est rendu possible par la finesse de
l‟organisation géométrique de l‟espace. Car la peinture, au Quattrocento, n‟est pas seulement conçue
comme la reproduction de « tout ce qui se voit sous le soleil » et dont la « fin est la délectation »
(Poussin, 1665, lettre à son ami Frédéric de Chambray). Elle est aussi support d‟invisible, de foi
dans un mystère que les lignes et les couleurs ne sont pas là pour expliquer mais, par des jeux de
visibilités, pour montrer qu‟il y a secret 16 . Le paradoxe émerge de l‟emploi si rigoureux d‟une
géométrie qui permette de situer les protagonistes dans une situation théologiquement choisie, et ce
loin de tout réalisme naïf. Forcé par ce paradoxe, le spectateur est investi du double rôle visuel et
spirituel ; l‟objectivité géométrique est au service de l‟échange des regards entre les protagonistes,
des points de vue, de ce qui est montré et caché au spectateur.
Ce jeu entre relatif et objectif, ancré dans le rapport à l‟espace du sujet regardant/connaissant,
dans l‟explicitation d‟un point de vue subjectif pour permettre la construction de l‟objectivité, sera
au cœur de la science moderne, jusqu‟à nos jours, comme nous essayerons de mettre en évidence 17 .
La forme picturale de l‟infini en acte participe à l‟invention de cet espace et du sujet scientifique.
15
T. MARTONE, « Piero della Francesca e la prospettiva dell’intelletto », in Piero teorico dell’arte, Gangemi, 1985, p. 173-185.
Voir aussi Jean PETITOT, r l e et t t e, Paris, Maisonneuve et Larose, 2004, p. 75-84.
16
Sur la question du secret montré comme caché, voir les remarques de Louis Marin, Opacité de la peinture : essais sur la
représentation au Quattrocento, Paris, Usher, 1989.
17 On pourrait ici reprendre la remarque de Van Frassen au sujet de Copernic dans la note plus haut : prendre le point de vue du
Soleil pour regarder le système solaire et le jeu de cache-cache des planètes et de leurs satellites n’est point ‘‘réaliste’’.
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Explorons maintenant différents articulations, mathématiques et pratiques, de cet infini et de ces
espaces.
4 - La limite du temps, le calcul et l’algèbre
Revenons d‟abord aux enjeux de l‟infini. Le temps, depuis Aristote, est considéré comme un
infini potentiel paradigmatique, car jamais présent dans sa totalité dans notre pensée. Quel sens
“temporel” aurait sa limite projective 18 ? Par contre, il est intéressant de voir cette arrivée, au sein
des mathématiques, d‟une première expression symbolique d‟infini actuel, constitué dans un débat
religieux, qui se fait en passant par la peinture. Une peinture explicitement mathématisée, en
particulier par Piero della Francesca, disions-nous, peintre et géomètre. Cela peut se comprendre en
observant que la construction conceptuelle et géométrique d‟un espace infini ne s‟appuie pas
nécessairement sur un infini actuel : l‟espace de Descartes peut très bien être conçu comme un infini
potentiel, une extension sans fin à partir de son origine. L‟infini actuel, par contre, est inhérent à la
construction projective, en particulier quand elle est utilisée pour la représentation bidimensionnelle
d‟un espace tridimensionnel. Et le point de fuite rend objectif l‟infini actuel ; il le montre, là-bas, au
fond du tableau. Bref, à la Renaissance, suite au rôle central de la peinture dans l‟art et dans la
construction de la connaissance (pensons aux dessins de Léonard de Vinci), y compris théologique,
on a pensé l‟espace tridimensionnel mathématiquement, en le dessinant d‟abord ; pour le rendre
intelligible (visible) sur un plan, il a fallu alors le projeter, en montrant ainsi une forme (symbolique)
de cet infini de Dieu, en acte, si bien défini par les philosophes chrétiens du Moyen Âge.
Deux siècles plus tard, Desargues rendra pleinement mathématique cette synthèse projective entre
infini et géométrie. En Analyse, Newton et Leibniz proposeront les notions de dérivé et intégrale
comme opérations à limite infinie, au cœur du calcul différentiel. Cantor, au XIX e siècle, objectivera
ultérieurement, par une syntaxe, l‟infini actuel, en lui associant une nouvelle expression symbolique,
scripturale cette fois, . En le maniant algébriquement, il en engendrera une infinité, +1, +2 …,
jusqu‟à inventer une arithmétique des infinis, +, x... , ,… …, les ordinaux transfinis.
Rien ne stabilise un concept mieux qu‟une praxis mathématique, qu‟un usage technique d‟un signe
pour le concept, dont le sens s‟enrichira par ce même usage. Le débat sur l‟infini de Dieu concernera
aussi Cantor, un homme profondément religieux : Dieu sera (à) la limite de toutes les limites, audelà
de ses transfinis 19 .
Il faut observer que, dans tous ces cas, l‟infini mathématique nous donne un outil pour
l‟intelligibilité du monde. Dans la peinture de la Renaissance, la géométrie projective, cette décision
théologique, ce geste asymptotique, à l‟infini, organise l‟espace des hommes, pour une humanité
plus pleine, dans sa finitude. De façon similaire, des espaces de Descartes et Desargues à l‟infini
actuel de Newton et Leibniz, la physique-mathématique rendra intelligible le mouvement au fini,
autour de nous, par des infinis, ceux du calcul infinitésimal. En logique, à partir de Gentzen (1935),
18 Dans la tentative de rendre compatible la Relativité avec la théorie du Big-bang, certains physiciens pensent à l’origine du
temps comme limite inverse asymptotique, c’est-à-dire à l’inverse de l’ordre temporel donné par l’expansion de l’Univers. En
fait, les théorèmes de Noether (la conservation d’énergie comme invariant des équations du mouvement par translations
temporelles) sont au cœur du tournant relativiste et incompatibles avec une origine du temps, voir F. Bailly, G. Longo,
Mathematics and Natural Sciences : the Physical Singularity of Life, Imperial College Press, London, 2011 (Traduction et révision
du livre pour Hermann, Paris, 2006).
19 N. Charaud, Georg Cantor, Infini et inconscient, Spartacus IDH, 2019 : https://spartacus-idh.com/collections/nouvelles-visionsdes-sciences.html#
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l‟analyse ordinale de la preuve se basera sur l‟arithmétique des infinis de Cantor 20 . Du reste, déjà
Galilée expliquait à Simplicius, dans l‟analyse d‟une sphère mathématique s‟appuyant sur un plan
par un seul point (insensé, dit Simplicius), que les mathématiques sont une science à la limite
infinie 21 . Le fini fétichise l‟itération et il en reste prisonnier 22 . Le formaliste finitiste qui rejette
l‟infini en le déclarant hors du monde et de la physique, ne saisit pas le sens humain, pour nos
dess(e)ins et pour nos praxis d‟intelligence, de ce geste qui pose l‟infini dans le monde, en
organisant ce même monde par le langage, la géométrie et l‟écriture.
Une épistémologie de ce concept organisateur ne peut être qu‟historique : une histoire des idées et
des praxis constitutives, une histoire critique, toujours à repenser.
5. Les espaces rationnels : du commerce à la physique
La naissance de la science moderne se fait donc par la construction d‟un espace infini des
possibles, un espace et un temps de tout phénomène et de toute dynamique physique possible. Le
choix de l‟origine des coordonnées cartésiennes propose le système de référence dans lequel décrire
toutes les trajectoires possibles et dans lequel se construira la physique, après Galilée. En fait,
l‟approche analytique de Descartes pose l‟origine et la mesure de l‟espace, elle lui donne une
“prospettiva”, à partir de laquelle on pourra encadrer et comprendre le monde. En tant qu‟invariant
de la représentation mathématique, cet espace de toutes les courbes, de toutes les trajectoires est
certainement le constitué d‟une pluralité d‟actes d‟expérience. La cartographie des nouvelles
explorations géographiques, l‟optique arabe 23 contribueront, au XVI e siècle, à mieux expliciter, du
point de vue mathématique, ce nouvel encadrement du monde. En particulier, Francesco Maurolico
(1494 – 1575) développa une synthèse remarquable des idées des grands géomètres et algébristes de
l‟Islam, un aspect du mariage fécond des traditions occidentale et orientale en mathématiques 24 .
Dans ce contexte, l‟innovante et riche relation galiléenne entre expérience et théorie, la
théorisation physique elle-même, a pour objet de rendre intelligibles et prévisibles les phénomènes :
on observe d‟abord, on prend des mesures et, par la suite, la théorie devrait engendrer une prédiction
permettant de la vérifier. L‟anticipation scientifique, en fait mathématique, du futur est alors placée
au centre de l'intelligibilité du monde proposée par la science moderne. Et cette prédiction s‟effectue
dans l'espace et le temps des événements physiques, décrits mathématiquement par la représentation
analytique cartésienne, enrichie par celle que l‟on appelle la „„relativité galiléenne‟‟ : l'espace-temps
moderne des phénomènes physiques est né d‟une analyse du passage d'un système de référence
(cartésien), un point de vue, à un autre, tout en préservant les lois de la physique. Plus précisément,
dans l‟espace-temps infini des trajectoires possibles, donné a priori, les invariants sont décrits en
termes de symétries - le groupe des transformations de Galilée entre systèmes de référence en
20 L’infini entre dans la preuve, en fait, comme infini entre algèbre et géométrie, celui du “bon ordre” des entiers, G. Longo
“Reflections on Concrete Incompleteness”, Philosophia Mathematica 19(3): 255-280, 2011 (les articles dont G. Longo est (co-)
auteur sont téléchargeables de https://www.di.ens.fr/users/longo/download.html )
21 Une histoire qui est un point de départ de A. Gargani, Il sapere senza fondamenti, Einaudi, 1975.
22 G. Châtelet, Les enjeux du mobile, Seuil, Paris, 1993.
23 E. Kheirandish, “The Manāẓir Tradition through Persian Sources,” Les sciences dans le monde iranien, ed. Ž. Vesel, et al.,
Tehran, 1998, repr. 2004, pp. 125-45. E. Kheirandish, ed. and tr., T e Arab c Ver n f cl d’ O t c : K tāb U līd fī k t lāf
al-manāẓir, 2 vols., New York, 1999.
24 A. Islami, G. Longo, 2017. Marriages of Mathematics and Physics: a challenge for Biology. In The Necessary Western
Conjunction to the Eastern Philosophy of Exploring the Nature of Mind and Life (K. Matsuno et al., eds), Special Issue, Progress
in Biophysics and Molecular Biology, Vol 131, 179-192.
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mouvement relatif rectiligne uniforme (inertiel). Voilà donc l’objectivité de la loi scientifique
donnée par la relativité des systèmes de référence, les transformations possibles de l‟un dans
l‟autre : le relatif permet l‟objectif. C‟est le sujet toutefois qui choisit ces systèmes de référence, s‟y
situe, fixe un point de vue parmi d‟autres, comme le faisait le peintre, en le posant pour le
spectateur. La certitude scientifique de la loi (ce qui est invariant) permet alors la prédiction, le
calcul, justifie la théorie.
