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2023 - Vol 7 - Num 2

La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.

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Arts et sciences

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La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent

toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la

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Rédactrice en chef

Marie-Christine MAUREL

Sorbonne Université, MNHN, Paris

marie-christine.maurel@sorbonne-universite.fr

Membres du comité

Jean AUDOUZE

Institut d’Astrophysique de Paris

audouze@iap.fr

Georges Chapouthier

Sorbonne Université

georges.chapouthier@upmc.fr

Ernesto Di Mauro

Università Sapienza, Italie

dimauroernesto8@gmail.com

Mickaël FAURE

Ecole des Beaux-Arts

mickael.faure@versailles.fr

Jean-Charles HAMEAU

Cité de la Céramique Sèvres et

Limoges jean-charles.hameau

@sevresciteceramique.fr

Ivan Magrin-Chagnolleau

Chapman University, États-Unis

magrinchagnolleau@chapman.edu

Joëlle PIJAUDIER-CABOT

Musées de Strasbourg

joelle.pijaudier@wanadoo.fr

Bruno SALGUES

APIEMO et SIANA

bruno.salgues@gmail.com

Ruth SCHEPS

The Weizmann Insitute

of Science, Israël

rscheps@hotmail.com

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IRCAM, Paris

hugues.vinet@ircam.fr

Philippe WALTER

Laboratoire d’archéologie

moléculaire et structurale

Sorbonne Université Paris

philippe.walter@upmc.fr

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• les meilleurs articles sont sélectionnés par le comité éditorial et sont diffusés mondialement sous forme d’ouvrages

en anglais publiés en co-édition avec Wiley ou Elsevier.

Merci de contacter Ludovic Moulard – l.moulard@iste.co.uk – pour toutes questions sur la gestion éditoriale ou les

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Graphisme de couverture par Francis Wasserman

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contact : info@openscience.fr


Arts et sciences

2023 - Volume 7

Numéro 2

‣ Pensée végétale et simiesque, liens entre vivants .............................................................................1

Sophie Gerber, Camille Noûs

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.0966

‣ On Antoine Risso and his Histoire Naturelle des Principales Productions de l’Europe Méridionale

et Particulièrement de Celles des Environs de Nice et des Alpes Maritimes .....................................18

John R. Dolan

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.0969

‣ Sur Antoine Risso et son Histoire Naturelle des Principales Productions de l’Europe Méridionale

et Particulièrement de Celles des Environs de Nice et des Alpes Maritimes .....................................39

John R. Dolan

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.0968

‣ L’histoire de la Terre en vers libres : traduction inédite et commentaire d’un extrait du poème

Sacred Sites par Susan Suntree ..........................................................................................................61

Victor Monnin

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.0988

‣ Le choix de la dimension dans la représentation d’art ......................................................................72

Ernesto Di Mauro

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.0992

‣ Défis du vide .......................................................................................................................................85

Ruth Scheps

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.0993

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Pensée végétale et simiesque, liens entre vivants

Plant and simian thinking, links between the living

Sophie Gerber 1 , Camille Noûs 2

1

Chercheuse INRAE, UMR Biogeco, INRAE, univ. Bordeaux, 33615 Pessac, France

2

Polymathe, Laboratoire Cogitamus, 1 3/4 rue Descartes, 75005 Paris, France

RÉSUMÉ. Le film d'animation de Jean-François Laguionie "Le voyage du prince" (2019), d'après "Le château des

singes" (1999) du même réalisateur, inspiré du livre "Le baron perché", d'Italo Calvino (1957), est marqué par une

prégnance végétale forte. Le film nous invite dans un monde de fiction, dans lequel les singes sont l'espèce animale

principale – évoquant les humains – représentée à travers des peuples aux modes de vie contrastés. Le monde

végétal est présent dans toute sa diversité, et dans la richesse des transactions qui s'établissent entre les espèces.

Pourrions-nous alors inventer et réinventer la "nature" ? Nous sommes invités, en suivant le baron et la façon dont le

film s'en inspire, à contempler et questionner notre lien aux plantes. Comment les transactions établies avec elles et

avec le reste du vivant font-elles le monde ? C'est ce que nous tenterons d'approcher.

ABSTRACT. The animated film "The Prince's voyage" (2019), based on a previous film "A Monkey's Tale" (1999), and

inspired by Italo Calvino's book "The Baron in the Trees" (1957), is marked by a strong vegetal influence, diversity and

continuity. The film invites us into a fictional world, in which monkeys are the main animal species, with contrasting

lifestyles. Throughout the film, we encounter all kinds of plants: the plant that supports and accompanies life, or on the

contrary, hinders constructions that destroy it; the wild or domesticated plant; the decorative plant; the pharmakon

plant, both remedy and poison; the threatening plant, physical or chemical. The plant world is thus present in the

wealth of transactions (Dewey and Bentley 1949) that are established between species.

Anthropology tells us that nature does not exist, that it is the world from which humans have withdrawn, the baron

does not withdraw from nature but looks "at the world from the top of his tree: everything, seen from there, was

different". The way in which humans perceive continuities and discontinuities in the world between humans and nonhumans

(Descola, 2011) is expressed differently in the film according to the different ape peoples. Could we then

invent and reinvent "nature"? We are invited, by following the baron and the film, to contemplate and question our link

to plants. How do the transactions established with the living world make the world?

MOTS-CLÉS. Plantes, environnement, biodiversité, film d'animation, fiction.

KEYWORDS. Plants, environment, biodiversity, animated film, fiction.

© Jean-François Laguionie

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1


Préambule 1

Le 15 juin 1767, en Italie, le baron Côme Laverse du Rondeau, 12 ans, refuse de manger des

escargots ("pauvres bêtes torturées"). Il monte dans le chêne de la propriété familiale et décide de ne

plus jamais en descendre. Il passera 53 ans dans les arbres, avec eux et avec le monde alentour :

avec un amour, Violette Violante de Rivalonde, avec les plantes, les animaux, les humains (et entre

autres Voltaire, Diderot, Napoléon), avec les lieux (Calvino, 1957).

Une communauté de singes est séparée en deux par un tsunami. Les laankos restent au sol, les

woonkos dans la canopée : ils s'oublient mutuellement. Un jeune woonko, Kom, brave l'interdit du

monde d'en bas, tombe, sa chute est amortie par des fougères. Le prince des laankos le sauve des

intentions meurtrières de ses compagnons de chasse. Chez les laankos, il devient un sauvage à

éduquer (Fig. 1).

Figure 1. Un sauvage à éduquer © Jean-François Laguionie

L'armée des laankos se dirige sur le lac glacé en direction de l'autre rive qui leur est inconnue ; la

glace cède. Kom retourne vers la canopée avec Gina (Laguionie, 1999).

1 Ce travail a été présenté lors de la pré-conférence ICA « Au-delà du monde des humains : communication végétale émergente

dans l'espace public », à Aix en Provence, le 25 mai 2022

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Figure 2. Le prince échoué © Jean-François Laguionie

Le prince des lankoos est échoué sur un rivage (Fig. 2), sur l'autre rive du lac, en face de son

pays, suite à la rupture des glaces. Il est recueilli par des nioukos, singes de la ville, scientifiques.

Tom, leur fils adoptif, comprend sa langue et s'occupe de lui. Il lui fait visiter Nioutone (Fig. 3),

faite d'immeubles, de tramways et d'ouvriers à la chaîne.

Figure 3. Nioutone © Jean-François Laguionie

Les arbres envahissent la ville et l'endommagent. Libérant le prince, emprisonné par l'académie

qui dirige Nioutone, Tom l'entraîne vers la canopée (Fig. 4), d'où il est originaire (Laguionie, 2019).

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Figure 4. La canopée © Jean-François Laguionie

Métaphore végétale, les décors sont ici plantés. À travers ce dernier film «Le voyage du Prince »,

le film précédent qui lui est lié, « Le château des singes » et le livre antérieur qui a inspiré leur

réalisateur « Le baron perché », nous voudrions montrer et illustrer comment les plantes et certains

primates sont en transactions, de quelles manières ces transactions s'expriment, comment elles

donnent sens aux récits et comment elles éclairent, en outre, notre rapport au monde vivant et au

monde végétal en particulier.

Le terme de transaction provient du verbe transiger qui évoque un arrangement entre des parties.

Le mot est composé de trans « à travers » et agere « faire avancer » qui peut s'entendre comme

« pousser à travers ». L'image végétale s'impose ici, celle d'une pousse initiale, et celle d'une

capacité de croissance : la plante pousse à travers et avec le sol et l'air, et c'est l'une de ses grandes

forces 2 .

La transaction suppose une disposition harmonieuse. L'évolution des organismes vivants ne s'est

pas faite et ne se fait pas uniquement avec de la compétition mais également avec d'autres types

2

https://www.cnrtl.fr/definition/transiger

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d'agencement entre organismes vivants (ce que la biologie qualifie d'interactions biotiques), qui

intègrent des relations positives : facilitation, symbiose ; mais aussi des relations neutres :

mutualisme, commensalisme ; ou négatives : compétition, prédation, parasitisme 3 .

Transactions

Les définitions de la transaction proposées ici font apparaître des sens qui s'écartent de l'usage

actuel de ce mot. Celui-ci est en effet généralement restreint à des considérations commerciales (Fig.

5, "singes en transaction").

Figure 5. Allégorie de la tulipomania, Jan Brueghel le Jeune, env. 1640 (Wikimedia)

Notre suggestion est que ce terme, repris et enrichi par des approches philosophiques, pourrait

nous permettre de rendre compte, avec la profondeur nécessaire, et dans un cadre évolutif, des liens

que les organismes vivants entretiennent les uns avec les autres, ainsi que de leurs relations avec

l'environnement, qu'ils créent et dont ils sont partie prenante.

Les différentes populations de singes des deux films qui inspirent notre propos, ainsi que Côme,

le baron perché, tissent avec leur environnement et plus particulièrement avec les plantes, des

transactions singulières.

« En mangeant une partie du produit de ses chasses et en troquant le reste contre les

fruits et les légumes des paysans, Côme vivait tout à fait bien, sans plus avoir besoin que

notre maison lui fournît quoi que ce fût. Un jour, nous apprîmes qu’il buvait chaque

matin son lait frais : il avait lié amitié avec une chèvre qui grimpait dans une fourche

d’olivier […] et [il] trayait la bête. Il avait passé le même accord avec une poule[…] Il lui

avait installé un nid caché, au creux d’un tronc, et trouvait un jour sur deux un œuf »

(Calvino, 1957)

Si l’organisme est considéré comme vivant dans un environnement, la préposition sépare de fait

le vivant et son milieu. Au contraire, l'organisme et l'environnement font partie d’un tout existentiel

3 http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8413632

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et se codéterminent : ils ne peuvent pas être distingués (Renault, 2012). La relation transactionnelle

est toujours de nature mouvante et se déploie dans une conception interactionniste des relations

(entre vivants, entre organismes et environnements mais aussi entre individus et sociétés) qui n'est

jamais absolue, jamais fixée, et se place au cœur des dynamiques évolutives qui caractérisent les

vivants et leurs milieux.

Violette et Côme « Ils se connurent. Il la connut et se connut lui-même parce que,

réellement, il n’avait jusque-là rien su de lui. Elle le connut et se connut elle-même parce

que, en sachant tout ce qu’elle était, elle ne l’avait jusque-là jamais si bien senti. »

(Calvino, 1957)

[Transaction] Évolutive

Dans l’histoire des conceptions du monde, l'idée d'un monde initial immobile a été remplacée par

celle d'un monde mouvant entre des limites fixes, et, enfin, par celle d'un monde pleinement

mouvant, « sans projet », selon une véritable évolution qui suppose d'abolir tout commencement,

toute origine, toute force, toute loi, tout but (Zask 2015). Dans ce cadre, résultat de l'évolution entre

un organisme et son environnement, le comportement peut être vu, au sein d'une réunion de qualités,

d’êtres et de relations singulières, comme une écologie des relations (Bateson 1972 in Descola

2011).

« On en venait à penser [que Côme] avait désormais des sens et des instincts différents

des nôtres, et qu’[…] il avait changé de nature, complètement. Et certes, le contact

continuel des écorces, le spectacle mouvant des plumes, des pelages, des écailles, toute la

gamme de couleurs répandue sur la forêt, la circulation dans les feuilles d’une autre

espèce de sang, vert et fluent, le jeu de formes vivantes aussi éloignées des nôtres qu’un

tronc d’arbre, un bec de grive ou une branchie de poisson, et ces ultimes retranchements

d’un monde encore sauvage, à l’intérieur desquels il avait si profondément pénétré – tout

avait dû lui modeler une âme neuve et lui faire perdre jusqu’à l’apparence d’un homme.

Pourtant, il n’en était rien. » (Calvino, 1957)

[Transaction] Perceptive

L’animal, la plante, ou tout organisme vivant, ne distingue parmi les objets autour de lui que ceux

qui ont une signification, ceux qui comptent pour lui. L'humain est concerné de la même manière.

Les humains se sont donné le droit de définir la réalité en abandonnant quantité de vivants ; pourtant

les vivants non-humains, végétaux, animaux, ont leur mot à dire, constituent une réelle perspective

sur le monde, et sont indispensables (von Uexküll, 1934).

« Parmi les arbres de la forêt, Côme préférait les hêtres et les chênes ; les étages du

pin, trop rapprochés, minces et tout chargés d’aiguilles, ne laissent ni place ni prise ;

quant au châtaignier, avec sa feuille épineuse, ses bogues, son écorce, ses branches

toujours hautes, il semble fait exprès pour éloigner. Ces distinctions, ces amitiés, Côme

les fit avec le temps ou plutôt il en prit conscience peu à peu. » (Calvino, 1957)

Le Prince : « Élisabeth… préoccupée par de petits végétaux qu'elle entourait de mille

soins…» (Laguionie, 2019)

L'organisme et son environnement sont engagés dans une transaction, qui ne peut pas être

considérée comme composée d'accessoires autonomes et indépendants (Dewey et Bentley, 1949).

« Le professeur cache cet étranger dans son laboratoire clandestin au cœur d’un vieux

muséum, impatient de l’étudier. » (Le voyage du Prince, Carnet, Gebeka Films, 2019)

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« Au sommet de la hiérarchie se trouvent les sages de la pensée unique et de la science

officielle. L’Académie […] décide de tout. Elle a décrété, entre autres, que la science

étant parvenue à un sommet ultime de connaissance, la notion de progrès ne peut être

qu’industrielle. […] Pour plus de tranquillité, l’Académie a fermé le Muséum. »

« Dans ce monde nouveau, nous avons pensé, Anik Le Ray et moi, qu’il serait plus

amusant de ne pas donner le pouvoir à une autorité militaire ou politique, mais à

l’Académie des Sciences. » (Note d'intention, Laguionie, J.F., Le voyage du Prince,

dossier de presse, Blue Spirit Productions & Mélusine Productions, 2019)

[Transaction] Continue

Depuis le XVII e siècle en Europe, la façon dont les humains perçoivent, dans le monde, des

continuités et des discontinuités dans les relations établies entre humains et non-humains est

particulière. La nature est considérée comme un objet d’enquête et une ressource pour les humains.

Cette mise à distance a eu des conséquences sur le rapport que les occidentaux entretiennent avec les

non-humains, dont la destinée s'est soudain séparée de la nôtre. Par exemple les états affectifs et

mentaux sont attribuée seulement aux humains, alors que l'aspect physique est vu selon une

certaines continuité. Ailleurs dans le monde, ou auparavant en Europe, les façons de considérer le

monde sont différentes et tout aussi vraisemblables (Descola, 2011).

Maître Flavius comparant la population des singes wonkos, vivant dans la canopée à

celle des lankos vivant dans la ville : « Nous avons les mêmes ancêtres... Cela ne va pas

plaire à tout le monde ! » (Laguionie, 1999)

« Lorsque le Prince arrive chez les nioukos, l’Académie ne pensait pas devoir affronter

à nouveau le vieux débat entre nature et culture. » (Le voyage du Prince, dossier de

presse, Blue Spirit Productions & Mélusine Productions, 2019)

« Toute ressemblance entre les hommes et les singes de mon film serait purement

fortuite » (Laguionie, J.F., Le voyage du Prince, Carnet, Gebeka Films, 2019)

La continuité peut ici se voir sous une forme végétale. Dans « Le voyage du Prince » pendant

toute la durée du film, le monde végétal ne quitte pas le spectateur, dans sa grande diversité et dans

la variétés des transactions construites avec les singes. Les "discontinuités dans les plis du monde"

(Descola, 2011) sont ici tempérées par ce grand ruban en mouvement qui porte les plantes et leurs

espèces compagnes (Fig. 6).

« On lit dans les livres qu'au temps jadis, un singe parti de Rome pouvait arriver en

Espagne sans toucher terre, rien qu'en sautant d'arbre en arbre. » (Calvino, 1957)

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Figure 6. D'arbre en arbre © Jean-François Laguionie

Cette continuité résulte de la résistance à des forces contraires, contre une segmentation arbitraire

de la réalité. La transaction suppose ainsi que l'on prenne en compte comment la relation entre sujet

et environnement s'est construite dans le temps.

« il aurait voulu se sentir lié à chaque feuille, à chaque écaille, à chaque plume, à

chaque bruit d’aile. »

« Dire qu’en ce temps-là Côme avait rédigé et répandu un Projet de Constitution d’une

Cité Républicaine, avec Déclaration des Droits des Hommes, des Femmes, des Enfants,

des Animaux domestiques et sauvages, y compris les Oiseaux, les Poissons, les Insectes

et les Plantes, tant Arbres de Haute Futaie que Légumes et Herbes ! » (Calvino, 1957)

[Transaction] Visuelle

En occident, l'histoire naturelle s'est appliquée à restreindre le champ de sa propre expérience. À

partir du XVII e siècle, l'observation d'un sujet d'étude est soumise à des conditions

systématiquement négatives : exclusion de l'ouï-dire, du goût, de la saveur, du toucher, réputés ne

pas produire de mesures "universelles". En revanche, la vue, sens de l'évidence – cependant privée

de ses couleurs – possède un privilège presque exclusif, par exemple pour la classification des

espèces (Foucault, 1966).

« Côme se trouvait sur une branche basse : toutes les cerises au-dessus de lui, il les

« sentait » sans pouvoir s'expliquer comment ; elles semblaient converger vers lui comme

autant de regards ; on eût cru l'arbre chargé d'yeux aux lieux et places de cerises. »

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« — Bonjour, Votre Seigneurie, firent-ils. N’auriez-vous pas vu courir, par hasard, le

brigand Jean des Bruyères ?

— Je ne sais pas qui c’était, dit Côme, mais si celui que vous cherchez est un petit

homme qui courait, il a pris du côté du torrent.

— Un petit homme ? Il est grand à faire peur !

— Bah ! D’en haut, vous paraissez tous petits. »

« — C’est chez vous, mon cher Chevalier, qu’il y a ce fameux philosophe qui vit sur

les arbres, comme un singe ? […]

— C’est mon frère, monsieur, le baron du Rondeau. […]

— Est-ce pour approcher du ciel que votre frère reste là-haut ?

— Mon frère soutient […] que pour bien voir la terre, il faut la regarder d’un peu loin.

« Côme regardait le monde du haut de son arbre : tout, vu de là, était différent. »

(Calvino, 1957)

[Transaction] Causale – Signifiante

L'évolution est sans but prédéfini : si le vent donne bien leur forme aux nuages, cela ne s'applique

pas aux organismes vivants. Les aigrettes du pissenlit ou les samares de l’érable sont adaptées au

vent, en utilisatrices du vent, pour ce qu'il signifie pour elles. Les graines ailées ne sont pas faites

«par » le vent, mais les graines et le vent sont faits l'une « pour » l'autre (von Uexküll, 1934).

« Ces découpes de branches et de feuilles, ces bifurcations, ces lobes, ces touffes,

fouillis menu et innombrable ; ce ciel dont on ne voyait que des éclaboussures ou des

pans irréguliers ; tout cela existait peut-être seulement pour que mon frère y circulât de

son léger pas d’écureuil. C’était une broderie faite sur du néant, comme ce filet d’encre

que je viens de laisser couler, page après page. » (Calvino, 1957)

Figure 7. Circuler © Jean-François Laguionie

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« Dans les cent milieux qu’il offre à ses habitants, le chêne joue de multiples rôles,

chaque fois avec une autre de ses parties. La même partie est tantôt grande, tantôt petite.

Son bois tantôt dur, tantôt mou, sert à la protection aussi bien qu’à l’agression. » (von

Uexküll, 1940)

« Il n'existe pas de forêt en tant que milieu objectivement déterminé il y a une forêtpour-le-forestier,

une forêt-pour-le-chasseur, une forêt-pour-le-botaniste, une forêt-pourle-promeneur,

une forêt-pour-l'ami-de-la-nature, une forêt-pour-celui-qui-ramasse-dubois

ou celui-qui-cueille-des-baies, une forêt de conte où se perdent Hansel et Gretel. »

(Sombart, 1938)

Des herbes aux arbres

Le livre et les deux films proposent une grande diversité du monde des vivants et des transactions

entre primates et végétaux. Les deux sciences particulières à l'œuvre, celle des légumes, la

légumologie et celle des singes, la simiologie, sont évoquées dans la chanson finale du second film 4 .

Arbres

Les arbres, espèces emblématiques qui structurent les milieux et jouent ces rôles variés décrits par

Uexküll, ont dans le livre et les films une place majeure. Considérés dans le cadre des "services

écosytémiques", en vogue dans certaines disciplines scientifiques de biologie contemporaine, les

arbres sont identifiés à des "biens et services", tels des mobiliers urbains, des éléments de

patrimoine, des fournisseurs de bois, etc. Mais leur statut de sujets inscrits dans des relations

sociales (Hermitte, 2019) et leur valeur intrinsèque peuvent être tout à fait oubliés. Les transactions

arbres-humains sont mutuellement bénéfiques dans certaines formes de gestion forestière, mais

également potentiellement menaçantes pour les arbres et les forêts, du fait de la puissance humaine

déployée.

« c'étaient les bois de citronniers ; encore des figuiers dressaient-ils leurs troncs tordus

au milieu des plants d'agrumes. […] Quand il n'y avait pas de figuiers, c'étaient des

cerisiers aux feuilles brunes, ou des cognassiers délicats, des pêchers, des amandiers ;

puis des sorbiers, des caroubiers, quelque mûrier ou noyer vétusté. Au-delà des jardins

commençait l'oliveraie […], au milieu des toits, surgissaient partout les chevelures des

yeuses, des platanes, même des rouvres, végétation tout à la fois fière, fougueuse et

ordonnée. […] Pins et mélèzes […] châtaigniers. »

« Aujourd'hui, on ne reconnaît plus la contrée. A l'époque de la descente des Français,

on a commencé à couper les bois comme des prés qu'on fauche chaque année. Mais ils

n'ont pas repoussé. On croyait que le déboisement tenait aux guerres, à Napoléon, à

l'époque ; mais il ne s'est pas arrêté. Le dos des collines est si nu que nous ne pouvons le

regarder, nous qui l'avons connu jadis, sans un serrement de cœur. »

« Parmi les arbres de la forêt. Côme préférait les hêtres et les chênes ; les étages du

pin, trop rapprochés, minces et tout chargés d'aiguilles, ne laissent ni place ni prise ;

quant au châtaignier, avec sa feuille épineuse, ses bogues, son écorce, ses branches

toujours hautes, il semble fait exprès pour éloigner. » (Calvino, 1957)

4 Élisée Reclus (1830-1905), géographe, végétarien strict, se qualifiait de « légumiste ». Notice "Reclus Élisée", Dictionnaire des

anarchistes, 2014.

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Support et compagne de vie

Les wonkos, population de singes de la canopée dans les deux films, ne vivent pas contre les

arbres mais avec eux, sur eux. Les arbres les portent, et ils y ont fabriqué un lieu de vie, construit

avec les végétaux (Fig. 8). Le baron perché, comme les wonkos, a mis en place un système

hydraulique à base de tiges ou de troncs creux, les singes ont même un potager en hauteur.

Figure 8. Le palais est un arbre, Jean-François Laguionie (Salachas, 1992) © Atelier Akimbo

« D’un morceau de peuplier, long d’environ deux mètres, Côme avait fait une sorte de gouttière,

amenant l’eau de la cascade dans les branches du chêne ; de la sorte, il pouvait boire et se laver. »

« C’est à cette époque qu’il commença d’écrire un « Projet de Constitution pour un État idéal

qu’on installerait dans les arbres ». Il y décrivait la République imaginaire d’Arborée, que seuls des

justes habitaient. […] En fait, l’œuvre resta inachevée. Il en adressa le sommaire à Diderot, en

signant simplement : Côme Rondeau, lecteur de l’Encyclopédie. Diderot envoya un billet de

remerciements. » (Calvino, 1957) (Fig. 9)

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Figure 9. Arborée. Jean-François Laguionie (Salachas, 1992) © Atelier Akimbo

Le jeune Kom, vivant sur la canopée, désobéit et tombe inconscient sur des fougères, plantes

salvatrices. (Laguionie, 1999)

Prince : « Tu regardes ces fleurs comme si elles te disaient quelque chose ? » Tom : «

L'année dernière […] j'ai retrouvé mon berceau de […] bébé, dans le fond il y avait des

pétales séchés, ce sont les mêmes, j'en suis sûr, c'est dans cet endroit qu'[Élisabeth] m'a

trouvé ! » (Fig. 10)

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Figure 10. Fleurs et pétales du berceau © Jean-François Laguionie

Tom : « J'aimerai bien les aider à comprendre le langage des arbres » (Laguionie, 2019)

Sauvage et domestiquée

Les savants essayent depuis longtemps d'étudier le comportement des animaux dans des

dispositifs comme les labyrinthe. Mais, comme le rappelle Uexküll, l’animal ne peut entrer en

relation avec un objet en tant que tel : une pierre sur un chemin prend une autre signification si

quelqu'un y imprime son intention et s'en sert comme projectile. Le point de vue de l'animal sur le

labyrinthe est ignoré par le manipulateur, qui lui attribue une forme de passivité. Cependant, les

animaux de laboratoires répondent aux attentes des scientifiques, ils comprennent en effet que

certaines choses ont une signification pour le manipulateur qui organise les expériences ; les

animaux sont plus perspectivistes que les humains scientifiques (Despret et Galetic, 2007).

Un labyrinthe fait de plantes se trouve à proximité du château : « Maître Flavius : On

doit partir de là et arriver là […] en passant entre les haies. […] tout le plaisir est dans le

fait d'avoir réussi à sortir. […] ; Kom : Sans aucune raison ? ; Maître Flavius : La raison

c'est de se prouver qu'on a pas besoin d'une raison. […] ; Kom : J'ai réussi ! J'ai fait

quelque chose d'inutile ! Je suis civilisé maintenant ? » (Laguionie, 1999)

« Mais il y avait de l’un l’autre, entre la terre et les branches, un dialogue, une

intelligence continuels, des aboiements, des monosyllabes, de claquements de langue et

de doigts. Cette présence si nécessaire de l’homme au chien et du chien à l’homme ne

leur faisait jamais défaut ; et, l’un différant de tous les hommes comme l’autre de tous les

chiens, ils ne s’en pouvaient pas moins dire heureux, en tant qu’homme et en tant que

chien. » (Calvino, 1957)

« Une nourriture étrange sous forme de médecine végétale à laquelle je ne me suis

jamais habitué » [Une pomme et une carotte, aliments inconnus, sont données au prince]

(Laguionie, 2019)

L'action de l'homme sur les plantes cultivées et leur dépendance mutuelle est telle qu'elles

présentent des caractéristiques biologiques singulières (Gerber, 2018). Les humains entretiennent

avec les plantes des transactions extrêmement anciennes, notamment à travers la domestication,

dans une dépendance mutuelle.

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Pharmakon, remède et poison à la fois

Une plante, identifiée comme un médicament (en grec : pharmakon, mot qui a notamment donné

le terme de pharmacie), peut constituer en même temps un poison ; bienfait et méfait sont liés.

Les fleurs bleues d'un arbre sont bénéfiques dans la cime de l'arbre et sont le contrepoison

des fleurs tombées, qui, elles, sont empoisonnées. Le monde est pour les wonkos à

l'image de ces fleurs bleues, bon dans les hauteurs, mauvais en bas. (Laguionie, 1999)

Élisabeth « Si j'avais deviné qu'un jour j'utiliserai mes connaissances pour fabriquer du

poison pour lutter contre cette forêt que j'ai aimée plus que tout… C'est comme si je lui

demandais de se retourner contre elle-même. » (Laguionie, 2019)

Obstacle, menace

Les plantes font peur. Leur potentielle toxicité est peut-être la première source d'inquiétude. La

biologie particulière des végétaux leur confère des propriétés qui pourraient faire croire qu'ils sont

immortels : capacité à régénérer un corps complet à partir de fragments, forte faculté de croissance,

… La forêt est représentée dans les contes comme un lieu menaçant. L'environnement du baron

perché semble quant à lui étranger à la menace végétale, c'est lui qui apparaît monstrueux ainsi que

les humains qui détruisent les arbres.

« Je découvris dans un almanach une vignette avec, au-dessous, la légende :

« L’homme sauvage d’Ombreuse (république génoise). Vit seulement sur les arbres. » On

avait représenté un être entièrement velu, avec une longue barbe et une longue queue, en

train de manger une sauterelle. Cette image figurait au chapitre des « Monstres », entre

l’Hermaphrodite et la Sirène. »

« On dirait que les arbres ont cessé toute résistance après le départ de mon frère, ou

que les hommes ont été pris de la rage des cognées. » (Calvino, 1957)

Élisabeth : « La forêt a encore gagné une dizaine de mètres sur le parc, le muséum sera

bientôt attaqué de toutes parts »

Le Prince : « Pourquoi la forêt s'est-elle emparée de la cité ? On dirait qu'elle se

révolte » (Laguionie, 2019)

Conclusion

La notion de transaction enrichit la vision que nous pouvons avoir des relations entre organismes

vivants, et de celles qu'ils entretiennent avec l'environnement – dont ils font partie et qu'ils

construisent. Inspirés par trois narrations remarquables, un récit littéraire et deux récits

cinématographiques, nous avons exploré les transactions dans leurs multiples dimensions.

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Figure 11. Jean-François Laguionie (Salachas, 1992) © Atelier Akimbo

Il est semble-t-il nécessaire d'aller loin – loin de l'occident – pour rencontrer des civilisations

associées à des savoir-vivre non modernes qui reconnaissent aux plantes une agentivité et une

sensibilité (Brunois-Pasina, 2018). Ainsi, en occident, le savoir naturaliste, appliqué à la

connaissance des plantes, considère, intentionnellement, qu'elles ne possèdent ni intériorité ni

intelligence. Le rapport à ces espèces – par exemple leur exploitation – est en effet ainsi allégé de

questionnements éthiques. Dans des démarches scientifiques récentes, la capacité des plantes à agir

et à réagir face au monde est soudain redécouverte, et à l'origine d'une littérature florissante

(Bertrand, 2018). Cependant, dans l’espace décontextualisé des laboratoires où ces observations sont

faites, les biologistes du végétal externalisent le contexte vivant de la plante ainsi que les collectifs

d’humains et de non-humains qui cohabitent ou qui ont cohabité avec elle. Les modernes sont

sensibles à ce qui les entretient dans l’anthropocentrisme (Brunois-Pasina, 2018).

Au contraire, chez les non-modernes, le monde contextualisé permet aux humains qui en font

partie d'entendre les plantes et de leur répondre. La restriction du champ de l'expérience (Foucault,

1966) a aussi placé les sujets hors de leur contexte, en permettant certes des avancées et des

découvertes mais en détachant les organismes vivants les uns des autres et en les sortant des milieux

qui pourtant se fabriquent dans les transactions. Le détachement et la fracturation induits installent

les éléments dans des hiérarchies, en dehors d'une continuité pourtant à l'œuvre.

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Figure 12. Jean-François Laguionie (Salachas, 1992) © Atelier Akimbo

Remerciements

Emmanuel Petit, Sarah Benharrech, Catherine Vallée, Sabine Peyruchaud, Roseline Giusti,

Frédéric Lambert, Gauvain Schalchi, Pascal Vimenet, Carole Vidoni

Références

Bertrand A. 2018. Penser comme une plante : perspectives sur l’écologie comportementale et la nature cognitive des

plantes. Cahiers philosophiques, 153, 2, 39-41.

Brunois-Pasina F. 2018. Savoir-vivre avec les plantes : un vide ontologique ? Cahiers Philosophiques, 153, 2, 9-24.

Calvino I. 1957. Le Baron perché. Paris, Éditions du Seuil, 2005.

Descola P. 2011. L’écologie des autres - L’anthropologie et la question de la nature. Paris, Quæ.

Despret V., Galetic S. 2007. Faire de James un « lecteur anachronique » de Von Uexküll : Esquisse d’un

perspectivisme radical. In Debaise D. (Ed.) Vie et expérimentations. Peirce, James, Dewey, Paris, Vrin, 45-76.

Dewey J. and Bentley A. 1949. Knowing and the known. Boston, Beacon Press.

Foucault M. 1966. Les mots et les choses. Paris, Gallimard, 144-145.

Gerber S. 2018. Les plantes cultivées cachent-elles la forêt ? In Hiernaux Q., Timmermans B. (Ed.) Philosophie du

végétal, Paris, Vrin, Annales de l’Institut de philosophie de l’Université de Bruxelles, 91-114.

Hermitte M.A. 2019. L’Arbre, l’Homme & le(s) droit(s). Revue Méditerranéenne de Droit Public, X, 67-76.

Laguionie J.F. 1999. Le château des singes. Film d'animation. Réalisation Laguionie J.F. Scénario Laguionie J.F.,

Hudis N. 75 minutes.

Laguionie J.F. 2019. Le voyage du prince. Film d'animation. Réalisation Laguionie J.F., Picard X.. Scénario Le Ray

A., Laguionie J.F. 75 minutes.

Renault M. 2012. Dire ce à quoi nous tenons et en prendre soin. Revue Française de Socio-Économie, 9(1), 247–253.

Salachas G. 1992. Le ch teau des singes le livre d avant le fil de ean- ran ois Laguionie. Paris, Atelier Akimbo.

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Sombart W. 1938. Vom Menschen, Buchholz & Weisswange, traduction Fontaine J., Haution P.J.,

http://www.philo52.com/articles.php?lng=fr&pg=1681

Uexküll J. von. 1934. Mondes animaux et monde humain. Paris, Denoël, 1965.

Uexküll J. von. 1940. Théorie de la signification. Paris, Denoël, 1965.

Zask J. 2015. Introduction à John Dewey. Paris, La Découverte.

