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Archeologie montagne brulee allege

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Archéologie<br />

d’une<br />

<strong>montagne</strong><br />

brûlée<br />

Massif de Rodès, Pyrénées-Orientales<br />

OUVRAGE DIRIGÉ PAR<br />

Olivier Passarrius<br />

Aymat Catafau<br />

Michel Martzluff<br />

CONTRIBUTIONS<br />

Patrice Alessandri<br />

Patrick Barthes<br />

Marjorie Bernat-Gaubert<br />

Marc Calvet<br />

Jean-Pierre Comps<br />

Carine Coupeau-Passarrius<br />

Johanna Faerber<br />

Denis Fontaine<br />

Pierre Giresse<br />

Richard Iund<br />

Céline Jandot<br />

Jérôme Kotarba<br />

Peter McPhee<br />

Nicolas Marty<br />

Sabine Nadal<br />

Valérie Porra-Kuténi<br />

Alain Vignaud


Archéologie<br />

d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

massif de Rodès, Pyrénées-Orientales


Collection Archéologie départementale<br />

Pôle archéologique départemental<br />

Archéologie<br />

d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

massif de Rodès, Pyrénées-Orientales<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff<br />

directeurs de publication<br />

éditions Trabucaire


ISBN 978-2-84974-101-6 ©2009


Auteurs et collaborateurs<br />

Ouvrage dirigé par<br />

- Olivier Passarrius,<br />

Docteur en histoire médiévale, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées‐Orientales.<br />

- Aymat Catafau,<br />

maître de conférences, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes (CRHiSM),<br />

Université de Perpignan.<br />

- Michel Martzluff,<br />

Maître de conférences, Université de Perpignan, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse, président de l’AAPO.<br />

Avec les contributions de<br />

- Patrice Alessandri, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).<br />

- Patrick Barthes, Technicien, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES, Université de Perpignan.<br />

- Marjorie Bernat-Gaubert, Étudiante, Master de Géographie, Université de Perpignan.<br />

- Marc Calvet, Professeur, Université de Perpignan, directeur du laboratoire Médi-Terra.<br />

- Jean-Pierre Comps, Chercheur associé à l’UMR 5140 du CNRS.<br />

- Carine Coupeau-Passarrius, PEMF, Éducation Nationale, Perpignan.<br />

- Johanna Faerber, Maître de conférences, Université de Perpignan, laboratoire Médi-Terra.<br />

- Denis Fontaine, Archives Départementales, Conseil Général des Pyrénées-Orientales.<br />

- Pierre Giresse, Professeur émérite, Laboratoire d’Études des Géo-Environnements Marins, IMAGES,<br />

Université de Perpignan.<br />

- Richard Iund, Archéologue animateur au Château-Musée de Bélesta, chercheur associé à l’UMR 5608<br />

CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.<br />

- Céline Jandot, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).<br />

- Jérôme Kotarba, Ingénieur de Recherches, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).<br />

- Peter McPhee, Professeur, Université de Melbourne (Australie).<br />

- Nicolas Marty, Maître de conférences, Université de Perpignan, Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés<br />

Méditerranéennes (CRHiSM).<br />

- Sabine Nadal, Archéologue, Association Archéologique des Pyrénées-Orientales.<br />

- Valérie Porra-Kuténi, Pôle Archéologique Départemental, Conseil Général des Pyrénées-Orientales,<br />

chercheur associé à l’UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.<br />

- Alain Vignaud, Archéologue, UMR 5608 - CNRS - CRPPM - EHESS, Toulouse.


Remerciements<br />

Les auteurs tiennent à remercier pour leur soutien au projet d’étude de la Montagne brûlée et pour leur participation<br />

à la préparation de cet ouvrage : l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales (AAPO), l’Université de<br />

Perpignan-Via Domitia (UPVD), le Conseil Général des Pyrénées-Orientales, le CRHiSM (Centre de Recherches<br />

Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes - UPVD), le laboratoire Médi-Terra (UPVD), le CAUE des Pyrénées-<br />

Orientales (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement).<br />

Ce travail n’aurait pu être réalisé sans le dévouement des membres de l’Association Archéologique des Pyrénées-<br />

Orientales, bénévoles ou étudiants de l’Université de Perpignan : Anne Besnier-Desportes, Claude Ducar, Jeanne<br />

Ferrer, Monique Formenti, Huguette Grzesik, Marcel Henric, Marie Huc, Pauline Illes, Marie-Lou Lannuzel,<br />

Gilbert Lannuzel, Farid Melal, Sabine Nadal, Philippe Roca, Joseph-Michel Vila. Ont aussi participé aux stages de<br />

prospections et de relevés : Anne‐Charlotte Astrou, Valentine Baudry, Sandrine Bienfait, Noëlle Canadell, Carine<br />

Coupeau-Passarrius, Renaud Prats, Clément Ternisien, Simon Tible.


Préface<br />

Christian Bourquin - Président du Conseil général des Pyrénées‐Orientales<br />

Il n’aura fallu finalement que quelques heures pour que près de 2 000 hectares de forêt méditerranéenne soient réduits<br />

en cendres, dans le verrou de Rodès, aux portes du Conflent, dans les Pyrénées-Orientales. L’incendie, qui s’est déclaré<br />

le 22 août 2005, a nécessité l’intervention de 700 pompiers des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault, du Gard<br />

mais aussi du Vaucluse et de la Drôme. Plus de 200 véhicules secondés par huit avions bombardiers d’eau et deux<br />

hélicoptères ont également été engagés dans la lutte contre le feu, qui ne fut réellement maîtrisé que le 24 août.<br />

Les dégâts sont immenses et il faudra des années pour effacer la cicatrice, dans une zone déjà sinistrée plusieurs fois<br />

par le passé. Dans les semaines suivant l’incendie, la désolation s’exprimait partout, dans les branches et les arbres<br />

carbonisés, les pierres et les bâtiments noircis ou encore dans ce silence troublant, sans insecte ni oiseau.<br />

Ce livre prend la tragédie à contrepied, il bouscule notre représentation de la <strong>montagne</strong> brûlée et l’on s’émerveille et<br />

s’étonne alors du paysage qui se dévoile sous nos yeux, au fil des pages et des photographies. Nous voilà propulsés<br />

quelques générations en arrière, presque celles de nos arrières grands-parents, qui arpentaient une autre <strong>montagne</strong>,<br />

pleine de vie, aménagée de terrasses, d’enclos, desservies par des sentiers muletiers, des chemins de troupeaux menant<br />

à un semis de cabanes, de bergeries, les casots et les cortals catalans. Ce paysage s’est construit au gré des flux et reflux<br />

du peuplement et ce livre nous permet d’en découvrir toute l’histoire, depuis le plus lointain Paléolithique avec les<br />

premières traces d’installation humaine, il y a un demi-million d’années, jusqu’au XX e siècle avec les nouveaux usages<br />

de la <strong>montagne</strong>.<br />

Cet ouvrage est l’aboutissement d’une formidable aventure initiée, encore une fois, par l’Association Archéologique<br />

des Pyrénées-Orientales. Ceci est la preuve de la vitalité du tissu associatif et de la nécessité de le maintenir et de soutenir<br />

ses actions, notamment dans le domaine culturel. Regroupant des bénévoles, des universitaires, des chercheurs,<br />

des étudiants et des professionnels de l’archéologie, cette association a constitué le socle de l’étude en organisant les<br />

longues journées de terrain destinées à arpenter et étudier, parfois mètre carré par mètre carré, le sol calciné de la<br />

<strong>montagne</strong>. Elle a fédéré autour de ce projet les institutionnels qui ont permis la poursuite des études et les premiers<br />

essais de valorisation et de présentation au public avec l’organisation en juin 2007 de deux journées d’étude consacrées<br />

à la <strong>montagne</strong> brûlée : l’Université de Perpignan, au travers du Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés<br />

Méditerranéennes (CRHiSM) et du laboratoire Médi-Terra, mais aussi le Conseil Général des Pyrénées-Orientales<br />

et notamment le Pôle Archéologique Départemental, la Direction des Archives Départementales et le Conseil d’Architecture,<br />

d’Urbanisme et d’Environnement (CAUE).<br />

Ce livre marque aussi le second opus de la toute jeune « Collection Archéologie Départementale » initiée par le Conseil<br />

Général des Pyrénées-Orientales et destinée à soutenir la publication de la recherche archéologique en Pays catalan.<br />

En diffusant la connaissance de notre passé, en la rendant accessible au plus grand nombre, elle nous permet de mieux<br />

comprendre et de protéger l’héritage qui nous a été transmis.<br />

Aujourd’hui la cicatrice du sinistre sur la <strong>montagne</strong> s’est à peine résorbée et il faudra du temps, beaucoup de temps<br />

encore pour que le massif ne se régénère. L’empreinte de l’homme, de son activité séculaire, offerte aux regards le<br />

temps d’un hiver, s’est effacée, à nouveau, sous le maquis naissant. Il ne reste en somme plus que quelques bâtisses<br />

anciennes qui surgissent des broussailles et ce livre, pour mémoire.


Collection Archéologie Départementale<br />

Comité de direction :<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Christine Langé<br />

Comité scientifique :<br />

Aymat Catafau, Christine Langé, Michel Martzluff,<br />

Olivier Passarrius, Olivier Poisson, Valérie Porra-Kuténi, Marie-Pasquine Subes<br />

Ouvrages parus dans la Collection Archéologie Départementale :<br />

n o 1 : PASSARRIUS (O.), DONAT (R.), CATAFAU (A.) dir. – Vilarnau. Un village du Moyen Âge en Roussillon,<br />

Collection Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2008, 516 p.<br />

n o 2 : PASSARRIUS (O.), CATAFAU (A.), MARTZLUFF (M.) dir. – Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée, Collection<br />

Archéologie Départementale, Pôle Archéologique Départemental, éd. Trabucaire, 2009, 504 p.


Table des matières<br />

Introduction De la prospection à l’histoire des paysages ..................................................................13<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff<br />

première partie : l’événement et le cadre<br />

chapitre I L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 :<br />

caractéristiques du feu et impact sur la végétation................................................ 29<br />

Johanna Faerber<br />

chapitre II Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée....................................................................... 39<br />

Marc Calvet<br />

Deuxième partie : Les premières occupations humaines<br />

chapitre III Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique<br />

du bassin moyen de la Têt, entre Roussillon et Conflent........................................ 59<br />

Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal<br />

chapitre IV L’occupation du plateau de Rodès et Montalba-le-Château<br />

à l’âge du Bronze................................................................................................................. 101<br />

Alain Vignaud<br />

Annexe I Bracelets et autres artefacts, aspects technologiques........................................ 139<br />

Alain Vignaud<br />

Annexe II Les anses à appendice du plateau de Ropidera............................................................ 167<br />

Richard Iund<br />

Annexe III Les deux petits dolmens de Rodès<br />

et leur place dans le mégalithisme des Pyrénées-Orientales.............................. 171<br />

Valérie Porra-Kuteni<br />

chapitre V Le plateau de Ropidera à l’époque romaine :<br />

un secteur inoccupé entre deux groupes culturels................................................. 179<br />

Jérôme Kotarba<br />

Troisième partie : La <strong>montagne</strong> et les sociétés traditionnelles<br />

chapitre VI Ropidera, le village médiéval.......................................................................................... 187<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau<br />

chapitre VII Le temps des chemins. La circulation en Bas-Conflent, au nord de la Têt<br />

du Moyen Âge à la fin du XIX e siècle............................................................................. 207<br />

Jean-Pierre Comps


chapitre VIII Aménagements agraires et élevage au Moyen Âge...................................................229<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Denis Fontaine<br />

chapitre IX La <strong>montagne</strong> de la fin du Moyen Âge au début du XIX e siècle :<br />

cultures aux marges et terrains de pâture............................................................... 245<br />

Aymat Catafau, Olivier Passarrius avec la collaboration de Denis Fontaine<br />

Chapitre X Une carrière de marbre en Roussillon : Les Pedreres (Bouleternère),<br />

source méconnue du bâti monumental médiéval et moderne............................................... 263<br />

Michel Martzluff, Pierre Giresse avec la collaboration de Denis Fontaine et de patrick Barthes<br />

chapitre XI des pierres pour bâtir.<br />

exploitation traditionnelle du substrat minéral depuis le moyen âge aux marges<br />

de la plaine du roussillon (<strong>montagne</strong> de rodès, Bouleternère et ille-sur-têt)....................299<br />

Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal et de Denis Fontaine<br />

Annexe I Sur le plateau de Ropidera (Rodès) :<br />

le four de matériaux de construction de Les Clottes.............................................343<br />

Céline Jandot<br />

Annexe II Le four à chaux de Les Pedreres (Bouleternère)..................................................... 353<br />

Céline Jandot<br />

QuATrième partie : Vers la modernité.<br />

D’un monde plein à des territoires en déprise<br />

chapitre XII Des routes aux sentiers de randonnée...................................................................... 361<br />

Jean-pierre Comps<br />

chapitre XIII Des terrasses à perte de vue...<br />

De la mise en valeur systématique d’un territoire à sa déprise (de 1832 à nos jours).......... 369<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau avec la collaboration de Patrice Alessandri et de Carine<br />

Coupeau-Passarrius<br />

chapitre XIV Démographie et activités économiques :<br />

éléments pour une histoire des transformations de Rodès<br />

entre 1850 et 1940............................................................................................................. 417<br />

Nicolas Marty<br />

chapitre XV Riches et pauvres, royalistes et républicains à Rodès (1789-1851)......................... 431<br />

Peter McPhee<br />

chapitre XVI L’héritage archéologique du monde industriel dans les zones brûlées :<br />

mines et carrières contemporaines............................................................................ 453<br />

Michel Martzluff avec la collaboration de Sabine Nadal<br />

chapitre XVII Les nouveaux usages de la <strong>montagne</strong>.......................................................................... 475<br />

Marjorie Bernat-Gaubert<br />

conclusion De l’histoire des paysages à la valorisation des sites........................................... 485<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff<br />

Bibliographie ............................................................................................................................................... 493


À la mémoire de Pierre-Yves Genty (1944-2005)<br />

pionnier des prospections archéologiques en Languedoc‐Roussillon<br />

Se n’han fet un fart<br />

de muntar murs i rocs<br />

per aixecar les feixes<br />

i guanyar a la muntanya<br />

l’espai de la garrofa,<br />

les espatlles dels homes.<br />

Perquè tot torni<br />

avui<br />

reialme de ginestes.<br />

Elles s’y sont crevées,<br />

les épaules des hommes,<br />

à monter murs et pierres<br />

pour construire ces feixes<br />

et gagner sur la <strong>montagne</strong><br />

l’espace qu’il faut pour vivre.<br />

Pour que tout redevienne<br />

aujourd’hui<br />

royaume des genêts.<br />

Jordi Pere Cerdà<br />

(traduction : Marie Grau)


Introduction<br />

De la prospection à l’histoire des paysages<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff<br />

Photo J. Roig - RMD agency<br />

Le feu dit de Tarerach débute le lundi 22 août 2005,<br />

aux alentours de 14 h 00, en bordure de la RD 47, entre<br />

les villages de Montalba-le-Château et de Tarerach. Il<br />

n’est maîtrisé que le mardi 23 août et éteint le jeudi 25,<br />

ayant ainsi parcouru 1 970 hectares de maquis, de landes,<br />

de bosquets de chêne vert et de chêne liège. La zone<br />

brûlée, immense, s’étire sur environ 6 km d’est en ouest<br />

et sur 3,5 km du nord au sud.<br />

Dans un premier temps, le feu s’est d’abord étendu sur<br />

la rive nord de la Têt (environ 1 200 hectares) depuis la<br />

route départementale n o 17, le village de Montalba-le-<br />

Château et la route départementale n o 2 au nord, entre<br />

le ruisseau de Tarerach et la route départementale n o 13<br />

à l’ouest et le ravin de la Coume Dardenne à l’est. Puis<br />

le 22 août, vers 18 h 30, attisées par la tramontane, les<br />

flammes ont franchi le fleuve, traversé la route nationale<br />

116 à hauteur du Col de Ternère et embrasé les<br />

hauteurs dominant le village de Bouleternère, entre la<br />

route départementale n o 618 et l’ermitage de Domanova,<br />

avant d’être définitivement étouffées.<br />

Les territoires communaux de Rodès, Ille-sur-Têt,<br />

Tarerach, Montalba-le-Château et Bouleternère ont<br />

été touchés par l’incendie, à des degrés divers. Le feu,<br />

dont le développement a été très véloce compte tenu<br />

du vent violent de nord-ouest (vitesse de progression<br />

évaluée à 1700 m/h), a parcouru rapidement la<br />

végétation, ne brûlant pas les arbres en profondeur<br />

et permettant à bon nombre d’entre eux de survivre.


14 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Espagne<br />

France<br />

Marseille<br />

Perpignan<br />

Barcelone<br />

Département de l'Aude<br />

L'Agly<br />

Département de l'Ariège<br />

La Têt<br />

MER<br />

MÉDITERRANÉE<br />

ANDORRE<br />

La Tet<br />

Le Tech<br />

Canigou<br />

Altitude<br />

ESPAGNE<br />

2500 m<br />

2000 m<br />

1500 m<br />

Montalba-le-Château<br />

1000 m<br />

350 m<br />

0 25 km<br />

150 m<br />

Plateau<br />

Ropidera<br />

Rodès<br />

La Têt<br />

Casesnoves<br />

Ille-sur-Têt<br />

Bouleternère<br />

Localisation du massif incendié.<br />

Vinça<br />

- - - limites de la zone incendiée<br />

0 2 km<br />

Au cœur même de la zone, les vents tourbillonnants ou<br />

la présence d’habitations défendues par les pompiers, ont<br />

préservé certains secteurs boisés, sur le versant sud-est du<br />

massif de la Cougoulère, autour des mas habités, ou encore<br />

au confluent du ravin d’El Bosc Negre et du Bellagre.<br />

Depuis la route nationale n o 116, le long des rives du lac<br />

de Vinça, le regard est saisi par la richesse et la variété du<br />

paysage révélé par l’incendie. Partout des terrasses jusqu’à<br />

perte de vue, dans des endroits les plus improbables,<br />

accrochées à des pentes quasiment verticales ! Les temps<br />

peu lointains où la <strong>montagne</strong> toute entière était parcourue,<br />

aménagée et travaillée à main d’homme, se sont<br />

brusquement imposés à notre esprit étonné, et même<br />

stupéfait par l’ampleur de cette œuvre. En ce début de<br />

XXI e siècle, on a bien du mal à imaginer quelle somme<br />

de labeur, d’énergie et d’espoirs était investie chaque année,<br />

chaque saison, chaque journée, pour construire les<br />

murettes, égaliser les terrasses, remonter la terre, aménager<br />

les ruisseaux et les chemins, bêcher, planter, greffer,<br />

tailler, récolter... Pourtant les hommes et les femmes qui<br />

construisirent ces paysages étaient bien réels, et si proches<br />

de nous : à peine deux ou trois générations ont passé, et<br />

tout un monde s’est défait.<br />

En septembre 2005, les premières visites sur place ont<br />

permis d’apprécier rapidement le potentiel archéologique<br />

de la zone. Deux villages médiévaux désertés et leur territoire<br />

avaient été brûlés et « libérés » du maquis : le village<br />

de Ropidera, sur la commune de Rodès avec son église<br />

dite de « Les Cases » (Las Cazes sur les cartes IGN) et<br />

celui de Casesnoves sur la commune d’Ille-sur-Têt, en<br />

bordure de la Têt.<br />

Le contraste géographique entre le plateau de Rodès<br />

et de Montalba, émaillé de cuvettes hydromorphes dans<br />

les zones de chaos granitiques qui parsèment cet espace<br />

au nord et, vers le sud, les reliefs plus escarpés de la bordure<br />

du fleuve où le socle est souvent affleurant, laissait<br />

supposer un potentiel archéologique en adéquation avec<br />

les atouts des différents territoires : installations humai-


Introduction<br />

15<br />

nes nombreuses sur le plateau, élevage, arboriculture et<br />

installations temporaires sur les versants, sites défensifs<br />

ou de surveillance le long des crêtes dominant la vallée<br />

de la Têt. Ces reconnaissances ont également permis de<br />

prendre conscience de l’ampleur de l’impact de l’homme<br />

sur ce milieu. Peu de versants qui ne soient couverts de<br />

terrasses (les feixes en catalan), ou de murs d’épierrement,<br />

avec leur semis de cabanes, soit de forme rectangulaire<br />

avec couverture de matériaux périssables ou de tuiles, soit<br />

de forme carrée ou arrondie avec une couverture de dalles<br />

de granit disposées en encorbellement.<br />

Sur le plateau de Rodès, occupé en grande partie par<br />

des prairies jalonnées de vastes chaos granitiques, ont été<br />

localisées de nombreuses bergeries, mentionnées cortals<br />

sur les plans cadastraux napoléoniens, et dont les élévations<br />

gardaient la trace d’aménagements successifs, peutêtre<br />

le reflet dans la pierre d’évolutions agricoles des deux<br />

derniers siècles.<br />

incendies du Midi méditerranéen :<br />

vers une nouvelle forme d’investi-<br />

GATIon archéologique<br />

Notre projet de prospection systématique de la <strong>montagne</strong><br />

brûlée reposait sur quelques travaux précédents du<br />

même type, sur une première expérience locale et sur quelques<br />

éléments de comparaison dans le Midi de la France.<br />

En Roussillon, les premières recherches concernant<br />

un massif incendié ont été menées sur le piémont des<br />

Albères, sur le secteur de la Pave (communes d’Argelèssur-Mer<br />

et de Sorède). Cette zone a été ravagée durant<br />

l’été 1989 par un violent incendie qui a réduit en cendres<br />

près de 150 hectares de maquis, autour de l’ermitage de<br />

Notre-Dame du Château et des ruines du château d’Ultrera,<br />

mentionné dès le VII e siècle dans la documentation<br />

historique . Sur le terrain, les recherches menées<br />

dans le cadre du programme de prospection et d’inventaire<br />

des sites archéologiques de la basse vallée du Tech,<br />

coordonné par Jérôme Kotarba , se sont surtout concentrées<br />

sur la partie orientale de l’emprise. Les prospections<br />

pédestres ont été réalisées de façon systématique<br />

durant le mois de juin 1991, soit près de deux ans après<br />

le sinistre. Ces travaux ont permis l’inventaire de plusieurs<br />

sites de l’âge du Bronze ou du premier âge du Fer,<br />

. Récit de l’expédition de Wamba, en 673.<br />

. Kotarba, Pezin, Vignaud 1991.<br />

de faible superficie, installés le plus souvent sur un replat<br />

ou à l’abri d’un rocher . Cette occupation dense semble<br />

marquer le premier peuplement du massif : aucun site<br />

antérieur à cette période n’a en effet été mis au jour sur<br />

la zone d’étude. L’époque romaine n’est pas représentée<br />

et les quelques fragments d’amphore africaine collectés,<br />

attribuables à l’Antiquité tardive, sont probablement à<br />

mettre en relation avec le Castrum Vulturaria cité en 673<br />

lors du passage des troupes de Wamba. Plusieurs sites<br />

médiévaux ont également été mis en évidence. Ils sont<br />

liés pour la plupart à la présence de ce castrum et à la<br />

surveillance de la voie qui passe en contrebas, dans la<br />

vallée. Certains peuvent être interprétés comme des<br />

structures domestiques, des maisons villageoises ou des<br />

habitats dispersés dont les derniers sont abandonnés<br />

aux XIII e ‐XIV e siècles. Le site d’Ultrera fait aujourd’hui<br />

l’objet de fouilles programmées.<br />

Dans la région de Montpellier, des recherches similaires<br />

ont été entreprises dans la garrigue par Pierre-Yves<br />

Genty, sur les massifs situés au nord de la ville, en particulier<br />

dans des zones touchées par un incendie. En 1994,<br />

et après quatre années de prospections, près de 200 sites<br />

archéologiques inédits avaient été inventoriés mettant en<br />

lumière la richesse de ces territoires .<br />

Le 28 août 1989, un violent incendie ravage la <strong>montagne</strong><br />

Sainte-Victoire, immortalisée par Cézanne. 5 500 hectares<br />

de maquis ont été réduits en cendres, surtout sur<br />

le versant méridional de ce massif calcaire limité au sud<br />

par la vallée de l’Arc, un tributaire de l’Étang de Berre,<br />

et au nord par les plateaux de Peyrolles et la vallée de<br />

la Durance. Dès le mois de novembre, des prospections<br />

systématiques ont été entreprises sur les communes de<br />

Saint-Antonin et le plateau du Cengle qui présente une<br />

unité géographique de dimensions réduites mais bien<br />

définie sur le terrain : un piémont érodé, un plateau tabulaire,<br />

des terrasses alluviales, des dépressions en partie<br />

drainées . Sur certains oppida et notamment sur les sites<br />

de Saint-Antonin et de Bramefan, une prospection fine<br />

précédée par la mise en place d’un carroyage a été réalisée.<br />

. Se reporter à l’étude d’Alain Vignaud dans Kotarba, Pezin, Vignaud, 1991.<br />

. Ces travaux sont restés inédits mais tous les sites ont bien entendu fait l’objet<br />

d’une notice et sont inventoriés au sein de la Carte Archéologique Nationale.<br />

. D’Anna, Leveau, Mocci 1995, Walsh, Mocci 2003. Ce programme, coordonné<br />

par André D’Anna, a été retenu par le C.N.R.S dans le cadre de l’ATP<br />

« Grands projets d’archéologie métropolitaine », sous le titre « Occupations<br />

des sols et évolutions des paysages dans une <strong>montagne</strong> méditerranéenne : la<br />

Sainte-Victoire ». L’équipe plurisdiciplinaire regroupait, de 1990 à 1995, des<br />

chercheurs et des enseignants du C.N.R.S, des universités de Provence, de<br />

Tübingen en Allemagne et d’York en Angleterre.


16 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Le village de Rodès menacé par l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency).<br />

Au pied du château, le village de Rodès, le jour de l’incendie (cl. J. Roig - RMD agency).


Introduction<br />

17<br />

Quelques sondages, de faible superficie au sol, ont été<br />

implantés pour préciser la durée d’occupation. Les observations<br />

effectuées sur le massif permettent de distinguer<br />

plusieurs phases qui s’intègrent assez bien aux grandes<br />

tendances du peuplement élaborées pour la Provence.<br />

Une longue période de fréquentation épisodique couvre<br />

toute la Préhistoire jusqu’au milieu du Néolithique, elle<br />

est suivie d’une anthropisation généralisée du massif dont<br />

le processus est abouti à la fin du Néolithique. Cette époque<br />

est ensuite suivie d’une phase de déprise correspondant<br />

au recul, quasi-généralisé d’ailleurs en Provence, du<br />

peuplement à l’âge du Bronze. La période suivante, à partir<br />

du second âge du Fer est marquée par un foisonnement de<br />

nouveaux sites et la mise en place d’un peuplement dense<br />

et durable durant plusieurs siècles. Pendant l’époque romaine,<br />

et notamment à partir du milieu du I er siècle avant<br />

J.-C., la plupart des sites de hauteur sont abandonnés, car<br />

le changement du mode d’exploitation antique favorise la<br />

dispersion de l’habitat autour de vastes établissements<br />

agricoles installés plus bas dans la vallée.<br />

Ce projet, à l’origine une simple prospection diachronique,<br />

avait pour objectif de montrer que même sans fouille,<br />

à partir de la seule collecte de données de surface, il était<br />

possible de faire des observations sur l’occupation du sol<br />

allant au-delà du simple inventaire ou catalogage de sites.<br />

Pour la Préhistoire, le projet a permis de compléter la<br />

carte d’occupation du sol mais n’a entraîné aucune découverte<br />

originale par rapport aux connaissances antérieures.<br />

Pour les périodes protohistoriques et romaines, la prospection<br />

a surtout permis une meilleure connaissance des<br />

amphores permettant ainsi de mieux déterminer des sites<br />

peu marqués au sol. Les problèmes de conservation différentielle<br />

de la céramique, le relief souvent très escarpé et<br />

les difficultés de lisibilité du sol sont des contraintes qui<br />

n’ont pu être réellement maîtrisées et la carte archéologique<br />

obtenue reflète partiellement – comme le soulignent<br />

les auteurs de l’étude – celle des activités agricoles . En<br />

effet, l’abandon des labours et donc l’absence de renouvellement<br />

des indices en surface ont été considérés comme<br />

le principal obstacle pour la détection des sites.<br />

Dans le massif des Maures, un incendie a ravagé plus<br />

de 8 000 ha de forêt et de maquis en 1990, il fut suivi d’un<br />

projet de prospection archéologique, intégré au programme<br />

« Fréjus-Argens » mis en place un an avant le sinistre .<br />

. D’Anna, Leveau, Mocci 1995.<br />

. Projet « Hommes, espaces et techniques dans la région de Fréjus », sous<br />

Ces travaux de prospection, complétés par des sondages,<br />

ont permis de mettre en évidence une dynamique de peuplement<br />

particulière à ce massif, avec une occupation dense<br />

au second âge du Fer suivie d’une déprise et d’un hiatus<br />

dans l’occupation du massif durant l’Antiquité romaine .<br />

Les recherches méthodiques dans les massifs méditerranéens<br />

incendiés sont donc récentes et les premiers travaux<br />

ne remontent pas au-delà du début des années 1990<br />

alors même que la forêt s’embrase quasiment tous les étés,<br />

réduisant en cendres 25 000 hectares par an en moyenne.<br />

Dans le département des Pyrénées-Orientales, plus de<br />

50 000 hectares ont été détruits depuis 1973 et, à ce jour,<br />

seulement 2 000 ha ont fait l’objet de prospections archéologiques.<br />

Certes, depuis quelques années, ces recherches<br />

archéologiques ne peuvent plus être assimilées à des opérations<br />

d’archéologie préventive, car les aménagements des<br />

espaces à reboiser sont réduits au minimum. Le reboisement<br />

après l’incendie, avec la plantation de résineux sur<br />

des terrains aplanis au bulldozer, est désormais abandonné<br />

: les acteurs qui interviennent après le sinistre préfèrent<br />

accompagner la repousse et la reconquête naturelle de la<br />

forêt réduisant ainsi l’impact négatif sur le patrimoine.<br />

Les prospections menées sur ces massifs présentent un<br />

intérêt scientifique et patrimonial certain car elles offrent,<br />

en tous cas en Roussillon, des modèles de peuplement<br />

divergents de ceux de la plaine et permettent la mise au<br />

jour de vestiges dans un état de conservation remarquable.<br />

Sur le village de Ropidera par exemple, l’étude du<br />

bâti visible sans fouille a permis de lever le plan souvent<br />

complet de plusieurs maisons des XIV e -XV e siècles dont<br />

l’élévation était conservée jusqu’au premier étage.<br />

Le faible nombre d’opérations archéologiques sur ces<br />

massifs incendiés s’explique par la difficulté à mettre en<br />

place dans un délai très court des interventions d’envergure<br />

qui nécessitent un investissement lourd en temps, en<br />

fonction de la superficie du sinistre et de la nature du terrain,<br />

souvent accidenté dans le Midi et difficile à arpenter.<br />

De plus, excepté pour quelques cas particuliers, la reprise<br />

de la végétation est rapide et, dès le printemps et sur la<br />

zone qui nous occupe ici, l’herbe, les ronces et les buissons<br />

ont réduit quasiment à néant la lisibilité dès le mois de<br />

mai 2006, neuf mois après le passage du feu.<br />

la coordination de F. Audouze, J.-L. Fiches et S. Van Der Leeuw, avec pour<br />

objectif de suivre l’organisation et l’exploitation du bassin-versant de l’Argens<br />

entre le Néolithique et l’époque moderne, en combinant trois approches complémentaires<br />

(écologique, géographique et technologique).<br />

. Bertoncello, Gazenbeek 1997.<br />

. Données extraites de la base Prométhée (http ://www.promethee.com).


18 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Juché sur un piton du chaos de Ropidera, face au Mas Molins, un superpe chêne liège dont l’écorce était encore<br />

exploitée dans la seconde moitié du XX e siècle. Six mois seulement après l’incendie, sa frondaison en panache défie<br />

la puissante tramontane soufflant du nord-ouest. (Cl. A. Catafau, printemps 2006).<br />

Projet collectif<br />

et moyens mis en œuvre<br />

Les premières reconnaissances effectuées sur le massif incendié de Rodès ont<br />

été réalisées dès le mois de septembre 2005, un mois environ après le sinistre et<br />

après les premières pluies d’automne qui ont délavé le sol. Le projet de prospection-inventaire<br />

a été mis en place à l’initiative de l’Association Archéologique<br />

des Pyrénées-Orientales qui joue, depuis plus de 20 ans, un rôle moteur dans<br />

les projets départementaux d’étude archéologique du territoire, notamment par<br />

la réalisation du programme d’inventaire des sites. Cette opération a fait l’objet<br />

d’une autorisation de prospection-inventaire délivrée par le Service Régional de<br />

l’Archéologie et a été en grande partie financée sur les fonds propres de l’Association,<br />

avec la contribution du CRHiSM (Université de Perpignan).<br />

Un projet d’étude diachronique des occupations humaines et de l’évolution des<br />

paysages a été mis en place en collaboration avec l’Université de Perpignan, le<br />

Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes et le laboratoire<br />

de géographie physique Médi-Terra. L’équipe de recherche a donc été constituée<br />

en regroupant des chercheurs d’horizons différents, dans un souci de réelle<br />

pluridisciplinarité, pouvant déboucher, nous l’espérions, sur une compréhension<br />

globale, géographique, historique et archéologique, du secteur. Afin de faire profiter<br />

chacun des éclairages des autres chercheurs et de permettre un véritable dialogue<br />

entre les disciplines, nous avons décidé de deux étapes antérieures à la publication<br />

de cet ouvrage : d’abord la rédaction du rapport de prospection-inventaire,<br />

qui a réuni à la fin de l’année 2006 la totalité des résultats des recherches de terrain<br />

et d’archives et les premiers textes de réflexion sur ces données. Chacun des<br />

chercheurs a donc eu à disposition,<br />

pour écrire son texte, les données et<br />

les analyses des autres collègues impliqués<br />

dans l’étude de la zone brûlée.<br />

Ensuite, l’organisation de deux journées<br />

d’études, les 1 er et 2 juin 2007,<br />

à l’Université de Perpignan, a permis<br />

de mettre en commun les premiers<br />

résultats, et de les présenter au public<br />

et aux acteurs du territoire (collectivités,<br />

associations) 10 .<br />

Une collaboration étroite a aussi<br />

été développée avec le Conseil<br />

d’Architecture, Urbanisme et<br />

Environnement (CAUE des P.-O.,<br />

conseil général) avec pour objectif<br />

de valoriser les résultats de nos travaux<br />

et de proposer aux communes<br />

et collectivités concernées des projets<br />

d’aménagement et de mise en<br />

valeur du patrimoine de la zone et<br />

des mesures de mise en protection<br />

des secteurs paysagers les plus remarquables.<br />

Cette collaboration a<br />

fait l’objet de plusieurs conférences et<br />

communications, elle donnera lieu à<br />

une publication future.<br />

L’équipe réunie pour les travaux<br />

de terrain, de laboratoire et d’archives<br />

est diverse, dans ses compétences,<br />

ses méthodes, ses professions, ses<br />

qualifications et ses rattachements.<br />

On y trouve, à la base, les membres<br />

de l’Association Archéologique des<br />

Pyrénées-Orientales, qui reflètent<br />

la richesse et la variété des acteurs<br />

de l’archéologie départementale :<br />

employés de l’AAPO, stagiaires étudiants,<br />

adhérents actifs ou retraités,<br />

enseignants du premier et du second<br />

10. Ces journées ont été organisées par l’association<br />

archéologique des Pyrénées-Orientales, l’université<br />

de Perpignan et le conseil général des Pyrénées-Orientales.<br />

Depuis cette date, une première<br />

communication au colloque d’Alguaire, où nous<br />

avions été invités par Jordi Bolòs et Enric Vicedo,<br />

nous a permis de présenter les premières conclusions<br />

partielles, v. Passarrius, Catafau 2009.


Introduction<br />

19<br />

degré ou de l’université, professionnels de l’INRAP ou de<br />

structures territoriales (pôle archéologique, conseil général<br />

des P.‐O.). Sont venus renforcer cette équipe, en fonction<br />

de nos sollicitations, quatre géographes : spécialistes<br />

des incendies de forêt, de la géomorphologie des Pyrénées,<br />

des aménagements ruraux contemporains, un géologue<br />

expert auprès des pouvoirs publics pour les carrières des<br />

P.-O., un archiviste connaisseur des fonds notariaux, deux<br />

historiens du monde rural et de l’entreprise des XIX e et<br />

XX e siècles, enfin une spécialiste en architecture traditionnelle<br />

et patrimoine des sociétés rurales. De ce qui aurait<br />

pu être un patchwork, un assemblage de contributions disparates,<br />

nous avons essayé de faire un livre. Au lecteur de<br />

juger si nous y sommes parvenus.<br />

Par son objet d’étude, ce projet était, pour nous, archéologues<br />

et historiens, à la fois séduisant et inquiétant. Qui<br />

ne parle aujourd’hui de « paysages » ? À ce mot les géographes<br />

et les historiens donnent le sens précis d’un espace investi<br />

et transformé par l’homme, du résultat de l’action séculaire,<br />

ou millénaire, de l’homme sur un espace. Il semble<br />

aujourd’hui que tous les spécialistes des sciences humaines<br />

raisonnent en termes de « paysage ». Le paysage est à la<br />

mode, il s’impose comme un mot « fourre-tout » qui veut<br />

exprimer une ambition renouvelée des chercheurs en lui<br />

donnant une dimension globale, presque exhaustive, des<br />

activités humaines. Pour nous, cette approche en terme de<br />

paysage était indispensable et inévitable. Elle s’imposait et<br />

nous a aussi imposé son cadre. Notre point de départ est<br />

géographique et territorial : des reliefs et un donné naturel,<br />

mais aussi des espaces transformés, dominés et délimités<br />

par les sociétés qui les occupent, les exploitent. Le défi<br />

que nous nous sommes donné était de tenter de mettre<br />

de l’histoire dans cette géographie, de tracer les évolutions<br />

chronologiques de cette occupation humaine pluri-millénaire,<br />

de dater des faits visibles, d’apparence immémoriale<br />

(les murettes, les cabanes, les chemins) ou d’autres à peine<br />

perceptibles (l’exploitation des chaos granitiques). Les résultats,<br />

on le verra, ne sont pas minces, même si les limites<br />

d’une « archéologie légère », celle d’une approche « de surface<br />

», par les seules prospections, sont souvent rappelées.<br />

Rappelées, mais non déplorées, car nous espérons que cet<br />

ouvrage apportera la preuve qu’une archéologie « superficielle<br />

», qui ne détruit rien et ne coûte guère, peut, renforcée<br />

par l’apport des spécialistes de toute nature, et avec<br />

le complément des archives, fournir des résultats valables,<br />

des informations neuves, des bases d’une réflexion enrichie<br />

sur le peuplement, l’habitat, l’occupation du sol, les activités<br />

des hommes, et surtout, donc, leurs évolutions.<br />

Prospection archéologique dans le massif incendié (cl. A. Catafau).


20 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

L’église et le pierrier du village de Ropidera peu après l’incendie (cl. P. Roca).<br />

Les connaissances préalables<br />

sur le secteur incendié<br />

Le secteur étudié ici n’avait jamais fait l’objet de prospections<br />

pédestres systématiques, même s’il avait été maintes<br />

fois parcouru, notamment par Yves Blaize ou le docteur<br />

Francis Catala dans les années 1950. Ce dernier s’est attaché<br />

à prospecter les secteurs du Col de Ternère ou de Motzanes<br />

(commune de Rodès), en marge de la zone brûlée. À propos<br />

du lieu-dit Cogulera, une crête rocheuse qui domine la vallée<br />

de Têt, Louis Bassède indique que « cette colline porte des<br />

vestiges préromains, peut-être un ancien oppidum qui aurait<br />

laissé son nom au lieu-dit voisin, Coma d’Otreira ou château<br />

des vautours » 11 . Cette information n’a pu être vérifiée par<br />

Jérôme Kotarba et Florent Mazière, qui n’ont collecté à cet<br />

endroit que deux fragments de céramique protohistorique.<br />

Lors de leur observation sur place, la densité de la végétation<br />

n’a pas permis de pousser au-delà les investigations et<br />

le site n’a pas été inventorié 12 . Au centre archéologique dé-<br />

11. Basseda 1990, p. 639.<br />

12. Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, 539-540.<br />

partemental est conservée une ancienne collection déposée<br />

par Anny de Pous, ramassée à la Cogulera. Un inventaire<br />

récent de cette petite série permet de dater l’occupation de<br />

ce site des III e ‐II e siècles avant J.‐C. (céramique modelée, céramique<br />

grise monochrome, céramique de la côte catalane,<br />

amphore gréco-italique et ibérique) 13 .<br />

À environ 1 km à l’est se trouve le lieu-dit de La<br />

Guardiola dont le toponyme pourrait garder le souvenir<br />

de La Gaiardia, peut-être une tour ou une fortification,<br />

mentionnée dans la documentation en 953 et localisée,<br />

toujours par Louis Bassède, au nord de la Têt 14 . À l’intérieur<br />

du massif, l’un des sites de hauteur protohistoriques<br />

(l’« oppidum ») pris en compte dans cette étude<br />

avait été identifié par Yves Blaize et prospecté avant que<br />

le feu ne le libère du maquis dense qui le rendait difficile<br />

d’accès 15 . Le dolmen du Serrat Blanc, en bordure de l’une<br />

des pistes DFCI était également connu d’Yves Blaize.<br />

13. Ibidem.<br />

14. Basseda 1990.<br />

15. Blaize 1987, p. 7-12. Ce site a été désigné sous le nom d’« oppidum »<br />

dans cet ouvrage.


Introduction<br />

21<br />

Le village abandonné de Casesnoves avec sa tour sur motte et son église (cl. P. Roca).<br />

Le village médiéval déserté de Ropidera se trouve au<br />

cœur de la zone incendiée et a fait l’objet de plusieurs<br />

notes ou articles 16 . Jusqu’à l’incendie, les vestiges du village<br />

de Ropidera étaient noyés sous un épais maquis rendant<br />

difficile voire impossible leur appréciation. Seules<br />

les ruines de l’église étaient visibles et surtout son abside<br />

surmontée d’une tour massive, fortification dont font état<br />

les textes du début du XIV e siècle. Une rapide visite sur<br />

place a permis de percevoir une multitude de constructions,<br />

de murs délimitant des ruelles, probablement les<br />

derniers vestiges des habitations villageoises.<br />

Sur la commune d’Ille-sur-Têt enfin, le feu a parcouru<br />

la quasi-totalité de l’ancien territoire du village médiéval<br />

déserté de Casesnoves, épargnant l’église et la tour,<br />

et leurs abords immédiats où se trouvent les vestiges<br />

d’habitations.<br />

De l’autre côté du bassin versant, sur la commune de<br />

Bouleternère, les textes font état d’un autre lieu de peuplement,<br />

l’alleu de Croses mentionné dès 1011 (alode de<br />

Crodos). On retrouve ce lieu mentionné en 1267, 1319,<br />

16. Tosti 1987, Bolòs 1995, p. 500-502.<br />

1358 et en 1519 est cité le cimeterium de Croes 17 . Des<br />

vestiges médiévaux appartenant vraisemblablement à ce<br />

noyau de peuplement ont été signalés à proximité de<br />

l’église de Domanova, sur le versant est qui domine le<br />

ruisseau du Fagès 18 , en dehors de la zone concernée par<br />

l’incendie.<br />

Un des intérêts de la zone incendiée réside dans ses<br />

contrastes géographiques et environnementaux, on l’a<br />

vu, et à ce titre elle marque en direction méridienne<br />

la limite entre la plaine du Roussillon et la vallée du<br />

Conflent qui conduit aux hautes terres de Cerdagne et<br />

Capcir. Mais il réside aussi dans ses divisions politiques.<br />

En effet la <strong>montagne</strong> brûlée est une frontière, entre<br />

Fenouillèdes (Montalba), Roussillon (Ille) et Conflent<br />

(Tarerach, Rodès, Vinça). Vicomtés et comtés du Moyen<br />

Âge s’y rejoignent, s’en disputent les accès, contrôlent les<br />

passages. Puis, entre 1258 et 1659, du Traité de Corbeil<br />

au Traité des Pyrénées, la frontière entre royaumes de<br />

France et d’Aragon passe entre Montalba et Ropidera.<br />

17. Ponsich 1980.<br />

18. Tosti 1987.


22 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Prospection archéologique sur le plateau de Rodès (cl. O. Passarrius).<br />

Le déroulement des recherches<br />

Borne frontière entre royaume de France et courronne d’Aragon, portant à sa base la<br />

date 1658, aujourd’hui limite des territoires d’Ille et de Montalba (cl. O. Passarrius).<br />

Le château de Vinça (cité dès le X e siècle), ceux de<br />

Montalba, de Rodès, de Casesnoves, les églises fortifiées de<br />

Ropidera et de Reglella, les murailles des villages de Vinça<br />

et d’Ille-sur-Têt témoignent des nécessités défensives et<br />

de la volonté d’affirmation politique des divers pouvoirs<br />

présents sur cet espace resserré. Il était intéressant de se<br />

demander dans quelle mesure cette position frontalière,<br />

la délimitation de ces territoires politiques était sensible<br />

dans le paysage et dans les usages que les hommes en<br />

faisaient. Perméables ou fermées, pleines de dangers ou<br />

riches d’opportunités, les frontières étaient-elles une réalité<br />

vécue par les populations voisines, étaient-elles réelles<br />

ou seulement abstraites ? Dans le paysage, nous les avons<br />

cependant rencontrées, sous la forme des bornes frontalières<br />

qui délimitent encore le territoire d’Ille-sur-Têt de<br />

celui de Montalba, et qui ne sont autres que les bornes<br />

entre États, rénovées en 1658, soit juste un an avant que<br />

l’annexion des comtés nord-catalans ne les rendent obsolètes<br />

d’un point de vue étatique, mais elles avaient continué<br />

à marquer le partage des territoires communaux, à<br />

l’époque entre Casesnoves et Montalba.<br />

Après la première phase de reconnaissance, les prospections<br />

pédestres ont démarré à la mi-novembre 2005,<br />

pour s’achever dans le courant du mois d’avril 2006, à raison<br />

de deux jours d’intervention par semaine. Elles ont<br />

été réalisées par une équipe d’une dizaine de personnes,<br />

chercheurs et bénévoles. Un stage de prospection destiné<br />

aux étudiants a été organisé durant les vacances scolaires<br />

du mois de décembre et a permis d’accueillir en continu<br />

une équipe d’une quinzaine de personnes. L’étude des<br />

terrasses et des aménagements agraires a été menée en<br />

parallèle et s’est achevée au mois de mai. Le relevé des<br />

ruines du village médiéval déserté de Ropidera a donné<br />

lieu à une opération à part entière, durant les vacances<br />

universitaires de printemps. Enfin, le relevé des bergeries<br />

et des enclos a été réalisé en grande partie durant l’été, à<br />

la fin de l’opération. D’autres opérations ponctuelles ont<br />

été effectuées jusqu’en octobre 2008 par de petites équipes<br />

de deux ou trois chercheurs afin de préciser certains<br />

points portant sur la préhistoire ou l’étude des marbres.<br />

Ces recherches ont souvent débordé du cadre strict du<br />

brûlis, en particulier celles qui ont concerné les berges du<br />

barrage de Vinca, lors de son étiage, pendant l’hiver 2007.<br />

Enfin, l’équipe de l’AAPO conduite par J.‐P. Comps pour<br />

la recherche des chemins a dédié ses sorties hebdomadaires<br />

à l’étude de ce territoire.<br />

Les reconnaissances préalables ont permis de subdiviser<br />

la zone en trois secteurs distincts pour lesquels l’investissement<br />

était très variable. Sur la partie nord de la


Introduction<br />

23<br />

Contraste entre une zone brûlée et une zone de maquis épargnée par l’incendie, où il est impossible de prospecter et de lire les<br />

éléments du paysage (cl. O. Passarrius).<br />

commune de Rodès, sur le plateau et à l’ouest du Bellagre,<br />

la topographie offre une zone propice aux installations<br />

humaines : relief assez doux, abris fournis par les chaos<br />

granitiques, dépressions humides et eaux abondantes en<br />

hiver. Lors de cette première phase, plusieurs sites ont été<br />

découverts ce qui nous a encouragés à mettre en place une<br />

prospection fine systématique de l’ensemble de la zone.<br />

Cette approche a consisté à parcourir le terrain en rangs<br />

serrés, espacés tous les 5 à 10 m, en piquetant et en signalant<br />

systématiquement à haute voix aux chefs d’équipes la<br />

nature et la densité des artefacts observés.<br />

Les concentrations de mobilier ont fait l’objet d’une collecte<br />

exhaustive de l’ensemble des céramiques et autres objets<br />

présents en surface. Le relevé des artefacts a été réalisé<br />

à l’aide d’un GPS. Sur le terrain, les prises de notes consistaient<br />

à relever la topographie du terrain, la végétation<br />

résiduelle, les aménagements culturaux postérieurs susceptibles<br />

d’avoir menacé l’intégrité des vestiges, la nature,<br />

l’état de conservation et la densité des céramiques, le taux<br />

de lisibilité et enfin l’observation de vestiges bâtis (murs...)<br />

présents en nombre en surface et pouvant être rattachés à<br />

la période d’occupation du site. À l’est du ravin du Bellagre<br />

et sur les versants qui dominent la Têt, notre prospection<br />

a été plus légère. La totalité de la surface a été parcourue<br />

mais de façon plus rapide et en rangs moins serrés compte<br />

tenu de la quasi absence de vestiges archéologiques. Il en<br />

a été de même pour la partie méridionale du feu, du col<br />

de Ternère aux hauteurs de Bouleternère où les aménagements<br />

récents (constructions, ouvertures de pistes, replantations<br />

au bulldozer) ont bouleversé le paysage. La totalité<br />

du territoire incendié a été parcouru et prospecté, plus ou<br />

moins finement en fonction des particularités du terrain,<br />

permettant ainsi l’inventaire de 74 sites archéologiques<br />

inédits.<br />

Dans le cadre de ce projet, une attention particulière a<br />

été portée à l’étude du paysage. L’analyse n’a pu bien entendu<br />

être réalisée sur l’ensemble du massif incendié. Elle<br />

s’est attachée à cinq secteurs, choisis pour leur représentativité.<br />

Ces secteurs, dont certains dépassent 70 ha de<br />

superficie, ont été finement prospectés et tous les aménagements<br />

visibles ont été pris en compte (terrasses, enclos,<br />

canaux, cabanes, bergeries...). Sur le terrain, l’analyse de<br />

chaque parcelle et le relevé des aménagements liés aux<br />

travaux de mise en culture ont été confrontés aux deux<br />

cadastres existant sur la zone : le plan cadastral dit napoléonien<br />

(1832/1834) et les cadastres de 1941/1946.


24 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Cabane à encorbellement dans un paysage de terrasses (cl. A. Catafau).<br />

Terrasses découvertes par le feu, près de secteurs où le maquis a été épargné par l’incendie (cl. O. Passarrius).


Introduction<br />

25<br />

L’analyse des registres des états des sections a permis<br />

d’identifier les propriétaires et les types de cultures pratiquées<br />

et sur les communes de Montalba-le-Château<br />

et d’Ille-sur-Têt, qui ont conservé les registres de mises<br />

à jour de l’état de section (entre le XIX e et le milieu du<br />

XX e siècle), le suivi précis de l’histoire de chaque parcelle<br />

a permis de mieux comprendre les évolutions globales<br />

du territoire, touché par les crises phytosanitaires<br />

du XIX e siècle et l’effondrement démographique dû à<br />

la première guerre mondiale. La confrontation de ces<br />

données avec la collecte systématique du mobilier présent<br />

en surface a permis des tentatives de mise en phase<br />

chronologique de certains aménagements sans toutefois<br />

réussir à appréhender réellement les travaux de mises<br />

en culture antérieurs à l’Ancien Régime.<br />

Les cabanes et les constructions de pierre sèche ont<br />

toutes été relevées mais n’ont pas donné lieu à une étude<br />

spécifique qui aurait pu s’intéresser à la typologie et à<br />

l’évolution architecturale de ces bâtis vernaculaires qui<br />

génèrent tant de curiosité et de fascination 19 . Le nombre<br />

de publications récentes ou anciennes concernant<br />

ce thème a, comme le souligne Christian Lassure après<br />

Jean Chapelot, littéralement envahi la bibliographie,<br />

provoquant chez les chercheurs méfiance et désintérêt 20 .<br />

En Roussillon, de nombreux historiens ou archéologues<br />

se sont intéressés à ce thème : Pierre Ponsich à partir du<br />

milieu des années 1950 21 puis Anny de Pous 22 , Françoise<br />

Claustre 23 ou encore Jean Tosti 24 . Dans les recherches<br />

récentes, on peut aussi signaler les travaux entrepris par<br />

Christian Lassure, le dépouillement bibliographique<br />

qu’il a mené à bien sur ce thème et la fondation de la<br />

revue L’architecture rurale en pierre sèche en 1977 25 .<br />

Dans les Pyrénées-Orientales, les programmes de<br />

prospection-inventaire puis le Projet Collectif de<br />

Recherche sur la <strong>montagne</strong> cerdane (Estivage, structuration<br />

sociale d’un espace montagnard) dirigés par Christine<br />

Rendu ont abouti à la mise en place d’une approche ar-<br />

19. Dans la zone brûlée, près de 400 cabanes construites en pierre sèche, à<br />

la toiture en encorbellement ou couvertes de tuile ronde, ont été inventoriées<br />

et photographiées.<br />

20. Lassure, Repérant 2006, p. 6.<br />

21. Ponsich 1956, p. 305-317.<br />

22. Pous 1959a, Pous 1959b, Pous 1964a, Pous 1964b, Pous 1965,<br />

Pous 1967a, Pous 1967b, Pous 1967c, Pous 1969, Pous 1975, Pous 1976,<br />

Pous 1977, Pous 1984, Salavy, Pous 1985, Lassure, Pous 1977.<br />

23. Claustre 1985, p. 38-39.<br />

24. Tosti 1995.<br />

25. Revue devenue rapidement L’architecture rurale puis L’architecture vernaculaire.<br />

Citons aussi son dernier ouvrage consacré aux cabanes en pierre sèche<br />

en France (Lassure, Repérant 2006).<br />

chéologique et anthropologique des systèmes d’estivage<br />

dans la très longue durée avec notamment la fouille fine<br />

de nombreuses cabanes dont les plus anciennes ont été<br />

datées de l’âge du Bronze 26 . On est assez loin, avec les<br />

estives d’Enveigt comprises entre 1 900 et 2 100 mètres,<br />

des problématiques soulevées par l’étude qui nous occupe,<br />

les plus hauts sommets de notre zone culminant<br />

à 530 m, avec une altitude moyenne au niveau du plateau<br />

de 480 m. Et pourtant, depuis le début de l’âge du<br />

Bronze, l’élevage semble jouer un rôle non négligeable<br />

dans l’occupation, la mise en valeur et l’organisation de<br />

la <strong>montagne</strong> brûlée, autour de cuvettes hydromorphes<br />

creusées par déflation et dont les prés et les pâturages<br />

ont été fréquentés dès l’âge du Bronze.<br />

L’étude menée dans la <strong>montagne</strong> de Rodès fut pour<br />

nous tous un intermède dans nos recherches personnelles,<br />

une fenêtre ouverte sur d’autres problèmes, parfois<br />

bien différents de ceux posés dans la plaine où se<br />

concentre la quasi-totalité de l’archéologie aujourd’hui<br />

et de nos activités. Les prospections ont permis la mise<br />

au jour de nombreux sites, notamment de la Préhistoire<br />

récente ou du Moyen Âge, souvent des habitats mais<br />

aussi des dolmens, des fours à chaux, des tuileries, des<br />

zones d’extraction de matériaux avec des carrières de<br />

granit, de feldspath, de marbre ou des zones de débitage<br />

de meules de moulin. Ces résultats, les réflexions<br />

menées sur les périodes non représentées sur le terrain,<br />

ont permis de dresser les grandes lignes du peuplement<br />

du massif, depuis le Paléolithique jusqu’au XX e siècle.<br />

L’ensemble des données est issu des seules prospections<br />

et études documentaires et il nous est apparu nécessaire<br />

de montrer que ce type d’approche, sans fouille et avec<br />

des moyens limités, pouvait permettre de faire des observations<br />

sur l’occupation du sol et la mise en valeur<br />

d’un territoire en allant bien au-delà du simple travail<br />

d’inventaire. Bien évidemment, cette recherche ne peut<br />

se substituer à des fouilles – ayant pour but de confirmer<br />

les hypothèses mises en avant et de répondre aux<br />

nombreuses questions restées sans réponse – mais elle<br />

est susceptible d’en orienter les stratégies.<br />

26. Rendu 2003a, Rendu 2003b, p. 142-244.


26 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Le plan que nous avons adopté pour cet ouvrage est<br />

logique et, somme toute, sans surprises ni originalité. Il<br />

part de l’événement, le feu, puis s’attarde sur le milieu,<br />

relief, eaux et sols, pour tracer le cadre de l’établissement<br />

des hommes. Vient ensuite la longue préhistoire, époque<br />

des premières occupations humaines, où la connaissance<br />

des temps anciens est liée à la genèse des paysages et des<br />

sols, et la préhistoire récente, celle des agriculteurs et pasteurs<br />

de l’âge du Bronze, artisans potiers et métallurgistes,<br />

qui amorcent la main mise de l’homme sur le paysage. La<br />

troisième partie s’intéresse aux traces d’un monde rural<br />

disparu, celui qui, après un relatif abandon dans la longue<br />

Antiquité, s’étend depuis le Moyen Âge jusqu’aux lendemains<br />

de la Révolution française, vivant en relation étroite<br />

avec les milieux dont il tire ses ressources. C’est le temps<br />

de la plus grande densité d’occupation et d’exploitation<br />

agro-pastorale de la <strong>montagne</strong>. Les prospections ont aussi<br />

révélé à quel point les ressources minérales du massif de<br />

Rodès-Montalba-Bouleternère étaient d’une grande importance<br />

pour ces hommes, qui n’étaient pas seulement<br />

paysans. Enfin la dernière partie fait le point des évolutions<br />

récentes, celles des deux derniers siècles, qui nous<br />

ont légué l’essentiel du paysage que nous contemplons<br />

maintenant. Des modes de vie et des travaux proches dans<br />

le temps que beaucoup d’entre nous ont connus ou entendus<br />

évoquer par leurs parents, et dont les traces s’effacent<br />

rapidement. Aujourd’hui, alors que des pratiques nouvelles<br />

de la <strong>montagne</strong>, résidence secondaire, aire de loisirs et<br />

de promenade, s’y substituent, nous avons aussi voulu en<br />

faire l’inventaire, pour peut-être parvenir à orienter les regards<br />

de ces néo-ruraux ou ruraux occasionnels vers un<br />

héritage à connaître et à sauvegarder.<br />

Mise au point sur les orthographes fautives, barbares ou dissemblables des toponymes de la Montagne brûlée<br />

L’orthographe des toponymes mineurs n’a été ni harmonisée ni corrigée, malgré de nombreuses formes de toute évidence erronées,<br />

et parfois de vrais barbarismes. Devant la variété des usages en vigueur chez les différents auteurs, certains pouvant avoir leur<br />

logique propre (orthographes des éditions successives des cartes IGN, graphies des cadastres anciens ou actuel, formes « figées »<br />

par les auteurs précédents ayant écrit sur le secteur, citations des textes anciens ou contemporains, etc.) nous avons renoncé à<br />

réécrire sous leur forme catalane correcte les toponymes mineurs dans les textes, les cartes, les tableaux, les légendes. Nous en<br />

demandons pardon aux amoureux et aux défenseurs de la langue catalane, qui trouveront dans Bécat 2008 et dans IEC 2007 les<br />

graphies correctes de quelques lieux-dits des villages ici étudiés. Seule l’orthographe de Ropidera et Casesnoves a été uniformisée,<br />

sauf oubli de notre part...<br />

Les directeurs de l’ouvrage


Première partie<br />

L’événement et le cadre<br />

Photo J. Roig - RMD agency


chapitre I<br />

L’incendie de Tarerach du 22-23 août 2005 :<br />

caractéristiques du feu et impact sur la végétation<br />

Johanna Faerber<br />

En région méditerranéenne, les incendies constituent<br />

un risque omniprésent. Dans les Pyrénées-Orientales, les<br />

statistiques PROMéTHéE ne dénombrent pas moins<br />

de 3 724 « feux de forêts » pour la période 1974 à 2007,<br />

soit une moyenne de 110 feux par an. L’incendie qui s’est<br />

déclaré le 22 août 2005 sur la commune de Tarerach<br />

n’est donc pas un phénomène isolé. Toutefois, il reste un<br />

événement exceptionnel par sa taille : avec 1970 ha parcourus,<br />

l’incendie occupe dans les statistiques la 4 e place.<br />

C’est le plus grand feu dans le département depuis 1978.<br />

Nous allons tenter de replacer le feu de Tarerach dans<br />

le contexte des incendies dans le département des Pyrénées-Orientales,<br />

de décrire les caractéristiques de l’incendie<br />

et d’analyser son impact sur la végétation.<br />

. Prométhée est une base de données sur les incendies de forêts de la<br />

région méditerranéenne. Conçue et lancée en 1973, cette opération couvre<br />

15 départements du Sud-Est.<br />

. D’après la définition officielle de PROMéTHéE, le terme « feu de forêt »<br />

regroupe dans les statistiques les « incendies qui ont atteint des forêts, landes,<br />

garrigues ou maquis d’une superficie d’au moins un hectare d’un seul tenant ».<br />

Toutefois, de nombreux feux d’une superficie inférieure à 1 ha ont été intégrés<br />

dans les statistiques (1 034 incendies pour les Pyrénées-Orientales, soit 27,5 %<br />

des feux).<br />

Les incendies dans les Pyrénées-<br />

Orientales<br />

En région méditerranéenne française, le risque de feu est<br />

maximal en été. Dans les Pyrénées-Orientales, 47 % des<br />

incendies se produisent dans les mois de juillet, août et<br />

septembre, contre seulement 12 % en hiver (décembre-février).<br />

La concentration des feux en été est assez constante<br />

dans le temps, car elle est la conséquence directe du climat<br />

méditerranéen avec ses étés chauds et secs.<br />

En termes de superficie, on note par contre des variations<br />

interannuelles importantes (graph. 1). Dans les<br />

Pyrénées-Orientales, la surface moyenne brûlée par an<br />

est de 1 477 ha, mais les chiffres réels s’échelonnent entre<br />

76 ha pour l’année la plus « froide » (1999) et 10 899 ha<br />

pour l’année la plus « chaude » (1978), soit 143 fois plus.<br />

Ces grandes différences s’expliquent pour une large partie<br />

par l’inconstance du climat méditerranéen : les précipitations<br />

affichent de fortes variations d’une année à l’autre,<br />

en termes de cumuls annuels comme de répartition au<br />

cours d’une année. Par conséquent, les périodes de sécheresse<br />

particulièrement propices à l’éclosion des feux sont<br />

plus ou moins nombreuses suivant les années.


30 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre I<br />

12000<br />

surface incendiée (ha)<br />

10000<br />

8000<br />

6000<br />

4000<br />

500 ha<br />

100


L’incendie de Tarerach<br />

31<br />

Les statistiques montrent que la conjonction de tous<br />

ces facteurs est assez rare : seulement quatorze très<br />

grands feux ont été recensés dans le département des Pyrénées-Orientales<br />

depuis la mise en place de PROMé-<br />

THéE (tableau 2). On note que le secteur Fenouillèdes-<br />

Aspres est particulièrement concerné par le phénomène ;<br />

les communes touchées par l’incendie de 2005 l’ont été<br />

déjà en partie par deux feux survenus en 1978.<br />

Année<br />

Date<br />

d’éclosion<br />

Heure Commune Surface<br />

1976 28-juil 12h Corbère-les-Cabanes 6600 ha<br />

1976 28-juil 13 h Sournia 1500 ha<br />

1978 31-août 10 h Campôme 2000 ha<br />

1978 12-sept 18 h Port-Vendres 2500 ha<br />

1978 18-sept 9 h Montalba-le-Château 1800 ha<br />

1978 23-sept 12 h Bouleternère 1800 ha<br />

1981 28-août 12 h Passa 500 ha<br />

1983 11-août 20 h Banyuls-sur-Mer 780 ha<br />

1986 20-juil 00 h Campôme 1260 ha<br />

1986 21-juil 05 h Banyuls-sur-Mer 1500 ha<br />

1986 26-août 16 h Latour-de-Carol 510 ha<br />

1989 26-août 13 h Opoul-Périllos 1500 ha<br />

2000 27-août 20 h Port-Vendres 500 ha<br />

2005 22-août 14 h Tarerach 1970 ha<br />

2 - Les très grands incendies dans les Pyrénées-Orientales (1974–2007).<br />

Source : statistiques PROMéTHéE.<br />

Figure 3<br />

On peut remarquer aussi que les très grands incendies,<br />

particulièrement intéressants pour une recherche archéologique,<br />

semblent avoir tendance à se raréfier. Le graphique<br />

3 replace les événements sur une échelle temporelle :<br />

seuls deux incendies ont eu lieu dans la deuxième partie de<br />

la période d’observation de 34 ans. S’agit-il d’une variation<br />

des conditions atmosphériques (périodes dangereuses avec<br />

sécheresse et vent moins nombreuses), d’un progrès en matière<br />

de lutte (détection plus précoce, moyens de lutte plus<br />

efficaces), de l’effet d’une meilleure prévention (sensibilisation<br />

de la population, cloisonnement du territoire par des<br />

coupures DFCI) ? Il est probable que c’est la conjonction<br />

de tous ces facteurs – combinés peut-être avec le facteur<br />

hasard – qui explique cette tendance. En tout état de cause,<br />

la rareté des très grands feux au cours de ces deux dernières<br />

décennies souligne l’intérêt de saisir l’occasion.<br />

Le feu de Tarerach<br />

L’éclosion du feu de Tarerach a été signalée le lundi<br />

22 août à 14 h 13, en bordure de la D17 qui relie les villages<br />

de Montalba et Tarerach, sur le territoire de cette dernière<br />

commune. L’origine du feu a été anthropique, fait<br />

habituel dans une région où seulement 2 % des feux sont<br />

causés par la foudre. Ici, de toute évidence, il s’agissait d’un<br />

allumage volontaire. L’éloignement du site des centres de<br />

secours a retardé l’intervention des pompiers : ils n’arrivent<br />

sur les lieux que 20 minutes après le signalement, à<br />

un moment où la superficie du feu est déjà estimée à 3 ha.<br />

Il est alors impossible d’éteindre le feu : d’après les données<br />

Météo-France (station d’Eus) et les enregistrements<br />

Nombre de très grands incendies/an<br />

3<br />

2<br />

1<br />

0<br />

1974<br />

1976<br />

1978<br />

1980<br />

1982<br />

1984<br />

1986<br />

1988<br />

1990<br />

1992<br />

1994<br />

1996<br />

1998<br />

2000<br />

2002<br />

2004<br />

2006<br />

3 - Nombre de très grands incendies (≥500ha) par an dans les Pyrénées-Orientales entre 1974 et 2007. Source : statistiques PROMéTHéE.


32 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre I<br />

de la cellule REX 66 rapidement dépêchée sur place, la<br />

tramontane souffle à 15 heures à 30km/heure, avec des<br />

rafales pouvant atteindre 72 km/h et une direction de<br />

NO (320°). La température de l’air est plutôt basse pour<br />

la saison (23°C à 15 heures), mais la tramontane se traduit<br />

par une humidité atmosphérique faible (36 % d’humidité<br />

relative).<br />

La progression d’un feu dépend aussi de l’hygrométrie<br />

de la végétation. Or, l’analyse des données Météo France<br />

relève pour le mois d’août 2005 un déficit hydrique marqué<br />

: la demie-année qui précédait l’incendie était beaucoup<br />

trop sèche, à l’exception du seul mois de mai qui<br />

avait affiché des précipitations à peu près « normales ».<br />

Ce déficit hydrique se traduit par un assèchement de la<br />

végétation : Cl. Moro (2005) indique pour le 22 août une<br />

teneur en eau de 42,2 % pour le Genévrier oxycèdre et de<br />

35,7 % pour le Ciste de Montpellier . Le seuil du dessèchement<br />

extrême (Indice de sécheresse >700) a été dépassé<br />

la veille de l’incendie. Notons que ces valeurs sont très<br />

faibles, mais pas exceptionnelles : au cours des dernières<br />

années, les chiffres enregistrés s’échelonnent en été entre<br />

35,1 et 61,5 % pour le Genévrier, et entre 28,6 et 60,4 %<br />

pour le Ciste de Montpellier. D’ailleurs, le même constat<br />

s’impose pour le vent, avec des valeurs élevées, mais pas<br />

exceptionnelles : les vitesses de pointe de la tramontane<br />

sont fréquemment supérieures à celles du 22 août, avec<br />

des rafales atteignant 90, voire 100 km/h. C’est donc bien<br />

la conjonction de facteurs défavorables qui est à l’origine<br />

de ce très grand feu : dessèchement du combustible, tramontane,<br />

intervention un peu tardive des pompiers...<br />

Les caractéristiques de la couverture végétale avant le feu<br />

sont le dernier paramètre à prendre en compte pour expliquer<br />

l’ampleur de l’incendie. Le secteur brûlé était majoritairement<br />

recouvert par un maquis assez dense, résultant<br />

de la dégradation de la forêt méditerranéenne due au surpâturage,<br />

aux défrichements et aux incendies. Toutefois,<br />

en même temps, ces formations buissonnantes constituent<br />

des successions secondaires progressives vers la forêt, après<br />

l’abandon de l’exploitation agricole et pastorale. Installés<br />

sur sol siliceux (arènes de granite du plateau de Montalba),<br />

les peuplements végétaux sont à structure et à composition<br />

spécifique légèrement variables suivant la profondeur<br />

du sol, l’exposition, la date du dernier feu... Toutefois, on<br />

y trouve toujours le même cortège floristique typique du<br />

maquis méditerranéen : Cistes (Cistus albidus L., C. monspeliensis<br />

L., Cistus laurifolius L.), Bruyère à balais (Erica<br />

scoparia L.) et surtout Bruyère blanche (Erica arborea L.),<br />

Genévrier oxycèdre ( Juniperus oxycedrus L.), Calicotome<br />

épineux (Calicotome spinosa [L.] Link), Pistachier lentisque<br />

(Pistacia lentiscus L.), Lavande stéchade (Lavandula stoechas<br />

L.), et, plus localement, Genêt d’Espagne (Spartium<br />

junceum L.) et Ajonc de Provence (Ulex parviflorus Pourr.).<br />

Cette formation buissonnante était en voie de colonisation<br />

par des ligneux hauts, en particulier par le chêne vert (Quercus<br />

ilex L.), mais aussi par le chêne-liège (Quercus suber L.),<br />

des oléastres (Olea europaea var. sylvestris L.), et, plus localement,<br />

quelques pins (Pinus pinea L.) ou des mimosas<br />

(Acacia dealbata Link).<br />

4 - Une formation buissonnante typique : maquis d’un âge d’environ 10 ans. Secteur<br />

Bouleternère, 25/5/2007.<br />

. La cellule REX 66 (Retour d’EXpérience sur les incendies de forêt dans les<br />

Pyrénées-Orientales) est une équipe Pompiers-Forestiers hors dispositif qui se<br />

déplace en observateur sur le feu selon un protocole établi SDIS/DDAF. L’objectif<br />

est de recueillir un maximum d’informations sur le déroulement des incendies<br />

marquants du département pour mieux anticiper les événements futurs.<br />

. Les données ont été récoltées à la station le Vigné (Eus), à 5 km du secteur<br />

incendié, dans le cadre du bilan annuel sur le combustible forestier méditerranéen.<br />

5 - Maquis d’un âge d’environ 30 ans ; strate arbustive dense, formation colonisée par<br />

des arbres. Secteur Bouleternère, 25/5/2007.


L’incendie de Tarerach<br />

33<br />

Par ailleurs, on constate la présence de formations arborescentes,<br />

dominées par des espèces caducifoliées, dans<br />

les secteurs les plus humides (ravins), ainsi que de quelques<br />

reboisements de résineux (pins surtout, mais aussi<br />

cèdres). Finalement, quelques bosquets de chêne-liège<br />

témoignent des activités économiques du passé. Néanmoins,<br />

les formations arborées n’ont pas eu une influence<br />

sensible sur la dynamique du feu : l’extension spatiale des<br />

plantations était trop limitée, et les formations spontanées<br />

étaient protégées par leur situation topographique.<br />

Il va sans dire que les formations buissonnantes dominantes<br />

dans le secteur étudié sont très combustibles.<br />

Sur la carte départementale de l’aléa «incendie de végétation»<br />

, une grande partie de la zone incendiée est carto-<br />

6 - L’aléa « incendie de végétation » dans le secteur parcouru par le feu de Tarerach<br />

du 22/23 août 2005. Extrait de la carte proposée par la DDAF et le Syndicat des<br />

Propriétaires Forestiers Sylviculteurs des Pyrénées-Orientales, complétée.<br />

7 - Historique des incendies dans le secteur du feu de Tarerach. Extrait de<br />

Guillemat 2006, complétée.<br />

. Un aléa est défini comme la probabilité qu’un phénomène naturel d’intensité<br />

donnée se produise en un lieu ; il est évalué à partir de l’historique des feux<br />

et basé sur la quantification de l’aléa.<br />

graphiée « risque moyen » et « risque élevé » (ill. 6). Il est<br />

d’ailleurs intéressant de noter que l’éclosion du feu s’est<br />

produite dans un des rares secteurs classés « à risque faible<br />

». Ce fait souligne bien que les jours de tramontane le<br />

« risque faible » n’existe pas ; d’ailleurs, les feux allumés<br />

volontairement le sont le plus souvent à proximité immédiate<br />

des routes, facilitant la fuite rapide de l’auteur<br />

du feu.<br />

La progression rapide du feu s’explique aussi par l’accumulation<br />

sur plusieurs décennies du combustible : en<br />

effet, dans la partie parcourue au cours des premiers heures<br />

de l’incendie de Tarerach, aucun feu n’avait été recensé<br />

depuis les années 70. Dans les secteurs brûlés plus tardivement<br />

(partie Est du secteur Fenouillèdes et secteur Aspres),<br />

des incendies antérieurs sont documentés, datés de<br />

1978, 1883, 1984, 1995 et 1997 (ill. 7). Il est évident que<br />

l’accumulation du combustible dépend en grande partie<br />

de la date du dernier feu (ill. 4 et 5).<br />

C’est dans la partie non brûlée au cours des derniers<br />

40 ans que l’on a enregistré la propagation la plus rapide<br />

du front des flammes. Attisé par la tramontane, l’incendie<br />

a atteint la Têt, située à une distance d’environ 5 km du<br />

point d’éclosion, en seulement 2 h 30, soit une vitesse du<br />

feu de 2 km/h environ (ill. 9). à ce moment, le feu aurait<br />

parcouru quelque 700 ha et possèdait une circonférence<br />

de 24 km (Guillemat 2006). Puis, la progression du feu<br />

ralentit. C’est la conséquence d’un affaiblissement de la<br />

tramontane (25-50 km/h à 18 h 53 , 25 km/h à 19 h 30),<br />

mais aussi des changements au niveau du combustible :<br />

le feu progresse dans une zone à plus forte empreinte humaine<br />

(parcelles agricoles de la vallée de la Têt), et dans<br />

des secteurs qui avaient déjà brûlé en 1995 et 1997, d’où<br />

une biomasse plus faible.<br />

Néanmoins, le feu parvient à franchir à plusieurs reprises<br />

la Têt (vers 17 heures) ; le village de Rodès est alors<br />

menacé, d’autant plus que les largages sont impossibles à<br />

cause du vent fort.<br />

Vers 18 h 25, l’incendie franchit la Route Nationale et<br />

se dirige vers les Aspres. Finalement, il est maîtrisé sur<br />

le territoire de la commune de Bouleternère, à la faveur<br />

d’une baisse de la puissance du feu (secteur déjà brûlé en<br />

1997 et combustible réduit par une utilisation pastorale),<br />

mais surtout suite à l’affaiblissement de la tramontane. Le<br />

feu est fixé après 13 heures de progression, vers 3 heures<br />

le matin, le 23 août 2005.


34 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre I<br />

Impact sur la végétation<br />

8 - Le village de Rodès pendant l’incendie. Cl. A. Emilian, 22/8/2005, vers 17 h 30.<br />

Il faut noter que l’ensemble du massif des Aspres était potentiellement<br />

menacé : la continuité de la végétation et l’accumulation de la biomasse<br />

depuis les grands incendies de 1976 et 1978 auraient rendu un arrêt du<br />

feu impossible si la tramontane avait persisté. Une dernière saute de feu<br />

qui s’est produite vers minuit à l’extrémité sud de l’incendie, projetant le<br />

feu à une distance de 550 m et allumant un nouveau foyer sur un versant<br />

opposé, illustre bien ce risque potentiel.<br />

9 - Périmètre incendié et progression du feu de Tarerach du 22/23 août 2005.<br />

L’impact d’un feu sur la végétation dépend<br />

des caractéristiques de celle-ci (résistance<br />

des espèces au feu, structure des<br />

formations végétales...), des conditions<br />

atmosphériques avant et après le feu, et<br />

des paramètres de l’incendie (qui dépendent<br />

eux-mêmes du combustible et des<br />

conditions atmosphériques au moment<br />

du feu).<br />

Notons d’abord que le feu de Tarerach<br />

s’est traduit par une combustion incomplète<br />

de la couverture végétale. La progression<br />

très rapide de l’incendie et la présence<br />

de multiples sautes, conséquence<br />

directe de la tramontane soufflant le jour<br />

du feu, ont permis la préservation des secteurs<br />

encaissés plus humides, ainsi que de<br />

quelques secteurs plus minéraux et sous<br />

le vent. Le maintien de ces îlots verts est<br />

particulièrement important dans la qualification<br />

d’un incendie, car il contribue à<br />

limiter les effets négatifs des grands feux :<br />

limitation de l’érosion post-feu, de l’impact<br />

paysager, conservation de porte-graines,<br />

et surtout espace de refuge et d’abri<br />

pour la faune. Une combustion incomplète<br />

accélère non seulement la reconquête<br />

végétale et animale, elle crée aussi un espace-mosaïque<br />

à biodiversité supérieure<br />

par rapport aux espaces uniformes.<br />

Dans les secteurs non protégés par<br />

leur situation topographique, la végétation<br />

aérienne a été dans sa totalité soit<br />

brûlée, soit tuée par le contact avec le<br />

panneau radiant. Toutefois, plusieurs<br />

facteurs ont limité l’impact sur la couverture<br />

végétale :<br />

- L’accumulation de la biomasse et son<br />

dessèchement prononcé ont dû entraîner<br />

des températures élevées, mais l’exposition<br />

à ces températures extrêmes<br />

n’a été que de courte durée (progression<br />

rapide du feu).


L’incendie de Tarerach<br />

35<br />

- Le dessèchement extrême de la végétation n’a pas été<br />

accompagné par un dessèchement aussi prononcé du sol.<br />

Dans le bilan annuel du combustible méditerranéen déjà<br />

évoqué, C. Moro (2006) indique que l’indice humus (IH)<br />

est le 22 août avec un peu plus de 80 loin du seuil de dessèchement<br />

marqué (IH>120) ou extrême (IH>175).<br />

L’humidité résiduelle et la propagation rapide du feu ont<br />

limité l’impact de l’incendie sur le sol et favorisé la survie<br />

des parties souterraines des plantes et des graines.<br />

- l’impact potentiel d’un incendie dépend aussi des<br />

conditions atmosphériques après le feu : il sera d’autant<br />

plus important que la perturbation du feu est suivie par<br />

un stress hydrique lié à une pluviométrie déficitaire. Or,<br />

dans le cas du feu de Tarerach, les précipitations ont été<br />

assez abondantes dans le mois suivant l’incendie : plus de<br />

50 mm en septembre et même plus de 100 mm en octobre<br />

et en novembre. Logiquement, ces précipitations<br />

abondantes favorisent la reprise de la végétation.<br />

- enfin, la végétation concernée par l’incendie est une<br />

végétation méditerranéenne, parfaitement adaptée à ce<br />

type de perturbation. Les végétaux ont développé différentes<br />

stratégies de survie : résistance au feu, survie des<br />

parties souterraines et réapparition par rejets de souche,<br />

ou encore stimulation de la germination conduisant à<br />

une multiplication des pieds après le feu.<br />

Ces différentes stratégies de survie – qui déterminent<br />

aussi les vitesses de régénération des formations végétales<br />

– sont bien visibles après l’incendie de Tarerach. Ce<br />

sont les formations dominées par des espèces résistantes<br />

au feu qui reconstituent le plus rapidement des peuplements<br />

semblables à l’état initial. C’est le cas notamment<br />

du chêne-liège, du fait de la protection offerte par le<br />

liège : sur le secteur brûlé de Tarerach, tous les individus<br />

examinés ont survécu à l’incendie. Le feu a détruit<br />

le feuillage, par incinération ou par dessèchement, mais<br />

quelques mois seulement après l’incendie, les branches<br />

émettent de nouvelles feuilles qui gomment l’effet visuel<br />

du feu ; seule l’absence du sous-bois témoigne encore de<br />

l’incendie passé (ill. 10 et 11). D’après Trabaud (1989),<br />

une suberaie brûlée retrouve une composition spécifique<br />

et une structure du peuplement proches de l’état initial<br />

au bout d’une dizaine d’années après le feu.<br />

Dans une moindre mesure, ce constat est valable également<br />

pour les quelques boisements de pin (Pinus pinea L.<br />

surtout) présents sur le site. Toutefois, leur protection<br />

10 - Peuplement à chênes-lièges deux ans après le feu. Vue du versant opposé, l’absence<br />

presque complète du sous-bois est la seule trace visible de l’incendie. Secteur<br />

Bouleternère, 25 mai 2007.<br />

11 - Chêne-liège deux ans après l’incendie. Seule l’écorce noircie et la présence<br />

de branches mortes (à gauche) témoignent encore du feu. Secteur Bouleternère,<br />

25 mai 2007.<br />

par l’écorce est moins efficace, et les individus ne peuvent<br />

survivre que si leur cime échappe au feu. Ainsi, les individus<br />

jeunes et croissant dans les formations à sous-bois<br />

développé ont été tués par le feu, tandis que les individus<br />

plus grands ont survécu : la distance entre les strates<br />

basses et les cimes n’a pas permis de communiquer le feu.


36 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre I<br />

12 - Impact du feu sur une plantation de pins. Cliché pris au-dessus du village de Rodès, le 25 mai 2007.<br />

Dans ces cas, l’effet du feu s’est limité à un « élagage thermique<br />

» (ill. 12). Le pin pignon est également capable de<br />

régénérer par germination ; toutefois, la faible production<br />

de graines défavorise cette espèce si les feux sont<br />

trop rapprochés (Rodrigo, Retana, Pico 2004).<br />

à l’exception des secteurs qui ont échappé à l’incendie et<br />

des espèces résistantes, les parties aériennes des végétaux<br />

ont été entièrement détruites par le feu. La réapparition<br />

des espèces se fait alors soit par régénération végétative, soit<br />

par germination. Aucun relevé n’avait été effectué sur le site<br />

de Tarerach avant le feu, mais la comparaison de secteurs<br />

brûlés et non brûlés montre clairement qu’il n’y a pas de<br />

modifications significatives de la composition floristique<br />

des peuplements : la régénération se fait à partir des espèces<br />

présentes avant l’incendie. Toutefois, le feu entraîne la multiplication<br />

de quelques taxons fugaces, thérophytes, rudéraux<br />

ou anémochores. Nous avons par exemple noté l’envahissement<br />

par le Seneçon du Cap (Senecio inaequidens DC)<br />

d’une parcelle de la plane de Coundomy, au sud-est de Montalba.<br />

L’extension spatiale de l’invasion est limitée, et ce néophyte<br />

introduit de l’Afrique du Sud est présent également<br />

dans les secteurs non brûlés, mais sa multiplication est clairement<br />

liée à la mise à nu du sol par le feu.<br />

Parmi les espèces ligneuses caractéristiques du maquis,<br />

on remarque la variation des abondances et dominances<br />

spécifiques dans les années suivant le feu, liées aux caractères<br />

de survie (« attributs vitaux ») des espèces : les<br />

taxons qui se régénèrent exclusivement par germination<br />

sont dans un premier temps plus abondants, mais à dominance<br />

plus faible. C’est le cas notamment des Cistes,<br />

arbustes à stratégie « r » , qui sont d’ailleurs de véritables<br />

pyrophytes : le choc thermique du feu provoque une levée<br />

de la dormance des graines et entraîne un taux de germination<br />

élevé (Trabaud et Oustric 1989) ; aussi, l’automne<br />

humide a dû favoriser la réapparition des cistes . Les caractéristiques<br />

du milieu et les conditions atmosphériques<br />

dans les mois après le feu déterminent ensuite le taux de<br />

survie des semis, mais aussi la croissance des plantules<br />

au cours des premières années après l’incendie. Deux ans<br />

après l’incendie, on peut remarquer que les semis sont plus<br />

denses et les plantules mieux développées en zone découverte<br />

(entre les touffes de végétaux rejetant de souche),<br />

certainement à cause de l’absence de compétition pour la<br />

lumière, les nutriments et l’eau de la part des autres végétaux.<br />

Bien entendu, la stimulation de la germination n’est<br />

effective que jusqu’à une certaine limite ; des températures<br />

trop élevées sont létales . Dans le cas de l’incendie de<br />

Tarerach, c’est la propagation rapide du feu qui a limité<br />

la montée des températures dans le sol et évité la destruction<br />

du stock de graines. Par conséquent, les plantules<br />

. Les stratégies r/K correspondent à un modèle évolutif proposé par les<br />

écologues R. MacArthur et E. O. Wilson en 1967 : les espèces à stratégie « r »<br />

assurent la survie des populations par la production d’un grand nombre de<br />

jeunes, le plus tôt possible, pour contrecarrer une mortalité très élevée. La<br />

survie des espèces à stratégie « K » est basée sur une durée de vie très longue ;<br />

leur reproduction est plus rare et tardive.<br />

. L’importance de ce facteur est cependant incertaine : des études récentes<br />

(Cespedes et Moreno 2007) ont en effet démontré que la présence de périodes<br />

sèches ne se traduit pas automatiquement par une densité inférieure de semis<br />

de cistes.<br />

. La sensibilité vis-à-vis des températures élevées est variable entre les espèces,<br />

mais c’est en général autour de 150° que l’on constate une mortalité<br />

élevée des graines (Valbuena 1992).