Il faudrait toutefois situer le basculement vers le mythe de la prédiction rationnelle d'un avenir
scientifiquement prévisible dans l’espace des possibles, comme s‟étant, lui aussi, opéré au début de
la Renaissance italienne. L‟audace de se doter d‟un aperçu de l‟avenir par des moyens rationnels et
à l‟intérieur d‟un espace de possibilités donné, remonte à l'appréciation du progrès et à la capacité
d‟en faire des estimés quantitatives, en Italie aux XIVe et XVe siècles. C‟est alors que les
technologies des artisans, voire des grandes structures productives (l‟« arsenale di Venezia », dont
parlera Galilée) commencèrent à changer le rapport au travail et à la transformation de la Nature
elle-même 25 . Et c'est alors que l'on inventa le crédit bancaire, à l‟époque du tableau de Lorenzetti,
dans cette même Toscane 26 . Les mathématiques interviendront ensuite massivement dans ce
progrès : Luca Pacioli (1445 – 1517), en particulier, avec la Summa de Arithmetica, Geometria et
autres écrits, développe considérablement l‟arithmétique de Fibonacci da Pisa (1170 - 1250) et
invente la « partita doppia », un outil fondamental pour la finance et le commerce.
Bref, vers la moitié du XIV e siècle, en Italie, le prêt monétaire était désormais permis, en
particulier sous la forme de « lettres de crédit » ou de monnaie-papier. Puisqu‟il ne s‟agissait plus
d‟un péché, il était alors possible de miser sur les progrès futurs, d‟obtenir de l‟argent d‟une banque,
puis d‟investir et d’anticiper le retour de l‟argent investi avec intérêts calculables et, donc, d'en faire
un gain personnel, ce qui était révolutionnaire sur les plans économique et conceptuel. Il n‟y avait
plus aucune nécessité de magie, ni de divination dans l‟anticipation du progrès et dans la capacité de
prédiction de l‟avenir ; il s‟agit plutôt de connaissance rationnelle, voire mathématique. Bien sûr, les
aléas étaient possibles, mais à l‟intérieur d’un espace de possibilités prédéfini : comme lorsque l‟on
lance un dé, on prend un risque, mais parmi les six résultats possibles, ni plus ni moins – et les
symétries du dé nous donnent les probabilités. Les attentes et les paris sont rationnels : on peut
évaluer le risque, dans un espace pré-donné de la finance, Pacioli, et des dés (G. Cardano „„De ludo
alea‟‟ 1560, G. Galilée „„Sopra le scoperte dei dadi‟‟1612).
Et ainsi naît la société du progrès futur anticipé parmi une liste prédéterminée de dynamiques
possibles. La société dans laquelle l‟on peut oser emprunter et prêter de l‟argent ainsi que construire
la connaissance scientifique à l‟intérieur d‟un espace des trajectoires futures mathématiquement
prédéfini, quoique infini ; une science où il est possible de prédire, grâce à une théorie scientifique,
le résultat d‟une expérience, voire d‟une activité économique ou commerciale. La peinture avait
rendu géométriquement possibles, nous avons vu, ces espaces de l‟action des hommes par une
contamination vertigineuse avec l‟infinité de Dieu. Et l‟objectivité était déjà atteinte en explicitant la
relativité du point de vue, en mettant en évidence le rôle du sujet qui regarde, ce spectateur point
neutre dans son rapport à l‟espace, au point de savoir même „„forcer‟‟ le voir, au-delà, voire contre
la linéarité de la costruzione leggittima, comme chez un grand maître de la perspective, Mantegna.
25 Rossi P. 1962. I filosofi e le macchine, Feltrinelli, (ristampa 2002).
26 Le prêt de la Banque Bardi et Peruzzi au roi de Grande-Bretagne Edward III date de 1332. Il n’a jamais été rendu - comme le
savent très bien tous les lycéens italiens et notre collègue Alberto Peruzzi à Florence.
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6. Se donner à priori les conditions de la représentation et du savoir
La révolution inspirée de la pratique picturale de la perspective et sa théorisation, est résumée en
1500 dans le De Sculptura de Pomponio Gaurico : avant de peindre un objet, le peintre doit
construire le cadre spatial (le locus) pour le situer - le "locus" précède les corps qui l‟habitent.
Panofsky se réfère explicitement à Gaurico pour souligner la naissance d'une vision kantienne de
l'espace, comme a priori ou "condition de possibilité" pour faire de la science 27 .
Après Newton, Kant posera donc l‟espace et le temps comme conditions de possibilité, a priori de
la construction scientifique : techniquement, pour écrire les équations et résoudre les équations, il
faut tout d‟abord se donner tous les paramètres et les grandeurs pertinentes.
Lagrange et Laplace, au XVIII e siècle, donneront ensuite les mathématiques des „„systèmes à
états déterminés‟‟ modernes. En effet, en résolvant des équations de Newton dans les espaces de
Descartes et Galilée, « on doit pouvoir prédire tous les faits de la mécanique » (de la mécanique
céleste, disait Laplace mais il visait en fait à l‟ensemble des faits de la physique). L‟analyse
mathématique des probabilités de Pascal et de Laplace traite également l’imprévisibilité comme
aléatoire, mais un aléatoire qui est n‟a rien à voir avec la détermination, à analyser en termes de
probabilité, donc d‟une mesure sur un espaces de tous les possibles. Car, dans tous les cas, pour eux,
les événements imprévisibles ont lieu à l'intérieur de l'espace infini mais prédéterminé, cartésien, de
toutes les trajectoires et de tous les faits possibles. Cet espace sera généralisé, au XIX e siècle, à
l'espace des phases, c‟est à dire, à l‟espace des observables et paramètres pertinents : à l‟énergie on
associera le temps, à l‟impulsion la position. Voilà donc un parcours possible qui, de l‟espace unifié
dans lequel a lieu la rencontre entre l‟infini de Dieu et le fini d‟une femme, souvent une chambre,
une cour, nous conduit aux espaces très généraux de la physique mathématique contemporaine. La
structuration rigoureuse, infinitaire, de cette chambre, de cette cour, en est un passage historique
fondamental.
Dans ces espaces mathématiques, Poincaré, à la fin du XIX e siècle, intégrera l‟imprévisible à la
détermination, en nous montrant l‟imprédictibilité de dynamiques parfaitement déterministes. Bien
différemment, la mécanique quantique introduira l‟aléatoire dans la théorie, sous la forme
d‟indéterminisme intrinsèque. Toutefois, les espaces des ''trajectoires'' et des événements possibles,
des phases, demeureront toujours mathématiquement prédéfinissables, qu‟ils soient infinis, de
Descartes à Poincaré, ou qu‟il s‟agisse même d‟espaces de dimension infinie – les espaces de Hilbert
ou de Fock de la mécanique quantique. Dans ces espaces, la trajectoire d'une loi de probabilité,
déterminé par l'équation de Schrödinger, hors de l'espace-temps ordinaire, déterminera les
dynamiques quantiques ; la mesure, en projetant sur un nombre réel cette dynamique d‟une
probabilité, rendra le caractère indéterministe de la mécanique quantique. Par conséquent, cette
théorie aussi donne a priori les espaces des évolutions possibles, qui peuvent accommoder
l'événement quantique le plus imprévisible, dont la création/annihilation d'un quanton. Au XX e
siècle, comme dans les inventions perspectives de la renaissance, le sujet rentrera à nouveau et
massivement dans la construction scientifique : le quanton est le résultat de l‟interaction entre le
sujet, son regard par l‟instrument de mesure, et le „„réel‟‟ microphysique – il se forme et déforme, il
se constitue, sous ce regard. Et, sous des formes nouvelles, le sujet connaissant revient.
27
Une vaste synthèse du débat sur la naissance du concept moderne d'espace et le rôle de la perspective, de Gaurico à Panofsky,
peut être trouvée dans V. De Risi ‘‘Arte e scienza della sfera. La nascita del concetto moderno di spazio fra la teoria
rinascimentale della prospettiva e la geometria di Leibniz’’ Sphaera : Forma immagine e metafora, tra Medioevo ed Età
Moderna, Olschki, Roma, 2012. D’accord avec Damisch et Arasse, nous avons souligné le jeu entre théologie et humanisme qui
en est à l’origine.
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Notons, et c‟est important, que la description finie de ces espaces infinis, des espaces cartésiens
aux espaces quantiques aux dimensions infinies, est rendue possible par leurs régularités : elles sont
données en termes de symétries mathématiques, c'est-à-dire en tant qu'ensembles d‟invariants et de
transformations préservant ces invariants. Les symétries permettent la synthèse finie, voire formelle
et axiomatique, des espaces infinis, même de dimension infinie ; le hasard, même quantique, y sera
mathématiquement encadré, il restera à l‟intérieur de l‟espace prédéfini des possibles.
Notons enfin que, dans la richesse des explorations des peintres renaissants, on entrevoit un
paradoxe inversé du hasard et de l‟espace, parfaitement irréaliste, dans un des tableaux dont nous
avons vu un détail, l‟une des trois Batailles de San Romano de Paolo Uccello. Les „„axes
cartésiens‟‟ du plan sont données par les lances et hallebardes brisées qui, tombées au hasard du
chaos de la bataille, jonchent le sol de façon parfaitement orthogonale, engendrant ainsi l‟espace.
Paolo Uccello, Bataille de San Romano, détrempe sur bois, 1456. Londres, National Gallery.
En conclusion, dans ce texte nous avons essayé de reconstruire un parcours constitutif de la
puissance des mathématiques des espaces infinis de tous les possibles de la physique, même quand
ces possibles sont donnés en termes de probabilités (quantiques), à partir d‟une origine théologique
qui trouve dans la peinture du XIV e siècle sa première expression symbolique.
7. Quels espaces des possibles pour l’évolution du vivant ?
C‟est là où nous avons aujourd‟hui un problème : dans l‟analyse des phénomènes du vivant,
comme phénomènes biologiques mais aussi sociétaux, il n‟y a aucune manière de prédéterminer
(mathématiquement) l‟espace même des évolutions possibles, des ''phases'' du vivant. Essayons de
préciser davantage cette idée. L‟aléatoire du lancer d‟un dé ou d‟une pièce de monnaie, ou encore,
d‟un événement quantique, opère, comme l‟on disait plus haut, dans un espace prédéfini des
dynamiques possibles. Nous savons nous donner des infinis mathématiques, depuis Lorenzetti et
Piero della Francesca, depuis Descartes, Desargues, Newton, Cantor et Hilbert. Leurs symétries (les
invariants mathématiques) permettent de définir géométriquement et formellement ces espaces (des
phases, des possibles).
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En revanche, il n‟y a aucune façon de prédéterminer l‟espace des phénotypes (formes
biologiques) futurs possibles au cours de l‟évolution – et les phénotypes, voire les organismes, sont
les observables biologiquement pertinents. D‟aucune façon n‟y avait-il un signe du nez des
mammifères dans les ''formes'', ni dans l‟ADN bactériens d‟il y a 800 millions d‟années. Ni pouvaiton
mettre dans une liste de possible les os internes de leur oreille, comme dérivés de la double
mâchoire de quelques vertébrés (les gnathostomes) d'il y a 250 millions d'années (un exemple de
“exaptation”, adaptation ex-post 28 ) : tout phénotype est le résultat d‟une histoire, d'un vaste réseau
génétique et d'interactions épigénétiques évolutives, changeants.
