Crevettes à la plancha accompagnées de légumes et de fruits au Siago Beach Resort ; à gauche : Ie lobby rustique chic de l’Inara ; à droite : Jenn Fernandez et Daniel Alfaro de Golden Monstera. « Qui que vous soyez et quelle que soit l’épaisseur de votre portefeuille, le mode de vie est pareil pour tous, observe Chris Alfaro. Nous partageons les mêmes valeurs, le même amour pour cette île. Tout le monde côtoie tout le monde. C’est une communauté très soudée. Les endroits comme celui-ci, où les gens laissent leur ego de côté, sont rares. » Quel est donc le secret de cette île qui cultive l’authenticité des relations humaines ? La réponse est simple : ici, on vous apprécie pour qui vous êtes, et non pour ce que vous êtes. L’influence sans doute de la nature qui vous entoure : la puissance des eaux bleues, la force irrésistible des marées, l’appel des vagues. « Jamais je ne me suis senti aussi proche de la nature, commente Jay Perez-Rubio, ancien habitant de Los Angeles. À Siargao, la lune et les marées cadencent le temps et la vie. » C’est une horloge naturelle qui rythme ainsi la vie de toute l’île. Sur les vagues, il n’y a pas de place pour le chacun pour soi, ni pour la frime. « On rit beaucoup », confie Ikit Agudo, originaire de l’île et championne de longboard. Je l’ai rejointe à Matanjak pour ma première leçon. Comment auraisje pu dire non à la reine du surf de Siargao ? Le site est passablement fréquenté pour un début de matinée, mais l’humeur est légère. Allongée sur ma planche dans l’attente d’une vague digne de mon niveau – une vaguelette ! –, je me laisse bercer en observant la spontanéité des relations entre surfeurs. Ikit, très à l’aise, encourage tout son monde. « Redresse-toi, c’est mieux pour ton équilibre. » « Prends cette vague-là, la prochaine sera pour moi. » « Vas-y tatay ! », crie-t-elle à son père qui surfe à proximité. Bavardages bon enfant, conseils sympas et « woohoos ! » encourageants résonnent dans l’air. Nous sommes dans leur élément. La magie opère. Ikit surfe deux fois par jour en plus de ses cours. « Le matin, je retrouve tout le monde sur les vagues. Puis, quand la mer se calme, on se regroupe sur la plage et on attend le retour des rouleaux, précise-t-elle en souriant. C’est notre raison de vivre. Le surf, c’est la liberté. On ne pense à rien, on se concentre juste pour ne pas tomber. On se laisse emporter par la vague, on absorbe son énergie. » Le 16 décembre 2021, cette énergie a malheureusement pris un visage menaçant. Le typhon Rai (ou Odette), de catégorie 5, a déferlé sur l’île avec des vents d’une force inouïe, détruisant tout sur son passage. Siargao renaissait doucement après la pandémie et ceux qui avaient réussi à sauver leur activité venaient d’investir lourdement en vue du retour des touristes. Odette a stoppé net cet élan et ravagé l’île et son économie. Heureusement, le typhon a frappé en plein jour et n’a fait que très peu de victimes. Mais les conséquences ont été quasi apocalyptiques. « Nous sommes restés des mois sans électricité, ni eau, ni téléphonie mobile », se 78 CENTURION
appelle Jenn Fernandez. On nous a dit d’acheter une machette pour nous protéger des pillards. L’île était en mode survie. » Et puis, immuable comme les marées, la vie a repris son cours. « Ceux qui auraient pu partir sont restés pour aider à la reconstruction, se souvient Jay Perez- Rubio. On a mobilisé nos forces et nos relations, participé à la collecte de fonds et distribué les biens de première nécessité. » Le Barbosa a organisé des événements à Manille ; Golden Monstera a vendu plus de 2 000 bracelets en cuivre et fait don d’un million de pesos philippins (20 000 USD) pour aider 62 familles. D’autres se sont serré les coudes pour les petites choses du quotidien. L’eau potable étant une denrée rare après la catastrophe, Heidi Ganaden a mis gratuitement à disposition les douches de sa maison d’hôtes, Lubihan Resort. « Nous pouvions retourner à Manille, mais nous sommes restés pour aider Siargao à se relever. » Tout comme les vagues, les typhons se moquent du statut. Personne n’a été épargné, pas même les luxueuses propriétés comme le Nay Palad Hideaway. Difficile d’imaginer, à l’heure où j’admire le ciel se teinter d’or au coucher du soleil, que ce merveilleux La championne de longboard Ikit Agudo surfe sur les vagues de Cloud 9, le spot de l’île mondialement connu. CENTURION 79