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On Antoine Risso and his Histoire Naturelle des

Principales Productions de l'Europe Méridionale et

Particulièrement de Celles des Environs de Nice et

des Alpes Maritimes

Sur Antoine Risso et son Histoire Naturelle des Principales Productions

de l'Europe Méridionale et Particulièrement de Celles des Environs de

Nice et des Alpes Maritimes

John R. Dolan 1

1

Sorbonne Université, CNRS UMR 7093, Laboratoire d'Océanographie de Villefranche-sur-Mer, Station Zoologique,

06230 Villefranche-sur-Mer, France; john.dolan@imev-mer.fr

ABSTRACT. Antoine Risso (1777-1844) was a native and lifelong resident of Nice (France). He was a pharmacist by

training and occupation, but became one of the foremost naturalists of his time. Risso published extensively on the

flora, and particularly the marine fauna, of his native region. His 'magnum opus' is an 1826 five volume work on the

natural history of Nice and its region, treating geology, botany and zoology: Histoire Naturelle des Principales

Productions de l'Europe Méridionale et Particulièrement de Celles des Environs de Nice et des Alpes Maritimes. The

volumes included beautiful color plates, nearly all the work of Jean Gabriel Prêtre, one of the most reputable

naturalist-painters of the first half of the 19th century. Risso's Histoire Naturelle was greeted with considerable criticism

when it appeared. However, today it can be said that it has passed the test of time. Of works published in 1826,

Risso's Histoire Naturelle appears among the top five in terms of total number of citations in academic journals, along

with the classic works by D'Orbigny on cepalopods and Malthus on population growth. Nonetheless, Risso's major

work is unknown to most of us other than perhaps fish taxonomists, and specialists in scientific illustration. Here an

attempt is made to introduce to a broad audience Antoine Risso's interesting life and his major work, as well as the

work of Jean Gabriel Prêtre.

KEYWORDS. History of ichthyology, History of natural history, Scientific illustration, Scientific tourism.

Introduction

Antoine Risso (1777-1844) is a celebrated figure in his native Nice. He has a school and a

boulevard named for him. He is acknowledged as the pioneering naturalist who first brought

attention to the diverse marine fauna of the "Sea of Nice". Risso is also recognized for his practical

work as a botanist as he was responsible for the re-planting of the city's Castle Hill when the once

derelict site was made into the premiere city park of Nice (Pace 2018), and for publishing works on

the citrus trees of the region. Outside of his native city, Risso is likely known only in a few

specialized fields. Among antiquarians, a copy of one of his books on citrus trees, Histoire Naturelle

des Orangers (Risso & Poiteau 1818-1820), co-authored and illustrated by Antoine Poiteau, is today

valued at over €25,000. Among specialists of crustaceans and fish, Risso is known for his

Ichthyologie de Nice (Risso 1810), Histoire Naturelle des Crustacées des Environs de Nice (Risso

1816), and especially his multivolume Histoire Naturelle des Principales Productions de l'Europe

Méridionale et Particulièrement de Celles des Environs de Nice et des Alpes Maritimes (Risso

1826). This latter work (from hereon simply Histoire Naturelle) can be considered a gem, hidden to

most of us, and is the focus of this essay.

Admittedly, Risso's Histoire Naturelle is not light reading. It is rather an ambitious reference

work, composed of 5 volumes totaling over 2200 pages. The first volume is mainly on the geology

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of the region of Nice, the second on the plants, both native and cultivated, the third mostly concerns

fish and, the fourth the mollusks and worms, and the fifth and final volume deals with various

invertebrates: crustaceans, spiders, insects, echinoderms, etc. Histoire Naturelle was published in

two different versions: one priced at 67 Francs, printed on ordinary paper with figures in black and

white, and a deluxe version on velum paper with color plates, priced at 135 Francs (Quérard 1859-

1864). Here the version considered is the version with color plates as all but two were the work of

Jean Gabriel Prêtre, a "painter naturalist" of considerable renown in his time.

The five volume treatise, considered as a single work, actually ranks among the five most cited

works published in 1826. In descending order (according to Web of Science data), these are: Von

Thunen's study on the role of the state in agricultural economies (Von Thunen 1826), D'Orbigny's

treatise on cephalopods (D'Orbigny 1826), Risso's Histoire Naturelle (Risso 1826), Godfuss's

volume on fossils (Goldfuss 1826), and the sixth edition of Malthaus's famous essay on population

growth (Malthaus 1826). It should be noted that Web of Science data concern only citations in

academic journals; books, magazine articles, etc., are not tabulated, explaining in large part why

Malthus's essay is in fifth place rather than first. The Histoire Naturelle of Risso has been cited

through the years mostly as records of species occurrences. However, it is much, much, more than a

catalogue of species and their descriptions. He also describes agriculture, fishing and collecting

methods, habits, edibility, and occasionally even manners of cooking of the organism. His texts,

along with Prêtre's illustrations provide a charming glimpse into life, science, and art of 19th century

natural history.

Here first will be presented a biographical sketch of Antoine Risso, to place him and his work in

context. This will be followed by a review of what little is known about the illustrator Jean Gabriel

Prête, with some examples of his work that preceded his contribution to Risso's treatise. Then I will

describe Risso's Histoire Naturelle including its unusual aspects, the reception it received in Risso's

time, and provide examples of Prête's artwork that formed an integral and likely the most attractive

part of the work. The account of Risso's life is based on the biographies (occasionally conflicting) of

Toselli (1860), Quérard (1859-1864), Vayrolati (1911), and Gasiglia (1970). Sadly, little

information is available concerning the life and career of Prêtre other than a brief entry in the

Dictionnaire des Artistes of Gabet (1834) and occasional mentions in the text of the works he

illustrated.

Antoine Risso, the Premier Naturalist of Nice

Antoine Risso was born April 9th 1777 into a modest family. At age 11, he and his 4 siblings

were orphaned and taken in by his maternal uncle. At age 12 Risso was apprenticed to an

established pharmacist and botanist, Augustin Balmossiere-Chartroux. In 1802, Risso received his

training certificate as a pharmacist and opened his own pharmacy in 1803, at 26 years of age. That

same year he was named as assistant curator of the Departmental Botanical Garden, under his

pharmacist mentor, Balmossiere-Chartroux. Risso soon became known as the pharmacist-botanist,

expert in plants, friendly and helpful to visiting foreigners such as English women wintering in Nice

who sought advice as to plant identification and collecting (Carlotti-Davier 2017). Risso's interests

went beyond botany that commonly occupied pharmacists of his time, and his main focus became

marine fauna. It is unclear when he started his investigations of fish, crustaceans, and mollusks.

However, by 1809 when François Péron and Charles-Alexander Lesueur (renown explorers of

Australia), visited Nice, Risso was already known as the local expert on marine life. Risso

introduced them to the local fisherman and showed them the value of examining the baskets of the

fisherman to obtain interesting specimens (Walton 2018). He also worked with them when they

measured temperatures of seawater from various depths (Risso 1826, vol. 1) and collected

planktonic organisms (Risso 1826, vol. 4).

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Risso's first publication appeared in 1810, shortly after the visit of Péron and Lesueur. It was

entitled "Ichthyologie de Nice ou Histoire Naturelle des Poisson du Departement des Alpes

Maritimes", a major work of 388 pages with 11 plates. George Cuvier is said to have declared it to

be the most important work on the fish of the Mediterranean Sea since the 1558 appearance of

Salviani's landmark monograph (Gudger 1934). It was likely Risso's book that earned him the honor

of becoming a Corresponding Member of the Société Philomatique de Paris, considered as the

'waiting room' for entry into the Académie des Sciences (Chappey 2009). Risso's first book also

showed that he had apparently become a close friend of Lesueur. The last plate was part of an

addendum that contained the text description and illustration of a species Risso named for Lesueur,

Gobius suerii (Fig. 1). Lesueur returned the honor, naming a new species of fish for Risso in 1812,

Callionymus risso (Lesueur 1814). Not long after, in 1813, Risso visited Paris for the first time,

making direct contact with the naturalists of the Muséum Nationale de Histoire Naturelle, all well

known to Lesueur, and he also introduced Risso to opera. They would correspond throughout the

many years that Lesueur spent in the United States (see Dolan 2020) and through Lesueur, Risso

would be one of the first foreign members of the Philadelphia Academy of Natural Sciences. In

1815, Georges Cuvier sent his assistant Charles-Léopold Laurillard to Risso to learn from him and

collect specimens for the Paris Muséum National d'Histoire Naturelle (Bauchot et al. 1990). Risso

continued to aid and befriend naturalists visiting Nice through the years, for example, the geologist

Thomas Allen (Allen 1818), and the biologist William Leach (Leach 1825). Risso was then one of

the first stops for scientific tourists visiting the area, often serving as a guide to the back-country of

Nice (Barale 2020).

Figure 1. The title page of Risso's 1810 book on the fish of Nice (left panel), the index of the fishes

described by binomial Latin name, name in French, and name in the Niçois (center panel), and the last

plate of the book (right panel), showing the species that Risso named for Lesueur, Gobius suerii now known

as Lesueurigobius suerii, as fig. 43, in the top left corner.

Risso's two 1813 publications provide clear evidence that his interests ranged widely as one

concerned the geology of the peninsula of Cap Ferrat and the other the natural history of citrus trees.

In his study of Cap Ferrat geological deposits, Risso documented the occurrence of the remains of

marine invertebrates far above the present altitude of the sea, leading him to conclude that major

changes in sea level had occurred in the Mediterranean Sea (Risso 1813a). The other work, his first

monograph on citrus trees (Risso 1813b), concerned the various types and varieties grown in the

region of Nice, their origins, descriptions, uses, and diseases. It was a relatively modest monograph

of 74 pages of text and two black and white plates. Risso as a pharmacist, and charged with the

departmental botanical garden, could be expected to have a considerable expertise in botany.

However, geology and natural history of the fauna of the region were outside of his professional

knowledge and experience.

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Risso returned to studies of marine fauna with his 1816 book on the crustaceans of the region of

Nice: "Histoire Naturelle des Crustacés des Environs de Nice". It was a substantial work of 175

pages but sparsely illustrated with only 3 plates of line drawings. The major value of the work was

the details given with regard to each species: habitats in terms of substrates and depths where it

lived, the period when females are found with eggs; odd remarks such as that fisherman are

convinced that the more flesh is found inside the shell when fished during a full moon, commonly

eaten fried, etc. Such details were remarked upon in a review of the book (Audoin 1823). Risso soon

returned to citrus trees with a very large work of 280 pages of text and 109 color plates. Titled

simply "Histoire Naturelle des Orangers", it was authored by Risso and Antoine Poiteau, a botanist

and talented painter who had worked at the Muséum Nationale d'Histoire Naturelle; Poiteau did the

plates. Published in installments between 1818 and 1820 (Risso & Poiteau 1818-1820), the work is

now a very high-priced, sought-after, collector's item. Between 1818 and 1825, Risso published

articles on gastropod mollusks (Risso 1818), fish (Risso 1820a,b,c; Risso 1825) and geology (Risso

1824). And it was in 1825, at age 48, that Risso sold his pharmacy to his former pharmacy student

to become a full-time naturalist. Risso's main work, the five volume Histoire Naturelle appeared in

1826.

In the years following the appearance of his Histoire Naturelle, Risso continued to publish on a

variety of topics. He wrote on 'new crustaceans' (Risso 1827), 'new mollusks' (Risso 1831). In 1832

Risso was charged with landscaping the Castle Hill of the city of Nice. It was to become the Castle

Park, a work designed to be a considerable asset to tourism (Pace 2018). Risso later returned to his

natural history work, describing new species of fish (Risso 1840a,b). Risso's last publications

appeared in 1844, the year of his death. One was a guide to Nice for foreign visitors, especially

naturalists as it included a listing of the flora and fauna (Risso 1844a), and the other was large work

of 586 pages and 24 black and white plates, "Flore de Nice des Principales Plantes Exotiques

Naturalisées dans ses Environs" (Risso 1844b). At the end of the book appeared a page filled with a

long list of works in progress or proposed. Risso clearly had plans for the future when he died on

August 27th rather suddenly of an unknown illness. He is buried the cemetery of the Castle Hill, the

site he landscaped years earlier.

Jean Gabriel Prêtre the Artist of Risso's Histoire Naturelle

Little information on the life of Jean Gabriel Prêtre is available. He was born in Geneva

(Switzerland) in 1778, eleven years before Risso. The earliest work I found containing a mention of

Prêtre is in Palisot-Beauvois's 1804 botanical monograph "Flore d'Oware et de Benin, en Afrique"

(Palisot-Beauvois 1804). In the preface, it is stated that M. Mirabel, and Sophie Luigné, were

responsible for the illustrations. However, in the corrections to the first volume appears "after the

last words of the preface, add - M. Prêtre, talented artist, and having become today among the best,

has succeeded M. Mirbel and Miss Luigné; he alone is in charge of the illustrations. (my

translation)" Thus, by 1804 at age 26, Prêtre was already acknowledged as a talented illustrator.

Although apparently unplanned, he was the major artist of the work, signing 35 of the 59 plates. The

last plate is rightfully considered remarkable (see fig. 2) and was reproduced in Lack's "A Garden of

Eden: Masterpieces of Botanical Illustration" (Lack 2001).

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Figure 2. Examples of Prêtre's early works. The left panel is from Palisot-Beauvois's 1804 botanical

monograph "Flore d'Oware et de Benin, en Afrique". It is featured in Lack's 2001 "A Garden of Eden:

Masterpieces of Botanical Illustration". The right panel is an illustration from Viellot's 1805 volume on

songbirds. Prêtre would go to be a prolific illustrator of birds.

The second mention I found of Prêtre is by Vieillot in the preface to his 1805 monograph on

songbirds of the tropics stating that Prêtre, one of the most talented naturalist painters, had been

charged with the color illustrations (Vieillot 1805). The illustrations, numbering 72, are striking (see

fig. 2). The 1805 plates appear to be the first of many illustrations of birds by Prêtre who today is

considered as one of the most important illustrators of birds (Roncil 1957).

The next mention found of Prêtre is in a prospectus by George Cuvier (1816) for his Dictionnaire

des Sciences Naturelles, stating that plates for the Parisian Flora will be done by Turpin and by

Prêtre 'dessinateur de zoologie' (zoological illustrator). In reality, Prêtre would be responsible, not

for the Parisian Flora, but for hundreds of plates depicting a wide range of animals in the volumes of

illustrations published between 1816 and 1830. For La Cépède's 1819 "Histoire Naturelle des

Quadrupèdes-ovipares" which was largely on fish, Prêtre did 115 plates. Prêtre, the illustrator, was

next mentioned in an 1820 prospectus for another large multi-volume work reference work "Faune

Française" (Anon. 1820). It was published in installments from 1821 to 1828. Prêtre illustrated

invertebrates, reptiles, birds, fish and crustaceans in 220 plates of the Faune Française.

The Prêtre plates of the Faune Française are of special interest here for two reasons. First,

because nine of the plates were signed by Prêtre as "ad. nat. viv." indicating that a live organism was

the model for the illustration (Stijnman 2012). Of all of Prêtre's work I examined, these plates are

the only one I found so noted. Furthermore, they were of marine invertebrates and fish, in principle,

live specimens would be unavailable to a Paris-based illustrator. Unfortunately, the identity of the

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organisms gives little indication of a collection sight where Prêtre might have seen them as they are

all are found on both the Atlantic and Mediterranean coasts of France.

The second reason that the Prêtre plates of the Faune Française are of special interest is that

some were cited by Risso in his Histoire Naturelle indicating that Risso owned or had had access to

copies of the Faune Française and therefore knew of Prêtre's work. It is tempting to speculate that

Risso and Prêtre knew each other from Risso's visit to Paris in 1813. However, the only document

linking the two in any fashion is the 1822 list of members of the Société Linnéenne de Paris (Anon.

1822). It lists Prêtre as among "Membres Auditeurs" (auditor member) with the entry reading

"Prêtre (Jean Gabriel), dessinateur et peintre d'histoire naturelle" (natural history illustrator and

painter) and Risso among "Correspondans Etrangers" (corresponding members) with the entry

under Piémont reading "Risso (Antoine) naturaliste à Nice". Even if they knew one another, it is

unknown if the choice of the illustrator for a given work in the early 19th century was up to the

author or the publisher. Examples of Prêtre's illustrations in the Faune Française, including two of

the "ad. nat. viv." plates are shown in Figure 3.

Figure. 3. Examples of Prêtre's illustrations from Faune Française. The left panel shows the Sea Pen

(related to corals). Prêtre's inscription indicates that the model was a living specimen. The middle panel

show two species of crabs. The right panel shows fish that, according to the inscription, were painted from

living specimens.

Prêtre's work on Risso's 1826 Histoire Naturelle, consisting of 44 plates (discussed in the

following sections), was likely a relatively minor project compared to both his previous work and

his later work. For example, in the Dictionnaire d'Histoire Naturelle that appeared between 1816

and 1830, Prêtre did over 650 plates. Prêtre did the artwork for about half of the over 500 plates

illustrating birds in Temminck's five volume "Nouveau Recueil de Planches Coloriées d'Oiseaux"

(Temminck 1820-1839). Prête was listed on the title page along with another illustrator, Huet, as

"painters of the Museum of Natural History".

One of the last publications with illustrations by Prêtre was an article that appeared in 1843, when

he was 75 years old, in the Magasin de Zoologie. Prêtre provided the artwork for 7 plates illustrating

new bird species described by De Lafresnaye, including one named by De Lafresnaye for Prêtre:

Tanagra pretrei (De Lafresnaye 1843). Thus, one of Prêtre's last illustrations was of a bird named

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for him. It was not the first species named for him. Temminick named a parrot for Prêtre

(Temminck 1838), Duméril & Bibron (1839) a worm lizard, De Lattre and Lesson (1839) named a

hummingbird for Prêtre. However none had done so with a tribute such as that of De Lafresnaye's:

"We dedicate this charming species to the well known painter whose expert brush has given for

such a long time already, and gives still everyday, great service to natural science with the truth and

elegance of his touch." (my translation)

Jean Gabriel Prêtre died a few years later at the age of 81.

Histoire Naturelle des Principales Productions de l'Europe Méridionale et Particulièrement

de Celles des Environs de Nice et des Alpes Maritimes

Here will be presented the contents of Risso's Histoire Naturelle and the reception it received.

However, first some currently unanswered technical questions will be reviewed. These are: 1) the

choice of the publisher, 2) the origin of the five volume structure of the work, 3) the lack of citations

to the plates in Risso's texts, 4) the choice of the illustrator, and 5) the actual dates the volumes of

Histoire Naturelle appeared.

Some Unanswered Questions

Histoire Naturelle was published by F.-G. Levrault in 1826. Risso was 49 years old (fig. 5), a

seasoned author as he had already authored four books. Why his major, five volume, work was

published with F.-G. Levrault, with whom he had not previously published, is unknown. Oddly,

Risso never published twice with the same publisher, except for his last two books, published

shortly before his death in 1844. The Flore de Nice and Guide des Etrangers à Nice were both

published by the Société Typographique of Nice. Risso's first book, Ichthyologie de Nice, was

published by F. Schoell in 1810, the second, his 1813 Essai sur l'Histoire Naturelle des Orangers,

was published by G. Dufour et Cie., the third on crustaceans was published in 1816 by La Librarie

Grecque-Latine-Allemande, and the fourth, his book on citrus trees co-authored and illustrated by

Poiteau, was published by Audot from 1818 to 1822. All four publishers were Paris-based, like F.-

G. Levrault, and produced many natural history works. To my knowledge, there is no archival

material available concerning Risso's interactions with his publishers that might explain his singular

publishing history.

Figure 4. The title page of the first volume of Risso's Histoire Naturelle, a portrait of Risso, and the table of

contents of the five volumes from the fifth volume, all dated 1826.

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The division of Risso's work into five volumes ranging in size from 383 to 492 pages may have

been due to constraints of manufacturing rather than a specific design by Risso. F.-G. Levrault

published many multi-volume works and the volumes rarely exceeded 500 pages in length (e.g.

Cuvier & Valenciennes's Histoire Naturelle des Poissons, 1828-1849). The first volume contains

Risso's descriptions of geology and meteorology as well as the first part of his text on plant life,

completed with the entirety of the second volume. The introductory texts for each volume do not

consistently introduce the actual contents of the volume. The volumes do not have individual tables

of contents nor indexes. A single summary table of contents for all five volumes and a rather

inadequate index covering all five volumes appears at the end of volume five. Evidence of the need

for separate indexes is that an index of the genera of mollusks in described in the fourth volume on

mollusks was published as a 12 page booklet by Vignard (1830).

A peculiarity of Risso's Histoire Naturelle is that in his texts no references are made to any of the

plates, unlike all of his previous books: on fish (Risso 1810), crustaceans (Risso 1816), and citrus

trees (Risso 1813, Risso & Poiteau 1818-1822). This is especially odd as his texts in Histoire

Naturelle, Risso frequently cite illustrations from his previous books and articles and the works of

others. The plates of the second volume are not introduced by a list of plates. In the volumes three,

four and five, a list of plates giving the names of species figured precedes the plate section without

however, mentioning where in the text the species are described. Thus, it appears possible that

Histoire Naturelle originally was without illustrations, and that the plates were added on by, or at

the request of, the publisher. As mentioned previously, it is unknown who chooses the illustrator for

a given work. F.-G. Levrault was though the publisher of many natural history works illustrated by

Prêtre, for example, Cuvier's Dictionnaire d'Histoire Naturelle (1816-1830) as shown in fig. 3,

Blainville's book on mollusks (Blainville 1825-1827), Desmarest's books on crustaceans (1825), and

Duméril's book on insects (1823). Consequently, the choice of Prête as illustrator may have

originated with the publisher. However, as noted above, Risso was familiar with the work of Prêtre

from the Faune Française since Risso cited some illustrations from it in his Histoire Naturelle.

There is also lack of clarity concerning when each of the volumes of Histoire Naturelle were

actually made available. The title pages of all five volumes give the year of publication as 1826.

However, the first notice of Histoire Naturelle appeared in the January 1927 issue of the Bulletin

des Sciences Naturelles et de Géologie (also published by F.-G. Levrault), announcing the

appearance of volume 1 on geology and volume 4 on mollusks, and stating that volumes 2 (plants)

and 3 (mostly fish) were in press (Anon. 1827a). A review of volume 4, in the last trimester of 1927,

in the same journal (Férussac 1827), stated that the volumes 2 and 3 still had not yet appeared and

no mention was made of volume 5 (on crustaceans and other invertebrates). In Cuvier &

Valencience's review of the history of ichthyology in the first volume of their Histoire Naturelle des

Poissons, Risso's volume on fish is described as 1827 (Cuvier & Valenciennes 1828) and some

researchers currently cite volume 5 contents on crustaceans as "Risso 1827". However, library

catalogues invariably list all five volumes as 1826 publications.

Volume One

The first volume of Histoire Naturelle begins with Risso's dedication of the work to George

Hamilton-Gordon, the 4th Earl of Aberdeen for his friendship, encouragement, and advice. The

dedication is a bit of a mystery. In Balfour's two volume biography of Hamilton-Gordon, no

mention is made of Risso and Nice is mentioned only in passing, stating that he spent the winters of

1825, 1826 and 1827 in Nice, with his youngest surviving daughter, Alice, in hopes of improving

her health (Balfour 1922). The first half of volume one, of 448 pages, is devoted to physical

descriptions of the region, geography, geology, and meteorology. It includes lengthy lists of fossil

taxa found in various geological formations, history of seismic activity, and tables giving minimum,

maximum temperatures, and barometric pressure for each month over many years of observation.

Risso apparently had previously sent copies of his detailed meteorology tables to the famed explorer

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Alexander van Humboldt, at that time in Paris. A letter from Humboldt thanking Risso and

commenting on the tables was included in the volume. It is quite odd that Risso included the letter

as it invalidated his meteorological data. Humboldt stated that maximum temperatures should be

recorded at 14:00, not 12:00 as Risso had done, and that Risso's barometric measures appeared off;

Humboldt suggested that Risso should calibrate his barometer by comparing it with those used in

Marseille.

The second half of volume one is the start of his descriptions of plant life of the region, which is

continued and constitutes the entire second volume. Risso begins with a description of the

agricultural practices of the regions followed by descriptions of the citrus tress grown in the region

drawn largely from his two books on citrus trees of Nice (Risso 1813, Risso & Poiteau 1822).

Among the new taxa described is a variety of citrus tree Citrus auatus gordonia, named not for the

Earl of Aberdeen, but for after Lady Alicia Gordon, the sister of the Earl, noted as a knowledgeable

amateur botanist by Risso. Included at the end of the first volume are two colored maps showing the

distributions of various geological formations in the region, one of which is shown in Fig. 5. Like

the plates in the other volumes, there is no mention of the maps in the text.

Figure 5. One of the two maps included in the first volume of Risso's Histoire Naturelle showing the

distributions of various types of soil and geological formations in the region.

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Volume Two

The second volume of Histoire Naturelle is entirely consecrated to the plant life of the region of

Nice. Risso covers in depth the cultivated forms, both native and non-native, and to a much lesser

extent the unexploited indigenous flora. The volume is dominated by the descriptions of the

numerous varieties of olives (40 types), figs (72 types) and grapes (99 types). However, as a former

pharmacist, also included are descriptions of medicinal plants. The text of the volume ends with a

comprehensive, 87 page catalogue of all the plants of the region including species of algae. The

catalogue does not include any references to Risso's text in the volume or the text on plants in the

first volume. At the end of the first volume, without a list of illustrations, are eight unnumbered

plates. Six of the plates are signed by Jean Gabriel Prêtre and two by Pierre Jean François Turpin, a

well-known botanical illustrator and botanist in his own right who had been trained by Poiteau

(Boisard 1848), Risso's co-author of his illustrated monograph of citrus tress.

Figure 6. Two of the six unnumbered plates from the second volume. The left panel shows the variety of

orange tree Risso named for Lady Alicia Gordon and the right panel the fig tree. The engraver for the 6

plates by Prête was Jean Dominique Etienne Canu. The actual size of the rectangle enclosing the figures is

16.5 x 10 cm.

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Volume Three

The third volume of Histoire Naturelle contains, in Risso's words, "...the results of my many

observations on animals of the first branch of zoology, principally on fish and birds". In reality the

third volume is largely devoted to fish, occupying 376 pages out of 480 pages of text. For the

mammals, birds and reptiles little more than species lists are provided. However, for the fish species

a classification is provided and detailed descriptions are given with notes on the habitats, fishing

methods, seasonality, etc. The general text on fishing methods drew heavily on Risso's 1810 book.

Risso's fish species (pooling all groups now known to be distinct: bony fish, sharks, rays, etc.)

number 382 out of which 157 are described as new species. Occasionally interspersed with dry

descriptions of anatomy are "Remarques", often quite remarkable, giving details on life histories or

habits or as in the example below, an enthusiastic description of colors of a fish (Gymnetrus

longiradiatus, shown in fig. 7, the fish in the center of the left plate as Risso's fig. 43):

"These gymnastes are the fish of our sea upon which nature has bestowed her treasures with the

most profusion. Elegant and varied shades of pleasant reflections and brilliant, the brilliance of the

most dazzling jewels, are the rich colors with which she adorned their slender bodies. This

magnificent adornment, nuanced with the black amber and the opal of their spots, where the azure

and the amethyst are reflected in a thousand directions, joined together with the purple, the rose

and the ruby of the fins, form a set of colors so sparkling, that it is impossible to be able to describe

them. They approach our shores when the sea is calm and tranquil; they swim gently shaking their

bodies, lower, rise, bend, go around in a thousand manners, and by the different reflections of the

colors which they cause to spring forth with each undulation, they produce to the eyes of the

observer dazzling effects of light." (my translation)

The volume included 16 plates, all the work of Prêtre. The plates are preceded by a list of

illustrations giving the names of the 50 species shown, needed as the plates were without legends.

Both Latin names and common names are given. As mentioned above, in Risso's volumes the lists

of species figured were without references to the corresponding texts, and the volumes lacked

indexes so that locating Risso's text concerning a species shown was problematic. Most of the plates

showed more than a single species. Oddly, the species shown in the plates are not shown in the same

order as they are described in the text. For example the species shown in the last plate are described

in different sections in the text. Six different engravers worked on the plates of fish: M. Giraud,

Adélaïde Calais, Louviers, Sophie Plée, Victoire Plée, and Rousseau.

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Figure 7. The last two plates of volume 3. The left panel, plate 15, shows Syngnathus phlegon (fig. 41),

Blennius erythrocephalus (fig. 42), Gymnetrus longiradiatus, whose colors were described enthusiastically

by Risso (fig. 43), Blennius graphicus (fig. 44), and Syphius annulatus (fig. 40). The right panel, plate 16,

shows Trigla microlepidota (fig. 46), Lotta elongata, (fig. 47), Sphagebranchus ocellatus, (fig. 48),

Crenilabrus arcuatus (fig. 49), Clinus viridus, a name not in the text and appears to be the species

described in text as Clinus virescens. The actual size of the rectangle enclosing the figures is 16.5 x 10 cm.

Note that the plates were engraved by different engravers.

Volume Four

Risso's introduction to his fourth volume begins with a long quote from George Cuvier's 1807

which opened his memoire on crocodiles. Cuvier stated the determination of species is the

foundation of all solid natural history work:

"The precise determination of species and of their distinctive characters forms the first basis on

which all researches in natural history must be founded. The most curious observations, the newest

views, loose almost all their merit when they are devoid of this support; and despite the aridity of

this kind of work, it is with this that all who intend to arrive at solid results must begin (my

translation)."

There is a certain irony of beginning the volume on mollusks with a quote stressing the need for

precise species determinations. Risso's volume on mollusks, of all five volumes, would receive the

most withering criticisms, (detailed in the following sections), precisely because of his species

descriptions, giving multiple names to the same species and new names to species previously

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described. Risso then states in the volume he dares present a view of the natural history of the

mollusks of the Midi region based on his observations of living specimens and their remains over

many years. In volume four, Risso catalogued well over 1000 species of mollusks that included

hundreds he described as new species. Risso's text includes relatively few 'Remarques' giving

natural history notes compared to his texts on fish and crustaceans rendering the text rather dry. The

mollusks volume also included descriptions of 82 species of worms, now known to be of distinct

lineages but grouped together at the time. At the end of the volume, the 16 plates, all signed by

Prêtre, are preceded by a list of the 177 figures contained in plates, giving for each the Latin

binomials and names in French or common names. The engraver of the mollusks plates were

members of the Plée family: Plée, fils ainé, Plée père et F. fils, Plée père. As Sophie and Victoire

Plée were engravers of some of the fish plates, the Plée appear to have a family been a family of

talented engravers!

Figure 8. The first two of the 12 plates containing figures of about 170 species of mollusks. The left panel,

plate 1 shows various species of nudibranchs. The right panel, plate 2, shows nudibranchs (figs. 11, 15),

gastropods (fig. 12, 13), a pteropod (fig. 14) and a "worm-snail" shown encrusted in a rock (fig. 16) its shell

(fig. 18) and the animal without the shell (fig. 17). The actual size of the rectangle enclosing the figures is

16.5 x 10 cm.

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Volume Five

The final volume begins with a long "preliminary note" given over mainly to introducing the

crustaceans of the region, giving the impression that bulk of the volume is on crustaceans. In reality,

crustaceans account for about half of the text pages and five of the ten plates. Risso describes 200

species of crustaceans including the 76 species he describes as new. Other groups of invertebrates,

both aquatic and terrestrial, account for the remainder. These include spiders, insects, echinoderms,

worms of various sorts, meduse and corals. He reserved, however, for the crustaceans, all of his

"Remarques" on natural history of an animal commenting on particular aspects of a species such as

the example below describing the behavior of a crab.

"This is one of the decapods which allows a patient observer to most accurately study the habits

of these animals. Weak and timid, they cease their races, their games or their fights, as soon as they

feel the slightest danger: they stop staring at the object of their fear, and are quick to reassure

themselves and resume their exercises if they are not worried, or else otherwise, they flee with speed

at the slightest movement what you do to seize them. It is truly worthy of the curiosity of a naturalist

to study the strategies that this animal uses to evade his enemy, when he is pursued in one of these

waterlines separated from the sea, such as is found on our shores: it seems to calculate his steps, he

runs in one direction, returns or stops, and if he finds some crevice in the rock to place himself, he

threatens with his claws, and flees only when he is guaranteed to escape danger. It gives up its

aquatic dwelling several times a day to walk in the sun. He prowls through the night to seek the

dead bodies washed up by the waves." (my translation)

At the end of volume five are the table of contents for the five volumes and the index for all five

volumes, followed by the legends for the 10 plates showing 62 figures, all engraved by V. Plée fils.

The first five plates show crustaceans and the last five a large variety of invertebrates, all marine

(see fig. 9).

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Figure 9. Plates 3 and 7 from volume 5 of Histoire Naturelle. The left plate shows the decapod crustaceans

Stenopus spinosus (fig. 8) and Chrysoma mediterranea (fig. 9), and the amphipod Phrosina semilunata

from above (fig. 10), the head from below (fig. 11) and from below (fig. 12). The right plate shows the shells

of species of echinoderms (sea urchins) Scutella pyramidalis (fig. 35), Spatangus stellatus (fig. 36),

Ananchites stella (fig. 39), Spatangus chloriteus (fig. 40) and the medusa Equorea rissoana (fig. 37 and fig.

38), found by Péron and Leseuer in Nice and named for Risso (Péron & Lesueur 1809). The actual size of

the rectangle enclosing the figures is 16.5 x 10 cm.

The Reception of Risso's Histoire Naturelle in the 19th Century

As noted above, the first and brief review (approx. half a page) of Risso's Histoire Naturelle

appeared in the Bulletin des Sciences Naturelles et de Géologie as an anonymous note (Anon.

1827a). While unsigned, it was likely by A.E. Férussac, editor of the journal and one of the foremost

experts on mollusks at the time. In the brief note, with regard to volume four on the mollusks,

readers were warned the Risso's taxonomy was not to be trusted:

"A first glance at this volume, and the acquaintance with part of the manuscript and the drawings

that M. Risso, had shown us before leads us to suggest that this work must be used with great

caution. The author has created, without any reason, a jumble of geographical and specific names;

some of these new generic denominations were borrowed from Dr. Leach, without mention being

made of them: the synonymy of species is missing or very slightly mentioned." (my translation)

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Férussac's second, detailed and signed review (Férussac 1827), was also in the Bulletin des

Sciences Naturelles et de Géologie. It was relatively long (over 6 pages) and very critical, stating

that the text descriptions of new taxa were inadequate and almost all lacked figures. Importantly,

synonyms from previous studies of the species listed were entirely missing. Overall, Férussac

judged the mollusk volume to be fatally flawed and even reproached Risso for having refused his

offer of help with the manuscript:

"We stop here; it is impossible for us to go further; our article would exceed the proper limits.

For all the orders one finds, in this work, a great number of new denominations of genera and

species, novelties which the known and de-baptized things make us strongly suspect them to be very

lightly established, and the discoveries are sown in this book like rain and shine in an Almanac. A

work of this kind is a real calamity for naturalists, and does great harm to science.

.... M. Risso is all the less excusable, in that we had placed our collection and our library at his

disposal, and that we had offered to review his manuscript with him, help of which he did not think

he should profit." (my translation)

A third review of Risso's mollusks volume was published in the British Zoological Journal in

December of 1827 (Anon. 1827b.). While considerably less critical, it too pointed out that many

new taxa were established based on minute differences with known taxa. It concludes with the

statement that the promise Risso makes to send all his specimens to Muséum National d'Histoire

Naturelle will surely end some of the apparent confusion of taxa in his text. Notably, Risso never

did send any specimens of mollusks to the Muséum, perhaps because of the criticism he received?

An anonymous review of both volumes three (largely fish) and volume five (crustaceans and

other invertebrates) appeared in the Zoological Journal in April of 1828 (Anon. 1828). Both of

Risso's volumes were described quite favorably. Only in the last sentences is a minor complaint of

perhaps needlessly creating some new taxa:

"Availing himself most zealously of the opportunities afforded by his fortunate location of

becoming intimately acquainted with Nature in her infinitely varied productions, he has not limited

his ambition to the bare possession of specimens of them, but has aimed at communicating to others

the knowledge he has himself acquired from their contemplation. If in so doing he may have erred

occasionally, especially in too minute a sub-division, as well of species as of genera, the error,

although to be deprecated by every one who wishes well to the progress of zoo-logical knowledge,

can by no means be put in competition with the good he has effected by his really valuable

publication."

