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2023 - Vol 7 - Num 3

La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.

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La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.

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Arts et sciences

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La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent

toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la

fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont

invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles

que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.

Rédactrice en chef

Marie-Christine MAUREL

Sorbonne Université, MNHN, Paris

marie-christine.maurel@sorbonne-universite.fr

Membres du comité

Jean AUDOUZE

Institut d’Astrophysique de Paris

audouze@iap.fr

Georges Chapouthier

Sorbonne Université

georges.chapouthier@upmc.fr

Ernesto Di Mauro

Università Sapienza, Italie

dimauroernesto8@gmail.com

Mickaël FAURE

Ecole des Beaux-Arts

mickael.faure@versailles.fr

Jean-Charles HAMEAU

Cité de la Céramique Sèvres et

Limoges jean-charles.hameau

@sevresciteceramique.fr

Ivan Magrin-Chagnolleau

Chapman University, États-Unis

magrinchagnolleau@chapman.edu

Joëlle PIJAUDIER-CABOT

Musées de Strasbourg

joelle.pijaudier@wanadoo.fr

Bruno SALGUES

APIEMO et SIANA

bruno.salgues@gmail.com

Ruth SCHEPS

The Weizmann Insitute

of Science, Israël

rscheps@hotmail.com

Hugues VINET

IRCAM, Paris

hugues.vinet@ircam.fr

Philippe WALTER

Laboratoire d’archéologie

moléculaire et structurale

Sorbonne Université Paris

philippe.walter@upmc.fr

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• pas d’abonnement ou de participation financière de l’auteur,

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• les meilleurs articles sont sélectionnés par le comité éditorial et sont diffusés mondialement sous forme d’ouvrages

en anglais publiés en co-édition avec Wiley ou Elsevier.

Merci de contacter Ludovic Moulard – l.moulard@iste.co.uk – pour toutes questions sur la gestion éditoriale ou les

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Graphisme de couverture par Francis Wasserman

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Arts et sciences

2023 - Volume 7

Numéro 3

‣ Indigo Dyeing and Fermentation - Sukumo, Essential for Traditional Japanese Aizome ...................1

Yoshiyuki Ueno

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.0996

‣ Comment on devient (à la fois) scientifique et poète. Première partie. ...........................................8

Georges Chapouthier

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.1011

‣ Comment on devient (à la fois) scientifique et poète. Seconde partie. .............................................16

Georges Chapouthier

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.1012

‣ La Marie-Madeleine de Raphaël ou quand l’élève dépasse le Maître ! .............................................23

Annalisa Di Maria, Jean-Charles Pomerol, Nathalie Popis, Andrea Chiarabini

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.1013

‣ Art des jardins en terrasse et sciences du relief et du climat

au Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye .....................................................................................58

Ève Golomer

DOI : 10.21494/ISTE.OP.2023.1020

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Indigo Dyeing and Fermentation

Sukumo, Essential for Traditional Japanese Aizome

Teinture et fermentation Sukumo de l'indigo, essentiel pour la méthode

japonaise traditionnelle de coloration « Aizome »

Yoshiyuki Ueno 1

1

Alchemic Lab, Inc., 1-26-4-704, Oshiage, Sumida-ku, Tokyo 131-0045 JAPAN, yoshi@alchemiclab.biz

ABSTRACT. Aizome, or indigo dyeing, is one of Japan's traditional dyeing methods. The dye required for this indigo

dyeing process is produced by microbial reactions. In Japan, artisans called "aishi" are responsible for the production of

this fermentation product, called sukumo, which is necessary for indigo dyeing. The production of sukumo has long relied

on the experience and intuition of these craftsmen, but in recent years microbiological analysis has been introduced. This

column gives an overview of the sukumo production process, which is not yet fully understood scientifically, and presents

the fact that the ancient Japanese fermentation technique has found its way not only into the food and pharmaceutical

industries, but also into the fields of dyeing and fashion.

KEYWORDS. Indigo, Sukumo, Dyeing method, Aizome, Fermentation, Tadeai, Japan’s tradition.

Introduction

There is a tradition, that states the name "Japan Blue" was originally coined by Robert William

Atkinson, an English chemist in the Meiji era, who was impressed by the blue colour produced by

indigo dyeing in Japan. Aizome is a traditional dyeing of natural indigo and this dyeing method uses a

unique mechanism of microbial reaction to produce colour.

Sukumo is a fermentation product of the indigo plant, Tadeai (Polygonum tinctorium), which is

essential for this authentic indigo dyeing. Less information is available about sukumo, although it is the

raw material for the indigo dyeing solution. Tokushima Prefecture of Japan has become a sacred place

for a series of indigo dyeing techniques known as Awa-ai [1]. The artisans known as "aishi" or indigo

masters produce the sukumo using one of the oldest traditional techniques in Japan, which has been

practised for 600 years.

Dyeing is only indirectly related to artistic creation. However, aizome has been used in various

artistic objects and creations. Shibori, for example, is a traditional Japanese dyeing technique in which

fabric is manipulated to create patterns using dyes. The fabric is folded, twisted, or tied in various ways

before being dyed, resulting in unique and intricate patterns. This type of dyeing technique has been

used to create a wide range of artistic objects, including clothing, tapestries, and wall hangings, and has

been adapted and modified over time to create new and innovative works of art [2].

Until now, little was known about the involvement of microorganisms in the sukumo production

process. The authors have conducted interviews with various experts, including the aishi and the dyer

called “someshi”, and investigated the role of microorganisms in the sukumo production process, with

the aim of gaining knowledge of the reactions that occur in the overall process and how they relate to

the indigo dyeing. As a scientist, it is our desire to clarify unknown events and pass them on to future

generations, and as a Japanese, we wanted to contribute to the further development of their unique

culture in Japan.

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1


Principles of traditional Japanese indigo dyeing

The microbial reaction involved in this indigo dyeing process is quite simple. The indigo dye is

applied to the fabrics using an indigo solution made from sukumo, ash and natural organic materials

such as Japanese sake and wheat bran, which activates the microorganisms and creates a reducing state

by oxidizing the organic materials and an anaerobic state is created, i.e., a state in which there is no

oxygen. More specifically, the original component of indigo called indican (indoxyl β-D-glucoside)

which is found in the tadeai leaf exists as a precursor to indigo. When the leaves are decomposed, the

enzyme (β-glucosidase) contained in the leaves acts on this indican, cleaving the glucose and

producing indoxyl which is immediately oxidized to indigo. Indigo is normally insoluble in water, but

addition of ash creates alkaline conditions with a pH around 10, which is high enough to leach leucoindigo

into the solution [3]. The indican or leuco-indigo will eventually adhere to the fabric and cause

it to develop colour. Leuco-indigo is normally colourless (light yellow to brown), but when exposed to

oxygen, it turns into indigo. After soaking the fabric in the indigo solution, the dyer takes it out from

the bottle and expose it to air, which oxidises the leuco-indigo and produces the indigo colour. The

indigo produced remains and is fixed to the fabric because it is insoluble, as mentioned above (Figure

1).

Figure 1. Fabrics dyed with aizome (at Watanabe’s, Tokushima)

Indigo cannot be used for direct dyeing by dissolving it in water as it is insoluble in water. Indican

and indoxy, however are water soluble, so that those can penetrate the fibres and oxidise inside the

fibres to form indigo, i.e. they can be dyed. Therefore, this dyeing with fresh leaves can only be done

when and where they are available and can only be dyed thinly. Another key point is that leuco-indigo

can be adsorbed on ionic, protein-based fibres (e.g. silk and wool), but its adsorption on plant fibres

such as cellulose-based materials, is weak. It is therefore difficult to stain cotton. The reduced form of

indigo is water soluble. It can be reduced by microbial fermentation or by adding of a chemical

reducing agent such as sodium hydrosulfite to convert the indigo to a water-soluble leuco form, which

can then be soaked into the fibres. Leaching insoluble indigo from tadeai leaves and making it dyeable

is called 'indigo building', and is referred to as 'fermentative building' when done by fermentation and

'chemical building' if done by chemical means. In the fermentation process, microorganisms active in

the special alkaline environment are involved in the reduction of indigo. Naturally, this method does

not require chemical reducing agents and is environmentally friendly.

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2


A material called sukumo made by artisans

What struck us throughout our research into the sukumo production process was that the number of

people involved in making sukumo is already small and, as with other Japanese crafts, the volume of

sukumo production itself is declining due to a lack of successors to pass on the technique. While the

popularity of indigo dyeing itself is increasing slightly, the supply of the raw material used to make it

is not keeping up with the demand. There are currently, only 5 sukumo manufacturing factories in

Tokushima Prefecture, and only a few artists and dyers who prefer to use natural indigo instead of

using chemical dyes are able to obtain supplies of sukumo. It is human nature to want to analyse the

details of this sukumo production process in order to produce sukumo more easily and in larger

quantities, just as we do with other industrial products. If the cost can be reduced, it can be

industrialized.

The process of making sukumo is similar to the process of making compost from food waste or

livestock waste such as cattle dung, known as composting [4]. In other words, the organic matter and

toxic substances contained in the waste are oxidised and decomposed to reduce their volume by

reacting with the oxygen in the air, and nitrate, phosphate and other minerals, which are the source of

fertiliser, are concentrated in the process. On the other hand, the materials used in the production of

sukumo are only tadeai leaves and water, and through the process of turning the leaves back and forth

in contact with air for about 120 days, the indigo and the microorganisms necessary for the dyeing

process are extracted and combined into a set as sukumo (Figure 2 and 3). What happens during this

four-months process of bedding (Nesekomi in Japanese)? The indigo masters, aishi, skilfully manage

this process by communicating with the microorganisms.

Tadeai, an annual grass used as a raw material, is sown in early spring and harvested in the summer

and autumn. After sun drying, the leaves are sorted, and the process of making sukumo begins on the

first day of early October, which is the first auspicious day of the month of Daian in the Japanese

calendar. The leaves are spread out on a straw mat and repeatedly watered and mixed. This process is

rigorously repeated to ensure that the water and leaves are mixed without any unevenness. This process

is repeated while checking the smell and the visual observation to confirm the decomposition of the

leaves. During this process, organic matter contained in the leaves is oxidised and the indigo is

concentrated by reacting with the air through regular stirring. This process continues for about 120

days, until the end of February. During this period, the decomposition of the tadeai leaves causes the

temperature to rise to around 70°C, and the smell of organic acids and ammonia fills the air, increasing

with each passing day.

According to the aishi when this smell disappears, it is a signal that the sukumo making is complete.

This simply rely on their long experience and faithfully follow the teachings of their predecessors.

They have never tried to simplify the process, wondering if it could be completed in less time. In midwinter,

the water in this season is finally poured over the top. This may be because the water in this

cold season is less susceptible to spoilage from contaminated bacteria in the cold season.

The dyers and dyeing artists wait for the process to be completed and then begin the dyeing for the

year. In March, the aishi begin sowing the tadeai again, and a new year of sukumo production begins.

It is clearly a vintage, just like the routine of making wine and sake.

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3


Figure 2. Production of sukumo in overall indigo-dyeing process.

Figure 3. Pictures,(A) Seeding of Tadeai; (B) Plantation; (C) Retorting; (D) Sukumo being fermented.(Photos

are taken at Aiya Terroir and Nii seiaisyo)

Microbiology of sukumo fermentation

In aizome, the processes of making the sukumo and dyeing by the dyer are separated according to

their specialisation, and resulting in a division of labour. There were also specialised traders called

“aishou”, the indigo dealers. The overview described so far focuses only on the production process of

sukumo. During the dyeing process, someshi skillfully handles the indigo solution added with sukumo

and dyes the fabrics.

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4


Several indigo-reducing bacteria, a microorganism indispensable to the indigo dyeing process have

been iidentified from the indigo dyeing solution and their physiological properties and behaviour in the

production process have been studied [5, 6]. We have also tried molecular analysis of their existence in

the process of sukumo production. The results showed that the indigo-reducing bacteria were not

present at the beginning of the sukumo production process and were not detected until about two

months after the bedding process had been completed. In other words, the bacteria did not appear untill

the bedding process had been continued for two months. As this type of microorganisms prefers

alkalinity, it is likely that it appears when the leaves decompose to some extent and the ammonia

produced in the process makes the environment alkaline. So, is indigo dyeing possible in the presence

of this indigo-reducing microorganism? Indican and indoxil, the precursor of indigo, are known to be

present in indigo leaves. If so, would indigo dyeing be possible with the presence of only these bacteria

and indigo leaves? The answer was no from our experiments. However, the leaves were decomposed to

some extent and, after a certain period of time, no colour developed even when the indigo-reducing

bacteria were present. What exactly is happening in this process? The process of indigo leaf

fermentation involves a variety of microorganisms in the reaction, not just the decomposition of leaf,

the establishment of an alkaline condition and the extraction of indigo. The details of this process are

currently being researched, but there should be a scientific basis for sukumo production, which takes

an indigo master about four months to complete. The craftsmanship passed down from generation to

generation, and the production of sukumo based on the artisan’s sense of smell and feeling, is

beginning to be supported by scientific evidence.

Sukumo production is also a traditional Japanese fermentation

Fermentation is scientifically defined as microbial metabolism and functions that can be used for

material production. The Japanese culture of fermentation has taken root not only in the food and

pharmaceutical industries [7-9], represented by miso, soy sauce, Japanese sake, and antibiotics, but

also in the traditional clothing and fashion industries where aizome is incorporated as another example

of fermentation technology in Japan.

Alcoholic bevarages such as sake and wine have a long history in human society and civilisation. It

dates back to B.C. However, it is only in the last hundred years that it has become clear that alcoholic

fermentation is carried out by microorganisms. The Dutch scientist Antony van Leeuwenhoek

discovered yeast some 300 years ago, and it was only a little over 100 years ago that the French

scientist Louis Pasteur discovered that yeast was involved in alcoholic fermentation. Since then,

microbiology has made many breakthroughs and developments in human society. Before these

discoveries, however, people had been enjoying alcoholic beverages produced by microorganisms for

thousands of years. People simply took advantage of the reactions of microorganisms without knowing

their names or functions. Alcoholic fermentation has been revealed not only the microbial physiology

and biochemistry of yeast, but also the metabolism involved in the expression of flavour and aroma in

the brewing process. There was a time in the past when sake brewing was done without knowing the

principles and by praying to God, but nowadays, part of the sake brewing process has been managed

by controlling reactions using AI.

The same idea could be applied to the natural indigo dyeing of Aizome. Microbiological research on

the indigo dyeing process may still be in its infancy. It remains to be seen to what extent microbiologist

will unravel the mysteries of microorganisms involved in the production of sukumo and aizome. And

there must be a long way to go before the full picture is revealed. We hope that the day is not far off

when future research will contribute to this traditional Japanese dyeing and other forms of art and

fashion.

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Concluding remarks

As attention to traditional Japanese culture and practice, as represented by Japan-Blue and Cool-

Japan [10], gains worldwide popularity, interest in indigo dyeing of aizome is also increasing. Young

people with a high artistic sensibility are particularly concerned with originality, and are interested in

various attempts to incorporate aizome not only into traditional Japanese clothing such as tenugui hand

towels and happi coats, but also into modern fashion such as jeans, T-shirts, scarves, and mufflers.

There is also a growing number of people who want to make their own sukumo because of the shortage

of supply, and who are now involved in the entire process from the production of sukumo to the indigo

dyeing of aizome.

In the field of dyeing, artists and scientists have worked together to develop new techniques and

materials. This collaboration has led to the creation of new and innovative works of art. Artists have

used dyeing techniques as a means of expression in paintings and textile works. The colours and

patterns created by dyeing can add a unique beauty and depth to a work of art, and are therefore the

most important source of originality in art.

The microorganisms play the leading role in the fermentation process, and we humans are the

directors or producers who are allowed to benefit from their work. This may sound like a bit of an

offensive, as microorganisms have been living normally for billions of years, and we are just

newcomers who appeared on Earth only a few million years ago. Humans continue to enjoy a quality

of life thanks to the benefits of microorganisms. And we can contribute to the creation of a more

sustainable and valuable society by understanding traditional cultures based on science.

Acknowledgement

The author would like to thank Aiya Terroir (https://aiya-terroir.com), Nii-Seiaisyo (https://niiseiaisyo.jimdofree.com),

and Watanabe’s (https://watanabezu.com) for their cooperation for

interviewing and providing sukumo sample for microbial analysis. The author also thanks Dr.

Souichiro Kato of National Institute of Advanced Industrial Science & Technology, Japan for his

suggestions and review during the preparation of this manuscript.

Reference

[1] Awa-ai, https://sustainable.japantimes.com/magazine/vol01/04

[2] Waldek, S. (2020) The art of shibori, a traditional Japanese dye technique, https://www.housebeautiful.com/designinspiration/a34310971/what-is-shibori/

[3] Fabara N., Fraaije M. W. (2020) An overview of microbial indigo-forming enzymes Andrea,

Applied Microbiology and Biotechnology, 104, 925–933

[4] Zhou Y., Xiao, R., Klammsteiner T., Kong Y., Yan B., Mihai F., Liu T., Zhang Z., Awasthi M. K. (2022) Recent

trends and advances in composting and vermicomposting technologies: A review, Bioresource Technology, 360,

127591

[5] Aino K., Hirota K., Okamoto T., Tu Z., Matsuyama H. Yumoo I. (2018) Microbial Communities Associated With

Indigo Fermentation That Thrive in Anaerobic Alkaline Environments, Frontier in Microbiology,18;9:2196.

[6] Tu Z., Lopes H. F. S, Igarashi K., Yumoto I. (2019) Characterization of the microbiota in long- and short-term natural

indigo fermentation, Journal of Industrial Microbiology and Biotechnology, 46, 1657–1667

[7] Allwood J. G., Wakeling L. T., Bean D. C. (2021) Fermentation and the microbial community of

Japanese koji and miso: A review, Food Science 86, 6, 2194-2207

[8] Kuila A., Sharma V. (2018) Principles and Applications of Fermentation Technology, ISBN:9781119460268 |Online

ISBN:9781119460381, Scrivener Publishing LLC

[9] Sadh P. K., Kumar S., Chawla P., Duhan J. S. (2018) Fermentation: A Boon for Production of Bioactive Compounds by

Processing of Food Industries Wastes (By-Products), Molecules. 23, 10, 2560.

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6


[10] Cool Japan, https://www.cao.go.jp/cool_japan/english/index-e.html

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7


Comment on devient (à la fois) scientifique et poète.

Première partie.

How to be a scientist and a poet at the same time. Part one.

Georges Chapouthier 1

1

Directeur de Recherche Emérite au CNRS, georgeschapouthier@gmail.com

RÉSUMÉ. Né en France dans un milieu universitaire très littéraire, mais passionné, depuis la petite enfance par les

animaux, l’auteur montre comment à travers divers épisodes de l’enfance, de la jeunesse et de la maturité, peut se

former un double attrait puissant pour la biologie et pour la poésie. Ce parcours original l’a finalement conduit à être à

la fois scientifique et poète, deux activités a priori bien différentes. Ce cheminement double ne va pas sans certaines

surprises ou certaines difficultés que l’auteur ne manque pas de souligner.

ABSTRACT. The author was born in France, into an academic and literary family, and ever since his earliest

childhood has always been devoted to animals. While relating different episodes of his life, from childhood through to

adulthood, he shows how he developed two driving ambitions, one for biology and the other for poetry. This unusual

combination of interests ultimately led him to follow the two quite different directions, choosing to be both scientist and

poet. The dual career path involved various surprises and difficulties that will be described.

MOTS-CLÉS. Animal, Biologie, Enfance, Extrême-Orient, Haïku, Morale, Poésie.

KEYWORDS. Animal, Biology, Childhood, Far East, Haiku, Morality, Poetry.

Parvenu à de ce qu’on appelle pudiquement le « troisième âge », il m’a paru éclairant de

retrouver, dans mes souvenirs d’enfance, des éléments qui ont pu contribuer à mes choix d’adulte et

qui m’ont permis de poursuivre une double vie de scientifique et de poète, deux domaines qui

semblent, a priori, bien éloignés 1 . Le rappel comportera deux parties successives mais évidemment

liées. La première traitera des bases psychologiques essentielles qui se forment durant l’enfance et la

jeunesse. La seconde des bouleversements qui se produisent durant la vie d’adulte et, qui, sans

changer complètement les orientations de la jeunesse, peuvent considérablement les modifier.

Première partie : Tout se dessine durant l’enfance et la jeunesse

Toute vie adulte prend d’abord une bonne part de ses racines durant l’enfance.

Je suis né en France en 1945. C'est-à-dire que j’appartiens au « baby-boom » d’après-guerre, qui

s’est transformé depuis en « papy-boom », à la grande surprise des hommes politiques, qui n’avaient

jamais pu imaginer un seul instant qu’une marée de bébés pourrait donner, soixante ans après, une

marée de retraités ! Je suis né en 1945 et cette date a eu aussi des conséquences inattendues

beaucoup plus tard dans ma vie. Le 5 de ma date de naissance peut en effet être très aisément

maquillé en 3. Ce qui fait qu’à l’adolescence je m’attribuais ainsi, sur ma carte scolaire, deux années

supplémentaires, qui me permettaient d’assister, bien avant l’âge requis, aux films interdits aux

« moins de 16 ans », puis aux « moins de 18 ans ».

1 Cette synthèse en deux moments a fait l’objet plusieurs essais succincts préalables : Revue Indépendante (Paris),

2004, N° 300, pp 9-12, Revue en ligne Plastir, 2006, 5, http://plasticites-sciences arts.org/PLASTIR/Friedenkraft1.pdf,

et, « Arts et sciences », 2018, Iste- Open Science, Vol. 18-2, N° 1, DOI : 10.21494/ISTE.OP.2018.0241,

https://www.openscience.fr/Etre-a-la-fois-scientifique-et-poete.

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8


Je suis issu d’une famille aisée et intellectuelle, d’une mère charentaise très attachée à ses racines,

professeur de lettres en lycée et autrice de savoureux articles en patois saintongeais 2 , et d’un père

bordelais, archéologue en Grèce et professeur de Grec ancien à l’université de Paris 3 . On verra plus

loin qu’il n’est pas sans importance de signaler que ma mère avait été l’étudiante de mon père,

qu’elle était, d’une quinzaine d’années, plus jeune que lui.

