N° Spé : OOB
La revue Arts et sciences présente les travaux, réalisations, réflexions, techniques et prospectives qui concernent toute activité créatrice en rapport avec les arts et les sciences. La peinture, la poésie, la musique, la littérature, la fiction, le cinéma, la photo, la vidéo, le graphisme, l’archéologie, l’architecture, le design, la muséologie etc. sont invités à prendre part à la revue ainsi que tous les champs d’investigation au carrefour de plusieurs disciplines telles que la chimie des pigments, les mathématiques, l’informatique ou la musique pour ne citer que ces exemples.
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Arts et sciences
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Rédactrice en chef
Marie-Christine MAUREL
Sorbonne Université, MNHN, Paris
marie-christine.maurel@sorbonne-universite.fr
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Institut d’Astrophysique de Paris
audouze@iap.fr
Georges Chapouthier
Sorbonne Université
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Mickaël FAURE
Ecole des Beaux-Arts
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Jean-Charles HAMEAU
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of Science, Israël
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Laboratoire d’archéologie
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Sorbonne Université Paris
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Arts et sciences
2024 - Volume 8
Numéro spécial OOB
‣ Introduction ........................................................................................................................................1
Yves Desdevises
‣ L’art de l’illustration naturaliste chez Henri de Lacaze-Duthiers .......................................................3
Raphaël Lami, Catherine Jessus
DOI : 10.21494/ISTE.OP.2024.1110
‣ Édouard Chatton, un scientifique dans les parages de l’art ...............................................................23
Catherine Jessus, Marcelino Suzuki, Vincent Laudet
DOI : 10.21494/ISTE.OP.2024.1111
‣ Le microplancton de la baie de Banyuls : Une beauté vivante insoupçonnée ...................................40
Laurent Intertaglia
DOI : 10.21494/ISTE.OP.2024.1112
‣ La beauté insoupçonnée du phytoplancton de la molécule à l’espace .............................................53
François Lantoine
DOI : 10.21494/ISTE.OP.2024.1113
‣ La fluorescence : un outil pour mettre en évidence la beauté architecturale invisible du vivant .....65
Anaël Soubigou, Lucie Subirana, Stéphanie Bertrand
DOI : 10.21494/ISTE.OP.2024.1114
‣ Imagerie des organismes et écosystèmes marins… Quand la fonctionnalité et l’esthétisme
émergent des profondeurs .................................................................................................................75
François Charles
DOI : 10.21494/ISTE.OP.2024.1115
‣ Les forêts animales marines, une rencontre fertile ...........................................................................80
Elise Rigot, Lorenzo Bramanti
DOI : 10.21494/ISTE.OP.2024.1116
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Volume Spécial Arts et Sciences
Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer
Introduction
Yves Desdevises 1
1
Professeur Sorbonne Université, Directeur de l’OOB
Au cours de leur histoire, art et science se sont fréquemment entremêlés en une symbiose féconde,
se nourrissant l’un l’autre, l’art s’inspirant des formes et régularités proposées par la Nature, et les
scientifiques illustrant les phénomènes et organismes qu’ils étudient en laissant souvent transparaître
l’émotion suscitée par ces objets eux-mêmes. Les scientifiques, comme les artistes, sont guidés par
l’inspiration à une étape ou une autre de leur processus de création, et ne sont jamais meilleurs que
lorsque la passion les guide pour choisir et explorer les sujets de leurs choix. Le travail sur commande
est rarement leur fort. Certains scientifiques ont été de véritables artistes. Leonard de Vinci vient
immédiatement à l’esprit, mais on pense également à Ernst Haeckel.
Le dessin n’est pas le seul support qui permette à art et science de dialoguer. Les développements
plus récents, comme la photographie puis la microscopie, ont également la capacité de générer des
images scientifiques à l’intérêt artistique évident. Plus récemment, les images en trois dimensions de la
réalité virtuelle, permettant par exemple d’étudier l’ultrastructure difficile à appréhender de certains
organismes, ont elles aussi la capacité à susciter l’émotion de celles et ceux qui s’y plongent, et
donnent prise à des créations artistiques. Les biologistes marins capturent les sons des océans, produits
par les organismes qui les habitent, et ces sons ont été utilisés par des artistes pour immerger le
spectateur dans une ambiance onirique.
Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer
Ce lien fort entre art et science est particulièrement à l’œuvre à la station marine de Banyuls, au
Laboratoire Arago devenu depuis 1985 l’Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer, et qui en
garde précieusement les traces dans le fonds ancien de sa bibliothèque. Le fondateur (1882) et premier
directeur du Laboratoire Arago (1882-1900), Henri de Lacaze-Duthiers, était un maître du dessin
naturaliste, particulièrement quand il représentait son organisme de prédilection, le corail, et a produit
nombre d’illustrations qui suscitent encore l’émotion et l’admiration. C’est sans doute Edouard
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1
Chatton, directeur du Laboratoire Arago entre 1939 et 1947, qui exprime le mieux cette dualité entre
art et science. Ces deux savants étaient des maîtres absolus de leurs champs scientifiques respectifs,
mais leur talent d’artiste aurait sans doute suffi à leur permettre de développer une carrière dans ce
domaine.
Chaque année, de nombreux concours présentant les plus belles photographies scientifiques (comme
La preuve par l’image, du CNRS) permettent à toutes et tous de s’émerveiller, et font clairement appel
à l’émotion autant qu’à la curiosité. Dans cet esprit est proposée annuellement depuis 2016 l’exposition
l’Art’Cherche face à l’Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer, à l’initiative de Vincent
Laudet (directeur de 2015 à 2019). Des images issues des travaux conduits à Banyuls sont ainsi
exposées pour leurs caractéristiques artistiques, que ce soit des dessins (Chatton ou Lacaze-Duthiers),
des photographies (organismes et paysages sous-marins, bâtiments), ou des images de microscopie
(microorganismes, cellules).
Affiches de l’exposition Art’Cherche
Cette interaction entre l’art et la science à l’Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer est
mise à l’honneur dans les différents articles qui composent ce volume, qui nous proposent un voyage
dans le temps et la diversité des recherches qui y ont été et y sont menées.
Biodiversarium
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2
L’art de l’illustration naturaliste chez Henri de Lacaze-
Duthiers
The art of naturalist illustration by Henri de Lacaze-Duthiers
Raphaël Lami 1 , Catherine Jessus 2
1
Sorbonne Université, CNRS, Laboratoire de Biodiversité et Biotechnologies Microbiennes - Observatoire Océanologique
de Banyuls, Banyuls-sur-Mer, France, raphael.lami@obs-banyuls.fr
2
Sorbonne Université, CNRS, Laboratoire de Biologie du Développement - Institut de Biologie Paris Seine, LBD - IBPS,
Paris, France, catherine.jessus@sorbonne-universite.fr
RÉSUMÉ. Henri de Lacaze-Duthiers (1821-1901), célèbre professeur de zoologie du XIX e siècle, est connu comme
pionnier de la zoologie expérimentale, pour son enseignement au Muséum et à la Sorbonne ainsi que pour avoir fondé
les stations marines de Roscoff et Banyuls-sur-Mer. Mais il se distingue aussi par ses dessins naturalistes de la faune
marine. Alors que certains de ses collègues cédaient à la tentation d’embellir le résultat de leurs observations, il
privilégiait une représentation particulièrement précise des créatures marines. Les détails minutieux de ses dessins
révèlent des caractéristiques anatomiques cruciales des organismes marins, et ont ainsi contribué à l'avancement des
connaissances sur la biodiversité marine. Mais l’esthétique de ces dessins dépasse largement leur vocation scientifique,
suscitant aujourd’hui l’admiration. La finesse du trait, le souci des ombres, la richesse des coloris, l’élégance des formes
traduisent l’émotion artistique de leur auteur, fasciné par la beauté des créatures qu’il représentait. Henri de Lacaze-
Duthiers était également un expérimentateur qui améliorait les techniques d'illustration scientifique, comme le révèlent
ses expériences sur l’usage de la couleur pourpre d’origine animale ou de la chromolithographie pour l’édition
scientifique. Il a innové également dans l’illustration scientifique de ses cours, en s’intéressant aux appareils de
projection, et a fortement soutenu le développement de la photographie scientifique. Henri de Lacaze-Duthiers trouve
ainsi toute sa place parmi les scientifiques du XIX e siècle reconnus non seulement pour leur goût pour les nouveaux
médias partagés entre artistes et scientifiques, mais aussi pour la qualité esthétique de leurs travaux. Découvrir son
œuvre nous invite à réinventer et à retrouver avec émotion la connexion de l’homme avec la nature que ces premiers
explorateurs ressentaient puissamment et qu’ils exprimaient avec virtuosité dans leurs dessins.
ABSTRACT. Henri de Lacaze-Duthiers (1821-1901), a famous 19th-century professor of zoology, is known as a pioneer
of experimental zoology, for his teaching at the Muséum and Sorbonne, and for founding the Roscoff and Banyuls-sur-
Mer marine stations. But he also stood out for his naturalistic drawings of marine fauna. Whereas some of his colleagues
gave in to the temptation to embellish the results of their observations, he favored a particularly precise depiction of
marine creatures. The meticulous details of his drawings reveal crucial anatomical features of marine organisms, and
have thus contributed to the advancement of knowledge about marine biodiversity. But the aesthetics of these drawings
go far beyond their scientific vocation, and are much admired today. The finesse of the line, the care taken with shading,
the richness of the colors and the elegance of the forms convey the artistic emotion of their creator, fascinated by the
beauty of the creatures he depicted. Henri de Lacaze-Duthiers was also an experimenter in improving scientific illustration
techniques, as revealed by his experiments in the use of animal-derived purple color and chromolithography for scientific
publishing. He also innovated in the scientific illustration of his lectures, taking an interest in projection devices, and
strongly supported the development of scientific photography. Henri de Lacaze-Duthiers thus finds his place among the
scientists of the 19th century recognized not only for their taste for new media shared by artists and scientists, but also for
the aesthetic quality of their work. Discovering his work invites us to rediscover with emotion man's vanished connection
with nature, which these early explorers so powerfully felt and so well expressed in their drawings.
MOTS-CLÉS. Henri de Lacaze-Duthiers, zoologie, biologie marine, dessin naturaliste, photographie naturaliste, pourpre.
KEYWORDS. Henri de Lacaze-Duthiers, zoology, marine biology, naturalist drawings, naturalist photography, purple.
1. Henri de Lacaze-Duthiers, un éminent zoologiste marin du XIX e siècle
Né dans le Lot-et-Garonne en 1821, Henri de Lacaze-Duthiers passe sa jeunesse dans un
environnement familial fermé à la science moderne et éloigné de la mer, qui ne le prédestine en rien à
devenir un éminent professeur de zoologie marine. Néanmoins attiré par les sciences naturelles, il
s’inscrit après le baccalauréat à Paris en licence ès sciences naturelles en même temps qu’en médecine,
un corollaire presque incontournable pour une formation naturaliste complète à l’époque. Il suit les
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cours du professeur Milne-Edwards, qui lui transmet son amour de cette discipline. Docteur en
médecine, Henri de Lacaze-Duthiers devient répétiteur de zootechnie à l’Institut National
Agronomique de Versailles, ce qui lui permet de gagner sa vie tout en poursuivant son doctorat ès
sciences naturelles. Mais, fidèle à ses idéaux républicains, il refuse de prêter serment à Napoléon III
après son coup d’État, et est révoqué en 1852. Il achève néanmoins son doctorat ès sciences naturelles
sous la direction de Henri Milne-Edwards et entreprend sa première expédition naturaliste aux Baléares
en 1852. Elle sera suivie l’année suivante de périples naturalistes en Bretagne. Il forge au cours de ses
voyages son goût pour les études sur le terrain. Il en retire aussi la conviction que la création de
stations marines est une nécessité qui facilitera l’accès des naturalistes aux organismes marins pour les
observer [JES 21]. Finalement recruté professeur à la faculté de Lille en 1854 (où il exerce sous la
responsabilité de Louis Pasteur, alors doyen de cette faculté), puis au Muséum en 1865, et enfin à la
Sorbonne en 1869, il devient en 1871 membre de l’Académie des sciences.
Pendant toute cette période, il poursuit sans relâche une intense activité scientifique dédiée à l’étude
des invertébrés marins, principalement les mollusques. En 1860, il est chargé par le gouverneur général
d’Algérie d’une étude sur le corail et sa pêche. Il saisit cette opportunité qui va lui permettre de devenir
l’un des grands spécialistes de ce groupe d’animaux marins. Au terme de trois longues expéditions sur
les côtes algériennes, il publie, en 1864, une monumentale Histoire Naturelle du Corail, animaux qu’il
ne cessera d’étudier toute sa vie. Henri de Lacaze-Duthiers reste un naturaliste connu pour avoir
découvert et remarquablement décrit nombre de nouvelles espèces animales marines. Il s’attache à
préciser le cycle de vie et le développement des espèces qu’il étudie, principalement des mollusques
comme le Dentale, l’Anomie, la Pourpre ou le Tridacne, mais aussi de nombreux autres invertébrés,
comme les ascidies, et en particulier la Molgule, la Bonellie ou bien sûr le corail. Il s’intéresse aussi à
la recherche appliquée et fait partie des scientifiques pionniers de l’étude de l’élevage des huîtres en
France, sur la côte atlantique et en Méditerranée.
Mais c’est la fondation des laboratoires marins de Roscoff (1872) et de Banyuls-sur-Mer (1882) qui
permet à Henri de Lacaze-Duthiers de faire rayonner son activité scientifique dans le monde entier. Il
édite, à partir de 1872, les Archives de Zoologie Expérimentale et Générale, une revue qui lui donne la
possibilité, entre autres, de diffuser les nombreuses découvertes faites dans ses laboratoires marins. Il
échange avec tous les grands scientifiques de son temps, comme Charles Darwin, Marcellin Berthelot
ou d’autres membres de l’Académie des sciences. Il meurt à Paris en 1901, quelques jours après avoir
donné le dernier cours de l’année universitaire à ses étudiants. Au cours de sa carrière, Henri de
Lacaze-Duthiers a publié 256 communications scientifiques [PRU 02] et a laissé en héritage deux
stations marines, qui n’ont cessé de s’agrandir et où les découvertes scientifiques se sont multipliées
depuis leur création jusqu’à nos jours [JES 21].
2. L’importance de l’observation chez Henri de Lacaze-Duthiers
Les travaux scientifiques d’Henri de Lacaze-Duthiers s’enracinent dans l’émergence du mouvement
positiviste, qui imprègne fortement la vie scientifique du XIX e siècle. Ce courant philosophique, hérité
des Lumières, a été créé par Auguste Comte (1798-1857). Pour lui, la connaissance scientifique
représente la maturité de l’esprit humain, qui renonce à imaginer le pourquoi ultime des choses et se
contente de comprendre comment les phénomènes se produisent. La méthode pour y parvenir repose
sur l’empirisme hérité d’Aristote (384-322 av. JC) : ce sont des observations approfondies et répétées,
menées sans hypothèses a priori, qui permettent de révéler les relations constantes qui unissent les
phénomènes, et de formuler les lois de la nature. Plus largement, les positivistes croient en la capacité
de la science à expliquer rationnellement le monde qui nous entoure, et aux bienfaits des retombées de
la science pour la société.
L’observation est ainsi essentielle chez Henri de Lacaze-Duthiers. Au cours de sa carrière, il a
développé et longuement commenté sa conception de l’observation, très moderne pour l’époque, dans
de nombreux articles, lettres et ouvrages, comme par exemple dans la Direction des études zoologiques
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[LAC 72]. Pour lui, l’observation est au cœur de la démarche scientifique, et est complétée par
l’expérimentation.
Rompant avec les pratiques traditionnelles, quand l’observation d’animaux marins, généralement les
formes adultes, mal conservés dans des solutions chimiques pendant des années, était essentiellement
pratiquée en laboratoire, il encourage tout d’abord l’observation d’animaux vivants, sur le terrain, dans
le milieu naturel de l’espèce étudiée. Cette observation sera suivie par une observation en laboratoire,
notamment par une dissection qui révèle l’anatomie, et non plus seulement la morphologie. L’objet de
l’observation s’élargit avec l’étude des différentes formes que l’animal adopte pendant sa vie
(embryon, larve, adulte) ce qui donne accès au développement complet, de l’œuf à l’adulte.
L’observation en laboratoire d’animaux vivants et certaines expérimentations permettent aussi de
comprendre leur physiologie. Les études sur le terrain renseignent sur leurs conditions de vie. Ses
observations sont comparatives : il étudie le même animal dans des milieux différents ou compare les
espèces entre elles. Enfin, l’observation pourra être « provoquée » avec le recours, par exemple, à la
fécondation artificielle.
Une telle conception de l’observation scientifique demande au chercheur ou à l’étudiant des qualités
particulières. Dans son Histoire naturelle du corail [LAC 64], il explique les difficultés rencontrées par
le scientifique. Pour observer le corail, il faut « avoir le cœur marin » (ce que Lacaze-Duthiers n’avait
pas ; il souffrira toute sa vie du mal de mer), « se lever tôt », « il faut de la brise », « il faut se rendre à
l’aube au milieu des pêcheurs », etc. Ajoutons qu’il faut supporter l’inconfort des chambres d’auberge
et les difficultés à transformer ces chambres ou la cuisine en salle d’observation scientifique et de
dessin. Bref, il est absolument nécessaire d’être patient, tenace, endurant et actif. À ces vertus il faut
ajouter bien sûr une grande honnêteté intellectuelle et beaucoup de rigueur. Mais ce qui distingue
Lacaze-Duthiers, c’est qu’il peut trouver dans l’observation apaisement et bonheur. Dans l’introduction
de l’Histoire naturelle du corail, il confie : « Dans ces heures de bonheur que m’a fait goûter tant de
fois la contemplation de la nature, dans ces moments heureux où l’homme renaît à lui-même en
retrouvant le calme jusqu’au milieu des vicissitudes et des ennuis de la vie. » [LAC 64]. La vue d’une
simple branche de corail provoque son admiration : « le germe d’où naîtra un grand et beau rameau de
corail ». Il est très probable que le dessin scientifique lui ait permis de combiner son goût pour la
science et son attrait pour les beautés de la nature.
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Figure 1. (A) Henri de Lacaze-Duthiers dessinant une branche de corail en 1896. © Bibliothèque du
Laboratoire Arago / Sorbonne Université. (B) Planche d’anatomie du corail rouge [LAC 64] ; © gallica.bnf.fr /
Bibliothèque Nationale de France.
3. Le dessin scientifique, un outil fondamental de l’observation scientifique
À une époque où les microscopes ne sont pas équipés d’appareils photographiques, le dessin
d’observation est indissociable du travail scientifique quotidien, et constitue un élément central dans
l’élaboration des recherches (Figures 1, 2).
Le dessin oblige à une observation précise, détaillée, répétée. Il s’agit de parvenir à une
représentation claire et exacte, qui permette la compréhension de l’objet d’étude et en fixe l’image.
Henri de Lacaze-Duthiers y attache une importance exceptionnelle comme cela transparaît dans sa
correspondance avec ses élèves ou collègues. Dans son Histoire Naturelle du Corail, il souligne : « Il
est bien difficile de faire un livre d’histoire naturelle sans accompagner les descriptions de dessins
reproduisant les formes principales des objets dont on veut donner une idée exacte ; aussi un Atlas
accompagne-t-il ce travail exécuté avec les plus grands soins ; toutes les figures qui ont servi de
modèles pour le composer ont été dessinées et coloriées sur les lieux mêmes où ont été faites les
observations, et les proportions de plusieurs d’entre elles ont été estimées à l’aide de la chambre
claire 1 . Pour beaucoup le dessin a été refait plusieurs fois. Les formes des animaux sont tellement
variables, qu’il a fallu prendre, entre toutes, celles qui rappelaient le mieux la physionomie habituelle.
Ce travail a été long, mais il permet de pouvoir garantir une grande exactitude, car tout a été fait sur
la nature vivante et dans les meilleures conditions possibles. » Lacaze-Duthiers est conscient
cependant des limites du dessin, en particulier lorsqu’il n’est pas le fruit d’une observation directe. Il
écrit ainsi, avec un peu d’ironie : « La pêche pélagique […] fournit […] ces merveilleuses colonies
[…] si délicates, que, ni dessins, ni descriptions, n’en peuvent donner l’idée, surtout sous le crayon de
ceux qui en parlent sans les avoir vues. » [LAC 81c].
1 La chambre claire est un dispositif optique utilisé comme aide au dessin. Elle effectue une superposition optique du sujet à dessiner
et de la surface où doit être reporté le dessin.
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Figure 2. (A) Expérience sur le corail rouge. Henri de Lacaze-Duthiers, La Calle, Algérie, juin 1862 (B)
Observation d’une larve de requin. Henri de Lacaze-Duthiers, La Calle, Algérie, août 1862 ; © Bibliothèque du
Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
Les dessins initiaux d’une étude scientifique sont ainsi le fruit des observations faites sur le terrain
ou en laboratoire, parfois au microscope. Ils représentent la morphologie de l’animal, vu en
perspective, sous plusieurs angles (Figures 2, 3, 4) ou son squelette. Il peut s’agir d’une planche
d’anatomie mettant en valeur les organes internes. Le dessin illustre dans certains cas un compte rendu
d’expérience (Figures 2, 3). On dispose également de dessins en coupe. La pratique systématique du
dessin aboutit à la création d’une précieuse base de données, indispensable à la description, à la
classification et à la comparaison des espèces. À une époque où la photographie était encore
balbutiante, où l’accès à l’information scientifique était restreint, les dessins constituaient un corpus
irremplaçable accessible aux chercheurs et aux étudiants.
Henri de Lacaze-Duthiers dessine à longueur de temps les animaux qu’il découvre, en particulier
lors de ses voyages naturalistes au début de sa carrière, que ce soit aux Baléares, en Algérie ou sur les
côtes bretonnes (Figures 3, 4), parfois dans des conditions très sommaires : « où même la table servait
par l’un de ses bouts à prendre ses repas, par l’autre à disséquer, à observer et à dessiner les
animaux ». Cette difficulté des conditions de travail en voyage a d’ailleurs été l’un des moteurs qui a
conduit Henri de Lacaze-Duthiers à créer les stations marines de Roscoff et de Banyuls-sur-Mer : il
s’agissait de permettre l’accès des scientifiques à la mer et de faciliter leurs observations. La création
d’aquariums scientifiques dans ces institutions était essentielle alors pour observer ces organismes
marins, comme il l’écrit lui-même : « La vie dans l'aquarium du laboratoire Arago a été suspendue
quelque temps par suite de réparations, elle a repris avec une extrême activité. Aussi des Amphihoelia,
des Lvphohoelia, des Caryophyllies, des Paracyaihus, des Destnophyllum […] ont vécu plusieurs mois,
et ont pu être dessinés épanouis. La publication de leurs images intéressera certainement les
naturalistes. » [LAC 94].
Malgré des talents de dessinateur et de coloriste clairement hors du commun, ainsi que le notent
d’ailleurs tous ses contemporains, Henri de Lacaze-Duthiers a peu dessiné d’autres sujets que les
animaux qu’il observe à des fins scientifiques. On retrouve cependant dans ses notes et carnets
quelques croquis de monuments, de personnages, de costumes, voire de paysages des contrées où il
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voyage, d’autres relatifs à l’aménagement de sa demeure à Las Fons en Dordogne, et le seul dessin
personnel qui ait été conservé, sa mère sur son lit de mort.
Figure 3. Croquis annotés, observations et expérimentations sur les gorgones. Henri de Lacaze-Duthiers, La
Calle, Algérie, juin 1862 ; © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
Figure 4. Série d’observations de spécimens de Calyptraea (un mollusque gastéropode). Henri de Lacaze-
Duthiers, Saint Pol de Léon, 1869 ; © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
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4. Les techniques de dessin employées par Henri de Lacaze-Duthiers
La lumière est primordiale. C’est le premier facteur auquel Henri de Lacaze-Duthiers prête attention
pour garantir la bonne qualité de ses observations et de ses dessins. Il en fera un argument pour établir
une station marine à Banyuls en Méditerranée après celle fondée à Roscoff. Il écrit « [A Roscoff] les
brumes et les pluies, si fréquentes en hiver, sont des conditions peu favorables aux études de
laboratoire […] [et] dans l’hiver la lumière fait défaut quelquefois. Aussi ai-je demandé que la
Faculté ait une station d’hiver dans la Méditerranée. » [LAC 81b]. Il écrit également dans ce sens
dans les Archives de Zoologie Expérimentale et Générale : « Tous les zoologistes arrivés de bonne
heure à Roscoff, en mars et avril, ou partis un peu tard dans le mois d’octobre, ont remarqué combien
le travail était à ces époques fréquemment entravé, sinon interrompu complètement […] par une
insuffisance de lumière due à la brume. Je désirais compléter une station d’été par une station
d’hiver. » [LAC 81c]. C’est aussi la raison pour laquelle il électrifie ses laboratoires dès que possible,
entre 1885 et 1889. Il utilise plusieurs techniques pour améliorer la précision de ses dessins et la
minutie des détails, par exemple celle de la chambre claire. Il écrit en 1872 : « Cependant il faut
ajouter que dans les Cyclostomes, les Cabochons, les Paludines, les Calyptrées, etc., il est possible de
pouvoir disséquer le nerf et de voir la vésicule auditive suspendue par lui aux ganglions cérébraux.
J'ai des préparations sur lesquelles ces rapports sont de la dernière évidence. Ce sont elles qui ont
même été copiées servilement à la chambre claire et qui ont servi à faire les dessins accompagnant ce
travail. » [LAC 72].