L’incendie de Tarerach<br />

37<br />

13 - omniprésence des plantules de cistes<br />

deux ans après le feu. Secteur Bouleternère,<br />

25 mai 2007.<br />

14 - deux ans seulement après le feu, les premiers<br />

pieds du Ciste cotonneux (Cistus albidus)<br />

sont en fleurs. Secteur Rodès, 25 mai 2007.<br />

de cistes sont omniprésentes (ill. 13). Toutefois, si leur abondance<br />

augmente fortement après l’incendie, les cistes restent peu visibles<br />

dans les années après le feu à cause de leur petite taille. Notons que<br />

la fertilité précoce des cistes protège les peuplements en cas de feux<br />

trop rapprochés : deux ans seulement après le feu, les premiers cistes<br />

cotonneux montent en graines (ill. 14).<br />

Parmi les espèces se régénérant uniquement par germination, c’est<br />

le Genévrier oxycèdre qui semble le plus fortement affecté : nos recherches<br />

ont donné seulement quelques rares semis sur le plateau de<br />

Montalba. Toutefois, il faut noter que l’espèce était peu abondante<br />

avant le feu. Elle n’a donc certainement pas été éliminée par le feu,<br />

mais fait partie des espèces les plus sensibles aux incendies.<br />

La très grande majorité des espèces du maquis se régénère par<br />

reprise de souche ou par rejets sur rameaux bas qui assureront une<br />

rapide occupation en biovolume. Sur le site de Tarerach, les exemples<br />

les plus visibles de cette stratégie sont la bruyère arborescente<br />

et le chêne vert (ill. 15 et 16), mais d’autres espèces moins abondantes<br />

appartiennent au même groupe d’arbustes à stratégie « k » :<br />

Filaire (Phillyrea angustifolia L.), Nerprun alaterne (Rhamnus alaternus<br />

L.), Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus L.)... Certaines<br />

de ces espèces (par ex. le chêne vert) ont la capacité de produire<br />

des rejets vigoureux immédiatement après le feu, d’autres rejettent<br />

seulement à la faveur des pluies automnales. Dans le cas du feu de<br />

Tarerach intervenu à la fin de l’été, les différences des vitesses de<br />

réapparition étaient logiquement insignifiantes.<br />

Ce modèle de résistance est parfaitement adapté aux perturbations<br />

: deux ans après le feu, la hauteur des rejets varie, suivant les<br />

espèces et les conditions stationnelles, entre 40 cm et plus d’un<br />

mètre. à titre de comparaison, les plantules issues de la germination<br />

n’atteignent au même moment que 20-35 cm. Ainsi, les premiers<br />

stades de régénération sont dominés par le chêne vert et par<br />

la bruyère arborescente ; cependant, l’abondance des semis de cistes<br />

15 - Rejets de souche de la bruyère blanche (Erica arborea) et plantules<br />

de cistes deux ans après le feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007.<br />

16 - Rejets de souche d’un chêne vert (Quercus ilex) deux ans après le<br />

feu. Secteur Bouleternère, 25 mai 2007.<br />

laisse prévoir une reconstitution à moyen terme<br />

de peuplements proches de leur composition<br />

initiale. Les observations effectuées à proximité<br />

immédiate du secteur incendié confirment<br />

d’ailleurs la bonne résilience du maquis à la perturbation<br />

d’un feu : 10 ans seulement après un<br />

incendie, les formations végétales sont cicatrisées<br />

et reforment un maquis dense d’une hauteur<br />

moyenne de 1,5 mètre environ (ill. 4).


38 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre I<br />

Conclusion<br />

L’analyse a bien démontré le caractère exceptionnel de<br />

l’incendie de Tarerach : c’est le feu le plus important du<br />

département depuis 30 ans en superficie. Il est d’autant<br />

plus intéressant pour une étude archéologique qu’une<br />

partie importante de la surface brûlée n’avait pas été touchée<br />

par un incendie depuis les années 60. Cependant,<br />

si le feu a rendu un tel travail possible, en supprimant la<br />

couverture végétale et en rendant les traces d’une ancienne<br />

occupation humaine visibles, la vitesse de la régénération<br />

végétale limite le temps potentiel disponible. Deux<br />

ans seulement après l’incendie, les peuplements dominés<br />

par des taxons à régénération végétative deviennent à<br />

nouveau impénétrables, et les vestiges disparaissent sous<br />

la couverture végétale.<br />

Enfin, si le feu de Tarerach était un événement exceptionnel<br />

qui constituait de ce fait une bonne opportunité,<br />

d’autres occasions peuvent se présenter dans les années à<br />

venir : des incendies d’une taille inférieure certainement,<br />

mais peut-être aussi un nouveau très grand feu. En effet,<br />

la réduction au cours des dernières deux décennies de la<br />

surface incendiée et du nombre de grands feux, suite au<br />

progrès en matière de lutte et de prévention, a conduit à<br />

une augmentation de la biomasse et donc à une accumulation<br />

du combustible. Par conséquent, la réduction des<br />

surfaces brûlées a paradoxalement augmenté le risque.<br />

Ainsi, un nouveau très grand feu reste dans un proche<br />

avenir non seulement possible mais, peut-être même,<br />

probable – d’autant plus que des mesures préventives (réduction<br />

du combustible par l’élevage par exemple) sont<br />

depuis plusieurs années en régression sur le département,<br />

faute de moyens.


chapitre II<br />

Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Marc Calvet<br />

Du milieu physique aux hommes et à leurs activités :<br />

c’est l’approche classique de la géographie « vidalienne »,<br />

née en France au XIX e siècle finissant sous l’impulsion<br />

de Paul Vidal de La Blache, qui fut initialement, il faut le<br />

rappeler, historien et docteur avec une thèse sur Hérode<br />

Atticus (Claval 1998). Une approche que nombre de<br />

nos collègues de géographie humaine, qui ont renvoyé<br />

déterminisme et possibilisme au rang des vieilles lunes,<br />

considèrent depuis longtemps comme désuète et dépassée.<br />

Ce n’est manifestement pas le cas pour les historiens,<br />

les archéologues et les préhistoriens, dont l’objectif fondamental<br />

reste l’Homme, mais que leur confrontation au<br />

terrain pour les uns et leur familiarité avec la profondeur<br />

du Temps rendent certainement plus sensibles au poids<br />

de l’espace et à ses contraintes.<br />

C’est, je présume, pour cette raison que les responsables<br />

du programme « Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

» ont sollicité cette intervention et souhaité ce texte.<br />

Je planterai donc le décor du milieu physique, dans cet<br />

espace brûlé et ces territoires où les hommes ont laissé<br />

tant de traces révélées par le passage du feu. Puis je m’attacherai<br />

à exhumer des cendres du passé une histoire des<br />

paysages, en explorant trois échelles de temps. D’abord le<br />

temps profond du lointain passé géologique, qui conditionne<br />

les grandes lignes du relief. Puis le temps médian<br />

du Quaternaire, où les premiers groupes de chasseurscueilleurs<br />

ont exploité ces espaces aux ressources variées.<br />

Enfin le temps historique des sociétés, qui plonge ses<br />

racines dans le Néolithique et offre une perspective de<br />

quelques millénaires ; des sociétés agro-pastorales dont<br />

l’impact apparaît à l’analyse bien tardif et fugace à l’aune<br />

des temporalités terrestres, mais si long et encore bien<br />

obscur à celle des temporalités humaines.<br />

lA <strong>montagne</strong> brûlée et son cadre :<br />

paysages, terroirs et territoires<br />

L’espace concerné (ill.1) s’inscrit à la charnière du bassin<br />

méditerranéen du Roussillon et de la <strong>montagne</strong> pyrénéenne,<br />

une <strong>montagne</strong> néanmoins encore largement baignée<br />

par les influences climatiques issues de la Méditerranée<br />

proche (Calvet 1996 : 698 et suiv.). La zone brûlée se développe<br />

au pied des premières crêtes, qui atteignent 1000 m<br />

au massif de Roque Jalère, et prend en écharpe la vallée de<br />

la Têt, depuis le plateau de Montalba (500 m) jusqu’aux<br />

Aspres, en passant par le seuil de Ternère (250 m), limite<br />

géographique et géologique du bassin du Conflent. Mais<br />

on ne peut se limiter strictement à l’espace sinistré : il faut<br />

intégrer un cadre plus large pour comprendre les logiques<br />

de ces espaces et de ces territoires.


40 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre II<br />

P. de Sault<br />

Aude<br />

Capcir<br />

2°15 2°30 2°45 3°<br />

Dourmidou<br />

Madrès<br />

Conflent<br />

Têt<br />

Canigou<br />

Corbières<br />

Fenouilledes<br />

Vallespir<br />

zone d’étude<br />

Roussillon<br />

Aspres<br />

Albères<br />

1 - Carte de localisation : le plateau de Montalba dans son cadre géographique, d’après le Modèle numérique de<br />

terrain SRTM, 2004, au pas de 90 m.<br />

Un relief à trois étages<br />

De la plaine du Roussillon à la <strong>montagne</strong>, les paysages s’organisent simplement,<br />

en trois plans étagés successifs, séparés par des escarpements raides et<br />

rectilignes (ill. 1, 2 et 3). Le plus bas forme entre 100 et 300 m le plancher<br />

des bassins du Roussillon et du Conflent, installé sur leur remplissage détritique<br />

néogène et les alluvions quaternaires. C’est, en aval du seuil de Ternère,<br />

une véritable plaine très régulière, simplement accidentée par les talus décamétriques<br />

séparant les différents niveaux de terrasses étagées ; en Conflent<br />

par contre les plans se restreignent à de petites unités discontinues, à Rodès,<br />

Vinça, sur la Lentilla, séparées par des collines convexes allongées. La Têt<br />

longe étroitement, d’Eus à Millas, un haut talus granitique calé sur la faille<br />

bordière majeure qui limite au nord les fossés du Conflent-Roussillon ; cet<br />

escarpement rocheux, raide et rectiligne, voit son ampleur augmenter d’est en<br />

ouest, passant de 150 à 300 m de dénivelé.<br />

Le plateau granitique de Montalba constitue le palier intermédiaire, légèrement<br />

basculé de 550 à 300 m d’ouest en est (ill. 4 et 6). Ce vaste plateau est<br />

très accidenté, juxtaposant alvéoles, plans de taille hectométrique à kilométrique<br />

et bosses rocheuses hautes de quelques mètres à quelques décamètres ; les<br />

cours d’eau y inscrivent aussi d’étroites vallées en V à flancs raides, de plus en<br />

plus incisées vers les bordures du plateau. Un deuxième talus, plus sinueux,<br />

précédé parfois de hauts pitons rocheux comme le Roc del Maure (775 m),<br />

sépare le plateau de Montalba des hauts massifs de Roque Jalère. Il semble<br />

lui aussi lié au jeu de failles NE-SW (Lagasquie 1984, 1989 ; Calvet 1996),<br />

moins clairement toutefois que pour le premier talus.<br />

Ces versants, comme le plateau de Montalba, sont hérissés d’un très<br />

grand nombre de chaos granitiques et ils donnent accès au palier supérieur.<br />

Agly<br />

Têt<br />

Tech<br />

42°45<br />

42°30<br />

25 km<br />

Ce sont de hautes surfaces onduleuses,<br />

doucement inclinées au nord-est,<br />

entre 900 et 1200 m. Ces lambeaux<br />

de plateau sont très dégradés par des<br />

vallons concaves affluents de la Desix<br />

et eux aussi ponctués de très nombreux<br />

chaos de blocs. Au-delà du<br />

Pic del Roussillou, ils sont dominés<br />

par les croupes convexes assez molles<br />

des Quarante Croix (1356 m) à la<br />

Serre d’Escales (1724 m), toujours<br />

piquetées de chaos, qui contrastent<br />

avec celles remarquablement émoussées<br />

et régularisées du Dourmidou<br />

(1843 m), où l’on retrouve les séries<br />

schisteuses du Paléozoïque, identiques<br />

à celles des Aspres.<br />

L’étagement des milieux bioclimatiques<br />

et des terroirs<br />

La plaine est le domaine verdoyant<br />

des terres irriguées, vergers<br />

de pêchers et maraîchage, files<br />

de cyprès ou de peupliers en abri<br />

du vent, réseau dense et complexe<br />

des canaux ; seules les collines du<br />

Conflent sont retournées au maquis<br />

épineux qui voile mal le lacis<br />

des murettes et des terrasses abandonnées<br />

du vignoble.<br />

Symétriques, Aspres et plateau<br />

de Montalba appartiennent encore<br />

pleinement à l’étage méditerranéen :<br />

la forêt de chênes verts, associés<br />

parfois au pin pignon, à sous-bois<br />

de cistes, d’arbousiers, de bruyères<br />

blanches et d’ajoncs épineux, forme<br />

plutôt un taillis dense, souvent un<br />

simple maquis, encore largement<br />

troué par le vignoble sur le plateau.<br />

Sur ces terres sèches la rétraction de<br />

l’ager depuis le XIX e siècle est considérable<br />

dès que la pente augmente et<br />

partout se lisent les traces d’anciens<br />

terroirs à travers le réseau des murettes<br />

et les vestiges d’olivettes.


Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

41<br />

Avec le massif de Roque Jalère, on<br />

entre dans l’étage subméditerranéen,<br />

avec des boisements de chênes pubescents,<br />

en mélange avec les chênes<br />

verts d’abord puis très dominants<br />

au-dessus de 800 m. Sur les hauts<br />

plateaux apparaissent les genêts et<br />

les hêtres de l’étage montagnard, omniprésent<br />

dès le Roc des Quarante<br />

Croix. La transition est ici très rapide<br />

avec les influences océaniques<br />

humides et fraîches qui marquent<br />

fortement les paysages à l’ouest d’une<br />

ligne Mosset-Rabouillet ; en hiver la<br />

neige y tient bien plus bas que dans<br />

les autres massifs qui enserrent le<br />

Conflent. Ce domaine n’a guère abrité<br />

d’habitat permanent, hormis le village<br />

ruiné de Comes (794 m) et quelques<br />

métairies isolées ; mais l’homme<br />

l’a pourtant fortement transformé,<br />

par une exploitation saisonnière<br />

agro-pastorale intense (Sorre 1913 :<br />

352). Quelques escaliers de terrasses<br />

y marquent les vallons les mieux exposés,<br />

mais l’essentiel est la disparition<br />

quasi généralisée, au dessous de<br />

1300 m, du couvert végétal naturel,<br />

au profit d’immenses landes à cistes<br />

à feuilles de laurier et, plus haut, à<br />

genêts.<br />

Une hydrologie fantasque<br />

Les écoulements pérennes sont<br />

rares, sauf tout à l’ouest, plus montagnard.<br />

Passé la Têt, qui étale son<br />

lit en tresses multiples au débouché<br />

de la gorge de Rodès, seuls quelques<br />

ruisseaux principaux, Crabayrisse,<br />

rivière de Tarerach, Bellagre, ont un<br />

écoulement continu à peu près assuré,<br />

mais souvent bien maigre. La plupart<br />

des talwegs restent à sec une bonne<br />

partie de l’année, pas seulement en<br />

été mais aussi en semestre hivernal<br />

les années sèches. Cependant, lors<br />

1163<br />

Sournia<br />

540<br />

816<br />

R. Jalère<br />

1160<br />

T1<br />

T2<br />

340<br />

Prades<br />

1025<br />

Arboussols<br />

590<br />

Têt<br />

Desix<br />

670<br />

R. Couret<br />

862<br />

T4<br />

Conflent<br />

2° 30<br />

T1<br />

%<br />

S. Espinets<br />

804<br />

Tarerach<br />

Vinça<br />

270<br />

T2<br />

Montalba<br />

483<br />

P. Aubeil<br />

540<br />

Bélesta<br />

Ille<br />

150<br />

2° 40<br />

10 km<br />

des longues sécheresses, le plateau granitique de Montalba recèle en son sein<br />

des ressources hydriques inattendues. Le manteau d’altération très épais et,<br />

dessous, le granite fracturé renferment des nappes phréatiques permanentes.<br />

Elles affleurent dans les fonds de cuvettes où s’étalent en toute saison de surprenantes<br />

prairies verdoyantes, ponctuées de bas-fonds marécageux piquetés<br />

de joncs (ill. 4). De nombreux puits les exploitent à faible profondeur et elles<br />

alimentent à la périphérie du plateau plusieurs sources pérennes, comme<br />

celle de Montalba, au nord du village.<br />

Les prospections ont révélé de nombreux aménagements de petite hydraulique<br />

dans les vallons actuellement secs du plateau, comme celui du ravin<br />

de Ropidera, voire sur des replats culminants du Pont de Labau (Passarrius<br />

et alii 2007, 188-191). Si les travaux de canalisation des écoulements pour<br />

limiter l’érosion sont fréquents, dans ces cas-là une fonction d’irrigation est<br />

plausible. Cette fréquence ne doit pas nous faire croire à une abondance passée<br />

des eaux plus généreuse. Le Petit Âge de Glace, du XIV e au XIX e siècle,<br />

s’est traduit sur les rives de la Méditerranée surtout par une recrudescence<br />

des événements pluvieux extrêmes (Grove, Rackham 2001 : 131 et suiv.) ; la<br />

légère baisse des températures a pu restreindre l’évapotranspiration, mais la<br />

saison sèche estivale n’avait pas disparu et l’irrégularité dans l’alimentation<br />

des nappes phréatiques restait la règle. L’étroitesse du plateau de Labau exclut<br />

toute source permanente au débit suffisant pour justifier le calibre des<br />

canaux décrits ; tout au plus on envisagera, en particulier dans les vallons,<br />

une irrigation opportuniste de printemps, pour favoriser la pousse du fourrage<br />

ou alimenter de petits jardins.<br />

466<br />

Agly<br />

T1<br />

T1 Rodès<br />

T2<br />

664<br />

311<br />

T0<br />

Têt<br />

Aspres<br />

270<br />

Riberal<br />

T1<br />

2 - Les trois étages du relief, d’après la carte des pentes en pourcentage extraite du Modèle numérique de terrain.<br />

Les pentes très faibles des nappes alluviales quaternaires des bassins apparaissent en blanc, celles des plateaux<br />

en blanc et vert clair ; les escarpements ressortent en jaune-orangé-rouge, ainsi que les versants des massifs très<br />

découpés par l’érosion, synclinal de Boucheville-Serre d’Espinets, Aspres, versant sud de Roque Jalère.<br />

T2<br />

42° 40


42 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

CHAPITRE II<br />

540<br />

Sournia<br />

Desix<br />

S. Espinet<br />

804<br />

Agly<br />

483<br />

P. Aubeil<br />

540<br />

Belesta<br />

270<br />

816<br />

670<br />

1163<br />

R. Jalère<br />

1160<br />

1025<br />

862<br />

590<br />

Arboussols<br />

466<br />

Montalba<br />

Rodès<br />

T2<br />

311<br />

T1<br />

T0<br />

Têt<br />

Ille-sur-Têt<br />

150<br />

42° 40<br />

T2<br />

Têt<br />

Vinça<br />

270<br />

T1<br />

340<br />

Prades<br />

T2<br />

T4<br />

T1<br />

T2 T4<br />

2° 30<br />

T2<br />

Aspres<br />

664<br />

2° 40<br />

10 km<br />

T2<br />

1 2 3 4 5<br />

b 6<br />

b 7 8<br />

3 - Carte géomorphologique schématique du domaine étudié. Fond topographique d’après le Modèle numérique de terrain. 1- Série sédimentaire détritique continentale du<br />

Miocène inférieur du Conflent. 2- Pliocène marin et continental du Roussillon. 3- Nappes alluviales quaternaires. 4- Restes de la surface d’aplanissement du Miocène moyen<br />

sur les granites du plateau de Montalba. 5- Replats d’érosion et alvéoles pliocènes. 6- Principales failles. a : failles inverses et/ou décrochantes de l’orogenèse pyrénéenne au<br />

Paléogène. b : failles normales extensives néogènes délimitant les fossés d’effondrement du Conflent-Roussillon. En tireté, failles supposées ou masquées. 7- Formes de relief<br />

structurales. a : facettes d’escarpement de faille récent. b : crêts et barres d’érosion différentielle dans les marbres mésozoïques du synclinal de Boucheville. Pour ne pas surcharger,<br />

l’escarpement de faille composite du plateau de Montalba, exhumé du Pliocène, n’a pas été représenté. 8- talus de terrasses alluviales et numérotation des niveaux.<br />

a<br />

a<br />

un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux<br />

Le plateau de montalba occupe une position-clé dans<br />

l’organisation de l’espace régional, au contact de la plaine<br />

méditerranéenne et des hauts massifs <strong>montagne</strong>ux (ill. 1),<br />

une position certainement valorisée par les sociétés agropastorales<br />

depuis leurs lointaines origines néolithiques.<br />

C’est en effet le chemin le plus direct et le plus facile, en<br />

moins d’une trentaine de kilomètres, soit une journée de<br />

marche, entre les bas pays et les pâturages d’altitude de la<br />

<strong>montagne</strong>, vers le dourmidou, le madrès et, au-delà, le<br />

donnezan et le Capcir. Cette voie de crêtes évite les vallées<br />

étroites aux passages en gorge malcommodes et escarpés,<br />

comme la Têt et ses affluents ; elle passe à l’écart des villages<br />

et de leurs terroirs cultivés, source de conflits entre<br />

pasteurs et agriculteurs ; elle est ponctuée de ressources<br />

herbagères intermédiaires non négligeables, dès le plateau<br />

de montalba puis sur les croupes de Roque Jalère, ainsi<br />

que de ressources en eau, sources et ruisseaux, bien plus<br />

abondantes et régulières que sur les versants schisteux. Cet<br />

axe potentiel de transhumance facile, encore marqué par<br />

les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau<br />

de montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments<br />

mégalithiques, menhir de la Peyre drete, dolmens<br />

de Lieussanès, de Campoussy, du col de Tribes, de Cortal<br />

Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui<br />

des Quarante Croix (Abélanet 1990, 1992).


GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

43<br />

plancher marécageux de l’alvéole<br />

relief résiduel (inselberg)<br />

aplanissement miocène<br />

alvéole de Montalba, excavé dans les<br />

granites arénisés sous le plan miocène<br />

4 - Le plateau de Montalba : un aplanissement miocène dominé par des reliefs résiduels et fortement dégradé au Plio-<br />

Quaternaire, par le creusement de cuvettes dans le granite arénisé.<br />

lA Genèse eT l’évoluTIon Du plATeAu De monTAlBA :<br />

une plonGée DAns le Temps profonD<br />

Cette unité de relief s’inscrit presque exclusivement dans le massif granitique<br />

d’âge hercynien dit de millas, une roche gris clair, à gros grains, souvent de faciès<br />

porphyroïde avec de grands cristaux de feldspath orthose pluri centimétriques ;<br />

il y existe des différenciations non porphyroïdes et de nombreuses enclaves locales<br />

de schistes métamorphiques, de gabbros, d’albitites, des filons de microgranite<br />

acide et de quartz blanc.<br />

une surface d’érosion réalisée au miocène<br />

Le plan bosselé actuel du plateau dérive d’une très vieille topographie d’aplanissement<br />

réalisée au miocène, au détriment de la vieille chaîne plissée pyrénéenne,<br />

née de la collision entre l’Ibérie et l’Europe, du Crétacé supérieur au début<br />

de l’Oligocène (soit entre 70 et 30 ma). Les traces de cette collision existent<br />

sur la limite nord du plateau, marquée par la faille nord-pyrénéenne qui court<br />

de Sournia à millas, par Trévillach et Bélesta et fait la suture entre les deux<br />

plaques (ill. 3). Cet accident décrochant-inverse vient chevaucher le synclinal<br />

de Boucheville et ses calcaires et marnes mésozoïques, fortement plissés et métamorphisés<br />

en marbres et cornéennes noires pendant l’orogenèse pyrénéenne<br />

(Fonteilles et alii 1993).<br />

On démontre en réalité dans le cadre régional (Calvet 1996) que deux<br />

aplanissements successifs se sont développés sur les Pyrénées et leurs restes<br />

existent aussi bien sur les plus hauts sommets (plas du madrès, 2400 m, du<br />

Campcardos, 2900 m, du Carlit,<br />

2800 et 2200 m, Pla Guillem,<br />

2300 m...) que sur les marges de la<br />

chaîne (Corbières orientales, entre<br />

400 et 100 m). Le plus ancien, S0,<br />

élaboré à l’Oligo-Aquitanien, a été<br />

le plus généralisé et il est conservé<br />

toujours en position culminante<br />

sur des reliefs résiduels. Le plus<br />

récent, S1, est emboîté quelques<br />

hectomètres en contrebas, à la<br />

suite de jeux de blocs faillés datés<br />

du Burdigalien ancien par les<br />

dépôts détritiques du Conflent,<br />

et il s’est élaboré entre 18 et<br />

10 ma au miocène moyen. C’est<br />

ce deuxième aplanissement qui<br />

est représenté sur le plateau de<br />

montalba ; on le suit vers l’est en<br />

continu sur les gneiss de Bélesta,<br />

puis sur les calcaires mésozoïques<br />

plissés où il est parfaitement<br />

conservé en raison de l’immunité<br />

karstique, de Latour-de-France à<br />

Vingrau, Baixas, Fitou et Port-la-<br />

Nouvelle ; vers l’ouest le plan est<br />

disloqué par des failles et soulevé,<br />

encore reconnaissable sur le plateau<br />

de Séquières (650 à 700 m),<br />

plus dégradé sur les hautes surfaces<br />

de Roque Jalère (entre 900<br />

et 1200 m).<br />

Il faut imaginer il y a 10 ma une<br />

topographie de plaine d’érosion<br />

bien plus régulière que le paysage<br />

bosselé actuel (ill. 4), seulement<br />

dominée par quelques buttes ou<br />

barres résiduelles isolées et aux<br />

flancs raides, des inselbergs, dans<br />

les granites acides ou les filons de<br />

quartz, et au nord par les dalles<br />

calcaires redressées (ill. 3) et les<br />

croupes de cornéennes noires du<br />

synclinal de Boucheville, toutes<br />

roches plus résistantes à l’altération<br />

que les granites du plateau.


44 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

CHAPITRE II<br />

une chronologie précise des aplanissements<br />

La datation de ces formes relève de méthodes diverses,<br />

aussi est-elle maintenant bien assurée (Calvet 1996,<br />

Calvet, Gunnell 2008). Ils tranchent toutes les structures<br />

plissées pyrénéennes et sont donc postérieurs à la première<br />

moitié de l’Oligocène. Le plan S1 dans les Corbières<br />

recoupe les sédiments déformés de l’Aquitanien et il vient<br />

se raccorder aux dépôts littoraux du miocène moyen. Sur<br />

les calcaires ce plan porte de très nombreux gisements de<br />

faunes de rongeurs piégées dans les fissures superficielles<br />

du karst et datés pour la plupart entre 21 et 10 ma<br />

(sites de Baixas, de Tautavel, de Castelnou...). Les sites<br />

datés entre 18 et 10 ma renferment d’abondants apports<br />

détritiques allogènes, sables et graviers quartzeux, prouvant<br />

que ces plans servaient de plan de transport à des<br />

épandages fluviatiles depuis la zone axiale et que donc la<br />

région était en voie d’aplanissement généralisé. La juxtaposition,<br />

à la surface, de sites d’âge très différent démontre<br />

aussi la très faible érosion ultérieure de ces plateaux<br />

calcaires, extraordinaires conservatoires de paléo formes<br />

âgées de 20 à 10 ma.<br />

Les secteurs où le plan se développait sur le socle hercynien<br />

sont beaucoup moins bien conservés, comme sur<br />

le plateau chaotique de montalba ; par contre ces roches<br />

renferment des minéraux qui renseignent sur l’histoire<br />

de la dénudation érosive. La thermochronologie par les<br />

traces de fission, associée aux âges hélium dans les cristaux<br />

d’apatite, un minéral accessoire présent dans les granites,<br />

fournit l’âge auquel les échantillons de roche maintenant<br />

en surface ont franchi les isothermes 110° et 60°<br />

dans la croûte terrestre, lors de la dénudation érosive qui<br />

a conduit à l’aplanissement des Pyrénées paléogènes ; le<br />

gradient géothermique moyen étant de 30° par km, cela<br />

implique l’ablation d’au moins 4 km de roches. La méthode<br />

a été appliquée aux aplanissements des Pyrénées<br />

orientales et en particulier à la région de l’Agly et de<br />

montalba (Calvet, Gunnell 2005 ; Gunnell et alii 2008,<br />

2009) ; les âges obtenus et la statistique des longueurs de<br />

traces (≥14 µm) démontrent que l’exhumation a été très<br />

rapide autour de 35-25 ma et que depuis cette date les<br />

échantillons sont à l’affleurement.<br />

En croisant nos deux marqueurs, il est donc évident que<br />

les aplanissements (S0 principalement) sont achevés après<br />

30-25 ma (âges traces de fission-hélium) et déjà en place<br />

lorsque se déposent à leur surface les gisements de rongeurs<br />

(particulièrement nombreux entre 18 et 10 ma).<br />

Dégradation lente et histoire ultérieure du plateau de<br />

montalba<br />

Le paysage actuel du plateau traduit une très longue<br />

évolution sous le contrôle de deux processus antagonistes.<br />

d’une part l’altération chimique des roches, qui produit<br />

d’épaisses arènes meubles, plus ou moins évoluées<br />

et plus ou moins riches en argiles selon les conditions<br />

paléo climatiques, à des rythmes variables aussi selon<br />

ces mêmes conditions. Les climats subtropicaux chauds<br />

et humides du Tortonien ou du Pliocène ont été très favorables,<br />

les phases arides du messinien ou du Pliocène<br />

supérieur beaucoup moins, ainsi d’ailleurs que les phases<br />

froides quaternaires. Le processus se poursuit activement<br />

sous nos yeux, comme pendant tous les interglaciaires<br />

tempérés, dans la nappe phréatique qui baigne le plancher<br />

des alvéoles. Sa vitesse a pu être mesurée en région<br />

méditerranéenne : dans les maures (martin 1987, 1988)<br />

l’abaissement du front d’altération serait de l’ordre de 20 à<br />

30 mm/ka, soit 20 à 30 m par ma, mais l’extrapolation<br />

linéaire sur la base de la géochimie actuelle des eaux n’est<br />

certainement pas licite et le processus doit se ralentir à<br />

mesure que le manteau d’altération s’épaissit. Plus généralement<br />

d’autres auteurs indiquent que la vitesse d’arénisation,<br />

mal connue, serait de l’ordre de 5 à 20 m/ma, seulement<br />

5 à 10 m/ma en zone tempérée à fraîche (migon,<br />

Thomas 2002 : 15-19). La tranche d’arènes minimale qui<br />

s’est formée sur le plateau peut être estimée à partir du<br />

dénivelé entre le plancher des alvéoles et les plus hauts<br />

chaos de blocs, soit une cinquantaine de mètres, ce qui<br />

implique sur les bases précédentes une durée de 5 ma.<br />

volume de roche saine :<br />

tor en cours de dégagement<br />

colluvions quaternaires<br />

remaniant arènes et blocs<br />

arène granitique en place<br />

5 - L’altération du granite de Montalba : l’arénisation sableuse pénètre inégalement<br />

en profondeur ; à gauche volume rocheux sain en voie d’exhumation (« tor ») par les<br />

processus érosifs d’ablation du Quaternaire froid (colluvions solifluées à blocs).


Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

45<br />

synclinal de Boucheville<br />

Montalba<br />

pic Aubeil<br />

surface miocène<br />

Força Real<br />

7 - Vieilles alluvions quartzeuses résiduelles jonchant l’« oppidum »<br />

1025 de Ropidera. Noter l’émoussé éolien des arêtes et les facettes<br />

légèrement concaves des deux cailloux du bas, ainsi que leur forte<br />

patine ferrugineuse rouge violacé.<br />

6 - Un tor exhumé des arènes, sur l’« oppidum » 1025 de Ropidera. L’altération préalable a exploité un réseau<br />

de diaclases subverticales bien visibles. Au fond, l’aplanissement miocène et ses reliefs résiduels.<br />

Le déblaiement de ces arènes se fait beaucoup plus rapidement, au<br />

rythme des crises climatiques qui éclaircissent ou éliminent le tapis<br />

végétal. La solifluxion, en particulier pendant les périodes froides,<br />

entraîne à la fois les arènes et les blocs granitiques qu’elles emballent,<br />

comme le montrent des coupes sur la route entre Marcevol et<br />

Arboussols (ill 5). Le ruissellement décape plus activement encore<br />

ces manteaux meubles et nettoie parfaitement les volumes rocheux<br />

sains, qui émergent sous forme de chaos de boules ou de tors en place,<br />

lorsque le front d’altération est atteint. Sur le plateau de Montalba,<br />

le bilan est depuis longtemps à la faveur du déblaiement, comme le<br />

montrent la quasi absence de colluvions quaternaires, l’abondance et<br />

surtout l’ampleur des tors ; il s’agit soit de dômes rocheux massifs, présentant<br />

parfois à leur surface des dalles d’exfoliation limitées par des<br />

diaclases courbes, soit d’empilements géométriques montrant la trace<br />

des diaclases orthogonales, élargies par l’altération (ill. 6).<br />

L’exhumation des tors et le creusement des alvéoles sur le plateau<br />

sont un fait ancien acquis pour l’essentiel avant le Quaternaire, certainement<br />

antérieur au Paléolithique inférieur lorsque les hommes y<br />

ont semé incidemment quelques pièces d’outillage. On trouve aussi<br />

sur le plateau, aussi bien dans les cuvettes que sur les bosses culminantes,<br />

des restes démantelés de très vieilles alluvions quartzeuses<br />

d’origine locale (ill. 7) ; il s’agit de cailloux parfois roulés, souvent très<br />

éolisés, avec un émoussé et un toucher « savonneux » caractéristique,<br />

des facettes concaves ; ces cailloux ont acquis postérieurement à<br />

leur éolisation un épais cortex ferrugineux, ocre rouge à violacé, qui<br />

témoigne d’une très longue altération. Ce type de façonnement est<br />

caractéristique des galets des hautes terrasses<br />

alluviales du Roussillon (Calvet 1996 :<br />

800-811) et implique un âge qui remonte<br />

au moins au début du pléistocène moyen.<br />

L’éolisation suppose des vents très violents<br />

dans un milieu quasi dépourvu de couverture<br />

végétale, pendant des crises froides et<br />

sèches du Pléistocène ancien et moyen ; elle<br />

a contribué à exporter la fraction fine des<br />

arènes et ainsi à surcreuser les alvéoles, expliquant<br />

ainsi le caractère fermé et marécageux<br />

des cuvettes autour de Montalba.<br />

Il existe, sur les dalles et blocs rocheux,<br />

des microformes caractéristiques, dont la<br />

lenteur avérée de formation confirme l’âge<br />

très ancien de l’exhumation des tors. Les taffonis<br />

ou alvéoles, sur les faces verticales et<br />

à la base des blocs, sont assez rares et peu<br />

développés. Par contre les vasques sont très<br />

fréquentes sur les dalles subhorizontales ;<br />

fonctionnelles, elles abritent périodiquement<br />

une flaque d’eau et leur margelle dessine<br />

un encorbellement plus ou moins marqué.<br />

Il en existe de très anciennes, éventrées<br />

par des diaclases ouvertes, basculées avec<br />

leur support. Parmi celles qui sont actives,<br />

on relève soit des formes circulaires très<br />

régulières, dont le diamètre peut dépasser<br />

1 m et le creux minimum au déversoir 0,2<br />

à 0,3 m, mais avec un creux maximum


46 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

CHAPITRE II<br />

160 cm<br />

180 cm<br />

8 - Grandes vasques fonctionnelles affectant les tors granitiques (secteur de plateau<br />

de la Sybille, Ille-sur-Têt). Leur formation, à l’air libre, par l’eau de pluie, suppose des<br />

durées de plusieurs centaines de millénaires. Sur celle de gauche, les restes de trois<br />

planchers étagés suggèrent un creusement à des vitesses très variables au cours du<br />

temps.<br />

métrique (ill. 8), soit des formes multilobées complexes,<br />

couvrant plusieurs m², toujours de 20 à 30 cm de creux,<br />

par exemple sur le dôme rocheux sud-ouest de l’« oppidum<br />

» 1025. On a peu de repères pour quantifier la vitesse<br />

d’évolution de ces formes, lente de toute manière.<br />

Sur le Carlit, les vasques sur dalles ou blocs abandonnés<br />

par les glaciers depuis ≈15 ka sont petites et profondes<br />

de 27 à 46 mm, soit 1,8 à 3,06 mm/ka (delmas 1998 :<br />

86-90) ; en Laponie sur 10 ka les valeurs sont de 2 à<br />

3,5 mm/ka (André 1995 : 116-117), comme en Irlande.<br />

En Bretagne littorale, où grâce à l’action de l’haloclastie<br />

le processus est plus rapide, les platiers éémiens portent<br />

des vasques profondes de 200 mm, voire 500 mm,<br />

âgées au moins de 100 ka, soit 2 à 5 mm/ka ; à Carnac<br />

le creusement des vasques post mégalithiques est de<br />

48 mm au maximum et en moyenne 15 mm/ka (Sellier<br />

1998). Le même auteur fournit aussi des évaluations en<br />

volume, plus justes pour apprécier les vitesses de creusement<br />

: au plus 2000 à 1600 cm 3 /ka et en moyenne<br />

300 cm 3 /ka pour les vasques post mégalithiques. Sur<br />

le plateau de montalba, des vasques démantelées atteignent<br />

3 m de diamètre pour un creux métrique ; les plus<br />

grandes vasques fonctionnelles atteignent 1,3 m 3 , soit<br />

une durée de vie possible de 600 à 4000 ka. Il est donc<br />

clair que les chaos évoluent à l’air libre depuis de très<br />

longues durées.<br />

compRendRe L’hISToIRe du ReLIeF :<br />

L’eScaRpemenT méRIdIonaL du pLa-<br />

Teau de monTaLBa eT Le cReuSemenT<br />

deS VaLLéeS<br />

Cet escarpement, d’origine tectonique, est étroitement<br />

suivi à son pied par le cours de la Têt (ill. 9). C’est<br />

une zone-clé pour reconstituer l’histoire du relief ; en<br />

effet les dépôts tertiaires et quaternaires, ces « dépôts<br />

corrélatifs » qui sont les archives du géomorphologue,<br />

sont nombreux et variés et leurs relations géométriques<br />

mutuelles, comme avec les roches du socle hercynien,<br />

sont particulièrement bien exposées grâce à l’incision<br />

des vallées. Plonger dans ces vallées c’est aborder une<br />

histoire qui est déjà celle de l’humanité, à peine effleurée<br />

sur les plateaux mais qui ici se démultiplie en autant<br />

de niveaux de terrasses, où les vestiges d’outillages lithiques<br />

témoignent du passage des premiers Homo erectus<br />

et de leurs successeurs.<br />

le fossé d’effondrement du conflent-roussillon et ses<br />

enseignements<br />

L’escarpement du plateau de montalba forme la bordure<br />

du fossé tectonique du Roussillon et de son annexe du<br />

Conflent (ill. 3). Ce secteur est crucial car affleurent ici<br />

l’ensemble des séries sédimentaires détritiques qui remblaient<br />

ce graben et permettent d’en restituer l’évolution<br />

(Guitard et alii 1992 ; Calvet 1996). Elle se déroule en<br />

deux grandes étapes.<br />

L’étape miocène est exposée par les dépôts du<br />

Conflent, qui affleurent à l’ouest de Vinça mais restent<br />

profondément enfouis à l’est, sous le Roussillon. La série<br />

stratigraphique, visible dans les coupes de la Lentilla, est<br />

basculée de 10 à 20° vers le sud-est et épaisse de plusieurs<br />

centaines de mètres. Elle débute par les arkoses de<br />

marquixanes, qui marquent l’ouverture du fossé à l’Aquitanien<br />

(~24 à 21 ma) et viennent reposer en discordance<br />

sur le socle granitique au niveau du village d’Eus ; ce sont<br />

des sables feldspathiques à passées caillouteuses, qui résultent<br />

du décapage torrentiel d’arènes peu évoluées sur<br />

le massif granitique septentrional ; du massif des Aspres<br />

provenaient au même moment des cailloutis rutilants<br />

à éclats de schistes. Ces arkoses, chimiquement peu<br />

évoluées (Lagasquie 1984) et envahies par des encroûtements<br />

calcaires en grille, témoignent de conditions<br />

climatiques semi-arides et chaudes, avec un couvert vé-


GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

47<br />

lambeau de T5<br />

554 m<br />

replat pliocène<br />

530 m<br />

barrage de Vinça<br />

tracé de la faille de la Têt<br />

9 - L’escarpement bordier du plateau de Montalba entre Rodès et Vinça ; calé sur la faille de la Têt, il résulte pour l’essentiel de l’exhumation du contact tectonique entre granites<br />

et sédiments néogènes, lors du creusement de la vallée au Quaternaire.<br />

gétal discontinu et une érosion active sur les bordures du<br />

bassin, peut-être corrélative du façonnement de l’aplanissement<br />

culminant S0. La séquence se poursuit avec<br />

la formation de la Lentilla, paléontologiquement datée à<br />

sa base (Baudelot, Crouzel 1974) du Burdigalien ancien<br />

(~21 à 18 ma). Ce sont des cailloutis fluvio-torrentiels<br />

à galets bien roulés de schistes et surtout de gneiss, issus<br />

exclusivement de la bordure sud du fossé, où le horst du<br />

Canigou-Carança se soulève alors très activement, de 1<br />

à 2 km. La preuve en est fournie par le passage latéral<br />

de ces cailloutis à des formations torrentielles à méga<br />

blocs issues de ce massif, mais aussi à de grands paquets<br />

de roches plurihectométriques glissés depuis le massif<br />

dans le bassin de sédimentation (des olistolites), alors<br />

que la bordure nord du bassin, peu soulevée, ne fournit<br />

pratiquement plus de matériaux détritiques. La mer<br />

miocène a pénétré dans le bassin du Roussillon, sans en<br />

atteindre toutefois les bordures occidentales ; ses dépôts<br />

s’accrochent aux marges des Corbières maritimes et ont<br />

été retrouvés en sondage à 900 m de profondeur sous<br />

Canet-en-Roussillon ; le maximum transgressif se place<br />

au miocène moyen (~16,3 à 15 ma), avant une longue<br />

régression pendant laquelle se parachève l’aplanissement<br />

S1 du plateau de montalba.<br />

L’étape pliocène est précédée par un hiatus sédimentaire<br />

; une phase tectonique déforme assez fortement<br />

les matériaux miocènes et l’érosion inscrit dans l’axe du<br />

bassin une profonde paléovallée, classiquement mise au<br />

compte d’une puissante érosion régressive contrôlée par<br />

l’abaissement drastique du niveau de la méditerranée<br />

au messinien (~5,8 à 5,4 ma). Le retour brutal de la<br />

mer au tout début du Pliocène transforme cette vallée<br />

en ria (Clauzon, Aguilar, michaux 1987), très rapidement<br />

comblée par les apports détritiques d’une <strong>montagne</strong><br />

alors en pleine phase de surrection et d’érosion. Les<br />

argiles bleutées et les sables gris marins ou deltaïques<br />

se suivent de millas jusqu’à Vinça et ils sont surmontés<br />

par d’épais cailloutis fluviatiles grossiers, de teinte ocre,<br />

qui forment en particulier les collines à l’est de Vinça et<br />

de Rodès, ainsi que les grands escarpements des Orgues<br />

d’Ille. manifestement le dépôt de cette série, qui s’achève<br />

vers 3,8 à 3,5 ma, est contemporain d’un rejeu de la faille<br />

bordière, comme le démontrent des déformations synsédimentaires.<br />

L’abondance des apports sableux arkosiques<br />

issus du massif granitique exprime le creusement<br />

principal des grandes alvéoles qui défoncent le plateau<br />

de montalba, comme ceux de Trévillach et de Tarerach ;<br />

leur plancher aplani se suit jusque sur le rebord de l’escarpement<br />

où il forme des replats perchés (ill. 9) initialement<br />

en continuité avec le toit de la sédimentation<br />

pliocène.<br />

un escarpement de ligne de faille exhumé et faiblement<br />

réactivé par la tectonique récente<br />

La tectonique de faille récente est de style complexe,<br />

associant ou faisant se succéder décrochement, extension<br />

et compression ; le jeu décrochant de la faille bordière<br />

ou faille de la Têt est de type senestre, en bon accord<br />

d’ailleurs avec les mécanismes au foyer des séismes actuels<br />

(Goula et alii 1999 ; Calvet 1999). Sur cette bordure<br />

nord du fossé, l’essentiel de la déformation semble pré<br />

et syn Pliocène inférieur. La tectonique post pliocène est


48 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre II<br />

256 m<br />

terrasse T5<br />

Pliocène marin deltaïque<br />

faille N 45°, stries 20° SE<br />

Pliocène continental fluvio-torrentiel<br />

244 m<br />

T5<br />

7°NW<br />

10 - Les Orgues d’Ille-sur-Têt et la déformation tectonique du Pliocène. Dans le compartiment de droite, le Pliocène marin est sous le lit de la Têt, surmonté par les couches<br />

continentales ocres ; le rejet total de la faille est donc de plus de 100 m ; mais le décalage postérieur à la haute terrasse T5 est beaucoup plus faible. Dans ces roches meubles,<br />

les ravinements (« bad lands ») sont très actifs.<br />

attestée par le basculement de toute la série de 7° nordouest<br />

dans la grande coupe des orgues d’Ille, hachée par<br />

des failles à jeu senestre-normal (ill. 10) ; ces failles semblent<br />

avoir joué encore après le dépôt de la haute terrasse<br />

T5, qui couronne les Orgues à Matte Rodone et dont<br />

la base est décalée d’une dizaine de mètres. Au total cette<br />

déformation, qui soulève le plateau de Montalba par<br />

rapport au bassin, voit son rejet augmenter vers l’ouest,<br />

comme le montrent les replats fini pliocènes de plus en<br />

plus perchés sur la bordure de l’escarpement, de 280 m<br />

sur la Crabayrisse à 450 m face à Vinça. Mais sa valeur<br />

est au plus d’une centaine de mètres à l’ouest.<br />

C’est dire que, pour une bonne part de son dénivelé,<br />

l’escarpement bordier du plateau de Montalba résulte<br />

du creusement facile de la vallée de la Têt dans les sédiments<br />

meubles du fossé. Ce creusement a exhumé l’escarpement<br />

tectonique initial, fossilisé par le Pliocène, et<br />

moins du tiers de la hauteur du talus correspond à des<br />

rejeux tectoniques récents. Initialement installée sur le<br />

plan composite d’érosion et d’accumulation fini pliocène,<br />

à peu près à l’aplomb du contact faillé, la Têt, en s’enfonçant<br />

sur place pendant le Quaternaire, a localement<br />

inscrit sa vallée dans le substrat granitique (ill. 3). C’est<br />

ainsi, par surimposition, que s’expliquent les petites gorges<br />

épigéniques de la Guillera (Rodès), de Saint Pierre,<br />

site du barrage de Vinça, et du pont de Tarerach.<br />

Les étapes du creusement quaternaire des vallées<br />

Pour une analyse détaillée des terrasses et de leur<br />

bibliographie on renverra à Calvet 1996 : 541-545,<br />

639-641, 745-823. La plus haute terrasse, numérotée<br />

T5 (Matte Rodone, 244 m, ill. 10), est surtout bien représentée<br />

en aval, à Mas Ferréol, Baixas, Cabestany et<br />

Canet ; vers l’amont, un jalon démantelé existe au dessus<br />

du pont de Tarerach, à 340 m, et des lambeaux dans le<br />

bassin de Prades ; sur la colline de Rodès des gros blocs<br />

et d’abondants galets de quartz rubéfiés en dérivent, tapissant<br />

le Pliocène sur les versants et ponctuellement la<br />

crête. Cette nappe alluviale est profondément altérée,<br />

rubéfiée et ses galets transformés en arènes, à l’exception<br />

des quartz ; on l’attribue au Quaternaire ancien sans plus<br />

de précision, peut-être vers 1,5 Ma. Elle correspond à un<br />

stade où la Têt était encore peu encaissée sous le plateau<br />

de Montalba (150 m au droit d’Ille et 60 m sous le replat<br />

fini pliocène) et où les gorges épigéniques n’existaient<br />

pas encore ; la rivière construisait alors un vaste épandage<br />

formé par des chenaux en tresses, largement étalé<br />

du Conflent au Roussillon et coalescent à l’aval avec les<br />

épandages du Réart et du Tech.<br />

L’essentiel du creusement de la vallée, 120 m, est postérieur<br />

à T5. Cet enfoncement s’est fait par saccades,<br />

marqué par des arrêts et la construction de nappes alluviales<br />

(ill. 3) pendant les principales phases froides du<br />

Quaternaire, en phase avec le développement de glaciations<br />

dans la <strong>montagne</strong>, dans un contexte de soulèvement


GÉOmORPHOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

49<br />

1 m<br />

11 - Nappe alluviale quaternaire T2 (Riss) à la butte des Escatllars. Altération assez<br />

générale des galets et coloration rouille vif.<br />

tectonique d’ensemble qui explique l’étagement de ces niveaux<br />

de terrasses. Les étapes les plus anciennes sont peu<br />

ou pas représentées sur notre secteur ; ce sont toujours<br />

des alluvions caillouteuses profondément altérées et rubéfiées.<br />

T4 forme en amont, vers +100 m, le vaste plan<br />

qui porte en rive droite de la Têt les villages de Llonat<br />

à Sirach, relié au cône de piémont de Fillols, nourri par<br />

le massif du Canigou ; Llech et Lentilla ont construit<br />

un cône similaire dont il reste un lambeau au dessus de<br />

Finestret. T3, qui est très étendu en Roussillon et démultiplié<br />

en quatre nappes faiblement emboîtées (terrasse<br />

de la Llabanère), n’est ici jalonné, vers +60 m, que par<br />

un petit lambeau accroché au flanc est de la colline de<br />

Rodès, au dessus de la chapelle Ste Anne, ainsi que par<br />

un témoin construit par la rivière de Rigarda et conservé<br />

à 270 m, sous domanova. À ce stade il est possible que<br />

les écoulements aient difflué par le col de Ternère, même<br />

si l’essentiel s’engouffrait dans la gorge de la Guillera.<br />

Les basses terrasses sont mieux conservées dans notre<br />

secteur. La nappe T2, aux galets déjà fragilisés ou en partie<br />

arénisés (ill. 11), offre une matrice ocre vif encore peu<br />

argilifiée et porte des sols rubéfiés. En aval de Rodès elle<br />

forme surtout le grand plan de Corbère-Thuir ; elle est<br />

conservée à +35 m sur la butte des Escatllars, au Pont<br />

de Vigne et, en rive gauche, sous forme de quelques lambeaux<br />

accrochés au versant granitique. Vers l’amont, T2,<br />

porte Vinça et la gare de Prades ; il se raccorde à un épais<br />

cône affluent sur le Rigarda et surtout au grand cône de<br />

piémont de Vinça, construit par la Lentilla. L’épaisseur<br />

de toutes ces nappes est de l’ordre d’une dizaine de mètres<br />

et elles coïncident avec une phase d’englacement majeure<br />

en <strong>montagne</strong>, assimilable au Riss. La nappe T1 est<br />

de teinte grise, à matrice sableuse et présente des galets<br />

sains en grande majorité ainsi qu’un sol brun clair, caractères<br />

qui permettent de l’individualiser très clairement et<br />

de la rapporter au Würm. En aval de la gorge de Rodès<br />

elle s’étale très largement vers Bouleternère, enserrant la<br />

butte isolée des Escatllars, et elle porte la ville d’Ille, où<br />

elle se tient à +20 m. Au débouché de la gorge elle est à<br />

+30 m et son incision s’est faite par étapes, avec un palier<br />

vers +20 m et un autre plus étroit encore à +15 m<br />

(site de mas Polyroc). En amont, T1 forme au moins<br />

deux paliers dans le bassin de Rodès, le plus haut en rive<br />

gauche portant le site moustérien des Anecs (Abélanet<br />

et alii 1985 ; Blaize 1990), ce qui confirme son âge wurmien.<br />

T1 constitue le plan principal du bassin de Prades ;<br />

les affluents issus du Canigou ont construit d’importants<br />

cônes de piémont, néanmoins subordonnés à T2 qui fait<br />

figure d’événement majeur : ceux du Llech-Lentilla diffluent<br />

autour de la colline isolée du Serrat d’en moulins,<br />

en deux paliers étagés. La nappe T0 correspond au lit<br />

majeur actuel de la Têt, largement remanié à chaque crue<br />

exceptionnelle comme celle de 1940, qui s’est étalée sur<br />

500 à 700 m à partir d’Ille, effaçant à peu près toute trace<br />

des épisodes plus anciens dans ce secteur de vallée.<br />

Les deux dernières crises froides contemporaines de<br />

T1 et T2 ont laissé peu de traces sur les versants dans<br />

les bas pays et on en a déduit, au moins pour le Würm,<br />

une morphogenèse périglaciaire très modérée, en raison<br />

de milieux relativement préservés dans ces bassins<br />

méditerranéens abrités (Calvet 1996 : 819-823). dans<br />

le secteur qui nous occupe ici, les versants raides granitiques<br />

ont nourri quelques tabliers d’éboulis de gravité,<br />

alimentés par les pinacles rocheux instables, et les<br />

convois limoneux à blocs, de style périglaciaire et d’âge<br />

würmien, ne deviennent fréquents qu’au dessus de 600<br />

à 700 m. Plus bas, les vallons et les pieds de versant sont<br />

parfois tapissés par des colluvions à blocs extrêmement<br />

altérés, pulvérulents parfois, gage d’une grande ancienneté.<br />

La coupe de la route d’Arboussols, à la cote 319,<br />

suggère leur raccord avec T3, en bon accord avec leur<br />

état poussé d’altération. La conservation de ces matériaux<br />

fragiles sur ce versant granitique raide implique<br />

une très faible efficacité des morphogenèses postérieures.<br />

Les collines taillées dans le Pliocène sablo-caillouteux,<br />

autour de Rodès et Vinça confortent cette image.


50 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

CHAPITRE II<br />

A 2 lessivé<br />

Bt argileux polyédrique<br />

12 - Vieux sol fersiallitique sur les versants convexo-concaves des collines taillées<br />

dans le Pliocène de Rodès.<br />

En effet ces formes convexo-concaves (ill. 14), raccordées<br />

systématiquement aux restes de terrasse T2, portent une<br />

couverture continue de sols rouges fersiallitiques (ill. 12),<br />

très évolués, et dont le développement implique au moins<br />

un âge éémien, anté würmien. Leur conservation témoigne<br />

de l’inertie considérable de ces versants, dont la pente<br />

peut dépasser 20°, qui ont non seulement résisté à l’érosion<br />

anthropique holocène et historique, mais aussi à<br />

celle de toute la période froide würmienne.<br />

le Temps Des hommes eT Des socIéTés,<br />

érosIon eT DynAmIQue Du pAysAGe<br />

paysages méditerranéens et mythe du paradis perdu<br />

Les paysages méditerranéens relèvent trop souvent encore<br />

d’une interprétation mythique, forgée par les poètes<br />

et les écrivains depuis l’Antiquité jusqu’au XVIII e siècle<br />

et récupérée ensuite par le discours scientifique, celle d’un<br />

âge d’or verdoyant et fertile, irrémédiablement dégradé par<br />

l’insouciance des hommes (Grove, Rackham 2001 : 8-23).<br />

Illusion tenace, qui réside dans l’ambiguïté de ces paysages<br />

aux formes spectaculaires, soumis à des manifestations météoriques<br />

violentes ; en fait mosaïque de milieux évoluant à<br />

des vitesses très variables, dans le temps comme dans l’espace,<br />

et qu’il faut se garder de considérer à l’aune seule de<br />

l’histoire des sociétés. Apparences trompeuses de ces espaces,<br />

souvent rocailleux, mais depuis bien plus longtemps<br />

qu’on ne l’imagine, fréquemment balafrés de ravines, mais<br />

dont on démontre le fonctionnement quaternaire bien antérieur<br />

aux premières civilisations agropastorales.<br />

Des marques d’érosion souvent spectaculaires, mais très<br />

localisées<br />

Certes, dans notre domaine, l’érosion récente et actuelle<br />

laisse apparemment des blessures vives évidentes, en particulier<br />

dans les roches meubles du remplissage tertiaire<br />

du bassin, dans les collines de Vinça, de Rodès, d’Ille et<br />

de Néfiach. Les bad lands les plus spectaculaires, comme<br />

ceux des Orgues d’Ille (ill. 10 et 13) et de Néfiach, montrent<br />

des torrents élémentaires encore très actifs, dont les<br />

cônes s’édifient rapidement à chaque averse automnale et<br />

envahissent régulièrement la route de Casesnoves. mais ces<br />

formes ont aussi une longue histoire quaternaire, sur ces<br />

versants très raides constamment ravivés par le sapement<br />

de la Têt, dont le cours d’Ille à millas glisse vers le nord,<br />

comme le montre le dispositif des nappes quaternaires T2<br />

à T0, échelonnées du sud au nord. (ill. 3)<br />

Beaucoup de ravines, par exemple celles de la colline de<br />

Rodès (ill. 14), sont beaucoup moins actives qu’elles en<br />

ont l’air. Leur plancher est fixé par une dense végétation<br />

arborée et des chênes centenaires ; les cônes de déjection<br />

qui en sortent sont à peu près éteints, densément occupés<br />

par des terroirs agricoles anciens toujours exploités ;<br />

la chapelle Sainte-Anne, attestée au moins depuis le<br />

XVI e siècle dans son état actuel et pourtant située au débouché<br />

d’un bassin versant de 1 km² très raviné, à l’est du<br />

col de Ternère, ne montre aucun signe d’enfouissement.<br />

Ajoutons que ces ravines, très localisées, n’ont pas réussi<br />

à faire disparaître de très vieux héritages, comme les<br />

versants convexo-concaves et leurs sols rouges fersiallitiques,<br />

pourtant bien fragiles. Il s’agit donc de formes quasi<br />

figées, malgré leurs apparences vives, et dont le fonctionnement<br />

épisodique a pu s’initier au cours du Würm,<br />

comme le montrent les relations géométriques du ravin<br />

de Bourbona avec les lambeaux de T2 qui encadrent son<br />

débouché ; il est clair que là un vallon würmien aux flancs<br />

émoussés précède et prépare le bassin torrentiel actuel.<br />

Les parois amont nues et subverticales de ces ravins<br />

suggèrent un recul rapide, qui peut s’avérer une illusion,<br />

comme le montre l’examen soigneux de quelques vieux<br />

terroirs de vignoble abandonnés, sur cette même colline<br />

de Rodès où l’incendie de 2005 est passé. des ravines<br />

de 1000 à 2000 m 3 mordent sur les alignements


Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

51<br />

ravin<br />

ravin<br />

de<br />

de Naret<br />

Naret<br />

ravine aménagée avec murettes<br />

(détail ci-dessous)<br />

13 - Vue aérienne des Orgues d’Ille : ravinements actifs dans les sédiments pliocènes meubles et cônes torrentiels sablo‐caillouteux recouvrant régulièrement la petite route<br />

de Casesnoves ; au fond, le lit de la Têt et ses chenaux multiples ravin en de tresses. Bourbona<br />

ravin de Bourbona<br />

ravine aménagée avec murettes<br />

(détail ci-dessous)<br />

lambeau de T2<br />

14 - Érosion ravinante dans le Pliocène de la colline de Rodès, face est. Des formes peu actives<br />

et bien antérieures à l’aménagement du vieux terroir de vignoble maintenant abandonné.<br />

Sur la photo du bas on note que les murettes s’adaptent au tracé de la ravine rectiligne.<br />

de murettes, dans le ravin de Naret. Mais, en réalité, les<br />

ravines précèdent largement l’aménagement de ce terroir,<br />

car on voit localement ces systèmes de murettes<br />

contourner les ravins, voire aménager en banquettes leur<br />

partie amont moins incisée, pour les stabiliser (ill. 14).


52 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre II<br />

En fait, depuis l’abandon du terroir, soit au moins un<br />

demi-siècle, les ravines n’ont fait que s’élargir un peu,<br />

d’une valeur métrique ; mais ce n’est pas l’abandon du terroir<br />

et le non entretien des murettes qui les a initiées.<br />

Des paysages stables sur le long terme<br />

Plateau et escarpement granitique participent très largement<br />

des paysages que le géomorphologue nomme « insensibles<br />

», selon la terminologie anglo-saxonne (mise au<br />

point in Giusti, Calvet, Gunnell 2008), c’est-à-dire peu<br />

susceptibles de s’ajuster rapidement et complètement aux<br />

paramètres du complexe morphogénétique ambiant.<br />

Pourtant, sur les versants granitiques, il y a d’indiscutables<br />

traces d’érosion ponctuelles. On n’insistera<br />

pas sur les quelques ravines de profondeur métrique qui<br />

affectent les arènes et leur couverture discontinue de<br />

colluvions würmiennes, assez fréquentes sur les hauts<br />

versants du massif de Roque Jalère, sous un couvert très<br />

dégradé de landes à cistes. Par contre les chemins qui<br />

gravissent l’escarpement du plateau de Montalba permettent<br />

quelques observations quantitatives qui aident à<br />

fixer la vitesse et les rythmes d’incision des formes d’érosion<br />

ravinantes, ici clairement d’origine anthropique.<br />

La carrerade qui mène de Rodès au plateau est transformée<br />

en chemin creux sur une bonne partie de son tracé,<br />

d’autant mieux qu’elle s’inscrit dans un talweg élémentaire<br />

préexistant. L’enfoncement dans les arènes est d’ordre<br />

métrique ; il atteint ponctuellement 2 m pour toute la période<br />

antérieure au XIX e siècle, auquel on peut rapporter<br />

raisonnablement le dernier état ou la dernière réfection<br />

systématique du pavage de galets qui en tapisse le fond.<br />

Depuis la destruction du pavage et donc sur un siècle<br />

au plus, l’incision atteint en moyenne 20-30 cm, très localement<br />

80 cm. À ce rythme moyen il a suffi de 500 à<br />

1000 ans pour creuser ces chemins. Le décapage aréolaire<br />

des sols cultivés, sur plusieurs décimètres, est localement<br />

attesté, autour du village de Ropidera par exemple,<br />

par la mise à nu de traces de socs d’araire sur les dalles<br />

rocheuses schisteuses. Par ailleurs des terrasses de culture<br />

à murettes en très gros blocs alignés, attribuées par<br />

M. Martzluff (in Passarrius et alii 2007, ch. IX, 162‐165<br />

et vol. 2 fig. 29, 30) aux premiers aménagements de terroirs<br />

médiévaux et datables des XIII e -XV e siècles, ont été<br />

totalement vidangées de leur remblaiement cultivable,<br />

sur 60 cm au moins à l’aval de la parcelle aménagée.<br />

Mais il faut se garder de généraliser ces observations<br />

ponctuelles, comme le montrent des espaces beaucoup<br />

plus vastes, où l’on peut établir des bilans de l’érosion des<br />

sols sur de très longues durées. Sur l’escarpement raide<br />

du plateau, à toutes hauteurs, il reste d’importants volumes<br />

d’arènes meubles, que laissent voir les murettes de<br />

culture éboulées. Ces murettes, datées en général ici du<br />

XIX e siècle, sont d’ailleurs souvent fondées sur le substrat<br />

arénisé et non sur la roche en place saine. Sur le plateau,<br />

on est frappé par l’abondance et l’extension spatiale des<br />

sites superficiels de l’âge du Bronze jonchés de tessons,<br />

même sur les pentes du chaos de l’« oppidum » 1025 de<br />

Ropidera, où ils sont souvent de grande taille : leur préservation<br />

implique évidemment un décapage insignifiant<br />

par le ruissellement sur ces versants, depuis l’occupation<br />

des sites, datée du Bronze ancien au Bronze final<br />

(2200‐700 av. J.‐C.) (Vignaud, in Passarrius et alii 2007 :<br />

69-74 et vol. 2, IV, cartes 1 et 2), soit depuis 4000 ans.<br />

Sur le même mode et pour une durée plus brève, il faut<br />

relever l’abondance de débris de poterie médiévale, présumés<br />

épandus sur les parcelles cultivées avec la fumure<br />

et toujours en place, sur certains sites des secteurs de<br />

Ca del Mach - Roc de Sabardanne, comme près du village<br />

de Ropidera (Passarrius et alii 2007 : 192, 196, 210<br />

et carte vol. 2, X-6). La contre-épreuve est fournie par<br />

les vallons et les dépressions fermées du plateau, qui<br />

n’auraient pas manqué de piéger d’épais dépôts colluviaux<br />

si l’érosion hydrique des versants proches avait<br />

été très active. Or cela n’est apparemment jamais le cas,<br />

puisque aux marges des cuvettes, voire en leur centre,<br />

le substrat granitique apparaît sous forme de chaos de<br />

blocs ou, dans la moindre entaille de fossé, d’arènes et<br />

d’éclats de roche que les labours des parcelles de vigne<br />

immédiatement contiguës aux prairies marécageuses<br />

ramènent en surface. Seuls des sondages systématiques<br />

au cœur des prairies humides pourraient en dire plus.<br />

Les rares coupes des vallons drainés, par exemple celui<br />

de Bosc Nègre dans le secteur des Balmettes, où le plan<br />

alluvial est large de quelques décamètres, n’exposent que<br />

1 à 1,5 m de dépôts sur le substrat granitique, chenal de<br />

cailloux mal roulé à la base et dessus arènes sablo-graveleuses<br />

remaniées, en lits plans alternativement fins et<br />

plus caillouteux, le tout n’ayant pour le moment livré<br />

aucun indice chronologique.


Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

53<br />

15 - L’érosion hydrique postérieure à l’incendie de 2005 sur les versants d’arènes granitiques.<br />

Le liseré clair donne la mesure du décapage par ruissellement diffus. La<br />

formation d’un pavage de graviers, bien visible sur la photo, a limité l’ablation.<br />

Les effets modestes d’un incendie catastrophique<br />

Les incendies méditerranéens sont réputés décupler<br />

l’activité de l’érosion hydrique ultérieure (Martin et alii<br />

1997). Celui d’août 2005 a été très sévère et suivi par un<br />

automne très pluvieux, avec en novembre une violente<br />

perturbation méditerranéenne, dont l’épicentre était dans<br />

les Corbières, mais qui a délivré dans le secteur concerné<br />

ici entre 50 et 100 mm en 24 heures, soit à la fois de forts<br />

cumuls et de fortes intensités, même si l’on reste loin des<br />

records régionaux. Aucune étude systématique et quantifiée<br />

de la morphogenèse hydrique, sur site expérimental,<br />

n’a été menée à la suite de l’incendie, mais un certain<br />

nombre d’observations qualitatives significatives ont pu<br />

être faites, aux deux printemps suivants.<br />

Les marques érosives fraîches, en particulier les ravinements,<br />

étaient relativement rares et discrètes dans<br />

l’espace brûlé. Certes, les talwegs élémentaires de l’escarpement<br />

bordier ont été ravivés. Mais sur les versants<br />

eux-mêmes, que se soient les collines dans le Pliocène de<br />

Rodès ou les plages d’arènes meubles des pays granitiques,<br />

les rigoles élémentaires restaient exceptionnelles et<br />

discontinues, longues au plus de quelques mètres et profondes<br />

de quelques centimètres pour une largeur d’une<br />

dizaine. Des formes très fragiles, comme des bermes de<br />

terre aréneuse surmontant les murettes de culture perpendiculaires<br />

au versant (par exemple sur la pente est de<br />

l’« oppidum » 1025 de Ropidera), ont été intégralement<br />

conservées et non échancrées de rigoles. Dans certaines<br />

des brèches de ces murettes écroulées, qui logiquement<br />

devaient canaliser des flux hydriques plus puissants, le<br />

cerne de suie noire laissé par l’incendie sur les blocs jusqu’à<br />

leur base montrait l’absence d’ablation postérieure.<br />

Sur des panneaux de versant arénacés plans, inclinés à<br />

10-15°, le pavage de graviers et cailloux noircis par l’incendie<br />

et jonché de fragments de branches, écorces et<br />

brindilles calcinées, démontrait l’absence d’ablation. Un<br />

décapage épidermique de 2 à 3 cm au plus a affecté des<br />

secteurs limités, en particulier sur des ruptures de pente<br />

entre terrasses, comme le démontrait un cerne blanc centimétrique<br />

sous la bande de suie des cailloux enchâssés<br />

dans le sol (ill. 15).<br />

Cette résistance à l’érosion des substrats arénacés semble<br />

confirmée par les données quantitatives obtenues sur<br />

parcelles expérimentales dans un site proche, à 1100 m<br />

sur le versant nord du massif de Roque Jalère, sous lande<br />

à callune (Faerber, Emilian soumis). Les parcelles soumises<br />

à un brûlage n’ont pas vu leur érosion augmenter<br />

significativement par rapport aux parcelles non brûlées<br />

et, toutes parcelles confondues, les pertes en terre ont<br />

été de 46 t/km²/an sur deux ans, pour un site, et de<br />

26 t/km² sur 10 mois pour l’autre site. En prenant une<br />

densité de 1,7, cela donne des tranches érodées de l’ordre<br />

de 15 à 27 mm par millénaire : sur ces bases et en<br />

contexte végétal très dégradé permanent, il faudrait 660<br />

à 370 millénaires pour décaper une couche d’arènes de<br />

10 m. On est très loin des 800 à 1600 t/km² annuelles<br />

mesurées sur parcelle expérimentale en gneiss, dans les<br />

Maures, les trois années qui ont suivi un incendie, mais<br />

du même ordre que les 31 t fournies la quatrième année<br />

par cette même parcelle (Martin et alii 1997). La présence<br />

de pavages caillouteux en surface (ill. 15) explique<br />

pour une bonne part cette résistance à l’érosion ; on notera<br />

d’ailleurs que l’incendie a contribué à améliorer ce<br />

pavage, en produisant en grande abondance des éclats et<br />

des écailles au détriment de la base des parois et des blocs<br />

granitiques des chaos.


54 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre II<br />

Conclusions :<br />

entre nature et culture, la stabilité<br />

des paysages morphologiques<br />

Face à l’image commune, mais fausse ou abusivement<br />

simplificatrice, d’une érosion continue dans l’espace et<br />

dans le temps et de son agressivité particulière dans les<br />

régions méditerranéennes, cette réflexion sur les territoires<br />

de l’incendie de 2005 dans la longue durée géomorphologique<br />

permet de proposer un cadre conceptuel<br />

plus réaliste et plus opérationnel à ceux, historiens ou<br />

archéologues, qui tentent de reconstituer la trajectoire<br />

temporelle et la logique des sociétés dans un espace<br />

concret donné. Les territoires des hommes sont avant<br />

tout des milieux, des systèmes naturels et anthropisés<br />

complexes et évolutifs, dont la logique et la dynamique<br />

ne peuvent se comprendre sans une approche globale et<br />

multiscalaire, qui prenne en compte et mette en perspective<br />

toutes les temporalités des paysages.<br />

Le faisceau d’observations rassemblé ici a mis l’accent,<br />

parfois d’une façon volontairement provocatrice, sur<br />

la stabilité relative de ces milieux. Les concepts de la<br />

Landscape sensitivity, dont relèvent ces paysages que l’on<br />

a qualifiés plus haut d’insensibles, sont relatifs et très<br />

dépendants des échelles spatio-temporelles considérées<br />

(Giusti, Calvet, Gunnel 2008 : 210-211). Pourtant, dans<br />

notre domaine, la stabilité est, assez exceptionnellement<br />

et sur une large partie de l’espace considéré, une réalité<br />

qui s’exprime à travers une très large gamme d’échelles<br />

spatio-temporelles : du temps immédiat de la saison<br />

pluvieuse au temps pluriséculaire des parcelles médiévales<br />

et plurimillénaire des sites superficiels du Bronze,<br />

du temps médian des vieux versants à sols rouges et des<br />

chaos granitiques exhumés et troués de vasques (quelques<br />

centaines de millénaires) au temps profond des<br />

surfaces d’aplanissement (quelques millions d’années).<br />

Le résultat est une mosaïque très fine, ou plutôt un palimpseste<br />

d’unités topographiques diachrones et multidimensionnelles,<br />

dont la stabilité et la conservation demandent<br />

explication.<br />

On cherchera d’abord du côté des facteurs naturels,<br />

seuls en cause pour les évolutions quaternaires et plus<br />

anciennes, que l’on ne considèrera pas ici en détail car<br />

d’un intérêt strictement géomorphologique. La conservation<br />

des fragiles volumes de granites arénisés jusque<br />

sur les versants raides se comprend mieux à la lumière<br />

de la géométrie du bâti lithologique. Il alterne en effet<br />

des bandes subverticales de granites acides ou très massifs<br />

peu altérables et des bandes très altérables où l’arénisation<br />

a pénétré très profondément et qui sont ainsi<br />

protégées de l’ablation, d’autant que les bandes résistantes<br />

sont subparallèles à l’escarpement du plateau. La résistance<br />

de ces arènes à l’érosion hydrique, comme des<br />

versants sur cailloutis néogènes dans le bassin, répond<br />

aussi à leur forte perméabilité, qui favorise l’infiltration<br />

et limite d’autant le ruissellement ; ajoutons la formation<br />

facile de pavages superficiels de graviers et de cailloux,<br />

par départ des éléments fins, qui immunisent rapidement<br />

ces milieux vis-à-vis du ruissellement diffus et<br />

stabilisent même le plancher des rigoles. Dans ce milieu<br />

climatique subhumide et sur des roches imperméables<br />

où les réserves hydriques sont non négligeables, même<br />

un maquis bas mais dense constitue une protection efficace<br />

vis-à-vis de l’impact des averses et du ruissellement<br />

; mousses et lichens fixent souvent le substrat minéral<br />

sous ces couvertures végétales. D’autre part il faut<br />

insister sur la rapidité de la repousse après les incendies :<br />

dès l’automne et l’hiver, un dense tapis herbacé s’est mis<br />

en place et moins de deux ans après le feu la multiplication<br />

des plantules de cistes était spectaculaire, ainsi que<br />

le reverdissement des souches de bruyère blanche, des<br />

chênes verts et des oliviers.<br />

Mais le résultat des travaux de prospections archéologiques<br />

et d’archive consacrés au secteur (in Passarrius<br />

et alii 2007 : 208-215) apporte aussi une riche moisson<br />

de faits et permet de proposer quelques hypothèses<br />

quant aux responsabilités des hommes. En effet le domaine<br />

granitique en particulier n’a subi qu’une anthropisation<br />

à éclipses et/ou peu agressive. La colonisation dense<br />

de l’âge du Bronze est marquée par un pastoralisme extensif<br />

sans traces d’agriculture ; une lacune quasi-totale<br />

marque l’âge du Fer et l’Antiquité, voire le haut Moyen<br />

Âge. L’habitat permanent médiéval n’est attesté qu’au<br />

village de Ropidera, sans habitat intercalaire isolé, des environs<br />

de l’an mille jusqu’au cours des XIV e ‐XV e siècles<br />

où il est abandonné ; les activités agricoles y semblent<br />

localisées à certains terroirs seulement et associées à<br />

un pastoralisme, avec développement de vastes devèzes<br />

encloses. La mise en culture intensive et généralisée,<br />

pour la vigne et l’olivier en particulier, n’intervient qu’au<br />

XIX e siècle, mais elle n’a guère duré plus d’un siècle. On<br />

doit aussi mettre l’accent sur l’ampleur des travaux pro-


Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

55<br />

tecteurs réalisés sur les versants, qui ont remarquablement<br />

résisté et joué pleinement leur rôle. Des murettes de style<br />

cyclopéen suivent apparemment les premiers défrichements<br />

médiévaux, peut‐être à la suite de déboires érosifs<br />

constatés et en phase avec les prémices du Petit Âge de<br />

Glace si l’on accepte la datation XIII e -XV e siècles proposée<br />

par M. Martzluff ; leur vidange locale par l’érosion<br />

prouve qu’elles n’ont fait que retarder le processus, ce qui<br />

est déjà positif. Au XIX e siècle c’est tout le paysage qui<br />

est aménagé en terrasses, avec des murettes soignées et<br />

tout un réseau de drainage canalisé et organisé. Le devenir<br />

de ces aménagements est évidemment incertain, mais<br />

ils ont tenu pour l’essentiel le choc de l’abandon et permis<br />

le retour à un couvert végétal subnaturel dense et protecteur.<br />

En définitive, dans ces territoires en perpétuelles<br />

mutations, l’idée de paradis perdu est bien un mythe et<br />

les responsabilités des hommes autrement moins lourdes<br />

que l’on a coutume de le dire.


Deuxième partie<br />

Les premières occupations humaines


chapitre III<br />

Nouveaux jalons sur le peuplement paléolithique<br />

du bassin moyen de la Têt,<br />

entre Roussillon et Conflent<br />

Michel Martzluff<br />

avec la collaboration de Sabine Nadal<br />

Introduction<br />

L’intérêt de cette étude réside surtout dans sa dimension<br />

géographique. En effet, l’incendie de l’été 2005 a balayé<br />

trois types de milieux dans un secteur qui, depuis<br />

130 m d’altitude au droit d’Ille-sur-Têt jusqu’à 530 m<br />

au sommet de la Cougoulère, face à Vinça, constitue la<br />

frontière géographique et historique entre la plaine du<br />

Roussillon et les premières vallées encaissées pénétrant<br />

les massifs <strong>montagne</strong>ux du Conflent.<br />

Au centre de l’aire étudiée (ill. 1 et 2), la plaine alluviale<br />

de la Têt peut se scinder en deux unités. Vers l’amont, en<br />

Conflent, les replats des terrasses quaternaires de Vinça<br />

et de Rodès forment de petits bassins enfoncés dans des<br />

collines sédimentaires qui barrent la vallée et la compartimentent.<br />

Ces éminences culminent vers 300 m d’altitude<br />

et témoignent de puissants épandages détritiques du<br />

Tertiaire dans le fossé d’effondrement de la Têt. Déporté<br />

contre la faille qui borde le socle granitique, le fleuve s’est<br />

enfoncé dans des verrous rocheux, l’un au barrage de<br />

Vinça, l’autre dans les gorges de La Guillera et ces épigénies<br />

réalisées pendant le Quaternaire ont contribué à<br />

mieux fermer les dépressions que forment les bas niveaux<br />

de terrasses logées le long des cours d’eaux tributaires venant<br />

du Canigou.<br />

C’est donc vers l’aval, à l’issue du défilé de La Guillera<br />

et du col de Ternère sur les communes d’Ille-sur-Têt<br />

et de Bouleternère, que s’étale la plaine du Roussillon.<br />

Les bonnes terres arables dévolues à l’arboriculture sur<br />

ces terrains plans sont encadrées par de l’aspre, c’est-àdire<br />

aujourd’hui par d’inextricables maquis qui se développent<br />

à partir des premiers versants abrupts, puis<br />

par de vastes friches parsemées de quelques vignes encore<br />

cultivées qui se trouvent sur le plateau granitique de<br />

Montalba-Tarerach, vers le nord ou encore, vers le sud,<br />

sur les éminences calcaires et schisteuses qui dominent<br />

Bouleternère.<br />

Ces prospections furent donc l’occasion d’approcher au<br />

plus près une large bande de terrain située en travers du<br />

bassin moyen de la Têt et de l’axe de la principale voie<br />

de pénétration des massifs <strong>montagne</strong>ux du Canigou et<br />

du Madres, au débouché du fleuve majeur des Pyrénées-<br />

Orientales dans la plaine littorale du Roussillon, un<br />

bas pays qu’il a d’ailleurs largement contribué à former<br />

(Martzluff 2007a). Pour notre part, elles avaient pour<br />

objectif principal de tester le potentiel archéologique<br />

concernant les temps paléolithiques sur les différentes<br />

unités de relief, en fonction d’un cadre chrono-culturel<br />

déjà bien établi sur la très longue durée dans la région<br />

(Martzluff 2006). Concernant les périodes les plus anciennes,<br />

au Paléolithique inférieur, il s’agissait de mieux<br />

comprendre pourquoi les vieilles industries taillées dans<br />

le quartz, celles qui jonchent abondamment la surface<br />

des vieilles terrasses du Quaternaire près du littoral, disparaissent<br />

brusquement au seuil des premiers contreforts<br />

<strong>montagne</strong>ux.


60 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

1 - Zones profondément remaniées en sous sol (DAO M. Martzluff ).


Le peuplement paléolithique<br />

61<br />

2 - Terrains quaternaires et répartition des industries lithiques paléolithiques (DAO M. Martzluff )..<br />

2


62 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

Ces recherches offraient enfin la possibilité de discuter<br />

des résultats déjà publiés, en particulier de l’épineuse<br />

question d’une homogénéité des industries archaïques<br />

« pré-acheuléennes », ainsi que de l’absence problématique<br />

de vestiges des campements de plein air pour toute<br />

la durée du Paléolithique supérieur et de l’Épipaléolithique-Mésolithique,<br />

une lacune qui couvre environ 25 millénaires<br />

et qui est désormais avérée dans la plaine du<br />

Roussillon (Martzluff 1998).<br />

I - Historique des recherches<br />

et bornes méthodologiques<br />

des travaux de terrain<br />

La plaine alluviale comprend plusieurs niveaux de terrasses<br />

étagées depuis le lit majeur de la Têt, étroit et très<br />

encaissé à cet endroit, jusqu’à de discrètes reliques sédimentaires<br />

conservées haut perchées sur les versants,<br />

100 m plus haut. Certains de ces dépôts avaient déjà livré<br />

des industries paléolithiques bien avant nos recherches,<br />

dès 1968, en particulier dans le bassin de Rodès (Blaize<br />

1985a). C’est ainsi qu’avait pu être clairement identifié un<br />

gisement moustérien de plein air, détruit lors de la création<br />

du barrage de Vinça, mais aussi que des industries d’allure<br />

archaïque avaient été mises en relation avec la « Pebble<br />

culture » des vieilles terrasses du Roussillon pour partie et,<br />

pour l’autre, avec un Paléolithique inférieur anté-würmien<br />

plus évolué (Collina-Girard 1975‐76, 1978 ; Blaize 1990,<br />

2005). Par contre, la plaine s’étendant autour d’Ille-sur-<br />

Têt était vierge d’information sur ces périodes.<br />

De même, la vieille surface d’érosion du massif granitique<br />

de Montalba, oscillant entre 300 et 500 m d’altitude,<br />

n’avait jamais été investie au titre d’une archéologie méthodique<br />

car presque totalement envahie par un maquis<br />

impénétrable. La même remarque s’impose aussi pour le<br />

vieux substrat paléozoïque qui arme les versants de la rive<br />

droite de la Têt et du bassin du Boulès. Sur l’ensemble de<br />

ces contreforts <strong>montagne</strong>ux, la présence de dolmens ou de<br />

gravures rupestres et, quelquefois, la collecte ponctuelle<br />

de mobiliers en quelques points encore cultivés en vigne,<br />

témoignaient d’un peuplement étalé du Néolithique aux<br />

premiers âges des métaux (Abélanet 1990, Blaize 2006).<br />

La Préhistoire ancienne n’y avait, par contre, répercuté<br />

aucun écho.<br />

En réalité, le peuplement paléolithique de cette interface<br />

méditerranéenne entre plaine et <strong>montagne</strong> était bien<br />

attesté à partir du dernier glaciaire (Würm, entre 100 000<br />

et 10 000 ans), en particulier pour le Moustérien, le<br />

Solutréen et le Magdalénien (avec une lacune pour le début<br />

du Paléolithique supérieur concernant l’Aurignacien<br />

et le Gravettien, comme partout ailleurs dans les P.‐O.).<br />

Mais l’on devait ces connaissances aux fouilles réalisées en<br />

milieu troglodyte. L’une de ces cavités se trouve non loin de<br />

Bouleternère, en limite de la plaine du Roussillon (grotte<br />

de Montou) et les autres en fond de vallée du Conflent,<br />

plus précisément à la confluence des rivières drainant les<br />

massifs du Canigou et du Madres vers la Têt, dans le synclinal<br />

calcaire de Villefranche-de-Conflent (Cova del Mitg,<br />

Grotte d’En Gorner, Grotte Marie, Grotte des Ambullas,<br />

Trou souffleur). À l’inverse et toujours en Conflent, un<br />

site de <strong>montagne</strong> au-dessus de Prades, unique en France,<br />

le rocher de Fornols-Haut (alt. 780 m), offre en pleine lumière<br />

un art rupestre magdalénien du Tardiglaciaire habituellement<br />

réservé au milieu souterrain (Abélanet 1985,<br />

Sacchi 1987, Martzluff et alii 2005).<br />

C’est dans ce cadre général sommairement balisé que<br />

plusieurs problèmes se sont posés à nous, sur les conditions<br />

même de la recherche, dont il faut ici parler. Sur<br />

l’étendue de la zone prospectée, tout d’abord, car celle-ci<br />

est très vaste et les prospections nous concernant se sont<br />

étalées au total sur trois années. Le quadrillage d’un vaste<br />

espace, à la fois sur le plateau de Montalba ou sur les<br />

pentes du Causse de Bouleternère, par des équipes, certes<br />

diverses, mais comprenant toujours des archéologues<br />

aguerris, nous incite finalement à dire que l’essentiel des<br />

vestiges paléolithiques présents sur le sol prospecté, très<br />

lisible après l’incendie, n’a guère pu nous échapper. Ceci<br />

d’autant plus que les découvertes d’outillages lithiques<br />

en quartz ou en jaspe, souvent minuscules, effectuées en<br />

cours d’opération par des personnes au départ non-initiées<br />

à ces difficiles repérages, ont rapidement montré les<br />

progrès d’une sensibilisation en la matière.<br />

Par ailleurs, nous avons complété les informations<br />

obtenues en 2005‐2006 sur ces parcours méthodiques<br />

dans le maquis brûlé en y intégrant des prospections de<br />

contrôle sur des sites limitrophes, hors de la zone incendiée.<br />

C’est ainsi que nous avons poursuivi des repérages<br />

sur les terres arboricoles de la vallée, à peine effleurées par<br />

l’incendie, en particulier sur le plan rissien des Escallars,<br />

à Ille-sur-Têt, mais aussi sur l’aire de marnage des eaux<br />

du barrage de Vinça, accessible lorsque le barrage subit<br />

sa vidange annuelle en hiver et où les sols limoneux ont


Le peuplement paléolithique<br />

63<br />

été décapés, mettant au jour les éléments pierreux du<br />

sous-sol. De même, nous avons opéré des incursions de<br />

part et d’autre du plateau de Montalba, vers le nord et<br />

vers l’ouest, dans les chaos de Tarerach, puis vers l’est,<br />

dans ceux de Reglella. La connaissance que nous avions<br />

du Causse de Thuir, également incendié, nous a pareillement<br />

aidé à mieux comprendre le petit massif calcaire du<br />

Dévonien qui jouxte Bouleternère.<br />

Deux difficultés de poids demeurent cependant. La<br />

première tient à la conservation inégale des sols, l’autre<br />

à la caractérisation des industries. D’autre part, le problème<br />

des mobiliers absents – celui des vides en quelque<br />

sorte – est ici posé avec une certaine acuité. C’est le cas<br />

pour les industries lithiques, en relation possible avec des<br />

lacunes dans l’occupation de l’espace ou bien à cause de<br />

gisements supprimés par l’érosion, ou encore masqués<br />

par des comblements. C’est le cas ensuite pour l’absence<br />

d’art rupestre là où il était fort probable d’en trouver. Ça<br />

l’est enfin pour une carence qui affecte les formes d’habitats,<br />

en particulier les habitats troglodytes.<br />

I.1 - Un sous-sol inégalement remanié<br />

Quasiment tous les plans de terrasse situés en fond<br />

de vallée, mais aussi la plupart des lambeaux de vieilles<br />

formations alluviales perchées sur les versants, ont subi<br />

des labours profonds qui, dans la seconde moitié du<br />

XX e siècle et surtout après 1970, ont largement mordu<br />

dans leur base caillouteuse, bouleversant les dépôts limoneux<br />

où les sols d’habitat pouvaient être conservés. En témoignent<br />

d’impressionnants tas d’épierrements assemblés<br />

sous forme d’épais murs de galets qui ceinturent partout<br />

les propriétés complantées d’arbres fruitiers, en particulier<br />

autour d’Ille-sur-Têt. Les bas flancs des échines tertiaires<br />

ont également subi la manie des remodelages en terrasses<br />

au bulldozer. Tous ces terrains plans et irrigués sont<br />

aujourd’hui travaillés au « rotovator », une machine qui<br />

pulvérise les mobiliers archéologiques, en particulier les<br />

éléments lithiques. Par ailleurs, ces terrains se révèlent souvent<br />

peu lisibles, car herbeux. Globalement, il est quand<br />

même évident que l’absence de mobilier archéologique en<br />

surface de ces terrains alluviaux plans et profondément<br />

charrués tient à l’absence de gisement en sous-sol.<br />

D’autres défonçages ont largement perturbé la zone<br />

couverte par le brûlis. Ainsi, les plantations forestières en<br />

résineux ont griffé profondément le sous-sol sur l’échine<br />

pliocène qui ferme la vallée entre Rodès et Ille, ainsi que sur<br />

une bonne part du plateau de Montalba, dans le secteur des<br />

Balmettes (ill. 1). Finalement, seuls quelques rares terrains<br />

alluviaux ont été épargnés par ces travaux aratoires dévastateurs<br />

(une vieille terrasse un peu isolée sur un versant de la<br />

rive gauche de la Têt, au débouché du ravin du Bellagre, et<br />

une partie des petites propriétés englouties depuis 1976 en<br />

fond de vallée par les eaux du barrage de Vinça).<br />

Les versants les plus abrupts qui flanquent la vallée<br />

en rive gauche, mais aussi les pentes moins prononcées<br />

d’un espace intermédiaire donnant accès au plateau de<br />

Montalba sur la commune de Rodès, sont des surfaces qui<br />

se sont révélées négatives pour la conservation des vestiges<br />

préhistoriques anciens, soit sous l’effet des ravinements,<br />

soit à cause des mises en culture, les deux étant liés. De<br />

même, les pentes ravinées du Causse de Bouleternère, en<br />

rive droite, n’ont pas livré d’industries lithiques. Il semble<br />

bien que la falaise calcaire qui domine le ravin de Montjuich,<br />

avec son versant bien exposé au sud, a nettement reculé au<br />

Quaternaire sous l’effet de l’érosion, les éboulements ayant<br />

laissé des mégablocs sur le versant. Les cavités qui ont pu<br />

abriter des chasseurs au Paléolithique ancien et moyen ne<br />

sont plus que des fissures dans les parois, ou peuvent rester<br />

masquées par de l’éboulis. Contrairement à ce que nous<br />

avions observé antérieurement dans cette zone des Aspres,<br />

après les incendies du Causse de Thuir, en rive droite du<br />

Castelnou où les pentes situées sous la ligne de falaise livrent<br />

quelques artefacts du Paléolithique ancien-moyen en<br />

quartz, le recul des barres rocheuses calcaires est ici moins<br />

parlant. En effet, le sol très pentu des éboulis situés en<br />

contrebas des falaises de Les Pedreres est fortement remanié<br />

par de puissantes murettes (feixes) et reste peu lisible,<br />

avec des broussailles à peine touchées par l’incendie.<br />

Enfin, sur le plan de Montalba, les chaos granitiques<br />

ont été un peu partout simplement égratignés à l’araire.<br />

Toutefois, sur de larges parties entourant les zones basses<br />

et humides, le bulldozer a totalement remodelé le<br />

sol, arrachant les boules granitiques et nivelant de vastes<br />

champs, replantés en vigne ou en céréale pour le gibier. Il<br />

reste que les industries prélevées sur cette aire remaniée<br />

se trouvent in situ, et il en est de même pour celles qui furent<br />

recueillies dans les parties travaillées à l’araire ou dévolues<br />

aux troupeaux. Par contre, sur les espaces nivelés,<br />

la présence d’artefacts est très aléatoire du fait du raclage<br />

des parties saillantes et du comblement des parties en<br />

creux, ou encore de leur déplacement dans les bourrelets<br />

de terre qui ceinturent ces champs.