Mais même la liste des événements biologiques possibles durant le prochain siècle, par exemple
les formes des eucaryotes, ne se trouve pas dans des espaces mathématiquement prédéfinissables :
au cours de l‟évolution, les phénotypes et les écosystèmes se co-constituent et produisent
conjointement l‟espace des possibilités, à partir des niches que chaque organisme construit dans et
avec son environnement. Et des moindres fluctuations dans ces interactions, à l‟intérieur, voire entre
les différents niveaux d‟organisation, ne changent pas seulement des “trajectoires” dans des espaces
de phases pre-donnés, comme dans les dynamiques physiques, mais ces mêmes espaces. Les
symétries, c‟est à dire les transformations qui définissent l‟invariance et qui régissaient
magnifiquement la physique se trouvent continuellement modifiées, car la biologie est
l'itération jamais identique d’un processus morphogénétique,
à partir de la reproduction cellulaire et jusqu‟à la morphogenèse la plus complexe, qui
simultanément co-déterminent la structure de l‟écosystème. La stabilité structurelle préserve
certaines symétries globales (p. ex. les plans d‟organisation de base ou bauplan), mais chaque
mitose constitue un changement de symétrie, brise l‟invariance physico-mathématique : les deux
nouvelles cellules ne sont jamais identiques, pas même à la cellule mère. Ce ''jamais identique'', une
diversité du protéome, de l'ADN, des membranes, de la chromatine …, la reconstitution de la
matrice d'un tissue, après une mitose dans un multicellulaire, est un changement de symétries.
Et cela est fondamental pour qu'il y ait la variabilité et la diversité qui permettent l‟évolution et
l‟ontogenèse. La diversité de chaque embryogenèse, moindre ou importante (le „„hopeful monster‟‟
de Goldschmidt qui peut en résulter), participe de la production des changements évolutifs. Car ces
changements permanents (de symétries), en particulier au niveau des observables pertinents, les
phénotypes, sont au cœur de la variabilité, donc de la diversité et de la possibilité même de l'état
vivant de la matière. Ils permettent la sélection parmi les nouveautés ainsi que l'adaptabilité et
contribuent aux modifications de l'écosystème.
Bref, pour nous
la trajectoire phylogénétique et ontogénétique d’un organisme
est une cascade de changements de symétries 29 .
Bien évidemment, les analyses exclusivement moléculaires, voire genocentrées, dont les
observables sont bien pré-définissables, sont intrinsèquement incomplètes, quoique très utiles : elles
n'arrivent même pas à décrire la transmission héréditaire des certaines déformations acquises de la
28 Gould S.-J. 2002. The Structure of evolutionary Theory, Harvard U. Press.
29 Pour un cadre général dans cette perspective, voir Soto A., Longo G., Noble D. (eds.) 2016. From the century of the genome to
the century of the organism: New theoretical approaches, a Special issue of Progress in Biophysics and Mol. Biology, Vol. 122, 1,
Elsevier.
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membrane des ciliés, voire leurs structures lipidiques 30 , ni les dynamiques du protéome lors des
modifications induites et héritées de l'operon lactose – même donc au niveau, dans ce cas, purement
moléculaire.
Les mathématiques constituent une science des invariants et des transformations préservant les
invariants, et donc une science des symétries. Serons-nous en mesure d‟inventer de nouvelles
mathématiques pour traiter les changements continuels des symétries ? Pourquoi pas ? Les pères
fondateurs ont bien inventé leurs outils, les mathématiques de l‟invariance, d'Euclide à Newton et
Riemann et Grothendieck - sa notion de „„topos‟‟, en tant que notion d‟espace catégorique, très
générale, est le maximum actuel d'une philosophie et une pratique des mathématiques en tant que
science des invariants et des transformations qui les préservent – le parcours a été long depuis
Lorenzetti, mais ce dernier a contribué à l‟ouvrir. Dans tous les cas, nous devons oser l'invention
nouvelle, afin d'aborder le vivant ainsi que l‟économie, bien à l‟écart des absurdes théories de
l‟équilibre dans des espaces pré-donnés : il n‟existe pas d'écosystème ni de système économique à
l‟état d‟équilibre, ni tendant vers l'équilibre, aux géodésiques uniques et pré-données, à moins que
tous les „„agents‟‟ ne soient morts. Le vivant n‟est pas seulement un processus bien loin de
l‟équilibre, il est toujours en “transitions”, sur un seuil critique : du point de vue mathématique, il est
(dans) une “transition critique étendue” (voir Bailly, Longo, cité). Comme l‟économie, il est
toujours “en crise”.
8. Conclusion et ouverture : les espaces hétérogènes de l’évolution biologique
Nous avons essayé d‟esquisser un fil conducteur possible, à travers l‟histoire, de la notion
mathématique d‟espace, si profondément mêlée à celle d‟infini. L‟explicitation du rôle du sujet
connaissant en fait aussi partie, dans un jeu complexe avec la construction „„relativisante‟‟ de
l‟objectivité scientifique. L‟origine théologico-picturale de l‟espace physico-mathématique moderne
lui donne des racines particulièrement profondes et en fait un a priori qui semble échapper à la
critique scientifique. Son passage de la théologie aux mathématiques par le biais de la peinture est la
thèse que l‟on propose ici. Or, une épistémologie qui s‟enrichit d‟une histoire possible peut aider à
changer de regard et de pratique, quant à la constitution de nos espaces de connaissance.
Le défi de la dynamique changeante de l‟espace des possibles se pose dans toute science
historique, disions-nous. En particulier, rien en biologie ne peut être compris si ce n'est à la lumière
d'une perspective temporelle, d‟une historicité propre, celle de l‟évolution 31 . Or cette histoire se
caractérise par l'émergence de nouveaux ''espaces de phases'' ou, plus précisément, de nouveaux
observables, les phénotypes et les organismes darwiniens. Nous avons mentionné l‟émergence de
l‟oreille interne des vertébrés ; parmi les maintes exemples, on pourrait en citer un autre qui
concerne les „„dimensions du temps‟‟ comme outil d‟intelligibilité : les rythmes biologiques, comme
ceux de la respiration, des battements cardiaques …, se sont constitués au cours de l‟évolution et
sont différents des fréquences physiques. Ces rythmes sont mieux compris en les inscrivant dans une
30
Cavalier-Smith, T. 2004 The membranome and membrane heredity in development and evolution. In Organelles, genomes and
eukaryote phylogeny: an evolutionary synthesis in the age of genomics (eds R. P. Hirt & D. S. Horner), pp. 335–351. Boca Raton,
FL: CRC Press
31 Dobzhansky, T 1973. Nothing in Biology Makes Sense Except in the Light of Evolution, American Biology Teacher, 35 (3): 125–
129. Pour un regard recent: Montévil, M. 2020. Historicity at the hearth of biology. Theory in Biosciences, to appear.
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deuxième dimension temporelle, en proposant donc un nouvel observable et son propre espace
mathématique 32 .
Trois livres et plusieurs articles écrits en collaboration avec Francis Bailly, Maël Montévil et, en
co-direction, avec Ana Soto (voir http://www.di.ens.fr/users/longo/) esquissent de nouvelles
structures conceptuelles visant à mieux comprendre la singularité physique de l‟état vivant de la
matière : le changement de perspective sur les symétries est au cœur d‟une telle proposition
scientifique. La pensée d‟un espace des possibles pré-donné, invariant donc, une symétrie
fondamentale de la physique, où, depuis Lorenzetti, on arrive même à inscrire Dieu, ne suffit plus.
La prévisibilité, même celle de l‟espace des possibilités, n‟est plus au centre de la construction de la
connaissance. Cette construction vise la compréhension de la contingence historique du vivant (et,
éventuellement, de la société – mais nous ne poussons pas si loin nos analyses). Cela ne doit pas
entraver la conscience du rôle de notre action dans un monde foncièrement imprévisible, sans
espace qui le sous-tende, dans lequel nous jugeons pour le mieux, en rendant explicite la perspective
(et les valeurs) guidant nos actions.
Bref, le défi théorique est ainsi d'inventer les outils visant à comprendre mais non pas
nécessairement à prédire, disait déjà René Thom. La théorie de l'évolution de Darwin ne prédit rien,
mais elle nous fournit un extraordinaire cadre de connaissance. Les estimés qualitatifs portant sur les
effets d‟une activité peuvent nous permettre d‟agir dans le monde, si ces estimés sont fondés sur des
critères de robustesse de développement tels que la diversité et la capacité d‟adaptation.
La science est une de nos formes actives d‟être au monde, entre connaissance et praxis. Nous
construisons la connaissance aussi pour agir dans ce monde et nous avons effectivement besoin de
prévisibilité, mais il est possible que celle-ci soit provisoire et qualitative, que l‟on soit obligé de
sortir du mythe de ces possibles pré-donnés aussi beau et tranquillisant que les espaces de Piero, tout
en gardant le cap de l‟intelligibilité, qui permet l‟action sensée. Des tentatives de type théorique 33 et
mathématique sont en cours, comme celles des groupes Cardano 34 et des „„Dynamiques poststructurelles‟‟
35 , centrées sur un nouveau calcul différentiel de l‟hétérogenèse – un calcul dont les
opérateurs engendrent leurs propres espaces des possibles 36 . L‟inspiration de la sémiotique et le
dialogue avec l‟art contemporain y est explicite.
32 Longo G. 2020. Confusing biological twins and atomic clocks. Today’s ecological relevance of Bergson-Einstein debate on time.
Conference "What is time? Einstein and Bergson 100 years later", April 4-6, 2019 (proceedings in preparation, Campo, Ronchi
eds).
33 Longo, G. 2020 Naturalizing Physics. Or, embedding physics in the historicity and materiality of the living. Deleuziana, n. 11,
special issue on “Differential Heterogenesis: Deleuze, Mathematics And The Creation Of Forms”.
34 http://cardano.visions-des-sciences.eu/fr
35 https://enseignements-2019.ehess.fr/2019/ue/2691/
36 Sarti, A., Citti, G. & Piotrowski, D.( 2019) Differential heterogenesis and the emergence of semiotic function. Semiotica. Issue
230.
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La géométrie et la vie des formes
Geometry and the life of forms
Ruth Scheps 1
1
docteur en génétique moléculaire (The Weizmann Institute of Science, Rehovot, Israël) ; productrice à France
Culture et journaliste à la Radio Suisse Romande jusqu’en 2009 ; rédactrice en chef de la revue Mikhtav Hadash / La
Nouvelle Lettre jusqu’en 2019. rscheps@hotmail.com.
RÉSUMÉ. Envisagée globalement, la vie des formes montre une même tendance à la complexification pour les
formes naturelles et pour les formes géométriques résultant des mathématiques ou de l’art, avec une nette
accélération pour ces dernières à l’époque moderne. Depuis le début du XX ème siècle, les avancées géométriques
(géométries non-euclidiennes, théorie des catastrophes, géométrie algorithmique, théorie fractale) ont inspiré les
artistes, en particulier ceux de l’abstraction géométrique à travers tous ses avatars – du suprématisme jusqu’à l’art
numérique, en passant par l’art optique, l’art cinétique, l’art conceptuel et le minimalisme.
Cet article aborde la « vie des formes » de façons multiples : statuts respectifs de la forme et de la formation dans la
nature, les arts et les sciences ; rôle du temps et du mouvement dans la perception des formes ; difficulté de l’idée de
forme, aux échelles dimensionnelles extrêmes ; pertinence des notions de bord et de contenu en tant que critères
déterminants des formes mathématiques ou artistiques ; limites de l’approche géométrique pour la connaissance des
formes. On avancera enfin l’hypothèse d’une vie des formes excédant la géométrie, et exigeant une approche
sensorielle ou spirituelle.
ABSTRACT. Viewed globally, the life of forms shows the same tendency to complexification for natural forms and for
geometric forms resulting from mathematics or art, with a clear acceleration for the latter in modern times. Since the
beginning of the 20th century, geometric advances (non-Euclidean geometries, catastrophe theory, algorithmic
geometry, fractal theory) have inspired artists, particularly those of geometric abstraction through all its avatars – from
suprematism to digital art, via optical art, kinetic art, conceptual art and minimalism.