Henri de Lacaze-Duthiers élabore ses dessins au crayon, à la plume et au pinceau. Il les aquarelle
parfois pour la publication. Son papier est généralement blanc, parfois beige pour faire apparaître la
transparence d’un bocal ou représenter un animal blanc (Figure 2). Les planches peuvent avoir un fond
noir imposé par la chambre claire, qui met en valeur formes et structures. Il est attentif à la coloration
de ses dessins et utilise une vaste palette de coloris subtils. Il déclarera une fascination pour la couleur
pourpre (Figure 5). La pourpre est une matière colorante rouge, précieuse, utilisée dès l’Antiquité. Elle
est produite par deux coquillages de Méditerranée, le murex et le purpura, longuement étudiés par
Henri de Lacaze-Duthiers. Tout a commencé à Minorque, en 1858, où il découvre comment un jeune
pêcheur marque ses vêtements avec le broyat du coquillage Purpura. Entre 1858 et 1859, il
expérimente de nombreux essais de coloration à la pourpre sur papiers et tissus, en particulier pour
étudier dans le temps la persistance de la coloration : « J’ai fait de très nombreux essais de dessins
avec la pourpre […] J’ai des portraits qui ont conservé leur admirable coloris. » Il s’interroge sur les
multiples nuances de rouge : « Le carmin et le vermillon sont aussi rouges, la litharge, le minium,
l’ocre rouge même. On voit tout de suite quelle variété infinie présente cette couleur. […] J’ai fait des
dessins en 1858, aux îles Baléares, à Mahon, avec la matière fournie par la Purpura haemastoma, la
Pourpre à la bouche de sang, qui rappelle absolument la couleur rouge sombre du sang desséché,
mais en y regardant bien, on voit que cette couleur renferme du bleu. » [LAC 96]. Comme le pigment
est photosensible, il fait aussi des photographies, en appliquant un tissu imbibé du contenu des glandes
du coquillage sur la plaque contenant le négatif, puis en exposant le tout au soleil de façon à obtenir un
positif pourpre. Bien des années plus tard, de 1896 à sa mort, Lacaze-Duthiers entreprend des échanges
sur la tonalité de la couleur rouge de la pourpre avec l’archéologue allemand Alexandre Dedekind
(1856-1940), pour percer le mystère (toujours non élucidé [PAS 16]) de l’origine des nuances de
pourpre obtenues dans l’Antiquité : « la couleur pourpre primitive naturellement obtenue a dû être un
violet, peut-être un peu différent avec les espèces de coquillages, mais un violet. Ce qui ne veut point
dire que cette couleur n’avait été modifiée et poussée vers le rouge sombre par les procédés techniques
de la teinture des anciens, qui nous sont encore inconnus. » Il ouvre les pages des Archives de
Zoologie Expérimentale et Générale à Alexandre Dedekind, un fait plutôt rare compte tenu de la
nationalité allemande de Dedekind (la défaite de 1870 a laissé des traces profondes en France), qui
écrit : « Je réponds à l’aimable invitation de M. H. de Lacaze-Duthiers, notre maître, de publier dans
ses célèbres Archives de Zoologie Expérimentale quelques-unes de mes modestes recherches sur
l’histoire de la science étendue de la pourpre. » [DED 96].
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Figure 5. (A) Photographie (autoportrait) obtenue avec la matière du Murex erinaceus (pourpre). Henri de
Lacaze-Duthiers, La Rochelle, 22 août 1859. (B) Photographie sur étoffe de soie faite avec la pourpre
lapillienne. [LAC 98a] ; © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
5. Publier ses dessins, un parcours long et difficile.
La publication de dessins naturalistes au XIX e siècle est un véritable parcours du combattant, que
tout scientifique doit impérativement réussir. La première étape est celle du dessin, en principe réalisé
par l’auteur à partir des multiples dessins accumulés pendant son étude. Tous les scientifiques n’ont
pas le talent de Lacaze-Duthiers. Beaucoup prennent des cours de dessin. Ainsi le jeune Lucien Joliet
(1854-1887) est heureux d’apprendre à son maître, Lacaze-Duthiers, qu’il a profité de sa rencontre
inopinée à Roscoff avec un peintre alors en vogue, Jaroslav Cermak (1830-1878), pour prendre des
cours gratuitement. Beaucoup ont recours à un dessinateur scientifique. Henri de Lacaze-Duthiers en a
d’ailleurs embauché plusieurs dans son laboratoire de la Sorbonne. Nous retrouvons la trace de leurs
noms dans certains de ses rapports d’activité.
Lorsque le dessin est prêt, et colorié, la seconde étape est la gravure. Ce sont des graveurs
professionnels qui procèdent à la gravure, sur bois (pour les dessins les plus grossiers), sur métal ou sur
pierre, puis à l’application éventuelle de couleurs si le budget le permet. En effet, pour la couleur, il
faut plusieurs plaques... On comprend immédiatement que le premier problème est celui du coût :
« Aujourd'hui les recherches zoologiques ne peuvent plus être publiées sans que des dessins, souvent
nombreux, les accompagnent. Aussi voyons-nous les directeurs des recueils périodiques étrangers
porter tous leurs soins vers l exécution et l étendue des planches nécessaires à l interprétation des
mémoires qu'ils publient. L'administration fran aise ne doit pas négliger de porter toute son attention
et sa sollicitude dans cette direction. Les jeunes naturalistes ont souvent pour leurs thèses des dessins
nombreux, que ne peuvent accepter en totalité les éditeurs des recueils périodiques spéciaux toujours
fort peu rémunérateurs ils sont alors conduits à faire des sacrifices très sérieux, et par cela même
très regrettables. L'administration devrait donner des encouragements aux jeunes travailleurs ayant
fait preuve d'un mérite réel dans leurs études originales, et mettre à leur disposition des indemnités
propres à les dédommager des dépenses que leur aurait causées la publication de leurs recherches. »
[LAC 81a].
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L’expérience d’Henri de Lacaze-Duthiers pour la publication de ses propres dessins (Figures
6,7,8,9), mais aussi en tant qu’éditeur de la revue qu’il a fondée, est sollicitée par ses étudiants en thèse
qui, parfois un peu perdus, interrogent leur maître. Ainsi, la correspondance de Lucien Joliet, parfois
savoureuse, est révélatrice de l’image des artistes chez les scientifiques. En 1877, celui-ci écrit : « Pour
les graveurs, vous me donnerez votre opinion, j’ai toute une planche d’histologie pure, la gravure ne
vaut-elle pas mieux que la lithographie, cela demandera du temps, à qui faut-il s’adresser ; je
donnerai une ou deux à Karmanski suivant la diligence qu’il aura mise à faire les deux que je lui ai
envoyées. Je lui ai écrit deux fois et n’ai pas de réponse, ce qui d’ailleurs ne m’étonne pas d’un artiste.
Je ne tiens pas à ce qu’il m’écrive pourvu qu’il dessine. Je mettrai peut-être les deux autres entre les
mains de deux graveurs pour être plus sûr d’être prêt à temps, Lagès s’il a fini avec Barrois pourra
peut-être se charger de mon histologie, qu’en pensez-vous ? ».
Ces échanges nous montrent l’importance des graveurs, débordés par les demandes de toutes parts.
En outre, les plus demandés, les graveurs sur cuivre, se font de plus en plus rares à Paris dans le dernier
quart du XIX e siècle, et leurs tarifs sont en toute logique de plus en plus élevés. Les revues naturalistes
spécialisées et grand public qui se multiplient à l’époque, vont profiter du développement de la
lithographie, largement utilisée par les éditeurs scientifiques. Cette technique, inventée par Alois
Senefelder (1771-1834), a contribué à la très grande diffusion des images naturalistes à cette époque.
Le tracé est réalisé sur une pierre fine, calcaire, avec une encre grasse. Lors de l’impression, la pierre
est mouillée et l’encre se dépose sur le papier par répulsion. Henri de Lacaze-Duthiers utilise aussi
dans son travail d’éditeur la technique de la chromolithographie. Dans ce cas, il faudra autant de
« pierres » portant le même dessin gravé qu’il y aura de coloris souhaités. Chaque pierre porte une
couleur, répartie selon le dessin initial de l’auteur, et est issue du décalque d’une pierre matrice initiale.
Le procédé est long et très onéreux. Lacaze-Duthiers, qui y recourt fréquemment, en est néanmoins
critique, notamment en ce qui concerne la fidélité des couleurs : « On sait combien il est difficile
d’obtenir de la chromolithographie les teintes exactes qu’on lui demande et dont on fournit les
modèles, ces figures ne donnent pas une idée très exacte de la vraie teinte obtenue avec le suc des
animaux divers qui y sont désignés. » [LAC 96].
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Figure 6. Planche d’anatomie du Phoenicure (soit parasite, soit partie intégrante d’un gastéropode marin).
[LAC 86a] ; © gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de France.
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Figure 7. Planches d’anatomie de Balanophylla et de Cladospammia (sclératiniaires, ou « coraux durs »)
[LAC 97a] ; © gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de France.
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Figure 8. Planches d’anatomie du Caryophylle, du Rolandia (coraux), et système nerveux du Capulus (un
mollusque gastéropode [LAC 99, 00, 01] ; © gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de Franc
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Figure 9. Planches d’anatomie de Tridacna (mollusque bivalve) [LAC 02]
© gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de France.
6. L’importance de l’illustration scientifique dans l’approche pédagogique d’Henri de Lacaze-
Duthiers.
Pour Henri de Lacaze-Duthiers, l’illustration scientifique est également essentielle dans la démarche
d’apprentissage de ses étudiants (Figure 10). Il écrit dans les rapports d’activité de ses laboratoires :
« Toutes les semaines, le lundi matin, le professeur fait une conférence sur un sujet autre que celui de
son cours, afin d'étendre dans une même année le cadre des études zoologiques. C'est une véritable
leçon qu'il s'est imposée en plus de son enseignement et qui fait l'objet des manipulations. Il dirige luimême
les travaux pratiques et, pendant des journées entières, il assiste aux manipulations, aidant les
élèves et leur montrant comment on doit arriver aux préparations démonstratives et faisant reproduire
par le dessin les faits importants qui ont été vus ». Il ajoute : « une des connaissances les plus
importantes à posséder pour les naturalistes est celle du dessin, qui, durant la préparation des
examens, sert à fixer les souvenirs en permettant de reproduire les dissections accomplies, et qui, plus
tard, devient indispensable, lorsqu'il s'agit d'entreprendre des recherches originales. Un artiste de
talent, attaché déjà depuis longtemps au laboratoire, M. H. Noël, a surveillé les travaux des élèves
[LAC 88]. Il est cependant intéressant de noter l’absence de modélisation des processus biologiques :
les dessins ne sont que des observations naturalistes ou parfois des représentations d’instruments
scientifiques [DEB 05].
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Figure 9. (A) Photographie d’étudiants observant et dessinant, très probablement à la station de
Roscoff (année inconnue) ; © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université (B) Henri de
Lacaze-Duthiers, notes de cours, 12 ème leçon, 2 ème année d’enseignement en Sorbonne, 1870 – Les
Brachiopode ; © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
Cette importance de l’enseignement scientifique par le dessin a conduit Henri de Lacaze-Duthiers à
mettre en place un service d’expédition d’animaux depuis ses stations marines vers la France entière. Il
écrit : « Pour les cours et les travaux pratiques de zoologie de la Sorbonne, des envois fréquents, faits
par les deux stations maritimes, ont permis aux nombreux élèves de la Faculté d'acquérir des
connaissances précises sur les animaux qu'on ne voit, en général, que dans les collections, ou qu'on
n'étudie que dans les livres. Des hydraires, des coralliaires, des échinodermes, des bryozoaires, des
brachiopodes vivants, et très variés, des tuniciers, des annélides, des mollusques de tous les ordres,
des crustacés, parasites ou normaux, des poissons rares, parmi lesquels l'amphioxus, ont été mis
vivants et dans le meilleur état entre les mains des élèves, qui ont pu faire des dessins précis d'après
nature, tout comme s'ils eussent été aux bords de la mer. » [LAC 83]. Ces présentations sont
essentielles aux yeux d’Henri de Lacaze-Duthiers. Si les animaux ne sont pas mis en place
correctement par ses préparateurs avant son cours, il s’emporte, comme il le rapporte dans ses carnets
en 1888 : « J’arrive à 4h et trouve une table de saltimbanque. Je suis obligé de dire que je ne ferai pas
ma conférence. » Cette démarche pédagogique est progressivement adoptée dans de nombreuses
facultés et lycées européens, et le service des envois des stations marines de Lacaze-Duthiers tourne à
plein régime. En 1885-1886, ce sont 240 envois d’animaux vivants qui ont été effectués par le
personnel de ses stations [LAC 86b]. Les archives conservées au Laboratoire Arago de Banyuls-sur-
Mer indiquent que ce nombre peut atteindre près de 400 envois certaines années.
Henri de Lacaze-Duthiers innove aussi dans l’usage des techniques d’illustration scientifique dans
un contexte pédagogique. L’analyse de sa correspondance nous apprend qu’il est particulièrement
intéressé par l’usage des appareils de projection pour ses cours. En 1897, le physiologiste et
aquarelliste Léon Frédéricq (1851 - 1935) lui décrit avec force de détails et de schémas, et lui
recommande « la grande Lanterne électrique du Prof. Striecker de Vienne », qui permet « de projeter
à volonté par réflexion sur un écran de plâtre ». Lacaze-Duthiers évalue également la capacité du
dispositif à projeter des préparations microscopiques. Il envisage différents types de positionnement de
l’appareil dans la salle de cours, afin de combiner facilité d’utilisation et bénéfice pédagogique. Il n’est
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pas le premier enseignant à utiliser ce type de dispositif en classe, mais il reste, là encore, un véritable
pionnier [SEN 96]. Ces expérimentations ne sont pas sans danger. En 1897, il rapporte à l’Académie
des sciences l’explosion du manomètre d’un appareil de projection qui blesse grièvement et fait perdre
un œil à son préparateur, Robert Lanceplaine. Il rappelle tout l’intérêt de ce dispositif, mais appelle à la
constitution d’une commission pour en sécuriser l’usage [LAC 97b].
7. L’illustration scientifique par la photographie.
L’intérêt d’Henri de Lacaze-Duthiers pour la photographie est ancien. On a vu ses essais de
photographies avec la pourpre en 1858. Il utilise la photographie, de façon conventionnelle cette fois,
dès ses voyages en Algérie, comme en témoignent une collection de 119 photographies conservées au
musée du Quai Branly - Jacques Chirac, et une importante collection préservée au Muséum national
d’Histoire naturelle - fonds d’archives de la Société d’Anthropologie de Paris. Tous ces clichés sont
attribués à Henri de Lacaze-Duthiers, parfois co-attribués à Jacques-Philippe Poteau (1807-1876),
photographe au Muséum. Ils représentent des portraits d’Africaines et d’Africains, pris entre 1855 1 et
1874, à la demande d’Armand de Quatrefages (1810-1892) dans le cadre de ses études
d’anthropologie. Henri de Lacaze-Duthiers en a fait don au Musée de l’Homme, dont les collections
ont été en partie transférées au musée du Quai Branly - Jacques Chirac.
L’intérêt d’Henri de Lacaze-Duthiers pour la photographie a été constant tout au long de sa carrière.
Il a par exemple introduit l’usage de la photographie dans ses cours. À nouveau, s’il n’est pas le tout
premier professeur à se saisir de cette innovation pour enseigner les sciences [FIE 09], il reste
néanmoins sans aucun doute un pionnier dans ce domaine. L’analyse de ses carnets nous indique qu’il
demande à des étudiants de prendre des clichés lors des excursions. Il invite également ses élèves à
prendre des photos pour compléter leurs observations naturalistes. Par exemple, il indique en 1891 que
les étudiants « font des croquis » et des « photographies » de leurs observations à l’aquarium.
Afin de favoriser l’usage de la photographie en recherche comme en enseignement, il fait construire
à la station marine de Banyuls en 1894 un atelier de photographie dans une annexe. En 1898, c’est au
tour de son laboratoire de Roscoff d’être équipé d’un atelier de photographie [LAC 98b]. La même
année, il agrandit celui de Banyuls : « Enfin, la photographie est logée trop à l'étroit, et si l'installation
qui a été faite était à ce moment en rapport avec les moyens dont il était possible de disposer (1894),
elle ne l'est plus avec les exigences des progrès de la science ; et quand il a fallu faire des
agrandissements de photographies, nous avons constaté l'absence d'un vaste atelier parfaitement
éclairé, permettant de manœuvrer facilement les instruments et d'avoir sous la main des tables avec
courant et réservoirs d'eau de mer pour photographier les animaux vivants. » [LAC 98b].
Cet atelier a probablement permis d’élaborer la collection de photographies (dont de nombreuses
plaques de verre) aujourd’hui disponible au Laboratoire Arago de Banyuls, mais nous ne savons pas
quels clichés sont d’Henri de Lacaze-Duthiers lui-même. Étonnamment, les archives contiennent peu
de clichés d’organismes marins. Un album de photographies d’éponges calcaires rend compte
cependant d’essais d’observations photographiques par Henri de Lacaze-Duthiers (Figure 10).
Cependant, de nombreuses scènes quotidiennes de la vie scientifique ont été préservées (Figure 11).
Ces clichés témoignent de la vie d’un laboratoire au XIX e siècle, visites d’étudiants et excursions
naturalistes sur le terrain. Elles ont ainsi une remarquable valeur historique. Si leur vocation première
apparaît purement documentaire, beaucoup d’entre elles ne sont pas dénuées d’un intérêt esthétique,
qui repose sur des mises en scènes, des cadrages ou des expositions lumineuses intéressantes.
1 Le premier déplacement de Lacaze-Duthiers en Algérie date de 1860, il est donc probable qu’une partie des clichés de cette
collection soit mal attribués.
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La mise en place de ce laboratoire photographique au sein d’une station marine va favoriser
l’éclosion d’innovations techniques, et en particulier celle de la photographie sous-marine. Louis
Boutan (1859-1934), maître de conférences au laboratoire d’Henri de Lacaze-Duthiers, met au point un
dispositif unique au monde qui lui permet de prendre la toute première photographie sous-marine.
Preuve de l’intérêt d’Henri de Lacaze-Duthiers pour ces innovations, il accepte de présenter une
communication à l’Académie des sciences dont il est membre pour diffuser cette invention. Cette
communication sera très largement reprise par la presse dans le monde entier [LAC 93].
Figure 10. Cliché d’éponge calcaire Suberites carnosus prise à Banyuls. Henri de Lacaze-Duthiers, date
inconnue, Banyuls-sur-Mer ; © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
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Figure 11. Clichés de scènes de la vie quotidienne dans les stations marines de Roscoff et Banyuls au XIX e
siècle. (A) Mise en place des dispositifs de photographie à Banyuls. Auteur inconnu, date inconnue. (B) Halte
entre Figueras et Olot. Excursion d’enseignement du laboratoire de Banyuls. Auteur inconnu. Avril 1895. (C)
Enseignements, probablement aux alentours de Banyuls. Auteur inconnu, date inconnue. (D) Petit chevalvapeur
fixé sur le roufle du Roland et construit au laboratoire par le mécanicien David. Cliché de M. Robert,
[LAC 98b]. Cliché ©gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de France. (E) Vue panoramique du laboratoire,
vivier du laboratoire de Roscoff. Auteur inconnu, 1895. Sauf mention contraire, pour tous les clichés
© Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
8. L’illustration naturaliste : entre science et art.
Le dessin naturaliste, qui existe depuis la Renaissance, rencontre un grand succès au XIX e siècle,
auprès des spécialistes comme du grand public. Sa visée est avant tout scientifique, mais son efficacité
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doit beaucoup au talent des illustrateurs et aux techniques artistiques. Ainsi, Ernst Haeckel (1834-
1919), scientifique célèbre et artiste reconnu, fascine ses lecteurs en publiant, entre 1899 et 1904,
Formes artistiques de la nature. Ses dessins d’organismes marins séduisent par leur étrangeté et leur
aspect esthétique. Son travail influencera les arts décoratifs et l’architecture de son temps, marqués par
l’émergence de l’Art nouveau. Par exemple, René Binet (1866-1911) s’inspirera des observations de
radiolaires d’Ernst Haeckel pour édifier la Porte monumentale de l’Exposition universelle de 1900.
Contrairement à Ernst Haeckel, Henri de Lacaze-Duthiers n’a pas détourné ses dessins scientifiques
au profit d’une esthétique destinée à marquer un vaste lectorat curieux de la nature. Ses dessins n’ont
donc pas le côté décoratif et spectaculaire de ceux d’Ernst Haeckel, faits pour plaire et intriguer. Leur
vocation reste scientifique, à visée documentaire et didactique. Néanmoins, ils ont incontestablement
une autre dimension lorsqu’on les compare aux productions graphiques de ses collègues scientifiques
de l’époque. Ils témoignent d’une attention particulière à la précision du trait, à la finesse des détails, à
la justesse de la couleur, à l’élégance des courbes, à la composition des planches d’anatomie : autant de
qualités qui confèrent indéniablement une dimension esthétique à ce travail de dessinateur. Si le dessin
reproduit certes rigoureusement l’objet d’étude, toute la gamme dont dispose un artiste dessinateur est
utilisée par Lacaze-Duthiers pour transformer une froide représentation scientifique en un spectacle
merveilleux.
Cette sensibilité à la beauté est souvent présente dans les écrits qu’Henri de Lacaze-Duthiers nous a
laissés. Sa curiosité passionnée de savant trouve sa source dans l’émerveillement qu’il éprouve devant
les splendeurs du monde qu’il étudie. Ainsi, découvrant un tapis de Cérianthes, il écrit : « Les couleurs
violettes, vertes, blanches ou grises, en faisaient, avec l’apparence élégante de la corolle, de véritables
fleurs admirables à considérer. » [PRU 02]. Dans la barque d’un pêcheur au petit matin, on le voit
dessiner par pur plaisir : « Le temps était superbe, l’eau d’une tranquillité parfaite reflétait le bleu des
cieux et toutes les teintes de l’aurore. Le calme était complet. J’eus quelques moments d’un véritable
plaisir je commen ais le dessin d’un des nombreux rhizostomes qui flottait dans les eaux du golfe
avec cette grâce et cette nonchalance que j’aimerais à contempler toujours. » Cette fascination pour
l’élégance des formes, des couleurs et des animations de la nature constitue l’un des fondements de sa
vie : « Se pourrait-il qu’à un moment de mon existence, je puisse devenir indifférent aux merveilles que
déroulent devant nos yeux les êtres innombrables qui peuplent nos mers ? » 1 . S’il est devenu
naturaliste, c’est sûrement autant par émerveillement devant la beauté des créatures vivantes que par le
désir scientifique de comprendre leur fonctionnement ou leur classification. C’est sûrement pour cela
que ses dessins se distinguent de ceux de ses contemporains scientifiques : ils ne se veulent pas
seulement scientifiques ; Lacaze-Duthiers y combine l’exactitude de ses observations avec une finesse
du trait et une richesse de la palette de coloris qui restituent la beauté ressentie par leur auteur.
Valérie Chansigaud écrit, dans son Histoire de l’illustration naturaliste, que « plus qu’une fenêtre
sur le monde vivant, les images naturalistes nous offrent un miroir sur nous-même et sur l’intérêt que
nous portons à la nature. » [CHA 09]. Dans le contexte actuel de crise environnementale,
d’urbanisation exponentielle et d’anthropisation croissante des écosystèmes, certains philosophes et
historiens de l’art nous incitent aujourd’hui à nous interroger sur l’évolution de nos rapports à la
nature, et sur l’apport de l’art dans ces questionnements. Ils nous invitent ainsi à redécouvrir avec
attention les dessins naturalistes. Les dessins et les photographies d’Henri de Lacaze-Duthiers
témoignent du regard porté sur la nature au XIX e siècle. Ils sont le reflet de vertus de patience et
d’honnêteté. Ils s’inscrivent dans un temps long d’observation et de contemplation. Ils révèlent une
connexion directe avec la nature, qu’il est plus difficile d’établir aujourd’hui. Leur valeur scientifique
remarquable et leurs qualités esthétiques indéniables lui donnent toute sa place parmi les scientifiques
du XIX e siècle qui ont su concilier art et science. Dans ce sens, le programme de numérisation en cours
des travaux d’Henri de Lacaze-Duthiers, mené par Sorbonne Université, est particulièrement
1 Carnets d’Henri de Lacaze-Duthiers, Saint-Jacut, 1854
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pertinent 1 . Il permettra de rendre librement accessibles ses travaux pour préserver, redécouvrir et
diffuser son œuvre encore trop méconnue.
Remerciements
Nous souhaitons vivement remercier Sorbonne Université, le CNRS et l’Observatoire
Océanologique de Banyuls pour leur soutien dans nos recherches. Nous remercions l’Académie des
sciences pour nous avoir facilité l’accès aux archives historiques. Nous remercions la bibliothèque du
Laboratoire Arago (Observatoire Océanologique de Banyuls) et les bibliothèques de Sorbonne
Université pour leur aide dans l’accès aux archives et collections historiques. Nous remercions tout
particulièrement Sandrine Bodin et Véronique Arnaud pour leur enthousiasme et aide précieuse,
Françoise et Jean-François Lami pour leur relecture attentive du manuscrit.
Bibliographie
[CHA 09] CHANSIGAUD V., Histoire de l’illustration naturaliste. Des gravures de la Renaissance aux films
d’aujourd’hui. Delachaux et Niestlé, Paris, 2009.