64 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

3 - Cavité karstique ouverte à l’est et en partie détruite par les carrières sur l’affleurement dévonien de la <strong>montagne</strong> de Bouleternère (photo aérienne O. Passarrius)<br />

Enfin, au contact entre les bas versants des éminences<br />

chaotiques et les dépressions, l’apport des fines a pu masquer<br />

des niveaux archéologiques sous un matelas d’arène,<br />

lequel ne semble cependant jamais très épais. Partout<br />

ailleurs, les remplissages qui coiffent le substrat cristallin<br />

sont très minces.<br />

Le rebord méridional du plateau, comme les versants<br />

des vallées le pénétrant, très pentus, ont été ravinés jusqu’au<br />

socle en maints endroits. Pour le Pléistocène, en<br />

témoignent quelques évidements creusés et polis par<br />

des ruissellements canalisés qui se trouvent suspendus<br />

sur des affleurements granitiques, au-dessus du fond<br />

des talwegs actuels (en particulier à l’est de la carrière<br />

de Rodès). Pour l’Holocène, le contact très fréquent des<br />

plus vieilles murettes de pierres avec la roche-mère ou<br />

des altérites montre que les premiers défrichements médiévaux<br />

ont vite nécessité de puissants aménagements<br />

en terrasse pour retenir la terre arable (cf. chap. XI). Les<br />

secteurs où les phases de déprise agricole post-médiévales<br />

ont été suivies de pâtures sans remise en état de<br />

ces pentes par des murettes, sont aujourd’hui mis à nu<br />

quasiment jusqu’au roc (toujours dans ce même secteur<br />

de Rodès, par exemple, mais au-dessus de la carrière).<br />

Cependant, bien que le modelé de détail ait été sensiblement<br />

modifié sur les pentes les plus prononcées, des<br />

lambeaux de terrasse quaternaire y ont parfois conservé,<br />

50 m au-dessus du fleuve, des industries paléolithiques<br />

anciennes. Elles sont dans un étonnant état de fraîcheur,<br />

montrant que de très vieux sols archéologiques ont pu<br />

être épargnés par l’érosion sur ces replats très étroits<br />

(voir ci-dessous III. 2).<br />

I.2 - Critères de sélection des industries paléolithiques<br />

sur le plateau granitique<br />

L’attribution à la Préhistoire ancienne des industries le<br />

plus souvent produites à partir de quartz ou quartzites<br />

locaux, parfois même de granitoïdes, sur une base typologique<br />

ne pose pas trop de problème sur les formations


Le peuplement paléolithique<br />

65<br />

alluviales de la vallée, surtout lorsqu’elles ont été roulées,<br />

éolisées ou patinées. Par contre, les vestiges paléolithiques<br />

provenant du plateau de Montalba sont très dispersés.<br />

Ils ont été triés pour cette étude dans les lots comprenant<br />

la totalité des ramassages lithiques pour chaque<br />

point coté ; ils gardent donc leur attribution de site pour<br />

une présentation cartographique, finalement assez peu<br />

signifiante (ill. 4 à 10). Si ces artefacts sont ici regroupés<br />

et présentés en un seul et même lot, c’est bien parce qu’il<br />

est impossible de retenir un gisement particulier sur ces<br />

reliefs, et encore moins une station pouvant caractériser<br />

de rares mobiliers mélangés en surface, parfois déplacés<br />

par la lame du bulldozer dans les dépressions. D’ailleurs,<br />

presque tous les sites pointés comportent aussi les copieux<br />

restes d’un artisanat de fabrication d’anneaux en<br />

pierre clairement associés à de la céramique modelée. À<br />

l’exception de quelques artefacts érodés ou de typologie<br />

Levallois qui gisaient en position isolée, les mêmes<br />

données se répètent d’un point à l’autre du plateau. C’est<br />

pourquoi nous ne pouvons faire l’économie d’un regard<br />

critique sur la totalité du matériel pré- et protohistorique<br />

avec lequel se sont mélangées les industries du<br />

Paléolithique.<br />

Notre sélection la plus sûre a d’abord retenu les éléments<br />

présentant au moins un léger degré d’usure, le plus<br />

souvent très discret (échelle 1, 5 sur 4 stades) et aussi la<br />

présence de patine sur les enlèvements. Il est vrai que<br />

ces éléments furent parfois difficiles à déterminer sur de<br />

nombreux taxons ayant été soumis à l’action du feu. Cela<br />

dit, le lot très majoritaire de l’industrie, à cassure très fraîche,<br />

en quartz, ne comprend quasiment que des éléments<br />

atypiques. En réalité, la grosse part des déchets lithiques<br />

frais trouvés sur le plateau provient pour l’essentiel des<br />

chocs de percuteurs en quartz trouvés en très grand<br />

nombre avec les ébauches d’anneaux disques. Une autre<br />

part vient du débitage aléatoire d’éclats qui furent ensuite<br />

fracturés pour profiter des dièdres ainsi créés et qui ont<br />

probablement servi à racler les ébauches. Cette industrie<br />

a posteriori et ce débitage très mal maîtrisé, en tout cas<br />

pour des fonctions liées à la boucherie et aux travaux domestiques,<br />

n’a sûrement rien à voir avec le Paléolithique<br />

et guère plus avec le Néolithique. Percuteurs et burins<br />

de fortune furent donc vraisemblablement utilisés pour<br />

fabriquer des anneaux en schiste, la roche-mère se trouvant<br />

sur place.<br />

D’ailleurs, une prospection très fine du secteur archéologique<br />

le plus riche sur une surface de 5 000 m 2<br />

(points 1005‐1006) a totalement confirmé cet état de<br />

fait, ainsi que l’absence d’armatures microlithiques. Il<br />

s’agit d’une industrie sur quartz qui s’attache donc plutôt<br />

à l’usage opportuniste du matériau local pendant la<br />

Protohistoire pour piqueter et racler les ébauches d’anneaux,<br />

qui sont ensuite polis (chap. IV). Les rares éléments<br />

très peu usés qui sont rattachables à un mode de<br />

débitage paléolithique n’ont donc aucun mal à s’individualiser<br />

dans cet ensemble.<br />

S’ajoute à cette considération l’extrême pauvreté des<br />

outils du fonds commun, en particulier des grattoirs, et<br />

la part très mineure des jaspes et des silex face à l’omniprésence<br />

du quartz. Ce sont des signes qui excluent, selon<br />

toute évidence, la présence d’habitats pour la Préhistoire<br />

récente qu’évoquent très timidement une ou deux armatures<br />

foliacées et une seule hache de pierre sur la totalité<br />

des mobiliers préhistoriques recueillis. Comme les<br />

restes d’un débitage lami- ou lamellaire font totalement<br />

défaut, si ce n’est sous forme d’un seul minuscule débris,<br />

nous pouvons encore plus nettement écarter une occupation<br />

un tant soi peu conséquente de ce secteur pendant<br />

la phase médiane du Néolithique tout comme pour le<br />

Paléolithique supérieur et l’Épipaléolithique azilien. La<br />

rareté des outils de meunerie est par ailleurs fort parlante<br />

sur le caractère probablement fugace des occupations<br />

préhistoriques liées à de l’habitat agricole dans le secteur<br />

et renvoie l’occupation préhistorique récente et protohistorique<br />

de cet espace à un pastoralisme plus ou moins<br />

nomade.<br />

Nous avons cependant dû tenir compte du fait que l’exploitation<br />

opportuniste des roches locales et que le débitage<br />

discoïde diminutif, caractérisant les industries mésolithiques<br />

du Sauveterrien à l’est des Pyrénées, pouvait<br />

en principe offrir un risque de confusion avec les industries<br />

moustériennes évoluées, généralement trouvées en<br />

bon état de fraîcheur. C’est pourquoi nous n’avons retenu<br />

ici comme procédant du Paléolithique que les éléments<br />

assimilables à des processus de débitage typiquement<br />

moustériens. Mais en réalité, il n’y a pas d’outils ou de déchets<br />

pertinents habituellement associés aux industries<br />

de l’Épipaléolithique-Mésolithique dans la masse assez<br />

conséquente du lithique recueilli sur ce vaste territoire<br />

(pas de grattoirs et une seule petite pièce esquillée en<br />

quartz qu’accompagnent deux ou trois débris d’éclats obtenus<br />

par percussion posée).


66 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

I.3 - Pertinence des lacunes dans les industries<br />

Le peuplement antérieur à l’Âge du Bronze n’a donc<br />

laissé que de discrètes traces dans la zone du brûlis, tout<br />

comme dans ses abords, et les rares, quoique précieux,<br />

témoignages restreints à l’industrie lithique sont par<br />

ailleurs discontinus dans le temps. Raisonner en termes<br />

de présence/absence de mobiliers pour cette très<br />

longue séquence étalée du Paléolithique inférieur au<br />

Mésolithique est un passage obligé, mais en principe bien<br />

moins pertinent que pour des périodes récentes ayant<br />

généré un matériel archéologique - céramique en particulier<br />

- plus abondant et mieux conservé, ainsi que des<br />

structures ayant modifié l’espace ( J. Kotarba, chap. V).<br />

Afin d’affûter quelque peu notre réflexion en la matière,<br />

nous avons par conséquent essayé de prendre en compte<br />

l’évolution géomorphologique des sites jusqu’aux perturbations<br />

anthropiques récentes, en relevant tout élément<br />

intrusif dans le milieu naturel y compris les roches étrangères<br />

au substrat.<br />

Dans tous les cas, couplée avec une lecture du sol rendue<br />

possible et pertinente par l’incendie, la présence de traces<br />

humaines très anciennes sur le plateau de Montalba, ou<br />

sur les flancs des échines tertiaires qui ferment les bassins<br />

de Vinça et de Rodès, montre bien que l’érosion a été<br />

incapable d’effacer totalement ces reliques sur les reliefs<br />

anciens. Ainsi, lorsque la présence humaine a été intensive,<br />

c’est-à-dire lorsqu’elle a été prolongée pendant très<br />

longtemps sur les mêmes sites favorables, eu égard aux<br />

très faibles densités de peuplement envisageables pour<br />

les sociétés de chasseurs, nous considérons comme parfaitement<br />

signifiant de ne pas en avoir détecté quelques<br />

signes.<br />

I.4 - L’absence d’art rupestre<br />

Les témoignages d’un art rupestre attesté sur la longue<br />

durée, depuis le Paléolithique sur le proche plateau<br />

de Vall en So (Martzluff et alii 2005) ou à partir du<br />

Néolithique dans les Aspres, non loin de Bouleternère<br />

(Abélanet 1990) et encore à Tarerach, face au plateau<br />

de Montalba (Valat de la Figarassa, cf. Abélanet 1990 et<br />

carte, ill. 2), mettent en avant une autre lacune constatée<br />

au cours de ces recherches. La prospection minutieuse de<br />

la zone du granite de Las Cases, à Rodès où notre plus<br />

grande attention s’est justement portée sur les bandes<br />

hectométriques de schistes qui parcourent les versants<br />

(carte géologique, chap XI, ill. 1) n’a rien donné. Il en est<br />

de même pour le ravin de Montjuich et la colline de La<br />

Bouffeta, sur la <strong>montagne</strong> de Bouleternère, sur le flanc opposé<br />

de la vallée, dont les terrains paléozoïques sont bien<br />

plus favorables (série schisteuse de Jujols).<br />

Nous devons en conclure que l’aménagement total du<br />

substrat par des terrasses de mises en culture a, depuis le<br />

Moyen Âge, presque totalement ruiné les rares affleurements<br />

de roches tendres sur les versants très abrupts de<br />

la vallée dans la zone brûlée. Si quelques roches gravées<br />

ont été épargnées par les travaux aratoires dans des écarts<br />

moins remaniés au sud de Tarerach ou sur les flancs du<br />

Canigou, nul doute que la proximité de Vinça, de Rodès<br />

et d’Ille-sur-Têt, trois agglomérations qui ont impulsé<br />

sur leur environnement immédiat une très forte pression<br />

paysanne liée à l’oléiculture et à la viticulture, nous prive<br />

ici de savoir s’il y avait sur ces pentes des roches gravées<br />

préhistoriques ou protohistoriques.<br />

I.5 - Typologie des sites archéologiques<br />

La présence d’industries du Paléolithique ancienmoyen<br />

en surface des formations alluviales suppose des<br />

campements de plein air. Toutefois, sur le plateau de<br />

Montalba, au voisinage des chaos, aucune concentration<br />

archéologique ne peut être rapportée à une « station ».<br />

Il en ressort globalement que ces artefacts obtenus sur<br />

des roches locales sont mélangés avec des éléments plus<br />

récents. Les gisements n’étant donc que très rarement<br />

conservés, la possibilité qu’une part des industries puisse<br />

provenir de sites troglodytes ou d’abris démantelés<br />

existe. Or, sur l’ensemble de la zone prospectée, il ne<br />

se trouve que fort peu de grottes et d’abris-sous-roche<br />

qui puissent offrir des repaires potentiels pour la<br />

Préhistoire ancienne.<br />

Ainsi, dans le petit synclinal perché de Bouleternère,<br />

en rive droite de la Têt, un karst résiduel ne possède pas<br />

de remplissage conséquent. Les deux cavités découvertes<br />

sur son flanc nord, au contact avec les schistes du<br />

Silurien, ont été mises à mal par l’exploitation des carrières,<br />

les segments occupés par les porches ayant été détruits<br />

(ill. 3). Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les falaises<br />

calcaires situées sur le flanc sud de cette éminence,<br />

dominant un versant bien exposé car protégé du vent,<br />

en rive gauche du vallon de Montjuich, se sont éboulées<br />

jusqu’à une période récente, au moins jusqu’aux temps<br />

modernes où le secteur de Les Pedreres était exploité par<br />

les ateliers de tailleurs de pierre (chap. X).


Le peuplement paléolithique<br />

67<br />

4 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.


68 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

5 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.


Le peuplement paléolithique<br />

69<br />

6 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.


70 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

7 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.


Le peuplement paléolithique<br />

71<br />

8 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.


72 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

9 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.


Le peuplement paléolithique<br />

73<br />

0 5<br />

10 - Industries du Paléolithique ancien-moyen du plateau de Tarerach-Montalba.


74 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

En principe, les chaos encombrant les pitons du plan<br />

granitique de Tarerach-Montalba, ont pu servir de protection<br />

à des groupes de chasseurs lors d’occupations<br />

de faible intensité. Toutefois, si l’on considère que le<br />

relief actuel de cette surface est en place pour l’essentiel<br />

depuis le début du Quaternaire moyen, c’est-à-dire<br />

depuis près d’un million d’années (chap. II), ces abris<br />

naturels dans les chaos ne devaient pas offrir des lieux<br />

très propices à l’habitat dans les phases froides car ils<br />

se trouvent sur des éminences balayées par les vents et<br />

sont privés de la proximité immédiate des cours d’eau<br />

ou des sources de bas de pente. D’ailleurs, les flancs de<br />

ces reliefs ont surtout livré des témoignages préhistoriques<br />

récents. En sus d’un positionnement défensif,<br />

il est possible que l’exposition au vent de ces sites de<br />

hauteur, cernés par des dépressions humides, ait offert<br />

une protection aux hommes et à leurs troupeaux contre<br />

miasmes et moustiques. C’est bien ce qui a pu les rendre<br />

attractifs à partir du plein Holocène, du Néolithique au<br />

premier âge du Fer.<br />

En fait, sur cet espace, le secteur le plus propice pour<br />

offrir des abris avec un bon potentiel de conservation<br />

pour la Préhistoire ancienne, se trouve dans le secteur<br />

des Balmettes, toponyme signifiant justement : « petits<br />

abris-sous-roche » (ill. 2). Bien exposé sur un versant<br />

adouci ouvert au sud, dans un vallon où sourdent des<br />

écoulements de bas de pente, l’un d’eux offre une bonne<br />

protection contre la Tramontane. Comme c’est le cas<br />

dans ce secteur pour quelques rares abris de même type,<br />

l’auvent rocheux a servi d’appui à une construction moderne<br />

du type bergerie qui est actuellement ruinée. Les<br />

aménagements d’une piste et les « sous-solages » liés<br />

à une plantation en résineux qui couvrait la zone, ont<br />

sensiblement bouleversé les abords et une partie aval de<br />

l’abri, montrant que le remplissage n’était pas épais (carte<br />

des zones remaniées, ill. 1). Nous n’avons pas trouvé<br />

le moindre témoignage archéologique probant dans les<br />

déblais.<br />

II - Les très anciens peuplements<br />

du plateau granitique de Montalba-<br />

Tarerach<br />

Nous analyserons ici les industries paléolithiques en<br />

tenant compte de leur contexte géomorphologique local.<br />

Ces artefacts sont surtout représentés de part et d’autre<br />

de la vallée du Tarerach ; ils deviennent rarissimes à l’est<br />

du Bellagre.<br />

II. 1 - Le contexte<br />

Le relief granitique de Montalba-Tarerach, en rive<br />

gauche de la Têt, hérite d’une pénéplaine tertiaire<br />

(Calvet 1996 et chap. II). Le soulèvement de ce plan<br />

d’érosion, dès la fin du Miocène, est balisé au sud par<br />

l’abrupt très raviné que longe le fleuve, le long de l’escarpement<br />

de faille. Ce relief est défoncé par des cuvettes<br />

qui résultent d’une altération différentielle du substrat<br />

cristallin sous un climat sub-tropical humide, puis d’une<br />

vidange des arènes, favorisée par la surrection du massif<br />

et par la mise en place d’un climat marqué par l’aridité<br />

saisonnière à la fin du Tertiaire. Comblées par les<br />

altérites, les plus larges de ces dépressions sont plus ou<br />

moins fermées par des pitons arrondis, où le socle fut<br />

anciennement immunisé de l’altération chimique et où<br />

le ruissellement a dégagé et entassé les miches granitiques<br />

saines déracinées du substrat, formant des chaos.<br />

Ces dépressions ont vraisemblablement été surcreusées<br />

par les vents au cours des épisodes froids et secs<br />

du Quaternaire. Les modelés ruiniformes encerclant les<br />

zones déprimées n’offrent plus aujourd’hui que de maigres<br />

remplissages sableux acides. Dans la zone brûlée, les<br />

exutoires des cuvettes débouchent dans trois modestes<br />

affluents de la Têt : le plus large est le Tarerach à l’ouest ;<br />

le Bellagre balise le centre et la Riberette ferme la zone<br />

étudiée à l’est. Ces profondes saignées dans le substrat<br />

cristallin forment autant d’axes de pénétration vers le<br />

nord. Leur régime est intermittent, avec des étiages sévères<br />

et de violentes crues lors des orages.<br />

Sur les interfluves adoucis de ces mêmes reliefs, gisent çà<br />

et là quelques artefacts en quartz saccharoïde, en jaspe ou en<br />

grès, qui sont très légèrement à faiblement usés (ill. 5 à 10)<br />

et qui peuvent se rapporter à une occupation moustérienne,<br />

au sens large. De plus rares éclats très altérés et polis par le<br />

vent constituent les rarissimes reliques acheuléennes d’un<br />

Paléolithique inférieur indéterminé dans le temps (ill. 4).


Le peuplement paléolithique<br />

75<br />

Les lacunes concernant les industries du Paléolithique supérieur<br />

et de l’Épipaléolithique-Mésolithique sont donc<br />

d’autant plus remarquables que la probabilité d’occupations<br />

masquées par un piégeage dans le sous-sol est très<br />

faible.<br />

- observations sur les remplissages sédimentaires du<br />

secteur central, à Montalba<br />

Certains éléments détritiques nous ont semblé pouvoir<br />

témoigner de très anciens apports sédimentaires allogènes<br />

au cœur du plateau. Ce sont des quartz émoussés de<br />

dimensions modestes (très rarement plus de 10‐15 cm<br />

pour les plus gros éléments, de la taille d’un gros gravillon<br />

pour l’essentiel) qui sont affectés d’une profonde<br />

patine brune à violacée, tous ayant été polis, voire carénés<br />

par l’érosion éolienne. Toutefois, alors que ces éléments<br />

sont très présents dans certains chaos situés près des dépressions<br />

humides, tel celui de Ropidera, au sud du Mas<br />

Molins, par exemple, ils sont absents à la même altitude<br />

dans certains secteurs voisins, en particulier autour du<br />

Serrat blanc. Cela pourrait signifier que la plupart des<br />

quartz érodés proviennent du démantèlement sur place<br />

des puissantes digues de quartz qui parcourent cet espace<br />

selon des axes précis (cf. carte géologique, chap. XI).<br />

C’est en particulier le cas pour des blocs émoussés déjà<br />

très usés, mais encore peu patinés et qui présentent des<br />

marbrures rouges (oxydation dans les fissures) car ils se<br />

trouvent toujours près de ces filons de quartz. D’ailleurs,<br />

parmi les éléments fortement usés et patinés des secteurs<br />

déprimés, s’observent aussi les roches les plus dures et<br />

cohérentes du substrat immédiat (nodules de gabbro,<br />

microgranites acides, gros cristaux d’orthose, etc.). Il ne<br />

s’agit donc probablement pas de galets de rivière.<br />

Il existe cependant des matériaux plus sûrement étrangers<br />

au substrat géologique dont la présence peut avoir<br />

une origine naturelle ou anthropique. Pour les quartzites<br />

gris, les calcaires, les schistes durs et de très rares et minuscules<br />

fragments très érodés de marne noire indurée ‐ une<br />

cornéenne provenant des séries albiennes du synclinal de<br />

Boucheville qui affleurent vers l’amont, à 2 km au nord<br />

de Montalba ‐ un transport naturel peut être envisagé,<br />

mais sans certitude. Du reste, un lambeau de ce que nous<br />

interprétons comme un ancien lit de rivière, se trouve en<br />

limite du brûlis, entre Las Planas et Las Caneletas, sur le<br />

flanc nord-occidental du plateau. Il semble correspondre<br />

à un très ancien méandre du Tarerach, aujourd’hui perché<br />

au-dessus des cuvettes du plan principal. Les galets<br />

issus de ces matériaux exogènes sont rares, peu roulés<br />

et très altérés (alt. 500 m, cf. ill. 2). Nous n’y avons pas<br />

trouvé d’industries.<br />

Au cœur du plateau, ces galets de roches exogènes ont<br />

été piégés dans les chaos et sur les flancs des dépressions.<br />

Quelques galettes de schiste dur, des quartzites, des nodules<br />

émoussés de cornéennes, ainsi que deux galets de<br />

calcaire, proviennent vraisemblablement de l’amont, avec<br />

des ruissellements venus du nord. Par contre, le seul petit<br />

galet de gneiss trouvé dans ces mêmes chaos a certainement<br />

une origine anthropique car le massif du Canigou,<br />

où ces roches affleurent, se trouve séparé du plateau par<br />

la vallée de la Têt ; les épandages possibles de ces roches<br />

avant le soulèvement du plateau à la fin du Miocène sont<br />

trop anciens pour que ce type de roche n’ait pas été météorisé.<br />

Les débris de jaspes ferrugineux, dont les gisements<br />

se trouvent aussi sur le flanc opposé de la vallée,<br />

dans les remplissages pliocènes flanquant le Canigou audessus<br />

de Vinça, mais aussi de rares silexites et le seul<br />

éclat de lave acide, de type rhyolite, sont des roches dures<br />

qui peuvent être associées avec certitude à des transports<br />

par l’homme pour la fabrication d’outils.<br />

Il semble donc que l’essentiel des roches les plus dures<br />

et les plus homogènes ait été usé sur place, alors qu’une<br />

fraction, mineure, serait imputable à des écoulements<br />

venant du nord, balisant les très anciens lits de rivières<br />

actuellement encaissés dans leurs ravins. Seule une part<br />

minime est donc imputable à des transports par l’homme.<br />

Fracturés par le gel jusqu’à des tailles diminutives, éolisés<br />

et patinés, les matériaux les plus tenaces se sont empilés à<br />

divers stades d’usure en surface des dépressions lorsqu’elles<br />

ont été évidées dans les altérites par l’érosion. Quelquesuns<br />

de ces résidus ont été bloqués par l’empilement des<br />

chaos. Partout ailleurs, les ravinements les ont dispersés<br />

sur les pentes. Sur le flanc sud du plateau, par exemple, il<br />

s’en trouve sous forme d’amas dans les alluvions de petits<br />

ruisseaux au niveau de replats entre deux verrous rocheux,<br />

tel le ravin de Bosc negre (ill. 2). Mieux conservés dans ces<br />

pièges, ces émoussés peuvent atteindre le double du volume<br />

de ceux trouvés sur le plateau et leur patine est souvent<br />

effacée sur les angles par roulement dans les ruisseaux.<br />

Ces roches tenaces ont été utilisées pendant la<br />

Préhistoire, marnes indurées comprises, mais il semble<br />

évident que les lourds outils du Paléolithique ancien,<br />

choppers et chopping-tools qui auraient pu être aménagés


76 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

dans les galets de quartz, ont été très déformés par l’érosion<br />

au cours du Quaternaire, et surtout par la cryoclastie ;<br />

ils ne sont plus identifiables en tant que tels aujourd’hui.<br />

Quelques galets très altérés que nous avons recueillis, car<br />

ils présentent des encochements ou une double patine, ne<br />

peuvent prétendre à la qualification d’outil ou de nucléus<br />

sans contestation. Curieusement, il semble donc que ce<br />

soient les plus petits éléments, dont quelques éclats bien<br />

formés à l’origine, mais difficilement reconnaissables<br />

aujourd’hui, qui ont survécu ici lorsque la pente n’était pas<br />

trop forte pour les entraîner ou qu’ils ont été retenus par<br />

quelque entassement de boules granitiques (ill. 4).<br />

Le relief du plateau, fortement érodé sur les inflexions<br />

de sa marge méridionale à la fin du Tertiaire, au vu des<br />

puissants épandages sédimentaires à mégablocs du piémont<br />

(site de Casesnoves et « orgues » d’Ille-sur-Têt), n’a<br />

donc pas été bouleversé dans ses grandes lignes en son<br />

centre au cours du Pléistocène moyen et final. C’est du<br />

moins ce que tendent à montrer les roches usées et patinées<br />

les plus dures et cohérentes au voisinage de leurs gîtes,<br />

tout comme la présence des très vieux artefacts dans<br />

le même état. L’incision des rivières dans le socle sous l’effet<br />

de la poussée tectonique, la dispersion des fines avec<br />

le ruissellement sur les versants adoucis et leur ablation<br />

éolienne dans les secteurs déprimés, représentent sans<br />

doute les érosions quaternaires majeures.<br />

- les restes alluviaux très anciens sur la marge méridionale<br />

du plan granitique<br />

Au bord de l’escarpement de faille de la Têt, sur la<br />

progressive rupture de pente qui domine les abrupts, on<br />

retrouve quelques éléments alluviaux épars, piégés par<br />

les chaos rocheux. Ce sont des galets de roches granitiques,<br />

schisteuses, quartzeuses, y compris de gros galets<br />

de quartz saccharoïde blanc et de quartzite gris bleuté.<br />

Les rares quartz et quartzites ne sont pas patinés (pas<br />

de patine ferrugineuse ocre ou violacée). Nous les avons<br />

d’abord identifiés dans le bâti des ruines médiévales du<br />

village de Ropidera à Las Cases, où les galets de granite<br />

sains sont relativement nombreux (altitude 400‐430 m,<br />

commune de Rodès). Ces galets, d’assez gros calibre et<br />

fort peu altérés, nous ont logiquement semblé provenir<br />

des alluvions actuelles du fleuve avec d’autres apports anthropiques<br />

médiévaux, ce qui est le cas pour l’ardoise et le<br />

calcaire destiné à fabriquer la chaux.<br />

En réalité, ces roches siliceuses rares gisent tout au<br />

long de la principale inflexion du plateau, face à la plaine,<br />

entre la côte 350 m à l’amont (Vinça) et 250 m à l’aval<br />

(Ille-sur-Têt). En limite du brûlis, une « vieille terrasse<br />

démantelée » a été signalée au-dessus du barrage de<br />

Vinça (La Coste, alt. 330 m), près de l’ancien chemin de<br />

Marcevol (Blaize 1990). Mais ces alluvions comprennent<br />

de très rares galets de quartz patinés. Au-dessus<br />

de Casesnoves (commune d’Ille-sur-Têt), un semis très<br />

discret de galets non patinés surmonte immédiatement,<br />

à l’altitude 270‐250 m, une belle coupe faite par un ruisseau<br />

dans les apports détritiques latéraux du versant,<br />

des sables arkosiques à mégablocs du Pliocène terminal.<br />

Ces reliques de nappe fantôme correspondent donc peu<br />

ou prou au toit du Pliocène, si nous les comparons au<br />

sommet des buttes tertiaires dans les bassins de Vinça<br />

et de Rodès, lequel s’établit à la côte 345 m au Serrat d’en<br />

Molins (Vinça) et à 301 m au Château de Rodès. Dans la<br />

plaine d’Ille, le sommet des « orgues » culmine à 245 m.<br />

Vu leur dispersion, il est impossible de savoir si ces galets<br />

épars correspondent aux apports longitudinaux<br />

d’une paléo-Têt pliocène ou à ceux du Quaternaire ancien.<br />

Nous avons constaté pour les quartz qu’ils constituent<br />

le matériau de base des plus vieilles industries paléolithiques<br />

dans la vallée, ce que nous verrons plus loin.<br />

L’absence de patine sur les roches dures des alluvions<br />

associées aux plus hauts niveaux du Quaternaire a déjà<br />

été signalée (Collina-Girard 1975‐76). Elle pourrait se<br />

rapporter à la nature des sédiments fins encaissants, les<br />

arènes acides du plateau en particulier, qui auraient empêché<br />

le dépôt d’une patine, mais aussi à l’érosion des<br />

horizons pédologiques anciens.<br />

Dans tous les cas, à l’aval des gorges de Rodès, on retrouve<br />

en rive gauche, sur les flancs de l’abrupt granitique,<br />

vers 210-200 m d’altitude (+ 40 m du fleuve), des restes<br />

de nappes sédimentaires qui correspondent à une phase<br />

alluviale tardive de type T2 (Riss alpin). La surface a livré<br />

une abondante industrie paléolithique non éolisée et<br />

systématiquement taillée dans des galets de quartz non<br />

patinés. Les quartz de la terrasse T2 étant fort rares et<br />

un peu plus altérés, ces derniers semblent donc avoir été<br />

ramassés dans ce type d’alluvions perchés au-dessus des<br />

terrasses quaternaires. Ces outils seront présentés avec<br />

les remplissages quaternaires de la vallée.


Le peuplement paléolithique<br />

77<br />

II.2 - Typologie des industries paléolithiques du plateau<br />

de Montalba-Tarerach<br />

Sur le Plan de Tarerach (Mas Llosanes et Valat de la<br />

Figarassa), une prospection de contrôle sur des parcelles<br />

défrichées et le plus souvent nivelées avec des engins mécaniques,<br />

a permis de détecter la présence d’industries<br />

moustéroïdes en quartz, peu altérées et très proches de<br />

celles rencontrées sur le plateau de Montalba. Ces industries<br />

sont peu abondantes et également dispersées,<br />

en présence ou pas des sites de la Préhistoire récente<br />

(ill. 2). Le néocortex des galets de quartz saccharoïde<br />

utilisés, matériau absent du substrat géologique immédiat,<br />

est parfois légèrement patiné. Ces galets peuvent<br />

provenir des vieilles terrasses quaternaires de la vallée,<br />

dans les environs de Rodès, puisque les industries sur<br />

galets patinés ne se trouvent vraiment que là.<br />

Sur le plan de Montalba, la petite série retenue pour<br />

la Préhistoire ancienne a été divisée en deux lots. Le<br />

premier, nettement à fortement éolisé (stades 3 à 4) et<br />

parfois patiné, regroupe une poignée d’éclats (ill. 4) ainsi<br />

qu’un galet denticulé très altéré (non figuré). Ce lot peut<br />

être mis au compte d’un Paléolithique inférieur, au sens<br />

large, car il a subi de longues périodes d’altération et/ou<br />

d’abrasion, des états d’érosion qui peuvent correspondre<br />

à la fin du Pléistocène moyen et au début du Pléistocène<br />

final. Dans ce cas, la quasi-absence de galets aménagés<br />

ou de nucléus est problématique, comme nous l’avons<br />

vu.<br />

L’autre série est plus représentative, quoique peu étoffée<br />

également, soit une trentaine de pièces. Elle regroupe<br />

des artefacts faiblement usés et exempts de patine sur<br />

les enlèvements, principalement des nucléus et des produits<br />

du débitage discoïde. Quelques-uns, plus proches<br />

du mode Levallois, sont de facture nettement moustérienne<br />

(ill. 5 à 9) ; d’autres seront qualifiés de « moustéroïdes<br />

», ce qui est assez peu discriminant, il faut bien<br />

le reconnaître, mais comment faire autrement ? Ces artefacts<br />

ne peuvent être mis en phase avec d’autres époques.<br />

L’émoussé prononcé des éclats de cornéenne de ce lot est<br />

moins signifiant que pour les roches plus siliceuses, ces<br />

marnes albiennes indurées étant plus sensibles à l’altération<br />

chimique dans le sol (ill. 9). Au total, cette industrie<br />

sur quartz, ou grès-quartzite, très peu usée, pourrait<br />

témoigner d’une fréquentation du plateau à partir de la<br />

vallée du Tarerach pendant la dernière glaciation alpine<br />

et l’interstade qui la précède.<br />

En effet, l’essentiel des outils « moustéroïdes » de la<br />

plaine du Roussillon, en particulier dans le bassin du<br />

Réart où ils forment la part la plus copieuse des assemblages<br />

paléolithiques mélangés, ne sont guère plus<br />

émoussés que ceux du plateau de Montalba (stades 1<br />

à 2), alors que le creusement des dépressions hydroéoliennes<br />

par les vents violents est envisagé jusqu’à la<br />

fin du dernier glaciaire. Les artefacts Levallois en silex<br />

qui sont associés aux plus grosses concentrations dans<br />

la plaine, pour une valeur de 2 sur 1 000 environ, ne<br />

sont jamais éolisés, mais au contraire en très bon état de<br />

fraîcheur (Martzuff 2004). L’éolisation, qu’il faut bien<br />

distinguer des pièces roulées dans les alluvions ou les<br />

chenaux de ruissellement, semble donc n’avoir provoqué<br />

que très peu de dégâts sur les industries en quartz<br />

dans cette région depuis 100 000 ans et quasiment<br />

aucun après 50 000 ans.<br />

III - Le peuplement paléolithique<br />

dans la plaine du Roussillon, à Illesur-Têt<br />

et à Bouleternère<br />

L’espace alluvial de la vallée fut à peine effleuré par<br />

l’incendie sur ses marges. Le cours de la Têt s’encaisse<br />

dans des dépôts fluviatiles inégalement conservés selon<br />

que l’on se place en amont ou en aval du col de Ternère<br />

(Ternera). En rive gauche et jusqu’au débouché des gorges<br />

de Rodès sur le Roussillon, l’encaissement rectiligne<br />

du fleuve dans le substrat cristallin a quasiment anéanti<br />

tous les remplissages alluviaux qui ne sont conservés<br />

que par lambeaux sur les flancs de la pente et parfois<br />

sous forme de galets dispersés sur le substrat rocheux,<br />

comme nous l’avons vu. Vers l’aval, au contraire, apparaissent<br />

sur cette rive gauche les couches tertiaires qui<br />

forment le site spectaculaire des « orgues », à Ille-sur-<br />

Têt ainsi que quelques tronçons de terrasses quaternaires.<br />

En rive droite, c’est en quelque sorte le contraire.<br />

Les alluvions quaternaires sont emboîtées, à Vinça et<br />

à Rodès, dans les puissantes strates du Miocène et du<br />

Pliocène qui ont comblé le fossé du Conflent et qui arment<br />

encore le piémont du Canigou. Sur cette même<br />

rive droite, en aval du défilé de La Guillera et du col de<br />

Ternera, les remplissages du Tertiaire ont par contre été<br />

excavés à la jonction du Boulès et de la Têt, où il ne reste<br />

quasiment plus que le substrat rocheux paléozoïque.


78 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

Ces accumulations ayant été totalement balayées par<br />

l’érosion, les dépôts étagés des bas niveaux quaternaires<br />

qui occupent largement la plaine d’Ille-sur-Têt ont été<br />

mis en place au cours des deux derniers cycles alpins.<br />

Dominant le cours du fleuve d’une vingtaine de mètres,<br />

le plan alluvial le plus développé en surface est<br />

relativement jeune puisqu’il peut être daté du premier<br />

Pléniglaciare würmien (vers 60 000 ans). C’est pourquoi<br />

les sols bruns y sont fertiles et ils le sont d’autant<br />

plus que ces terres, situées hors d’atteinte des terribles<br />

crues post-glaciaires, ont été irriguées dès la fin du<br />

Moyen Âge. Ce sont les verrous de Vinça et de Rodès<br />

qui commandent en effet la distribution des eaux d’arrosage<br />

par gravité sur une bonne part de la plaine du<br />

Roussillon où les canaux traversent successivement vers<br />

l’aval, et jusqu’à Perpignan, au moins deux plans de terrasses<br />

plus anciens.<br />

III.1 - Les restes ambigus de très vieilles formations quaternaires<br />

en rive gauche de la Têt<br />

Au-dessus de la zone à rares galets quartzeux « frais »<br />

sise sur la rupture de pente méridionale qui flanque le<br />

plateau, nous n’avons pas trouvé de galets patinés ou<br />

de traces de sols altérés qui pourraient témoigner de<br />

l’ancrage de très vieilles formations quaternaires sur ce<br />

versant entre les côtes 350 et 400 m. Mais nous ne les<br />

avons pas systématiquement recherchées. En réalité, la<br />

géométrie des remplissages alluviaux du Quaternaire<br />

ancien, entre 2,2 et 0,7 millions d’années (peu ou<br />

prou l’ex-Villafranchien), nous échappe, et pas simplement<br />

dans cette vallée. Une large part de cette phase<br />

du Pléistocène est lacunaire. En effet, la plus vieille<br />

formation alluviale du Quaternaire dans la plaine du<br />

Roussillon coiffe, sous forme d’une haute terrasse (T5),<br />

les buttes témoins du Tertiaire dont les molasses sableuses<br />

sont datées d’une première moitié de l’étage<br />

pliocène (Zancléen, 5,3 à 3,5 millions d’années) par la<br />

végétation et la faune fossile au toit de cette série (Serrat<br />

d’en Vaquer). Entre 3,5 et 1,5 Ma, les changements climatiques<br />

(ici l’accentuation d’un climat contrasté avec<br />

froid hivernal, abats d’eau et sècheresse), mais surtout<br />

une tectonique compressive très active, avec un soulèvement<br />

généralisé depuis les <strong>montagne</strong>s, expliquent<br />

sans doute l’ablation des accumulations sédimentaires<br />

en plaine, à la charnière Pliocène-Pléistocène sous l’effet<br />

d’une très puissante érosion. Sur de petits reliefs haut<br />

perchés, les plus anciennes terrasses résiduelles d’une<br />

paléo-Têt quaternaire sont donc mal datées de la fin du<br />

Pléistocène ancien, entre 1,5 et 0,7 millions d’années.<br />

Dans la plaine d’Ille-sur-Têt, les plus vieilles alluvions<br />

quaternaires couronnent les orgues d’Ille-sur-Têt<br />

à Mata Rodona (T5, alt. 244 m). Les deux moignons<br />

de terrasse sont perchés sur les sables et les galets des<br />

épandages tertiaires et se trouvent séparés de quelques<br />

mètres en hauteur par un décrochement de faille transverse,<br />

preuve qu’une tectonique plus modérée continue<br />

à jouer (Calvet 1988, p. 12, 1996). Ce secteur se trouve<br />

hors limite du brûlis actuel, dans le maquis, et nous ne<br />

l’avons pas prospecté. Donnés comme les plus anciens<br />

pour le Quaternaire du Roussillon sur la carte géologique<br />

au 1/50 000, ces restes alluviaux de Mata Rodona<br />

sont caractérisés par de gros galets de gneiss « friables<br />

ou réduits à l’état de fantômes (...) emballés dans une<br />

argile rouge vif » et les « quartz restés en surface sont<br />

couverts d’une épaisse patine ferrugineuse ou rouge<br />

violacée » (Calvet 1988, 1994). Selon une nomenclature<br />

prudente, cette formation T5 d’Ille-sur-Têt,<br />

qu’une forte altération corrèle – faute de mieux – à un<br />

« Villafranchien terminal », se prolonge vers l’aval sur<br />

cette rive gauche jusqu’à celle du Mas Ferréol, au Nord<br />

de Millas. Dans ce secteur apparaissent aussi les lambeaux<br />

d’un plan T4, alors que vers la mer, de grands<br />

plans de terrasse T3, démultipliés en quatre niveaux<br />

au nord de Perpignan (La Llabanère), sont plus ou<br />

moins clairement rapportés par différents auteurs au<br />

Pléistocène moyen, mindélien dans la nomenclature alpine<br />

(entre 600 et 300 000 ans).<br />

Toutefois, dans sa thèse, Jacques Collina-Girard signale<br />

en 1975 que les galets de quartz d’un de ces témoins<br />

perchés sur les « orgues » ne montrent pas plus<br />

de patine que ceux des alluvions tertiaires sous-jacentes<br />

auquel il les assimile. Un « épannelé bifacial d’une très<br />

belle symétrie » a été récolté sur cette surface en 1968<br />

(Blaize 1985b). Ce galet aménagé n’a cependant pas été<br />

mentionné par Collina-Girard, probablement à cause<br />

de l’attribution de cette formation alluviale en totalité<br />

au Tertiaire. D’ailleurs – toujours d’après cet auteur – la<br />

terrasse quaternaire ancienne la plus proche, celle du<br />

Mas Ferreol à Millas, est peu colorée et rappelle aussi<br />

les alluvions tertiaires où les quartz auraient « subi une<br />

perte de patine secondaire », alors que ceux des plus<br />

vieilles terrasses de la plaine côtière, à Cabestany, sont


Le peuplement paléolithique<br />

79<br />

« tous affectés par des profondes patines lie-de-vin, caramel<br />

ou orangées » (Collina-Girard 1975). L’exiguïté<br />

des vestiges de ces plus hauts niveaux quaternaires dans<br />

cette partie du bassin de la Têt, et leur proximité stratigraphique<br />

avec les alluvions arkosiques du Pliocène,<br />

posent par conséquent de sérieux problèmes pour identifier<br />

les vieilles industries paléolithiques selon le seul<br />

critère de la patine, comme nous le verrons.<br />

L’épandage alluvial T5 de type Mata rodona représenterait<br />

donc, vers le milieu du Quaternaire semble-t-il,<br />

une nappe très peu épaisse et probablement très large.<br />

Selon Marc Calvet, elle correspondrait sans doute bien<br />

plus à la divagation du fleuve au sein de chenaux en tresse<br />

lors d’une stase dans les crises tectoniques soulevant<br />

le massif, qu’à une puissante accumulation d’alluvions<br />

dans un lit bien tracé, d’autant que les glaciations anciennes<br />

semblent avoir été jusqu’alors peu sévères sous<br />

cette latitude. Lors des poussées suivantes, le surcreusement<br />

de la vallée par un régime fluvial de forte énergie,<br />

mordant sur des piémonts encombrés d’alluvions grossières<br />

accumulées en périodes froides, a brutalement<br />

incisé les hauts niveaux par un balayage très large au<br />

sortir des gorges de La Guillera, rejoint par les apports<br />

du Boulès, dévalant des contreforts du Canigou (Calvet,<br />

op. cit.). Cette violence peut expliquer que l’on ne retrouve<br />

aucun mélange de galets quartzeux à patine prononcée<br />

dans les alluvions T2 et T1 de cette plaine d’Ille<br />

où l’érosion fluviatile semble avoir totalement vidangé<br />

les formations du Pléistocène moyen (divers plans T4<br />

et T3).<br />

Il n’est donc pas étonnant que les industries acheuléennes<br />

patinées et éolisées fassent absolument défaut<br />

sur cet espace, y compris en position secondaire,<br />

contrairement à ce qui est le cas dans la basse plaine<br />

du Roussillon, en particulier dans le bassin inférieur du<br />

Réart (Martzluff 2004, 2006). En effet, au centre de la<br />

plaine littorale, entre les bassins du Tech et de la Têt,<br />

l’érosion progressive des buttes témoins des très anciennes<br />

nappes T5 et T4 a libéré les quartz très altérés, repris<br />

dans les chenaux creusés sur les glacis pliocènes qui<br />

les encadrent, pour les mêler à ceux des grands plans<br />

de terrasse postérieurs, et en particulier à T3. Ici par<br />

contre, les très anciennes alluvions sont donc parfaitement<br />

déconnectées des formations suivantes qui apparaissent<br />

entre 30 et 40 m en contrebas.<br />

III.2 - Les épisodes T4 et T3 sont-ils totalement lacunaires<br />

?<br />

Bien qu’il n’existe dans le relief de ce secteur aucun plan<br />

de terrasse pouvant être rapporté à cette très longue séquence<br />

du Pléistocène située entre T5 et T2, soit au bas<br />

mot un demi‐million d’années, voire le double, certains<br />

indices permettent de suggérer qu’il en reste quelques<br />

traces sur le flanc oriental de la colline de Rodès.<br />

- Sites du ravin de Les Collades et de Naret<br />

En limite occidentale de la plaine d’Ille, au débouché<br />

des gorges de La Guillera, nous avons observé en rive<br />

droite une flaque sédimentaire très altérée, accrochée au<br />

substrat pliocène sur un replat, à ras des affleurements du<br />

socle (alt. 230-235 m, ill. 2). Le sol rougeâtre est nourri<br />

en galets de quartz et les roches granitoïdes décomposées<br />

ont produit en surface une arène. Très curieusement, ces<br />

quartz ne sont quasiment pas patinés, pas plus en tout<br />

cas que ceux de la Têt actuelle ou ceux provenant de la<br />

masse alluviale tertiaire. Une grande part des galets a été<br />

transportée vers l’aval, semble-t-il, dans un chenal qui<br />

traverse un lambeau de remplissage sableux surmontant<br />

des alluvions à très gros blocs. Ces derniers s’appuient<br />

sur le socle granitique et semblent, pour leur part, anté-<br />

Quaternaire (coupe du ravin de Les Collades, alt. 220 m,<br />

et coupe faite au bulldozer dans un verger).<br />

Ce site fut touché par l’incendie. Il a livré quelques<br />

éléments d’une industrie faiblement érodée sur galet<br />

de quartz, mais sans patine, comme ceux du substrat<br />

(ill. 11). Ils sont affectés d’une légère usure, probablement<br />

fluviatile et sont associés aux restes d’un débitage<br />

d’éclats en meilleur état de fraîcheur. Or, ces quartz<br />

taillés, accompagnés de quelques éclats de jaspe, sont représentés<br />

le long du même versant de l’échine tertiaire,<br />

depuis les gorges de La Guillera jusqu’au col de Ternère.<br />

Vers le sud, une industrie dispersée et dotée de mêmes<br />

états de surface, gît en position secondaire au débouché<br />

de grands évidements faits par les ravines (secteur de<br />

Naret, alt. 250‐200 m). Près du col de Ternère, au-dessus<br />

de la chapelle Sainte-Anne, Marc Calvet signale l’ancrage<br />

d’une terrasse T3 (chap. II et ill. 2)<br />

Il faut avouer que nous ne savons pas interpréter<br />

ces traces sédimentaires rubéfiées enrichies en galets<br />

de quartz non patinés et liées aux industries taillées<br />

dans ces roches alluvionnaires. Elles semblent nettement<br />

amputées de la part altérée et éolisée en surface.


80 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

Ille-sur Têt La Guillera, alt. 235 m<br />

Quartz saccharoïde blanc,<br />

Pièce roulée, stade 2<br />

Pseudo-cortex à léger voile terne<br />

Fissures nappées d’oxyde orangé<br />

Pièce brûlée. Un enlèvement frais<br />

Chopping-tool ou amorce de nucléus discoïde<br />

11 - Colline de Rodès, industrie localisée entre les côtes 340-330 m (formation T3 ?).


Le peuplement paléolithique<br />

81<br />

C’est d’autant plus troublant qu’il s’en trouve un écho<br />

dans le bassin de Rodès, sur une bande située à la même<br />

altitude (autour de 230‐240 m) d’où proviennent les<br />

principales concentrations d’industries à pebble tools<br />

déjà publiées (cf. ci-dessous, IV.1, IV.2 et ill. 2). S’agitil<br />

d’un ancien bas de pente se branchant sur un plan<br />

alluvial T3 ?<br />

L’industrie obtenue à partir des galets de quartz non<br />

patinés que libèrent ces sols rougis donnant sur la plaine<br />

d’Ille pose d’ailleurs problème. Les séries se divisent en<br />

deux lots selon leurs états de surface : soit les artefacts<br />

sont affectés par une usure nette, mais peu prononcée, dérivant<br />

d’une érosion par roulement (dièdres plus usés que<br />

les négatifs), soit ils sont en assez bon état de fraîcheur.<br />

La série roulée, minoritaire, comporte de gros choppingtools,<br />

de forts éclats ou des débris (ill. 11) ; la série fraîche<br />

ne se distingue du lot que par des nucléus, parfois volumineux<br />

et de plus nombreux et plus petits éclats bien formés.<br />

La gestion des galets épannelés est voisine de celle<br />

le plus souvent rencontrée sur le plan T3 en Roussillon,<br />

parfois discoïde, elle tend vers une exploitation proche du<br />

mode Levallois ou Quina. Aucun mélange avec des industries<br />

du Tardiglaciaire ou de l’Holocène n’est associé à<br />

ces gisements mal conservés in situ.<br />

III.3 - La séquence rissienne T2<br />

Les formations alluviales suivantes ne sont que peu<br />

étendues, une trentaine de mètres en contrebas des traces<br />

ponctuelles des hauts niveaux quaternaires. Datées<br />

du Würm ancien sur la carte géologique au 1/50 000<br />

(Berger et alii 1993), elles correspondent plus vraisemblablement<br />

au plan T2 de Thuir, soit à un Riss alpin terminal<br />

(Calvet 1996). L’une de ces terrasses a conservé un<br />

gisement paléolithique probablement en place.<br />

- Rive droite : le plan des Escatllars et de Borbona (gorges<br />

de La Guillera)<br />

La nappe la mieux conservée est la butte des Escatllars,<br />

sur la rive droite. Elle sépare le lit de la Têt de celui du<br />

Boulès (alt. 180-190 m). Elle réapparaît plus loin en<br />

aval vers Corbère-les-Cabanes. Entre le fleuve qu’elle<br />

domine par un abrupt de 30 m et la voie ferrée qui la<br />

longe, au sud, elle prend un pente de direction méridienne.<br />

Reposant sur les sables tertiaires, l’accumulation<br />

sédimentaire imputable à la Têt est plus épaisse vers le<br />

nord. Au sud, le faible remplissage de la zone déprimée<br />

aval s’appuie sur un pointement schisteux du socle paléozoïque<br />

(ill. 2). En coupe, dans un sol altéré de teinte<br />

ocre, les galets de gneiss, de granites et quelques schistes<br />

durs sont cohérents, mais déjà bien cariés ; les quartzites<br />

bleus ou gris sont faiblement patinés de brun et les<br />

quartz, assez rares, ne le sont que très faiblement par<br />

un voile blanchâtre mat, parfois beige clair de tonalité<br />

« coquille d’œuf ».<br />

Dans cet épandage isolé au centre la plaine et bien<br />

séparé des flancs de la vallée par les lits de la Têt et du<br />

Boulès, on ne trouve donc ni dreikanters, ni galets de<br />

quartz à profondes patines rouges ou violacées en position<br />

secondaire. Seuls quelques rarissimes gros galets<br />

quartzeux (40 cm) couverts d’une mince patine jaunâtre<br />

à orangée pâle, peuvent attester d’un discret mélange avec<br />

une formation plus ancienne. En surface, de très rares petits<br />

galets de quartz (5‐10 cm) portant des patines de cet<br />

ordre sont mieux représentés vers le sud, dans la partie<br />

aval de la formation, avec une plus grande proportion de<br />

petits galets de schiste. Ces derniers apparaissent en coupe<br />

dans les poches de limons beiges, ce qui laisse à penser<br />

qu’il s’agit là d’une part imputable au Boulès. Repoussé<br />

par les alluvions de la Têt, le cours de celui-ci s’est progressivement<br />

encaissé vers le sud, dans le socle schisteux<br />

des Aspres.<br />

Le plan T2 des Escatllars, peu propice aux mélanges<br />

suspectés sur les échines tertiaires du bassin de Rodès,<br />

mais sensiblement bouleversé par la remise en culture à<br />

la fin du XX e siècle, n’a fourni que des fragments d’éclats<br />

atypiques très dispersés et un éclat retouché, pièces qui<br />

ne sont toutes que très légèrement usées. Ce sont les seuls<br />

échos d’une présence paléolithique sur quelques secteurs<br />

bien lisibles. L’examen rapide des puissants tas d’épierrement<br />

n’a rien donné de mieux. Cet interfluve semble<br />

donc avoir été peu attractif au Moustérien, après la phase<br />

rissienne de dépôt des alluvions.<br />

Toujours en rive droite, une étroite bande du même<br />

niveau alluvial est conservée au débouché des gorges de<br />

La Guillera, où elle est partiellement recouverte par des<br />

colluvions du versant (alt. 200 m, coupe au bas du ravin<br />

de Les Collades). Malgré leur excellente situation topographique<br />

sur le flanc du défilé, ces lambeaux, en partie<br />

remaniés au buldozzer et peu touchés par l’incendie, sont<br />

difficilement exploitables en prospection du fait de leur<br />

mise en friche. Ils n’ont rien livré de très probant hormis<br />

un ou deux éclats de quartz non usés.


82 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

- Rive gauche, les restes de terrasses T2 à la confluence<br />

du Bellagre<br />

Au débouché du Bellagre sur la Têt, la séquence alluviale<br />

rissienne de type plan T2 est bien attestée de part<br />

et d’autre du torrent (alt. 200 m). Encastrés sur le flanc<br />

granitique du versant, les lambeaux de terrasse T2 surmontent<br />

d’une quinzaine de mètres les restes de la haute<br />

formation T1, que l’on peut dater du Würm ancien.<br />

La terrasse rissienne qui se trouve sur la rive gauche du<br />

Bellagre est dédoublée en deux paliers par un ressaut de<br />

deux mètres. Facilement accessible, elle a été défoncée par<br />

un charruage profond. Le sol étant déjà peu lisible lors de<br />

la prospection, nous n’avons pu répertorier qu’une rare<br />

industrie moustérienne dispersée, composée de quelques<br />

petits éclats de quartz et de jaspe très faiblement usés.<br />

À la même altitude sur le versant opposé, en rive droite<br />

du torrent, cette formation T2 est restée en partie boisée<br />

malgré l’incendie. L’absence de chemin carrossable<br />

fait que la surface du replat anciennement cultivé ne fut<br />

qu’égratignée à l’araire. Bien lisible au sol, la terrasse est<br />

exiguë. Elle s’ancre sur le versant abrupt du Bellagre et<br />

déborde le long de la Têt sous forme d’une lanière étroite<br />

s’allongeant sur le versant, face au sud, bien abritée d’une<br />

tramontane qui balaye le plateau 45 jours sur 100 en<br />

moyenne. En amont, vers les gorges de Rodès, elle est<br />

recoupée par des ravines qui dégagent de bonnes coupes<br />

où le remplissage sablo-argileux roux emballe une<br />

composante pierreuse où dominent les galets de gneiss<br />

cariés, avec de rares quartz peu patinés. La formation se<br />

perd très vite le long d’un chaos granitique dont les blocs<br />

ont très probablement servi d’abri. En effet, une seconde<br />

concentration d’artefacts se trouve au pied de ce chaos.<br />

Sur sa surface la plus large, ce plan est incliné dans le<br />

sens de la pente. Vers la coupe, au-dessus de la vallée,<br />

l’érosion a enlevé les fines et l’on touche presque la racine<br />

caillouteuse alors que vers le versant, au nord, les colluvions<br />

sableuses ont atterri sur ce piémont, masquant l’ancienne<br />

surface alluviale sous plus d’un mètre de hauteur.<br />

Il en résulte que l’industrie est plutôt concentrée dans<br />

une bande centrale, là où l’araire a pu toucher le niveau<br />

archéologique faiblement enfoui sous une vingtaine de<br />

cm. Vers l’aval, ce niveau a probablement disparu. Nous<br />

supposons qu’il a été protégé en amont.<br />

L’industrie ne présente aucun stigmate d’usure, fait<br />

remarquable qui renvoie très probablement à sa bonne<br />

conservation en sous-sol. La présence de minuscules<br />

éclats, tout comme le remontage d’un casson à fracture<br />

Siret, attestent qu’il s’agit bien là d’un site primaire. Ce<br />

lot compte 203 artefacts pour une masse de 9 680 g,<br />

dont 51 ex. (2 720 g) pour la partie sise au bas du chaos,<br />

laquelle ne présente pas de différence typologique, ni<br />

pour les roches utilisées (sauf les granitoïdes), ni pour<br />

les processus de débitage, ni pour l’outillage. Cette industrie<br />

résulte principalement, soit pour 177 ex. (87 %,<br />

6 973 g), de l’exploitation de plusieurs variétés de quartz<br />

pris sous forme de galets non patinés. Ces matériaux<br />

sont rarement bleus (5 ex.) et représentent pour l’essentiel<br />

un quartz blanc saccharoïde comportant des cristaux<br />

hyalins, des adhérences granitiques et des fissures<br />

nappées de placages verdâtres (chlorite ?) ou d’oxydes<br />

de fer diffusant dans le matériau des colorations rosâtres<br />

ou orangées. Un quartzite gris à grain fin, mais très<br />

fissuré, que l’on peut trouver dans le ruisseau de la Font<br />

del Farre à Reglella, est simplement attesté sous forme<br />

de galet et par un percuteur allongé et lourd dont les cupules<br />

médianes sont associables à la percussion posée.<br />

Les 5 petits éclats de jaspe ferrugineux du Canigou sont<br />

plus fréquemment transformés en outils (3 ex., ill. 16,<br />

n° 6 et 7). L’élément remarquable, outre l’absence totale<br />

de silexites, est la présence d’un percuteur et d’un débitage<br />

d’éclats (20 ex.) qui furent tirés d’un filon local de<br />

microgranite (ill. 15, n° 1).<br />

Le débitage n’est pas Levallois, rarement discoïde et<br />

relativement opportuniste aux dépens de formes prismatiques,<br />

proches du mode Quina (ill. 13). Les 15 nucléus<br />

sur galets ou sur débris ont produit des éclats bien<br />

formés aux talons parfois dièdres ou facettés (ill. 13, 14<br />

et 16). Sur les quartz, la phase préparatoire (21 éclats<br />

corticaux) et les éléments fracturés (78 cassons et débris)<br />

laissent une bonne place au plein débitage dans le lot des<br />

177 produits de taille, dont 13 sont retouchés. Sauf pour<br />

les jaspes, la part des éclats épais (> 1 cm d’épaisseur), est<br />

relativement importante, de même que celle des éclats<br />

dépassant 3 cm d’extension (94 ex.). La percussion posée<br />

est attestée pour le débitage de petits galets (ill. 14, n° 2),<br />

mais la pièce esquillée est absente.<br />

Sur un total de 25 outils, on ne trouve que 3 galets aménagés,<br />

dont l’un diminutif, qui sont difficiles à isoler des nucléus,<br />

car peu typiques (ill. 12, n° 1 et ill. 14, n° 1). Les 18 éclats<br />

et débris transformés le sont également, soit un bec, deux<br />

éclats encochés, des petits racloirs sur éclats épais à retouche<br />

écailleuse plate, souvent inverse ou biface (ill. 15 et 16).


Le peuplement paléolithique<br />

83<br />

2<br />

1<br />

0<br />

12 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz saccharoïde blanc, le n° 1 sur galet non patiné est proche du chopping tool<br />

(mais les enlèvements sont courts, rebroussés et discontinus), le n° 2 sur débris est prismatique et diminutif.


84 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

0 5<br />

13 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Nucléus en quartz et production de divers petits éclats - l’un retouché (n° 5) - dans le même<br />

matériau saccharoïde blanc. Industrie fraîche au stade 1.


Le peuplement paléolithique<br />

85<br />

0 5<br />

14 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Galets aménagés en quartz saccharoïde blanc. La pièce n° 2 est un petit galet partagé par<br />

percussion posée, puis retouché sur un bord, mimant le grattoir. Industrie fraîche au stade 1.


86 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

0 3<br />

15 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outillages en microgranite local (n° 1), en jaspe (n° 4) et en quartz blanc saccharoïde. Bec (n° 5)<br />

et pièces épaisses à retouche a posteriori (n° 1), inverses ou bifaces (2 à 4). Industrie fraîche au stade 1.


Le peuplement paléolithique<br />

87<br />

0 3<br />

16 - Gisement paléolithique de la formation T2 (Riss alpin), terrasse du Bellagre. Outils faiblement retouchés en quartz saccharoïde blanc, en lave acide (n° 5) ou en jaspe (n os 6<br />

et 7). Courte retouche alternante et fréquemment inverse. Industrie fraîche au stade 1.


88 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

Cette industrie homogène est très probablement antérieure<br />

au dernier glaciaire. Sous réserve d’autres éléments chronologiques<br />

plus sûrs, elle pourrait se rattacher à un moustérien<br />

ancien du Riss ou de l’interglaciaire éémien, hélas fort mal<br />

identifié en stratigraphie dans le Midi (Martzluff 2006). Le<br />

mobilier associé à cet ensemble lithique se résume à une<br />

plaque de chloritoschiste vaguement épannelée, 4 tessons<br />

vernissés et 1 en porcelaine, 2 minuscules tessons à pâte<br />

mal cuite et un petit fragment de tuile canal.<br />

III.4 - Les formations würmiennes T1<br />

Alors que, dans la basse plaine littorale du Roussillon,<br />

les terrasses du dernier glaciaire sont pratiquement cantonnées<br />

au lit majeur actuel avec lequel elles se confondent,<br />

voire sont masquées par les alluvions holocènes, elles ont<br />

ici conquis un espace majoritaire perché au-dessus du fleuve<br />

d’une vingtaine de mètres. Comme dans le bassin du<br />

Tech, le principal épandage du Würm est ici très proche<br />

du niveau rissien. En rive droite, le haut niveau T1 forme<br />

l’essentiel de la plaine d’Ille et s’étale en effet à moins d’une<br />

quinzaine de mètres en contrebas du plan T2 des Escatllars<br />

(alt. 175 m entre Ille et Bouleternère, 160 m à Ille et 130 m<br />

à l’aval). Il s’agit d’une forte accumulation d’alluvions datable<br />

du premier pléniglaciaire würmien (Calvet, op. cit.).<br />

Cette terrasse T1 touche en rive droite le lit majeur du<br />

Boulès dont le cours avait déjà été dévié vers le sud. Nous<br />

ne l’avons que très peu prospectée, les tests effectués<br />

ayant été négatifs. Elle trouve son pendant en rive gauche,<br />

dans la zone incendiée, sous forme de quelques lambeaux<br />

accrochés aux flancs du versant granitique. Les surfaces<br />

les mieux conservées sur cette rive bordant le plateau<br />

de Montalba sont occupées par les sites médiévaux de<br />

Casesnoves (alt. 160 m) et de Reglella (alt. 130 m) et donc<br />

bouleversés par des habitats médiévaux. Deux replats T1<br />

sont cependant attestés en amont de part et d’autre de<br />

la confluence du Bellagre avec la Têt (alt. 180 m), immédiatement<br />

sous les restes de plan T2. Ils sont assez peu<br />

lisibles et nous n’y avons quasiment pas trouvé d’industries<br />

préhistoriques. Sur la rive droite du Bellagre, le minuscule<br />

vestige de plan T1 a livré une poignée d’artefacts<br />

en quartz, dont 4 éclats non usés et une pièce épaisse de<br />

même roche à retouche biface, très roulée, qui rappellent<br />

l’industrie de la proche terrasse T2. En face, sur le versant<br />

dominant la Têt, au milieu de la friche du haut plan T1,<br />

quelques quartz taillés atypiques et en bon état de fraîcheur<br />

sont associés à 4 tessons modelés.<br />

III.5 - Les formations du second Pléniglaciaire würmien<br />

et de l’Holocène<br />

L’encaissement brutal de la rivière 20 à 25 m plus bas<br />

se situe probablement après le premier Pléniglaciaire,<br />

soit après 50 000 ans, et correspond à un phénomène<br />

constaté par ailleurs dans la vallée du Tech, au niveau<br />

du Boulou (Martzluff 2003) ou sur l’Agly, à Caramany<br />

(Martzluff 1990). Cette incision caractérise donc des<br />

fleuves côtiers au sortir des <strong>montagne</strong>s et forme ici avec<br />

la Têt un véritable canyon après le défilé de la Guillera.<br />

On ne sait trop quelle est la part d’héritage que doit cet<br />

enfoncement à un sursaut tectonique ou à la forte variation<br />

eustatique (niveau marin à - 120 m) couplée à un<br />

allègement de la charge sédimentaire du fleuve dans le<br />

contexte d’un second Pléniglaciaire bien plus sec, autour<br />

de 20 000 ans. Cette phase a laissé quelques banquettes<br />

en position intermédiaire (deux plans successifs). Dans<br />

tous les cas, les berges immédiates ont ici rétréci et, vers<br />

l’aval, les surfaces alluvionnaires actuellement susceptibles<br />

d’abriter les traces d’habitats du Paléolithique supérieur<br />

se confondent quasiment avec le lit inondable<br />

actuel (T0), lequel fut soumis à des crues extrêmement<br />

violentes (Aiguat de 1940, par exemple).<br />

IV - Le peuplement paléolithique de<br />

la cuvette de Rodès<br />

Il s’agit d’un compartiment de la vallée en Conflent<br />

où le lit actuel du fleuve est très étroit et tendu entre les<br />

deux verrous rocheux incisés dans le socle, celui d’amont<br />

où est bâtie la chapelle Saint-Pierre (barrage de Vinça)<br />

et le piton aval où s’ancre le château de Rodès (ill. 2). Le<br />

petit bassin de Rodès a été excavé sur la rive droite dans<br />

les accumulations détritiques du Tertiaire par un petit<br />

tributaire dévalant du Canigou, le Riu Fagès ou rivière<br />

de Rigarda, dont le régime est aujourd’hui celui d’un<br />

oued. Au Pléistocène moyen (épisodes T4/T3), ce cours<br />

d’eau pouvait déboucher directement dans la plaine du<br />

Roussillon par le col de Ternère (M. Calvet, chap. II).<br />

Ce secteur fut peu touché par les flammes (colline de<br />

Rodès) et nous ne l’avons que peu prospecté. Toutefois,<br />

la compréhension globale des industries répertoriées<br />

lors de nos prospections dans la vallée ne peut ignorer<br />

un cadre déjà tracé par les données publiées et sur lequel<br />

il faut revenir.


Le peuplement paléolithique<br />

89<br />

IV.1 - L’évolution des industries d’après les anciennes<br />

recherches<br />

Les copieuses industries « archaïques » du bassin de<br />

Rodès avaient été données comme pré-acheuléennes<br />

par Jacques Collina-Girard qui avait fait porter son<br />

diagnostic sur la part éolisée des « stations » (Collina-<br />

Girard 1975‐76 et 1978). Yves Blaize, qui en est l’inventeur,<br />

a par la suite daté les séries altérées d’allure archaïque<br />

dans les débuts du Mindel (vers 600 000 ans), et les<br />

autres séries « anté-würmiennes », dans un acheuléen<br />

plus évolué du Riss final (Blaize 1985a, b, et 1987b).<br />

Visiblement troublé par des concentrations livrant systématiquement<br />

des séries à différents stades d’altération<br />

et d’usure pour une même altitude, il considéra d’abord<br />

qu’il s’agissait d’un enfouissement plus rapide de certaines<br />

pièces (Blaize 1985a et b), puis qu’il valait mieux parler<br />

d’industries in situ que de stations (Blaize 1990).<br />

C’est en effet plus raisonnable. L’érosion a logiquement<br />

pu mélanger les artefacts anciens à ceux du bas de pente.<br />

De plus, notre prospection du brûlis au sommet de la<br />

butte tertiaire qui sépare le bassin de Rodès de la plaine<br />

d’Ille, a permis de recueillir, sur les replats étalés au voisinage<br />

de l’ancien col de Ternère griffés par la sous-soleuse<br />

lors des reboisements, quelques nucléus sur galets non<br />

patinés et un débitage moustéroïde en bon état de fraîcheur<br />

qui ne présente pas de différences avec ce que l’on<br />

trouve plus bas. Cela pourrait témoigner d’un parcours de<br />

ces pentes chargées de matière première sur la très longue<br />

durée. Toutefois, les recherches conduites par Yves Blaize<br />

dans ce bassin pendant quarante ans ont montré qu’il<br />

existait de véritables concentrations d’artefacts, tout à la<br />

fois signifiantes de ces peuplements et d’une complexité<br />

certaine quant à leur interprétation.<br />

- La colline de Rodès<br />

Les principaux gisements découverts anciennement se<br />

focalisent en plusieurs sites sur le flanc de la butte tertiaire.<br />

Deux concentrations sont situées à mi-pente, entre<br />

240 et 230 m d’altitude, l’une au-dessus du village<br />

de Rodès, vers l’entrée des gorges de La Guillera (Los<br />

Tourous, sites Rodès A et Rodès H‐H’, I‐I’), l’autre au col<br />

de Ternère (Terra alba, sites Ternère B, C et D). La série<br />

Rodès A regroupe 150 pièces éolisées et fortement patinées,<br />

dont 40 éclats. Elle provient, comme les concentrations<br />

voisines, d’un léger repli du versant dont le sol<br />

rougi pourrait baliser l’ancrage d’une formation alluviale<br />

ancienne au-dessus du village. Ce « niveau » situé sous la<br />

côte 250 m a été attribué par l’auteur à une phase mindellienne<br />

ancienne sur la foi de très nombreuses pièces roulées<br />

ou très éolisées à patine orange sombre. La série usée<br />

est cependant mêlée de toute évidence à des artefacts de<br />

même type, mais non patinés et bien plus frais.<br />

L’industrie du col de Ternère regroupe 300 pièces<br />

concentrées à la même altitude dans les ravinements d’un<br />

substrat tertiaire « arkosique ». Aux « galets aménagés »<br />

s’ajoutent des éclats tout aussi érodés. L’absence de patine<br />

est analysée ici comme résultant d’une carence en<br />

oxydes ferriques dans les sables feldspatiques tertiaires.<br />

L’inévitable série fraîche comprend aussi deux racloirs en<br />

jaspe et un nucléus en silex plus clairement moustériens<br />

(Ternère D).<br />

Bien en contrebas de cette ligne des 240-230 m, les<br />

concentrations D et L touchent un replat plus étendu et<br />

aujourd’hui urbanisé, qui s’étale entre les côtes 220‐215 m<br />

au voisinage du cimetière du village. Cette formation de<br />

Los Tourous a été interprétée par l’inventeur comme un<br />

reste d’un plan T3 fini mindélien (Blaize 1987b) surmontant<br />

immédiatement un mince lambeau rissien T2.<br />

Ces lots comprennent 25 galets aménagés éolisés dont la<br />

patine « orange vif » a été notée comme exceptionnelle,<br />

comparée à celle des industries supposées représenter ce<br />

niveau. En effet, la série de Rodès E‐E’, présentée comme<br />

de l’Acheuléen supérieur, compte aussi de nombreux<br />

choppers, des racloirs, encoches et pièces « bifaçoïdes »<br />

non patinées et peu éolisées. Légèrement en contrebas,<br />

sont mentionnées deux autres concentrations J et K dans<br />

« une colluvion issue de la terrasse T2 sur T1 » (industries<br />

non décrites).<br />

- La formation T2 du Riu Fagès<br />

Sur le plan de Los Puigs baixos (alt. 230 m, fig 2), 15<br />

galets aménagés sans éclats associés ont été récoltés par<br />

ce chercheur (pas de descriptions, en particulier des patines).<br />

Ils complètent les découvertes faites sur ce même<br />

versant du bassin par Jean Abélanet, à la même altitude,<br />

mais près du col de Conillac/Saint-Pierre par où passe<br />

la départementale (sites notés Saint-Pierre 1 et 2). Par<br />

la suite, des sols rubéfiés situés en amont, vers la côte<br />

245 m, livrèrent 12 pebble tools (non décrits). Ces gisements<br />

furent détruits lors du déplacement de la route<br />

nationale faisant suite à la construction du barrage<br />

(Blaize 1990).


90 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

- Rive gauche de la Têt, le gisement moustérien des Ànecs<br />

Sur le versant sud du plateau granitique, face au défilé<br />

de Sant Pere, le même chercheur découvrit en 1970<br />

une industrie sûrement moustérienne dans une vigne<br />

perchée au-dessus du fleuve sur un décrochement rocheux<br />

qui avait conservé un lambeau sédimentaire<br />

« résiduel de teinte rougeâtre ». Ce site des Ànecs fut<br />

détruit en 1974 par les travaux de terrassement du barrage.<br />

Les 2 300 pièces de faible dimension comptent des<br />

petits nucléus Levallois et des éclats retouchés typiques<br />

à denticulés dominants. Au côté des quartz, les matériaux<br />

utilisés sont des quartzites, des jaspes du Canigou<br />

et du silex dont il a été trouvé, lors des travaux, un dépôt<br />

de 40 petits rognons pas plus grands que 6 cm gisant<br />

sur une surface de 2 m 2 (Blaize 1990). L’étude de<br />

la série conservée à Tautavel indique la présence unique<br />

de quartzite gris, de jaspe et de phtanite (?) locales<br />

(Duran 2002).<br />

IV.2 - Problèmes chronologiques soulevés<br />

par les terrasses Quaternaires<br />

à Rodès<br />

Bien qu’il soit périlleux de s’appuyer sur l’altitude absolue<br />

des formations quaternaires (compte tenu de pentes<br />

longitudinales fortes), tout comme sur la typologie des<br />

industries de surface, pour établir une chronologie, il est<br />

nécessaire de mettre le doigt sur quelques aspects problématiques<br />

soulevés par les interprétations qui en ont<br />

été faites.<br />

Les replats sommitaux des accumulations tertiaires<br />

qui compartimentent la vallée à Rodès et Vinça avaient<br />

été attribués à un « Plioquaternaire », puis à un post-<br />

Pliocène sur la carte géologique de Prades au 1/80 000<br />

(Autran et alii 1968), car le flanc occidental est enrichi en<br />

galets de quartz patinés qui ne peuvent pas être rapportés<br />

au Pliocène terminal. Marc Calvet pense que ces galets<br />

erratiques pourraient provenir de colluvions libérées<br />

par d’anciennes formations quaternaires ayant nappé le<br />

plan tertiaire vers 300 m lors d’une période très reculée<br />

(M. Calvet op. cit. supra et ill. 2). En face, vers le sud, un<br />

lambeau de haut niveau quaternaire perché sur le versant<br />

paléozoïque du Canigou, vers 270 m, sous Domanova,<br />

est donné sous toutes réserves comme T3 (Calvet, op. cit.<br />

supra). Un âge plus ancien n’est peut-être pas impossible,<br />

compte tenu de ce qui suit.<br />

En effet, emboîté dans le Pliocène, le puissant épandage<br />

du cône affluent de la rivière de Rigarda, où s’encaisse<br />

actuellement le Riu Fagès, est bien conservé sur sa<br />

rive gauche (site de Los Puigs Baixos). Yves Blaize avait<br />

corrélé cette formation et ses rares industries au plan T3<br />

(Blaize 1990). Près du pont du chemin de fer, une belle<br />

coupe, haute d’une quinzaine de mètres laisse apparaître,<br />

dans des sédiments rougeâtres, la racine altérée de ces dépôts.<br />

La surface est cependant riche en schistes et pauvre<br />

en galets de quartz. D’après Marc Calvet, elle se raccorde<br />

au plan T2 de la Têt. Cette accumulation semble trouver<br />

un écho plus loin vers la confluence, au col de Sant Pere<br />

de Conillac dans le contexte de placages argileux rouges<br />

situés à la même altitude ou même un peu plus haut et livrant<br />

le même type de galets aménagés. Mais le problème<br />

est que cette formation T2 des Puigs Baixos est logée à<br />

240‐230 m, c’est-à-dire au même niveau, sous la côte des<br />

240 m, où des concentrations d’industries acheuléennes<br />

plus ou moins patinées ont été répertoriées juste en face,<br />

au-dessus du village de Rodès, dans un contexte de sols<br />

rougis dont nous avons également parlé pour le versant<br />

dominant la plaine d’Ille-sur-Têt vers la même altitude.<br />

Et en effet, les reliques sédimentaires liées à ces concentrations<br />

d’artefacts sont bien plus hautes et visiblement<br />

plus anciennes (en réalité probablement rapportables à<br />

un épisode T3) que les alluvions T2 de la Têt.<br />

Or, à Rodès, c’est sur le petit replat des Tourous, logé<br />

près du cimetière autour de 218 m, qu’il faut voir un<br />

reste de terrasse T2 (ill. 2). Cela suppose donc sur une<br />

distance de 500 m une pente importante de 2,2 % du<br />

cône affluent entre Los Puigs Baixos et Los Tourous. Au<br />

village de Rodès, cette formation est très proche du<br />

plan T1 qui n’a rien donné ici de préhistorique en rive<br />

droite. Par contre, sur l’autre rive de la Têt, la terrasse<br />

des Ànecs, aujourd’hui détruite et qu’Yves Blaize hésitait<br />

à rapprocher du Würm, est attribuée au premier<br />

plan T1 par Marc Calvet (+ 15 m de l’étiage, alt. 210 m,<br />

d’après le plan de masse du barrage de Vinça). Puisqu’il<br />

s’agit de la formation du Würm ancien qui fut suivie<br />

d’un encaissement rapide du fleuve après le premier<br />

Pléniglaciaire, entre 60‐40 000, comme partout ailleurs,<br />

ce campement préhistorique ne pourrait donc être que<br />

très tardif et cela peut être mis en rapport avec les matières<br />

premières (abondance des silexites) et la typologie<br />

de l’industrie moustérienne (caractère diminutif et<br />

mode Levallois).


Le peuplement paléolithique<br />

91<br />

V - Le peuplement paléolithique du<br />

bassin de Vinça et des berges du barrAGe<br />

sur la Têt<br />

Une partie de cet espace déborde un peu du cadre cartographique<br />

présenté sur la carte, mais ne peut s’en séparer<br />

pour une compréhension globale. Il n’a été touché par<br />

l’incendie qu’en rive gauche de la Têt, sur le versant sud<br />

très abrupt du plateau de Tarerach, à la Coma d’Outreilla<br />

(ill. 2). En rive droite, les alluvions quaternaires forment<br />

donc un autre compartiment de la vallée du Conflent,<br />

logé entre l’échine tertiaire de Conillac-Puigs Baixos s’appuyant<br />

sur le verrou granitique de Sant Pere où s’ancre<br />

le barrage, vers l’est, et celle de Vente Farine – Serrat d’en<br />

Molins, dominant vers l’ouest le ravin de la Lentilla et s’accrochant<br />

sur le piton cristallin du Castello. L’encaissement<br />

du bassin entre les croupes tertiaires est sans doute dû à<br />

un creusement de la Lentilla, avant que cette rivière ne<br />

soit captée par le Llech, coulant à l’ouest, au cours du<br />

Würm (T1). L’érosion fluviatile n’a ensuite que peu touché<br />

cette cuvette drainée par trois modestes ruisseaux :<br />

Le Real-Sahorle, Les Escoumes et Le Conillac.<br />

Mis à part la présence de quelques rarissimes galets de<br />

quartz teintés d’une patine jaune pâle en position secondaire<br />

sur la terrasse T1, le long du fleuve, les industries<br />

lithiques de ce bassin sont produites à partir de galets<br />

de quartz ou quartzites non altérés et de galets de jaspes<br />

ferrugineux issus de la vallée du Llech-Lentilla<br />

V.1 - Les hautes terrasses du bassin<br />

En amont, vers le sud et le village de Joch, un glacis T1<br />

dérivant du piémont du Canigou ainsi que des sols limoneux<br />

bruns nappent les hautes formations alluviales de la<br />

Lentilla qui sont rapportées au plan T2 et qui sont visiblement<br />

découplées en plusieurs niveaux jusqu’au village de<br />

Vinça, entre les côtes 310 et 250 m, à partir de laquelle<br />

s’étalent les nappes T1 de la Têt. Ce plan n’a pas été prospecté.<br />

Vers l’est, au débouché des gorges de la Lentilla à<br />

Finestret et à sa confluence actuelle avec le Llech, dans la<br />

commune voisine d’Espira-de-Conflent, une haute terrasse<br />

de la rive gauche (alt. 330‐350 m) est également donnée<br />

comme rissienne. Elle s’emboîte dans des accumulations<br />

détritiques du Néogène témoignant du démantèlement<br />

des filons de quartz et de jaspes issus des affleurements<br />

paléozoïques situés dans ce contrefort du Canigou, entre<br />

Prades et Vinça. Cette terrasse altérée, dont les surfaces<br />

aux sols rougis ont presque partout été nivelées au bulldozer,<br />

livre de gros galets de jaspes ainsi qu’une industrie<br />

taillée dans ce matériau et dont les états de surface sont<br />

très divers, quelques artefacts étant très usés.<br />

Les industries récoltées par Yves Blaize sur ces reliefs<br />

représentent actuellement la limite amont de la présence<br />

de l’homme fossile sur les sites de plein air en Conflent<br />

(Blaize 2005). Ces prospections ont permis de réunir un<br />

lot de 468 pièces, dont 330 éclats de petite taille et 6 lames<br />

(fortuites). Ces pièces sont dispersées, parfois trouvées<br />

en coupe dans les ravins. Les états de surface sont très<br />

divers : très usés pour 15 éléments, mais le plus souvent<br />

en assez bon état de fraîcheur, quoique parfois gélifs, patinés<br />

ou fracturés et faiblement roulés. Cette industrie est<br />

liée à la présence abondante de matière première et témoigne<br />

d’une fréquentation de cette formation sur un temps<br />

long, quoique plutôt centrée sur la fin du Riss (« Riss III »<br />

d’après l’auteur). Elle correspond tout à fait à l’ambiance<br />

moustérienne des autres industries du bassin de Vinça,<br />

qui sont moins bien identifiables cependant, car taillées<br />

dans les quartz, mais qui sont peu usées et comportent<br />

une faible part de galets aménagés-nucléus.<br />

V.2 - Barrage de Vinça, les sites paléolithiques des terrasses<br />

würmiennes<br />

Les industries trouvées autour du barrage de Vinça et<br />

dans le ravin de Conillac participent de la même ambiance<br />

« moustéroïde » : nombreux éclats de faible dimension<br />

en roches locales (quartz principalement et quelques<br />

jaspes), aspect frais et non patiné des cortex et des enlèvements,<br />

supports plus fréquemment retouchés (denticulés<br />

surtout), faible représentation des galets aménagés<br />

(ill. 17 et 18). Le débitage Levallois n’est cependant pas<br />

bien attesté alors que la pièce esquillée est présente.<br />

- les formations inférieures des ruisseaux affluents<br />

Les petits affluents de la Têt qui drainent le plateau de<br />

Vinça débouchent dans le fleuve sur la haute terrasse würmienne<br />

(plan T1). À l’est et au centre, ils s’encaissent dans<br />

le Tertiaire et ont été barrés pour une mise en eau. Les berges<br />

du ravin de Conillac, quoique partiellement raclées par<br />

des engins mécaniques lors de la création de la retenue, recèlent<br />

un gisement localisé sur la rive gauche, en amont des<br />

aménagements (ill. 17). Le lac des Escoumes n’est jamais vidangé,<br />

car l’alimentation de ce site balnéaire touristique est<br />

faible. Les berges sont donc inaccessibles en permanence.