This article addresses the "life of forms" in multiple ways: the respective status of form and formation in nature, the
arts and the sciences; the role of time and movement in the perception of forms; the difficulty of the idea of form, at
extreme dimensional scales; the relevance of the notions of edge and content as determining criteria of mathematical
or artistic forms; the limits of the geometric approach to the knowledge of forms. Finally, the hypothesis will be put
forward of a life of forms that goes beyond geometry and requires a sensory or spiritual approach.
MOTS-CLÉS. Géométrie, forme, morphogenèse, mathématiques, fractalité, numérique, abstraction géométrique,
univers.
KEYWORDS. Geometry, form, morphogenesis, mathematics, fractality, digital, geometrical abstraction, universe.
1. Introduction
Tenter de saisir la vie des formes dans sa plus grande généralité, c‘est la considérer dans le temps
long : à l‘échelle des temps géologiques pour les formes naturelles, à celle des temps historiques
pour les formes géométriques résultant de l‘art ou des mathématiques. Dans les deux cas, c‘est une
même tendance à la complexification qui s‘observe, avec une nette accélération à partir du XX ème
siècle pour l‘art et les mathématiques.
Cet article mettra à l‘honneur l‘histoire récente des interactions entre la géométrie et les arts
plastiques. Nous évoquerons les avancées géométriques du XX ème siècle – géométries noneuclidiennes,
théorie des catastrophes, géométrie numérique/algorithmique, théorie fractale…. Nous
montrerons comment les artistes les ont intégrées et s‘en sont inspirés, notamment à travers les
divers courants de l‘abstraction géométrique – du suprématisme à l‘art numérique, en passant par
l‘art optique, l‘art cinétique, l‘art conceptuel et le minimalisme.
Notre approche de la « vie des formes » sera multiple. Nous évoquerons les statuts respectifs de
la forme et de la formation, en nous appuyant sur certains artistes, savants et philosophes ; nous
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considérerons le rôle du temps et du mouvement dans la perception des formes ; nous accorderons
une place à la théorie des catastrophes, qui a modélisé les changements de forme abrupts. Nous
questionnerons également l‘existence de formes aux échelles dimensionnelles extrêmes : sont-elles
pertinentes pour caractériser les particules quantiques et l‘univers dans sa globalité ?
Enfin nous examinerons la pertinence des notions de bord et de contenu en tant que critères
déterminants des formes mathématiques ou artistiques, et nous ferons l‘hypothèse d‘une vie des
formes excédant la géométrie, et exigeant une approche sensorielle ou spirituelle.
2. Prendre forme
La vie des formes (géométriques ou non) dépasse de loin leur assignation à la science
géométrique. Le mot « forme » apparaît en moyen français au XI ème siècle. Formé (!) à partir du
latin forma, il désigne « l‘ensemble des caractéristiques extérieures de quelque chose » 1 –un être, un
objet, un événement, une idée – ou bien leur façon de se matérialiser ou de se présenter. De
manière plus scientifique, « forme » peut être défini comme toute l'information géométrique qui
reste d'un objet lorsque l'emplacement, l'échelle et les effets de rotation sont filtrés. Dans tous les cas
de figure, une forme reconnue comme telle, est indissociable de sa perception : même sa définition
algébrique ne saurait la faire exister vraiment, à moins qu‘elle soit complétée par le dessin
géométrique.
Premières géométries
La connaissance des formes géométriques est encore bien plus ancienne que le mot qui les
désigne. De fait, les humains ont toujours cherché à comprendre et à reproduire les formes qu‘ils
voyaient autour d‘eux. Les premières formes géométriques dessinées apparaissent au Paléolithique,
les premières notions de géométrie reconnues, vers 3000 av. J.-C., en Égypte, en Inde ancienne et
chez les Babyloniens. Vers le I er ou le II e siècle av. J.-C., paraissent Les Neuf Chapitres sur l’art
mathématique, texte fondamental des connaissances de la Chine ancienne, avec des calculs d'aires et
de volumes, et une formulation du théorème de Pythagore. C‘est la Grèce antique (dès -600), qui
fera de la géométrie une science à part entière, en généralisant et établissant des lois à partir de
nombreuses règles empiriques connues depuis longtemps. Les pythagoriciens (VI-V ème siècles av.
J.-C.) avaient déjà une connaissance empirique de trois solides – le tétraèdre (pyramide), l'hexaèdre
(cube), le dodécaèdre. À leur suite, Platon a nommé cinq polyèdres réguliers, appelés depuis
« solides de Platon » : le tétraèdre, l'hexaèdre, l‘octaèdre, le dodécaèdre et l‘icosaèdre 2 . Loin d‘être
purement mathématiques, ces figures de base s‘inscrivent pleinement dans la philosophie
platonicienne : dans La République, elles apparaissent comme des formes sensibles ne devant leur
réalité qu‘à leur participation aux essences intelligibles et transcendantes (elles-mêmes
subordonnées au Bien suprême, simple et inconditionné) : « Les mathématiciens construisent leurs
raisonnements, sans avoir à l‘esprit ces figures elles-mêmes [les cinq solides de base] mais les
figures parfaites dont elles sont les images visibles et que nul ne peut contempler autrement que par
la pensée 3 . » Dans le Timée 4 , Platon présente les quatre éléments comme étant constitués de
1 TLFi, Le Trésor de la langue française informatisé, 1971-1994. Parmi les substantifs directement dérivés, notons : formation,
conformation, déformation, format, formateur, formatage, formalisme, formalisation, formule, formulaire, formalité,
malformation, méforme, néoformation, plateforme – une richesse sémantique en accord avec l’ancienneté du terme et son
caractère peu spécifique.
2 Les cinq solides (polyèdres) de Platon et leurs faces (polygones) : tétraèdre ou pyramide (4 triangles équilatéraux) ; hexaèdre
ou cube (6 carrés) ; octaèdre (8 triangles équilatéraux) ; dodécaèdre (12 pentagones réguliers), icosaèdre (20 triangles
équilatéraux).
3 Platon, La République, VI, §10.
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particules respectivement tétraédriques (Feu), cubiques (Terre), octaédriques (Air) et icosaédriques
(Eau), la sphère du monde (le Tout) étant un dodécaèdre. Quelque soixante ans plus tard, Euclide
offrait, avec ses Éléments, une étude mathématique complète des solides de Platon 5 qui, en raison de
leur esthétique et de leurs symétries, ont continué à être étudiés bien après les mathématiciens grecs.
Géométriser la complexité
Vers le début du XX ème siècle, la naissance de la géométrie non-euclidienne (Bernhard Riemann,
1854), de la théorie des quantas (Max Planck, 1900) et de la relativité (Albert Einstein, 1905) résulte
en une conception spatio-temporelle du monde et produit des formes que les époques précédentes
n‘auraient pu imaginer : surface de Möbius (popularisée par l‘œuvre de M. C. Escher), bouteille de
Klein, projections de formes à plus de trois dimensions…). Qu‘elles se réfèrent à des réalités
physiques possibles ou impossibles, elles vont au-delà des formes idéales de la géométrie
euclidienne, destinée à décrire les formes réelles de manière plus ou moins approchée.
Ces nouvelles théories et hypothèses mathématiques vont raviver l‘intérêt des artistes pour les
sciences (une tendance datant de l‘invention de la perspective) et inspirer les démarches cubistes,
constructivistes et surréalistes, « provoquant dans les références de l‘art un dépaysement soudain,
comme une abstraction avant l‘abstraction » 6 . Pour ne donner qu‘un exemple de la façon dont les
artistes se sont emparés de ces nouvelles constructions scientifiques, citons René Magritte, qui a su
en jouer pour proposer des représentations paradoxales d‘objets impossibles 7 , où les principaux
effets de la profondeur sont contredits.
En tant que surfaces, volumes ou hypervolumes, les formes « vivent » au sein d‘espaces linéaires
ou courbes avec lesquels elles interagissent. Mais le sens d‘une forme singulière tient aussi aux
autres formes auxquelles elle peut être associée. Pour le mathématicien, « ce qui est intéressant, ce
que dit véritablement une forme, c‘est une famille à laquelle elle est agrégée, un groupe dans lequel
elle se range. Et pour voir, comme pour dire, dans quelle famille une forme est rangée, […] une des
solutions consiste à déployer la forme pour lui faire engendrer une famille de formes, dont elle sera
en quelque sorte le représentant. Et un bon moyen, c‘est de la déployer dans le temps, de faire se
mouvoir la forme 8 . » Enfin, une forme géométrique peut être engendrée à partir d‘une équation
algébrique faisant intervenir les nombres imaginaires. Il est à noter que dans ce cas, la forme
4 Timée : un des derniers dialogues de Platon, écrit vers 360 av. J.-C. Le philosophe pythagoricien Timée de Locres réfléchit sur
l’origine et la nature du monde physique et de l’âme humaine, tout en abordant les questions liées à la connaissance scientifique
et au rôle des mathématiques dans l’explication du monde.
5 Un polyèdre régulier est un solide de Platon, si et seulement si, 1 : toutes ses faces sont des polygones réguliers convexes
isométriques, c'est-à-dire superposables ; 2 : aucune de ses faces ne se coupe, excepté sur les arêtes ; 3 : le même nombre de
faces se rencontre à chacun de ses sommets. De plus, en géométrie euclidienne, la somme des angles au sommet des polygones
réguliers doit être strictement inférieure à 360°.
6 Jean de Loisy, « Formes mathématiques », cat.exp. Formes simples, dir. Jean de Loisy ; exposition au Centre Pompidou-Metz, 13
juin - 5 novembre 2014, éditions du Centre Pompidou-Metz / H Fondation d’entreprise Hermès, p. 140.
7 Objet impossible : représentation d’objet fictive, contraire aux lois physiques connues. Le triangle de Penrose (également
exploité par M. C. Escher) en est un exemple emblématique : le dessin censé être l’exacte représentation, en projection sur un
plan, d’un objet réel tridimensionnel, est ambigu car on ne peut l’interpréter comme tel. Par conséquent, l’objet théorique, qui
devrait correspondre au dessin, est impossible. D’une manière générale, ces dessins appliquent les règles de la perspective de
manière « perverse », en plaçant des indices contradictoires sur la position et la taille des objets.
8 Jean Dhombres, « Qu’est-ce qu’une forme ? », Les sciences de la forme aujourd’hui, collectif, entretiens avec Émile Noël,
éditions du Seuil, « Points Sciences », 1994, p. 18.
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géométrique obtenue est une interprétation particulière de l‘équation de départ, laquelle en admet
plusieurs.
En topologie (étude des formes géométriques et de leurs relations), peu de mathématiciens auront
autant contribué à la vie des formes que René Thom 9 . Le bel article que lui consacre l‘Encyclopædia
Universalis, intitulé « De l‘algèbre à la géométrie et de la géométrie au monde », souligne que
« René Thom est un des maîtres incontestés de la géométrie. Comme celle de Riemann, comme
celle de Poincaré (dont il partage la perspective intuitionniste, synthétique, holiste et l'aversion
corrélative pour le formalisme pur), son œuvre mathématique est dominée par une interrogation
essentielle : le ―retour‖ de l'algébrique vers le géométrique. » La théorie des catastrophes met en
valeur une approche qualitative de la géométrie, appelée à devenir une science phénoménologique.