[DEB 05] DEBAZ J., Les stations françaises de biologie marine et leurs périodiques entre 1872 et 1914. Thèse de doctorat.
École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), 2005.
[DED 96] DEDEKIND A., « Recherches sur la pourpre oxyblatta chez les Assyriens et les Égyptiens », Archives de
zoologie expérimentale et générale, T. IV p. 481-516, 1896.
[FIE 09] FIESCHI C., « La photographie au laboratoire : Installations et équipements photographiques dans les laboratoires
scientifiques en France au XIXème siècle (v. 1860 - v. 1910) », Bibliothèque de l’École des Chartes, p. 103-132, 2009.
[JES 21] JESSUS C., DESDEVISES Y., KLOAREG B., TOULMOND A., « Henri de Lacaze-Duthiers (1821-1901), the father of
experimental zoology and founder of the marine stations of Roscoff and Banyuls », Comptes Rendus. Biologies 344, p.
311-324, 2021.
[LAC 64] LACAZE-DUTHIERS H. DE, Histoire naturelle du corail: Organisation-reproduction-pêche en Algérie - industrie
et commerce, JB Baillière, Paris, 1864.
[LAC 72] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « La direction des études zoologiques », Archives de zoologie expérimentale et
générale, T. I p. 1-64, 1872.
[LAC 81a] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Laboratoire de zoologie expérimentale de la Sorbonne, avec station maritime à
Roscoff », Rapport sur l’École Pratique des Hautes Études, p. 70-76, 1881.
[LAC 81b] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Les laboratoires maritimes de Banyuls-sur-Mer et de Roscoff », Comptes rendus
de l’Académie des sciences, T. XCIII p. 762-766, 1881.
[LAC 81c] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Les progrès de la station zoologique de Roscoff et la création du laboratoire
Arago à Banyuls-sur-Mer », Archives de zoologie expérimentale et générale, T. IX p. 513-598, 1881.
[LAC 83] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Laboratoire de zoologie expérimentale de la Sorbonne, avec stations maritimes à
Roscoff et à Banyuls-sur-Mer », Rapport sur l’École Pratique des Hautes Études, 1883-1884, p. 66-78, 1883.
[LAC 86a] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Contribution à l’histoire du Phoenicure », Archives de zoologie expérimentale et
générale, T. XXXVII p. 737-748, 1886.
[LAC 86b] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Dix-sept années d’enseignement de la zoologie en Sorbonne. Cours de la Faculté
des Sciences de Paris », Revue scientifique 3, T. XXXVII p. 737-748, 1886.
[LAC 88] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Laboratoire de zoologie expérimentale à la Sorbonne, avec stations maritimes à
Roscoff (Finistère) et à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales, Laboratoire Arago) ». Rapport sur l’École Pratique
des Hautes Études, 1888-1889, p. 73-83, 1888.
[LAC 93] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Sur la photographie sous-marine. Note de M. Louis Boutan». Comptes rendus de
l’Académie des sciences, T. CXVII p. 12-15, 1893.
1 https://patrimoine.sorbonne-universite.fr/collection. Consulté le 17 sept 2023.
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21
[LAC 94] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Rapport sur l’École pratique des Hautes Études », Rapport sur l’École Pratique
des Hautes Études, p. 45–53, 1894.
[LAC 96] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Note sur la couleur de la Pourpre tirée des Mollusques », Archives de zoologie
expérimentale et générale, T. IV p. 471-480, 1896.
[LAC 97a] LACAZE-DUTHIERS H. DE, «Faune du Golfe du Lion. Coralliaires. Zoanthaires sclérodermes». Deuxième
mémoire. Archives de zoologie expérimentale et générale, T. V. p. 1-249, 1897.
[LAC 97b] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Sur l’explosion du manomètre d’un appareil de projection ». Comptes rendus de
l’Académie des sciences, T. CXXV p. 12-15, 1897.
[LAC 98a] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Explication des planches 28, 29, 30 sur la couleur pourpre verte ; Annexe d’un
mémoire de M. A. Dedekind, sur la pourpre verte ». Archives de zoologie expérimentale et générale, T. VI p. 479-480,
1898.
[LAC 98b] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Sur les laboratoires de Roscoff, de Banyuls et les Archives », Archives de
zoologie expérimentale et générale, T. VI p. 1-35, 1898.
[LAC 99] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Les Caryophyllies de Port-Vendres », Archives de zoologie expérimentale et
générale, T. VI p. 33-120, 1899.
[LAC 00] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Coralliaires du golfe du Lion – Alcyonaires », Archives de zoologie expérimentale
et générale, T. VIII p. 25-29, 1900.
[LAC 01] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Le système nerveux du Cabochon (Capulus hungaricus) ». Archives de Zoologie
Expérimentale et Générale, T. VIII p. 353-462, 1901.
[LAC 02] LACAZE-DUTHIERS H. DE, « Monographie de Tridacna elongata et Hippopus (publication posthume) ».
Archives de zoologie expérimentale et générale, T. X. p. 99-169 et planches annexes, 1902.
[PAS 16] PASTOUREAU M., Rouge : Histoire d’une couleur, Seuil, Paris, 2016.
[PRU 02] PRUVOT G., « Henri de Lacaze-Duthiers ; sa vie et son oeuvre », Archives de zoologie expérimentale et
générale, T. X. p. 1-78, 1902.
[SEN 96] SENTILHES A., « L’audio-visuel au service de l’enseignement. Projections lumineuses et cinéma scolaire, 1880-
1940 ». La gazette des archives, 173, Le cinéma et les archives, p. 165-182, 1996.
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Édouard Chatton, un scientifique dans les parages de
l’art
Édouard Chatton, a scientist close to art
Catherine Jessus 1* , Marcelino Suzuki 2 , Vincent Laudet 3,4
1
Sorbonne Université, CNRS, Laboratoire de Biologie du Développement - Institut de Biologie Paris Seine, LBD - IBPS,
Paris, France, catherine.jessus@sorbonne-universite.fr
2
Sorbonne Université, CNRS, Laboratoire de Biodiversité et Biotechnologies Microbiennes - Observatoire Océanologique
de Banyuls, Banyuls-sur-Mer, France, suzuki@obs-banyuls.fr
3
Okinawa Institute of Science and Technology. 1919-1 Tancha, Onna-son, 904-0495 Okinawa, Japan,
vincent.laudet@oist.jp
4
Marine Research Station, Institute of Cellular and Organismic Biology (ICOB), Academia Sinica, 23-10, Dah-Uen Rd,
Jiau Shi, I-Lan 262, Taiwan
* Auteur correspondant
RÉSUMÉ. Édouard Chatton (1883-1947) est un biologiste majeur de la première moitié du 20 e siècle qui a consacré sa
vie à l’étude des êtres microscopiques qui peuplent toutes les eaux de la planète, les protistes. D’abord chercheur à
l’Institut Pasteur, il est ensuite professeur des universités à Strasbourg, à Montpellier et à la Sorbonne. Il dirige les
stations marines de Sète puis de Banyuls-sur-Mer. Il accumule les découvertes qui fondent la biologie cellulaire moderne
et conceptualise la distinction du monde vivant entre procaryotes et eucaryotes. Ses figures scientifiques révèlent son
remarquable talent de dessinateur et de coloriste. Édouard Chatton est aussi peintre amateur, maîtrisant avec dextérité la
peinture à l’huile, l’aquarelle et le pastel. La recherche artistique du peintre influe-t-elle sur les illustrations scientifiques
réalisées par le chercheur ? Les objets d’études du scientifique irriguent-ils la démarche esthétique du peintre ? Si les
deux types de pratique, dessins scientifiques et tableaux du peintre amateur, ne semblent pas s’interpénétrer, il est un
troisième type de réalisation beaucoup plus troublant. Il s’agit de grandes planches cartonnées recouvertes de dessins,
destinées à illustrer les cours d’Édouard Chatton en amphithéâtre. Ces planches, harmonieuses, colorées de façon
surprenante, emplies de formes ondulantes, étranges et énigmatiques, sont chargées d’une merveilleuse beauté et
dégagent une séduction esthétique immédiate. Les découvrir est une occasion originale d’aborder la question de la
convergence entre art et science.
ABSTRACT. Édouard Chatton (1883-1947) was a major biologist of the first half of the 20 th century, who devoted his life
to the study of the microscopic organisms that live in all waters of the planet, the protists. Initially a researcher at the
Pasteur Institute, he became a professor at the universities of Strasbourg, Montpellier and the Sorbonne. He directed the
marine stations at Sète and Banyuls-sur-Mer. His discoveries laid the foundations for modern cell biology, and he
conceptualized the distinction between prokaryotes and eukaryotes in the living world. His scientific drawings reveal his
remarkable talent as a draftsman and colorist. Édouard Chatton was also an amateur painter, mastering oil paint,
watercolor and pastel. Did the painter's artistic eye influence the scientific illustrations produced by the researcher? Did
the scientific objects of the biologist influence the painter's aesthetic approach? If the two types of practice - scientific
drawings and paintings by the amateur painter - do not seem to interpenetrate, there is a third type of production that
leaves room for questioning. These are large cardboard sheets covered with drawings, used to illustrate Édouard
Chatton's amphitheater lectures. These harmonious, surprisingly colored boards, filled with undulating, strange and
enigmatic shapes, are charged with marvelous beauty and exude an immediate aesthetic seduction. Discovering them is
an original opportunity to tackle the question of the convergence between art and science.
MOTS-CLÉS. Édouard Chatton, biologie marine, protistes, dessin scientifique, dessin pédagogique, peinture.
KEYWORDS. Édouard Chatton, marine biology, protists, scientific drawings, pedagogical drawing, painting.
Les relations entre art et sciences sont une question passionnante et bien souvent débattue.
L’approche scientifique, par l’imaginaire lié à la genèse d’une hypothèse, par la créativité requise pour
la construction d’un protocole élégant, par l’inventivité à déployer pour la mise en pratique d’une
expérience, peut-elle s’approcher d’une pratique artistique ou parfois s’y assimiler ? Le chercheur luimême,
dans la présentation et l’interprétation de ses résultats, lorsqu’il produit des dessins, des
schémas, des photos, lorsqu’il rédige le texte de ses articles, lorsqu’il confronte ses résultats avec ceux
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de l’état de l’art, de façon plus ou moins audacieuse, visionnaire, dérangeante, est-il un artiste ? La
décision d’un chercheur de s’engager dans telle ou telle voie, d’explorer telle ou telle question est-elle
de même nature que celle de l’artiste qui entreprend une nouvelle œuvre ? Le texte qui suit aborde
cette question à travers la production graphique et picturale d’un scientifique génial de la première
moitié du 20 e siècle, Édouard Chatton.
Qui était Édouard Chatton ?
Né en 1883, il passe son enfance à Belfort, où il développe une âme de naturaliste. Cela le conduit à
Paris où, en 1901, il entame une licence de sciences naturelles à l’université de la Sorbonne. L’année
d’après a lieu l’événement qui déterminera toute la vie d’Édouard Chatton. Cela se passe à la Station
de biologie marine de Roscoff, dans le Finistère, où il séjourne pour la première fois, à l’occasion d’un
stage obligatoire dans le cadre de ses études. Sous l’objectif de son microscope, il découvre avec
stupeur et émerveillement le monde immense, diversifié et grouillant de vie de la faune microscopique
marine. C’est le choc, selon ses propres mots « la révélation d’un monde nouveau » [1], qui décide
définitivement de sa vocation : il se prend de passion, le terme n'est pas trop fort, pour les êtres
microscopiques marins auxquels il consacrera toute sa vie [2-8]. En 1904, il entame ses premiers
travaux personnels au laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer, actuellement Observatoire
Océanologique de Banyuls-sur-Mer. Son choix se porte sur l’étude des protistes, c’est-à-dire des êtres
formés d’une seule cellule (d’où leur appellation d’unicellulaires) avec un noyau (ce qui les distingue
des bactéries et des archées – un groupe d’organismes plus récemment dévoilés –, unicellulaires ellesaussi,
mais sans noyau). Ils peuplent toutes les eaux, en particulier les mers dont ils constituent le socle
de l’ensemble des chaînes alimentaires et forment l’essentiel du plancton. Ils sont libres, parasites ou
symbiontes, selon les espèces. Certains possèdent des capacités photosynthétiques, comme les plantes,
d’autres en sont dépourvus et d’autres encore mixent les deux modes de vie. Ils représentent la majeure
partie de la biodiversité de notre planète, c’est dire leur importance !
Édouard Chatton restera fasciné toute sa vie par l’incroyable diversité de ces petits êtres, présageant
l’existence de milliers d’espèces inconnues, un monde inexploré d’une ampleur vertigineuse… Ses
écrits révèlent l’ambiguïté du regard qu’il porte sur eux. Il y admire leurs formes extraordinairement
diverses, leurs mouvements burlesques ou élégants, la variété de leurs couleurs, éclatantes ou douces.
Chatton les observe autant qu’il les contemple ; le plaisir qu’il éprouve devant ces formes de vie à
l'étrange et inquiétante beauté, est autant esthétique que scientifique. La curiosité qui anime Chatton ne
se cantonne pas à un cadre scientifique rationnel : il a véritablement déclaré une passion. Sa vie se
partagera ainsi entre trois activités qui envahiront le domaine personnel, son épouse étant fréquemment
employée comme collaboratrice : traquer et collecter des protistes dans les endroits les plus
invraisemblables (lacs vosgiens, tourbières des environs de Belfort, plages du Massachussetts, étang de
Thau et autres marais salants, bassins des reptiles du Muséum national d’histoire naturelle de Paris,
aquariums de l'Institut océanographique de Monaco, lagune de Gradignan, mare de Chaville, abattoirs
parisiens, désert tunisien, cathédrale de Strasbourg, égouts à Paris ou Banyuls), les étudier au
laboratoire et les faire découvrir à ses étudiants à l’université !
La vie de ce professeur à la réputation d’exigence bien ancrée, souvent photographié en blouse
blanche à côté de son microscope, ou en toge de la Sorbonne (Figure 1), n’a rien de monotone. C’est
au contraire une vie d’aventure et de passion. La carrière scientifique de Chatton l’entraîne dans un
périple que bien des chercheurs d’aujourd’hui ne connaissent pas. Après un doctorat au laboratoire
Arago, avec de fréquentes visites à la station de Roscoff, il est recruté à l’institut Pasteur à Paris en
1907 pour se consacrer aux protistes parasites responsables de sévères pathologies humaines (mais il
continue à étudier en parallèle les protistes marins dont il ne peut se résoudre à se séparer…). En 1913,
il est envoyé à l’institut Pasteur de Tunis. Un an après, la Première Guerre mondiale le précipite dans
les tranchées du nord de la France puis, après une blessure assez sévère, dans les zones de combat du
Sud tunisien. En 1916, il enfile à nouveau sa blouse de chercheur, au-dessus de son uniforme de soldat.
Il est chargé de fonder et de diriger le Laboratoire militaire de Bactériologie des troupes du Sud
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tunisien, à Gabès, pour y étudier les origines de l’épidémie de dysenterie qui sévit parmi les troupes. À
la fin de la guerre, il rejoint l’institut Pasteur de Tunis, puis un an plus tard celui de Paris. Mais
l’orientation de ses recherches imposée par l’institut Pasteur, les protistes pathogènes de l’homme, lui
pèse. Il désire davantage de liberté académique, il désire explorer les protistes de son choix. Il saisit
l’opportunité du retour de l’université de Strasbourg dans le giron français.
A
B
C
D
Fig. 1. Édouard Chatton, chercheur, professeur et artiste peintre. (A) Édouard Chatton à son chevalet de
peintre, années 1930. (B) Édouard Chatton, professeur de l’université de la Sorbonne, 1938. (C) Édouard
Chatton devant son microscope, années 1930 ; (D) André Lwoff et Édouard Chatton (assis), années 1930.
© Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
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De 1919 à 1932, il y sera maître de conférences, puis professeur. C’est une période d’énormes
découvertes scientifiques et de plongée dans l’enseignement. Chaque période de vacances le voit
arriver soit à Roscoff, soit à Banyuls, au plus près des objets de sa passion, les protistes marins. Mais
cet éloignement de la mer finit par lui peser. Ainsi en 1933, il quitte Strasbourg pour un poste de
professeur de l’université de Montpellier où il réalise l’un de ses objectifs : diriger un laboratoire de
biologie marine, en l’occurrence la Station de Sète, qui dépend de cette université. Finalement, en
1937, il réalise enfin son rêve : il prend la direction du laboratoire Arago, alors la station de biologie
marine la plus moderne de France, sa préférée entre toutes, pour des raisons autant scientifiques
qu’affectives. Il y a réalisé nombre de ses travaux depuis sa thèse, et y a rencontré celle qui allait
devenir son épouse. Il y a travaillé avec des élèves et collaborateurs extrêmement talentueux au
nombre desquels figure André Lwoff, futur prix Nobel (1965). Il n’en profite hélas que peu de temps,
la Seconde Guerre mondiale freinant les activités du laboratoire, avant que la mort ne l’emporte en
1947 [2-8].
Son héritage scientifique est vaste. Il a bien sûr décrit de très nombreuses nouvelles espèces de
protistes dont personne ne soupçonnait l’existence, et enrichi par ce biais notre connaissances des
formes du vivant. Mais il a surtout mené des travaux pionniers visant à comprendre la structure interne
et les fonctions de la cellule : son architecture (elle est formée d’un agencement de compartiments
sophistiqués), son fonctionnement (elle respire, bouge souvent, fabrique et excrète des molécules, en
ingère d’autres, etc.), son mode de division (elle se scinde en deux cellules filles et se propage par ce
biais), ses fonctions (certaines produisent des hormones, d’autres des messages nerveux, d’autres
encore digèrent nos aliments, ou assurent notre immunité, etc.). Ce sont des sous-groupes de cellules
spécialisées qui assurent les grandes fonctions physiologiques (nutrition, respiration, locomotion,
reproduction, immunité, etc.) d’un organisme multicellulaire tel que le nôtre. Or, Chatton étudie des
unicellulaires : l'unique cellule des protistes doit accomplir à elle seule toutes les fonctions qui sont
distribuées dans différentes cellules spécialisées chez les êtres multicellulaires. Elle joue les couteaux
suisses grâce à son organisation interne formée de territoires distincts, chacun étant construit selon une
microarchitecture spécifique d’une sophistication extrême qui lui permet d'assurer une fonction
donnée. Grâce à l’étude de ces multiples fonctions cellulaires, Chatton révèle l’organisation et la vie
intime de la cellule, posant les bases d’un fonctionnement universel en termes d’architecture
intracellulaire, de locomotion, de division, de nutrition, de transformation, d’échanges inter-cellules, de
sexualité… Enfin, il est celui qui théorise et formule une base fondamentale de la biologie : le monde
vivant est divisé entre êtres eucaryotes, dont les cellules sont pourvues d'un noyau qui englobe le
matériel génétique, et de divers autres compartiments intracellulaires, et êtres procaryotes, dont les
cellules sont dépourvues de compartimentation membranaire (ces procaryotes correspondant aux
bactéries et aux archées). C’est lui qui le premier reconnaît la distance évolutive entre les bactéries et
tous les autres organismes, c’est lui, qui avec une prescience impressionnante, les nomme : le type
procaryote et le type eucaryote [9].
Des dessins pour la science, des dessins inspirés par la science
Si on saisit l’envergure scientifique de Chatton, rien n’annonce sa proximité avec une démarche
artistique. Sa fascination et son émerveillement devant la beauté des petits êtres qu’il étudie, s’ils
relèvent d’un plaisir esthétique, n’en font pas nécessairement un artiste. Ce qui permet de l’en
rapprocher sont ses dessins. Il dessine lui-même toutes ses observations et les figures scientifiques qui
illustrent ses 245 articles. Cela n’est certes pas original.
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A
B
C
D
E
F
G
H
I
Fig. 2. Dessins scientifiques. (A) Un protiste parasite de crustacé, Blastodinium spinulosum. (B) Le protiste
Ellobiophrya donacis accroché aux branchies du coquillage qu’il parasite. (C) Les spores (appelées
dinospores) des protistes Coccidinidae. (D-E) Le protiste Euplotaspis cionoelica, vue de la face dorsale, vivant
(D) et après imprégnation argentique (E). (F) Division de l’œuf d’oursin. (G) Trypanosomes. (H-I) Copépodes
parasités par des protistes. © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
Pendant cette première moitié du 20 e siècle, les biologistes français ne recourent pas encore
fréquemment à la photographie, et notamment quand il s’agit de présenter les détails intimes de
l’architecture intracellulaire, c’est-à-dire des échelles de taille du micromètre observables uniquement
avec un microscope. Si la photographie n’a pas la précision nécessaire pour rendre visibles de si petits
objets, le talent de dessinateur des scientifiques de l’époque n’est pas toujours à la hauteur du défi.
Certains ne sont pas très doués et prennent des cours de dessin. D’autres ont recours à des dessinateurs
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professionnels qui réalisent le dessin final à partir des croquis et explications du chercheur. D’autres
encore se font aider par une projection optique grâce à une chambre claire ou obscure. Mais certains
peuvent avoir un don et Chatton en fait partie : il est doté d’un talent de dessinateur hors du commun.
Son trait est d’une finesse et d’une précision remarquables, il sait animer les cellules des mouvements
qu’elles ont naturellement, il ombre les objets de telle sorte qu’ils semblent sortir du papier avec leurs
volumes de creux et de bosses (Figure 2). Le néophyte qui ne connaît pas les objets scientifiques
représentés est immédiatement sensible à leur grâce et leur étrange beauté. Pour autant, est-ce là une
production artistique ? Non, sans aucun doute. Tout le talent du dessinateur est mis au service de la
description scientifique. La finesse et la précision ne servent qu’à mettre en lumière les détails les plus
infimes. Les mouvements ne veulent qu’être la représentation la plus fidèle de ce qui anime l’être
vivant observé. Le choix de la position du sujet, de sa perspective, de ses volumes, tout ce qu’un
dessinateur ou un peintre choisit au profit d’une composition artistique, n’est ici déterminé que par le
souci scientifique de transcrire avec fidélité et précision la biologie et la physiologie de l’objet
représenté. La grâce et la mystérieuse beauté qu’y voit le néophyte ne sont que celles de l’original, très
fidèlement représenté. Chatton ne transforme pas son modèle comme un artiste le ferait. Il le copie
soigneusement, il n’y met pas la pâte ou l’âme de l’artiste qui l’aurait transfiguré. Ce que révèlent ses
dessins, c’est indubitablement ses qualités techniques hors norme de dessinateur.
A
B
C
D
Fig. 3. Croquis et dessins en marge des activités scientifiques. (A-B) Croquis en marge de cahiers
d’expériences. (C) Dessin d'Édouard Chatton représentant André Lwoff (légende : À mon ami et complice
Dédé Lwoff. Dédé observant les pronuclei avec concupiscience (Banyuls. Octobre 1925). (D) La station
biologique de Sète (1934). © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
Et pourtant, l’artiste n’est pas loin. On le voit d’abord en caricaturiste facétieux qui orne les marges
de ses cahiers d’expériences scientifiques de petits croquis, ou qui dessine avec humour son élève et
ami André Lwoff (Figure 3). Cela traduit une fois encore son habileté de dessinateur mais cette fois
hors du cadre scientifique, dans le cadre d’une pratique ludique et personnelle. Lorsqu’il est nommé
directeur de la Station de biologie marine de Sète, il réalise un dessin de ce joli bâtiment, dessin qui
figurera sur le papier à en-tête de la station, sur des cartes postales promotionnelles ou sur la
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couverture de la revue annuelle rapportant les découvertes scientifiques qui y sont faites (Figure 3).
Enfin, Chatton a réalisé nombre de dessins ayant des sujets naturalistes qu’il ne destinait pas à un
usage scientifique. Il ne s’agit pas de dessins faisant partie d’un travail scientifique et qui n’auraient
pas été utilisés dans ses publications. Il s’agit le plus souvent d’aquarelles représentant des animaux ou
des protistes, le trait y est fin et les couleurs très travaillées (Figure 4). Si la représentation se veut
fidèle, elle n’obéit plus à l’exactitude maniaque d’une vision scientifique. L’approximation y règne, les
couleurs ne reflètent pas la réalité, et la composition est travaillée. Ce sont des dessins et aquarelles
faits par plaisir, avec la volonté de créer une production originale, et non pas une reproduction
scientifique. On s’approche là d’une démarche artistique. Et de fait, Chatton était familier de cette
pratique.
A
B
C
D
F
E
Fig. 4. Aquarelles inspirées de sujets scientifiques. (A-B) Protistes. (C-E) Larve et pupe de la mouche
parasite Thrixion. (F) Amphibien parasité par un ver. © Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne
Université.