J’ai vécu ma petite enfance dans le milieu universitaire parisien, fier que mon père appartienne à

ce que je considérais, du haut de mes trois pommes, comme l’élite du monde. Familiarisé dès le

berceau aux dieux grecs, je buvais mon biberon sous les statues d’Athéna et de sa chouette. Un

instant enfant unique, puisque aîné de la famille, je fus sur-choyé et appris à marcher et parler un

peu plus tôt qu’il n’est d’usage. Plusieurs évènements marquants vinrent cependant troubler cette

enfance idyllique. Quand j’eus trois ans, je vis brusquement un bébé faire intrusion dans mon

univers feutré. C’était ma petite sœur. Pour que je puisse débarrasser le plancher, on me mit alors,

pour une année, au jardin d’enfants. Furieux, j’y allais tirer les cheveux de toutes les petites filles.

En outre, et bien involontairement cette fois, j’y attrapai nombre de maladies infantiles –

coqueluche, varicelle, angines…-- que je passai aimablement à ma petite sœur. A la fin de l’année,

fin de cette parenthèse. Mes parents décidèrent que, finalement, je serais mieux à la maison, où je

retrouvai un contact quotidien approfondi avec les divinités grecques et leurs représentations.

Fort de cette hérédité familiale, tout semblait me destiner à une carrière littéraire. S’étaient en

effet penchés sur mon berceau, non pas des fées bienfaisantes ou carabosses, mais tous les dieux de

l’Olympe !

Prémisses de la science et de la poésie

Quand j’eus cinq ans, des évènements apparemment indépendants vinrent rompre mes habitudes.

D’abord j’entrai en classe où j’appris à lire. Dans l’actuel Lycée Montaigne de Paris, qui comportait

alors des classes primaires, j’entrai en 11°, l’actuel CP, avec une année d’avance, comme c’était

l’habitude à cette époque. D’autre part, ma grand-mère paternelle mourut. Une vieille dame qui

marchait avec difficulté entre la rue Notre-Dame-des-Champs et le jardin du Luxembourg, et à

propos de laquelle ma mère émettait des propos amers que je comprenais mal. C’est aussi à cette

époque que le père Noël eut la bonne idée de me donner un superbe ours en peluche, qui allait, des

années durant, être mon animal fétiche.

Les deux derniers points, qui paraissent anecdotiques, appellent quelques réflexions. A la mort de

ma grand-mère, un certain nombre d’objets arrivèrent en héritage. On me donna notamment des

recueils de poésie « contemporaine » qui lui avaient appartenu. A l’âge où l’on commence à

feuilleter des livres, j’y découvris avec passion des poèmes courts, à la métrique rigoureuse proche

de la chanson – Paul Fort, Richepin, Maeterlinck…--, qui me marquèrent considérablement. D’une

certaine manière, j’appris à lire dans ces poètes. Je cite de mémoire, soixante-dix ans plus tard, ce

texte de Maeterlinck 4 :

Les sept filles d’Orlamonde

Quand la fée fut morte,

Les sept filles d’Orlamonde

Cherchèrent les portes. (…)

2 G.Chapouthier, A propos de… Odette Mazaubert Chapouthier : un parcours littéraire atypique, Aguiaine, 2006, N° 253, 60-62

3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Fernand_Chapouthier

4 M. Maeterlinck, Les sept filles d’Orlamonde, Quinze Chansons, Paul Lacomblez Éditeur, Bruxelles, 1912, pp 107-108.

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Voient l’océan par les fentes,

Ont peur de mourir,

Et frappent la porte close,

Sans oser l’ouvrir...

Le goût prononcé de mon père pour les calembours, goût que j’acquis moi aussi à son contact,

produisit également un intérêt précoce pour le jeu des mots et de leurs sonorités.

Quant aux animaux, j’ai toujours eu pour eux une grande attirance. Tout petit, j’allais

spontanément vers les chiens du village de Saintonge où je passai mes vacances avec ma mère et

mes grands-parents maternels. Un peu plus tard, à l’âge où, à ce qu’on m’a appris, les petits garçons

s’intéressent particulièrement aux voitures miniatures et aux soldats de plomb, et les petites filles

aux poupées, moi, je m’intéressais presqu’exclusivement aux nounours. Et celui qui m’avait été

donné par le père Noël, et qui allait devenir le fleuron d’une impressionnante collection, allait être

un compagnon fusionnel de toute mon enfance.

Pourquoi cette attirance spontanée vers les animaux ? Je n’ai pas de réponse claire à cette

question qui relève peut-être de la génétique ou de l’imprégnation précoce durant la vie fœtale. Ce

que je peux dire, c’est que j’ai retrouvé le même phénomène chez ma fille ainée. Alors qu’elle était

toute petite, deux ans environ, est apparu, sur l’écran de télévision, un dragon grommelant et

crachant du feu. Ma fillette c s’est alors précipitée vers l’écran avec un mouvement de sympathie

qui m’a frappé.

En ce qui me concerne, dès la petite enfance, on le voit, j’étais déjà au contact de deux horizons

puissants mais très différents : un cocon littéraire familial et une appétence pour les animaux. La vie

enfantine ultérieure allait considérablement accroître ces contacts et leur donner des conséquences

insoupçonnées.

Une influence paternelle considérable

Un autre souvenir intense de cette époque me revient : la joie de contempler avec mon père le ciel

en Août. Nous étions tous les deux assis sur un banc ce soir d’été, dans la petite maison que ma

mère avait fait construire en plein milieu des bois charentais, parmi les pins, les chênes et les

châtaigniers, et sous un ciel d’une limpidité exemplaire. En écoutant mn père, je fus ravi

d’apprendre à reconnaître le premier et le dernier quartier de la lune, de savoir ce qu’étaient les

planètes, les étoiles, la voie lactée… Ma décision fut prise ce soir-là : je serai astronome ! Mon père

encourageait tous les désirs. Peu après, avec lui je rédigeai (c'est-à-dire qu’il rédigea pour moi) un

mini « traité d’astronomie », qui me permit d’épater, par mes modestes connaissances du système

solaire, mes camarades de classe ébahis. Mais dans ce souvenir paternel d’un instant de vécu

existentiel, dans cette contemplation partagée du ciel étoilé, si intense qu’elle qui m’e restée en

mémoire des décennies plus tard, ne pouvait-on déjà trouver, à la fois, un intérêt pour la

connaissance du monde et pour la science et une sensibilité à charme étincelant de la nature ?

Comme je m’intéressais aux poètes favoris de ma grand-mère et aux rimes, mon père rédigea

aussi pour moi un poème régulier de trois quatrains, comportant les trois organisations possibles des

rimes : abba, abab et aabb. Il était question d’une baignade suivi d’un risque de noyade et seuls les

deux dernières strophes me sont restées en mémoire (mille fois pardon, lecteur éduqué, pour ces

vers de mirlitons, évidemment adaptés par mon père à un bambin de cinq ans !) :

… Alors mon ours joli

En me voyant noyer

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A fait un clapotis

Pour venir me sauver.

Et nous rentrons tous deux

En contemplant les cieux

Jusqu’à notre maison

Où nous nous reposons.

Si j’ai tenu à citer cet humble souvenir de la petite enfance, c’est que, sans que je m’en rende

compte, il portait sans doute en lui, dès l’âge de cinq ans, mon attrait ultérieur pour l’expression

poétique en général et pour certaines règles de métrique en particulier.

Une influence maternelle essentielle

La mort de mon père, alors que j’avais huit ans, fut un cataclysme émotionnel dont je ne me suis

jamais vraiment remis.

Pour élever ses deux enfants en bas âge – ma petite soeur et moi-même -- ma mère veuve dut

prendre un double visage, bien difficile à assumer, à la fois maternel et paternel. Après la mort de

mon père, l’influence de ma mère sur ma personnalité en devenir, déjà très importante, puisque,

durant des premières années, on est d’abord proche de sa maman, devint, sinon exclusive du moins

essentielle. De confession catholique, mon père était un paroissien pratiquant. Elle aussi de

confession catholique, ma mère était, pour sa part, non pratiquante et très marquée par l’esprit

voltairien. C’est grâce à son contact que je suis devenu largement voltairien moi-même et que j’ai

pu développer un esprit critique, voir caustique, à toute épreuve. Mon marquage indélébile aux jeux

de mots, précédemment acquis auprès de mon père, s’y intégra merveilleusement et, très vite, je ne

pus prendre connaissance d’un évènement sans le travestir en une boutade. L’affirmation la plus

solennelle me paraissait sujette à caution et le discours le plus affirmatif me paraissait devoir être

contesté. Sans pour autant mettre en cause les vérités que mon éducation visait à m’inculquer, je les

voyais toujours dans un certain relativisme salutaire. Je ne concevais pas le sérieux sans son

accompagnement nécessaire, mais pondéré : la dérision 5 .

Une jeunesse profondément liée aux animaux

Toute ma jeunesse a été marquée, d’une certaine manière, par mon attraction pour les animaux.

C’est surtout pendant mes vacances en Charente-Maritime que je fus amené à les côtoyer.

Mon grand-père maternel 6 était médecin de campagne dans un petit village situé au sud de la

Charente Maritime, à deux pas du Bordelais, et qui porte le nom de La Clotte. Médecin de

campagne à cette époque, cela voulait dire assurer un sacerdoce, être dérangé, de jour comme de

nuit, tous les jours de l’année, s’occuper aussi des urgences dentaires, des soins vétérinaires ou des

accouchements à domicile. C’est ainsi que mon grand-père permit l’accouchement de la moitié des

enfants du canton. Nullement surprenant dès lors qu’il ait été, pendant de nombreuses années, le

maire de son village. Ma grand-mère et lui s’occupait aussi d’une ferme où ils habitaient et où l’on

5 Cet esprit caustique devait me suivre toute ma vie, puisque, bien plus tard, je fis un bilan humoristique de mon activité de

chercheur scientifique : G. Chapouthier, Une belle cerise sur le gâteux ! – La vie d’un chercheur scientifique sous l’angle

humoristique, Editions Unicité, France, 2019

6 G. Friedenkraft, Les aventures d’Emmanuel Mazaubert – Souvenirs de mon grand-père, L’écho de l’étroit chemin (en ligne),

2021, 36, pp 23-25

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rencontrait des chats, des chiens 7 , des vaches, des lapins, des poules ou des dindons. C’est là que je

me familiarisai avec les animaux domestiques, particulièrement avec les chats avec lesquels j’ai

acquis une connivence inégalée. Au-delà du règne animal, l’endroit était aussi propice à la

découverte du charme de la nature. Devant la ferme de mes grands-parents se situait en effet un

grand jardin dominé par un tilleul séculaire et pourvu, au gré des saisons, d’une profusion de fleurs,

de légumes et de fruits. Y éclataient les tulipes, le lilas ou les glycines au parfum envoûtant, les

dahlias ou les chardons. On pouvait y piocher à volonté dans les parterres de fraises, dans les

arbustes de groseilles, blanches ou rouges ou groseilles à maquereau, et dans les lourdes branches de

pruniers. On y voyait grandir les tomates, les haricots, les melons ou l’oseille. Une splendeur

végétale qui ne pouvait laisser personne indifférent.

Ma mère s’était installée, comme le l’ai dit plus haut, dans une petite maison située à quelques

kilomètres de là, au milieu des bois et où je pus me familiariser avec des animaux plus sauvages :

limaces, papillons (que collectionnait aussi mon grand-père), fascinantes chenilles processionnaires,

cerfs-volants, hérissons, crapauds, lézards ou fourmis. Certaines de ces dernières formaient de longs

régiments, aux soldats serrés, qui parcouraient les allées de sable autour de la maison. Le paysage

sonore, le bruit de fond des grillons et les cris de oiseaux, geais ou corbeaux le jour, chouettes ou

hiboux la nuit, ne manquaient pas d’intriguer aussi le bambin que j’étais.

Mes contacts avec le monde paysan, que j’adore, n’ont pas toujours été harmonieux dans ce

domaine. Je n’appréciais guère la passion pour la chasse de nombre de mes voisins. Le coiffeur du

village, lui aussi chasseur, aimait raconter à ses clients comment, pour s’amuser, il tirait sur les

écureuils. Tout le monde riait à ses histoires, sauf moi, et je ne comprenais pas pourquoi les autres d

les trouvaient drôles.

Une autre anecdote, particulièrement significative, témoigne de cette gêne que j’éprouvais dans

ce domaine.

Histoires de reptiles et d’oiseaux

Il régnait au village une haine pour les serpents. Non seulement pour les vipères, qui peuvent

effectivement vous mordre si vous avez le malheur de leur marcher dessus et mettre, par leur venin,

votre vie en danger, mais aussi pour les inoffensives couleuvres, pourtant bien utiles aux

agriculteurs. La scène que je voudrais vous conter se passe dans une ferme locale où se présente une

belle couleuvre. Le paysan saisit immédiatement son bâton et s’apprête à massacrer l’intruse.

Intervient alors l’instituteur qui est présent et qui lui dit : « Cher ami, ne tuez pas ce serpent ! C’est

votre allié. Il détruit les souris qui menacent vos récoltes de céréales et est donc d’une grande utilité

pour vous !’ A ces mots, le paysan arrête son geste, range son bâton et s’abstient de frapper la

couleuvre, mais il devait ajouter plus tard : « Et quand l’instituteur est parti, je lui ai fait sa fête à ce

sale serpent ; je lui ai écrasé la tête ! » Le bon sens écologique ne touche donc pas nécessairement

les mieux agricoles. Pour ma part, j’ai beaucoup regretté cette peur du serpent, qu’on m’a inculqué

toute mon enfance.

A une autre occasion, un vieille paysanne, qui travaillait pour mes grands-parents, crut me faire

plaisir en m’offrant une tortue : « Venez, me dit-elle à mon arrivée en vacances, on a gardé pour

vous une petite tortue ». Dans un seau, je découvris effectivement une malheureuse tortue aquatique,

« oubliée » dans l’obscurité depuis plusieurs jours sans alimentation. A la grande surprise de la

paysanne qui avait cru me faire plaisir, il fut décidé, par ma sœur et moi, de libérer immédiatement

la captive. Je pris l’infortunée dans mes mains et l’emmenai, accompagné de ma soeur, vers la

7 Notamment mon premier ami canin, le chien de mon grand-père médecin, qui s’appelait « Bistouri »

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rivière toute proche, un affluent de la Dordogne. Une fois déposée sur la berge, la tortue ne demanda

pas son reste : elle se précipita dans l’eau et s’éloigna à toute vitesse vers la liberté.

Une dernière aventure que je voudrais conter est une de mes fiertés 8 . Nous étions en vacances

chez des amis au Cap Ferret, sur le bassin d’Arcachon. Le mari du couple qui nous recevait était un

chasseur passionné, notamment de tourterelles. Un jour que je me promenais avec lui sur la plage, il

me proposa d’essayer son fusil sur un groupe d’oiseaux de mer qui se trouvait à quelques mètres de

nous. Il me suffisait d’appuyer sur la gâchette qu’on me tendait pour tuer l’un d’entre eux et entrer,

du même coup, dans le monde des adultes. Malgré l’insistance de mon ami, j’eus le courage de

refuser et de laisser l’oiseau vivre sa vie. Un souvenir de jeunesse dont je suis particulièrement fier.

Ma passion de toujours pour les animaux m’amena naturellement à m’intéresser aux sciences

naturelles. Déjà, en classe de sixième, je dévorais les manuels de terminale de cette discipline. Cette

passion me conduisit spontanément, après le baccalauréat, à des études de sciences naturelles et,

finalement, à une carrière de chercheur en biologie au CNRS. Bien sûr, ici encore, des influences

familiales discrètes ont pu aussi intervenir pour orienter mon choix : celle de mon grand-père

médecin et collectionneur de papillons, celle de ma tante et de mon oncle, pharmaciens à Bordeaux,

qui m’avaient accueilli, durant une année, lors de la mort de mon père, dans leur pharmacie, où se

prélassaient, dans un grand bocal, d’élégantes sangsues officinales …

Mon choix pour la recherche scientifique en biologie conduisait toutefois inéluctablement à un

paradoxe, puisque, issue de ma sympathie pour les animaux, ma profession allait m’amener à bien

les connaître, certes, mais aussi, pour ce faire, à les malmener par des piqures occasionnelles et,

ensuite à les tuer, car on ne peut conserver, dans les laboratoires, des milliers d’animaux vivants.

Les nécessités de la recherche biomédicale allaient m’imposer l’utilisation d’animaux

d’expériences, principalement des souris. Certes, comme l’avaient dit Descartes et Malebranche.,

comme on me l’avait répété toute mon enfance, aussi bien à l’école laïque qu’au catéchisme :

l’homme avait, sur la bête, tous les droits. Tous les droits. Y compris celui d’abattre les animaux

pour les manger, comme cette jeune vache aperçue là où, gamin, je n’aurais jamais dû être, dans un

abattoir artisanal des Pyrénées. Cette jeune vache qui, traînée dans les flots de sang de la précédente

victime, me regardait fixement, moi, enfant comme elle. Y compris celui d’asphyxier les papillons à

la benzine, pour les épingler dans des cadres où ils pourriront quelques années plus tard. De la

superbe collection de mon grand-père, tout est finalement tombé en poussière…

J’ai été particulièrement frappé par ce paradoxe qui fait que l’on maltraite ou que l’on détruit des

animaux que, d’autre part, on peut aimer d’affection. J’en ai, par la suite, analysé les raisons sociales

et philosophiques. J’ai abondamment discuté, dans mes livres, comment protéger les animaux

d’expérience et améliorer la qualité de leur vie, sans pour autant prendre le risque diminuer l’accès

des hommes aux progrès de la médecine et aux médicaments 9 . Mon métier de biologiste m’a

spontanément mené à une réflexion philosophique et morale.

Une fibre littéraire en filigrane

Est-ce à dire que cette passion pour les animaux avait définitivement effacé, sauf sur ce volant

moral très particulier, les traces purement littéraires de mon cocon familial ? Pas du tout. Celles-ci

se sont manifestées dès l’enfance et l’adolescence par un goût prononcé pour l’expression orale et

8 Je l’ai déjà rapportée dans le livre G. Chapouthier et F. Tristani-Potteaux, Le chercheur et la souris, CNRS Editions, Paris, 2013, p

20

9 Voir G. Chapouthier et F. Tristani-Potteaux, Le chercheur et la souris, op. cit., mais aussi G. Chapouthier, Les désarrois du

chercheur face à l’expérimentation animale, dans :Vinciane Despret et Raphaël Larrère (dir.), Les animaux : deux ou trois choses

que nous savons d'eux, Hermann, Paris, 2014, pp 209-223

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l’écriture. Quand mes parents partaient pour un voyage à l’étranger, je me précipitai pour écrire, à

leur intention un « rapport » des évènements qui se passaient durant leur absence. Et plusieurs fois

durant mon enfance, j’entrepris l’écriture d’un roman ou d’une pièce de théâtre, comparable à ce

que j’étudiais en classe, des tentatives très vite interrompues par les occupations quotidiennes et/ou

mon inaptitude juvénile à poursuivre un travail prolongé.

A partir de la classe de sixième, mon grand copain fut le futur metteur en scène Patrice

Chéreau 10 . Comme nous étions tous les deux demi-pensionnaires, nous nous donnions la réplique,

durant les longues récréations de la mi-journée, sur les pièces du Cid de Corneille ou de l’Avare de

Molière, dont nous finissions par connaître presque intégralement des scènes entières par cœur.

Quelques années plus tard, nous fréquentions assidument ensemble les cinémas d’art et d’essai du

Quartier Latin ou les représentations théâtrales effectuées par des étudiants à la Sorbonne ou

ailleurs.

Feu mon père archéologue avait un grand ami, lui-aussi archéologue, Henri Seyrig 11 , le père de

l’actrice célèbre Delphine Seyrig. Quand j’étais adolescent, en classe de quatrième, Henri Seyrig

proposa à ma mère, pour combler les manques d’une absence paternelle, de m’accueillir à Institut

d’Archéologie de Beyrouth, au Liban, qu’il dirigeait, pour passer une année auprès lui et de sa

femme, tout en continuant mes études au Lycée Français de Beyrouth. Au contact de Seyrig et de sa

femme, je découvris le jeu d’échecs, le multiculturalisme de ce pays mosaïque qu’était le Liban,

l’odeur enivrante des citronniers en fleurs, la peinture abstraite dont Seyrig était passionné, enfin la

poésie de son ami libanais Georges Schéhadé et une manière non rationnelle d’utiliser les mots.

Derrière la fleur, me disait Schéhadé, il n’y a pas un singe, mais un enfant, le visage en pleurs. A

l’époque, jeune garçon excessivement rationnel, j’eus beaucoup de mal à comprendre et à assimiler

l’esprit de ce message, qui me paraissait tout à fait illogique. Mais, amplifié par les découvertes

ultérieures des Symbolistes et des Surréalistes, il devait en fait me suivre toute ma vie et contribuer à

mon orientation poétique.

De retour à Paris et au lycée Montaigne, quand, à la fin des études de soir, j’avais terminé mes

devoirs, je me plongeais, avec délice, dans la lecture de manuels de Lagarde et Michard, qui

présentaient, par des résumés complétés de quelques extraits, les grands écrivains français et leurs

œuvres. J’avais une prédilection pour particulière pour les poèmes rimés de Musset, Hugo,

Lamartine ou Mallarmé.

C’est vers l’âge d’une quinzaine d’années que je commençais à écrire mes premiers poèmes, bien

modestes certes, et que je ne présenterai pas ici. Mais ce fut un début. Comme on dit souvent :

« écrire des poèmes à l’adolescence, c’est être adolescent ; écrire des poèmes à l’âge adulte, c’est

être poète ».

Les instances d’évaluation scientifiques que je devais fréquenter toute ma vie, comme celles de

l’université ou du CNRS, sont souvent très réticentes à la pratique d’activités littéraires. Pour elles,

un bon chercheur se consacre exclusivement à sa recherche. Bref, il aurait été mal vu, à beaucoup

d’occasions, dans ma carrière universitaire, d’être aussi connu comme poète. Par la suite,

notamment après mon entrée au CNRS, pour qu’on ne me reproche pas de « perdre mon temps » à

écrire de la poésie, je décidai d’utiliser un pseudonyme. Comme j’effectuais alors à Strasbourg, en

Alsace, mes premières années de recherche, je choisis un pseudonyme alsacien, « Friedenkraft » qui,

en dialecte alsacien, signifie « la force de la paix ». Ce pseudo m’est resté. Il est un peu étrange pour

les milieux francophones, mais s’est avéré très utile pour masquer mes activité littéraires : personne

n’aurait l’idée de chercher Chapouthier sur le nom de Friedenkraft !