The next review published concerned Risso's third volume, concerning mainly fish and appeared

in mid-1828 in the Bulletin des Sciences Naturelles et de Géologie by Luroth (1828). He too brought

up Risso's omission of existing synonyms when he re-named species. However, Luroth described

such omissions as a slight fault.

A review of the geology part of the first volume was published in January of 1829, again in the

Bulletin des Sciences Naturelles et de Géologie (Boué 1829). The review was very critical,

demanding proof of Risso's assertions and it concluded describing the work as only an imperfect

sketch.

Decades later, Risso's was subjected to a surprisingly strong attack by a renowned malacologist,

whose specialty was freshwater and terrestrial mollusks, Jules René Bourguignat (1829-1892). He

published in 1861, a study of the synonyms in Risso's mollusk volume, "Étude synonymique sur les

mollusques des Alpes Maritimes publiés par A. Risso en 1826". Bourguignat described Risso and his

works thusly:

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"Among false naturalists, among works of low scientific erudition, you have to place Risso and

there keep his works. A fertile writer, but without judgment, an indefatigable innovator, but absurd,

Risso embraced in his writings almost every branch of natural history, without have treated one

well. Sad products of a lively but disordered imagination, his works are the children of a "mad

housewife" over which neither discernment nor judgment presided; the detestable classification of

his families, the false classification of genera, no less than the inaccuracy of synonyms, the

erroneous appreciation of characters, are as many proofs which demonstrate that, in his writings,

everything is false, everything is error." (my translation)

Bourguignat's venom with regard to a work published some 35 year earlier, by an author

deceased for 16 years, is surprising. Bourgiognat's characterization of Risso's work is all the more

surprising when one considers that in his subsequent work, actually he cited Risso's volume on

mollusks (e.g. Bourguignat 1862, 1864, 1877). Eugene Caziot, writing many years later, was much

less critical of Risso's work on mollusks simply remarking that some forms had apparently been

given more than one name (Caziot 1910, Caziot and Dall 1910). Caziot speculated that some of

Bourguignat's rancor might be due to the fact that by the time he examined Risso's shell collection,

it had become frustratingly useless as his inheritors severely mistreated the collection with many

specimens missing, or wrongly relabeled, or broken.

None of the reviews of Risso's Histoire Naturelle included any comments on the quality of the

plates, only on the fact that not all the species described as new were included. Perhaps the copies of

the reviewers saw were all of the edition with black and white plates. A relatively recent work

mistook Risso for the artist and called him an exceptional artist (Damkaer 2002). Overall, it appears

that Prêtre's contributions to Risso's Histoire Naturelle have been completely over-looked.

Risso's Histoire Naturelle today

In contemporary science, for better or for worse, the currency used to estimate the value of a

given piece of work is the number of citations to the work by other researchers in their publications.

Here, in the Introduction, mention was made of the impressive cumulative total number of citations

to Risso's Histoire Naturelle, relative to other works published in 1826. It is a valid approach for the

judgment of Risso's work compared to others of the same age. However, it gives no indication of the

usage today of Risso's Histoire Naturelle. For that one must consider recent citations. Below is a

graph showing the number of citations, by volume and pooled for all five volumes, for each year

since 2018. Risso's Histoire Naturelle, nearly 200 years old, is still regularly cited. Interestingly, the

volume on mollusks, that received such negative attention in 19 century, is well-cited in the 21st

century. This is despite the fact that Risso's classifications and descriptions of mollusks continue to

be denigrated (e.g., Spada & Bella 2010). The group that Risso accorded the most attention (in

terms of number of pages), the plant life, appears to have received the least attention in recent years.

As previously mentioned, most citations are in regard to species occurrence records, or habitats, or

as the original description of a species.

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Figure 10. Citation data for Risso's Histoire Naturelle, by volume and pooled for all five volumes, over the

past five years. Note that the volumes most often cited are volume four on mollusks and volume five on

crustaceans and other invertebrates. Nearly 200 years after publication, the work is still regularly cited.

Conclusion

Antoine Risso's Histoire Naturelle is still used today by members of the scientific community, as

clearly shown above, defying the critics who called it 'a real calamity' or filed with' falsehoods and

errors'. Furthermore, Risso's work undeniably brought attention to Nice and especially the 'Sea of

Nice'. Nearly all of his many publications contained 'Nice' in the tittle. One of his last publications

was a Guide to Nice filed with list of species and sites to be explored (Risso 1844b). He aided many

who traveled to the region, and in so doing was a pioneer guide in scientific tourism, a role that

would later be assumed by his successor Jean-Baptiste Vérany, another pharmacist turned naturalist,

and founder of the Muséum d'Histoire Naturelle de Nice. Vérany, in his time, would aid, for

example, Karl Vogt and Ernst Haeckel whose work would solidify the region's reputation among

naturalist as a destination of high interest (Dolan 2022).

Risso's Histoire Naturelle deserves attention also for the scattered passages, the "Remarques",

describing peculiarities of plants and animals- their uses at the time, their tastes, and odd details on

organisms. His text provides precious glimpses into life in the region in the early 19th century and

an appreciation for the knowledge of the people of Nice, especially the fisherman. Hopefully, with

this essay some will be inspired to stroll through Risso's Histoire Naturelle and also enjoy the

marvelous artwork of Jean-Gabriel Pêtre, and the engravers and anonymous colorists of the plates.

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Sur Antoine Risso et son Histoire Naturelle des

Principales Productions de l'Europe Méridionale et

Particulièrement de Celles des Environs de Nice et

des Alpes Maritimes 1

On Antoine Risso and his Histoire Naturelle des Principales Productions

de l'Europe Méridionale et Particulièrement de Celles des Environs de

Nice et des Alpes Maritimes

John R. Dolan 1

1

Sorbonne Université, CNRS UMR 7093, Laboratoire d'Océanographie de Villefranche-sur-Mer, Station Zoologique,

06230 Villefranche-sur-Mer, France ; john.dolan@imev-mer.fr

RÉSUMÉ. Antoine Risso (1777-1844) est né et a vécu toute sa vie à Nice (France). Pharmacien de formation et de

profession, il devint l'un des plus grands naturalistes de son temps.

Risso a publié de nombreux ouvrages sur la flore et surtout la faune marines de sa région natale. Son opus magnum

(1826) est un ouvrage en cinq volumes sur l'histoire naturelle de Nice et de sa région, traitant de géologie, de

botanique et de zoologie :

Histoire naturelle des principales productions de l'Europe méridionale et particulièrement de celles des environs de

Nice et des Alpes maritimes. Les volumes comprennent de magnifiques planches en couleur, presque toutes

réalisées par Jean-Gabriel Prêtre, l'un des peintres naturalistes les plus réputés de la première moitié du XIXe siècle.

L'Histoire naturelle de Risso a fait l’objet de nombreuses critiques lors de sa parution. Cependant, on peut dire

aujourd'hui qu'elle a passé l'épreuve du temps.

Parmi les ouvrages publiés en 1826, l'Histoire naturelle de Risso figure parmi les cinq premiers en termes de nombre

total de citations dans les revues académiques, aux côtés des ouvrages classiques de d'Orbigny sur les

céphalopodes et de Malthus sur l'accroissement de la population. Cependant, l'œuvre majeure de Risso est inconnue

de la plupart d'entre nous, à l'exception peut-être des taxonomistes de poissons et des spécialistes de l'illustration

scientifique. Nous tentons ici de présenter à un large public la vie d'Antoine Risso et son œuvre majeure, ainsi que

l'œuvre de Jean-Gabriel Prêtre.

MOTS-CLÉS. Histoire de l'ichtyologie, Histoire de l'histoire naturelle, Illustration scientifique, Tourisme scientifique.

Introduction

Antoine Risso (1777-1844) est un personnage célèbre dans sa ville natale de Nice. Une école et

un boulevard portent son nom. Il est reconnu comme le naturaliste pionnier qui a attiré l'attention sur

la diversité de la faune marine de la « mer de Nice ». Risso est également reconnu pour son travail

pratique en tant que botaniste, puisqu'il a été responsable de la replantation de la colline du château

de la ville lorsque le site autrefois abandonné fut transformé en premier parc de la ville de Nice

(Pace 2018), et pour la publication d'ouvrages sur les agrumes de la région. En dehors de sa ville

natale, Risso n'est probablement connu que dans quelques domaines spécialisés. Chez les

antiquaires, un exemplaire de l'un de ses ouvrages sur les agrumes, Histoire naturelle des orangers

(Risso & Poiteau 1818-1820), co-écrit et illustré par Antoine Poiteau, est aujourd'hui estimé à plus

de 25 000 €. Parmi les spécialistes des crustacés et des poissons, Risso est connu pour son

Ichthyologie de Nice (Risso 1810), son Histoire Naturelle des crustacées des environs de Nice

1 Traduction de l’article de John Dolan par Marie-Christine Maurel.

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(Risso 1816), et surtout son Histoire Naturelle des Principales Productions de l'Europe Méridionale

et particulièrement de celles des environs de Nice et des Alpes Maritimes (Risso 1826). Ce dernier

ouvrage (ci-après simplement Histoire naturelle) peut être considéré comme un joyau, caché à la

plupart d'entre nous, et fait l'objet du présent article.

Certes, l'Histoire naturelle de Risso n'est pas une lecture légère. Il s'agit plutôt d'un ouvrage de

référence ambitieux, composé de 5 volumes totalisant plus de 2200 pages. Le premier volume porte

essentiellement sur la géologie de la région niçoise, le deuxième sur les plantes, indigènes et

cultivées, le troisième concerne surtout les poissons, le quatrième les mollusques et les vers, et le

cinquième et dernier volume traite des divers invertébrés : crustacés, araignées, insectes,

échinodermes, etc. L'Histoire naturelle a été publiée en deux versions différentes : l'une au prix de

67 francs, imprimée sur papier ordinaire avec des figures en noir et blanc, et une version de luxe sur

papier vellum avec des figures coloriées à la main, au prix de 135 francs (Quérard 1859-1864). La

version considérée ici est celle avec des planches en couleurs, car toutes sauf deux sont l'œuvre de

Jean-Gabriel Prêtre, un « peintre naturaliste » d'une grande renommée à son époque.

Le traité en cinq volumes, considéré comme un seul ouvrage, figure en fait parmi les cinq

ouvrages les plus cités publiés en 1826. Par ordre décroissant (selon les données de Web of

Science), il s'agit de : l'étude de Von Thunen sur le rôle de l'État dans les économies agricoles (Von

Thunen 1826), le traité de d'Orbigny sur les céphalopodes (d'Orbigny 1826), l'Histoire naturelle de

Risso (Risso 1826), le volume de Godfuss sur les fossiles (Goldfuss 1826), et la sixième édition du

célèbre essai de Malthus sur la croissance de la population (Malthus 1826). Il convient de noter que

les données de Web of Science ne concernent que les citations dans les revues académiques ; les

livres, les articles de magazines, etc. ne sont pas pris en compte, ce qui explique en grande partie

pourquoi l'essai de Malthus se trouve à la cinquième place plutôt qu'à la première. L'Histoire

naturelle de Risso a été citée au fil des ans, principalement en tant que registre des espèces.

Cependant, elle est bien plus qu'un catalogue d'espèces et de leurs descriptions. Il décrit également

l'agriculture, les méthodes de pêche et de collecte, les habitudes, la comestibilité et parfois même les

modes de cuisson de l'organisme. Ses textes, ainsi que les illustrations de Prêtre, donnent un aperçu

charmant de la vie, la science et l'art de l'histoire naturelle du XIXe siècle.

Nous présenterons d'abord une esquisse biographique d'Antoine Risso, afin de le situer, lui et son

œuvre, dans son contexte. Nous passerons ensuite en revue le peu de choses que l'on sait sur

l'illustrateur Jean-Gabriel Prêtre, avec quelques exemples de son travail antérieur à sa contribution

au traité de Risso. Je décrirai ensuite l'Histoire naturelle de Risso, y compris ses aspects inhabituels,

l'accueil qu'elle a reçu à l'époque de Risso, et je fournirai des exemples de l'œuvre de Prêtre qui

faisait partie intégrante de l'ouvrage et en constituait probablement la partie la plus attrayante. Le

récit de la vie de Risso est basé sur les biographies (parfois contradictoires) de Toselli (1860),

Quérard (1859-1864), Vayrolati (1911) et Gasiglia (1970). Malheureusement, peu d'informations

sont disponibles sur la vie et la carrière de Prêtre, si ce n'est une brève entrée dans le Dictionnaire

des artistes de Gabet (1834) et des mentions occasionnelles dans le texte des œuvres qu'il a

illustrées.

Antoine Risso, le premier naturaliste niçois

Antoine Risso naît le 9 avril 1777 dans une famille modeste. A l'âge de 11 ans, lui et ses 4 frères

et sœurs deviennent orphelins et sont recueillis par son oncle maternel. À l'âge de 12 ans, Risso

entre en apprentissage chez un pharmacien et botaniste reconnu, Augustin Balmossière-Chartroux.

En 1802, il obtient son certificat de formation de pharmacien et il ouvre sa propre pharmacie en

1803, à l'âge de 26 ans. La même année, Risso est nommé conservateur adjoint du jardin botanique

départemental, sous la direction de son mentor pharmacien, Balmossière-Chartroux. Risso est

rapidement connu comme le pharmacien-botaniste, expert en plantes, amical et serviable pour les

étrangers en visite, tels que les femmes anglaises hivernant à Nice, qui demandaient des conseils sur

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l'identification et la collecte des plantes (Carlotti-Davier 2017). Les intérêts de Risso allaient au-delà

de la botanique qui occupait couramment les pharmaciens de son époque, et son principal centre

d'intérêt devint la faune marine. On ne sait pas exactement quand il a commencé à étudier les

poissons, les crustacés et les mollusques. Cependant, en 1809, lorsque François Péron et Charles-

Alexandre Lesueur (célèbres explorateurs de l'Australie) se sont rendus à Nice, Risso était déjà

connu comme l'expert local en matière de vie marine. Risso les a présentés aux pêcheurs locaux et

leur a montré l'intérêt d'examiner les paniers des pêcheurs pour obtenir des spécimens intéressants

(Walton 2018). Il a également travaillé avec eux lorsqu'ils ont mesuré les températures de l'eau de

mer à différentes profondeurs (Risso 1826, vol. 1) et collecté des organismes planctoniques (Risso

1826, vol. 4).

La première publication de Risso paraît en 1810, peu après la visite de Péron et Lesueur. Elle

s'intitule Ichthyologie de Nice ou Histoire naturelle des poissons du département des Alpes

Maritimes, un ouvrage majeur de 388 pages avec 11 planches. George Cuvier aurait déclaré qu'il

s'agissait de l'ouvrage le plus important sur les poissons de la Méditerranée depuis la parution en

1558 de la monographie de Salviani (Gudger 1934). C'est probablement le livre de Risso qui lui a

valu l'honneur de devenir membre correspondant de la Société Philomatique de Paris, considérée

comme la « salle d'attente » pour l'entrée à l'Académie des Sciences (Chappey 2009). Le premier

livre de Risso montre également qu'il était apparemment devenu un ami proche de Lesueur. La

dernière planche fait partie d'un addendum qui contient la description écrite et illustrée d'une espèce

nommée par Risso en l'honneur de Lesueur, Gobius suerii (Fig. 1). Lesueur lui rendit l'honneur en

nommant une nouvelle espèce de poisson d’après Risso en 1812, Callionymus risso (Lesueur 1814).

Peu après, en 1813, Risso se rendit pour la première fois à Paris, où il entra en contact direct avec

les naturalistes du Muséum national d'histoire naturelle, tous bien connus de Lesueur, qui lui fit

également découvrir l'opéra. Ils correspondront tout au long des nombreuses années que Lesueur

passera aux États-Unis (voir Dolan 2020) et, par l'intermédiaire de Lesueur, Risso sera l'un des

premiers membres étrangers de l'Académie des sciences naturelles de Philadelphie. En 1815,

Georges Cuvier envoya son assistant Charles-Léopold Laurillard à Risso pour apprendre de lui et

collecter des spécimens pour le Muséum national d'histoire naturelle de Paris (Bauchot et al. 1990).

Risso a continué à aider et à se lier d'amitié avec des naturalistes en visite à Nice au fil des ans, par

exemple le géologue Thomas Allen (Allen 1818) et le biologiste William Leach (Leach 1825). Risso

était alors l'une des premières étapes pour les touristes scientifiques visitant la région, auxquels il

servait souvent de guide dans l'arrière-pays niçois (Barale 2020).

Figure 1. La page de titre du livre de Risso de 1810 sur les poissons de Nice (panneau de gauche), l'index

des poissons décrits par nom latin binomial, nom en français et nom en niçois (panneau central), et la

dernière planche du livre (panneau de droite), montrant l'espèce que Risso a nommée pour Lesueur,

Gobius suerii maintenant connu sous le nom de Lesueurigobius suerii, comme fig. 43, dans le coin

supérieur gauche.

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Les deux publications de Risso de 1813 montrent clairement que ses intérêts étaient très variés,

l'une portant sur la géologie de la péninsule du Cap Ferrat et l'autre sur l'histoire naturelle des

agrumes. Dans son étude des dépôts géologiques du Cap Ferrat, Risso a documenté la présence de

restes d'invertébrés marins bien au-dessus de l'altitude actuelle de la mer, ce qui l'a amené à conclure

que des changements majeurs du niveau de la mer s'étaient produits dans la Méditerranée (Risso

1813a). L'autre ouvrage, sa première monographie sur les agrumes (Risso 1813b), concerne les

différents types et variétés cultivés dans la région de Nice, leur origine, leur description, leur

utilisation et leurs maladies. Il s'agit d'une monographie relativement modeste de 74 pages de texte

et de deux planches en noir et blanc. En tant que pharmacien et responsable du jardin botanique

départemental, Risso était censé posséder des connaissances considérables en botanique. Cependant,

la géologie et l'histoire naturelle de la faune de la région n'entraient pas dans le cadre de ses

connaissances et de son expérience professionnelle.

Risso revint à l'étude de la faune marine avec son livre de 1816 sur les crustacés de la région de

Nice : Histoire naturelle des crustacés des environs de Nice. Il s'agit d'un ouvrage conséquent de

175 pages mais peu illustré avec seulement 3 planches de dessins au trait. L'intérêt majeur de

l'ouvrage réside dans les détails donnés sur chaque espèce : les habitats en termes de substrats et de

profondeurs où elle vit, la période où l'on trouve les femelles avec des œufs ; des remarques bizarres

comme le fait que les pêcheurs sont convaincus que la chair se trouve davantage à l'intérieur de la

coquille lorsqu'elle est pêchée pendant la pleine lune, et qu'elle est généralement consommée en

friture, etc. Ces détails ont fait l'objet d'une remarque dans un compte rendu du livre (Audoin 1823).

Risso revint bientôt aux agrumes avec un très gros ouvrage de 280 pages de texte et 109 planches en

couleurs. Intitulé simplement Histoire naturelle des orangers, il est rédigé par Risso et Antoine

Poiteau, botaniste et peintre de talent ayant travaillé au Muséum national d'histoire naturelle ;

Poiteau a réalisé les planches. Publié en fascicules entre 1818 et 1820 (Risso & Poiteau 1818-1820),

l'ouvrage est aujourd'hui un objet de collection très recherché et d'un prix très élevé. Entre 1818 et

1825, Risso publie des articles sur les mollusques gastéropodes (Risso 1818), les poissons (Risso

1820 a, b, c ; Risso 1825) et la géologie (Risso 1824). Et c'est en 1825, à l'âge de 48 ans, que Risso

vend sa pharmacie à son ancien étudiant en pharmacie pour devenir naturaliste à plein temps.

L'ouvrage principal de Risso, l'Histoire naturelle en cinq volumes, paraît en 1826.

Dans les années qui suivirent la parution de son Histoire naturelle, Risso a continué à publier sur

des sujets variés. Il écrit sur les « nouveaux crustacés » (Risso 1827), les « nouveaux mollusques »

(Risso 1831). En 1832, Risso est chargé d'aménager la colline du château de la ville de Nice, qui

deviendra le Parc du Château, un ouvrage conçu pour être un atout touristique considérable (Pace

2018). Risso revient ensuite à ses travaux d'histoire naturelle, décrivant de nouvelles espèces de

poissons (Risso 1840a, b). Les dernières publications de Risso paraissent en 1844, année de sa mort.

Il s'agit d'une part d'un guide de Nice destiné aux visiteurs étrangers, comprenant une liste de la flore

et de la faune (Risso 1844a) et d'autre part d'un gros ouvrage de 586 pages et 24 planches en noir et

blanc, Flore de Nice des principales plantes exotiques naturalisées dans ses environs (Risso 1844b).

À la fin de l'ouvrage figure une page remplie d'une longue liste d'ouvrages en cours ou proposés.

Risso avait manifestement des projets pour l'avenir lorsqu'il mourut le 27 août, assez soudainement,

d'une maladie inconnue. Il est enterré dans le cimetière de la colline du château, le site qu'il avait

aménagé des années auparavant.

Jean-Gabriel Prêtre, l'artiste de l'Histoire naturelle de Risso

Nous disposons de peu d'informations sur la vie de Jean-Gabriel Prêtre. Il est né à Genève

(Suisse) en 1778, onze ans avant Risso. L'ouvrage le plus ancien que j'aie trouvé mentionnant Prêtre

se trouve dans la monographie botanique de 1804 de Palisot-Beauvois intitulée Flore d'Oware et de

Benin, en Afrique (Palisot-Beauvois 1804). Dans la préface, il est indiqué que M. Mirabel et Sophie

Luigné sont responsables des illustrations. Cependant, dans les corrections du premier volume

figure « après les derniers mots de la préface, ajouter - M. Prêtre, artiste de talent, et devenu

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aujourd'hui parmi les meilleurs, a succédé à M. Mirbel et à Mlle Luigné ; il est seul chargé des

illustrations. » [Ma traduction] Ainsi, en 1804, à l'âge de 26 ans, Prêtre est déjà reconnu comme un

illustrateur de talent. Bien qu'apparemment non pressenti, il fut l'artiste principal de l'ouvrage,

signant 35 des 59 planches. La dernière planche est à juste titre considérée comme remarquable

(voir fig. 2) et a été reproduite dans l'ouvrage de Lack A Garden of Eden : Masterpieces of

Botanical Illustration (Lack 2001).

Figure 2. Exemples des premiers travaux de Prêtre. Le panneau de gauche est tiré de la monographie

botanique de 1804 de Palisot-Beauvois intitulée Flore d'Oware et de Benin, en Afrique. Il figure dans

l'ouvrage de Lack A Garden of Eden : Masterpieces of Botanical Illustration (2001) de Lack. Le panneau de

droite est une illustration tirée de l'ouvrage de Vieillot de 1805 sur les oiseaux chanteurs. Prêtre sera un

illustrateur prolifique d'oiseaux.

La deuxième mention que j'ai trouvée de Prêtre est celle de Vieillot, dans la préface de sa

monographie de 1805 sur les oiseaux chanteurs des tropiques, qui indique que Prêtre, l'un des

peintres naturalistes les plus talentueux, a été chargé des illustrations en couleur (Vieillot 1805). Les

illustrations, au nombre de 72, sont saisissantes (voir fig. 2). Les planches de 1805 semblent être les

premières d'une longue série d'illustrations d'oiseaux réalisées par Prêtre, qui est aujourd'hui

considéré comme l'un des plus importants illustrateurs d'oiseaux (Roncil 1957).

La mention suivante de Prêtre se trouve dans un prospectus de George Cuvier (1816) pour son

Dictionnaire des sciences naturelles, indiquant que les planches de la Flore parisienne seront faites

par Turpin et par Prêtre « dessinateur de zoologie ». En réalité, Prêtre sera responsable, non pas de

la Flore parisienne, mais de centaines de planches représentant une grande variété d'animaux dans

les volumes d'illustrations publiés entre 1816 et 1830. Pour l'Histoire naturelle des quadrupèdesovipares

de Lacépède, publiée en 1819 et consacrée en grande partie aux poissons, Prêtre a réalisé

115 planches. Prêtre, l'illustrateur, est ensuite mentionné dans un prospectus de 1820 pour un autre

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grand ouvrage de référence en plusieurs volumes, Faune française (Anon. 1820). Cet ouvrage a été

publié en plusieurs fois de 1821 à 1828. Prêtre a illustré les invertébrés, les reptiles, les oiseaux, les

poissons et les crustacés dans les 220 planches de la Faune française.

Les planches de la Faune française de Prêtre présentent un intérêt particulier pour deux raisons.

Premièrement, parce que neuf de ces planches sont signées par Prêtre avec la mention « ad. nat.

viv. », ce qui indique qu'un organisme vivant a servi de modèle pour l'illustration (Stijnman 2012).

De tous les travaux de Prêtre que j'ai examinés, ces planches sont les seules que j'ai trouvées ainsi

notées. De plus, il s'agit d'invertébrés marins et de poissons, en principe des spécimens vivants ne

seraient pas disponibles pour un illustrateur basé à Paris. Malheureusement, l'identité des

organismes ne donne que peu d'indications sur l'endroit où Prêtre aurait pu les voir, car ils se

trouvent tous sur les côtes atlantique et méditerranéenne de la France.

La deuxième raison pour laquelle les planches de Prêtre sur la Faune française présentent un

intérêt particulier est que certaines d'entre elles ont été citées par Risso dans son Histoire naturelle,

ce qui indique que Risso possédait ou avait eu accès à des copies de la Faune française et qu'il

connaissait donc le travail de Prêtre. Il est tentant de supposer que Risso et Prêtre se connaissaient

depuis la visite de Risso à Paris en 1813. Cependant, le seul document qui relie les deux est la liste

des membres de la Société linnéenne de Paris de 1822 (Anon. 1822). Prêtre y figure parmi les

« Membres auditeurs » avec la mention « Prêtre (Jean Gabriel), dessinateur et peintre d'histoire

naturelle » et Risso parmi les « Correspondants étrangers » avec la mention « Risso (Antoine)

naturaliste à Nice » sous Piémont. Même s'ils se connaissaient, on ne sait pas si le choix de

l'illustrateur pour un ouvrage donné relevait au début du XIXe siècle de l'auteur ou de l'éditeur. Des

exemples d'illustrations de Prêtre dans la Faune française, dont deux planches « ad. nat. viv. », sont

présentés dans la figure 3.

Figure 3. Exemples d'illustrations de Prêtre tirées de la Faune française. Le panneau de gauche montre la

plume de mer (liée aux coraux). L'inscription de Prêtre indique que le modèle était un spécimen vivant. Le

panneau du milieu montre deux espèces de crabes. Le panneau de droite montre des poissons qui, selon

l'inscription, ont été peints à partir de spécimens vivants.

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Le travail de Prêtre sur l'Histoire naturelle de Risso de 1826, qui consiste en 44 planches

(discutées dans les sections suivantes), était probablement un projet relativement mineur comparé à

son travail précédent et à son travail ultérieur. Par exemple, dans le Dictionnaire d'Histoire naturelle

paru entre 1816 et 1830, Prêtre a réalisé plus de 650 planches. Prêtre a réalisé la moitié des plus de

500 planches illustrant des oiseaux dans le Nouveau recueil de planches coloriées d'oiseaux

(Temminck 1820-1839) en cinq volumes. Sur la page de titre, Prêtre et un autre illustrateur, Huet,

sont mentionnés comme « peintres du Muséum d'histoire naturelle ».

L'une des dernières publications comportant des illustrations de Prêtre est un article paru en 1843,

alors qu’il avait 75 ans, dans le Magasin de Zoologie. Prêtre a réalisé 7 planches illustrant de

nouvelles espèces d'oiseaux décrites par de Lafresnaye, dont une nommée par de Lafresnaye pour

Prêtre : Tanagra pretrei (de Lafresnaye 1843). Ainsi, l'une des dernières illustrations de Prêtre est

celle d'un oiseau qui porte son nom. Ce n'est pas la première espèce qui porte son nom. Temminck a

nommé un perroquet en l'honneur de Prêtre (Temminck 1838), Duméril & Bibron (1839) un lézard

vermiforme, Delattre et Lesson (1839) ont nommé un colibri en l'honneur de Prêtre. Mais aucun ne

l'avait fait avec un hommage comme celui de de Lafresnaye :

« Nous dédions cette charmante espèce au peintre bien connu dont le pinceau expert a rendu

depuis si longtemps déjà, et rend encore chaque jour, de grands services à la science naturelle par la

vérité et l'élégance de sa touche. »

Jean-Gabriel Prêtre mourut quelques années plus tard à l'âge de 81 ans.

Histoire Naturelle des Principales Productions de l'Europe Méridionale et Particulièrement

de Celles des Environs de Nice et des Alpes Maritimes

On présentera ici le contenu de l'Histoire naturelle de Risso et l'accueil qui lui a été réservé. Mais

d'abord, quelques questions techniques restées sans réponse seront passées en revue, à savoir 1) le

choix de l'éditeur, 2) l'origine de la structure en cinq volumes de l'ouvrage, 3) l'absence de citations

des planches dans les textes de Risso, 4) le choix de l'illustrateur, et 5) les dates réelles de parution

des volumes de l'Histoire naturelle.

Quelques questions sans réponse

L'Histoire naturelle a été publiée par F.-G. Levrault en 1826. Risso a 49 ans (fig. 5), c'est un

auteur chevronné puisqu'il a déjà écrit quatre livres. On ne sait pas pourquoi son œuvre majeure, en

cinq volumes, a été publiée avec F.-G. Levrault, avec qui il n'avait pas publié auparavant.

Curieusement, Risso n'a jamais publié deux fois chez le même éditeur, à l'exception de ses deux

derniers livres, publiés peu avant sa mort en 1844. La Flore de Nice et le Guide des étrangers à Nice

ont tous deux été publiés par la Société Typographique de Nice. Le premier livre de Risso,

Ichthyologie de Nice, a été publié par F. Schoell en 1810, le deuxième, son Essai sur l'Histoire

naturelle des orangers de 1813, a été publié par G. Dufour et Cie, le troisième sur les crustacés a été

publié en 1816 par La Librarie Grecque-Latine-Allemande, et le quatrième, son livre sur les

agrumes coécrit et illustré par Poiteau, a été publié par Audot de 1818 à 1822. Les quatre éditeurs

étaient basés à Paris, comme F.-G. Levrault, et ont produit de nombreux ouvrages d'histoire

naturelle. À ma connaissance, il n'existe pas de documents d'archives concernant les interactions de

Risso avec ses éditeurs qui pourraient expliquer son histoire éditoriale singulière.

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Figure 4. La page de titre du premier volume de l'Histoire naturelle de Risso, un portrait de Risso et la table

des matières des cinq volumes à partir du cinquième volume, tous datés de 1826.

La division de l'ouvrage de Risso en cinq volumes de 383 à 492 pages est peut-être due à des

contraintes de fabrication plutôt qu'à une conception spécifique de Risso. F.-G. Levrault a publié de

nombreux ouvrages en plusieurs volumes dont la longueur dépassait rarement 500 pages (par

exemple, l'Histoire naturelle des poissons de Cuvier & Valenciennes, 1828-1849). Le premier

volume contient les descriptions de Risso sur la géologie et la météorologie ainsi que la première

partie de son texte sur la vie des plantes, complétée par l'intégralité du second volume. Les textes

d'introduction de chaque volume ne présentent pas systématiquement le contenu du volume. Les

volumes n'ont pas de tables des matières individuelles ni d'index. Une seule table des matières

récapitulative pour les cinq volumes et un index plutôt inadéquat couvrant les cinq volumes figurent

à la fin du cinquième volume. Preuve de la nécessité d'index séparés, un index des genres de

mollusques décrits dans le quatrième volume sur les mollusques a été publié sous la forme d'une

brochure de 12 pages par Vignard (1830).

Une particularité de l'Histoire naturelle de Risso est que dans ses textes, aucune référence n'est

faite aux planches, contrairement à tous ses livres précédents : sur les poissons (Risso 1810), les

crustacés (Risso 1816) et les agrumes (Risso 1813, Risso & Poiteau 1818-1822). Ceci est d'autant

plus étrange que dans ses textes de l'Histoire naturelle, Risso cite fréquemment des illustrations

tirées de ses livres et articles précédents et des travaux d'autres personnes. Les planches du

deuxième volume ne sont pas introduites par une liste de planches. Dans les volumes trois, quatre et

cinq, une liste de planches donnant les noms des espèces figurées précède la section des planches

sans toutefois mentionner où, dans le texte, les espèces sont décrites. Il semble donc possible que

l'Histoire naturelle ait été à l'origine dépourvue d'illustrations et que les planches aient été ajoutées

par l'éditeur ou à sa demande. Comme nous l'avons déjà mentionné, on ne sait pas qui choisit

l'illustrateur pour un ouvrage donné. F.-G. Levrault est cependant l'éditeur de nombreux ouvrages

d'histoire naturelle illustrés par Prêtre, par exemple le Dictionnaire d'histoire naturelle de Cuvier

(1816-1830) comme le montre la fig. 3, le livre de Blainville sur les mollusques (Blainville 1825-

1827), les livres de Desmarest sur les crustacés (1825) et le livre de Duméril sur les insectes (1823).

Par conséquent, le choix de Prêtre comme illustrateur pourrait provenir de l'éditeur. Cependant,

comme nous l'avons vu plus haut, Risso connaissait le travail de Prêtre sur la Faune française

puisqu'il en a cité quelques illustrations dans son Histoire Naturelle.

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La date de parution de chacun des volumes de l'Histoire naturelle n'est pas claire non plus. Les

pages de titre des cinq volumes indiquent que l'année de publication est 1826. Cependant, la

première notice de l'Histoire naturelle est apparue dans le numéro de janvier 1927 du Bulletin des

sciences naturelles et de géologie (également publié par F.-G. Levrault), annonçant la parution du

volume 1 sur la géologie et du volume 4 sur les mollusques, et précisant que les volumes 2 (plantes)

et 3 (surtout des poissons) étaient sous presse (Anon. 1827a). Un compte rendu du volume 4, au

dernier trimestre 1927, dans la même revue (Férussac 1827), indique que les volumes 2 et 3 n'ont

toujours pas paru et ne mentionne pas le volume 5 (sur les crustacés et autres invertébrés). Dans la

revue de l'histoire de l'ichtyologie de Cuvier & Valenciennes dans le premier volume de leur

Histoire naturelle des poissons, le volume de Risso sur les poissons est décrit comme datant de 1827

(Cuvier & Valenciennes 1828) et certains chercheurs citent actuellement le contenu du volume 5 sur

les crustacés comme « Risso 1827 ». Cependant, les catalogues des bibliothèques répertorient

invariablement les cinq volumes comme des publications de 1826.

Premier volume

Le premier volume de l'Histoire naturelle commence par une dédicace de Risso à George

Hamilton-Gordon, 4e comte d'Aberdeen, pour son amitié, ses encouragements et ses conseils. Il

n'est pas fait mention de Risso dans la biographie en deux volumes de Hamilton-Gordon rédigée par

Balfour ; Nice n'est mentionnée qu'en passant, indiquant qu'il a passé les hivers 1825, 1826 et 1827

à Nice, avec sa plus jeune fille survivante, Alice, dans l'espoir d'améliorer sa santé (Balfour 1922).