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Édouard Chatton, artiste peintre
Chatton a dessiné et peint régulièrement jusqu’aux débuts de la Seconde Guerre mondiale. Les
tourments et difficultés qu’a engendrés le conflit, et le déclenchement d’une névrite du bras droit en
1941 le contraignent à arrêter cette pratique qu’il adorait [2]. Quand on sait la place dévorante
qu’occupaient ses recherches scientifiques, au détriment certain de sa vie familiale et sociale, on
comprend combien devait être importante pour lui cette activité d’artiste peintre à laquelle il consacrait
un temps régulier. Il n’hésite d’ailleurs pas à embarquer son matériel lors de ses voyages, comme sur la
côte est des États-Unis où il se rend en mission scientifique en 1930 pour quelques mois et où il réalise
deux peintures. La peinture a dû d’ailleurs cimenter l’amitié indéfectible qu’il a nouée avec son exélève,
André Lwoff, lui aussi peintre dilettante d’un talent certain. On ignore quand Chatton a
commencé à peindre. Mais ses descendants possèdent des toiles réalisées en Tunisie, où il séjourne de
1913 à 1918, alors qu’il a une trentaine d’années. Leur maîtrise montre qu’il n'en est pas à ses débuts
(Figure 5). Il est familier avec différentes techniques : peinture à l’huile, aquarelle et pastel (dont il
maîtrise les techniques de l’estompe et de la touche, nous verrons ensuite leur importance dans une
autre catégorie de ses productions), et il manipule petits et moyens formats. Nulle indication qu’il ait
suivi des cours d’art graphique, sauf s’ils lui avaient été dispensés lors de son enfance à Belfort. En
revanche, on trouve dans sa bibliothèque La technique des peintres de J.-G. Goulinat [10], Le maître
d’aquarelle - Traité pratique de lavis et de peinture à l’aquarelle d’A. et V. Barbier [11] et Le pastel
de Jany-Robert [12]. Chatton était donc sûrement un autodidacte, formé par des lectures de méthodes
et techniques pour amateurs, mais aussi aidé par sa connaissance des œuvres classiques. On retrouve
ainsi dans sa bibliothèque plusieurs livres de reproductions des tableaux et dessins d’Albert Dürer qu’il
appréciait particulièrement et dont on perçoit l’esprit dans ses dessins inspirés de sujets scientifiques.
Plus surprenantes sont les reproductions de Hyacinthe Rigaud (1659-1743) [13], le portraitiste de
quatre générations de Bourbons, plus classique le best-seller plusieurs fois réédité Mes promenades au
musée du Louvre de J.-F. Raffaëlli [14], et plus sérieux le Traité de la peinture de Léonard de Vinci
[15].
Ses sujets sont variés. On trouve de nombreux paysages et, sans surprise, beaucoup de bords de mer,
que Chatton adorait (Figure 5). Il procède selon les codes du « védutisme », recherchant une mise en
scène pittoresque selon des points de vue mettant en jeu la pratique de la perspective. Ce goût du
pittoresque était en vogue au 19 e siècle et durant une grande partie du 20 e . Chatton joue avec les bleus
doux de la mer et du ciel, les gris des rochers, fait ressortir la végétation d’un vert vif, ou les maisons
d’ocre ou de rouge. Il se pique d’orientalisme avec le portrait d’une jeune femme à la coiffe rouge vif
(Figure 5), ou les coupoles des habitations tunisiennes. Un seul paysage urbain, des gratte-ciels
américains, témoigne de sa probable surprise lors de sa découverte de l’urbanisme du nouveau
continent. La baie de Banyuls, vue de la fenêtre de son laboratoire avec son microscope au premier
plan, face à la mer, est un amusant raccourci du parcours des protistes, objets de la passion de Chatton,
de la mer à ses éprouvettes (Figure 6). L’aquarelle est délicate, précise et lumineuse, jouant avec
habileté de la transparence des fioles posées sur le plan de travail et met en évidence la maîtrise
d’aquarelliste de son auteur. Chatton peint des portraits, dont l’un de son épouse, Marie (Figure 5), et
l’un de sa fille Jeanne, enfant. Deux nus révèlent qu’il ne se cantonne pas au cercle familial ou aux
paysages admirés lors de promenades, mais qu’il fait poser un modèle.
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A
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C
D
F
E
Fig. 5. Tableaux d’Édouard Chatton, peintre amateur. (A) Paysage (Tunisie). (B) Bord de mer (Bretagne).
(C) Paysage breton. (D) Portrait d’une jeune femme (Tunisie). (E) La plage de Banyuls-sur-Mer. (F) Marie
Chatton, née Herre, épouse d’Édouard Chatton. © Collection particulière.
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Fig. 6. Vue sur la baie de Banyuls depuis le laboratoire d’Édouard Chatton. Tableau d’Édouard Chatton,
années 1938-1939. © Collection particulière.
Nul doute, Chatton était un authentique et très sérieux peintre amateur, doté d’une belle sensibilité
artistique. Y avait-il donc deux Chatton, le peintre amateur et le scientifique (Figure 1), deux facettes
d’un même homme bien séparées, sans que les élans esthétiques de l’un ne nourrissent la pratique
scientifique de l’autre, sans que les objets scientifiques de l’un ne viennent inspirer les toiles de
l’autre ? Rappelons à ce sujet une autre grande figure de la biologie, un prédécesseur de Chatton, Ernst
Haeckel (1834-1919) qui, impressionné par la beauté du monde biologique, en réalise des
représentations esthétiques à l’attention du grand public sous le titre « Formes artistiques de la
nature » [16]. Elles connaissent une célébrité immédiate et influenceront le courant de l’Art nouveau,
notamment l’École de Nancy, tant par leurs objets (le monde vivant) que par leurs formes (courbes,
volutes, symétrie, géométrie) [17]. Il n’y avait pas deux Haeckel mais une seule personnalité
indissociable, alliant science et art. Qu’en est-il de Chatton ? La réponse se trouve peut-être dans sa
production la plus originale, les 125 planches de cours auxquelles il apporta un soin méticuleux.
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Les planches de cours de Chatton, la fusion entre art et science
A
B
C
D
F
E
Fig. 7. Quelques exemples de planches. (A) Le protiste Bodo, proche des trypanosomes. (B) L’amibe
dysentérique. (C) L’algue unicellulaire Volvox. (D) Objets indéterminés. (E) Algues unicellulaires d’eau douce.
(F) L’algue unicellulaire Anthophysa vegetans. (A-B) : © Muséum d’histoire naturelle de Perpignan. (C-F) :
© Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
Il le dit avec sérieux et fierté : « J'ai composé et entièrement dessiné à la main, 125 planches
murales de 1,60 m sur 1,10 m. » [1]. Ces planches sont destinées à illustrer les cours qu’il délivre aux
étudiants de licence. Suspendues de part et d’autre du tableau central devant lequel se tient le
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professeur dans l’amphithéâtre, leur grande taille les rend visibles de tout l’auditoire. Leur réalisation
débute probablement à partir de 1922 lorsque Chatton est nommé professeur de l’université de
Strasbourg, mais la collection doit s’enrichir progressivement au fil des années, et être achevée
possiblement alors qu’il est professeur de l’université de Montpellier au début des années 1930. Il tient
beaucoup à ces planches qu’il emmène avec lui à chaque déménagement, jusqu’à son ultime domicile à
Banyuls-sur-Mer. Après la mort de Chatton en 1947, elles ont été oubliées dans la poussière des
greniers du laboratoire Arago, jusqu'à ce qu'elles soient sauvées in extremis en 1984. Alors qu'elles
vont être évacuées à la décharge lors d'un nettoyage des greniers, Marie-Odile Soyer-Gobillard et
André Lwoff y reconnaissent la main d'Édouard Chatton. Les planches sont aujourd’hui archivées au
laboratoire Arago, au Muséum d'histoire naturelle de Perpignan et au Muséum national d'histoire
naturelle à Paris. Il n’en reste hélas que 72 sur les 125 initialement listées par Chatton, en réalité 123
car il indique que deux n’ont jamais été réalisées. Que sont devenues les 51 autres ? Probablement
détruites ou volées lors des pillages de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les dessins, très colorés,
sont réalisés à la craie et au pastel sec, sur papier, de fond noir ou ocre. Comme nous l’avons déjà
évoqué, Chatton maîtrise la technique complexe du pastel et manie l’estompe comme la touche. Les
dessins sont recouverts d’un vernis fixateur, ce qui n’est pas nécessaire pour des pastels. Une
correspondance très technique entre Chatton et un marchand de couleurs parisien porte sur la
composition du vernis et des essais pratiqués par Chatton sur les conseils de ce marchand avant qu’il
ne l’appose sur toutes ses planches. Il a dû craindre que leur fréquence d’utilisation, le fait qu’elles
soient souvent roulées et déroulées, puisse altérer les dessins. Mais le vernis a dû contribuer à craqueler
le papier et certaines planches sont très endommagées. La plupart d’entre elles portent dans l’un de
leurs coins la marque distinctive d’Édouard Chatton, deux maillons entrelacés de signification
inconnue, à supposer qu’il y en ait une (visible sur certaines des planches des Figures 7 à 10). Il a
parfois apposé ce sigle sur les dessins des figures de ses articles de recherche. Les planches illustrent
les sujets du cours de sciences naturelles dispensé par le professeur. Les premières portent sur de
grandes notions de biologie : classification des êtres vivants, organisation de la cellule, génétique et
reproduction. Puis la majeure partie est consacrée aux objets d’étude de Chatton : les protistes ! Les
dessins sont inspirés des propres travaux de Chatton et reprennent les figures d’articles qu’il a publiés,
ou reproduisent les figures publiées par d’autres chercheurs quand il n’a pas lui-même étudié les
espèces en question.
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Fig. 8. Planche représentant des Trypanosomes non pathogènes.
© Muséum d’histoire naturelle de Perpignan.
Au premier regard jeté sur elles, on est happé par la séduction esthétique qu’elles dégagent (Figures
7-9). Peu importe que l’on comprenne quels sont les objets qui y sont représentés, on y goûte
l’harmonie des agencements, la diversité des formes, l’alliance de couleurs surprenantes et séduisantes.
Une mystérieuse beauté émane des structures étranges, énigmatiques, dansantes, illustrées avec un luxe
de détails. Les signes graphiques les plus simples, ligne ondulée ou droite, cercles, spirales, points, se
combinent en arborescences ou se déploient de façon dispersée ou organisée, selon des rythmes
récurrents et des déclinaisons diverses. Cette représentation renvoie à une forme d’abstraction en
vogue au 20 e siècle, non pas vraiment géométrique mais en quelque sorte « organique », nommée
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« biomorphisme » dans les années 1930 : l’utilisation de formes et d’organisations spatiales inspirées
du monde du vivant que l’on retrouve chez les surréalistes, Fernand Léger, Jean Arp ou Joan Miró pour
n’en citer que quelques-uns.
Fig. 9. Planche représentant des protistes luminescents.
© Bibliothèque du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
Ce riche graphisme est servi par des alliances de couleurs qui jouent des contrastes comme des
accords. Sans aucun doute, Chatton connaît la loi du contraste simultané des couleurs de Chevreul.
Chevreul, chimiste mort en 1889 à plus de cent ans, a longtemps été directeur du Muséum national
d’histoire naturelle et siégeait à l’Académie des sciences. Il fut une personnalité importante de la
communauté scientifique jusqu’à sa mort, et très proche du fondateur des stations marines de Roscoff
et de Banyuls-sur-Mer, Henri de Lacaze-Duthiers. Chatton est issu de l’école de Lacaze-Duthiers, les
ouvrages de Chevreul sont dans les rayons des bibliothèques scientifiques qu’il fréquente, il a de
solides connaissances de chimie, il ne peut ignorer ces travaux. Et ceci d’autant plus qu’il est un
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amateur d’art averti, forcément au fait de l’influence majeure qu’a exercée la théorie de Chevreul sur
des impressionnistes. De fait, elle est utilisée dans ses planches où il manipule le jeu des couleurs
primaires (rouge, bleu, jaune) et complémentaires (vert, violet, orange). Il utilise des couleurs vives et
tire les plus forts contrastes de la juxtaposition entre une complémentaire et une primaire qui n’entre
pas dans sa composition. C’est ainsi qu’il recourt fréquemment aux alliances entre orange et bleu, ou
vert et rouge (Figure 7-9). Mais il compose aussi des planches quasi monochromes, déployant de
délicats camaïeux de bleus ou de beiges (Figure 10). Ce florilège, surprenant et harmonieux, éblouit.
A
B
C
D
Fig. 10. Planches monochromes. (A) Le protiste Haplozoon, dont les cellules ne se dissocient pas après les
divisions, générant un long filament. (B) Plan d’organisation des cils du protiste Sphenophrya dosiniae. (C) :
Plan d’organisation des cils du protiste Glaucoma piriformis. (D) Spermatozoïdes du lombric. © Bibliothèque
du Laboratoire Arago / Sorbonne Université.
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La question initiale revient. Ces planches sont-elles simplement un outil pédagogique précieux pour
éclairer le jeune auditoire scientifique ? Ou leur dimension esthétique incontestable est-elle le fruit
d’une démarche artistique voulue par leur auteur ? A-t-il combiné les deux approches pour captiver son
auditoire ? Contrairement aux illustrations scientifiques que Chatton réalise pour ses articles de
recherche, les sujets présentés ne suivent pas les codes de la représentation scientifique. Chatton ajoute
rarement des légendes et des échelles de taille, contrairement aux planches de cours des autres
professeurs. Ces annotations scientifiques, qui sont normalement la règle, occupent beaucoup d’espace,
masquent les dessins, et confèrent immédiatement une identité scientifique au panneau. Chatton, un
scientifique absolument rigoureux, s’en affranchit ici, à l’encontre de la coutume respectée par ses
collègues. Il semble soucieux de préserver avant tout l’esthétisme de l’ensemble. Il ne respecte pas non
plus les proportions de taille entre les êtres microscopiques représentés sur une même planche. Quant
aux couleurs, elles n’ont que peu à voir avec la réalité. Elles ne sont pas non plus utilisées selon un
code pédagogique qui ferait qu’une même structure est toujours représentée de la même couleur. La
couleur des noyaux des cellules varie entre rouge, orange, vert, violet, bleu, rose ou noir selon les
planches et même au sein d’une même planche. De même, la disposition des formes sur la planche
n’obéit pas forcément à une logique scientifique mais semble plutôt privilégier l’harmonie de
l’ensemble. Enfin, comment interpréter la marque personnelle frappée à un coin de nombre des
planches ? Si elle n’est pas la signature de Chatton, elle revendique clairement la paternité de la
planche comme le ferait une signature sur un tableau. Aucune des planches de cours des autres
professeurs, d’ailleurs souvent réalisées par des préparateurs, ne porte une telle marque distinctive.
De tout cela émerge l’idée que Chatton, en réalisant ses planches dans un objectif d’enseignement,
s’est affranchi de beaucoup des règles de la représentation scientifique et pédagogique pour produire
des tableaux dominés par un souci d’esthétisme. Certes le scientifique Chatton y a représenté le fruit
d’une réalité scientifique, certes le professeur Chatton y a insufflé des retranscriptions claires à
destination des étudiants, mais l’artiste Chatton y a joué des couleurs, des sinuosités, des agencements
dans une recherche résolument esthétique. C’est bien au sein de ces merveilleuses planches que
viennent se nicher ensemble son art et sa science, deux domaines de la créativité humaine qui, chez
cette personnalité exceptionnelle et attachante, étaient harmonieusement imbriqués.
Remerciements
Nous remercions Sorbonne Université, le CNRS et l’Observatoire Océanologique de Banyuls pour
leur soutien dans nos recherches. Nous remercions tout particulièrement Sandrine Bodin et Véronique
Arnaud, de la bibliothèque du Laboratoire Arago (Observatoire Océanologique de Banyuls), pour leur
aide précieuse dans l’accès aux archives et collections historiques. Un très grand merci à André
Biecheler, petit-fils d’Édouard Chatton, et à son épouse Martine pour avoir partagé les souvenirs de
leur aïeul et fait découvrir ses tableaux et dessins. Enfin, merci à Saulius Kulakauskas pour sa relecture
attentive du manuscrit.
Bibliographie
[1] Chatton É. (1937). Titres et travaux Scientifiques (1906-1937). Imprimeur Sotano, Sète, France.
[2] Jessus C., Laudet V. (2020). Les vies minuscules d’Édouard Chatton. CNRS Éditions, Paris, France.
[3] Soyer-Gobillard M.-O., Schrevel J. (2020). The discoveries and artistic talents of Édouard Chatton and André Lwoff,
famous biologists. Cambridge Scholars Publishing, UK.
[4] Lwoff A. (1947). La vie et l’œuvre d’Édouard Chatton. Arch. Zool. Exp. Gén., tome 85, N°3, Notes et revues, p. 121-
137.
[5] Lwoff A. (1947). Prof. Edouard Chatton. Nature, Vol. 159, p. 868.
[6] Roubaud É. (1947). Édouard Chatton. Bulletin de la Société de pathologie exotique, tome 40, p. 332-336. Masson.
[7] Caullery M. (1947). Notice sur Édouard Chatton. C. R. Acad. Sci., tome 224, N°19, p. 1313-1315.
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[8] Jessus C., Laudet, V. (2022). Édouard Chatton, arpenteur des mondes minuscules. Pour la Science, N°532, p. 74-81.
[9] Chatton É. (1925). Pansporella perplexa. Réflexions sur la biologie et la phylogénie des Protozoaires. Ann. Sc. Nat.,
10 e série, VIII, p. 6-84.
[10] Goulinat J.-G. (1922). La technique des peintres. Éditions Payot, Paris, France.
[11] Barbier A. et Barbier V. (1861). Le maître d’aquarelle - Traité pratique de lavis et de peinture à l’aquarelle.
Éditions Monrocq frères, Paris, France.
[12] Jany-Robert. (1908). Le pastel. Éditions Imprimerie des Beaux-Arts, Paris, France.
[13] Roujon H. (sous la direction de). H. Rigaud, huit reproductions fac-similé en couleurs. Collection « Les peintres
illustrés », N°52, Éditions Pierre Lafitte et C ie , Paris, France.
[14] Raffaëlli J.-F. (1908). Mes promenades au musée du Louvre. Éditions d’Art et de Littérature, Paris, France.
[15] Vinci de L. (1910) Traité de la peinture. Éditions Charles Delagrave, Paris, France.
[16] Haeckel E., Breidbach O., Eibl-Eibelsfeldt I. (1998). Kunstformen in der Natur (Taschenbuch), Prestel Verlag.
[17] Breidbach O. (2006). Visions of Nature: The Art and Science of Ernst Haeckel. Prestel Verlag, Munich, Germany.
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Le microplancton de la baie de Banyuls : Une beauté
vivante insoupçonnée
Microplankton in Banyuls Bay: An unsuspected living beauty
Laurent Intertaglia 1
1 Sorbonne Université, CNRS FR 3724, Plateforme Bio2Mar, Observatoire Océanologique de Banyuls, 66650 Banyulssur-Mer,
France ; laurent.intertaglia@obs-banyuls.fr
RÉSUMÉ. Le microplancton, organismes aquatiques dérivants au gré des masses d’eau, joue un rôle crucial dans le
fonctionnement de notre planète. L’observation de sa diversité et de sa beauté époustouflante m’a conduit, après une
dizaine d’années, à capturer plus de 3000 images numériques, dont certaines ont participé à des concours, expositions
ou supports de communication.
ABSTRACT. Microplankton - aquatic organisms that drift along with water masses - play a crucial role in the functioning
of our planet. Observing its diversity and stunning beauty led me, over a period of ten years, to capture more than 3,000
images, some of which have been used for competitions, exhibitions and communication media.
MOTS-CLÉS. Microplancton, diversité, microscopie, images numériques.
KEYWORDS. Microplankton, diversity, microscopy, digital pictures.
Après un parcours universitaire classique : Universités de Perpignan, Montpellier et Aix-Marseille,
j’ai obtenu mon diplôme d’études supérieures spécialisées en Biologies et Biotechnologies en 2001.
J’ai intégré par la suite l’Observatoire Océanologique de Banyuls en août 2002 sous la direction de
Philippe Lebaron qui m’a permis de mettre « un pied » dans le monde de la recherche. Ma première
mission consistait à gérer une collection de quelques centaines de souches bactériennes. Après mon
recrutement à l’Université Pierre et Marie Curie 6 ans plus tard sur un poste d’ingénieur d’études, j’ai
rejoint la plateforme Bio2Mar dès sa création en 2010 où j’ai pris en charge les activités liées à la
microbiologie tout en continuant à gérer cette collection, riche de plus de 3500 souches bactériennes 21
ans après.
Comment plusieurs de mes images ont été sélectionnées pour des concours photos ou utilisées à des
fins de médiations scientifiques ? Comment, après tant d’années passées à l’Observatoire, certains de
mes collègues connaissent mieux mes images que mes activités ?
Après avoir recherché dans mes archives, difficile de retrouver le jour où naissait mon intérêt pour
l’observation du plancton. Cela remonte probablement à l’année 2012 où j’ai participé à un atelier pour
la Fête de la Science intitulé « Les trésors cachés dans une goutte d'eau de mer ». Au cours de
l’organisation de cet évènement, j’ai eu la chance d’observer, pour la première fois, un échantillon
planctonique au microscope inversé. A partir de cet instant, où l’émerveillement fût total, je découvris
un univers foisonnant et inconnu jusqu’alors, qui allait me conduire par la suite à capturer des images,
beaucoup d’images...
Le plancton, du grec planktos qui signifie « errer ou dériver », correspond à cette grande diversité
d’organismes qui évoluent au gré des courants et qui ont une importance capitale pour notre planète.
La plus grande diversité de ces organismes reste invisible à l’œil nu, c’est pourquoi l’utilisation de
microscopes est indispensable. La majorité des images que j’ai prises mettent en évidence des
organismes micro (phyto- et zoo-) planctoniques (20µm à 200µm).
Au fil des années rythmées par l’évolution de la technologie, j’essayais d’améliorer la qualité des
images prises au microscope inversé (grossissements de X40 à X400) à partir d’échantillons naturels,
que j’ai toujours souhaité observer vivants et sans modification malgré les difficultés que cela pouvait
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engendrer. Pour magnifier le rendu, j’optais souvent pour l’utilisation du contraste de phase, un
dispositif physique qui permet de jouer sur la transparence de « l’objet » observé.
Pour satisfaire ma curiosité scientifique, je souhaitais apprendre à reconnaitre les nombreux
organismes que je voyais à travers les oculaires et à les isoler pour pouvoir réaliser des clichés
personnalisés. Pour ce faire, je me suis plongé dans des ouvrages spécialisés tel que le Manuel de
Planctonologie Méditerranéenne (Maurice Rose et Grégoire Trégouboff) ou de Marine Phytoplankton
(Mona Hoppenrath, Malte Elbrächter & Gerhard Drebes), sans oublier mes rencontres avec Marie-
Josèphe Chrétiennot-Dinet et Linda Medlin, deux scientifiques de caractère, spécialistes des
microalgues, qui ont été déterminantes dans mon apprentissage et que je remercie.
Apres ces onze années passées, je me rends compte à quel point j’ai eu la chance d’être libre de
prendre ces nombreuses images et de pouvoir les proposer à diverses fins. Mon cœur de métier est la
bactériologie et non la planctonologie. Même si l’observation de cette magnifique diversité du vivant
reste toujours aussi attrayante pour moi, je me sens comme un intrus au regard des spécialistes du
domaine.
Je pense que mon intérêt pour l’art est issu d’un long processus personnel qui a été catalysé, à
l’évidence, par cette expérience passée à capter ces organismes, une activité qui continue d’alimenter
mon goût prononcé pour l’observation et qui m’accompagne toujours aujourd’hui.
La magie de l’évolution a doté la nature de ces plus belles formes et couleurs, un art vivant que
j’essaie de porter à la connaissance du public tel un messager, pour le sensibiliser et lui faire prendre
conscience que ce monde invisible, si précieux et fragile reste indispensable à protéger.
Les échantillons observés ont tous été prélevés dans la baie de Banyuls, à la surface, à l’aide d’un
filet à plancton (maille de 50µm) par l’équipe des marins de l’Observatoire.
Les images ont été prises à l’aide d’un microscope inversé Olympus IX 51, couplé à une caméra
numérique DP71 et plus tard Tucsen LF20, mis à disposition par la plateforme BioPIC de
l’Observatoire.
Seule exception, l’image n° 8, prise à l’aide d’un microscope électronique à balayage au laboratoire
PROcédés Matériaux et Energie Solaire (PROMES) de Perpignan avec l’aide de Dimitri Gorand.
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Figure 1. Regroupement de quatre acanthaires (Contraste de phase)
Figure 2. Larve d’anthoméduse ? (Contraste de phase)
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42
Figure 3. Une diatomée de l’espèce Asterolampra marylandica (Contraste de phase)
Figure 4. Des cellules de Bacillaria sp (gauche) sur lesquelles repose un foraminifère (Contraste de phase)
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Figure 5. Cellule de Tintinnopsis sp. encadrée par deux diatomées centriques (Contraste de phase)
Figure 6. Cellules de la diatomée du genre Lioloma sp. (Contraste de phase)
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Figure 7. Cellules de la diatomée du genre Thalassionema sp. (Contraste de phase)
Figure 8. Coccolithe d'Emiliania (Microscope électronique à balayage)
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Figure 9. Concentration d’organismes planctoniques montrant de nombreux dinoflagellés (bleutés) et
diatomées (jaunes et cellules très allongées) (Contraste de phase)
Figure 10. Un cladocère (femelle) du genre Evadne (Contraste de phase)
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Figure 11. Une cellule de diatomée du genre Glossleriella sp. (Contraste de phase)
Figure 12. Deux acanthaires dont Lithoptera sp. (centre) surplombée d'un autre acanthaire (droite)
(contraste de phase)
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Figure 13. Mélange micro-zooplanctonique : un copépode (à droite), un cladocère du genre Podon sp. (au
centre) au-dessus d’un autre copépode (centre bas) et une larve véligère de ptéropode (haut) (Fond clair)
Figure 14. Mue de copépode (Fond clair)
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Figure 15. Une cellule de dinoflagellé du genre Ornithocercus sp. (Contraste de phase)
Figure 16. Une cellule de dinoflagellé du genre Tripos sp. (Contraste de phase)
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Figure 17. Un ptéropode (Fond clair)
Figure 18. Un copépode (en haut au centre) nageant au-dessus de diatomées centriques (jaunes)
(Contraste de phase)
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Figure 19. Une grande diatomée centrique du genre Coscinodiscus sp. ? (en bas au centre) avec un œuf (en
bas à droite) et une larve de gastéropode (en haut à gauche) (Contraste de phase)
Figure 20. Larve auricularia d’échinoderme (Holothurie ?) (Contraste de phase)
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Distinctions / utilisations de certaines des images :
- Une image a été sélectionnée au concours CNRS « La preuve par l’image », édition 2020
https://images.cnrs.fr/exposition/exp090717
- Deux images ont obtenu la mention spéciale dans la catégorie « Recherche » au concours « Curiosités de la Recherche »
édition 2021 organisé par l’Université Côte d’Azur (UCA).