10 G. Friedenkraft, Patrice avant Chéreau, Nouvelles Rive Gauche, 1990, 154, 16-17

11 https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Seyrig

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Ce pseudonyme m‘a valu quelques surprises et une aventure plutôt comique. Une amie

vietnamienne avait ouvert une galerie de peinture près de chez moi et j’en avais fait la présentation

dans une petite revue du Quartier Latin aujourd’hui disparue, Nouvelles Rive Gauche. Lors d’un

vernissage, la responsable de la galerie avait pris quelques photos, qu’elle montra à des habitants de

mon immeuble : « Voici, leur dit-elle, Monsieur Friedenkraft, qui a fait ce gentil article sur ma

galerie. » « Mais non, répondirent mes voisins outragés : il s’agit de Monsieur Chapouthier ! » Le

ton monta et ils en vinrent presque aux mains. Tous étaient persuadées, et pour cause, d’avoir

raison !

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Comment on devient (à la fois) scientifique et poète.

Seconde partie.

How to be a scientist and a poet at the same time. Part two.

Georges Chapouthier 1

1

Directeur de Recherche Emérite au CNRS, georgeschapouthier@gmail.com

RÉSUMÉ. Né en France dans un milieu universitaire très littéraire, mais passionné, depuis la petite enfance par les

animaux, l’auteur montre comment à travers divers épisodes de l’enfance, de la jeunesse et de la maturité, peut se

former un double attrait puissant pour la biologie et pour la poésie. Ce parcours original l’a finalement conduit à être à

la fois scientifique et poète, deux activités a priori bien différentes. Ce cheminement double ne va pas sans certaines

surprises ou certaines difficultés que l’auteur ne manque pas de souligner.

ABSTRACT. The author was born in France, into an academic and literary family, and ever since his earliest

childhood has always been devoted to animals. While relating different episodes of his life, from childhood through to

adulthood, he shows how he developed two driving ambitions, one for biology and the other for poetry. This unusual

combination of interests ultimately led him to follow the two quite different directions, choosing to be both scientist and

poet. The dual career path involved various surprises and difficulties that will be described.

MOTS-CLÉS. Animal, Biologie, Enfance, Extrême-Orient, Haïku, Morale, Poésie.

KEYWORDS. Animal, Biology, Childhood, Far East, Haiku, Morality, Poetry.

Dans un précédent article, il m’avait paru éclairant de retrouver, dans mes souvenirs d’enfance,

des éléments qui avaient pu contribuer à mes choix d’adulte et qui m’avaient permis de poursuivre

une double vie de scientifique et de poète, deux domaines qui semblent, a priori, bien éloignés 1 . Le

rappel devait comporter deux parties successives mais évidemment liées. La première, déjà publiée,

avait traité des bases psychologiques essentielles qui se forment durant l’enfance et la jeunesse. La

seconde partie, qui est la présente, traite des bouleversements qui se produisent durant la vie

d’adulte et, qui, sans changer complètement les orientations de la jeunesse, peuvent

considérablement les modifier.

Seconde partie : Recréé par ma femme

On ne peut naître que deux fois 2 .

La première fois, c’est quand on sort du ventre maternel. La seconde, c’est quand on a la chance

de rencontrer une femme capable de vous recréer, de transformer, sans l’amoindrir, le jeune homme

qui est en vous, pour en faire une créature nouvelle, un être métamorphosé par l’amour. J’eus cette

chance et j’ai pu vivre pleinement, malgré les guet-apens de la vie, cinquante années de bonheur,

dans une symbiose permanente, intellectuelle et affective, avec ma femme.

Originaire de Malaisie, Chinoise de langue maternelle mais profondément Malaisienne de cœur et

d’esprit, ma femme venait de l’autre bout du monde. Professeur d’anglais dans son pays, devenue

1 Cette synthèse en deux moments a fait l’objet plusieurs essais succincts préalables : Revue Indépendante (Paris),

2004, N° 300, pp 9-12, Revue en ligne Plastir, 2006, 5, http://plasticites-sciences arts.org/PLASTIR/Friedenkraft1.pdf,

et, « Arts et sciences », 2018, Iste- Open Science, Vol. 18-2, N° 1, DOI : 10.21494/ISTE.OP.2018.0241,

https://www.openscience.fr/Etre-a-la-fois-scientifique-et-poete.

2 J’ai consacré à l’étrangeté de cette double naissance un petit texte poétique : G. Friedenkraft, Naître, deux fois – haïbouns entre

humour et fantaisie, Editions Unicité, Saint-Chéron, France, 2016

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pendant des années à Paris, secrétaire à la Délégation de la Malaisie auprès de l’UNESCO, ma

femme, exerçait aussi une activité de journaliste pour les journaux et les magazines de son pays 3 .

Elle y publiait (en anglais) des articles sur la culture française, sur les manifestations artistiques à

Paris, sur le passage occasionnel de citoyens malaisiens dans la capitale et elle m’associa à la

rédaction de certains de ces articles. Mais même avec nos deux signatures, ces articles restaient, bien

sûr, surtout sa propre création ! Il demeure que cette participation à de tels articles « exotiques » me

passionna. Nous suivions notamment ensemble, pour les magazines féminins de Malaisie, les

collections de Haute Couture. Ce qui causa une grande surprise à un de mes collègues du CNRS

quand il tomba, par hasard, sur un article que j’avais malencontreusement oublié sur la

photocopieuse du laboratoire. Découvrant mon nom associé aux superbes créations de Carven ou de

Rabanne, il faillit tomber dans les pommes.

Ce fut aussi le contact de ma femme qui contribua à m’orienter vers l’utilisation, en poésie

française, de formes asiatiques comme le haïku 4 japonais ou le pantoun malais. Mon maître en

poésie, le regretté Jacques Arnold m’avait déjà fait connaître le monostiche français, poème en un

sel vers 5 . Le haïku et le pantoun sont aussi de des formes très courtes, proches du monostiche, où le

contenu poétique doit éclater en quelques mots. La première forme, le haïku, est assez connue. Dans

son écriture traditionnelle, il se présente comme une suite de trois verstes de cinq, sept et cinq pieds

respectivement. Quant au fond, il vise à communiquer un moment existentiel intense. En langue

française, cette écriture traditionnelle a l’avantage supplémentaire de faire appel à des rythmes

impairs, chers à Verlaine. En malais « pantoun » veut dire « vers ». En général les « pantouns » (et

non « pantoums ») malais sont des quatrains rimés, où les deux premiers vers sont une observation

précise ou ponctuelle et les deux derniers l’expression d’une réflexion plus générale ou plus

philosophique 6 . Ils sont récités lors de fêtes populaires ou de réceptions de mariage. En voici

quelques exemples traditionnels, traduits par moi-même, sans que j’ai pu toujours rendre compte des

rimes abab :

Des chats courent... deux, trois, beaucoup,

Mais où trouver un vrai chat tigré ?

Des hommes j'en trouve... deux, trois, beaucoup,

Mais où trouver un homme comme toi ?

S'il y a aux champs un étang,

Alors nous pourrons nous baigner ;

S'il y a pour nous longue vie,

Alors pourrons nous retrouver.

Un et deux et trois et quatre,

Cinq, six, sept et demi...

Aussi haut que puisse sauter l'écureuil,

Tôt ou tard il se retrouve par terre.

3 Elle a aussi publié, en Malaisie, sur les rapports culturels entre la Malaisie et le France, deux livres de nouvelles qui eurent

localement un grand succès : Wan Hua Chapouthier, Shock waves from abroad (Quill, Kuala Lumpur, 1990) et Stories from the

heart (Pelanduk, Kuala Lumpur, 2013).

4 Dont, à la suite de Jacques Arnold, j’aime bien franciser l’orthographe en « haïkou ».

5 G. Friedenkraft, Présence du monostiche, dans : Emmanuel Lochac, ses visages et leurs énigmes, sous la direction de J.Arnold,

La Jointée éditeur, Paris, 1994, 127-128

6 G. Voisset, Pantouns Malais, Editions La Différence, Paris, 1993

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Des bananes d'or sont parties voguer,

Reste sur la boîte une qui est mûre ;

Une dette d'or on peut rembourser,

Mais dette du cœur jusqu'à la mort dure.

L’un des grands moments poétique de notre couple fut le congrès international de poésie (World

Congress of Poets) que, pour le compte de la World Academy of Poets, j’ai contribué à organisé,

sous la direction de ma femme et du poète Malaisien Malim Ghozali, dans l’état du Perak, en

Malaisie, en 2013, avec l’aide bienveillante du gouvernement de l’état du Perak 7 . Cette

manifestation rassembla près de 200 poètes venus de tous les coins du monde.

Un retour littéraire à la science

Inévitablement mon goût pour l’écriture devait avoir, en retour, des répercussions sur mon

acticité scientifique et des domaines qui peuvent lui être liés. Alors que beaucoup de mes

collègues(à quelques exceptions près) méprisaient ce qu’on appelle la, c’est-à-dire la diffusion de

résultats et des idées de la science auprès d’un éclairé de non spécialistes, ce domaine me passionna

et j’écrivis d’innombrables articles dans les revues de vulgarisation scientifique, comme Pour la

Science, Cerveau et Psycho, Science et vie ou La Recherche, mais aussi des articles occasionnels

dans la grande presse, comme Le Monde, L’Humanité, Le Figaro Magazine, Libération ou même Le

Journal de Mickey ! J’ai aussi consacré aussi de nombreux livre à présenter le rôle du cerveau ou le

comportement animal 8 . Enfin comme la globalité du discours scientifique mène, à mon avis

nécessairement à la réflexion philosophique, j’ai consacré une large part de mon activité à la

philosophie de la biologie 9 .

Une double vie

Au total, je n’ai pas été un chercheur « exceptionnel », de ceux qui, à la suite d’une grande

découverte, obtiennent le Prix Nobel ou les échelons exceptionnels du CNRS. Mais j’ai été un

chercheur tout à fait honorable, déchiffrant pas à pas, avec mon équipe, les processus qui soustendent

et relient la mémoire et l’anxiété dans le cerveau et publiant de nombreux articles sur ce

sujet dans les revues scientifiques internationales de haut niveau 10 . Ce sujet de

psychopharmacologie m’a aussi amené à beaucoup travailler, toujours avec mon équipe, en

collaboration avec les grands laboratoires pharmaceutiques, à la mise au point de nouveaux

médicaments. Durant toute ma carrière, j’ai aussi été très attaché aux conséquences sociales et

philosophiques de mon activité de chercheur et particulièrement à la question morale du statut des

animaux de laboratoire, que j’ai mentionnée plus haut.

Je n’ai pas été un écrivain et poète « exceptionnel », de ceux qui reçoivent le Prix Nobel ou qui

vont s’asseoir sur les fauteuils prestigieux de l’Académie Française. Mais j’ai poursuivi, contre

7 Je me suis notamment occupé, avec Malim Ghozali, de l’anthologie du congrès : Malim Ghozali PK, G. Chapouthier (editors),

Anthology of the 33 rd World Congress of Poets, Institut Darul Ridzuan and World Academy of Arts and Culture, 2013

8 Notamment : G.Chapouthier, Au bon vouloir de l'homme, l'animal, Editions Denoël, Paris,1990 ; Les droits de l'animal,

Collection "Que sais-je ?", Presses Universitaires de France, Paris,1992 ; L'homme, ce singe en mosaïque, Editions Odile Jacob,

Paris, 2001 ; Qu’est-ce que l’animal ?, Collection “Les petites pommes du savoir”, Editions le Pommier, Paris, 2004 ; Biologie de la

mémoire, Editions Odile Jacob, Paris, 2006 ; Chapouthier G, Kant et le chimpanzé –Essai sur l’être humain, la morale et l’art,

Editions Belin, Paris, 2009, Prix « Achille Urbain » 2010 de l’Académie Vétérinaire de France ; Sauver l’homme par l’animal, Odile

Jacob, Paris, 2020 ; L’homme, l’animal et l’éthique, quelques réflexions essentielles, en ligne, Iste Editions, Londres.

9 Voir G. Chapouthier et F. Tristani-Potteaux, Le chercheur et la souris, op. cit., ainsi que : Stanislas Deprez (coordonné

par), Autour des oeuvres de Georges Chapouthier et Florence Burgat, Editions L'Harmattan, Paris, 2013.

10 Pour un bilan de mon activité scientifique, voir aussi G. Chapouthier et F. Tristani-Potteaux, Le chercheur et la souris, op.cit.

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vents et marées, une carrière tout à fait satisfaisante pour moi, en participant à des anthologies et des

articles dans de nombreux pays du monde et en obtenant, dans ce domaine, de nombreux Prix

nationaux et internationaux 11 . Un de mes « hauts faits » fut la création, en France, avec quelques

amis, d’une petite revue trimestrielle de poésie, Jointure 12 , ouverte à tous les styles littéraires, qui

dura une trentaine d’années, de 1984 à 2016, et publia d’innombrables poètes, célèbres comme

débutants.

Et la question alors, que j’avais posée au début du premier article ? Comment devient-on à la fois

scientifique et poète ? On remarquera qu’une large part de la réponse réside dans le milieu familial

où l’on est né. Et puisque c’est une bénédiction d’être poète (je suis moins affirmatif sur le fait

d’être scientifique), pour ce point au moins il faut être né chanceux, avec un père littéraire mais qui

aime regarder les étoiles et une mère prête, en cas de coup dur, à consacrer toute sa vie à l’éducation

de ses enfants. Il faut sans doute beaucoup aimer les animaux, mais être aussi sensible à leur beauté

et à la beauté de la nature et avoir la chance que se grands-parents cultivent un jardin enchanté où

dialoguent en permanence les fleurs, les légumes et les fruits. Il faut aussi avoir la chance de

rencontrer une femme magique qui vous ouvre les yeux sur la diversité du monde, sur d’autres

modes de pensée ou d’expression et sur un amour sans nuage. Comme souvent, la réponse tient donc

dans une interaction complexe de la génétique, de l’éducation et des hasards de la vie, de l’inné

comme de l’acquis

Quant à la liberté là-dedans, elle reste bien cachée, mais ceci est une toute autre histoire.

Quelques poèmes pour terminer

Je voudrais conclure par quelques poèmes de factures variées, dont certains consacrés aux

animaux. On trouvera successivement un poème, Métissage, dédié à mes enfants eurasiens et écrit

en métrique partiellement libérée, des haïk(o)us d’inspiration classique, soulignant un vécu

existentiel incandescent, des pantouns malais, en écriture traditionnelle rimée, et enfin, pour rire, des

haïk(o)us humoristiques (qu’en japonais on les appellerait des « senryus ») 13 .

Métissage

Pour mes enfants

Ils m’ont dit que tes mains seraient

moitié sapin moitié rizière

aussi pâles que les bouleaux

aussi dorées que les volcans

Ils m’ont dit que tes dents seraient

moitié tigre moitié panthère

blanches et serrées comme un roc

11 Pour un bilan de mon activité poétique, voir le dossier composé par Hédi Bouraoui dans la revue bilingue en ligne CMC (Canada

Mediterranean Center, Université de Toronto), 2018

https://cmc.journals.yorku.ca/index.php/cmc/article/view/40355/36350

12 https://fr.wikipedia.org/wiki/Jointure_(revue_littéraire)

13 Ils sont principalement, ou inédits, ou issus de Images d'Asie et de femmes, poèmes pour l'exotisme en amour, Editions de la

Jointée, Paris, 2001 (Prix Blaise Cendrars de la Société des Poètes Français), Esquisse d’une femme de sève, Association Française

de Haïku éditeur, Seichamps (France), 2004, Sur les sentiers du songe, poèmes pour mettre le vie en musique, Editions Sajat, Paris

2015 (Prix Robert-Hugues Boulin, Prix Ginyu Haiku, Tokyo), et de Haïkus et tankas d’animaux, Editions Pippa, Paris, 2019.

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dures et bleues comme un couteau

Ils m’ont dit que tes yeux seraient

moitié iris moitié jachère

les bourgeons d’un saule amoureux

la ride fleurie d’un ruisseau

Ils m’ont dit tout cela ma douce

moitié plaisants moitié sévères

ceux qui voulaient figer de mots

le caprice ailé de tes jeux

Mais n’en déplaise aux médecins

aux savants et aux infirmières

bébé tu es tout à la fois

tigre et mouton, iris et chêne

Un petit peu du riz d’orient

mais aussi le blé millénaire

un petit peu de sapin blond

mais aussi le bois noir des îles

Il n’est rien de plus chatoyant

et je le sais comme ta mère

que deux pays deux horizons

deux peaux deux sangs qui se mélangent

Enfant tu es tout à la fois

ce qu’ils ont dit et le contraire

Haïk(o)us

Si la pluie le pousse

l’escargot grimpe à son pas

la fourche du buis

Nous faisons l’amour

la guêpe la scandaleuse

croquait les tartines

L’abricot soupire

la chaleur d’un mur de briques

entre deux lézards

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Le lièvre se trouble

la biche court se terrer

au pas du chasseur

La chanson des chouettes

au creux de la nuit l’hiver

amours enneigées

Qu’il pleuve ou qu’il gèle

la chatte de mon grand-père

dormait sur sa tombe

La braise grimace

Nous irons ravir les mûres

aux rouges limaces

Pourquoi d’être saule

Pleurerais-je ? le chat miaule

aux rides de l’eau

S’endort en héron

se coule en un lit de plume

se réveille femme

Sache t’incliner

devant les ruses du vent

jamais sous le joug

L’envers du décor

c’est là que ta vie s’effrite

entre chien et loup

Pantouns sur la petite enfance

Pour ma petite-fille Quitterie

Pêches et poires disparaissent

après le gel de ce printemps.

Tu brilles comme une princesse

quand tu souris de tes dix dents.

Terrorisé par le chasseur

le lièvre tremble jusqu’aux os.

Deux jumeaux, le frère et la sœur

fredonnent : « Mon ami Pierrot ».

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Les têtes des mûres vermeilles

décorent les haies de Saintonge.

Bébé pleure quand il sommeille

effrayé des monstres du songe.

Dans le grenier la souris grise

trottine entre les étagères.

Déjà cinq ans, déjà tu vises

les bancs de l’école primaire.

L’eau du puits coule à la margelle

et désaltère les pinsons.

Les enfants jouent à la marelle

dans les cours de récréation.

Haïk(o)us humoristiques

Chopin sous la mer

l’artiste effleurait les touches

d’un piano aqueux

Le marchand est mort

d’avoir trop mal négocié

le dernier virage

Le cambrioleur

qui aimait trop la musique

finit au violon

Non sur les cheveux

mais sur les chapeaux de roux

son regard s’enflamme

Nées dans l’hexagone

l’Aziza et la Zazie

égales en droits ?

Ce meunier français

est un roi en Angleterre

le meunier Tudor

C’est un puissant fonds

notre grand fonds monétaire

c’est un puits sans fond

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La Marie-Madeleine de Raphaël ou quand l’élève

dépasse le Maître !

When the disciple surpasses the master: about the Mary Magdalena a

Raphael’s painting

Annalisa Di Maria 1 , Jean-Charles Pomerol 2 , Nathalie Popis 3 , Andrea Chiarabini 4

1

2

3

xperte e éon r e n em re exé ut pour le lu e l nes o e loren e

ro esseur mér te or onne n vers té

pé l ste e l’ ppl t on es m t ém t ques ns l’ rt

4

Docteur en biologie moléculaire, Urbino Université Carlo-Bo

RÉSUMÉ. Cette étude a pour o jet ’ pporter es n es stor ques sur l’entour ge les n luen es et les onv t ons

du prodigieux peintre Raphaëllo Sanzio dit « Raphaël ». re é ouverte ’une œuvre qui serait le portrait de Chiara

Fancelli perm s e mettre en lum ère l’évolut on et les ompéten es rt st ques u pe ntre. e portr t l’e g e e

Marie-Madeleine est un dépassement flagrant du modèle rigide du Maître Pérugin et se rapproche dans sa technicité

et dans sa splendeur des œuvres et e l’espr t e éon r e n .

ABSTRACT. This study is about the influences that affected the artistic trajectory of Raphael, from his father and

erug no’s works ops, to his perfect mastery illustrated by a recently discovered painting of Mary Magdalena. This

p nt ng portr y ng r n ell erug no’s w e proves n n s uss le surp ss ng o erug no’s know-how, and

is imbued by Leonardo da Vinci’s painting technique and spirit.

MOTS-CLÉS. Raphaël, Léonard de Vinci, Marie-Madeleine, Le Pérugin, Beauté et idéalisme, Platonisme.

KEYWORDS. Raphael, Leonardo da Vinci, Mary Magdelene, Perugino, Beauty and idealism, Platonism.

1. Raphaël Sanzio, l’enfance d’un prodige

Raphaël Sanzio est né le 6 avril 1483 à Urbino dans la région des Marches qui fut réputée comme

étant le plus grand foyer artistique italien au XVI ème siècle. Cette ville de grande renommée fut le

siège de la cour de Frédéric III de Montefeltro, un condottière reconnu comme Duc d’Urbino par le

pape Sixte IV, ce qui fit d’Urbino un État pontifical.

Figure 1. Portrait de Baldassare Castiglione, 1514/1515

Raphaël Sanzio

Comme l’a rappelé Baldassare Castiglione (figure1), dans son manuel de savoir-vivre intitulé Le

livre du courtisan, grandir dans le cercle de la cour du Duc représentait un modèle de vertus

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humanistes, et c’est ce qui a permis à Raphaël Sanzio d’acquérir ses excellentes manières et ses

compétences sociales soulignées par Vasari [1] dans son ouvrage Les vies des meilleurs peintres,

sculpteurs et architectes italiens.

Portrait du Cardinal

Bibbiena

Portrait du Cardinal

Bembo

Figure 2. Raphaël Sanzio, vers 1510

C’est également ce qui lui facilita, toute sa vie, l’accès à des cercles élevés et des personnalités

connues, comme Bibbiena et Bembo (figure 2), célèbres écrivains, qui devinrent tous deux

cardinaux et qui, plus tard à Rome, à l’époque où Raphaël y demeura lorsqu’il travaillait pour le

Pape Jules II, resteront des proches jusqu’à la fin de sa vie, en 1520 [1].

Raphaël Sanzio fut l’un des plus merveilleux artistes de la Renaissance, adulé pour ses qualités

artistiques tout autant que Léonard de Vinci [2]. Mais qu’est ce qui a pu façonner son génie dès son

plus jeune âge ? Pour le comprendre, nous devons revenir sur son enfance, les influences qu’il a

subies mais également les malheurs de sa vie car rappelons-le, Raphaël a perdu très jeune les deux

êtres les plus chers de sa vie, sa mère à 8 ans et son père à 11 ans. Un parcours de vie qui révèle la

force de son caractère et sa détermination dans sa volonté de devenir un grand artiste.