La première moitié du premier volume, de 448 pages, est consacrée aux descriptions physiques de la

région, à la géographie, à la géologie et à la météorologie. On y trouve de longues listes de taxons

fossiles trouvés dans diverses formations géologiques, un historique de l'activité sismique et des

tableaux indiquant les températures minimales et maximales, ainsi que la pression barométrique

pour chaque mois au cours de nombreuses années d'observation. Risso avait apparemment déjà

envoyé des copies de ses tableaux météorologiques détaillés au célèbre explorateur Alexander von

Humboldt, qui se trouvait alors à Paris. Une lettre de Humboldt remerciant Risso et commentant les

tableaux a été incluse dans le volume. Il est assez étrange que Risso ait inclus cette lettre, car elle

invalide ses données météorologiques. Humboldt indique que les températures maximales devraient

être enregistrées à 14 heures, et non à 12 heures comme l'avait fait Risso, et que les mesures

barométriques de Risso semblent erronées ; Humboldt suggère à Risso d'étalonner son baromètre en

le comparant à ceux utilisés à Marseille.

La seconde moitié du premier volume marque le début de ses descriptions de la vie végétale de la

région, qui se poursuivent et constituent l'intégralité du second volume. Risso commence par une

description des pratiques agricoles de la région, suivie par des descriptions des agrumes cultivés

dans la région, tirées en grande partie de ses deux ouvrages sur les agrumes de Nice (Risso 1813,

Risso & Poiteau 1822). Parmi les nouveaux taxons décrits figure une variété d'agrume, Citrus

auatus gordonia, nommée non pas en l'honneur du comte d'Aberdeen, mais en l'honneur de Lady

Alicia Gordon, la sœur du comte, dont Risso avait remarqué qu'elle était une botaniste amateur

avertie. À la fin du premier volume se trouvent deux cartes en couleur montrant la répartition de

diverses formations géologiques dans la région, dont l'une est illustrée dans la figure 5. Comme les

planches des autres volumes, les cartes ne sont pas mentionnées dans le texte.

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Figure 5. Une des deux cartes incluses dans le premier volume de l'Histoire naturelle de Risso montrant la

répartition des différents types de sols et de formations géologiques dans la région.

Deuxième volume

Le deuxième volume de l'Histoire naturelle est entièrement consacré à la flore de la région de

Nice. Risso y traite en profondeur des formes cultivées, indigènes ou non, et, dans une bien moindre

mesure, de la flore indigène inexploitée. L'ouvrage est dominé par la description des nombreuses

variétés d'olives (40 types), de figues (72 types) et de raisins (99 types). En tant qu'ancien

pharmacien, il décrit également les plantes médicinales. Le texte du volume se termine par un

catalogue complet de 87 pages de toutes les plantes de la région, y compris les espèces d'algues. Le

catalogue ne contient aucune référence au texte de Risso dans le volume ou au texte sur les plantes

dans le premier volume. À la fin du premier volume, sans liste d'illustrations, se trouvent huit

planches non numérotées. Six de ces planches sont signées par Jean-Gabriel Prêtre et deux par

Pierre Jean François Turpin, illustrateur botanique réputé et botaniste à part entière, formé par

Poiteau (Boisard 1848), co-auteur de la monographie illustrée des agrumes de Risso.

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Figure 6. Deux des six planches non numérotées du deuxième volume. Le panneau de gauche montre la

variété d'oranger que Risso a nommée en l'honneur de Lady Alicia Gordon et le panneau de droite, le

figuier. Le graveur des six planches de Prêtre était Jean Dominique Etienne Canu. La taille réelle du

rectangle entourant les figures est de 16,5 x 10 cm.

Troisième volume

Le troisième volume de l'Histoire naturelle contient, selon les termes de Risso, « ...le résultat de

mes nombreuses observations sur les animaux de la première branche de la zoologie, principalement

sur les poissons et les oiseaux ». En réalité, le troisième volume est largement consacré aux

poissons, occupant 376 pages sur 480 pages de texte. Pour les mammifères, les oiseaux et les

reptiles, on ne trouve guère plus que des listes d'espèces. En revanche, pour les espèces de poissons,

une classification est fournie et des descriptions détaillées sont données avec des notes sur les

habitats, les méthodes de pêche, la saisonnalité, etc. Le texte général sur les méthodes de pêche

s'inspire largement de l'ouvrage de Risso de 1810. Les espèces de poissons de Risso (regroupant

tous les groupes aujourd'hui reconnus comme distincts : poissons osseux, requins, raies, etc.) sont au

nombre de 382, dont 157 sont décrites comme de nouvelles espèces. Les descriptions anatomiques

sèches sont parfois entrecoupées de « Remarques », souvent tout à fait remarquables, qui donnent

des détails sur l'histoire de la vie ou les habitudes ou, comme dans l'exemple ci-dessous, une

description enthousiaste des couleurs d'un poisson (Gymnetrus longiradiatus, illustré dans la fig. 7,

le poisson au centre de la planche de gauche étant la fig. 43 de Risso) :

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« Ces gymnastes sont les poissons de notre mer sur lesquels la nature a répandu ses trésors avec

la plus grande profusion. Des nuances élégantes et variées, des reflets agréables et brillants, l'éclat

des bijoux les plus éblouissants, sont les riches couleurs dont elle a orné leurs corps élancés. Cette

magnifique parure, nuancée par l'ambre noir et l'opale de leurs taches, où l'azur et l'améthyste se

reflètent dans mille directions, jointe au pourpre, au rose et au rubis des nageoires, forme un

ensemble de couleurs si étincelantes, qu'il est impossible de les décrire. Ils s'approchent de nos côtes

quand la mer est calme et tranquille ; ils nagent en agitant doucement leur corps, s'abaissent,

s'élèvent, se courbent, se retournent de mille manières, et par les différents reflets des couleurs qu'ils

font jaillir à chaque ondulation, ils produisent aux yeux de l'observateur d'éblouissants effets de

lumière. »

Le volume comprend 16 planches, toutes réalisées par Prêtre. Les planches sont précédées d'une

liste d'illustrations donnant les noms des 50 espèces représentées, nécessaires car les planches

étaient dépourvues de légendes. Les noms latins et les noms communs sont indiqués. Comme

mentionné plus haut, dans les volumes de Risso, les listes d'espèces figurées étaient dépourvues de

références aux textes correspondants, et les volumes étaient dépourvus d'index, de sorte que la

localisation du texte de Risso concernant une espèce représentée était problématique. La plupart des

planches présentaient plus d'une espèce.

Curieusement, les espèces représentées sur les planches ne sont pas présentées dans le même

ordre que celui dans lequel elles sont décrites dans le texte. Par exemple, les espèces représentées

dans la dernière planche sont décrites dans différentes sections du texte. Six graveurs différents ont

travaillé sur les planches de poissons : M. Giraud, Adélaïde Calais, Louviers, Sophie Plée, Victoire

Plée et Rousseau.

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Figure 7. Les deux dernières planches du volume 3. Le panneau de gauche, planche 15, montre

Syngnathus phlegon (fig. 41), Blennius erythrocephalus (fig. 42), Gymnetrus longiradiatus, dont les

couleurs ont été décrites avec enthousiasme par Risso (fig. 43), Blennius graphicus (fig. 44), et Syphius

annulatus (fig. 40). Le panneau de droite, planche 16, montre Trigla microlepidota (fig. 46), Lotta elongata,

(fig. 47), Sphagebranchus ocellatus, (fig. 48), Crenilabrus arcuatus (fig. 49), Clinus viridus, un nom qui ne

figure pas dans le texte et qui semble être l'espèce décrite dans le texte sous le nom de Clinus virescens.

La taille réelle du rectangle entourant les figures est de 16,5 x 10 cm. Il est à noter que les planches ont été

gravées par des graveurs différents.

Quatrième volume

L'introduction de Risso à son quatrième volume commence par une longue citation de George

Cuvier, en 1807, qui ouvre son mémoire sur les crocodiles. Cuvier y affirme que la détermination

des espèces est le fondement de tout travail solide d'histoire naturelle :

« La détermination précise des espèces et de leurs caractères distinctifs forme la première base

sur laquelle doivent reposer toutes les recherches d'histoire naturelle. Les observations les plus

curieuses, les vues les plus nouvelles, perdent presque tout leur mérite lorsqu'elles sont dépourvues

de cet appui ; et malgré l'aridité de ce genre de travaux, c'est par là que doivent commencer tous

ceux qui veulent arriver à des résultats solides. »

Il y a une certaine ironie à commencer le volume sur les mollusques par une citation soulignant la

nécessité d'une détermination précise des espèces. Le volume de Risso sur les mollusques, parmi les

cinq volumes, recevra les critiques les plus acerbes (détaillées dans les sections suivantes),

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précisément à cause de ses descriptions d'espèces, donnant plusieurs noms à la même espèce et de

nouveaux noms à des espèces déjà décrites. Risso déclare alors dans le volume qu'il ose présenter

une vue de l'histoire naturelle des mollusques de la région du Midi basée sur ses observations de

spécimens vivants et de leurs restes pendant de nombreuses années. Dans le quatrième volume,

Risso a répertorié plus de 1000 espèces de mollusques, dont des centaines qu'il a décrites comme

étant de nouvelles espèces. Le texte de Risso comprend relativement peu de « Remarques » donnant

des notes d'histoire naturelle par rapport à ses textes sur les poissons et les crustacés, ce qui rend le

texte plutôt sec. Le volume sur les mollusques comprenait également des descriptions de 82 espèces

de vers, dont on sait aujourd'hui qu'elles appartiennent à des lignées distinctes, mais qui étaient

regroupées à l'époque. En fin de volume, les 16 planches, toutes signées par Prêtre, sont précédées

d'une liste des 177 figures contenues dans les planches, donnant pour chacune les binômes latins et

les noms en français ou noms communs. Les graveurs des planches de mollusques étaient des

membres de la famille Plée : Plée, fils ainé, Plée père et F. fils, Plée père. Comme Sophie et Victoire

Plée ont gravé une partie des planches de poissons, les Plée semblent avoir été une famille de

graveurs de talent !

Figure 8. Les deux premières des 12 planches contiennent des illustrations d'environ 170 espèces de

mollusques. Le panneau de gauche, planche 1, montre diverses espèces de nudibranches. Le panneau de

droite, planche 2, montre des nudibranches (fig. 11, 15), des gastéropodes (fig. 12, 13), un ptéropode (fig.

14) et un « ver-escargot » représenté incrusté dans un rocher (fig. 16), sa coquille (fig. 18) et l'animal sans

sa coquille (fig. 17). La taille réelle du rectangle entourant les figures est de 16,5 x 10 cm.

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Cinquième volume

Le dernier volume commence par une longue « note préliminaire » consacrée principalement à la

présentation des crustacés de la région, ce qui donne l'impression que l'essentiel du volume est

consacré aux crustacés. En réalité, les crustacés représentent environ la moitié des pages de texte et

cinq des dix planches. Risso décrit 200 espèces de crustacés, dont 76 espèces qu'il qualifie de

nouvelles. D'autres groupes d'invertébrés, aquatiques et terrestres, représentent le reste. Il s'agit des

araignées, des insectes, des échinodermes, des vers de toutes sortes, des méduses et des coraux. Il a

cependant réservé aux crustacés toutes ses « Remarques » sur l'histoire naturelle d'un animal en

commentant des aspects particuliers d'une espèce comme l'exemple ci-dessous décrivant le

comportement d'un crabe.

« C'est un des décapodes qui permet à un observateur patient d'étudier avec le plus de précision

les mœurs de ces animaux. Faibles et timides, ils cessent leurs courses, leurs jeux ou leurs combats,

dès qu'ils sentent le moindre danger : ils cessent de fixer l'objet de leur crainte, et s'empressent de se

rassurer et de reprendre leurs exercices s'ils ne sont pas inquiétés, sinon, ils s'enfuient avec rapidité

au moindre mouvement que l'on fait pour les saisir. Il est vraiment digne de la curiosité d'un

naturaliste d'étudier les stratégies que cet animal utilise pour échapper à son ennemi, lorsqu'il est

poursuivi dans une de ces lignes d'eau séparées de la mer, telles qu'on les trouve sur nos côtes : il

semble calculer ses pas, il court dans une direction, revient ou s'arrête, et s'il trouve quelque

anfractuosité du rocher pour se placer, il menace de ses griffes, et ne s'enfuit que lorsqu'il est assuré

d'échapper au danger. Il abandonne sa demeure aquatique plusieurs fois par jour pour se promener

au soleil. Il rôde la nuit à la recherche des cadavres rejetés par les vagues. »

À la fin du cinquième volume se trouvent la table des matières des cinq volumes et l'index des

cinq volumes, suivis des légendes des 10 planches représentant 62 figures, toutes gravées par V.

Plée fils. Les cinq premières planches montrent des crustacés et les cinq dernières une grande

variété d'invertébrés, tous marins (voir fig. 9).

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Figure 9. Planches 3 et 7 du volume 5 de l'Histoire Naturelle. La planche de gauche montre les crustacés

décapodes Stenopus spinosus (fig. 8) et Chrysoma mediterranea (fig. 9), et l'amphipode Phrosina

semilunata vu de dessus (fig. 10), la tête vue de dessous (fig. 11) et vue de dessous (fig. 12). La planche

de droite montre les coquilles des espèces d'échinodermes (oursins) Scutella pyramidalis (fig. 35),

Spatangus stellatus (fig. 36), Ananchites stella (fig. 39), Spatangus chloriteus (fig. 40) et la méduse

Equorea rissoana (fig. 37 et fig. 38), trouvée par Péron et Lesueur à Nice et nommée en l'honneur de Risso

(Péron & Lesueur 1809). La taille réelle du rectangle entourant les figures est de 16,5 x 10 cm.

La réception de l'Histoire naturelle de Risso au XIXe siècle

Comme nous l'avons vu plus haut, la première et brève critique (environ une demi-page) de

l'Histoire naturelle de Risso est parue dans le Bulletin des sciences naturelles et de géologie sous la

forme d'une note anonyme (Anon. 1827a). Bien qu'elle ne soit pas signée, elle provient

probablement d'A.E. Férussac, rédacteur en chef du journal et l'un des plus grands spécialistes des

mollusques de l'époque. Dans la brève note, concernant le volume quatre sur les mollusques, les

lecteurs sont avertis que la taxonomie de Risso n'est pas digne de confiance :

« Un premier coup d'œil sur ce volume, et la connaissance d'une partie du manuscrit et des

dessins que M. Risso nous avait montrés auparavant nous amènent à suggérer que cet ouvrage doit

être utilisé avec une grande prudence. L'auteur a créé, sans raison, un enchevêtrement de noms

géographiques et spécifiques ; certaines de ces nouvelles dénominations génériques ont été

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empruntées au Dr Leach, sans qu'il en soit fait mention : la synonymie des espèces est absente ou

très peu mentionnée. »

La seconde critique de Férussac, détaillée et signée (Férussac 1827), a également été publiée dans

le Bulletin des Sciences Naturelles et de Géologie. Elle était relativement longue (plus de 6 pages) et

très critique, affirmant que les descriptions textuelles des nouveaux taxons étaient inadéquates et

que presque toutes manquaient de figures. Il est important de noter que les synonymes des espèces

répertoriées provenant d'études antérieures sont totalement absents. Dans l'ensemble, Férussac juge

le volume sur les mollusques catastrophiquement défectueux et reproche même à Risso d'avoir

refusé son offre d'aide pour le manuscrit :

« Nous nous arrêtons ici ; il nous est impossible d'aller plus loin ; notre article dépasserait les

bornes convenables. Pour tous les ordres on trouve, dans cet ouvrage, un grand nombre de

dénominations nouvelles de genres et d'espèces, nouveautés que les choses connues et débaptisées

font fortement soupçonner d'être établies très à la légère, et les découvertes sont semées dans ce

livre comme la pluie et le beau temps dans un Almanach. Un tel ouvrage est une véritable calamité

pour les naturalistes, et fait grand tort à la science.

.... M. Risso est d'autant moins excusable que nous avions mis à sa disposition notre collection et

notre bibliothèque, et que nous lui avions offert de revoir avec lui son manuscrit, aide dont il n'a pas

cru devoir profiter. »

Une troisième critique du volume sur les mollusques de Risso fut publiée dans le Zoological

Journal en décembre 1827 (Anon. 1827b.). Bien que nettement moins critique, elle souligne

également que de nombreux nouveaux taxons ont été établis sur la base de différences infimes avec

des taxons connus. Il conclut en déclarant que la promesse faite par Risso d'envoyer tous ses

spécimens au Muséum national d'histoire naturelle mettra sûrement fin à une partie de la confusion

apparente des taxons dans son texte. Il est à noter que Risso n'a jamais envoyé de spécimens de

mollusques au Muséum, peut-être en raison des critiques qu'il a reçues ?

Une critique anonyme des volumes trois (essentiellement des poissons) et cinq (crustacés et

autres invertébrés) est parue dans le Zoological Journal en avril 1828 (Anon. 1828). Les deux

volumes de Risso y sont décrits de manière très favorable. Ce n'est que dans les dernières phrases

que l'on trouve une plainte mineure concernant la création peut-être inutile de nouveaux taxons :

« Profitant avec le plus grand zèle des occasions offertes par sa situation privilégiée de faire

intimement connaissance avec la nature dans ses productions infiniment variées, il n'a pas limité son

ambition à la simple possession de spécimens, mais a cherché à communiquer à d'autres les

connaissances qu'il a lui-même acquises en les contemplant. Si, ce faisant, il s'est parfois trompé,

notamment en subdivisant trop minutieusement les espèces et les genres, cette erreur, bien qu'elle

doive être déplorée par tous ceux qui souhaitent le progrès des connaissances zoologiques, ne peut

en aucun cas être mise en concurrence avec le bien qu'il a réalisé grâce à cette publication vraiment

précieuse ».

La critique suivante publiée concerne le troisième volume de Risso, qui porte principalement sur

les poissons et paraît à la mi-1828 dans le Bulletin des Sciences Naturelles et de Géologie de Luroth

(1828). Il évoque lui aussi l'omission par Risso de synonymes existants lorsqu'il renomme des

espèces. Cependant, Luroth qualifie ces omissions de fautes légères.

Un compte rendu de la partie géologique du premier volume est publié en janvier 1829, toujours

dans le Bulletin des Sciences Naturelles et de Géologie (Boué 1829). L'article est très critique,

exigeant des preuves des affirmations de Risso et conclut en décrivant l'ouvrage comme une simple

esquisse imparfaite.

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Des décennies plus tard, Risso subit une attaque étonnamment forte de la part d'un malacologiste

renommé, Jules René Bourguignat (1829-1892), dont la spécialité était les mollusques d'eau douce

et les mollusques terrestres. Il a publié en 1861 une étude des synonymes dans le volume de Risso

sur les mollusques, Étude synonymique sur les mollusques des Alpes Maritimes publiés par A. Risso

en 1826. Bourguignat décrit ainsi Risso et ses ouvrages :

« Parmi les faux naturalistes, parmi les ouvrages de basse érudition scientifique, il faut placer

Risso et y conserver ses œuvres. Écrivain fécond, mais sans jugement, novateur infatigable, mais

absurde, Risso a embrassé dans ses écrits presque toutes les branches de l'histoire naturelle, sans en

avoir bien traité une seule. Tristes produits d'une imagination vive mais désordonnée, ses ouvrages

sont les enfants d'une « ménagère folle » à laquelle n'ont présidé ni le discernement ni le jugement ;

la détestable classification de ses familles, le faux classement des genres, non moins que

l'inexactitude des synonymes, l'appréciation erronée des caractères, sont autant de preuves qui

démontrent que, dans ses écrits, tout est faux, tout est erreur. »

Le venin de Bourguignat à l'égard d'un ouvrage publié quelque 35 ans plus tôt, par un auteur

décédé depuis 16 ans, est surprenant. La caractérisation de l'ouvrage de Risso par Bourguignat est

d'autant plus surprenante que dans ses travaux ultérieurs, il cite effectivement le volume de Risso

sur les mollusques (e.g. Bourguignat 1862, 1864, 1877). Eugène Caziot, écrivant bien des années

plus tard, était beaucoup moins critique à l'égard du travail de Risso sur les mollusques, remarquant

simplement que certaines formes avaient apparemment reçu plus d'un nom (Caziot 1910, Caziot et

Dall 1910). Caziot suppose qu'une partie de la rancœur de Bourguignat pourrait être due au fait

qu'au moment où il a examiné la collection de coquillages de Risso, celle-ci était devenue frustrante

et inutile, car ses héritiers avaient gravement maltraité la collection, de nombreux spécimens étant

manquants, mal étiquetés ou cassés.

Aucune des critiques de l'Histoire naturelle de Risso ne contient de commentaires sur la qualité

des planches, mais seulement sur le fait que toutes les espèces décrites comme nouvelles n'ont pas

été incluses. Il est possible que les exemplaires que les critiques ont vus étaient tous de l'édition avec

des planches en noir et blanc. Un ouvrage relativement récent a pris Risso pour l'artiste et l'a qualifié

d'artiste exceptionnel (Damkaer 2002). Dans l'ensemble, il semble que les contributions de Prêtre à

l'Histoire naturelle de Risso aient été complètement négligées.

L'Histoire naturelle de Risso aujourd'hui

Dans la science contemporaine, pour le meilleur ou pour le pire, la monnaie utilisée pour estimer

la valeur d'un travail donné est le nombre de citations de ce travail par d'autres chercheurs dans leurs

publications. Dans l'introduction, il a été fait mention du nombre impressionnant de citations de

l'Histoire naturelle de Risso par rapport à d'autres ouvrages publiés en 1826. Il s'agit d'une approche

valable pour juger l'œuvre de Risso par rapport à d'autres de la même époque. Cependant, elle ne

donne aucune indication sur l'usage qui est fait aujourd'hui de l'Histoire naturelle de Risso. Pour

cela, il faut prendre en compte les citations récentes. Le graphique ci-dessous montre le nombre de

citations, par volume et pour l'ensemble des cinq volumes, pour chaque année depuis 2018.

L'Histoire naturelle de Risso, vieille de près de 200 ans, est toujours régulièrement citée. Il est

intéressant de noter que le volume sur les mollusques, qui a reçu une attention si négative au XIXe

siècle, est bien cité au XXIe siècle. Et ce, bien que les classifications et les descriptions des

mollusques de Risso continuent d'être dénigrées (par exemple, Spada & Bella 2010). Le groupe

auquel Risso a accordé le plus d'attention (en termes de nombre de pages), la vie végétale, semble

avoir reçu le moins d'attention ces dernières années. Comme indiqué précédemment, la plupart des

citations concernent des occurrences d'espèces, des habitats ou la description originale d'une espèce.

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Figure 10. Données relatives aux citations de l'Histoire naturelle de Risso, par volume et regroupées pour

les cinq volumes, au cours des cinq dernières années. Il est à noter que les volumes les plus souvent cités

sont le volume 4 sur les mollusques et le volume 5 sur les crustacés et autres invertébrés. Près de 200 ans

après sa publication, l'ouvrage est toujours régulièrement cité.

Conclusion

L'Histoire naturelle d'Antoine Risso est encore utilisée aujourd'hui par les membres de la

communauté scientifique (comme le montre clairement ce qui précède), défiant les critiques qui

l'ont qualifiée de « véritable calamité » ou de « faussetés et erreurs ». Par ailleurs, les travaux de

Risso ont indéniablement attiré l'attention sur Nice et surtout sur la « mer de Nice ». Presque toutes

ses publications contiennent le mot « Nice » dans leur titre. L'une de ses dernières publications était

un Guide de Nice avec une liste d'espèces à explorer (Risso 1844b). Il a aidé de nombreux

voyageurs à se rendre dans la région et a ainsi été un guide pionnier du tourisme scientifique, rôle

qui sera plus tard assumé par son successeur Jean-Baptiste Vérany, un autre pharmacien devenu

naturaliste et fondateur du Muséum d'histoire naturelle de Nice. Vérany, en son temps, aidera, par

exemple, Carl Vogt et Ernst Haeckel dont les travaux consolideront la réputation de la région parmi

les naturalistes en tant que destination de grand intérêt (Dolan 2022).

L'Histoire naturelle de Risso mérite également l'attention pour les passages épars, les

« remarques », qui décrivent les particularités des plantes et des animaux – leurs utilisations à

l'époque, leurs goûts, et des détails bizarres sur les organismes. Son texte donne un aperçu précieux

de la vie dans la région au début du XIXe siècle et permet d'apprécier le savoir des Niçois, en

particulier des pêcheurs. J'espère que cet essai donnera à certains l'envie de se promener dans

l'Histoire naturelle de Risso et d'apprécier les merveilleuses œuvres d'art de Jean-Gabriel Prêtre, des

graveurs et des coloristes anonymes qui ont réalisé les planches.

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L’histoire de la Terre en vers libres : traduction inédite

et commentaire d’un extrait du poème Sacred Sites

par Susan Suntree

The history of Earth in free verse: a French translation and discussion of

an excerpt from the poem Sacred Sites by Susan Suntree

Victor Monnin 1

1 Chercheur associé, Archives Henri-Poincaré, Strasbourg, France

RÉSUMÉ. Cet article présente une traduction inédite d’un extrait du poème Sacred Sites. The Secret History of

Southern California composé par l’écrivaine et poète américaine Susan Suntree. Cette traduction est saisie comme

une opportunité de discuter des avantages du vers libre pour non seulement raconter l’histoire de la Terre et du vivant,

mais aussi cultiver chez le public une sensibilité plus accrue au temps. Cet article contribue ainsi à la réflexion sur le

rôle des formes et techniques artistiques dans l’étude des temps géologiques, ou deep time. Commentant l’extrait

traduit de Sacred Sites, il explique comment le vers libre constitue une forme poétique permettant simultanément de

mettre en forme l’historicité de la Terre et d’exprimer quelque chose des conditions singulières dans lesquelles se

trouvent ceux qui étudient cette historicité. Le potentiel éducatif et expressif du vers libre et d’autres formes poétiques

pour partager le savoir et les perspectives géologiques doit être sérieusement examiné compte tenu de l’urgence de la

crise environnementale.

ABSTRACT. This article presents a French translation of an excerpt from Sacred Sites. The Secret History of

Southern California, a poem by American writer and poet Susan Suntree. This translation is seen as an opportunity to

discuss the advantages afforded by the free verse form to not only narrate the history of Earth and life but also

cultivate among the public a deeper awareness about time. This article contributes therefore to the literature on the

role played by artistic forms and technics in the study of the geological past or deep time. Commenting on the

translated excerpt from Sacred Sites, it argues that the free verse form represents a poetic medium suitable to

simultaneously give shape to the historicity of Earth and share something of the unique conditions in which this

historicity is being studied. The educational and expressive potential of free verse and other poetic forms to share

geological knowledge and perspectives should seriously be considered in view of today’s environmental crisis.

MOTS-CLÉS. poésie, vers libre, géologie, paléontologie, deep time.

KEYWORDS. poetry, free verse, geology, paleontology, deep time.

Introduction

L‟étude scientifique de l‟histoire de la Terre et du vivant entretient depuis longtemps une étroite

relation avec les arts visuels et littéraires. Défiant autant l‟imagination que la raison, la profondeur

des temps géologiques requiert de ceux qui la sondent une créativité sans cesse renouvelée, afin

d‟identifier et interpréter les traces dispersées, à demi-effacées et déformées des évènements et êtres

qui façonnèrent la planète sur laquelle nous vivons. Le développement des sciences géologiques et

paléontologiques s‟accompagne ainsi de nouvelles techniques visuelles et littéraires destinées à

circonscrire une durée sans commune mesure et à donner forme à des êtres et paysages dont

personne ne pourra jamais témoigner. Le défi de rendre visible ce passé immense et sans témoin

explique le recours constant aux arts visuels et littéraires pour produire des visions unifiées et

convaincantes.

Beaucoup de choses ont été écrites au sujet du rôle historique des arts visuels dans les sciences

géologiques et paléontologiques. Écrivant sur les interprétations de traces fossiles à la Renaissance,

Andrea Baucon a fait remarquer que celles-ci consistaient en un exercice d‟appréciation esthétique

passant alors systématiquement par la reproduction graphique (Baucon, 2010, p. 9). Paula Findlen a

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montré comment le dessin et le trait en pointillé étaient utilisés, dès la seconde moitié du XVII e

siècle, pour spéculer sur la forme complète de fossiles fragmentés (Findlen, 2018). Dans un article

influent, Martin Rudwick s‟est attelé à retracer l‟émergence d‟un « langage visuel » propre aux

sciences géologiques entre la fin du XVIII e et le début du XIX e siècles (Rudwick, 1976). Enfin, des

publications récentes sur l‟histoire du paléoart, la reconstruction artistique d‟espèces éteintes basée

sur des données scientifiques, continuent de faire la lumière sur la part des pratiques artistiques dans

la culture paléontologique (Lescaze, 2017 ; Witton et Michel, 2022).

En ce qui concerne l‟apport des arts littéraires, John McPhee a élégamment mis en évidence

l‟omniprésence des métaphores dans le langage géologique. Selon lui, la géologie se manifeste

moins comme une science descriptive que comme une « fontaine de métaphores » (McPhee, 2000).

Fontaine à laquelle il a lui-même contribué en forgeant l‟expression, désormais fameuse, de « deep

time » pour parler de l‟impression de vertige causée par l‟incommensurabilité des durées

géologiques. Pour sa part, Richard Fallon a élucidé le rôle de la littérature fictive et populaire dans

le transfert d‟idées sur les dinosaures entre les contextes britannique et nord-américain au tournant

du XX e siècle (Fallon, 2021). Plus récemment encore, Noah Heringman a mis en avant les origines

poétiques et littéraires du concept de temps géologique (Heringman, 2023).

Ces travaux témoignent des diverses façons dont les arts visuels et littéraires n‟ont cessé

d‟accompagner l‟étude de l‟histoire de la Terre. Ils examinent les opportunités que certaines formes

et pratiques artistiques ont données à la recherche de mieux saisir ses objets, poser de nouvelles

questions et communiquer. Cet article contribue à l‟exploration de l‟interface entre les sciences de

l‟histoire de la Terre et les formes littéraires. Plus précisément, il s‟intéresse à la forme poétique du

vers libre. Se distinguant des vers traditionnels et irréguliers, le vers libre est un genre poétique qui

ne se plie pas aux règles établies de versification. Cependant, puisqu‟il conserve certaines

caractéristiques fondamentales du vers, tel que l‟alinéa, le vers libre ne s‟identifie ni à la prose

poétique, qui n‟adopte pas la forme versifiée, ni au calligramme, où les vers s‟organisent en un

dessin.

Cet article offre quelques commentaires sur une traduction inédite d‟un extrait du poème en vers

libres Sacred Sites. The Secret History of Southern California par l‟écrivaine américaine Susan

Suntree. Dans ce poème divisé en deux livres, Suntree raconte l‟histoire de la Californie du Sud,

d‟une part, telle que reconstruite par l‟entreprise scientifique et, d‟autre part, telle que transmise par

les nombreux mythes et légendes des communautés indigènes. Rassemblant ces deux rapports au

passé d‟une même région, ce poème médite le futur de la Californie du Sud et de sa population

multiculturelle. Malgré l‟importance de la dimension engagée de ce poème, le commentaire qui suit

la traduction se concentre sur la question de la mise en forme de l‟historicité de la Terre et de

l‟expression des conditions dans lesquelles cette historicité est éprouvée par ceux qui l‟étudient.

Traduction d’un extrait de Sacred Sites

Le texte suivant est une traduction inédite d‟un extrait issu de la quatrième partie du premier livre

de Sacred Sites. Intitulée « Reptiles, fleurs, mammifères, rivières », cette partie raconte l‟histoire de

la Californie du Sud, de l‟apparition des premiers dinosaures, il y a 230 millions d‟années, à la fin

de l‟Oligocène, il y a 25 millions d‟années. Le passage traduit fait le récit de la période entre la fin

du Jurassique, il y a 165 millions d‟années, et l‟extinction massive qui eut lieu il y a 65 millions

d‟années à la fin du Crétacé.

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TRADUCTION 1

IL Y A 165 MILLIONS D‟ANNEES

Le Jurassique L‟ère des dinosaures.

Ici :

Le désert du Mojave est une plage.

Los Angeles est sous les eaux

au seuil du continent

C‟est une vie de marécage boueux dans des mers chaudes et peu profondes :

palourdes, escargots, oursins,

cauris, dollars des sables, nautiles

étoiles de mer, pétoncles, moules

calamars et huitres

crevettes et crabes

un appétissant panier de vie !

Ça grouille d‟ammonites,

coquilles torsadées et compartimentées allant d‟un pouce à six pieds de long

qui chassent avec leurs longs tentacules

nagent, se nourrissent et meurent dans les mers de la Californie du Sud.

Leurs coquilles riches en calcium s‟entassent pour former de la roche calcaire

(minée pour mélanger du ciment

pour construire les trottoirs et

l‟enveloppe des bâtiments de

nos villes)

Les corps de grands et petits animaux marins

et de vertes et denses plantes de marécage

meurent, pourrissent, se déposent au fond de la boue marine

recouverts et compressés, compressés et chauffés

couche après couche de boue et de poussière à des milliers de pieds de profondeur

chauffés et durcis

jusqu‟à former une pierre gris-noir stratifiée (qu‟on appelle

l‟ardoise de Santa Monica).

Un véloce plésiosaure de cinquante pieds de long, une petite tête sur un cou de serpent de mer,

pagaye le long du littoral

Des lézards marins de trente pieds de long avec de petites nageoires : des mosasaures

cous épais, grandes mâchoires, corps larges

se pavanent et serpentent le long de la côte

dans les mers de la Californie du Sud.

(On trouve leurs ossements près de Fresno.

Leurs cousins, les lézards des palissades,

prennent des bains de soleil dans nos jardins.)

1 Suntree, 2010, p. 53-60.

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IL Y A 136 MILLIONS D‟ANNEES

La plaque Farallon, une plaque océanique

(où nous reconnaissons l‟océan Pacifique)

s‟avance vers le nord-est

plus loin, plus profondément sous l‟Amérique du Nord

explosant plus de magma qui se distille en granite

qui se heurte contre les dures couches grises

de l‟ardoise de Santa Monica.

Granite et ardoise : le socle de ce qu‟un jour nous appellerons

les monts Santa Monica.

(On voit ces sombres nervures d‟ardoise saillir

aux sommets des montagnes.)

Quelque part dans les denses forêts du monde, les mammifères s‟arrêtent de pondre des œufs

et abritent de fragiles nouveau-nés dans un repli du ventre : marsupium

ou dans le ventre : utérus

Les bébés mammifères se font de grosses joues alors que

la lèche cède la place à la tétée

des seins.

Des rêves se forment dans les esprits des mammifères endormis.

IL Y A 100 MILLIONS D‟ANNEES

Pendant trente millions d‟années, des plantes abandonnent au vent leur pollen fertilisant

ou recouvrent les pattes d‟insectes butineurs qui,

venus boire leur nectar sucré et nutritif,

transportent le trésor doré d‟une plante à l‟autre.

Ils signent un pacte au fondement de leur vie :

plante + insecte = vie.

Puis, un jour, quelque part dans l‟étendue verte du monde

dans un pré ou une forêt tropicale

par mutation (ou mystère) : les premiers minuscules pétales

non pas verts

mais rouges, jaunes, bleus, roses

une éclatante aire d‟atterrissage pour les insectes

et les premières abeilles, papillons, guêpes

et, bientôt, les oiseaux.