- Une dizaine d’images ont été utilisées pour la 5 ème édition de l’exposition l’Art’ Cherche de l’Observatoire en 2020
intitulée « Les (petits) Dessous de la Mer », exposition recyclée sur un autre site touristique en 2023.
https://www.obs-banyuls.fr/fr/partager/l-art-cherche/123-exposition-les-petits-dessous-de-la-mer-2020.html.
https://presscat.org/exposition-les-petits-dessous-de-la-mer/
- Quelques photos ont été utilisées pour un atelier Tok-Tok « Les larmes de sirènes » mené en 2023 au Palais de
Tokyo par les artistes Yolenn Farges, plasticienne et Blanche Lafarge artiste multimédia et réalisatrice.
https://palaisdetokyo.com/evenement/ateliers-tok-tok-invitees-les-larmes-des-sirenes-1/
- Trois images décorent depuis plusieurs années un mur du centre d’hébergement de l’Observatoire.
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La beauté insoupçonnée du phytoplancton de la
molécule à l’espace
The unexpected beauty of phytoplankton, from molecule to space
François Lantoine 1
1
Sorbonne Université, Observatoire Océanologique de Banyuls sur mer. France, lantoine@obs-banyuls.fr
RÉSUMÉ. L’objectif de cet article, en mariant Science et Art, est d’illustrer à travers quelques exemples, la diversité de
perception de la beauté des microorganismes phytoplanctoniques à des échelles d'observation allant de la molécule à
l'espace.
ABSTRACT. The aim of this article, by combining Science and Art, is to illustrate, through a few examples, the diversity
of perceptions of the beauty of phytoplanktonic microorganisms at scales of observation ranging from the molecule to
space.
MOTS-CLÉS. Plancton, Phytoplancton, art, microscopie optique, microscopie électronique, pigments, couleurs,
fluorescence, télédétection spatiale.
KEYWORDS. Plankton, phytoplankton, art, optical microscopy, electron microscopy, pigments, colors, fluorescence,
spatial remote sensing.
Lorsque l’on m’a sollicité pour écrire un article dans ce numéro spécial je ne voyais pas comment
concilier mes activités de recherche avec un quelconque aspect artistique ! En tant que scientifique je
n’avais jamais vraiment réfléchi à la relation qu’il peut y avoir entre ces deux domaines qui semblent, à
première vue, éloignés l’un de l’autre. Je me suis alors souvenu d’une citation de H. Sorby (1877)
utilisée en introduction d’un chapitre de ma thèse aux sujets de pigments photosynthétiques « It would
be difficult to find another series of colouring matters of greater beauty or with such remarkable and
instructive chemical and physical peculiarities ». Dans son article Sorby évoque sans complexe son
ressenti sur la beauté de ces molécules. A l’époque il était permis de publier un article scientifique
faisant référence à la beauté d’un fait observé. En l’occurrence il s’agissait de pigments rouges de
cyanobactéries. De nos jours il n’est plus possible de publier un article scientifique faisant référence à
des ressentis esthétiques, qui par définition sont subjectifs et donc non scientifiques. C'est là que la
revue Arts et Sciences intervient en offrant un espace de liberté aux scientifiques et/ou artistes pour
exprimer leurs ressentis sur des aspects esthétiques liés à leur travail. Ainsi, il m'est permis de partager
avec le lecteur ma passion pour la beauté de la nature, en particulier celle des organismes
phytoplanctoniques, sujets de mes recherches. L'objectif de cet article sera donc, à travers quelques
illustrations, de dévoiler ma perception de la beauté de ces organismes en explorant diverses
techniques nécessaires à leur étude. À travers cette présentation, j'aspire à démontrer au lecteur qu'il est
possible de révéler la splendeur de ces organismes à des échelles aussi variées que la molécule ou
l'espace, un cas exceptionnel en biologie.
Le phytoplancton (grec φυτόν / phutón, « plante » et πλαγκτός / planktós, « errant ») représente un
ensemble diversifié et hétérogène de microorganismes photosynthétiques dérivants aux grès des
courants dans les écosystèmes aquatiques. Ces organismes bien qu’unicellulaires occupent une place
cruciale dans les écosystèmes en tant que producteur primaire à la base des réseaux trophiques (les
chaînes alimentaires) et dans les grands cycles biogéochimiques à l’échelle du globe. Ils contribuent à
environ la moitié de l'activité photosynthétique du globe (Field et al. en 1998), contribuant ainsi de
manière significative à la régulation du climat en capturant le dioxyde de carbone lors de la
photosynthèse grâce à leurs pigments photosynthétiques.
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Ces organismes unicellulaires, composés d’algues et de cyanobactéries, révèlent une biodiversité et
des morphologies étonnantes souvent d’une grande beauté, résultat d’une longue adaptation évolutive
aux conditions environnementales depuis les origines de la vie. Pour explorer cette diversité, les
scientifiques ont mis au point une multitude de techniques et d'outils, allant de la microscopie
traditionnelle et électronique à la biologie moléculaire, en passant par les approches de télédétection.
Ces méthodes mettent en lumière l'importance d'une approche multidisciplinaire, soulignant leur
complémentarité pour une compréhension approfondie de ces microorganismes fascinants. La
nécessité de cette diversité de techniques pour leur étude vient du fait que, bien que microscopiques,
ces organismes se répartissent sur un large spectre de tailles, allant des plus petits d'environ 0,5 µm aux
plus grands pouvant atteindre quelques millimètres (soit 4 ordres de grandeur), exigeant des outils et
méthodes adaptés à chaque gamme de taille. Cet article explore quelques aspects de la richesse de ces
méthodes en mettant en lumière la diversité des perspectives d'observation à différentes échelles.
Chacune de ces échelles révèle une beauté inattendue, offrant ainsi un aperçu captivant de la diversité
et de la complexité des microorganismes étudiés.
L'étude du phytoplancton a connu ses débuts avec l'utilisation des premiers microscopes.
Néanmoins, l'intérêt pour le monde marin est ancestral. Des naturalistes grecs tels que Théophraste
(vers 372 - 288 av. J.-C.) avaient déjà noté des changements de couleur de la mer, voire des
scintillements visibles la nuit, phénomènes qui ont depuis été expliqués par des proliférations algales
colorées, donnant lieu aux célèbres marées rouges, ou à des manifestations de bioluminescence.
Cependant, il a fallu attendre l'invention du microscope pour élucider l'origine de ces phénomènes par
la découverte d'organismes invisibles à l'œil nu : les microorganismes.
1. La microscopie : découverte d’un univers invisible à l’œil nu
La microscopie demeure une méthode incontournable pour étudier le phytoplancton. L'observation
directe des cellules permet d'identifier les espèces, de mesurer leur taille, de caractériser leur
morphologie et leur couleur afin de déterminer leur taxonomie. En microcopie on distingue
classiquement deux techniques distinctes : la microscopie optique, qui utilise la lumière, et la
microscopie électronique, où la lumière est remplacée par un faisceau d’électrons.
1.1. La microscopie optique : une vision classique mais colorée !
Le XVIIe siècle a marqué l'avènement des premiers microscopes, ouvrant ainsi une nouvelle ère
dans la découverte et l'observation des microorganismes. Le naturaliste Antonie van Leeuwenhoek
(1632-1723), fut l'un des premiers à observer des organismes unicellulaires, jetant ainsi les bases d'une
exploration toujours plus détaillée jusqu'à nos jours (Leeuwenhoek 1673, 1677). La fin du XIXe siècle
a constitué un tournant dans l'étude du phytoplancton avec le développement de techniques de
microscopie améliorées, ouvrant ainsi la voie à une meilleure compréhension de la morphologie et de
la diversité de ces organismes. Ainsi le zoologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919), l'un des
fondateurs de l'écologie, a significativement contribué à la description et à l'étude de nombreuses
espèces de microorganismes, comme l'a déjà exposé mon collègue John Dolan dans cette revue (2019,
2023). Fasciné par la beauté de ces microorganismes, Haeckel a laissé des planches dessinées
magnifiques, témoignant d'une fusion réussie entre l'art et la science (Haeckel 1862, 1893, 1899-1904),
même s'il n'avait pas conscience, à l'époque, de l'importance écologique de ces organismes.
La microscopie optique demeure une technique simple offrant l'avantage d'observer des organismes
vivants et de percevoir la couleur des cellules. Il est, par exemple, possible d'observer les petites
cellules phytoplanctoniques des dinoflagellés effectuer leur danse tourbillonnante sous l'objectif du
microscope. On peut également discriminer les algues brunes, vertes ou rouges en fonction de leurs
pigments. De nombreuses découvertes et recherches ont été publiées grâce à cette technique, qui
demeure encore largement utilisée de nos jours. Je partagerai ici seulement quelques clichés optiques
de ces algues (Fig. 1), afin de laisser la place à mon collègue Laurent Intertaglia (voir ce numéro) pour
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présenter ses superbes photographies, en complément de l'article d'Ian van IJken, également paru dans
cette revue (IJken 2022).
Figure 1. Aperçu de la diversité des formes et des couleurs naturelles de quelles microorganismes
planctoniques observés en microcopie optique (différents grandissements).
Un autre avantage du microscope optique réside dans la possibilité de manipuler et d’agencer
délicatement des cellules sur des lames de microscope. Ainsi, avec une grande patience et dextérité,
des naturalistes passionnés à la fin de l'ère victorienne en Angleterre ont créé de véritables micromosaïques,
visibles uniquement sous microscope, en associant artistiquement des cellules de
diatomées, dont les parois siliceuses ornementées sont souvent considérées comme des joyaux
microscopiques. L'un des artistes scientifiques les plus connus du XIXe siècle était Johann Dietrich
Möller (1844-1907), qui a perfectionné l'art de disposer les diatomées sur des lames de microscope.
Bien qu'il gagnait sa vie en vendant ces lames, il attachait également de l'importance à ce que ses
travaux soient publiés parmi les experts. Depuis, des photographes spécialiste de la microphotographie,
ont pu immortaliser et partager la beauté de ce travail, à l'instar des photographies du biologiste
Matthias Burba (2008, 2009), lauréat à plusieurs reprises du concours de microphotographie Nikon’s
Small World en 2007 et 2008 (Fig.2).
Cette forme d'art microscopique au service de la science, qui avait presque disparu, a été récemment
explorée par Klaus Kemp, un autre chercheur et artiste mondialement connu décédé en 2022 (une
biographie rédigée par Linda Medlin en 2023 est accessible sur le site de The International Society for
Diatom Research). Scientifique de formation, Kemp a consacré sa vie à explorer le monde
microscopique, utilisant son expertise pour créer des œuvres d'art éblouissantes composées de micromosaïques,
associant à des diatomées, des écailles de papillons ou d'autres particules microscopiques.
Le lecteur intéressé trouvera une illustration du travail de Klaus Kemp ainsi qu'une vidéo sur le site
http://experimentwithnature.com en cherchant « the-diatomist ».
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Figure 2. Microphotographies de Matthias Burba prises à partir de lames microscopiques d’arrangements de
cellules de diatomées réalisées par J.D. Möller en 1890. Photo bas gauche primée lors du concours de
microphotographie Nikon’s Small World de 2007. Ces œuvres d’art sont contenues sur une lame de
microscope dans un espace de quelques millimètres. Ces arrangements géométriques minutieux des parois
cellulaires se font sous microscope. Les couleurs observées ne sont pas les couleurs propres de cellules mais
des couleurs de diffraction et réflexion de la lumière sur les parois de silice des cellules (champ obscure,
agrandissement 65x).
Ce qui impressionne dans ces micro-tableaux, outre le travail d'arrangement géométrique des
cellules, ce sont leurs couleurs extraordinaires. Ces couleurs brillantes et iridescentes ne proviennent
pas de la couleur propre des cellules, mais des jeux d'interférences et de diffraction de la lumière sur
leurs parois siliceuses. Ces phénomènes d'interférences et de diffractions sont liés à la nature
ondulatoire de la lumière, expliquant par exemple les reflets colorés à la surface d'un CD ou des
plumes de paon.
Bien que la microscopie optique demeure largement employée pour l'observation de grandes cellules
(de l'ordre de dizaines à centaines de µm), ses capacités atteignent leurs limites avec les cellules de
taille nano (2 à 20 µm) ou picoplanctoniques (0,5 à 2 µm). Pour mieux appréhender ces unités de petite
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taille, il est utile de rappeler que le µm correspond à un millième de millimètre (10-6 m) ; par exemple,
l'épaisseur moyenne d'un cheveu fin est d'environ 100 µm. Les limitations de la microscopie optique
découlent de la résolution limitée par les longueurs d'onde de la lumière, avec un grossissement
maximal de x1000. Pour l'observation de cellules plus petites, l'utilisation de la microscopie
électronique est nécessaire.
1.2. La microscopie électronique : révéler la beauté à l'échelle infinitésimale
L'histoire de la microscopie électronique remonte au début du XXe siècle, une époque où les
scientifiques atteignaient les limites de la résolution optique des microscopes traditionnels. L'idée
d'utiliser des faisceaux d'électrons pour augmenter la résolution a émergé dès les années 1920, et le
premier prototype de microscope électronique a été réalisé en 1931 par les ingénieurs allemands Ernst
Ruska et Max Knoll (1931). Lauréat du prix Nobel de physique en 1986, Ruska a employé des
faisceaux d'électrons à la place de la lumière pour former des images, exploitant la courte longueur
d'onde des électrons par rapport à celle de la lumière visible. Cette approche a considérablement
amélioré la résolution et le grandissement, atteignant des niveaux pouvant dépasser le million.
En fonction du type de microscope (à balayage ou par transmission), il devient possible d'explorer
soit la structure extérieure des parois cellulaires, soit l'ultrastructure interne des cellules. Les
agrandissements obtenus sont bien au-delà de ce que permet la microscopie optique, offrant la
possibilité d'effectuer des observations à l'échelle du nanomètre (10 -9 m), voire même à quelques
angströms (10 -10 m). Nous pénétrons ainsi dans une nouvelle dimension qui nous permet d'explorer la
beauté du phytoplancton à une échelle infinitésimale, dévoilant une structure cellulaire aussi organisée
qu'esthétiquement belle. En explorant le monde de l'infiniment petit, cette technologie dévoile des
détails complexes, des motifs et des structures magnifiques qui émerveillent et questionnent les
scientifiques tout en captivant l'imagination. La Figure 3 illustre quelques exemples de la beauté
artistique et scientifique de quelques algues phytoplanctoniques en microscopie électronique à
balayage (MEB). Lors d'une séance d'observation au MEB, il est habituel de passer plusieurs heures
dans une pièce obscure sans se rendre compte du temps qui passe, perdu dans une autre dimension, un
autre univers pourtant contenu dans quelques centaines de µm² ! Lors de mes cours, je suis toujours
ravi de voir l'étonnement, voire l'excitation, des étudiants qui découvrent pour la première fois la
richesse et la beauté de ce monde microscopique. Il est important de noter qu'à la différence du
microscope optique, les photographies prises en microscopie électronique sont en noir et blanc, car
elles résultent de l'impression d'un capteur par des électrons sans couleur. Cependant, lors d'expositions
artistiques ou sur Internet, il est fréquent de rencontrer des images colorisées artificiellement,
renforçant ainsi la beauté des structures observées et élevant à nouveau la beauté microscopique au
statut d'œuvre d'art. La diversité entre ces cellules découle principalement des variations dans la
composition de leurs parois cellulaires, qui jouent un rôle crucial dans leur structure, leur fonction et
leur interaction avec l'environnement. On peut schématiquement distinguer trois grandes catégories de
compositions des parois cellulaires : celles en silice, formant le frustule caractéristique des diatomées,
une sorte de boîte en verre protégeant la cellule et composée de deux valves ; celles en carbonate de
calcium, typiques des Coccolithophorides ; et celles de nature organique (cellulosique), comme chez
les Dinoflagellés. Au sein de chacun de ces groupes, on observe une très grande diversité
d'organisation ou d'agencement de ces parois, démontrant l'imagination infinie de la nature.
La microscopie électronique, révélant l'infinie beauté du monde microscopique, propose une
expérience visuelle qui transcende la simple observation scientifique (Fig 3). Des sculptures
nanométriques, telles que l'agencement des microcristaux de carbonate de calcium (Fig 3 H)
constituant les coccolithes (Fig 3 E, G) petits boucliers recouvrant les cellules (Fig 3 C, D), aux étoiles
aux formes et compositions diverses (Fig 3 K, L, M), en passant par le "regard étonné" d'une petite
diatomée (Fig 3 J), ces images célèbrent la majesté de l'infiniment petit. En unissant l'art et la science,
la microscopie électronique nous invite à contempler la beauté insoupçonnée qui existe au cœur même
de notre réalité.
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Figure 3. Microphotographies en microscopie électronique à balayage à différents grandissements. A) Vue
générale d’un échantillon B) jonction entre deux cellules de diatomée (Stephanopyxis sp.) C, D) Cellules de
coccolithophorides. E) Détail d’un coccolithe (plaque calcaire ornementée recouvrant la cellule) F,G,H ) Cellule
de coccolithophoride vue à des grandissements croissants : F) cellule entière, G) vues des coccolithes, H)
détail de la structure fine d’un coccolithe montrant l’agencement des micro-cristaux de carbonate de calcium.
I,J) frustule de diatomées. K,L,M) Illustration de la diversité de formes étoilées au sein de la communauté
phytoplanctonique : K) squelette en silice d’une cellule de silicoflagellé (Dictyocha sp.) , L) cellule de diatomée
coloniale entourée de longues soies en silice (Bacteriastrum sp.), M) étoile à 5 branches en chitine produite
par des cellules de Phaeocystis sp. (Le rôle de ces étoiles éjectées dans le milieu extérieur reste discuté).
M,N,O) trois exemples de cellules de Dinoflagellés avec des parois cellulaires cellulosiques plus ou moins
épaisses et ornementées.
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Alors que le microscope électronique nous a permis de découvrir le monde infinitésimal en
pénétrant dans l'intimité des cellules, nous nous approchons désormais de leurs composantes
moléculaires, ouvrant ainsi la voie à la poursuite de notre exploration vers des techniques d'étude du
phytoplancton à l'échelle des molécules.
2. Le phytoplancton à l’échelle moléculaire
Le 21e siècle a marqué l'avènement de techniques révolutionnaires en biologie moléculaire pour
l'étude du phytoplancton. L'ADN environnemental a ouvert la voie à l'exploration de la diversité
génétique du phytoplancton directement dans les échantillons d'eau. Si la structure tridimensionnelle de
la molécule d'ADN en double hélice, découverte par Watson et Crick en 1953, est elle-même une
œuvre d'art de la nature, d'autres molécules jouent un rôle clé en océanographie, notamment les
pigments photosynthétiques. Ces molécules colorées permettent aux organismes de capturer l'énergie
lumineuse pour convertir le dioxyde de carbone et l'eau en molécules organiques lors du processus de
photosynthèse, entraînant la libération d'oxygène. Ce sont ces molécules qui confèrent leurs couleurs
aux algues et parfois à la mer lorsqu'elles prolifèrent en abondance lors d'efflorescences (bloom). On
distingue généralement trois grandes familles de pigments photosynthétiques : les pigments
chlorophylliens verts, les caroténoïdes aux teintes orange et jaune, et les phycobiliprotéines
comprenant des pigments rouges (phycoérythrines) ou bleus (phycocyanines). C'est cette palette de
couleurs des pigments, couvrant tout le spectre de la lumière visible, qui a permis à ces organismes de
coloniser différentes niches lumineuses, tant dans les environnements aquatiques que terrestres.
Ainsi, dans une algothèque (pièce où les conditions de température et de lumière sont contrôlées
pour cultiver des algues), toutes les nuances sont présentes, depuis le bleu, le vert, le jaune, l’orange et
le rouge, comme illustré dans l'algothèques LECOB (Laboratoire d'Ecogéochimie des Environnements
Benthiques) du laboratoire Arago (Fig 4 A). En océanographie, grâce à ces pigments spécifiques et
abondants, il devient facile de quantifier et de caractériser la diversité des algues présentes dans le
milieu. Différentes techniques sont utilisées pour mesurer ces pigments. La plus ancienne est la
spectrophotométrie, qui repose sur la mesure des propriétés d'absorption spécifiques de la lumière.
Après filtration de l'eau de mer et extraction du filtre dans un solvant adapté en fonction du type de
pigments, il est possible de caractériser leurs couleurs et de les quantifier par des mesures d'absorption
à différentes longueurs d'onde. Cependant, une autre technique, plus sensible, est également
fréquemment utilisée. Elle repose sur la remarquable capacité de certains pigments, en sus de leur
couleur propre de réflexion, à fluorescer. La fluorescence est la capacité de réémettre de la lumière
instantanément après une excitation lumineuse. Ce processus permet à ces molécules d'éliminer le tropplein
d'énergie absorbée. Tout comme les propriétés d'absorption de la lumière, la fluorescence est
également spécifique à chaque catégorie de molécules. Par exemple, les chlorophylles, pigments verts,
vont fluorescer dans le rouge, tandis que les phycoérythrines, pigments rouges, vont fluorescer dans
l'orange. Lorsqu'un échantillon est suffisamment concentré, en jouant sur l'angle d'excitation de la
source de lumière et l'angle d'émission de fluorescence, il devient possible de voir à l'œil nu ces deux
couleurs qui se combinent naturellement dans le même échantillon (Fig 4 B, C, D, E). Ainsi, une même
molécule peut apparaître verte ou rouge, rouge ou orange, selon les conditions d'observation.
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Figure 4. A) Algothèque LECOB de l’observatoire océanologique de Banyuls sur mer donnant un petit aperçu
de la diversité des couleurs de quelques espèces d’algues et cyanobactéries. B) Echantillon de phycoérythrine
en lumière transmise montrant la couleur rose du pigment. C) même échantillon en lumière indirecte montrant
sa fluorescence orange. D et E) échantillons de phycoérythrine et chlorophylle montrant leurs couleurs
respectives de réflexion (haut du tube) et d’émission de fluorescence (bas du tube) rose/orange pour la
phycoérythrine ; vert/ rouge sombre pour la chlorophylle.
Ces méthodes de dosage des pigments sont largement utilisées en océanographie, car elles offrent la
possibilité de quantifier rapidement l'abondance (la biomasse) du phytoplancton, évitant ainsi le
comptage fastidieux des cellules au microscope. Il est à noter que la cytométrie en flux, une technique
similaire, est également fréquemment utilisée en océanographie. Elle permet de compter et de
caractériser rapidement les cellules du phytoplancton en combinant des observations microscopiques
avec l'enregistrement des propriétés de diffusion et de fluorescence de la lumière des cellules.
Plus fascinant encore, explorons à présent comment ces molécules colorées à l'intérieur des cellules
nous ouvrent les portes de l'espace. En raison de l'abondance significative de ces cellules
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phytoplanctoniques (atteignant plusieurs millions de cellules par litres), elles ont le pouvoir de
modifier la couleur de la mer, des lacs (et même des piscines !) lors d’efflorescences. Ainsi, il est
aujourd’hui possible de détecter le phytoplancton depuis l'espace grâce à la télédétection.
3. Le phytoplancton vu de l’espace, la beauté céleste capturée
Au milieu du XXe siècle, l'utilisation de la télédétection, qu'elle soit aérienne ou spatiale, a connu
une expansion fulgurante dans les domaines continentaux, marins et atmosphériques. Les images
satellites offrent des mesures inédites sur des caractéristiques telles que la température, la couverture
nuageuse, les proliférations phytoplanctoniques, et bien d'autres paramètres, à des échelles spatiales
considérables. Ces cartes permettent ainsi une mesure précise de la couleur des océans, associée à la
présence de chlorophylle et d'autres pigments photosynthétiques en surface. Elles aident les
scientifiques à décrypter les variations saisonnières, les phénomènes de bloom et les réponses du
phytoplancton aux changements environnementaux.
Des organismes tels que la NASA (https://earthobservatory.nasa.gov) et l'Agence Spatiale
Européenne (ESA https://www.esa.int) offrent aux scientifiques et au grand public des observations de
haute résolution de notre planète. Étonnamment, au fil du temps, ces captures ont transcendé leur
utilité scientifique pour devenir des œuvres d'art à part entière, révélant une beauté étonnante de notre
planète vue de l’espace. Ces clichés, bien plus que de simples captures scientifiques, transmettent une
poésie visuelle qui éveille l'admiration pour la planète.
