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GESTE<br />
.,1<br />
Simone Pheulpin - Entrezdansladanse-2000-tissu épinglé-50x 30 x 80 cm @Apolona Robin<br />
SIMONE<br />
PHEULPIN<br />
De Leibniz à Deleuze, ses sculptures textiles auraient<br />
sans doute inspiré les philosophes du pli.<br />
> FHÉDÉRIOUE.ANNE OUDIN<br />
Au départ, il y a u une petite boule de matière qui permet<br />
de piquer la première épingle ,. Ensuite u c'est un geste,<br />
une répétition », QUi<br />
« pli sur pli, pli selon pli », comme<br />
l'écrit G. Deleuze (Le Pli,19BB), dirige le tissu et transforme<br />
une bande de coton écru en une sculpture, où l'abstraction<br />
vient nous dire toute l'harmonie de la nature et du<br />
vivant. 0ù le pli se cherche entre un classicisme grec que<br />
suggère l'écru de la matière et un baroque des formes.<br />
Le pli est pour Simone n l'unité de matière , (G. Deleuze),<br />
qui lui permet de retranscrire le monde. Sous ses doigts,<br />
le coton se déploie en éventail, se fait concrétion, strate<br />
géologique, se fissure, s'ouvre en corolle, s'enroule en<br />
cercle concentrique. Le pli vient dire la pierre, le fossile,<br />
la mousse de l'arbre ou ses cercles de croissance : ilvient<br />
délimiter une poftion de temps. ll en est une unité. Ce sont<br />
de multiples temporalités que ces æuvres convoquent. À<br />
la portion de temps qui va d'un pli à un autre, répond le<br />
temps de l'artiste. Elle le fait avancer à son fihme, jusqu'à<br />
ce qu'elle décide que n c'est bien comme cela ,,<br />
De son æuvre, S. Pheulpin dit qu'elle est n le fruit d'un<br />
heureux hasard ,, qui un jour lui fit enrouler et assembler<br />
le coton des Vosges qu'elle utilisait jusqu'alors à des<br />
fins décoratives ; une éclosion XXL qui fit du professeur<br />
de tennis qu'elle fut une aftiste aujourd'hui internationalement<br />
reconnue, et que l'artiste américaine Sheila Hicks<br />
aura contribué à faire découvrir<br />
Autodidacte, elle travaille de manière intuitive, sans dessin<br />
ni étude préparatoire. u Je sais où je veux aller. Tout<br />
est déjà dans ma tête, très précisément ,, explique-t-elle.<br />
Læuvre se construit dans un dialogue avec la matière :<br />
un calicot brut, encore rêche, qu'elle va devoir discipliner<br />
pour lui faire prendre Ie pli voulu. Du blanc écru qui<br />
est la couleur naturelle du coton, S. Pheulpin dit qu'elle<br />
1-1'2 « pâs envie d'autre chose ,, qu'elle aime la manière<br />
dont o la lumière vient jouer avec la matière ,, la tirant<br />
vers une minéralité qui, du crayeux à l'ivoire, fait hésiter<br />
l'æil sur la nature de ce qu'il voit.<br />
Dans le pli est cachée l'épingle. S. Pheulpin en utilise des<br />
milliers. Elles seules tiennent ses sculptures. Les petites<br />
pointes de métal assemblent les plis et les courbes du<br />
Iabyrinthe de coton. Elles soutiennent l'æuvre, tout en suivant<br />
la tangente. l-épingle va toujours en ligne droite et<br />
inscrit son propre discours. C'est une écriture de I'intérieur<br />
qui n'est ni l'envers du pli, ni l'objet en creux mais<br />
un mouvement a,gtre, né de la synergie de ces milliers<br />
d'épingles, une æuvre intangible, invisible, révélée à la<br />
faveur de radiographies que l'artiste a fait faire de ses<br />
æuvres. Elle vient nous dire que tout pli recèle un secret,<br />
que toute création relève d'un mouvement mystérieux,<br />
Qui fait parfois dire à Simone Pheulpin : n Je ne savais<br />
pas que je savais le faire, , I<br />
Ce texte, ici condensé, a été publié dans son intégralité dans <strong>Artension</strong><br />
n'150 en <strong>2018</strong>,<br />
62 artension hors-série no25