Raphaël naquit dans une famille d’artistes : son oncle n’était autre que l’illustre architecte

Bramante et son père fut un peintre et poète de la cour du Duc d’Urbino, qui avait offert l’hospitalité

au grand peintre Piero della Francesca. Son premier enseignant fut donc son père, à la tête d'un

atelier florissant, créant des œuvres pour l'aristocratie locale et pour le duc et sa famille [3]. Son père

Giovanni Santi était un bon connaisseur de la peinture contemporaine, en Italie et à l'extérieur de la

péninsule, comme en témoigne sa Chronique rimée écrite à l'occasion du mariage de Guidobaldo

avec Élisabeth de Mantoue. Dans la toute petite cour d'Urbino, il était probablement mieux intégré

dans le cercle central de la famille régnante que les autres peintres de la cour et Raphaël bénéficiera

de ces avantages. Giovanni Santi travailla dans divers endroits en Italie centrale, notamment pour la

ville de Cagli, dans la chapelle Tiranni, où il se représenta avec son fils parmi les personnages d'une

fresque (figures 3 et 4). Il est fort probable que le jeune Raphaël ait participé à l’élaboration de cette

fresque.

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Figure 3. Fresque « Sainte rencontre et résurrection »

Cagli, Giovanni Santi, vers 1490

Figure 4. Détail de la Fresque « Sainte rencontre et

résurrection »

Giovanni Santi, vers 1490

L’autoportrait de Giovanni Santi se retrouve également dans la fresque Sainte rencontre ou

discours sacré (figures 4 à 9) se trouvant à Cagli dans l’église Saint Dominique et la Pala Oliva

localisée au couvent de Montefiorentino.

Figure 5. Pala Buffi

Musée national des Marches

Giovanni Santi, vers 1490

Figure 6. Pala Oliva

Couvent de Montefiorentino

Giovanni Santi, vers 1489

Figure 7. Détail, autoportrait de Giovanni Santi

Fresque, Sainte rencontre et résurrection

Figure 8. Détail, autoportrait de Giovanni Santi

Pala Buffi

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Figure 9. Détail, autoportrait de Giovanni Santi

Pala Oliva

2. les influences artistiques

Dans l'atelier de son père, Raphaël, dès son plus jeune âge, apprit les bases des techniques

artistiques, dont probablement la technique de la fresque. L'une des toutes premières œuvres qui lui

est attribuée est la Madonna de casa Santi, une peinture murale délicate réalisée dans la pièce de la

maison où on pense qu'il est né [4].

Figure 10. Fresque murale, maison familiale

Raphaël Sanzio

Certains, sans éléments factuels, ont daté la fresque (figure 10) de 1498, alors qu’il ne serait pas

surprenant que cette œuvre ait été réalisée dès la plus tendre enfance de Raphaël, du vivant de son

père mort en 1494. Comme nous l’évoquerons, Raphaël avait un don divin, comme le prodige

Mozart qui avait conçu sa première composition à l’âge de 6 ans !! Cette fresque évoque les

influences des grands Maîtres : Andrea del Verrochio, Filippo Lippi et Pierro della Francesca, qui

ont inspiré Le Pérugin et son père Giovanni Santi (figure 11).

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Andrea del Verrochio Piero della Francesca Filippo Lippi

Figure 11

Ayant accès avec son père aux salles du palais ducal, il put également y étudier les œuvres

d’illustres artistes [5]. Le fait d'être né et d'avoir passé sa jeunesse à Urbino, qui est alors un centre

artistique de première importance d’où rayonnent les idéaux de la Renaissance en Italie et en

Europe, fut donc déterminant dans la formation de Raphaël.

Figure 12. Raffael dans la bottega du Pérugin

Francesco Benucci, 1826/1871

Selon Vasari dans son ouvrage daté de 1549, intitulé la vie de Raphaël [1] son père l'aurait placé

à l’âge de 8 ans dans l'atelier du maître ombrien Pietro Perugino comme apprenti mais d’autres

sources attestent qu'il séjourna à Urbino jusqu'en 1499. Raphaël a rencontré le Pérugin dès ses

premières années d’activité artistique et a bénéficié de certaines leçons pratiques mais de manière

occasionnelle, entrecoupant sa fréquentation entre l’atelier du Pérugin avec celle de l’atelier de son

père, ceci certainement du fait de son jeune âge. De plus, il paraît certain que Raphaël ne put

rejoindre l’atelier du Pérugin qu’à partir de 1498, puisque le Maître, voyageant de ville en ville, ne

se fixa à Pérouse qu’à ce moment-là. La commande qu’il reçut des fresques du Collegio del Campo

à Pérouse en atteste. Le contrat fut signé en 1496 mais Le Pérugin y travailla surtout en 1498 et

termina le cycle en 1500 [1]. Des œuvres qui furent probablement réalisées avec l’aide du jeune

Raphaël et de son assistant Andrea d’Assisi. Avant cette date, le Pérugin se trouvait à Rome et à

Florence, notamment pour la réalisation d’un triptyque avec la Nativité, daté de 1491, et de ses

fresques de la Crucifixion et de la Lamentation sur le Christ mort datés autour de 1495.

Dès que Raphaël sut manier un pinceau, il consacra de longues heures à aider son père dans ses

travaux. Il exécutait, comme un ouvrier dévoué, la tâche qui lui était assignée. Cette vie laborieuse

et obscure aurait pu durer plusieurs années, si Giovanni Santi ne s’était pas aperçu que son fils, à la

docilité merveilleuse, en savait déjà tant qu’il ne pouvait plus rien apprendre sans le secours d’un

maître plus savant [4]. Pierre Vanucci, connu dans l’histoire de la peinture sous le nom du Pérugin,

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jouissait alors d’une éclatante renommée et Giovanni Santi se résolut à lui confier l’éducation de

Raphaël. La biographie des artistes les plus célèbres ne laisse aucun doute à cet égard [1]. Le

Pérugin était à Rome et devait revenir dans quelques semaines à Pérouse. Giovanni Santi, avant de

lui communiquer son projet, s’efforça de gagner son amitié. Une fois admis dans son intimité, il lui

parla de son fils en vantant ses qualités artistiques. Le Pérugin, en examinant les dessins du jeune

Raphaël, fut agréablement surpris. Il découvrait dans ces figures, tracées par la main d’un enfant,

une grâce et en même temps une grandeur dont il n’eut jamais le secret. Il éprouva bientôt pour

Raphaël une affection toute paternelle et suivit ses progrès avec admiration. Chacune de ses leçons

portait ses fruits. Dès qu’il avait expliqué en quelques mots un des principes de son art,

l’intelligence de Raphaël le surprenait car sa petite main produisait une œuvre avec aisance et sans

hésitation. Il devint pour le Maître, un assistant, bien plus qu’un apprenti car, bien que le Pérugin eût

une très haute opinion de lui-même, il ne tarda pas à comprendre, comme Giovanni Santi, que son

élève en savait autant que lui [1]. L’élève avait déjà dépassé le Maître.

Plein de confiance dans le talent qui avait grandi sous ses yeux, il associa sans hésiter Raphaël à

ses travaux [4]. Raphaël justifia pleinement la confiance de son maître, et poussa si loin la fidélité de

l’imitation, que bientôt il fut impossible de distinguer dans un tableau les figures qui lui

appartenaient de celles qui appartenaient au Pérugin. Le jeune Sanzio s’appropriait avec facilité tous

les secrets du style du Pérugin qu’il embellit avec grâce et harmonie. Il était au service d’une pensée

qui n’était pas la sienne avec tant d’abnégation, que sa manière se confondait avec celle du Pérugin

et trompait les yeux les plus clairvoyants. Raphaël avait cette capacité d’imitation au point d’abolir

sa personnalité [6]. Il acquit ainsi une rapidité d’exécution que les maîtres les plus habiles lui

enviaient. Raphaël se familiarisa avec toutes les traditions de la peinture religieuse. Il s’appropria le

style de son Maître, mais malgré son respect pour les préceptes que ce dernier lui enseigna, le jeune

Sanzio affermissait le style de son dessin. Autodidacte et d’une curiosité débordante, il étudia

également, en parallèle, d’autres techniques et styles émanant d’artistes qu’il rencontra.

Raphaël ne dépendait pas uniquement de l’enseignement offert par le Pérugin. Sans rompre le

lien avec le Pérugin, il commença à construire sa propre personnalité artistique. À la mort de son

père, le 1 er Août 1494, il hérita de l'activité paternelle, avec quelques collaborateurs dont notamment

Evangelista da Pian di Meloto (artiste presque inconnu des études historico-artistiques) et Timoteo

della Vite, revenu à Urbino en 1495, élève de Francio [4]. Ce qui permit à Raphaël de se familiariser

avec de nouvelles techniques.

En 1499, Raphaël, âgé de seize ans, s'installa avec l'aide des membres de l'atelier de son père à

Città di Castello, une ville à mi-chemin entre Pérouse et Urbino, où il reçut sa première commande

indépendante, la bannière de la Sainte Trinité, pour une confrérie locale.

Figure 13. Fragment du retable

Couronnement du Bienheureux Nicola da Talentino (1501)

Il exécuta cette première œuvre documentée avec l'aide d'Evangelista da Pian di Meleto, ancien

assistant de son père (figure 13). Dans le contrat, il est intéressant de noter comment Raphaël est

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déjà mentionné comme le « magister Rafael Johannis Santis de Urbino », avant le collaborateur

âgé, témoignant officiellement qu'il est déjà, à l'âge de dix-sept ans, considéré comme un peintre

autonome. Raphaël avait officiellement un statut de maître. Cela lui conférait le droit d'avoir un

atelier, des aides et des élèves. C'est ainsi qu'il reprend l'atelier de son père à Urbino. Le portrait du

Saint représenté dans le fragment de ce retable, est un autoportrait de Raphaël qui rappelle fortement

le modèle du Saint Michel de la Pala de Vallombrosa, réalisé par le Pérugin, certainement aidé de

Raphaël.

3. La présence de son entourage dans ses œuvres

Entre 1499 et 1500, quand le Pérugin fut de retour à Pérouse, Raphaël le rejoignit dans son atelier

situé via Deliziosa et ils travaillèrent ensemble sur divers projets.

Figure 14. Pala di Vallombrosa

Le Pérugin, 1500

Figure 15. Détail, Pala di Vallombrosa

Le Pérugin,1500

La Pala di Vallombrosa, qui fut réalisée par Le Pérugin en 1500, conservée à la galerie de

l’Académie de Florence, atteste de cette collaboration (figure 14). Dans cette œuvre, le maître a

emprunté les traits de Raphaël pour sa représentation de Saint Michel (figure 15). Il est donc fort

probable que Raphaël ait participé à la réalisation de cette fresque.

Figure 17. Détail, Mariage de La Vierge

Raphaël Sanzio

Figure 16. Détail, Pala di Vallombrosa

Le Pérugin

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Figure 18. Autoportrait du Pérugin

Figure 19. Détail, Mariage de la Vierge, portrait du

Pérugin

Figure 20. Détail, Mariage de la Vierge, 1501/1504

Raphaël Sanzio

Nous avons également découvert la présence du peintre Pintorrichio, dans la Pala di Vallombrosa

(figure 16). Il fut un élève du Pérugin et il collabora avec Raphaël à divers projets artistiques. Son

portrait se trouve également dans « le Mariage de la Vierge », positionné, auprès de Raphaël et leur

maître respectif « Le Pérugin » (figures 17, 19, 20).

Figure 21. Portrait d’homme « Pintorrichio »

1502/1504, Raphaël Sanzio

Figure 22. Détail, Mariage de la Vierge,

portrait de Pintorrichio

1501/1504, Raphaël Sanzio

Cette découverte a permis d’identifier un portrait d’homme, jusqu’à présent inconnu, réalisé par

Raphaël. Il s’agit de Pintorrichio (figures 20, 22). La présence récurrente de ces personnages

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démontre qu’ils faisaient partie de son entourage proche et que des liens forts les unissaient à

Raphaël. On sait qu’à la Renaissance, il était de coutume que les peintres utilisent leurs traits ou

ceux de leurs proches, dans la représentation d’un personnage.

Figure 24. Portraits de Bramante

Figure 23. Détail Mariage de la Vierge

Portrait de Bramante

Raphaël Sanzio

On note également la présence de son oncle, derrière Raphaël, le grand architecte Bramante,

« maître de la perspective » (figure 23). Il est fort probable que sa présence témoigne de sa

participation à la construction de cette œuvre très architecturale [7].

Temple de San Pietro à Rome

Bramante, vers 1502

Mariage de la Vierge

Raphaël Sanzio 1504

Figure 25

Le monument à l’arrière-plan se trouvant dans le Mariage de la Vierge de Raphaël ressemble

fortement au Temple de San Pietro in Montorio à Rome, conçu par Bramante vers 1502 (figure 25).

Même si le monument a dû être achevé quelques années plus tard, on peut supposer que Raphaël a

eu accès aux plans de construction. Les rapports que Raphaël entretenait avec son oncle et le contact

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avec les vestiges de l’Antiquité ont joué un rôle clef dans son éveil artistique et ont exercé une

grande influence sur ses travaux. Après la mort de Bramante, il fut d’ailleurs nommé architecte de

Saint-Pierre de Rome.

Bien que l’œuvre et la biographie de Raphaël Sanzio soient peu documentées de manière

factuelle, ces éléments nous apportent de précieux indices historiques. Ceci démontre que l’élève,

considéré déjà comme maître, continuait de fréquenter le Pérugin et d’autres artistes de grande

renommée. Rappelons qu’il était jeune avec une envie débordante d’apprendre toujours plus. Sa

représentation du Mariage de la Vierge inspirée de l’œuvre de son maître, est reconnue comme un

dépassement flagrant du modèle rigide du Pérugin et elle marque un passage progressif à des

éléments stylistiques plus personnels.

4. L’évolution de son art

La renommée de Raphaël commence à se répandre dans toute l'Ombrie, faisant de lui l'un des

peintres actifs les plus recherchés de la région. Rien qu'à Pérouse, entre 1501 et 1505, trois retables

lui sont commandés. Ce sont des œuvres statiques de style pérugien ( figure 26).

Madone Solly (1500/1504) Madone Diotallevi (1500/1504)

Figure 26. Des œuvres de Raphaël Sanzio dans l’esprit du Pérugin

Durant toutes ces années, Raphaël avait volontairement étouffé sa propre personnalité et ce fut

pour lui un apprentissage qui requérait beaucoup de patience et de ténacité mais dont il sortit

vainqueur [6]. Il avait laissé sommeiller sa pensée et continuait d’imiter le Pérugin avec docilité en

attendant de voir des œuvres qui lui sembleraient supérieures afin d’abandonner le style un peu

rigide du Pérugin qui l’empêchait d’évoluer.

Vers 1503, l'artiste entreprit une série de courts voyages qui le conduisirent à avoir de premiers

contacts avec d'importantes réalisations artistiques. En plus des villes de l'Ombrie, il visita Sienne

avec Pintorrichio, élève du Pérugin, qui sollicita l’aide de Raphaël dans l’élaboration de fresques

pour la librairie du Dôme. Le séjour le plus déterminant de sa carrière, fut celui de Florence.

Comme le rapporte Vasari, il entendit, par l'intermédiaire de peintres locaux, les éloges

extraordinaires concernant le carton de la Sainte Anne de Léonard de Vinci, exposé dans la basilique

de la Santissima Annunziata à Florence, tout comme le dessin de la Bataille d’Anghiari, également

de Léonard, et le dessin de Michel-Ange de la Bataille de Cascina, qui intriguèrent tellement le

jeune peintre qu'il décida de partir immédiatement pour Florence. Raphaël bénéficia à son arrivée à

Florence d’une recommandation de l’épouse du Duc d’Urbino, Giovanna della Rovere. Celle-ci

demanda au chef du gouvernement de la République, le gonfalonier, de promouvoir le jeune peintre.

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Son succès sera immédiat et il trouvera rapidement un style personnel en fréquentant les plus

grands, notamment Léonard de Vinci et Michel-Ange.

Sa rencontre, à Florence, avec Léonard de Vinci fut cruciale pour son développement artistique.

À cette époque, le génie toscan avait déjà réalisé à Milan sa Vierge au Rocher et surtout, en 1499,

La Cène. À Mantoue, il avait fait le portrait d’Isabelle d’Este. Il avait aussi achevé sa Mona Lisa et

la Léda et le cygne. Il se trouvait dans la ville de l’excellence pour réaliser une immense fresque

pour la salle du Grand Conseil du Palazzo Vecchio, la bataille d’Anghiari. Rappelons que Léonard

de Vinci et le Pérugin ont fréquenté l’atelier de Verrochio, à Florence, dans les années 1470. Ayant

collaboré ensemble dans le passé, ils ont certainement entretenu des liens amicaux ou professionnels

qui ont pu faciliter la rencontre entre Raphaël et Léonard.

Étude de la Joconde

Raphaël Sanzio 1505/1506

Étude de la Léda et le cygne

Raphaël Sanzio 1505/1506

Figure 27

Pour Raphaël, l’observation du travail du génie toscan va être fructueuse. Il vit la Joconde et la

Léda dans son atelier situé à Florence (figure 27). Des copies de dessins en témoignent [8]. Il fut

émerveillé par le modelé suave de Léonard. Tout autant que Léonard, il était fortement inspiré par

l’Antiquité. Ces deux intelligences poursuivaient avec la même ardeur la recherche de la grâce et de

la beauté idéale.

Détail, Madone avec enfant

Le Pérugin, 1500

Détail, Maria Maddalena

Le Pérugin, 1504/1505

Détail, Madone avec enfant

Le Pérugin, 1500

Figure 28. Photographie datée d’avant 1908

Fondation Zeri

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Détail, Madonna Solly, 1500/1504

Raphaël Sanzio

Détail, Mariage de la Vierge, 1501/1504

Raphaël Sanzio

Figure 29. Œuvres de Raphaël Sanzio dans le style du Pérugin

Avant la période florentine qui révélera tout son génie et lui permettra d’affirmer sa personnalité

artistique, Raphaël imitait systématiquement le Pérugin, au style statique et d’une fraicheur douce et

naïve (figures 28 et 29).

Le Pérugin, marié avec une Florentine, Chiara Fancelli, depuis 1493/1494, se trouvait aussi à

Florence quand Raphaël y séjourna. Son épouse servit de modèle pour de nombreuses madones et

notamment la Marie-Madeleine de la galerie Pitti. Raphaël continua de fréquenter l’atelier du

Pérugin et la belle Chiara fut également son modèle, elle est peinte dans sa Madonna Solly (figure

29) avec une imitation parfaite du style pérugin. C’est ce qui explique les difficultés à différencier le

Pérugin et Raphaël, à cette période.

Figure 30. Madone du grand-duc, 1505

Raphaël Sanzio

Le sfumato, cette technique picturale théorisée par Léonard, apparaît sous le pinceau de Raphaël

dans sa sublime Madone du grand-duc en 1505 (figure 30). Des analyses réalisées par Philippe

Walter et son équipe sur des œuvres du jeune prodige [9, 10], ont révélé qu’il réalisait des glacis

trois fois moins épais que Léonard de Vinci et trois fois plus chargés en pigments. Une méthode

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moins parfaite que le génie toscan mais qui lui permettait d’obtenir un résultat d’une grande qualité

qui ne nécessitait que deux étapes de séchage. Il avait inventé sa propre technique du sfumato, ce

qui lui permit d’aller vite pour mieux répondre aux attentes de ses commanditaires [10].

5. Comparaison des différentes versions de la Marie-Madeleine

Figure 31. Maria Maddalena, Raphaël Sanzio

46,2cm x 33,7cm, Collection privée

Photographie lumière visible

La Marie-Madeleine de Raphaël Sanzio est d’une incroyable beauté et illustre l’immensité de son

génie, au travers de ce portrait d’une grâce et d’une harmonie sans pareilles (figures 31, 32).

Dans un clair-obscur qui consiste à moduler la lumière sur un fond d’ombre pour suggérer le

relief et la profondeur, le sujet est illuminé dans un éclat de force, de vie et d’équilibre. La haute

technicité de cette œuvre rappelle les œuvres de Rembrandt, de Caravage mais avant tout de

Léonard de Vinci.

Ce portrait serait, selon notre étude (voir ci-après), la version originale par Raphaël de la célèbre

Marie-Madeleine du Pérugin se trouvant à la galerie palatine du palais Pitti de Florence (figure 33).

À la Villa Borghèse, Il existe également une autre copie (figure 34).

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35


Figure 32. Raphaël Sanzio

46,2cm x 33,7cm

Collection privée

Figure 33. Le Pérugin

46cm x 34cm

Galerie palatine

Photographies lumière naturelle

Figure 34. Bottega?

50cm x 35cm

Villa Borghese

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36


Figure 35. Marie-Madeleine,Raphaël Sanzio

Photographie sépia

Figure 36. Marie-Madeleine, Le Pérugin

Photothèque, Fondation Zéri

Photograhie datée d’avant 1908

La version de Raphaël (figures 31, 32, 35) est grandement supérieure, d’un point de vue

stylistique et technique, à celle du Pérugin (figures 33, 36). Dans cette œuvre comme dans la

Madone du grand-duc, Raphaël ne s’enferme plus dans les traditions d’une école dont il savait

maintenant tous les défauts. Applaudi, admiré, et déjà célèbre, sa Marie-Madeleine efface de sa

mémoire tous les préceptes qu’il avait acceptés comme vrais et qu’il avait pratiqués avec

soumission. Il n’y a plus la rigidité pérugienne. Son style révèle à présent sa propre personnalité

artistique.

La grâce et l’harmonie de la composition qui émanent du portrait peint par Raphaël, rendent le

modèle vivant. Comme dans les œuvres de Léonard, il a su représenter l’être et l’état de son âme.

L’âme qui donne vie au corps et anime le portrait. La peinture était pour Raphaël « cosa mentale ».

Il y avait comme chez le maître toscan une psychologie pittoresque où la peinture est un langage. La

science était au service de cette beauté divine dans le juste respect de la répartition des ombres et de

la lumière et dans l’usage harmonieux des couleurs. Lomazzo disait que « pour acquérir le don

d’émouvoir en rendant les mouvements de l’âme, il faut étudier surtout et avant tout, Léonard ».

Raphaël l’avait compris et malgré leur différence d’âge, ces deux prodiges, d’une grande curiosité,

étaient animés par la même quête : parvenir à toucher au divin !

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Figure 37. Détail, points noirs au charbon

(bordure du visage)

Technique de transfert (spolvero)

Réflectograhie infra-rouge

Art&co, spin-off Université Ascoli Piceno

Marie-Madeleine, Raphaël

Figure 38. Détail, points noirs au charbon (épaule)

Technique de transfert (spolvero)

Réflectograhie infra-rouge

National Gallery, London

Sainte Catherine d’Alexandrie, Raphaël

Figure 39. Détail, points noirs au charbon (mains)

Technique de transfert (Spolvero)

La Joconde, De Vinci

Réflectographie infra-rouge

Lumière et technologie, Pascal Cotte

L’influence de Léonard de Vinci se ressent dans l’usage et la maîtrise du sfumato dans le portrait

de la Marie-Madeleine de Raphaël. Le jeune artiste était parvenu à comprendre l’ingénieuse

technique du maître toscan, que même ses propres disciples n’avaient pas réussi à reproduire.