Figure 5. Photo satellites de la chlorophylle montrant la prolifération et distribution des organismes
phytoplanctoniques visibles depuis l’espace. Ces efflorescences s'étendent sur des centaines, voire des
milliers de kilomètres. Gauche : Photo Landsat 8 (juillet 2018) de tourbillons vert phytoplanctoniques dans le
Golf de Finlande. NASA Earth Observatory images by Joshua Stevens and Lauren Dauphin, using Landsat
data from the U.S. Geological Survey. Droite : Bloom phytoplanctonique en Mer Baltique. Photo de l’Agence
Spatiale Européenne mission Copernicus Sentinel-2. Image capturée le 20 July 2019, processed by ESA, CC
BY-SA 3.0 IGO https://www.esa.int/esearch?q=phytoplankton+bloom
Les images satellite utilisent souvent une palette de couleurs saisissantes pour représenter différentes
caractéristiques de la surface terrestre. Lorsqu'on contemple des photos satellites de l'océan montrant
des blooms phytoplanctoniques, on ne peut qu'être étonné ou émerveillé par ces mélanges de couleurs,
cette diversité des formes géométriques, ces volutes, spirales, tourbillons de chlorophylles liés aux
courants marins, rappelant les tableaux de Van Gogh (Fig 5). Ces observations, réalisées sur des
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échelles de centaines voire de milliers de kilomètres carrés, nous permettent de clore notre voyage de
découverte du phytoplancton qui avait commencé sous l'objectif d'un microscope.
Conclusion
L'étude du phytoplancton est une histoire de curiosité scientifique, ponctuée de découvertes
passionnantes, alimentée en permanence par les avancées technologiques. Cette quête évolue avec
l'émergence de la biologie moléculaire et de la modélisation, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives
pour comprendre ce protagoniste essentiel de nos écosystèmes marins et terrestres. L'étude du
phytoplancton est confrontée à des défis, tels que la compréhension des interactions complexes au sein
des communautés et sa réaction aux changements climatiques. Les progrès technologiques, associés à
une approche multidisciplinaire, continueront d'enrichir notre perception de ce monde microscopique
essentiel à la vie marine. Une particularité remarquable de cette exploration réside dans la diversité des
techniques et des outils utilisés, couvrant des échelles d'étude allant de la molécule à l'espace. À travers
quelques exemples de ce voyage scientifique, j'espère avoir dévoilé une vision inattendue de la
diversité fascinante de ces microorganismes, contribuant ainsi à fusionner l'art et la recherche à travers
leur extraordinaire beauté.
Remerciements
Je tiens à exprimer ma gratitude envers M. Yonko Gorand, Ingénieur de recherche à l'UPVD et
responsable de la plateforme de microscopie électronique EnRMAT, pour son précieux soutien et ses
conseils éclairés lors de l'utilisation du microscope électronique à balayage au sein du Centre de
Caractérisation de la Matière PROMES/CNRS.
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La fluorescence : un outil pour mettre en évidence la
beauté architecturale invisible du vivant
Fluorescence: a tool for highlighting the invisible architectural beauty of
life
Anaël Soubigou 1 , Lucie Subirana 1 , Stéphanie Bertrand 1,2
1
Sorbonne Université, CNRS, Biologie Intégrative des Organismes Marins, BIOM, F-66650, Banyuls-sur-Mer, France.
2
Institut Universitaire de France
RÉSUMÉ. La majeure partie de la biodiversité animale se trouve dans le milieu marin, et, plus particulièrement, dans la
gamme des animaux de très petite taille, invisibles à l’œil nu. Ces petits animaux, ou les embryons et larves d’animaux
plus grands, sont souvent transparents et l’observation en lumière blanche permet de définir leurs contours mais ne suffit
généralement pas pour comprendre leur organisation. Ces organismes sont formés de tissus, eux-mêmes formés de
cellules, agencés d’une manière bien particulière en fonction de l’espèce ou du stade de développement. Les cellules
elles-mêmes présentent une architecture complexe associant différentes structures comme le noyau ou le cytosquelette.
Pour comprendre l’agencement des cellules à l’intérieur de ces animaux marins, les marquages fluorescents sont
devenus des outils puissants et indispensables. Le développement de microscopes spécifiques permettant d’imager la
fluorescence et les outils numériques permettant l’analyse des images obtenues et la création de reconstructions
tridimensionnelles des structures observées offre aujourd’hui une possibilité incroyable de décrire l’organisation fine des
organismes marins. Ces approches génèrent des images d’un esthétisme certain, et mêlent ainsi l’apport d’informations
d’intérêt scientifique à la poésie d’une imagerie naturaliste renouvelée.
ABSTRACT. Most animal biodiversity is found in the marine environment, and more particularly in the range of very small
animals that are invisible to the human eye. These small animals, or the embryos and larvae of larger animals, are often
transparent, and observation under white light illumination allows their outlines to be defined, but is generally not sufficient
to understand their organisation. These organisms are made up of tissues, themselves made up of cells, arranged in a
very specific way depending on the species or developmental stage. The cells themselves have a complex architecture
combining different structures such as the nucleus and the cytoskeleton. Fluorescent labelling has become a powerful
and essential tool for understanding how the cells inside these marine animals are arranged. The development of specific
microscopes for imaging fluorescence and digital tools for analysing the images obtained and creating three-dimensional
reconstructions of the structures observed now offer an incredible opportunity to describe the fine organisation of marine
organisms. These approaches generate aesthetically pleasing images, combining information of scientific interest with the
poetry of renewed naturalist imagery.
MOTS-CLÉS. fluorescence, cellule, microscopie, confocal, organismes marins.
KEYWORDS. fluorescence, cell, microscopy, confocal, marine organisms.
Qu’est-ce que la fluorescence ?
Les premières observations de la fluorescence remontent au XVIème siècle, mais c’est en 1852 que
Georges Gabriel Stokes, professeur de mathématiques à l'Université de Cambridge, démontrera ce
phénomène lumineux et le nommera "fluorescence", en référence aux cristaux de fluorite 1 . En effet,
Georges Stokes avait observé que lorsque ce minéral était exposé à un rayonnement ultraviolet, il
émettait une lumière bleue.
Aujourd’hui, la définition de la fluorescence, selon le dictionnaire de l’Académie Française, est un
mot emprunté de l’anglais qui décrit « la propriété que possèdent certains corps d’émettre de la lumière
sous l’action d’un rayonnement ». Plus précisément, le phénomène de fluorescence apparaît lorsque les
molécules d’un corps sont excitées à une longueur d’onde précise. Lorsque ces molécules reviennent à
leur état initial, elles libèrent alors spontanément des photons et émettent de la lumière à une longueur
d’onde souvent plus grande que celle ayant servi à l’excitation de départ. Cette capacité à émettre de la
lumière est spécifique à certaines substances, appelées « fluorochromes » ou « fluorophores ».
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Il existe d’autres phénomènes d’émission de lumière qui ne sont pas à confondre avec la
fluorescence, comme la phosphorescence ou la bioluminescence par exemple. Ces trois réactions qui
produisent de la lumière, sont différentes dans leur mécanisme. La phosphorescence est la propriété de
certaines matières capables de capter et d’emmagasiner de l’énergie lumineuse et de la restituer
progressivement sous forme de lumière dans l’obscurité. Le phénomène de phosphorescence est donc
plus lent que celui de la fluorescence. La capacité phosphorescente de certains aluminates de terres
rares est par exemple couramment utilisée pour la signalisation nocturne. La bioluminescence, quant à
elle, est le résultat d’une réaction biochimique : un organisme vivant, à travers l’expression de gènes
spécifiques, produit des protéines capables d’émettre de la lumière lorsqu’elles sont oxydées par
l’intervention d’une enzyme. C’est le cas par exemple du ver luisant qui produit une protéine appelée
luciférine et une enzyme, la luciférase, qui est capable d’oxyder la luciférine. Au cours de cette
réaction, de l’énergie sous forme de lumière est libérée. Il existe un grand nombre d’espèces capables
de bioluminescence, notamment dans le milieu marin. Le rôle de la bioluminescence varie selon les
organismes (capture de proie, camouflage, communication, protection anti-UV…) et reste souvent
encore mal compris.
Dans la nature, on retrouve de nombreuses molécules fluorescentes, comme des pigments
(caroténoïdes) ou des alcaloïdes (la quinine). La molécule la plus connue et la plus utilisée en biologie
est la protéine fluorescente verte GFP (Green Fluorescent Protein). Cette protéine émet une
fluorescence de couleur verte lorsqu’elle est soumise à un rayonnement ultraviolet. Elle fût découverte
pour la première fois chez la méduse Aequorea victoria en 1961 par le biochimiste Osamu Shimomura 2
(Figure 1). Ses travaux sur cette protéine fluorescente, ainsi que ceux de deux américains, Martin
Chalfie et Roger Y. Tsien, seront récompensés par le Prix Nobel de Chimie en 2008. Cette découverte
va révolutionner la biologie à travers l’utilisation de la GFP dans de nombreux champs d’application 3 .
En effet, cette GFP peut être associée à d’autres molécules, et être utilisée comme marqueur, ce qui
permet de suivre la localisation de ces molécules au sein d’un organisme ou d’une cellule. De
nouvelles molécules fluorescentes ont par la suite été découvertes. Ainsi, par exemple, en 1999
l’équipe de Serguey Lukyanov découvre une protéine fluorescente rouge (DsRed) chez le corail
Discosoma sp. 4 . Les technologies permettant la détection et l’acquisition d’images résolutives ont aussi
permis d’utiliser ces fluorochromes dans diverses applications. Aujourd’hui, il existe une large
panoplie de molécules fluorescentes dans le commerce permettant de marquer les structures
biologiques ou des mécanismes cellulaires avec précision. L’avantage de ces différents fluorochromes
avec leurs propriétés et leur émission de lumière à différentes longueurs d’ondes (et donc de différentes
« couleurs »), est qu’ils offrent la possibilité de les combiner et de détecter différentes molécules
d’intérêt dans un même échantillon.
Figure 1. Observation de GFP naturelle chez une espèce de méduse : Clytia hemisphaerica. Marquage
fluorescent des noyaux (en bleu), et fluorescence naturelle de la GFP (vert) de méduses agées de sept jours.
Les méduses sont normalement tétraradiées (B), et possèdent quatre “rayons”. Des défauts de
développement peuvent mener à des méduses pentaradiées (C, cinq rayons), ou triradiées (A, trois
rayons). Barre d’échelle : 500 µm. ©Florian Pontheaux/Cnidevolab.
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Marquage des cellules et de leur architecture
Les organes et tissus des animaux sont formés de cellules qui sont organisées de manière très
spécifique et qui présentent des formes et des caractéristiques particulières en lien avec leur fonction.
Par exemple, les neurones possèdent des prolongements très longs, les axones, qui permettent la
transmission de l’influx nerveux sur de grandes distances, alors que les cellules musculaires possèdent
des fibres protéiques intracellulaires permettant la contraction. Les cellules des animaux ont un noyau,
ou plusieurs (c’est le cas par exemple des cellules musculaires des vertébrés comme nous), qui se
trouve dans le cytoplasme bordé par la membrane plasmique. Dans le cytoplasme se trouvent les
« organes » de la cellules, appelés organelles, comme les mitochondries qui produisent l’énergie
cellulaire, et le « squelette » de la cellules appelé cytosquelette, formé de différentes protéines qui
donnent à la cellule sa forme et permettent de la maintenir ou au contraire de la modifier. Finalement,
au sein des organes, les cellules sont entourées de matrice extracellulaire, produite par les cellules
elles-mêmes, et faite de nombreux composés qui sont spécifiques des différents tissus (par exemple
une matrice extracellulaire minéralisée dans le cas du tissu osseux). Pour observer dans un animal
l’agencement des cellules et leur organisation, les scientifiques peuvent utiliser des marquages par
coloration histologique ou la microscopie électronique à transmission, mais ces techniques nécessitent
que l’échantillon soit préalablement coupé en tranche qui doivent être extrêmement fines dans le cadre
de cette dernière technique (quelques nanomètres). La fluorescence permet par contre l’observation des
cellules et des différentes structures dans l’organisme entier si celui-ci est suffisamment transparent
grâce à l’utilisation de molécules particulières.
Figure 2. Observation des fibres musculaires chez différents organismes marins grâce à un marquage
à la phalloïdine. (A) Marquage des noyaux au DAPI (magenta) et des fibres musculaires grâce à la
phalloïdine (cyan) autour de la bouche d’une jeune méduse de l’espèce Pelagia noctiluca. Barre d’échelle :
200 µm. ©Bastien Salmon/Cnidevolab. (B) Marquage des noyaux (bleu) et des fibres musculaires (rouge)
chez une larve d’amphioxus Branchiostoma lanceolatum observée au niveau du tronc, et chez un copépode
(C). Barre d’échelle : 25 µm (B) et 200 µm (C).
Le noyau peut être observé à travers un marquage de l’ADN double brin (acide
désoxyribonucléique) qu’il renferme grâce à des composés fluorescents ayant une forte affinité pour
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cette molécule. Il existe des composés qui fluorescent dans différentes longueurs d’ondes, les plus
connus et utilisés depuis longtemps étant le DAPI (4′,6-diamidino-2-phenylindole) 5 et les colorants
Hoechst qui interagissent avec les petits sillons de la double hélice d’ADN, et l’iodure de propidium
qui lui s’intercale entre les deux brins, mais de nouvelles molécules ont été développées et
commercialisées ces dernières années (Figure 1 et 2).
En ce qui concerne le cytosquelette, celui-ci est composé de microtubules (arrangements de
plusieurs molécules de la protéine tubuline), de filaments de la protéine actine, et de protéines formant
des filaments dits intermédiaires, comme les kératines par exemple. Pour pouvoir marquer de manière
fluorescente ces molécules, il existe plusieurs outils. Concernant l’actine, l’outil le plus couramment
utilisé est une toxine produite par un champignon vénéneux, l’amanite phalloïde (Amanita phalloides),
appelée phalloïdine, que l’on peut coupler à un fluorochrome 6 . Cette dernière a une très forte affinité
pour l’actine sous sa forme fibreuse et se lie à celle-ci en bloquant totalement les réarrangements de ces
composés du cytosquelette, c’est d’ailleurs la propriété qui donne à cette molécule son caractère
toxique. L’actine forme différentes structures dans les cellules et notamment un réseau de filaments
positionnés juste sous la membrane plasmique, sa détection permet donc de visualiser le contour des
cellules. L’actine est aussi l’un des composés principaux des filaments que l’on trouve dans les
myofibrilles des cellules musculaires et le marquage de cette protéine permet d’observer l’organisation
des muscles au sein d’un organisme (Figure 2). D’autres molécules permettent de détecter l’actine,
comme par exemple une autre toxine, le jasplakinolide, produit par une éponge du genre Jaspis, et que
l’on peut aussi associer à un fluorochrome 7 . Les microtubules, des tubes creux formés par les
molécules de tubuline, sont aussi des composés majeurs du cytosquelette cellulaire. Ceux-ci sont des
acteurs très importants de la division cellulaire et jouent un rôle structurel essentiel. En effet, ce sont
ces microtubules qui forment l’ossature interne des cils, flagelles et axones, et détecter la tubuline
permet de visualiser ses composés présents dans certaines cellules. Il existe certaines toxines qui
peuvent se lier à la tubuline, mais le moyen le plus courant de la détecter est d’utiliser des anticorps.
Ces anticorps peuvent être soit couplés à un fluorochrome, soit être utilisés avec des anticorps dits
secondaires couplés à un fluorochrome. Les anticorps secondaires sont des anticorps qui se lient aux
anticorps appelés primaires, ici les anticorps reconnaissant la tubuline. Cette technique, appelée
immunomarquage car les anticorps sont des molécules produites par le système immunitaire, est très
utilisée, et ceci non seulement pour détecter la tubuline, mais aussi pour détecter toutes sortes de
protéines, dont celles qui forment le cytosquelette, celles que l’on trouve dans différentes organelles,
ou encore les molécules qui forment la matrice extracellulaire comme la laminine par exemple.
Figure 3. Triple marquage d’une larve d’amphioxus. Une larve d’amphioxus a été marquée à l’aide de
DAPI (bleu) pour révéler les noyaux, à l’aide de phalloïdine permettant de visualiser l’actine des fibres
musculaires (rouge) et à l’aide d’un immunomarquage permettant d’observer la tubuline des cils (jaune). La
partie antérieure de l’animal est visualisée sur cette image. Barre d’échelle : 25 µm
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Finalement, la combinaison de marquages utilisant des fluorochromes différents permet de
visualiser différents composés cellulaires en même temps dans le même échantillon. On peut ainsi par
exemple observer les noyaux, les fibres musculaires, et les cils des cellules (Figure 3).
Visualiser et imager la fluorescence
Bien que très performant et complexe, l’organe nous servant de système optique appelé œil ne nous
permet pas d’observer certaines structures ou organismes en raison de leur très petite taille. D’abord
utilisées pour corriger la vision il y a bien longtemps (système de loupe par exemple), les lentilles ont
ensuite été exploitées pour créer un outil devenu maintenant indispensable pour de nombreux
scientifiques: le microscope. La microscopie, issue étymologiquement du grec ancien « mikros » (petit)
et « skopein » (examiner), est une technologie utilisée depuis le XVIIe siècle. L’identité de l’inventeur
du premier microscope et la date précise de son invention restent cependant encore confuses car il a
probablement été fabriqué indépendamment par différents scientifiques dont Zacharias Janssen et
Galillée. Les premières observations décrites d’organismes et structures réalisées à l’aide de ce nouvel
outil sont faites vers 1660 par Robert Hooke et Antoni Van Leeuwenhoek qui s’intéressaient alors au
liège et à certains microorganismes, et le mot « cellule » est utilisé pour la première fois suite à
l’observation au microscope de liège végétal. Par la suite, les nouvelles découvertes et observations
dans le domaine de la biologie vont s’intensifier grâce à ce nouvel outil 8 .
Le principe de la microscopie optique repose sur l’utilisation d’un « tube » contenant aux extrémités
des lentilles. Les lentilles constituant l’objectif sont dirigées vers l’échantillon et vont permettre
d’obtenir une image inversée et agrandie. Les lentilles constituant l’oculaire contribuent quant à elles à
l’obtention de l’image définitive (c’est-à-dire perçue par nos yeux), en agissant comme loupe
grossissante et en renversant l’image inversée. Le plan focal est l’endroit où se forme une image nette.
Si l’échantillon est épais, l’image ne sera nette qu’à l’endroit où se trouve le plan focal. Les autres
couches de l’échantillon paraitront donc floues. Enfin, l’utilisation de la lumière est indispensable pour
la visualisation de l’échantillon c’est pour cela qu’une source de lumière est utilisée: soit directe (en
utilisant un miroir qui renvoie la lumière du jour vers l’échantillon) soit à l’aide d’un éclairage 9 .
Comme précisé dans la première partie, la fluorescence a été découverte au XIXe siècle mais ce
n’est qu’au début du XXe siècle qu’elle est utilisée à des fins scientifiques pour observer des tissues et
bactéries. Pour observer le phénomène de fluorescence et en tirer profit afin d’examiner des structures
bien précises et très petites, les pouvoirs grossissants de la microscopie optique ont ainsi été associés à
l’observation de la fluorescence. Pour cela, il est nécessaire d’utiliser une source de lumière spécifique
(lampe à vapeur de mercure, arc au xénon, LED, laser) couplée à un certain nombre de filtres
permettant de sélectionner les longueurs d’ondes d’excitation et d’émission. Il existe plusieurs types de
microscopes permettant d’observer la fluorescence, les plus répandus étant le microscope à
épifluorescence et le microscope confocal.
Le microscope à épifluorescence est composé de filtres de différentes couleurs, un pour la lumière
d’excitation de l’échantillon, et un pour la lumière émise afin de sélectionner les longueurs d’ondes
voulues. On l’appelle à « épi » (en grec « même ») fluorescence car la lumière entrante et sortante
passe par le même objectif. Ce type de microscopie est dite à « champ large » car ici la totalité de
l’échantillon est éclairé et donc la fluorescence émise dans le plan focal, comme la fluorescence émise
hors du plan focal, sont détectées. Ceci contribue à créer un flou dans l'image, empêchant la bonne
visualisation des structures, notamment lorsque l’échantillon est très épais (Figure 4). Le microscope
confocal est quant à lui un peu plus complexe. En effet, il fonctionne à peu près de la même manière
qu’un microscope à épifluorescence, cependant la source de lumière est un laser qui produit une
lumière de longueur d’onde spécifique ce qui permet de ne pas utiliser de filtre pour exciter
l’échantillon. Une autre différence importante est que la détection de la lumière émise par l’échantillon
ne se fait pas par les yeux de l’expérimentateur ou grâce à une caméra à travers les oculaires mais par
des détecteurs appelés tubes photomultiplicateurs (PMT). Les PMT transforment les photons (la
lumière émise par l’échantillon lorsqu’il fluoresce) en électrons permettant ainsi la création d’un
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courant électrique qui est ensuite transformé en image sur un ordinateur associé au microscope. Ceci
permet de détecter une fluorescence de très faible intensité, invisible à l’œil humain. Mais l’un des
avantages majeurs de ce microscope est qu’il est composé d’un dispositif, appelé filtre à trou d’épingle
(pinhole), permettant de réaliser une filtration spatiale de la lumière. Les « pinholes » permettent de
laisser passer les faisceaux lumineux d’excitation à un point précis de l’échantillon, mais également de
bloquer les photons émis par l’échantillon ne venant pas du point focal de l’objectif. Ainsi, seul le
signal fluorescent venant du plan focal est récupéré et l’image obtenue est totalement nette et
correspond à une « coupe optique » de l’échantillon au niveau de ce plan 10 (Figure 4).
Figure 4. Distinction entre une image acquise au microscope à épifluorescence et au microscope
confocal. Marquages fluorescents sur un embryon d’amphioxus au stade gastrula en vue latérale : marquage
au DAPI (pour révéler les noyaux des cellules, A et B) en bleu et immunomarquage pour la laminine (protéine
de la matrice extracellulaire, C et D) en vert. Le même embryon a été observé au microscope à
épifluorescence (A, C) et au microscope confocal (B, D). Barre d’échelle : 25 µm.
L’acquisition d’images numériques est généralement suivie d’une analyse faisant appel à différents
logiciels. Ceux-ci permettent la visualisation de l’image, et sa correction éventuelle, ainsi que la
réalisation de différentes mesures comme des mesures de taille, de volume ou d’intensité du signal
lumineux acquis. Ils permettent aussi de superposer des images prises pour différents fluorochromes
sur un même échantillon suite à des marquages multiples (Figure 5), de modifier les couleurs (Figures
6 et 7), ou de reconstruire une image tridimensionnelle en assemblant toutes les « coupes optiques »
(Figure 8). Ces outils offrent aussi la possibilité de transformer les marquages en objets dont on peut
modifier la couleur ou la texture à volonté. Finalement, les possibilités multiples de traitement de ces
images deviennent aussi des outils créatifs, permettant l’élaboration d’images du vivant d’un
esthétisme fascinant (Figure 9).
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Figure 5. Superposition de marquages fluorescents sur un embryon d’amphioxus au stade neurula. (A)
Observation de l’embryon, en vue latérale avec la partie antérieure à gauche et la partie dorsale en haut, au
microscope sous lumière blanche sans révélation de la fluorescence. (B) Observation de l’embryon au
microscope confocal après marquage des noyaux au DAPI (bleu) et immunomarquages révélant la laminine
(vert) et la tubuline (rouge) qui permet de mettre en évidence les cils de l’embryon. (C) Superposition de
toutes les coupes optiques acquises afin d’obtenir une vue en trois dimensions de l’embryon. Barre d’échelle :
25 µm.
Figure 6. Modification des couleurs après marquage sur un embryon d’amphioxus au stade neurula. Le
DAPI, pour marquer les noyaux, et la phalloïdine, pour visualiser les contours des cellules, ont été utilisés. Les
embryons ont été imagés au microscope confocal en vue dorsale avec la partie antérieure à droite. Sur la
première image en haut à gauche, le marquage des noyaux est en cyan et celui des contours cellulaires en
magenta. Les autres images sont identiques à la première mais les couleurs ont été modifiées.
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Figure 7. Modification des couleurs après marquage sur un embryon d’amphioxus au stade gastrula.
Un immunomarquage permettant de visualiser la tubuline des cils d’un embryon au stade gastrula a été
réalisé. L’embryon a été imagé au microscope confocal en vue latérale et plusieurs coupes optiques ont été
superposées. Les quatre images correspondent à une image unique dont les couleurs ont été modifiées. Pour
chaque image, un gradient de couleur différent, qui indique la profondeur du marquage dans l’embryon, c’està-dire
le niveau de la coupe optique où le marquage est observé, a été utilisé.
Figure 8. Reconstruction tridimensionnelle d’un embryon d’amphioxus à l’aide de marquages
fluorescents. (A) Observation de l’embryon en vue latérale au microscope sous lumière blanche sans
révélation de la fluorescence. Images prises au microscope confocal d’une coupe optique après marquages
fluorescents révélant les noyaux en bleu (B), la laminine en vert (C) et la tubuline en rouge (D). (E) Image de
la superposition de tous ces marquages. (F) Vue en trois dimensions de l’embryon après superposition de
toutes les coupes optiques. Les différents marquages ont été utilisés pour créer des objets graphiques
tridimensionnels qui correspondent à chaque noyau (G), à la lame basale qui délimite les deux couches de
cellules de l’embryon (H) et aux cils (I). (J) La dernière image correspond à la visualisation superposée de
tous ces objets.
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Figure 9. Kaléidoscope planctonique. Un copépode et une larve de ver marin ont été marqués à l’aide de
phalloïdine pour révéler les fibres musculaires. Les animaux ont ensuite été imagés à l’aide d’un microscope
confocal. Toutes les coupes optiques ont été superposées et les couleurs ont été modifiées pour créer
plusieurs images différentes qui ont ensuite été assemblées pour créer ce montage.