Les mammifères, chassant les insectes, découvrent des fruits, des noix, des graines.

Des dinosaures broient des feuilles, des fleurs et leurs fruits pleins de graines

et alors qu‟ils marchent d‟un pas lourd tout en digérant,

crottent des graines en chemin.

Un dinosaure végétarien à bec de canard

(notre hadrosaure local)

trente pieds de long

seize pieds de haut

un long museau plat

surmonté d‟une crête osseuse creuse pour trompeter à ses congénères

et des centaines et centaines de dents

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dévore des fougères, des arbustes, des branches de pin et des fleurs fraîches

migre vers le nord sur ses grosses jambes de derrière,

traqué par un tyrannosaure affamé,

pour s‟occuper de ses petits dans des nids confortables

et descend au sud pour mourir près de San Diego

sur une plaine côtière

(qui s‟élèvera un jour pour donner naissance aux monts Santa Ana).

Les continents verts sont maintenant fleuris.

L‟Amérique du Nord : éblouissante et bourdonnante !

IL Y A 80 MILLIONS D‟ANNEES

Dans les eaux froides

de la Californie du Sud

des requins longent la côte.

Des ammonites de cent livres avec des coquilles de deux pieds de large

se reposent le long du littoral au milieu des escargots et des palourdes.

Des foraminifères unicellulaires, à l‟abri dans leurs minuscules coquilles

tels de touts petits secrets, s‟ébattent près de la côte.

S‟avançant soudainement vers le nord-est plus vite qu‟elle ne coule

aplatissant l‟angle de son glissement sous l‟Amérique du Nord

la plaque Farallon

fait jaillir d‟impressionnantes quantités de magma

au cœur des anciennes roches vingt-cinq kilomètres sous terre

où s‟élèveront plus tard

les monts Waterman, Wilson, Josephine

distillant le granite du mont Josephine

(le profil finement granulé, rayonnant et rose-gris des mont San Gabriel en devenir).

Des volcans bombardent jusqu‟aux Rocheuses à peine naissantes.

Très loin de là sous l‟océan près de ce que nous appelons l‟Australie

du magma gicle au sortir d‟une longue et ancienne fissure dans la croûte :

la dorsale est-Pacifique.

Le flux bouillonnant continue de se propager, comble,

s‟entasse en hautes crêtes des deux côtés de la déchirure,

glisse le long des deux crêtes (la gravité a le dernier mot !),

se durcit dans les eaux froides de l‟océan,

comblant et glissant

comblant et glissant

agrandissant les continents des deux côtés de la déchirure (deux pouces par an).

D‟un côté : la gigantesque plaque Farallon

se glissant sous l‟Amérique du Nord

laisse des rognures d‟elle-même

au bord du continent

formant ainsi la Californie du Sud.

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De l‟autre côté, sa jumelle océanique s‟étend : la plaque Pacifique,

plus petite mais qui s‟agrandit rapidement vers le nord

se fait plus rapide, plus grosse.

IL Y A 65 MILLIONS D‟ANNEES

La Pangée se scinde alors que de nouveaux océans s‟ouvrent en grand.

Les continents (qui prendront bientôt la forme que nous leur connaissons) s‟avancent

émergés et immergés alors qu‟ils errent

dans des eaux chaudes et peu profondes.

Propulsée par l‟élargissement de l‟Atlantique

l‟Amérique du Nord, telle un grand navire, progresse vers le nord-ouest depuis les tropiques

(là où se trouve Puerto Rico aujourd‟hui)

tourne vers le nord (aussi loin que le Dakota du Sud) et vire au sud-ouest.

La côte ouest à la proue du continent.

(Los Angeles est sous les eaux.)

Le niveau des eaux descend, les courants marins se ralentissent et changent drastiquement.

Le climat se fait chaud et humide.

Les planctons et les récifs de corail des baies côtières près du Mojave meurent.

L‟Inde se détache de l‟Afrique sous l‟effet d‟un point chaud

Du magma en ébullition jaillit à la surface

répandant plus d‟un kilomètre de lave sur 2 millions de kilomètres carrés :

le plateau du Deccan.

Des fontaines de feu rouge-orangé, crachant des étincelles

projettent des cendres dans la stratosphère.

Dioxyde de carbone, pluies sulfureuses, cendres et poussières saturent l‟air partout sur le globe.

Lave, fumée, vapeur se diffusent pendant un million d‟années (et le point chaud frémit encore).

Hurlante et déferlante,

une montagne astrale de quatorze kilomètres de large

s‟écrase, à cent soixante-cinq kilomètres-heure, dans le golfe du Mexique

formant un cratère de cent kilomètres de diamètre, trente de profondeur

(Chicxulub : la Queue du Diable).

Noir complet, tremblement de terre de magnitude onze, tsunami, pluie acide,

quartz choqués et roches fondues en billes de verre

se répandent dans les baies et sur les plages de la Californie du Sud

tout le long du continent et des Caraïbes.

Des tempêtes de feu se déchaînent à travers le Sud-Ouest.

Vaporisé, le météore fait pleuvoir son élément rare, l‟iridium, sur toute la surface du globe.

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Soixante-quinze pour cent de tout meurt.

Les forêts luxuriantes et les plaines fleuries de la Californie du Sud

perdues

Les hadrosaures à bec de canard avec leurs bouches pleines d‟aiguilles de pin,

et les plésiosaures et mosasaures des hautes mersperdus

Partout sur le globe, les superbes reptiles géants :

perdus perdus à jamais perdus.

Les ammonites torsadés des hautes mers : à jamais perdues.

La vie ayant pris forme dans de plus petits corps survit :

Serpents, lézards, tortues, crocodiles, insectes et quelques dinosaures-devenus-oiseaux.

Les mammifères nocturnes, de la taille d‟un chat, guettent depuis leurs cachettes

et se propagent dans le monde libéré des dinosaures.

La brise souffle un air chaud dans cette serre qu‟est le globe.

Les fougères repoussent en premier.

Puis des graines éclosent ; des fleurs brillent au milieu du vert.

Des forêts tropicales aux feuilles tombantes s‟épanouissent et migrent

au sud vers la côte humide et marécageuse de la Californie du Sud.

Ici : Les preuves de la grande catastrophe

effacées par la pluie sur les montages naissantes

ou fondues avec la plaque du Farallon dans le magma sous l‟Amérique du Nord.

Harmoniser l’ordre et l’accident

Compte tenu des circonstances qui ont vu s‟épanouir la forme poétique du vers libre, il est fascinant de constater à

quel point celle-ci, sous la plume de Suntree, se manifeste comme particulièrement adaptée pour exprimer l‟historicité

de la Terre. En ce qui concerne la poésie en langue française, le vers libre est tributaire d‟une longue histoire

d‟expérimentations poétiques et de remises en question des règles de versification. Au XIX e siècle en particulier, la

bataille menée par Victor Hugo contre le vers classique dès les années 1830, les petits poèmes en prose de Charles

Baudelaire publiés trente ans plus tard et les libertés stylistiques d‟Arthur Rimbaud à la fin du siècle ont préparé le

terrain à l‟établissement du vers libre comme une forme poétique légitime. Celle-ci s‟est notamment épanouie en

réponse aux bouleversements des conditions matérielles d‟existence au tournant du XX e siècle. L‟année 1913 voit la

publication de deux œuvres poétiques donnant au vers libre son autonomie de genre : La Prose du Transsibérien et de

la petite Jehanne de France par Blaise Cendrars et « Zone », le poème ouvrant le recueil Alcools par Guillaume

Apollinaire. Dans ces deux œuvres, les moyens de transports modernes occupent une place thématique prépondérante.

Les chemins de fer, les automobiles, les autobus et les avions précipitent un monde à la géographie renversée :

Te voici à Marseille au milieu des pastèques

Te voici à Coblence à l‟hôtel du Géant

Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon

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Ou encore :

Bâle-Toumbouctou

J‟ai aussi joué aux Courses à Auteuil et à Longchamp

Paris-New-York

Maintenant, j‟ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie

Madrid-Stockholm

Et j‟ai perdu tous mes paris.

Dans ces deux extraits, issus respectivement des poèmes d‟Apollinaire (Apollinaire, 1920, p. 13)

et de Cendrars (Cendrars, 1913), le vers libre laisse saillir une structure au sein d‟un ensemble à

première vue chaotique. L‟anaphore en « Te voici », de même que la répétition de noms de ville

accolés comme sur un billet de train, confère une logique à ce qui apparait autrement comme

aléatoire. Pour Apollinaire et Cendrars, le vers libre favorise la recherche de nouvelles harmonies

dans un monde marqué par le transitoire et où la technique moderne redéfinit radicalement les

cadres de l‟expérience.

Il n‟y a ni voiture, ni train, ni avion dans cet extrait du poème de Suntree, mais des coquillages,

des reptiles, des mammifères, des fleurs, des insectes, du magma… Et pourtant, le vers libre joue un

rôle analogue à celui qu‟il joue dans les poèmes d‟Apollinaire et de Cendrars. Il rend possible

l‟expression conjointe du chaos et du rythme, de la contingence et de la structure. Au travers des

100 millions d‟années que cet extrait raconte, Suntree fait face au défi d‟exprimer à la fois le

surgissement de catastrophes, comme la chute d‟un météore, et la mise en place de cycles pérennes,

tels que « plante + insecte = vie ». Il lui faut harmoniser des rythmes différents, comme celui des

plaques tectoniques et celui de la dispersion des graines et pollens, tout en laissant une place à

l‟aléatoire. Exprimer l‟historicité de la Terre ne suppose pas seulement de raconter des évènements

dans un ordre chronologique puisque l‟histoire de la Terre, sans cesse ouverte à l‟imprévu, est

composée d‟une multitude de rythmes et relations qui se forment et se déforment à différentes

échelles, de celle d‟un insecte pollinisateur à celle d‟une plaque océanique.

Les sauts de ligne, cassures, énumérations, répétitions et « accidents » du vers libre permettent de

raconter l‟histoire de la Terre comme une histoire à la fois structurée et contingente, à l‟opposé d‟un

scénario inévitable. Le vers libre constitue un médium de choix pour célébrer le mélange d‟ordre et

d‟accident qui a donné lieu aux paysages et espèces que nous connaissons aujourd‟hui. À cet égard,

le vers libre offre une solution poétique à l‟expression du paradoxe formulé par Stephen J. Gould

pour qui le film de l‟histoire évolutive ne pourrait être rejoué deux fois à l‟identique : « rejouer le

film mènerait l‟évolution vers un chemin radicalement différent de celui qui a été pris. Mais les

différences conséquentes du résultat n‟impliquent pas que l‟évolution soit absurde et dépourvue de

structure signifiante ; la route divergente serait tout autant interprétable, tout autant explicable après

coup, que la route qui fut prise dans les faits » 2 (Gould, 1989, p. 51).

Apprécier les fragments et les blancs

Les qualités du vers libre, telles que déployées dans cet extrait de Sacred Sites, ne favorisent pas

seulement l‟expression de l‟historicité de la Terre. Elles offrent aussi l‟opportunité, à certains

égards, de simuler l‟expérience de la confrontation intellectuelle avec cette historicité. L‟expérience

2 Gould, 1989, p. 51: « …any replay of the tape would lead evolution down a pathway radically different from the road actually

taken. But the consequent differences in outcome do not imply that evolution is senseless, and without meaningful pattern; the

divergent route of the replay would be just as interpretable, just as explainable after the fact, as the actual road. »

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de lecture conditionnée par la forme du vers libre permet de se rapprocher de la position épistémique

dans laquelle se trouvent ceux qui travaillent à reconstruire l‟histoire de la Terre et du vivant à partir

des traces qui en subsistent. Il existe une similarité intéressante, toutes proportions gardées, entre la

lecture de vers libres et le travail d‟interprétation des traces géologiques et paléontologiques.

La lecture d‟un poème en vers libre est faite de trébuchements et de faux-pas. Le sens de

l‟orientation du lecteur est mis à l‟épreuve. L‟expérience de lecture se fait sur un fond d‟attentes

déçues et de surprises. Le lecteur doit s‟acclimater aux apparents caprices des mots et morceaux de

sens qui se distribuent sur la page blanche de façon indisciplinée. L‟expérience de lecture d‟un

poème en vers libres comme celui de Suntree suppose de la part du lecteur un certain opportunisme,

une flexibilité d‟esprit. Le lecteur doit s‟écarter des automatismes de la lecture ordinaire pour la

réinvestir comme un geste de recomposition. Le poème en vers libre médiatise une libération,

d‟abord déconcertante, de l‟acte de lire. Au fil de la lecture, il faut comme réapprendre à lire en

exploitant les chemins ouverts par le poème.

C‟est dans cette mesure que la lecture du poème de Suntree mime la position épistémique dans

laquelle se trouvent ceux qui étudient l‟histoire de la Terre et du vivant. Réfléchissant sur les défis

inhérents aux sciences historiques, dont la géologie et la paléontologie, le philosophe Adrian Currie

explique que « les scientifiques des disciplines historiques essayent de trouver de nouvelles traces à

la fois par la découverte et le raffinement. Ils cherchent des liens de dépendance entre des entités

passées. […] [I]ls s‟appuient aussi sur des analogies, des simulations et d‟autres preuves indirectes.

Les scientifiques des disciplines historiques ne sont pas méthodologiquement „serviles‟, attachés à

une méthode ou une autre. Au contraire, ce sont des opportunistes, des „omnivores‟

méthodologiques » 3 (Currie, 2018, p. 158). Selon Currie, la nature fragmentée, dispersée et

déformée des preuves matérielles de l‟histoire de la Terre élargit plus qu‟elle ne limite l‟horizon des

opportunités méthodologiques. De même que le lecteur d‟un poème en vers libres n‟est pas limité à

une seule manière de lire, les paléontologues ou géologues qui font face aux traces de l‟histoire de la

Terre ne sont pas limités à une seule méthode de recherche. Il leur faut être des « lecteurs » créatifs.

L‟incomplétude des archives géologiques a traditionnellement été interprétée sous le signe du

manque et de l‟imperfection. Charles Darwin a fameusement comparé ces archives à « une histoire

du monde imparfaitement retranscrite et écrite dans un dialecte changeant 4 » (Darwin, 1860, p. 311).

Imparfaite et hétérogène, cette histoire serait aussi en grande partie effacée par les ravages du temps.

Tant et si bien qu‟il n‟en resterait que quelques mots ici ou là, issus de paragraphes, chapitres et

volumes différents. Malgré ses mérites, cette métaphore repose sur la comparaison de l‟état réel des

archives de la Terre avec ce que pourrait être leur état idéal si elles nous étaient parvenues

« complètes ». Or, comme le fait remarquer Currie 5 , cette complétude idéale est un leurre empêchant

d‟apprécier le potentiel épistémique qui se trouve déjà dans les fragments, traces et autres preuves

dont nous disposons. En effet, paradoxalement, la détérioration de certaines traces du passé est un

processus au travers duquel d‟autres indices potentiels nous parviennent. Les archives géologiques

3 Currie, 2018, p. 158: “Historical scientists try to find new traces both through discovery and refinement. They look for

dependencies between past entities. […] [T]hey also draw on analogues, simulations, and other surrogative evidence. Historical

scientists are not methodological 'obligates', focused on one method or another. Rather, they are opportunistic–methodological

'omnivores'.”

4 Darwin, 1860, p. 311: “I look at the natural geological record, as a history of the world imperfectly kept, and written in a

changing dialect.”

5 Currie, 2018, p. 118: “I‟m not sure how to capture what a 'complete' record regarding some event in the past might be. Perhaps

the 'complete fossil record' would be every organism preserved in state at the moment of its demise.” Voir ensuite la note associée

à ce passage, p. 326 : “This, however, would involve costs in other places: How the organism‟s remains are affected over time can

tell us about various shifts in climate, environment, and mineral composition. You can‟t have it all, apparently.”

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et paléontologiques ne sont donc pas identiques à un livre mal écrit et partiellement détruit. Leurs

manques et blancs sont en fait riches d‟informations inattendues.

Il en va du poème en vers libres comme des archives de la Terre et du vivant. Le poème en vers

libre se présente sous le signe du manque et de l‟imperfection. Comparé à la forme achevée d‟un

sonnet par exemple, il semble lacunaire et désarticulé. Cependant, le vers libre offre l‟opportunité

d‟apprécier la valeur des blancs. Au lieu de laisser l‟espace de la page disparaitre sous l‟hypnose de

la lecture ordinaire, le vers libre le fait saillir à nouveau comme une partie intégrante de l‟expérience

de lecture. Les espaces et sauts de ligne dans le poème de Suntree expriment des distances

géographiques, des différences de durée et des changements de point de vue. Ils font du poème une

œuvre à la fois langagière et visuelle où la signification des mots autant que leur distribution sur la

page servent d‟indices pour le lecteur. Lire le vers libre c‟est, entre autres, apprendre à apprécier le

blanc non comme un manque mais comme une relation à élucider. À nouveau, la forme du vers libre

employée pour raconter l‟histoire de la Terre laisse transparaitre quelque chose du travail

d‟interprétation des traces du passé et de la situation épistémique singulière dans laquelle se trouvent

les paléontologues et géologues.

Conclusion

L‟extrait du poème de Suntree présenté ici fut l‟occasion de mettre en évidence les avantages du

vers libre pour l‟expression conjointe de l‟historicité de la Terre et de la situation épistémique

singulière que représente l‟étude des traces fossiles et géologiques. Ainsi, le vers libre constitue un

médium artistique particulièrement intéressant pour la communication au public du savoir

scientifique sur l‟histoire de la Terre et du vivant. Raconter cette histoire sans minimiser le mélange

de contingence et de structure qui la caractérise ou les détours méthodologiques nécessaires à sa

reconstruction n‟est pas tâche aisée. Comme le souligne la géologue Marcia Bjornerud, « se

concentrer uniquement sur l‟âge de la Terre revient à décrire une symphonie par la somme totale de

ses mesures. Sans le temps, une symphonie est un tas de sons ; la durée des notes et la récurrence

des thèmes sont ce qui lui donne forme. De même, la grandeur de l‟histoire de la Terre repose sur le

déploiement graduel et les rythmes entrelacés de ses nombreux mouvements, avec de brefs motifs

ponctuant les tons qui résonnent sur toute la durée de l‟histoire de la planète. » 6 (Bjornerud, 2018, p.

17).

Trouver des moyens de communiquer efficacement, aux publics des musées notamment, la

complexité de cette histoire et la particularité des sciences qui l‟explorent est aussi une tâche

cruciale à l‟heure de la crise environnementale que nous traversons. Promouvoir une attention et

curiosité renouvelées à l‟égard du temps long de la Terre et de ses différents rythmes est nécessaire

pour préparer une société « capable de prendre des décisions sur des échelles de temps

intergénérationnelles » (Bjornerud, 2018, p. 20). Sacred Sites et son usage du vers libre montrent la

voie vers une communication du savoir scientifique sur l‟historicité de la Terre et du vivant qui ne

se résume pas à une transmission d‟informations mais cultive des formes de raisonnement et

d‟expression sensibles aux durées et relations qui continuent de rendre cette planète habitable.

6 Bjornerud, 2018, p. 17: “Focusing simply on the age of the Earth is like describing a symphony in terms of its total measure

count. Without time, a symphony is a heap of sounds; the durations of notes and recurrence of themes give it shape. Similarly, the

grandeur of Earth‟s story lies in the gradually unfolding, interwoven rhythms of its many movements, with short motifs

scampering over tones that resonate across the entire span of the planet‟s history.”

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Références

Apollinaire, G. 1920. Alcools. Poèmes 1898–1913 (Paris : Gallimard).

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Le choix de la dimension dans la représentation d’art

The choice of dimension in the representation of art

Ernesto Di Mauro 1

1

Senior Associate, Istituto di Biologia e Patologia Molecolari, CNR, Rome, Italie

RÉSUMÉ. L’intelligence Artificielle arrive à produire des textes littéraires originaux et intéressants, des comédies

humoristiques ainsi que des jeux électroniques passionnants. L’IA pourrait-elle nous aider à interpréter la vraie nature

de l’art ? Pour réduire le problème dans un contexte rationnel, il faut préciser la question : un objet d’art est-il conçu

selon une méthode mentale analogique, ou bien digitale ? Pour essayer d’établir une méthode pour encadrer cette

question : dans quelle mesure la représentation de la figure humaine dans l’art est basée sur des dimensions

cartésiennes ? L’histoire de l’art peut nous fournir des réponses.

ABSTRACT. Artificial intelligence manages to produce original and interesting literary texts, humorous comedies,

exciting electronic games. Can AI help us interpret what art really is? To reduce the problem in a rational context, it is

necessary to clarify the question: an art object is designed according to an analogical or digital mental procedure?

Trying to establish a method to frame this question: to what extent is the representation of the human figure in art

based on Cartesian dimensions? Art history can provide us with answers.

MOTS-CLÉS. Intelligence Artificielle, Schématisation de la représentation, Dimensions, Pythagore, Vassily Kandinsky,

Alberto Giacometti.

KEYWORDS. Artificial intelligence, Schemation of representation, Dimensions, Pythagoras, Vassily Kandinsky,

Alberto Giacometti.

Introduction

L'exploration des possibilités d'application de l'Intelligence Artificielle a atteint et dépassé

une limite qui semblait marquer une frontière bien définie : celle de la création artistique. Dans ce

contexte, le sujet est par nature enveloppé d'un halo d'ambiguïté sémantique : dans la sphère non

humaine, il n'est pas facile de définir ce qui est art et ce qui ne l’est pas. Et chez les humains, qu’estce

que l’ « art » dans l'artisanat de qualité, dans le « design » il y a-t-il de l’art, quelle est la part

d’art dans l'élégance d'un algorithme bien pensé ? Ou dans la détermination d'une séquence

génétique d'une espèce éteinte, ou bien d'un virus ?

Même si aujourd'hui l'art des hommes se cantonne à des lieux et des morphèmes apparemment

facilement reconnaissables, il n'en a pas été de même pendant le reste de l'histoire de l'humanité.

Ceci est sans doute le signe de la lassitude envers l'art contemporain en tant que tel, et de la dilution,

de la spécialisation et de l'attention excessive portée à ses fonctions, jusqu'à le rendre

méconnaissable.

C’est justement à cette frontière que l'IA entre en scène, après avoir fait face à et résolu deux

autres problèmes, celui d'écrire des textes comiques qui font réellement rire un public, et celui de

composer des textes poétiques capables de susciter des émotions.

Littérature, comédie, jeux

Nous ne nous attendions vraiment pas à ce que ce moment arrive si tôt. Une machine Facebook

AI Research a produit un texte littéraire cohérent et lisible. Être capable d'écrire quelque chose que

les autres veulent lire notoirement n’est ni simple, ni évident. Le processus a impliqué d'enseigner à

la machine à construire un plan d'histoire ; le soutenir par des phrases de dialogue et de passages de

commentaire ; maintenir la cohérence ; suivre un style. Dans ce cas spécifique, la machine était

dotée d'une bibliothèque de 272.000 textes écrits par des humains, chacun accompagné d’un guide

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explicatif. La machine les a rapidement absorbés et a recréé sa propre histoire combinée, dans la

limite de 150 mots qui lui avait été donnée. L'histoire commence ainsi : «It has been two weeks, and

the last of my kind has gone» (“Cela fait deux semaines, et le dernier de mon espèce est parti ”).

On espère évidemment qu'il ne faisait pas référence à l'espèce humaine (1).

Une expérience similaire a été menée sur la possibilité qu'une machine puisse générer des textes à

ton humoristique. Il est bien connu que faire rire les gens est difficile même pour un

comique humain. L'expérience était donc à la limite de l'arrogance, et on ne sait pas dans quelle

mesure cela a fonctionné. Cependant, un robot avec un vocabulaire de 50.000 mots, appris en lisant

les sous-titres de 10.000 films, a diverti à plusieurs reprises des milliers de spectateurs lors de

festivals de théâtre au Canada et en Angleterre, provoquant des éclats de rire. Un rire

survient presque toujours du sens de l'inattendu, par la "rupture du schéma logique de la réalité",

selon les mots du philosophe de la fin du XIXe siècle Henry Bergson de son texte Le Rire. Il n'est

donc pas étonnant que les phrases générées par une IA puissent facilement et à plusieurs reprises

casser ce schéma, faisant peut-être intrusion plus dans l'illogique que dans le ridicule. Assiste-t-on à

la naissance d'un nouveau genre de comédie ? Ou est-ce que l'IA est en train de nous expliquer ce

qu'est vraiment notre sens de l'humour ?

Quant aux jeux, le processus était simple. Une machine a reçu une collection de jeux

électroniques tels que Super Mario ou Mega Man, accompagnés de vidéos des expressions faciales

des personnes qui y jouent et d'un programme d'apprentissage automatique. La machine a inventé de

nouveaux jeux, de nouvelles combinaisons de situations, de nouveaux personnages, dont beaucoup

ont un succès potentiel sur le marché (2). Certains ressemblaient étrangement à des Pokémon déjà

existants.

Textes littéraires, comédies humoristiques, jeux électroniques. À quand les poèmes ? Est-ce que

l'IA pourra nous expliquer ce qu'est vraiment l’art ? Pour essayer de réduire le problème dans un

contexte rationnel, on peut préciser la question : un objet d’art est-t-il conçu selon une méthode

mentale analogique ou bien digitale ? Pour centrer encore mieux la question : peut-on soutenir que

la représentation de la figure humaine est basée sur des dimensions cartésiennes ? À ces questions

l’histoire de l’art humain peut nous fournir des réponses (sans oublier les mots de Protagoras : « de

toutes choses l'homme est la mesure » (3).

Dans l'art humain, la représentation d'un objet ne se fait pas selon un diktat qui suit exclusivement

la règle de l'imitation de la réalité. Elle se déroule selon une logique basée sur des codes. Le code de

la traduction des dimensions perçues de l’objet considéré est le premier et le plus important de ces

codes.

Les dimensions euclidiennes (autrement dites cartésiennes) sont celles qui dérivent directement

de l'expérience de nos sens. La juxtaposition des noms de Descartes et d'Euclide est justifiée par le

fait que l'ajout d'une troisième dimension au plan cartésien aboutit à l'espace euclidien

tridimensionnel, qui est la modélisation familière de l'espace physique, celle utilisée en mécanique

classique. Dans l’art on observe l'altération de l'interprétation de ce code (parfois accompagnée de sa

théorisation) paraître de temps à autre, dans des systèmes expressifs où la réduction formelle prend,

dans le processus de poïesis, un avantage reconnaissable. En faisant le chemin inverse, on voit

comment ce concept a été théorisé par Kandinsky, et par Giordano Bruno et Pythagore avant lui.

Dans leurs mots, les dimensions de la représentation sont rationalisées et définies, et la texture de la

pensée sous-jacente est reconnue.

Pythagore

Dans le Phédon, le dialogue le plus intense et le plus émouvant, les interlocuteurs sont de

croyance pythagoricienne ; la rencontre se déroule à Fliunte, l'un des berceaux de leur pensée.

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Socrate et Pythagore ayant récemment disparu, leurs idées et leurs paroles sont comparées pour en

extraire leurs racines communes, pour définir leur consensus de base. Les pythagoriciens exposent

clairement la clé de voûte de leur doctrine : la séparation de l'âme et du corps pour pouvoir saisir la

vérité pure (64a), c'est-à-dire parvenir à la catharsis par la philosophie. Qu'est-ce que cela veut dire

en termes d’aujourd’hui ?

Toujours par le biais des interlocuteurs pythagoriciens (République, 521c), il est établi que le

périagoge de l'âme ne peut s'obtenir qu'en passant du monde des apparences à celui des idées, et que

cela peut se faire sous la conduite de l'arithmétique, astronomie, musique et géométrie. Passer du

monde des apparences à celui des idées, c'est ce que nous appelons maintenant la perception. En

d’autres termes, le Phédon traite de la perception et de son élaboration, et parle donc des fondements

de l'art. Mais il y a quelque chose en plus : dans le passage entre les apparences et les idées, non

seulement la science et l'art sont fondés, mais il est également défini comme, dans le credo de

Pythagore, cela ne se produit que sous la direction de l'arithmétique, de l'astronomie, de la musique

et de la géométrie. De cette façon, les sciences des relations acquièrent une valeur absolue, des

points qui entrent en contact les uns avec les autres, guidés par des valeurs précises, par des lignes

qui savent où commencer et où finir, tracées sur le sable, sur la pierre ou dans le ciel. Ces sciences

acquièrent un sens dont la tâche est de décrire à notre esprit la relation entre le principe absolu et ses

manifestations locales en idées.

Arithmétique, astronomie, musique et géométrie, sciences capables de retracer et de comprendre

le cheminement de la création mentale et de sa représentation. Dans ce cadre, on peut considérer

l’art comme un processus essentiellement digital. Plus tard, afin de pouvoir s'exprimer sous une

forme artistique complète, l'évasion vers l'extérieur, le recours à la recherche de qualités en

harmonie avec le principe de l’analogia entis, fondement de la Scolastique, seront théorisés. La

ressemblance entre l'Être éternel et la création éphémère sera recherchée. Ensuite, la fascinante

intuition pythagoricienne que notre façon de percevoir est mathématique, numérique, sera perdue.

On a oublié que percevoir, et croire qu’on comprend, est un processus numérique, et non

analogique. Où se situe, dans ce cadre de référence, l’activité de l’IA ?

Les limites de la recherche de l'analogia entis sont un des points centraux de la réflexion de

Martin Heidegger. Une de ses catégories est la crise de la notion de vérité comme correspondance

de la proposition à la chose, à savoir : la médiévale adaequatio intellectus et rei, problème central de

la connaissance. Qu'il n'y ait pas de correspondance entre les nombres et leurs projections, mais

seulement une extraction numérique et une définition de valeurs quantitatives, avait déjà été compris

et dit le long des côtes de la Magna Graecia et répété à Fliunte par les interlocuteurs du Phédon.

Pythagore n’écrivait pas, mais ses mots à ce propos sont restés :

« De la monade et de la dyade indéterminée naissent donc les nombres, et des

nombres les points, et de ceux-ci les lignes, dont dérivent à leur tour les figures planes.

De figures plates naissent des figures solides, et de celles-ci les corps sensibles, ...”

(Diogène Laërce, VIII, I, Pythagore).

Comment les corps sensibles naissent-ils des nombres ? C'est un problème non résolu de la

pensée ancienne, de la philosophie moderne, de l'interprétation de l'art et, ce qui est très proche de

notre sujet, de la compréhension de la manière dont nous nous représentons, et de la manière dont

les images se forment sur l'écran des ordinateurs auxquels on pose la question.

Giordano Bruno

Giordano Bruno écrit dans son De Infinito de 1585 (qui contribua à le porter au bûcher le 17

novembre 1600) : « ... ainsi cette surface se meut et devient un corps, de même que la surface peut

se mouvoir et, avec son écoulement, peut devenir un corps. Il faut donc que le point dans l'infini ne

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diffère pas du corps, parce que le point, découlant d'être un point, devient une ligne ; découlant

d'être une ligne, il devient une surface ; découlant d'être une surface, il devient un corps ; donc le

point, parce qu'il est en puissance d'être corps, ne diffère pas de l'être corps où puissance et acte

sont une seule et même chose. »

Giordano Bruno a passé sa vie exilé, il gagnait son pain en enseignant la mnémotechnique partout

en Europe, il avait mauvais caractère et devait presque toujours fuir la nuit en cachette sans bagages.

Sa mémoire et sa culture étaient prodigieuses mis à part quelques confusions de temps en temps. La

conséquence de cela est qu’il cite tous les auteurs anciens a propos, mais parfois avec quelques

petites variations. Ces mots que je viens de citer sont ce dont il se souvenait de ses lectures

pythagoriciennes. Il ne cite pas Pythagore et transforme ces mots pour en faire un des piliers de son

credo.

Vassily Kandinsky. Ce qui nous intéresse ici chez lui, ce n'est pas son amour de la couleur ni

ses apports à l'art abstrait, c'est son livre Punkt und Linie zu Fläche. Beitrag zur Analyze der

malerischen Elemente. Point et ligne vers la surface. Contribution à l'analyse des éléments

picturaux.

Dans ce texte Kandinsky se dédie à la partie graphique qui existe dans ces représentations en

l'absence de couleur. Le point est le premier noyau du sens d'une composition, le point est le point

de départ de l'action de l'artiste, il est statique. La ligne est la trace laissée par le point mobile, elle

est dynamique. La surface est la structure matérielle qui supporte le contenu de l'œuvre, et le

créateur peut donner du relief aux formes en utilisant différents plans. Kandinsky revendique le

besoin de lucidité et de conscience artistique dès le moment initial de la création de l'œuvre. En

d'autres termes, « Point, ligne vers la surface» soutient l'exigence de lucidité d'analyse et de prise de

conscience des dimensions aux quelles l’artiste va se confronter.

Kandinsky ne cite ni Pythagore ni Giordano Bruno dans cet ouvrage. Peut-être avec raison, même

si, à partir du titre du livre, le point de départ de sa pensée semble nous être déjà connu.

Représentations qui privilégient la première dimension

Si on pense à des corps qui s’allongent, on pense normalement à Alberto Giacometti, et cela, à

juste titre. Mais si on a eu la chance de visiter le Musée Guarnacci à Volterra, où sont conservées les

Ombres étrusco-romaines, d’autres images enrichissent le tableau (Figure 1) (et Google : museo

guarnacci volterra statuette etrusche allungate).

Giacometti est l'un des représentants les plus connus de la recherche qui tend à mettre au jour

l'essence conceptuelle des choses. L'exemple fréquemment cité pour étayer comme point de départ

de sa motivation, élaborée à partir d'un travail basé sur la mémoire, est sa Femme cuillère, (au

Kunsthaus de Zurich) de 1927 (https://zapgina.wordpress.com/2020/01/24/alberto-giacometti-leopere/).

Le parcours intellectuel de Giacometti passe par le surréalisme (jusqu'en 1935), puis passe

du mythe et du rêve à l'observation directe de la réalité, le conduisant à une sorte de naturisme

schématique. Une constante dans la recherche esthétique est le problème de l'espace et de sa

délimitation. La valeur existentialiste de cette tentative de définition dimensionnelle de l'espace a été

saisie par Sartre, qui a souligné ses références à l'inaccessibilité des objets et à la mutuelle

inaccessibilité des êtres humains. Sur l'influence de la sculpture étrusque sur l'œuvre de Giacometti,

l'exposition Giacometti et les Étrusques (Pinacothèque de Paris, Paris, 16 septembre 2011 - 8 janvier

2012) a été mise en place. Le thème central était l’assonance entre les œuvres de Giacometti et les

bronzes étrusco-romains dits « les ombres ».

Ombres. La plus célèbre est l'Ombre du Soir, une statuette en bronze conservée au Museo

Etrusco Guarnacci (Volterra, Italie) Musée Guarnacci (Figure 1 a). La figure filiforme, le corps d'un

jeune homme devenu ligne perdant tout respect des proportions réelles, projette une part de sa

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propre physicalité dans l'abstrait. Une partie seulement, cependant, car le visage (Figure 1 b), l’aine,

les pieds restent bien réels. C’est précisément de là dont provient la profonde fascination qui émane

de cette figure, à la fois personne réelle et abstraction géométrique.