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Des analyses scientifiques réalisées sur la Marie-Madeleine de Raphaël ont permis de mettre en

évidence l’usage de la méthode du spolvero qui consiste à transférer un dessin préparatoire sur le

support de la composition picturale (figure 37). Une méthodologie utilisée fréquemment par le

peintre et également par Léonard de Vinci, notamment dans l’élaboration de la Joconde (figure 39)

[11]. Ce tracé de points réalisé au noir de fumée, dissimulé sous la couche de peinture, apparait en

certains endroits uniquement, probablement comme points de repère. Une partie de l’œuvre a été

réalisée spontanément à main levée, comme dans grand nombre de ses œuvres [12].

Madone d’Orléans

Raphaël Sanzio

Portrait du Pape Léon X

Raphaël Sanzio

Figure 40. Réflectograhies infrarouge

Les réflectograhies infrarouges réalisées sur les œuvres de Raphaël (figures 40, 41) font surgir

des dessins préparatoires qui se distinguent sans peine de l’œuvre achevée et nous apportent de

précieuses informations sur le cheminement de son travail et des méthodes utilisées. En outre, cet

examen permet d’étudier la présence ou non de repentirs. Ce sont de précieux indices techniques qui

permettent de connaître la version d’origine et celles des apprentis ou ateliers. Ils permettent aussi

d’améliorer la fiabilité des attributions puisque si les artistes font souvent des repentirs, les copistes

n’en font pas ! Rembrandt, Titien ou Velasquez peignaient à même la toile et généraient de

nombreux repentirs, qui sont absents chez les copistes.

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39


Figure 41. Réfléctograhie infrarouge

Figure 42. Marie-Madeleine, Raphaël

L’étude du dessin sous-jacent de la Marie-Madeleine de Raphaël montre de nombreux repentirs

(figure 41). Le projet final a subi des modifications volontaires de la part du peintre. Sur le dessin

préparatoire, des mèches de cheveux tombent sur la nuque mais elles ne figurent plus sur l’œuvre

achevée, cachées par une ombre vaporeuse (figures 42). De plus, à l’endroit où l’on distingue le

tracé en pointillé du spolvero (figure 37), le visage a été élargi et ne suit plus la ligne de transfert,

dissimulée par le sfumato (voir flèches rouges, figure 41).

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40


Infrarouge

Photographie visible (VR)

Infrarouge (IR)

Figure 43. Détail, Marie-Madeleine, Raphaël Sanzio

Traces de spolvero et de repentirs

On retrouve aussi des traces de spolvero qui contournent le visage et dessinent la raie des

cheveux avec la présence de nombreux repentirs (voir flèches noires, figure 43).

Comparaison d’images VIS-IR

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41


Comparaison d’images VIS-IR

Comparaison d’images VIS-IR

Comparaison d’images VIS-IR

Figure 44

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42


L’ensemble du dessin a été élaboré avec un pigment noir dilué (voir les images infrarouges,

figure 44). Les investigations réalisées par réfléctographie infrarouge révèlent en partie un dessin

avec des traits précis soulignant les contours. Un clair-obscur peut être également observé.

Photographie visible

Infrarouge

Photographie visible

Infra-rouge

Figure 45. Traces de spolvero et de repentirs

La réflectographie des mains fait surgir de nombreux repentirs (voir flèches, figure 44) : doubles

traits au fusain, modifications de la forme des doigts et des ongles, présence de spolvero.

L’imagerie (figures 44, 45) indique des différences notables lors du transfert (spolvero), du dessin

préparatoire vers l’œuvre finale. Ce sont de précieuses informations pour l’authentification de

l’œuvre originale qui a servi de modèle pour celle du Pérugin. Ces éléments attestent que le portrait

de Chiara Fancelli à l’effigie de la Sainte bien issu de l’imagination créatrice de Raphaël Sanzio.

Le fait que l’œuvre de Raphaël soit la première version n’est en rien surprenant lorsque nous

connaissons le niveau d’aptitude de l’élève, au début du XVI ème siècle, considéré comme maître et

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ayant déjà dépassé le Pérugin. Le Mariage de la Vierge de Raphaël, daté de 1504, en témoigne. La

comparaison des Marie-Madeleine montre que Le Pérugin n’avait pas la grâce, l’harmonie et la

douceur du coup de pinceau de Raphaël, dont il ne sut déceler le secret. Cependant, les années de

collaboration entre ces deux grands peintres ont également été bénéfique au Pérugin. Sa Marie-

Madeleine, considérée comme l’une de ses plus belles œuvres, se distingue des œuvres qu’on lui

connaît, à tel point qu’elle a suscité de nombreux débat sur sa paternité. Les archives historiques en

témoignent. L'œuvre figure dans l'inventaire du Palais Pitti depuis 1641, comme étant du Pérugin.

Dans celui de 1691 et jusqu’en 1797, elle est attribuée à Raphaël. Au début du XIX ème siècle, surgit

l'hypothèse Léonard de Vinci, reprise par l’historien d’art Luigi Lanzi. L’attribution au Pérugin est

aujourd'hui communément acceptée. Bien que ces diverses attributions fussent inexactes,

l’attribution à Raphaël durant un siècle et ensuite à Léonard de Vinci avait un sens dans la mesure

où nous savons maintenant que l’œuvre du Pérugin est une copie de la Marie-Madeleine de Raphaël,

inspiré de Léonard de Vinci.

La présence du spolvero dans l’œuvre de la Marie-Madeleine de Raphaël est loin d’être neutre

car cette technique facilite le travail en atelier. Nous savons que les grands maîtres de la peinture

travaillaient rarement seuls et le spolvero permettait de reproduire à l’envi les œuvres, dans les cas

de commandes multiples. Cela peut justifier les copies de la Marie-Madeleine. De ce fait, il est fort

probable que la version de Raphaël soit la version originale ayant généré celle du Pérugin. Le

Pérugin utilisait aussi la méthode du spolvero mais les analyses scientifiques réalisées sur sa version

de la Marie-Madeleine ont révélé l’absence de cette technique de transfert et un dessin à main libre

aux traits légers contrairement à celui de Raphaël, aux traits précis. Des « repentirs » ont juste été

relevés sur les mains de la version du Pérugin. Des modifications qui ne sont pas liés une recherche

de créativité, c’est-à-dire un changement volontaire de la part de l’artiste, mais une recherche afin de

concevoir des mains d’une finesse sans pareille comme celles de Raphaël. Rappelons que le jeune

prodige au talent affirmé était, bien plus qu’un élève, plutôt un collaborateur et un modèle de vertus

artistiques pour le Pérugin, un maître pour le maître. Raphaël mourut subitement à Rome en 1520 et

laissa inachevée la fresque de San Severo, commandée par les moines camaldules qui demandèrent

au Pérugin de la terminer, ce qui illustre la collaboration étroite entre Raphaël et le Pérugin.

Détail mains, Marie-Madeleine de Raphaël

Détail mains, Marie-Madeleine du Pérugin

Figure 46

La comparaison des mains révèle de nombreuses différences (ongles, articulation, traitement

stylistique). Les mains de la version de Raphaël sont d’une incroyable finesse et d’une grâce

inégalée tandis que celles du Pérugin sont plus raides et moins animées, avec un défaut notable au

niveau de l’articulation de l’index (voir flèche, figure 46).

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44


Figure 47. Détail, Madone à l’enfant, Saint Jean-Baptiste et Sainte Catherine d’Alexandrie

1495/1500, Le Pérugin

Un défaut qui se retrouve dans la Madone à l’enfant, Saint Jean-Baptiste et Sainte Catherine

d’Allexandrie du Pérugin (figure 47).

Le mariage de la Vierge, Raphaël

La Madone pasadena

Marie-Madeleine

Saint Sébastien

Marie-Madeleine

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La Belle Jardinière Madone de la chaise La dame voilée

Figure 48. Détails, portraits de mains et visages de Raphaël Sanzio

Les longues et fines mains, à l’ossature prononcée, de la Marie-Madeleine de Raphaël témoignent

de sa période pérugienne (figure 48). En revanche, son visage aux traits fins a les mêmes

caractéristiques harmonieuses diffusant douceur et grâce comme dans ses œuvres qui trahissent

l’influence de Léonard de Vinci (figure 48). Le portrait de Saint Sébastien et de Chiara Fancelli à

l’effigie de Marie-Madeleine font partie de ses œuvres en pleine transition stylistique.

Figure 49. Dos de la Marie-Madeleine

Raphaël Sanzio

Collection privée

Figure 50. Dos des trois grâces

Raphaël Sanzio

Musée Condé, Chantilly

Comme Les Trois Grâces du musée Condé, la Marie-Madeleine de Raphaël est peinte sur une

planchette de bois de peuplier. Son épaisseur, d’environ 2 à 3 mm, est trop mince pour être

d’origine. Le support de bois a été aminci pour la pose au revers d’un parquetage de style florentin

(figures 49, 50). C’est ce qui a permis une meilleure conservation de l’œuvre. Le panneau des Trois

Grâces et de la Marie-Madeleine sont en parfait état. Il est intéressant de noter une fluorescence

d’image identique. Le blanc lumineux qui est du blanc de plomb transparaît. On distingue des traces

blanches, sur les deux œuvres, qui sont des bulles d’air du gesso qui servit à la préparation du

panneau (voir les flèches rouges, figures 49, 50). Ce mélange de gypse et de colle animale, puis

vraisemblablement d’une couche d’impression à base d’huile et de blanc de plomb, est destiné à

éviter que la peinture à l’huile ne pénètre dans le substrat [9].

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Figure 51. Points d’analyse

De nombreuses analyses pigmentaires ont été réalisés sur la Marie-Madeleine de Raphaël Sanzio

(figure 51). Elles ont révélé une quantité considérable de plomb, à savoir la céruse ; la présence de

cinabre (à base de sulfure de mercure), est utilisé comme pigment rouge ; des pigments à base de fer

comme les terres pour les fonds sombres. Dans la partie supérieure de la robe, Raphaël a utilisé un

pigment à base de cuivre (vert), mélangé à un autre pigment à base de fer qui correspond au pigment

« vert-de-gris », l’utilisation d’un noir organique est aussi attestée, plus précisément un noir d’os. La

présence de calcium et de strontium suggère que la préparation est à base de gypse.

Un échantillon a été prélévé sur la partie basse du tableau, au niveau des mains pour des analyses

détaillées (ci-dessous point blanc, figure 52).

Figure 52. Positionnement du prélèvement réalisé sur la Marie-Madeleine :

Micrographie d'un échantillon en coupe, 100x

Micrographie d'un échantillon en coupe, 200x

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Micrographie d'un échantillon en coupe, lumière UV, 100x

Microanalyse MEB, carte de distribution du calcium

Microanalyse MEB, carte de répartition du fer

Microanalyse SEM, carte de répartition du plomb

Microanalyse MEB, carte de répartition du soufre

Figure 53

L'échantillon est composé de trois couches (figure 53) :

a) La première couche préparatoire (épaisseur 0,55 mm) est constituée de gesso cuit et de

colle animale suggérée par la fluorescence jaune-orange indiquant la présence d'un liant

huile-résine avec la présence, en petite quantité, d’étain et de manganèse ; présence d’une

nature silico-carbonatée. La combinaison de ces deux composants chimiques correspond à

du verre en poudre dont l’effet cristalin permet de donner de la transparence ;

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b) une deuxième couche préparatoire (0,35 mm d'épaisseur) de couleur plus claire et de

fluorescence partiellement différente ; dans ce cas, on peut émettre l'hypothèse qu'il existe

un liant de nature protéique (colle animale);

c) le film pictural (0,03 mm d'épaisseur) est constitué de céruse et d’huile de lin, d'ocres/terres,

de granules sporadiques de pigment noir et rouge. Certains granules présentent une

fluorescence orange vif caractéristique des laques utilisées pour les glacis ( le sfumato). La

taille des granules est hétérogène : cela indique que le broyage a été réalisé manuellement et

non industriellement. Les trois couches ensemble ne font même pas 1mm!

L'analyse montre que les pigments utilisés dans la peinture sont typiques de la période de la

Renaissance. La palette extrêmement riche est conforme à celle utilisée par Raphaël durant sa

période florentine. Ce sont des couches monochromes translucides, qui forment une sorte de

millefeuille, selon l'enseignement de Léonard. L'ensemble du processus d'exécution depuis le dessin

jusqu'à l'œuvre finale correspond aux phases de production caractéristiques de Raphaël Sanzio.

La femme enceinte

Saint Sébastien

Marie-Madeleine

Saint Sébastien

Figure 54. Portrait de Agnolo Doni

Détails, contour du visage, Raphaël Sanzio

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Raphaël Sanzio avait inventé une méthode ingénieuse pour laisser une certaine incertitude sur la

terminaison du contour et donner un effet « sfumato » [10]. En regardant de plus près la technique

de ses portraits du début des années 1500 (figure 54), on distingue une forte concentration de

pigments dans les contours des visages qui semblent être appliqués de manières irrégulieres. Bien

que la méthodologie de Raphaël, inspiré de Léonard de Vinci, soit moins subtile que celle de ce

dernier, elle caractérise son empreinte d’artiste qui lui permet de rendre ses portraits plus vrais que

nature.

Marie-Madeleine

La femme enceinte

1505/1506

Figure 55. Raphaël Sanzio

D’après les éléments dont nous disposons, la Marie-Madeleine de Raphaël pourrait être datée du

début du XVIème siècle et plus précisément à partir de 1505, date à laquelle Raphaël se détache

considérablement du style statique du Pérugin. Cette période marque un nouveau tournant technique

et stylistique influencé par sa rencontre avec Léonard de Vinci. La conception de son portrait « la

femme enceinte » datée de 1505/1506 en témoigne également (figure 55).

Marie-Madeleine

Raphaël Sanzio

Marie-Madeleine

Le Perugin

Marie-Madeleine

Bottega

Figure 56

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Marie-Madeleine, Raffaël Sanzio

Marie-Madeleine, Le Perugin

Figure 57. Photographies en lumière visible

La comparaison de la version de la Marie-Madeleine de Raphaël avec celle du Pérugin et avec

celle de la Villa Borghese révèle de nombreuses différences (figures 56, 57). Celle de Raphaël a le

visage plus rond comme ses Madones à partir de sa période florentine. Dans l’œuvre de Raphaël,

Chiara Fancelli est d’un naturel saisissant, contrairement à la version du Pérugin, plus sophistiquée.

On peut dire que Raphaël a achevé sa formation à Florence avec le plus grand génie universel que

fut Léonard de Vinci [13]. Il atteindra dès lors ce que la Haute Renaissance recherche : la

reproduction la plus vivante possible d’une nature idéalisée, la perfection suprême.

Figure 58. Fresque, La Crucifixion, Le Pérugin, 1495

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Figure 59. Détail, La Crucifixion

Le Pérugin

Figure 60. Détail, Marie-Madeleine

Raphaël Sanzio

Pour sa Marie-Madeleine, Raphaël n’a plus représenté Chiara Fancelli dans le style pérugien mais

il a respecté sa vraie nature comme le faisait Léonard avec ses modèles. Nous pouvons voir son

véritable physique dans une fresque du Pérugin La Crucifixion (figure 58). Dans cette œuvre, datée

de 1495, soit un ou deux ans après leur mariage, il représente son épouse en tant que la Vierge

Marie (figure 59). La ressemblance physique avec la Marie-Madeleine de Raphaël est troublante

(figure 60). Il fallait bien connaître Chiara Fancelli pour la peindre avec autant de perfection et de

véracité. Rappelons qu’elle fut un modèle de prédilection pour Raphaël.

Figure 61. Détail de l’œil, Marie-Madeleine Raphaël Sanzio

Comme le disait Léonard de Vinci : « L’œil, appelé fenêtre de l’âme, est le principal moyen par

lequel notre intellect peut apprécier pleinement et magnifiquement l’œuvre infinie de la nature. »

Contrairement à la Madeleine du Pérugin, le regard raphaelesque est animé par l’émotion. Ses yeux

nous transpercent et nous rappellent ceux de ses portraits (figure 61, 62).

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Figure 62. Détails des yeux dans les portraits de Raphaël Sanzio

La macrophotographie réalisée a permis de décrire en détail la manière dont les yeux de la

Madeleine ont été peints (figure 63). Les détails sont caractérisés par des pupilles noires à moitié

visibles car partiellement recouvertes par leurs paupières supérieures respectives ; dans les deux

yeux, il y a des nuances verdâtres au-dessus ou autour des pupilles ; l'iris est brun orangé ; la sclère

blanche avec de légères nuances gris-bleu clair ; le coin médial est souligné de petits coups de

pinceau rose vif ; le bord de la paupière inférieure est rose clair, tandis que celui de la paupière

supérieure est marqué de coups de pinceau violet foncé et noirs. De minuscules coups de pinceau

blanc sont insérés par le peintre entre la pupille et l'iris afin de simuler les reflets de la lumière. Une

manière très détaillée et particulière de peindre les yeux qui constitue un élément de comparaison

avec d'autres œuvres de Raphaël où se retrouve exactement le même procédé dans ses portraits de

Baltazar Castiglione et de Bindo Altoviti.

Figure 63. Macrophotographie

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Portrait de Baltazar Castiglione, Raphaël Sanzio

Portrait de Bindo Altoviti, Raphaël Sanzio

Figure 64

Comme Léonard, Raphaël avait cette capacité de donner de la profondeur au regard et de

l’illuminer (figures 61, 62, 63, 64). Il avait compris que le regard communique les émotions et,

partout dans le monde, il n’a qu’un langage.

La version de la Marie-Madeleine de Raphaël Sanzio est parfaitement humaine et authentique et,

plutôt qu’à une sainte, laisse penser à un portrait de Chiara Fancelli, une femme à la beauté

captivante, que le jeune prodige admirait.

Détails motifs, Marie-Madeleine

Raphaël Sanzio

Détails inscriptions, Marie-Madeleine

Le Pérugin

Figure 65. Détails motifs, Joconde, De Vinci

Sur l’œuvre de Raphaël ne figure pas l’inscription « S MARIA MADALENA » mais des motifs

en forme de losange qui s’assemblent, motifs que l’on trouve dans d’autres œuvres de Raphaël et

qui rappellent ceux qui se trouvent sur le devant du buste de la Joconde. Ces motifs en losange

témoignent d’un grand symbolisme lié au christianisme (figure 65). En effet, cette forme

géométrique rappelle « la mandorle », l’amande mystique qui entoure les personnages sacrés, et

notamment le Christ. À la Renaissance, les peintres néoplatoniciens utilisaient des symboles pour

faire passer des messages codés que seuls les plus érudits pouvaient comprendre [14]. Quant au

Pérugin, il était connu pour être dans la représentation simple de l’iconographie chrétienne,

l’inscription détaillée sur la robe de sa Marie-Madeleine le démontre.

Chez Raphaël, les motifs sur le devant de la robe ainsi que le positionnement et le maintien du

modèle ont probablement été inspirés par sa vision de la Joconde. L’esprit léonardien se ressent

dans l’élaboration de la Marie-Madeleine (figure 66).

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Marie-Madeleine

La Joconde

Figure 66

La Belle Ferronnière

De Vinci

La Dame à l’hermine

De Vinci

La Joconde

De Vinci

Marie-Madeleine La Dame à la licorne Madone du grand-duc

Figure 67

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Ces écarts volontaires témoignent de l’émancipation et de l’évolution artistique de Raphaël. Cette

œuvre d’une grande beauté marque un nouveau tournant dans sa carrière. Il s’est enfin détaché du

style du pérugin pour celui de Léonard de Vinci, en façonnant sa propre personnalité artistique

(figure 67).

Autoportrait

Léonard de Vinci 1512/1515

Détail, École d’Athènes, Platon et Aristote

Raphaël Sanzio, 1508/1512

Figure 68

Dans l’histoire de l’art, Raphaël est devenu le digne héritier de Léonard de Vinci, qu’il admirait

et qu’il considérait comme le Maître suprême. Comme lui, en grand humaniste et polymathe, il avait

étudié les mathématiques, notamment l’usage du nombre d’or, auprès de Luca Pacioli qui partagea

avec lui ses connaissances et l’aida dans la construction de sa fresque L’école d’Athènes durant deux

années. Le jeune prodige suivait les traces de Léonard qu’il considérait comme un modèle à suivre.

Sa représentation de Platon qui emprunte les traits du génie toscan, en témoigne. Le philosophe, en

son temps était également une source d’inspiration et un idéal (figure 68).

Cette fresque a fait de Raphaël, un des plus grands représentants et héritiers du néoplatonisme de

la Haute Renaissance qui visait à affirmer les valeurs de la vérité, du bien et du beau [8]. Une

citation d’un grand peintre français du XVIII/XIX ème siècle, Jacques-Louis David, en témoigne :

« Raphaël, homme divin ! C’est toi, qui m’as élevé jusqu’à l’antique ! C’est toi peintre sublime !

C’est toi parmi les modernes qui es arrivé le plus près de ces inimitables modèles ! » Passionné par

l’Antiquité, Raphaël est considéré comme celui qui a su ressusciter la pudeur et la pureté de l’art

grec. Ses œuvres sont facilement intelligibles, tout en étant complexes par leur composition. Les

coloris sont subtils, et l’harmonie est atteinte. Tout dans la peinture de Raphaël évoque la grâce.

Les œuvres de Raphaël Sanzio furent de celles que toutes les plus grandes cours royales voulaient

s’approprier, tout autant que les œuvres de Léonard de Vinci [15]. Ils représentaient tous deux

l’apogée de l’excellence italienne. François 1 er , grand collectionneur, vouait une admiration

particulière à ces deux prodiges au même titre que les grandes cours d’Angleterre. Jusqu’à

l’académisme du XIX ème siècle, Raphaël incarnera le modèle pictural dominant. Il inspira les plus

grands portraitistes comme Jacques Louis David et Ingres.