92 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

17 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça.


Le peuplement paléolithique<br />

93<br />

18 - industrie moustéroïde de la terrasse T1, sites de Conillac et de Nossa, autour du barrage de Vinça.


94 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

Par contre, les berges du ruisseau de Sahorle ont donné<br />

une rare industrie moustérienne fraîche et diminutive sur<br />

éclats de quartz et de jaspe, depuis l’amont (Cuscullera)<br />

jusqu’à leur jonction avec le lac de barrage sur la Têt<br />

(Donnets). La dispersion de ces vestiges liés aux alluvions<br />

T1 d’une paléo-Lentilla doit être mise au compte<br />

des aménagements agricoles dont nous avons parlé.<br />

- les berges de la Têt ennoyées par le barrage<br />

La construction du barrage de Vinça, au milieu des années<br />

1970, n’a pas donné lieu à des fouilles de sauvetage.<br />

Avec d’autres disparitions probables, celle du gisement<br />

des Ànecs fut un dommage à déplorer. C’est d’ailleurs<br />

ce qui poussa l’Association Archéologique des P.-O., à<br />

la fin des années 1980, à entreprendre des prospections<br />

méthodiques lors des études d’impact du barrage d’Ansignan-Caramany,<br />

avec les résultats spectaculaires que l’on<br />

sait pour les sondages et les fouilles de sauvetage réalisées<br />

par l’AFAN et l’AAPO, dans une vallée où rien n’était<br />

connu antérieurement.<br />

Le barrage de Vinça écrête les crues de printemps ; il<br />

est vidé chaque année à la fin de l’été, ce qui permet en<br />

hiver la prospection systématique des berges sur la zone<br />

de marnage des eaux, celle-ci occupant sur les deux tiers<br />

amont tout l’espace de la vallée jusqu’au lit actuel, alors<br />

que le tiers aval, plus encaissé vers les gorges de Sant Pere,<br />

reste toujours en eau jusqu’à la basse terrasse. Trois raisons<br />

nous ont poussé à étendre nos prospections dans<br />

cette zone touchant l’incendie à la marge, en rive gauche.<br />

La première est une lisibilité supérieure à celle des brûlis<br />

pour la détection du lithique, bien que le lessivage des fines<br />

ait conduit à leur dépôt dans des dépressions boueuses,<br />

boues qui colmatent également l’ancien lit majeur.<br />

La seconde est que les petites propriétés installées sur la<br />

haute terrasse würmienne (plan T1) n’ont jamais subi les<br />

remaniements au bulldozer, les labours profonds et les<br />

passages du rotovator, constatés partout ailleurs dans la<br />

vallée. Enfin, comme la haute terrasse T1 domine de très<br />

près le fleuve dans un secteur très favorable, bien abrité<br />

du vent dominant, il paraissait utile de tester ces berges<br />

pour voir si l’absence des industries du Tardiglaciaire<br />

était pareillement avérée ici.<br />

C’est bien le cas sur ce point précis : aucun signe du<br />

Paléolithique supérieur ! Mais ce résultat ne peut être<br />

totalement validé. Nous avons en effet remarqué d’importantes<br />

perturbations affectant de vastes secteurs sur<br />

les deux rives. Ces perturbations sont marquées par des<br />

voies réalisées avec de très gros engins mécaniques et par<br />

le remodelage des versants, bien balisés par les alluvions<br />

prélevées dans le lit actuel de la Têt lors des travaux du<br />

barrage. Ces alluvions comportent en effet des décombres<br />

roulés avec de la brique mécanique et, surtout, de nombreux<br />

fragments de laitier provenant de l’exploitation des<br />

hauts-fourneaux de Ria, depuis la fin du XIX e siècle. Ces<br />

galets particuliers n’existent pas dans les anciennes formations<br />

T1, bien entendu. L’absence de tessons vernissés<br />

rapportables aux mises en culture du XIX e siècle, comme<br />

celle des murettes liées aux épierrements, permet par<br />

ailleurs de suspecter des perturbations mineures de cet<br />

ordre sur certains points paraissant moins touchés. Un<br />

contrôle sur les photos aériennes prises au moment des<br />

travaux sur le barrage a confirmé la pertinence des observations<br />

de terrain et permis de mieux cibler les zones<br />

peu perturbées (cf. carte des zones remaniée ill. 1). Il en<br />

ressort que seule une partie de la haute terrasse est digne<br />

d’intérêt, les bas niveaux würmiens et holocènes, compris<br />

dans le lit majeur, étant tous détruits ou illisibles (figurés<br />

sur l’emprise du barrage, ill. 2).<br />

En rive droite, sur un replat qui longe l’ancienne route<br />

nationale, de part et d’autre du ravin où s’encaisse le ruisseau<br />

de Sahorle, se trouvent quelques pièces d’une industrie<br />

très faiblement usée, sur éclats de quartz et de jaspe,<br />

mais très dispersée. Elles rappellent les éléments moustériens<br />

trouvés en amont dans les parcelles cultivées. Le<br />

segment central de la rive droite, de part et d’autre du<br />

déversoir des Escoumes, est aménagé par des feixes. Plus<br />

abrupt, il a été remodelé par les travaux sur la partie<br />

haute et n’a livré par ailleurs qu’un ou deux éclats frais<br />

qui ont le même aspect que les précédents. Finalement,<br />

deux points remarquables, situés aux deux extrémités<br />

du barrage, méritent un signalement. L’un se trouve en<br />

amont, au débouché de la Lentilla, sur un lambeau de<br />

haute terrasse T1 situé pratiquement au niveau des plus<br />

hautes eaux, vers la côte 240 m. Sur ce replat, quelques<br />

anciennes vignes ont été peu lessivées par les eaux et ont<br />

livré en surface un ou deux éclats frais en quartz laissant<br />

supposer une meilleure conservation des gisements. Il se<br />

prolonge le long de la Têt, jusque sous le pont de la route<br />

de Tarerach, dans un secteur très touché par les travaux<br />

d’aménagement, mais où restent quelques lambeaux stratigraphiques<br />

en place. Le fleuve est ici encaissé dans le<br />

socle granitique sur plus de 10 m.


Le peuplement paléolithique<br />

95<br />

L’autre espace remarquable, hélas situé dans un secteur<br />

fort remanié lui aussi, se trouve en aval, entre le débouché<br />

du ravin de Conillac et le défilé rocheux où est implanté<br />

le barrage. On y trouve d’abord une belle coupe<br />

dans l’entaille creusée par le débouché du ruisseau dans<br />

la Têt. Latéralement, une poignée d’artefacts participe de<br />

la même industrie moustéroïde trouvée par ailleurs (débitage,<br />

états de surface). Plus loin, un piton granitique se<br />

détache du versant et émerge des eaux à l’entrée des gorges.<br />

Cette éminence conserve un bourrage sédimentaire<br />

induré et très altéré coincé dans les fissures du rocher et<br />

un lambeau de sol qui relie son sommet au versant. Aux<br />

alentours gisent quelques artefacts dispersés légèrement<br />

usés (stade 2). Une murette sépare le replat sommital en<br />

deux enclos. Dans l’un d’eux apparaît une structure circulaire<br />

faite de très gros galets plantés et que l’érosion a<br />

dégagée. Dans les murs et au sol gisent des débris où des<br />

éclats frais débités par percussion posée sur enclume à<br />

partir de gros galets de quartz, sans autre indice qu’une<br />

grande quantité de ces produits conservés sur place jusqu’à<br />

des dimensions diminutives. L’absence de céramique<br />

modelée permet d’envisager un âge ancien pour ces éléments<br />

étranges et azoïques en surface.<br />

Sur la rive gauche, une source d’eau sulfureuse (ravin<br />

de Caldes, près du pont de Tarerach) avait été aménagée<br />

au XIX e siècle par un petit établissement balnéaire : les<br />

Bains de Nossa (Tosti 1987). Ces bâtiments, comme<br />

l’ancien pont, ont été détruits par les travaux du barrage.<br />

Sur la terrasse T1 qui domine la Têt, s’accrochent encore<br />

quelques souches des haies de cyprès, jusqu’à l’ancienne<br />

route. Un géologue de l’université de Perpignan, F. Gadel,<br />

proche parent des propriétaires, avait constitué une petite<br />

collection provenant des feixes établies sur ces terrains,<br />

mais plus haut sur le versant (lieu-dit Mare de Deu). Il<br />

nous avait confié l’un des éléments qu’il pensait être un<br />

biface. Il s’agit d’un nucléus que nous lui avons restitué<br />

après l’avoir dessiné (collection Gadel, ill. 18).<br />

Le lieu est assez remarquable. Il s’étale sur un replat très<br />

partiellement nivelé jusqu’à un piton de granite détaché<br />

du versant et autour duquel s’enroulait un paléo-lit du<br />

fleuve (flèche bleue, ill. 2). À cet endroit, en bas de pente,<br />

coulait une source, qui est encore utilisée aujourd’hui par<br />

les habitants de Vinça, quoiqu’elle jaillisse désormais au<br />

milieu des enrochements qui soutiennent la nouvelle voirie.<br />

Ces enrochements ont totalement masqué les éboulis<br />

qui formaient un chaos très propice à l’habitat au ras de<br />

la terrasse. Ce relief est mieux conservé vers l’aval où est<br />

implanté un remarquable abri sous-roche (ill. 2). Sur la<br />

berge gauche de cet ancien lit, qu’emprunte la vieille route<br />

de Tarerach, un bourrelet caillouteux a livré une industrie<br />

moustéroïde (ill. 18). L’absence de vestiges liés à d’autres<br />

périodes et la présence d’éclats de retouche montrent que<br />

ce lot relativement homogène se trouve en place, quoique<br />

lessivé par les eaux. Hélas ! la partie la plus intéressante<br />

du gisement, celle qui se développait vers le bas de pente,<br />

fut raclée pour construire la nouvelle route. Ensuite, les<br />

terrains situés vers l’aval, le long de la berge, ont été très<br />

perturbés par les travaux du barrage, puis deviennent très<br />

abrupts et rocheux.<br />

VI - Bilan de la recherche :<br />

une meilleure approche spatiale du<br />

Paléolithique régional<br />

Replacées dans leur contexte géomorphologique et dans<br />

l’historique des recherches, ces prospections, conduites<br />

sur un très vaste espace entre plaine du Roussillon et<br />

<strong>montagne</strong>s du Conflent, ont permis de préciser l’état de la<br />

documentation sur le peuplement paléolithique régional.<br />

VI.1 - Pas de Pebble culture, ni d’industries très archaïques<br />

entre Roussillon et Conflent<br />

Les industries attribuables à l’Acheuléen ancien, disons<br />

celles qui seraient antérieures à un demi-million d’années<br />

– déjà rares dans la plaine littorale du Roussillon et généralement<br />

déplacées sur des formations alluviales plus<br />

récentes (Martzluff 2004) – ne sont pas représentées ici,<br />

le cas de Mata Rodona n’ayant pu être vérifié dans le cadre<br />

de cette prospection. On peut encore moins parler<br />

de Pebble culture, bien entendu. Les alluvions quartzeuses<br />

très patinées et carénées par le vent qui sont sensées<br />

accompagner les plus anciennes industries manquent<br />

également, sauf sur le plateau de Montalba. Bien que les<br />

premiers remplissages quaternaires fassent donc défaut<br />

dans ce secteur, l’érosion n’en a toutefois pas gommé toute<br />

trace. Dans le bassin de Rodès, ces reliefs semblent avoir<br />

été vidangés moins brutalement par des crues directes de<br />

la Têt qu’en amont de Vinça ou que dans la plaine d’Illesur-Têt,<br />

vers l’aval, du moins si l’on en croit la présence<br />

erratique d’industries patinées et éolisées sur galets. Il est<br />

toutefois erroné de parler d’industries « archaïques préacheuléennes<br />

» pour les séries trouvées dans ce contexte.


96 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

En tout état de cause, l’Acheuléen n’est pas connu en<br />

stratigraphie à l’est des Pyrénées et sur leurs marges<br />

avant 700 000 ans. Seul le gisement d’Atapuerca, près de<br />

Burgos, témoigne d’une présence plus ancienne de l’homme<br />

fossile vers 1,2 Ma.<br />

VI.2 - Les premiers peuplements discernables d’un<br />

Acheuléen accompli<br />

C’est donc un Acheuléen plutôt terminal et bien mieux<br />

attesté dans la plaine littorale sur différents niveaux de<br />

terrasses T3 où il se trouve parfois in situ, qui apparaît<br />

dans le bassin de Rodès. Il s’agit d’une industrie sans<br />

vrais bifaces, mimant la Pebble culture archaïque dans<br />

un faciès opportuniste qu’il faut associer à l’utilisation<br />

massive des galets de quartz locaux et que nous avons<br />

proposé d’appeler « Tautavelien » (Martzluff 2006). Un<br />

lot conséquent de galets aménagés, à patine orangée et<br />

d’éclats éolisés, se trouve à Rodès en position secondaire,<br />

hors de son contexte du Pléistocène moyen (fin du<br />

Mindel alpin), lequel a disparu des formes de relief, si<br />

l’on excepte peut-être quelques chicots résiduels dans la<br />

vallée du Riu Fagès.<br />

Signalée depuis près de quarante ans, cette série altérée<br />

et usée d’artefacts en quartz ou en jaspes locaux se focalise<br />

donc sur une lanière de sols rougis difficiles à identifier<br />

à Rodès et sur sa correspondance au long du flanc de<br />

l’échine pliocène enrichie en galets de quartz qui forme le<br />

substrat collinaire du bassin. Au même niveau, le statut<br />

de quelques galets aménagés roulés et de quelques éclats<br />

faiblement usés, qui ont été tirés de galets de quartz ou<br />

quartzite non patinés, demande à être précisé. Ces industries<br />

sont libérées par des remplissages sédimentaires<br />

altérés, situés autour de la côte 240‐230 m, sur la colline<br />

sédimentaire qui sépare le bassin de Rodés de la plaine<br />

d’Ille-sur-Têt. En effet, que ce soit au col de Ternère, ou<br />

près des gorges de La Guillera, ces plaquages de sols argileux<br />

rougis, toujours très proches des arkoses pliocènes<br />

ou associés à des chenaux bourrés de galets quartzeux<br />

non patinés pouvant provenir du substrat tertiaire, pourraient<br />

se rapporter à la jonction des paléo versants avec<br />

les nappes alluviales fantomatiques du plan T3.<br />

Les traces de peuplements acheuléens existent aussi<br />

sur des formations données comme rissiennes, à la fois<br />

en rive gauche du Rigarda à Rodès (Puigs Baixos) ‐ mais<br />

cet épandage semble plus ancien que les niveaux T2 de<br />

la Têt - et sur une haute terrasse du Llech, à Espira-de-<br />

Conflent, en limite du bassin de Vinça. Sur cette dernière,<br />

une poignée d’artefacts extrêmement usés est associée<br />

à un lot plus conséquent de pièces moustéroïdes fraîches<br />

sur un gisement de galets de jaspes férugineux locaux,<br />

très abondants dans les colluvions néogènes du piémont.<br />

La présence de ces matériaux dans les niveaux d’habitat<br />

du complexe moyen à Tautavel prouve que cette source<br />

de matière première était déjà exploitée à partir de ces<br />

gîtes secondaires du bassin de la Têt, au moins entre 500<br />

et 300 000 ans.<br />

Cependant, tous les gisements où ces industries se<br />

trouvent plus ou moins concentrées font état de mélanges<br />

systématiques, pour peu que l’on tienne compte des<br />

états de surface de chaque série et c’est bien pourquoi<br />

les études typologiques globales qui en ont été faites<br />

sont une source de confusion (Collina-Girard 1975‐76,<br />

1978 ; Blaize 1985a et b, 1987b, 1990). En effet, les défilés<br />

rocheux et les cols, en particulier celui de Ternère,<br />

constituent des passages obligés pour les faunes, lieux<br />

très favorables à des campements de chasse, vraisemblablement<br />

renouvelés sur le temps long. Autre élément attractif<br />

: l’enrichissement des échines tertiaires en galets<br />

de quartz, en particulier un quartz saccharoïde proche<br />

du quartzite, alors que les terrasses quaternaires, finalement<br />

bien conservées à partir de la phase « rissienne<br />

» T2, n’en comportent en réalité que fort peu, et les<br />

épandages würmiens encore moins. L’abondance des galets<br />

de jaspe dans le Néogène d’Espira participe à cette<br />

attractivité.<br />

Ce qu’il faut finalement retenir, c’est que les vestiges<br />

acheuléens balisent une sorte de frontière passant<br />

par les bassins de Rodès - Vinça (Blaize 1985a, 1985b,<br />

1987, 1990) et en amont de laquelle le premier peuplement<br />

des vallées pénétrant les massifs <strong>montagne</strong>ux<br />

est brusquement occulté en surface, comme c’est le cas<br />

en Vallespir après le Boulou (Martzluff 2003, 2007b),<br />

ou encore dans la vallée de l’Agly, au-delà du bassin de<br />

Caramany-Ansignan (Martzluff 1990). C’est donc bien<br />

l’érosion qui en a gommé les traces en faisant disparaître<br />

la quasi-totalité des formations alluviales antérieures au<br />

dernier glaciaire.<br />

D’ailleurs, la fréquentation du plateau de Montalba<br />

lors du Paléolithique inférieur L. S., est attestée bien<br />

plus haut, vers 450 m d’altitude, sous forme de quelques<br />

éclats épars, rongés par l’altération et l’éolisation.<br />

Elle est très vraisemblablement antérieure au Riss.


Le peuplement paléolithique<br />

97<br />

Par hypothèse, les éléments plus volumineux de type<br />

Pebble culture qui devraient s’y retrouver en plus grand<br />

nombre qu’un ou deux artefacts presque totalement déformés<br />

par l’érosion, auront été émiettés par le gel sur la<br />

surface du plateau et éolisés lors des phases froides des<br />

deux derniers glaciaires alpins, pendant lesquelles ont<br />

été surcreusées les dépressions. Les patines violacées<br />

d’une partie des quartz résiduels sont la preuve d’une<br />

longue météorisation sur place des secteurs déprimés<br />

pendant le Pléistocène moyen alors que les versants<br />

plus adoucis des paléo-vallées pénétrant le massif offraient<br />

sans doute des reliefs favorables à ce peuplement<br />

(ill. 4 à 10 et cartes).<br />

VI.3 - Les abondantes industries « moustéroïdes », entre<br />

Riss et Würm alpins<br />

Les industries faiblement éolisées et non patinées, le<br />

plus souvent très dispersées, qui intègrent un débitage<br />

discoïde et parfois Levallois pour la production d’éclats<br />

de modeste dimension, quoique non diminutifs (entre<br />

6 et 3 cm), sont désormais attestées sur le plateau<br />

de Tarerach et de Montalba, comme c’était le cas dans<br />

le bassin de Rodès et de Vinça où elles sont associées<br />

à un débitage discoïde ou Quina et à des nucléus opportunistes<br />

sur galets, mimant la Pebble culture. Elles<br />

comprennent une part de jaspe ferrugineux qui peut aller<br />

jusqu’à être majoritaire près des gisements de cette<br />

roche, par exemple à Espira-de-Conflent, en surface<br />

et dans des coupes de la terrasse donnée comme T2<br />

(Blaize 2005). Curieusement, il n’en reste que quelques<br />

rarissimes traces dans la plaine d’Ille, sur le lambeau de<br />

niveau T2 des Escatllars logé entre la Têt et le Boulès,<br />

cet interfluve ayant sans doute été peu attractif. Elles<br />

sont de même type et présentent les mêmes états de<br />

surface que celles identifiées dans la plaine littorale, en<br />

particulier dans le bassin du Réart, dans un contexte où<br />

l’approvisionnement en galets de quartz était plus facile<br />

(Martzluff 2004, 2006).<br />

La présence de stations en place ne peut pas être déterminée,<br />

sauf sur deux sites liés à « l’événement majeur<br />

» qu’a constitué en <strong>montagne</strong> la glaciation rissienne.<br />

L’un se trouve près du cimetière à Rodès (E’) sur un vestige<br />

assez bas de plan T2 (cimetière) et comporte aussi<br />

des outillages patinés venus du versant (Blaize 1990).<br />

L’autre semble bien mieux conservé à Ille-sur-Têt sur un<br />

lambeau de terrasse T2 situé en rive gauche, sur le flanc<br />

abrupt du plateau de Montalba, à la confluence avec le<br />

Bellagre. Compte tenu du contexte et de l’homogénéité<br />

typologique des restes copieux et non patinés de l’industrie<br />

lithique, ce dernier gisement est même relativement<br />

exceptionnel (ill. 12 à 16).<br />

Un autre problème est posé par la haute terrasse T1<br />

du bassin de Vinça, aujourd’hui ennoyée par le barrage.<br />

En effet, deux gisements ont livré des industries en<br />

quartz d’allure archaïque, très peu usées et non patinées,<br />

parfois bien concentrées (Conillac et Nossa). Elles devraient<br />

théoriquement être plus récentes que le premier<br />

Pléniglaciaire würmien. Le débitage Levallois y est rare<br />

(ill. 17 et 18) et elles font appel à la technique de la pièce<br />

esquillée. La présence d’éclats retouchés ainsi que celle<br />

de minuscules enlèvements permet d’envisager un très<br />

faible déplacement post-dépositionnel.<br />

C’est bien pourquoi il est quand même extrêmement<br />

périlleux de proposer une attribution chrono-culturelle<br />

précise pour l’ensemble de ces séries d’artefacts « moustéroïdes<br />

», d’autant que la référence stratigraphique la<br />

mieux documentée, celle de la Caune de l’Arago, offre<br />

justement peu de certitude typologique pour la séquence<br />

que nous envisageons à la transition entre l’Acheuléen<br />

et le Moustérien (lambeaux de remplissage entre<br />

les planchers stalagmitiques du Complexe terminal, ensemble<br />

4, « rissien », cf. martzluff 2006). Cette phase du<br />

peuplement régional, sans aucun doute très étalée dans<br />

le temps, demeure donc très floue (ill. 19).<br />

Ce sont toutefois ces industries peu usées et sur éclats<br />

de roches locales qui apparaissent comme les plus abondantes<br />

et les mieux conservées en surface sur l’ensemble<br />

de la vallée. Elles peuvent se mettre en rapport avec<br />

une fréquentation comprise entre un Acheuléen final du<br />

Riss et un Moustérien ancien dans les épisodes ultimes<br />

de cette séquence alpine (entre 300 et 150 ka), voire jusqu’à<br />

un Moustérien accompli au début du dernier glaciaire<br />

et pendant l’interstade qui le précède (éémien vers<br />

120 ka). C’est en tout cas un peuplement qui a été moins<br />

oblitéré que les précédents et les suivants, mais qui semble<br />

ne pouvoir offrir, d’après ces prospections, qu’un seul<br />

gisement éventuellement conservé en sous-sol. Et c’est<br />

tout à fait regrettable, car le Paléolithique moyen régional<br />

n’est correctement connu en stratigraphie dans les<br />

gisements troglodytes des deux côtés de la chaîne, que<br />

dans ses moments terminaux (stades isotopiques 4 à 3,<br />

vers 60-30 ka).


ANDORRE<br />

98 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

Socle granitique et intrusions et cristallines cristallines associées associées aux<br />

gneiss aux gneiss de la Catazone de la Catazone et de la Mésezone et de la Mésozone<br />

Micaschistes et roches et roches métamorphisées diverses diverses<br />

(intercalations de<br />

de<br />

marbres,<br />

marbres,<br />

quartzites,<br />

quartzites,<br />

cornéennes...)<br />

cornéennes ...)<br />

Schistes de<br />

de<br />

l’Ordovicien<br />

l'Ordovicien<br />

et du<br />

et<br />

Cambrien,<br />

du Cambrien,<br />

dits<br />

dits<br />

de Jujols-Canaveilles et schistes à chlorite de l’Épizone<br />

de et schistes à chlorite de l'Épizone<br />

Calcaires, poudingues et calcschistes et du Dévonien, du Dévonien,<br />

Calcaires et marnes noires du Secondaire<br />

et noires du Secondaire<br />

Molasses du du Néogène et alluvions et alluvions<br />

quaternaires des des terrasses<br />

Principaux sommets<br />

Principaux sites de plein air<br />

Sites en grotte ou<br />

sous abri<br />

2469 m<br />

Principaux sommets<br />

Principaux sites de plein air<br />

Sites en grotte ou sous abri<br />

2897 m<br />

Ariège<br />

Carlit<br />

2921 m<br />

CAPCIR<br />

CERDAGNE<br />

Aude<br />

2881 m<br />

Aude<br />

FENOUILLÈDES<br />

1314 m<br />

6<br />

750 m<br />

CONFLENT<br />

Canigou<br />

2785 m<br />

782 m<br />

7<br />

3<br />

8<br />

ASPRES<br />

1307 m<br />

4<br />

9 11<br />

780 m<br />

VALLESPIR VALLESPIR<br />

1 2<br />

CORBIÈRES<br />

10 12<br />

ROUSSILLON<br />

21<br />

22<br />

5<br />

707 m<br />

13<br />

26<br />

27<br />

Tet<br />

17<br />

18<br />

19<br />

20<br />

23<br />

Tech<br />

28<br />

14<br />

Reart<br />

16<br />

Agly<br />

1256 m<br />

15<br />

ALBÈRES<br />

Étang<br />

de<br />

Salses<br />

SALANQUE<br />

24<br />

25<br />

Étang<br />

de<br />

Canet<br />

MER MÉDITERRANÉE<br />

N<br />

Segre<br />

2465 m 1450 m<br />

2910 m<br />

GENERALITAT DE CATALUNYA<br />

1394 m<br />

25 km<br />

Michel Martzluff<br />

PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE ANCIEN ET MOYEN DES PYRÉNÉES-ORIENTALES<br />

N°1 :: Caune de l’Arago l'Arago (Tautavel), Paléo Paleo Anc.-Moy. Anc.-Moy. N°11 N°10 :: Grotte terrasses de de Montou Millas, (Corbère-les-Cabanes),P.M. P.A.-P.M.<br />

N°20 :: dépression de Bages, P.A.-P.M.<br />

N°2 : haute terrasse du du Verdouble, P.A. P.A.<br />

N°12 N°11 :: terrasses Grotte de de Montou Baho-Saint-Estève, (Corbè-les-Cabanes),P.M. P.A.-P.M. N°21 :: sites de Ponteilla, P.A.-P.M.<br />

N°3 : haute terrasse de de Caramany, P.A-P.M. P.A-P.M. N°13 N°12 :: La terrasses Llabanère de Baho-Saint-Estève, (Perpignan), P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°22 :: sites de de Pollestres, P.A-P.M.<br />

N°4 : terrasse d’Estagel, d'Estagel, P.M. P.M.<br />

N°14 N°13 :: terrasse La Llabanère du Robol, (Perpignan), P.M. P.A.-P.M.<br />

N°23 :: Mas Camomille (Ortaffa), P.A.-P.M.<br />

N°5 : La Julieta (Salses), P.M. P.M.<br />

N°15 N°14 :: terrasse de du Canet-Saint-Nazaire, Robol, P.M. P.A.-P.M. N°24 :: sites de Saint-Cyprien, P.A.-P.M.<br />

N°6 : Cova del Mitg (Villefranche-de-Conflent), P.M. P.M. N°16 N°15 :: terrasses de Canet-Saint-Nazaire, Cabestany, P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°25 :: site d’Argelès, d'Argelès, P.A.-P.M.<br />

N°7 : Les Anecs (Vinça), (Vinçca), P.M. P.M..<br />

N°17 N°16 :: terrasses de de la Cabestany, Basse (Perpignan), P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°26 :: sites de Tresserre et et Banyuls-dels-Aspres, P.A.-P.M.<br />

N°8 : Col de Ternère (Vinça), P.A.-P.M. N°18 N°17 :: site terrasse du Petit-Clos de la Basse (Perpignan), (Perpignan), P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°27 :: sites de Montesquieu, P.A.-P.M.<br />

N°9 : terrasses d’Ille-sur-Têt, d'Ille-sur-Têt, P.A.-P.M. P.A.-P.M.<br />

N°19 N°18 :: terrasses site du Petit du Réart, Clos (Perpignan), P.A.-P.M. P.A.-P.M. N°28 :: Pic Saint-Christophe, P.M.<br />

N°10 : terrasses de Millas, P.A.-P.M.<br />

N°19 : terrasses du Réart, P.A.-P.M.<br />

19 - Les sites paléolithiques dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ).<br />

VI.4 - Le rarissime Moustérien évolué du Würm<br />

En réalité, le Moustérien n’est caractérisé de façon<br />

claire dans cette portion de vallée que dans une phase<br />

évoluée et sur une seule station remarquable - les<br />

Ànecs - aujourd’hui détruite par les travaux du barrage<br />

au débouché des gorges de Vinça (ill. 19). Il s’agit d’industries<br />

fraîches et diminutives, à denticulés, intégrant<br />

le débitage Levallois et où la part des jaspes locaux, des<br />

grés-quartzites et des silexites est importante, au côté<br />

des quartz blancs saccharoïdes, toujours dominants<br />

(Blaize 1990, Duran 2002). Les quelques éléments<br />

Levallois non éolisés relevés par ailleurs, au col de Ternère<br />

ou sur le plateau de Montalba par exemple, ne sont<br />

pas assez concentrés ou copieux pour parler d’habitat.<br />

Ils confirment une fréquentation de ces espaces par<br />

Néanderthal au cours la dernière glaciation, présence<br />

qui est bien attestée dans le bassin de la Têt, à la grotte<br />

de Montou (Corbères-les-Cabanes) et dans celle du<br />

Mitg (Corneilla-de-Conflent).<br />

En surface, ce peuplement est curieusement bien<br />

moins assuré en chronologie pour cette phase tardive<br />

dans la plaine du Roussillon, sur le gisement de La<br />

Joliette (Salses) ou dans le bassin du Réart, par exemple<br />

(Duran 2002 ; Martzluff 2004, 2006). Il est donc fort<br />

probable que les stations en plein air de ce Moustérien<br />

final, logées au plus près du fleuve alors que s’accentuait<br />

son incision dans la terrasse T1, aient subi un sort identique<br />

à celles du Paléolithique supérieur.


ANDORRE<br />

Le peuplement paléolithique<br />

99<br />

Socle granitique et intrusions et cristallines cristallines associées associées aux<br />

gneiss aux gneiss de la Catazone de la Catazone et de la Mésezone et de la Mésozone<br />

Principaux sommets<br />

Micaschistes et roches et roches métamorphisées diverses diverses<br />

(intercalations de marbres, de marbres, quartzites, quartzites, cornéennes...) cornéennes ...)<br />

Schistes de de l’Ordovicien l'Ordovicien et du et Cambrien, du Cambrien, dits dits<br />

de de Jujols-Canaveilles et schistes et schistes à chlorite à chlorite de l’Épizone de l'Épizone<br />

Calcaires, poudingues et calcschistes et calcschistes du Dévonien, du Dévonien,<br />

Calcaires et marnes et marnes noires noires du Secondaire du Secondaire<br />

Molasses du du Néogène et alluvions et alluvions du<br />

FENOUILLÈDES<br />

quaternaires ancien-Moyen<br />

782 m<br />

Terrasses ,moraines et limites et limites des glaces des<br />

au<br />

glaces<br />

Würm<br />

au<br />

(après<br />

Würm<br />

40 ka)<br />

(après 40 ka)<br />

1314 m<br />

Principaux sites sites de de plein plein air air<br />

2469 m<br />

750 m<br />

Sites en en grotte ou ou sous abri abri<br />

Fleuves<br />

au Würm<br />

10<br />

ancien<br />

CAPCIR CAPCIR<br />

11<br />

Carlit<br />

12<br />

2921 m<br />

13<br />

CONFLENT<br />

Ariège<br />

Aude<br />

Aude<br />

1<br />

1307 m<br />

ASPRES<br />

780 m<br />

5<br />

2<br />

4<br />

3<br />

CORBIÈRES<br />

9<br />

6<br />

8<br />

7<br />

ROUSSILLON<br />

707 m<br />

Tet<br />

Reart<br />

Tech<br />

14<br />

Étang<br />

de<br />

Salses<br />

Agly<br />

SALANQUE<br />

Étang<br />

de<br />

Canet<br />

MER MÉDITERRANÉE<br />

2897 m<br />

CERDAGNE<br />

2881 m<br />

Canigou<br />

2785 m<br />

VALLESPIR<br />

ALBÈRES<br />

1256 m<br />

N<br />

15<br />

Montleo<br />

1130 m<br />

Segre<br />

2910 m<br />

GENERALITAT DE CATALUNYA<br />

2465 m 1450 m<br />

PRINCIPAUX SITES DU PALÉOLITHIQUE SUPÉRIEUR-ÉPIPALÉOLITHIQUE DES PYRÉNÉES-ORIENTALES<br />

1394 m<br />

25 km<br />

M. Martzluff<br />

N°1 :: Four de la Roque (St-Paul-de-Fenouillet). Azilien. Azilien. N°6 N°7 : Cova : Cova de l’Esperit del Pas C.3 Estret (Salses). (Opoul). 20 Ka, Magda. Gravettien ? N°10 N°11 : : Cova Bastera (Vill.-de-Conflent). Signes peints.<br />

N°2 :: Rec del Penjat (Vingrau). Magdalénien. N°7 : Cova del Pas Epipal. Estret (Opoul). ancien. Magda. Epipal. ancien. N°11 N°12 : Trou : Trou souffleur (Fuilla). Magdalénien.<br />

N°3 N°3 :: Les Espassoles (Vingrau). Solutréen. Solutréen. N°8 N°8 : Station : Station du Ravanell du Ravanell (Salses). (Salses). Magda. ? Magda. ? N°12 N°13 : : Balmes Berges-Ambulles (Fulla). Solutréen.<br />

N°4 N°4 :: La Teulera (Tautavel). Magdalénien. Magdalénien. N°9 N°9 : Grotte Grotte de la de gare la gare (Estagel). (Estagel). P. Sup. P. indét. Sup. indét. N°13 N°14 : : Station de de Saint-Genis. Solutréen ??<br />

N°5 N°5 :: Grotte des Conques (Vingrau). (Vingrau). Magdalénien. Magdalénien. N°10 N°10 : Rocher : Rocher gravé de gravé Fornols de Fornols (Campôme). (Campôme). Magdalénien N°14 N°15 : Station : Montleo de Saint-Genis. 1130 m (Prats, Solutréen Espagne) Magdalénien. ?<br />

N°6 : Cova de l'Esperit C.3 (Salses). 20 Ka, Gravettien ?<br />

Magdalénien<br />

N°15 : Montleo 1130 m (Prats, Espagne) Magdalénien.<br />

20 - Les sites du paléolithique supérieur dans les P.-O. (DAO M. Martzluff ).<br />

VI.5 - Un long hiatus documentaire entre le Paléolithique<br />

moyen et le Néolithique<br />

Les premiers peuplements de l’homme moderne<br />

correspondent ici à une lacune des vestiges sur l’ensemble<br />

de la zone prospectée, en particulier sur la formation<br />

T1. Cette absence est particulièrement notable<br />

sur la haute terrasse würmienne du barrage de Vinça,<br />

très proche du fleuve et très lisible dans les parties agricoles<br />

non remaniées par les travaux d’aménagements<br />

avec les engins mécaniques, à la fin du siècle dernier.<br />

Cela pose un sérieux problème, car la pénétration de<br />

la vallée du Conflent est bien attestée dans les grottes<br />

en amont, au moins pour le Tardiglaciaire (Solutréen<br />

et Magdalénien). D’autre part, un Magdalénien ancien,<br />

situé en chronologie absolue autour de 16 000 ans BP,<br />

est bien présent sur un site de plein air en Cerdagne<br />

à 1 100 m d’altitude (Montlleò) ; il a livré des outillages<br />

pris dans un jaspe ferrugineux dont nous savons à présent<br />

que les seuls gisements régionaux se trouvent entre<br />

Prades et le Bassin de Vinça (Mangado et alii, 2004).<br />

Ce Magdalénien est également attesté vers 1 000 m<br />

d’altitude au-dessus de Prades sur le rocher gravé de<br />

Fornols. À la fin de la dernière glaciation, le parcours<br />

des Magdaléniens vers les hautes vallées situées au cœur<br />

de la chaîne est donc bien fléché en Conflent (ill. 20).<br />

Il est donc difficile d’expliquer l’absence totale de vestiges<br />

du Paléolithique supérieur. D’une part, les habitats<br />

de plein air sont généralement étendus à ces époques ;<br />

d’autre part le débitage sélectionne préférentiellement<br />

les meilleures roches dures isotropes (jaspes, silex) et<br />

tend à la production de lames. Les déchets techniques<br />

générés par un campement de cette séquence ne pourraient<br />

donc passer inaperçus, même mêlés en surface à<br />

des vestiges de périodes plus anciennes ou plus récentes.


100 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre III<br />

C’est pourquoi cette lacune sur l’ensemble de l’aire géographique<br />

prospectée nous paraît signifiante. Nul doute<br />

que la vallée était peuplée. Or, cette absence ne peut<br />

s’expliquer pour des raisons telles que la dangerosité des<br />

crues estivales, certainement réelle, ou la pénibilité due<br />

à des vents très violents, fort probable également, car les<br />

chasseurs paléolithiques ont occupé des campements<br />

de plein air dans des milieux bien plus hostiles pour peu<br />

que leurs proies y fussent abondantes. Il faut donc tenir<br />

compte de plusieurs facteurs qui constituent de sérieux<br />

handicaps pour la prospection de surface concernant<br />

ces périodes dans ce secteur :<br />

1 - L’encaissement du fleuve après le premier Pléniglaciaire<br />

würmien et la création de nouvelles terrasses favorables à<br />

l’habitat au plus près du cours d’eau, formations qui ont<br />

ensuite été démantelées par les crues du lit majeur.<br />

2 - La difficulté de prospecter le terroir des terrasses alluviales<br />

dévolu à l’arboriculture, où les labours profonds<br />

ont presque toujours accroché la nappe de galets, (épierrements,<br />

rotovator).<br />

3 - Avec un faible écho prévisible des microlithes en surface,<br />

le fait que les terres acides soient azoïques supprime<br />

l’appui pertinent des faunes pour détecter les gisements<br />

concernant ces périodes, en particulier pour les petits sites<br />

épipaléolithiques.<br />

4 - Les remaniements anthropiques d’ampleur s’ajoutent<br />

à ces difficultés (villages médiévaux de Casesnoves et<br />

Reglella sur les niveaux les mieux protégés et bien exposés<br />

de la rive gauche de la Têt, plantations forestières et<br />

suppression des affleurements schisteux pour la mise en<br />

terrasse des versants, urbanisation galopante actuelle...).<br />

5 - Enfin, la rareté des sites troglodytes et des grands abris<br />

favorables, en particulier dans le petit synclinal calcaire<br />

de Bouleternère et sur le plateau granitique de Montalba,<br />

situés dans un maquis impénétrable, a rendu cette zone<br />

peu attractive pour les chercheurs qui ont fourni dans le<br />

passé l’essentiel de la documentation trouvée en grotte<br />

pour ces périodes.<br />

Malgré ces difficultés, l’absence de gisements de surface<br />

pouvant se rapporter à l’intervalle Aurignacien-<br />

Sauveterrien sur cette aire géographique reflète dans ce<br />

travail un résultat indubitable du terrain. Il confirme ce<br />

que nous avions déjà diagnostiqué pour l’ensemble du département<br />

où les occupations de plein air du Paléolithique<br />

supérieur au Mésolithique sont uniquement attestées<br />

dans les bassins fluviaux à faible régime nival et dénivelé<br />

modéré des Corbières, tels le Maury et le Verdouble, par<br />

exemple (Martzluff 1998b, 1999b). Il s’en suit que notre<br />

connaissance des peuplements anciens des Pyrénées<br />

catalanes à partir du dernier glaciaire, Moustérien compris,<br />

repose essentiellement sur l’investigation des sites<br />

en grottes ou sous abri, en particulier pour les vallées du<br />

Tech, de la Têt et pour la haute vallée de l’Agly.


chapitre IV<br />

L’occupation du plateau<br />

de Rodès et Montalba-le-Château<br />

à l’âge du Bronze<br />

Alain Vignaud<br />

I - L’environnement,<br />

les lieux et les sites<br />

I.1 - Cadre naturel de l’occupation<br />

Dans le territoire prospecté dans le cadre de ces travaux,<br />

les secteurs ayant livré des traces d’occupation de<br />

la Préhistoire récente sont disséminés sur une aire d’environ<br />

150 hectares, se développant principalement au<br />

nord-ouest de la zone brûlée.<br />

Si quelques points paraissent isolés, l’essentiel des vestiges<br />

se situe sur le plateau dit de Montalba (470 m NGF)<br />

animé par différents reliefs (520 m NGF), et surtout, limité<br />

à l’est et à l’ouest par les profondes incisions des cours<br />

d’eau intermittents, le Bellagre, et le Tarerach, coulant plus<br />

de 80 mètres en contrebas (ill. 1). À l’ouest, au-delà du<br />

Tarerach, en zone non brûlée, des vestiges apparemment<br />

contemporains de ceux qui nous intéressent sont attestés.<br />

En contrepartie, à l’est, de l’autre côté du Bellagre, d’importantes<br />

surfaces mises à nu par l’incendie et donc aux<br />

sols bien lisibles, n’ont fourni aucune trace d’occupation,<br />

même ténue : il est évident que l’important ravin constitue<br />

une limite spatiale majeure de l’occupation.<br />

Dans un paysage assez contrasté, alternant « serrats »<br />

parfois prononcés, collines et plateaux plus ou moins<br />

encombrés de chaos et d’affleurements rocheux , près de<br />

50 points ont livré différents vestiges, en densités variables.<br />

. Cf. chap. II Marc Calvet, « Géomorphologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée » : la<br />

genèse et l’évolution du plateau de Montalba.<br />

. L’enregistrement des points issus des prospections s’est fait soit par chiffres,<br />

soit par lettres. Ce « désordre » apparent est dû à la forte densité de points « à<br />

Ces derniers s’articulent avec et autour d’importantes<br />

niches écologiques dont on peut estimer qu’elles sont à<br />

l’origine du choix de l’occupation. Il s’agit essentiellement<br />

de larges espaces bien sédimentés, plans ou en légère cuvette,<br />

évoquant pour certains d’anciennes dépressions hydromorphes.<br />

La présence de l’eau, sous forme de sources,<br />

de mouillères ou de retenues épisodiques est d’ailleurs<br />

attestée en plusieurs points . La topographie des lieux<br />

est également importante : de nombreux vestiges sont<br />

situés à proximité ou dans l’axe des vallées ou de légers<br />

cols, l’ensemble suggérant des itinéraires plus ou moins<br />

obligés, dont on devine encore aujourd’hui le cheminement<br />

.<br />

Ces derniers, à l’échelle du plateau, sont principalement<br />

orientés vers le sud, la vallée de la Têt, et surtout sur un<br />

axe sud-est/nord-ouest, matérialisant une jonction avec<br />

les crêtes voisines, au nord-ouest, ou la vallée de l’Agly<br />

plus au nord.<br />

céramique modelée » (ici âges du Bronze) découverts lors des prospections<br />

initiales. Au départ, afin de distinguer cette période particulière, il avait été<br />

convenu de n’utiliser pour désigner ces sites que des lettres : A, B, C,... cependant,<br />

il s’est vite avéré que l’alphabet avec ses 26 lettres ne suffirait pas. La<br />

décision a donc été prise de continuer l’enregistrement avec des chiffres, en<br />

partant de 1001, afin de conserver une bonne marge de sécurité par rapport<br />

à l’enregistrement des sites des autres périodes déjà découverts. Pour éviter<br />

toute confusion, on a jugé plus prudent de garder cette « nomenclature » qui<br />

figurait déjà sur bon nombre de documents (listes, relevés, clichés) et de mobiliers.<br />

. cf. Calvet Marc « Une hydrologie fantasque ».<br />

. cf. Calvet Marc « Un espace charnière sur de vieux itinéraires pastoraux ».


102 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

N<br />

Montalba<br />

Le Planal<br />

Rav. de Bellagre<br />

Mas d’en Colom<br />

Roc del Maure<br />

Le Tarerach<br />

Lieusanes<br />

La Cougoulère<br />

Limites du feu<br />

Vestiges découverts<br />

lors des prospections<br />

Zones humides<br />

Vestiges déjà connus<br />

0 1000 m<br />

Barrage de Vinça<br />

La Tet<br />

Rodès<br />

Lo Castello<br />

Vinça<br />

1 - Situation des vestiges découverts lors des prospections dans leur contexte archéologique (âges du Bronze et 1 er âge du Fer).


L’occupation à l’âge du bronze<br />

103<br />

I.2 - Environnement archéologique connu<br />

Sur ces secteurs de l’arrière-pays, généralement peu fréquentés<br />

et peu prospectés, quelques sites sont cependant<br />

connus. Ils ont surtout été détectés par leur situation remarquable<br />

sur des hauteurs bien limitées (oppidum), ou,<br />

pour l’essentiel, sur des terres aux sols relativement bien<br />

lisibles, qu’il s’agisse de terres mises en culture ou de surfaces<br />

bien dégagées. Ces sites sont de taille très variable, se<br />

résumant parfois à quelques tessons ou artefacts lithiques.<br />

On peut estimer, et les vestiges mis au jour suite à l’incendie<br />

le démontrent, que la densité de l’occupation, occultée<br />

par la garrigue et les zones boisées, était plus importante<br />

que celle que nous connaissons aujourd’hui. La majorité<br />

de ces sites connus se situe à l’ouest, hors zone brûlée.<br />

Le plus important est le Roc del Maure, sur la commune<br />

de Tarerach, grand oppidum reconnu dans les années<br />

60, et qui depuis a fait l’objet de différents travaux<br />

par plusieurs intervenants. L’essentiel de l’occupation,<br />

sans exclure une présence plus ancienne, est daté du<br />

1 er âge du Fer . Le Mas de Lieusanes (ou Llosanes), sur la<br />

même commune, a également livré les traces d’un habitat<br />

de l’âge du Bronze associé à deux dolmens, dont le plus<br />

imposant est le dolmen de la Barraca (Abélanet 1987b).<br />

Le mobilier, tant céramique que lithique, dont des « anneaux<br />

disques », est similaire à celui des sites du plateau.<br />

Jean Abélanet, lors de prospections dans les années 70,<br />

avait de même découvert quelques industries disséminées<br />

au nord est du village de Montalba-le-Château,<br />

non loin de l’église, ainsi que trois « anneaux disques en<br />

roche », contemporains de ceux mis au jour sur le plateau<br />

de Montalba (Abélanet 1987b). Cette occupation<br />

peu importante, ne semblait pas caractériser d’habitat,<br />

mais plutôt une fréquentation. Toujours au nord nordouest<br />

du plateau, une récente publication d’Yves Blaize<br />

signale la découverte de deux stations sur la commune de<br />

Tarerach : Le Planal (Néolithique moyen) et le Mas d’en<br />

Colom daté du Bronze ancien (Blaize 2006)<br />

Au sud, en position basse, non loin de la Têt, quelques habitats<br />

plus récents (présence de céramique tournée) sont cités<br />

dans la littérature : La Cogoulère et Lo Castelló (ill. 1).<br />

Enfin, dans un environnement plus large, les principaux<br />

vestiges de la période qui nous intéresse ont été mis au jour<br />

lors des fouilles de la Caune de Bélesta, distante de près<br />

. Kotarba, Castellvi, Mazière 2007 (CAG 66), notices : 165 – Rodès (C.A.N. 00H) ;<br />

201 – Tarerach (C.A.N. 001P).<br />

. Voir CAG 66, notices : 230 – Vinça (C.A.N. 001H, C.A.N. 009H et C.A.N. 011H).<br />

de 6 km (Claustre, Zammit, Blaize 1993), et également à<br />

Caramany, lors des importants travaux archéologiques liés<br />

à la construction du barrage sur l’Agly (Kotarba 1991 –<br />

Porra 1991).<br />

II - Abondances ou absences, variabilITé<br />

et limites des prospections<br />

La découverte et la collecte de mobiliers, lors de prospections<br />

pédestres, reste évidemment le point de départ fondamental<br />

de ce travail. Au-delà d’une première approche,<br />

établie à partir de la densité et de la qualité de ces documents<br />

épars à la surface du sol, la réflexion a pu s’étendre<br />

à partir du point de la découverte, quelquefois très limité,<br />

jusqu’à son environnement large, à l’échelle du plateau.<br />

Outre l’étude de cette répartition dans l’espace, essentielle<br />

pour une vision d’ensemble, les observations fondées<br />

sur ces objets de la culture matérielle sont primordiales.<br />

Elles restent cependant très lacunaires, les limites<br />

d’une telle approche étant connues : au-delà de l’équipe<br />

de prospection proprement dite, composée d’individus<br />

avec leurs qualités (grandes) ou leurs défaillances (infimes),<br />

les conditions naturelles jouent un rôle important,<br />

qu’il s’agisse de l’éclairage, des conditions climatiques<br />

(atmosphériques), mais aussi de l’aspect et de l’état des<br />

secteurs prospectés, de totalement à très moyennement<br />

lisibles pour différentes raisons. Ces diverses variables<br />

influent sur les collectes qui peuvent ainsi s’avérer plus ou<br />

moins fournies, plus ou moins pourvues en gros éléments<br />

ou au contraire en tessons centimétriques.<br />

Dans un autre registre, en ce qui concerne les sols et leur<br />

genèse, divers selon leur situation topographique ou leur<br />

composition géologique, on peut estimer que l’érosion,<br />

naturelle ou anthropique, ait en certains secteurs faussé<br />

les traces des anciennes occupations. Ainsi, et c’est l’une<br />

des conséquences, au moment de cartographier et donc de<br />

donner des limites aux sites détectés, ces dernières peuvent<br />

s’avérer quelquefois arbitraires, notamment sur les secteurs<br />

ayant fourni une densité de mobiliers faible ou très<br />

moyenne, répandus sur de grandes surfaces. En revanche,<br />

si certains points n’ayant livré qu’une dizaine de tessons<br />

sur un petit espace sont difficilement interprétables, plusieurs<br />

zones d’occupation se révèlent nettement, à partir<br />

des mobiliers mais surtout de limites spatiales naturelles<br />

clairement avérées (chaos rocheux, abrupts...).


104 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

Une seconde conséquence indirecte des érosions<br />

concerne, de façon variable, l’aspect et l’état de<br />

conservation du mobilier, essentiellement céramique.<br />

En effet, d’une façon générale, les tessons découverts<br />

dans les chaos ou près de blocs sont de bonne taille (ce<br />

qui confirme la moindre évolution de ce paysage particulier),<br />

et à l’opposé, les tessons collectés sur de légers<br />

glacis ou des zones plus planes, souvent dévolues aux<br />

cultures il y a encore quelques années, sont très fragmentés<br />

et érodés, par les travaux agricoles et les passages<br />

sur ces sols dénudés. Dans ces cas l’étude des céramiques,<br />

notamment celle des surfaces et des cassures,<br />

est très malaisée. Cette perte est assez pénalisante pour<br />

la mise en évidence ou l’identification de certains traceurs<br />

. Dans une approche plus fine attachée à l’étude<br />

de ces mobiliers, un préjudice important, toujours inhérent<br />

aux prospections de surface, est à souligner :<br />

en l’absence de fouille et de stratigraphie, l’attribution<br />

chrono-culturelle d’une majorité de tessons peu caractéristiques<br />

n’est pas assurée. L’ensemble, dont on ne peut<br />

affiner la chronologie, reste néanmoins assez cohérent,<br />

comme nous le verrons par la suite.<br />

III - Habitat ou fréquentation ?<br />

Au-delà des doutes sur la contemporanéité ou la<br />

succession chronologique des sites découverts, doutes<br />

impossibles à lever à partir des mobiliers, se posait le<br />

problème des formes d’occupation du territoire à l’âge<br />

du Bronze. En effet, dans notre région, nous n’avons pas<br />

connaissance d’une telle densité de vestiges de cette période,<br />

dispersés sur plusieurs hectares, et donc aucune<br />

référence pour leur interprétation, leur fonction, leur<br />

durée d’utilisation et leurs éventuelles relations. Afin<br />

de donner une base commune à cette étude, pour aller<br />

au-delà d’une simple présentation factuelle, nous avons<br />

pris le parti de considérer tout l’ensemble des sites et<br />

du mobilier comme globalement contemporains, puis<br />

de mener leur étude en privilégiant la situation topographique<br />

des différents points pour identifier des modalités<br />

d’implantations similaires et ainsi d’effectuer des<br />

regroupements pertinents. Cette démarche reste bien<br />

entendu un parti pris, mais elle nous a semblé à même<br />

d’ouvrir des perspectives de réflexion intéressantes.<br />

. Voir sous-partie : « Mobiliers et chronologies ».<br />

L’étude de ces sites s’est donc d’abord attachée à l’examen<br />

de la cartographie, des reliefs et des altitudes. La répartition<br />

spatiale des vestiges, disséminés surtout sur les<br />

hauteurs encadrant des prairies humides, montre trois<br />

grands ensembles, séparés de près de 800 mètres, distance<br />

qui semble suffisante pour justifier ce partage (ill. 2).<br />

Ces ensembles sont composés chacun de 8 à 10<br />

concentrations, bien différentes. Habitats pérennes de<br />

différentes tailles ou zones de fréquentation plus ou<br />

moins intensive ? Au sein des trois ensembles, trois<br />

groupes hiérarchisés ont été distingués, à partir de leur<br />

situation topographique, de leur surface, des différentes<br />

composantes paysagères ou géomorphologiques, et en<br />

relation avec la densité des mobiliers (ill. 3).<br />

Ainsi se distinguent les sites de hauteur plus ou moins<br />

importante, mais dominant toujours les secteurs alentour<br />

(groupe 1). Ces sites sont spatialement limités par<br />

d’importants abrupts, des chaos rocheux naturels, ou<br />

par endroits peut-être aménagés, suggérant une manière<br />

d’« oppidum ». Ces points, qui ont fourni d’importantes<br />

séries concentrées (2110 tessons de céramique pour le<br />

point 1025, sommet et base) ne sont pas obligatoirement<br />

très étendus, leur principale caractéristique étant<br />

leur élévation, situation qui semble exclure d’ailleurs une<br />

fonction autre que celle d’habitat, surtout si l’on considère<br />

la variété des vases représentés, allant des gros récipients<br />

de stockage aux petites coupes à boire. Il semblerait<br />

que ces points forts constituent le noyau principal<br />

des occupations, certainement pérennes.<br />

En contrebas de ces sites de hauteur s’étendent les zones<br />

« médianes », intermédiaires (groupe 2), composées<br />

de petits plateaux, généralement cernés par des barres<br />

rocheuses ou des chaos, au sein desquels se devinent<br />

ponctuellement des points remarquables, naturels ou<br />

« aménagés », sans que l’on puisse dire pour autant si ces<br />

« constructions » sont contemporaines de la période qui<br />

nous occupe. Malgré une assez grande densité de mobilier<br />

dispersé sur ces secteurs, avec de plus fortes concentrations<br />

sur et à proximité de ces possibles aménagements,<br />

il n’existe aucune preuve que ces zones soient celles d’un<br />

habitat. Un habitat, en relation éventuelle avec des secteurs<br />

à vocation économique ou artisanale, est toutefois<br />

probable sur ces emplacements, sous une autre forme que<br />

celle des « oppida ».


L’occupation à l’âge du bronze<br />

105<br />

Limites du feu<br />

Zones humides<br />

Ensembles écartés<br />

Vestiges “isolés”<br />

Montalba<br />

N<br />

ENSEMBLE 1<br />

1003<br />

1025<br />

1002<br />

1004<br />

1008<br />

Le Tarerach<br />

1007<br />

I<br />

H<br />

D<br />

E<br />

1034<br />

1033<br />

J<br />

K<br />

L<br />

M<br />

G<br />

C<br />

A<br />

1005<br />

ENSEMBLE 3<br />

1026<br />

1043<br />

1006<br />

1027<br />

1042<br />

1016<br />

U<br />

V<br />

1019<br />

1018<br />

1020 1021<br />

1031 1022<br />

1036<br />

Rav. de Bellagre<br />

re<br />

1011<br />

1013<br />

1030<br />

1012 1014<br />

1029<br />

W<br />

1015<br />

1037<br />

1038<br />

ENSEMBLE 2<br />

La Cougoulère<br />

1024<br />

143<br />

(citadelle)<br />

La Tet<br />

Rodès<br />

Barrage de Vinça<br />

0 1000 m<br />

2 - Les différents points et les ensembles distingués à partir des concentrations.<br />

Vinça<br />

Ravin de Montjuich


106 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

Limites du feu<br />

Groupe 1<br />

Groupe 2<br />

Groupe 3<br />

Vestiges “isolés”<br />

Montalba<br />

N<br />

1002<br />

400<br />

1008<br />

ENSEMBLE 1<br />

1007<br />

1025<br />

518<br />

1043<br />

1005<br />

500<br />

Rav. de Bellagre<br />

437<br />

Le Tarerach<br />

554<br />

500<br />

H<br />

L<br />

M<br />

470<br />

A<br />

D<br />

K<br />

1006<br />

484<br />

ENSEMBLE 3<br />

1016<br />

1033 1036<br />

U<br />

485<br />

W<br />

467<br />

1020 1021<br />

1037<br />

469<br />

1038<br />

1030<br />

1014<br />

463<br />

ENSEMBLE 2<br />

La Cougoulère<br />

530<br />

1024<br />

143<br />

(citadelle)<br />

La Tet<br />

Rodès<br />

Barrage de Vinça<br />

0 1000 m<br />

Pla<br />

3 - Les ensembles et leurs trois différents groupes, discriminés principalement à partir des altitudes. Seuls figurent ici les points les plus importants.<br />

Vinça<br />

Ravin d


L’occupation à l’âge du bronze<br />

107<br />

4 - L’ensemble 1 avec ses principaux groupes. Vue cavalière du sud-ouest.<br />

En aval de ces paliers médians, et donc en situation la<br />

plus basse, un troisième groupe a été défini (groupe 3).<br />

Celui-ci, le moins évident car le plus lâche et le plus étendu,<br />

concerne de larges zones, généralement situées sur les<br />

versants conduisant aux marges des plateaux ou dépressions<br />

bien dégagés. Les éléments de la culture matérielle,<br />

céramique, mais surtout « objets lithiques », y sont abondants.<br />

Il semblerait que l’importante superficie mais aussi<br />

la topographie de ces secteurs, assez rocailleux et pentus,<br />

doivent exclure l’habitat, tout au moins tel qu’il se présente<br />

de façon remarquable sur les sommets (groupe 1)<br />

et éventuellement sur les petits plateaux intermédiaires<br />

(groupe 2). Quoi qu’il en soit, l’intense fréquentation des<br />

zones de ce groupe 3, situées à proximité des axes naturels<br />

et en bordure des niches écologiques, est certaine,<br />

qu’il s’agisse de secteurs d’habitat pérenne ou secondaire,<br />

ou plutôt, comme on peut l’envisager, liés à un important<br />

stationnement ou passage.<br />

Étant entendu que ces schémas et ces partages effectués<br />

à partir des trois types d’observations élémentaires<br />

(situation géomorphologique, surface et densité des mobiliers)<br />

sont pertinents quant au fond et pour chacun de<br />

ces groupes, autorisant ainsi des comparaisons, il n’en<br />

reste pas moins que des variantes peuvent être perçues<br />

dans leur forme.<br />

Iv - L’occupation,<br />

les ensembles et les groupes<br />

Trois grands ensembles, chacun avec les trois groupes<br />

respectifs définis ci-dessus, ont été distingués.<br />

L’ensemble 1, le plus évident car bien dissocié des<br />

autres, se situe au nord. Il comprend les points 1001,<br />

1002, 1003, 1004, 1005, 1006, 1025, 1026, 1027, 1042<br />

et 1043, couvrant au total environ 3,5 ha (ill. 3, 4 et 5).


108 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

5 - Profil de l’ensemble 1 vu du nord, avec ses différents paliers distinguant chacun des trois groupes.<br />

6 - Ensemble 1, le point 1025, site perché de type oppidum constituant le groupe 1 (habitat pérenne).<br />

Au sein de cet ensemble on peut<br />

singulariser :<br />

- Le groupe 1, sans doute<br />

l’habitat, est caractérisé par le<br />

point 1025, de type oppidum,<br />

cerné par de gros chaos rocheux<br />

associés, surtout au nord<br />

et à l’ouest, à de forts abrupts.<br />

Au sud, une rampe d’accès au<br />

sommet est encore bien visible.<br />

Cette dernière, peut-être légèrement<br />

« aménagée », semble<br />

naturelle (ill. 6). Ce site perché,<br />

malgré sa faible superficie d’environ<br />

350 m 2 , a fourni d’importantes<br />

séries céramiques, dont<br />

des tessons de bonne taille, appartenant<br />

à des récipients de capacité<br />

et d’usage variés. À l’origine,<br />

lors des collectes de mobilier,<br />

ce point avait été scindé en<br />

plusieurs secteurs : 1025 – S1<br />

correspondant au sommet de<br />

l’oppidum, et les secteurs 1025<br />

– S2 à S7 aux versants et aux<br />

bases. Pour des facilités de gestion,<br />

s’agissant d’un mobilier<br />

homogène, ces derniers secteurs<br />

ont été fusionnés (voir<br />

inventaires). De même, Yves<br />

Blaize, archéologue, lors de reconnaissances<br />

préalables, dans<br />

les années 90, avait collecté et<br />

étudié une série provenant de<br />

ce point, nommé alors par lui<br />

« Oppidum de Ropidera ». Ce<br />

mobilier, qu’il nous a transmis,<br />

a été incorporé à cette étude.<br />

Nous l’en remercions (planches<br />

1 et 2).<br />

- Le groupe 2 intègre le<br />

point 1043 et ses abords, situé<br />

en contrebas à quelques<br />

dizaines de mètres, et 1026,<br />

tout proche sur un léger replat.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

109<br />

8 - Ensemble 1, groupe 2, une partie de l’intérieur du point 1043<br />

« limité » par des chaos rocheux.<br />

7 - Ensemble 1, groupes 1 et 2 vus du nord.<br />

Le point 1043, le plus important, se distingue surtout par un espace<br />

à peu près plan, d’environ 800 m 2 , grossièrement ceinturé<br />

par d’importants chaos rocheux et de gros blocs donc certains<br />

pourraient avoir été déplacés. En son centre, une petite cabane en<br />

pierre sèche, ruinée, plus récente, attesterait la fonction, probablement<br />

reconduite au fil des siècles, que nous proposons pour ce<br />

point : aire de parcage ou de stabulation de troupeaux avec cabane<br />

de berger ou plus simplement espace dévolu à l’économie agropastorale<br />

(ill. 3, 7, 8, 9 et 10).<br />

- Le groupe 3 est composé, au nord du site de hauteur 1025, par<br />

les points 1002, 1003 et 1004, difficilement interprétables, et au<br />

sud, sur le versant bien exposé menant à la dépression et en bordure<br />

de cette dernière, par les points 1005, 1006, 1042 et 1027.<br />

Ces sites, particulièrement 1005 et 1006 que l’on pourrait associer<br />

car tangents, ont donné de grandes séries de céramique : 665 tessons<br />

pour le point 1005, à proximité duquel se trouve un petit<br />

dolmen, et 727 tessons pour le point 1006 (planches 6, 7 et 8).<br />

Les fragments d’objets manufacturés, en pierre, y sont également<br />

très abondants (123 unités).<br />

La présence du dolmen (cf. V. Porra, annexe III) peut suggérer<br />

l’existence d’un axe de circulation, ces monuments mégalithiques<br />

étant souvent situés en bordure des voies. Pérennité, bon sens ou<br />

contrainte topographique : le chemin actuel passe tout à côté.<br />

9 - Ensemble 1, « parement » extérieur du point 1043 vu du sud‐ouest.<br />

10 - Ensemble 1, petite cabane ruinée, probablement médiévale ou<br />

moderne, au centre du point 1043.


110 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

11 - ensemble 2, avec ses différents groupes, vus de l’ouest.<br />

12 - Ensemble 2, groupes 1 et 2 vus du sud-est.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

111<br />

13 - Ensemble 2, groupe 1. Au sein du point U, un aménagement estimé contemporain<br />

de l’occupation.<br />

14 - La construction du point U, possible cabane.<br />

L’ensemble 2, également bien marqué, est situé à environ<br />

650 mètres au sud-est du précédent. Il intègre les<br />

points W, U, V, 1018, 1019, 1020, 1021, 1031, 1012,<br />

1011, 1013, 1029, 1030, 1014 et 1015. L’ensemble<br />

s’étend également sur près de 3,5 ha. (ill. 3 et 11)<br />

- Le groupe 1 a comme noyau principal dominant le<br />

point W (et son élargissement U et en moindre part V).<br />

Parmi les gros blocs des chaos qui l’occupent, parfois<br />

aménagés, de gros panneaux de céramique ont été collectés<br />

(ainsi qu’un petit nodule de métal cuivreux, possible<br />

résidu de fonte). Les grands vases de stockage y<br />

sont particulièrement représentés, suggérant un habitat<br />

(ill. 12 et 13). À l’extrémité sud-ouest du point U,<br />

la présence d’un petit aménagement circulaire, d’environ<br />

3,5 m de diamètre intérieur, est matérialisé par des<br />

pierres et de gros blocs subcirculaires, tangents, posés<br />

sur un seul lit. L’absence de fouille ne permet pas d’interpréter<br />

cette construction, possible cabane, dont on<br />

ne sait, en outre, si elle est contemporaine (ill. 14).<br />

- Le groupe 2 se développe en contrebas, vers le sud,<br />

séparé par un court espace plat et bien dégagé, dont on<br />

peut estimer, vu sa situation, qu’il occupe également un<br />

« lieu de passage » (axe d’un col). Une piste y est encore<br />

actuellement en service, la même qui passe au pied<br />

des points 1005 et 1006 de l’ensemble 1. Il est composé<br />

par les points 1018, 1019, 1020, 1021, 1022 et 1031,<br />

contigus, distingués par différents petits paliers, mais<br />

surtout par d’importantes barrières rocheuses limitant<br />

partiellement de grands ensembles. Ainsi les<br />

points 1020, 1021 et 1022, que l’on pourrait associer,<br />

se démarquent en outre par une forte densité de mobiliers<br />

: près de 1 500 tessons pour les trois points ainsi<br />

que 60 objets manufacturés en roche (ill. 15). Le statut<br />

de ce site, auquel l’on accède aussi par une rampe naturelle<br />

encadrée par d’énormes blocs en place, est peu probant,<br />

l’espace relativement plan, partiellement circonscrit<br />

ou cloisonné par les barres rocheuses ou les chaos,<br />

couvrant près de 2 500 m 2 . Ce dernier pourrait tout<br />

aussi bien être lié à un habitat (pérenne ?), qu’à l’activité<br />

productrice, comme éventuellement le secteur 1043 de<br />

l’ensemble 1, par exemple à une zone de parcage ou de<br />

stabulation de troupeaux.<br />

- Le groupe 3, légèrement à l’écart, à l’est, comprend<br />

les points 1011, 1012, 1013, 1014, 1015, 1029 et 1030.<br />

Ces derniers, installés sur des replats étagés en pente<br />

douce, sont relativement groupés. Au nord‐nord-est, ils<br />

s’adossent aux chaos (non occupés) dominant les abrupts<br />

très prononcés, presque à pic, menant au Bellagre, tandis<br />

qu’au sud, dans le sens de la pente, les vestiges se terminent<br />

en bordure d’un replat humide, sur lequel passe<br />

le chemin actuel déjà évoqué, passage également obligé,<br />

car au-delà de ce palier, toujours vers le sud, le relief<br />

plonge vers une vallée encaissée. Indépendamment du<br />

point 1030 ayant livré près de 600 tessons, les traces<br />

de l’occupation restent très modestes. Cette (relative)<br />

faiblesse est néanmoins à pondérer : toute cette zone a<br />

été particulièrement bouleversée anciennement par la<br />

présence probable de champs et, récemment, par d’importants<br />

travaux mécanisés (replantations par l’ONF)<br />

(ill. 16).


112 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

15 - Ensemble 2, les groupes 2 et 3 vus de l’ouest.<br />

16 - Ensemble 2, groupe 3, concentrations terminant la série des sites avant la rupture de pente descendant vers le sud.<br />

Noter les profonds sillons dus aux replantations de l’ONF.<br />

L’ensemble 3, à l’ouest, est à<br />

plus de 850 mètres de l’ensemble<br />

précédent. Il est constitué<br />

par les points assez lâches : A,<br />

D, G, H, I, J, K, L, M et 1034<br />

(ill. 3 et 17).<br />

- Le point H, constituant<br />

le groupe 1, est un petit site<br />

de hauteur installé au sein<br />

de la ligne de crête d’un<br />

fort relief orienté nord-sud.<br />

Relativement plan et dégagé<br />

de tout matériau, l’espace circonscrit,<br />

de 18 m de long pour<br />

10 m de large, est bordé au<br />

nord-est par les vestiges d’un<br />

alignement de pierres et de<br />

gros blocs posés sur un seul<br />

lit, formant une barrière artificielle,<br />

alors qu’à l’ouest, les<br />

très fortes pentes menant au<br />

Tarerach, ici particulièrement<br />

encaissé, constituent une limite<br />

naturelle. Ses marges nord<br />

et sud sont matérialisées par<br />

d’importantes barres ou chaos<br />

rocheux. Bien que de surface<br />

réduite, ce site a fourni une intéressante<br />

série céramique collectée<br />

sur les parties bien sédimentées<br />

de la plate-forme où<br />

la roche affleure par endroits,<br />

mais aussi sur les premiers<br />

mètres de la pente ouest, où<br />

il a été jeté ou déplacé par les<br />

pertes sédimentaires. Ces vestiges<br />

attestent certainement de<br />

l’ancienne présence d’un habitat<br />

pérenne en ces lieux (ill. 18<br />

et 19).<br />

- Au pied du point H, à l’est,<br />

se développe une large prairie,<br />

bordée au nord par des chaos<br />

rocheux en légère élévation, s’appuyant<br />

sur les premiers contreforts<br />

du Serrat Blanc. Dans


L’occupation à l’âge du bronze<br />

113<br />

cet ensemble peu cohérent, les<br />

points I, J, K et L ont été enregistrés.<br />

Ils constituent le groupe<br />

2 sans pouvoir distinguer si<br />

celui-ci se rapporte à l’habitat<br />

ou à une « zone d’activité » liée<br />

à l’économie (ou aux deux).<br />

- À l’extrémité sud du plateau,<br />

en léger pendage dans<br />

cette direction, une « mouillère<br />

» est à l’origine d’un petit<br />

ruisseau assez encaissé<br />

s’épanchant vers le sud. C’est<br />

à proximité de cette modeste<br />

résurgence que se situent plusieurs<br />

petites concentrations,<br />

difficilement interprétables,<br />

semblant plutôt signaler des<br />

zones de fréquentation, éventuellement<br />

associées à la présence<br />

de l’eau ou à la proximité<br />

de la prairie (pâtures). Il s’agit<br />

des points M, G, D et 1034<br />

constituant le groupe 3. Sur<br />

la totalité de l’ensemble 3 les<br />

objets manufacturés en roche<br />

sont absents (plusieurs prospections<br />

postérieures ont été<br />

effectuées sur ce site, elles ont<br />

confirmé cette absence assez<br />

surprenante). Bien que la série<br />

céramique collectée soit globalement<br />

similaire à celle des<br />

autres ensembles, cette distinction<br />

pourrait signaler un écart<br />

chronologique ou éventuellement<br />

une économie particulière,<br />

autre. On doit prendre en<br />

compte également le fait que<br />

ces concentrations sont nettement<br />

excentrées par rapport à<br />

l’axe de communication naturel<br />

qui relie les ensembles précédents,<br />

1 et 2 (cette question<br />

est plus amplement développée<br />

dans le paragraphe 7).<br />

17 - ensemble 3 avec ses groupes, vus du sud.<br />

18 - le point H, site de hauteur installé au sein de la ligne de crête. Vue zénithale.<br />

Outre ces ensembles circonscrits, quelques points « isolés » ont été enregistrés.<br />

Certains, anecdotiques, attestant probablement d’un court épisode de fréquentation,<br />

n’ont livré que quelques tessons de céramique. Par contre, le point 1036<br />

a fourni 64 tessons, le point 1033, installé sur un petit col, 126 tessons, et le<br />

point 1024, bien à l’écart à près de 1000 m au sud, a livré 241 tessons. Ce dernier<br />

site, associé à un probable petit dolmen, semble situé sur une ancienne piste descendant<br />

vers la Têt (cf. V. Porra, annexe III).


114 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

19 - Vue du sud, la plate-forme sommitale du point H et les vestiges d’une « limite »<br />

la bordant, à l’est.<br />

V - Mobiliers et chronologies<br />

La série céramique, forte de près de 10 000 tessons,<br />

serait à elle seule suffisante pour proposer une attribution<br />

chrono-culturelle. On peut en effet affirmer que<br />

l’ensemble des traceurs observés est attribuable aux<br />

âges du Bronze. Ces périodes couvrent toutefois près<br />

de 1 500 ans, du Bronze ancien (2200 ans av. J.-C.) au<br />

Bronze final (1300/700 av. J.-C.).<br />

La faiblesse des références fiables à notre disposition<br />

dans les Pyrénées-Orientales pour ces périodes (Claustre<br />

1997), l’absence de fouilles, et donc de relations stratigraphiques,<br />

mais aussi l’état de la série, très érodée, s’avèrent<br />

assez dommageables pour affiner cette fourchette. Ce dernier<br />

aspect est assez gênant, notamment pour apprécier<br />

la qualité des finitions et surtout des décors (décor « rustiqué<br />

», incisé, estampé ou à base de cannelures). Certains<br />

types ont toutefois été reconnus. La caractérisation des<br />

formes, par exemple les décors plastiques ou les éléments<br />

de préhension, est parfois hésitante : cordons lisses ou<br />

impressionnés ? boutons, tétons ou départ d’anse ? fragment<br />

d’anse, de bracelet ou de pied polypode ? bord ou<br />

fragment de panse aux arêtes érodées, arrondies ? Ce dernier<br />

inconvénient est particulièrement pénalisant : il n’est<br />

pas rare que sur certaines séries fortes de près de 200 tessons,<br />

seuls 2 ou 3 bords, évidents car particuliers (digités,<br />

à forte lèvre...) aient été reconnus. Ce décompte semble<br />

loin de la réalité. Malgré ces pertes probables, l’étude des<br />

différents pourcentages et ratios entre les panses et les<br />

formes, bien que légèrement déficiente quant aux formes,<br />

reste assez satisfaisante pour un habitat de plein air : les<br />

formes représentent près de 9 %, et les panses 91 % (voir<br />

inventaires et graphiques en annexe).<br />

L’attribution chrono-culturelle des différentes zones<br />

d’occupations ou même de l’ensemble est donc problématique,<br />

d’autant que certains points, les plus importants<br />

et les plus fournis, ce qui est logique, ont restitué<br />

des éléments présumés appartenir, dans les grandes<br />

lignes (?), au Bronze ancien : décor rustiqué, décor de<br />

« coups d’ongles », cordons cupulés droits ou « en guirlandes<br />

», associés à des tétons sur un même cordon ;<br />

ou au Bronze moyen : anses à poucier (cf. R. Iund, annexe<br />

II), impressions ou décors en ligne, parfois sur carène<br />

; ou enfin au Bronze final : également anses à poucier,<br />

décors de cannelures parfois larges, horizontales ou<br />

agencées, en chevrons.<br />

La répartition et la répétitivité de certains marqueurs<br />

(accessoirement la proximité des sites du Mas<br />

Lluisanes et du Mas d’en Colom datés du Bronze ancien,<br />

Blaize 2006) suggèreraient que l’essentiel du mobilier,<br />

et donc de l’occupation, doive être attribué à cette période<br />

(Bronze ancien, 2200/1700 av. J.‐C.), ce que nous<br />

serions assez enclin à proposer (planches 1 à 12). Cela<br />

n’exclut évidemment pas une occupation plus longue,<br />

probablement en continu pendant cette période, tout au<br />

moins sur certains points, notamment sur l’ensemble 1,<br />

autour du site de hauteur 1025 (4 180 tessons).<br />

L’industrie lithique, macro ou micro outillage, n’est<br />

guère plus éloquente : quelques éclats de silex atypiques<br />

plus ou moins retouchés (hors un fragment de pointe<br />

de flèche probablement pédonculée, à retouches couvrantes),<br />

quelques éclats de roches tenaces exogènes<br />

(radiolarites, jaspes) et enfin, comme habituellement,<br />

quelques artefacts de quartz, dont une majorité de percuteurs<br />

(voir inventaires). À peine perçoit-on une légère<br />

prédominance de ces derniers, abondance relative qui<br />

pourrait être mise en relation avec l’artisanat présenté<br />

ci-dessous.<br />

Les éléments de meunerie sont aussi peu attestés :<br />

quelques molettes et seulement 6 meules à va-et-vient.<br />

Ce chiffre, particulièrement bas par rapport à l’étendue<br />

des vestiges, confirme la faiblesse de l’agriculture chez ces<br />

populations.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

115<br />

VI - Un artisanat très original<br />

VI.1 - Les artefacts en chloritoschiste<br />

Les occupations du plateau de Montalba ont donc livré<br />

des mobiliers « communs » pour les sites de l’âge du<br />

Bronze, mais ces secteurs se distinguent surtout par une<br />

importante production, tout à fait originale, celle d’un artisanat<br />

local utilisant un type de roche particulier pour<br />

la fabrication d’« objets circulaires » en pierre. L’ensemble<br />

de l’occupation du plateau est datée de l’âge du Bronze,<br />

avec une plus forte densité d’éléments du Bronze ancien.<br />

Aucun mobilier discordant n’a été reconnu, malgré une<br />

série étoffée. Sachant que cet artisanat a été constamment<br />

découvert associé à cette céramique, on peut proposer que<br />

ces différents mobiliers soient contemporains, bien que<br />

nous n’ayons trouvé aucune référence bibliographique<br />

pour confirmer cette hypothèse, la littérature scientifique<br />

au sujet de ces artefacts sur pierre étant très limitée.<br />

Près de 250 fragments en relation avec cette production<br />

ont été collectés. Certaines pièces restent énigmatiques,<br />

mais l’essentiel, soit plus de 90 %, se rapporte à des<br />

bracelets (voir étude technique ci-après). Ces pièces, qui<br />

témoignent de toutes les étapes de la chaîne opératoire,<br />

allant du disque grossièrement ébauché pour aboutir à<br />

l’objet fini, sont à 99 % exécutées à partir d’une roche particulière,<br />

les chloritoschistes (cf. M. Martzluff, P. Giresse<br />

chap. X), offrant des qualités intéressantes pour une exploitation<br />

intensive, facile à travailler (dureté moyenne),<br />

et qui présente à la finition un toucher et un aspect agréable,<br />

poli et légèrement brillant (ill. 20, 21, 22). Plusieurs<br />

gîtes de cette roche ont été découverts à l’ouest, de l’autre<br />

côté du Tarerach, hors de la zone brûlée (ravin de la<br />

Figuerassa), ou en limite nord-ouest du plateau, à quelques<br />

centaines de mètres, où ce minéral affleure (voir<br />

ill. 24, en fin de texte). Un seul artefact a été trouvé à<br />

proximité de ce dernier gisement, et aucun sur le premier.<br />

Il est donc clair que ces bracelets n’étaient pas élaborés<br />

sur place.<br />

Une petite partie de cette production (9 %) a été collectée<br />

sur les secteurs présumés d’habitat (groupes 1 des<br />

ensembles 1 et 2), cependant le solde, soit 91 %, était<br />

dispersé sur des zones autres. Il s’agit des groupes 3 des<br />

ensembles 1 et 2 : de grands espaces s’étirant sur un axe<br />

sud-est nord-ouest, aux pendages peu prononcés vers le<br />

sud, où ils viennent au contact de zones basses, planes<br />

et relativement humides (prairies). Ces dernières s’étirent<br />

également sur un même axe de bas de versants (inventaires<br />

et graphiques dans l’étude ci-après). Ces secteurs<br />

bien exposés au sud, à proximité de pâtures, avaient été<br />

interprétés comme zones de pacages ou de stabulation<br />

de troupeaux, l’élevage représentant traditionnellement<br />

la principale économie de ces populations.<br />

Cette situation amène plusieurs remarques : les<br />

chloritoschistes manufacturés ne présentent pas de<br />

concentration particulière attestant l’existence d’une<br />

ou de plusieurs structures pérennes spécialisées, ateliers<br />

de débitage ou de façonnage des bracelets. D’autre<br />

part, ces vestiges semblent avoir été dispersés sur des<br />

secteurs que l’on suppose fréquentés par les bergers<br />

surveillant des troupeaux sur les pâtures en contrebas.<br />

20 - Ébauches de bracelets en chloritoschiste.<br />

21- Bracelets en cours d’élaboration.<br />

22- Fragments de bracelets terminés.


116 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

Cette occupation peu astreignante procure du temps libre<br />

pour s’adonner à de petits travaux artisanaux, surtout<br />

s’ils peuvent s’avérer lucratifs. On pourrait donc estimer<br />

qu’une grande partie de cette production était élaborée<br />

par des bergers. Le fait qu’il s’agisse là d’« artisans » improvisés,<br />

parmi lesquels probablement des enfants, explique<br />

peut-être la présence, au sein de cette série, d’une<br />

quantité importante de bris et de quelques maladresses<br />

observées, sans remettre pour autant en question la qualité<br />

de la production.<br />

Il semblerait donc que nous soyons en présence d’une<br />

industrie locale opportuniste, dictée par la présence des<br />

chloritoschistes à proximité, et en aucun cas d’un marqueur<br />

culturel comme cela a été mis en évidence dans<br />

certains groupes du Néolithique ancien, dans le centre,<br />

l’est et le nord de la France. Hors de rares exceptions,<br />

les bracelets appartenant à ces populations diffèrent<br />

d’ailleurs par leurs profils et la matière première utilisée,<br />

généralement des schistes tendres.<br />

VI.2 - À propos de l’artisanat du plateau de Montalba<br />

Les fragments de bracelets finis (et probablement portés)<br />

découverts sur les sites, sont sans doute à rapprocher<br />

des éléments de la culture matérielle « classique »,<br />

les productions céramiques et lithiques que l’on retrouve<br />

habituellement sur les gisements, vestiges perdus ou brisés<br />

lors de l’occupation ou a posteriori. Cette observation,<br />

apparemment banale, est en fait plus complexe. Ces artefacts,<br />

notamment les bracelets, sont surreprésentés sur le<br />

plateau de Montalba par rapport à d’autres sites de cette<br />

période. D’où une première interrogation : les occupants<br />

des lieux avaient-ils une forte propension à se parer ? En<br />

serait-il de même s’ils n’avaient pas eu à disposition et en<br />

abondance les matériaux nécessaires à cet artisanat et le<br />

temps pour l’élaborer ? On peut en douter, cette « vogue »<br />

n’étant pas un des traits caractéristiques de ces périodes,<br />

tout au moins sur les sites connus dans notre région où<br />

ces parures de pierre sont rares si ce n’est totalement absentes.<br />

Ce constat tend à montrer que cette production<br />

ne procédait donc pas du goût de ces populations pour<br />

la parure ou d’une habitude culturelle. Il s’agirait plutôt<br />

d’une industrie opportuniste, dirigée vers l’économie et<br />

le commerce.<br />

Ces fragments de bracelets ont parcouru des millénaires,<br />

pour ressurgir aujourd’hui, seules preuves conservées<br />

d’un artisanat par lequel le plateau de Montalba se distingue...<br />

simplement parce que ces témoins ont pu sans<br />

grand dommage nous parvenir. On peut supposer que<br />

d’autres artisanats, sur des sites contemporains, pouvaient<br />

exister, la sparterie, la vannerie, le tissage ou l’élaboration<br />

d’objets en bois ou en os, utilitaires ou prestigieux. Ces<br />

productions, au même titre que celle des bracelets pourraient<br />

donc singulariser des sites, des groupes ou des familles,<br />

au sens large, « spécialisés » dans certains types de<br />

produits, selon la matière première se trouvant sur leur<br />

territoire. Mais ces artisanats en matériaux périssables ne<br />

laissent aucune trace...<br />

Deux autres aspects, plus techniques cette fois, pourraient<br />

conforter l’idée d’une production destinée aux<br />

échanges et éclaircir certains points.<br />

Les pièces liées à la production des bracelets sont au<br />

nombre de 214. Découvertes en prospections de surface,<br />

on peut estimer ce nombre comme minimal. Cet aspect<br />

quantitatif, dont le rapport avec le reste du mobilier est<br />

de toute façon proportionnel, n’est donc pas essentiel<br />

dans cette démonstration, la série étant homogène et<br />

nombreuse. Bien plus pénalisante nous paraît être pour<br />

cette approche l’incapacité de quantifier la part des<br />

bracelets « finis ». En simplifiant, les bris provenant de<br />

cette élaboration représentent 93 %, et donc le nombre<br />

de bracelets aboutis découverts 7 %. Il semblerait au<br />

premier abord, vu l’énorme part des « ratés », que cette<br />

production ne bénéficie pas d’un grand savoir faire, et<br />

ne soit guère performante. Nous ne le pensons pas, au<br />

vu du haut degré de régularité et de finition des fragments<br />

« finis », souvent très délicats. Ce schéma n’est<br />

donc pas si simple : il est certain que les déchets sont<br />

représentatifs de maladresses (« débutants », enfants ?),<br />

par contre les artefacts qui ont pu traverser toutes les<br />

étapes de la chaîne opératoire sans dommages, jusqu’à<br />

l’aboutissement, n’ont pas laissé de traces, car ces objets<br />

ne se trouvent plus sur les sites. La part des objets achevés<br />

avec succès est impossible à évaluer à partir des éléments<br />

à notre disposition (bris, techniques de fabrication),<br />

et elle ne saurait être quantifiée sans l’archéologie<br />

expérimentale. Il semble toutefois, et c’est une question<br />

de bons sens pour un minimum de « rentabilité », que<br />

la part des objets finis devait au moins atteindre le tiers<br />

de celle des « ratés ». Cette proposition donne une idée<br />

différente de la quantité de bracelets fabriqués et donc<br />

« exportés ».