Une exposition de 1999 (Ombres du soir, bronzes allongés de l'époque hellénistique, Museo

Guarnacci, Volterra) a réuni la plupart de ces objets très particuliers existants. Pas plus de deux ou

trois dizaines survivent et ils sont confinés à une époque bien définie, le IIIe siècle av. J-C. En plus

de la région de Volterra, la déformation des membres allongés est liée à d'autres domaines

définissables de la culture étrusque-italique. Des exemples d’une grande beauté viennent de Pérouse,

Arezzo, Ancône et Nemi, conservés chez le Museo Etrusco de Rome (Google : museo etrusco roma

statue bronzee allungate) Considérer le changement des rapports volumétriques de ces

représentations comme une déformation est réducteur, car cela ne tient pas compte de la tension très

particulière qui les a inspirées. Les raisons de cette tension nous échappent complètement, elles ne

s'expliquent pas avec leur fonction d'ex-voto, pas plus que l'analyse des rapports numériques

rigoureux qui ressortent de l'analyse de l'objet appelé «Ombre du Soir» (Figure 1 a), structurée selon

des rapports précis de poids et de dimensions en unités de mesure étrusques.

Un fait est particulièrement intéressant : un des rares cas de découvertes multiples documentées,

celui du Stipe di Docciola (Volterrra), nous confronte à deux Porteurs d'eau, l'un aux proportions

classiques, aux traits "normaux", l'autre très allongé, sans plus d'épaisseur. Il est clair alors que la

représentation abstraite est le résultat d'une recherche consciente. Mais quelle est la motivation qui,

pendant quelques décennies, a poussé un groupe d'artisans d’Italie centrale à transformer des corps

qu'ils savaient représenter en trois dimensions avec beaucoup d'habileté et d'inspiration (il suffit de

regarder les autres vitrines au Guarnacci ou à Valle Giulia à Rome pour se convaincre), qui leur a

fait réduire leur schéma de référence euclidien des trois dimensions du corps solide à l'unique

dimension de la ligne ? De plus, que cela se soit produit tout en préservant la personnification

individuelle et symbolique ajoute de l'admiration à la profondeur esthétique de ces objets.

Ces artisans italiens ont privilégié un des composants de leur processus de reconstruction en trois

dimensions. Ils en ont choisi un au détriment des autres, continuant à considérer comme beaux les

objets issus de ce processus de simplification. Et d'une manière ou d'une autre, nous ne pouvons pas

être en désaccord avec leur expérience, inconsciente et profonde, déséquilibrée et pleine d'une

harmonie qui aurait laissé Pythagore en admiration.

À ce propos, les figures d'Alberto Giacometti viennent facilement à l'esprit. Et l'on peut

facilement vérifier que la similitude n'est qu'apparente. Ses corps ont une nature complètement

différente, ils ne perdent pas de dimensions mais en gagnent. Ce sont des formes qui bougent

lourdement, qui entrent dans la quatrième dimension, dans un déplacement douloureux et réel.

Celles de Giacometti sont des figures déformées, non un point d'arrivée de l'abstraction et de la

purification. Giacometti a visité Guarnacci pour la première fois en 1964, bien après avoir fusionné

ses ambiguës métaphores.

La juxtaposition des figures de Giacometti avec celles des petits bronzes des Ombres, de certaines

statuettes cycladiques (un exemple : la Femme d’Amorgos, Cycladique moyen, conservé chez le

Musée National d'Athènes, Google : Femme d’Amorgos, Cycladique moyen, Musée National

d'Athènes) et des statuettes typiques de l’art Zoulou (Google : art zoulou femme cuillere) rendent

général le sujet de la réduction à la dimension de linéarité.

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a b

Figure 1. Figurines en bronze allongées. a. Gauche: L’Ombra della Sera, Museo Etrusco Guarnacci,

Volterra (4). Droite: Alberto Giacometti: Grand femme IV, 1960-1961 (Succession Alberto Giacometti;

Fondation Giacometti, Paris). (4). b: L’Ombra della Sera, détail du visage.

Cyclades. Presque soudainement, au centre du système expressif élaboré et complexe du

Néolithique final, entre la grande région anatolienne-balkanique et le Moyen-Orient, une nouvelle

forme esthétique apparaît, celle qui est désignée par le nom d'art cycladique. Les débuts ont des

formes communes avec l'art continental de Thessalie, en particulier avec ces expressions bien

caractérisées à Dimini. Des formes originales commencent alors à apparaître, qui tendent peu à peu

vers une géométrisation et une simplification absolue. Pendant longtemps, pratiquement tout le

troisième millénaire av. J-C. empiétant sur le quatrième et, avec le Minoen Moyen I, entrant dans le

second, une pureté abstraite se dessine peu à peu. Le chemin est complexe, tortueux et seulement

partiellement éclairci. Mais une voie idéale que l'on peut tracer est celle de l'élimination des

éléments, jusqu'à la pureté dont témoigne le visage des sculptures, dont un exemple typique est

donné par l’idole de Siros (Figure 2, et site Google idole de Siros, Musée National d’Athènes). Il y

reste des lignes très douces qui ne sont plus des courbes mais pas encore des droites et dont les

proportions sont complexes et oniriques. Parallèlement, la simplification de la représentation

plastique de figures humaines entières évolue, dépouillant les corps au départ très fermes dans leur

rondeur tridimensionnelle, jusqu'à arriver à des structures en forme de trapèze et de doubles cercles

à la manière d'un violon.

La pureté géométrique a permis d'obtenir des résultats d’une qualité très élevée. La mentionné

grande Femme d'Amorgos aux dimensions presque naturelles, dans un marbre duquel rien ne se

définit et tout se chuchote, compte parmi les œuvres les plus évocatrices faites de la main de

l'homme. Les artistes cycladiques ont su entrer et sortir de la métaphysique, travailler le jeu et le

naturalisme onirique. Les formes cycladiques étaient le produit de l'esprit de tout un peuple.

L’Homme qui marche de Alberto Giacometti, 1959-1960 (Fondation Marguerite et Aimé Maeght,

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Saint-Paul de Vence, France) (https://zapgina.wordpress.com/2020/01/24/alberto-giacometti-leopere/,

et Google : alberto giacometti maeght saint paul de vence) montre où la réflexion moderne

arrive sur le même parcours.

Représentations en deux dimensions.

Le parcours intellectuel de Giacometti ne part pas de la linéarisation ; voir comme exemples :

Alberto Giacometti, Femme cuillère, 1926-1927 (Fondation Marguerite et Aimé Maeght, Saint-Paul

de Vence, France) (Google : alberto giacometti femme cuillere 1926-1927 maeght saint paul

de vence) (7) ; et Alberto Giacometti, Tête qui regarde, 1928-1929 (Succession Alberto

Giacometti, Fondation Giacometti, Paris) (Google : Alberto Giacometti tete qui regarde 1929-

1930) (8). La linéarization (et sa relation avec l'espace dans lequel ses formes sont immergées) est

plutôt un point d'arrivée, atteint par suppressions et simplifications successives. Le point de départ

est plutôt la représentation en deux dimensions, essentiellement une figure sur un plan, à laquelle

s'ajoutent quelques éléments d'identification. L’aplatissement de formes n’est pas une procédure

simple.

Le même chemin de simplification est ce qui caractérise le travail de Mark Rothko. Rothko est

d'abord attiré par l'abstraction et l'expressionnisme, passe aux figures plates issues du langage

artistique primitif, élabore le surréalisme dans une tonalité américaine. Puis, dans sa phase de

maturité, il en vient à l'expression des émotions fondamentales à travers de larges champs de

couleurs intenses et lumineuses qui semblent sortir de la toile et cachent un univers complexe

suggéré au plus profond de l'esprit de l'observateur. Plans de couleurs absolue derrière lesquels est

caché l'univers du sensible. Il me semble qu’il soit le seul qui ait su réunir le point initial d'où naîtra

le plan de la surface. Rothko a peut-être réussi à aller au-delà de la source de la rationalisation de

l'espace, en s'appuyant sur les émotions de manière extrême et reproductible uniquement à travers

ses peintures. Une manière différente de réduire sur un plan les corps qui sont en trois dimensions

est celle illustrée par les peintures de Giorgio Morandi.

Chez Giorgio Morandi, le mécanisme est double : des formes géométriques simples d'objets dont

la seule raison d'être ensemble et d'être là sur la toile est leur familiarité, et en même temps un jeu de

cache-cache des deux côtés de la réalité. Un exemple : deux Natures mortes, peintes éloignées l'une

de l'autre dans le temps, se caractérisent toutes deux par une homogénéité de couleur, beige foncé,

brunâtre. Le premier, Nature morte de 1920 (Google : giorgio morandi opere), est un tableau dans

lequel les ombres enlèvent de la profondeur au lieu de la souligner, volonté de faire glisser la vision

de manière ambiguë, de la classer dans le cerveau dans un compartiment différent de celui dans

lequel ces objets auraient normalement fini, pour les retrouver avec difficulté lorsqu’ on revient

regarder la toile. Cet effet de croisement entre différentes scènes du cerveau est présent dans de

nombreux tableaux de Morandi de la même époque, par exemple la Nature morte au plateau

d'argent de 1914 (Google : giorgio morandi opere) et Les baigneuses de 1915 (Google : giorgio

morandi opere). En comparaison avec celle de 1920, la Nature morte qu'il peindra en 1946 (Google :

giorgio morandi opere) semble un triomphe de couleurs réelles et de rationalité complète, vision du

vrai dans laquelle l'introduction de quelques lignes bleues sur le chandelier ajoute de la

vraisemblance, rendant presque imperceptible, en le modulant subtilement, l'éloignement dérivant

de la forme géométrique primaire, identifiée et puis perdue, cachée par les nuances de couleurs et de

formes.

Tenter de rechercher des formes simples, dans lesquelles l'absolu pythagoricien n'est pas atteint,

ou on l'atteint et essaie de le nier, de le cacher, création d’anxiété dans les profondeurs et dans la

dimension de la simplicité. Ici digitale et analogique se mélangent, art atteint dans une dimension

finalement humaine.

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La troisième dimension est plus proche de la reproduction directe de la réalité, apparemment

elle devrait offrir moins de suggestions de simplification, mais en regardant de près l’ « art sauvage

», ou nombre d’ouvrages occidentaux modernes, on s’aperçoit du contraire. À propos d’une idole

cycladique abstraite et schématique, Picasso disait : « plus fort qu’un Brancusi ». Et si on compare

une tête de l’art cycladique dans sa phase mûre et une tête de Brancusi (Figure 2), on est poussé à lui

donner raison. Tout en gardant le contact avec la réalité en trois dimensions, la recherche d’un effet

de fuite dans le métaphysique est effectivement apparente.

a

b

Figure 2. a. Art cycladique, Idole de Siros (Cycladique Ancien II, Musée National d'Athènes) (et Google :

Idole de Siros Cycladique Ancien II Musée National d'Athènes) (10). b. Constantin Brancusi Danaïde,

c.1918. Tate. © London 2023 (11).

Le sculpteur Pietro Consagra a théorisé la réduction de la sculpture de la troisième à la deuxième

dimension. Ses « sculptures frontales » (Figure 3) sont conçues pour pouvoir perdre leur identité

tridimensionnelle et leur épaisseur, pour acquérir la due modestie et favoriser le contact avec

l'observateur. Les "Dialogues" de Consagra sont ainsi une projection de l'observateur lui-même, ils

deviennent directement partie de son esprit. Un bel exemple de la possibilité du dialogue qui

s’instaure est le " Colloque avec l’espérance" (1957), présent au Centre Pompidou MNAM

(Google : Pietro Consagra MNAM Paris).

Figure 3. Pietro Consagra, Giano nel cuore di Roma (1997). Photo par l’auteur.

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Représentations dans la quatrième dimension.

Le cas d’une approche déclarée : le Futurisme.

Le Futurisme fut un phénomène italien et russe, les deux nations qui n'avaient pas eu de

révolution industrielle au XIXe siècle, alors que la France et l'Angleterre avaient déjà vécu leur

révolution. Lorsque les locomotives et les industries pleines de machines se sont répandues partout,

l'imaginaire collectif a commencé à aimer l’idée d’un avenir renouvelé fait de mouvement et de

vitesse, et certains ont traduit ce sentiment en art. C'est très simplifié mais, historiquement, c’est

l’essentiel. En réalité, le futurisme était un phénomène complexe, aux nombreuses implications

littéraires et coutumières, sans oublier les aspects politiques, l'adhésion à des régimes autoritaires,

l'exaltation de la guerre. Les premiers héros du futurisme proprement dit étaient italiens : Filippo

Tommaso Marinetti, Umberto Boccioni, Giacomo Balla, Giovanni Severini. Le premier Manifeste

du Futurisme est publié à Paris, capitale incontestée de tous les Mouvements et Manifestes, le 20

février 1909 dans le journal parisien Le Figaro ; le premier Manifeste de la peinture futuriste en

Italie remonte à 1910.

La marque psychologique du futurisme est un enthousiasme lucide et dépaysé. Un bon exemple

en est le dernier paragraphe du Statut du Groupe Futuriste de Padoue, signé par Marinetti : « La

peinture futuriste est aussi toujours joyeuse, vivante, fantasmagorique de couleurs car l'univers,

même à travers la machine, et la mystérieuse harmonie des forces, existe chez le peintre comme un

hymne d'harmonie et de beauté de la lumière placée au-delà et en dehors de la matière, et des

besoins de la matière. Eternelle, vibration spirituelle, originalité spiritualité dans une atmosphère

de lyrisme, telles sont les principales caractéristiques de la peinture futuriste, non pas académique

mais recherche personnelle, d'intuition plutôt que de tradition, de révolution quand en Art on ne

peut être que révolutionnaires ou plagiaires. »

Il ne fait aucun doute que le futurisme, et sa tendance interne à l'abstraction, a profondément

ébranlé tout l'art italien et russe. C'était son programme d'occuper tous les aspects de l'esthétique, il

était fortement basé sur la recherche et l'activité synesthésique, les résultats de sa diffusion nous

influencent encore aujourd'hui plus que nous ne le pensons. En France, la scène était alors occupée

par les recherches divisionnistes, par les Tendances Jugend, par le Fauvisme, par Blaue Reiter, par

le théosophisme et surtout par le Cubisme. Le terme «futurisme» semblait au début presque

seulement un nom approprié pour un manifeste quelconque. Pourtant certains intellectuels,

notamment Guillaume Apollinaire, en traitent avec vivacité, écrivent à son sujet (12), polémiques et

intérêts s'enflamment. À Paris, cependant, le futurisme reste dans l'ombre du cubisme, de Braque et

de Picasso.

La synesthésie multisensorielle était théorisée avant tout par Giacomo Balla, on en trouve des

mots clairs dans « La pittura dei suoni, rumori e odori », la peinture des sons, des bruits et des

odeurs (1913), où il recherche les fondements de la simultanéité et du syncrétisme; et dans «

Ricostruzione futurista dell’Universo », reconstruction futuriste de l'univers (1915) (13), où il

déclare son intention : "de reconstruire l'univers en l'éclairant, c'est-à-dire en le recréant dans son

intégralité" par la "vibration universelle" et le "dynamisme plastique" .

Nous rencontrons probablement les mots qui précisent le concept d'intention d'aller au-delà des

trois dimensions spatiales classiques dans le "Manifeste technique de la sculpture futuriste" de

Boccioni (14) et dans ses mots « Nous proclamons que l'environnement doit faire partie du bloc

plastique comme un monde en soi et avec ses propres lois ; que le trottoir peut grimper sur ta table

et que ta tête peut traverser la route tandis qu'entre une route et l'autre ta lampe attache son réseau

de rayons de craie» (15).

Surtout, les futuristes étaient presque ensorcelés par les machines en mouvement, par les avions,

par la vitesse. L'un des courants les plus forts et les plus connus du futurisme est l’Aéro-peinture,

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qui convenait bien à la tentative de représentation du mouvement et de la vitesse. La représentation

du mouvement était leur recherche constante, initiée par les études de Balla (Figure 4), en relation

synergique avec la photo-dynamique d'Anton Giulio Bragaglia, et visant à pénétrer et rendre claire

l'énergie interne des aspects de la vie quotidienne.

Après tout, le mouvement est une propriété intrinsèque de la vie, qui est une énergie en

transformation. En ce sens, la troisième dimension est un artefact des techniques de calcul et de

représentation par la sculpture, du moins jusqu'aux futuristes. La dialectique de la quatrième

dimension en peinture est examinée en (16). Tout existe dans une quatrième dimension, à

commencer par l'ADN (17).

Figure 4. Giacomo Balla, Bambina x balcone, 1909. Copyright Comune di Milano – tous les droits reservés

– Milano, Galleria d’Arte Moderna (18).

Conclusions

En Italie centrale, dans les Cyclades, dans les Îles Carolines et dans les ateliers parisiens, il

semble que nous sommes confrontés au même processus, une construction harmonieuse et claire de

formes simples précédée par la réduction des formes réelles à des idéaux géométriques. C'est la

matrice même de la naissance des mathématiques et de la géométrie en tant que science, c'est la

racine du pythagorisme qui poursuit des relations communes, c'est la rationalisation inconsciente et

spontanée qui précède la création esthétique. C'est la recherche d'images simples qui précède l'image

qui deviendra signe.

Mais que se passe-t-il avant et après ceux qui pourraient être perçus comme des phénomènes

confinés à des moments et à des lieux définis ? Nous avons lu les mots de Picasso sur Brancusi et

l'art cycladique. Brancusi, si l'on regarde l'ensemble de son œuvre, et Picasso lui-même et bien

d'autres, essayaient de suivre le même processus de réduction des formes réelles à des idéaux, puis

de les ré-exprimer. Mais leur résultat ne pouvait être que non spontané, contre nature, artificiel.

Prenons des objets qui portent le même nom : Femme cuillère, sculptures zoulou de la fin du

XIXe-début du XXe siècle (Google : art zoulou femme cuillere), l'autre d'Alberto Giacometti

(Google : alberto giacometti femme cuillere 1926-1927 maeght saint paul de vence), presque

contemporains si l'on se place dans un schéma temporel absolu. Le premier est le produit d'une

simplification géométrique, presque le résultat de la leçon de recherche spontanée de la forme pure,

que nous avons vu dans l’art cycladique et étrusque (ethnies d’ailleurs très éloignées l’une de

l’autre). L'autre objet a en soi un poids difficile à définir, mais il n'a certainement rien de

pythagoricien. Plus tôt, au fil du temps, l'universel pythagoricien surgit de temps à autre, dans les

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stèles provençales des VIe-IVe millénaires, dans les figurines féminines en terre cuite de Haute-

Égypte du IVe millénaire de Hierakonpolis, ou comme rescapée de l'art océanien avant la

contamination.

Les formes pures de l'universel pythagoricien sont les premières formes complètes à apparaître

dans la plasticité humaine, comme pour prédire ce qui sera pensé, rationalisé et créé d'ici là et

jusqu'à aujourd'hui. Les statuettes féminines de Grimaldi, par exemple, visibles chez la Collection

Piette, Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-En-Laye (Google : Grimaldi Salle Piette

Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-En-Laye), sont des corps mentalement

déconstruits en sphères et cylindres, puis reconstruits dans des matériaux différents qui reflètent la

lumière, les têtes métaphysiques presque cycladiques, les rapports volumétriques en symétries

parfaites. La culture qui les a produites 25.000 av. J-C. est une culture interglaciaire, en des temps

très durs, une culture d'hommes qui savaient trouver des formes pures dans leur esprit.

En plus de leur faire inventer des textes littéraires et des textes comiques, les ordinateurs ont été

sollicités pour faire de l'art. La méthode est toujours la même, on fournit à l'ordinateur des exemples

de départ, généralement des œuvres humaines, puis on lui demande de produire une image sur un

thème. La réponse est celle attendue : les couchers de soleil produits en réponse à la question

"coucher de soleil" sont d'excellente qualité, en rien inférieurs à ceux de Turner ou de Canaletto.

Surtout si un passage de « machine learning » a été introduit dans la phase de formation. Or, le

produit est essentiellement combinatoire, au point qu’est survenu le problème de savoir si on peut

effectuer des transactions avec ce type de produit, car il est difficile d'établir « qui » doit être payé :

qui a fourni une partie de l'image à partir de laquelle l’ordinateur a démarré ? Sachant que ce « qui »

renvoie généralement à une multiplicité d'images et de sources. Ou l'inventeur de l'algorithme avec

lequel l'ordinateur a créé ? Sachant que l'ordinateur produit l'image finale à partir de l'élaboration de

cet algorithme initial, élaboration faite par lui dans ses propres circuits. De nombreuses sociétés

spécialisées dans la commercialisation d'images ont donc décidé de ne pas facturer les produits

combinatoires informatiques, de considérer ce type d'activité comme non soumis au droit d'auteur.

Getty Images et Shutterlock ont décidé de supprimer de leurs catalogues les images créées par des

modèles d'IA tels que DALL-E, Stable Diffusion et Midjourney. Cela peut peut-être résoudre le

problème pratique, mais met en évidence que si un ordinateur s'attaque aux activités plus

typiquement humaines, des problèmes de principe commencent à se poser.

Une application populaire de ce type d'entreprise est la création d'images pour des illustrations de

presse. On a remarqué que ces derniers temps les images créées pour illustrer des noms ou des textes

courts sont de plus en plus fréquemment des images de visages déformés ou de scènes

cauchemardesques. Étant donné que l'IA crée des images à partir de textes ou de modèles fournis

par des humains, les images effrayantes produites sont probablement la conséquence de la

modification de l'ensemble de données d'entraînement fourni. En d'autres termes, si l'on regarde les

résultats produits dans leur ensemble, l'IA reflète la psychologie de masse de notre époque. Elle

nous révèle, avant même que nous n'en prenions conscience, quelle est le fond de notre production

culturelle collective. L'IA médiatise l'ingéniosité et l'imagination humaine, révélant son aspect

intime. Plus qu’à de la psychanalyse, cette qualité ressemble à de l'art.

En plus, cela clarifie la texture des tissus neuronaux de l'IA. Elle peut "facilement" créer un texte

lisible, un nouveau jeu, une situation comique, car ce sont toutes des structures basées sur la

combinaison d'éléments. Dans ce jeu combinatoire et d'adaptabilité, l'IA est imbattable. À partir

d'une bibliothèque suffisamment grande, l'IA peut écrire et mettre en scène des textes de qualité

humaine. Mais l'essence de la création artistique est autre chose.

La recherche d'archétypes est un processus spontané dans lequel la physique et la métaphysique

se chevauchent et coïncident. Et comme dans tous les processus dans lesquels entrent en jeu des

concepts abstraits, il faut de la pureté pour arriver à la pureté. D'une pureté et d'une clarté de

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formulation, on peut atteindre une pureté et une clarté de résultat. C'est un chemin parcouru par les

Gravettiens du Paléolithique, par les Cycladiques, par les Italo-Étrusques, par les Micronésiens, et

par les Zoulous, pour être ensuite réduit à un schéma théorique par Socrate et Pythagore. Les mêmes

théories refont surface chez Giordano Bruno et chez Vassily Kandinsky. Mais c'est un chemin

désormais perdu pour Brancusi, Rothko, Giacometti, Morandi, et pour nous. Les mots de Marinetti :

« … en Art on ne peut être que révolutionnaires ou plagiaires » indiquent le bord que IA peut

atteindre.

La question fondamentale qui est posée ici : les processus numériques sur lesquels repose l'IA

peuvent-ils nous aider à comprendre ce qu'est l'art ? trouve donc une réponse complexe, négative et

positive à la fois.

Le côté négatif. La création artistique implique et requiert un état de conscience de la part de son

créateur. S'exprimant librement, l'esprit de la personne dans l'acte de création artistique se laisse

aller au-delà des frontières rationnelles que lui imposent les limites matérielles, il peut s'exprimer de

manière plus large, il explore et suggère d'autres possibilités. La conscience de Paul Eluard est

convaincue que "la Terre est bleue comme une orange" parce qu'elle synesthésie la couleur des

expériences avec les couleurs de ses souvenirs et de sa liberté intellectuelle, et pour bien d'autres

raisons qui ne peuvent ou n'ont pas besoin d'être exprimées ; ce qui est suggéré, dans une démarche

purement surréaliste, au fil des vers. Ce faisant, la conscience de cet esprit se réaffirme et réaffirme

son existence, et revendique en même temps la possibilité d'étendre ses limites perceptuelles et

mémorielles. La conscience de Paul Eluard, et la nôtre, est une fonction analogique dans laquelle les

souvenirs numériques accumulés deviennent quelque chose de nouveau dans un processus continu

d'émersion.

L'IA d'une machine n'a pas conscience qu'elle peut étirer et déformer car elle fonctionne

numériquement, pas analogiquement ; elle ne mélange pas de manière créative les données qui lui

ont été fournies, elle est seulement capable de tirer des conséquences, elle n'induit pas d’émersion.

L'aspect positif consiste dans le fait que l'analyse des processus de création artistique par l'IA

suggère une méthode d'analyse des codes de traitement utilisés par notre conscience. Parmi ceux-ci,

le code d'utilisation des dimensions semble être un principe de base. C'est en ce sens que l'IA nous

aide à comprendre l'essence de l'art. Peut-être celles des mathématiques et de la musique aussi. Les

choses ne changeront que si et quand l'IA aura une véritable conscience analogique, similaire à celle

humaine.

Références et crédits des images

(1) arxiv.org/abs/1805.04833, arxiv.org/abs/1809.10736.

(2) arxiv.org/abs/1809.02232.

(3) Protagora, fr. 1 DK (cite de Platon, Théétète, 152, AB).

(4) Gauche: L’Ombra della Sera, Museo Etrusco Guarnacci, Volterra, Italie.

Droite: Alberto Giacometti: Grand femme IV, 1960-1961. Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris, Paris, 2023.

(5) Femme d’Amorgos, Cycladique moyen, Musée National d'Athènes.

(6) Alberto Giacometti, Femme qui marche, 1936. Collezione Peggy Guggenheim, Venezia (Fondazione Solomon R.

Guggenheim, New York). 76.2553 PG 132.

(7) Alberto Giacometti, Femme cuillère, 1926-1927. Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 623, Chemin des

Gardettes 06570 Saint-Paul de Vence, France. info@fondation-maeght.com.

(8) Alberto Giacometti, Tete qui regarde, 1928-1929, Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris, Paris, 2023.

(9) Giorgio Morandi: a, “Natura morta”, 1920, Pinacoteca di Brera, Milano. b, “Natura morta con piatto d’argento”

1914, GNAM, Roma. c, “Natura morta”, 1946, GNAM, Roma.

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(10) Art cycladique, Idole de Siros (Cycladique Ancien II), Musée National Archéologique d’Athènes.

(11) Constantin Brancusi, Danaïde, c. 1918. Tate T00296 © London 2023

(12) G. Apollinaire, dans “ L’Intransigeant” 21 avril 1911, pp 317-318.

Les Peintres futuristes, dans “Mercure de France”, 16 novembre 1911, pp 436-437.

G. Apollinaire, Les peintres futuristes italiens, dans “ L’Intransigeant” 1 février 1912.

G. Apollinaire, A l’exposition des peintres futuristes, dans “Mercure de France”, 352 16 février 1912, pp 886-888.

G. Apollinaire, La Peinture nouvelle. Notes d’art, dans “Les soirées de Paris”, 3 avril 1912.

G. Apollinaire, Méditations esthétiques. Les Peintres cubistes. Paris 1913.

G. Apollinaire, Œuvres en prose complètes, 3 vol. , Paris 1977.1993.

G. Apollinaire, Lettere a E.T. Marinetti. Con il manoscritto Antitradizione futurista. Milano 1978.

Les références aux rapports entre G. Apollinaire et les futuristes sont tirées de l’essai par Fabio Benzi « La nascita

dell’avanguardia futurista » paru dans le catalogue de l’exposition Futurismo 1910-1915 (Padoue 2022).

Voir aussi G. Apollinaire, Antitradition futuriste, dans « Lacerba » (Florence), 15 décembre 1913.

(13) Giacomo Balla, Ricostruzione futurista dell’Universo, Direzione del Movimento futurista, Milano, 11 Mars 1915,

p. 1.

(14) Umberto Boccioni, Manifesto tecnico della scultura futurista”, 11 avril 1911.

(15) Umberto Boccioni. Gli scritti editi ed inediti, par Z. Birolli. Milano 1971. Cité dans «La ricostruzione futurista

dell’Universo» par Francesco Leone, dans le catalogue de l’exposition Futurismo 1910-1915 (Padoue 2022).

(16) La dialettica della “quarta dimensione” in pittura tra Futurismo e Cubismo, Fabio Benzi, dans “Storia

dell’Arte”, n.s. 1-2, 151-152, 2019, pp 68-79.

(17) La quarta dimensione del DNA, Ernesto Di Mauro 1994, Giunti Editore, EAN 9788809760912.

(18) Giacomo Balla, Bambina x balcone, 1909. Copyright Comune di Milano Ŕ tous les droits reservés Ŕ Milano,

Galleria d’Arte Moderna.

Les images reproduites dans ce texte ont été téléchargées sur Internet, les droits de

reproductions ont été obtenus où possible. L’image de figure 3 est par l’auteur. Pour les

images pour lesquelles il a été impossible de trouver les titulaires des droits de reproduction

et de leur demander l'autorisation de l'utiliser, nous tenons à remercier toutes les Institutions

et personnes titulaires des droits de reproduction pour leur concession bienveillante et

virtuelle.

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Défis du vide

Challenging the void

Ruth Scheps 1

1

H / L N L 1 rscheps@hotmail.com

en chef de la revue Mikhtav

RÉSUMÉ. Q y y y y

paradoxal, géné b è L

A

Parménide puis Aristote ont nié son existence, les atomistes Leucippe et Démocrite ont au contraire affirmé son

XV ème è -

delà, les physiciens ont cherché à le créer et le conceptualiser. Au fil des théories du vide qui se sont succédé,

des champs, où le vide complet est en continuité avec la matière. De leur côté, les artistes

b

représenté le vide en tant que faire-valoir des formes visibles, dans une complémentarité statique avec le plein, puis

« expositions du vide » rale

ï b y

issue de la Vacuité originelle.

ABSTRACT. Whether physical, metaphysical or psychological, the void is a polysemous and often paradoxical

concept, generally associated with absence (of matter or any other content), or even lack. The question of the void

has haunted mankind since time immemorial, and has accompanied the entire history of science. In ancient Greece,

Parmenides and then Aristotle denied its existence, while the atomists Leucippus and Democritus asserted its

omnipresence in the universe. From the scientific revolution of the 17th century to the relativistic revolution and

beyond, physicists have sought to create and conceptualize it. With each successive theory of the vacuum, the

opposition between the void and the full has evolved into complementarity or interdependence, culminating in

quantum field theory, in which the complete vacuum is in continuity with matter. Visual artists, for their part, first

represented the void as a foil to visible forms, in a static complementarity with the full, then confronted it as such, as in

the "void exhibitions" of contemporary art. In the Taoist- and Buddhist-inspired Chinese pictorial tradition, on the

contrary, this complementarity is a dynamic interpenetration, stemming from the original Vacuity.

MOTS-CLÉS. Vide, horror vacui, vacuisme, vide quantique, vide relativiste, expositions vides, éther, shanshui,

cinémas du vide, vacuité, taoïsme, bouddhisme, spiritualité.

KEYWORDS. Vacuum, horror vacui, vacuism, quantum vacuum, relativistic vacuum, empty exhibitions, ether,

shanshui, vacuum cinemas, vacuity, Taoism, Buddhism, spirituality.

1. Introduction

Très généralement, « le vide » désigne le plus souvent un espace dépourvu de matière (ou occupé

par une matière raréfiée), donc une absence, soit de quelque chose qu’il pourrait contenir, soit de

quelque chose que l’on s’attendrait à y trouver (auquel cas il s’apparente au manque). Il peut

également désigner une absence absolue (on lui préfère alors souvent le terme de « vacuité »).

Encore faut-il préciser de quel vide il s’agit : le vide physique, qui est loin d’être totalement vide ?

Le vide métaphysique, qui serait antérieur ou parallèle à la création ? Le vide psychologique, lié à

l’ennui ou à une absence de représentation ? On le voit, le vide est un concept qui éclate, se

diffracte, voire s’auto-contredit dès que l’on cherche à le saisir.

Inaccessible, le vide ? D’une certaine manière oui, ce qui donne d’autant plus envie d’y plonger

pour en explorer les manifestations, après tous ceux – philosophes et scientifiques, plasticiens,

musiciens et cinéastes – qui s’y sont aventurés au cours des millénaires.

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À notre tour, nous tenterons de démêler quelques fils de cette pelote tissée de mythes et d’œuvres,

de théories et d’expériences. Au fil de notre parcours, nous verrons comment la question du vide

sous ses diverses formes a conduit savants, artistes et penseurs à traquer son existence, quels

moyens ils ont mis en œuvre pour le produire, et en quoi notre époque approfondit et renouvelle

toutes ces approches.

Au-delà des démonstrations expérimentales de sa réalité et de ses interprétations en tant

qu’absence (intervalle, silence, blanc, désert) ou manque (ennui, attente), la période contemporaine

révèle l’incroyable présence du vide : bien loin des espaces infinis dont le silence éternel effrayait

tant Pascal, le vide cosmique apparaît frémissant de fluctuations énergétiques et de particules

virtuelles ; en art, le vide n’est plus le faire-valoir de formes dignes d’être montrées mais fait luimême

l’objet d’expositions qui pour être paradoxales n’en sont pas moins réelles et obligent à le

redéfinir – des expositions vides d’œuvres matérielles (suite à l’exposition dit « du vide » d’Yves

Klein en 1958) aux concerts de silence (suite à l’œuvre 4’33” de John Cage donnée en 1952).

Tandis que les savants-philosophes du passé questionnaient la matérialité du vide, les chercheurs

et créateurs d’aujourd’hui se tournent vers sa face énergétique, rejoignant ainsi certaines

considérations millénaires du taoïsme et du bouddhisme.

Cet article retrace le chemin buissonnant qui, de l’Antiquité à nos jours, dessine la progression

parallèle et parfois convergente des sciences et des arts dans leurs rapports au vide : rapports

créateurs mais aussi émotionnels et spirituels.

2. Le vide et la matière

2.1. Horror vacui

À son tout début, l’histoire de la notion de vide relève de la philosophie et de la physique, qui se

confondent encore, et cette notion est intimement liée à la notion d'être : le vide est l'absence

d'être. Tout commence en Grèce présocratique, avec le plénisme tautologique de Parménide 1 , « l'être

est, le non-être n'est pas », auquel s’opposeront les atomistes Démocrite 2 , Leucippe et Épicure. Pour

ces tenants du vacuisme, au contraire, « il n’y a que des atomes et du vide », le monde étant

constitué d’atomes se déplaçant dans un vide infini. Mais jusqu’à la Renaissance, ce sont les

conceptions parménidiennes qui l’emporteront.

Selon Parménide et son école, le vide étant un non-être, il ne peut exister ; de plus, dire que l’être

est (au sens fort du terme), c’est affirmer l’impossibilité qu’il ne soit pas ou qu’il diffère de ce qu’il

est. En effet, s’il venait à changer, il deviendrait ipso facto ce qu’il n’est pas, chose impossible

puisque le non-être n’est pas. Parménide en conclut qu’en l’absence d’espaces vides entre les

éléments de l’Univers, ces derniers ne peuvent être distincts et séparés, autrement dit que le tout –

ou l’être ou le monde réel – doit nécessairement être unique, immuable et intemporel, le monde

changeant que nous observons n’en étant que l’illusoire apparence.