Les « catastrophes » de Thom (dont il se plaisait à dire qu‘elles n‘ont jamais tué personne !) sont des
changements de forme soudains, des discontinuités décrites sous la forme de surfaces
mathématiques abstraites. Thom a défini sept catastrophes élémentaires, sept formes pouvant être
contrôlées avec quatre paramètres au maximum – les quatre dimensions de notre environnement :
longueur, largeur, hauteur et temps. En évoluant, ces sept formes aboutissent à des singularités,
autrement dit, à des points de discontinuité : le pli, la queue d'aronde, la fronce, le papillon, l'ombilic
elliptique (l'extrémité d'une aiguille), l'ombilic parabolique (le champignon), l'ombilic hyperbolique
(la crête d'une vague déferlante). Cette théorie a suscité un immense engouement chez de nombreux
scientifiques et chez des artistes comme Salvador Dali, auteur d'une toile nommée Queue d’aronde
(1983). Cependant, les tentatives visant à l‘appliquer aux sciences humaines, notamment en
linguistique et en psychologie, ont été vigoureusement contestées.
Dans les années 1970, grâce à la conception assistée par ordinateur (CAO), la géométrie s‘est
enrichie d‘une nouvelle discipline, la géométrie algorithmique. L‘outil informatique permettait
désormais aux dessinateurs de modéliser des surfaces en trois dimensions (3D), ce qui ouvrait de
nouveaux champs d‘application aux artistes. Des formes tridimensionnelles inaccessibles à l‘œil
humain sont devenues mesurables, de l‘échelle atomique à l‘échelle astronomique. Mais il s‘agissait
encore de formes relativement simples. C‘est l‘apparition de données 3D massives et structurées par
la géométrie algorithmique, qui permettra de représenter des formes complexes. Une question
importante à cet égard concernait la représentation de formes géométriques continues par des
modèles discontinus 10 , ce qui nécessitait de pouvoir caractériser la complexité d‘un objet
géométrique. Ce sera fait par Herbert Federer (fondateur de la théorie de la mesure géométrique) à
l‘aide d‘une quantité, baptisée la « portée » (reach en anglais), qui résume à elle seule la façon dont
l‘objet est géométriquement plongé dans l‘espace. Ce concept, qui tient compte à la fois de la
courbure de l‘objet (une notion locale) et de son étranglement (une notion globale), a été appliqué
notamment aux structures à très grande échelle de l‘univers (galaxies et amas de galaxies).
9 René Thom (1923-2002) : mathématicien français, auteur de la théorie des catastrophes dans les années 1960. Celle-ci a été
popularisée dans les années 1970 par le mathématicien Christopher Zeeman, qui a continué à l’appliquer aux sciences
biologiques et comportementales. René Thom a reçu la médaille Fields (l'équivalent mathématique du prix Nobel) en 1958 pour
ses travaux en topologie.
10 Modèles discontinus (ou discrets) : deux exemples emblématiques sont : 1° les diagrammes de Voronoï, qui représentent les
relations de proximité et permettent de modéliser des phénomènes de croissance en toutes dimensions ; 2° le modèle des
triangulations, qui est au cœur de l’interaction entre géométrie et calcul.
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Figure 1. Reuven Berman Kadim, Hovering Object #1. Digital image, 1997. "Artist's Estate, Reuven
Berman Kadim, "Geometric Art, The Hidden Order of Nature", pub. Yedioth Books, Israel, 2010".
Figure 2. Reuven Berman Kadim, Paving B, Digital image, 1996. "Artist's Estate, Reuven Berman Kadim,
"Geometric Art, The Hidden Order of Nature", pub. Yedioth Books, Israel, 2010".
Morphogenèses
Les formes identifiées comme telles, sont des constructions de l‘esprit visant à réduire le
caractère mouvant de la réalité. Le philosophe Henri Bergson remarque : « La vie est une évolution.
Nous concentrons une période de cette évolution en une vue stable que nous appelons une forme, et,
quand le changement est devenu assez considérable pour vaincre l‘heureuse inertie de notre
perception, nous disons que le corps a changé de forme. Mais, en réalité le corps change de forme à
tout instant. Ou plutôt il n’y a pas de forme, puisque la forme est de l‘immobile et que la réalité est
mouvement. Ce qui est réel, c‘est le changement continuel de la forme : la forme n‘est qu‘un
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instantané pris sur une transition 11 . » Cependant, en art comme en science, la saisie de ces
instantanés (les formes) a été un préalable nécessaire à celle de leurs transitions (leur formation).
Dans la nature, certaines formes évoquent immédiatement le mouvement dont elles procèdent.
C‘est le cas des spirales, que l‘on trouve à toutes les échelles de grandeur, depuis les galaxies
jusqu‘à l‘ADN (doublement spiralé), en passant par des formes visibles à l‘œil nu, comme celles de
l‘ammonite, de la pomme de pin, de la fleur de tournesol, etc.
Dans le monde animal, les morphogenèses sont autant constructives que destructives. À chaque
étape de l‘embryogenèse, il faut en effet compter avec l‘apoptose, cette mort cellulaire spontanée,
qui contribue de manière essentielle à façonner les organes et les membres 12 ; dans le cas de la main,
par exemple, c‘est par une succession d‘apoptoses que les doigts se libèrent progressivement de leur
gangue en forme de moufle.
La complexité des formes naturelles défie souvent la géométrie. Avant l‘apparition de la
géométrie algorithmique, les artistes devaient donc emprunter d‘autres voies pour exprimer leur
essence. Avec son Homme de Vitruve (1490), Léonard de Vinci a montré que l‘homme, représenté
bras et jambes écartés, pouvait être inscrit dans les formes géométriques les plus simples et
parfaites : le cercle et le carré. Plus près de nous, le sculpteur Jean Arp, confronté à la diversité des
formes complexes, tend vers l‘épure : « À Ascona, je dessinais au pinceau avec de l‘encre de Chine
des branches cassées, des racines, des herbes, des cailloux que le lac avait rejetés sur le rivage. Je
simplifiais et unifiais ces formes en ovales mouvants, symboles de l‘éternelle métamorphose et du
devenir des corps 13 . » Pourrait-on aller plus loin dans la compréhension du devenir forme, par
exemple en dévoilant ses ressorts secrets ? L‘historien de l‘art Henri Focillon le suggère : « Rien
n‘est plus tentant – et rien, dans certains cas, n‘est mieux fondé – que de montrer les formes
soumises à une logique interne qui les organise. De même que, sous l‘archet, le sable répandu sur
une plaque vibrante se meut pour dessiner diverses figures qui s‘accordent avec symétrie, de même
un principe caché, plus fort et plus rigoureux que toute fantaisie inventive, appelle l‘une à l‘autre
des formes qui s‘engendrent par scissiparité, par déplacement de tonique, par correspondance 14 . »
Ainsi, qu‘elles soient naturelles, artistiques ou scientifiques, les formes informent aussi : sur la
« logique interne qui les organise » comme sur les objets, les êtres ou les symboles auxquels elles
renvoient.
3. Art et géométrie
Les arts influent sur le monde, notamment à travers des œuvres qui en modifient la perception. La
modernité picturale a été particulièrement active à cet égard. En témoignent les divers courants qui
ont surgi au XX ème siècle – du cubisme à toutes les formes d‘art numérique – comme pour inquiéter
nos certitudes quant à la nature de la réalité. Bien des distinctions scientifiques ou philosophiques
traditionnelles en ont été bousculées : entre l‘espace et le temps, le réel et le virtuel, le réel et
l‘imaginaire, le vrai et l‘illusoire. Le champ des possibles s‘étant démultiplié, l‘œuvre participe
désormais à son propre devenir.
11 Henri Bergson, L’Évolution créatrice, 1907, Paris, PUF, 1959, p. 301-302.
12 Jean-Claude Ameisen, La sculpture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, éditions du Seuil, « Points sciences
humaines », 2003.
13 Jean Arp, « Jalons », Jours effeuillés, Poèmes essais, souvenirs, Paris, Gallimard, 1966, à la note 2, p. 357.
14 Henri Focillon, Vie des formes, Paris, PUF, 1934, 8 ème édition, 2004, p. 12.
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L’art géométrique avant la lettre
D‘une certaine façon, l‘art géométrique a toujours existé : des signes géométriques préhistoriques
ont été trouvés dans presque tous les sites d‘art pariétal d'Europe occidentale – mais leur
signification demeure inaccessible ; dans l‘Antiquité grecque, les polygones, construits à la règle et
au compas, ont été utilisés en architecture ; le Haut Moyen Âge a vu naître l‘art des entrelacs, qui
s‘est développé en Europe comme en Orient où il a donné lieu aux arabesques. Mais c‘est
l‘invention de la perspective, au XV ème siècle, qui a été la plus décisive pour l‘art géométrique : ses
diverses techniques ont permis aux artistes de représenter la profondeur d'un objet ou d'une scène
sur une surface plane, et elle a fasciné aussi bien Léonard de Vinci que les peintres modernes liés
aux diverses déclinaisons de l‘art géométrique.
Au début du XX ème siècle, la naissance du cubisme (Picasso et Braque, 1900) a été une étape
déterminante dans l‘histoire de l‘art. Témoin privilégié de cette peinture, Guillaume Apollinaire en a
souligné la pureté scientifique : « Un Picasso étudie un objet comme un chirurgien dissèque un
cadavre. […] L‘aspect géométrique qui a frappé si vivement ceux qui ont vu les premières toiles
scientifiques venait de ce que la réalité essentielle y était rendue avec une grande pureté et que
l‘accident visuel et anecdotique en avait été éliminé 15 . » Il ne s‘agissait plus de représenter la réalité,
mais d‘en fragmenter les formes, puis de les recomposer dans diverses configurations géométriques
abstraites, propres à montrer des objets de plusieurs points de vue à la fois. Cet exercice du regard
fut aussi un exercice pour l‘esprit, confronté à la coexistence de l‘un et du multiple, du
bidimensionnel et du tridimensionnel. Sans point de vue privilégié, l‘objet cubiste allait faire du
spectateur traditionnel un regardeur actif, capable de voir/concevoir, derrière l‘unité brisée d‘un
objet peint, une multiplicité d‘objets réels.
De l’abstraction géométrique à l’art numérique
L‘abstraction géométrique proprement dite, qui s‘élabore au sortir de la première Guerre
mondiale, peut être considérée comme une seconde formulation de l‘abstraction, d‘abord
spiritualiste et d‘expression plutôt lyrique, fondée essentiellement par Vassily Kandinsky (1910-
1913). Cet art géométrique abstrait se développera entre les deux guerres, par exemple sous les
appellations d‘art construit 16 et d‘art concret 17 .
Apparu en même temps que le constructivisme russe, le suprématisme, théorisé par Kasimir
Malevitch en 1915 18 , parachève la révolution du regard qu‘avait entamée le cubisme : délestées de
toute référence réaliste ou symbolique, ses compositions de formes pures ne renvoient qu‘à ellesmêmes.
Après Carré noir sur fond blanc (1913), l‘artiste poursuit sa quête mystique d‘un monde
vide de représentation, et aboutit à Carré blanc sur fond blanc (1918). Sommet ou impasse de la
peinture ? En tout état de cause, l‘abstraction géométrique avait atteint une limite qui appelait à son
15 Guillaume Apollinaire, « Sur la peinture », II et VII, dans (Méditations esthétiques) Les Peintres cubistes, Paris, Figuière, 1913.
16 Art construit : abstraction géométrique qui intègre le hasard, tout en restant dans la rigueur de la composition picturale. Elle
se caractérise à la fois par sa logique et par sa grande diversité.