L’occupation à l’âge du bronze<br />

117<br />

23 - Ensemble 1, le plus représentatif du schéma de l’occupation en pyramide, dont les zones basses, de pacage (et d’artisanat) sont installées en bordure d’un itinéraire.<br />

VII - Propositions sur l’organisation<br />

collective des sites et des ensembles<br />

L’ensemble 3, autour du point H, habitat de hauteur<br />

de type oppidum, occupe une place à part, tant réelle que<br />

figurée : cet ensemble, a priori contemporain des autres<br />

(cordons digités, décors « rustiqués » et anse à poucier),<br />

n’a pourtant livré que deux artefacts en chloritoschiste,<br />

de plus informes. Cette originalité ne peut être imputée<br />

à une économie différente de celle des autres ensembles,<br />

cet ensemble possédant pareillement des prairies humides<br />

(pacages), associées à une « mouillère », mais plutôt<br />

à sa situation géographique particulière sur le plateau.<br />

En effet, l’ensemble 3, situé à l’ouest sur les forts<br />

reliefs dominant le ruisseau encaissé du Tarerach, bien<br />

qu’établi à proximité d’une possible voie (secondaire) se<br />

dirigeant vers le sud, est à l’écart du centre du plateau<br />

de Montalba, plateau traversé par un important axe de<br />

communication naturel, orienté nord-ouest sud-est.<br />

Les secteurs de bas de pente (constituant les groupes<br />

3 des ensembles décrits), ont livré la majorité de la<br />

production en chloritoschiste (183 pièces). Ces derniers<br />

ont été mis en relation avec le pastoralisme (zones de<br />

pacage ou de stabulation), et ont surtout été interprétés<br />

comme « zones de fréquentation », ou de passage, du fait<br />

de la proximité de cet axe, qualifié d’ailleurs (encore ?)<br />

aujourd’hui de « vieil itinéraire pastoral », et sur lequel<br />

passe le chemin actuel.<br />

Sur le point 1005, de l’ensemble 1, groupe 3, particulièrement<br />

riche en mobiliers, à quelques mètres de ce chemin,<br />

se trouve un petit dolmen (ill. 23). Font écho à ces sites,<br />

plus de 1 500 m à l’ouest, hors zone brûlée, au-delà du<br />

ruisseau encaissé du Tarerach, les importants vestiges de<br />

même époque du Mas de Lluisannes (Abélanet 1987b),<br />

associés à deux dolmens, où J. Abélanet avait également<br />

découvert des artefacts en chloritoschiste, ébauches et<br />

bracelets (ill. 24).<br />

Il semblerait donc que la clef de la vie des sites du plateau<br />

consiste en pastoralisme, itinéraires pastoraux (indissociables<br />

des dolmens), et artisanat de bracelets, élaborés<br />

et probablement proposés, sur le plateau, le long de<br />

ces cheminements. Ce dernier volet pourrait s’accommoder<br />

tout à fait de réunions plus importantes, saisonnières,<br />

foires ou autres, notamment lors de mouvements ou de<br />

rassemblements liés à la transhumance.


118 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

24 - à l’ouest, au delà du point H et hors zone brûlée, le Mas de Lluisannes sur lequel se situent des vestiges<br />

contemporains ainsi que deux dolmens. Des gîtes de chloritoschiste se trouvent en bordure et en amont du<br />

ravin de la Figuerrassa.<br />

VIII - Itinéraires et résonances<br />

Le plateau de Montalba occupe une situation originale dans le paysage<br />

agro-pastoral des sociétés médiévales et modernes assurant la liaison entre<br />

la plaine du Roussillon et les pâturages d’altitude situés plus au nord ouest<br />

(cf. J.-P. Comps, chap. VII). « Cet axe potentiel de transhumance facile, encore<br />

marqué par les carrerades qui escaladent depuis Ille ou Rodès le plateau de<br />

Montalba, est aussi ponctué de nombreux monuments mégalithiques, menhir<br />

de la Peyre Drete, dolmens de Lieusanes, de Campoussy, du col de Tribes, de<br />

Cortal Fosset..., voire de rochers à cupules ou gravés comme celui des Quarante<br />

Croix (Abélanet 1990, 1992) » (cf. M. Calvet, chap. II : « Un espace charnière<br />

sur de vieux itinéraires pastoraux »). La chance nous est donnée de<br />

pouvoir attester, par la présence de ce segment d’itinéraire de plus de 3 km,<br />

balisé par les mobiliers et les dolmens, une telle fonction déjà en place aux<br />

âges du Bronze (ill. 25).<br />

Un problème subsiste cependant, celui de la diffusion des bracelets.<br />

En effet, ces derniers, que l’on peut considérer comme de bons traceurs,<br />

sont à ce jour totalement absents du paysage archéologique départemental,<br />

hormis trois artefacts trouvés à moindre distance, dans les environs<br />

de Montalba-le-Château, au nord-est, près de la chapelle. Les fragments<br />

de bracelets découverts dans notre département se résument à quatre ou<br />

cinq pièces et n’ont à notre connaissance (trois ont été découverts par nous<br />

même) aucun point commun avec les productions du plateau de Montalba,<br />

qu’il s’agisse de la matière première employée (autre que chloritoschiste),<br />

ou surtout de l’écart chronologique, certaines de ces découvertes s’inscrivant<br />

dans un contexte plus ancien (Néolithique).<br />

Plusieurs travaux archéologiques ont été menés sur des sites de la même<br />

période, tout proches, au nord de ces secteurs, comme la fouille de la Caune<br />

de Bélesta, ou les importants travaux de prospections, sondages et fouilles<br />

effectués dans le cadre de la construction du barrage sur l’Agly à Caramany.<br />

Complétant ces travaux, des prospections<br />

pédestres ont permis d’enregistrer près<br />

d’une dizaine de ces habitats de plein air,<br />

parfois importants (Caramany, Trilla,<br />

Trévillach, Felluns), dont une bonne part<br />

s’échelonne le long des crêtes dominant la<br />

vallée de l’Agly. Ces prospections, reprises<br />

tout récemment afin de vérifier ou non<br />

l’existence de cette production à l’époque<br />

méconnue, se sont avérées stériles, tout<br />

comme les précédentes fouilles : aucune<br />

trace de cet artisanat sous quelque forme<br />

que ce soit. On pourrait ainsi avancer que<br />

les zones au nord du plateau de Montalba,<br />

vers l’Agly et le Fenouillèdes, n’ont pas eu<br />

de contacts privilégiés avec ces sites, et que<br />

la présence de ces artefacts serait plutôt à<br />

rechercher vers le nord-ouest, dans l’axe<br />

proposé par ce travail, c’est-à-dire vers les<br />

lignes de crête se déroulant du plateau de<br />

Montalba jusqu’à Roque Jalère ou bien<br />

plus haut, vers le Conflent ou le Capcir,<br />

terres de transhumance. En l’état actuel de<br />

la recherche, seuls quelques fragments de<br />

bracelets sont connus, en Cerdagne et en<br />

Catalogne sud, mais ces parures, de même<br />

type, élaborées avec des techniques identiques,<br />

ont utilisé des matières premières<br />

différentes (lignite ou talc). Ils témoignent<br />

en fait d’un artisanat parallèle local, opportuniste,<br />

sans relation avec celui du plateau<br />

de Montalba. Il faut donc convenir que là<br />

encore, les productions de la « Montagne<br />

brûlée » sont totalement absentes. Sur le<br />

plateau de Montalba, cet artisanat nous<br />

est parvenu parce qu’il était extrêmement<br />

abondant, probablement bien plus important<br />

que celui que les collectes de surface<br />

nous ont permis de révéler. Serait-il envisageable,<br />

comme pour d’autres éléments<br />

de la culture matérielle, que suite à leur<br />

dispersion, aux processus de dégradation<br />

naturelle ou aux prélèvements réalisés par<br />

les hommes des siècles suivants, réduisant<br />

le stock de départ, ces industries ne puissent<br />

plus être retrouvées ailleurs ?


L’occupation à l’âge du bronze<br />

119<br />

Montalba<br />

Tarerach<br />

Le Planal<br />

Rav. de Bellagre<br />

Roc del Maure<br />

Mas d’en Colom<br />

Le Tarerach<br />

Lieusanes<br />

La Cougoulère<br />

0 1000m<br />

Gîtes de chloritoschiste<br />

Sites déjà connus<br />

Barrage de Vinça<br />

Rodès<br />

Lo Castello<br />

Vinça<br />

25 - Ensemble des vestiges du plateau de Rodès élargi. Propositions d’itinéraires liés au pastoralisme à l’âge du Bronze.


120 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

IX - Conclusions<br />

Les différentes données issues des prospections et de<br />

l’étude des vestiges du plateau de Montalba attestent<br />

d’une importante présence durant l’âge du Bronze, avec<br />

une forte prédominance au Bronze ancien, période en<br />

conséquence à l’origine de l’occupation durant cet âge.<br />

Cette occupation, qui couvre de grandes surfaces, tant<br />

sur les secteurs brûlés faisant l’objet de ce travail (150 ha),<br />

que sur les secteurs limitrophes où d’importants vestiges<br />

contemporains étaient déjà connus, est tout à fait inédite<br />

dans notre département. L’étude de la répartition spatiale<br />

de près de 50 concentrations, scindées en 3 grands ensembles<br />

distincts divisés en 3 groupes, a été menée sur<br />

la base d’une organisation hiérarchisée à partir de la topographie<br />

et de la géographie des lieux. Ainsi, au sommet<br />

se trouve l’habitat principal de hauteur (groupe 1) ;<br />

en situation médiane, des secteurs « secondaires », sans<br />

exclure l’habitat sous une autre forme, paraissent liés<br />

aux activités économiques (groupe 2) ; enfin la base est<br />

constituée par des versants peu prononcés, bien exposés<br />

au sud, aboutissant à de larges prairies humides, zones de<br />

pacages probables (groupe 3).<br />

L’élevage, en effet, et cette orientation est bien en accord<br />

avec les connaissances que nous avons de l’économie<br />

de ces périodes, semble être la principale ressource de ces<br />

populations, ce qui est ici tout à fait adéquat, ces paliers<br />

de moyenne <strong>montagne</strong> constitués par de larges plateaux,<br />

sur lesquels les pâtures et l’eau sont bien présentes, étant<br />

tout à fait propices à une activité agro-pastorale. De plus<br />

– est-ce un hasard ? – ces vestiges sont situés sur un itinéraire<br />

lié au pastoralisme, confirmé par la cartographie et<br />

la présence de dolmens. Le chemin actuel passe d’ailleurs<br />

encore sur cette voie.<br />

Contemporain de l’occupation, un important artisanat<br />

original de fabrication de bracelets en chloritoschistes à<br />

partir de matière première locale est attesté par près de<br />

250 pièces, décrivant la totalité de la chaîne opératoire,<br />

de la matière première brute à l’objet fini, finement lustré.<br />

Cette production opportuniste, à vocation sans doute<br />

commerciale, semble élaborée par les bergers lors de la<br />

garde des troupeaux, la grande majorité de ces objets, des<br />

rebuts de production, ayant été découverts en bordure<br />

des prairies.<br />

La diffusion de cet artisanat d’appoint pose problème.<br />

quasiment aucun de ces artefacts bien caractéristiques<br />

n’ayant été découvert sur les sites voisins, pas plus que sur<br />

d’autres zones, limitrophes ou plus éloignées comme le<br />

Conflent ou le Capcir, destinations privilégiées des éleveurs<br />

en période de transhumance (M. Calvet chap. II<br />

et M. Bernat-Gaubert chap. XVII) . Bien que de nombreuses<br />

contingences affectent cette étude, l’occupation<br />

du plateau de Montalba devient désormais un site de référence<br />

pour l’habitat et l’économie des âges du Bronze.<br />

Ces populations pourraient avoir initié des schémas empreints<br />

de connaissances et de bon sens, schémas qui se<br />

répèteront au Moyen Âge, pour ce qui est de la « pyramide<br />

féodale », sans parler des formes d’organisation sociale<br />

: château, ville basse et terres basses mises en culture,<br />

mais aussi, pour ce qui a trait à l’économie agro-pastorale<br />

et à son fonctionnement, des « itinéraires pastoraux »,<br />

attestés jusqu’à la période moderne, et semblant déjà mis<br />

en place près de trois millénaires avant.<br />

. Cet absence de bracelets en pierre dans les proches stratigraphies de l’âge<br />

du Bronze à Bélesta et à Montou (Corbères-les-Cabanes) est troublante. Et l’on<br />

ne trouve en effet que de très ambigus et rares signes de cet artisanat dans le<br />

contexte local. C’est le cas pour un tout petit anneau cranté de pierre verte<br />

trouvé dans le dolmen 1 du Serrat de les Fonts à Saint-Marsal par Jean Abélanet,<br />

dans un environnement de roches gravées protohistoriques des Aspres<br />

(J. Abélanet, Dolmens et rites funéraires en Roussillon et Pyrénées catalanes :<br />

itinéraires mégalithiques, AAPO éd., publication à paraître). Seul vestige trouvé<br />

dans la fouille du coffre, ce petit objet d’ornement – est une imitation en pierre<br />

des parures en bronze de la fin du second millénaire avant notre ère. Par<br />

ailleurs, Florent Mazière signale sur le site du Bronze final de Los Valls, à<br />

Camélas, toujours dans les Aspres, la présence « d’une rondelle en schiste<br />

sommairement dégrossie, portant, en son milieu, une sommaire perforation qui<br />

n’a pas été achevée ». (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007, notice 033, p. 268).<br />

Au Sud des Pyrénées, dans le bassin moyen de l’Èbre, en Aragon, d’importants<br />

habitats défensifs de hauteur de la fin du Bronze moyen (proto oppida), ont<br />

livré une production de bracelets en pierre, tel le site de Geno, prov. de Lleida<br />

(R. Iund, ce chapitre, annexe II). Une relation avec les sites du plateau de<br />

Montalba est cependant peu probable.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

121<br />

ø 14<br />

ø 32<br />

5 cm<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 1 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025-1 (Y. Blaize).


122 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

5 cm<br />

Ensemble 1, Groupe 1 - 1025-1 (Y. Blaize)<br />

5 cm<br />

Décor "rustiqué”<br />

Ensemble 1, Groupe 1 - 1025 S1<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 2 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S1.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

123<br />

5 cm<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 3 : Ensemble 1, groupe 1 – 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases du site de hauteur 1025).


124 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

5 cm<br />

Planche 4 - Ensemble 1, Groupe 1, 1025 S2, 3, 4, 5, 6 et 7 (bases 1025-S1)<br />

5 cm<br />

Décor "rustiqué"<br />

Planche 5- Ensemble 1, Groupe 2, point 1043<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planches 4-5 : Ensemble 1, groupe 1 (1025 S) et groupe 2 (1043).


L’occupation à l’âge du bronze<br />

125<br />

1002<br />

1005<br />

carène digitée<br />

5 cm<br />

décor “rustiqué”<br />

1006<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 6 : Ensemble 1, groupe 3. Points 1002, 1005 et 1006.


126 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

1042<br />

5 cm<br />

décor “rustiqué”<br />

1027<br />

Planche 7 - Ensemble 1, Groupe 3. Points 1042 et 1027<br />

W<br />

5 cm<br />

décor “rustiqué”<br />

Planche 8 - Ensemble 2, Groupe 1, point W<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planches 7 et 8 : Ensemble 1, groupe 3, et Ensemble 2 groupe 1, point W.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

127<br />

U<br />

5 cm<br />

Ensemble 2, Groupe 1, points U et V<br />

V<br />

1020<br />

5 cm<br />

1021<br />

Ensemble 2, Groupe 2, points 1020 et 1021<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 9 : Ensemble 2, groupe 1, points U et V, et groupe 2, points 1020 et 1021.


128 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

1022<br />

5 cm<br />

Ensemble 2, Groupe 2, point 1022<br />

1012<br />

1013<br />

1015<br />

carène digitée<br />

1030<br />

5 cm<br />

ø intérieur 45 mm (?)<br />

1031<br />

Ensemble 2, Groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 10 : Ensemble 2, groupe 2 (point 1022) et groupe 3, points 1012, 1013, 1015, 1030 et 1031.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

129<br />

H<br />

5 cm<br />

I - i<br />

K<br />

5 cm<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 11 : Ensemble 3, groupe 1 (H) et groupe 2 (I, K).


130 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

5 cm<br />

L<br />

J<br />

D<br />

G<br />

5 cm<br />

1036 (point isolé)<br />

bracelet ou anse ?<br />

1034<br />

5 cm<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 12 : Ensemble 3, groupe 2 (L et J) et groupe 3 (D, G et 1034).


L’occupation à l’âge du bronze<br />

131<br />

2500<br />

Total Ensemble 1, Groupe 1 (1025)<br />

2000<br />

1500<br />

1000<br />

500<br />

0<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

Panses<br />

Total tessons<br />

La céramique de l’ensemble 1, groupe 1, point 1025.


132 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

600<br />

Ensemble 1, Groupe 2 (1043,1026)<br />

500<br />

400<br />

300<br />

200<br />

100<br />

0<br />

1400<br />

Ensemble 1, Groupe 3 (1005, 1006…)<br />

1200<br />

1000<br />

800<br />

600<br />

500<br />

400<br />

200<br />

0<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

Panses<br />

Total tessons<br />

La céramique de l’ensemble 1, groupes 2 et 3.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

133<br />

4500<br />

4000<br />

Ensemble 1, total (4180 tessons)<br />

3500<br />

3000<br />

2500<br />

2000<br />

1500<br />

1000<br />

500<br />

0<br />

400<br />

350<br />

Ensemble 1, pourcentage sans les panses<br />

(sur 387 formes ou décors)<br />

Panses<br />

300<br />

250<br />

200<br />

150<br />

100<br />

50<br />

0<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

Formes ou décors<br />

Nombre<br />

tessons<br />

La céramique de l’ensemble 1 avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages.


134 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

1600<br />

1400<br />

Ensemble 2, groupe 1<br />

1200<br />

1000<br />

800<br />

600<br />

400<br />

200<br />

0<br />

1800<br />

1600<br />

Ensemble 2, groupe 2<br />

1400<br />

1200<br />

1000<br />

800<br />

600<br />

400<br />

200<br />

0<br />

1200<br />

1000<br />

Ensemble 2, groupe 3<br />

800<br />

600<br />

400<br />

200<br />

0<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

Panses<br />

Total tessons<br />

La céramique de l’ensemble 2, groupes 1, 2 et 3.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

135<br />

4500<br />

4000<br />

Ensemble 2, total (4269 tessons)<br />

3500<br />

3000<br />

2500<br />

2000<br />

1500<br />

1000<br />

500<br />

0<br />

250<br />

Panses<br />

Nombre<br />

tessons<br />

Ensemble 2, pourcentage sans panses (250 formes et décors)<br />

200<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

150<br />

100<br />

Formes ou décors<br />

50<br />

0<br />

La céramique de l’ensemble 2, avec ses 3 groupes, totaux et pourcentages.


136 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

250<br />

Ensemble 3, groupe 1<br />

200<br />

150<br />

100<br />

50<br />

0<br />

300<br />

Ensemble 3, groupe 2<br />

250<br />

200<br />

150<br />

100<br />

50<br />

0<br />

250<br />

Ensemble 3, groupe 3<br />

200<br />

150<br />

100<br />

50<br />

0<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

Panses<br />

Total tessons<br />

La céramique de l’ensemble 3, groupes 1, 2 et 3.


L’occupation à l’âge du bronze<br />

137<br />

300<br />

Points isolés, total (299 tessons)<br />

250<br />

200<br />

150<br />

100<br />

50<br />

0<br />

35<br />

Panses<br />

Nombre<br />

tessons<br />

30<br />

Points isolés, pourcentage des formes et décors (34 unités)<br />

25<br />

20<br />

15<br />

10<br />

5<br />

0<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

Formes ou décors<br />

La céramique des points isolés, totaux et pourcentages.


138 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

10000<br />

9000<br />

Total général (9460 tessons)<br />

8000<br />

7000<br />

6000<br />

5000<br />

4000<br />

3000<br />

2000<br />

1000<br />

0<br />

800<br />

700<br />

600<br />

500<br />

400<br />

300<br />

200<br />

100<br />

0<br />

Bord<br />

Bord aplani<br />

Bord digité/incisé<br />

Fond plat<br />

Cordon lisse<br />

Cordon cupulé<br />

Cordon incisé/estampé<br />

Cordons agençés<br />

Anse<br />

Anse à poucier<br />

Total général, formes et décors (777 unités)<br />

Téton<br />

Téton sous bord<br />

Téton double horizontal<br />

Languette<br />

Préhension indéterminée<br />

Carène môle<br />

Carène vive<br />

Décor incisé/estampé<br />

Décor rustiqué ("crépi")<br />

Formes ou décors Panses<br />

Total<br />

tessons<br />

Total général des céramiques du plateau de Montalba, tous points confondus.


Annexe I<br />

Bracelets et autres artefacts,<br />

aspects technologiques<br />

Alain Vignaud<br />

Cette annexe présente l’étude d’une production originale<br />

mise en évidence lors des prospections sur le plateau<br />

de Montalba, sur les sites occupés durant l’âge du<br />

Bronze. Cet artisanat, attesté par 245 individus, est élaboré<br />

à partir d’une roche locale : le chloritoschiste (voir<br />

infra : « les vestiges de l’âge du Bronze »). La série est<br />

composée par 214 fragments liés à la fabrication de bracelets,<br />

de 29 pièces nommées « disques perforés de petite<br />

taille », à la fonction énigmatique, et enfin de 2 artefacts<br />

dissemblables et inclassables.<br />

Aspects techniques, vocabulaire<br />

Afin de donner une description de la chaîne opératoire<br />

et des différentes pièces, quelques aspects sont à préciser,<br />

de même que la terminologie utilisée dans les fiches<br />

d’inventaires.<br />

Pour l’ébauche discoïde préformée (phase 1), la circonférence<br />

(la tranche) correspond donc également à la partie<br />

extérieure du futur bracelet (grand diamètre ou diamètre<br />

extérieur). Le petit diamètre ou diamètre intérieur<br />

du bracelet est déterminé par le creusement ou la dépose<br />

(enlèvement) du centre de l’ébauche (du bracelet) par différentes<br />

techniques que nous présentons par la suite.<br />

L’ébauche, à plat (et donc également le bracelet), présente<br />

deux faces : la face supérieure et la face inférieure.<br />

La première est le plus souvent concernée par le façonnage.<br />

La partie pleine à enlever à l’intérieur du bracelet<br />

(diamètre intérieur) y est dans un premier temps matérialisée<br />

par un « piquetage » linéaire, en pointillé, plus ou<br />

moins poussé. Cette première amorce, pas toujours vérifiée,<br />

est quelquefois également effectuée sur la face inférieure.<br />

À l’intérieur du cercle ainsi circonscrit (piqueté), la<br />

matière est enlevée, par différentes techniques (phase 2),<br />

jusqu’à obtention de l’anneau dégagé, présentant encore<br />

des excroissances résiduelles du façonnage, notamment<br />

sur la circonférence du diamètre intérieur (phase 3). Ces<br />

proéminences sont par la suite enlevées, par raclage ou<br />

abrasion, jusqu’à l’obtention d’un anneau plus ou moins<br />

régulier (phase 4), assez éloigné de l’aspect d’un bracelet<br />

« fini », bien poli et lustré (phase 6).<br />

La phase 5, qui n’apparaît pas ici, sera commentée par<br />

la suite.


140 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

I - Les bracelets<br />

Sauf quelques ébauches plus ou moins élaborées, la<br />

totalité des restes de cette production est fragmentée :<br />

aucune pièce entière n’a été découverte. Toutefois, les différents<br />

stades de la chaîne opératoire sont suffisamment<br />

documentés pour permettre son étude (voir inventaires<br />

et graphiques en annexe). Ainsi, de façon schématique,<br />

se distinguent des volumes bruts ou préformés, généralement<br />

discoïdes (ébauches), des disques ou anneaux à<br />

différents niveaux de façonnage (phases 2, 3 et 4), largement<br />

majoritaires, et enfin des bracelets aboutis, finis,<br />

mais brisés. Outre ces fragments d’artefacts bien identifiés,<br />

quelques débris, essentiellement des « chutes techniques<br />

» souvent informes, résultent de la préparation<br />

du plan de travail (débrutage et égrisage pour les lapidaires).<br />

I.1 - La matière première<br />

Les chloritoschistes à biotite employés pour la fabrication<br />

des bracelets et autres ustensiles sont globalement<br />

homogènes. Seules quelques petites variantes sont perceptibles,<br />

surtout dans l’aspect et la couleur, dues à la<br />

densité ou à la répartition des composantes de base du<br />

minéral et à son degré de schistosité et donc de dureté.<br />

Cette roche provient sans doute d’une même formation,<br />

d’un même horizon géologique et donc géographique.<br />

Ce matériau a été découvert en plusieurs points. Il est<br />

présent sous forme de galets supposés erratiques (en<br />

contrebas et au nord du point 1025) et d’affleurements<br />

ou de filons bien marqués. Ceux-ci ont été détectés au<br />

nord-ouest du plateau, en limite des vestiges, sur de petits<br />

reliefs collinaires érodés (gîte 1), et à l’ouest, hors<br />

zone brûlée, en contrebas du mas de Lieusannes, aux<br />

abords et en amont du Vallat de la Figerrassa (gîte 2,<br />

ill. 24, 25 du texte précédent). On peut penser, vue<br />

l’étendue du territoire, que d’autres gîtes de cette roche<br />

ont pu nous échapper lors des prospections pédestres,<br />

ces gisements pouvant s’avérer très discrets ou dans<br />

des secteurs difficiles d’accès. L’origine locale de cette<br />

matière première est bien confirmée, par la carte géologique<br />

du plateau de Montalba et par les analyses pétrographiques<br />

(cf. P. Giresse ci-dessous) « Les bracelets<br />

en micaschiste au sud de Montalba-le-Château-66 »)<br />

réalisées sur les artefacts et sur un échantillon de roches<br />

similaires, en place sur le site.<br />

1 - Affleurement d’un banc de chloritoschiste au nord-ouest du plateau.<br />

Pour ce travail, trois groupes principaux de chloritoschistes<br />

ont été reconnus, à partir de leur aspect et de leur<br />

couleur, suggérant une origine gîtologique différente ou<br />

variable. Ces groupes apparaissent dans les grilles des fiches<br />

d’inventaires.<br />

- Le groupe dit « standard », le plus courant, se caractérise<br />

par une roche gris verdâtre, incluant de toutes petites<br />

particules de biotite et de mica argenté. Assez homogène<br />

dans son aspect, ce minéral semble d’une bonne<br />

densité. Cette matière première proviendrait du Vallat<br />

de la Figuerrassa. Sa représentation, au sein des différents<br />

habitats ou zones de fréquentation, est également<br />

répartie.<br />

- Le groupe dit « à gros mica », se caractérise par une plus<br />

forte quantité de mica, argenté ou plus foncé, dont les particules<br />

sont aussi de format plus grand. La couleur verte,<br />

dominante, est également plus soutenue. Ils proviendraient<br />

du gîte 1, localisé au nord-ouest du point 1005,<br />

peu distant (ill. 1).<br />

- Le groupe des « chloritoschistes autres » est composé<br />

de roches plus grenues, moins homogènes, proches<br />

des gneiss. Leur coloration est plus claire, d’un beige<br />

parfois rosé (oxydes). Ce matériau peut être vacuolé<br />

(petites géodes), veiné ou parsemé de cristaux, essentiellement<br />

d’orthose (feldspath), blanchâtres et différemment<br />

altérés.<br />

- Un quatrième groupe pourrait être distingué, caractérisé<br />

par un chloritoschiste en plaquettes, peu épaisses<br />

et de couleur gris foncé. Il n’est représenté que par<br />

3 artefacts, tous 3 découverts sur le point 1016 proche<br />

de l’ensemble 2. Ce rapprochement, vu la faiblesse de<br />

l’échantillon, semble anecdotique. Une roche semblable<br />

se retrouve également sur le gîte 2.


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

141<br />

Ces variantes, peu importantes dans le cadre de ce travail,<br />

sont l’indice d’une morphogenèse ou micromorphologie<br />

différente, probablement très limitée, ne remettant<br />

nullement en cause l’origine locale de ces différentes matières<br />

premières.<br />

Au sein de ces groupes, les chloritoschistes « standard<br />

» sont de loin les plus représentés. Ils constituent<br />

près de 94 % de l’ensemble. On les retrouve dans tous<br />

les secteurs du plateau ayant fourni une telle industrie.<br />

Le groupe des « chloritoschistes autres », avec près de<br />

5 %, occupe la seconde position. Il semblerait que ce<br />

type de matériau soit mieux attesté sur l’ensemble 2,<br />

groupe 2 (points 1020, 1022). Les « chloritoschistes<br />

à gros mica » atteignent 1 %. On les trouve surtout<br />

dans l’ensemble 1, points 1025, et accessoirement 1005<br />

et 1006. Cette situation est assez logique, car ces zones<br />

ont fourni l’essentiel des séries, et d’autre part le gîte originel<br />

présumé est peu éloigné, à quelques centaines de<br />

mètres au nord-ouest. Malgré cette proximité, ce faible<br />

pourcentage pourrait s’expliquer par le fait que ce chloritoschiste,<br />

plus dense et compact, soit plus malaisé à<br />

façonner.<br />

1.2 - Les marques d’élaboration<br />

La très grande majorité des stigmates d’élaboration<br />

correspond à des enlèvements, à des négatifs laissés par<br />

des « outils » (ill. 2) et en phase finale à un traitement<br />

des surfaces ne laissant que peu de traces. D’autre part,<br />

l’exposition prolongée des pièces à l’air libre a, selon les<br />

cas, atténué ces marques, quelquefois visibles uniquement<br />

en lumière rasante. Cet inconvénient est accentué<br />

pour le groupe des « chloritoschistes autres », plus sensibles<br />

à l’érosion, mécanique ou chimique.<br />

- Les forts impacts, produisant des enlèvements de plusieurs<br />

centimètres, sont uniquement marginaux. Ils sont<br />

destinés à dégrossir ou préformer, par épannelage, la matière<br />

première brute.<br />

- Les négatifs larges sont des cupules d’environ 3,5 à<br />

5 mm de diamètre pour une profondeur variable, selon<br />

la puissance de l’impact, allant de 1 à 2,5 mm. Le négatif,<br />

à la base irrégulière, montre une couleur généralement<br />

plus claire, la roche ayant été déstructurée par le<br />

choc. Ces enlèvements, grossiers et non ordonnés, interviennent<br />

lors de la première phase de façonnage destinée<br />

à dégrossir le matériau. Ils sont localisés sur la face supérieure<br />

de l’ébauche et sur la tranche.<br />

- Les petits négatifs sont de même type que les précédents,<br />

mais correspondent à un travail plus fin et régulier,<br />

avec des marques plus réduites, surtout en diamètre,<br />

n’excédant pas 2 mm. Leur profondeur peut être identique<br />

ou même plus prononcée que celle des négatifs larges.<br />

Ces traces, affectant la totalité des surfaces, tranches<br />

comprises, dominent largement. On les retrouve sur les<br />

phases de façonnage 2 et 3.<br />

- Les sillons larges sont de courts enlèvements linéaires,<br />

de 4 à 5 mm de large pour 1,5 à 2,5 mm de profondeur.<br />

Leur longueur, variable, se situe entre 8 et 13 mm. Ces<br />

enlèvements, désordonnés, sont peu représentés, et,<br />

comme les négatifs larges, uniquement sur la face supérieure<br />

et sur la tranche de l’ébauche (phase 1). Ces sillons<br />

sont associés aux négatifs larges.<br />

- Les sillons étroits sont identiques aux précédents, mais<br />

moins larges (2 mm). Ils découlent d’un travail en oblique<br />

(de 45 o à 80 o d’inclinaison par rapport au plan de<br />

l’artefact), plus précis, notamment lors de la mise à plat<br />

des faces, et surtout de la destruction de la chute centrale,<br />

à l’intérieur du bracelet. Contre la tranche intérieure<br />

de ce dernier, ces sillons sont réguliers, parallèles et très<br />

rapprochés. Sur certains objets, le flanc d’attaque de la<br />

roche montre plusieurs lignes de ces négatifs, parfois différemment<br />

orientés, ou se recoupant en « tresses ».<br />

- Abrasion ou raclage ? La différence déjà peu évidente<br />

d’un point de vue sémantique, l’est encore moins à partir<br />

des marques. Ces dernières se présentent sous la forme<br />

de micro sillons ou rayures, entre ces rayures un « lustré<br />

» est le résultat du frottement répétitif d’un outil<br />

abrasif ou tranchant au fil irrégulier produisant stries<br />

ou lissages sur la surface raclée. Ces traces, parallèles ou<br />

d’orientation différente, que l’on peut retrouver à divers<br />

stades du façonnage, sont surtout représentées sur les<br />

tranches, qu’il s’agisse du grand diamètre (tranche extérieure<br />

de l’ébauche et donc du bracelet), ou tranche<br />

intérieure (petit diamètre). En fin de chaîne, ce travail<br />

peut aussi intervenir sur toute la surface du bracelet<br />

(phase 4).


142 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

1- Ébauche avec matérialisation de l'encombrement du bracelet<br />

Cette limite peut être exécutée sur une ou 2 faces<br />

selon le type de phase 2 projeté (voir ci-dessous)<br />

2- Dépose de la chute centrale 3- Dépose de la chute centrale<br />

par piquetage (sillons étroits) en alterne,<br />

par piquetage (sillons étroits) à partir<br />

à partir des 2 faces (”pointe centre”)<br />

de la face supérieure (”pointe base”)<br />

5 cm<br />

4- Destruction de la chute centrale<br />

par piquetage sub vertical (”petits négatifs”)<br />

puis par des “sillons étroits”, en oblique,<br />

en alterne à partir des 2 faces (”pointe centre”)<br />

5- Destruction de la chute centrale<br />

par piquetage sub vertical (”petits négatifs”)<br />

puis par des “sillons étroits”, en oblique,<br />

à partir de la face supérieure (”pointe base”)<br />

Grands ou petits négatifs<br />

Sillons larges ou étroits<br />

Dessins A. Vignaud<br />

2 - Dessins techniques schématisés des différentes mises en œuvre et des stigmates occasionnés par ces divers façonnages.


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

143<br />

- Polissages. Cette opération, en principe la dernière<br />

de la chaîne opératoire et donc intéressant les bracelets<br />

« finis », n’est pas non plus facile à observer. En effet, de<br />

nombreux facteurs viennent occulter cette ultime phase.<br />

Tout d’abord l’érosion naturelle, plutôt chimique, donne<br />

à l’objet resté longtemps à l’air libre une apparence et un<br />

toucher finement grenu, alors que ce dernier pouvait<br />

à l’origine être poli. De même, une abrasion fine ou un<br />

raclage soigné, peut donner aux surfaces un tel aspect.<br />

Enfin, si l’on considère que la parure a été portée, parfois<br />

sur une longue période, cet usage, peut être à l’origine<br />

d’un lustré très proche d’un polissage artificiel.<br />

Ces diverses marques de travail sont logiques et cohérentes<br />

dans la place qu’elles occupent au sein de la chaîne<br />

opératoire : les forts impacts, négatifs ou sillons concernent<br />

principalement les premières phases de taille pouvant<br />

s’accommoder d’un travail assez grossier ; les petits<br />

négatifs et les sillons étroits sont liés au travail plus fin<br />

caractérisant les derniers stades du façonnage ; les raclages<br />

ou abrasions interviennent en fin d’élaboration. Ces<br />

étapes sont globalement respectées, mais il faut noter<br />

quelques discordances.<br />

1.3 - Ébauches et préliminaires<br />

Le bloc de chloritoschiste retenu pour l’élaboration du<br />

bracelet se présente sous différentes formes. Il peut s’agir<br />

de rares « galets » sphéroïdes ou discoïdes aux surfaces<br />

naturelles plus ou moins irrégulières, ou d’un matériau<br />

prélevé sur les affleurements (extrait ?) ou ramassé à<br />

proximité immédiate (bris par cryoclastie ou autre processus<br />

érosif ). Dans ce cas les blocs ont généralement des<br />

surfaces plus uniformes et un plan presque rectangulaire.<br />

Le chloritoschiste en fines plaquettes occupe dans cet<br />

éventail une place à part.<br />

Le bloc réservé doit répondre à un critère : la roche métamorphique<br />

offrant un débit en feuillets, soit des plans<br />

de schistosité parallèles, il est primordial, pour un façonnage<br />

correct limitant le bris lors de la mise en œuvre, de<br />

sélectionner un volume dont les plans de clivage sont horizontaux,<br />

parallèles aux faces supérieures et inférieures,<br />

et donc au futur bracelet (180 o ). Cette règle est respectée<br />

sur 85 % de la production, on note cependant quelques<br />

ébauches dont les plans de clivage sont en oblique à 45 o<br />

(13,5 %), et de très rares cas (1,5 %), où les plans sont<br />

perpendiculaires aux faces (90 o ). Quelques blocs ont subi<br />

un traitement « économique » : lorsque le nodule de base<br />

était particulièrement épais, ce dernier, posé de chant, a<br />

été dédoublé par de forts impacts médians, dans l’axe du<br />

clivage, afin de détacher deux parties sensiblement égales,<br />

permettant de façonner deux bracelets au lieu d’un.<br />

Après le choix du bloc, il convient de préformer l’ébauche<br />

dans le but d’obtenir une pièce régulière, dans son<br />

plan (circulaire) et dans son épaisseur, pour des dimensions<br />

proches de celles du futur bracelet. Plusieurs travaux<br />

de mise en forme sont nécessaires pour cela, plus<br />

ou moins soignés et aboutis selon la dextérité de l’artisan.<br />

En effet, sur bon nombre d’objets, cette chaîne opératoire<br />

« idéale » est loin d’être respectée, certaines transformations<br />

assez avancées (phase 2 ou 3), intervenant sur des<br />

ébauches grossières, généralement en « chloritoschistes<br />

autres ». Ce protocole simplifié pourrait traduire un<br />

manque de savoir faire de l’artisan. Il est cependant difficile<br />

d’en juger, à ce stade, seul l’objet fini pouvant faire<br />

référence.<br />

L’un des tout premiers façonnages débutant la fabrication,<br />

lorsque l’ébauche le requiert, se traduit par l’épannelage<br />

du bloc : il est rogné par de fortes percussions<br />

directes causant d’importants enlèvements marginaux,<br />

destinés à lui donner une forme circulaire (planche 1,<br />

n o 1 ; ill. 3).<br />

3 - Matière première, brute ou mise en forme à des degrés divers par différentes<br />

techniques (phase 1).


144 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

5 - Débuts de phase 2 de l’élaboration de l’artefact (piquetage central ou périphérique).<br />

4 - Ébauches « accomplies », avant les premières phases de façonnage du bracelet<br />

proprement dit (phases 2 et 3).<br />

Par la suite, les faces supérieures et inférieures n’étant<br />

pas obligatoirement régulières et parallèles (surtout<br />

pour les « galets »), on procède à une mise à plat de ces<br />

dernières, par la suppression des reliefs, de la matière<br />

excédentaire. Ce travail, au vu des stigmates de façonnage<br />

très variés, peut être mené selon diverses techniques<br />

et outils, sous différents angles d’attaque. Les traces les<br />

plus sûres de cette étape sont les petits négatifs (78 %),<br />

ou, en cas de masse plus importante à détruire (parfois<br />

plus de 2 cm d’épaisseur/hauteur), les sillons étroits,<br />

obliques ou presque verticaux, plus ou moins rapprochés<br />

selon la densité ou la qualité de la matière première<br />

(planche 1 n o 57).<br />

Les deux faces à présent planes et parallèles, le travail<br />

s’attache essentiellement à la mise en forme de la tranche<br />

(diamètre extérieur), plus ou moins poussée (planche 1,<br />

n os 55, 67 et 12 et ill. 4 et 5). Trois types de façonnages<br />

sont attestés, en pourcentages sensiblement égaux : les<br />

tranches grossièrement apprêtées, les tranches régulières<br />

verticales, orthogonales aux plans, et enfin une troisième<br />

variante qui semble procéder d’un bon niveau technique<br />

ou en tous cas d’un soin particulier, consistant à arrondir<br />

cette partie en arc de cercle, préfigurant déjà à ce stade le<br />

profil extérieur du bracelet « fini ». Les trois types portent<br />

les marques d’enlèvements « classiques » (grands négatifs<br />

et sillons – petits négatifs et sillons), mais un nouveau type<br />

de façonnage (et donc d’outil) intervient à ce stade, pour<br />

les deux dernières variantes : l’abrasion ou le raclage.<br />

I.4 - Taille et façonnage<br />

Une fois l’ébauche terminée, le façonnage du bracelet<br />

proprement dit débute. Il faut pour cela et dans un premier<br />

temps, estimer la largeur de ce dernier et donc le<br />

diamètre de la partie centrale à enlever (diamètre intérieur<br />

du bracelet). Quelle que soit la technique employée<br />

pour cette opération, et nous en avons retenu deux, il<br />

n’est pas rare d’observer sur certaines ébauches un piquetage<br />

linéaire circulaire, plus ou moins régulier, destiné à<br />

matérialiser cette limite. Ce tracé préliminaire peut être<br />

effectué sur la face supérieure ou sur les deux faces, selon<br />

le protocole envisagé pour la suite (ill. 2 n o 1, planche 1,<br />

n o 12). Ce tracé attribue au bracelet une largeur (épaisseur)<br />

plus importante que celle qu’aura l’objet fini (plus<br />

de la moitié), ce qui est logique, une trop grande minceur<br />

à ce stade d’élaboration assez « incisif », fragiliserait l’objet,<br />

et d’autre part plusieurs autres phases de façonnage et<br />

de finition doivent encore intervenir.<br />

Deux techniques ont été distinguées pour la suppression<br />

de la partie centrale. Au sein de chacune de ces<br />

techniques, deux types d’aboutissement sont également<br />

reconnus. L’un consiste en la dépose de ce noyau, dont<br />

le résultat est un petit disque correspondant à la « chute<br />

centrale ». L’autre a pour objectif la destruction totale de<br />

cette partie. Ce dernier façonnage est très majoritaire.


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

145<br />

type de façonnage est dans l’ensemble peu soigné, allant<br />

généralement de pair avec une ébauche et une mise en<br />

forme assez grossière. Encore une fois, cela ne permet<br />

pas d’augurer de l’aspect du bracelet fini, ce dernier, malgré<br />

ces prémices défavorables, ayant pu s’avérer de bonne<br />

facture. Le seul commentaire que nous pouvons avancer<br />

est que ce travail intervient surtout sur les objets en<br />

« chloritoschistes autres », matière première de moins<br />

bonne qualité.<br />

6 - Technique de dépose de la chute centrale par piquetage du diamètre intérieur du<br />

bracelet. Chute centrale dégagée, au centre et à droite.<br />

La dépose de la chute centrale utilise deux procédés :<br />

- Accentuation du piquetage initial linéaire, délimitant la<br />

chute, à partir de la face supérieure mais aussi inférieure.<br />

Ce travail, prenant de plus en plus d’ampleur (de largeur)<br />

avec l’avancement, est exécuté en alternance, d’un côté puis<br />

de l’autre. Les marques produites par cette opération peuvent<br />

être de larges négatifs (sur des artefacts assez grossiers),<br />

ou des négatifs plus réduits, révélateurs d’un travail<br />

plus minutieux. Les deux sont parfois associés. Lorsque ces<br />

deux creusements se rejoignent, au centre de l’épaisseur de<br />

l’ébauche, la chute centrale est dégagée (planche 2, n o 113).<br />

Ce procédé est identifiable par la présence résiduelle d’un<br />

petit bec, visible au centre de la tranche intérieure (point<br />

de jonction du travail alterne) du futur bracelet, sur toute<br />

sa circonférence intérieure (« pointe centrale » de la terminologie<br />

utilisée pour l’inventaire, cf. ill. 2, n o 2 ; planche 1,<br />

n o 67 et 12 ; planche 2, n o 31 ; ill. 4).<br />

- Un autre procédé, pour ce même type de façonnage,<br />

utilise la même technique et probablement les mêmes<br />

outils, mais l’artisan exécute cette dépose uniquement à<br />

partir de la face supérieure de l’ébauche. Le résultat, lorsque<br />

l’anneau est dégagé, est également la présence d’un<br />

bec résiduel, mais situé cette fois à la base de l’anneau<br />

(« pointe base », cf. ill. 2, n o 3 ; planche 2, n o 118). Ce<br />

- La destruction de la partie centrale constitue le second<br />

type de façonnage mis en évidence, généralement sur des<br />

ébauches soignées en « chloritoschiste standard ». Cette<br />

technique est différente de la première : ici, ce noyau est<br />

totalement abattu, désintégré. Ce façonnage produit de<br />

minces et profonds sillons, parallèles ou imbriqués.<br />

Cette « destruction » débute généralement au centre<br />

de l’artefact pour devenir de plus en plus serrée et précise<br />

à l’approche de la tranche intérieure du bracelet, ce qui est<br />

tout à fait logique.<br />

Ce travail peut aussi être effectué conjointement sur<br />

les deux faces, avec jonction au centre de l’épaisseur de<br />

l’ébauche, de la partie intérieure du bracelet, dégageant<br />

à cet endroit et sur toute la circonférence, tout comme<br />

pour la technique précédente, un petit bec, une excroissance<br />

caractéristique (« pointe centrale ») (ill. 2, n o 4 ;<br />

planche 1 n o 67 ; planche 2 n os 68, 69 et 16).<br />

La destruction de la partie centrale à partir d’une unique<br />

face est bien attestée, surtout sur les ébauches soigneusement<br />

préformées. Le piquetage initial destiné à<br />

délimiter la partie à enlever, n’est effectué que sur la face<br />

sélectionnée (face supérieure). À l’opposé, la face inférieure<br />

est bien plane, soit naturellement, soit suite à un apprêt<br />

par petits impacts, effectués dans le cadre de l’aménagement<br />

initial de l’ébauche. Aucun travail ne sera mené sur<br />

cette face, sauf dans de très rares cas où un léger piquetage<br />

circulaire délimite la ligne du futur bris (voir « outils<br />

et gestes »). Les stigmates d’élaboration sont similaires<br />

à ceux induits par la technique précédente : de minces<br />

sillons rapprochés, réguliers et profonds. La fabrication<br />

est donc totalement identique, si ce n’est qu’elle s’attaque<br />

à une seule face. Il en résulte sur toute la circonférence un<br />

petit bec, cette fois à la base de la pièce (« pointe base »,<br />

cf. ill. 2, n o 5 ; planche 2 n o 208, 6, 75 et 109 ; ill. 7).


146 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

7 - Destruction totale de la partie centrale de l’artefact, à partir de la face supérieure<br />

(négatifs divers et sillons étroits verticaux contre la tranche intérieure de la parure).<br />

I.5 - L’objet presque abouti et les finitions<br />

Suite à ces opérations de façonnage, l’artefact se présente<br />

sous la forme d’un anneau plus ou moins grossier<br />

(ill. 8). Il est nécessaire d’affiner le travail, par différentes<br />

interventions de raclage ou d’abrasion.<br />

En premier lieu, et cela a été constaté sur tous les objets<br />

à ce stade (phase 3), c’est la tranche intérieure du bracelet<br />

qui est concernée. Celle-ci, et quelle qu’ait été la technique<br />

d’alésage employée, conserve, sur toute la circonférence,<br />

une excroissance résiduelle (« pointe centre » ou<br />

« pointe base ») qu’il convient de supprimer. Ce travail<br />

génère deux types de traces, peut-être produites par le<br />

même outil. Ce sont des rayures, plus ou moins marquées<br />

(profondes), parallèles ou non selon le sens du travail et<br />

la largeur de l’outil. À ces minuscules sillons est associé<br />

un aspect vaguement glacé, lustré.<br />

La tranche intérieure du bracelet étant façonnée, restent<br />

la tranche extérieure et éventuellement les deux faces<br />

selon le profil souhaité pour la parure (profil rectangulaire<br />

ou carré). Il est certain que la même méthode et donc<br />

le ou les mêmes outils ont été utilisés pour ce travail, les<br />

marques présentes sur la circonférence extérieure consistent<br />

en de longues rayures, parallèles aux faces, ainsi qu’en<br />

un aspect « érodé » assez important.<br />

À ce stade (phase 4 – ill. 9) le bracelet présente un aspect<br />

et des dimensions bien éloignés de ceux attestés sur<br />

les fragments aboutis (phase 6 – ill. 10 et 11), séquence<br />

immédiatement consécutive à la précédente d’après les<br />

artefacts découverts sur les sites. Il faudrait donc envisager<br />

l’existence d’une phase intermédiaire (phase 5) pour<br />

laquelle nous n’avons aucune référence.<br />

8 - L’anneau est totalement dégagé (phase 3), et porte encore, dans sa tranche intérieure,<br />

les résidus du précédent façonnage (« pointe base » ou « pointe centre »).<br />

9 - Phase 4. L’artefact, débarrassé des résidus de la chute centrale montre des surfaces<br />

plus affinées. On peut observer, principalement sur la tranche intérieure, les stries<br />

occasionnées par l’abrasion.<br />

Ce problème est plus amplement développé dans le<br />

paragraphe : « Aspects technologiques et morphométriques<br />

».


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

147<br />

10 - Fragments de bracelets finis, polis et lustrés, n’ayant aucun point commun avec<br />

les individus de la phase 4 présumée précédente.<br />

II - Les autres ustensiles<br />

II.1 - Les disques perforés de petit diamètre<br />

Vingt-neuf artefacts en pierre, autres que des bracelets,<br />

et donc la fonction n’est pas établie (planches 5<br />

et 6, ill. 12) ont été collectés. La très grande majorité<br />

(plus de 98 %) est discoïde, de petit diamètre. Le centre<br />

a été perforé. Comme pour les bracelets, hors quelques<br />

ébauches au tout premier stade, aucun de ces objets<br />

n’est entier. Il s’agit de fragments ne dépassant pas la<br />

moitié d’un disque. Ces objets sont similaires en nature<br />

(disque perforé) par contre ils sont loin de l’être dans la<br />

forme et les dimensions. La matière première utilisée<br />

pour ces ustensiles est identique à celle des bracelets,<br />

avec cependant l’emploi (rare) de quelques minéraux<br />

inédits. Il s’agit d’un chloritoschiste (probable), très riche<br />

en gros cristaux de quartz, mais aussi d’un quartz<br />

opaque, légèrement jaunâtre. L’utilisation de cette dernière<br />

roche (un seul exemplaire sur galet originellement<br />

érodé) est assez surprenante lorsqu’on connaît sa dureté<br />

(planche 6, n o 19).<br />

Pour ce qui est de l’ébauche, son choix et son apprêt,<br />

quelques interrogations subsistent. En effet, les dimensions<br />

reconnues pour ces objets se situent dans une<br />

large fourchette allant de 2,8 cm à 7 cm de diamètre<br />

extérieur, pour une épaisseur de 0,8 cm à 2,5 cm. Pour<br />

documenter ce premier stade, nous avons à disposition<br />

quelques pièces, légèrement différentes : un seul galet<br />

11 - Autres fragments de bracelets finis, polis et lustrés.<br />

12 - Fragments d’objets perforés de petit diamètre, à la fonction énigmatique.<br />

de forme à peu près sphérique portant au centre de<br />

nombreux piquetages, des fragments circulaires plats,<br />

ou des artefacts grossièrement discoïdes. Certains<br />

de ces nodules, éventuellement bruts ou apprêtés par<br />

épannelage, raclage ou abrasion (notamment de la tranche)<br />

constituent une matière première « propre », uniquement<br />

conçue, prélevée et sélectionnée pour ces objets.<br />

Par ailleurs une autre partie, environ la moitié de la<br />

production, provient de la récupération d’artefacts déjà<br />

à disposition, générés par l’élaboration des bracelets.


148 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

Il peut donc s’agir soit de chutes occasionnées par la mise<br />

en forme de l’ébauche (notamment en cas de dédoublement),<br />

soit des bris résultant des premières phases de travail<br />

où la matière conserve encore un important volume,<br />

soit de la chute centrale du bracelet produite par la technique<br />

particulière décrite précédemment. Le diamètre,<br />

l’épaisseur, et quelquefois de vagues traces d’un précédent<br />

façonnage en témoignent.<br />

Cette ébauche étant plus ou moins préformée, l’opération<br />

consécutive, essentielle pour cette pièce, est la perforation<br />

du nodule, à peu près en son centre. Ces orifices ont des diamètres<br />

très divers, allant de 3 mm à 3 cm, la taille de la perforation<br />

n’étant pas en proportion avec celle de l’objet, pas<br />

plus que le diamètre de la pièce ne l’est avec son épaisseur.<br />

Comme pour les bracelets, deux techniques ont été<br />

utilisées pour la perforation. La première, la percussion<br />

directe ou indirecte, est illustrée par des bases de négatifs<br />

(« érodés ») grands ou petits. Ces marques, visibles sur les<br />

deux faces, traduisent donc un travail alterne, mené à partir<br />

de chacun des deux plans, ce qui est tout à fait logique.<br />

La seconde technique, qui ne présente pas de négatifs, si<br />

ce n’est de très rares et minuscules sillons, semble avoir été<br />

menée à l’aide d’un « perçoir » utilisé en vrille. On peut<br />

supposer que ce façonnage a été effectué par courtes rotations,<br />

probablement manuelles, et comme pour la précédente<br />

technique, de part et d’autre de l’objet, avec jonction<br />

centrale. Cette technique laisse sur l’objet une perforation<br />

biconique (troncs de cônes affrontés par leurs sommets<br />

au centre de l’épaisseur de la pièce), dont les parois, très<br />

lisses, en « entonnoir », sont plus ou moins évasées selon<br />

la taille et le profil du « taraud », parfois très large, pouvant<br />

occasionner un angle inférieur à 45 o par rapport aux<br />

plans. Ce procédé s’accompagne d’un aspect « lustré », qui<br />

paraît normal, mais qui pose toutefois un problème : on<br />

ne peut distinguer si ce « polissage » est dû au façonnage,<br />

ou à l’utilisation répétitive de l’objet a posteriori (« lustré »<br />

occasionné par des frottements). Dans ce cas, la partie<br />

« utile » de la pièce se résumerait à la perforation : le reste<br />

de l’objet, les faces et surtout la tranche extérieure, étant<br />

quasiment bruts, sans traces d’usure visible.<br />

La plupart des artefacts témoignent d’une perforation<br />

« biconique », exécutée conjointement à partir des deux<br />

faces (« pointe centrale » de l’inventaire), mais il existe<br />

aussi, comme pour les bracelets, un autre procédé de fabrication,<br />

c’est-à-dire un travail effectué principalement<br />

à partir d’une face (« pointe base » de l’inventaire). Par<br />

ailleurs, plusieurs artefacts montrent aussi des techniques<br />

de perforation mixtes, façonnage sur une face par percussion,<br />

et sur l’autre face par « taraudage ». Il est possible que<br />

cette situation soit tout simplement due au type d’outils à<br />

disposition (planches 5 et 6).<br />

II.2 - Les objets indéterminés<br />

La documentation pour ce type d’objets est faible, se résumant<br />

à trois exemplaires. Rien ne s’oppose néanmoins à<br />

ce que dans le stock d’objets plus ou moins manufacturés<br />

découverts, d’autres individus puissent entrer dans cette<br />

catégorie, notamment ceux pour lesquels le stade d’élaboration<br />

est trop sommaire pour autoriser une identification<br />

correcte. On peut ainsi supposer qu’à l’origine cette production<br />

était plus étoffée.<br />

Ces trois pièces (est-ce un hasard ?) sont sur des chloritoschistes<br />

en plaquettes, peu épaisses, de plan sub-rectangulaire<br />

(présence d’angles « droits »).<br />

Les plus facilement identifiables sont deux fragments<br />

d’objet, dont l’aspect et la technique de fabrication utilisée<br />

évoquent ceux des bracelets. Le premier (planche 6 n o 25)<br />

pourrait être une ébauche élaborée avec une technique<br />

inédite (seule la partie centrale de l’artefact est façonnée, à<br />

l’exclusion de la tranche extérieure). Le second (planche 6<br />

n o 27) semble également être l’ébauche bien dégrossie d’un<br />

mince anneau (7 mm de section), partiellement dégagé en<br />

haut-relief, sur la circonférence d’un fragment dont l’épaisseur<br />

maximale est de 11 mm. Le segment de cercle du<br />

possible anneau projeté, s’il s’agissait bien de cela, est aussi<br />

inattendu : son diamètre est supérieur à 12 cm.<br />

Le troisième artefact, plus énigmatique, est une plaquette<br />

de forme trapézoïdale à hauteur importante, et dont le<br />

sommet (petite base) est absent (planche 6 n o 26). La base<br />

opposée (grande base) offre un profil hémisphérique aménagé<br />

par abrasion - raclage. Les deux angles situés de part<br />

et d’autre de cette base ont été abattus, par percussion. Les<br />

négatifs des impacts à l’origine de ces bris assez réguliers<br />

sont nettement visibles. Il semblerait que ces derniers, légèrement<br />

conchoïdaux, aient été produits par des percussions<br />

indirectes.<br />

II.3 - D’hypothétiques fonctions...<br />

Les « disques perforés de petit diamètre », bien que<br />

très différents dans leur forme, sont semblables dans le<br />

fond : un volume, grossièrement discoïde, de petite taille<br />

(par rapport aux bracelets), dont seule la perforation cen-


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

149<br />

trale, essentielle pour sa fonction, semble avoir fait l’objet<br />

d’un soin relatif, sans atteindre pour autant une finition<br />

soignée, comme on le voit sur les parures. Des traces<br />

d’usure, plus accentuées sur les parois de la perforation,<br />

sont suspectées. Ces dernières sont peu prononcées et<br />

n’attestent pas de frottements appuyés répétitifs, actions<br />

qui procureraient à l’objet un certain lustré, notamment<br />

sur les parties proéminentes, les faces et surtout la tranche<br />

extérieure.<br />

La relative abondance de ces artefacts semble être l’indice<br />

d’un objet « commun », ou en tous cas suffisamment<br />

reproduit et donc utilisé pour avoir sa place dans<br />

l’éventail ordinaire des éléments de la culture matérielle<br />

conservés. Leur fonction reste totalement énigmatique,<br />

les nombreuses pistes prospectées s’avérant incertaines.<br />

Dans un contexte d’éleveurs, probablement d’ovi-caprins,<br />

on pense au travail de la laine : ces objets pourraient<br />

correspondre à des fusaïoles utilisées pour le filage,<br />

ou à des poids de métier à tisser verticaux. La documentation<br />

et la littérature scientifique ne donnent cependant<br />

aucun exemple de ce type d’ustensile à ces périodes : les<br />

fusaïoles identifiées comme telles sont surtout en terre<br />

cuite (nous en avons deux fragments sur la zone), et les<br />

poids en pierre des métiers à tisser sont en principe plus<br />

lourds que les spécimens étudiés ici et plus ou moins normalisés.<br />

D’autres voies explorées ne sont pas plus satisfaisantes,<br />

essentiellement du fait que ces ustensiles ne présentent<br />

pas de lustré ou d’érosion latérale. Ainsi sont évoqués<br />

les « poids » de « bolas », utilisées par les bergers pour<br />

la garde des troupeaux ou éventuellement comme arme ;<br />

les poids de filets de pêche ou de chasse ; ou aussi, ce qui<br />

est assez séduisant, une pièce technique de fermeture,<br />

d’entrave ou de maintien, associée à un ou plusieurs liens,<br />

libres, fixes, ou coulissant en boucle dans la perforation<br />

centrale, couplés à un « arrêt » en bois ou autre, (licous,<br />

guides, lassos ?).<br />

En ce qui concerne les trois autres « ébauches » sur<br />

plaquettes, aucune interprétation rationnelle ne peut être<br />

avancée. La seule remarque, pour le segment d’un possible<br />

anneau, c’est que ce dernier a un diamètre bien trop<br />

grand pour un bracelet (12 cm), et que d’autre part, d’un<br />

point de vue technique, le dégagement de « l’objet » de sa<br />

matrice s’avèrerait impossible, justement en référence à ce<br />

grand diamètre, et en parallèle à sa finesse (7 mm). Pour<br />

ce qui est de la pièce trapézoïdale, sa forme évoque vaguement<br />

un fer de lance dont la pointe serait « coupée ». Il<br />

est évident que la comparaison s’arrête là, la matière première<br />

utilisée étant incompatible, à moins qu’il ne s’agisse<br />

d’un jouet ou d’un objet rituel...<br />

II.4 - Les objets en terre cuite<br />

Ce petit paragraphe ne concerne que deux artefacts,<br />

éventuellement trois, dont la particularité, est d’être en<br />

terre cuite. Il s’agit de fragments circulaires n’excédant<br />

pas le tiers de la circonférence projetée, si l’on admet que<br />

ces objets de type anneaux étaient circulaires, ce qui n’est<br />

pas sûr. Ces objets, très réguliers, pourraient tout aussi<br />

bien être des fragments de bracelet que des fragments<br />

d’anses en boudin, ou même de pieds de vases polypodes,<br />

bien attestés à l’âge du Bronze. D’ailleurs la série céramique<br />

montre une grande variété de fragments présumés<br />

d’anses, parfois très fins et à la finition très poussée. Rien<br />

ne s’oppose à ce que ces pièces soient des fragments de<br />

bracelets en terre cuite (voir planches 1 à 12 de la contribution<br />

de l’âge du Bronze).<br />

II.5 - Une présence métallique...<br />

Un fragment de moule de fusion, de bronze probablement,<br />

a été découvert dans l’ensemble 1, au point 1025.<br />

Il est ménagé dans un bloc de chloritoschiste, d’aspect et<br />

de couleur différents de ceux utilisés pour les objets (différence<br />

due à de fortes températures ?). Cet objet, dans<br />

cette petite étude, pourrait être estimé hors sujet, si ce<br />

n’est qu’il montre un négatif (hémi-négatif ) dont les dimensions<br />

et le profil, sont les mêmes que ceux d’un bracelet<br />

« fini » en pierre, ce qui est remarquable.<br />

Si la fabrication<br />

de bracelets de terre<br />

cuite et de métal était<br />

confirmée, cela donnerait<br />

à penser que les<br />

populations du plateau<br />

de Rodès étaient spécialisées<br />

dans la production<br />

de cette parure<br />

(planche 6 n o 28 ;<br />

ill. 13).<br />

13 - Fragment de moule de fondeur, de bronze<br />

probable, dont le négatif est similaire au profil<br />

des bracelets finis en chloritoschiste.


150 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

III - Les outils et les gestes<br />

III.1 - Éventail de l’outillage à disposition<br />

L’artisanat en chloritoschiste est bien documenté par<br />

les découvertes. En contrepartie, malgré des prospections<br />

attentives, les outils utilisés pour ces différents façonnages<br />

sont peu représentés.<br />

Quelques rapprochements peuvent être faits, mais<br />

nous n’avons aucune certitude que ces « outils » aient été<br />

conçus ou employés pour ce travail. Pour une production<br />

de ce type, particulière, spécialisée, on pouvait espérer<br />

mettre en évidence un type d’outil particulier, or il n’en<br />

est rien, soit que ces outils n’existent pas, soit que nous<br />

n’en ayons trouvé aucun. L’éventail de l’outillage associé à<br />

ces objets reste donc banal et peu fourni, similaire à celui<br />

que l’on trouve habituellement sur ce genre de sites, pour<br />

des occupations de l’âge du Bronze, époque pauvre en micro<br />

outillage lithique, notamment durant la phase la plus<br />

récente (Bronze final).<br />

- Le silex (contemporain ?) est rare, se résumant à une<br />

dizaine d’éclats souvent atypiques. Certaines typologies<br />

sont en outre à exclure d’emblée pour cette utilisation<br />

(pointe de flèche).<br />

- Les roches dures autres (hématites, jaspes, radiolarites...)<br />

sont mieux représentées, mais comme pour les<br />

précédents, la typologie est peu affirmée, les « outils »<br />

dominants étant des « grattoirs » ou assimilés (retouches<br />

marginales partielles).<br />

- Le quartz est de très loin le matériau le plus abondant.<br />

On le trouve dans toute cette zone, sous diverses formes :<br />

erratique, en filons, ou en inclusions sous forme de nodules<br />

ou de veines, dans la roche en place ou au sein d’énormes<br />

blocs. Les marques d’aménagement ou d’usage sur ce<br />

matériau utilisé depuis toujours par l’homme sont quelquefois<br />

discutables, cependant, il est certain qu’un bon<br />

nombre de ces pièces a été utilisé, dont probablement une<br />

partie pour l’élaboration des artefacts en chloritoschiste.<br />

Ces outils potentiels, préparés et utilisés avec compétence,<br />

pourraient s’avérer satisfaisants pour ce travail et<br />

expliquer une bonne partie des enlèvements observés sur<br />

les artefacts.<br />

- Indépendamment de ces outils « à percussion » directe<br />

ou indirecte, en majorité des percuteurs sphéroïdes,<br />

certains stades du travail témoignent d’un façonnage<br />

« doux », requérant une gamme d’instruments différents.<br />

Ces derniers étaient utilisés lors des phases de « raclages<br />

» ou d’abrasions. Les « outils » susceptibles d’avoir<br />

servi pour ces opérations ne sont pas clairement identifiés.<br />

Cependant, comme pour les outils précédents, on<br />

peut supposer qu’une partie était apte à ce façonnage,<br />

comme le raclage, par exemple de nombreux cassons ou<br />

pièces sobrement aménagées, surtout en quartz.<br />

Deux petits polissoirs, sur plaquettes de chloritoschiste<br />

au grain très fin, seraient à retenir dans cette perspective.<br />

Leur intérêt est néanmoins limité : ces objets, d’une vingtaine<br />

de centimètres carrés, sont bruts, et n’ont qu’un léger<br />

poli affectant localement une seule face, plane. Quelle<br />

qu’en soit la fonction, leur usage a été court et peu intensif.<br />

Quelques percuteurs, quelques fragments de meules<br />

et quelques molettes en roches grenues pourraient compléter<br />

cette série, mais aussi être des éléments de meunerie<br />

liés à l’occupation.<br />

Les prospections ont été menées dans un milieu naturel<br />

assez accidenté, encombré de chaos rocheux de toutes<br />

tailles, sur un sol jonché par de nombreuses pierres, de<br />

taille et d’origine diverses. Il semblerait que cette abondance<br />

ait été préjudiciable à la détection d’outils caractérisés<br />

par des traces mal identifiables. De nombreux<br />

fragments de bracelets, parfois minuscules, ont certes été<br />

découverts, mais il faut tenir compte que la couleur gris<br />

verdâtre particulière de la roche y est pour beaucoup, ce<br />

matériau se distinguant facilement du contexte caillouteux<br />

ambiant. Cette constatation pourrait éclaircir en<br />

partie ces carences sans les expliquer totalement.<br />

III.2 - Traces, outils et gestes<br />

Les principales traces d’élaboration retenues sont ici<br />

mises en correspondance avec un outil ou un type d’outil,<br />

supposé ou bien découvert sur le site. Les techniques et<br />

les gestes à l’origine de ces marques sont aussi déchiffrés<br />

ou proposés, selon les différents stades de la chaîne opératoire.<br />

- Les enlèvements importants, aux arêtes droites ou<br />

conchoïdales, entraînent de fortes cassures, toujours périphériques,<br />

qui interviennent sur la circonférence de la<br />

matière première en vue de la préformer, pour lui don-


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

151<br />

ner une forme discoïde. Cette technique d’épannelage, la<br />

plus sommaire qui soit, consiste en de fortes percussions<br />

directes. On peut supposer que le « percuteur » est en<br />

quartz, mais il pourrait être pris dans une roche autre,<br />

ayant un degré de dureté supérieur à celui du chloritoschiste,<br />

ce qui dans cet environnement ne manque pas. On<br />

peut supposer que « l’outil », pris sur place, n’a pas fait<br />

l’objet d’un choix rigoureux, pas plus que d’une conservation<br />

particulière.<br />

- Les négatifs larges et les sillons larges. Ces deux types<br />

de marques sont associées car causées par un même outil,<br />

orienté différemment, soit avec un angle d’attaque perpendiculaire<br />

au plan de travail (environ 90 o = négatifs<br />

larges), soit oblique (40 o et moins = sillons). Ce travail<br />

de préforme, assez grossier, pourrait être fait en percussion<br />

directe (négatifs larges) ou en percussion indirecte,<br />

cette dernière technique étant plus contrôlable et donc<br />

plus précise (notamment pour les sillons). Comme pour<br />

l’épannelage, l’outil utilisé a pu être pris dans le stock local<br />

à disposition immédiate. Le quartz semble être la roche<br />

la mieux adaptée (et la plus abondante). Sur un quartz de<br />

volume approprié à la technique envisagée (taille, forme<br />

et poids), quelques enlèvements dégageant ou accentuant<br />

une pointe à l’extrémité d’un casson seraient suffisants<br />

pour ce façonnage. Bien qu’il s’agisse ici d’un « outil » un<br />

peu plus élaboré, rien ne prouve qu’il ait été conservé en<br />

vue d’une prochaine utilisation. Dans le cas d’un emploi<br />

unique, l’aménagement et les traces de l’outil seraient peu<br />

prononcés et donc difficilement identifiables.<br />

- Les petits négatifs et les sillons étroits. Ces deux types<br />

de négatifs sont également générés par un type d’outil unique,<br />

leurs variations traduisant une orientation différente<br />

de la force par rapport au plan de travail, tout comme<br />

pour les négatifs et les sillons larges. Quelques différences<br />

existent toutefois : la densité des négatifs ainsi que leur<br />

« agencement », en lignes régulières, de même la longueur<br />

des sillons, parallèles, ne peuvent s’accommoder d’un travail<br />

en percussion directe, difficile à maîtriser. L’emploi<br />

d’un outil intermédiaire, probablement emmanché, s’avère<br />

indispensable. La possibilité d’utilisation d’une pointe<br />

en quartz, aménagée dans ce sens (fine et aigue) pourrait<br />

être proposée. Cependant il faut admettre que ce minéral,<br />

au vu de l’importance et du nombre des sillons, réguliers,<br />

devrait tout d’abord être de premier choix, et surtout être<br />

souvent retouché ou changé. L’emploi d’une roche plus<br />

dense et plus dure, en silex ou en hématite/jaspe serait<br />

préférable, avec cependant les mêmes inconvénients. Il<br />

semblerait donc, en dernière hypothèse, que ces traces<br />

aient pu être laissées par une pointe en métal, idéale pour<br />

cette phase du façonnage (ill. 14). Plusieurs spécialistes,<br />

à l’observation de ces négatifs, ont cautionné cette idée.<br />

Nous n’avons pas de vestiges pour confirmer l’utilisation<br />

de pointes de pierre, et nous n’en avons pas plus pour ce<br />

qui est de l’emploi d’un outil en métal. Deux éléments<br />

attestent néanmoins, de façon certaine, de la présence de<br />

la métallurgie sur le site, ce qui est tout à fait normal pour<br />

cette période.<br />

Un indice est fourni par un petit nodule de bronze,<br />

possible résidu de fonte (point U ensemble 2). Le second,<br />

plus important, confirme indirectement cette<br />

production. Il s’agit du fragment de moule de fusion, de<br />

bronze probable, présenté ci-dessus. Bien que discrets,<br />

ces témoins d’une métallurgie (et d’objets en métal) sont<br />

bien réels. L’absence, ou plutôt la non découverte de ce<br />

type d’ustensile n’exclut pas leur existence. Il est en effet<br />

concevable que ces pointes (bronze bien additionné<br />

d’arsenic), emmanchées, aient été de petite taille. Leur<br />

découverte reste donc difficile dans le cadre de prospections<br />

pédestres. Ces outils devaient en outre faire l’objet<br />

d’une attention particulière, tout comme les bracelets de<br />

bronze résultant de la fonte.<br />

14 - Stigmates d’élaboration, longs et étroits, attribués à des pointes de bronze emmanchées.


152 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

- Raclage et abrasion. Le raclage ne pose aucun problème,<br />

il peut se faire avec n’importe quel éclat de quartz<br />

tranchant, aménagé ou non. Différents types de roches<br />

grenues se trouvant sur les sites, la disposition d’un tel<br />

outillage est aisée. L’interprétation des traces et leur situation<br />

sur l’objet livrent cependant quelques observations<br />

complémentaires.<br />

D’une manière générale, quand ces traces sur les tranches<br />

sont « verticales », c’est-à-dire perpendiculaires<br />

aux faces, au bracelet, ce travail, intéressant une surface<br />

très courte (l’épaisseur du bracelet) a pu être fait avec un<br />

outil abrasif mobile, oblong et de petite taille pour permettre<br />

le passage à l’intérieur de l’anneau. En revanche,<br />

si ces marques sont « horizontales », c’est-à-dire parallèles<br />

aux faces, on peut envisager, sans exclure un outil<br />

abrasif, l’utilisation d’un racloir, plus performant. Les traces<br />

sont ainsi bien plus longues et régulières. Hormis ce<br />

critère, la distinction entre l’une ou l’autre de ces techniques<br />

est quasiment impossible, d’autant plus, et quel que<br />

soit l’outil, que ces traces, sur un même plan de travail,<br />

peuvent avoir différentes orientations, horizontales ou<br />

verticales, mais aussi obliques, voire affrontées. Ces deux<br />

techniques (abrasion et raclage) ont en outre été utilisées<br />

conjointement (ill. 9).<br />

Une variante complémentaire peut être proposée pour<br />

l’abrasion : si le faible diamètre du bracelet exclut l’emploi<br />

d’un outil de grand format, le reste de l’objet, les faces<br />

et surtout la tranche extérieure, s’accommodent bien<br />

d’un travail plus ample, sûrement plus efficace. Ce ne serait<br />

plus l’outil qui serait frotté contre le bracelet, mais<br />

au contraire ce dernier contre une surface abrasive dormante<br />

de grande taille. Ce type de façonnage avait déjà<br />

été reconnu pour le traitement de la tranche de l’ébauche<br />

où il s’avérait idéal, le disque, plein, permettant une<br />

bonne prise, nécessaire pour un travail performant sur<br />

une grande surface.<br />

IV - Aspects technologiques et morphométriques<br />

IV.1 - Pour les bracelets<br />

Cet artisanat, élaboré à partir d’une matière première<br />

locale abondante, bien qu’assez étonnant par sa densité et<br />

son originalité, est très rudimentaire, tant dans la fabrication<br />

que dans l’outillage utilisé, tout au moins à partir des<br />

vestiges découverts, qui ne sont pas obligatoirement représentatifs<br />

de l’ensemble de la production, car de nombreux<br />

objets ont pu être achevés sans laisser de traces.<br />

En effet, si les grands schémas de la chaîne opératoire<br />

sont globalement respectés, à l’aide d’outils banals, il<br />

semblerait que cette élaboration, tout au moins dans ses<br />

premières phases, soit plus ou moins anarchique, à la discrétion<br />

de l’« artisan », autant redevable à son bon sens,<br />

qu’à son habileté et à son savoir-faire, ou à son sens du<br />

raccourci. Ceux-ci semblent au demeurant très variables,<br />

comme le signalent des artefacts de bonne facture, dont<br />

l’élaboration est nettement maîtrisée, de l’ébauche à l’objet<br />

fini, ou, en contrepartie, d’autres pièces beaucoup plus<br />

« primitives » qui se démarquent par plusieurs « anomalies<br />

». Tout d’abord dans le choix du bloc originel, mal<br />

adapté : chloritoschiste parfois veiné, de forme très irrégulière,<br />

au clivage de 180 o non respecté..., puis par les<br />

diverses phases du façonnage :<br />

- phase 1, absence de préforme de l’ébauche (mise à plat<br />

des faces et apprêt de la tranche), pas de délimitation du<br />

diamètre extérieur ou intérieur, si ce n’est, épisodiquement,<br />

par piquetage irrégulier et peu circulaire ;<br />

- phases 2 et 3 utilisant la technique de la percussion directe,<br />

avec des « outils » hétérogènes produisant des traces<br />

variées et désordonnées.<br />

Il n’est pas surprenant que ces objets représentent environ<br />

les 3/5 e de l’ensemble : il s’agit en vérité de « ratés »,<br />

de déchets provenant des pièces brisées en cours d’élaboration,<br />

ce qui était quelquefois prévisible.<br />

Si les bris qui nous sont parvenus proviennent des différents<br />

stades de la chaîne opératoire, pour ces artefacts<br />

mais aussi pour les pièces plus soignées faisant preuve<br />

de plus de maîtrise ou tout au moins d’un travail plus<br />

exigeant et abouti, la majorité des cassures s’observe sur<br />

les phases 2 et 3 du façonnage. Cette représentation est<br />

logique, s’agissant ici de dégager le futur bracelet de sa<br />

matrice, et donc d’obtenir un anneau fragile. Si le déroulement<br />

de ce protocole est clair jusqu’à ce stade, et même


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

153<br />

au-delà (abattage du résidu de la chute centrale, raclage/<br />

abrasion = phase 3), il faut convenir que la suite est plus<br />

incertaine.<br />

Pour documenter ces dernières phases, nous avons à<br />

disposition, d’une part, des « bracelets » à la section épaisse,<br />

légèrement irrégulière, mais dont toutes les faces ou les<br />

tranches sont façonnées, offrant un aspect et un toucher<br />

relativement fin (ill. 9 et planche 3), et d’autre part, une<br />

vingtaine de fragments qui appartiennent sans conteste<br />

à des bracelets finis (planches 3 et 4). Ces derniers ont<br />

un profil très étroit, aux environs de 7 mm d’épaisseur.<br />

Ils sont aussi réguliers, polis et lustrés, que cet aspect soit<br />

imputable à une ultime phase de la chaîne opératoire ou<br />

occasionné par le port et donc l’usure de la parure.<br />

Les bracelets finis, de très bonne facture, ont de nombreux<br />

caractères communs, dont un profil hémisphérique<br />

répétitif (90 % de la production). Par contre pour les<br />

bracelets à section épaisse, irrégulière, plus abondants, on<br />

constate une forte disparité de formats et de profils. Cette<br />

dissemblance semble traduire le fait que nous soyons ici à<br />

une étape intermédiaire, l’objet requérant d’ultimes phases<br />

d’affinage tendant à le normaliser. Il semblerait donc<br />

qu’une phase 5 soit nécessaire avant le lustrage définitif,<br />

avant dernière étape dont nous n’avons sur les sites aucun<br />

témoignage.<br />

Deux propositions peuvent être avancées pour expliquer<br />

cette carence. La première est technique : les artefacts<br />

témoignant de cette phase 5 sont tout simplement<br />

absents car aucun bris n’est intervenu durant cette dernière,<br />

ce qui se conçoit, s’agissant d’un travail peu impétueux.<br />

La seconde, plus discutable, pourrait s’expliquer<br />

par le fait que les bracelets aient été mis en « circulation »<br />

à un stade inachevé pour être finis ailleurs. Il ne s’agit là<br />

que d’une piste.<br />

Si cet artisanat paraissait à première vue assez brouillon<br />

au vu des nombreux bris (encore une fois pas obligatoirement<br />

représentatifs de la totalité de la production), à<br />

l’arrivée le produit est de bonne facture et relativement<br />

standardisé.<br />

Des variantes, normales et admises, concernent les diamètres<br />

intérieurs des bracelets. Ces derniers se situent sur<br />

une échelle allant de 3,75 cm à 8 cm. Ces dernières dimensions,<br />

extrêmes, sont donc peu attestées, l’essentiel de<br />

la production se situant dans une fourchette de 6,2 cm à<br />

7,2 cm, soit 6,7 cm de moyenne. Quelques prises de mesures<br />

sur des bracelets contemporains féminins, montrent<br />

une grande similitude, le diamètre moyen de ces derniers<br />

se situant autour de 7 cm. Les productions du plateau de<br />

Rodès sont de diamètre légèrement inférieur à l’actuel,<br />

observation en accord avec les études anthropologiques<br />

menées sur des individus de cette période. Les bracelets<br />

sortant de ces normes devaient être destinés soit à des personnes<br />

de grande taille ou robustes, les plus larges, soit à<br />

des individus graciles ou des enfants, les plus étroits.<br />

IV.2 - Pour les ustensiles autres<br />

L’approvisionnement en matière première pour ces objets<br />

perforés de petit diamètre ne posant aucun problème,<br />

ces derniers peuvent être produits à partir de petits volumes<br />

sélectionnés pour cet usage, ou à partir des chutes<br />

centrales provenant du façonnage des bracelets. Les traits<br />

dominants de cette production, peu calibrée, à partir des<br />

artefacts découverts, se résument donc à un format circulaire,<br />

brut ou à peine dégrossi, portant une perforation<br />

centrale, également de diamètre très variable, essentielle<br />

pour la fonction de cet ustensile qui nous reste inconnue,<br />

et qui ne semble pas obéir à des critères esthétiques. Il<br />

s’agit sans doute d’objets utilitaires, banals.<br />

Il faut souligner que seuls sont représentés les objets<br />

cassés, généralement par moitié, ce qui est assez surprenant,<br />

eu égard à leur petite taille et à leur volume assez<br />

« trapu », et donc à leur présumée robustesse. Pour quelques-uns<br />

l’éventualité de cassures liées au façonnage peut<br />

être avancée, mais il ne semble pas que ce soit le cas pour<br />

le plus grand nombre, probablement brisés accidentellement<br />

lors de leur utilisation ou par la suite.<br />

v - Conclusions<br />

Les productions en chloritoschiste du plateau de<br />

Montalba concernent surtout la fabrication de bracelets,<br />

les autres artefacts associés, essentiellement de petits disques<br />

perforés, élaborés sobrement dans le même minéral<br />

à partir des chutes des premiers, sont probablement des<br />

pièces techniques n’ayant dans ce contexte qu’une importance<br />

anecdotique.<br />

La production, opportuniste car établie à partir<br />

d’une gîtologie locale, offre une série forte de 245 pièces,<br />

décrivant l’ensemble de la chaîne opératoire, relativement<br />

bien documentée. Les artefacts qui nous sont<br />

parvenus, à différents degrés d’élaboration, se rapportent<br />

donc à des pièces brisées lors de leur fabrication.


154 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

La présence de fragments de bracelets finis, de très bonne<br />

facture, reste donc assez discordante en référence à<br />

ces « ratés » produits par des « artisans » inexpérimentés,<br />

voire des enfants. Les techniques de façonnage sont<br />

assez primitives, utilisant des « outils » banals tirés du<br />

substrat rocheux local, surtout des quartz. Lors des ultimes<br />

phases de façonnage, requérant des outils plus<br />

fins et performants, l’utilisation de pointes en bronze<br />

est proposée. La métallurgie est d’ailleurs attestée sur<br />

le site.<br />

La production, révélée sur de grandes surfaces, sans<br />

concentrations particulières, n’est donc pas subordonnée<br />

à des ateliers « homologués ». Ces maladresses et cette<br />

dispersion confirmeraient l’hypothèse avancée pour le<br />

fonctionnement des sites et leur économie, principalement<br />

axée sur le pastoralisme : cet artisanat, d’appoint,<br />

serait imputable aux bergers occupés à la garde des troupeaux,<br />

à proximité des pâtures, elles-mêmes situées en<br />

bordure d’une importante voie de communication, « ancien<br />

itinéraire » fréquenté lors des transhumances, balisé<br />

par ces vestiges et plusieurs dolmens.<br />

Ces parures semblent destinées au marchandage, et<br />

donc à être diffusées. Cette proposition pose un problème<br />

de taille : aucun de ces artéfacts n’a été mis au jour, au<br />

cours de différents travaux archéologiques, tant sur les<br />

sites limitrophes que sur des secteurs plus éloignés.<br />

Analyse pétrographique des bracelets en micaschistes<br />

Pierre Giresse<br />

L’étude a pour objet l’analyse pétrographique et notamment<br />

minéralogique de quelques fragments de ces bracelets récoltés<br />

sur le terrain à proximité de divers affleurements micaschisteux.<br />

À titre de comparaison, d’autres analyses pétrographiques sont<br />

dédiées à ces affleurements, un autre objet de l’étude étant de<br />

contribuer à la reconnaissance des matières premières qui ont<br />

été employées dans l’artisanat de ces bracelets sur le secteur granitique<br />

de Montalba-le-Château (cartes géologiques au 80 000 e<br />

de Quillan (Casteras et alii, 1967), au 1/50 000 e de Rivesaltes<br />

(Berger et alii, 1993) et ibid. carte chap. XI, ill. 1).<br />

Analyse pétrographique de quelques affleurements<br />

Ce sont les affleurements de micaschistes (au sens large) qui ont<br />

fourni principalement la matière première utilisée par les artisans<br />

préhistoriques de ce secteur. Ces affleurements ont pu être<br />

échantillonnés en plusieurs points à proximité du Mas Molins<br />

et du Serrat Blanc. Ils se présentent sous plusieurs faciès que l’on<br />

caractérise en fonction du développement des minéraux phylliteux<br />

qui recouvrent les surfaces de foliation. Dans plusieurs cas,<br />

ces minéraux de taille millimétrique sont parfaitement visibles<br />

à l’œil nu.<br />

Les micaschistes à « grands cristaux » s’avèrent en fait être des<br />

chloritoschistes : 89 % de chlorite et 11 % de muscovite ou 95 %<br />

de chlorite et 5 % de muscovite. Les faciès plus lustrés, où les minéraux<br />

phylliteux ne sont pas visibles à l’œil nu et où la schistosité<br />

est moins développée, sont encore des chloritoschistes, mais<br />

avec des teneurs un peu plus faibles en chlorite : 75 % de chlorite<br />

et 25 % de muscovite ou 70 % de chlorite et 30 % de muscovite.<br />

Dans tous les cas, la composante feldspathique est très faible,<br />

voire absente.<br />

Analyses pétrographiques des bracelets<br />

Quatre débris de bracelets ont été analysés. Ils ne présentent pas<br />

de minéraux phylliteux apparents à l’œil nu. Les analyses diffractométriques<br />

indiquent chaque fois des teneurs en chlorite assez<br />

faibles, du moins par référence à celles trouvées dans les roches<br />

à l’affleurement : 70 % de chlorite et 30 % de muscovite, 73 % de<br />

chlorite et 27 % de muscovite, 69 % de chlorite et 31 % de muscovite,<br />

66 % et 34 % de muscovite. Ces compositions permettent<br />

donc de rattacher ces matériaux à celles des faciès lustrés observés<br />

à l’affleurement. Cependant quelques bracelets en micaschiste<br />

à éclat plus brillant ont pu aussi être observés (Alain Vignaud,<br />

communication orale).<br />

Discussion<br />

Il est probable que les faciès lustrés de ces chloritoschistes aient<br />

pu avoir été sélectionnés préférentiellement par les artisans préhistoriques.<br />

L’assez grande hétérogénéité de la roche, le petit<br />

grain de la texture et surtout une moindre foliation ont pu définir<br />

des propriétés mécaniques plus favorables à la tailles et peut-être<br />

au polissage. Ces matériaux étaient probablement plus tendres<br />

et plutôt moins sujets à l’éclatement sous le choc des burins. Il est<br />

à noter que d’autres roches à faciès schisteux ont été aussi prélevées<br />

à l’affleurement (granite schisteux, microgrès schisteux) et<br />

analysés dans le cadre de cette étude. Il s’avère qu’ils n’ont jamais<br />

été employés pour la confection des bracelets car trop riches en<br />

silice et donc vraisemblablement trop difficiles à travailler.


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

155<br />

1<br />

5 cm<br />

57<br />

55<br />

67<br />

12<br />

Les n° sont ceux des inventaires<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 1 - N os 1, 57 et 55, transformation de la matière première à différents stades. N os 67 et 12 : mise en œuvre de la phase 2, par piquetage à partir du centre, en alterne<br />

(n° 67), ou sur la totalité de la chute centrale, également en alterne (n o 12).