Conclusion

Malgré une courte vie, Raphaël laissera une empreinte monumentale. Peintures, dessins, fresques

et monuments architecturaux, il fut aussi prolifique que perfectionniste. Peignant le sublime et le

sacré, il a fini par devenir lui-même une figure divine aux yeux de ses successeurs. La découverte de

sa version de la Marie-Madeleine témoigne d’une transition artistique qui s’éloigne de la rigidité

pérugienne et de sa rencontre avec Léonard de Vinci. Ce portrait rappelle la Joconde, une

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représentation du vivant pro-traho 1 qui incarne un idéal tant convoité à la Renaissance. Le

prodigieux Raphaël a su dépasser la seule figuration et nous livrer l’âme de Chiara Fancelli. D’une

beauté sans pareille, et d’une qualité technique et stylistique hautement supérieure à la version du

Pérugin, l’élève avait dépassé son Maître !

Bibliographie

[1] Vasari G, 1550, La vie des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Lorenzo Torrentino, Tome 1.

[2] Michaud L.G, 1842, Biographie universelle (Michaud) ancienne et moderne, Volume 35, Delagrave, Paris.

[3] Müntz E.,1881, Raphaël, sa vie, son œuvre et son temps, Hachette, Paris.

[4] Planche G., 1848, « Étude sur l’art en Italie », Tome 21, Bureau de la Revue des deux Mondes, Paris.

[5] Passavant J.-D., 1860, Raphaël d’Urbin et son père Giovanni Santi, Jules Renouard éditeur, Paris.

[6] De Vecchi P., 2002, Raphaël, Citadelles & Mazenod.

[7] Sgalbiero T., Bruyns E., 2015, « Bramante et l’architecture renaissante : l’art de ressuciter le classissisme

antique », 50 minutes.fr.

[8] Di Maria A., Pomerol J.-Ch., Popis N., 2023, « Léda et le Cygne de Léonard de Vinci à la Wilton House », ISTE

OpenScience, Arts et Science 7 n°1, London, 22-43.

[9] Mottin B., 2005, « Raphaël au musée Condé : Quelques résultats d’un examen sous l’angle du laboratoire », Étude

Musée Condé, n°62.

[10] Walter P., Cardinali F, 2013, L’Art Chimie, Enquête dans le laboratoire des artistes, Édition Michel de Maule.

[11] Cailloce L., « La Joconde révèle son spolvero », Journal CNRS, 17/09/2020.

[12] Billinge R., 2007, « Raphael’s painting technique: Working practices before Rome », proceedings of the Eu-

Artech workshop, editore Nardini, 67-75.

[13] Arasse D., 2003, Les visions de Raphaël , éditeur Liana Levi.

[14] Di Maria A., Pomerol J.-Ch., Popis N., 2022, « Influence néoplatonicienne et divine proportion chez Léonard de

Vinci », ISTE OpenScience, Arts et Science 6 n°3, London, 55-74.

[15] Brejon Delavergnée A., 1987, L’inventaire le Brun de 1683, la Collection des tableaux de Louis XIV , édition de

la Réunion des Musées Nationaux.

1 Pro-traho (« je dessine quelque chose à la place de quelque chose d’autre ») perdure dans l’ancien français portraire.

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Art des jardins en terrasse et sciences du relief et du

climat au Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye

Art of terraced gardens and sciences of relief and climate at the

Château-Neuf of Saint-Germain-en-Laye

Ève Golomer 1

1

PhD HDR sciences et arts de l’espace, théoricienne en arts des jardins, ancienne élève et stagiaire ENSP Versailles,

eme.les.jardins@gmail.com

RÉSUMÉ. Le domaine historique du Château-Neuf s’étendait en terrasses sur le coteau du Pecq depuis Saint-

Germain-en-Laye jusqu’aux bords de la Seine favorisant ainsi l’installation de vastes jardins. Au début du XVII e siècle,

la construction des terrasses bénéficia des techniques en art des jardins de la Renaissance italienne expérimentées

par les architectes des rois de France lors de séjours en Italie et adaptées à l’esthétique des jardins français. Du fait

de sa position en plateau sur la cinquième terrasse, le premier Jardin vit se succéder de grands paysagistes dont

André Le Nôtre sous le règne de Louis XIV. Au XIX e siècle, les jardins des terrasses, séparés par une voie

départementale, évoluèrent alors différemment. Au côté sud du domaine, la présence du pavillon du Jardinier, actuel

pavillon Sully, et de ses notables propriétaires membres de la Société d’Horticulture de St Germain, permit d’entretenir

ces œuvres paysagères. Ainsi, la partie sud des parterres de buis a poursuivi la tradition de l’art des jardins à la

française. Cependant, un micro-climat, favorisé par le relief du site, a aussi participé au développement des parterres

de ce côté. L’étude des courbes altimétriques montrent que, lorsque les terrasses sont les plus abruptes, la surface

exposée au soleil des grands murs de soutènement encourage les cultures horticoles dans la partie basse. Grâce aux

archives de vues aériennes, le côté sud révèle des parterres de jardins horticoles alors que le côté nord du site est

plus urbanisé et occupé par des propriétés privées aux jardins réduits.

ABSTRACT. The historical domain of Château-Neuf extended upon the hillside of the Pecq from Saint-Germain-en-

Laye to the edge of the Seine, thus favouring the installation of vast gardens on its terraces. At the beginning of the

seventeenth century, the construction of the terraces benefited from the techniques in garden art of the italian

Renaissance experimented by architects of the French kings during their stays in Italy and suitable for the aesthetic of

the French gardens. From its plateau position, the First Garden on the fifth terrace saw a succession of famous

landscapers as André Le Nôtre over the reign of Louis XIV. In the nineteenth century, the terraced gardens, split by a

country road, developped differently. At the south of the domain, the presence of the Gardener’s Pavilion, actual

Pavillon Sully, and of its notable owners, members of the Horticultural Society of St Germain made it possible to

maintain its landscape works. Thus, the south part of the boxwood beds perpetuated the tradition of the art of French

gardens. However, a micro-climate favoured by the relief of the site, has also participated to the development of beds

on this side. The study of the elevation curves shows that when the terraces are at their steepest, the area exposed to

the sun of the high retaining walls encourages horticultural crops in the lower part. Thanks to archived aerial views

over about a century, the south side reveals beds of horticultural gardens while the north side is more urbanized and

occupied by private properties with reduced gardens.

MOTS-CLÉS. Art des jardins, terrasse, murs soutènement, Renaissance italienne, parterres à la française, courbes

altimétriques, vues aériennes, exposition solaire, micro-climat, horticulture, urbanisation.

KEYWORDS. art of gardens, terrace, retaining walls, Italian Renaissance, french beds, elevation curves, aerial views,

sun exposition, micro-climate, horticulture, urbanization.

1. Contexte historique du paysage en terrasses du Château-Neuf de St Germain

L’art des jardins, sous l’influence de l’expédition de Naples (août 1494 - octobre 1495) menée

par le roi de France Charles VIII, évolua du modèle médiéval vers un modèle renaissant dès son

retour à partir des pays de Loire et d’Amboise où il résidait à cette époque 1 . En effet, Charles VIII

fut conquis par les jardins italiens quand il visita le palais et les jardins de Poggio Reale.

1 Catherine de Lanfranchi, « Jardins du Val de Loire et influences italiennes », Italies [En ligne], 8 | 2004.

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Il écrivait à son frère le duc de Bourbonnais : Vous ne pourriez croire les beaulx jardins que j’ay

en ceste ville, car sur ma foy il semble qu’il n’y faille que Adam et Eve pour en faire un paradis

terrestre tant ilz sont beaulx et pleins de toutes bonnes et singulières choses, comme j’espère vous

en conter, mais que je vous voye 2 .

Le modèle français en se développant évolua différemment du modèle italien qui avait ravi ce roi.

Cependant les architectes de la cour des rois de France appréciaient les séjours d’études en Italie, en

particulier Philibert Delorme, après un séjour de trois ans à Rome 3 en 1557, pour Henri II,

commença l’édification du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye. Puis, en 1596, après une

pause, les travaux reprirent et Henri IV confia à Etienne Dupérac, à son retour de huit ans passés à

Rome 4 , l’architecture des jardins en terrasses étendues sur le coteau du Pecq.

Le domaine royal du Château-Neuf bénéficia à la fois de l’esthétique ancienne et raffinée de l’art

français où le jardin de la Renaissance s’ouvre sur le paysage et utilise les caractéristiques de celuici

dont le relief, et de celle des sites en pente très abrupte de la Renaissance italienne avec ses

monumentales galeries et leurs rampes descendantes. Ce domaine rivalise alors non seulement avec

la description de Charles VIII, mais exprime les prouesses art et science chères à la Renaissance 5 .

L’union art et science est célébrée pour les terrasses du Château-Neuf par Ferdinand de Lacombe les

considérant telle la huitième merveille du monde 6 :

Henri IV voulut qu'en ce séjour, où rien ne rappellerait le bruit de la ville, la science s'unît aux

arts pour créer à l'esprit les délassements les plus ingénieux. Sur ce versant de la colline, à la voix

du prince, un monde va surgir du néant. Un génie mystérieux préside à l'enfantement d'une œuvre

complexe, que les contemporains ont célébrée à l'égal de la huitième merveille du monde.

En effet, dès le début du XVII e siècle, le domaine du Château-Neuf présentait une extraordinaire

mise en scène de la nature. Il était composé de plusieurs terrasses aménagées en galeries et grottes

avec, pour les deux terrasses supérieures, d’ingénieux automates hydrauliques ainsi que des plus

rares merveilles de la terre 7 , et pour celles des niveaux inférieurs, de vastes jardins. Ce domaine

attirait déjà les voyageurs et les artistes étrangers par la splendeur de son paysage [1].

Sa situation géographique se distingue par le repère spatial universel des quatre points cardinaux.

Les terrasses descendent vers la Seine selon un axe général ouest-est presque parfait. Sensibles à

cette disposition, par leurs dessins, les artistes ont signifié la direction des rayons du soleil baignant,

suivant l’axe sud-nord, les murs de clôtures, leurs rampes descendantes et les promenoirs. En

figurant l’orientation méridionale ou septentrionale des pierres de la façade de ces murs, ils donnent

vie au majestueux paysage en captant, comme lors d’une photographie, l’instantané ensoleillé.

Étymologiquement, le jardin étant un espace clos, les bâtisseurs de ce domaine ont élevé

d’élégants murs de clôture 8 . Au cours des siècles, certains ont disparu dont celui à l’est en bord de

2 Lettres de Charles VIII, Ed Paul Pelicier, Paris, Renouard, t. IV, pp. 187-188. 1903

3 Henri Clouzot, Philibert de l'Orme, col. Les Maîtres de l'Art, Plon-Nourrit et C ie , Paris, 1910

4 Emmanuel Lurin, Étienne Dupérac, graveur, peintre et architecte (vers 1535 ? - 1604) : Un artiste-antiquaire entre l'Italie et la

France, Paris, thèse Sorbonne Paris IV, 2006.

5 Juliette Ferdinand, Pratique vs Théorie dans l’oeuvre de Bernard Palissy. De l’art à l’épistémologie, in La Science prise aux

mots. Enquête sur le lexique scientifique de la Renaissance, Parigi, pp. 123-136, 2021.

6 Ferdinand de Lacombe, Le Château de Saint Germain en Laye, 6 e édition, 1878, Bibliothèque nationale de France, département

Philosophie, histoire, sciences de l'homme, Gallica 8-Z LE SENNE-11900.

7 André du Chesne, Les antiquitez et recherches des villes, chasteaux et places plus remarquables de toute la France, Paris, Jean

Petit-Pas, p. 274-280, 1609, Archives Musée d’Archéologie Nationale.

8 Ève Golomer, Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye : à la découverte des murs de clôture de la 5 ème terrasse pour leur

protection ! En ligne le 20 septembre 2022 : https://www.sitesetmonuments.org/chateau-neuf-de-saint-germain-en-laye-a-ladecouverte-des-murs-de-cloture-de-la-5e-terrasse-pour

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Seine, cependant bien que parfois dissimulés par des arbres et recevant moins le soleil, les murs de

soutènement des terrasses ont dû être entretenus pour leur utilité. Grâce à eux, le tracé général du

domaine du Château-Neuf se révèle progressivement lors de recherches, ainsi l’histoire des murs

ensoleillés des dernières terrasses avec celle de leurs parterres peut être retracée, ce qui est l’objet de

cette étude.

2. Au XVII e siècle : les trois grands jardins réguliers des terrasses

2.1. Le paysage complet dessiné initialement et gravé par les artistes

Figure 1. Mathieu Merian l’Ancien, Vue cavalière du château de Saint-Germain en 1614,

dans Topographiae Galliæ […], t. I. Tours, CESR, SR 1 A 10 a-d. œuvre citée en 2021

par Frédérique Lemerle9

Cette gravure a été choisie parmi les reproductions de l’originale : Portraits des chasteaux royaux

de Sainct Germain en Laye par Alexandre Francini en 1614, conservée au Musée d’Archéologie

Nationale, pour sa mise en valeur de l’ensoleillement des terrasses et surtout de leurs murs de

clôture. En effet, cette composition présente les grottes des galeries hautes plutôt dans l’ombre

contrairement à ce qui est observé sur la gravure initiale.

Une flèche orangée est ajoutée ici sur la gauche de la gravure pour pointer le lieu particulier de

cette étude : autour de la sixième terrasse et de la septième terrasse. Considérant l’ensemble du site,

9

Frédérique Lemerle, Les voyageurs germaniques et l’architecture française au XVII e siècle, Journal.openedition.org et

https://doi.org/10.4000/crcv.22744

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l’artiste signale la présence de l’exposition au soleil par des lignes colorées en clair ou en sombre

tout le long de l’enceinte du domaine. A gauche, le mur de clôture exposé au sud forme une ligne

ombrée sous le soleil alors qu’à l’opposé, côté droit de la vue, la face du mur de clôture nord est

éclairée directement.

Vu l’étendue du domaine, l’ombre du sud était réduite à sa projection sur les allées latérales

laissant le soleil parvenir aux parterres tandis qu’au nord, il chauffe directement les murs. Toutes les

conditions climatiques étaient réunies pour le développement du sud au nord d’un grand jardin en

terrasse.

Sur la cinquième terrasse, un premier jardin d’agrément est présenté sur 70 m de profondeur et

144 m de largeur pour sa partie centrale [2]. Des parterres de buis réalisés par le premier jardinier

d’Henri IV et de Louis XIII, Claude Mollet 10 sont entourés de deux bosquets latéraux de 95 m

chacun [3]. Le bosquet nord présentait des bassins dont un nymphée 11 pour créer l’ambiance des

grottes de fraicheur.

Sur toute la pente de la sixième terrasse, le deuxième Jardin dit aussi Jardin en Pente, selon les

gravures, était planté d’une manière esthétique en quinconce avec des arbres fruitiers et le texte du

manuscrit Antoine 12 confirme qu’il s’agit bien d’un verger, du moins au début du XVIII e siècle :

Au bas de ce premier jardin, il y en a un autre, qui est tres grand et spacieux, qui s’etend jusqu’à

la riviere de Seyne qui le borne, qui est un grand verger d’arbres fruitiers entouré de murs où il y a

des espaliers d’arbres de touttes les especes de bons fruits.

2.2. Particularités du jardin d’eau

Sur les gravures du XVIII e siècle, après la restauration des terrasses supérieures, le jardin des

Canaux, dit Troisième jardin, semblait faire un seul bloc avec le jardin en Pente dit Deuxième

jardin, car il était traité ainsi par les artistes qui ne tenaient compte que de l’imposante façade

minérale des galeries Dorique et Toscane et de leurs rampes descendantes.

Alors qu’au début du XVII e siècle, d’après les premières gravures de 1615 par Claude Chastillon,

le bassin central était absent et des entrelacs y figuraient à la place. Kitaeff fait l’hypothèse que ces

entrelacs n’étaient qu’un projet et ils n’auraient pas existé [4]. Il est possible aussi qu’ils n’auraient

duré qu’une dizaine d’années laissant la place un peu après, selon les écrits de 1618, à un deuxième

type d’architecture où se dessinaient progressivement les bassins du jardin d’eau :

plus fault faire la maconnerie de cinq pans de murs pour parachever le grand canal du milieu du

pré 13 et pendant une quarantaine d’années, proche de la Seine, qui est bien visible en bas de la figure

1 avec les quatre bassins centraux (grand canal du milieu du pré) et les deux canaux paysagers

latéraux.

Emmanuel Lurin [5] décrit le rôle du jardin des Canaux dans la composition et le fonctionnement

général de l’ensemble des bassins du site. La lecture des pièces d’eau du jardin en terrasse du

Château-Neuf privilégie le point de vue d’en-haut, depuis le château. Ce troisième Jardin faisait

10 Claude I Mollet, Théâtre des plans et jardinages, édition Paris C. de Sercy, 1652, Binha, Paris 4° KO 807, p.202-203.

11 Ève Golomer, Un nymphée découvert au sein du bosquet nord du Château-Neuf de St Germain, page d’archive N° 74, publiée le

1er février 2023 à la Société d’Art et d’Histoire : Les Amis du Vieux Saint Germain.

12 Manuscrit Antoine intitulé « Histoire des antiquités des églises, abbayes, prieurés, chasteaux, forests et autres lieux, qui

estoyent dans les limites du gouvernement et capitainerie de Saint-Germain-en-Laye, avec un récit fidel de ce qui s’est passé

pendant les dernières maladies et morts des très chrétiens roys Louis XIII et Louis XIV ; dédié au Roy par M. Antoine, escuyer,

porte-arquebuse ordinaire du Roy, inspecteur général de la capitainerie et maistrise des eaux et forests de Saint-Germain-en-

Laye, en l’année 1728 », département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (NAF 5012).

13 A.N., MC, XIX, 385, f° 216, Paris, 1618.

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office à la fois de jardin de drainage et de bassin de décharge pour l’eau descendant des niveaux

supérieurs. Il était disposé en grille d’eau avec six bassins.

Aux extrémités nord et sud, deux canaux parallèles encadraient quatre bassins rectangulaires qui

formaient un miroir d’eau autour d’une fontaine pyramidale de style rustique.

Lors de l’effondrement de la galerie Dorique et de sa rampe nord, le 17 avril 1643, l’alimentation

en eau des jeux hydrauliques des grottes a été probablement entièrement coupée, ce jardin d’eau

n’ayant plus d’utilité, son entretien a été abandonné. Le 13 octobre 1644, cette situation est

constatée par le récit du voyageur Elie Brackenhoffer :

Quant aux jardins, il semble à vrai dire qu’ils ont dû être superbes et charmants, mais

maintenant ils sont à l’abandon ; en effet, dans le voisinage de l’eau, on ne voyait pas trace du

moindre canal ; à vrai dire, à en juger par le cuivre, il devait y en avoir cinq ou six, mais ils étaient

complètement envahis par la végétation 14 .

2.3. Le premier plan d’ingénieur vers 1680

Figure 2. Cette partie extraite du plan général du Chasteau Neuf et des jardins, folio 108 v, apparaît dans

le chapitre Le Vieux château et Moderne de St Germain en Laye au sein du Manuscrit Antoine 11 (BnF).

L’étude architecturale de l’ensemble des jardins situe l’époque de réalisation de ce plan vers

1680, cette date survenant après le passage d’André le Nôtre (réalisation du parterre de la Dauphine

14 Elie Brackenhoffer, Voyage de paris en Italie1644-1646, traduit de l’allemand par H. Lehr, Nancy 1927, pièce 13 du corpus

numérique sur l’histoire du château et des jardins de Saint-Germain-en- Laye MAN, p14-18.

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en 1679, à droite des bâtiments du Château-Neuf) et avant le départ de Louis XIV pour Versailles,

car les canaux seront recouverts et remplacés par ces grands carrés de gazon.

Au début du XVII e siècle, des vues symétriques et idéalisées furent réalisées par les artistes

comme celles de la figure 1 afin de magnifier le site dans un esprit esthétique. Ces vues ont laissé

place dans la deuxième partie du XVII e siècle à celles des ingénieurs où les asymétries nord et sud

apparaissent dans un esprit scientifique prenant en compte les dénivelés du terrain. Ainsi, après le

coin sud du bosquet de la cinquième terrasse, la surface de la sixième terrasse et de la septième se

prolongeant sous le pavillon Sully est réduite jusqu’au jardin des Canaux dont la largeur est de

nouveau plus importante.

Sur ce dessin, le Premier Jardin de la cinquième terrasse, présente dans sa partie centrale une

architecture paysagère réalisée par André Le Nôtre qui développa ses talents dans le cadre

somptueux d’une vaste terrasse [6]. Cependant, les bassins n’existaient probablement plus car à

cette époque l’eau était rare, en particulier, au niveau de cette terrasse 15 .

Le tracé des jardins des terrasses suivantes est déjà simplifié : le Deuxième Jardin a perdu ses

arbres plantés en quinconce et dans le Troisième Jardin des Canaux, les quatre bassins centraux ont

disparu ainsi que les canaux paysagers latéraux.

3. Au milieu du XVIII e siècle : évolution de la composition des jardins

3.1. Les premiers dessins de jardins potagers-fruitiers côté sud

Figure 3. Plan anonyme : état des jardins en terrasse vers le milieu du XVIIIe siècle (A.N. O1 17213 N°12).

15 Ève Golomer, Les premières broderies du parterre royal du château de St-Germain en 1667 : une histoire d’eau ! page

d’archive N° 64, publiée le 22 juin 2022 pour la Société d’Art et d’Histoire : Les Amis du Vieux Saint Germain, et sur le site

d’Israël Silvestre et ses descendants : https://israel.silvestre.fr

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En près d’un siècle, des jardins sont apparus sous le pavillon Sully : en haut, les carrés réguliers

d’un potager comme décrit dans les actes notariés ci-dessous. Sur le côté sud, des jardins des

terrasses inférieures et du jardin des Canaux, des parterres entourés d’arbustes voire d’arbres

fruitiers sont dessinés en forme de deux trapèzes dans le renfoncement non compris au XVII e siècle,

en bas de la rampe descendante de la sixième terrasse (flèche jaune de la figure 2).

Cette disposition en jardins nourriciers du côté sud, différente de celle du côté nord, pourrait

témoigner d’un ensoleillement plus important sous les murs méridionaux. Cette asymétrie de

disposition horticole est à remarquer bien avant la séparation des deux côtés par la route des Grottes.

3.2. Fin du XVIII e siècle : les vestiges de la limite Est des parterres du jardin des Canaux

Figure 4. Afin de mettre en évidence la partie basse des terrasses du Château-Neuf, extrait du Plan du

Château-Neuf et de ses dépendances, deuxième partie, daté en 1777 (© Archives photographiques de

Saint-Quentin-en-Yvelines, notice AP52N00174).

Les flèches bleues pointent les avancées sud (à gauche) et nord (à droite) de la septième terrasse

dont les vestiges existent toujours avec leurs rampes descendantes qui, elles, ont presque disparu.