17 Art concret : notion proposée en 1930 par Theo van Doesbourg, fondateur du groupe Art concret, et rédacteur de la revue De
Stijl. « Peinture concrète et non abstraite, parce que rien n'est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu'une couleur, qu’une
surface » (Manifeste de l'art concret, cité par Michel Seuphor dans L'Art abstrait, vol. 1, p. 10). L’art concret se veut plus
rigoureux que l’abstraction traditionnelle, en substituant à la subjectivité de l’artiste, l’application de systèmes et de
programmes prédéterminés et objectivement contrôlables. Ce mouvement se poursuivra après la seconde Guerre mondiale,
jusque vers 1960.
18 Kasimir Malevitch, Manifeste suprématiste : Le Nouveau Réalisme pictural, 1915.
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renouvellement. Celui-ci sera progressif : le géométrisme abstrait « réaliste » de Piet Mondrian (dès
1917) ne cherche pas à exprimer la réalité de la nature, mais son essence. Avec une remarquable
économie de moyens, Mondrian se détourne peu à peu des formes et des couleurs naturelles,
délaissant en particulier la courbe et la couleur verte pour privilégier la droite et les trois couleurs
primaires – rouge, jaune et bleu –, le blanc lui servant de fond et le noir, de délimitation entre les
couleurs. Il nommera « néo-plastique » ce système de représentation abstraite auquel l‘a conduit son
cheminement intérieur et par lequel il entend matérialiser l‘Absolu. Pour le philosophe et historien
de l‘art Hubert Damisch (1958), « un tableau de Mondrian contredit au monde qui est le nôtre, et en
suggère un autre. [Il lui est assigné] une fonction précise : celle d'imprimer dans la mémoire visuelle
un schème d'organisation de l'espace qui fonctionnerait ensuite comme une grille, laquelle
n'attendrait plus que d'être reportée sur le monde pour l'informer à neuf 19 . »
L‘abstraction géométrique avait abouti à une radicalité extrême qui en menaçait le
développement. Le défi était désormais de la prolonger, mais sans la renier. Il sera relevé, entre
1950 et 1970, par l‘art optique (Op Art aux États-Unis) et l‘art cinétique 20 , qui prennent en compte
les connaissances scientifiques pour mettre en avant le rapport entre l‘art et la perception optique –
une démarche initiée par Victor Vasarely, considéré depuis comme le père de l‘art optique. En
créant des illusions optiques, c‘est la perception du mouvement que Vasarely cherche à approfondir
: par leur mise en perspective, les formes géométriques simples et répétées de ses tableaux, incitent
le regard à se déplacer de l‘une à l‘autre et produisent une impression spectaculaire de volume,
concave ou convexe.
Les formes géométriques simples n‘ont pas encore dit leur dernier mot : poussant la simplicité à
l‘extrême, le minimalisme qui surgit au début des années 60, hérite directement de Malevitch dans
sa quête de l‘Absolu, et s‘oppose à l‘expressionisme abstrait des années 50. Barnett Newman, l‘un
de ses artistes les plus importants, va parfois même jusqu‘à ignorer la forme au profit de la seule
couleur.
En 1961, certains artistes optiques-cinétiques fondent un collectif, le GRAV 21 , dont un
représentant emblématique est François Morellet, figure majeure du minimalisme. Composées de
formes géométriques simples, ses œuvres sont strictement planifiées et comportent souvent une
trame systématique, contrebalancée par l‘intervention ludique du hasard. Il y introduit également
des sources de lumière (ampoule, néon) qui créent des phénomènes d‘interférence et de
clignotement, destinés à déstabiliser la perception.
Autre artiste phare de l‘art minimal, Sol LeWitt, qui multiplie les combinaisons de lignes dans un
format carré, est également identifié à l‘art conceptuel 22 , aboutissement logique du minimalisme.
Dans une œuvre conceptuelle, ce ne sont pas les propriétés formelles esthétiques qui priment, mais
19
Hubert Damisch, cité par Éric de Chassey, L'abstraction avec ou sans raisons, Gallimard, coll. « Art et artistes », 2017, p. 29.
20
rt cinétique : révélé au public en 1955 par l’exposition Le Mouvement, proposée par asarely à la galerie Denise ené avec
des œuvres de Marcel Duchamp, lexander Calder, es s afael oto, aacov gam, ean inguely et Pol ury, etc. rt optique :
présenté pour la première fois en 1965, lors de l’exposition he esponsive Eye, au MoMa de New ork avec des œuvres de 99
artistes dont osef lbers, un des initiateurs de l’art optique, ictor asarely, son père officiel, et de nombreux artistes de l’art
cinétique en Europe.
21
GRAV : Groupe de echerches d’ rt isuel, créé par François Morellet avec cinq autres artistes : Francisco Sobrino, Horacio
Garcia Rossi, Julio Le Parc, Yvaral et Joël Stein. on objectif est la création d’un art fondé sur le mouvement, la non-subjectivité
de l’artiste et la participation du public.
22 Art conceptuel : cf. « Quand les attitudes deviennent forme », exposition fondamentale organisée par Harald Szeemann entre
le 22 mars et le 27 avril 1969 à la Kunsthalle de Berne et réunissant de nombreux artistes conceptuels.
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le concept ou l‘idée de l‘art qu‘elle incarne : « Lorsqu'un artiste recourt à une méthode modulaire
multiple, il choisit habituellement une forme simple et disponible. La forme, elle-même, a une
importance très réduite : elle devient la grammaire de l'œuvre dans son entité. […] L'arrangement
devient la fin et la forme devient le moyen 23 . » Ce qui en résulte n‘est rien moins qu‘une nouvelle
forme de perception de l‘œuvre.
Dans les années 50, l‘apparition des premiers ordinateurs révolutionne l‘art géométrique : de
nouvelles formes géométriques sont construites, générant encore de nouvelles manières de voir et
d‘analyser la peinture. Venue du minimalisme (avec un vocabulaire formel fondé sur la ligne, le
cercle, le carré ou le méandre), l‘artiste hongroise Véra Molnár (née en 1924) voit dans l‘ordinateur
utilisé à des fins créatrices, un outil libérateur par rapport à l‘héritage classique qu‘elle juge sclérosé,
et à partir de 1968, elle devient l‘une des pionnières de cet art numérique – ou art algorithmique –
aux possibilités apparemment infinies. Un art multiforme 24 , qui séduit de plus en plus de jeunes
artistes, telle Sarah Morris (née en 1967) chez qui « les structures architecturales, devenues des
structures picturales minimales, sont à la fois des déconstructions et des reconstructions plastiques
qui mêlent les codes de la 2D à ceux de la 3D, des représentations planes et des volumes. Ces
derniers peuvent se présenter séparément au sein de certaines toiles, ou imbriqués dans d‘autres. Les
espaces représentés sont aussi d‘autant plus complexes qu‘ils jouent d‘étirements, d‘aplatissements
et de perspectives d‘angles 25 . »
Le milieu des années 80 voit émerger un nouveau courant de l‘art numérique, l‘art fractal –
nommé en référence à une découverte du mathématicien Benoît Mandelbrot 26 , la théorie des
fractales – compositions qui répètent à l‘infini le même motif géométrique, à différentes échelles
(autosimilarité). Ces structures, qui existent aussi dans la nature, ont donné lieu à la fractalité, une
nouvelle vision du monde largement inspirée par la notion d‘échelle et les rapports entre le tout et le
détail. Certains artistes s‘empareront de cette vision fractale du monde pour la traduire dans leurs
œuvres, qui incarnent la nouvelle fusion des mathématiques et de l‘art.
En fin de compte, ce qu‘aura incarné l‘art géométrique, à travers tous ses avatars, c‘est l‘adieu à
la subjectivité et au monde des objets : l‘abstraction géométrique s‘est tournée vers l‘objectivité, la
neutralité, l‘anonymat et la vérité ; le suprématisme, vers l‘infini ; l‘art numérique, vers la sérialité et
la perfection formelle.
23
Sol LeWitt, “Paragraphs on Conceptual Art” in Artforum, juin 1967.
24 Art numérique : s’est développé en tant que genre artistique depuis la fin des années 1950. Il regroupe un ensemble varié de
formes d’art utilisant des dispositifs numériques (ordinateur, interface ou réseau) – par exemple le net.art (œuvres interactives
conçues par, pour et en lien avec le réseau Internet), l’art robotique ou la photographie numérique, avec des sous-catégories
spécifiques telles que l’art audiovisuel, l’art génératif, l’art interactif. Les environnements de réalité virtuelle (RV) et de réalité
augmentée (RA) en sont aujourd’hui des catégories importantes. Enfin, l’intégration de la vie artificielle et de l’intelligence
artificielle aux créations numériques, en renouvelle les perspectives.
25 Elsa Ayache, L'informatique, outil et médium du peintre, vers une pratique du « lâcher-prise », thèse de doctorat, Université
Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2018.
26 Benoît Mandelbrot (1924, Varsovie - 2010, Cambridge, États-Unis). Mathématicien franco-américain. Découvreur des fractales,
une nouvelle classe d’objets mathématiques, qu’il présente en 1975 dans l’ouvrage de référence Les Objets fractals - Forme,
hasard et dimension, trad., Flammarion, 1975. Cette découverte a ouvert un champ mathématique devenu célèbre – la
géométrie fractale – et montré l'étendue de ses applications dans les domaines les plus variés (biologie, physique, finance, etc.).
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Figure 3. Emmanuel Van der Meulen, Quadrum, 2017, acrylique sur toile, 130x130 cm.
Courtesy de l'artiste et Galerie Allen, Paris.
Figure 4. Emmanuel Van der Meulen, Bethel, 2017, acrylique sur toile, 130x130 cm.
Courtesy de l'artiste et Galerie Allen, Paris.
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Trois héritiers de l’art géométrique
Reuven Berman Kadim 27
Tout l‘œuvre de Reuven Berman Kadim relève de l‘art géométrique abstrait. Au sein de ce vaste
courant artistique, sa trajectoire l‘a conduit vers l‘art numérique – en particulier l‘art fractal.
L‘organisation géométrique de la matière et les motifs géométriques de l‘art islamique, sont ses
deux grandes sources d‘inspiration. L‘artiste considère que les modèles géométriques créés par la
théorie fractale, reproduisent l‘ordre sous-jacent des phénomènes naturels dits « chaotiques ». Par
ailleurs il repère le même principe de répétition formelle dans les motifs géométriques de l‘art
islamique et dans les systèmes fractals.
Comme l‘art des motifs islamiques, dans lequel l‘artiste voit une métaphore visuelle de la force
créatrice universelle, les objets sont à ses yeux des métaphores de l‘ordre plus complexe qui les
fonde. L‘œuvre éminemment poétique, Objet flottant #1 (fig. 1), est issue de la suite de Fibonacci 28 .
Créée à l‘aide d‘un programme d‘ordinateur, elle est emblématique des motifs complexes que cet
outil lui permet de développer, et il n‘est pas certain qu‘elle aurait pu être réalisée sans ce
programme.
L‘œuvre Pavage (fig. 2), dans la section « Rectangles et angles » du livre Geometric Art. The
Hidden Order of Nature, se compose de quelques figures géométriques simples et parfaitement
juxtaposées : carré, rectangle, cerf-volant. Dans la partie centrale de l‘image, l‘uniformité du pavage
semble contredite par le jeu des couleurs, et l‘œil est irrémédiablement attiré vers ce centre qui se
détache nettement du reste de l‘image. Comme si toute la partie périphérique n‘était destinée qu‘à
valoriser sa figure complémentaire.