156 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

113<br />

31<br />

5 cm<br />

118<br />

68<br />

99<br />

208<br />

6<br />

75<br />

109 69 16<br />

Les n° sont ceux des inventaires<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 2 - Dépose de la chute centrale (n o 113) par piquetage périphérique alterne (n o 31), ou à partir de la face supérieure (n° 118). Destruction totale de la chute centrale<br />

par piquetage alterne (n o 68), ou à partir de la face supérieure (n os 99, 208, 6 et 75).


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

157<br />

ø 5,8 cm<br />

ø 7,5 cm<br />

18<br />

1025<br />

0 5 cm<br />

27<br />

1043<br />

ø 6,5 cm ø 8,5 cm<br />

ø 7 cm ø 7 cm<br />

ø 7 cm<br />

51<br />

50 49<br />

52 54<br />

1005<br />

ø 7 cm<br />

ø 6,7 cm<br />

ø 6,25 cm<br />

ø 6,2 cm<br />

81<br />

80<br />

83<br />

82<br />

1006<br />

ø 8,2 cm ø 8 cm ø 7,7 cm<br />

ø 7,7 cm<br />

ø 7,3 cm<br />

95 92 93<br />

94 96<br />

Les n° sont ceux des inventaires<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 3 - En grisé, fragments de bracelets de la phase 4, à la finition assez soignée, mais non aboutie. En noir, les fragments de bracelets terminés, polis et lustrés (phase 6).<br />

à noter la différence de format et de profils entre ces 2 types.


158 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

ø 7 cm ø 7 cm ø 7 cm<br />

ø 6,25 cm<br />

ø 5,5 cm<br />

ø 5,3 cm<br />

ø 4,2 cm<br />

ø 3,75 cm<br />

84 85 86<br />

87 89 88<br />

90 91<br />

1006<br />

0 5 cm<br />

ø 7,35<br />

ø 7,25<br />

ø 8 cm<br />

ø 7 cm<br />

ø 5,20<br />

111 110<br />

150<br />

131<br />

130<br />

U-V 1018<br />

1021<br />

ø 7,8 cm<br />

ø 7,15<br />

157<br />

167<br />

1013<br />

Point 143 (isolé)<br />

Les n° sont ceux des inventaires<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 4 - Fragments de bracelets finis. Les profils, hémisphériques verticaux, sont assez répétitifs.


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

159<br />

2<br />

1<br />

5 cm<br />

1025<br />

3<br />

perforation par rotations<br />

par percussions<br />

4<br />

5<br />

Mise en œuvre mixte<br />

6<br />

1026<br />

7<br />

1005<br />

8<br />

perforation par rotations<br />

percu<br />

9<br />

10<br />

11<br />

12<br />

1006<br />

5 cm<br />

13 14<br />

perforation par rotations<br />

16<br />

15<br />

mise en œuvre mixte<br />

17<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 5 - Objets circulaires perforés, de petit diamètre, à la fonction énigmatique.


160 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

1020<br />

18<br />

quartz<br />

19<br />

5 cm<br />

Ensemble 2, Groupe 3, point 1014<br />

perforation par rotations<br />

par percussions<br />

1022<br />

perforation par rotations<br />

par percussions<br />

1031<br />

20<br />

Mise en œuvre mixte<br />

21<br />

22<br />

Mise en œuvre mixte<br />

Ensemble 2, Groupe 2, points 1020, 1022 et 1031<br />

1022<br />

208<br />

23<br />

5 cm<br />

24<br />

1033<br />

Points isolés, 208 et 1033<br />

1025 (E1)<br />

25<br />

5 cm<br />

26<br />

1016 (”isolé”)<br />

ø intérieur 10 cm<br />

28 1016 (”isolé”) 1025<br />

Fragment de moule de fondeur (bracelet probable)<br />

27<br />

1016 (”isolé”)<br />

Objets non identifiés sur plaquettes de chloritoschiste<br />

Dessins A. Vignaud<br />

Planche 6 - Objets circulaires perforés de petit diamètre, artefacts non identifiés (n os 25, 26 et 27), et fragment de moule de fondeur (n° 28).


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

161<br />

30<br />

20<br />

Ensemble 1, Groupes 1 et 2<br />

10<br />

0<br />

40<br />

Ensemble 1, Groupe 3 (1005)<br />

20<br />

0<br />

80<br />

Ensemble 1, Groupe 3 (1006, 1042 et 1027)<br />

60<br />

40<br />

20<br />

Unités<br />

0<br />

%<br />

160<br />

140<br />

Ensemble 1, total général<br />

Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)<br />

Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)<br />

120<br />

100<br />

80<br />

60<br />

40<br />

20<br />

0<br />

Chlorito Standard<br />

Chlorito à > mica<br />

Chlorito autre<br />

Clivage 180°<br />

Clivage 45°<br />

Clivage 90°<br />

Ébauche entière<br />

Fragment<br />

Chute centrale<br />

Dégrossi phase 1<br />

Phase 2<br />

Phase 3<br />

Pointe base<br />

Pointe centre<br />

De 4 à 5 mm<br />

ø de 5 à 6<br />

ø de 6 à 7<br />

ø > à 7 mm<br />

Ovale large vertic.<br />

Ovale large Horiz.<br />

Oblong vertical<br />

Hémicirc. vert.<br />

Subcirculaire<br />

Subrectang. vert.<br />

Subrectang. horiz.<br />

Carré<br />

Épannelé<br />

> négatifs cupulés<br />

> sillons larges<br />

< négatifs cupulés<br />

< sillons étroits<br />

Raclage vert.<br />

Raclage Horiz.<br />

Polissage/lustrage<br />

Fragment bracelet fini<br />

Matière première Type d'unité Phases / mise<br />

en œuvre<br />

Diamètres<br />

intérieurs<br />

Profils des bracelets finis<br />

stigmates d'élaboration<br />

1 - Production de bracelets. Ensemble 1, groupes 1, 2 et 3, et total général.


162 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

Ensemble 2, Groupe 1<br />

10<br />

0<br />

%<br />

Ensemble 2, Groupe 2<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

Unités<br />

10<br />

0<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

Ensemble 2, Groupe 3<br />

Total Ensemble 2<br />

Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)<br />

Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)<br />

Chlorito Standard<br />

Chlorito à > mica<br />

Chlorito autre<br />

Clivage 180°<br />

Clivage 45°<br />

Clivage 90°<br />

Ébauche entière<br />

Fragment<br />

Chute centrale<br />

Dégrossi phase 1<br />

Phase 2<br />

Phase 3<br />

Pointe base<br />

Pointe centre<br />

De 4 à 5 mm<br />

ø de 5 à 6<br />

ø de 6 à 7<br />

ø > à 7 mm<br />

Ovale large vertic.<br />

Ovale large Horiz.<br />

Oblong vertical<br />

Hémicirc. vert.<br />

Subcirculaire<br />

Subrectang. vert.<br />

Subrectang. horiz.<br />

Carré<br />

Épannelé<br />

> négatif cupulé<br />

> sillon large<br />

< négatif cupulé<br />

< sillon étroit<br />

Raclage vert.<br />

Raclage Horiz.<br />

Polissage/lustrage<br />

Fragment bracelet fini<br />

Matière première Type d'unité Phases / mise<br />

en œuvre<br />

Diamètres<br />

intérieurs<br />

Profils des bracelets finis<br />

Stigmates d'élaboration<br />

2 - Production de bracelets. Ensemble 2, groupes 1, 2 et 3, et total général.


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

163<br />

160<br />

Ensemble 1, total général<br />

140<br />

120<br />

100<br />

80<br />

60<br />

40<br />

20<br />

Unités<br />

0<br />

%<br />

60<br />

Ensemble 2, total général<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

0<br />

Chlorito Standard<br />

Chlorito à > mica<br />

Chlorito autre<br />

Clivage 180°<br />

Clivage 45°<br />

Clivage 90°<br />

Ébauche entière<br />

Fragment<br />

Chute centrale<br />

Dégrossi phase 1<br />

Phase 2<br />

Phase 3<br />

Pointe base<br />

Pointe centre<br />

De 4 à 5 mm<br />

ø de 5 à 6<br />

ø de 6 à 7<br />

ø > à 7 mm<br />

Ovale large vertic.<br />

Ovale large Horiz.<br />

Oblong vertical<br />

Hémicirc. vert.<br />

Subcirculaire<br />

Subrectang. vert.<br />

Subrectang. horiz.<br />

Carré<br />

Épannelé<br />

> négatif cupulé<br />

> sillon large<br />

< négatif cupulé<br />

< sillon étroit<br />

Raclage vert.<br />

Raclage Horiz.<br />

Polissage/lustrage<br />

Fragment bracelet fini<br />

Les graphiques sont à la même échelle (5 mm = 10 u)<br />

Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)<br />

1<br />

Ensemble 3, total général<br />

9<br />

Points isolés et "H. S.", total<br />

Matière première Type d'unité Phases / mise<br />

en œuvre<br />

Diamètres<br />

intérieurs<br />

Profils des bracelets finis<br />

stigmates d'élaboration<br />

3 - Production de bracelets. Ensembles 1, 2, 3 et points isolés, total général.


164 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

250<br />

Échelle : 5 mm = 10 unités<br />

Les données sont à partir des bracelets horizontaux (180°)<br />

237 u<br />

200<br />

150<br />

100<br />

50<br />

Unités<br />

0<br />

Chlorito Standard<br />

Chlorito à > mica<br />

Chlorito autre<br />

Clivage 180°<br />

Clivage 45°<br />

Clivage 90°<br />

Ébauche entière<br />

Fragment<br />

Chute centrale<br />

Dégrossi phase 1<br />

Phase 2<br />

Phase 3<br />

Pointe base<br />

Pointe centre<br />

De 4 à 5 mm<br />

ø de 5 à 6<br />

ø de 6 à 7<br />

ø > à 7 mm<br />

Ovale large vertic.<br />

Ovale large Horiz.<br />

Oblong vertical<br />

Hémicirc. vert.<br />

Subcirculaire<br />

Subrectang. vert.<br />

Subrectang. horiz.<br />

Carré<br />

Épannelé<br />

> négatif cupulé<br />

> sillon large<br />

< négatif cupulé<br />

< sillon étroit<br />

Raclage vert.<br />

Raclage Horiz.<br />

Polissage/lustrage<br />

Fragment bracelet fini<br />

%<br />

Matière première Type d'unité Phases / mise<br />

en œuvre<br />

Diamètres<br />

intérieurs<br />

Profils des bracelets finis<br />

stigmates d'élaboration<br />

Total général<br />

4 - Production de bracelets. Total général regroupant l’ensemble des artefacts découverts sur les sites.


annexe I Les bracelets de l’âge du Bronze<br />

165<br />

Unités<br />

3<br />

2<br />

1<br />

0<br />

4<br />

3<br />

2<br />

0 1<br />

15<br />

%<br />

Total Ensemble 1, Groupe 1<br />

Total Ensemble 1, Groupe 2<br />

Total Ensemble 1, Groupe 3<br />

10<br />

5<br />

1<br />

0<br />

16<br />

14<br />

12<br />

10<br />

8<br />

6<br />

4<br />

2<br />

1<br />

0<br />

7<br />

5<br />

3<br />

1<br />

0<br />

2<br />

1<br />

0<br />

7<br />

5<br />

3<br />

1<br />

0<br />

1<br />

0<br />

25<br />

Total Ensemble 1<br />

Total ensemble 2, groupe 2<br />

Total Ensemble 2, groupe 3<br />

Total Ensemble 2<br />

Total Ensemble 3<br />

Ustensiles de petit diamètre - total général<br />

20<br />

15<br />

Chlorito Standard<br />

Chlorito à > mica<br />

Chlorito autre<br />

Roche autre<br />

Terre cuite<br />

Clivage 180°<br />

Clivage 45°<br />

Entière<br />

Fragment<br />

Chûte centrale<br />

Dégrossi phase 1<br />

Phase 2<br />

Phase 3<br />

Pointe base<br />

Pointe centre<br />

ø perfo., 2 à 5mm<br />

De 5 à 10 mm<br />

De 10 à 20 mm<br />

De 20 à 30 mm et +<br />

ø extér. 30 à 40mm<br />

de 40 à 50 mm<br />

de 50 à 70 mm<br />

Plus de 70mm<br />

Raclage général<br />

Raclage latéral ext.<br />

> négatifs<br />

< négatifs<br />

Sillons<br />

Perforation percut.<br />

Perforation raclée<br />

10<br />

0 1 5<br />

Matière première<br />

Type d'unité<br />

Phases / mise<br />

en œuvre<br />

Diamètres<br />

intérieurs<br />

Ustensiles de petit diamètre<br />

Diamètres<br />

extérieurs<br />

stigmates d'élaboration<br />

Profil des ustensiles<br />

Informe Subcirculaire, En amande,<br />

base aplanie pointe centrale<br />

16,5 % 16,5 % 67 %<br />

5 - Objets circulaires de petit diamètre. Ensembles 1, 2 et 3 et total général.


166 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

ENSEMBLES - POINTS CÉRAMIQUE bracelets LITHIQUE DIVERS<br />

ENSEMBLE 1<br />

Groupe 1<br />

1025-1 et 2 = sommet de l’oppidum + collectes Y.<br />

Blaize<br />

1413 9 8 1 bloc “meule”<br />

1025-3 et 4 = base, à l’est 565 1 6<br />

1025-5 =Base Ouest 8 16 9 2 percuteurs à cupule<br />

1025-6 = Base nord 247 6 4 1fgt moule fondeur<br />

1025-7 = Base, nord-ouest isolée (cabane ?) 30 1 2 Schiste poli à cupule<br />

TOTAL Groupe 1 2263 33 29<br />

Groupe 2<br />

1043 385 6 5<br />

1026 166 1 5<br />

TOTAL Groupe 2 551 7 10<br />

Groupe 3<br />

1002 185 2<br />

1003 106<br />

1004 21 1<br />

1005 662 21 13<br />

1006 (+1042) 727 85 9 1 schiste poli<br />

1027 112 1 6 1 hache polie<br />

TOTAL Groupe 3 1813 109 29<br />

TOTAL Ensemble 1 4627 149 68<br />

ENSEMBLE 2<br />

Groupe 1<br />

W 570 2<br />

U (+V) 720 16 27 1 nodule cuivre/bronze<br />

TOTAL Groupe 1 1290 16 28<br />

Groupe 2<br />

1021 878 24 10 1 meule<br />

1020 (+ 1022+1031) 775 30 14 “Polissoir” sur plaquette<br />

1018 (+1019) 98 6 2<br />

TOTAL Groupe 2 1751 60 26<br />

Groupe 3<br />

1012 (+1011) 60 3 1<br />

1013 73 4 3<br />

1030 (+1029) 606 5 14<br />

1014 (+1015) 288 2 2<br />

TOTAL Groupe 3 1027 14 20<br />

TOTAL Ensemble 2 4068 90 74<br />

ENSEMBLE 3<br />

Groupe 1<br />

H 260 1 4 1 meule<br />

TOTAL Groupe 1 260 1 4<br />

Groupe 2<br />

I 24<br />

J 12<br />

K 164 3 dont 1 flèche en silex<br />

L 48<br />

M 75 1<br />

TOTAL Groupe 2 323 0 4<br />

Groupe 3<br />

G 37<br />

A (+C) 92 4<br />

D (+E) 66<br />

1034 44 1<br />

1023 13 1 2<br />

TOTAL Groupe 3 252 1 6<br />

TOTAL Ensemble 3 835 2 13<br />

TOTAUX des Ensembles 1, 2 et 3 9377 239 155<br />

Inventaire général des mobiliers de l’âge du Bronze, plateau de Rodès et montalba-le-château, tous points confondus. A. Vignaud


Annexe II<br />

Les anses à appendice du plateau de Ropidera<br />

Richard Iund<br />

Les anses à appendice sont caractéristiques de l’âge du<br />

Bronze moyen/récent des régions méditerranéennes de<br />

la France méridionale. Deux principaux types d’appendices<br />

se rencontrent au sommet des anses des vases de ces<br />

périodes. Les pouciers, appendices cylindriques et les ad<br />

ascia, « en hache », appendices plats.<br />

Fruits de contacts avec le monde italique (culture des<br />

Terramares de la côte orientale, et dans une moindre<br />

mesure Apenninique et Subapenninique du centre de la<br />

péninsule), en France, ces anses adoptent une répartition<br />

originale sur les trois aires géographiques constituant le<br />

pourtour méditerranéen. À l’est du Rhône, seules les anses<br />

ad ascia sont présentes sur des sites peu éloignés des<br />

rivages. En Languedoc, les anses ad ascia se rencontrent en<br />

contexte Bronze récent/final. Elles sont parfois associées<br />

à des pouciers cylindriques, particulièrement sur les sites<br />

lagunaires de l’Hérault. L’est des Pyrénées montre une situation<br />

originale. À proximité des rivages, les pouciers et<br />

anses ad ascia sont peu présents, parfois associés sur le<br />

même site (La Fonollera, Pons 1977). Plus à l’intérieur<br />

des terres, sur l’axe Têt/Sègre et en Bas Aragon, les anses<br />

ad ascia sont pratiquement absentes, les pouciers par<br />

contre sont très abondants et de morphologies variées.<br />

Inventaire des anses à appendice de l’âge du Bronze du<br />

plateau de Ropidera<br />

La typologie utilisée dans cette étude a été définie lors de<br />

travaux précédents (Iund, 1997, 1998, 2005). les numéros<br />

de l’inventaire ci-dessus renvoient à la planche en annexe.<br />

1 - Anse en ruban large et massive, la base est déviée vers<br />

la gauche. Elle porte en son sommet, à la jonction anse/<br />

bord, la trace d’un poucier. La surface, beige clair, est lissée,<br />

le dégraissant est fin (1 mm).<br />

2 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice<br />

(type 2A). Le tenon conique ayant servi à la fixation<br />

de l’appendice sur l’anse est visible. La surface grise est<br />

très érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm).<br />

3 - Petit poucier à sommet plan ne débordant pas le corps<br />

de l’appendice (type 1). La surface est noire, érodée. Le<br />

dégraissant est fin (1 mm).<br />

4 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice<br />

(type 2A). Le tenon conique servant à la fixation de<br />

l’appendice sur l’anse est visible. La surface brun rougeâtre<br />

est érodée. Le dégraissant est moyen (3 mm).<br />

5 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de<br />

l’appendice (type 1). La surface brun marron est lissée. Le<br />

dégraissant est fin (1 mm).


168 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

6 - Poucier à sommet arrondi (type 6B). La surface brun<br />

noir est très érodée. Le dégraissant est gros (5 mm).<br />

7 - Poucier à sommet plan ne débordant pas le corps de<br />

l’appendice (type 1). La surface est lissée. Le dégraissant<br />

est fin (1 mm).<br />

8 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la<br />

trace d’un poucier. La surface est lissée. Le dégraissant<br />

est fin.<br />

9 - Poucier à sommet plan débordant le corps de l’appendice<br />

et formant une étoile à quatre branches. Il est proche<br />

du type 7B. En son centre le sommet est orné d’un petit<br />

téton. La surface rougeâtre est lissée. Le dégraissant est<br />

gros (5 mm).<br />

10 - Fragment d’anse portant, à la jonction anse/bord, la<br />

base d’un gros poucier. La surface rougeâtre est érodée.<br />

Le dégraissant est moyen (2 mm).<br />

11 - Partie supérieure d’une anse en ruban. Elle porte, à<br />

la jonction avec le bord, un petit poucier à sommet arrondi<br />

(type 6B). La surface beige est finement lissée. Le<br />

dégraissant n’est pas visible.<br />

12 - Appendice ad ascia de type 1 (profil subcirculaire,<br />

partie sommitale droite ou légèrement convexe, avec étranglement<br />

basal). La surface, beige sur la partie supérieure,<br />

rosâtre en dessous, est lissée. Le dégraissant est fin.<br />

13 - Gros poucier dont le sommet est manquant. La surface<br />

noire est lissée. Le dégraissant est fin (1 mm).<br />

14 - Fragment d’anse portant, à la jonction avec le bord,<br />

un gros poucier de type 2A. Elle est probablement portée<br />

par un vase de dimension importante (jatte ou urne).<br />

La surface brune est très érodée, le dégraissant est gros<br />

(5 mm).<br />

Sur cet ensemble de moyens de préhension à appendices<br />

on peut dénombrer :<br />

- 4 pouciers de type 2A à sommet plan débordant le<br />

corps de l’appendice ;<br />

- 3 pouciers de type 1 à sommet plan ne débordant pas le<br />

corps de l’appendice ;<br />

- 2 pouciers de type 6B à sommet arrondi ;<br />

- 1 poucier à sommet plan à profil en étoile à 4 branches<br />

et à téton central. Il est raisonnable de le considérer<br />

comme une variante du type 7B (à sommet plan et téton<br />

central) ;<br />

- 1 appendice ad ascia de type 1 à profil triangulaire, partie<br />

sommitale droite ou légèrement convexe et étranglement<br />

basal.<br />

Répartition géographique des anses à poucier<br />

Les pouciers, quand l’anse nous est parvenue, sont situés<br />

à la jonction avec la lèvre, caractéristique propre à la<br />

céramique de l’âge du Bronze.<br />

Les pouciers à sommet plan ou légèrement concave (type<br />

1, 2A) représentent les 3/4 de l’ensemble des effectifs<br />

au nord des Pyrénées (Iund 1997). Ils sont très nombreux<br />

à Montou, ainsi que sur l’ensemble des sites de la vallée de<br />

la Têt (Caune de Bélesta, grotte de la Chance, Llo). Le type<br />

6B (à sommet arrondi) se rencontre assez peu au nord<br />

des Pyrénées, il est beaucoup plus fréquent au sud.<br />

Les pouciers de type 7 (A et B) sont présents au<br />

nord des Pyrénées à Montou II, en contexte bouleversé<br />

(Iund 1997). Au sud on les rencontre en Bas Aragon<br />

(Los Estancos, Lecinena), et Bas Sègre (Rocaferida,<br />

Lérida). À Geno (Lérida), habitat de type défensif de la<br />

charnière Bronze moyen/final richement documenté en<br />

anses à appendice, le poucier se distingue par un profil du<br />

sommet en étoile à 6 branches. Ce site a d’autre part livré<br />

des anneaux en pierre verte (Maya, Cuesta 1998).<br />

Chronologie des anses à poucier dans les Pyrénées de l’est<br />

Les vases à anse à poucier des Pyrénées de l’est ont,<br />

dans un premier temps, été considérés comme traceurs<br />

chrono-culturels du Bronze moyen. Ils seraient apparus<br />

à la fin du Bronze ancien, après les dernières manifestations<br />

du phénomène campaniforme (Guilaine,<br />

Abélanet 1966). Les datations 14C de ces dernières<br />

années ont légèrement rajeuni leur genèse au nord des<br />

Pyrénées, et de façon beaucoup plus franche leur diffusion<br />

au sud.<br />

La couche 11 de la Cauna de Bélesta, (Bélesta-de-la-<br />

Frontière, Pyrénées-Orientales), qui a livré plusieurs anses<br />

à poucier de type 2A, est datée d’une phase récente<br />

du Bronze moyen . La grotte de Montou, Corbère-les-<br />

Cabanes (Pyrénées-Orientales), toute proche de la<br />

Caune de Bélesta, renfermait dans les couches 3D et 4<br />

plusieurs pouciers de type 2A et 1, associés à des tasses<br />

carénées à profil convexo-concave, vases polypodes, anses<br />

à nervure médiane, rangées d’ongulations sur la lèvre ou<br />

la panse. Les dates obtenues pour ces couches sont compatibles<br />

avec celle de Bélesta-de-la-Frontière et renvoient<br />

à une phase terminale du Bronze moyen .<br />

. Ly-5105 : 2975 +/- 60 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1312‐1103 (Claustre, Zammit<br />

et Blaize 1993).<br />

. Ly-5909 : 3070 +/- 45 BP : Cal B.C. 1 sigma : 1400‐1260 ; Ly 5910 : 3090<br />

+/- 50 BP. : Cal B.C 1 sygma : 1410‐1260 ; 1280‐1260 (Claustre 1993).


annexe II<br />

les anses à appendice de l’âge du Bronze<br />

169<br />

Au sud des Pyrénées, à Geno (Aytona, Lerida), habitat<br />

de plein air, la céramique marque la charnière entre Bronze<br />

moyen, avec de nombreux profils carénés convexo-concaves,<br />

décors de cordons en résilles (probable perduration du<br />

Bronze ancien), et le Bronze final II illustré par les nombreux<br />

décors de cannelures et des profils biconiques anguleux.<br />

L’une des datations obtenues par J. L. Maya renvoie<br />

au Bronze final II catalan . Plus à l’ouest, en Bas Aragon,<br />

le site de Masada de Raton, à Fraga, a livré un abondant<br />

mobilier céramique qui, comme à Géno, marque la charnière<br />

Bronze moyen/Bronze final II : nombreux pouciers<br />

de tous types, cordons digités en résilles, bords éversés<br />

anguleux à lèvres biseautées, décors de cannelures. Les<br />

datations obtenues sur le site sont légèrement plus basses<br />

que celles de Geno . Encore à l’ouest, dans la province de<br />

Saragosse, le site d’el Macedo (Lecinena), donne une datation<br />

qui renvoie au plein Bronze final .<br />

Répartition géographique des anses ad ascia<br />

Les anses ad ascia (en hache) apparaissent en contexte<br />

Protoapenninique, Bronze ancien de l’Italie méridionale,<br />

et y perdurent pendant l’Appenninique classique qui caractérise<br />

de façon unitaire l’Italie méridionale et centrale<br />

(Cecanti 1979). Au nord de la péninsule, les appendices<br />

de la culture de la Polada (culture subcontemporaine du<br />

Protoappenninique méridional) sont de dimensions plus<br />

modestes, mais de morphologie similaire.<br />

À l’ouest des Alpes, c’est en Provence que l’on trouve les<br />

plus anciens spécimens de cette céramique. Dans la couche<br />

III de la grotte Murée de Montpezat (Alpes-de-Haute-<br />

Provence), l’appendice décoré de deux rangées de triangles<br />

hachurés est porté par une tasse à carène douce. Il appartient<br />

à la première phase du Bronze moyen : 1525‐1450<br />

B.C. (Vital 1999). D’autres sites à l’est du Rhône ont livré ce<br />

type d’appendice : la grotte des Monnaies (le Plan d’Aups,<br />

Var), daté du Bronze moyen II (1450-1425 B. C.) ; l’Aven<br />

de Vauclare à Esparron-de-Verdon (Alpes-de-Haute-<br />

Provence), sur une jatte carénée en contexte Bronze final I/II<br />

(Lagrand 1968). Les exemplaires les plus récents (Salins<br />

de Ferrières à Martigues, Bouches-du-Rhône et Ilot de la<br />

Mouette à Saint-Tropez, Var) se rencontrent en contexte<br />

Bronze final II/IIIa, avec des décors de cannelures internes,<br />

vase à col oblique et pied annulaire (Iund 1998).<br />

. Ubar - 519 : 2815 +/- BP : Cal BC 1 sigma : 1008-901 (Maya, Cuesta 1998).<br />

. GrN - 18640 : 2816 +/- 16 BP : Cal BC 1 sigma : 990-955, 945-920 (Iund 1997).<br />

. GrN 14946 : 2805 +/6 BP : Cal BC 1 sigma : 995-905 (Ferreruela 1993).<br />

À l’ouest du Rhône, les anses ad ascia de type III sont<br />

peu nombreuses et concentrées sur des sites proches du littoral.<br />

Station du Roc de Conilhac à Gruissan, dans l’Aude,<br />

où l’appendice est porté par une tasse à carène médiane,<br />

contexte Bronze final I (Guilaine 1972). À la grotte Basse<br />

de la Vigne perdue (Narbonne), toute proche, une tasse<br />

à carène très marquée porte une anse ad ascia de type III.<br />

Le contexte sépulcral Chalcolithique/âge du Bronze est<br />

mal établi (Guilaine 1972). C’est sur le littoral héraultais<br />

en contexte lagunaire que l’on trouve les principaux sites<br />

à anses ad ascia : Camp Redon et Tonnerre (Prades et le<br />

G.A.P. 1985, Dedet et alii 1985). Les contextes de ces deux<br />

sites sont centrés sur le Bronze final II avec de nombreux<br />

décors de cannelures, urnes à col, carènes à méplats.<br />

Au sud des Pyrénées de l’est les anses ad ascia sont<br />

peu nombreuses et concentrées dans la partie orientale<br />

de l’Ampurdan, à proximité de la mer. Cau de les Dents,<br />

La Fonollera et Puig Mascaro, à Toroella-de-Montgrí<br />

(Gérone), sont trois sites tout proches du littoral qui ont<br />

livré des anses surmontées d’appendices de type III, certains<br />

portant un décor de cannelures. Le contexte, quand<br />

il est lisible, appartient au Bronze final II . Plus à l’ouest,<br />

à la Bauma del Serra del Pont, Tortella (Gérone), dans<br />

la couche II 2b, on a trouvé un appendice ad ascia de<br />

type III ainsi qu’un fragment d’anse à poucier. Comme<br />

pour les sites du littoral le contexte est Bronze final II .<br />

Conclusion<br />

Dans les Pyrénées de l’est, les anses à appendices, poucier<br />

et ad ascia, sont probablement le fruit de contacts répétés<br />

avec le monde italique. Ces contacts sont à envisager<br />

par voie maritime, le cabotage est un mode de transport<br />

bien maîtrisé à la fin de l’âge du Bronze. Les anses<br />

à poucier, à partir de contacts au nord des Pyrénées, sur<br />

les rivages du Roussillon, vont, par les vallées de la Têt et<br />

du Sègre gagner le Bas Sègre et le Bas Aragon. En ce qui<br />

concerne les anses ad ascia, leur parcours est beaucoup<br />

moins lisible, on les retrouve en nombre très limité, et<br />

surtout au bord des rivages. L’ensemble des anses à appendices<br />

du plateau de Ropidera peut, en rapport avec les<br />

datations obtenues à Montou et Bélesta, être daté de la<br />

fin du Bronze moyen.<br />

. Une datation 14C obtenue à la Fonollera donne une date un peu haute :<br />

MC 1246 : 3400 + : - 100 BP : Cal 1 sigma 1870‐1840 ; 1780‐1520.<br />

. Avec une datation 14C sensiblement plus basse : UBAR 180 : 3160 +/- 100<br />

BP : Cal BC 1 sigma : 1505‐1368 ; 1362‐1313 ; 1271‐1264.


170 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

1<br />

5 cm<br />

13<br />

11<br />

2<br />

3<br />

10<br />

4<br />

5<br />

6<br />

7<br />

14<br />

8<br />

12<br />

5 cm<br />

9<br />

Dessin Richard Iund<br />

Anses à pouciers, et anses ad ascia, âge du Bronze, plateau de Montalba.


Annexe III<br />

Les deux petits dolmens de Rodès<br />

et leur place dans le mégalithisme<br />

des Pyrénées-Orientales<br />

Valérie Porra-Kuteni<br />

Le plateau de Montalba et ses contreforts vers la vallée<br />

de la Têt ont longuement été occupés pendant la<br />

Préhistoire, mais les traces qu’il en reste dans le paysage<br />

sont plutôt ténues et seulement visibles pour un<br />

œil averti. Seuls deux monuments mégalithiques sont<br />

remarquables bien que discrets. La multitude de chaos<br />

parsemant tout l’environnement offrait des matériaux<br />

immédiatement accessibles pour la construction de mégalithes<br />

durant la fin du Néolithique, période du début<br />

de la construction des dolmens à l’est des Pyrénées.<br />

Or, sur la totalité de la surface prospectée, seules deux<br />

structures de ce type ont été retrouvées. Si le dolmen<br />

du Serrat Blanc, sur la commune de Rodès, avait déjà<br />

été signalé par Yves Blaize anciennement, celui de la<br />

Guardiola, toujours à Rodès, n’était pas connu. Bien que<br />

très dégradés, ces monuments attestent de la présence<br />

de pratiques funéraires, particulières à ce début du II e<br />

millénaire avant notre ère.<br />

I - Les dolmens de Rodès<br />

I.1 - Le dolmen de La Guardiola (commune de Rodès)<br />

Quand on arrive sur le site par le sud, après une approche<br />

sportive de 200 m de dénivelé depuis le lit du<br />

fleuve, si la vue panoramique sur la vallée de la Têt et<br />

le Canigou récompense un effort certain, le monument<br />

attendu est un peu déconcertant. Le premier coup d’œil<br />

donne davantage à penser à un abri de fortune plutôt<br />

qu’à un dolmen que l’on imagine toujours plus imposant...<br />

Et pourtant, à bien y regarder, plusieurs indices<br />

indiquent une construction préhistorique (ill. 1).<br />

Ce dolmen est situé au sud du plateau de Montalba, près<br />

du lieu-dit La Guardiola, sur une ligne de crête qui amorce<br />

une descente abrupte, au droit des gorges de la Guillera.<br />

C’est la crête la plus visible des environs immédiats, et la<br />

petite taille du monument devait être compensée par un<br />

tumulus mieux repérable dans le paysage (ill. 2).


172 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

1 - Dolmen de la Guardiola (vue sud) (cl. Olivier Passarrius). 2 - Versant de la Guardiola (vue sud du massif ) (cl. V. Porra-Kuteni).<br />

N<br />

0 0,50 1 m<br />

3 - Dolmen de la Guardiola (vue sud-est) (cl. V. Porra-Kuteni).<br />

4 - Dolmen de la Guardiola (plan et coupe) ( relevé V. Porra-Kuteni.).<br />

Particulièrement dégradé et remanié, il est difficile<br />

d’imaginer son aspect initial : une cella de plan apparemment<br />

carré, est composée de deux orthostates, qui<br />

devaient directement supporter à l’origine la dalle de<br />

couverture horizontale. Seules les dalles verticales semblent<br />

réellement en place. La dalle horizontale a été<br />

surélevée par des murets formés de quelques pierres<br />

sèches, de manière à permettre à un homme de tenir<br />

assis sur le sol actuel de la structure. Une roche du substratum<br />

en place a été utilisée comme chevet de la cella,<br />

et là aussi, des pierres ont été placées au-dessus pour<br />

surélever la « table » (ill. 3).<br />

Les orthostates ne sont distants que de 1,20 m pour<br />

1,15 m de profondeur, du chevet à la partie distale de<br />

ceux-ci. La dalle de couverture possède des dimensions<br />

(L. 1,50 m x l. 1,15 m) lui permettant de clore parfaitement<br />

un carré constitué par les pierres en place et fermé<br />

au sud par une éventuelle pierre plate disparue (Ill. 4).<br />

Cette pierre manquante devait faire office de porte, à<br />

moins que l’ouverture ait été effectuée par le soulèvement<br />

de la dalle de couverture, ce qui est souvent le cas pour<br />

les dolmens de très petite taille. La structure était au total<br />

vraisemblablement très modeste, ce qui est fréquent<br />

dans la région pour la période de construction envisagée,<br />

comme nous allons le voir.


annexe III<br />

les dolmens de Rodès<br />

173<br />

Dans la mesure où le chevet semble en place (roche du<br />

substratum affleurant), le monument voyait son entrée<br />

orientée vers le sud, suivant en cela le sens du pendage du<br />

versant. Actuellement, la construction paraît s’adosser à<br />

un mur de terrasse, qui pourrait bien avoir été construit<br />

avec les pierres de l’ancien tumulus le recouvrant.<br />

Les chaos de granite, présents dans l’environnement<br />

proche, offrent des matériaux en abondance, qu’il suffisait<br />

de choisir aux bonnes dimensions pour la réalisation<br />

du cairn comme du monument en lui-même.<br />

Le contenu du dolmen a depuis longtemps été vidé,<br />

donc aucun mobilier archéologique ne peut directement<br />

participer à un essai de datation relative. Pourtant, il faut<br />

signaler la découverte en surface d’un ensemble de tessons<br />

modelés, à trente mètres plus haut vers le nord‐est.<br />

Répertoriée sous le n o 1024, cette concentration de céramiques<br />

présente des formes bien datables de l’âge du<br />

Bronze moyen (1 re moitié du II e millénaire avant J.‐C.)<br />

et leur représentativité est tout à fait homogène.<br />

La pâte de ces récipients est essentiellement cuite en<br />

ambiance oxydante. Bien que très fragmenté, ce mobilier<br />

permet de reconnaître des fonds plats et un rond,<br />

un pied de vase polypode, une oreille de préhension, un<br />

départ d’anse orné sous l’anse d’une ligne d’impressions<br />

« en coin », des anses en ruban, des décors ongulés, des<br />

cordons digités, et un tesson de gros vase de stockage<br />

dont le bord est orné d’un cordon digité sous la lèvre<br />

à impressions digitées. Le vase polypode et le décor de<br />

coups d’ongle sont des caractéristiques que l’on retrouve<br />

dans toutes les Pyrénées à cette époque, de manière<br />

presque exclusive (Martin 1989 et Rouquerol 2004).<br />

On compte un minimum de huit poteries dont un gros<br />

vase à provision, en général signe d’un habitat à proximité.<br />

Il est difficile d’interpréter la présence de cet ensemble<br />

céramique, sans autre mobilier associé : fond de<br />

cabane ou reste de fosse dépotoir ?<br />

la Têt, réalisés par J.-Ph. Bocquenet (Bocquenet 1997),<br />

ont montré des exemples proches, du point de vue de la<br />

datation et de la typologie, comme celui du dolmen de<br />

Valltorta à Saint-Michel-de-Llotes ou encore celui des<br />

Rières à Bouleternère (Iund, Porra-Kuteni 2003).<br />

Si un doute était permis au premier regard sur cette<br />

construction, compte tenu de la morphologie ancienne<br />

des terrasses sur la <strong>montagne</strong> de Rodès, le plus souvent<br />

armées par des dalles redressées dès une phase<br />

médiévale d’aménagement du terroir (cf. Passarrius<br />

chap. VIII, Martzluff chap. XI) les arguments avancés<br />

ici nous donnent la certitude d’avoir affaire à un dolmen<br />

et nous essaierons plus loin de comprendre pourquoi il<br />

fut implanté en ce lieu.<br />

I.2 - Le dolmen du Serrat Blanc (commune de Rodès)<br />

à la différence de La Guardiola, l’approche de ce dolmen<br />

est une vraie promenade, car il se trouve juste à l’est<br />

du principal chemin traversant le plateau de Montalba du<br />

nord au sud, au niveau du Mont Serrat Blanc. Découvert<br />

il y a quelques années par Yves Blaize, il est situé au pied<br />

d’une petite butte constituée d’albites développées dans<br />

les granites porphyroïdes, et semble se cacher dans un<br />

petit bosquet de chênes (ill. 5).<br />

Il est intéressant de noter que la datation de cet ensemble<br />

céramique pourrait tout à fait correspondre à<br />

celle du dolmen. En effet Françoise Claustre, dans sa<br />

chrono-typologie des dolmens des Pyrénées de l’est,<br />

datait de la 1 re moitié du II e millénaire avant notre ère,<br />

ce type de « petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus<br />

» (Claustre 1998). Les derniers travaux de prospection<br />

et restauration de mégalithes dans la vallée de<br />

. Ciste aérienne : coffre de pierre constitué de petites dalles plates, non enfoui.<br />

5 - Dolmen du Serrat Blanc et son tumulus (vue ouest) (cl. V. Porra-Kuteni).


174 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

N<br />

0 0,5 1,00 m<br />

6 - Dolmen du Serrat Blanc, plan et coupe (relevé V. Porra-Kuteni).<br />

7 - Dolmen du Serrat Blanc, avant l’intervention de la mairie de Rodès en mai 2006<br />

(cl. Michel Martzluff ).<br />

8 - Dolmen du Serrat Blanc - vue est, après intervention de la mairie (cl. V. Porra-Kuteni).<br />

Dès que l’on s’approche, on aperçoit un « caisson » rectangulaire<br />

comme planté sur son tumulus bien visible. Dans son état<br />

actuel, ce dernier est constitué de petits blocs de granite (entre<br />

20 et 30 cm d’extension). Il est de forme circulaire et d’un diamètre<br />

d’environ 6 à 7 m. Il s’appuie sur de plus gros blocs fichés<br />

en terre et des affleurements de la roche granitique.<br />

Si l’on ne doute pas d’être en présence d’un dolmen,<br />

son aspect actuel montre bien qu’il a subi de<br />

nombreux remaniements qui rendent peu lisibles<br />

son plan initial et donc son fonctionnement. Une<br />

grande roche plate sert de couverture à une cella<br />

aux dimensions intérieures modestes (L. 1,15 m x<br />

l. 1,00 m x H. 0,90 m). Dans son état actuel, elle<br />

est de plan rectangulaire et délimitée par des dalles<br />

verticales sur les quatre côtés (ill. 6). En 2005, la<br />

structure se présentait différemment. La dalle de<br />

couverture était basculée sur le côté, vers l’ouest.<br />

Les orthostates n’étaient pas parallèles ni de même<br />

niveau, certains fort bas, d’autres bien plus haut<br />

et même l’un d’eux (côté sud-est) est si bas qu’il<br />

pourrait être interprété comme une porte-fenêtre<br />

(ill. 7). Les dimensions réduites de la construction<br />

plaident aussi en faveur d’une éventuelle ouverture<br />

par la dalle de couverture. Il apparaît que seules les<br />

dalles délimitant la chambre funéraire, seraient en<br />

place. Murets en pierres sèches et autres doublements<br />

d’orthostotes ont été rajoutés au cours des<br />

siècles (ill. 8).<br />

On ne peut que déplorer l’absence de mobilier remarquable<br />

qui autoriserait une datation relative. Le<br />

ramassage d’un maigre mobilier récolté en surface<br />

entre les pierres du tumulus montre : 3 percuteurs<br />

de quartz et une dizaine de tessons de céramiques<br />

modelées (6 en cuisson oxydante et 4 en cuisson<br />

réductrice) dépourvus de décors ou de profils reconnaissables.<br />

Toutefois, un seul tesson de poterie<br />

modelée de 8 mm d’épaisseur, à pâte brun-orangé<br />

avec gros dégraissant, provient d’un vase de stockage.<br />

Trouvé sur le tumulus, cet élément associable à<br />

l’habitat peut avoir été emmené avec la terre pour sa<br />

construction, ou par d’autres hasards... Cet ensemble<br />

mobilier pourrait appartenir autant à la fin de la<br />

Préhistoire qu’au début de la Protohistoire. Comme<br />

pour celui de la Guardiola, le plan rectangulaire de<br />

ce dolmen et ses dimensions réduites invitent à rattacher<br />

sa période d’érection au Chalcolithique ou au<br />

début de l’âge du Bronze, si l’on s’en tient toujours<br />

aux propositions de F. Claustre (Claustre 1998).<br />

. En particulier la fermeture des espaces vides entre les dalles, par de<br />

petits murets de pierres sèches.


annexe III<br />

les dolmens de Rodès<br />

175<br />

France<br />

Marseille<br />

Perpignan<br />

Espagne<br />

Barcelone<br />

0 15 km<br />

9 - Carte de répartition des dolmens des Pyrénées-Orientales (cl. V. Porra-Kuteni).<br />

II - Questions de mégalithes<br />

Dans le sud de la France, plusieurs concentrations de<br />

mégalithes ont été identifiées : celle des Pyrénées de l’est<br />

occupe un territoire circonscrit au nord par le fleuve Aude<br />

et au sud par celui de l’Ebre en Catalogne, à l’est l’Ariège en<br />

serait la limite. Dans les Pyrénées-Orientales, on perçoit<br />

trois grands ensembles de dolmens et quelques « isolats »<br />

aux marges. Au sud, les Albères françaises (12 dolmens)<br />

et espagnoles (60 dolmens) forment un premier groupe,<br />

puis un second – d’une trentaine de monuments, dont<br />

ceux de Rodes, surplombant la vallée de la Têt – occupe<br />

les hauteurs du Vallespir et des Aspres. Enfin le troisième<br />

voit une cinquantaine d’exemplaires répartis sur les<br />

hauteurs du Conflent et des Fenouillèdes. Quelques uns<br />

se trouvent isolés (aujourd’hui ?) en Cerdagne à Eyne, à<br />

Enveigt et dans les Corbières à Salses (Ill. 9).<br />

Les dolmens les plus proches de Rodès sont ceux de<br />

Bélesta à l’est, Tarerach et Trévillach à l’ouest et Trilla<br />

au nord. Au sud, de l’autre côté de la vallée de la Têt, les<br />

crêtes du versant nord sont elles aussi occupées par la<br />

concentration des dolmens de Saint-Michel-de-Llotes .<br />

. Notamment étudiés et restaurés par J‐Ph. Bocquenet, à la fin des années 1990<br />

(Bocquenet 1997 - Iund, Porra 2003).<br />

2.1 - Bref historique de la recherche<br />

Participant à la celtomanie qui précédait les premiers<br />

temps de l’archéologie préhistorique, Jaubert de Réart signala<br />

des mégalithes dès 1832 . Ce n’est qu’en 1921 que<br />

Pierre Vidal dresse le premier inventaire de 25 dolmens .<br />

Pierre Ponsich en fait un décompte plus précis en 1949<br />

(Ponsich 1949). Depuis, Jean Abélanet a patiemment<br />

prospecté et découvert des dolmens pour en fixer le nombre<br />

à 90 en 1987 (Abélanet 1990).<br />

Ces mêmes années 1980, les chantiers archéologiques de<br />

Françoise Claustre, nouvellement installée en Roussillon,<br />

ont dynamisé la recherche en Préhistoire récente, sous l’égide<br />

du CNRS et avec l’appui de l’École des Hautes études en<br />

Sciences Sociales installée à l’Université de Toulouse, dirigée<br />

par Jean Guilaine. C’est ainsi que fut publiée la première<br />

fouille programmée d’un mégalithe (Claustre, Pons 1988).<br />

Dans ce mouvement, qui allait par ailleurs à la rencontre du<br />

plus large public par des conférences et la création de musées<br />

, se sont inscrits à partir des années 1990 les travaux<br />

de Jean-Philippe Bocquenet, Richard Iund et moi-même.<br />

. Qu’il publia dans le n° 4 du « Publicateur des Pyrénées-Orientales » puis<br />

présenta ceux de Llauro et l’année suivante celui de Taulis dans un article<br />

intitulé « Monuments druidiques sur la <strong>montagne</strong> de Molitg ».<br />

. Paru sous le titre « le Roussillon préhistorique » dans la revue Ruscino<br />

n os 15, 16, 17, 18.<br />

. Château-Musée de Bélesta en 1992 et Maison de l’Archéologie à Céret en 1995.


176 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

10 - Dolmen du Moli del Vent à Bélesta (cl. V. Porra-Kuteni).<br />

La réponse à l’intérêt de la population fut l’élaboration<br />

du projet « Piste des dolmens » par les élus du canton de<br />

Vinça. Ainsi fut créée une charte intercommunale pour<br />

mettre en place un chantier école qui avait pour but d’étudier<br />

et valoriser les dolmens destinés à faire partie d’un<br />

circuit pour le grand public randonneur et/ou familial.<br />

Cette étude commença par la fouille du dolmen du<br />

Moli del vent à Bélesta, en 1993 (Porra 2003). Pour la<br />

première fois dans notre département, le décapage de la<br />

totalité du tumulus montra l’apport d’une telle démarche,<br />

ne se restreignant plus à la chambre funéraire : une<br />

meilleure connaissance de l’architecture et la découverte<br />

de mobilier, souvent absent de la cella pillée et certes généralement<br />

très fragmentaire, mais bien représentatif des<br />

diverses occupations (ill. 10). Ce projet de « piste des<br />

dolmens » a permis la fouille, l’étude et la restauration de<br />

5 dolmens du canton de Vinça par l’équipe dirigée par<br />

J.‐Ph. Bocquenet. Aujourd’hui, l’état des lieux que Jean<br />

Abélanet prépare pour une prochaine publication recense<br />

plus d’une centaine de dolmens sur le territoire de la<br />

Catalogne nord.<br />

. Dolmen du Poste de tir à Saint-Michel-de-Llotes, Dolmen de la Creu de la<br />

Falibe ou de la Llose à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Serrat d’en Jacques<br />

à Saint-Michel-de-Llotes, dolmen du Coll de la Llosa à Casefabre et dolmen<br />

des Rières à Bouleternère.<br />

II.2 - Quelques constantes du mégalithisme dans les<br />

Pyrénées-Orientales<br />

L’implantation des dolmens est généralement située<br />

en région <strong>montagne</strong>use sur des emplacements privilégiés<br />

(très souvent une vue panoramique avec angle à 360°)<br />

comme un col, une crête, à des altitudes pouvant atteindre<br />

1 500 m en Cerdagne (Abélanet 1987a). Le caisson<br />

de La Guardiola pourrait fort bien rentrer dans ce cas de<br />

figure, mais pas vraiment celui du Serrat blanc. Les matériaux<br />

employés sont des roches disponibles sur place<br />

(schiste, granite, gneiss, calcaire pour les plus courants).<br />

Leurs dimensions sont dans l’ensemble modestes. Il<br />

faut bien reconnaître que les mégalithes des Pyrénées<br />

orientales n’ont de mega que le nom, comparés à bon<br />

nombre de monuments chez nos voisins les plus proches<br />

en Catalogne du sud ou dans l’Aude (le dolmen de Las<br />

Fades à Pépieux et le dolmen de Saint‐Eugène à Laure-<br />

Minervois, dolmens dont le tumulus dépasse les 15 m).<br />

Toutefois, l’un des deux dolmens du Mas Llosanes, qui<br />

fait face aux caissons de Rodès, sur le très proche plateau<br />

de Tarrerach, est quand même assez imposant pour notre<br />

département et jouxte un habitat où furent découverts<br />

des restes de bracelets et d’ébauches d’anneaux-disques en<br />

chloritoschiste, ainsi qu’un site à gravures rupestres datées<br />

par l’inventeur de l’âge du Bronze (Abélanet 1990).<br />

Le plan de ces dolmens est toujours très simple : un<br />

caisson dont les dimensions et l’accès varient selon les<br />

périodes. L’orientation de l’entrée de la structure est le<br />

plus souvent dirigée vers le sud, plus précisément vers<br />

le sud-est et moins fréquemment vers le sud-ouest.<br />

Malheureusement, le mauvais état de ces mégalithes ne<br />

permet pas toujours de la mettre en évidence et l’on trouve<br />

parfois des orientations vers l’est (dolmen du Pla de<br />

l’Arca à Molitg-les-bains) ou l’ouest (dolmen de los Masos<br />

à Saint-Michel-de-Llotes), ou encore, vers le nord-ouest<br />

(Saint‐Martin à Latour-de-France). Certains monuments<br />

pouvaient être clos et ne s’ouvrir qu’en remuant la dalle de<br />

couverture ou par un sas dans la partie supérieure. Il est<br />

donc difficile de se prononcer pour nos deux structures,<br />

vu leur état de conservation. Gravures et cupules accompagnent<br />

souvent ces monuments, soit sur les dalles ellesmêmes,<br />

soit dans l’environnement proche.<br />

Les tumulus sont constitués de pierres, blocs et/ou<br />

terre. Parfois ces tertres possèdent un parement de pierres<br />

plates (Moli del vent à Bélesta). Leur forme est essentiellement<br />

circulaire dont quelques rares cas ovales avec


annexe III<br />

les dolmens de Rodès<br />

177<br />

un péristalithe, constitué de dalles verticales fichées en<br />

terre, délimitant ainsi un espace funéraire (rectangulaire<br />

au dolmen du Roc del Llamp à Castelnou). À Rodès, le<br />

tumulus du caisson du Serrat Blanc rentre dans ce cadre<br />

et, si nous ne savons rien de la couverture de celui de La<br />

Guardiola, on peut supposer qu’il était semi-enterré puisqu’il<br />

touche le socle sur une pente, dans une formule qui<br />

existe déjà dans les Pyrénées catalanes au Néolithique<br />

moyen, par exemple à La feixa del Moro de Juberri, en<br />

Andorre (Yanez 2005).<br />

Leur contenu est souvent indigent à cause des pillages<br />

anciens et surtout de l’acidité de certains sols, à deux exceptions<br />

près : le dolmen de l’Oliva d’En David à Salses<br />

(sol calcaire) où plusieurs restes osseux humains ont été<br />

retrouvés et le dolmen du Serrat d’En Jacques à Saint-<br />

Michel-de-Llotes où juste un fragment de boite crânienne<br />

humaine avait été conservé.<br />

II.3 - Une chronologie toujours difficile à établir<br />

Rien n’est plus difficile que de dater ces constructions<br />

en l’absence de matériaux organiques (charbons, ossements)<br />

utilisés par les moyens de datation physicochimique<br />

et vue la rareté des mobiliers remarquables<br />

associés de manière certaine. D’après la chrono-typologie<br />

touchant surtout l’architecture et établie par Françoise<br />

Claustre (Claustre 1998) et les travaux de Josep Tarrus<br />

(Tarrus 1990, 2002) cinq phases sont discernées.<br />

‐ Phase 1 : Le ciste (coffre de quatre dalles souvent couvertes)<br />

avec sépulture encore individuelle, mais des coffres<br />

parfois regroupés dans un tumulus complexe, daté<br />

du Néolithique moyen (2 e moitié du V e millénaire) du<br />

groupe Montbolo (pour exemple la nécropole du Camp<br />

del Ginèbre, à Caramany).<br />

- Phase 2 : Les cistes petites ou grandes, totalement<br />

enterrées, sans tumulus (pour F. Claustre comme pour<br />

J. Abélanet, il n’y a pas chez nous de véritables dolmens à<br />

couloir et chambre circulaire ou polygonale). On trouve<br />

aussi de petits coffres enterrés ou semi-enterrés, avec ou<br />

sans tumulus apparent, avec ou sans péristalithe (Caixas,<br />

Catllar, Conat, Eyne, Saint-Marsal, etc.). Leur datation<br />

pourrait se situer à la fin du IV e millénaire ?<br />

- Phase 3 : Le dolmen à couloir évolué : dolmen à couloir<br />

aussi large que la chambre à plan rectangulaire en U<br />

ou en V (Laroque-des-Albères, Saint-Jean-de-l’Albère,<br />

Tarerach, Bélesta). Certains de ces dolmens se rapprochent<br />

de l’allée couverte (Prat-Clos à Ria, Poste de tir à Saint-<br />

Michel-de-Llotes). Ces monuments correspondent aux<br />

« galeries catalanes » côté Catalogne-sud. Leur datation<br />

serait du Néolithique final (fin IV e /début III e millénaire).<br />

Pour certains monuments, la période Vérazienne peut<br />

être avancée, d’après la céramique à cordons lisses et les<br />

habitats de la même époque aux alentours.<br />

- Phase 4 : Les dolmens à couloir sont réutilisés et les dolmens<br />

simples sont construits au Chalcolithique (2 e moitié<br />

du III e millénaire). Les dolmens simples sont les plus<br />

nombreux en Roussillon (Llauro, Arles, Argelès, Molitg,<br />

Campoussy, etc.). Trois dalles ou davantage délimitent<br />

une chambre carrée ou rectangulaire. L’orientation de<br />

leur entrée est fréquente au sud (essentiellement sud-est<br />

et parfois sud-ouest). L’accès à la cella est possible par une<br />

dalle frontale à l’entrée du dolmen (Enveitg), ou par une<br />

dalle mobile (par rapport à une dalle inférieure fixe) qui<br />

fait office de porte-fenêtre (ill. 11). Parfois, un vestibulepuits<br />

sert de passage, devant la chambre à l’intérieur du<br />

tumulus ou bien une porte en bois aujourd’hui disparue.<br />

- Phase 5 : On constate la réutilisation de tous les monuments<br />

mégalithiques déjà existants et la construction de<br />

petites cistes aériennes couvertes d’un tumulus durant la<br />

fin du Chalcolithique et jusqu’à l’âge du Bronze ancien<br />

(première moitié du II e millénaire avant notre ère). Les<br />

petites structures de Bouleternère pourraient correspondre<br />

à cette étape.<br />

11 - Dolmen de La Siureda à Maureillas (cl. Jean-Marie Porra).


178 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IV<br />

Conclusion<br />

L’intérêt de la découverte des deux petits dolmens de<br />

Rodès tient déjà dans leur emplacement remarquable. La<br />

question s’est posée de savoir pourquoi la situation des<br />

dolmens privilégie de manière générale les hauteurs, les<br />

cols, les crêtes, les plateaux dominant les terres basses.<br />

Doit-on y voir des espaces plutôt dévolus aux éleveurs ?<br />

Peut-on y reconnaître le choix d’un peuple de pasteurs,<br />

avec ses « repères » mégalithiques sur des territoires de<br />

pacages et de routes de transhumance (ill. 12) ?<br />

Quant à la dimension spirituelle du choix du lieu de<br />

l’érection de ces sépultures collectives (ou peut-être simplement<br />

de quelques individus d’un groupe ou une famille),<br />

elle nous échappe. Gageons qu’elle devait revêtir une importance<br />

primordiale pour des gens qui donnaient sens à<br />

la majorité des gestes de leur vie quotidienne (leur survie<br />

en dépendait souvent), qui interprétaient constamment les<br />

mouvements climatiques et sacralisaient la plupart des éléments<br />

naturels (l’eau, les arbres, les roches, la terre, etc.).<br />

Un autre intérêt de ces mégalithes est paradoxalement<br />

leur rareté. Il est rare qu’un si vaste territoire soit prospecté<br />

de manière presque exhaustive. Compte tenu que<br />

les recherches sur le plateau ont montré que les vestiges<br />

préhistoriques récents les plus nombreux dataient du<br />

Bronze ancien et moyen, sans pouvoir toutefois le préciser,<br />

on est poussé à faire correspondre la typologie tardive<br />

de ces structures avec ce qu’exprime le contexte, c’est-àdire<br />

une occupation devenue intensive de ce piémont par<br />

un peuple probablement pasteur et semi-nomade au début<br />

de la Protohistoire.<br />

Malgré les outrages du temps, les pillages ou les réutilisations<br />

possibles, la persistance de ces deux petits mégalithes<br />

dans le paysage du plateau cristallin de Rodès-<br />

Montalba offre les plus anciens témoignages d’une emprise<br />

de l’homme sur la nature. À ce titre, ils procèdent<br />

d’un patrimoine dont il nous appartient de réfléchir sur<br />

la meilleure façon de le conserver et, après l’avoir étudié,<br />

de le transmettre aux générations futures (Porra-<br />

Kuteni 2005).<br />

12 - Vue panoramique depuis le dolmen de la Guardiola, vers le sud-ouest (cl. V. Porra-Kuteni).


chapitre V<br />

Le plateau de Ropidera à l’époque romaine :<br />

un secteur inoccupé entre deux groupes culturels<br />

Jérôme Kotarba<br />

I - Les résultats des prospections<br />

pédestres de la zone incendiée<br />

I.1 - Absence de vestiges d’époque romaine<br />

Pour l’époque romaine, le bilan des prospections pédestres<br />

de la zone incendiée de Rodès est vite établi :<br />

aucun site n’a été mis en évidence et aucun débris n’a<br />

été repéré. Un seul endroit de découverte, de très petite<br />

surface, sera présenté dans cette étude, mais nous<br />

verrons plus loin qu’il s’inscrit chronologiquement sur<br />

la période suivante, celle du haut Moyen Âge. Ainsi,<br />

malgré le caractère systématique des prospections réalisées<br />

par O. Passarrius et son équipe, malgré les collectes<br />

intégrales des artefacts de toutes les époques présents<br />

sur des zones particulières (les sites et leur environnement),<br />

nous devons constater l’absence totale de vestiges<br />

de l’époque romaine. Aucun débris d’amphore ou de<br />

céramique fine importée comme la sigillée sud-gauloise<br />

n’est présent dans les inventaires réalisés. Pourtant, les<br />

céramiques d’époque moderne, pâtes orangées bien<br />

cuites, qui sont proches visuellement des productions<br />

antiques ont été ramassées systématiquement et donc<br />

d’éventuelles confusions sur le terrain, lors des collectes,<br />

auraient été corrigées au moment des inventaires.<br />

On peut en conclure que cette absence totale de céramiques<br />

typiques de l’époque romaine classique, c’està-dire<br />

de vestiges datables entre le II e siècle avant J.‐C.<br />

et le V e siècle de notre ère, cette longue période où les<br />

importations sont nombreuses et diversifiées, constitue<br />

une caractéristique remarquable de la zone incendiée.<br />

La découverte, dans le même contexte géographique, de<br />

nombreux sites (ou concentrations de mobilier) antérieurs<br />

à l’époque romaine montre bien que cette absence<br />

ne peut pas être expliquée par des recouvrements sédimentaires<br />

postérieurs, car ils auraient aussi touché les<br />

vestiges plus anciens. Il reste bien sûr possible que ces<br />

installations plus anciennes occupent des espaces différents<br />

de ceux qui auraient pu l’être à l’époque romaine.<br />

Toutefois, comme nous allons le voir avec des exemples<br />

proches, le grand plateau de Ropidera, avec ses collines<br />

et ses étendues planes, offre des surfaces cultivables intéressantes<br />

qui auraient pu être exploitées ou mises en<br />

culture à l’époque romaine comme elles le furent précédemment.


180 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre V<br />

I.2 - Une petite concentration de mobilier d’époque wisigothique<br />

Au lieu-dit Cortal Baudet (dénomination point R<br />

sur le terrain), les prospections ont mis en évidence une<br />

petite concentration de céramiques communes présentant<br />

des caractéristiques de la fin de l’époque romaine<br />

et du haut Moyen Âge. On y distingue un premier lot<br />

de céramiques communes correspondant surtout à des<br />

panses assez épaisses à pâte brune à grise contenant<br />

de nombreux grains de sable assez fin. Leur façonnage<br />

semble modelé et correspondre à une fabrication locale.<br />

Aux 26 panses de ce lot, s’ajoute un fond légèrement<br />

bombé épais (supérieur à 10 mm). Le second groupe de<br />

céramiques est plus hétérogène, il s’agit de céramiques<br />

communes tournées dont les parois sont nettement plus<br />

fines que celles du premier lot. Les pâtes sont brunes à<br />

grises, parfois noires, et comprennent un dégraissant<br />

sableux fin incluant souvent de fins micas en surface.<br />

Ce second lot est constitué de 10 panses, 3 bords et un<br />

fond (ill. 1). L’une des panses, en pâte réductrice bien<br />

cuite (allure sèche), porte une cannelure. Le fond bombé,<br />

d’environ 11 cm de diamètre, appartient à un vase<br />

assez grand (ill. 1, n° 4). Les rebords présentent tous<br />

une mouluration. Un premier rebord dont l’épaisseur<br />

est constante porte simplement une légère gorge interne<br />

(n° 1). Les deux autres présentent de petits bandeaux<br />

verticaux plus ou moins dégagés et une gorge interne<br />

peu accentuée (n° 2 et 3).<br />

D’un point de vue typologique, sans qu’un classement<br />

précis n’ait encore été publié pour le Roussillon, ces<br />

bords se rapportent aux contextes d’époque wisigothique<br />

retrouvés tant en plaine du Roussillon que dans les<br />

sites explorés du barrage de l’Agly. Ils appartiennent à un<br />

faciès un peu plus tardif que celui des urnes à bord en<br />

bandeau que l’on trouve dans le dépotoir des Bonissos II<br />

à Tautavel (Kotarba, Castellvi, Mazière 2007) daté<br />

du milieu et de la seconde moitié du V e siècle de notre<br />

ère. Comme les rebords moulurés ne sont plus présents<br />

à l’époque carolingienne, nous proposerons de<br />

dater cet assemblage de mobilier des VI e ‐VIII e siècles .<br />

Les vestiges sur le terrain se répartissaient sur environ<br />

10 m 2 , ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une<br />

fosse, en relation avec un petit habitat rural. À partir<br />

de la documentation recueillie sur le massif incendié,<br />

ce petit endroit occupé entre le VI e et le VIII e siècle de<br />

notre ère marque donc un timide retour sur cette partie<br />

du territoire de Rodès, déserté depuis un millier d’années<br />

environ. Cette découverte d’un petit site d’époque<br />

wisigothique ne doit pas à nos yeux faire l’objet d’une<br />

interprétation exagérée. Les progrès faits ces dernières<br />

années dans la caractérisation des indices matériels du<br />

haut Moyen Âge apportent un ensemble d’informations<br />

considérable pour une période qui était restée<br />

méconnue . Toutefois, il convient de ne pas trop mettre<br />

en exergue ces occupations d’époque wisigothique, aussi<br />

modestes ou importantes soient-elles, pour laisser le<br />

temps aux historiens et archéologues de les comprendre<br />

dans le cadre de véritables dynamiques d’occupation.<br />

2 3<br />

0 5 10 15 cm<br />

1 - Les céramiques communes tournées du Cortal Baudet à Rodès (dessin J. Kotarba).<br />

4<br />

1<br />

. CAG 66, site n° 971, p. 593. Les références retenues pour les sites archéologiques<br />

décrits ou cités dans ce chapitre sont celles de la CAG 66 publiée<br />

en 2007. Les références bibliographiques antérieures pourront être retrouvées<br />

en consultant les notices de chaque site.<br />

. Cette datation est donc plus tardive que celle proposée dans la notice de la<br />

Carte Archéologique (CAG 66, site n° 804, p. 540), trop rapidement formulée.<br />

. Voir à titre d’exemple les travaux d’archéologie préventive de la LGV Perpignan–Espagne<br />

(Kotarba 2007).


Le plateau de Ropidera à l’époque romaine<br />

181<br />

II - L’occupation d’époque romaine<br />

DAns l’arrière-pays des Pyrénées-<br />

Orientales<br />

L’absence constatée de vestiges de l’époque romaine prend<br />

de l’intérêt si on la compare à ce que l’on connaît à proximité.<br />

D’une manière générale, en plaine du Roussillon, mais<br />

aussi dans les premiers contreforts <strong>montagne</strong>ux, les indices<br />

d’une présence humaine à l’époque romaine sont nombreux<br />

(ill. 2). Il est même fréquemment difficile de savoir comment<br />

prendre en compte à leur juste valeur ces débris antiques si<br />

caractéristiques par rapport à ceux des périodes juste antérieures<br />

ou postérieures disposant de moins de céramiques<br />

importées reconnaissables à partir du moindre débris.<br />

À proximité de la zone incendiée de Rodès, l’Association<br />

Archéologique des Pyrénées-Orientales a pris<br />

en charge, il y a 20 ans, des prospections pédestres sur<br />

l’emprise du futur barrage de l’Agly (communes d’Ansignan,<br />

de Caramany, de Cassagnes et de Trilla). Celles-ci<br />

ont permis de constater une présence régulière de débris<br />

d’époque romaine sur les parcelles du fond de vallée, mais<br />

aussi sur les premiers coteaux. Des habitats s’y trouvaient<br />

aussi, et étaient bien structurés comme l’ont montré les<br />

diagnostics et les fouilles qui ont suivi ces premières reconnaissances.<br />

La prospection s’est aussi développée sur<br />

une zone de collines promises à des remises en culture<br />

(commune de Lansac). Dans un milieu géographique<br />

paraissant pourtant hostile aux occupations humaines,<br />

des débris diffus de l’époque romaine étaient présents<br />

en même temps que des céramiques modelées plus anciennes.<br />

Depuis ces premiers travaux, les prospections<br />

régulières réalisées par Alain Vignaud, sur Caramany,<br />

Cassagnes, Bélesta, dans des contextes géographiques<br />

plus ou moins éloignés de la vallée de l’Agly, montrent<br />

fréquemment l’existence d’habitats antiques.<br />

C’est sur la commune de Bélesta que cette présence<br />

antique est la plus significative par rapport à l’absence<br />

constatée sur la zone incendiée de Rodès. En effet, si la<br />

vallée de l’Agly et les découvertes liées au barrage de l’Agly<br />

notamment peuvent être associées à un certain déterminisme<br />

géographique (vallée alluviale, irrigable...), il n’en<br />

est plus de même sur le territoire de Bélesta. Les collines,<br />

les affleurements rocheux granitiques que l’on y trouve<br />

sont très proches de ceux du grand secteur de Ropidera.<br />

Depuis longtemps, les recherches menées sur le dolmen<br />

Moli del Vent et près de l’église fortifiée Saint-Barthélemy<br />

de Jonquerolles ont montré la présence régulière d’artefacts<br />

d’époque romaine . Une opération d’archéologie<br />

préventive menée par A. Vignaud sur la colline qui domine<br />

ces deux endroits a permis de localiser l’habitat<br />

antique construit . C’est sans doute ce dernier qui a mis<br />

en culture les terrains qui s’étendent en contrebas, et qui<br />

y a apporté les débris diffus, notamment par la pratique<br />

d’amendement des terres, que nous retrouvons maintenant<br />

lors de travaux de fouilles. Beaucoup plus bas sur<br />

le même versant, cette fois entre le village et Caladroi, un<br />

autre habitat d’époque romaine a été découvert en prospection<br />

. C’est d’abord sa périphérie qui a été identifiée<br />

grâce à la présence d’artefacts d’époque romaine diffus,<br />

puis en remontant, de parcelle en parcelle, les vestiges<br />

sont devenus plus nombreux jusqu’à caractériser un habitat<br />

probable. On signalera aussi sur la commune de<br />

Bélesta, mais cette fois dans la partie à substrat calcaire,<br />

que les fouilles de la Caune menées par F. Claustre ont<br />

livré d’assez nombreux vestiges de l’époque romaine dans<br />

les couches supérieures de la grotte . À cette énumération<br />

de découvertes, on constate que le territoire de Bélesta<br />

est occupé avec régularité durant l’époque romaine, et<br />

que les indices plus ou moins diffus de ces occupations<br />

se retrouvent aisément dans les différentes fouilles pratiquées<br />

sur la commune.<br />

Dans la même aire géographique proche du massif<br />

incendié de Rodès, le site d’époque romaine du Col des<br />

Auzines (commune de Trévillach) est intéressant à plus<br />

d’un titre. Sa découverte et sa mise en évidence sont<br />

liées à trois sources d’information différentes : un propriétaire<br />

qui a trouvé des amphores dans sa parcelle et<br />

les a confiées au groupe Forum ; Marie Blaize, sensibilisée<br />

à l’archéologie, qui a recueilli fortuitement sur place<br />

des vestiges d’époque romaine dont un peson en terre<br />

cuite ; Alain Vignaud qui a observé lors de prospections<br />

régulières des débris antiques près d’un affleurement<br />

rocheux. La prospection du lieu, réalisée à la suite de<br />

ces différentes informations, a bien montré la réalité des<br />

différents points d’observations, tous différents. Nous<br />

pensons qu’ils appartiennent à une large zone de diffusion<br />

de vestiges antiques que nous associons à un habitat<br />

unique localisable un peu plus haut sur le versant .<br />

. CAG 66, sites n° 149 et 150, p. 256.<br />

. CAG 66, site n° 148, p. 255.<br />

. CAG 66, site n° 151, p. 256.<br />

. CAG 66, site n° 147, p. 254-255.<br />

. CAG 66, site n° 1007, p. 605.


182 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre V<br />

Habitats ruraux<br />

du IIe-Ier avant J.-C.<br />

classiques à tegula<br />

du faciès de “l’arrière-pays”<br />

du Ve-VIIe après J.-C.<br />

Proposition de limite<br />

entre les deux faciès culturels<br />

Maury<br />

Tautavel<br />

1500 à 2500 m<br />

1000 à 1500 m<br />

500 à 1000 m<br />

200 à 500 m<br />

0 à 200 m<br />

Emprises étudiées finement<br />

barrage de l’Agly<br />

zone incendiée<br />

N<br />

Lesquerde<br />

Lansac<br />

Ansignan<br />

Trilla Caramany<br />

Latour-de-France<br />

Planèzes<br />

Cassagnes<br />

L'Agly<br />

Trévillach<br />

Bélesta<br />

Tarerach<br />

Montalba-le-Château<br />

Ille-sur-Tet<br />

Néfiach<br />

Habitats ruraux<br />

du IIe-Ier avant J.-C.<br />

classiques à tegula<br />

du faciès de “l’arrière-pays”<br />

Habitats ruraux<br />

Rodès<br />

du Ve-VIIe après J.-C. Camélas<br />

du IIe-Ier avant J.-C.<br />

Proposition de limite<br />

classiques à tegula<br />

entre les deux faciès culturelsCastelnou<br />

Ria-Sirach<br />

du faciès de “l’arrière-pays”<br />

du Ve-VIIe après J.-C. 0 1500 à 2500 m 10 km<br />

Proposition de limite<br />

1000 à 1500 m<br />

Habitats ruraux<br />

entre les deux faciès culturels<br />

500 à 1000 m<br />

du IIe-Ier avant J.-C.<br />

200 à 500 m<br />

1500 à 2500 m<br />

classiques à tegula<br />

0 à 200 m<br />

N<br />

1000 à 1500 m<br />

du faciès de “l’arrière-pays”<br />

Emprises étudiées finement<br />

du Ve-VIIe après J.-C.<br />

500 à 1000 m<br />

barrage de l’Agly<br />

Proposition de limite<br />

200 à 500 m<br />

entre les deux faciès culturels<br />

0 à 200 m<br />

N<br />

zone incendiée<br />

Emprises étudiées finement<br />

Lesquerde<br />

2 - Les sites d’époque romaine connus autour 1500 de à la 2500 zone mincendiée, et essai de délimitation du groupe culturel « de l’arrière-pays » (dessin J. Kotarba).<br />

barrage de l’Agly<br />

1000 à 1500 m<br />

500 à 1000 m<br />

zone incendiée<br />

200 à 500 m<br />

Lansac<br />

Nous aurions donc ici aussi une 0 à 200 large m zone N de diffusion<br />

d’indices antiques liée notamment<br />

Emprises étudiées<br />

aux<br />

finement<br />

terres cultivées<br />

barrage de l’Agly<br />

et amendées, et un habitat qui occupe une position plus<br />

zone incendiée<br />

escarpée, dominant les espaces cultivables.<br />

Sur la commune de Montalba-le-Château, de rares<br />

vestiges d’époque romaine ont été observés près de la<br />

vieille église et de la cave coopérative 10 . Comme dans<br />

les cas précédents, il pourrait s’agir de débris associés à<br />

un habitat d’époque romaine dont l’emplacement précis<br />

reste à trouver. Ces vestiges se situent sur la partie est de<br />

la commune qui regarde vers la vallée de l’Agly, et donc à<br />

une bonne distance de la zone incendiée.<br />

Il nous faut dire quelques mots des vestiges d’époque<br />

romaine appartenant au territoire de la commune de<br />

. CAG 66, site n° 518, p. 416.<br />

10. CAG 66, site n° 519, p. 416.<br />

La Tet<br />

Ansignan<br />

Rodès. Ils se trouvent tous dans la plaine<br />

Trévillach<br />

alluviale de<br />

la Têt, et appartiennent plus précisément à la vallée de<br />

Cassagnes<br />

La Motzanes. Les deux sites les mieux documentés 11 Trilla Caramany<br />

Tarerach ,<br />

sont à rattacher à l’exploitation minière du fer du massif<br />

du Canigou d’époque<br />

Bélesta<br />

Trévillach<br />

romaine républicaine, du fait<br />

des débris retrouvés et de leur position particulière à<br />

Montalba-le-Château Ria-Sirach<br />

proximité du chemin ancien Tarerach qui suit la vallée de la Têt<br />

Ille-sur-Tet<br />

et d’un autre chemin, de crête cette fois, qui provient de<br />

La Bastide et passe par Joch 12 . Un autre site de la vallée<br />

Ria-Sirach<br />

de La Motzanes, repéré par Francis Català en prospection,<br />

correspond à une nécropole à inhumation du Bas<br />

Empire 13 Rodès<br />

, dont on peut remarquer que le ou les habitats<br />

contemporains ne sont pas connus.<br />

Ria-Sirach<br />

La Tet<br />

11. CAG 66, sites n° s 799 et 800, p. 538-539.<br />

12. Comps 2007, chemin P, p.123.<br />

13. CAG 66, site n° 801, p. 539.<br />

Thuir<br />

Maury<br />

La Tet<br />

Ansignan<br />

Lesquerde<br />

Néfiach<br />

Rodès<br />

Lansac Tautavel<br />

Castelnou<br />

0 10 km<br />

L'Agly<br />

Latour-de-France<br />

Trévillach Cassagne<br />

Trilla Caramany<br />

Planèzes<br />

Tarerach<br />

Bélesta<br />

Montalba-le-Château<br />

Camélas<br />

La Tet<br />

0<br />

Maury<br />

Ansignan<br />

Planèzes<br />

Trilla<br />

Ille-sur-Tet<br />

Thui


Le plateau de Ropidera à l’époque romaine<br />

183<br />

Enfin, pour élargir le propos à des zones géographiques<br />

qui nous semblent aujourd’hui plus difficiles à mettre<br />

en culture que les plaines alluviales, regardons vers le<br />

Conflent et la Cerdagne. Sur le Pla de Vall en So (commune<br />

de Ria), plateau aujourd’hui surtout occupé par des zones<br />

de pâturage, un habitat d’époque romaine a été découvert<br />

par M. Martzluff à 800 m d’altitude 14 . Sa délimitation<br />

précise en prospection n’a pas été chose facile car les indices<br />

antiques diffus sont éparpillés sur une large surface et<br />

notamment le long d’un probable ancien chemin. Même<br />

si le sol est couvert d’herbe, la mise en évidence d’indices<br />

d’époque romaine se fait avec beaucoup de facilité, notamment<br />

par les morceaux d’amphore bien caractéristiques.<br />

Sur ce même plateau, d’autres vestiges d’époque romaine<br />

avaient été observés antérieurement, par Jean Abélanet<br />

lors de la fouille du dolmen de Prat Clos 15 , et près de la<br />

Font de l’Aram par François Roig lors de sa recherche sur<br />

la métallurgie 16 . La présence de ces indices, liés à l’exploitation<br />

antique du Cortal Freixe ou à d’autres, non encore<br />

localisés, marque une occupation bien nette de ce plateau<br />

durant l’époque romaine.<br />

En Cerdagne française, les sites d’époque romaine pouvant<br />

correspondre à des habitats ruraux sont très rares<br />

voire quasiment inexistants. Il s’agit d’un problème de<br />

recherche et d’identification car il est difficile d’imaginer<br />

que l’agglomération de Julia Lybica se développe dans<br />

une plaine non occupée. Ce problème est sans doute<br />

plutôt lié à une conservation particulière et aux possibilités<br />

de lecture des sols, puisqu’on retrouve çà et là des<br />

fragments de poterie appartenant à cette période. À titre<br />

d’exemple, lors de travaux d’archéologie préventive menés<br />

récemment avec Christine Rendu sur la commune<br />

de Bolquère (secteur du Pla de la Creu, à 1 800 m d’altitude),<br />

nous avons découvert deux fragments isolés de<br />

céramique importée d’époque romaine 17 . Ces débris sont<br />

difficiles à interpréter : déchets lors d’activités forestières<br />

ou pastorales à l’époque romaine ; indices disposés là sur<br />

un rocher pour servir de point de repère du fait de leur<br />

couleur orangée... Peu importe l’interprétation retenue,<br />

ils montrent surtout que notre sensibilité actuelle aux<br />

artefacts d’époque antique est fine et peut identifier quelques<br />

morceaux isolés.<br />

14. CAG 66, site n° 775, p. 531.<br />

15. CAG 66, site n° 776, p. 531.<br />

16. CAG 66, site n° 774, p. 531.<br />

17. CAG 66, site n° 153, p. 257.<br />

III - Pourquoi cette absence<br />

sur le plateau de Ropidera ?<br />

Il nous faut d’abord constater, suite aux exemples<br />

donnés précédemment, que cette absence de vestiges typiques<br />

de l’époque romaine sur la zone brûlée de Rodès,<br />

est un fait avéré. Il s’agit d’un cas de figure rare dans notre<br />

département, car il est confirmé par des recherches<br />

spécifiques dans le cadre de prospections méthodiques<br />

et aussi par des résultats positifs pour les périodes plus<br />

anciennes. Quelles sont les pistes d’explication pour<br />

une telle absence ?<br />

Tout d’abord, cette observation montre clairement<br />

que ce secteur géographique n’a pas intéressé les paysans<br />

de l’époque romaine. Ce manque d’intérêt est d’ailleurs<br />

antérieur à l’époque romaine puisque les vestiges caractéristiques<br />

du IIe âge du Fer sont eux aussi absents, avec<br />

toutefois une affirmation d’absence moins catégorique<br />

que pour l’époque romaine car les indices typiques de<br />

cette période ancienne peuvent être moins abondants.<br />

On peut bien sûr s’interroger sur l’état des sols et du<br />

couvert végétal suite à la dense occupation protohistorique<br />

de ce plateau. Y a-t-il eu un déséquilibre écologique<br />

suffisant du fait de cette forte présence humaine<br />

pour rendre ce secteur inoccupé durant un millénaire<br />

environ ? La question restera sans doute longtemps sans<br />

réponse.<br />

Un autre point de vue peut être abordé en replaçant<br />

le secteur concerné dans la petite géographie historique<br />

de l’époque. Grâce aux recherches menées sur l’emprise<br />

du barrage de l’Agly, et notamment à des fouilles extensives,<br />

nous avons pu mettre en évidence des traits culturels<br />

particuliers propres à une partie de l’arrière-pays.<br />

Durant le Haut-Empire, les habitats ruraux du tronçon<br />

de vallée concerné par le barrage sont couverts avec<br />

des matériaux périssables, alors que l’altitude, environ<br />

150 m, ne l’explique pas, ni même la rudesse du climat<br />

puisque nous nous trouvons encore dans la zone de développement<br />

de l’olivier. À côté de cela, la vaisselle utilisée<br />

sur ces habitats de l’arrière-pays comprend une forte<br />

proportion de céramiques modelées de fabrication locale,<br />

ce qui n’est pas le cas en Roussillon où les vases tournés<br />

sont très majoritaires. Ces deux faits concrets marquent<br />

donc des différences notables avec les pratiques<br />

observées dans la plaine roussillonnaise à même époque.


184 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre V<br />

Ils nous ont servi de base pour mettre en évidence l’existence<br />

d’une particularité culturelle sur cette zone géographique<br />

(Kotarba 1994), où une population vit donc<br />

à l’époque romaine classique en conservant des façons de<br />

faire locales pour certains aspects de la vie matérielle 18 .<br />

Depuis, et notamment pour la rédaction des notices<br />

de la Carte Archéologique de la Gaule sur les Pyrénées-<br />

Orientales, nous avons essayé d’appliquer cette caractérisation<br />

à d’autres sites, en sachant que c’est surtout la<br />

présence ou l’absence de la tegula qui est le caractère le<br />

plus facile à constater en prospection pédestre. Ainsi, un<br />

habitat rural d’époque romaine, situé sur la commune<br />

de Castelnou dans le massif calcaire, appartiendrait au<br />

groupe culturel « de l’arrière-pays » 19 , alors que les nombreux<br />

sites répertoriés en plaine près de Thuir sont de<br />

type classique. Dans la vallée de l’Agly et du Verdouble, la<br />

totalité des sites antiques de Tautavel, ainsi que celui du<br />

Mas Camps à Maury 20 et celui du massif de la Peira Rossa<br />

sur la commune de Latour-de-France 21 possèdent des<br />

couvertures en tegulae, marquant ainsi une limite entre<br />

les deux groupes, au-delà du resserrement de la vallée, en<br />

amont de Latour-de-France. Les habitats ruraux d’époque<br />

romaine des communes de Bélesta et Cassagnes sont<br />

tous sans tegula. Il en est de même sur les communes de<br />

Caramany, Ansignan et Lesquerde, ainsi que pour le site<br />

antique de Trévillach. Dans la vallée de la Têt, le peu de<br />

sites inventoriés en Riberal et en basse plaine du Conflent<br />

rend impossible un essai de délimitation, d’autant plus<br />

que les habitats de la vallée de La Motzanes appartiennent<br />

à des occupations républicaines où l’usage de la tegula<br />

n’est pas encore établi. Par contre, en remontant plus<br />

haut dans la vallée de la Têt, les sites d’époque romaine<br />

connus sur Serdinya et Ria appartiennent au groupe sans<br />

tegula « de l’arrière-pays ».<br />

Ce petit tour d’horizon permet de constater que le<br />

secteur incendié de Rodès, qui nous intéresse ici, se<br />

trouve au contact du groupe culturel « de l’arrière-pays »<br />

bien attesté sur les communes de Bélesta, Caramany<br />

et Trévillach. Le peu de connaissance de l’occupation<br />

romaine en bas Conflent et Riberal ne permet pas d’affirmer<br />

que c’est le faciès romain classique qui s’y développe,<br />

même si le contexte géographique de large plaine<br />

cultivable le laisse attendre. La zone de Rodès-Ropidera,<br />

vide de toute trace d’occupation antique, pourrait ainsi<br />

constituer un secteur tampon inoccupé entre ces régions<br />

caractérisées par des façons différentes de couvrir les habitats.<br />

Il va sans dire que l’existence de ce groupe culturel<br />

« de l’arrière-pays », mise en évidence sur des critères matériels<br />

concrets, dans un empire romain surtout marqué<br />

par une grande uniformité, devait sans aucun doute reposer<br />

sur d’autres critères, sociaux et culturels, que nous ne<br />

sommes pas capables aujourd’hui de définir. Sans y voir<br />

d’« irréductibles Gaulois », car nous avons bien à faire à<br />

une population qui utilise une partie de la vaisselle en<br />

vogue et consomme des produits importés classiques à<br />

l’époque, l’idée d’un groupe humain vivant un peu à l’écart<br />

peut être avancée. Le caractère escarpé de la zone incendiée<br />

prospectée pourrait alors être vu comme une séparation<br />

physique entre ces deux groupes culturels. C’est<br />

en tout cas dans cette optique de zone tampon « vierge »<br />

d’installation humaine que l’absence constatée prend de<br />

l’intérêt, même si le critère d’un certain épuisement des<br />

ressources du sous-sol par une occupation antérieure très<br />

dense offre une seconde piste d’interprétation.<br />

18. Dans une récente étude réalisée avec Gérard Mut sur la métallurgie d’époque<br />

romaine dans les Pyrénées-Orientales, nous constatons, notamment à la<br />

suite de la communication faite le 1 er juin 2007, que les habitats de l’arrièrepays<br />

du Fenouillèdes livrent fréquemment des scories de fer liées à de petits<br />

volumes de minerai réduit. Cet artisanat de petite échelle semble associé à<br />

une économie en partie de subsistance, qui s’inscrit bien dans l’idée d’un<br />

certain repli d’une population sans doute autochtone (Mut, Kotarba 2007,<br />

p. 152‐153).<br />

19. CAG 66, site n° 267, p. 293.<br />

20. CAG 66, site n° 508.<br />

21. CAG 66, site n° 476.


Troisième partie<br />

La <strong>montagne</strong> et les sociétés traditionnelles


chapitre VI<br />

Ropidera, le village médiéval<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau<br />

Au cœur de la zone brûlée se trouve le village médiéval<br />

déserté de Ropidera avec tout son finage (ill. 1). L’incendie<br />

a affecté la totalité de son territoire historique, qui constitue<br />

aujourd’hui la partie de la commune de Rodès située<br />

au nord de la Têt, sur la rive gauche de ce fleuve.<br />

Le village lui‐même est installé sur une légère ligne de<br />

crête, en pente douce vers le sud, bordée par deux ruisseaux<br />

intermittents : à l’ouest le ravin de Les Cases et à<br />

l’est le ravin de La Guardiola. Les ruines de l’église et du<br />

village étaient avant l’incendie envahies par le maquis,<br />

qui rendait le relevé et l’étude de ces vestiges très difficiles<br />

. Les premières observations ont permis de constater<br />

l’ampleur de cet habitat et son bon état de conservation,<br />

en même temps que les premiers sondages dans les archives<br />

révélaient une documentation assez abondante, en<br />

tout cas pour la fin du Moyen Âge.<br />

Sur près de deux hectares, au pied de l’église Saint‐Félix<br />

à la voûte effondrée, s’étend un pierrier impressionnant<br />

dont jaillissent des murs, parfois conservés sur deux mètres<br />

d’élévation (ill. 2). La pente dicte l’organisation du village,<br />

entre les deux chemins qui relient le village de Rodès,<br />

. On se reportera à l’étude de Ropidera par Jordi Bolós dans Bolós 1995 : 500‐502.<br />

dans la vallée de la Têt, et le plateau dit de « Ropidera » au<br />

nord, vers Montalba‐le‐Château (ill. 3 et 4).<br />

La documentation écrite conservée aux Archives<br />

Départementales des Pyrénées‐Orientales (ADPO) est<br />

constituée de documents d’origine publique au sujet de<br />

la fortification de l’église et de la seigneurie (série B), de<br />

documents de la série du clergé séculier (série G) sur<br />

l’attribution des dîmes et droits paroissiaux de l’église,<br />

de quelques actes notariés et d’un important capbreu des<br />

possessions du prieuré de Marcevol à Ropidera.<br />

L’étude archéologique a consisté à effectuer le relevé<br />

en plan des vestiges directement visibles en surface .<br />

Chaque unité (maisons essentiellement) a été numérotée,<br />

décrite et photographiée. Une prospection pédestre<br />

systématique a également été entreprise afin de collecter<br />

l’abondant mobilier présent en surface et de caractériser<br />

ainsi les différentes phases d’occupation .<br />

. Ce relevé a été réalisé grâce à l’implantation de plusieurs axes. Les vestiges<br />

ont été ensuite levés par triangulation.<br />

. Cette collecte a été réalisée sur quatre grandes zones, définies au préalable.<br />

Par endroits, la présence d’unités bien circonscrites sur le terrain nous a<br />

encouragé à créer des secteurs de collecte, de superficie souvent limitée à<br />

quelques centaines de m 2 tout au plus.