Au-dessus de cette petite terrasse, une seule avancée centrale pour la sixième terrasse présente le

relief de ses grandes rampes descendantes nord et sud. En arrière de cette avancée une ligne de petits

carreaux figure les 28 salles souterraines décrites plus tard dans l’acte notarié de maitre Magnier 16 .

Sur la gauche, une allée oblique depuis la rue révèle l’entrée de ce souterrain qui est visible sur la

perspective aérienne de la figure 9.

La flèche verte pointe une séparation au tiers supérieur du jardin des Canaux constituant sa partie

ouest, celle correspondant aux parterres rectangulaires au-dessus des pièces d’eau sur la gravure

ancienne figure 1. Peut-être que cette séparation, concrétisée ensuite par un mur sur les vues

16 Acte notarié de Maître Magnier pour le Grand Plan du Pecq, (AD78, cote UO 147).

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aériennes dont sur la figure 8, signifie un petit dénivelé de moins d’un mètre dans les courbes

d’altimétrie du jardin des Canaux ? A partir du 20 juin 1897, cette zone de terrain avait été cédée par

la Mairie du Pecq 17 à M. Eugène Bertrand, directeur de l’Académie nationale de musique, déjà

propriétaire du pavillon Trubert (nom devenu Sully en 1878) depuis 1891.

C’est dans cette partie ouest du jardin des Canaux qu’ont été construits, dans une belle symétrie

artistique proche de celle des jardins à la française, les deux bassins de forme ovale qui sont

repérables sur la vue aérienne de 1919 et par la suite sur les figures 8 et 9. Leur présence entourée de

bandes de culture aux dessins différents de ceux des parterres d’agrément témoignent d’une activité

horticole de fleurs et/ou de légumes nécessitant des arrosages réguliers.

Cependant, le potager peut avoir un dessin esthétique car c’est un jardin à part entière étant

soumis à la mode de l’art des jardins, il possède à ce titre une place dans la composition générale des

parcs et jardins [7].

4. Au XIX e siècle : l’art des jardins à la Société d’Horticulture de Saint-Germain-en-Laye

4.1. Création de la Société d’Horticulture

L’arrivée de la voie de chemin de fer au Pecq en 1837, puis à St Germain en 1847 entraîne un

développement urbain et l’augmentation de la demande en fruits et légumes ainsi qu’en fleurs et

plantes car le niveau de vie s’élève. Dans ce contexte, la Société d’Horticulture de Saint-Germainen-Laye

se crée en 1851 pour évoluer jusqu’en 1935.

Le ministre de l’Agriculture, du Commerce et des travaux publics, le ministre de l’Instruction

Publique et des Beaux-Arts ainsi que le Préfet et le Conseil Général de Seine-et-Oise sont

protecteurs de la Société d’Horticulture cependant elle est loin d’être réservée à l’élite selon Nadine

Vivier 18 . En effet, tout en stimulant les échanges entre les amateurs éclairés, elle contribue à la

construction d’une pratique horticole nationale en diffusant les connaissances sur les fruits, légumes

et fleurs par des expositions en démocratisant l’accès à des produits considérés comme de luxe.

Ainsi les petits jardiniers s’expriment et elle encourage par des prix les nouveautés et l’amélioration

des productions et contribue à diffuser dans le grand public le goût pour les fleurs.

17 Permis de construire, Archives Municipales, le Pecq, dossier 2N1.

18 Vivier Nadine, La Société d’Horticulture de Saint-Germain-en-Laye sous le second Empire, Saint-Germain-en-Laye et ses

jardins dans le Bulletin des amis du Vieux Saint Germain, N°50, année 2013, p. 89-113.

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4.2. Les fougères cultivées par la Compagnie des Chemins de fer

Figure 5. Plan du 24 juin 1837 par Henri Cholet d’après le dossier ADY 3 E371410 [CHO 03] de l’état des

terrains du Grand Plan du Pecq après cession par M. Trubert, propriétaire du Pavillon Sully, de 42 418 m²

de ses terrains à la Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Saint-Germain (sauf les talus qui leur

appartient toujours, en gros pointillés de chaque côté de la route Royale N° 190 inaugurée en 1836).

A cette date, les terrains appartenant à la Compagnie des Chemins de Fer recouvraient donc une

grande partie de la sixième terrasse nord et sud, la septième terrasse et le jardin des Canaux nord et

sud. Les premières années, ils étaient peut-être en friche ou destinés à la pâture. En 1847, la ligne du

chemin de fer ne passe plus par la gare initiale, aussi la Compagnie va vendre ses terrains du Grand

Plan progressivement [8].

Les activités horticoles de la Compagnie ne sont pas connues au jour de cette étude, cependant

grâce à la Société d’Horticulture dont elle était membre bienfaiteur (bulletin 1868), une activité est

repérée en 1874 (p. 44 du bulletin), pour la partie au sud de la route, côté pavillon Trubert. A cette

date, la Compagnie possédait encore la partie basse de la sixième terrasse, de la septième terrasse et

du jardin des Canaux. M. Vallerand, le jardinier, obtient la médaille d’or mention d’honneur pour

ses fougères variées, peut-être des espèces exotiques poussant plus au soleil qu’à l’ombre et même

cultivées en serres chaudes comme signalé pour les fougères sur la liste p. 10 du bulletin de 1900

citant les plantes poussant en serres chaudes dont la fougère et une autre variété de fougère en serres

tempérées ?

4.3. Les activités des jardiniers du Pecq au sein de la Société d’Horticulture

4.3.1. Les jardiniers amateurs et professionnels

Les comptes-rendus de ses activités d’expositions et de réunions sont transcris dans un bulletin

mensuel 19 actuellement transmis à la Bibliothèque nationale de France. Celui du premier janvier

19 Bulletins de la Société d’Horticulture de Saint-Germain-en-Laye, des premiers janvier 1868, 1874, 1879, 1885-89, 1895, 1900,

1912-13, 1920, 1925, 1927, 1932, 1935 (Département Sciences et Techniques, 8-5-1469, Bibliothèque nationale de France,

Gallica).

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1879 cite que l’horticulture est à la fois un art charmant et une science profonde. Un comité est

réservé à la floriculture expliquant cet art charmant.

Des médailles et des prix sont décernés aux jardiniers méritants comme M. Foucher cultivant sur

le coteau du Pecq (son appartenance à une propriété n’est pas précisée) reçoit une prime de première

classe pour un bouquet de tulipes « Dragonnes » (cette tulipe particulière aux bords découpés se

nomme actuellement « perroquet ou Parrot »).

Figure 6. Parterres de tulipes au domaine du Château-Vieux de Saint-Germain-en-Laye le 22 avril 2018

(© Marc Binazzi) dont quelques tulipes blanches, de type « perroquet », pourraient rappeler celles du

jardinier de 1879 au Pecq. Le coteau du Pecq s’étend à gauche de ce cliché avec les vestiges des

terrasses du Château-Neuf.

4.3.2. Le paysagiste Edouard André

Edouard André (1840-1911), professeur d'art des jardins à l’Ecole Nationale d’Horticulture de

Versailles, architecte paysagiste, spécialiste des jardins anglais du XIX e siècle, il travailla dans

l’Europe entière il fut collaborateur de 1860 à 1882 de la Revue Horticole, correspondante de la

Société d’Horticulture de Saint Germain. Les articles de cette « gloire de l’horticulture et de l’art

paysagiste français », sont retransmis dans le bulletin comme celui de 1885, p. 42-44. Il y est fait

état d’exemple’ de fleurs au sein de bordures de massifs, de tête d’un boulingrin, de corbeilles

variées : rondes, octogonales, elliptiques de fleurs arrangées selon leurs formes et leurs couleurs afin

de donner des idées aux jardiniers pour leurs parterres, en particulier sur les terrasses du Château-

Neuf.

4.3.3. Le Pavillon Sully, ses terrasses, leurs propriétaires et leurs jardiniers

Lors de la création de la Société d’Horticulture, en 1851, le propriétaire du Pavillon Trubert était

Joseph-Victor Goupil, il avait fait plusieurs voyages au Mexique en ramenant des plantes [9] qu’il

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faisait pousser probablement dans des serres. La première serre de ce domaine était située près de la

grille d’entrée rue des Vignes (acte de mise aux enchères 2 février 1847, p. 47 [10]).

M. Goupil était membre titulaire de la Société d’Horticulture (Bulletin de 1859). En 1864, son

jardinier, Jules Masson, était aussi inscrit. La rare fleur d’agave salmiana issue de sa collection a été

primée (p.53, bulletin 1874). En tant que passionné d’horticulture expérimentale, il a donc été le

premier à contribuer au maintien des jardins du Château-Neuf, du moins sur la partie haute des

terrasses sud, au XIX e siècle.

Le bulletin de 1868, p. 122 mentionne qu’un grenadier en espalier dans le jardin de M. Goupil a

été identifié comme le plus ancien des environs de Paris et qu’il aurait été planté sous Henri IV ! En

effet, en 1600, Olivier de Serres a décrit en France le premier grenadier 20 .

Par la suite, le jardinier de M. Jules-Alexandre Bisson au Pecq, M. Bangratz, (bulletin 1879)

reçoit le premier prix pour ses cactées, agaves et yuccas (possible suivi des agaves de M.

Goupil dans la serre tempérée du haut du site ?). Le 23 mars 1878, M. et Mme Alexandre-Jules

Bisson héritent la propriété de M. Goupil installée sur les anciennes terrasses du Château-Neuf donc

du Premier Jardin avec sa première serre et le haut du Deuxième Jardin.

Ce n’est qu’en 1881 que ce propriétaire étend ses terrains vers l’est et probablement les cultures

sur ces nouveaux jardins. Ainsi, M. Bisson acquiert auprès de la Compagnie des Chemins de Fer, la

partie basse de la sixième terrasse et la septième terrasse, puis en 1884, le Jardin des Canaux. Ce

serait donc à cette date que furent installés les bassins symétriques.

Dans le bulletin 1895, il est noté que le jardinier de M. Eugène Bertrand (propriétaire depuis 1891

du Pavillon Sully et des parterres de ses terrasses au complet du côté sud : 17 328 m² et avec 2933

m² côté nord de la Pêcherie du Pecq déjà acquis en 1884 [11]) Edouard Beniz (membre de la Société

d’Horticulture depuis 1883) avait recueilli la première médaille d’or des Dames patronnesses pour

les cinq prix : le premier prix avec mention pour les plantes de serre chaude, trois seconds prix dont

un pour les bégonias de semis, un pour les Céréus, un pour les canas et le troisième prix pour les

bégonias (Jacqueline Bertrand).

Paul-Gustave Paraf a acquis le Pavillon Sully le 31 août 1899 [12], il fut Conseiller municipal du

Pecq de 1900 à 1908. Son jardinier en chef fut François Beaugé, membre de la société

d’Horticulture. Dans le bulletin 1912 tome XIX, p. 144-145, un rapport mentionne pour le 10

novembre 1912, la visite des serres de M. Paraf par des membres de la Société « par de nombreuses

allées superposées les unes au-dessus des autres, ce qui est naturellement inévitable dans une

propriété aussi accidentée qu’est la propriété confiée aux soins de notre collègue, nous arrivons à la

serre aux chrysanthèmes… puis au carré des serres à plantes vertes ».

Il est probable que ce carré des serres est celui du renfoncement (bien visible en bas à gauche fig.

9) qui fait suite à l’escalier du bas de la rampe à forte pente de la sixième terrasse (fig. 7) expliquant

le mot « accidentée » pour la propriété.

Les fougères tropicales sont retrouvées comme Ptéris ouvradi major et Néphrolépis d’Amérique

du Sud et d’autres tels que l’asparagus plumosus, le draceana, le kentia, le sansevéria, le

philodendron. « Notre collègue nous fait visiter 3 autres serres. La commission délibère et décide

d’accorder à M. Beaugé une médaille de vermeille avec félicitations. »

Par la suite, à la séance du 8 décembre 1912, afin de faire continuer les cours d’arboriculture

fruitière, M. Beaugé propose que les cours aient lieu dans la propriété de M. Paraf. L’assemblée

remercie M. Paraf de mettre à disposition son beau jardin fruitier !

20 Olivier de Serres, Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Actes sud, 1997.

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D’après les vues aériennes du début du XIX e siècle, des arbres sont distingués sur la partie

moyenne et basse de la sixième terrasse donc un beau souvenir des arbres fruitiers plantés en

quinconce dans le jardin en pente initial du Deuxième jardin !

4.4. La Société d’Horticulture en 1925 et la protection MH des vestiges des anciens jardins

Philippe Delaroche-Vernet hérite en 1918 du Pavillon Sully et de ses jardins en terrasse avec

leurs galeries, propriété de sa belle-mère, veuve de M. Paraf [13]. Il était député de la Loire-

Inférieure jusqu’en 1928, cependant, entre deux mandats, il réussit à initier une participation à

l’activité horticole de son domaine au Pecq car il est devenu membre titulaire de la Société

d’Horticulture de Saint-Germain-en-Laye dès 1922 19 pendant une interruption de 2019 à 1924. Ce

propriétaire a probablement été actif pour participer à la demande de protection au titre des

Monuments Historiques des vestiges des jardins sur les terrasses au Château-Neuf qui a été prise en

compte dans l’arrêté du 16 mai 1925, article premier, paragraphe 4 : Les façades du Pavillon dit de

Sully situé en contre-bas de la route du Pecq avec les terrasses et galeries voûtées qui sont les

vestiges des anciens jardins appartenant à M. Delaroche-Vernet.

Figure 7. Rampe descendante sud de l’avancée centrale de la sixième terrasse du Château-Neuf et

terrasse sous laquelle se trouvent les grottes du Pavillon Sully (cliché 7 bis présent dans le dossier de

protection Monuments Historiques de 1925, archive D_1_78_43_ dossier-4_A_photos, Médiathèque de

l’Architecture et du Patrimoine, remerciements à Alexandre Monnier pour la photographie de cette archive).

La date du cliché correspond au moment où Philippe Delaroche-Vernet était propriétaire, il est décédé au

Pavillon Sully du Pecq en 1935.

Cette rampe descendante est un vestige illustrant ce que pouvait être initialement les rampes

actuelles descendant de la deuxième terrasse au-dessus de la galerie dorique, dite Rampe des

Grottes, ces rampes sont régulièrement restaurées et pavées. Ce vestige montre la constitution

initiale des marches décrites dans les textes d’archives de 1604 [14] comme des plans inclinés en

terre battue terminés par une contre-marche en pierre.

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Sous cette rampe, des rosiers de couleur claire sont cultivés, en alignement sur la partie sud de la

septième terrasse, témoignant de l’activité de floriculture de cette terrasse protégée au titre des MH.

En premier plan, l’escalier se termine par l’avancée sud de cette septième terrasse se trouvant à

2,5 m de hauteur au-dessus du jardin des Canaux [15].

C’est devant le muret se prolongeant à gauche, donc vers l’ouest, que se trouvent, dans le

renfoncement décrit ci-dessus et figure 9, les serres qui auraient été aménagées en serres chaudes

pour les fougères cultivées un peu après 1837 par des jardiniers de la Compagnie des Chemins de

Fer. Ce n’est qu’en 1884 que cette partie revient à M. Bisson.

4.5. Les concours des jardins ouvriers au Pecq

En 1912, le bulletin fait état d’un début de jardins ouvriers dans les Hauts-de-Seine à Boulogne.

Ce n’est qu’en 1920 après la première guerre mondiale que la Société d’Horticulture de St Germain

organise les premiers concours dans les jardins ouvriers comme « actes de vitalité » signes d’un

renouveau après-guerre.

Ensuite, ces concours ont lieu chaque année jusqu’à la fin de la diffusion du bulletin en 1935 19 .

Les concours annuels ont lieu les 11 ou 23 juin durant une quinzaine d’années. Ces jardins étaient

peut-être établis sur la rive gauche de la Seine (peut-être du côté nord du jardin des Canaux ou en

dehors ?).

5. Au milieu du XX e siècle : les jardins « à la française » du côté sud

5.1. L’intervention d’un paysagiste : Jean-Claude Dondel

Figure 8. Vue aérienne de 1949 (cote IGNF_PVA_1-0__1949-06-29__C2214-0091_1949_F2214-

2414_0292, site remonterletemps.ign.fr) extrait cadré par l’autrice afin de mettre en évidence le dessin des

jardins de la partie du sud des terrasses inférieures du domaine du Château-Neuf.

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Le pavillon Sully (ancien Trubert) est aperçu en haut de cette vue, entouré latéralement par des

jardins réguliers, qui viennent d’être recréés en 1940 grâce à sa nouvelle propriétaire Madame

Priscilla Mackey [16]. Ainsi, l’architecte paysagiste Jean-Claude Dondel dessina des jardins « à la

française » de chaque côté du pavillon Sully sur la cinquième terrasse, de plus, ils furent aussi

étendus en contre-bas, à gauche du mur de soutènement sud de la sixième terrasse jusqu’à un bassin

circulaire centrant deux parterres. Ce bassin est non seulement décoratif mais aussi une source d’eau

vive (fig. 14).

Cette propriétaire ayant assuré toute la décoration artistique des jardins du Pavillon Sully, il est

possible d’imaginer que la loi du 18 août 1940 ne concerna pas les jardins des terrasses de la partie

inférieure de sa propriété. Ces terrains auraient pu être réquisitionnés et mis en cultures nourricières

comme le furent les jardins du Carrousel du Louvre et le jardin du Luxembourg [17] en cette

période de guerre mondiale durant laquelle Madame Mackey faisait triompher son patrimoine

hortésien.

A droite, de l’autre côté du mur, le jardin en pente de la sixième terrasse, après une zone

gazonnée et quelques arbres, se termine par des jardins réguliers au-dessus de son grand mur de

soutènement et de sa rampe sud descendante.

Des toits de serres apparaissent sous un décrochage du mur soutenant un dénivelé de terrain en

forme de trapèze, le long de la rue. Ce terrain n’appartenait pas initialement au domaine du Château-

Neuf (en asymétrie avec le côté nord, et a été dissimulée sur les gravures anciennes mais pas sur les

plans ayant suivi). Une des premières vues aériennes datant de 1919 montre que ces serres existaient

à cette époque mais ont-elles existé auparavant car les documents iconographiques ou textes

d’archives sont absents pour le préciser ? Leur disparition peut être datée autour de 1962, grâce à

l’examen d’autres vues aériennes.

5.2. L’aperçu en perspective aérienne des jardins sud

Figure 9. Vue en perspective aérienne de 1954 (IGNF_PVA_1-0__1954-10-

26__CDUR002995_1954_DUR_299_0013, remonterletemps.ign.fr), extrait cadré par l’autrice afin de faire

apparaître les terrasses sud du Château-Neuf et le jardin des Canaux avec ses deux bassins.

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En premier plan, le terrain en renfoncement avec une voûte sombre marquant l’entrée sud du

souterrain est au niveau de la rue. Ce terrain était hors domaine du Château-Neuf au XVII e siècle

mais sa surface en faisait partie sur le dessin du Grand Plan en 1817 16 . Des toitures de serres

horticoles (repérées en 1919 sur la première vue aérienne dans ce lieu particulier acquis par M.

Bisson de la Compagnie des Chemins des Fers en 1884) sont visibles. Est-ce qu’il s’agissait de

serres chaudes ?

Ces serres étaient à la mode depuis la création en 1721 de la première serre tropicale au jardin des

plantes pour accueillir la souche d’un caféier des Antilles 21 .

Par la suite, les jardins potagers aristocratiques à partir de la fin du XVIII e siècle adoptèrent ces

serres chaudes [18]. Florent Quellier [19] relate cette production de légumes hors saison, comme

une domestication du climat.

En faveur de l’existence de serres chaudes à cet endroit est le fait que les premières serres

reportées en archives sont celles bordant la rue des Vignes du temps de M. Goupil en 1851, donc en

haut du site, et citées dans la description de 1878 [20] lors de l’achat de M. Bisson : deux serres dont

la plus grande avec annexe, ateliers et fruitiers. La culture de jeunes plants de fleurs destinées à la

décoration de parterres pourrait avoir aussi bénéficié de ces serres probablement tempérées (prix

décerné pour les cactées, agaves et yuccas de M. Goupil).

Les autres serres dont les toits apparaissent en vue aérienne sont situées en bas de la sixième

terrasse et ont une origine et une évolution différentes plutôt liée aux fougères exotiques (médaille

d’Or en 1874) de la Compagnie des Chemins de Fer de 1837 à 1884 (ensuite vendues à M. Bisson).

Ce décrochage est bordé à gauche au nord, par le haut mur de clôture sud faisant suite à celui

descendant sous le Pavillon Sully (à droite fig. 13). A angle droit, suivent les grands murs de

soutènement de l’avancée de la sixième terrasse dont au milieu, le mur est et sa rampe descendant

vers l’avancée de la septième terrasse (agrandie avec la rampe et son escalier sur la figure 7) et les

carrés de floricultures et/ou de cultures potagères bien alignés sur cette petite terrasse.

Le cadrage choisi ici avec la grande bâtisse du XIX e siècle, en haut, permet d’imaginer, l’espace

d’un instant, la ressemblance de ce paysage avec un autre domaine dont la sixième terrasse, avec ses

pièces gazonnées découpées à la française, serait le jardin, et son château serait bâti à flanc de

coteau avec de grands murs de soutènement. Alors ce nouveau paysage peut être comparé au

domaine de Château-Gaillard possédant une histoire royale et horticole encore plus ancienne

précédant celle des châteaux royaux d’Ile-de-France.

21 Yves Laissus, Le Muséum national d’histoire naturelle, Paris, Découvertes Gallimard, 1995.

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Figure 10. Sur cette vue latérale du bâtiment royal de Château-Gaillard à Amboise (20 juin 2018 © CC BY

SA 4.0), apparaissent sa façade sud et son orangerie début XVI e siècle, ses murs de soutènement et les

falaises.

Le premier jardin horticole et potager de la Renaissance française a été créé par Dom Pacello da

Mercogliano (1453-1534) en tant que paysagiste du roi Charles VIII, ramené d’Italie en 1495. Puis

Louis XII lui offre le domaine 22 qu’il occupera encore à plus de 80 ans sous François1 er qui

développa le domaine du Château-Vieux à St Germain-en-Laye. Il a transposé en France

l’architecture des jardins de la Renaissance Italienne et la culture de plantes ornementales et

alimentaires méridionales 23 .

La période horticole post-révolutionnaire du Château-Neuf (domaine du Grand Plan) aurait duré

environ un siècle depuis la deuxième partie du XIX e siècle (vente du terrain à un des propriétaires

du pavillon Sully par la Compagnie des Chemins de Fer après 1851 [21] à 1968 selon les vues

aériennes avec la construction de la première propriété individuelle (en 1971-72 sur la partie ouest

du jardin des Canaux et la rampe descendante nord de la septième terrasse).