Conclusion
La représentation en image du monde qui nous entoure est une activité menée par l’Homme depuis
bien longtemps pour différentes raisons, religieuses, artistiques ou scientifiques. En sciences
biologiques, pouvoir transmettre les observations faites à la communauté scientifique et aux
générations suivantes a toujours été essentiel. Le dessin ou la peinture, puis la photographie argentique,
ont été les premiers outils permettant de garder une trace de ces observations. Si l’objectif premier est
la description du monde vivant et la réponse à des questionnements scientifiques, la beauté de la
Nature ne peut qu’émerveiller celui qui l’étudie, et l’imagerie scientifique a très souvent éveillé l’âme
d’artiste des chercheurs. Le développement de l’acquisition numérique d’images, qui peuvent être
retravaillées à façon, et le développement des marquages fluorescents, nous donnent l’occasion
d’observer l’invisible et de transformer ces observations en créations artistiques d’un nouveau genre.
Bibliographie
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562 (1852).
2 Shimomura, O. Discovery of green fluorescent protein, gfp. Nobel lecture (2008).
3 Zimmer, M. Green fluorescent protein (GFP): applications, structure, and related photophysical behavior. Chemical
reviews 102, 759-782 (2002).
4 Matz, M. V. et al. Fluorescent proteins from nonbioluminescent Anthozoa species. Nature Biotechnology 17, 969-973,
doi:10.1038/13657 (1999).
5 Schnedl, W., Mikelsaar, A. V., Breitenbach, M. & Dann, O. DIPI and DAPI: fluorescence banding with only
negligible fading. Human genetics 36, 167-172 (1977).
6 Wulf, E., Deboben, A., Bautz, F. A., Faulstich, H. & Wieland, T. Fluorescent phallotoxin, a tool for the visualization
of cellular actin. Proceedings of the national academy of sciences 76, 4498-4502 (1979).
7 Milroy, L.-G. et al. Selective chemical imaging of static actin in live cells. Journal of the American Chemical Society
134, 8480-8486 (2012).
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8 Bruch, J.-F., Sizaret, D., Brault, A., Tabareau-Delalande, F. & Maître, F. Étude historique du microscope optique: Des
premières lentilles du XVIe siècle aux techniques de super-résolution et de lecture automatisée. Revue francophone
des laboratoires 2015, 67-79 (2015).
9 Sauer, H. & Surrel, J. Microscopie optique-Principes et utilisations de base du microscope. (2007).
10 Renz, M. Fluorescence microscopy—A historical and technical perspective. Cytometry Part A 83, 767-779 (2013).
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Imagerie des organismes et écosystèmes marins…
Quand la fonctionnalité et l’esthétisme émergent des
profondeurs
Marine Organisms and Ecosystem Imaging... When functionality and
aesthetics emerge from the depths
François Charles 1
1
Chargé de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS Ecologie & Environnement
Sorbonne Université, CNRS, UMR8222, Laboratoire d'Ecogéochimie des Environnements Benthiques (LECOB), 66650
Banyuls-sur-Mer, France francois.charles@obs-banyuls.fr
RÉSUMÉ. Cette brève chronique combine des éléments descriptifs et informatifs pour présenter l’activité des xylophages
dans la transformation du bois en mer. L'accent sur l'esthétique et la fonctionnalité des petites structures qu’ils fabriquent
et l'inclusion d'analogies avec le génie civil confère au texte une tonalité récréative.
ABSTRACT. This brief chronicle blends descriptive and informative elements to showcase the activity of xylophages in
wood transformation at sea. Emphasizing the aesthetics and functionality of the small structures they create and
incorporating analogies with civil engineering lends the text a recreational tone.
MOTS-CLÉS. Xylophages marins, Microscopie électronique à balayage, Tomodensitométrie aux rayons X, Sculpture,
Architecture, Musique.
KEYWORDS. Marine wood borers, Scanning electon microscopy, X-ray computed tomography, Sculpture, Architecture,
Music.
“…, la mort, en me frappant, mettra un terme à mon exil, mais la mort elle-même ne
pourra faire que je n'aie pas été coupable. Il n'est donc pas étonnant que mon âme, pareille à
l'eau produite par la fonte des neiges, s'amollisse et se fonde elle-même de douleur. Comme
les flancs d'un vieux navire sont minés sourdement par les vers, comme les rochers sont
creusés par l'eau salée de l'Océan, comme la rouille mordante ronge le fer abandonné,
comme un livre renfermé est mangé par la teigne, ainsi, mon cœur est dévoré par des
chagrins inflexibles et dont il ne verra jamais la fin. Oui, je mourrai avant mes remords et
mes maux ne cesseront qu'après celui qui les endure…”
Ovide 1
Parce que les plantes constituent l'essentiel de la biomasse terrestre 2 , on en trouve les traces dans
tous les environnements le long du continuum qui va du continent à l’océan. Composante de nombreux
habitats, le bois mort est aussi une source de nourriture pour certains êtres vivants 3 . Comme le
rapporte, incidemment, le pauvre Ovide 1 , relégué par Auguste sur les bords du Pont-Euxin : en mer, les
xylophages - qui ne sont pas des vers - ont un appétit insatiable pour cette friandise. Le fait est qu’ils
transforment en un rien de temps les troncs et les branches en véritables chefs-d'œuvre architecturaux
sous-marins.
Imaginez un « quartier-à-vivre », sous la mer, une sous-unité d’un écosystème, quoi ! Où les
xylophages sont les maîtres d'œuvre et aménagent des espaces avec autant de style que les décorateurs,
les plus branchés. Les petites créatures déploient tout leur talent pour tarauder ou grignoter le bois mort
et en faire des totems de toutes tailles (Planche I).
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Planche I. Bloc de bois sculpté par deux minuscules crustacés (clichés de microscopie électronique à
balayage, crédits photographiques : F. Charles, M.L. Escande, Y. Gorand, D. Pecqueur - CNRS) et un
mollusque vermiforme de la famille de térédinidés qu’on appelle le taret
(crédit photographique : F. Charles - CNRS).
Au commencement, les compagnons xylophages (Planche I) se mettent à l’œuvre dans un esprit
d’ouverture et de partage. Certains utilisent leurs mandibules, d’autres le relief de la surface externe
des valves de leurs coquilles pour dessiner, sculpter, aménager le matériau. Aux plus forts : le gros
œuvre, aux plus menus : les finitions. Teredo 4 est tunnelier, Limnoria 5 est dentelière. Tous travaillent
de concert, et en toute discrétion, à rendre un billot de bois lisse et nu, dense et dur, en une œuvre
tourmentée et aérée qui capte le regard, apaise l’esprit et laisse le spectateur songeur. Du chaos de leur
activité naît une certaine forme d’esthétisme qui procure de la sérénité.
Les galeries que creusent les tarets 4 et le mitage du bois par de mini-crustacés 5–7 (Planche I), souvent
perçus comme de simples dégradations du bois en mer 8 , ne sont pas seulement destructeurs. Ils
forment, à la fin, une habitation à loyer modéré pour de nombreux locataires, favorisant l’émergence
d’un tissu d’interactions complexes et dynamiques entre voisins.
Après le départ pour l’au-delà des créateurs, les juvéniles des poissons viennent s’abriter dans les
anfractuosités de ces solides constructions. Les crabes et crevettes explorent les vestiges du réseau
labyrinthique de couloirs abandonnés à la recherche de nourriture. Les mollusques gastéropodes
emménagent pour y déposer de petits pochons remplis d’embryons. Les algues s'y fixent aussi
complexifiant encore l’hétérogénéité de l'habitat et diversifiant les sources d’énergie disponibles pour
la copropriété, la crèche et la nurserie. Les effets bénéfiques différées entre l’activité des uns et
l’installation des autres soulignent l'importance d’une activité biologique passée pour le maintien de la
biodiversité présente 9 .
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Planche II. En haut : vues tomodensitométriques aux rayons-X, transversale et longitudinale, d’une pièce de
bois de hêtre, infestée par des tarets (crédits : F. Charles et P. Dutu - CNRS). Un méli-mélo de galeries
chemisées d’une fine couche blanche de carbonate de calcium. En bas : le tunnel sous la Tamise.
Le bouclier utilisé pendant la construction, selon une image du XIXe siècle, probablement issue de Illustrated
London News. (Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=661928)
Le résultat suggère qu’une forme d’art brut ou d’art premier peut émerger des profondeurs sous des
formes aussi variées qu’inattendues. En l’occurrence pour le taret, un art alliant esthétisme et
fonctionnalité. Ainsi Teredo et tous ses cousins 4 s’attachent à renforcer les parois des galeries qu’ils
creusent, avec des sécrétions calcaires (Planche II), rappelant les techniques des ingénieurs du génie
civil pour renforcer les structures des ouvrages d’art qu’ils construisent.
Ceci n’est pas un hasard, Kingdom Brunel, que son papa avait prénommé Isambard, fabriquait des
ponts et creusait des tunnels. Fatigué de voir toujours tout s’effondrer, et de perdre ses ouvriers, fut
fasciné par la manière dont Teredo procédait, et pour forer et pour renforcer les tunnels qu’il creusait
(Planche III). Bio-inspiré, le génial ingénieur, et son papa, créèrent, paraît-il, dans la foulée et le
principe du tunnelier et la structure qui le protégeait (Planche II). Depuis, la technique ne cesse d’être
utilisées pour créer tunnels ferroviaires, tunnels routiers, et juste retour des choses, tunnel sous la mer.
Mais les tarets savent-ils faire autre chose ? En 1892, sur la base d'un dicton populaire, Henri de
Lacaze-Duthiers (1821-1901), fondateur du Laboratoire Arago de Banyuls, se demandait si la «
musique » du taret pouvait être perçue par l'oreille humaine. Il signale dans un court compte-rendu qu'il
a été incapable de vérifier cet adage.
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“Ces bois proviennent d’un vivier créé à Banyuls, et qui ont été immergés, il n’y a pas un
an. […] Il y a au bord de la mer un dicton ainsi conçu : “ces petits animaux font leur
musique. “ J’ai essayé d’entendre le bruit qu’ils font en attaquant les bois, je n’ai pu y
parvenir.”
de Lacaze-Duthiers, F. J. H. 1892.10
Cent trente ans plus tard, les sons produits par les coquilles des tarets raclant l’intérieur de planches
de pin immergées dans la baie de Banyuls-sur-Mer ont été perçus 11 par des moyens modernes de
capture des sons dans l’eau. Ces bruits rappellent davantage les sons produits à partir d’un frottoir de la
Nouvelle-Orléans que d’un xylophone. Mais, peut-être, permettront-ils de comprendre pourquoi et
comment les galeries creusées par les tarets restent individuelles et ne se rejoignent jamais.
Aujourd'hui, les térédinidés continuent d’être une préoccupation pour la conservation du patrimoine
archéologique marin et sous-marin, mais ils sont aussi devenus un modèle biologique très utilisé pour
tester les concepts écologiques et comprendre la transformation de la cellulose en énergie verte.
Références citées
1. Ovidius Naso, P. Espitelae ex Ponto, Livre premier, lettre première, à Brutus. (47 B.C.)
2. Bar-On, Y. M., Phillips, R. & Milo, R. The biomass distribution on Earth. Proc. Natl. Acad. Sci. 115, 6506–6511
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3. Cragg, S. M. et al. Lignocellulose degradation mechanisms across the Tree of Life. Curr. Opin. Chem. Biol. 29, 108–
119 (2015).
4. Turner, R. D. A survey and illustrated catalogue of the Teredinidae (Mollusca, Bivalvia). (1966).
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6. Menzies, R. J. A new species of limnoria (Crustacea: Isopoda) from Southern California. Bull. South. Calif. Acad. Sci.
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7. Bellan-Santini, D. et al. The Amphipoda of the Mediterranean. Part 1: Gammaridae (Acanthonotozomatidae to
Gammaridae). (1982).
8. Massuet, P. Recherches interessantes sur l’origine, la formation, le developement, la structure, &c. des diverses
especes de vers à tuyau, qui infestent les vaisseaux, les digues, &c. de quelques-unes des Provinces-Unies. On y a joint
les procès-verbaux qui ont été dressez par les inspecteurs des digues, au sujet du dommage causé par ces vers. Avec
leurs differentes figures en taille-douce, gravées d’après nature. (F. Changuion, 1733). doi: 10.5962/bhl.title.48885.
9. Jones, C. G., Lawton, J. H. & Shachak, M. Organisms as Ecosystem Engineers. Oikos 69, 373 (1994).
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10. de Lacaze-Duthiers, J. F. H. Le Taret. Bulletin des Séances de la Société Nationale d’Agriculture de France Compte
Rendu Mensuel, 52 : 555-557. (1892).
11. Charles, F. & Coston-Guarini, J. “Hey, do you hear me?”: The elusive song of the shipworm. The Naval Shipworm
Teredo navalis A Global Player and its Entangled Histories M. Vennen, Humboldt University of Berlin (BMBFresearch
project “Animals as Objects"); R. Schilling, German Maritime Museum/ Leibniz-Institute for Maritime
History. Online-Workshop, 21.-22.1.2021. (2021).
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Les forêts animales marines, une rencontre fertile 1
Marine animal forests, a fertile encounter
Elise Rigot 1 et Lorenzo Bramanti 2
1
2
LAAS-CNRS & LLA-CRÉATIS
LECOB-CNRS (Observatoire Océanologique de Banyuls sur mer)
RÉSUMÉ. Cette contribution explore le concept de « forêt animale » comme un concept fertile pour la collaboration entre
arts et sciences. Nous y exposons et analysons une expérience en réalité virtuelle « Un voyage dans les forêts animales
» que nous avons conçue. L'expérience propose une immersion dans différentes forêts animales sous-marines, utilisant
un dispositif 3D pour permettre aux spectateurs de percevoir les habitats marins à une échelle non anthropocentrée.
Cette approche, combinant arts et sciences, vise à sensibiliser le public au concept de forêt animale dont nous
soulignons l'importance pour la conservation marine. La collaboration entre arts et sciences ouvre des possibilités
d'exploration interdisciplinaire et contribue à une meilleure compréhension des relations entre les humains et le monde
marin.
ABSTRACT. This paper explores the notion of the 'animal forest' as a fruitful concept for collaboration between the arts
and sciences. It presents and analyses a virtual reality experience we have designed, 'A Journey into Animal Forests'.
The experience offers immersion into different underwater animal forests, using a 3D device to enable viewers to perceive
marine habitats on a non-anthropocentric scale. This approach, which combines art and science, aims to raise public
awareness of the concept of animal forests and their importance for marine conservation. Collaboration between art and
science opens up opportunities for interdisciplinary exploration and contributes to a better understanding of the
relationship between humans and the marine world.
MOTS-CLÉS. Forêt animale marine, arts-sciences, Réalité virtuelle, Conservation marine.
KEYWORDS. Marine animal forest, arts-sciences, Virtual reality, Marine conservation.
"coral reefs are the forest of the sea" 2 - Donna Haraway
Introduction
Ce qui se passe sous la surface de l'océan est inaccessible pour la plupart d'entre nous. Pourtant, en
deçà du glacis de la mer, la continuité entre les paysages terrestres et marins existe bel et bien.
Différents appareils et dispositifs techniques permettent de plonger, de sonder et de rapporter des
images des profondeurs océaniques. Recycleurs, véhicules sous-marins téléopérés (ROV) ou nautiles
renouvellent l'imaginaire des profondeurs marines. Les images ainsi rapportées, fragments visibles d'un
monde inconnu pour la plupart d'entre nous, rendent compte de biotopes habités et riches. Au-delà des
100 mètres de profondeurs 3 , où seuls quelques plongeurs s'aventurent et quelques chercheurs du monde
étudient la biodiversité marine dans les zones mésophotiques situées à une profondeur moyennement éclairée,
en général entre 50 et 200 mètres de profondeur, on peut observer des paysages singuliers lorsque différentes
espèces d'organismes benthiques 4 , présentant une morphologie arborescente telle que des coraux, des
coraux noirs et des gorgones, sont présentes à des densités suffisantes pour engendrer de véritables
forêts. Étant donné que ces espèces appartiennent au règne animal et non végétal, ces habitats sont
1 Note pour le lecteur : le présent article est en partie issu de cette thèse de doctorat.Voir : RIGOT, Elise, 2022. Design & savoirs sensibles : une
recherche-création sur les technologies 3D et l’ingénierie du vivant au sein de l’anthropocène. Toulouse 2 et LAAS-CNRS.
2 Haraway, D. (2016). Staying with the Trouble Making Kin in the Chthulucene (Duke University Press). p. 72
3 On trouve des forêts animales marines dès 30 mètres de profondeur.
4 Les organismes vivant sur le fond marin, en opposition aux organismes pélagiques vivants dans la colonne d'eau.
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désignés comme des « forêts animales » par les chercheurs qui les étudient. De manière similaire aux
forêts terrestres, ces forêts marines confèrent une complexité structurelle au substrat, fournissant ainsi
un abri à de nombreuses autres espèces marines et contribuant ainsi à l'accroissement de la
biodiversité. Le concept de forêt animale a été retenu par la communauté scientifique. En effet, l'IUCN
(International Union for Conservation of Nature), par exemple, a inclus les forêts animales dans la
liste des habitats à protéger, et ce terme est désormais employé par de nombreux scientifiques pour
décrire la spécificité de ces habitats marins. Le parallèle entre les forêts terrestres et les théories
étudiées à leur endroit, et les recherches sur les forêts animales marines n'est pas une simple métaphore
mais bien un concept scientifique, opérant, pour comprendre les mécanismes de ces milieux
complexes.
Si les moyens techniques dont nous disposons nous permettent aujourd'hui de rendre compte de ces
forêts par des clichés photographiques et par le témoignage précieux de quelques plongeurs 5 , ces
images ne suffisent pas à véhiculer et transmettre le concept de forêt animale marine. Or, nous pensons
que ce concept peut nous permettre de changer en profondeur la perception du monde marin depuis un
point de vue occidental. C'est pour cette raison que nous avons choisi de concevoir et réaliser une
expérience de réalité virtuelle afin d'améliorer la médiation de ce concept pour le grand public. A
travers cet exemple de projet interdisciplinaire entre média design et biologie marine, nous souhaitons
montrer un cas concret d'un croisement interdisciplinaire fertile, où une discipline ne vient pas au
service de l'autre, mais où chacune des disciplines engagées dans le projet construit ensemble une
médiation de son objet de recherche. Design et biologie vont ensemble dans la même direction : celle
du renouvellement de nos imaginaires pour aller à la rencontre des forêts animales marines.
Les forêts animales : un enjeu médiatique pour la conservation
Les coraux sont des animaux qui vivent habituellement en populations composées de nombreux
individus, formant de véritables forêts animales. Ce concept scientifique permet de comprendre les
populations de coraux par analogie avec les forêts terrestres. Comme les forêts, les récifs sont des
environnements tridimensionnels complexes qui favorisent une forte biodiversité en fournissant des
habitats diversifiés, de la nourriture ou un refuge à de nombreux autres organismes. Le concept de
forêts animales a une première vertue, en termes de perception et de communication : il permet de faire
le parallèle entre les enjeux de préservation des forêts terrestres, telles que les forêts primaires
amazoniennes et les forêts animales marines composées de coraux. Le concept prolonge en ce sens la
compréhension que peut avoir le public des forêts comme « poumon terrestre » envers des animaux
marins qui par des échanges biochimiques et une fonction de refuge permettent eux aussi de participer
à la régulation du climat planétaire. Aujourd'hui, nous cherchons à généraliser l’usage du concept de
forêt animale pour désigner un ensemble d’écosystèmes benthiques ayant la particularité de créer une
topographie spatiale en 3D servant de refuge pour d’autres espèces.
Dans An overview of the animal forests of the world 6 , les auteurs expliquent l'importance du concept
scientifique pour les mesures de conservation des fonds marins. Animal forest permet de poser, entre
autres, les récifs coralliens comme des systèmes complexes, un terme qui, dans le langage de la
physique, se réfère à un système dont les propriétés ne sont pas la somme des propriétés de ses
composants. En ce sens, une forêt est un système complexe car ses propriétés (effet de la canopée,
génération de microclimat, augmentation de la biodiversité) émergent comme des propriétés
uniquement si la densité et la structure de la forêt atteignent un certain niveau, et ne sont donc pas la
5 En effet, rares sont les plongeurs à s'aventurer au-delà des 100 mètres de profondeur en plongée sous-marine, et encore plus rare sont les
plongeurs-chercheurs à le faire, bien que la technique de la plongée en recycleur qui permet d'être en circuit fermé tend à se démocratiser.
6 ROSSI, Sergio, BRAMANTI, Lorenzo, GORI, Andrea et OREJAS, Covadonga, 2017. An overview of the animal forests of the world. Marine Animal
Forests: the ecology of benthic biodiversity hotspots. Springer, Cham. 2017. pp. 1‐ 28.
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simple somme des propriétés des arbres/coraux qui composent la forêt. La vision holistique que
suppose ce terme permet en outre d’assurer une meilleure conservation de ces derniers. Pour les
organismes régulateurs, il ne s’agit plus de protéger une espèce particulière qui serait en danger
critique d’extinction, comme c’est le cas par exemple de l'espèce de corail Acropora palmata, mais de
mettre en place des mesures de conservation de l'écosystème entier. Ainsi les mesures de conservation
devraient s’appliquer à la forêt animale dont Acropora palmata fait partie plutôt qu’à la colonie isolée.
Dans le cas des forêts animales, nous ne pouvons pas affirmer qu'elles ont été récemment découvertes,
du moins pas dans le sens classique que nous attribuons à une découverte. Les forêts de coraux et de
gorgones ont toujours existé et étaient appelées communautés mégabenthiques. La véritable découverte
réside dans la manière différente dont nous les percevons. En comparant ces communautés
mégabenthiques à des forêts, nous pouvons soudainement regarder tout l'habitat avec un œil différent,
nous permettant d'utiliser des concepts et des outils de recherche développés dans le domaine de
l'écologie terrestre en biologie marine. Comme c'est souvent le cas, les grandes découvertes
surviennent non pas lorsqu'on trouve quelque chose de nouveau, mais lorsqu'on regarde quelque chose
que nous avons toujours eu sous un nouvel angle. De la même manière que les forêts terrestres peuvent
être composées de différentes espèces d'arbres, les forêts marines animales peuvent être composées de
différentes espèces (éponges, coraux, gorgones, bryozoaires, etc.) qui peuvent à leur tour avoir des
morphologies différentes (voir Figure 1).
Figure 1. Photographie d'une forêt animale marine composée de gorgones (crédits : Lorenzo Bramanti)
Ces forêts sont en interrelations avec d’autres organismes biologiques. Par exemple, les récifs
coralliens dépendent également de la santé des mangroves dans les îles et atoll des océans du monde
entier. Il y a de multiples raisons qui appellent à la conservation et la préservation des forêts animales,
l’une d’entre elles est leur rôle dans le maintien d'un niveau élevé de biodiversité. Bien que les forêts
soient particulièrement résilientes, quand les perturbations sont plurielles et simultanées, ces systèmes
peuvent s'effondrer. Nous vivons actuellement une période de fortes perturbations avec le
réchauffement climatique, l’acidification des océans et les pollutions engendrées par les activités
extractrices humaines. Les impacts sur les forêts animales aboutissent à la fragmentation, la réduction
et la dégradation de ces habitats. Le Corallium rubrum par exemple en de nombreux endroits, en
particulier à des profondeurs de moins de cinquante mètres, a totalement perdu son rôle écologique. Il
y a une nécessité de partager le concept de forêt animale pour pouvoir prédire les changements dans les
fonctionnements des écosystèmes et agir sur les mesures de conservation, de restauration et d’usages
durables. La portée du concept de forêt animale veut faire rayonner le champ de recherche écologique
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des organismes benthiques à un niveau sociétal pour que ces organismes si éloignés de notre
expérience du monde puissent être ainsi rendus perceptibles. Le concept de forêts animales a
également un usage scientifique dans le transfert de concepts théoriques utilisés dans l’étude des forêts
terrestres applicables aux forêts animales sous-marines. Par exemple, la self-thinning rule, selon
laquelle la biomasse d’individus augmente lorsque leur densité diminue, due au caractère compétitif
d’un milieu aux ressources limitées, a été découvert dans les années 1960 pour les forêts d'arbres, mais
récemment, il a été démontré que cela est également parfaitement applicable aux forêts animales 7 . Si les récifs
coralliens peuvent nous sembler des milieux éloignés des nôtres, la notion de forêt animale permet de
nous sentir plus reliés à ces derniers.
L’expérience de la forêt terrestre est une expérience qui nous est familière; celle de la forêt animale,
encore inconnue, devient envisageable grâce à ce parallèle sémantique que nous avons traduit et
transmis à travers une expérience de réalité virtuelle.
Cinématique en réalité virtuelle - Un voyage dans les forêts animales 8
Dans le cadre du bicentenaire de Lacaze-Duthiers 9 , nous avons élaboré l'expérience « Un voyage
dans les forêts animales » sur le concept de forêt animale explicité plus haut en utilisant un dispositif
de vision 3D 10 . L'utilisateur du casque est invité à descendre la pente d'un canyon sous-marin stylisé et
à y rencontrer différentes forêts animales monospécifiques. Le projet est né de la collaboration entre les
deux co-auteurs de cette contribution. Le travail de médiation s'est opéré en un constant aller-retour
entre la compréhension des recherches menées par Lorenzo Bramanti, les propositions de concepts et
de visualisation des forêts animales et l'écriture d'un texte pour la bande sonore accompagnant
l'expérience. Denis Tribouillois, ingénieur en réalité virtuelle, a également pris part à ce projet et aux
discussions et s'est occupé de la réalisation technique de l’expérience. Nous avons demandé l’aide d’un
dessinateur-modélisateur 3D, Damien Samper, sur certaines représentations 3D complémentaires.