188 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

1 - Localisation des sites médiévaux et du village de Ropidera.<br />

L’église Saint‐Félix et sa fortification<br />

L’église de Ropidera est installée sur un promontoire<br />

qui domine les ruines du village (ill. 5). Elle est mentionnée<br />

pour la première fois en 1204, quand Pierre de<br />

Domanova reconnaît tenir en fief pour Guillaume, vicomte<br />

de Castellnou, les églises d’Ille, de Vinça, de Ropidera,<br />

d’Espira, d’Estoher, de Seners, de Mosset, de Fulla, de<br />

Nyer et le lieu de Creu . Au siècle suivant est mentionné<br />

le vocable de l’église, Saint‐Pierre et Saint‐Félix . Malgré<br />

la première mention assez tardive, les éléments architecturaux<br />

conservés sont ceux d’une église romane dont<br />

les éléments décoratifs du chœur évoquent le second art<br />

roman. Le bâtiment d’environ 5 m de largeur sur 15 m<br />

de long était voûté en plein cintre, voûte aujourd’hui effondrée<br />

sur toute la longueur de la nef, seule l’abside res-<br />

. 1B57, parchemin original : « Ego Petrus Domenove recognosco omne fevum<br />

quod teneo pro Guillemum vicecomitem Castrinovi scilicet ecclesiam Sci<br />

Stephani de Insula et ecclesiam de Vinciano et ecclesiam de Rupidera et... villa<br />

de Cruce », daté du 4 des nones de janvier 1203 (1204 n. st.), une copie en est<br />

conservée dans la même liasse.<br />

. 3E1/95, année 1356, f os 3r‐v, 4r. « ... ecclesie sanctorum Petri et Felicis de<br />

Ropidera ».<br />

2 - Vue aérienne du village de Ropidera (cl. P. Roca).<br />

tant en partie couverte. L’accès principal se faisait par une<br />

porte située au sud. Le mode de construction de l’église<br />

comme les quelques éléments conservés de son décor architectural<br />

(fenêtres de l’abside, niche, bandeau de grands<br />

blocs du chœur) indique un édifice de la première moitié<br />

du XII e siècle .<br />

. L’architecture de l’église a fait l’objet d’une étude approfondie dans Bolós<br />

1995, ainsi que dans le rapport du programme de prospection (Passarrius


I<br />

J<br />

I<br />

J<br />

B<br />

36<br />

15b<br />

B<br />

36<br />

15b<br />

I<br />

J<br />

B<br />

36<br />

15b<br />

Fossé ?<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

V<br />

P<br />

VO<br />

P<br />

VO<br />

V<br />

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V<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

V<br />

V<br />

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VO<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

V<br />

V<br />

VO<br />

P<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

P<br />

Chemin de Les Cazes<br />

V<br />

VO<br />

Chemin de Les Cazes<br />

P<br />

V<br />

VO V<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

Chemin de Les Cases<br />

V<br />

Eglise<br />

VO<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

Eglise<br />

VO<br />

Ruisseau<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

mur ou canal ?<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

P<br />

21a 21b<br />

21c<br />

20<br />

P<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

V<br />

VO<br />

Chemin des crêtes<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

10<br />

V<br />

V<br />

Glacis ?<br />

16<br />

27 26b<br />

15c 17<br />

26a<br />

15b<br />

25a<br />

15a<br />

Enclos<br />

25b<br />

14a<br />

24<br />

14b<br />

23a<br />

11a<br />

23b<br />

12<br />

V<br />

22 11b 13<br />

VO<br />

V<br />

mur ou canal ?<br />

VO<br />

VO<br />

P<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

VO<br />

V<br />

VO<br />

Chemin de Les Cazes<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

Chemin des crêtes<br />

P<br />

VO<br />

4<br />

VO<br />

Enclos<br />

VO<br />

VO<br />

P<br />

V<br />

VO<br />

P<br />

Espace vide ?<br />

V<br />

VO<br />

P<br />

Habitat détruit<br />

par les mises en culture<br />

Eglise<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

P<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

35<br />

VO<br />

36<br />

VO<br />

V<br />

mur ou canal ?<br />

VO<br />

VO V<br />

VO<br />

P<br />

VO<br />

3<br />

Ruisseau<br />

V<br />

V<br />

V<br />

6<br />

Chemin de l'église<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

Ruisseau<br />

9<br />

7a<br />

8<br />

7b<br />

V<br />

7c<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

28<br />

V<br />

V<br />

V<br />

2<br />

V<br />

19b<br />

19a<br />

18<br />

Chemin de Les Cases<br />

31 30<br />

Chemin des crêtes<br />

VO<br />

VO<br />

P<br />

VO<br />

P<br />

P<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

1c<br />

29<br />

21a 21b<br />

21c<br />

20<br />

4<br />

4<br />

Enclos<br />

Fossé ?<br />

Glacis ?<br />

32<br />

16<br />

V<br />

27 26b<br />

15c 17<br />

26a<br />

15b<br />

V<br />

Enclos<br />

25a<br />

15a<br />

25b<br />

14a<br />

24<br />

14b<br />

23a 33<br />

11a<br />

23b<br />

12<br />

22 11b 13<br />

Fossé ?<br />

V<br />

1b<br />

1a<br />

VO<br />

VO<br />

Chemin de Les Cases<br />

Ruisseau<br />

Chemin des crêtes<br />

Glacis ?<br />

10<br />

Chemin de Les Cases<br />

Ropidera, le village médiéval<br />

3<br />

6<br />

Chemin de l'église<br />

3<br />

Chemin de l'église<br />

28<br />

Espace vide 16?<br />

19b<br />

27 26b<br />

19a<br />

15c<br />

18<br />

17<br />

26a<br />

15b<br />

9<br />

15a<br />

Enclos<br />

25a 25b<br />

14a<br />

24<br />

14b<br />

29<br />

23a<br />

11a<br />

7a<br />

23b<br />

12<br />

V<br />

22 11b 13<br />

31 30<br />

8<br />

21a 21b 10<br />

7b<br />

21c<br />

20<br />

7c<br />

Espace vide ?<br />

32<br />

39<br />

9<br />

VO<br />

Habitat détruit<br />

par les mises en culture 7a<br />

8<br />

7b<br />

7c<br />

33<br />

Habitat détruit 6<br />

par les mises en culture<br />

VO<br />

VO<br />

37<br />

2<br />

28<br />

1b<br />

1c 1a<br />

2<br />

19b<br />

19a<br />

18<br />

31 30<br />

39<br />

Ruisseau<br />

Chemin des crêtes<br />

1c<br />

32<br />

1b<br />

1a<br />

29<br />

33<br />

39<br />

Chemin des crêtes<br />

N<br />

Ruisseau<br />

Chemin de Les Cases<br />

189<br />

N<br />

Ruisseau<br />

Ruisseau<br />

V<br />

P<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

VO<br />

35<br />

P<br />

VO<br />

VO<br />

P<br />

VO<br />

VO<br />

V<br />

P<br />

VO<br />

VO<br />

P<br />

P<br />

V<br />

VO<br />

VO<br />

P<br />

VO<br />

VO<br />

Chemin de Les Cases<br />

36<br />

35<br />

Concentration de céramiques (Xe-XIIIe 37 )<br />

V<br />

Ruisseau<br />

VO<br />

36<br />

Vo<br />

Vo<br />

Parcelles cadastrales en 1832<br />

Murs de terrasse<br />

Culture en 1832 (vigne/olivier)<br />

Vo<br />

Cabane<br />

Parcelles cadastrales en 1832<br />

Murs de terrasse<br />

Culture en 1832 (vigne/olivier)<br />

Cabane<br />

P<br />

Pierrier<br />

P<br />

Parcelles<br />

Chemin<br />

cadastrales en 1832<br />

Murs de<br />

Ruisseau<br />

terrasse<br />

Culture en<br />

Rocher<br />

1832 (vigne/olivier)<br />

Cabane Pierrier<br />

Chemin<br />

Ruisseau<br />

Rocher<br />

V<br />

Tas d'épierrement<br />

Pierrier<br />

Chemin<br />

Ruisseau<br />

Rocher<br />

Murs de terrasse<br />

3 - Plan général du village de Ropidera, reporté sur le plan cadastral de 1832.<br />

P<br />

VO<br />

0 100m<br />

0 100m<br />

0 100m<br />

VO<br />

Tas d'épierrement<br />

Murs de terrasse<br />

4 - Plan général du village de Ropidera.<br />

0 20 m<br />

37<br />

Concentration de céramiques (Xe-XIIIe )<br />

Concentration<br />

de céramiques<br />

X e ‐XIII e s<br />

0 20 m<br />

Concentration de céramiques (Xe-XIIIe )<br />

Malgré sa mention tardive, l’église est donc antérieure<br />

; étant nommé comme lieu‐dit en 955 puis<br />

comme villa en 1011 , devenu par la suite un village<br />

constitué, on peut penser que Ropidera est déjà<br />

doté d’une église à cette époque, comme toutes les<br />

villae des X e ‐XI e siècles qui sont des villages aux<br />

siècles suivants .<br />

Tas d'épierrement<br />

Murs de terrasse<br />

0 20 m<br />

et alii 2007 : 75‐76).<br />

. Bulle de Serge IV en faveur de Cuixà qui cite parmi les possessions<br />

du monastère un « alodem de villa Ropidaria », Marca Hispanica,<br />

appendix, n° 164, col. 979.<br />

. Passarrius, Catafau 2007 : 89‐120. On a pu faire la même démonstration,<br />

cette fois par la fouille archéologique, à Vilarnau (Passarrius,<br />

Donat, Catafau 2008).<br />

5 - Vue aérienne de l’église Saint‐Félix (cl. P. Roca).


190 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

N<br />

Fossé<br />

Glacis ?<br />

Église<br />

Tour<br />

Réduit fortifié<br />

0 10 m<br />

6 - Plan de l’église et de son réduit fortifié.<br />

L’église est surtout remarquable par sa fortification : depuis la vallée de la<br />

Têt et la route nationale 116, elle se signale par sa tour, qui s’élève encore à<br />

quinze mètres de hauteur. De forme rectangulaire, bâtie d’un double parement<br />

en blocs de pierre de taille comblé de tout‐venant lié à la chaux, cette<br />

tour englobe l’abside et le chevet, en aveuglant ses fenêtres (ill. 6, 7 et 8). La<br />

tour possède une ouverture au‐dessus du toit de l’abside sur lequel elle s’appuie,<br />

à l’est, et qui constituait peut‐être un accès extérieur élevé (en raison<br />

de l’effondrement de la voûte de l’église et de la partie ouest de la tour, on ne<br />

sait rien d’un accès du côté intérieur). Le reste de l’église ne conserve pas de<br />

traces visibles de fortification, mais l’église est entourée d’un ensemble défensif<br />

constitué au sud et à l’est par un mur d’environ 1,30 m de largeur, en<br />

blocs liés au mortier de chaux, et au nord et à l’ouest par un fossé en partie<br />

effacé qui laisse une légère dépression de 6 à 7 m de largeur. Un « enclos »<br />

d’environ 150 m 2 de superficie entoure donc l’église, correspondant à un réduit<br />

défensif ou à l’espace d’un cimetière (en partie ?) fortifié .<br />

Un certain nombre de sources écrites et d’informations historiques renseignent<br />

sur le contexte de cette fortification. Dès 1266, un frère et une<br />

sœur, originaires de Ropidera, partagent l’héritage de leurs parents, le frère<br />

conserve pour lui la maison de leurs parents « in castro de Ropidera » 10 . À<br />

cette date le village doit donc présenter quelques traits d’un village fortifié.<br />

On peut penser que la « fortification » très légère du village telle qu’elle est<br />

révélée par l’étude des vestiges (voir infra) s’accompagnait de l’existence du<br />

réduit et de l’église fortifiés.<br />

. On trouvera dans l’ouvrage Vilarnau (Passarrius et alii 2008 : 271‐277) plusieurs exemples de cimetières<br />

fortifiés dans notre région.<br />

10. ADPO, 3E1/2, 1266, f o 4r° : « ...quandam domum quae est in vill in castro de Ropidera... aff... ex<br />

II partibus in viis publicis et alia parte in domo F. Boteina et ex alia... d’en Basan. » La rature semble<br />

pertinente : la maison se trouve dans un village qui a, peu ou prou, l’aspect d’un « castrum » (village<br />

ceint de murailles) et peut‐être surtout qui a le statut juridique d’un castrum (avec des droits sur le<br />

territoire qui lui est soumis).<br />

7 - Détail des vestiges de la tour qui surmonte le chevet<br />

de l’église (cl. O. Passarrius).<br />

8 - La base talutée de la tour construite sur le chevet de<br />

l’église Saint‐Félix (cl. O. Passarrius).


Ropidera, le village médiéval<br />

191<br />

9 - Vue aérienne du château de Rodès, dominant le village actuel installé sur la pente (cl. O. Passarrius).<br />

Plusieurs documents évoquent ensemble les « châteaux<br />

» de Rodès et de Ropidera : bien entendu il n’existe entre<br />

les deux qu’une similitude de termes (ill. 9). Le puissant<br />

château de Rodès n’a aucun équivalent à Ropidera ; le seul<br />

« château de Ropidera » qui existe est constitué par l’église<br />

fortifiée, son enceinte et le « mur villageois ». Ces éléments<br />

permettent cependant de distinguer Ropidera en tant que<br />

castrum qui peut donc posséder son territoire juridictionnel.<br />

En 1281, Jacques, roi de Majorque, concède en fief les<br />

justices civiles et criminelles de plusieurs lieux à Guillem<br />

de Canet, dont les châteaux de Rodès et Ropidera, parmi<br />

d’autres 11 . Le même Guillem de Canet, en 1319, prête<br />

hommage au roi Sanç de Majorque pour les châteaux de<br />

Canet, Rodès et Ropidera. C’est à cette époque que Sanç<br />

et Guillem de Canet passèrent des accords selon lesquels<br />

Guillem reconnaissait tenir du roi les châteaux de Rodès et<br />

Ropidera, le roi Sanç concédant en outre à Guillem les lieux<br />

11. ADPO, 2J1/16, p. 417‐424, Charte de Jacques, roi de Majorque : concession<br />

en fief des justices civiles et criminelles de Canet à Guillem de Canet,<br />

ainsi que les justices que le roi possède à Sainte‐Marie‐de‐la‐Mer, au château<br />

et dans la villa de Villanova, « in castro vestro de Caucia et in castris vestris de<br />

Rodesio et de Roppidera et de Fullano et in castro et villa de Mosseto... dat.<br />

in Perpiniano, 16 kls agusti 1281... testes : Ermengaldus de Urgio, Petrus de<br />

Fenolleto, Bernardus de Ulmis, Berengarius de Ulmis, Arnaldus de Lupiano,<br />

Berengarius Surdi, Arnaldus de Perapertusa, Petrus Rubei judex dicti dni regis,<br />

s+n Petri de Calidis », (source : empara de Canet, f os 26 à 38).<br />

de Torreilles, Juhègues et autres 12 . Plus tard, Pierre III le<br />

Cérémonieux concède la châtellenie de Rodès et Ropidera<br />

à Ramon de Perellos, lequel le laisse en héritage à sa fille<br />

éléonor. Peu après cette châtellenie est achetée par le roi<br />

Jean Ier qui la revend à un cousin germain d’éléonore, appelé<br />

lui aussi Ramon de Perellos, second vicomte de Roda<br />

(Aragon) et premier vicomte de Perellos.<br />

La construction de la tour au‐dessus de l’abside de l’église<br />

trouve sa justification dans la position frontalière du lieu à<br />

partir du traité de Corbeil, en 1258 13 . La tour de Ropidera<br />

est en contact visuel avec la vallée et sert donc à prévenir<br />

les incursions potentielles depuis le royaume de France<br />

et le château de Montalba, juste au nord du territoire de<br />

Ropidera. L’église se trouve ainsi au point de contact du<br />

plateau (et des Français voisins) et des chemins qui mènent<br />

à la vallée, en position plus d’alerte que de verrou.<br />

12. ADPO, Cartulaire manuscrit d’Alart, 2J1/34, p. 110 : Noverint universi quod<br />

nobilis vir dominus Guillemus de Caneto recognovit... domino... regi Sancio.<br />

tenere ab eo et suis in feudum ad consuetudinem Barchinone merum imperium<br />

castri de Caneto et terminorum eiusdem et loci de Sci Michaelis de Furchis<br />

et castra de Rodesio et de Ropidera, tenetur et promisit dicto dno regi dare<br />

potestatem iratus et paccatus quocienscumque inde fuerit requisitus... acta in<br />

castro regio Perpiniani 14 kls junii a d 1319, testes Guillemus de Viridaria miles,<br />

Johannes Catelli repositarius predicti dom regis», source : LFC f o 114 v°.<br />

13. Bayrou 2004.


192 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

Le village<br />

Le lieu de Ropidera apparaît dans les textes quand il est<br />

cité en 955 comme voisin de l’alleu Monte Nero, sur le territoire<br />

d’Ille 14 . Puis en 1011 une bulle de confirmation du<br />

pape Serge IV en faveur de Cuixà mentionne, entre autres,<br />

un alleu dans la villa Ropideria. C’est la première mention<br />

de Ropidera comme villa, terme qui n’a pas obligatoirement<br />

un sens très bien défini et qui est employé avec une certaine<br />

souplesse, ou imprécision, puisqu’un lieu peut passer<br />

de la qualification de locus, ou villare à celle de villa, dans<br />

une sorte de progression dans le rang des structures de<br />

peuplement, ou bien régresser de villa à villare ou locus ;<br />

toutefois des hésitations et des allers et retours plus incohérents<br />

entre ces diverses catégories ne sont pas rares 15 .<br />

Ces variations de nom reflètent souvent une progression<br />

ou un recul du lieu en termes démographiques, économiques<br />

ou sociaux (seigneurie, église, château, droits, justices,<br />

territoire, etc.), mais elles semblent aussi dépendre des<br />

usages des différents scribes. Pour Ropidera, on remarque<br />

que le lieu connaît un processus comparable à beaucoup<br />

d’autres en Roussillon‐Conflent à la même époque, avec<br />

une rapide consolidation de ses limites territoriales, de<br />

son caractère villageois et de ses « équipements collectifs »<br />

(même si ceux‐ci ne sont nommés que plus tard) ; l’église,<br />

le cimetière, les chemins, les moulins.<br />

Sur le terrain, la morphologie du village de Ropidera durant<br />

les premières phases d’occupation (X e ‐XIII e siècles) est<br />

difficile à percevoir, masquée par les aménagements postérieurs<br />

et les habitats du bas Moyen Âge qui recouvrent les<br />

vestiges plus anciens. Les seules observations concernant<br />

cette période ont été réalisées en périphérie du village du<br />

bas Moyen Âge, au milieu des terrasses (ill. 4). À cet endroit,<br />

quelques lambeaux de murs, totalement arasés, ont<br />

été observés (ensembles n os 37, 38 et 39). Les prospections<br />

pédestres ont permis de noter la présence de tessons de céramiques<br />

communes à cuisson réductrice, semble‐t‐il antérieures<br />

au XIII e siècle 16 . Ces vestiges s’étendent sur près de<br />

7 000 m 2 mais cette surface doit être pondérée, compte tenu<br />

de la présence de nombreuses terrasses dont la construction<br />

est susceptible d’avoir dispersé les artefacts.<br />

14. Abadal i Vinyals 1954‐1955, acte n° 79 : limites d’un alleu dans la vallée<br />

d’Ille qui touche « per ipsos bennales qui fuerunt de Lupone... pervenit ad<br />

ipsos bennales de Rupidaria ». Le sens du mot bennales, plusieurs fois répété<br />

dans ce document, apparemment pour désigner des terres, est inconnu.<br />

15. Voir Catafau 1995 :179‐180 et Catafau 2006 :129‐149.<br />

16. Cette hypothèse de datation est confirmée par l’absence d’importations<br />

espagnoles postérieures au milieu du XIII e siècle.<br />

Il est intéressant de noter la distance qui sépare l’église<br />

de cette zone de découverte. Les vestiges les plus proches<br />

sont situés à 140 m de l’édifice de culte et l’extrémité de la<br />

concentration s’en trouve à plus de 230 m.<br />

Il est bien difficile d’interpréter ces vestiges, d’autant<br />

plus que les textes ne nous sont ici d’aucun secours.<br />

Il faut en effet attendre les premiers registres notariaux<br />

conservés pour trouver mention d’une maison à<br />

Ropidera, en 1266. Ces vestiges archéologiques pourraient<br />

alors témoigner de l’existence d’une première<br />

implantation villageoise lâche, organisée le long d’un<br />

chemin, à l’image des villages du haut Moyen Âge ou<br />

des modèles pyrénéens.<br />

Le village à la fin du XIV e siècle, c’est‐à‐dire grosso modo<br />

dans sa dernière occupation et dans son état d’abandon,<br />

nous est connu par un document d’un type fréquent en<br />

Catalogne, le capbreu, la somme des déclarations des<br />

biens tenus pour un même seigneur en un lieu donné.<br />

Le document que nous possédons 17 , issu des archives<br />

du prieuré de Marcevol, qui est à cette époque seigneur<br />

du village de Ropidera, nous renseigne sur les habitants,<br />

un certain nombre de lieux du village et de toponymes<br />

du finage. Sur seize déclarants du capbreu, tous « de<br />

Ropidera », seulement quatre déclarent une maison (l’un<br />

d’eux en possède une autre, voisine de celle qu’il déclare,<br />

mais qu’il ne tient pas pour le prieur de Marcevol), un<br />

autre déclare deux maisons, en outre les consuls déclarent<br />

au nom de la communauté de Ropidera une maison<br />

appelée « la fabrega » (« la forge »), et le curé la maison<br />

appelée « capellania ». Les voisinages de ces maisons<br />

permettent d’identifier huit autres maisons 18 . Quatorze<br />

maisons, plus la forge et la maison presbytérale 19 sont<br />

17. ADPO, 4HDt38, Philippe Sobirà, notaire à Vinça, copié par J.‐B. Alart,<br />

Marcevol et l’église de Vinça, ms 111, Médiathèque de Perpignan, p. 193 et suiv.<br />

18. Bien que ces maisons soient désignées par le terme « tenencia », on peut<br />

tenir ce terme, dans le village, pour l’équivalent du bien foncier le plus habituel,<br />

la maison, en effet quand le voisin est un jardin, un pati (une courette), la<br />

chapellenie (le presbytère), la forge ou un verger, ces biens sont désignés avec<br />

précision, par ailleurs les quelques exemples de voisins qui sont tous deux<br />

déclarants montrent que c’est bien par le terme « tenencia » qu’est désignée<br />

la maison du voisin. Seules les maisons du voisinage qui appartiennent au<br />

même déclarant sont dites « domus » (« tenenciam... confrontatam... cum alia<br />

domo mea »), l’adjectif « alia » vient confirmer dans ce cas la nature de la<br />

« tenencia » déclarée.<br />

19. Comme les consuls déclarent que la forge est mitoyenne de la capellania<br />

antigua, mais la chapellenie n’est pas dite toucher à la forge, on aurait tendance<br />

à penser que cette capellania antigua n’est pas celle qui est déclarée,<br />

d’autant que le qualificatif antiquus est souvent utilisé dans les actes du Moyen<br />

Âge pour désigner, dans le cas de deux éléments similaires, le plus ancien<br />

par rapport au plus récent. Dans le doute nous n’avons pas compté cette<br />

capellania antigua comme une construction supplémentaire, en revanche un<br />

autre curé de Ropidera apparaît dans les voisins des parcelles, comme il n’est


Ropidera, le village médiéval<br />

193<br />

donc citées, mais pour avoir une idée plus exacte du nombre<br />

de maisons, il faut remarquer que les confronts des<br />

parcelles déclarées dans le capbreu nous font connaître le<br />

nom de dix‐huit autres personnes dites « de Ropidera »<br />

(hommes, ou leurs héritiers ou héritières) qui semblent<br />

être chefs de famille, et donc très probablement possédant<br />

une maison au village 20 . Quelques erreurs restent<br />

possibles (doublons, homonymes non reconnus), mais<br />

on peut penser que le nombre de trente‐deux maisons<br />

(plus la forge et la chapellenie) est une assez sûre estimation.<br />

On a remarqué que sur cinq déclarants de maisons,<br />

deux déclaraient en posséder deux, ces « secondes »<br />

maisons sont probablement occupées par d’autres membres<br />

de la famille (oncles, frères, enfants mariés) ou par<br />

certains des habitants ne déclarant pas de maison. Nous<br />

pouvons donc ôter deux « familles » du total à loger, mais<br />

on pourrait supposer que sur les vingt‐cinq qui n’ont pas<br />

déclaré de maison, plusieurs détenaient plus d’une maison...<br />

Le nombre de trente‐deux constructions (incluant<br />

la forge et la maison presbytérale) est donc un minimum,<br />

à notre sens 21 .<br />

Le village apparaît, au vu du capbreu, comme possédant<br />

des murs, un rempart. Un ensemble constitué d’une maison<br />

plus une courette (patuus) touche au « mur vieux du<br />

lieu de Ropidera », un verger (ou pati‐patus) touche « de<br />

deux côtés au mur ». La désignation du mur « vieux »<br />

correspond sans doute à une différenciation faite par les<br />

gens du village entre une première enceinte et une seconde.<br />

Souvent, dans les gros bourgs de la plaine, ou à<br />

pas lui‐même déclarant, nous l’avons compté parmi les habitants du village<br />

dont les maisons ne sont pas citées.<br />

20. Nous avons essayé de déjouer les pièges des doubles comptages : dans le<br />

cas de mentions de tenures d’un tel défunt, on ne compte qu’une personne,<br />

l’héritier (à condition qu’il n’ait pas déclaré de maison ou ait été cité dans<br />

les voisins de maisons au village) ; de nombreux patronymes sont communs<br />

à deux, trois voire quatre familles différentes (les Baffarini, les Bertrand, les<br />

Pagès, les Roger, les Serda), on a compté les différentes branches, différenciées<br />

par des sobriquets (d’amont, d’avall, de la Plassa) ou des alias, comme des<br />

unités familiales indépendantes, ayant chacune leur maison.<br />

21. En particulier parce que rien ne prouve que tous les habitants de Ropidera<br />

aient été nommés comme voisins des terres déclarées dans le capbreu... Ce<br />

capbreu montre bien que certaines terres sont tenues pour le roi, d’autres<br />

pour le Prieuré de Serrabone, d’autres sont allodiales. Certains habitants de<br />

Ropidera ne sont pas tenanciers pour le Prieuré de Marcevol ni même mitoyens<br />

de ces tenanciers. On doit compter avec la présence de serviteurs, brassiers<br />

ou pauvres ne détenant pas de terre directement d’un seigneur (le testament<br />

de Pere Botinya de Ropidera en 1356 attribue trente sous pour l’achat de pain<br />

à distribuer pro una caritate roganda au lieu de Ropidera... il y a donc des<br />

pauvres !), de même que de quelques hommes de guerre et de leur famille,<br />

assurant la garde du « château ». Ces réserves, semblables à celles que l’on<br />

doit faire pour tout capbreu, nous rappellent que ces documents ne sont rien<br />

de plus qu’un état comptable établi pour un seigneur, et non pas un tableau<br />

exact de la population ou des terres et maisons d’un village.<br />

Perpignan, ce sont des enceintes successives que l’on différencie<br />

ainsi, à Ropidera ce n’est sans doute pas le cas,<br />

on peut donc supposer que le mur qui semble le plus<br />

« vieux » est celui qui entoure l’église fortifiée ou qui prolonge<br />

cette fortification, du côté ouest.<br />

D’autres éléments sont à souligner dans l’organisation<br />

du village telle que la révèle le capbreu. Les espaces bâtis<br />

(maisons) voisinent assez souvent (deux sur huit maisons<br />

déclarées 22 ) avec des courettes, espaces non‐bâtis, pouvant<br />

éventuellement être vergers ou jardins, plus souvent<br />

sans doute espaces de réserve pour l’agrandissement de la<br />

maison, ou lieu de stockage de quelques ustensiles agricoles<br />

ou d’un peu de bois, enclos pour quelques têtes de<br />

bétail ou quelques poules (redevances en œufs dans certains<br />

cas). Deux actes notariaux, presque contemporains<br />

du capbreu, donnent des indications complémentaires<br />

sur ces espaces libres 23 : deux d’entre eux abritent un « pigeonnier<br />

» (columbarium). Peut‐être ce terme désigne‐t‐il<br />

aussi une basse‐cour, un poulailler ? L’inventaire de 1364<br />

mentionne aussi parmi les biens situés dans le village un<br />

« cellarium », qui a des confronts différents de ceux de<br />

la maison, qui est donc un bâtiment séparé, sans doute<br />

de dimensions très réduites. Rien n’indique en revanche<br />

que ce cellier se trouve dans l’espace environnant l’église,<br />

dans un modèle de forme « cellera » fréquent par ailleurs<br />

en Roussillon et bas Conflent (à Vinça, Marquixanes,<br />

Prades par exemple).<br />

Du point de vue de l’architecture de la maison et de sa<br />

construction, on remarque la présence, dans un pati, d’un<br />

escalier ou d’une échelle, permettant d’accéder à l’étage ou<br />

aux combles de la maison : cette configuration évoque celle<br />

que nous retrouvons dans de nombreuses maisons villageoises<br />

traditionnelles du Conflent (remontant à l’époque moderne)<br />

et peut s’expliquer par la volonté de ne pas diminuer<br />

l’espace habitable intérieur avec la construction d’un escalier,<br />

ou par la localisation au rez‐de‐chaussée de la bergerie<br />

ou de l’étable, la partie d’habitation des hommes se trouvant<br />

à l’étage, l’escalier extérieur permet de ne pas traverser<br />

le logement du bétail pour entrer chez soi, soit encore par<br />

la construction postérieure de l’étage, l’escalier étant ajouté<br />

contre le mur du premier bâtiment, au rez‐de‐chaussée.<br />

22. Le verger déclaré dans le village constitue un troisième exemple, il est<br />

appelé d’ailleurs « patuum sive viridarium ».<br />

23. Alart, CM, t. XV, p. 111‐112, 1364, notule de Gaucelm Ferriol, syndicat<br />

d’Ille, inventaire des biens de Sibilia, veuve de Pere Serda de Ropidera : « item<br />

unum pati in quo est unum columbarium et unum scaler » ; ADPO, Alart,<br />

CM, 2J1/35, p. 154 : « quoddam patuum et quandam domum cum quodam<br />

columbario contiguos sitos infra dictum locum de Ropidera ».


194 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

On peut dans le cas de cette maison, déduire aussi de ce texte que<br />

le pati jouxte une maison construite sur un espace à peu près plat,<br />

car dans le cas des maisons construites sur un terrain en forte pente,<br />

l’étage ouvre souvent de plain‐pied sur l’arrière de la maison, là où<br />

la déclivité naturelle fait de l’étage le rez‐de‐chaussée, l’escalier n’est<br />

donc nécessaire que pour les maisons construites sur une surface<br />

plus plane.<br />

On peut évoquer aussi, d’après les confronts, la présence de rues<br />

(parfois une parcelle touche à la « via » de deux côtés, soit parce la<br />

rue marque un angle soit parce que la maison se situe entre deux<br />

rues), et d’après les patronymes et sobriquets l’existence d’une<br />

« place » (Pere Baffari de la Plassa) et de familles d’« en haut »<br />

et d’« en bas » du village, ce qui semble logique compte‐tenu du<br />

terrain (Guillem Pagès d’amont ; Guillem Pagès d’avall).<br />

Les documents donnent quelques informations de caractère social<br />

sur les habitants du village. Le prieur de Marcevol nomme à la<br />

fonction de batlle de Ropidera (bayle, ou bailli : le fondé de pouvoir<br />

du seigneur, chargé de l’administration de ses biens et de la perception<br />

de ses rentes et revenus), en 1356, un habitant de Ropidera, Pere<br />

Pagès, fils de Guillem Pagès, qui devra occuper cette fonction durant<br />

toute sa vie puis avoir un héritier qui reprenne la charge. Pour cette<br />

baylie, Pere Pagès fait hommage et fidélité, des mains et de la bouche<br />

et prête serment sur les Évangiles. Deux autres hommes parmi les<br />

déclarants de 1393 se disent eux aussi « hommes propres et solides<br />

» du prieur, l’un tient le mas d’en Conam, l’autre huit pièces de<br />

terre et une vigne, ce qui en fait un « gros » tenancier. Par ailleurs le<br />

village de Ropidera est socialement structuré comme une communauté,<br />

qui possède ses consuls ; ceux‐ci, au nom de la communauté<br />

déclarent tenir la forge du village pour laquelle l’« universitas » de ce<br />

lieu verse un cens léger de deux deniers au prieur. Sans doute cette<br />

fabrega est‐elle sous‐acensée à un forgeron par la communauté, pour<br />

la production et l’entretien de l’outillage métallique des villageois 24 .<br />

L’incendie a révélé les ruines du village de Ropidera, qui se déployait<br />

en contrebas de l’église, au sud, et était installé dans la pente. Les vestiges<br />

actuellement visibles sont cantonnés à l’ouest par un chemin<br />

qui prend naissance au village de Rodès et le relie, via Ropidera, au<br />

plateau situé au nord (chemin de Les Cases). À l’intérieur mais surtout<br />

en amont et en aval du village, ce chemin est flanqué de deux<br />

murs d’environ 1 m à 1,20 m de hauteur, construits pour éviter la<br />

dépaissance des troupeaux dans les champs environnants (ill. 10).<br />

24. Lors des prospections de surface, de nombreuses scories de fer ont été observées,<br />

sans qu’il soit toutefois possible individualiser de concentration particulière, permettant<br />

de localiser l’emplacement de l’atelier.<br />

10 - Le chemin « des crêtes », bordé de hauts murs pour éviter la<br />

divagation des troupeaux (cl. O. Passarrius).<br />

À environ 90 m en contrebas de l’église, une<br />

bifurcation du chemin « chemin de l’église »<br />

permet de traverser le village et de se rendre<br />

directement à l’église. Plus bas encore, une seconde<br />

bifurcation voit la naissance d’un sentier<br />

qui longe à l’est le village, traverse le cours d’eau<br />

et remonte vers les crêtes qui dominent à l’est<br />

Ropidera (« chemin des crêtes »).<br />

Les maisons et les ruelles qu’ils desservent<br />

sont toutes organisées par rapport à ces trois<br />

chemins. Les constructions sont exclusivement<br />

situées au sud de l’église Saint‐Félix et se déploient<br />

sur au moins 110 m, ce qui représente<br />

une superficie d’occupation d’environ deux hectares.<br />

Au centre, se trouve une zone d’environ<br />

350 m 2 , vide semble‐t‐il de toute construction.<br />

En l’absence de fouille, il est impossible de<br />

déterminer s’il s’agit d’une anomalie liée à un<br />

problème de conservation différentielle ou, au<br />

contraire, si cet emplacement correspond à une<br />

zone vide de maisons, à la plassa du capbreu.


Ropidera, le village médiéval<br />

195<br />

11 - Paysage incendié, depuis le sommet de l’église de Ropidera (cl. P. Roca).<br />

La limite ouest du village est matérialisée par la présence d’un mur<br />

puissant, de 1,35 m de largeur, solidement appareillé et que l’on suit<br />

sur environ 21 m (ill. 12). Manifestement, ce mur ne semble pas lié<br />

à une construction domestique et le fait qu’il vienne se connecter à<br />

l’enceinte du réduit ecclésial incite à y voir le vestige d’une ancienne<br />

fortification villageoise, malmenée ensuite par l’évolution du village.<br />

Un accès est encore préservé : large de 1,30 m, il est aménagé à l’extrémité<br />

sud du mur. En extrapolant les données fournies par l’étude<br />

de terrain, on serait tenté de voir dans le rempart qui ceint le réduit<br />

ecclésial le « mur vieux » des textes, complété par la suite par une seconde<br />

fortification, celle que l’on distingue pour partie en limite ouest<br />

du village.<br />

L’analyse des maisons ou des constructions identifiées dans l’espace<br />

villageois fournit des renseignements intéressants quant à la physionomie<br />

de cet habitat dont la chronologie, centrée sur le bas Moyen<br />

Âge (XIV e ‐première moitié XV e siècle), est homogène, supposant<br />

ainsi un abandon qui suit une période où le village était encore densément<br />

occupé.<br />

Le relevé effectué sur le site de Ropidera a permis de lever le plan<br />

du dernier état villageois, celui des XIV‐XV e siècles. L’homogénéité<br />

apparente, tant dans les plans, les architectures de maisons que dans<br />

celle du mobilier, autorise une véritable réflexion quant à la physionomie<br />

de cet habitat des premiers contreforts pyrénéens.<br />

Au premier abord, ce qui surprend le plus c’est l’absence de regroupement<br />

net autour de l’église. Le village s’étire au sud de l’édifice, sur<br />

12 - Détail de l’enceinte villageoise, conservée sur la partie ouest<br />

du site (cl. P. Roca).<br />

près de 130 m, le long d’un chemin qui se ramifie<br />

en ruelles lors de son entrée dans l’espace<br />

villageois. Les mentions « d’en haut » et<br />

« d’en bas », que l’on retrouve accolées à des<br />

noms de famille vivant au village, trouvent<br />

tout leur sens avec un habitat qui s’étire sur<br />

la pente.<br />

Le chemin, qui monte de la vallée et rejoint<br />

le plateau situé plus au nord, est par endroits<br />

bordé de murs, à l’image des chemins destinés<br />

aux troupeaux (chemin de Les Cases).<br />

Initialement, il est probable qu’il passait par<br />

l’église, empruntant le tracé du chemin dit de<br />

l’église. La ramification qui s’opère en bas du<br />

village est postérieure : un nouveau chemin,<br />

médiéval, contourne l’habitat par l’ouest tandis<br />

qu’un second rejoint les crêtes qui dominent<br />

le site et notamment le lieu‐dit Roc de<br />

Sabardana où les mises en culture du Moyen<br />

Âge sont attestées par l’archéologie et par les<br />

textes 25 .<br />

25. Se reporter pour plus de renseignements au chap. VIII<br />

consacré à l’étude du paysage et des mises en cultures durant<br />

le Moyen Âge.


196 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

13 - Ruelle entre deux maisons, colmatée par les blocs provenant de la<br />

destruction du village (cl. P. Roca).<br />

L’espace villageois est parcouru de ruelles, larges<br />

de 1 à 2 m, qui permettent de desservir chacune des<br />

maisons (ill. 13).<br />

Au total 38 maisons (ou unités d’habitation)<br />

ont été reconnues autour de l’église et peuvent être<br />

datées du bas Moyen Âge. Ce chiffre est, in fine,<br />

très proche de celui obtenu à partir du dépouillement<br />

du capbreu, qui suggère de façon directe ou<br />

indirecte l’existence d’au moins 32 maisons, en y<br />

incluant la maison presbytérale et la forge du village.<br />

L’impression d’être confronté à l’image figée du<br />

dernier état du village, confortée par l’étude des ruines<br />

et de la céramique, est renforcée par l’étude des<br />

déclarations du capbreu, qui nous offre, en cette fin<br />

du XIV e siècle, un instantané du village.<br />

Les états de conservation des maisons sont bien<br />

entendu très variables mais certaines unités, assez<br />

bien lisibles, nous permettent de restituer la morphologie<br />

de ces habitats.<br />

Tous ces bâtiments sont construits de blocs de granit bruts<br />

ou sommairement équarris, de 20 à 40 cm de côté. Ces moellons<br />

sont disposés en litages réguliers, parfois en épis et, dans<br />

certains cas, ces élévations reposent sur le substrat cristallin<br />

ou sur de volumineux blocs. Excepté pour l’église, l’ensemble<br />

des murs est lié à la terre et l’on note par endroits la présence<br />

d’un enduit de mortier de chaux, sommairement taloché sur<br />

la face externe des murs gouttereaux. Les murs sont d’épaisseur<br />

moyenne (généralement entre 50 et 60 cm, plus rarement<br />

jusqu’à 85‐90 cm).<br />

La couverture de ces bâtis était dans tous les cas constituée<br />

de tuiles rondes reposant sur une charpente de bois.<br />

Sur quelques murs, on note la présence de trous de boulins<br />

mais surtout de corbeaux destinés à supporter un plancher, ce<br />

qui suggère l’existence d’une élévation importante et manifestement<br />

d’un étage ou d’un demi-plancher. Par contre, si les seuils<br />

d’accès à l’intérieur des maisons, parfois également ceux communiquant<br />

entre les pièces, ont été reconnus, aucune fenêtre<br />

ou ouverture similaire n’a été observée. Cette absence est surprenante<br />

et peut éventuellement s’expliquer par un problème<br />

taphonomique, lié à la destruction plus rapide d’un mur là où<br />

les ouvertures entraînent des faiblesses. Cette hypothèse ne<br />

suffit pas à expliquer la disparition après destruction de toute<br />

trace verticale ou horizontale d’ouverture telle que montants,<br />

pieds‐droits ou appuis de fenêtre. On peut donc en déduire<br />

que les fenêtres sont très rares, sinon inexistantes, dans le village<br />

de Ropidera, comme elles le sont d’ailleurs sur d’autres sites<br />

contemporains 26 .<br />

Les plans des maisons suggèrent de grandes bâtisses constituées<br />

de plusieurs pièces à vocations différentes. L’ensemble 7<br />

par exemple est implanté à environ 70 m de l’église. Il est composé<br />

d’un unique bâtiment subdivisé en trois pièces : une pièce<br />

centrale (7b) d’environ 28 m 2 flanquée de deux pièces (7a et 7c)<br />

de forme carrée de 14 m 2 de superficie utile (ill. 14). L’ensemble<br />

mesure 17 m de longueur pour 5 m de largeur, soit une emprise<br />

au sol d’environ 85 m 2 . Les murs atteignent parfois 2,20 m<br />

de hauteur conservée. Sur le mur est de la pièce 7a on distingue<br />

encore l’enduit de mortier de chaux extérieur qui permettait de<br />

le protéger des intempéries. Le mur entre les pièces 7a et 7b<br />

contient également quelques fragments de briques, de 20 cm<br />

de largeur et de 4,5 cm d’épaisseur.<br />

26. À cette époque et en milieu rural, il est probable que les fenêtres aient été rares,<br />

voire absentes au rez‐de‐chaussée. À Cabrière, une fenêtre a été observée à l’étage<br />

d’une maison alors que le premier niveau est aveugle. À Durfort, aucune fenêtre n’a<br />

été observée ; la seule fenêtre de Cabaret est placée à 1 m du niveau de sol (Colin et<br />

alii 1996 : 67‐82).


Ropidera, le village médiéval<br />

197<br />

5<br />

Chemin de les Cases<br />

Place publique ?<br />

Enclos<br />

14 - Plan des maisons n os 5, 7, 8 et 9, en contrebas de l’espace vide (place ?).<br />

7a<br />

Le bâtiment est installé sur un terrain en pente vers le sud. Du fait de sa construction<br />

en terrasse, on accédait à la pièce 7a par l’étage depuis le nord mais aussi, à partir<br />

du rez‐de‐chaussée, par la rue qui longe le bâti à l’ouest ou par la pièce 7b avec qui<br />

elle communique. Une autre porte permettait d’atteindre la pièce 7b, par un accès<br />

en chicane donnant à l’est sur le chemin de l’église. Tous ces seuils mesurent environ<br />

90 cm de largeur et les pieds‐droits qui les constituent sont généralement très<br />

soignés. Concernant la pièce 7b, nous ne disposons d’aucune information quant à<br />

l’existence d’un second niveau.<br />

L’accès à la dernière pièce (7c) ne semble se faire que par l’extérieur, par un seuil<br />

aménagé au sud‐ouest et donnant sur le chemin de Les Cases. L’hypothèse d’une annexe<br />

associée à une vaste maison subdivisée au rez‐de‐chaussée en deux pièces est<br />

probable. Rien ne nous permet d’associer à cet ensemble, la construction n° 8 accolée<br />

à l’est. L’examen des murs montre que cette pièce s’adosse dans un second temps à<br />

cette dernière. L’accès est indépendant et a été aménagé au nord, à partir d’un petit<br />

espace de circulation pouvant aussi faire office de cour. Le fait que cette maison soit<br />

mitoyenne de la maison n o 7, l’anomalie qu’elle présente au sud et qui donne à l’accès à<br />

la pièce 7b une forme en chicane, laissent penser qu’elle fait partie du même ensemble<br />

et qu’elle matérialise une phase d’extension ou de renouvellement des volumes.<br />

Plus à l’ouest, l’ensemble 5 borde au nord le chemin de Les Cases (ill. 14). Il est<br />

constitué d’un vaste enclos accolé à un bâtiment de forme rectangulaire. L’enclos est<br />

construit à l’aide de blocs de tailles très diverses, sans aucun liant visible. En grande<br />

7b<br />

9<br />

7c<br />

Cour ?<br />

8<br />

Rue<br />

Chemin de l’église<br />

0 10 m<br />

N<br />

partie ruinés, les murs qui<br />

le constituent possèdent<br />

cependant une largeur importante,<br />

d’environ 1,20 m à<br />

1,40 m. Cet enclos présente<br />

une forme irrégulière pour<br />

une superficie utile d’environ<br />

80 m 2 . Une partie des<br />

murs formant l’angle sud‐est<br />

ont encore une élévation<br />

importante ce qui a permis<br />

la conservation de deux niches,<br />

l’une au sud, l’autre au<br />

nord‐est, à environ 1 m de<br />

hauteur 27 .<br />

On pénètre dans cet enclos<br />

par un large passage<br />

(1,60 m) donnant directement<br />

sur le chemin de<br />

Les Cases. À l’ouest, l’enclos<br />

s’appuie sur un bâtiment de<br />

forme rectangulaire d’environ<br />

4,40 m de largeur pour<br />

7,80 m de longueur, soit une<br />

superficie utile d’environ<br />

23 m 2 . On accède à ce bâtiment<br />

par un seuil d’environ<br />

90 cm de largeur donnant<br />

directement dans l’enclos.<br />

Ces deux constructions<br />

forment un ensemble cohérent,<br />

celui d’une maison<br />

constituée semble‐t‐il d’une<br />

pièce unique associée à un<br />

enclos destiné au bétail.<br />

L’hypothèse de la présence<br />

d’une unité d’habitation est<br />

cependant à manier avec<br />

prudence car elle n’est étayée<br />

que par la largeur du seuil,<br />

inférieur à 1 m.<br />

27. La première de ces niches extérieures<br />

mesure 50 cm de hauteur, 30 cm<br />

de largeur pour profondeur d’environ<br />

30 cm. La seconde mesure 60 cm de<br />

hauteur, 50 cm de largeur pour une<br />

profondeur identique à la précédente.


198 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

Cultures en terrasses<br />

Carrière ?<br />

15 - Plan de la maison n° 4 et de son enclos.<br />

N<br />

16<br />

4<br />

Enclos<br />

28<br />

0 10 m<br />

19b<br />

N<br />

L’ensemble 4 est l’un des mieux<br />

conservés du village de Ropidera<br />

(ill. 15). Il est constitué d’un bâtiment<br />

de forme rectangulaire,<br />

de 8,20 m de longueur pour 5 m<br />

de largeur, flanqué au sud par un<br />

enclos d’environ 140 m 2 . On accède<br />

à l’enclos par deux passages.<br />

Le premier, d’environ 2,40 m est<br />

situé au sud‐est, tandis que le<br />

second, tout aussi large, donne<br />

sur une rue qui longe l’ensemble<br />

au nord. Les murs de l’enclos<br />

atteignent encore par endroits<br />

1,60 m de hauteur. Une<br />

partie de l’enclos est occupée par<br />

un bâti de 30 m 2 de superficie<br />

utile dont les murs sont encore<br />

conservés sur 1,80 m d’élévation.<br />

Sur le mur sud, on observe<br />

la présence d’une rangée de<br />

trous de boulins. L’accès se fait<br />

par l’est où est aménagé un seuil<br />

d’environ 2,10 m de largeur,<br />

aux pieds‐droits relativement<br />

soignés. La largeur de cet accès<br />

laisse supposer que ce bâtiment<br />

faisait usage de bergerie, en relation<br />

avec l’enclos au sein duquel<br />

il s’inscrit.<br />

Chemin de l'église<br />

16 - Plan de la maison n° 18 et des constructions environnantes.<br />

17<br />

18<br />

19a<br />

0 10 m<br />

On accède à la construction<br />

n° 18 par un sentier qui serpente<br />

aujourd’hui au milieu des<br />

terrasses (ill. 16). Cette maison<br />

est d’ailleurs installée en bordure<br />

d’une de ces terrasses et son<br />

mur sud en constitue le prolongement.<br />

Ce bâtiment de forme<br />

rectangulaire mesure 9,50 m de<br />

longueur pour 7,80 m de largeur,<br />

soit environ 45 m 2 de surface<br />

utile. L’accès se fait par le sud,<br />

par une porte d’environ 1,05 m<br />

de largeur, aux pieds‐droits soigneusement<br />

agencés à l’aide de


Ropidera, le village médiéval<br />

199<br />

N<br />

21a<br />

21b<br />

10<br />

21c<br />

20<br />

18 - Détail des corbeaux de la maison n° 33 (cl. O. Passarrius).<br />

17 - Plan de la maison n° 21.<br />

0 10 m<br />

blocs bien équarris. On peut encore observer la présence<br />

de deux trous dans les montants, destinés à recevoir la barre<br />

de fermeture de la porte. À l’intérieur, sur le mur sud,<br />

se trouve également une niche de 23 cm de hauteur, de<br />

25 cm de largeur pour une profondeur inconnue. À l’est,<br />

deux pièces s’accolent contre ce bâti et pourraient matérialiser<br />

une phase d’extension (19a et 19b). Elles forment<br />

un bâtiment de 9,50 m de longueur pour 5 m de largeur<br />

dégageant respectivement 12,5 m 2 et 19 m 2 de superficie<br />

utile. Aucun accès n’a pu être reconnu. Une niche carrée est<br />

également aménagée à l’intérieur, sur le mur nord‐est : elle<br />

mesure 38 cm de côté pour 50 cm de profondeur.<br />

L’ensemble n° 21 est composé de trois pièces dont<br />

deux communiquent entre elles. Ce bâtiment mesure<br />

11 m de longueur pour 9 m de largeur, soit une superficie<br />

hors oeuvre d’environ 57 m 2 . On accède à ce bâtiment<br />

par la rue située au nord, par deux portes de<br />

90 cm et 1,10 m qui donnent dans les pièces 21a et<br />

21b. Un pilier se trouve quasiment au centre de cette<br />

dernière pièce, en décalage vers sa partie sud‐ouest.<br />

Ce pilier, de 80 à 85 cm de côté, soutenait sans doute<br />

un premier étage sur un plancher de bois. En effet, pour<br />

une toiture, la surface à couvrir serait faible et ne justifierait<br />

pas la présence de ce type de soutènement. On<br />

accède à la pièce 21c, la plus vaste, par une porte d’environ<br />

70 cm de largeur communiquant avec l’espace 21b.<br />

Le mur sud de cette pièce présente une anomalie qui n’a<br />

pas été comprise lors de la phase de relevé. Elle pourrait<br />

éventuellement s’expliquer par la présence d’une porte,<br />

non détectée. Cet ensemble forme une unité à vocation<br />

domestique et/ou artisanale si l’on prend en compte la<br />

faible largeur des accès, insuffisante pour des espaces<br />

voués à une bergerie ou une étable.<br />

L’ensemble n° 33 correspond à une vaste maison,<br />

installée en bordure du chemin dit des crêtes, et dont<br />

il ne subsiste malheureusement que le mur occidental<br />

et une partie du mur sud. Ce dernier est assis sur le<br />

rocher qui devait d’ailleurs constituer les deux tiers de<br />

la hauteur du mur. Le mur ouest présente, sur sa face<br />

interne et à environ 2 m de hauteur, des corbeaux disposés<br />

tous les 30 cm (ill. 18). Ces pierres, non taillées,<br />

prises dans le mur et débordantes de quelques dizaines<br />

de centimètres devaient soutenir un plancher. L’accès<br />

pouvait alors aussi se faire à hauteur du chemin dit des<br />

crêtes, nettement en surélévation par rapport au bâtiment.<br />

Le reste des murs de ce bâtiment a été détruit<br />

lors des travaux de mise en culture postérieurs à l’abandon<br />

du village.


200 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

19 - Plan de la maison n° 1.<br />

2<br />

Structure<br />

circulaire<br />

1c<br />

1a<br />

1b<br />

0 10 m<br />

N<br />

sud de la pièce 1c, subsiste un corbeau<br />

qui témoigne de la présence<br />

d’un étage ou d’un demi-plancher<br />

(ill. 20). Sur l’un des murs de la<br />

pièce 1b (mur ouest) se trouve une<br />

niche aménagée d’environ 50 cm<br />

de côté et profonde d’une trentaine<br />

de centimètres. Cette maison est<br />

constituée de trois pièces pour une<br />

superficie au sol de 74 m 2 . Elle était<br />

vraisemblablement couverte de tuiles<br />

rondes et une partie (pièce 1c)<br />

aurait pu faire office de bergerie<br />

comme en témoigne la présence<br />

d’un petit conduit rectangulaire situé<br />

à la base du mur sud qui aurait<br />

pu permettre l’évacuation des déjections<br />

(ill. 21). L’interprétation<br />

ne peut être poussée au‐delà : cette<br />

construction, pourtant bien préservée,<br />

a fait office de tas d’épierrement<br />

et le volume des blocs jetés<br />

là rend difficile toute observation<br />

complémentaire. À l’ouest, la pièce<br />

1c touche une construction, malheureusement<br />

peu visible sous le<br />

pierrier, empêchant d’établir toute<br />

relation avec le bâtiment qui nous<br />

occupe ici. Cette structure jouxte<br />

une rue, comblée sur 1,50 m par<br />

des blocs provenant des parcelles<br />

mises en culture après l’abandon<br />

du village. Cette ruelle est bordée à<br />

l’ouest par la structure n° 2.<br />

20 - Corbeaux de la maison n° 1 (cl. P. Roca).<br />

Le bâti n° 1 est l’un des plus éloignés de l’église, à environ 110 m de cette dernière.<br />

Installé au sommet d’une terrasse et en partie sur un chaos granitique,<br />

il domine une zone de mise en culture (ill. 19). Sur le mur nord de la pièce 1b<br />

on distingue encore la présence d’un enduit de mortier de chaux extérieur de<br />

couleur blanche. Par endroits, l’élévation conservée dépasse 2,30 m et sur le mur<br />

Le bâtiment n° 25 est constitué de<br />

deux pièces de superficies assez proches<br />

(ill. 22). Il mesure au total 12 m<br />

de longueur pour environ 5,80 m<br />

de largeur, ce qui représente une<br />

superficie utile d’environ 48 m 2 , au<br />

premier niveau. Les murs possèdent<br />

des largeurs très différentes, variant<br />

de 60 à 85 cm de puissance. Le mur<br />

est est en arête de poisson, il s’y trouve<br />

également une petite niche d’en-


Ropidera, le village médiéval<br />

201<br />

viron 30 cm de hauteur pour 20 cm de largeur. On accède<br />

aux deux pièces (25a et 25b) par deux portes donnant sur<br />

la ruelle. La première (25a) mesure 1,70 m de largeur tandis<br />

que la seconde (25b) ne fait qu’un mètre. Les deux pièces<br />

communiquent également entre elles par un seuil de 1,15 m<br />

de largeur. Tout ou partie de cette unité était pourvue d’un<br />

étage comme en témoigne la présence d’un escalier extérieur<br />

d’une seule volée flanquant la façade du bâtiment.<br />

Ce genre de bâtisse côtoie de plus petites unités, parfois<br />

de quelques m 2 de superficie utile, mais qui restent<br />

peu fréquentes (n o 10 par exemple). La largeur des seuils,<br />

très variable, suggère que ces espaces étaient dévolus à des<br />

activités différentes. Dans bon nombre de cas, on note la<br />

présence de seuils excédant 1,50 m de largeur ce qui suppose<br />

des pièces faisant office de remise ou plutôt d’étable<br />

ou de bergerie. Trois enclos extérieurs ont été clairement<br />

identifiés et dans deux cas (n os 4 et 5), ils sont attenants à<br />

une maison 28 . L’agencement même du village, la présence<br />

de grandes maisons probablement mixtes, d’enclos, les<br />

aménagements sur les chemins pour éviter les divagations<br />

du bétail et les efforts consentis pour protéger les cultures<br />

témoignent d’une économie reposant pour partie sur<br />

l’élevage, et notamment sur celui des caprins au vu de la<br />

hauteur des murs de limite. Deux auges taillées dans de volumineux<br />

blocs de granit, brisées, jonchent encore le sol.<br />

Les maisons de Ropidera fournissent un éclairage intéressant<br />

pour la connaissance de l’architecture rurale en<br />

Roussillon à la fin du Moyen Âge. Cette dernière n’était<br />

que partiellement connue à partir des exemples fournis<br />

par les fouilles du village de Vilarnau, en zone de<br />

plaine (commune de Perpignan) 29 . À Vilarnau d’Amont<br />

mais surtout à Vilarnau d’Avall où elles sont nettement<br />

mieux conservées, ces maisons sont toutes construites<br />

en galets provenant soit de terrasses anciennes affleurant<br />

sur place, soit du lit du fleuve situé en contrebas, à environ<br />

500 m. Cette technique de construction est omniprésente<br />

en Roussillon, depuis l’Antiquité jusqu’au milieu<br />

du XX e siècle. Elle a pour avantage d’utiliser un matériau<br />

abondant, surtout dans les zones proches des trois fleuves<br />

côtiers, qui n’exige aucun façonnage préalable à sa mise<br />

en œuvre. Toutefois sa morphologie rend souvent le galet<br />

inapte pour l’encadrement des ouvertures et sa maçonnerie<br />

28. La largeur des seuils, inférieure ou autour d’un mètre permet de privilégier<br />

cette hypothèse.<br />

29. Passarrius et alii 2008.<br />

21 - Détail du mur sud de la maison n° 1 : à gauche, en bas, système d’évacuation<br />

des fluides (cl. P. Roca).<br />

N<br />

requiert un liant abondant. Il est alors disposé en litages<br />

réguliers ou en épis, en opus spicatum. Pour pallier les difficultés<br />

de son assemblage, on l’associe fréquemment à<br />

d’autres matériaux qui ont pour but d’assurer une meilleure<br />

stabilité en répartissant les charges 30 . À Vilarnau,<br />

comme partout en plaine du Roussillon, c’est la brique de<br />

terre cuite qui est utilisée, le cairó en catalan, qui fait son<br />

apparition dans la construction à partir du XIV e siècle.<br />

30. Lhuisset 1980.<br />

25a<br />

22 - Plan des maisons n os 25 et 26.<br />

25b<br />

26b<br />

26a<br />

0 10 m


202 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

23 - Détail de la maison n° 30 (cl. O. Passarrius). 24 - Détail d’un escalier aménagé contre le mur extérieur d’une maison (cl. P. Roca).<br />

À Vilarnau, on retrouve cette brique disposée en lits<br />

réguliers toutes les deux ou trois rangées de galets. Elle<br />

est bien souvent utilisée seule pour la construction<br />

d’éléments de support tels que les piliers, les chaînages<br />

d’angles, les pieds‐droits ou les encadrements d’ouvertures.<br />

À Ropidera par contre, ce matériau est totalement<br />

absent à cette époque et il semblerait même qu’il faille<br />

attendre la seconde moitié du XIX e siècle pour le voir<br />

apparaître dans l’architecture rurale de la zone brûlée 31 .<br />

Cette absence s’explique tout autant par une difficulté<br />

d’approvisionnement que par l’utilisation de blocs plus<br />

faciles à chaîner.<br />

À Vilarnau, le liant utilisé contraste avec la terre des<br />

murs de Ropidera. Il est en effet exclusivement constitué<br />

de chaux grasse mélangée à du sable assez grossier,<br />

provenant du lit du fleuve. Les murs des maisons<br />

de Ropidera possèdent des largeurs oscillant entre<br />

40‐60 cm (plus rarement 85‐90 cm), ce qui peut paraître<br />

assez faible pour des murs porteurs, surtout si<br />

on les compare aux puissants murs villageois dégagés<br />

à Lastours (Aude) qui atteignent sur le bâtiment III<br />

une largeur constante de 1,10 m 32 . À Durfort, dans le<br />

Tarn 33 , le bâtiment 9 possède des murs larges de 80 cm<br />

et à Calberte (Lozère), la maison J est construite avec<br />

des murs d’environ 70 cm de largeur 34 . Ces bâtiments<br />

sont tous construits en moellons, généralement calcaires,<br />

liés au mortier de chaux et comportent des étages.<br />

Cette largeur dans la construction des murs n’est pas<br />

31. Se reporter pour plus de renseignements au chap. IX consacré aux mises<br />

en culture d’époque moderne et contemporaine et à l’analyse de l’architecture<br />

de l’habitat rural des XVIII e , XIX e et du début du XX e siècle.<br />

32. Gardel 1996 :163‐175.<br />

33. Vidaillet, Pousthomis 1996 :177‐208.<br />

34. Darnas 1996 :209‐214.<br />

une constante. À Rougiers (Var), les murs des maisons<br />

villageoises sont assez minces (entre 60 et 70 cm) au<br />

regard des élévations qui peuvent atteindre 6 à 8 m 35 .<br />

En Roussillon, pour l’architecture rurale d’époque moderne<br />

et contemporaine et dans les zones où le galet est<br />

utilisé, les murs porteurs sont étroits, avec en moyenne<br />

40 à 50 cm d’épaisseur 36 . À Laroque‐des‐Albères, des<br />

prospections menées sur le massif boisé ont permis de<br />

relever le plan de deux mas datés des XIV e ‐XV e siècles 37 .<br />

Le premier se trouve à environ 700 m d’altitude. Accolé<br />

à une vaste cour clôturée, se trouve un petit bâtiment<br />

couvert de tuiles. Les murs en moellons de gneiss liés<br />

au mortier de chaux possèdent une largeur oscillant<br />

entre 40 et 50 cm. Près de l’église Saint‐Fructueux de<br />

Roca Vella, un second bâtiment a été dégagé. Couvert de<br />

tuiles courbes, il possède des murs construits de façon<br />

similaire et larges d’environ 60 cm. Pour autant, tous les<br />

murs ne possèdent pas des largeurs aussi faibles. Cette<br />

dernière peut être plus importante et est alors en adéquation<br />

avec la taille du bâtiment et la surface de la toiture<br />

dont les pannes, en Roussillon, reposent souvent<br />

sur les murs pignons.<br />

À Ropidera, alors que le mortier de chaux semble<br />

s’être généralisé sur bon nombre de sites comparables,<br />

dont celui de Vilarnau, on continue à utiliser la terre<br />

comme liant tout en réussissant à conserver des murs<br />

peu épais, entre 50 et 70 cm tout au plus d’épaisseur,<br />

alors même que certaines maisons présentent les traces<br />

d’un second niveau (ill. 24).<br />

35. Démians d’Archimbaud 1980 : 226.<br />

36. Lhuisset 1980 : 346.<br />

37. Catafau, Passarrius 1995/1996 : 7‐31.


Ropidera, le village médiéval<br />

203<br />

L’abandon du village<br />

Les prospections de surface ont permis de collecter,<br />

autour des maisons effondrées, un abondant mobilier<br />

céramique présentant un faciès homogène daté des<br />

XIV e ‐XV e siècles. L’unité architecturale, l’organisation<br />

cohérente et la présence de nombreuses céramiques nous<br />

permettent de supposer un abandon du village à la fin<br />

du XIV e ou durant le XV e siècle sans toutefois pouvoir<br />

exclure des réoccupations ponctuelles ou partielles, impossibles<br />

à détecter sans une fouille du site.<br />

Nous possédons aussi des éléments précis sur l’époque<br />

de l’abandon et sur ses processus et ses rythmes dans la<br />

documentation écrite. Un premier élément d’évaluation<br />

de la population est traditionnellement le décompte<br />

des feux, les fouages (en catalan fogatges) dans les documents<br />

royaux de caractère fiscal. À Ropidera se confirme<br />

le fait que les fogatges ne sont jamais un inventaire exact<br />

de la population : au XIV e siècle, en 1378 et à nouveau<br />

en 1385, le village de Ropidera est imposé sur une base<br />

de huit feux 38 . Les vestiges du village reconnus et relevés<br />

par les archéologues comme le capbreu de 1393<br />

nous donnent une vision tout à fait différente : avec une<br />

trentaine de maisons occupées à la fin du XIV e , le village<br />

pouvait avoir une population comprise entre 100<br />

et 150 personnes, pour trois à cinq personnes par maison.<br />

Les huit feux ne représentent donc que la capacité<br />

contributive de la communauté et non une évaluation<br />

ou un inventaire de la population. La différence remarquable<br />

entre la réalité et le nombre des feux fiscaux peut<br />

refléter la pauvreté que souligne un document contemporain,<br />

daté de 1381, quand les hommes de Ropidera<br />

disent « qu’ils sont hommes du roi, peu nombreux et<br />

manquant de terres à cultiver, et qu’ils sont aussi placés<br />

en frontière du royaume de France, dans un lieu rural<br />

et au sommet des monts, de telle sorte qu’ils peuvent<br />

à peine se nourrir eux‐mêmes » 39 . Après ce discours<br />

d’auto‐apitoiement, les habitants de Ropidera sollicitent<br />

du roi certains avantages économiques, et on peut imaginer<br />

que les mêmes arguments ont servi à obtenir la<br />

diminution du nombre de feux imposables.<br />

38. ADPO, 1B142 et 1B143, on retrouvera ces données dans « Fogatges<br />

catalans », Terra Nostra, n° 11, 1973 et sous forme plus synthétique dans la<br />

Gran Geografia Comarcal de Catalunya, vol. 15, tableau p. 100.<br />

39. ADPO, 2J1/37, p. 53 : « quod homines dicti loci sunt regii et sunt pauci<br />

numero et pauperes et bonis mondanalibus carentis et sunt etiam positi in<br />

frontaria regni Ffrancie in loco agresti et in cacumine moncium et in tali loco<br />

quod vix possunt eorum vitam sustentare ».<br />

On peut s’interroger sur la résidence permanente de<br />

ces habitants à Ropidera, en effet, à la date même où est<br />

rédigé le capbreu, le roi d’Aragon vend le territoire de<br />

Rodès et de Ropidera à Ramon de Perillos. Dans l’acte<br />

de vente, on précise que dans le village de Ropidera<br />

« vivent seulement cinq feux, bien qu’auparavant il y en<br />

ait eu beaucoup plus » 40 . La contradiction est flagrante<br />

entre les deux sources. Les gens dits « de Ropidera »<br />

qui déclarent en 1393 des maisons qu’ils « tiennent »,<br />

certains d’entre eux étant même « amansatus et abordatus<br />

», donc astreints à vivre dans leur mas ou borde, ne<br />

résideraient‐ils pas de manière permanente sur place ?<br />

Ils se réfugiaient peut‐être temporairement à Vinça ou<br />

Rodès. Lorsque les habitants de Ropidera ont définitivement<br />

déplacé leur résidence dans la vallée, aux XVI e<br />

et XVII e siècles, on les présente alors clairement comme<br />

« de Ropidera, habitant Vinça (ou Rodès) ». Du point<br />

de vue archéologique, comme on l’a vu, rien n’indique<br />

une forme d’occupation saisonnière, temporaire, ou un<br />

abandon progressif. Pourtant les officiers royaux disent<br />

bien « que les gens ont évacué leur domicile ». Il faut<br />

donc comprendre que nous sommes ici confrontés à<br />

deux temps différents : celui de l’événementiel, du temps<br />

court, où les habitants de Ropidera fuient – pour quelques<br />

jours, quelques semaines ou quelques mois – un<br />

village exposé aux incursions armées, puis y reviennent<br />

aussitôt le danger passé. De cet aller‐retour les traces archéologiques<br />

sont impossibles à retrouver, une absence<br />

de quelques semaines ou mois ne laisse pas de traces, les<br />

éventuels dégâts occasionnés par un abandon si court<br />

ne sont guère détectables dans un village complètement<br />

ruiné depuis six siècles.<br />

Les feux nous indiquent‐ils plus exactement les rythmes<br />

d’abandon du village ? Rien n’est moins sûr. Ropidera<br />

est imposé pour un feu en 1515 et pour deux en 1553,<br />

puis est absent de la liste du fogatge de 1725. Il faudrait<br />

supposer qu’il y avait encore quelques habitants au milieu<br />

du XVI e siècle : si huit feux fiscaux de 1385 correspondaient<br />

à trente‐deux maisons, on pourrait penser<br />

que, dans la première moitié du XVI e siècle, pour deux<br />

feux fiscaux, il y avait encore quatre à huit maisons habitées<br />

au village 41 .<br />

40. ADPO, 1B376, a. 1393, (à la date même du capbreu...).<br />

41. L’archéologie ne peut apporter de précision quant à cet abandon, le mobilier<br />

présent en surface ne reflétant qu’une vision très partielle de l’occupation<br />

du site.


204 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VI<br />

25 - Vue aérienne d’un parcellaire avec murs de terrasse aménagés à l’emplacement de maisons médiévales<br />

ruinées. Le surplus de pierres provenant des constructions a été stocké dans d’immenses pierriers (cl. P. Roca).<br />

Or, en 1570, plusieurs témoins déclarent que le village est totalement<br />

abandonné, que personne n’y vit plus « de mémoire d’homme » (ce qui<br />

indique trente ans au moins, et sans doute cinquante ans ou plus). Il semble<br />

donc sûr qu’au moins en 1553 (et sans doute dès 1515, voire avant si<br />

l’on se fie prudemment à la mémoire des témoins) il n’y a plus à Ropidera<br />

une seule maison habitée, et pas un seul « feu » réel, contrairement à ce<br />

que pouvaient laisser croire les fogatges de 1515 et 1553. Les feux de 1515<br />

et 1553 sont, comme ceux de 1385, des feux fiscaux et non des feux réels,<br />

ils signifient que, bien que personne ne vive à Ropidera, le village continue<br />

à avoir des ressources, des productions et une certaine richesse imposable.<br />

Les contributions de 1543 (et sans doute celle de 1515) ne furent pas<br />

payées par des gens vivant à Ropidera mais par des habitants de Rodès<br />

ou de Vinça, propriétaires à Ropidera et encore désignés comme hommes<br />

« de Ropidera », même s’ils vivent désormais dans un des villages voisins,<br />

comme leurs parents peut‐être le faisaient déjà. Les données chiffrées des<br />

feux fiscaux nous donnent cependant un indice utile : celui de la brutale<br />

diminution entre 1384 et 1515, où l’on passe de huit à un feu, signe d’un<br />

abandon (total ?) à placer sans doute dans le courant du XV e siècle.<br />

Comme on l’a vu, en 1570 un curé de Vinça, Joan Fuster, reçoit la cure<br />

de Saint‐Pierre et Saint‐Félix de Ropidera, incluant les distributions quotidiennes<br />

et le bénéfice lié à la paroisse dont il est curé. S’inquiétant de<br />

savoir s’il devra résider à l’église de Ropidera, une enquête est menée 42 :<br />

le presbytère est désert, aucun curé n’y vit ou n’y a vécu « de mémoire<br />

d’homme ». Les témoins, habitants de Vinça, disent que l’église se trouve<br />

« sur une <strong>montagne</strong> déserte, et qu’elle est toute seule », « l’église est toute<br />

abîmée et découverte », « elle est ruinée », il n’y a pas de fonts baptismaux<br />

ni de tabernacle, l’église est désaffectée et il ne s’y célèbre plus de messe<br />

42. ADPO, G983, cure rurale de Saint‐Félix de Ropidera.<br />

qu’au jour de sa fête. Ils assurent aussi<br />

qu’il n’y a « aucune maison dans le dit<br />

lieu de Ropidera », qu’il est « inhabitable<br />

». Il y a donc des décennies que ce<br />

village et cette église sont abandonnés :<br />

pour que la toiture en soit effondrée on<br />

peut supposer que l’arrêt de l’entretien<br />

de l’église remonte non pas à une mais à<br />

plusieurs générations, c’est‐à‐dire au début<br />

du XVI e voire au XV e siècle.<br />

Pour expliquer l’abandon de Ropidera,<br />

en plus des raisons communes à tous les<br />

petits villages de l’Occident médiéval – les<br />

épidémies de peste de la deuxième partie<br />

du XIV e siècle, l’attraction des bourgs et<br />

villes, les difficultés de production dans<br />

des zones marginales, <strong>montagne</strong>uses, au<br />

temps de la péjoration climatique du « petit<br />

âge glaciaire », la crise des seigneuries<br />

rurales – il ne faut pas négliger l’impact<br />

des événements ponctuels. Dans l’acte de<br />

vente du territoire de Rodès et Ropidera<br />

par le roi d’Aragon à Ramon de Perillos<br />

en 1393, on précise que dans le village de<br />

Ropidera « vivent seulement cinq feux,<br />

bien qu’auparavant il y en ait eu beaucoup<br />

plus », on l’a vu, « mais, à cause de voleurs<br />

et de mauvais hommes qui ont régné sur<br />

cette terre, les habitants ont évacué leur<br />

domicile ; d’autant que les voleurs et les<br />

mauvais hommes ne sont pas poursuivis<br />

parce que les officiers royaux ne peuvent<br />

entrer dans les juridictions des baronnies<br />

» 43 . Nous avons vu plus haut que ce<br />

document ne peut être pris au pied de<br />

la lettre pour le constat de l’abandon du<br />

village en 1393, mais témoigne seulement<br />

d’un départ précipité, momentané, des habitants<br />

apeurés. Ce document est lié à un<br />

contexte précis : ces « mauvaises gens »<br />

sont les pillards des Grandes Compagnies,<br />

conduites en Aragon par Du Guesclin, et<br />

dont certaines troupes se sont installées<br />

entre Tarerach et Montalba, et qui, depuis<br />

ces lieux, saccageaient le Conflent et<br />

43. ADPO, 1B376, cité dans Tosti 1987 : 15.


Ropidera, le village médiéval<br />

205<br />

le Fenouillèdes. Ropidera était donc exposé aux attaques.<br />

Mais, nous l’avons vu, si ces attaques ont entraîné des<br />

abandons momentanés, elles ne semblent pas avoir détruit<br />

les maisons du village ni fait fuir définitivement ses<br />

habitants. On peut d’ailleurs rapprocher ce document, et<br />

l’information qu’il donne sur un abandon momentané<br />

du village, et le capbreu dressant la liste des tenanciers du<br />

prieuré Sainte‐Marie de Marcevol à Ropidera, daté de la<br />

même année : il est probable que confronté à des départs<br />

d’habitants et à un risque de voir les redevances tirées de<br />

ses possessions diminuer ou ses droits se perdre, le prieuré<br />

a souhaité faire dresser un nouvel état de ses terres<br />

de Ropidera et des paysans qui les détenaient pour lui. La<br />

similitude des dates n’est donc probablement pas un hasard.<br />

La conjonction de ces événements précis avec la<br />

conjoncture longue des crises épidémiques, économiques<br />

et sociales, qui s’étirent du milieu du XIV e siècle au début<br />

du XV e siècle, explique l’affaiblissement durable du<br />

village. Un capbreu de 1445, établi pour un seigneur laïc,<br />

ne donne que les noms d’onze déclarants, ce qui n’est pas<br />

très inférieur aux seize de 1393, mais il n’est plus sûr que<br />

ces hommes soient résidents permanents, peut‐être ne<br />

sont‐ils plus qu’exploitants des tenures dont ils ont hérité<br />

44 . En 1510, seuls cinq déclarants disent détenir des<br />

biens à Ropidera 45 . Abandon progressif ou occupation<br />

réduite à quelques périodes de travaux agricoles, ces formes<br />

éventuelles d’habitat temporaire n’ont pas laissé de<br />

traces archéologiques remarquables. En 1570, l’abandon<br />

est consommé « de mémoire d’homme » et aux générations<br />

suivantes on ne trouve plus que rarement mention<br />

des maisons du village, et toujours sous forme de ruines.<br />

En 1637, l’inventaire des biens d’un propriétaire de<br />

Rodès révèle, qu’outre ses possessions à Rodès, il détenait<br />

un héritage complet à Ropidera, dont il cite d’abord « une<br />

maison détruite sise dans le lieu de Ropidera, confrontant<br />

avec une voie publique et avec Sébastien Calvet, de<br />

Prades » 46 .<br />

Au XVI e siècle, bien que l’église soit en ruine et les<br />

paroissiens partis, le revenu de la cure reste intéressant.<br />

Il le sera d’ailleurs jusqu’au XVIII e siècle, puisque son<br />

rapport est d’environ 130 livres par an, soit douze pièces<br />

44. Tosti 1987 :15.<br />

45. J.‐B. Alart, Cartulaire Manuscrit, t. 24, p. 561‐564. Cf. Tosti 1987 :16.<br />

46. ADPO, 3E19/323, Rafael Julià, notari de Vinçà, liasse, 1637, inventaire post<br />

mortem de Maurici Puig i Abiciat, pagès de Rodès (6 août de 1637). Document<br />

communiqué par Denis Fontaine, comme presque tous ceux d’époque moderne<br />

cités dans cet ouvrage. Nous l’en remercions sincèrement.<br />

d’un doublon d’or, ce qui indique, comme nous le verrons<br />

ci‐dessous, que le rapport des terres n’est pas négligeable,<br />

les revenus de la cure ne représentant au mieux que la<br />

part accensée de la dîme des récoltes (elle‐même d’environ<br />

8 %, mais en sont exclus les jardins, qui sont très productifs).<br />

Les dernières cérémonies de prise de possession<br />

symbolique de l’église par les prêtres bénéficiés de Vinça<br />

mentionnent le fait qu’ils touchent les quatre murs d’une<br />

église dont le toit est entièrement effondré, et qu’ils entrent<br />

« dans l’enclos de l’église », qui correspond à la trace<br />

encore visible de sa fortification extérieure 47 .<br />

Croix gravée sur un bloc découvert en remploi dans un mur de terrasse (cl. A. Catafau)<br />

47. ADPO, G983 - accensements de dîmes et prises de possessions de 1671<br />

à 1744.


chapitre VII<br />

Le temps des chemins.<br />

La circulation en Bas-Conflent, au nord de la Têt<br />

du Moyen Âge à la fin du XIX e siècle<br />

Jean-Pierre Comps<br />

I - Introduction<br />

I.1 - Le cadre de l’enquête<br />

L’inventaire des chemins s’insère dans l’étude d’ensemble<br />

de la zone brûlée par l’incendie d’août 2005 . Mais<br />

pour cette enquête spécifique, il a paru nécessaire d’élargir<br />

le cadre originel : en effet, la logique des chemins n’est pas<br />

celle du feu, il n’était pas possible de faire abstraction des<br />

points de départ et d’arrivée, c’est-à-dire des agglomérations<br />

de ce secteur. La recherche concerne donc un territoire<br />

délimité par Vinça, Marcevol, Tarerach, Montalba,<br />

Bélesta, Ille et Rodès. À l’intérieur de cette zone, doivent<br />

en outre être pris en compte, pour la période historique,<br />

les villages désertés de Ropidera, de Casesnoves et de<br />

Reglella. C’est entre ces différentes localités, qui se situent<br />

de part et d’autre de la Têt, que vont se déployer les principaux<br />

chemins.<br />

On voit alors que l’histoire des chemins se double<br />

d’une histoire de ponts. Contrairement à ce que l’on<br />

pourrait croire, la Têt ne constitue pas une frontière :<br />

les habitants de rive droite cultivent des terres sur la rive<br />

gauche et vice-versa. Le territoire de Vinça déborde sur<br />

. Cette étude doit beaucoup à certains de mes amis : Alain Bournet, Guy<br />

Barnades, Aymat Catafau, Denis Fontaine pour la recherche des documents<br />

ainsi que Monique Formenti, Huguette Grzesik, Gilbert et Marie-Lou Lannuzel,<br />

qui, en outre, m’ont fidèlement accompagné sur les chemins épineux au<br />

péril de leur peau. Qu’ils soient ici remerciés. J’ai également utilisé les textes<br />

édités par Aymat Catafau dans le rapport pluridisciplinaire remis au Service<br />

Régional de l’Archéologie sous le titre « Dans les cendres de l’incendie de<br />

Rodès » (février 2007).<br />

la rive gauche, de même celui d’Ille. Ropidera a le même<br />

seigneur que Rodès mais son église dépend de la communauté<br />

des prêtres de Vinça, ce qui est aussi le cas pour le<br />

prieuré de Marcevol à partir d’une certaine date. De part<br />

et d’autre du fleuve, les liens sont donc innombrables.<br />

S’y ajoutent les liens de pays à pays : depuis le traité de<br />

Corbeil en 1258 et jusqu’au traité des Pyrénées en 1659,<br />

Montalba était en terre languedocienne de même que<br />

Bélesta-de-la-frontière, qui s’en est fait un blason, tandis<br />

que Marcevol, Tarerach, Ropidera, Casesnoves et Reglella<br />

étaient catalans, au même titre que Vinça, Rodès et Ille.<br />

Cette imbrication de frontières est une aubaine dans<br />

certains cas, par exemple pour les contrebandiers qui y<br />

trouvent leur affaire, mais elle peut aussi se révéler dangereuse<br />

lorsqu’arrivent les bandes armées. Les uns et les<br />

autres intéressent aussi les chemins et les ponts et pas<br />

seulement les déplacements habituels et pacifiques des<br />

paysans se rendant à leurs champs ou des bergers à leurs<br />

lieux de pâture.<br />

La zone ainsi délimitée présente une grande homogénéité<br />

de relief : sur la rive gauche de la Têt, une «région» de<br />

fortes pentes qui impose aux cultures et aux chemins des<br />

contraintes très grandes, et plus au nord, une «région»<br />

de plateaux plus facile à exploiter. La première, abandonnée<br />

aux friches durant la première moitié du XX e siècle,<br />

a l’avantage de présenter un terroir en partie fossilisé tandis<br />

que la seconde, encore en culture, a été beaucoup remaniée<br />

par les engins modernes.