1 Parménide : philosophe grec présocratique, pythagoricien, puis éléate, né à Élée à la fin du VIᵉ siècle av. J.-C. et mort au

milieu du Vᵉ siècle av. J.-C. Célèbre pour son poème en vers, De la nature, qui eut une grande influence sur la pensée de

son temps.

2 Démocrite (vers 460-370 av. J.-C.) : philosophe grec, disciple de Leucippe, le fondateur de l’atomisme. Pour Démocrite

comme pour Leucippe, le vide est le non-être dans lequel se meuvent les atomes, c’est-à-dire l’être. Il y a du vide à la fois

dans le monde (intervalles entre les atomes) et en dehors de lui. Ainsi, le non-être (le vide dépourvu de matière) est tout

aussi réel que l’être (la matière).

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Cet acte de foi dans la logique plutôt que dans l’observation se retrouvera un siècle plus tard chez

Platon 3 , qui opposera le monde intelligible des essences ou des Idées, seul réel, au monde trompeur

des phénomènes apparents. Son disciple Aristote, au livre IV de sa Physique, niera lui aussi

l'existence du vide, incompatible selon lui avec le mouvement : dans le vide, le mouvement serait

nécessairement instantané, sans que l’on puisse définir un point de départ et d’arrivée, et les

interactions entre les choses seraient inexplicables. Le phénomène des marées, par exemple, serait

incompréhensible, car si elles se propageaient dans le vide, celui-ci, du coup, ne le serait plus...

Bref, pour Aristote, « la nature a horreur du vide » (formule célèbre également attribuée à Roger

Bacon 4 ). Cherchant à comprendre la source profonde de cette position philosophique, François

Jullien se demande : « une telle horror vacui ne s’enracinerait-elle pas dans le sentiment qu’il ne

peut y avoir de satisfaction pour l’esprit que par détermination d’“être”, et donc dans la mesure du

plein 5 ? »

Quoi qu’il en soit, Aristote conclut qu’aucune région de l’univers ne peut être entièrement vide,

que l’univers tout entier est un espace clos et organisé, et qu’il n’y a pas d’espace extra-mondain.

Cependant, à la place de la notion de vide qu’Aristote tient à rejeter, mais dont on dirait qu’il ne

peut pas se passer tout à fait, il recourt à un nouvel élément subtil, qui sera assimilé à l’éther 6 dont le

statut est intermédiaire entre la matière et le néant.

L’impossibilité structurelle du vide, qui constitue la clé de voûte de la physique aristotélicienne,

s’imposera jusqu’à la Renaissance et sera encore défendue au tout début de l’époque moderne par

Descartes (1596-1650), qui niera l'existence du vide comme de l’atome au profit de théories

géométriques faisant de l’espace une pure étendue, et de la matière une modification de la forme 7 .

Après Descartes, toute l’histoire moderne du vide physique consistera au contraire à en démontrer

l’existence et à en affiner les définitions au fur et à mesure des expériences visant à le créer, et des

théories cherchant à en rendre compte.

Mais avant d’en venir aux conceptions positives du vide telles qu’elles se sont succédé, depuis la

Révolution scientifique du XVII ème siècle jusqu’aux théories relativistes et quantiques, faisons un

détour par l’histoire des arts visuels et voyons comment l’horror vacui s’y manifeste. L’écrivain et

critique d’art italien Mario Praz (1896-1982) a introduit l’expression horror vacui pour critiquer une

3 Platon (428-348 av. J.-C.) : dans le VII e livre de La République, le philosophe expose son allégorie du mythe de la

Caverne, dans laquelle des hommes enchaînés tournent le dos à la lumière de l'entrée et ne perçoivent, des objets situés à

l'extérieur de la caverne (les idées réelles), que leurs ombres projetées sur le mur de la caverne (les phénomènes apparents).

4

Roger Bacon (vers 1220-vers 1292) : surnommé Doctor mirabilis (« Docteur admirable ») en raison de sa science prodigieuse.

Philosophe, savant et alchimiste anglais, considéré comme l'un des fondateurs de la méthode scientifique.

5 François Jullien, La grande image n’a pas de forme, Le Seuil (Points Essais), 2003, p. 124-125.

6 Éther : du verbe aithein (brûler). À l'origine, Éther est un dieu primordial de la mythologie grecque, personnifiant les

parties supérieures du ciel, ainsi que sa brillance. Empédocle, à qui l'on doit la théorie classique des quatre éléments, parle

fréquemment de l'éther comme d'une entité différente (elle sera nommée plus tard « quintessence »). Platon mentionne dans

le Timée (58 d) l'éther comme « la forme de l'air la plus pure ». Aristote, dans son traité Du ciel, introduit une nouvelle

entité qui n'existe que dans la sphère céleste : « En dehors des corps qui nous entourent ici-bas, il existe un autre corps,

séparé d'eux, et possédant une nature d'autant plus noble qu'il est plus éloigné de ceux de notre monde. » (Du ciel, I, 2).

Cette nouveauté a fini par être assimilée à l'éther.

7 « Pour ce qui est du vide, au sens que les philosophes prennent ce mot, à savoir, pour un espace où il n'y a point de

substance, il est évident qu'il n'y a point d'espace en l'univers qui soit tel, parce que l'extension de l'espace ou du lieu

intérieur n'est point différente de l'extension du corps. Et comme, de cela seul qu'un corps est étendu en longueur, largeur et

profondeur, nous avons raison de conclure qu'il est une substance, à cause que nous concevons qu'il n'est pas possible que

ce qui n'est rien ait de l'extension, nous devons conclure le même de l'espace qu'on suppose vide : à savoir, que, puisqu'il y

a en lui de l'extension, il y a nécessairement aussi de la substance. » Descartes, Principes de la philosophie, 16, 1644.

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tendance ornementale caractéristique de l’ère victorienne, puis l’expression s’est appliquée plus

généralement à toute œuvre saturée de détails. En Grèce antique déjà, l’horror vacui est un élément

stylistique important de l’époque géométrique (1100-900 av. J.-C.), et cela vaut également pour la

peinture funéraire étrusque 8 .

Figure 1. Livre de Kells, Folio 292r, Incipit de Jean. In principio erat verbum, (Vers 800).

Wikimedia Commons.

Des exemples d’horror vacui se retrouvent par la suite dans l’art religieux du Moyen Âge,

comme dans le livre de Kells, un manuscrit enluminé datant du IX ème siècle (fig.1), et au XVI ème

siècle, le graveur français Jean Duvet utilise systématiquement dans son travail de maturité l'horror

vacui, comme le montre par exemple sa gravure La chute de Babylone (fig. 2).

8 Anne-Marie Adam, « Horror vacui et détails inutiles (?) dans la peinture funéraire étrusque », Ktèma, Persee.fr 37, 2012,

p. 239-254.

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Figure 2. Jean Duvet, La Chute de Babylone, gravure de la série Apocalypse (vers 1555).

Taille de la plaque : 11 7/8 x 8 3/8. The Cleveland Museum of Art. Wikimedia Commons.

Plus près de nous, les peintres non conventionnels de l’art brut ont fait un grand usage de l’horror

vacui ; parmi eux, le peintre suisse du XX ème siècle Adolf Wölfli remplit souvent ses tableaux

d’écritures ou de notations musicales comme dans Vue générale de l’île Neveranger. Parmi les

autres mouvements artistiques concernés par l’horror vacui, on peut mentionner : l’art

psychédélique de la contre-culture des années 1960 ; le Lowbrow, né à Los Angeles à la fin des

années 1960, qui mélange les codes du surréalisme et de la pop culture ; parfois, l'art à motifs dans

les vêtements des peuples autochtones d'Amérique latine ; le Tingatinga, école de peinture

tanzanienne contemporaine (fig. 3) qui s'est développée dans la seconde moitié du XX ème siècle dans

la région d'Oyster Bay à Dar es Salam puis s'est étendue à la plupart des pays d'Afrique de l'Est.

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Figure 3. Bakir, TT4802 ; huile sur toile, 61x122 cm ; Art Tingatinga (2011). Wikimedia Commons.

Avant de clore cette liste loin d’être exhaustive, citons encore deux œuvres contemporaines on ne

peut plus différentes mais où l’horror vacui joue un rôle majeur : dans un registre ludique, la série

de livres-jeux britannique Où est Charlie ? créée par Martin Handford, et où le lecteur doit réussir à

retrouver Charlie à l'intérieur d'une image – la difficulté venant du fait que chaque page est

entièrement remplie d’histoires indépendantes comportant moult personnages et objets

minutieusement détaillés… Et pour en finir avec la peinture, l’œuvre Horror vacui (1945) de

l’artiste contemporain Anselm Kiefer. Il s’agit d’une aquarelle sur une photographie de réfugiés

dans un livre d'images datant de la Seconde Guerre mondiale. Au centre de cette masse de

personnes, on peut lire « horror vacui », inscrit à la gouache au milieu de points blancs et de gouttes

comme de la neige (« une autre sorte d'horreur du vide », dit Kiefer). Et pourtant, derrière cette

affirmation de plénitude, c’est bien la tragédie du vide lié à la guerre qui est donnée à ressentir.

Il nous faut encore dire un mot de l’horror vacui dans le cinéma. Dans son ouvrage Vers une

esthétique du vide au cinéma, José Moure questionne de manière diachronique les rapports ambigus

du cinéma au vide et montre comment, après avoir été horrifié par le vide, le cinéma en a été

fasciné. Avant la modernité, diverses techniques (dont la surimpression) concouraient à ce que le

cinéma narratif fût pensé et perçu « en termes d’effet de présence et d’impression de plénitude 9 ».

Mais la modernité, hantée par le désir de voir derrière les apparences, parviendra « au constat

désenchanté qu’il n’y a plus rien à voir derrière l’image, que tout est là, sans promesse d’un

ailleurs » 10 .

2.2. Entre la matière et le néant

L’aristotélisme s’est imposé jusqu’à la Renaissance, avec l’impossibilité du vide qu’il supposait :

dans ce cadre théorique, les interactions entre les choses devenaient inexplicables si le vide existait.

9 José Moure, Vers une esthétique du vide au cinéma, L’Harmattan, 1997, p. 5.

10 Ibid., p. 7.

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Par ailleurs, la conception astronomique alors en vigueur – celle d’une Terre fixe, au centre d’un

monde fermé – était incompatible avec l’existence d’un « vide » bordant l’univers, ainsi rendu

infini.

À la charnière des XVI ème et XVII ème siècles, le monumental édifice aristotélicien commence à se

fissurer, et l’atomisme refait surface : parmi les précurseurs qui soutiendront vigoureusement

l’existence du vide et de l’espace infini, citons Francesco Patrizi (De spacio physico et mathematico,

1587), Giordano Bruno (jugé pour hérésie et brûlé en 1600) et Galilée (1564-1642), qui « conçoit le

vide comme un “milieu” dépourvu de toute résistance, un cas limite, à la manière dont nous

considérons aujourd’hui l’espace vide » 11 .

L’approche expérimentale de la question du vide, caractéristique de la révolution scientifique du

XVII ème siècle, démarre en 1644 avec Évangéliste Torricelli, ancien secrétaire de Galilée et

inventeur du baromètre : il montre que dans une éprouvette remplie de mercure, retournée sur une

cuve elle aussi pleine de mercure, le liquide s’abaisse et reste en suspens dans le tube, à 76 cm audessus

du niveau du mercure dans la cuve, laissant en haut un espace vide de matière visible et, pour

Torricelli, même vide de gaz. Cette mise en évidence de la pression atmosphérique 12 et de

l’existence du vide devait susciter de vives polémiques mais dans les décennies suivantes, plusieurs

expériences renforcèrent sa crédibilité, jusqu’à la rendre inattaquable. Blaise Pascal le premier

renouvelle l’expérience de Torricelli en 1648 : ayant mesuré la hauteur de la colonne de mercure au

pied et au sommet du Puy-de-Dôme, il est en mesure de confirmer que le haut du tube de mercure

est véritablement « vide et destitué de toute matière 13 » tant qu’on n’aura pas « montré l’existence

de quelque matière qui le remplisse 14 » et que c’est le poids de l’air qui explique sa remontée

partielle dans le tube.

En 1654, Otto von Guericke 15 démontre à son tour l’existence du vide par sa fameuse expérience

des hémisphères de Magdebourg : après avoir appliqué les deux hémisphères l’un contre l’autre, il

pompe l’air à l’intérieur et constate que deux attelages de huit chevaux de trait ne peuvent les

séparer !

11 Marc Lachièze-Rey, Les avatars du vide, Le Pommier, 2005, p. 22.

12 Pression atmosphérique : l'air pèse sur la surface libre du liquide dans la cuve, poussant ainsi le liquide à l'intérieur du

tube. Par ailleurs, le poids du liquide situé dans le tube tend à le faire descendre sous l’effet de la gravité. Lorsque ces deux

actions contraires s’équilibrent, le liquide se stabilise dans le tube à une hauteur qui correspond à la pression exercée par

l'air. Le liquide monte d’autant plus haut dans le tube que la pression est élevée.

13

Voir Pierre Magnard, Pascal et le sens du vide, Baroque [En ligne], 12 | 1987, mis en ligne le 30 juillet

2013, https://doi.org/10.400/baroque.580

14 Ibid.

15 Otto von Guericke (1602-1686) : scientifique, inventeur et homme politique allemand. Sa principale contribution

scientifique concerne la physique du vide.

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Figure 4. Dessin de la pompe à air de Robert Boyle (1661). Wikimedia Commons.

En 1659, Robert Boyle 16 perfectionne la pompe à air de von Guericke et « crée le vide » dans une

cloche en verre (fig. 4) ; quelques années plus tard, son contemporain Christian Huygens 17 , qui a

16 Robert Boyle (1627-1691) : physicien et chimiste irlandais. Il fut animé par deux passions : la science expérimentale et le

christianisme. Son œuvre phare sur la distinction entre nature et métaphysique (A Free Enquiry into the Vulgarly Received

Notion of Nature, 1686) fut le point de départ de la transformation de la philosophie naturelle en science.

17 Christian Huygens (1629-1695) : mathématicien, physicien et astronome néerlandais. En astronomie, il est considéré

comme un alter ego de Galilée, notamment pour sa découverte de Titan, satellite de Saturne. En mathématiques, il a joué un

rôle majeur dans le développement du calcul moderne. En physique, il est célèbre pour avoir formulé la théorie ondulatoire

de la lumière et calculé la force centrifuge.

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assisté avec enthousiasme aux expériences de Boyle, fabrique sa propre pompe à vide. Cependant sa

contribution majeure à l’histoire du vide est d’ordre théorique : en 1690 il formule sa théorie

ondulatoire de la lumière selon laquelle la lumière est une onde qui se propage dans un milieu

fluide, l’« éther luminifère » (transmetteur de lumière). Or ce milieu, qui est censé remplir le vide de

l’univers, n’est pas considéré lui-même comme un vide radical, mais plutôt comme une sorte de

« substance » servant de support à la vibration lumineuse (il est vrai qu’à cette époque, la vibration

de l'espace vide n'est pas encore envisageable). Trois ans avant la formulation de la théorie

ondulatoire de la lumière par Huygens, Newton 18 a publié ses Principia 19 où il expose sa loi de la

gravitation universelle et propose en guise de vide ce qu’il nomme un « éther gravitationnel » (qui

transmet la gravitation), qui serait caché dans la substance des corps solides. Dans la physique de

Newton qui ne comporte que l’espace, le temps et les corps matériels, le vide est donc ce qui reste

après qu’on a retiré tous ces derniers ; en opposition à la théorie ondulatoire de la lumière formulée

par Huygens, Newton en propose une théorie corpusculaire qui sonne comme une résurgence de

l’atomisme : les corpuscules de lumière sont séparés par du vide 20 et rien n’est immobile dans

l’absolu.

Dans les sciences du vide dont nous venons de mentionner les principales avancées pour la

période comprise entre les XVI ème et XVIII ème siècles, il convient de distinguer dans une certaine

mesure approches techniques et approches théoriques. En effet, si les expériences de Torricelli et de

ses successeurs ont permis de créer des vides de plus en plus poussés, les théories du vide, elles, se

sont heurtées à la difficulté de le penser en excluant toute référence à la matérialité. Il faudra

attendre le XIX ème siècle pour que la physique de la lumière parvienne peu à peu à théoriser un vide

libéré de la matière et gouverné par l’énergie, ce qui permettra de résoudre certains problèmes…

mais pas tous !

3. Le vide et l’énergie

3.1. De l’éther matériel à l’éther subtil

Nous l’avons vu, dans la seconde moitié du XVII ème siècle, deux théories de la lumière (et par

conséquent du vide) s’affrontaient : la théorie ondulatoire de Huygens et la théorie corpusculaire de

Newton. Pour expliquer le vide apparent de l’univers, toutes deux postulaient l’existence d’un fluide

nommé éther, dans lequel la lumière se propageait. Mais ce n’était pas le même éther ! Pour

Huygens la lumière se propageait de manière ondulatoire dans un « éther luminifère » (à l’instar de

la propagation du son dans l’air ou des vaguelettes à la surface d’un milieu liquide) alors que pour

18

Isaac Newton (1643-1727) : mathématicien, physicien, philosophe, alchimiste, astronome et théologien anglais,

puis britannique. Figure emblématique des sciences, il a théorisé la mécanique classique et la gravitation universelle, et a

créé le calcul infinitésimal. En optique, il a développé une théorie corpusculaire de la lumière et une théorie de

la couleur fondée sur la décomposition prismatique de la lumière blanche en un spectre visible. Il a aussi inventé

un télescope à réflexion. En mécanique, il a établi les trois lois universelles du mouvement qui constituent les principes de

la mécanique classique. Il a aussi effectué des recherches d’ordre théologique et alchimique.

19 Philosophiae naturalis principia mathematica (1687) : œuvre majeure de Newton où il décrit la loi universelle de la

gravitation, formule les trois lois universelles du mouvement et fonde la mécanique classique.

20 Voir le commentaire éclairant d’Alexandre Koyré : « L’introduction du vide – avec son corrélatif, l’attraction – dans la

conception du monde de Newton fut, malgré les formidables difficultés physiques et métaphysiques qu’elle implique

(action à distance, existence du rien), un trait de génie et un pas d’une importance décisive. C’est ce pas qui permit à

Newton d’imposer et d’unir en même temps ... la discontinuité de la matière et la continuité de l’espace. » (A. Koyré,

Études newtoniennes, Gallimard, Paris 1980, p. 34).

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Newton, cette propagation était corpusculaire et se faisait dans un « éther gravitationnel » censé être

médiateur de la force gravitationnelle sans y être lui-même soumis 21 .

Au début du XIX ème siècle, de nouvelles expériences physiques sur la propagation de la lumière

auront un impact direct sur les conceptions du vide : les travaux de Young 22 sur les franges

d’interférence, ceux d’Arago 23 et Fresnel 24 sur la polarisation de la lumière et enfin, ceux de

Fizeau 25 (1849) sur la vitesse de la lumière tranchent définitivement en faveur de sa propagation

ondulatoire : bien que vide en apparence, le fluide « éther » est effectivement traversé par des

ondulations lumineuses. Mais au milieu du XIX ème siècle, ce « fluide » commence à perdre de sa

matérialité, se rapprochant ainsi du vrai vide physique : dans les années 1855-1865, Maxwell 26

introduit le concept de « champ électromagnétique » ; l’éther n’est alors plus que le milieu dans

lequel ce champ se propage – un milieu vide de matière mais non d’énergie puisqu’il emmagasine

une énergie potentielle (liée au champ électrique) et une énergie cinétique (liée au champ

magnétique).

Avec les travaux de Maxwell, ce sont aussi les conditions expérimentales pour atteindre le vide

parfait qui changent : désormais il ne faudra plus seulement retirer toute la matière visible et tous les

gaz (comme au XVII ème siècle), mais aussi éliminer tout le rayonnement électromagnétique –

condition qui pouvait être théoriquement satisfaite en refroidissant l'espace jusqu'au zéro absolu.

Encore fallait-il prouver concrètement l’existence de cet « éther luminifère » électromagnétique.

Dans ce but, les scientifiques Albert A. Michelson et Edward Morley tentèrent, au cours d’une

célèbre expérience d’optique, dite « expérience de Michelson-Morley » 27 , de mesurer la différence

de vitesse de la lumière entre deux directions perpendiculaires. Mais l’expérience s’étant toujours

21 Pour Newton, la force gravitationnelle est le paradigme des forces « à distance ». Mais celles-ci sont paradoxales dans la

mesure où elles sont censées agir instantanément entre deux corps en présence l’un de l’autre – et ce, quelle que soit la

distance entre eux. Newton tente de résoudre ce problème en affirmant que le vide est un sensorium Dei, sorte

d'organe sensoriel de Dieu qui lui permet de transmettre les influences d'un corps à l'autre.

22 Thomas Young (1773-1829) : physicien, médecin et égyptologue anglais. En optique, il est connu pour son expérience

des fentes de Young, dans laquelle il mit en évidence et interpréta le phénomène des interférences lumineuses qui montre

que « la lumière ajoutée à la lumière peut produire de l’obscurité » (Arago).

23 François Arago (1786-1853) : astronome, physicien et homme d'État français. D'abord tenant de la théorie corpusculaire

de la lumière, il fut ensuite convaincu par la théorie ondulatoire de son collègue Fresnel, qu'il aida dans ses recherches.

24 Augustin Fresnel (1788-1827) : ingénieur et physicien français. Ses recherches en optique ont conduit à l'acceptation

définitive de la théorie ondulatoire de la lumière en remplacement de la théorie corpusculaire en vigueur depuis Newton.

25 Hippolyte Fizeau (1819-1896) : physicien et astronome français, connu pour ses travaux sur la lumière. En 1849 il mit au

point une méthode lui permettant de mesurer la vitesse de la lumière et constata qu’elle est plus faible dans l’eau que d’ans

l’air, contrairement aux prédictions de Newton.

26 James Clerk Maxwell (1831-1879) : physicien et mathématicien écossais. Célèbre pour avoir unifié en un seul ensemble

d'équations, dites équations de Maxwell, l'électricité, le magnétisme et l'induction. Ce fut à son époque le modèle le plus

unifié de l'électromagnétisme. Il est également connu pour avoir interprété la lumière comme étant un phénomène

électromagnétique. Il a notamment démontré que les champs électriques et magnétiques se propagent dans l'espace sous la

forme d'une onde et à la vitesse de la lumière.

27 Expérience de Michelson-Morley : conçue par Michelson, cette expérience, réalisée pour la première fois en 1881 et

renouvelée à plusieurs reprises dans le demi-siècle qui suivit, visait à mesurer la vitesse de la lumière dans son support

supposé (l’éther) et en se fondant sur la loi classique d'addition des vitesses. La Terre, avec une vitesse sur son orbite

d’environ 30 km/s par rapport au Soleil, apparaissait comme un laboratoire idéal pour déceler une variation de la vitesse de

la lumière sur des parcours identiques en longueur mais qui devaient différer dans le temps selon qu'ils seraient dans le sens

du mouvement ou perpendiculairement au vent d'éther. Or, aucune différence de vitesse entre les deux ne fut jamais mise

en évidence.

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révélée négative, c'est finalement la relativité restreinte d'Einstein postulant l'invariance de la vitesse

de la lumière qui permit d'expliquer ce résultat inattendu et conduisit Einstein à réfuter l’existence

de l’éther.

3.2. Vides relativistes et vides quantiques

Einstein ayant décrété l’inutilité de l’éther luminifère pour penser le vide, celui-ci se trouve tout à

fait dématérialisé et déconnecté de la notion de mouvement (pour le vide, le mouvement uniforme

est comme le repos). Au début du XX ème siècle, la physique fait donc face à un nouveau défi : celui

de théoriser, et si possible de révéler la « vraie » nature de ce vide dématérialisé. Deux grands

courants de la physique, tous deux initiés par Einstein, viennent alors révolutionner les conceptions

du vide. D’une part la relativité, qui se développe elle-même en trois étapes : la relativité restreinte

(1905, élimination de l’éther électromagnétique), la relativité générale (1915, théorie de l’éther

gravitationnel 28 ), la cosmologie relativiste (1917) ; d’autre part la physique quantique (1905), qui

réduit la distinction entre le vide et la matière.

Du côté de la relativité, la percée majeure est celle opérée par la relativité générale, qui identifie

le champ gravitationnel à la courbure de l’espace-temps. Il n’est plus question de transmission à

distance dans un espace vide, mais de déformation continue de la sorte de gelée élastique constituée

par la courbure de l’espace-temps. « Celle-ci joue ainsi le rôle auparavant attribué à l’éther, et

l’interaction gravitationnelle est assimilée à sa propagation 29 . »

En l’absence de matière, le vide n’est donc pas rien : c’est un espace-temps spécifique, duquel on

a retiré toute la courbure due à la matière.

Du côté de la physique quantique, plusieurs théories du vide émergent : l’une d’entre elles est due

au physicien britannique Paul Dirac. Au début des années 1930, celui-ci imagine un vide… plein, en

l’occurrence plein d’électrons (particules de matière, chargées négativement) invisibles et qui

occuperaient quasiment tous les états possibles d’énergie négative – les états inoccupés seraient

alors comme des trous signalant la présence de positons (particules d’antimatière chargées

positivement). Cette théorie, aujourd’hui abandonnée pour ce qui est du vide lui-même, aura du

moins conduit à une découverte majeure : l’existence des antiparticules. À côté du vide de Dirac,

l’autre approche quantique du vide est la théorie quantique des champs, dont on peut rappeler

qu’elle ne concerne pas la quantité de matière peuplant l’espace intergalactique – celui-ci contient

en moyenne un proton par mètre cube – mais ce qui se trouve dans l’espace séparant ces particules.

Selon cette théorie, au sein du vide quantique existent plusieurs champs quantiques différents, un

pour chaque type de particules (électron, neutrino, quark, photon, boson de Higgs…). Le vide

complet est constitué par la superposition de ces vides partiels, qui sont dans leur état fondamental

caractérisé notamment par une énergie minimale. Ainsi, bien que doté de propriétés spécifiques qui

le distinguent des autres états, le vide est un milieu dynamique et en continuité physique avec la

matière 30 , comme l’avait déjà affirmé Pascal 31 . Plus encore, celle-ci peut même en surgir ! On sait

actuellement qu’il est par exemple possible de faire jaillir du vide une paire électron/positon (dont la

28 La relativité générale fut conçue largement pour résoudre le problème que posait l’éther gravitationnel de Newton, à

savoir l’action à distance et instantanée entre deux corps séparés par une distance quelconque.

29 Marc Lachièze-Rey, op. cit., p. 51.

30 Cela implique que désormais, la discontinuité n’est plus entre le vide et la matière, mais entre le vide et le néant, qui, lui,

n’a rien de commun avec la matière : dans le vide quantique, il existe un espace et un temps, ce qu’il serait absurde

d’imaginer pour le néant.

31 « Il y a autant de différence entre le néant et l’espace que de l’espace vide au corps matériel : ... ainsi l’espace vide tient

le milieu entre la matière et le néant. » Blaise Pascal, Le livre du néant, in Œuvres complètes, Le Seuil, 1963, p. 203 B).

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vie ne dure cependant qu’un millième de milliardième de milliardième de seconde). Pour mieux se

figurer la chose, il faut considérer le vide quantique comme une mer de particules virtuelles (car

invisibles) pouvant accéder à une existence réelle. Ce champ électromagnétique fluctue de manière

spontanée et aléatoire autour de zéro, un peu comme des clapotis à la surface d’une mare, donnant

lieu à ce qu’on appelle « énergie du vide » 32 ou encore « rayonnement de point zéro ». L’existence

de ces fluctuations transitoires a été confirmée, notamment par l’effet Casimir 33 , mais pour autant

« il n’existe aujourd’hui aucun moyen de considérer de manière rigoureuse l’énergie du vide

quantique 34 . »

Si nous avons évoqué le vide relativiste et le vide quantique séparément, c’est qu’à ce jour

aucune théorie n’est parvenue à en faire la synthèse : la relativité générale traite le champ de gravité

de façon non quantique, et la physique quantique traite seulement des autres champs. On se trouve

donc face à une multiplicité d’ébauches théoriques dans lesquelles les termes de “vide”, “temps”,

“espace”, “matière” et “énergie” recouvrent des réalités différentes et donnent lieu à des scénarios

cosmologiques alternatifs concernant l’origine de l’univers (en vertu de son énergie vertigineuse 35 ,

le vide quantique aurait pu précéder le Big Bang) et son expansion accélérée (le vide quantique

pourrait en être le moteur). Mais toutes ces questions demeurent ouvertes.

4. Le vide et le plein

Nous avons vu précédemment que les toutes premières tentatives de penser le vide en Occident

ont consisté à en nier l’existence : l’opposition théorique entre vide et plein était ici totale. La

révolution expérimentale du XVII ème siècle fera accéder le vide à l’existence, mais progressivement

et non sans polémiques : de l’absence de matière à l’éther luminifère ou gravitationnel, l’opposition

entre vide et plein commence à se fissurer… Au XIX ème siècle, de nouvelles expériences sur la

polarisation et la vitesse de la lumière tranchent en faveur de l’éther ondulatoire, mais la découverte

du champ électromagnétique permet de penser l’éther comme le milieu, vide de matière mais non

d’énergie, dans lequel se propage ce champ. L’opposition entre vide et plein est de moins en moins

compacte… Cependant, l’existence de l’éther luminifère électromagnétique ne pourra pas être

démontrée et sera finalement réfutée par Einstein : avec la physique relativiste, le vide devient

l’espace-temps duquel on a retiré toute la courbure générée par la matière. D’autre part, avec la

théorie quantique des champs, le vide complet est en continuité avec la matière, qui peut même en

surgir, quoique de façon excessivement éphémère. Dès lors, il n’y a plus lieu de parler d’opposition

entre le vide et le plein, mais de complémentarité ou d’interdépendance.

4.1. Complémentarités

Comment cette dialectique du vide et du plein s’est-elle incarnée dans la littérature, la musique et

les arts visuels ? D’une manière très générale, notons que la complémentarité entre les vides et les

pleins confère aux œuvres leur forme spatio-temporelle : en littérature comme en musique, elle est

soit purement temporelle (rythme), soit spatio-temporelle (texte écrit ou partition de musique) et fait

32 L’énergie du vide est la somme des énergies de toutes les oscillations élémentaires du champ électromagnétique, à toutes

les longueurs d’onde.

33 L’effet Casimir est une force attractive qui apparait entre deux plaques parallèles non chargées. Il résulte de l’existence

de fluctuations quantiques du vide poussant ces plaques l’une contre l’autre, la densité d’énergie entre les plaques étant plus

faible qu’à l’extérieur.

34 Marc Lachièze-Rey, op. cit., p. 142.

35 « … chaque millimètre cube de ce vide contiendrait plus d’énergie que toute celle produite par une étoile semblable au

Soleil pendant toute son existence… » (Étienne Klein, Ce qui est sans être tout à fait, Actes Sud, 2019, p. 160).

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alterner des pleins (mots, notes, etc.) et des vides (silences, intervalles, césures, etc.) : « Entre les

lettres, des blancs ; entre les mots, des lacunes ; entre les phrases, des interstices ; entre les

paragraphes, des intervalles. Au sein des lettres habillées de points et de couronnes, des béances, des

fissures, des ouvertures. … Les craquements du texte ne sont pas des oublis, mais des intentions.

Les vides ressemblent à des plénitudes, les espaces à des cris, les blancs à des appels à l’aide. Ce

sont des silences camouflés au sein de la langue qui portent signification par-delà le langage 36 . »

Dans les arts visuels, la complémentarité vide-plein s’est incarnée différemment en Occident et

en Chine traditionnelle. Dans la peinture de paysage chinoise shanshui 37 , la représentation relève

d’une spiritualité (taoïsme ou bouddhisme) où l’homme et le monde sont harmonieusement et

dynamiquement reliés (les principes taoïstes Yin-Yang indiquent deux éléments distincts mais

interdépendants). Le Vide, qui se rapporte à l’absence de forme, y occupe une part importante et

« ouvre le naturel sur le spirituel, comme le visible sur l’Invisible, mais celui-ci n’est pas pour

autant sur-naturel » 38 . En d’autres termes, le shanshui ne vise pas à représenter les formes en tant

que telles, mais l’âme ou les souffles (Qi) qui les animent : il relie une réalité visuelle observée et la

vision intérieure de l’artiste. Dans cette représentation, c’est le Vide (espace blanc, non peint,

pouvant signifier le ciel, la terre, l’eau, les nuages, etc.) qui valorise les parties pleines du tableau (la

montagne, l’arbre, le rocher, et parfois une minuscule figure humaine). Au sein de cette tradition

picturale millénaire, le Vide et le Plein s’interpénètrent et se donnent vie mutuellement :

techniquement, le Vide entre dans la Forme par l’inachèvement des traits et les dégradés d’encre

bordant les objets, qui se fondent ainsi dans l’infini.

Figure 5. Shitao, Two friends in the moonlight (1695). Domaine public.

36 Philippe Chriqui, L’éternité sinon rien, éditions Lichma, à paraître en 2023.

37 Shanshui (en chinois : montagne-eau) : terme chinois évoquant le paysage (pictural ou littéraire). Le modèle chinois

du shanshui a été repris, sous d'autres formes, dans certaines peintures coréennes et japonaises anciennes. Dans la peinture

chinoise ce terme réfère à un type de paysage naturel, généralement imaginaire, idéalisé et toujours accompagné

d’inscriptions calligraphiées. La « grande époque du paysage chinois » va des cinq dynasties à la période des Song du Nord

(907-1127).

38 François Jullien, La grande image n’a pas de forme, Le Seuil (Points Essais), 2003, p. 132.

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Prenons à titre d’exemple ce tableau inspiré par le taoïsme du peintre chinois Shitao 39 , Two

friends in the moonlight (fig. 5). Structuré en quatre parties à peu près carrées, il comporte dans sa

moitié droite deux masses montagneuses rocheuses : en bas et au premier plan, deux rochers

sombres, aux formes quasi organiques (ne dirait-on pas deux personnages courbés qui saluent le

paysage face à eux ?), attirent d’abord le regard, qui se dirige ensuite vers les rochers du haut au

deuxième plan ; entre ces deux masses rocheuses compactes, deux minuscules silhouettes humaines

peuplent un vide conséquent ; dans le quart inférieur gauche et en arrière-plan, un paysage de

montagnes aux traits moins appuyés, avec une vallée au fond de laquelle serpente un cours

d’eau débouchant sur le vide du premier plan ; enfin, le haut du quart supérieur gauche est occupé

par une élégante calligraphie entourée elle aussi de vide, lequel occupe deux fois plus d’espace

qu’elle. Cette dialectique des vides et des pleins est comme redoublée par une dialectique entre deux

sortes de vides : le vide médian qui coupe horizontalement la montagne de droite (tel un banc

nuageux d’où émerge le haut de la montagne), faisant ainsi voyager le regard, et le vide terrestre qui

prolonge la rivière de manière indéterminée (en est-il l’origine ou l’aboutissement ?).