L'événement scientifique du bicentenaire de Lacaze-Duthiers, à destination à la fois de la communauté
scientifique et du grand public, a été l’occasion de présenter pour la première fois le film d'animation
de réalité virtuelle intitulée Un voyage dans les forêts animales. De par ce contexte lié au village de
Banyuls-sur-mer et comme un hommage à Lacaze-Duthiers, nous nous sommes librement inspirés de
la présence des canyons dans le golfe du Lion pour l’expérience immersive comme présenté dans la
figure 2 présentant une vue axiologique du canyon de Lacaze-Duthiers.
7 NELSON, H. et BRAMANTI, L., 2020. From trees to octocorals: The role of self-thinning and shading in underwater animal forests. In : Perspectives
on the Marine Animal Forests of the World. Springer. pp. 401‐ 417.
8 L'expérience est disponible en accès libre, gratuitement, en français et en anglais sur SideQuest https://sidequestvr.com/app/4535/corallumfabrica
9 Le bicentenaire de Lacaze-Duthiers s’est tenu du 1er au 4 juillet 2021 mêlant séminaire scientifique, conférences, expositions et ateliers
pédagogiques dans divers lieux de Banyuls-sur-Mer, ville où le naturaliste Henri de Lacaze-Duthiers (1821-1901) installa un observatoire
océanographique en 1882.
10 Casque de réalité virtuelle Oculus Quest 2 avec technologie de suivi des mains (sans manettes).
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Figure 2. Représentation axonométrique de la baie de Banyuls-sur-Mer où est implanté le laboratoire Arago
en fonction de l’altitude et de la profondeur. Crédits : LECOB, Arago.
La cinématique 3D suit le tombant d'une faille sous-marine. Le spectateur est invité à se mettre dans
la peau et à faire l'expérience d'une entitée océanique minuscule. Ainsi, nos deux voix racontent dans
les haut-parleurs intégrés au casque de réalité virtuel « Nous sommes une particule transportée par le
courant. Nous nous mouvons avec la neige de plancton. » Le choix scénaristique pour concevoir la
cinématique en réalité virtuelle a été de créer plusieurs représentations de forêts animales
monospécifiques agencées sur le terrain du canyon. La figure 3 représente une vue de haut du terrain
où sont placées le long de la faille trois typologies de forêts animales : gorgones, corail rouge et corail
noir, pour enfin aboutir à la rencontre d’un corail solitaire. Le fait que l’expérience se déroule dans
différentes typologies de forêts permet d’expliciter à l'aide de la voix la particularité des milieux qui
accompagnent ces différentes espèces. Nous avons également fait ce choix car les coraux les plus
connus pour le public restent les coraux tropicaux. Pourtant, gorgones et coraux noirs jouent des rôles
similaires aux coraux tropicaux dans d’autres écosystèmes (failles sous-marines, zones mésophotiques,
roches de surface, etc.).
Figure 3. Vue de haut du modèle 3D du terrain en forme de faille sous-marine où sont positionnées les
diverses forêts animales.
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Le placement virtuel d'une caméra à l’intérieur de cette scène nous a permis, en tant que
concepteurs, d’anticiper les points de regard de la cinématique. En modulant les angles de la caméra,
nous avons petit à petit amené l’expérience de cette cinématique depuis un point de vue surplombant,
anthropocentré jusqu’à une échelle où l'observateur se situe à l’intérieur de la scène, à l'échelle du
polype de corail. Ce mouvement de caméra virtuel décentre le point de vision surplombant pour nous
amener à l’intérieur de ces forêts animales. Un effet de miroir est permis entre le monde de la surface
et le monde sous-marin. Si nous sommes une particule transportée par le courant nous mouvant avec la
neige de plancton, nous restons des êtres humains, c’est donc ce nous-humain transmuté en particuleplancton
qui va à la rencontre, à travers ce voyage, des forêts animales. Lorsque nous sommes devenus
tout à fait petits, au fond de ce canyon et que nous découvrons un corail solitaire, l'expérience nous
invite à faire une offrande à l'animal. Nous nous saisissons de nos mains pour donner un zooplancton
au polype de corail, qui nous invite alors à une autre partie de l'expérience, consistant à visiter une
archive 3D de squelettes de coraux 11 des collections du MNHN et du laboratoire Arago.
Nous faisons l'hypothèse que l'expérience de réalité virtuelle permet un affect, une sensibilité
partagée à ce que ces forêts animales matérialisent symboliquement et scientifiquement. La création
sonore 12 qui accompagne la cinématique est composée de la lecture d'un texte et d'une ambiance
musicale. Afin de rendre possible cet affect, nous avons travaillé pour le texte de la cinématique à une
hybridation entre le registre explicatif, souvent utilisé en médiation scientifique, et le registre poétique.
Nous avons ainsi mêlé un texte à caractère poétique à même de faire comprendre la transmutation
humain-humain et humain-polype et un texte scientifique à même de transmettre des connaissances
scientifiques à propos des forêts animales et des espèces qui la composent. Ainsi, le registre d’écriture
poétique permet d’ancrer l’expérience de réalité virtuelle depuis le point de vue subjectif du spectateur,
il n’y a pas de distance entre la scène vécue et le spectateur qui en est partie prenante. La première
phrase, « Nous sommes une particule transportée par le courant » annonce d’entrée la volonté d’inclure
le spectateur dans la scène. Cette expérience, en ce sens, peut être qualifiée d’expérience
phénoménologique, où l’on procède à une mise entre parenthèses de nos habitudes. Parce que la réalité
virtuelle enlève un certain nombre de repères habituels, elle permet une expérience sensible dans un
environnement totalement autre : en l'occurrence, celui des canyons sous-marins. L’intégration du sujet
de l’expérience sensible dans la scène à la fois par le dispositif de réalité virtuelle et par la technique
d’écriture du texte a donc au moins deux intérêts : phénoménologique et didactique. Ce second intérêt
tient en ce que le savoir, en l’occurrence, le concept de forêt animale récemment usité par les
chercheurs en biologie marine pour comprendre le mode de fonctionnement de ces écosystèmes
complexes, n’apparaît pas comme distant ou objectif. Il se vit au travers d’une expérience sensible,
rendant possible par les sens et non pas seulement par l’intellect de « sentir » cette manière de regarder
les coraux comme des forêts animales. On est transporté à l'intérieur de la forêt, nous la regardons
depuis le point de vue du bas. Si les connaissances scientifiques sont au cœur de l'expérience du
voyage dans les forêts animales, ce sont les questions esthétiques qui permettent de lui donner un
ancrage culturel différent, intégré dans les questions de perspective plus qu'humaine 13 qui anime les
réflexions des sciences sociales actuellement.
Le texte qui suit est le texte de la cinématique de l’expérience de réalité virtuelle Un voyage dans les
forêts animales :
11 voir : https://corallumfabrica.laas.fr/3dlibrary et Elise Rigot et Christophe Vieu. « Corallum fabrica : une archive vivante comme média
d'encapacitation pour la recherche scientifique », 2024, in Communication & design, créations collectives (dir. Lionel Lavarec), Hermès La Revue,
CNRS éditions, collection Essentiel
12 Le lecteur peut retrouver la création sonore à cette adresse : https://corallumfabrica.laas.fr/agora/2
13 voir par exemple : de La Bellacasa, M. P. (2017). Matters of care : Speculative ethics in more than human worlds (Vol. 41). U of Minnesota Press
et Haraway, D. J. (2020). Vivre avec le Trouble. Vaulx-en-Velin, Les Éditions des mondes à faire.
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« Nous sommes une particule transportée par le courant. Nous nous mouvons avec la
neige de plancton. Nous allons bientôt entrer dans un canyon sous-marin de la Méditerranée.
Nous voyons une première forêt de coraux, ce sont des gorgones. Leur squelette est
flexible, il bouge avec le courant, comme les plantes avec le vent. Les gorgones forment de
véritables forêts, comme les forêts terrestres, sauf que ce sont des animaux. Ce sont des
forêts animales.
Les poissons trouvent refuge dans la forêt. Ils se protègent, leurs prédateurs attendent
dehors. Dans une zone plus profonde, dans un creux. Nous trouvons le corail rouge,
Corallium rubrum. Une espèce qui ne se trouve qu’en Méditerranée. Son squelette est dur,
d’une couleur rouge intense. Sa forme est celle de l’arbre, les forêts du corail rouge sont
comme des forêts pétrifiées. Depuis des milliers d’années, les humains le sculptent,
l’utilisent pour leur art. Comme la plupart des coraux, des centaines de polypes couvrent son
corps. Les polypes ressemblent à des fleurs blanches qui se nourrissent des particules et
planctons du courant. Ces polypes sont les bâtisseurs des squelettes.
Plus profond encore, nous rencontrons les coraux noirs. Nous sommes dans une forêt
animale millénaire. Chacune de ces branches a des centaines d’années. La forêt fonctionne
comme un filtre. À l’intérieur de la forêt, la température, le courant, le niveau d’oxygène, et
la quantité de planctons sont différents. C’est un nouvel environnement qui permet la vie
d’autres espèces : éponges, anémones, étoiles de mer. Ces forêts permettent une grande
biodiversité. Les relations entre les différentes espèces et les conditions environnementales
sont à l’origine de ces systèmes complexes.
Encore plus profond, nous trouvons un corail solitaire formé par un seul polype. Il est
constitué d’une bouche entourée de tentacules. Ces tentacules sont couverts de cellules
urticantes qui leur servent à saisir les planctons et les particules transportés par le courant.
Comme pour les autres coraux, le polype construit son propre squelette. Les polypes sont les
bâtisseurs des forêts animales, ils sont à la fois les habitants et les constructeurs des forêts. »
Les figures 4,5, 6 et 7 rendent compte de l'univers visuel de l'expérience. Les choix techniques,
budgétaire 14 et scientifiques ont largement guidés la conception de l'expérience en réalité virtuelle. Par
exemple, le nombre de modèles 3D et la densité de ces derniers est limité dû aux capacités de
performance du casque de réalité virtuelle utilisé pour la médiation de l'expérience.
Figure 4. Vue du départ de la représentation 3D de la faille sous-marine où se présente la forêt de gorgones.
14 Nous remercions ici la Fondation Dassault Systèmes qui a apporté son soutien financier au projet Corallum fabrica
https://corallumfabrica.laas.fr/3dlibrary auquel est rattaché la cinématique en réalité virtuelle Un voyage dans les forêts animales.
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Figure 5. Vue des branches de corail rouge sur la paroie du canyon
Figure 6. Vue à l'intérieur de la représentation 3D de la forêt de corail noir
Figure 7. Vue finale du corail solitaire et des planctons autour de lui
L'expérience de réalité virtuelle a été montrées dans divers musée où elle fait l'objet de médiation
scientifique particulière (Biodiversarium de Banyuls-sur-mer, écomusée Te Faré Natura) et lors
d'évènements spécifiques où elle a permis à de nombreux participants de se familiariser avec la notion
de forêt animale. Dans le contexte de la Polynésie française où se situe l'écomusée Te Faré Natura, la
médiation de ce concept a permis de mettre en lumière l'importance du lien entre le monde végétal et
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animal dans la culture polynésienne, faisant échos aux recherches de l'anthropologue Davide Torri 15 .
Ce fil d'ariane se poursuit actuellement avec la poursuite de ces recherches pour une autre expérience
de réalité virtuelle dédiée cette fois-ci à la perception des coraux en Polynésie française 16 qui a fait
l'objet d'une médiation lors du colloque scientifique Le Paris des récifs (dans le cadre du LABEX
Corail).
Traduire les savoirs en expériences sensibles, « le polype qu’un instant je suis devenu »
Qu’avons-nous vécu au terme de ce voyage dans les forêts animales ? Qu’est-ce que l’appareil de
vision 3D nous aura fait percevoir ? Aura-t-on « senti », à l’aide de nos yeux équipés d’un casque de
réalité virtuelle, ce que signifie le concept scientifique de forêt animale ? Et qu’est-ce que cela change
de le « sentir » de cette manière plutôt que d’en avoir l’explication ?
Au terme de ce voyage dans les forêts animales, nous aurons survolé les gorgones et leurs corps
mous, nous aurons fait face aux polypes du corail rouge de Méditerranée, nous aurons été abrités dans
une forêt de coraux noirs. Nous aurons vu la neige de plancton voler autour de nous. Le courant aura
traversé l’endroit où se trouve habituellement notre corps. Les planctons auront tourné autour de
nous. Nous ferons face, nous envisagerons, c’est-à-dire que nous donnerons un visage à un corail
solitaire. Celui-ci fera bouger ses tentacules à l’approche du plancton que nous lui donnerons en
offrande à la fin de l'expérience. L’espace de la faille sous-marine nous aura été donné à vivre à
travers un enchaînement de forêts animales, dominées par des espèces différentes.
Nous les aurons rencontrées. Cette rencontre est permise par une approche de la médiation
scientifique qui ne passe pas par la vulgarisation scientifique mais par la collaboration entre arts et
sciences. Ce mélange de cultures et de points de vue est à même de créer les conditions adéquates à la
rencontre de ces entités dont parfois seuls les scientifiques ont fait la rencontre, d'autant plus si l'on
pense à des écosystèmes marins qui vivent à ces centaines de mètres de profondeurs sous la surface de
l'océan. Nous soutenons que les approches fertiles entre arts et sciences participent à la réhabilitation
d'un « affect exploratoire » pour reprendre l'expression de Baptiste Morizot 17 . Cet affect serait à même
de nous mettre en sensibilité du monde vivant et nous donnerait une meilleure capacité d'action envers
et avec lui. Le philosophe Baptiste Morizot dont l'œuvre est consacrée à la pensée du vivant, propose
en ce sens des alliances interdisciplinaires vers « [d]es sciences plus intelligentes, plus engagées, et
plus sensibles ; libérées des séparations entre sciences sociales et sciences naturelles, incorporant les
logiques d'économie écologique critique, les dimensions relationnelles entre humains et non-humains,
dans des analyses d'histoire, décologie, de sociologie, de climat et d'anthropologie. 18 »
Le savoir sensible contenu dans Un voyage dans les forêts animales permet de se saisir d’une
manière de voir le vivant, dans son contexte et depuis son mode d’être au monde qui lui est propre,
avec la limite, immense, que si par exemple on parle de l’être-au-monde des coraux, celui-ci ne se
définit pas par une expérience oculaire, mais serait sans doute une expérience tactile et collective. Les
coraux n’ont en effet pas d’yeux pour se saisir de l’environnement qui les entoure, mais des tentacules
autour d’une bouche (qui est également leur anus). Ils vivent, pour la plupart des espèces, en colonies,
c’est-à-dire par centaines ou milliers d’individus sur un même récif constitué de leurs exosquelettes
respectifs. En cela donc, notre expérience est bien plus une expérience liée à un changement d'échelle
15 TORRI, D., 2020. The Coral Tree at the End of the World: Introductory Notes to Coralline Mythology and Folklore from the Indian and Pacific
Oceans. In : Perspectives on the Marine Animal Forests of the World. Springer. pp. 1‐ 16.
16 Projet To'a disponible à ce lien : https://sidequestvr.com/app/27183/toa-balade-en-fort-de-corail
17 MORIZOT, Baptiste, 2023. L’inexploré . Éditions Wildproject. p.85
18 Ibid. p. 73
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de perception, puisqu’au fur et à mesure de l’expérience, le point de vue permis par l’expérience se
rapproche de celui du polype. La notion de forêt animale a une finalité de recherche scientifique,
l’expérience de réalité virtuelle, quant à elle, permet d’installer un face à face inédit entre les coraux et
les humains, entre visage et polype. Ces coraux volontairement distanciés dans leur mode de
représentation, dont le style n’est pas réaliste, nous embarquent de fait dans une métaphore visuelle. La
dernière scène de rencontre proposée dans l’expérience Un voyage dans les forêts animales propose
une interaction avec le corail solitaire de l’espèce Caryophyllia cyathus (voir figure 7). Le spectateur
est invité à se saisir d’un plancton pour en faire l’offrande au corail solitaire, proposant par là une
interaction de son corps, puisque des mains (de formes humaines) apparaissent pour saisir un microorganisme
autour du corail. La rencontre devient totale par ce rituel numérique ainsi proposé, d'une
offrande au corail vivant dans les abysses. La réalité virtuelle est en ce sens un médium
particulièrement intéressant, car elle permet des expériences où l’on peut s’extraire des conditions
matérielles du monde réel, pour un temps, pour forcer d’autres manières de percevoir ou d’envisager
un habitat. En ce sens, elle nous semble particulièrement pertinente pour questionner notre relation au
non-humain.
Éléments de discussion
Dans l'ouvrage Immersion : Rencontre des mondes atlantique et pacifique 19 , l'anthropologue Hélène
Artaud revient sur une rencontre historique : la rencontre entre ce qu'elle nomme perspective atlantique
de l'océan incarné par la figure de l'explorateur anglais James Cook et la perspective pacifique de
l'océan, que l'on peut personnifier par la figure du prêtre polynésien Tupaia. Elle met en exergue dans
cet ouvrage la fertilité de cette rencontre et les prévalence encore en cours de la perspective atlantique.
La plupart des européens qui ont décrit les milieux marins, l'ont fait depuis un point de vue continental,
et vont créer des analogies entre terre et mer, tels que le corail comme un jardin chez Malinowski ou la
comparaison des pêcheurs lagonaires avec les paysans dans les travaux d'anthropologie maritime.
Artaud voit dans l'usage de termes continentaux (prairies, forêts, jardin, etc.) employés pour décrire le
monde océanique une prévalence de cette perspective atlantique. Les invariants de la perspective
atlantique envers la mer sont : la peur, l'esprit de conquête, la continentalité et la médiation
technologique. Artaud nous ramène à notre héritage continental et nous invite à nous poser la question
de la pertinence de l'usage de ce terme de « forêt » pour évoquer les habitats de biodiversité que sont
les récifs coralliens, coralligènes et octocoralliaires. Dans le cas particulier du corail, il y a un paradoxe
supplémentaire. Le corail soulève un imaginaire fertile, fait d'inter-relations et de coexistences interspécifiques.
Pourtant, le corail est aussi comparé à un « HLM à poissons ». Artaud cite les travaux de
l'anthropologue américain Stefan Helmreich et de la philosophe Donna Haraway sur le corail comme
métaphore du faire ensemble et de la sympoïèse. En effet, le corail est « une métaphore vive pour
penser un monde contraint de se renouveler, d'opérer un revers critique sur ses fondements » 20 Artaud
remarque également comment cet animal est en train de devenir une mégafaune charismatique, à
l'image de la baleine, « les coraux sont autant des « fictions qui symbolisent et incarnent les tensions,
les tendances et les transformations sociales et scientifiques » que « des créatures réelles ».
L'enchantement suscité par cette entité fabuleuse, à l'origine d'un « sentiment d'émerveillement », ne
serait pas à ce titre indifférent à l'intérêt que lui ont porté de bonne heure et continue de le faire les
scientifiques. » Aujourd'hui encore, la complexité ambiguë et symbiotique des coraux reste souvent
attachée à des discours de domination (il faut sauver le corail) et de métaphores le comparant à des
constructions humaines (la maison des poissons). Ainsi, à l'endroit où on pourrait s'attendre à un
sursaut de posture, il y a aussi comme l'écrit Artaud « un élément de de réactivation d'une composante
classique du monde occidental ».
19 Artaud, H. (2023). Immersion : Rencontre des mondes atlantique et pacifique. Éditions La Découverte.
20 idem., p. 205
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Si le lien terre-mer existe bel est bien (et ceci également dans la perspective Pacifique 21 ), et que la
continuité entre l'océan et la terre nous semble une bonne manière d'étendre notre regard au-delà de
notre perspective continentale, il ne reste pas moins qu'il faut prendre la mesure de nos héritages et de
nos potentiels biais culturels dans la manière dont nous faisons la médiation de concepts scientifiques
touchant à la perception des milieux marins. Sans aucun doute, les collaborations arts-sciences
permettent d'épaissir les perspectives et de multiplier les points de vue avec lesquels nous regardons le
monde et notamment les entités vivantes marines. Les apports arts sciences permettent de faire exister
des récits pluriels incarnant des savoirs locaux, les recherches en biologie marine actuelles et d'explorer
des imaginaires sur les coraux nous permettant de nous relier à eux, réanimant un affect et une
importance à la mer dont nous pensons qu'elle est l'une des conditions de réussite d'un changement de
société en faveur d'une meilleure adéquation de nos relations à l'océan. Pour l'anthropologue Davide
Torri, une histoire sociale du corail reste à écrire 22 , une histoire qui mettra en lien différentes
disciplines et nous mettra en exergue la qualité inter-spécifique et multi-spécifique du corail.
Conclusion
Cette contribution a mis en lumière l'apport de la technologie de réalité virtuelle pour faire une
expérience sensible du concept scientifique des forêts animales marines aux enjeux médiatiques
importants pour la conservation des écosystèmes marins. Le projet met en lumière un apport positif
entre arts (ici par la pratique du média design) et sciences (biologie marine). Cet apport positif peut se
mesurer par les autres collaborations qui ont découlé de notre rencontre telle qu'une série de vases,
Rubrum (2021), en impression 3D argile autour de l'architecture des apex du corail rouge, un diptyque
en verre à propos de l'acidification du corail et de la géométrie des sclérites Amoncellement, dissolution
(2021) 23 , et notre ouverture réciproque à des événements scientifiques spécialisés en design et sur les
récifs coralliens. Cette collaboration fertile est, nous l'espérons, inspirante pour d'autres initiatives et
montrent qu'il est tout à fait possible de faire science et art, un projet commun. Nous invitons dans cet
article à continuer la promotion de projet art-science en favorisant les conditions de rencontres des
artistes et des scientifiques et en accompagnant institutionnellement ces rencontres pour faire aboutir
les fruits de ces rencontres.
Biographies des auteurs
Dr. Elise Rigot est chercheuse en design (affiliée aux laboratoires LAAS-CNRS & LLA-CRÉATIS).
Dans son travail, elle explore les savoirs sensibles, comment les formes des pratiques scientifiques
peuvent faire l'objet d'une attention de la part des designers pour ouvrir d'autres manières de faire
science. Son approche transdisciplinaire mêle technologies 3D, media design & sciences naturelles.
Dr. Lorenzo Bramanti est chercheur au LECOB-CNRS (Observatoire Océanologique de Banyuls sur
mer). Ses recherches portent sur la conservation, l'écologie, la restauration et la dynamique des
populations de coraux. Le cœur de sa recherche est l'application du concept de forêt animale marine de
manière transversale pour répondre aux questions sur l'écologie fonctionnelle et la dynamique de
résilience des écosystèmes coralliens. Lorenzo Bramanti est co-éditeur de deux livres SPRINGER sur
les forêts animales sous-marines.
21 L'anthropologue Frédéric Torrente rappelle que la branche de corail vivante était extraite de l'océan et placée dans les temples des temps
anciens (Marae) afin d'incarner la mer sur la terre et protéger le pêcheur parti dans le grand Océan. in Torrente, F., & Sanguinet, M. (2020). Te ara
moana, Le chemin de l’Océan : Guide des Aires marines éducatives de Polynésie française. p. 132
22 Torri, D. (2020). The Coral Tree at the End of the World : Introductory Notes to Coralline Mythology and Folklore from the Indian and Pacific
Oceans. In Perspectives on the Marine Animal Forests of the World (p. 1‐ 16). Springer. p.5
23 Ces travaux sont visibles dans la thèse d'Elise Rigot disponible en ligne à ce lien : https://theses.hal.science/tel-03847672
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Bibliographie
Artaud, H. (2023). Immersion : Rencontre des mondes atlantique et pacifique. Éditions La Découverte.
Communication & design—CNRS Editions. (s. d.). Consulté 15 janvier 2024, à l’adresse
https://www.cnrseditions.fr/catalogue/revues/communication-design/
de La Bellacasa, M. P. (2017). Matters of care : Speculative ethics in more than human worlds (Vol. 41). U of Minnesota
Press.
Haraway, D. (2016). Staying with the Trouble Making Kin in the Chthulucene (Duke University Press).
Haraway, D. J. (2020). Vivre avec le Trouble. Vaulx-en-Velin, Les Éditions des mondes à faire.
Morizot, B. (2023). L’inexploré. éditions Wild project.
Nelson, H., & Bramanti, L. (2020). From trees to octocorals : The role of self-thinning and shading in underwater animal
forests. In Perspectives on the Marine Animal Forests of the World (p. 401‐417). Springer.
Rigot, E. et Vieu, C. (2024) « Corallum fabrica : une archive vivante comme média d'encapacitation pour la recherche
scientifique », in Communication & design, créations collectives (dir. Lionel Lavarec), Hermès La Revue, CNRS
éditions, collection Essentiel
Rigot, E. (2022). Design & savoirs sensibles : Une recherche-création sur les technologies 3D et l’ingénierie du vivant au
sein de l’anthropocène. Université Toulouse – Jean Jaurès.
Rossi, S., Bramanti, L., Gori, A., & Orejas, C. (2017). An overview of the animal forests of the world. Marine Animal
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Torrente, F., & Sanguinet, M. (2020). Te ara moana, Le chemin de l’Océan : Guide des Aires marines éducatives de
Polynésie française.
Torri, D. (2020). The Coral Tree at the End of the World : Introductory Notes to Coralline Mythology and Folklore from
the Indian and Pacific Oceans. In Perspectives on the Marine Animal Forests of the World (p. 1‐16). Springer.
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