L’exploitation horticole de ces terrains autour du pavillon Sully aurait permis de conserver

l’emplacement et les caractéristiques architecturales des jardins en terrasse. Cependant, pourquoi

une exploitation horticole s’est-elle développée plutôt du côté sud et aucune n’existe du côté nord à

part de petits jardins privés ?

6. Les différences nord-sud des compositions paysagères autour de l’avenue D 190

Au XVII e siècle l’ensemble des jardins semblait évoluer symétriquement mais ce devait être une

apparence maîtrisée par les jardiniers car lorsqu’ils s’occupèrent moins de la partie inférieure des

terrasses, il y eu des différences nord-sud. Plusieurs facteurs semblent liés dont des causes

climatiques, de modelé du terrain et du niveau social pourraient expliquer qu’un tel patrimoine au

sud soit toujours, moins modifié de ce côté jusqu’à nos jours, qu’au nord.

22 Vente de Château Gaillard par le cardinal Charles de Lorraine à René de Villequier le 12 novembre 1566. AN, MC/ET/VIII/

269. Ce document mentionne le devoir féodal du bouquet d’oranger annuel demandé par Louis XII.

23 Charlène Potillion. Dom Pacello da Mercogliano (1453, Naples -1534, ?), L'apparition du goût à l'italienne en France. APJRC.

2021.

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Figure 11. extrait de la vue aérienne de 1956 choisie afin que les ombres projetées sur la sixième terrasse,

la septième terrasse et le jardin des Canaux soient équivalentes au nord et au sud de l’avenue du maréchal

de Lattre de Tassigny et donnent du relief à leur murs de soutènement afin de cerner l’occupation des

terrains au nord comparativement à ceux du sud (cote IGNF_PVA_1-0_1956-05-07_C2214-

0591_1956_CDP1108_1461, site remonterletemps.ign.fr).

Indépendamment du fait que la route réduit considérablement la surface des terrasses du côté

nord, les murs de soutènement septentrionaux sont particulièrement masqués par les bâtiments qui

s’y appuient. Du côté sud, il y a peu de constructions, surtout des jardins alors qu’au nord, l’avancée

de la sixième terrasse présente un bâtiment entre la route et l’impasse des Pêcheries, puis en allant

vers le nord, son mur de soutènement retient un immeuble qui longe le versant ouest de la rampe

descendante nord (impasse des Pêcheries) et en face, une construction à double toit.

Le long de la route, une rangée d’immeubles construits en 1929 occupent l’ancien jardin des

Canaux et de l’autre côté de l’impasse du Quai Voltaire, un groupe de maisons comme encastées lui

fait face avec le futur espace paysager qui sera occupé par le square de la Roseraie à partir de 1962.

Le tiers supérieur ouest du jardin des Canaux est occupé par le parc verdoyant d’une propriété

privée.

En résumé, les contours des anciennes structures architecturales des terrasses du Château-Neuf

sont particulièrement dissimulées au nord du site du fait de plusieurs causes susceptibles d’expliquer

la différence d’occupation des terrains qui sont étudiées.

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7. Les facteurs influençant le développement des jardins au sud plutôt qu’au nord

7.1. Influence des propriétaires du Pavillon Sully, ancien pavillon du Jardinier

Une des causes qui différencie socialement les côtés nord et sud des terrasses inférieures du

domaine du Château-Neuf est la présence du bâtiment du Pavillon Sully (ancien pavillon Trubert) et

de son parc qui ont traversé les siècles.

Il était anciennement habité par le jardinier du roi dont le dernier était M. Lavechef-Duparc avant

la Révolution et dont la veuve pu le racheter le 25 juillet 1818 20 . Elle ne le conserva que 8 ans et son

successeur dû vendre des parties de terrain pour la construction de la route des Grottes en 1830.

De plus, l’essor du réseau ferré arrivant au Pecq 24 fit que la Compagnie des Chemins de Fer de

Paris à Saint Germain acquiert en 1837 une grande partie des terrains correspondant au Grand Plan

de 1817 16, et en particulier le bas de la sixième terrasse (fig. 5). Elle revendra progressivement ces

terrains autour des années faisant suite à l’abandon de la gare en juin 1855.

Alors, durant la deuxième moitié du XIX e siècle le pavillon Sully et son parc retrouvèrent de

notables propriétaires, en particulier, Eugène Bertrand, Directeur de l’Académie Nationale de

Musique et Chevalier de la Légion d’Honneur, Philippe Delaroche-Vernet, Député de la Loire

Inférieure et Conseiller Général, puis Pierre-Gaston-Jean-Lucien Chaulin-Servinière, avocat,

Chevalier de la Légion d’Honneur.

Il est parfois nommé « château de Sully au Pecq » comme en 1909 pour le propriétaire Gustave

Paraf, Conseiller municipal, officier de la Légion d’Honneur, dans les journaux de l’époque 25 car

ayant un domaine avec un parc alors que le pavillon du Peintre avait été détruit à la fin du XVIII e

siècle.

Du côté nord, la disparition du Pavillon du Peintre avait défiguré le paysage et réduit le prestige

de la partie septentrionale de la cinquième terrasse. Il avait été remplacé par une chaumière autour

de 1817 entourée d’un petit jardin. Enfin en 1832, le projet de la route des Grottes et le virage

courbe vers le nord va entamer la sixième terrasse y compris les jardins de ce petit bâtiment.

Du côté sud, les propriétaires agrandirent par étapes le domaine restreint du Pavillon Sully dont la

réduction avait commencé lors de l’édification de la route des Grottes et poursuivie par les

acquisitions de la Compagnie des Chemins de Fer en 1837, fig. 5 [22]. Ils avaient ainsi retrouvé les

terrains initiaux des terrasses, ce qui a probablement permis, par exemple, de gérer l’ensemble du

système d’irrigation à partir des sources d’eau vive de leur propriété depuis le haut de la sixième

terrasse (fig. 14) et d’installer des canalisations traversant sous les parterres inférieurs de cette

terrasse, puis sous ceux de la septième terrasse. Ainsi, l’eau parviendra plus bas aux bassins de la

partie ouest du jardin des Canaux, probablement créés en 1884 et repérés sur les vues aériennes dès

1919 pour permettre l’arrosage des cultures horticoles.

Ce circuit alimente toujours le bassin situé plus au sud qui appartient à une propriété privée

bordant la rue Adrien Descombes (ancienne rue de la Fontaine). L’autre bassin de la partie ouest du

jardin des Canaux a été recouvert en 1972 lors de la création du domaine du premier pavillon sur

l’ancien jardin des Canaux et la septième terrasse.

24 Société d'Histoire du Vésinet, Le Paris Saint-Germain fait courir les Parisiens... en 1837 revue de presse (d'après B. Grangier, La

Vie du Rail n o 1365, 1972).

25 Le Figaro du 3 sept 1909, N° 246, Gallica Bnf.

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Actuellement dans la partie haute de la propriété du Pavillon Sully, le long de l’avenue du

Pavillon Sully, les petits bâtiments décrits dans l’acte d’achat de M. Jules-Alexandre Bisson en 1878

[23] existent toujours.

Figure 12. Vue prise le 13 juin 2011 (collection de l’autrice) d’en-haut sur les jardins « à la française »,

entretenus sur le plateau de la cinquième terrasse du Pavillon Sully, depuis l’avancée de la deuxième

terrasse dite Rampe des Grottes afin de montrer l’état actuel des petits bâtiments de 1878 : à droite

l’ancienne habitation du jardinier et à gauche en arrière de la balustrade qui délimite les propriétés ayant

fragmenté le Grand Plan de 1817, les vestiges de la toiture de l’annexe, l’atelier et probablement d’une des

deux serres tempérées. A la date de cette vue, ils servaient de remise pour le matériel d’entretien du jardin

et des parterres de buis entourant le pavillon Sully.

7.2. Influence du microclimat

Un micro-climat désigne l'ensemble des qualités de l’atmosphère d'une zone de faible extension

géographique, ce climat local diffère du climat général de la zone considérée. Ces spécificités

météorologiques sont dues aux caractéristiques topographiques, géologiques et hydrologiques

locales 26 .

Quand il s’agit d’une falaise, les études montrent qu’elle comporte des microclimats influencés

par la nature de la roche, l’ensoleillement ainsi que les réserves d’eau. Ces caractéristiques peuvent

être transposées à un coteau comme celui du Pecq et surtout aux zones où la pente très abrupte de la

sixième terrasse a nécessité un grand mur de soutènement emmagasinant plus la chaleur du soleil

que les zones de moindre pente.

26 Sorre Max. La notion de micro-climat, Bulletin de l'Association de géographes français, N°301-302, 38e année, Novembre

décembre 1961. pp. 162-169.

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Sur le bord gauche de la photographie fig. 7, un arbuste pousse avec des tiges bien verticales

contre le mur exposé au sud et ses petites feuilles évoquent un arbre fruitier, était-ce un pêcher

comme ceux observés proches des murs du Potager du Roi à Versailles ?

Les propriétaires actuels de la parcelle située sur la rampe descendante sud de l’avancée de la

sixième terrasse possèdent encore des pêchers.

Lorsque le soleil continue sa rotation dans le paysage en montant et tournant vers la droite donc le

sud, il baigne toujours les murs et la double pente de la sixième terrasse.

7.3. Influence de l’altimétrie sur les terrasses et leurs jardins

Les caractéristiques topographiques des jardins en terrasse du Château-Neuf ont probablement été

impliquées lors des aménagements des pentes situées au sud et de celles situées au nord du paysage.

Ils seraient alors différents, indépendamment de la construction de la route des Grottes qui aurait

tout de même accentué cette différence.

Côté nord, la déclivité de la pente de la sixième terrasse est régulière (fig. 13). Cette configuration

aurait permis la construction de bâtiments d’habitation, partie basse de cette terrasse, au-dessus des

caves voûtées dès 1856.

Côté sud, deux plateaux situés entre deux courbes altimétriques à forte déclivité, auraient favorisé

le maintien de parterres comme des jardins suspendus sur ces terrasses.

Figure 13. Courbes d’altimétrie de la région des terrasses du Château-Neuf sur la ville du Pecq captées

grâce au logiciel QGis par Caroline Semere (diplômée conception et création de jardins dans le paysage,

ENSP Versailles) et centrées par l’autrice afin de relier les niveaux du nord et du sud avant l’édification de

la route des Grottes.

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Pour cette étude, les pointillés en vert relient la partie gauche (sud) et la partie droite (nord) de la

ligne supérieure de niveau 35 ainsi que ces deux parties nord et sud pour la ligne inférieure de

niveau 30, recréant ainsi, la pente sous l’avancée de la sixième terrasse. Il est ainsi plus aisé de

comparer la muraille de soutènement très abrupte du sud (rapprochement des niveaux 35 et 30) et

celle qui l’est un peu moins, au nord. La rampe descendante de l’avancée nord pourrait se prolonger

un peu plus loin du fait de la pente moins importante qu’au sud entre l’altitude de la courbe 30 et

celle de l’altitude 35.

Cette situation géologique a probablement facilité l’installation de la branche est de l’Impasse des

Pêcheries (tracé blanc) au-dessus de la courbe 30. Le recul vers l’ouest de la partie nord de la courbe

35, par rapport à celle du sud, pourrait expliquer que les salles des galeries souterraines nord

affleurent sous terre le long de la partie est de la propriété Le Vermont 27 . Elles ont été transformées

en parking souterrain avec l’entrée au pied du mur de soutènement de la sixième terrasse. La

septième terrasse, des deux côtés est bien soulignée par la courbe 30 mais elle serait un peu moins

pentue sous le grand mur de la sixième terrasse côté nord car plus éloignée de la courbe 29 facilitant

des cultures au sud plutôt qu’au nord.

Le rectangle beige en haut à gauche est le pavillon Sully (à droite sur la figure 14), il est situé à

l’intersection de la courbe 50 qui effectue, à cet endroit, un angle droit vers le sud (mur de

soutènement ouest de la cinquième terrasse, visible figure 15 avec des niches et une rampe

descendante). La courbe 45 après un autre angle droit rejoint une partie de la courbe 50 puis, plus

bas, elle descend vers l’est et longe la courbe 40. Ces trois courbes resserrées constituent la partie

abrupte du mur de soutènement sud de la sixième terrasse dite jardin en Pente.

27 Ève Golomer, Du Pecq à Carrières sous le Château-Neuf de St Germain, publié en ligne le 25 novembre 2021, 14 pages.

https://www.ville-lepecq.fr/wp-content/uploads/2021/11/Etude-terrasses-Eve-Golomer.pdf

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7.3.1. Au XXIe siècle : le paysage sur le terrain du Pavillon Sully

Figure 14. Un cliché du 18 septembre 2016 (collection de l’autrice) lors des Journées Européennes du

Patrimoine 2016 où art des jardins et science géologique se rejoignent pour créer ce paysage historique.

Le bassin est un miroir d’eau mais aussi une source d’eau vive ayant été aménagé selon l’art des

jardins, peut-être par l’architecte paysagiste Jean-Claude Dondel vers 1940 ; au fond, à droite, le

pavillon Sully qui se reflète dans le bassin.

Le mur au fond avec ses niches voûtées est le mur de soutènement est de la cinquième terrasse où

se situe le Premier Jardin dont il ne reste de nos jours que la partie sud.

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Figure 15. Autre cliché du 18 septembre lors des Journées Européennes du Patrimoine 2016, la vue est

prise depuis la cinquième terrasse vars le mur de soutènement sud de la sixième terrasse montrant la

déclivité vers le bassin de la figure 14, il y a même un petit mur de soutènement intermédiaire bordé par

une balustrade.

Ce jardin était, au début du XIX e siècle, le potager du propriétaire du pavillon Sully (en haut dans

l’angle gauche hors vue). Ce choix avait été probablement lié à l’exposition sud des murs comme

ceux du Potager du Roi. Puis à partir de 1940, ce lieu en contre-bas du mur fut aménagé en jardin

d’agrément (figure 8) par le paysagiste Jean-Claude Dondel.

7.3.2. Le côté nord du talus soutenant la route médiane

Figure 16. La gare et le pont du Pecq depuis la terrasse de Saint Germain, dessin anonyme de 1837 28

L’intérêt de ce dessin réside en la visibilité, avant le pont sur la Seine, de la perspective du talus

nord bordant, pour la rehausser, la route des Grottes aux débuts de la gare du Vésinet-Le Pecq

(bâtiment au fond à gauche).

Bien que le paysage soit simplifié car les murs de soutènement de la sixième terrasse sont

absents, c’est un des rares points de vue sur ce côté nord, habituellement les dessins montrent la vue

28 Société d'histoire du Vésinet, "Le Paris Saint-Germain fait courir les Parisiens ... en 1837", 2006.

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depuis la rive droite de la Seine et donc plutôt le côté sud. Le dessin a été composé depuis le haut de

St Germain (pavillon Henri IV à droite) avec vue sur l’état réel du paysage des terrasses inférieures

avant le virage de la route. Il témoigne qu’à ce niveau, l’altimétrie au centre du site était équivalente

côté nord et côté sud comme le montre la figure 13 avec le tracé vert superposé afin de relier les

courbes de niveau existant avant l’édification de la route.

Un document d’archive notariale daté au 20 juin 1897 rend compte du rôle de ce talus, après

avoir réaligné la sortie du pont vers le centre du site des terrasses, il surmonte, depuis le creux à la

sortie du pont, la ligne sommitale sud-nord de la voûte 29 qui est celle des grottes dites du Pavillon

Sully :

Monsieur et Madame Trubert lors de la vente pour le passage de la route des Grottes à l’Etat, se

sont réservé le droit d’acquérir l’emplacement des talus de cette route dans toute la partie longeant

leur propriété des deux côtés dont les deux parties des mêmes talus à droite et à gauche à partir du

dessus des voûtes jusqu’au point zéro de ces talus sur une longueur de 94 m.

Les galeries souterraines appartenaient à M Trubert depuis l’acquisition du pavillon Sully en

1826 et n’étaient donc pas interrompues par la route car cette voie passait au-dessus des voûtes. Le

talus devait donc soutenir la route jusqu’à la hauteur d’environ sept à huit mètres, d’après les

courbes d’altimétrie, au-dessus de la septième terrasse, puis en allant vers la Seine, de la dernière

terrasse peu élevée du jardin des Canaux.

8. Etude du cas particulier des doubles murs de la partie septentrionale de la sixième

terrasse

La vue en perspective aérienne de la figure 9 est un document d’archive témoignant en 1954 de

l’aspect réel du paysage des terrasses du temps où les habitants du Pecq le percevaient au côté sud

du domaine ancien du Château-Neuf. Cette vue montre un aspect favorable aux cultures de végétaux

avec une double exposition en bas de la sixième terrasse : un mur de soutènement orienté à l’est

ainsi qu’un mur orienté au sud dans un angle à 90 degrés.

En 1783, le naturaliste, historien et théoricien de l’art des jardins, Antoine-Nicolas Dezallier

d’Argenville définit une terrasse comme :

Un terrein élevé par la nature ou par l’art, sur lequel on forme des allées qui dominent sur le

reste du jardin 30 .

Le terrain naturel à double pente de la sixième terrasse du Château-Neuf a été artistiquement

aménagé en parterres par les architectes d’Henri IV, au-dessus de l’avancée de cette terrasse, puis de

sa rampe descendant à l’italienne vers le sud de ce site.

Le renfoncement du terrain situé sous le mur de soutènement sud de cette terrasse, qui avait été

exclus au XVII e siècle, est intégré au XIX e siècle dans le processus hortésien 31 et recueille ainsi la

chaleur plein sud pour ses serres.

29 Etude du notaire maître Ange-Louis le Candeliez, dépôt du cahier des charges dressé à la requête de la commune du Pecq pour

vente d’un terrain route Nationale avec adjudication à M. Bertrand (AM du Pecq, cote 2N1) le 20 juin 1897, chapitre I (absence

de numérotation des pages).

30 Antoine-Nicolas Dezallier d’Argenville (1723-1796), Dictionnaire du jardinage relatif à la théorie et à la pratique de cet art,

Paris, A.-C., Bassompierre, 1783, p. 291.

31 Monique Mosser, « De la pulsion jardinière et du sentiment hortésien », Champs culturels, juin 2004, n° 17, numéro « Jardins &

création », p. 6-10.

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Figure 17. Courbes d’altimétrie captées sur le logiciel QGis par Caroline Semere (ENSP Versailles). Cet

extrait a été placé à l’échelle à 1/500 par l’autrice afin de centrer les courbes sur le paysage de la figure 18.

La flèche jaune en bas à gauche montre le mur de soutènement sud de la sixième terrasse, le point

40 est proche de l’emplacement du pavillon Sully. La flèche de droite est sous le mur de

soutènement est du contre-bas de cette terrasse où se trouvaient les serres. C’est une zone abrupte

avec réduction de l’espace entre les courbes. La flèche en haut pointe l’avancée de la sixième

terrasse où le resserrement des espaces entre les courbes 35 et 30 est maximum témoignant d’une

partie extrêmement abrupte.

Figure 18. Extrait d’une vue satellite Google Earth 2022 afin de représenter le paysage actuel

correspondant sur le terrain aux courbes ci-dessus. La rue Adrien Descombes est en bas à droite, le

pavillon Sully à gauche.

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9. Conclusion

Plusieurs facteurs sont intervenus pour la survie et l’entretien des parterres du paysage des

terrasses inférieures du Château-Neuf du côté sud à la différence du côté nord. Ainsi, se sont

conjugués : la configuration altimétrique du terrain ménageant des espaces à la fois en plateau et

bien exposés aux rayons du soleil ainsi que le haut niveau social des propriétaires du Pavillon

Trubert-Sully pourvoyant au salaire de jardiniers entretenant les parterres des jardins d’agrément et

/ou horticoles. Les propriétaires du pavillon Sully se sont impliqués dans les activités de la Société

d’Horticulture saint-germanoise car leurs jardins se prêtaient bien à cette activité. Côté nord, le

pavillon du peintre ayant disparu, sans identité architecturale proche, à part celle du Pavillon Henri

IV mais situé bien au-dessus, les terrains furent rapidement lotis en petites propriétés et répartis sur

la pente moins abrupte.

Le pavillon dit du Jardinier n’avait probablement pas été choisi au hasard pour appartenir au

logement du jardinier présent au domaine du Château-Neuf au XVII e siècle, il était placé en

belvédère dans un endroit stratégique pour suivre d’en-haut les parterres d’agrément et le vergerfruitier.

Au début du XIX e siècle, la voie routière, puis l’histoire du chemin de fer ont perturbé le destin

du Premier Jardin en broderies des terrasses du Château-Neuf, cependant, il conserve encore

aujourd’hui en jardin d’agréement la moitié sud de la cinquième terrasse centrale et une partie de la

sixième terrasse qui était le deuxième Jardin ou jardin en pente. Côté sud, les terrasses de la partie

basse du deuxième Jardin et du jardin des Canaux sont morcelées par des petites propriétés mais

dans le haut de la rampe descendante sud le micro-climat favorise encore la culture des légumes et

des arbres fruitiers.

Avec de la patience, le côté nord pourrait rejoindre, grâce à la continuité du grand mur de

soutènement de l’avancée de la sixième terrasse se poursuivant en-dessous de la route, la

perspective de retrouver, comme le côté sud, un petit morceau de paradis paysager.

10. Bibliographie

[1, 5] LURIN E., (sous la direction de) Le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, Les Presses Franciliennes

(collection « Histoire »), 2010.

[2, 3, 4, 14, 15] KITAEFF M., Le Château-Neuf de Saint Germain-en-Laye, Monuments et Mémoires publiés par

l’Académie des inscriptions et belles lettres, tome 67, Editions De Boccard, Paris, 1999.

[6] André E., L'art des jardins / traité général de la composition des parcs et jardins, Editions Paris, 1879.

[8, 9, 10, 11, 12, 13, 20, 21, 22, 23] CHOLET H., Les jardins du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, Quatre

siècles d’histoire, édité sous l’égide des associations APPA, ASCALA et Amis du Vieux Saint- Germain, 40 pages,

avril 2003.

[16] KOHN A., Le Pecq-sur-Seine, Mille ans d’histoire, Editions A.S.C.A.L.A., impression Maury-Eurolivres,

Manchecourt, 1995.

[17, 19] QUELLIER F., Histoire du jardin potager, Editions Armand Colin, Paris, 2023.

[18] ROUET M., Les potagers aristocratiques et royaux en Ile-de-France : (fin XVIIe - fin XVIIIe siècle), thèse de

doctorat en histoire, Paris XIII, 2011.

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