Dans les représentations picturales occidentales, la complémentarité du fond et de la forme se

présente tout autrement : le contour des formes pleines instaure une nette séparation entre elles et le

fond plus ou moins vide (peint ou non) sur lequel elles se détachent ; de plus, les formes réduites à

leur seul contour sont dites elles-mêmes « vides » 40 . Dans les deux cas, le contour fait de la

complémentarité forme-fond une dichotomie statique, contrairement à leur complémentarité

dynamique dans la peinture chinoise. Par ailleurs il arrive qu’au sein même de cette dichotomie le

statut de la forme et du fond soit réversible, comme dans les célèbres pavages du peintre M. C.

Escher (par exemple la xylogravure L’Air et l’eau de 1938), qui permettent de voir dans leurs

formes « vides » aux lignes continues, soit des poissons nageant sur un fond d’oiseaux, soit des

oiseaux volant sur un fond de poissons.

La sculpture donne quant à elle une illustration tridimensionnelle de la complémentarité videplein,

notamment avec les plis et replis spectaculaires des sculptures baroques dont les formes sont

mises en valeur par les vides, ou, plus récemment, avec les OQNI (Objets du Quotidien Non

Identifiables) de la plasticienne Jeanne Cardinal 41 , qui, depuis 2019, moule en béton le contretype

spatial de l’intérieur d’ustensiles récupérés, matérialisant ainsi le vide invisible.

En Occident, le cinéma offre encore une autre possibilité de penser la complémentarité du vide et

du plein : la persistance rétinienne physiologique permet au cerveau de combler les vides entre les

24 images diffusées par seconde ; de même, les ellipses de l’espace et du temps (par exemple, le

39 Shitao (1642-1707) : paysagiste, calligraphe et moine-poète, surnommé Moine Citrouille-Amère. Tout jeune, il est confié

à un monastère suite à l’assassinat de son père, de lignée impériale, lors de la chute de la dynastie Ming. Les moines

remarquent son talent pour la peinture et l’encouragent. En tant que peintre, il jouira de son vivant d’un prestige

considérable. Son œuvre, qui traite notamment de paysages et de motifs végétaux, exprime simplement des thèmes

complexes (vastitude du monde, beauté de la vie). Il est célèbre en Occident pour son traité souvent traduit en français par

« Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère », dont la grande idée est celle de l'« unique trait de pinceau »,

considéré par la pensée taoïste et bouddhiste-chan comme l'origine et la quintessence de toute peinture. L'espace vide

(papier blanc, non-peint qui sépare les formes pleines) est dans l’esprit de la tradition chinoise, qui omet souvent une partie

d'une forme pleine pour ne pas en « étouffer le souffle ».

40 Notons cependant que le peintre qui cherche à représenter le vide – qu’il le fasse en dessinant le contour d’une forme

vide à l’aide de peinture ou bien qu’il laisse le support vierge – n’échappe pas à la matérialité. S’il existe bien un vide réel

(physique) et un vide représenté (symbolique), en pratique, dans un tableau, seul est réel pour le regardeur le vide

représenté.

41 Jeanne Cardinal : plasticienne (initialement céramiste et designer), diplômée ENSA Limoges 2018. Depuis 2017, elle

s’intéresse à la place de l’objet dans la sculpture. Son travail consiste à dé-fonctionnaliser des objets banals pour en faire

des formes de son vocabulaire plastique. Elle interroge ainsi tant les pratiques de la société que celles de l’art.

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trajet d’un personnage d’un point A à un point B, représenté uniquement par les lieux de départ et

d’arrivée) sont mentalement niées au profit de la continuité narrative. Certains genres

cinématographiques exploitent plus que d’autres les jeux avec le vide, tel le cinéma fantastique

usant largement d’un hors-champ dans lequel le spectateur projette ses émotions, souvent liées à un

inconnu menaçant. Dans son ouvrage Vers une esthétique du vide au cinéma 42 , José Moure a bien

montré comment le cinéma a progressivement évolué, de l’horreur pour le vide qui caractérisait le

cinéma classique, vers une fascination du vide croissante à partir de l’époque moderne. C’est dans le

cinéma classique que la complémentarité vide-plein est la plus patente. Le vide y est « d’abord

spatial : il s’incarne dans des paysages, des lieux dont la caractéristique est d’être ou de paraître

déshabités, inoccupés au moment où le héros s’apprête à les investir. … Il décrit une situation en

même temps qu’il appelle un événement 43 . » Moure distingue trois régimes de vide dans le cinéma

classique : le vide-ambiance (lieu désert), le vide dramatique (hors-champ ou hors-temps de

l’action) et le vide-affect (angoisse, horreur). Le plan vide est complémentaire à une plénitude

virtuelle qu’il « ponctue, suspend, déplace, prolonge ou désigne » 44 , mais dans le cinéma classique,

le vide n’est jamais montré en tant que tel (contrairement au cinéma postclassique, comme nous le

verrons plus bas). Deux exemples classiques de cette fascination du vide : La Prisonnière du

désert (1956) 45 ; Vertigo (1958) 46 .

4.2. Plénitude du vide

Notre traversée synthétique de l’histoire du vide physique nous a montré que les théories

actuelles du vide, aussi imparfaites soient-elles, n’en font jamais un néant : pour la physique

relativiste, le vide est un espace-temps débarrassé de toute la courbure liée à la matière, et pour la

physique quantique, un espace-temps en continuité dynamique avec la matière.

Dans l’art occidental, qu’il soit visuel ou sonore, c’est avec la modernité et plus encore la

postmodernité que le vide réel acquiert ses lettres de noblesse ; nombre d’artistes contemporains et

de compositeurs, qui dépassent la démarche représentative du vide, ne craignent plus désormais de

le présenter en tant que tel (galerie vide, concert muet, écran noir ou blanc d’un film).

42 José Moure, Vers une esthétique du vide au cinéma, 1997.

43 Ibid., p. 34.

44 Ibid., p. 49.

45 La Prisonnière du désert (John Ford, 1956) : « Le territoire de Monument Valley, paysage amorphe, vidé de toute

présence humaine, sert de décor hiératique et presque … abstrait à ce voyage initiatique au bout du vide. » ; « Tout, dans

La Prisonnière du désert, renvoie à un non-dit, à un “non-montré” sur lequel pèse un interdit. » Ibid., p. 71.

46 Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958) : « Un homme qui ne cesse d’être mis à l’épreuve du vide : vide du monde, vide de soi

et vide de l’objet désiré. … Le vide est perçu comme un trou noir qui s’ouvre au cœur même du réel et confronte le

personnage au sentiment angoissant de la profondeur et de la verticalité. » Ibid., p. 77.

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Notre époque fait volontiers remonter cette fascination de l’art d’aujourd’hui pour le vide à

l’exposition d’Yves Klein 47 à la galerie Iris Clert, au printemps 1958. L’artiste y proposait aux

visiteurs de contempler une pièce vidée de tout contenu et peinte en blanc pour créer « une

ambiance, un climat pictural sensible, et, à cause de cela même, invisible. » Mais cette quête de

l’immatérialité n’aurait sans doute pas été possible si elle n’avait été précédée, dans les années 1910,

par celle de Malevitch 48 : quête d’une spiritualité qui allait de pair avec le rejet récurrent de la

représentation au XX ème siècle, soupçonnée de restreindre la portée de l’art en l’enfermant dans des

œuvres figées et objectivantes. Passé par le cubisme, Malevitch en a retenu, au-delà des formes

éclatées, l’espace qui les contient et les anime, mais aussi qui en est animé. Il a ainsi

progressivement renoncé à l’opposition fond-forme si caractéristique de l’art classique occidental, et

« vidé » ses tableaux des formes figuratives au profit de formes géométriques simples, jusqu’à la

pure vacuité du Carré blanc sur fond blanc.

Klein, lui, suite à son exposition inaugurale, développera ses recherches sur le vide, qui

donneront lieu à d’autres expositions… jusqu’à celle du 6 juin 1962, au musée d’art moderne de la

ville de Paris, où il décroche les tableaux d’une salle (réalisant ainsi son ultime vide, quelques mois

avant sa mort).

Si « L’Exposition du vide » a d’abord surtout fait scandale, elle a par la suite inspiré de plus en

plus d’artistes conceptuels 49 : au début des années 1970, certains ont vu dans ce type d’exposition

une forme idéale de la critique institutionnelle et depuis une vingtaine d’années, il s’est largement

répandu, faisant toutefois valoir différentes conceptions du vide. En 2009, le centre Pompidou a

rassemblé les plus significatives dans une exposition aussi vaste que paradoxale, intitulée Vides.

Une rétrospective 50 – en l’occurrence une rétrospective des expositions vides depuis celle d'Yves

47 Yves Klein (1928-1962) : artiste français. Après un cursus scolaire erratique, divers apprentissages en autodidacte

(langues, judo) et des voyages significatifs, il est attiré par les mystères rosicruciens et la lecture de Gaston Bachelard. En

1954, il se tourne définitivement vers l’art. En quête d’immatérialité et d’infini, il entame son « Aventure monochrome » et

adopte le bleu outremer (« IKB », International Klein Blue). En 1955, une première exposition de tableaux monochromes

passe quasiment inaperçue. En 1956, Klein fait la connaissance du critique d’art Pierre Restany, qui le rendra célèbre. Au

printemps 1958, Iris Clert présente dans sa galerie parisienne une exposition intitulée La spécialisation de la sensibilité à

l'état matière première en sensibilité picturale stabilisée, plus connue par la suite sous le nom L'Exposition du Vide. Le 27

octobre 1960, il participe à la création du Nouveau Réalisme, avec Pierre Restany qui en a rédigé la Déclaration, et les

artistes Arman, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé et François Dufrêne. En

1962, il épouse une artiste allemande, Rotraut Uecker, et il meurt deux mois avant la naissance de son fils.

48 Kasimir Malevitch (1879-1935) : peintre, sculpteur et théoricien polonais, ukrainien, soviétique. Il est l’un des premiers

artistes abstraits du XX ème siècle, et le créateur du « suprématisme », un courant artistique proche du constructivisme, qui

affirme la suprématie du sentiment pur équivalant à la forme pure, libérée de toute signification. Dès l’âge de seize ans,

Malevitch produit en autodidacte une œuvre éclectique. En 1915, il présente dans l'Exposition pseudo-futuriste « 0.10 » à

Petrograd une trentaine de peintures abstraites, dont Quadrangle, connu sous le nom de Carré noir sur fond blanc,

deviendra l’emblème du suprématisme. À partir de ce tableau totalement auto-référentiel, Malevitch s'engage corps et âme

dans la quête métaphysique d'un monde de la non-représentation, qui le conduit en 1918 jusqu’au Carré blanc sur fond

blanc. Il renonce alors à peindre pour se consacrer à l’enseignement. Oublié pendant des décennies après sa mort, il sera

reconnu à partir des années 1970 comme un des maîtres de l’abstraction.

49 Pour un petit historique des expositions « vides », voir Nathalie Desmet, « L’Art de faire le vide : L’exposition comme

dispositif de disparition de l’œuvre », in Nouvelle Revue d’Esthétique, n° 8, 2011, p. 41-49.

50 Vides. Une rétrospective, Musée national d’art moderne - Centre Pompidou, Kunsthalle Bern, Centre Pompidou-Metz ;

John Armleder, Mathieu Copeland, Laurent Le Bon, Gustav Metzger, Mai-Thu Perret, Clive Philipot, Philippe Pirotte

(s.l.d.r.), 25 février-23 mars 2009. Pièces vides exposées : Yves Klein, La spécialisation de la sensibilité à l'état matière

première en sensibilité picturale stabilisée, Paris 1958. Art & Language, The Air-Conditionning Show, 1967. Robert

Barry, Some Places to which we can come, and for a while "be free to think about what we are going to do" (Marcuse),

Turin 1970. Robert Irwin, Experimental Situation, Los Angeles 1970. Laurie Parsons, Sans titre, New-York 1990. Bethan

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Klein en 1958. Selon ses commissaires, elle devait permettre d’aborder « les problématiques du rien,

de la vacuité, de l'invisible et de l'ineffable, du rejet et de la destruction », au risque d’une certaine

confusion conceptuelle, qui ne fut pas toujours évitée. Les œuvres des artistes majeurs présents dans

cette exposition permettent cependant de brosser un panorama du vide artistique contemporain et de

ses rapports avec une certaine plénitude.

Chez Yves Klein, cette plénitude, certes dématérialisée, est parfois colorée (« le vide est bleu 51 »,

disait-il) et toujours spiritualisée : ce sont ses « intentions picturales » non réalisées que l’artiste

donnait à voir. Pour Robert Barry 52 , le vide, qui constitue le sommet de l'art conceptuel et minimal,

n’est immatériel qu’en apparence : dans ses installations et ses performances, une galerie vide

d’objets n’en est pas moins remplie d’ondes et de gaz invisibles. Dans un esprit similaire, le groupe

Art & Language 53 affirme que le statut artistique d’une œuvre ne dépend ni de sa matérialité ni de sa

visibilité mais uniquement de sa capacité à être pensée. Robert Irwin 54 et Maria Nordman 55 (lors de

son exposition à Krefeld en 1984) déplacent le regard de l’œuvre-chose elle-même à l’espace

d’exposition qui, vidé de toute matière mais plein de qualités liées aux forces qui le traversent, est

devenu œuvre-événement et lieu d’échanges et de réflexions. Les autres artistes de cette

rétrospective vont eux aussi globalement dans le même sens, invitant les visiteurs à faire

l’expérience de l’espace d’exposition vide plutôt que celle de l’œuvre matérielle que l’on

s’attendrait à y trouver. Deux exemples encore pour clore cette liste non exhaustive : Michael Asher

56 , pour qui le vide est surtout un moyen de mettre en évidence les codes et conventions qui soustendent

la présentation et la réception de toute œuvre d’art, et enfin l’approche la plus radicale du

vide, due à Laurie Parsons 57 (galerie Lorence-Monk, 1990) qui, après avoir elle aussi valorisé la

Huws, Haus Esters Piece, Krefeld 1993. Maria Eichhorn, Money at the Kunsthalle, Berne 2001. Roman Ondák, More silent

than ever, Paris 2006. Stanley Brouwn, Un espace vide dans le centre Pompidou, 2009.

51 François Lévy-Kuentz, Yves Klein. La Révolution bleue, Paris, MKTV, Centre Georges-Pompidou, 2006, I DVD.

52 Robert Barry : artiste conceptuel américain (né en 1936). Il s'est intéressé aux phénomènes physiques – champs

électromagnétiques, gaz inertes, fréquences électromagnétiques d'ultrasons (Inert Gas Series, 1969) pour créer des œuvres

à l’apparence immatérielle : dans une galerie vide, il émet des ondes radio (1968) puis des radiations (1969) et disperse

ensuite des gaz nobles dans l’atmosphère. En 1969, pour montrer que l'art est quelque chose d'invisible, il organise une

exposition dans une galerie fermée pendant toute la durée de l'exposition.

53 Art & Language : groupe fondateur de l’art conceptuel, formé en 1968 à Coventry (Royaume-Uni) par Michael Baldwin,

David Bainbridge, Terry Atkinson et Harold Hurrell. L’exposition The Air-Conditioning Show (1966-1967) n’expose rien

d’autre que l’espace lui-même, dans ce cas précis, le système de régulation thermique du musée, c’est-à-dire le volume

d’air conditionné dans l’espace de la galerie, les salles devant être laissées vides, blanches, ternes et neutres.

54 Robert Irwin (né en 1928) : artiste américain d’installations. Il a exploré la perception et l'art conditionnel (qui répond au

contexte dans lequel il existe) en utilisant directement l’espace et la lumière, notamment par des interventions

architecturales modifiant l'expérience sensorielle et temporelle de l'espace.

55 Maria Nordman (née en 1943) : artiste conceptuelle germano-américaine. Son travail exalte la spécificité du lieu et du

moment et a pris de nombreuses formes (performances, constructions architecturales, langage, interventions musicales).

Reconnue internationalement, elle est renommée en particulier pour le rôle prépondérant de la lumière dans ses œuvres.

56 Michael Asher (1943-2012) : artiste conceptuel américain. Exposé aux États-Unis et dans le monde, il est connu depuis

la fin des années 1960 pour sa critique des institutions artistiques. Par ses installations (surtout des interventions éphémères

et in situ), Michael Asher déconstruit, parfois littéralement, les espaces qu’il investit artistiquement. Comme en 1973, à

la Galleria Toselli de Milan, où il a fait décaper à la sableuse tous les murs, le sol et le plafond ; les couches successives de

peinture blanche, qui étaient traditionnellement réutilisées entre chaque exposition, ont été ôtées jusqu’à ce que la structure

en béton du bâtiment apparaisse dans sa nudité.

57 Laurie Parsons (née en 1959) : artiste américaine. Active en art à la fin des années 1980 et au début des années 1990 où

elle expose des objets trouvés en tant que tels (pour elle, chacun d’eux est « aussi fort qu’une œuvre d’art »), elle troque

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galerie aux dépens des œuvres d’art qu’elle était censée contenir, finira par s’effacer elle-même de la

scène artistique.

Si lacunaire qu’il soit, ce bref parcours des expositions vides nous permet cependant d’en dégager

quelques spécificités : l’absence d’œuvre visible déplace l’attention vers son contexte et son mode

de production/fonctionnement (par exemple, les manifestations linguistiques qui l’accompagnent :

titre, signature, énoncé, discours). Vidée de sa matérialité et de ses environnements habituels

(spatiaux, temporels, institutionnels, économiques), l’« œuvre » ainsi dénudée peut perdre jusqu’à sa

qualification artistique. Cependant, pour l’artiste, même lorsqu’elles apparaissent vides de sens aux

yeux de certains, les œuvres procèdent toujours d’une intention, même celle de s’en remettre au

hasard. Du côté des visiteurs (et non regardeurs ou spectateurs, la vision étant ici convoquée à

égalité avec d’autres sens de la perception), les expériences affectives semblent prédominer –

surprise, solitude, état contemplatif, angoisse, colère, émerveillement – mais elles comportent aussi

une part rationnelle – pensées, analyses… Dans sa contribution au catalogue de l’exposition Vides,

Mathieu Copeland, qui est l’un de ses commissaires, a magnifiquement résumé l’essence du vide

artistique à partir de l’expérience que l’on peut en faire : « L’expérience du vide n’est pas vide : il

ne s’agit pas de rien, il ne s’agit pas non plus d’absence. Au contraire, il s’agit en fait d’un tout,

mais d’un tout sans apparente réalité 58 . … En fonction du point de vue choisi, le vide change de

texture et de qualités. Et, finalement comme dès son origine, par le vide nous faisons l’expérience de

sa qualité fondamentale, soit la présence de son absence 59 . »

Dans le même catalogue, la philosophe Françoise Bonardel égratigne cependant la prétention de

l’art contemporain à faire le vide, prétention qu’elle oppose au laisser faire du bouddhisme – à ses

yeux le vrai défi du vide : « Si inédites, si insolites soient-elles, toutes les performances artistiques

suscitées par l’attrait du vide ne sont au regard du bouddhisme que des exorcismes, tant la vraie

gageure est moins de liquider les formes que de laisser en elles œuvrer le vide 60 . »

Nous reviendrons sur cette conception dynamique du vide dans la pensée chinoise dont il

représente un élément fondamental.

Par ailleurs, quelques manifestations en France témoignent, si ce n’est d’une mode, en tout cas

d’un tropisme culturel contemporain pour « le vide », abordé de manière métaphorique dans

l’exposition d’œuvres du Frac Franche-Comté, « Les figures du Vide » (3 juin – 29 octobre 2023),

et très générale (« Le rapport de l’homme à travers le vide. Vaste sujet. ») pour la 3 ème édition du

festival Artocène à Chamonix-Mont-Blanc : « le Vide comme repère » (10 juin – 23 juillet 2023).

progressivement le monde de l’art pour celui du quotidien, nous mettant face à la dématérialisation de sa carrière d’artiste,

qu’elle abandonne totalement en 1994 pour devenir assistante sociale.

58 Mathieu Copeland, « Qualifier le vide », in Vides. Une rétrospective, op. cit., p. 167.

59 Ibid., p. 171.

60 Françoise Bonardel, « La Voie du vide », in Vides. Une rétrospective, op. cit., p. 178-179.

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Figure 6. Ann Veronica Janssens : Stella (2006).

Plus ponctuellement, une installation vide matériellement peut aussi accéder à la plénitude par

l’apport de lumière. C’est le choix qu’ont fait les artistes Ann Veronica Janssens 61 avec Stella

(fig. 6) – une étoile qui existe uniquement par la lumière jaune qu’elle reflète – et Hans-Peter

Feldmann 62 avec Painting of light, qui présente la trace fantôme d’un cadre. La lumière (un

61 Ann Veronica Janssens (née en 1956) : plasticienne belge. Son travail conjugue installations, sculptures, vidéos et parfois

photos. Ses installations, qui utilisent des éléments immatériels (lumière, brouillard artificiel, son) et des matières

simples (verres, miroirs, métaux, bois, etc.), jouent avec les reflets, la luminosité, les transparences. Le minimalisme de ses

œuvres souligne leur caractère insaisissable, vaporeux ou fragile, qui va jusqu’à questionner la notion même de matérialité.

Artiste de renommée internationale, elle a représenté en 1999 la Belgique à la Biennale de Venise. Avec Nathalie Ergino,

elle a contribué à la création du Laboratoire Espace Cerveau à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne qui réunit

artistes et scientifiques pour des projets communs.

62 Hans-Peter Feldmann (1941-2023) : artiste contemporain allemand. Dans les années 60, il commence à produire des

livres sans texte. Pour lui, rien n’est plus parlant que les images. Il s’en sert pour raconter des « histoires » qui s’adressent à

l’imaginaire du lecteur. Il s’arrête pendant dix ans et reprend une activité artistique au début des années 90 avec la série des

Aesthetic Studies, compositions de petits objets personnels, qu’il détourne de leur fonction principale. Dans le même esprit,

il revisite des œuvres classiques de l’histoire de l’art.

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éclairage de théâtre) dessine la forme du cadre au mur et, non sans humour, éclaire deux crochets en

suspension.

De même qu’en art contemporain, une « exposition vide » n’est pas vide, en musique, le silence

n’est pas muet. L’œuvre 4’33″ 63 du compositeur John Cage l’a brillamment montré. Souvent décrite

comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence », elle est en fait constituée des sons de

l'environnement que les auditeurs entendent ou produisent lors de son interprétation. Pour Susan

Sontag, c’est en effet une même plénitude qui caractérise ici le silence et le vide : « L’artiste qui

crée du silence ou du vide doit produire quelque chose de dialectique : un vide plein, une vacance

enrichissante, un silence éloquent ou éclatant. Cage avait réalisé tôt que le silence complet n’existe

pas. Si quelqu’un regarde, il y a toujours quelque chose à regarder. Regarder quelque chose de

"vide", c’est quand même regarder et voir quelque chose – même s’il ne s’agit que des fantômes de

ses propres espérances 64 . »

En ce qui concerne le vide cinématographique, nous avons déjà évoqué ses connotations

négatives dans le cinéma narratif classique, telles que les a analysées José Moure : qu’il s’agisse de

lieux déserts, d’un hors-champ ou hors-temps, d’angoisse ou d’horreur, le vide du monde et des

êtres, lié à la peur et à l’invisible, ne se soutient que de l’action dont il est complémentaire. Dans le

cinéma moderne au contraire, c’est le vide de la représentation elle-même qui est envisagé, affronté

et montré dans sa plénitude paradoxale, comme dans les expositions vides de l’art contemporain.

Parmi ces cinéastes, Wim Wenders est allé très loin : « … jusqu’à l’écran blanc (Weisse Wand),

nom du dernier cinéma que visite Bruno Winter dans Au fil du temps, jusqu’à la mort du cinéma et

cette caméra qui tourne à vide à la fin de L’État des choses, jusqu’au désert d’où revient le

personnage de Travis au début de Paris-Texas, jusqu’au saut dans le vide des anges au-dessus de

Berlin dans Les Ailes du désir 65 . »

Chez Marguerite Duras, le cinéma est celui de l’absence et de la non-représentation : rectangle

blanc dans Aurélia Steiner 66 , écran noir dans L’Homme atlantique 67 . Enfin, Michael Snow atteint un

63 4′33″ de John Cage : à la fin des années 1940, Cage visita la chambre insonorisée de l'université Harvard. Il s'attendait à

y « entendre » le silence, mais comme il l'écrivit par la suite : « J'entendis deux bruits, un aigu et un grave. Quand j'en ai

discuté avec l'ingénieur responsable, il m'informa que le son aigu était celui de l'activité de mon système nerveux et que le

grave était le sang qui circulait dans mon corps. » Que ce fût vrai ou non, il réalisa alors l'impossibilité de trouver le silence

où que ce soit, ce qui le conduisit à composer 4'33". Les autres influences de ce morceau sont dues aux arts visuels : des

amis de Cage, tel Robert Rauschenberg, avaient produit une série de peintures « blanches ». Apparemment vides, ces toiles

changeaient de ton en fonction de la luminosité de la pièce où elles se trouvaient, ou de l'ombre des personnes qui les

regardaient. Ces peintures ont poussé Cage à créer une œuvre utilisant un vide équivalent, dans le domaine musical.

D’autres influences probables sont celles du bouddhisme zen et de la notion taoïste de non-agir. Le morceau, qui remet en

question la notion même de musique, a été interprété par David Tudor le 29 août 1952, au Maverick Concert

Hall de Woodstock dans l'État de New York, en tant que partition de musique contemporaine pour piano. Pour Tudor, cette

œuvre « est l'une des expériences d'écoute les plus intenses qu'on peut avoir. Vous écoutez vraiment. Vous faites tout

entendre de ce qu'il y a, les bruits d'audience jouent un rôle. Il est cathartique – quatre minutes et trente-trois secondes de

méditation, en fait. » (William Fetterman, John Cage's Theatre Pieces: Notations and Performances, Amsterdam, Harwood

Academic Publishers, 1996).

64 Susan Sontag, « The Æsthetics of Silence », in Styles of Radical Will, Picador, New York, 2002.

65 José Moure, op. cit., p. 164-165.

66 Aurélia Steiner : série de deux courts-métrages réalisés en 1979 par Marguerite Duras. Dans Aurélia Steiner I

(Melbourne), le sujet féminin (Aurélia Steiner, invisible et absente) est à la recherche de son identité et dans Aurélia Steiner

II (Vancouver), elle va « jusqu’au “rectangle blanc” de la scène originelle : lieu irreprésentable de la naissance et de la

mort, “rectangle blanc de la cour du camp” où est née l’enfant Aurélia Steiner (survivante mais absente à l’image) et sont

morts ses parents. » (J. Moure, op. cit., p. 220).

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état-limite du cinéma en réduisant le film à son seul signifiant, vidant la narration de tout contenu

pour montrer le processus filmique lui-même. Dans La Région centrale 68 , par exemple, le film

fonctionne à vide (sans cameraman), et les images de nature sauvage et désertique ne comportent

aucune présence, aucun repère d’ordre humain.

5. Ouvertures

Aujourd’hui, selon la physique quantique, la matière, les rayonnements et les interactions

apparaissent comme des excitations du vide. L’art et le cinéma contemporains proposent diverses

conceptions et mises en scène des rapports entre le vide et l’invisible, l’immatériel, l’absence, le

rien. Ces explorations actuelles du vide sont les héritières de son histoire plurimillénaire, et certains

artistes (tels Yves Klein et John Cage), physiciens (Trinh Xuan Thuan), philosophes et écrivains

reconnaissent à cet égard leur dette envers le bouddhisme et le taoïsme.

Pour la pensée chinoise, le Vide – souvent nommé en français « Vacuité » pour le distinguer du

vide physique – est à la fois originaire et puissant. « Lié à l’idée des souffles vitaux et du principe

d’alternance Yin Yang, il constitue le lieu par excellence où s’opèrent les transformations, où le

Plein serait à même d’atteindre la vraie plénitude 69 . »

Lao Tseu 70 décrit de façon imagée le rôle du Vide au sein des phénomènes matériels : « Trente

rayons se joignent en un moyeu unique ; ce vide dans le char en permet l’usage. D’une motte de

glaise on façonne un vase ; ce vide dans le vase en permet l’usage. On ménage portes et fenêtres

pour une pièce ; ce vide dans la pièce en permet l’usage. L’Avoir fait l’avantage, mais le Non-avoir

fait l’usage 71 . » Pour le dire d’un mot, selon la philosophie chinoise, la puissance du vide/vacuité

réside dans sa capacité infinie à œuvrer dans le monde, y compris matériellement.

En Occident, une fois écartés les nihilismes – qui concernent le néant et non le vide –, c’est dans

le domaine spirituel, voire mystique, que le vide manifeste le plus intensément sa puissance.

Quelques grandes figures du XX ème siècle en témoignent : la philosophe Simone Weil, inspirée par

la mystique de la kénose 72 : « La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour

la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide 73 . » ; Yves Klein, dont le parcours fulgurant a

essentiellement consisté en une spiritualisation du vide ; l’artiste Fabienne Verdier 74 , qui voit dans le

67 L’Homme atlantique : moyen métrage réalisé par Marguerite Duras et sorti en 1981. Adapté du roman éponyme, il

évoque poétiquement la douleur d'une femme que l'homme qu'elle aime vient de quitter. Il s’agit en quelque sorte d’un nonfilm

: à partir d’un écran noir, une voix interpelle un Vous absent ; elle évoque la négation, l’oubli et la mort, accompagnée

de temps en temps par le seul bruit des vagues.

68 La Région centrale : film expérimental canadien réalisé par Michael Snow en 1971. Le film est une suite de mouvements

de caméra en plans-séquences, dans la région de la Côte-Nord du Québec. La bande-son, totalement synthétique, est

composée à partir de celle qui sert de programme à la caméra.

69 François Cheng, Vide et plein ; le langage pictural chinois, Seuil – Points, 1991, p. 45.

70 Lao Tseu : sage chinois qui aurait été le contemporain de Confucius (milieu du VI e siècle av. J.-C. – milieu

du V e siècle av. J.-C.) Il est considéré a posteriori comme le père fondateur du taoïsme.

71 Lao Tseu, Tao Tö King (Livre de la Voie et de la Vertu), chap. XI.

72 Kénose (du grec ancien, kenosis, « action de vider, de se dépouiller de toute chose ») : notion de théologie chrétienne

signifiant que Dieu se dépouille de certains attributs de sa divinité.

73 Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Paris, éd. Plon, 1988, p. 18.

74 Fabienne Verdier (née en 1962) : artiste peintre française. De 1983 à 1992, elle a étudié en Chine au Sichuan Fine Arts

Institute (Chongqing) et a reçu l’enseignement des derniers grands peintres chinois qui avaient survécu à la Révolution

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vide « la mère de l’univers » ; le cinéaste Ozu 75 , pour lequel le vide est un « lieu où, dans une

attente jamais résolue, se manifeste la spiritualité immanente à l’Univers 76 » .

Après tant de théories et d’expériences, de créations et de contemplations, force est de reconnaître

que le Vide est à la fois plus présent et plus absent que jamais. Omniprésent comme objet de

fascination, source de vertige, d’angoisse ou d’ennui, il se dérobe à une connaissance complète mais

peut envahir l’esprit jusqu’à le saturer, comme l’a éprouvé Henri Michaux : « Un Vide, tellement

différent de celui que l’on connaît, vide qui est aussi bien étalement que soustraction et autant excès

que perte. Violent, actif, vivant. Nappe, qui serait sphère aussi et indéfiniment prolongée pour faire

un vide augmenté incessamment, à dépasser, toujours nouvellement à subir, averse de Vide, qui sans

cesse revient, re-vide, ne dépend de rien, n’a de raison de s’arrêter, qui dissipe tout ce qui est autre

que vide et souverainement oblige à n’assister qu’au Vide, à se rassasier de Vide 77 . » Ou alors il est

inhérent au processus créatif, comme chez Fabienne Verdier : « Le vide s’installe doucement en

moi, calme les éruptions de la pensée… Je laisse faire le temps tout en travaillant. Je laisse émerger

ce qui se présente. Par la répétition constante, l’exigence intérieure, la banalisation apparente des

gestes, les certitudes s’effacent. Je suis enfin “libérée”. / C’est alors avec ardeur, une grande ferveur,

un amour total, que j’adhère au vide. Dans ce vide, j’abîme ma pensée. Je suis ma propre voie,

solitaire et profondément vivante 78 . » Il y a enfin la profondeur vibrante du silence, que rappelle

Vladimir Jankélévitch : « Ce silence que l’homme à la fois aménage et recherche est un silence déjà

habité… Plus le silence s’approfondit, plus nous découvrons de nouveaux secrets dans cette intime

profondeur ; au fin fond du silence nous percevons un “murmure immense” 79 plus silencieux encore

que le silence lui-même 80 . »

Notre traversée du vide, surtout dans ses formes artistiques et scientifiques, nous aura permis d’en

mesurer à la fois la prégnance dans l’espace et le temps, l’hétérogénéité, la force et le mystère. Ceux

qui s’y sont confrontés au cours des siècles ont eu à relever de grands défis : après avoir répudié

l’horror vacui, encore fallait-il démontrer l’existence du vide physique – qui se révéla composé

d’une multitude de vides, chacun en adéquation avec la théorie et les expériences qui le validaient.

Dans le monde de l’art, les choses ne furent pas plus simples et les tentatives des artistes

contemporains d’exposer le vide auront plutôt montré sa plénitude – sauf à avoir totalement renoncé

à l’art lui-même.

culturelle. Elle a décrit son apprentissage mouvementé dans Passagère du silence (Albin Michel, 2003). Après avoir étudié

les expressionnistes abstraits et les minimalistes américains (2005-2007), elle s’est tournée vers les primitifs flamands

(2009-2013), est intervenue en architecture (2010-2018) puis a entamé des recherches sur la dynamique des formes (2013-

2018) ; en 2019, le musée Granet a présenté une première rétrospective de son œuvre ; en 2022-2023, le Musée Unterlinden

à Colmar lui a consacré une grande exposition placée sous le double signe de la mort et de la transfiguration, Le Chant des

étoiles. Plusieurs livres et films documentaires lui ont été consacrés.

75 Yasujirō Ozu (1903-1963) : cinéaste japonais. Son œuvre est inconnue en France jusqu’en 1978, où sortent Voyage à

Tokyo, Le Goût du saké et Fin d'automne. Gosses de Tokyo sort en 1980. Un coffret hommage regroupant vingt films (édité

par Carlotta Films) a été édité en 2019. L’esthétique du vide est un élément essentiel de ses films, dans lesquels les

intérieurs sont vidés de leurs occupants, et les extérieurs sont des déserts ou des paysages de la nature. Sans personnages ni

contenu dramatique, les films d’Ozu sont comme de pures contemplations touchant à l'absolu.

76 José Moure, op. cit., p. 155.

77 Henri Michaux, « Ineffable vide », in Hermès, Le Vide, Les Deux Océans, Paris, 1981, p. 223-224.

78 Charles Juliet, Entretien avec Fabienne Verdier, Paris, Albin Michel, 2007, p. 55-56.

79 Référence à Charles-Marie Leconte de Lisle : « Mes yeux saignent. J'entends un immense murmure / Pareil aux

hurlements de la mer ou des loups » in Poèmes barbares, « Le cœur de Hialmar », 1856.

80 Vladimir Jankélévitch et Béatrice Berlowitz, Quelque part dans l’inachevé, Paris, Gallimard Folio Essais, 1978, p. 224.

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Finalement, c’est peut-être la pensée chinoise qui aura répondu aux défis du vide de la manière la

plus englobante, en faisant de la Vacuité une évidence tant naturelle que toute-puissante dans le

monde matériel et l’esprit humain.

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