Emmanuel Van der Meulen 29
Pour Emmanuel Van der Meulen, la géométrie n‘est pas un but en soi mais un outil, que l‘artiste
utilise sans dissocier la forme de la couleur. Dans ses tableaux, qui comportent toujours une forme
centrale et des éléments périphériques, chaque point de la toile a la même importance – un principe
qui donne à l‘œil « l‘occasion d‘aller chercher un peu partout » : ce qui apparaît dans la peinture
dépend aussi de ce que le regard y trouve au cours de ses déambulations.
27 Reuven Berman Kadim (1929, Philadelphia, USA - 2014, Rehovot, Israël). Identifié à l‘art géométrique abstrait. Critique
d‘art pour The Jerusalem Post (1961-1972) et pour le journal Yedioth Aharonoth (1966-73). Commissaire en 1983 de la Biennale
Internationale de Sao Paulo, Brésil. À partir de 1995, a travaillé exclusivement à l‘aide de l‘ordinateur. Bibliographie sélective :
Marc Scheps, Reuven Kadim [Berman] – Patterns : An East-West Symbiosis, Tel Aviv Museum of Art, 2004.
Reuven Berman Kadim, Geometric Art. The Hidden Order of Nature, Gil Goldfine editor, Tel Aviv, Yedioth Ahronoth/ Chemed
Books, 2010.
28 Suite de Fibonacci : en mathématiques, suite d‘entiers dans laquelle chaque terme est la somme des deux termes qui le
précèdent. Elle commence par les termes 0 et 1. Cette suite est liée au nombre d‘or, φ (phi), qui intervient dans l'expression du
terme général de la suite. Les quotients de deux termes consécutifs de la suite de Fibonacci sont les meilleures approximations du
nombre d'or.
29 Emmanuel Van der Meulen est né en 1972 à Paris. Diplômé de l‘École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2001, il
a été pensionnaire de l‘Académie de France à Rome / Villa Médicis en 2012-2013. Son travail est représenté par la Galerie Allen,
Paris. Expositions récentes : Turns #2 (Galerie Allen, Paris, 2020), Chronique d‘une collection : Embarquez-vous ! (FRAC Grand-
Large, Dunkerque, 2020), Opsis (Exposition personnelle, Galerie Allen, Paris, 2019), 26 x Bauhaus (Institut Français, Berlin,
2019), Everybody‘s looking for something (La Salle de Bain, Lyon, 2019), Paris-Peinture (Le Quadrilatère, Beauvais, 2018),
Fables, Formes, Figures (MABA, Nogent-sur-Marne, 2018), Quod Apparet (Exposition personnelle, Galerie Allen, Paris, 2017).
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Quadrum (fig. 3) est un tableau carré – la forme géométrique adoptée par l‘artiste. Ici, il s‘agit du
cadre définissant explicitement l‘octogone irrégulier qui le remplit largement. Mais ce qui se joue
entre le cadre et l‘octogone inscrit, dépasse le jeu formel et relève tout autant de la complémentarité
des couleurs et de l‘opposition des techniques picturales : la rigueur lisse du cadre-fenêtre et les
larges aplats de couleur inclus produisent une rupture visuelle qui invite au voyage intérieur.
Le tableau Bethel 30 (fig. 4) illustre de manière frappante la « double négation » qui intéresse
l‘artiste. La partie inférieure est une forme géométrique simple, un rectangle allongé dont les petits
côtés ne touchent pas les bords verticaux du tableau, qui semblent l‘encadrer. La première négation
vient de ce que son grand côté inférieur « a l‘air de reposer sur la limite inférieure du tableau, ce qui
est d‘autant plus absurde qu‘un tableau, a priori, est accroché au mur et non posé par terre 31 . » La
seconde négation vient de la partie supérieure, qui semble réfuter tout ce qu‘affirme le rectangle
inférieur (équivalent pictural de l‘autel de pierre érigé par Abram en Genèse 12,7 pour souligner
l‘importance du lieu) : des traits amples et tumultueux viennent buter contre la compacité du
rectangle-pierre dont le rouge profond recouvre partiellement les couleurs neutres du haut. Deux
énergies contraires et puissantes comme l‘ordre et le chaos, invitent ici notre regard à se déplacer,
indéfiniment.
Esther Stocker 32
Digne héritière de l‘art abstrait, géométrique et optique, Esther Stocker l‘a enrichi de ses propres
obsessions artistiques, scientifiques et logico-philosophiques.
Regarder les œuvres d‘Esther Stocker (peintures, sculptures, installations), est une expérience
aussi passionnante que déstabilisante. Généralement élaborées à partir d‘une grille en noir et blanc,
elles sont envahies de subtils accrocs, distorsions et décrochages, qui viennent perturber la régularité
attendue. Par ses constructions atypiques, l‘artiste joue avec la géométrie des formes, et avec nos
propres capacités à faire varier notre regard. L‘incertitude qui émane de ses tableaux et installations,
tient autant à la dialectique de l‘ordre et du désordre qu‘à celles de la forme et du fond, du simple et
du complexe, ou encore du précis et du flou, rendus visuellement et mentalement interchangeables.
Comme la plupart des œuvres d‘Esther Stocker, la peinture Sans titre 2010 (fig. 5) est une grille
en noir et blanc, composée ici de rectangles noirs délimités par des traits blancs. Mais d‘autres
lignes ou parties de grilles, diversement orientées et savamment superposées à la grille primaire, en
ont détruit la régularité. Ne trouvant pas où s‘accrocher, le regard erre d‘un point à un autre, et
l‘esprit logique est mis en échec.
30 Bethel (ou Beth-El, en hébreu « Maison de Dieu ») est une localité des hautes terres du pays de Canaan, qui se trouverait à
10 km au nord de Jérusalem, dans la région historique de l'ancienne Samarie. Dans la Bible hébraïque, Bethel est lié notamment
au passage des patriarches Abraham et Jacob sur ce lieu : en chemin vers Canaan, Abraham y construit un autel ; suite à son
combat avec l’ nge, acob s'y endort et rêve de « l'échelle de Jacob », une échelle parcourue par des anges et qui s'élève
jusqu'au ciel.
31 Communication personnelle.
32 Esther Stocker : née en 1974 en Italie, vit et travaille à Vienne (Autriche). A étudié à l’ cadémie des eaux-Arts de Vienne et de
Brera-Milan, puis au Art Center College of Design de Pasadena (Californie). Son travail est largement exposé en Europe, aux
États-Unis et en Asie : Musée Vasarely (Budapest), musée Ritter (Waldenbuch), BF15 (Lyon), Setouchi Triennale (Japon),
Kunsthalle (Bratislava), Nuit Blanche (Paris), musée Georg Kolbe (Berlin), etc. Esther Stocker est lauréate du Prix Aurélie Nemours
2020. Ce prix « récompense tout artiste, indépendamment de sa discipline, dont l’œuvre poursuit la quête plastique rigoureuse
et empreinte de spiritualité qui fut celle d’ urélie Nemours ». Du 23 janvier au 4 avril 2020, la quatrième exposition personnelle
d’Esther tocker, intitulée Loving imperfectly, a eu lieu dans l’espace parisien de la galerie Alberta Pane.
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L‘œuvre Unlimited Space (fig. 6) est une installation qui investit la totalité d‘une pièce à la
structure improbable. Peinte sur le mur du fond, une grille faite de carrés blancs délimités par des
traits noirs – à peu près régulière dans sa partie centrale, mais gagnée par le désordre sur ses bords.
L‘impression chaotique est d‘autant plus forte que la grille se prolonge – partiellement et tant bien
que mal – sur toutes les parois de la pièce, qui se fondent les unes dans les autres : en atteignant le
sol et le plafond, ou les murs latéraux, les lignes perdent leur linéarité même. Les décrochages qui
bousculent la structure orthogonale centrale sont, soit ponctuels et abrupts, soit hésitants, relevant
davantage du gribouillage spontané que du geste maîtrisé. L‘absence de limites claires entre des
parois qui semblent s‘avancer vers nous, la continuité des lignes en dépit de leurs accrocs, tout
concourt à brouiller nos repères visuels, ce qui nous plonge effectivement dans un « espace
illimité ».
Figure 5. Esther Stocker, Sans titre, 2010, acrylique sur toile, 200x300 cm. Courtesy Galerie Alberta Pane.
Figure 6. Esther Stocker, Unlimited Space, 2013, Roudnice, République tchèque.
Courtesy Galerie Alberta Pane.
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4. Au-delà de la géométrie
Nous avons vu que la géométrie, à travers tous ses avatars, est la science des formes par
excellence. Peut-on néanmoins envisager d‘autres manières d‘en rendre compte, qui la
compléteraient ou la dépasseraient à certains égards, voire qui ne lui devraient rien ? La question se
pose aux échelles extrêmes du monde physique, mais aussi en art.
Nous nous interrogerons sur la pertinence de l‘abord géométrique pour les structures quantiques
et cosmiques ; nous évoquerons la dialectique complexe des contours et des contenus formels ; nous
toucherons enfin à l‘essence indicible des formes, à travers quelques artistes qui semblent y avoir eu
accès.
Le quantique et le cosmique
La mathématique représente l‘origine par un point, qui est la forme géométrique à zéro
dimension. Ce point géométrique s‘applique également en physique nucléaire, mais non sans
certaines difficultés, comme le souligne le physicien Gilles Cohen-Tannoudji : « l‘expression
―particules élémentaires‖ suggère des objets ponctuels, donc sans forme. C‘est un des paradoxes de
la physique de l‘élémentarité que cette notion de particule sans forme s‘est trouvée un peu contredite
par les développements de la physique elle-même. […] On s‘est rendu compte que le noyau avait
une certaine forme spatiale, une certaine extension, et que les constituants du noyau que sont les
protons et les neutrons ont aussi une certaine extension spatiale, […] une structure, qui s‘est avérée
granulaire. Le proton est fait de particules qui, apparemment, sont peut-être ponctuelles, et d‘un
niveau plus fondamental que le proton : ce sont les quarks. […] D‘une certaine façon, on peut dire
que toute particule quantique a une certaine forme qui dépend de la résolution à laquelle on
l‘observe 33 . » Au-delà du niveau quantique, à l‘échelle supra-atomique, les molécules sont
constituées d‘atomes liés les uns aux autres pour former des polygones ou des polyèdres réguliers.
La forme originaire, qui est celle des constituants les plus fondamentaux de la matière, pourrait
donc bien être ponctuelle. Qu‘en est-il à l‘échelle de l‘univers ? Pour de nombreuses cosmogonies,
la formation du monde équivaut strictement à l‘apparition de la forme et à sa diversification à partir
d‘une origine unique, laquelle peut être considérée, soit comme informe – le tohu-bohu de la
Genèse 34 (désordre, confusion de choses mêlées), le chaos de l‘Antiquité grecque (Hésiode 35 ,
Ovide 36 ) ou l‘eau chez Thalès 37 –, soit comme une forme simple, tel l’œuf cosmique 38 .
33 Gilles Cohen-Tannoudji, « Formes et particules », dans Les sciences de la forme aujourd’hui, op. cit., p. 40-41, 43.
34 Genèse 1,2 : « la terre était tohu-bohu / informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait
au-dessus des eaux. »
35 Hésiode (VIII ème s. av J.-C.) : « Donc, en premier naquit Chaos puis Gaïa aux larges flancs… », Théogonie, v. 116-117.
36 Ovide (-43 à 17) : « une masse grossière et confuse, rien d'autre qu'un amas inerte, un entassement de semences de choses,
d'éléments divisés et mal joints », Les Métamorphoses, 1,5.
37 Thalès de Milet : philosophe et savant grec présocratique (-625 à -547). Considéré comme le premier philosophe de la nature,
il est l’auteur de nombreuses recherches mathématiques, notamment en géométrie. Il considère que l’eau est le principe
matériel explicatif de l’univers, d'où procèdent les autres éléments : feu, terre et air.
38 Œuf cosmique : concept symbolique utilisé dans de nombreuses mythologies pour expliquer l’apparition du monde. Certains
modèles cosmologiques actuels font l’hypothèse qu'il y a 13,7 milliards d'années la masse entière de l'univers était compressée
en une singularité gravitationnelle, dite œuf cosmique (voir Jean Audouze, « Big bang et nucléosynthèse », Revue Générale
Nucléaire, n o 4, 1 er août 2001, p. 14–17), qui s'est étendue vers son état actuel par le Big Bang.
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En termes modernes, on dira que lors de la structuration de l‗univers, c‘est la transformation de
l‘énergie en matière qui a permis l‘apparition des formes. De quoi dépendent donc les formes des
objets cosmiques ? Essentiellement de la gravitation : les objets homogènes et massifs (étoiles et
planètes, à partir d‘un diamètre de 500 kilomètres) sont sculptés par la gravitation, qui leur confère
une forme sphérique. Les corps plus petits (astéroïdes) ou très inhomogènes, composés par exemple
de gaz et de poussières (noyaux de comètes), n‘étant pas affectés par la gravitation, ont des formes
non sphériques et souvent biscornues. Aux échelles encore plus grandes des amas de galaxies, selon
l‘astrophysicien Jean-Pierre Luminet, « la répartition à très grande échelle dans l‘univers ressemble
à de la ―mousse de savon‖. En d‘autres termes, il existerait d‘immenses régions de l‘espace à peu
près sphériques, pratiquement dépourvues de matière – des sortes de bulles. Quant aux amas et
superamas de galaxies, ils seraient confinés aux parois de ces bulles, ou aux intersections entre
bulles adjacentes 39 . »
Que peut-on dire à l‘heure actuelle sur la forme globale de l‘univers 40 ?
Au XIX ème siècle, les géométries non-euclidiennes, en proposant des modèles d‘espaces courbes
pour lesquels le V ème postulat d‘Euclide (sur les parallèles) ne s‘applique pas, avaient déjà renouvelé
le vieux débat sur la finitude ou l‘infinitude de l‘univers. Mais l‘idée que l‘univers est une entité
géométrique qui a une forme, date du début du XX ème siècle, avec les théories de la Relativité.
Celles-ci permettent en effet de penser un espace ou un univers d‘extension finie, c‘est-à-dire avec
une circonférence, mais sans aucun bord – excepté la singularité temporelle souvent appelée Big
Bang mais qui n‘a jamais existé de manière stricte et qui demeure inaccessible. Si l‘on prend
toutefois au sérieux le modèle du Big Bang, selon lequel l‘univers est en expansion à partir de cette
singularité, il aurait la forme d‘un entonnoir. Cependant le conditionnel s‘impose car la seule
géométrie de l‘univers à laquelle l‘astrophysique ait accès, est une géométrie locale (caractérisée par
la courbure de l‘espace considéré, non nécessairement identique en tout point). Or celle-ci ne
renseigne pas sur la géométrie globale de l‘univers, qui serait seule à même de dire s‘il est fini ou
infini, au moins dans une dimension… Par ailleurs la courbure spatiale invoquée par les
astrophysiciens, concerne un espace idéal, totalement homogène ; or l‘univers réel n‘est pas
identique au modèle idéal qui le représente – comme la Terre, il a ses creux et ses bosses. De plus, le
fait que les sondages concernent toujours une zone limitée de l‘espace, empêche d‘accéder à la
valeur moyenne de la courbure. Enfin, la notion même de moyenne dans un espace-temps à quatre
dimensions tel que l‘univers, est discutable.
Contours et contenus
En affirmant que l‘univers peut être pensé comme une forme sans bord, la cosmologie relativiste
exclut ipso facto de le penser comme un objet plongé dans l‘espace. En effet, ce que décrit la forme
d‘un objet dans l‘espace, c‘est sa frontière externe — abstraction faite de sa taille, son emplacement,
son orientation dans l'espace, ou d'autres propriétés telles que sa couleur et ses matériaux
constitutifs. Avec la totalité formelle de l‘univers, on touche donc aux limites de ce que peut
actuellement la géométrie en termes de représentation et de calcul.
Une forme peut-elle exister pleinement en vertu de ses seuls contours, c‘est-à-dire sans
contenu matériel ou énergétique ? C‘est le cas en géométrie, qui ne distingue pas entre formes vides
et formes pleines ; réciproquement, certaines matières ne prennent pas forme en raison de leur
fluidité : les matières fluides n‘ayant pas de frontières propres, seule l‘imposition de limites
39
Jean-Pierre Luminet, « Les formes cosmiques », dans Les sciences de la forme aujourd’hui, op. cit., p. 58
40 À partir des propos de Marc Lachièze-Rey et Jean-Philippe Uzan, émission « Forme de l’univers : le débat infini », La Méthode
scientifique, France Culture, 14 janvier 2020.
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extérieures peut leur conférer une forme. Mais il peut arriver qu‘un matériau produise sa propre
forme – une possibilité qui a été exploitée par certains artistes. Ainsi le polyuréthane, si on lui ajoute
du fréon, produit une mousse dont le volume augmente dans des proportions impressionnantes ;
lorsque la réaction chimique est terminée, la mousse se fige et se solidifie en fonction du dosage,
acquérant une forme qui échappe partiellement au sculpteur et dans laquelle se lit le mouvement
expansif qui l‘a produite. Cette découverte du sculpteur César (1965) est à l‘origine des Expansions
que l‘on a pu voir au Centre Pompidou dans « César la rétrospective » (13 décembre 2017 - 26 mars
2018), parmi lesquelles l‘Expansion 14 figure dans la collection du Centre Pompidou. Dans le
même ordre d‘idées, on citera les constructions de métal fondu ou coulé (1968-69) de Richard
Serra 41 , notamment ses montages de plomb, particulièrement instables et destinés tôt ou tard à
s‘affaisser.
En art, les formes ne se réduisent pas à leurs contours : leur stricte géométrie a toujours partie liée
avec la matière et/ou la lumière. Comme le dit si justement Henri Focillon, « les matières
comportent une certaine destinée ou, si l‘on veut, une certaine vocation formelle. Elles ont une
consistance, une couleur, un grain. Elles sont forme, comme nous l‘indiquions, et, par là même,
elles appellent, limitent ou développent la vie des formes de l‘art 42 . »
De la forme au sublime
Sur le chemin intérieur qui conduit de la forme perçue à l‘idée du sublime, se trouve la simplicité
– plus qu‘un but à poursuivre, une évidence, qui s‘est imposée notamment aux minimalistes. Le
sculpteur Brancusi le reconnaît : « On arrive à la simplicité malgré soi, en s‘approchant du sens réel
des choses 43 . » Comme s‘il fallait que l‘artiste se déprenne partiellement de lui-même et se laisse
envahir par la forme de son œuvre naissante.
En art comme en science, « s‘approcher du sens réel des choses » peut aussi se faire en toute
conscience : selon le biologiste et mathématicien D‘Arcy Thompson, « du concept de forme, nous
nous hissons vers la compréhension des forces qui lui ont donné naissance 44 . » Mais si cette
remontée de la géométrie à la physique de la forme est bien une conquête de l‘esprit sur l‘opacité de
la forme, elle ne saurait préparer à rencontrer le sublime en elle. Une telle rencontre peut être
provoquée par l‘expérience de la beauté, qui, pour le philosophe John Dewey émanerait de la forme,
« comme une essence transcendante, pour en envelopper la matière » 45 .
Elle peut aussi coïncider avec une prise de conscience d‘ordre supérieur, comme chez Max Bill,
dans cet extrait aussi précis que puissant, à lire en prenant son temps : « Les mystères de la
problématique mathématique, l‘ineffable de l‘espace, l‘éloignement ou la proximité de l‘infini, la
surprise d‘un espace qui commence d‘un côté et se termine par un autre, qui est en même temps le
même, la limitation sans limites exactes, la multiplicité qui, malgré tout, forme une unité,
l‘uniformité qui s‘altère par la présence d‘un seul accent de force, le champ de forces composé de
pures variables, les parallèles qui se coupent et l‘infinité qui revient à elle-même comme présence,
41 Richard Serra : né en 1939, vit et travaille à New York. Artiste minimaliste américain, connu surtout pour ses sculptures en
métal. Appartient au groupe « Anti-Form » de la Côte Ouest. Lauréat de nombreuses distinctions à l’échelle internationale.
42 Henri Focillon, op. cit., p. 51.
43 Constantin Brancusi cité par Carola Gledion-Welcker, in Constantin Brancusi, Neuchâtel, éditions du Griffon, 1958, p. 219.
44 D’ rcy hompson, Forme et croissance, trad. angl. Dominique Teyssié, édition établie et présentée par John Tyler Bonner,
Paris, les éditions du Seuil, 2009, p. 268.
45 John Dewey, L’art comme expérience, Gallimard, « Folio Essais », trad. angl. Jean-Pierre Cometti et alii, 2010, p. 189-190.
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et encore le carré à nouveau avec toute sa solidité, la droite qui n‘est troublée par aucune relativité,
et la courbe qui en chacun de ses points forme une droite ; toutes ces réalités, qui en apparence n‘ont
rien à voir avec la vie quotidienne de l‘homme, sont, malgré tout, d‘une importance transcendantale.
Ces forces que nous manions sont les forces fondamentales auxquelles tout ordre humain est
soumis, et qui sont contenues précisément dans tout ordre connaissable.
La conséquence de toutes ces choses est un apport neuf au contenu de l‘art actuel, car elles ne
sont pas du pur formalisme, comme on le considère par erreur ; elles ne sont pas seulement des
formes de beauté, mais pensée, idée, connaissance, converties en forme ; c‘est-à-dire qu‘elles ne
sont pas des substances existant en surface, mais l‘idée première de la structure du monde, du
comportement en face de l‘image que nous pouvons faire actuellement du monde 46 . »
Que l‘on voie dans la forme une incarnation de la beauté ou « l‘idée première de la structure du
monde », c‘est dans l‘esprit humain tout entier qu‘elle se déploie, bien au-delà de la géométrie.
Kandinsky en a tiré la conséquence ultime : « La forme proprement dite, même si elle est
parfaitement abstraite ou ressemble à une forme géométrique, a sa propre résonance intérieure. La
forme est un être spirituel doué de propriétés qui s'y identifient. Un triangle (sans autres précisions :
pointu, plat ou équilatéral) est un de ces êtres avec son parfum spirituel propre. Associé à d'autres
formes, ce parfum se différencie, s'enrichit de nuances harmoniques mais reste au fond inchangé,
comme le parfum de la rose que l'on ne saurait confondre avec celui de la violette. Il en est de même
pour le cercle, le carré et toutes les autres formes possibles 47 . » Pour l‘artiste sensible au sublime, la
« résonance intérieure » des formes, est leur vie même.
46 Max Bill, « La pensée mathématique dans l’art de notre temps », Pevsner, Vantongerloo, Bill, cat. exp., Zürich, Kunsthaus,
1949, trad. fr. in Max Bill, cat. exp. Paris, CNAC, 1969, p. 39-43.
47
Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, 1909 ; chap. I, « Le langage des formes et des
couleurs , p. 116-117 rééd. Gallimard, Folio/Essais, 2005.
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