208 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

Les chemins permettent aux hommes de s’approprier<br />

l’espace, en fonction de leurs besoins et des moyens dont ils<br />

disposent pour les satisfaire, lesquels ont beaucoup varié au<br />

cours des temps. D’où il découle que les chemins aussi ont<br />

leur histoire. Comme il serait illusoire, en l’état actuel de la<br />

documentation, de prétendre remonter au-delà du Moyen<br />

Âge central, notre étude s’étalera de cette période à l’époque<br />

contemporaine, selon deux séquences chronologiques : le<br />

temps des chemins, le temps des routes et des pistes .<br />

I.2 - La méthode<br />

Pour cerner au mieux notre sujet, une triple enquête a<br />

été nécessaire : dans les textes, sur les plans et les cartes,<br />

et, bien évidemment, sur le terrain.<br />

Les textes sont peu nombreux pour ce secteur, d’abord<br />

en latin pour le Moyen Âge classique puis en latin ou<br />

en catalan selon le type de document, enfin en français<br />

après l’annexion de 1659. Les chemins n’y apparaissent<br />

souvent que comme confronts dans les actes de cessions<br />

de terrains ou dans les capbreus. Les ponts cependant<br />

sont mentionnés en tant que tels, notamment après la<br />

création des Ponts et Chaussées au XVIII e siècle, lorsque<br />

des réparations sont nécessaires. Mais il faut attendre la<br />

deuxième moitié du XIX e siècle pour que les documents<br />

se fassent plus nombreux.<br />

Les premières représentations cartographiques aux<br />

XVII e et XVIII e siècles sont approximatives, la carte de<br />

Cassini ne mentionne malheureusement pas les chemins<br />

secondaires.<br />

Le premier cadastre, dans la première moitié du<br />

XIX e siècle, nous offre enfin une vue précise de ce secteur .<br />

Très précieux, il permet de retrouver les différents tracés,<br />

tels du moins qu’ils existaient alors. Peut-on légitimement<br />

faire le lien avec les mentions des textes médiévaux ? Dans<br />

de rares cas, les toponymes se sont conservés et autorisent<br />

donc à répondre par l’affirmative. Pour le reste, l’ancienneté<br />

et la permanence des lieux habités, ou du moins des terroirs<br />

pour les localités disparues de Ropidera et de Casesnoves,<br />

laissent supposer une relative permanence du tracé depuis<br />

le Moyen Âge. Remonter au-delà dans le temps relèverait<br />

de la fiction dans l’état de nos connaissances.<br />

La carte d’État-Major au 1/80 000 e dont la feuille de<br />

. Le temps des routes et le temps des pistes font l’objet du chap.XII.<br />

. Vinça, 1831 (ADPO, 2J127/232) ; Marcevol, 1812 (ADPO, 2J127/7) ; Tarerach<br />

1813 (ADPO, 2J127/203) ; Montalba 1833 (ADPO, 2J127/112) ; Bélesta<br />

1832 (ADPO, 2J127/19) ; Ille 1832 (ADPO, 2J127/88) ; Rodès 1832 (ADPO,<br />

2J127/167).<br />

Prades, qui nous concerne, a été publiée en 1864, a le mérite<br />

d’être très précise et de situer la voirie dans son cadre<br />

géographique. Avec les levées effectuées par les agentsvoyers<br />

de la fin du XIX e siècle et du début du XX e lors<br />

de la construction des routes, elle fait la transition vers<br />

les cartes IGN plus récentes, lesquelles sont indispensables<br />

pour repérer les chemins anciens, lorsqu’ils se sont<br />

conservés dans le paysage contemporain, ou pour les retracer<br />

sur le papier avec un maximum d’exactitude lorsqu’ils<br />

ont disparu. Toutes choses que permet la réécriture<br />

du tracé au 10 000 e des plans cadastraux anciens sur les<br />

cartes d’aujourd’hui au 25 000 e .<br />

L’enquête sur le terrain est nécessaire pour contrôler<br />

l’exactitude des documents, pour étudier la mise en œuvre<br />

dans le paysage et voir ce qu’il en reste. Il faut en effet garder<br />

présent à l’esprit que ce que nous avons alors sous les<br />

yeux correspond non pas à un chemin médiéval mais à un<br />

état d’abandon, lorsque, sans doute dans la première moitié<br />

du XX e siècle, on a cessé d’entretenir ce type de voirie.<br />

II- Le temps des chemins<br />

II.1 - Il suffit de passer le pont<br />

Entre les agglomérations de la vallée et celles du plateau,<br />

le premier obstacle est la Têt. Son cours se resserre<br />

au droit de Sant Pere et dans les gorges de La Guillera<br />

et s’étale au contraire dans les bassins de Vinça et de<br />

Rodès, et surtout dans la plaine d’Ille. Dans ces derniers<br />

secteurs, les divagations du tracé depuis l’enregistrement<br />

du premier cadastre sont impressionnantes et tout à fait<br />

significatives de la violence des crues... et de la difficulté<br />

d’établir des franchissements permanents .<br />

Sur les premiers cadastres, on en comptait cinq. D’amont<br />

en aval, un au droit de Vinça, un en amont de Rodès, un<br />

en amont d’Ille, un au droit d’Ille, un en aval d’Ille.<br />

Les recherches en archives en font apparaître deux<br />

autres qui ont existé au Moyen Âge et jusque pendant<br />

l’époque moderne : le pont-aqueduc Sant Pere au droit<br />

de la chapelle Sant Pere de Belloc et le pont-aqueduc de<br />

Labau dans les gorges de La Guillera. Leur fonction première<br />

et leur mode de construction en font des ouvrages<br />

spécifiques qu’il faut traiter à part.<br />

. Les inondations destructrices se retrouvent à toutes périodes avec quelques<br />

paroxysmes, notamment à la fin du Moyen Âge. Voir à ce sujet l’étude récente<br />

de R. Tréton (2007).


le temps des chemins<br />

209<br />

II.1.1 - Une œuvre pie<br />

Au Moyen Âge, construire un pont était une œuvre<br />

pie. Pour chaque ouvrage entrepris, il existait une œuvre<br />

du pont qui recevait des dons et des legs . Les testaments<br />

mentionnent régulièrement des sommes attribuées<br />

à la construction d’un pont à côté de celles destinées aux<br />

églises ou aux chapelles. D’ailleurs, il arrive fréquemment<br />

qu’un édifice religieux soit placé à l’entrée du pont, et l’on<br />

a ainsi une Notre‐Dame du Pont à Perpignan, à Elne ou<br />

encore un oratoire comme au pont de Rodès ou de Labau.<br />

Il fut longtemps difficile et parfois périlleux de traverser les<br />

cours d’eau. Les romans de chevalerie, grossissant le danger,<br />

en font une épreuve mortelle : dans le chevalier de la charrette<br />

de Chrétien de Troyes l’on trouve ainsi un pont sous<br />

l’eau et un pont de l’épée. Il est certain aussi que la symbolique<br />

a joué son rôle : passer le pont, c’est aller au-delà ; l’audelà,<br />

c’est aussi le royaume des morts que l’on désigne au<br />

Moyen Âge sous le nom de « transis », « ceux qui ont traversé<br />

». « Ils ont passé », dit-on couramment. Ce vocabulaire,<br />

lourd de sens, n’est pas innocent. De là aussi les très nombreux<br />

Ponts du Diable, à commencer par celui de Céret : le<br />

Diable aide à « passer » mais à quel prix ? Il n’est donc pas<br />

étonnant que l’on recherche la protection de Notre‐Dame,<br />

de saint Christophe, le passeur, ou de quelque autre saint,<br />

en tous cas de l’Église. Que l’Église soit étroitement mêlée<br />

à la construction des ponts, nous en avons un exemple local<br />

dans la lettre que l’évêque d’Elne Galceran Albert adresse<br />

aux curés de son diocèse le 8 avril 1437 après sa visite à<br />

l’église de Vinça. Il intervient à la demande des consuls et<br />

des boni homines de Vinça « voyant les très nombreux dommages<br />

que les habitants de Vinça et d’autres de notre diocèse ou<br />

d’ailleurs ont enduré et endurent pour traverser l’eau du fleuve<br />

Têt dans le trajet qui va de cette cité aux terres du Royaume de<br />

France et voyant que de nombreuses personnes, qu’une absolue<br />

nécessité contraignait de traverser le dit fleuve, ont perdu misérablement<br />

la vie, noyées dans cette eau, parce qu’elles n’avaient<br />

pas la force de résister à l’impétuosité du courant... » . L’évêque<br />

exhorte donc les fidèles à donner ou de leur argent ou de<br />

leur travail pour la construction d’un pont de pierre, sur la<br />

Têt, à Vinça, indiquant qu’ils pourront travailler sans pécher<br />

même les jours de fêtes religieuses, les jours de fête de<br />

la Vierge exceptés. Pour n’oublier rien ni personne, il ajoute<br />

. Sur l’œuvre du pont, voir notamment Illes 2008, 39-40.<br />

. éd. J. Frappier, 1969, p. 5 et 139. Cette œuvre m’a été signalée par Paul<br />

Bretel que je remercie ici.<br />

. Médiathèque, B. Alart, Marcevol et l’Église de Vinça, ms 111, 322-324, traduit<br />

du latin.<br />

dans une très longue énumération : « À tous ceux qui travailleront<br />

les jours festifs et autres jours fériés et non fériés pour<br />

la dite œuvre, qu’ils travaillent seuls ou en groupe, et même<br />

aux pécheurs et repentis bienfaiteurs de la dite œuvre, et qui<br />

apporteront leur aide à cette œuvre et qui par eux-mêmes en<br />

personne ou un intermédiaire ou un ouvrier ou un animal leur<br />

appartenant ou qui auraient fourni de la chaux, du ciment ou<br />

des pierres ou autre chose qui soit destiné à cette œuvre, ou encore<br />

qui auraient donné des sommes d’argent ou autre chose ou<br />

qui auraient fait des dons et legs dans leurs testaments ou dans<br />

leurs dernières volontés, et aussi aux notaires et à d’autres quels<br />

qu’ils soient qui auraient persuadé des testateurs et d’autres<br />

personnes à donner et laisser quelque chose pour cette bonne<br />

œuvre, pour une quelconque aumône qu’ils feraient, et pour<br />

un jour qu’ils auraient travaillé ou fait travailler à cette œuvre<br />

et aussi pour n’importe quelle action de persuasion susdite, par<br />

l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ et des bienheureux<br />

apôtres Pierre et Paul et les bienheureuses vierges Eulalie et<br />

Julie et les martyrs dont les corps reposent dans notre cathédrale,<br />

tous ceux-là nous les dispensons, dans la miséricorde de<br />

Dieu, de quarante jours de pénitence en moins... ». Il incite<br />

enfin tous les curés du diocèse à prodiguer aux fidèles « de<br />

salutaires conseils et de pieuses exhortations à bien agir pour<br />

cette bonne œuvre, avec l’espoir d’en retirer une récompense de<br />

la part de celui qui rend tout bienfait au centuple... ».<br />

On ignore si ce vibrant appel fut entendu mais, si pont<br />

de pierre il y a eu, il a vécu, comme tous ceux qui se sont<br />

succédés au même endroit... jusqu’à l’inondation suivante.<br />

II.1.2 - Le pont de Vinça (ill. 1, A)<br />

La première mention retrouvée d’un pont à Vinça remonte<br />

à 1349 dans les comptes du consul P. Rasedor .<br />

Ce pont était situé au droit de la ville, il a été de très nombreuses<br />

fois réparé ou reconstruit au cours des siècles. Il a<br />

été en usage au même endroit jusqu’à la fin du XIX e siècle<br />

ou au début du XX e siècle.<br />

Il était absolument nécessaire aux habitants de Vinça<br />

qui détenaient des biens sur la rive gauche ainsi qu’à<br />

tous ceux qui désiraient se rendre « de cette cité aux terres<br />

du royaume de France » comme l’affirme justement<br />

l’évêque Galceran en 1437 . Au débouché du pont, sur<br />

la rive gauche, était construit le moulin à blé de la ville.<br />

. « ... paga an Yacme Riquart e an Johan Peliser per estagar lo pont I Livre. »<br />

« ... paga an Yac. Riquart per estagar lo pont ab en Yohan Peliser I Livre. »<br />

« ... item paga an Yac Ricart e Yan Peliser per levar lo pont I Livre. »<br />

ADPO, B. Alart, 2J1/10, 121.<br />

. Médiathèque, B. Alart, Marcevol et l’Église de Vinça, ms 111, 322.


210 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

1 - Tracé des principaux franchissements de la Têt et des principaux chemins.<br />

Franchissements de la Têt : A, le pont de Vinça ; B, pont-aqueduc de Saint-Pierre ; C, pont de Ropidera-Rodès ; D, pont-aqueduc de Labau ; E, franchissement de Casesnoves ;<br />

F, franchissement d’Ille.<br />

Les deux édifices étaient si étroitement liés<br />

que Raymond Boschanus en 1375 est chargé<br />

par les consuls de Vinça de l’entretien conjoint<br />

du moulin farinier et du pont 10 . Les deux<br />

portaient la même appellation : moulin de<br />

Nossa 11 , pont de Nossa. Ce dernier était aussi<br />

dénommé « pont de Dotres » ( qui permet de<br />

passer « outre, au-delà de la Têt ») 12 .<br />

C’était soit un pont mixte avec des piles<br />

maçonnées et un platelage en bois soit un<br />

pont entièrement en bois. On pourrait presque<br />

parler de passerelle, ce qui explique que<br />

la moindre crue emportait les poutres et le<br />

tablier, voire les piliers, d’où des travaux incessants<br />

pour le remettre en état.<br />

2 - Vinça. Dans la retenue presque asséchée, deux vestiges du pont ancien sur la Têt : une pile au sud<br />

et une pile au nord.<br />

10. C’était un moulin à trois meules. 3E1/437, f os 30‐32, notule de<br />

Philippe Sobira.<br />

11. Au XIX e siècle il est appelé « moulin Sarda ». En période de<br />

basses eaux de la retenue, on distingue encore le tracé du canal<br />

d’amenée et le petit pont qui permettait à la route du début du<br />

XX e siècle de l’enjamber.<br />

12. 1434, Médiathèque, B. Alart, 2J1/40, 219 ; 1458, Médiathèque,<br />

B. Alart, 2J1/10, 94 etc.


le temps des chemins<br />

211<br />

3 - Vinça. Pile sud du pont ancien avec les encoches pour loger les étais soutenant les<br />

poutres qui portaient le tablier.<br />

4 - Ancien pont d’Estagel dont les piles maçonnées et le tablier de bois rappellent le<br />

pont vieux de Vinça dans son dernier état (document Guy Barnades).<br />

Son dernier avatar aujourd’hui est constitué de deux<br />

éléments hétérogènes (ill. 2) que l’on aperçoit en période<br />

de basses eaux : un massif que l’on peut interpréter<br />

peut-être comme une culée ou une pile avec avant-bec<br />

et arrière bec, et des ouvertures destinées à recevoir les<br />

étais obliques qui soutenaient les poutres (ill. 3), (coordonnées<br />

: 460988/4722126). Cette pile ou culée devait<br />

se situer sur la rive droite, et une pile dont la forme cylindrique<br />

et les matériaux qui la constituent disent assez<br />

qu’elle n’est pas de la même époque. Dans son dernier<br />

état, dont témoigne le premier élément, l’ancien pont<br />

devait ressembler, les dimensions mises à part, à l’ancien<br />

pont d’Estagel, piles maçonnées et tablier de bois (ill. 4).<br />

II.1.3 - Le pont de Rodès (ill. 1, C)<br />

La première mention retrouvée de pont de Rodès est<br />

de 1411 13 , mais il devait y avoir un franchissement antérieur.<br />

Le pont a été de nombreuses fois détruit et reconstruit<br />

ou réparé. Le franchissement s’est fait à cet endroit<br />

jusque vers la fin du XIX e siècle.<br />

Il est parfois appelé « pont de Rodès » bien qu’il soit<br />

éloigné du village de quelque 500 m mais on le nomme<br />

aussi « pont de Ropidera ». Cette appellation ainsi que<br />

l’éloignement du pont par rapport à Rodès nous rappelle<br />

que le village est de création relativement récente (l’église<br />

paroissiale n’est construite qu’au XIV e siècle) tandis que<br />

le village de Ropidera est mentionné au XI e siècle, voire<br />

au X e . On peut en déduire que le franchissement à cet endroit<br />

a certainement précédé l’apparition ou le dévelop-<br />

13. ADPO, B. Alart, 2J1/15, 412-413, notule de Raymond Ferrer,f o 37, B195.<br />

pement du village de Rodès : c’est Ropidera qu’il fallait<br />

relier au chemin du Conflent.<br />

Ce pont desservait aussi un moulin à blé, le moulin de<br />

Ropidera, actionné par les eaux du canal royal de Thuir.<br />

Il s’agissait le plus probablement à l’origine d’un pont<br />

mixte comme à Vinça, mais il fut plusieurs fois reconstruit<br />

en pierre, notamment à l’époque moderne (par<br />

exemple en 1763) 14 .<br />

On peut encore en apercevoir une culée sur la rive gauche<br />

(ill. 5).<br />

5 - Rodès. Sur la rive gauche, culée du pont ancien de Ropidera. Dans le lit de la Têt,<br />

massif maçonné provenant du pont.<br />

14. ADPO, 1C1999.


212 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

II.1.4 - Les passages en amont d’Ille, au droit d’Ille, en<br />

aval d’Ille (ill. 1, E et F)<br />

à partir d’Ille, si l’on se reporte au cadastre de 1832,<br />

on pouvait franchir la Têt à trois endroits différents :<br />

en amont d’Ille (467850/4724725), au droit d’Ille<br />

(468675/6724875) et en aval (469600/4725625). Ces<br />

trois passages desservaient respectivement Casesnoves,<br />

Ille et Reglella.<br />

Il est vraisemblable que ces trois points de franchissement<br />

sont très anciens, d’ailleurs on en trouve différentes<br />

mentions dans les textes. La plus ancienne mention<br />

retrouvée date de 1355 15 . Si l’on peut situer le Vayl<br />

Pont dont il est question dans ce texte au territoire de<br />

Casesnoves et donc en amont d’Ille, il est souvent difficile<br />

de savoir auquel de ces trois points les différentes mentions<br />

se réfèrent. On peut remarquer cependant qu’ils ont<br />

pris des formes différentes au cours des siècles : en 1535,<br />

un pont ; en 1547, une barque 16 .<br />

II.1.5 - Faire le pont<br />

II.1.5.1 - Les ponts vernaculaires<br />

Les ponts de Vinça, de Rodès et d’Ille appartiennent à<br />

un type d’ouvrages que l’on peut dire vernaculaires dans<br />

la mesure où ils relèvent d’un savoir local, de techniques<br />

locales et d’un financement lui aussi local. Les résultats,<br />

malheureusement, sont à la hauteur des investissements.<br />

Il ne semble pas que l’allure générale ait beaucoup<br />

changé depuis le Moyen âge jusqu’aux Temps Modernes.<br />

Au XV e siècle, les livres de comptes de la communauté<br />

de Vinça permettent de tracer une esquisse. En 1425,<br />

on peut lire : « lo dimartz a XVII de satembre fesem los<br />

pilos pont e posem lo pont... », et en 1458 : « deu lo senyer<br />

en Rochafort deu aymines de la caus que pres del pont de<br />

Dotre » 17 . La chaux prise par le senyer en Rochafort est<br />

vraisemblablement un reliquat de celle qui a servi à bâtir<br />

les piles et sur ces piles on pose le pont, en commençant<br />

par les biges, c’est-à-dire les grosses poutres : en 1434,<br />

« pagaren als senyors En Johan Juher et Jac. Domenech<br />

consols 1 liure IIII sols IIII d. los quals los volien per los pals<br />

de fer a trevar les biges del Pont ». Toujours la même année<br />

: « pagarem a N Miquel Burgera per dos jornals que<br />

15. ADPO, 3E3/980, Gaucelm Ferriol, notaire d’Ille, 1355-1363 Capbreu de<br />

Johanna épouse de feu Bernat Clayran de Perpignan, seigneur de Casesnoves.<br />

16. ADPO, B. Alart, 2J1/17, 37 ; 2J1/46/2, 289.<br />

17. ADPO, B. Alart, 2JI/10, 105 et 94.<br />

fech al Pont de Dotres... X liures e per clavells VII dr » 18 .<br />

Les clavells, les gros clous, ont servi à fixer le tablier en<br />

bois sur les grosses poutres.<br />

Les textes du XVIII e siècle sont plus explicites et permettent<br />

de compléter l’esquisse.<br />

Ainsi en 1759, on peut lire sur le cahier des charges,<br />

toujours pour le pont de Vinça : « ... que l’entrepreneur<br />

sera obligé de fournir et metre tout le bois necessaire pour<br />

former le pilier qu’il sera tenu de faire avec de grosses pierres<br />

melées du bois gros et long pour servir de soutient aux dites<br />

poutres du pont suivant l’usaze lequel pilier sera fait de la<br />

meme hauteur et de niveau (ou : nouveau), repondant au<br />

rocher qui se trouve de l’autre cotté du pont et de deux cannes<br />

et demi de largeur<br />

Plus sera obligé ledit entrepreneur de faire le dit pilier ou<br />

cappont de la venue en talu et de le bien et deuement paver<br />

comme aussi d’escarper et abatre le rocher de la sortie et<br />

d’adoucir la montée le mieux que faire se pourra<br />

Plus sache l’entrepreneur qu’il sera obligé de mettre les planches<br />

necessaires pour couvrir les poutres du dit pont au travers<br />

tout du long d’iceluy, lesquelles planches seront bonnes et de<br />

publier (peuplier) vulgairement dit pull et de six palmes de<br />

longueur, qu’il sera tenu de faire et remetre le garde fou du dit<br />

pont aussi a ses frais suivant l’usaze bien et deuement et qu’il<br />

clouera le tout avec des clous de trois denier chacun.<br />

Plus qu’il sera tenu et obligé de trouer les trois poutres<br />

qui lui seront remises pour former le dit pont qui ne le sont<br />

pas des deux bouts et de les faire joindre ensemble avec une<br />

grosse cheville de fer qu’il arrêtera des deux cottés avec des<br />

clous de fer... ». Aucun emploi de chaux n’est mentionné,<br />

il paraît peu vraisemblable toutefois qu’au XVIII e siècle<br />

on n’en ait pas fait usage pour la construction des piliers.<br />

Les poutres sont reliées entre elles puis assujetties par<br />

une chaîne au rocher le plus voisin comme le montre un<br />

document de l’an 2 de la République, se rapportant au<br />

pont de Rodès 19 . Dans ce même mémoire, on constate<br />

que les poutres sont l’élément le plus onéreux, 240 livres<br />

contre seulement 22 livres pour les planches du tablier,<br />

d’où les attaches pour les fixer. Notons que le pont n’est<br />

en fait qu’une passerelle : les planches ont une longueur<br />

de six palmes, la palme catalane valant 19,5 cm, le tablier<br />

n’a que 1,17 m de large, dont il faut encore soustraire,<br />

pour avoir la largeur utile, la place occupée par<br />

les garde-fous.<br />

18. Alart, 2J1/40, 220 et 219.<br />

19. ADPO, L722.


le temps des chemins<br />

213<br />

Toutes les précautions n’y font rien, le pont-passerelle<br />

est emporté à chaque crue importante, autant dire chaque<br />

année ou presque. Le pont est trop bas et trop court, à<br />

peine couvre-t-il le lit mineur du fleuve, qui divague régulièrement.<br />

Dans ces conditions maintenir un passage sur<br />

la Têt est un vrai travail de Sisyphe. Pour le pont de Vinça<br />

où nous disposons au milieu du XVIII e siècle d’une bonne<br />

série de documents, on constate que le pont doit être réparé<br />

ou reconstruit chaque année ou peu s’en faut : 1749,<br />

1750, 1751, 1752, 1754, 1756, 1758, 1759, 1760, 1761,<br />

1762, 1763... On comprend mieux alors le sentiment de<br />

désolation qui transparaît dans le document de 1749 :<br />

« Aujourd’hui 7 septembre est tombé le pont de la Têt de notre<br />

ville par suite d’une grande inondation et a emporté les poutres<br />

pour avoir cassé une maille des chaînes... » 20 . La reconstruction<br />

se fait dans l’urgence : les vendanges sont là et le raisin<br />

de l’autre côté de l’eau. Le mémoire relatif aux dépenses<br />

pour les travaux traduit une certaine fébrilité qui fait penser<br />

à l’accéléré des films comiques muets : deux jours, le 7<br />

et le 8 septembre, pour rechercher et retrouver les poutres<br />

tout le long de la Têt, achat de cordes pour les tirer. Le 9,<br />

28 hommes sont requis pour mettre en lieu sûr une poutre<br />

qui a été retrouvée, autant le 10 ; 11 hommes le 11 septembre.<br />

Ce même jour une autre poutre est achetée à Eus. Le<br />

12 septembre, 6 hommes se chargent, à prix fait, d’acheminer<br />

la poutre d’Eus à Vinça, le nombre est porté à 36 le<br />

13 septembre, à 30 le 14, auxquels il faut ajouter 36 demijournées.<br />

Trois personnes travaillent le 15 septembre, le<br />

même jour achat de 3 aulnes pour le pont. Le 16, 32 hommes<br />

sont employés ; le 17, 48. Le même jour, sont payées<br />

des indemnités pour les dégâts causés par le passage de la<br />

première poutre à travers deux vignes de Bouleternère. Le<br />

18 septembre, il faut louer 4 paires de bœufs et 7 hommes<br />

pour tirer la poutre depuis le rech de Bouleternère.<br />

Le 19 septembre le transport de cette poutre est donné à<br />

prix fait depuis Ternère jusqu’à Vinça, il faut deux paires<br />

de bœufs, il faut aussi fixer des poulies et 6 hommes supplémentaires<br />

pour tirer. Le 22 septembre 4 hommes sont<br />

requis « per fer modar la mola y cadenas del pont » (« pour<br />

faire adapter – ou transporter – la "meule" ou "pile" et les<br />

chaînes du pont »), le 22 on se procure les planches et toutes<br />

sortes de clous de différentes tailles pour le tablier du<br />

pont. Le 23 septembre, on achète les cordes pour le garde-<br />

20. « Vuy als 7 bre es caigut lo pont de la Têt de nostre vila per grand innundation<br />

de aiga y aben senportades las bigas per avesse trencada una malla de<br />

diotas cadenas... » ADPO, 1C2040.<br />

fou du pont. Le 23 et le 24, un menuisier et un cordier y<br />

travaillent. Toujours le 24, un forgeron achève de fixer la<br />

chaîne et l’on achète du bois et des saules pour placer à la<br />

tête du pont. Dans leur facture, les consuls n’oublient pas<br />

le défraiement de leurs déplacements à Ille, à Bouleternère,<br />

au pont de Labau, à Rodès et à Eus dont le montant est<br />

laissé à l’appréciation de l’intendant (lequel leur octroiera<br />

24 livres). Enfin le 28 septembre, dernière touche apportée<br />

à l’ouvrage, l’état des dépenses est transmis à Monseigneur<br />

l’Intendant pour approbation.<br />

La dépense se monte à 366 livres 18 sous 11 deniers<br />

dont 95 livres pour la biga achetée à Eus. Il aura fallu plus<br />

de 250 journées de travail et, en plus des manœuvres,<br />

plusieurs corps de métiers ; au total, c’est toute la ville qui<br />

s’est mobilisée.<br />

Il ne reste plus qu’à attendre la prochaine crue... qui ne<br />

tardera pas. Dans ce domaine, les catastrophes sont prévues<br />

comme inévitables. Ainsi le cahier des charges de 1754<br />

stipule que l’entrepreneur chargé des réparations devra<br />

graver « Vinça » sur la chaîne au plus près de la poutre,<br />

afin qu’aucune communauté en aval ne s’en empare quand<br />

le flot dévastateur l’emportera. L’accord de 1375, déjà cité<br />

plus haut, passé entre Raymond Boschanus et les consuls<br />

de Vinça à propos du pont et du moulin de Nossa, enregistre<br />

comme une fatalité la répétitivité des destructions :<br />

« Mais s’il arrivait qu’un tel pont construit par l’université<br />

des habitants de Vinça et à leurs frais soit détruit par des inondations<br />

ou autres causes, il fut convenu et arrêté entre moi et<br />

les consuls alors en charge que moi et les miens aurions alors à<br />

réparer ce pont de cette manière, à savoir que si l’eau du fleuve<br />

emportait les poutres du pont rompu en-deçà et non au-delà<br />

du lieu de Rodès, dans ce cas moi et les miens aurions à ramener<br />

à nos frais les dites poutres au lieu où avait été construit le<br />

pont, ou à l’endroit du fleuve où les consuls alors en charge de<br />

Vinça décideraient que le pont doit être à nouveau construit.<br />

Et que dans ce lieu, moi et les miens, tenanciers du dit moulin,<br />

aurions à édifier et reconstruire un autre pont en utilisant toutes<br />

choses et tous matériaux semblables au pont que l’université<br />

avait d’abord construit là. Mais si par suite d’inondations ou<br />

toute autre cause, il arrivait que les poutres du pont construit<br />

en premier lieu comme il a été dit et aussi les poutres du pont<br />

reconstruit par moi et les miens soient emportées, comme il été<br />

dit, au-delà du lieu de Rodès, que moi et les miens nous aurions<br />

à les amener à nos frais jusqu’à Perpignan et à les sortir de l’eau<br />

du fleuve et à les mettre en lieu sec et à l’abri et que ces poutres<br />

emportées aussi loin restent en possession de l’université.


214 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

Et dans un cas semblable l’université à ses frais aurait à refaire<br />

et reconstruire avec des poutres et tous les matériaux nécessaires<br />

un autre pont semblable au pont qui en premier lieu<br />

comme il a été dit avait été construit sur le fleuve... » 21 .<br />

II.1.5.2 - Le rech royal de Thuir et ses ponts-aqueducs<br />

(ill. 1, B et D)<br />

Les ponts-aqueducs de Sant Pere et de Labau ont une<br />

toute autre ampleur, ils appartenaient tous deux au rech<br />

royal de Thuir. Commencé vers 1315 sous les rois de<br />

Majorque, le canal, qui prenait naissance en aval de Vinça,<br />

s’étirait sur 35 km jusqu’à Perpignan où il arrosait les jardins<br />

royaux, desservant au passage une partie de la plaine<br />

du Roussillon. Il faisait tourner sur son parcours plusieurs<br />

moulins et notamment le moulin de Ropidera dont il a<br />

été question plus haut. Par un acte de 1321, le roi Sanche<br />

concède à Timborgue de Guardia et Guillem de Canet le<br />

droit de construire sur le canal royal un casal de moulins à<br />

blé « dans lequel il puisse y avoir autant de roues de front que<br />

notre canal peut en contenir commodément en largeur... » 22 .<br />

Les bénéficiaires s’engagent à maintenir en bon état et à<br />

curer le canal sur tout le territoire de Rodès et de Ropidera<br />

tandis que le roi, de son côté, entretiendra les ponts et les<br />

murs en pierres sèches ou maçonnés à la chaux nécessaires<br />

au bon fonctionnement du canal. En 1541, le moulin de<br />

Ropidera possédait deux roues 23 .<br />

L’aqueduc de Sant Pere faisait passer les eaux du canal<br />

sur la rive gauche et l’aqueduc de Labau les ramenait sur<br />

la rive droite. Tous deux étaient situés dans des lieux remarquables,<br />

qui marquent d’ailleurs les limites du territoire<br />

de Rodès/Ropidera, le premier au défilé de Sant<br />

Pere, le second au sortir des gorges de la Guillera, ce qui<br />

permettait de les ancrer solidement dans la roche, avantage<br />

que ne possédaient pas les ponts de Vinça, de Rodès<br />

et d’Ille. Leur situation en un point resserré de la vallée<br />

laissait prévoir une montée rapide et considérable des<br />

eaux en cas de crue et exigeait donc une grande élévation<br />

des structures et par conséquent des moyens très importants,<br />

hors de la portée des communautés riveraines. De<br />

fait, ces ponts-acqueducs n’ont rien de commun avec les<br />

ouvrages étudiés plus haut, comme on peut le voir d’après<br />

les vestiges grandioses du pont de Labau.<br />

21. ADPO, B. Alart, 2J1/15, 595-597, Notule de Philippe Sobiran n° 437, f o 31.<br />

Texte traduit du latin. Pauline Illes signale des dispositions semblables pour le<br />

pont de Millas en 1483 (Illes 2008, 37).<br />

22. ADPO, 1B13, retranscrit par B. Alart, 2J1/24, 91-92.<br />

23. ADPO, 3E16/33, manuel de Jaume Compta, notaire d’Ille 1541.<br />

6 - Pont-aqueduc de Labau vu de l’aval.<br />

Le pont-aqueduc de Labau (ill. 6)<br />

Le pont de Labau est dit aussi « des Sarrahins ».<br />

Selon une tradition orale, la construction serait due aux<br />

Sarrasins. Chose impossible dans la mesure où il date du<br />

XIV e siècle mais il arrive fréquemment que l’on attribue<br />

une origine mythique aux vestiges que l’on sait être anciens<br />

sans pouvoir les dater.<br />

Un rapport de Bernard Mastron du Service<br />

Départemental d’Architecture et du patrimoine 24 donne<br />

une description rapide de l’ouvrage qui présente sur la<br />

rive droite « deux niveaux d’arches : la face vue en amont<br />

est composée d’une arche principale à double rouleau en granit<br />

dont la clé est formée par deux claveaux. La naissance<br />

de l’arc est constituée par un appareil en tas de charge. Si les<br />

piles latérales sont appareillées avec des chaînes d’angles soignées<br />

remplies avec des blocs de granit grossièrement taillés,<br />

la muraille surplombant l’arche est en opus spicatum (moellons<br />

disposés en arête en poisson).<br />

La face vue de l’aval semble être équivalente : elle est en<br />

fait construite beaucoup plus haute que celle en amont. C’est<br />

également un berceau brisé, l’arc est un simple rouleau dont<br />

les claveaux sont de fines lames de schiste et la clé est un<br />

gros bloc de granit. Le parement est lui aussi différent : il est<br />

constitué par des galets en arête de poisson et assisé par des<br />

arases de cayrous...<br />

On note la présence de nombreux trous de boulin, qui ont<br />

servi à la construction de l’ouvrage. La pile est allégée dans sa<br />

partie supérieure grâce à un ou deux arcs superposés. Il n’en<br />

reste plus que la naissance sud du plus bas. Le flanc de la pile<br />

24. Rapport sommaire du 6 mai 2003 adressé à M. le Maire de Rodès.


le temps des chemins<br />

215<br />

qui se présente vers la rive nord est lisse : il ne présente pas<br />

d’arrachement de mur ou d’arc. Par contre on voit dans sa partie<br />

inférieure un ressaut du mur qui pouvait permettre l’appui<br />

de pièces de bois. Plus haut, une série de quatre corbeaux en<br />

pierre sont alignés : ils devaient supporter d’importantes pièces<br />

de bois. On peut donc supposer que le corps central traversant<br />

la rivière sur une vingtaine de mètres, était en fait un ouvrage<br />

charpenté : l’étanchéité du canal étant assurée peut-être par du<br />

cuir ou de la terre. La pile actuelle qui emploie une technique<br />

de construction différente des arches est le résultat d’une reconstruction<br />

postérieure (époque classique ?). Depuis sa construction<br />

sous les rois de Majorque (vers 1300), on observe donc au<br />

moins deux campagnes distinctes de restauration.<br />

Sur la rive opposée, un simple mur recevait l’ouvrage charpenté.<br />

Le canal probablement à ciel ouvert occupait la partie<br />

sommitale de l’édifice. Enfin on peut penser que l’ouvrage<br />

n’avait pas la fonction de passage... ».<br />

Ajoutons seulement que, sur la rive gauche, au-delà de<br />

la culée, est bâti un petit oratoire, comme on en trouve<br />

très souvent à l’entrée des ponts au Moyen Âge.<br />

La dernière affirmation du rapport doit être nuancée,<br />

au moins pour les états antérieurs du monument. Si effectivement<br />

la rive gauche ne porte pas trace d’un chemin<br />

aménagé, il est pourtant certain qu’en des cas bien<br />

particuliers (guerre, brigandage, contrebande), la pente<br />

très rude pouvait être empruntée ainsi que l’aqueduc.<br />

Quelques textes en fournissent la preuve : ainsi un témoignage<br />

lors du procès engagé à la fin du XVI e siècle par<br />

la famille Blanès pour empêcher, sans succès, le déplacement<br />

du chemin royal du Conflent, indique que l’hostal<br />

tenu par cette famille sur le territoire de Bouleternère,<br />

près de la chapelle Sainte-Anne, « était à un peu moins<br />

d’une lieue de la frontière de France et que la majeure partie<br />

des Français qui entraient en Espagne et passaient pour<br />

voler en Catalogne venaient à passer par le pont de Labau<br />

qui était très proche du dit hostal... » 25 . À la même époque,<br />

le baron de Joch, dans une lettre dont on ne possède que<br />

des fragments, organise ainsi la garde des ponts contre<br />

une incursion française : « ... Nous avons pensé que ceux<br />

de Rodès il serait mieux qu’ils aident ceux de Boule à garder<br />

le Pont de Lavau parce que ce leur est plus commode et que<br />

le pont de Alabau divise les territoires de Boule et le mien et<br />

que ceux de Finestret, Rigarda et Sahorla gardent le Pont de<br />

Roders... » 26 .<br />

25. ADPO, 20EDT55. Traduit du catalan.<br />

26. « havem pensat que los de Rodes seria millor ajudassen als de Bula a guar-<br />

Du reste les aqueducs de Labau et de Sant Pere sont<br />

toujours appelés « ponts ». Pour ce dernier, nous avons<br />

aussi la preuve qu’il permettait le passage.<br />

Le pont-aqueduc de Sant Pere (ill. 7)<br />

À la suite d’une convention avec le lieutenant du procureur<br />

royal, les habitants de Ropidera obtiennent en décembre<br />

1380, moyennant le versement immédiat d’une<br />

somme de onze florins d’or d’Aragon et d’un cens annuel<br />

de trois sous de Barcelone, licence « que, sans encourir<br />

aucun peine, eux et leurs bêtes grosses ou petites, chargées ou<br />

non, passent et puissent passer à leur volonté aussi longtemps<br />

qu’ils le voudraient par le pont appelé pont de Saint Pierre<br />

par lequel passe et court l’eau du canal de Thuir aussi bien<br />

par la sole du pont que par les murs, sommets ou bords du<br />

dit pont... » 27 . Cette autorisation est accordée « parce que<br />

il n’existe pas d’autre endroit par où ils puissent aller à leurs<br />

jardins et terres dans la orta de Vinça... » 28 . En parcourant<br />

cette charte, où alternent le latin des actes administratifs<br />

et le catalan destiné aux habitants de Ropidera, on peut<br />

se faire une idée un peu plus précise du canal lui-même.<br />

7 - Pont-aqueduc de Sant Pere. Au premier plan, culées de l’aqueduc ; au second plan,<br />

barrage de la retenue actuelle de Vinça.<br />

dar lo Pont de la Vau per que los es mes comodo y lo pont de Alabau divides<br />

los termens de Bula y lo meu, y los de Finestret, Rigarda y Sahorla gardassen lo<br />

Pont de Roders (la fin manque)... ». ADPO, B. Alart, 2J1/13, 390.<br />

27. « ... que sens encorriment de neguna pena ells e llurs bestiars grosses e<br />

manuts vullense carregats o no passen e puguen passar a lur voluntat tostemps<br />

ques volran per lo pont apellat Pont de Sant Pere per loqual passa e corra layga<br />

del rech de Thoir... ». ADPO, B. Alart, 2J1/37, 56.<br />

28. « ... cum non sit alius locus per quem possint ire ad ortos suos et terras<br />

quas habent in orta de Vinciano... ». ADPO, B. Alart, 2JI/37, 53.


216 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

Une clause stipule que les habitants de Ropidera s’ils<br />

veulent construire « sur le dit pont et sur ses murs un pont<br />

de bois ou un autre édifice de bois par lequel ils veuillent<br />

passer eux et leurs bêtes, que ce pont et édifice les dits habitants<br />

et leur université ils puissent le faire ou faire faire et<br />

construire à leur volonté sans faire obstacle à l’eau du canal,<br />

et aussi que les dits habitants en aucune manière ne puissent<br />

faire un édifice tant de bois que de pierre ni l’installer<br />

sur le milieu ou la sole du pont par où passe l’eau, si ce<br />

n’est sur les murs ou sommets du dit pont... » 29 . La sole,<br />

sola, désigne donc le fond du canal où passe l’eau. Or,<br />

les habitants, qui sont suspectés de n’avoir pas attendu<br />

la licence royale pour utiliser le pont, et qui jurent ne<br />

l’avoir pas fait, affirment qu’ils auraient pu le faire à bon<br />

droit ayant obtenu une autorisation antérieure parce que<br />

à leurs frais « ils avaient pavé la sole de grandes pierres et<br />

empierré le pont... » 30 . Que l’aqueduc enjambe la Têt sur<br />

une ou plusieurs arches ou qu’il le fasse par des poutres<br />

de bois, nous savons donc que le fond du canal, la sole,<br />

était pavé. Il était du reste inconcevable que l’on autorisât<br />

les habitants et leurs bestiaux à piétiner le fond du<br />

canal si celui-ci, pour assurer l’étanchéité, était recouvert<br />

de terre ou de cuir comme il est supposé dans le rapport<br />

cité plus haut à propos du pont de Labau. En conclusion,<br />

circuler dans l’eau du canal ou sur les murs bordiers<br />

était possible et même licite, au moins pour les gens de<br />

Ropidera, mais ce devait être une entreprise périlleuse,<br />

à moins d’appuyer sur les murs, au-dessus de l’eau, des<br />

planches qui couvrent le passage, comme il est dit dans<br />

la convention.<br />

Quelque trente ans plus tard, le 14 mai 1412, le passage<br />

est interdit aux personnes « que passen o fan passar<br />

lur bestiar continuament per los ponts los qals son edifficats<br />

per passar l’aygua del rech de Thuir » à Vinça ainsi qu’à<br />

Rodès, et François Cors de Vinça est nommé pour y<br />

veiller 31 . Cette interdiction s’applique-t-elle aux habitants<br />

de Ropidera ? L’histoire ne le dit pas.<br />

29. « ... sobra lo dit Pont e parets de aquell algun pont de fusta o altra ediffici<br />

de fusta per lo qual vullen passar ells et lurs bestiars que aquest pont e ediffici<br />

los dits homens e Universitat de aquells puguen fer o fer fer e construhir a lur<br />

voluntat sens embarch de la aygua del dit rech axi quels dits homens en negun<br />

manera no puguen fer alcun ediffici tambe de fusta com de pera ne aquell<br />

tenir al mig o sola del dit Pont per unt passa layga del Rech apellat de Toyr sino<br />

sobra les parets o crestas del dit Pont... », ADPO, B. Alart, 2JI/37, 57.<br />

30. « ... solaverant magnis lapidibus et empedraverant dictum pontem... »,<br />

ADPO, B. Alart, 2JI/37, 52.<br />

31. ADPO, B. Alart, 2J1/15, 479, B208, f o 23.<br />

Faute d’autres documents, on n’en saura pas plus sur<br />

le pont-aqueduc de Sant Pere, puisqu’il a été complètement<br />

détruit depuis, il n’en reste qu’une culée sur la<br />

rive droite, à une centaine de mètres en aval du barrage<br />

actuel.<br />

On sait cependant qu’il avait été endommagé par<br />

une grande inondation le 21 novembre 1403, agrandi<br />

en 1416 puis à nouveau partiellement détruit le 8 octobre<br />

1421, à la suite de quoi est entrepris en 1423 le rech<br />

reyal de la vila de Perpinya dont la prise d’eau se situe en<br />

aval d’Ille et qui est inauguré en 1425, le jour de la Sant<br />

Jordi (Caucanas 1995, 269).<br />

La partie désaffectée de l’ancien canal de Thuir est vendue<br />

à Louis d’Oms, seigneur de Corbère. En 1725, selon<br />

Emmanuel Brousse (Indépendant, 339, 1894), une<br />

inondation emporte les deux ponts de Sant Pere et des<br />

Sarrasins et le seigneur de Corbère, de Boisambert, obtient<br />

l’autorisation d’emprunter sur la rive droite, entre<br />

les deux ponts, le canal de Rodès, Désormais les deux<br />

ponts-aqueducs de Sant Pere et de Labau étaient définitivement<br />

hors-service.<br />

III - Par voies et chemins<br />

Sitôt passée la Têt sur des ponts de fortune, sous la<br />

protection de l’Église et de ses saints, se présente un autre<br />

obstacle pour gagner le plateau : la pente. La dénivellation<br />

n’est pas très importante, entre 200 et 300 m, mais<br />

elle est concentrée sur un court espace de sorte que la<br />

pente est rude. Il faudra donc la négocier avec quelques<br />

lacets, mais assez peu finalement, car la pente ne constitue<br />

pas une grande gêne pour des gens qui se déplacent à<br />

pied le plus souvent et qui transportent les charges à dos<br />

d’homme, d’âne ou de mulet. Quant au bétail, chèvres et<br />

moutons le plus souvent, monter ou descendre ne leur<br />

pose pas de problème, ne dit-on pas « grimper comme<br />

une chèvre » ?<br />

Les chemins sont reportés sur les illustrations 1, 8 et 11<br />

tels qu’ils sont dessinés sur les divers cadastres du début<br />

du XIX e siècle. Les tiretés indiquent soit des corrections,<br />

soit des compléments observés sur le terrain. Les tracés<br />

sont notés à partir des trois agglomérations de la vallée,<br />

d’amont en aval.


le temps des chemins<br />

217<br />

III.1 - À partir de Vinça (ill. 8)<br />

À partir de Vinça, le chemin qui se dirigeait<br />

vers la Têt et franchissait le fleuve<br />

portait le nom, sur le cadastre de 1831,<br />

de chemin real de Vinça à Tarerach.<br />

Après le pont, il débouchait sur le moulin<br />

farinier de Nossa, comme nous l’avons<br />

vu plus haut et comme on peut encore<br />

le voir sur le plan du 25 mai 1897 dressé<br />

pour la construction d’un pontet sur le<br />

canal du dit moulin 32 . Il ne reste rien de<br />

ce très vieux moulin mais le petit pont de<br />

1897 émerge en période de basses eaux.<br />

Après le moulin, ce cami ral se subdivisait<br />

en plusieurs branches : vers<br />

l’ouest partait le chemin d’Arboussols<br />

et de Marcevol, flanqué dans la montée<br />

d’un oratoire récent. L’empierrement<br />

est très bien conservé, il fait actuellement<br />

partie des « sentiers d’Emilie ».<br />

Vers le nord, montait le chemin de<br />

pèlerinage de Marcevol, dont un oratoire<br />

rappelle le souvenir. À mi-pente<br />

s’en détachait vers l’est un embranchement<br />

pour Tarerach d’où partait<br />

plus loin le chemin de Montalba. Sur<br />

ce dernier, en bordure du ruisseau de<br />

Tarerach, était bâti le moulin Barère,<br />

dont la construction de la D13 n’a<br />

laissé subsister que quelques murs.<br />

III.2 - À partir du pont-aqueduc Sant<br />

Pere (ill. 8)<br />

Le chemin de Sant Pere à Ropidera<br />

(Les Cases) ne se retrouve plus sur le<br />

terrain mais le texte de 1381 étudié<br />

plus haut et beaucoup plus récemment<br />

le cadastre de 1832 montrent bien son<br />

existence dans le passé.<br />

III.3 - À partir du pont de Ropidera<br />

Au débouché du pont sur la rive<br />

gauche était bâti le moulin à blé dit de<br />

Ropidera. Le plan de 1725 33 confirme<br />

32. ADPO, 1742W63.<br />

33. ADPO, 112EDT415.<br />

8 - Tracé des principaux franchissements de la Têt et des principaux chemins (secteur de Vinça-Rodès).<br />

1, chemin de Vinça à Marcevol ; 2, chemin de Vinça à Marcevol, Tarerach et Montalba ; 3, embranchement vers<br />

Marcevol ; 4, tronc commun vers Tarerach et Montalba ; 5, embranchement vers Tarerach ; 6, embranchement<br />

vers Montalba ; 7, chemin de Sant Pere à Ropidera ; 8, tronc commun vers Ropidera et Tarerach ; 9, embranchement<br />

vers Ropidera ; 10, chemin de Las Cazes à Tarerach ; 11, embranchement vers le plateau et Tarerach ;<br />

12, carrerade ; 13, carrerade ; 14, chemin de Rodès à Montalba.<br />

bien sa localisation (ill. 9). Le moulin date de 1321 34 et a interrompu ses<br />

activités lors de l’assèchement du canal de Corbère en 1825. Restent en<br />

place une partie du mur ouest, où l’on remarque une assise en arête de poisson,<br />

et du mur nord. On ne voit rien de l’ancien rech royal de Thuir dont la<br />

piste qui existe aujourd’hui a pris la place.<br />

34. ADPO, B. Alart, 2J1/24, 91-92.


218 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

9 - Schéma de 1725 accompagnant le devis des ouvrages à faire pour réparer le canal de Corbère et indiquant l’emplacement du pont et du moulin à blé de Ropidera<br />

(ADPO 112EDT415).<br />

à côté des ruines du moulin, est bâti un oratoire (ill. 10) dont<br />

l’emplacement obéit classiquement à deux impératifs : à la tête du<br />

pont et au débouché des chemins. Du chemin de Ropidera, orienté<br />

nord-ouest, se détachent d’abord la carrerada (chemin des troupeaux)<br />

puis le chemin de Tarerach par le pla de Ropidera.Vers l’est,<br />

longeant la piste, part le chemin de Montalba.<br />

III.4 - À partir d’Ille (ill. 11)<br />

À quelque 600 m en amont du pont actuel se trouvait un premier<br />

franchissement de la Têt. Le chemin de Casesnoves remontait<br />

la rive gauche puis une fois atteint l’ancien village continuait<br />

vers l’ouest, vers le pla de Ropidera avec une bifurcation vers<br />

Tarerach et une autre qui l’amenait, si l’on en croit un acte du 13 février<br />

1615, jusqu’à la forêt de Salvanère, commune de Montfortsur-Boulzane<br />

(Aude) 35 . Sur cet axe important étaient branchés<br />

d’amont en aval le chemin de Bellagre, le chemin de Pouchinel au<br />

droit de Casesnoves, l’ancien chemin de Montalba sur lequel on<br />

peut observer une borne maçonnée à l’exacte limite des communes<br />

10 - Oratoire au sortir du pont de Ropidera rive gauche, à proximité de<br />

l’ancien moulin et du départ du chemin de Ropidera. L’inscription paraît<br />

rapportée : TO/NI LA/FONT 16/51. Une croix latine s’intercale : la branche<br />

verticale coupe les mots et les chiffres tandis que la barre horizontale<br />

sépare le nom du prénom.<br />

35. Sur le territoire de Casesnoves, ce chemin porte divers noms dans les actes : 1355,<br />

via publica qua itur a Ropidera (ADPO, 3E3/980) ; 1610, itinere regio sive la tira del Rey<br />

(ADPO, H302) ; 1615, « ... itinere regio quo itur ad silvam de Salvanera vulgo dicto la tira<br />

del Rey... » (3E3/980).


le temps des chemins<br />

219<br />

III.5 - Les usagers<br />

11 - Tracé des principaux franchissements de la Têt et des principaux chemins (secteur de Rodès-Ille).<br />

14, chemin de Rodès à Montalba ; 15, chemin d’Ille à Casesnoves, Ropidera et Tarerach ; 16, chemin de la Bellagre ;<br />

17, chemin de Pouchinel ; 18, chemin vieux d’Ille à Montalba ; 19, chemin de la Retxe ; 20, chemin d’Ille à Montalba ;<br />

21, vieux chemin d’Ille à Montalba ; 22, chemin d’Ille à Montalba, Bélesta et Caramany ; 23, embranchement vers<br />

Caramany ; 24, embranchement vers Montalba ; 25, chemin de Montalba à Boule ; 26, embranchement vers Bélesta ;<br />

27, chemin d’Ille à Reglella ; 28, chemin de Reglella à Bélesta ; 29, chemin de Reglella à Bélesta et Latour-de-France ;<br />

30, embranchement vers Bélesta.<br />

d’Ille et de Montalba et donc de la Catalogne et du Languedoc 36 , et enfin le<br />

chemin de la Retxe qui rejoignait lui aussi Montalba, chacun d’entre eux empruntant<br />

la vallée d’un affluent de la Têt.<br />

Un deuxième franchissement du fleuve existait au droit d’Ille, à 200 m environ<br />

en aval du pont actuel, il provoquait lui aussi, après un bref tronc commun,<br />

la formation d’une nouvelle patte d’oie. Vers le nord-ouest partait l’ancien chemin<br />

d’Ille à Montalba, puis venait un peu décalé vers l’est, le nouveau chemin<br />

d’Ille à Montalba, les deux se rejoignant sur la plane de Coundomy où le tracé a<br />

été repris par l’actuelle D2. Du nouveau chemin d’Ille se détachaient d’abord le<br />

chemin de Bélesta puis un kilomètre plus loin environ le chemin de Caramany.<br />

Partie prenante de la patte d’oie, le chemin d’Ille à Reglella partait vers l’est. À<br />

Reglella, nouvelle subdivision : vers le nord-ouest, le chemin de Bélesta ; vers<br />

le nord-est, le chemin de Latour-de-France par le pla des Estanyols, qualifié de<br />

chemin royal dans un texte du 13 septembre 1728 37 .<br />

36. Borne maçonnée cylindrique, haute de 1,10 m et de 0,70 m de diamètre (465490 E/4725936 N).<br />

37. ADPO, 3E16/788.<br />

III.5.1 - Les usagers : paysans, picapedrers<br />

et picamolas<br />

Ces lieux aujourd’hui désertés, il<br />

faut les imaginer grouillants de vie,<br />

notamment dans la première moitié<br />

du XIX e siècle : des hommes<br />

partout et donc sur les chemins qui<br />

sont comme les artères de ce grand<br />

corps vivant, des paysans allant à<br />

leur travail ou en revenant, des bergers<br />

et leurs troupeaux de chèvres et<br />

de moutons, des ânes, des mulets,<br />

quelques rares chevaux. Il arrivait<br />

que l’activité artisanale se mêlât à ces<br />

travaux pastoraux et champêtres :<br />

sur le plateau de Ropidera, dans<br />

les collines dominant Casesnoves,<br />

ou dans pentes au nord de Reglella<br />

(ill. 11), retentissaient, dans les amas<br />

rocheux, les pics et les marteaux des<br />

picapedrers et des picamoles.<br />

De tous temps depuis le Moyen<br />

Âge jusqu’à la seconde guerre mondiale<br />

on a débité le granit dans ces<br />

parages. Le travail fait, il fallait acheminer<br />

la marchandise, ce qui n’allait<br />

pas sans mal. Déjà au XII e siècle,<br />

parmi les redevances des habitants<br />

de Reglella, était prévu le cens de<br />

l’acheminement des meules 38 . Au<br />

XVIII e siècle, nous disposons du<br />

cahier des plaintes déposées auprès<br />

des sobreposats de Reglella chargés<br />

d’estimer les dégâts. Beaucoup de<br />

déclarations concernent le pla des<br />

Estanyols, au nord de Reglella où l’on<br />

trouve encore des fragments de meules<br />

(ill. 12). Certains propriétaires<br />

se plaignent des déchets de taille qui<br />

encombrent les vignes mais la plupart<br />

dénoncent les bris de ceps survenus<br />

durant le transport des meules.<br />

38. Texte de 1173, « ... census de mollas portare...<br />

» 206.


220 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

12 - Fragment de meule au pla des Estanyols.<br />

13 - Ce dispositif utilisé dans le Sidobre (81) pour transporter les meules a peut-être<br />

servi dans la zone étudiée (Farenc 1992, 101).<br />

On pouvait espérer quelques lueurs sur le mode de transport<br />

mais la question, très souvent, n’est pas abordée,<br />

quelques documents cependant se montrent un peu plus<br />

explicites. Les sobreposats, en janvier 1728, enregistrent<br />

le témoignage de Jacques Fontcuberta : « ... il vit sur les<br />

dix et onze heures du matin qu’on fit passer par dans (sic)<br />

la dite vigne de Grace Cadena deux meules de moulin à<br />

farine desquelles deux meules l’une avoit esté fabriquée par<br />

lesdits Isidore Malet et Gabriel Bedos et l’autre avoit esté fabriquée<br />

par François Xiffre dit Picamolas, les quelles deux<br />

meules furent menées par la dite vigne de la dite Cadena par<br />

le moyen de deux paires de bœufs l’une meule après l’autre,<br />

c’est-à-dire l’une meule un jour sur les dix et onze heures et<br />

l’autre meule en un autre jour sur le midy et y passa par<br />

dans la dite vigne deux mulets et un cheval qui portoient du<br />

pain, vin et paille et autres choses pour les besoins des gens<br />

qui conduisoient les dites meules et les dits bœufs ou se trouvoient<br />

présens entre autres personnes les dits Isidore Malet<br />

et Gabriel Bedos les quels estoient les principaux qui dirigeoient<br />

et donnoient la direction pour faire passer les deux<br />

dites meules par la dite vigne, a laquelle vigne en conduisant<br />

par dans icelle les dites deux meules se fit beaucoup de<br />

dommages... » 39 . Les deux meules étaient destinées au<br />

moulin de Caramany, à « Raymond Callent meunier a farine<br />

et a monsieur Roger seigneur du lieu de Caremany ».<br />

À propos d’autres dégâts commis au même endroit, les<br />

sobreposats signalent également la présence de bœufs et<br />

de mules « lesquels bœufs et mules étaient destinés pour trener<br />

ou tirer les dites meules... » 40 . « Trener » et « tirer », les<br />

mêmes termes reviennent dans d’autres procès-verbaux.<br />

Compte-tenu de l’état des chemins, il est exclu que l’on ait<br />

pu faire usage de charrettes, on pense alors à des sortes<br />

de traîneaux. Jean Bousquet en note encore l’emploi au<br />

XX e siècle dans la <strong>montagne</strong> de Mosset 41 ainsi que Joan<br />

Coromines dans la zone pyrénéenne depuis l’Andorre<br />

jusqu’à l’Aragon 42 . On a peut-être aussi pu employer une<br />

sorte d’essieu passant par le trou central de la meule et<br />

encastré de part et d’autre dans les moyeux de deux roues<br />

de charrettes, le tout relié à un timon tiré par des bœufs<br />

(ill. 13). De Reglella à Caramany, les dénivelés ne sont<br />

pas importants et le parcours devait pouvoir se faire sans<br />

trop de difficultés, mais toutes les meules n’étaient pas<br />

destinées au plateau, certaines devaient franchir la Têt<br />

en direction d’Ille, de Bouternère ou d’autres lieux de la<br />

vallée. Un micro-toponyme du terroir de Reglella garde la<br />

trace de leur passage. À la limite des communes d’Ille et<br />

de Nefiach, le cadastre nous livre le nom de « Bachadou<br />

de las moles », « Descente des meules ». Il y a là en effet<br />

une sorte de plan incliné dans la falaise, partout ailleurs<br />

abrupte, où, tantôt tirant, tantôt retenant, on pouvait faire<br />

descendre les meules jusqu’à la rive gauche de la Têt 43 .<br />

39. ADPO, 3E16/787.<br />

40. Ibidem.<br />

41. « On trouvera, sur chaque exploitation, au moins une paire de vaches.<br />

Vaches de trait nécessaires aux labours et parfois au transport à l’aide de traîneaux<br />

fabriqués sur place. Les charrettes sur roues n’ont pas encore pu franchir<br />

les chemins muletiers » (Bousquet, 1999, 28-29).<br />

42. « Estiràs, "trineu de fustes per arrossegar pedres" Sopeira (1957) ». Joan<br />

Coromines, Diccionari etimològic i complementari de la lengua catalana, tome<br />

VIII, 507, entrée tirar.<br />

43. Maxence Pratx (1908, 190) retient, lui, le toponyme Lo Salt de las Molas


le temps des chemins<br />

221<br />

Quels que soient le procédé utilisé et la destination,<br />

l’acheminement des meules devait être un exercice<br />

difficile : une quittance du 30 mars 1626 nous apprend<br />

qu’il en coûtait 36 livres de Perpignan « pro<br />

manufactura de duabus molas pro molendino farinerio<br />

ville de Bula Terranera » et 12 livres de Perpignan<br />

« per lo tirar de dites moles » 44 . La livraison de Reglella<br />

à Bouleternère, un trajet pourtant relativement court,<br />

représentait donc un quart de la somme totale.<br />

III.5.2 - Les usagers : bergers et moutons<br />

Sur le cadastre de Rodès, l’un des chemins porte<br />

le nom de carrerada, nom qui désigne ordinairement<br />

un chemin de troupeaux (ill. 8, n° 12). Il se différencie<br />

des autres sur deux points : souvent plus large, il<br />

peut atteindre 4 m ou plus (ill. 14), ce qui n’empêche<br />

pas de brusques rétrécissements lorsque la roche<br />

affleure. Autre caractéristique : il ne décrit pratiquement<br />

pas de lacets et aborde la pente sans hésitation.<br />

Il est généralement bordé de murs mais en cela il<br />

ressemble aux autres, et ses murs de bordure ne se<br />

signalent pas nécessairement par une hauteur plus<br />

grande.<br />

Un autre chemin, plus à l’est, sensiblement parallèle<br />

au premier, présente des traits semblables. On<br />

peut en faire une deuxième carrerada, d’autant qu’il<br />

prend son départ d’une vaste devèse (ill. 8, n° 13).<br />

Ces deux carrerades se dirigeaient vers un cours<br />

d’eau, le premier vers le ravin del Bosc Negre, le second<br />

vers le ruisseau de Bellagre, les troupeaux de Rodès y<br />

trouvaient à boire et sans doute à brouter. L’élevage<br />

ovin jouait un rôle important dans l’économie locale :<br />

en 1725 par exemple, Rodès comptait 13 troupeaux<br />

réunissant plus de 2 000 moutons et brebis 45 .<br />

Bien entendu ces carrerades étaient utilisées aussi<br />

pour toutes les autres nécessités de la vie rurale et inversement<br />

les autres chemins voyaient eux aussi circuler<br />

des troupeaux. Le plateau de Ropidera avec ses<br />

« mouillères » était un lieu de pâturage très fréquenté,<br />

comme le montrent les ruines de cortals que l’on peut<br />

encore y voir, il fallait donc y accéder, qu’il y eût ou<br />

non une draille spécifique.<br />

qui ne figure pas sur le cadastre. Il suppose que les meules étaient lancées<br />

dans la pente vers la Têt. Le procédé paraît cependant un peu risqué<br />

et l’hypothèse d’une descente « négociée » semble plus vraisemblable.<br />

44. ADPO, 3E16/79, H. Marsal, notaire d’Ille, manuel 1626, f° 44v°.<br />

45. ADPO, 11Bp1038.<br />

14 - Rodès, carrerada 1 avec une emprise plus grande que les chemins habituels (ill. 11,<br />

n° 13). Au loin, Vinça et le Canigou.<br />

C’était aussi vraisemblablement une étape pour les transhumants<br />

qui, depuis la vallée de l’Agly et le Languedoc,<br />

gagnaient les pasquiers royaux sur les pentes du Canigou.<br />

Encore à la fin des années 1960, Anny de Pous y avait fait<br />

halte alors qu’elle accompagnait Jean Ramos qui avec son<br />

troupeau descendait des alpages du Pla Segala et de Garravera<br />

pour gagner la garrigue d’Ille (Pous 1969, 312). Mais la fréquentation<br />

devait être autrement importante dans les siècles<br />

passés, on sait par exemple que les troupeaux de l’abbaye de<br />

Fonfroide montaient à l’estive dans les pasquiers de Mantet<br />

et de Py et regagnait la plaine, l’automne venu. Par quels cheminements<br />

? Anny de Pous avance un « itinéraire probable »<br />

dans le futur département des Pyrénées-Orientales : Estagel,<br />

Montner, le col de la Bataille, Caladroi, Llebres, Belesta,<br />

Montalba, Rodès, Terranera, Montou, etc. (Pous 1964,<br />

106‐107). C’est vraisemblablement l’un des parcours utilisés,<br />

il resterait à étayer cette supposition. Hasardons à notre<br />

tour quelques hypothèses en fonction des éléments dont<br />

nous disposons. Au nord-ouest de Ropidera, un acte de 1393<br />

mentionne comme confront le chemin de l’Albeze au lieu‐dit<br />

les Quadres 46 (Catafau 2007a, 94). Le « Sarrat de l’Albèze » délimite<br />

au nord-ouest les territoires de Trévillach et de Trilla.<br />

Ce chemin, qui ne subsiste aujourd’hui qu’en partie, évite par<br />

l’ouest le village de Trévillach et monte vers le col Saint-Jean<br />

avant de redescendre vers la vallée de l’Agly, c’est une des voies<br />

possibles de pénétration en Catalogne depuis le Languedoc.<br />

46. Capbreu de Ropidera de 1393. « Las Quadres », Il faut peut-être comprendre<br />

« les Quatre Chemins » puisque se croisent dans les parages le chemin d’Ille à<br />

Tarerach et celui de Vinça à Montalba.


222 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

Il recoupe à l’ouest de Trévillach un vieux chemin nommé<br />

la Tire, que l’on peut suivre, avec quelques lacunes,<br />

jusqu’à la forêt de Salvanère, à Montfort-sur-Boulzane.<br />

Au sud, le chemin de l’Albèze se continue sur le pla de<br />

Ropidera, descend vers le pont de Ropidera, que l’on sait<br />

exister de longue date, monte par le chemin qui longe<br />

aujourd’hui le cimetière de Rodès vers l’ancien col de<br />

Ternère, où passait l’antique voie du Conflent et où était<br />

perçu, avant qu’il ne se fasse à Vinça, le péage pour les<br />

pasquiers royaux du Conflent. Du col, le chemin qui part<br />

vers le sud y traverse l’actuelle route de Prades et remonte<br />

vers Montjuich en traçant la limite des communes de<br />

Rodès et de Bouleternère, signe de grande ancienneté, est<br />

appelé carrerade sur le cadastre. On le suit sur ce document<br />

et, avec des lacunes, sur le terrain jusqu’au lieu-dit<br />

Vigne de l’Oratori. Sur ce col, la carrerade se perd lorsqu’elle<br />

recoupe le chemin de Rodès à Serrabone, autre<br />

cheminement possible, mais en suivant la ligne de crête,<br />

où les troupeaux peuvent se déployer. puis on rejoint la<br />

chapelle Sainte-Anne, le col Palomère et le col de la Porte<br />

où est bâtie la tour de Batère. Observons que depuis le col<br />

Saint-Jean jusqu’au col de la Porte, ce parcours ne traverse<br />

aucun village (il ne fait que longer Rodès) et évite ainsi<br />

les zones les plus sensibles que constituent les jardins à<br />

proximité des agglomérations. Les troupeaux pouvaient<br />

s’abreuver à intervalles réguliers : sur le plateau au ruisseau<br />

de Bellagre, au pont de Ropidera dans la Têt, sur les<br />

pentes de Montjuich à la Font de Carras.<br />

Ce chemin, hautement probable, recoupait deux itinéraires,<br />

probables eux aussi, sinon certains : en premier<br />

lieu, au col de Ternère, la voie du Conflent, qu’empruntaient,<br />

au moins sur certains tronçons, les ovins venant<br />

du Roussillon et se dirigeant soit vers les pâturages du<br />

Canigou, soit vers ceux du Haut-Conflent. En second<br />

lieu, un parcours venant d’Ille mais ce dernier, qui sera<br />

détaillé ci-après, peut prêter à controverse.<br />

III.5.3 - Les usagers : la tira, chemin de transhumance ou<br />

chemin de débardage ?<br />

En 1720, un recensement très précis dénombre près<br />

de 40 000 bêtes à laine dans la <strong>montagne</strong> de Mosset,<br />

ce qui montre bien le surpâturage qui pouvait exister à<br />

cette époque 47 . La plupart viennent de la vallée de l’Agly<br />

(Roussillon et Languedoc) et 745 d’Ille. Quel trajet ont<br />

suivi ces dernières ? Peut-être ont-elles pris l’un des che-<br />

47. ADPO, 1C1961-1962.<br />

mins de Montalba mais on pense aussi au chemin qui<br />

monte de Casesnoves au pla de Ropidera (ill. 11, n° 15).<br />

Dans le capbreu de 1355 concernant Casesnoves, apparaît<br />

deux fois comme confront de vignes une « via publica<br />

qua itur apud Ropidera » 48 . Dans un capbreu plus récent,<br />

de 1604, le même chemin est plusieurs fois nommé « via<br />

regia » ou encore chemin « quo itur a dicto loco de Casisnovis<br />

ad locum de Rupidera vulgo dicto la Tira del Rey » 49 . Enfin<br />

un acte de vente du 13 février 1615, apporte une précision<br />

supplémentaire : un herme y confronte à Casesnoves<br />

au lieu-dit « ad Vallagre... a meridie cum itinere regio quo<br />

itur ad silvam de Salvanera vulgo dicto la tira del Rey » 50 .<br />

Le chemin d’Ille à Casesnoves et à Ropidera, où il rejoint<br />

le chemin de l’Albèze, se prolonge donc jusqu’à la forêt de<br />

Salvanère à Montfort-sur-Boulzane et porte le nom de<br />

« Tira du Roi ». La forêt de Salvanère est au nord-ouest<br />

de Mosset, voilà donc le parcours probable suivi par les<br />

moutons d’Ille, en 1720 mais aussi dans les années et les<br />

siècles antérieurs, d’autant que, si l’on en croit Anny de<br />

Pous, tira et cami ramader sont une seule et même chose<br />

(Pous 1967, 217) 51 .<br />

Il faut pourtant y regarder à deux fois. Selon le dictionnaire<br />

et l’usage local, une tira est une coupe de bois<br />

longiligne qui sert ensuite de chemin de débardage. Dans<br />

notre cas, la référence au bois est explicite : « la forêt de<br />

Salvanère », on peut d’autant moins la passer sous silence<br />

que notre chemin rejoint sur les crêtes de Comes la tire<br />

de Catllar menant elle aussi à la forêt de Salvanère. Cette<br />

dernière tira présente toutes les caractéristiques d’un chemin<br />

de débardage : elle « tire droit » dans le sens de la<br />

pente, facilitant ainsi la descente des grumes et, en effet,<br />

Catllar est bien un point de départ pour le flottage des<br />

bois 52 . Un document mentionne explicitement leur provenance<br />

: en 1613 « ... Que los Senyors de consols fassen un<br />

present de fruyta ha Mossen del Viver per la llicencia de haver<br />

dos biges del Bosch de Sal{illisible}per lo pont de la ribera<br />

de la Têt... » 53 . Si l’utilisation par les forestiers de la tira<br />

de Catllar semble bien établie, on demeure dubitatif pour<br />

48. ADPO, 3E3/980.<br />

49. ADPO, H302 f o 59.<br />

50. ADPO, 3E84, Joan Geli, notaire à Ille, manuel 26/12/1614-1/03/1615, f° 32.<br />

51. Dans un plan daté de 1891 relatif au Chemin Vicinal Ordinaire N° 1 de<br />

Rodès à Tarerach, le chemin venant d’Ille sur le plateau de Ropidera est encore<br />

nommé « chemin del Rey ou de la Tire » (ADPO, 2606W67).<br />

52. Le 15 avril 1671, transport de 150 biges de Catllar à Perpignan (ADPO,<br />

1Bp479, f o 127) ; le 12 avril 1672, transport de 230 trabis de Catllar à la mer<br />

(1Bp479, f o 172) ; le 3 août 1673, transport de 200 trabium de Catllar à la mer<br />

(1Bp479, f o 231) etc.<br />

53. Le Bosch est très vraisemblablement celui de Salvanère. ADPO, B. Alart,<br />

2J1/17, 356.


le temps des chemins<br />

223<br />

celle de Casesnoves : pourquoi ne pas toujours utiliser la<br />

Têt dès Catllar précisément ? Il est vrai que la Têt n’est pas<br />

toujours ni partout « flottable », ce pourrait être la raison<br />

de ce long trajet mal commode par voie de terre.<br />

Quoi qu’il en soit, l’une et l’autre de ces deux tires ont<br />

certainement vu passer les troupeaux montant à l’estive<br />

ou descendant vers la plaine pour l’hivernage ; les troupeaux<br />

mais aussi tous les autres utilisateurs habituels des<br />

chemins ruraux. Il est d’ailleurs possible que la tira del Rey<br />

doive son nom aux troupeaux qui montaient à l’estive vers<br />

les pasquiers royaux. En dehors de quelques cas, comme le<br />

grand camí ramader de Cerdagne et Capcir, on peut s’interroger<br />

sur l’existence de chemins de transhumance spécifiques.<br />

Un entretien avec Jean-Claude Ramos, le propre fils<br />

de Jean Ramos, qui a dès son jeune âge pratiqué la transhumance<br />

avec son père, m’a convaincu qu’il y avait dans<br />

le choix des itinéraires une forte dose d’opportunisme. Le<br />

parcours retenu ainsi que les étapes étaient fonction du<br />

temps, de l’état du troupeau, des possibilités de pâture et<br />

d’approvisionnement en eau et des relations avec les sédentaires.<br />

Sans doute en était-il déjà ainsi dans le passé.<br />

III.5.4 - Les usagers : pèlerins et frères quêteurs<br />

Il arrivait que d’autres ouailles parcourent ces chemins,<br />

notamment lors du pèlerinage, attesté dès le XV e siècle,<br />

qui avait lieu chaque année au prieuré de Marcevol (ill. 8,<br />

n os 2 et 3). La procession partait le 2 mai à 11h30 de Vinça.<br />

Au besoin, on se hâtait de faire réparer le pont 54 . La cérémonie<br />

était organisée par la communauté des prêtres<br />

de Vinça ; en tête un des prêtres avec une croix-reliquaire<br />

contenant un fragment de la vraie croix puis venaient les<br />

22 prêtres de la communauté en habits liturgiques. Une<br />

torche allumée au départ et à l’arrivée précédait les centaines<br />

de pèlerins, remplacée par une lanterne sur le reste<br />

du chemin. Avant d’arriver à Marcevol, la procession était<br />

rejointe par les fidèles venus d’ailleurs et qui s’étaient<br />

rendus directement au prieuré. Au total beaucoup de<br />

monde pour gagner des indulgences. En 1680, on estime<br />

les pèlerins entre 10 000 et 12 000 (Sarrete 1901). D’où<br />

l’expression : « Hi ha gent com al perdó de Marcèvol »<br />

(Cazes 1985, 4). Le grand jour était le lendemain, le<br />

3 mai, fête de l’Invention de la Sainte Croix 55 .<br />

54. 1426 « a XXVI dabril este a mos compayos et ab dautres que fasem pilars al<br />

pont dotre per passar les gens qui deven anar al perdo de Marzevol e dautres II s. ».<br />

ADPO, B. Alart, 2J1/13, 28.<br />

55. La date retenue était due au fait que le prieuré dépendait des chanoines du<br />

Saint-Sépulcre créés à la suite de la conquête de Jérusalem comme les Templiers<br />

et les Hospitaliers. Ils avaient adopté la règle de saint Augustin.<br />

La religion marquait de son empreinte les chemins en<br />

y égrenant des oratoires. Les uns devaient servir de stations<br />

lors des pèlerinages (ill. 15), d’autres avaient un but<br />

propitiatoire ou prophylactique. Pour écarter la peste, on<br />

visitait en procession les oratoires dédiés à saint Roch<br />

ou saint sébastien, placés sur les chemins assez loin des<br />

agglomérations comme pour tenir le mal à distance. Tel<br />

devait être le rôle de l’oratoire consacré à saint Roch à la<br />

croisée du chemin venant d’Ille avec ceux de Montalba,<br />

de Caramany et de Bélesta (ill. 11) 56 . D’autres cérémonies<br />

jetaient les ouailles sur les chemins : chaque année<br />

au printemps pour les Rogations, vieille fête inventée par<br />

l’église pour supplanter les cultes agraires païens, on allait<br />

bénir les champs aux quatre coins du terroir.<br />

Sur ces chemins, on peut suivre aussi l’itinéraire des frères<br />

quêteurs de la Confrérie de Santa Bàrbara de Prunères qui<br />

visitaient régulièrement et systématiquement la région pour<br />

recevoir les dons. En 1395, on peut lire dans le Quint livre<br />

qui rend compte de leurs pérégrinations : « Primerament,<br />

Roders en la primera carta, Ropidera, Tereçac, del abat ;<br />

Marcevol ; Erbussols, del abat ; Eus... » 57 (Alart 1876, 531).<br />

Les chemins des frères quêteurs du XIV e siècle sont encore<br />

ceux des randonneurs du XXI e siècle.<br />

15 - Oratoire sur le chemin de pèlerinage de Vinça à Marcevol (ill. 8, n° 2).<br />

56. Latitude : 4725898 ; longitude 468329.<br />

57. Tereçac, del abat, Tarerach dépendait de l’abbaye de St-Michel-de-Cuxa,<br />

de même que Arboussols.


224 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

III.5.5 - Les usagers : contrebandiers et bandes armées<br />

La présence d’une ligne frontière n’est pas sans influer<br />

sur le trafic des voies de communications. Qui dit frontière<br />

dit contrebande. Si l’on en croit les rapports d’archives,<br />

les Catalans roussillonnais étaient contrebandiers<br />

dans l’âme, c’était pour beaucoup une activité habituelle<br />

au point que la population et parfois les autorités locales<br />

prenaient parti pour les fraudeurs.<br />

à titre d’exemple, Alain Ayats (1997, 291) signale<br />

qu’en 1645, les habitants de Prats-de-Mollo sont soupçonnés<br />

de contrebande de laine importée de France. Pour<br />

leur défense, ils allèguent que le chemin normal qui aboutit<br />

au pont de Rodès (Prats-Le Tech-Montferrer-Lécatour<br />

de Batère-Serra de Joch-pont de Rodès-royaume de<br />

France) n’est pas praticable avec de gros ballots arrimés<br />

sur des bâts et que de toute façon la neige interdit de<br />

l’emprunter en hiver mais leurs dénégations ne sont pas<br />

convaincantes.<br />

Le rattachement du Roussillon à la France en 1659 n’arrête<br />

pas le phénomène, bien au contraire, dans la mesure<br />

où des droits étaient perçus sur les marchandises à l’entrée<br />

et à la sortie de la nouvelle province. Au XVIII e siècle, le<br />

tabac circulait dans le sens Espagne-France et le sel en<br />

sens inverse (Brunet 2001, 38). La contrebande du sel a<br />

peut-être laissé sa trace dans la toponymie : au nord des<br />

orgues d’Ille, entre les chemins de Reglella et le chemin<br />

d’Ille à Montalba, Caramany et Bélesta, trois localités<br />

languedociennes, on peut lire sur le cadastre ancien :<br />

« Pourtal de la Sal » 58 . Il est certain qu’une grande quantité<br />

de faux-sel (sel de contrebande, n’ayant pas payé la<br />

gabelle) a transité par ces chemins, est-ce ce trafic qui a<br />

entraîné cette appellation énigmatique ? On serait enclin<br />

à le croire, d’autant plus volontiers que les habitants de<br />

Bélesta désignent indifféremment sous le nom de « cabane<br />

des contrebandiers » ou « cabane des douaniers » un bâtiment<br />

isolé que l’on peut encore observer sur la limite actuelle<br />

des communes de Bélesta et d’Ille (ill. 11), laquelle<br />

ne fait que reprendre le tracé de l’ancienne frontière entre<br />

Catalogne et Languedoc (Castellvi, Baills 2004, 44) 59 .<br />

S’agissant de Bélesta, Albert Bayrou (1980, 81) cite<br />

un extrait de texte dont l’origine n’est pas précisée : « Au<br />

XVIII e siècle, une route secondaire de la contrebande du<br />

58. ADPO, 2J127/88, section A1.<br />

59. Renseignement confirmé par Valérie Porra après enquête orale. Non<br />

loin de là, le chemin d’Ille à Bélesta traversait à gué la rivière de Bélesta ou<br />

Riberette puis remontait la pente rive gauche et longeait un abri formé de<br />

gros rochers qui pouvait très bien servir de poste de guet et d’embuscade<br />

(468503/4727683).<br />

tabac y passait », ce que nous croirons volontiers, compte-tenu<br />

de la position de cette localité.<br />

Les villages voisins n’étaient pas en reste. Ainsi<br />

Trévillach dont le nom apparaît dans un procès consécutif<br />

à un accrochage qui eut lieu le 19 septembre 1739<br />

entre des contrebandiers de Tarerach et les employés de<br />

la sous-brigade des fermes d’Estagel au lieu-dit Quatre<br />

Chemins, à la limite des communes d’Estagel, Calce<br />

et Montner. Les délinquants, qui faisaient métier de la<br />

contrebande, abandonnent leurs montures, six ânes et<br />

une jument chargés chacun de deux sacs de sel, non sans<br />

avoir auparavant blessé à mort un sous-brigadier des<br />

Fermes du roi 60 .<br />

La violence des jours ordinaires redoublait d’intensité<br />

pendant les guerres et les périodes de crise qui voyaient<br />

se multiplier les bandes armées.<br />

En 1364, après le traité de Brétigny qui instaure une<br />

trêve durant la Guerre de Cent Ans, les mercenaires des<br />

Grandes Compagnies mettent le pays en coupe réglée.<br />

Un groupe s’installe à Montalba, s’empare de Tarerach<br />

et de là lance des raids dans la vallée de la Têt, menaçant<br />

Vinça. Avec l’aide de troupes venues de Perpignan, il fallut<br />

monter une opération avec des engins de siège pour<br />

les déloger en mai 1364 (Alart 1864, 392‐400).<br />

Au XVI e siècle, les troubles dûs aux guerres de religion<br />

en France franchissent la frontière, ainsi les huguenots,<br />

venus du comté de Foix, font des incursions en Bas-<br />

Conflent, attaquent Bouleternère, pillent Domanova<br />

en 1580 et manquent s’emparer de Vinça le 28 octobre<br />

1592, puis le jour de la Saint Grégoire 1598 61 . Entre<br />

temps la guerre avec la France a repris et les chemins<br />

sont autant de canaux par où se déverse la violence. Au<br />

XVII e siècle, les hostilités continuant, la situation ne<br />

s’améliore pas. Les actes de banditisme s’ajoutent aux faits<br />

de guerre : le 1 er septembre 1636, un habitant de Rodès<br />

qui va à Tarerach par la prada de Ropidera est attaqué par<br />

des voleurs qui lui lient les mains et l’amènent près de<br />

Catllar où ils lui soutirent 19 réals et demi qu’il avait sur<br />

lui. Les soldats castillans censés défendre le pays le mettent<br />

en coupe réglée : le 31 mars 1636, huit soldats logés<br />

à Vinça dépouillent des bergers sur le pla de Ropidera ;<br />

nouvelle plainte contre des soldats le 16 avril, etc. 62 Les<br />

chemins de Ropidera ne sont décidément pas sûrs.<br />

60. ADPO, 2B1920. L’affaire a été résumée par Michel Brunet (Brunet 2001 : 33).<br />

61. ADPO, B. Alart, 2J1/6, 387.<br />

62. ADPO 11Bp937.


le temps des chemins<br />

225<br />

Les guerres de la Révolution ramènent<br />

des troupes sur les chemins<br />

et entraînent une série de<br />

va-et-vient. En 1793, les Espagnols<br />

tiennent les hauteurs de Rodès et<br />

le col de Ternère, ils détruisent le<br />

pont de Ropidera 63 . les Français ont<br />

hissé des canons à Montalba depuis<br />

Latour-de-France en passant par<br />

Caladroy 64 . Le 31 juillet, descendus<br />

des hauteurs de la rive gauche, ils<br />

enlèvent Vinça mais doivent se replier<br />

aussitôt (Fervel 1851, 94). Le<br />

1er août, une attaque est menée en<br />

direction du col de Ternère. Deux<br />

pièces d’artillerie sont amenées à<br />

grand’peine depuis Montalba jusque<br />

vers la Têt. Les Français divisent leur<br />

troupe en trois : le gros était concentré<br />

face à Ternère, la droite devait<br />

attaquer Vinça, la gauche entre Ille<br />

et le pont de Labau. Ces deux groupes franchissent<br />

la Têt, le premier sur une passerelle, le second à gué.<br />

C’est aussi à gué que devait passer le gros des troupes.<br />

L’officier qui commandait et le représentant aux armées<br />

se mettent à l’eau mais les braconniers montagnards,<br />

qui devaient porter l’attaque principale, refusent de suivre<br />

(Fervel 1851, 94‐95). Le 28 août, c’est au tour des<br />

Espagnols de passer la Têt, ils chassent les Français de<br />

Montalba (Fervel 1851, 110).<br />

III.6 - Dans la longue durée<br />

La datation d’un chemin, en dehors de textes précis<br />

ou de fouilles étendues, est toujours très difficile voire<br />

impossible. On en est réduit aux hypothèses. Celle qui<br />

vient immédiatement à l’esprit est que la création des<br />

chemins est contemporaine de la création des villages<br />

qu’ils relient. On retombe ainsi d’une difficulté dans<br />

une autre. Pour simplifier, on retiendra la date d’apparition<br />

du nom des villages dans les textes : castrum<br />

Vinçanum 939, villa Vincanum 950 ; Marceval 1011, villa<br />

Marceval 1088 ; villa Tarasago 958 ; Monte Albo 955, castrum<br />

de Monte Albani 1118 ; Casas Novas 1173 ; Yla 844,<br />

Insula 898 ; Castellum Rodenis 1068 ; Rupideria 955, villa<br />

63. ADPO L722.<br />

64. ADPO L1103.<br />

16 - Extrait de la carte des monts Pyrénées et partie des royaumes de France et d’Espagne, de Roussel et La Blottière, 1730.<br />

On y distingue bien les chemins d’Ille à Bélesta et Montalba, de Rodès à Montalba et de Vinça à Trévillach (nommé<br />

Taressac) et Montalba. Le sud est en haut.<br />

Ropidaria 1011 65 . Une agglomération peut être postérieure<br />

au toponyme qui la désigne 66 mais on peut avec<br />

quelque vraisemblance retenir que la plupart de ces villages<br />

existaient au XI e siècle et les chemins qui les relient<br />

vraisemblablement aussi. Plus près de nous, les principaux<br />

chemins étudiés sont dessinés sur la carte générale<br />

des monts Pyrénées gravée en 1730 mais levée quelques<br />

années plus tôt pendant la guerre de Succession d’Espagne<br />

(ill. 16). Cette ancienneté ne signifie pas qu’ils sont<br />

tels que nous les voyons aujourd’hui. Ils ont vécu leur vie,<br />

avec des hauts et des bas et un pic de fréquentation au<br />

XIX e siècle, qui, ici comme ailleurs, marque le maximum<br />

d’emprise agraire sur le territoire. Ils ont été, au cours<br />

des ans, empierrés, déchaussés, réparés, déviés, participant<br />

à la vie des hommes pendant près d’un millénaire.<br />

Leur activité s’est ralentie progressivement vers la fin du<br />

XIX e siècle, à mesure que les friches prenaient le pas sur<br />

les cultures. Et progressivement aussi leur entretien s’est<br />

fait plus irrégulier, pour cesser complètement dans la<br />

première moitié du XX e siècle.<br />

65. Ponsich 1980, respectivement p. 129, 96, 124, 173, 41, 119, 120.<br />

66. C’est le cas pour Rodès où le village semble être une création tardive<br />

(Tosti 1987, 16).


226 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

III.7 - État des lieux<br />

17 - Chemin de Rodès à Ropidera. On le voit ici creusé dans le rocher et bordé de<br />

murs (ill. 8, n° 9).<br />

18 - Chemin de Rodès au plateau et Tarerach, empierrement (ill. 8, n° 11).<br />

19 - Chemin de pèlerinage de Vinça à Marcevol, empierrement avec alternance de<br />

dalles et de pierres plantées de chant. Le chemin vieux a été recoupé par une route<br />

charretière plus récente (ill. 8, n° 3).<br />

Ce que nous avons aujourd’hui sous nos pieds et sous<br />

nos yeux, c’est donc l’état du début du XX e siècle, « corrigé<br />

» par l’érosion et par l’activité humaine. Cette dernière<br />

s’est montrée destructrice surtout sur le plateau,<br />

où les chemins ne subsistent que par bribes tandis que<br />

la première a exercé ses ravages principalement dans la<br />

zone pentue, c’est dans cette « région » que les chemins<br />

sont le mieux conservés : assez souvent empierrés, notamment<br />

dans les pentes, lorsque le ruissellement n’a<br />

pas tout arraché, souvent aussi bordés de murettes au<br />

moins sur un côté, comme soutènement dans la pente.<br />

Il arrive que l’on ait dû s’ouvrir un passage dans la roche<br />

(ill. 17) mais en règle générale, on se soucie peu de<br />

faire sauter le rocher en place, les usagers doivent s’en<br />

accommoder, c’est particulièrement le cas au nord de<br />

l’ancien hameau de Ropidera. Parfois, la roche est intégrée<br />

dans l’empierrement (ill. 18). On distingue deux<br />

techniques d’empierrement : tantôt les blocs sont placés<br />

de chant, tantôt ils sont placés à plat avec des arrêts<br />

constitués de blocs plantés de chant (ill. 19).<br />

La largeur des chemins est variable : de 1,5 m à 3 m,<br />

pour rester dans une moyenne. Il existait apparemment<br />

une largeur canonique de 12 pans, soit près de 2,5 m :<br />

le 17 septembre 1703, les sobreposats de Reglella rappellent<br />

que les propriétaires de parcelles au terroir des<br />

Estanyols au nord de Reglella (ill. 11), sont tenus de laisser<br />

libre un chemin de 12 pans pour le transport des<br />

meules 67 . De même le 7 février 1721, ils exigent que<br />

Joseph Batlle trace dans son champ une carrerada de<br />

12 pans pour le passage des troupeaux de la damoiselle<br />

Viader 68 . Mais ces mesures canoniques sont loin<br />

d’être partout respectées, la largeur des chemins doit<br />

beaucoup à l’empirisme, comme il est normal dans un<br />

terrain accidenté et à une époque où les moyens techniques<br />

étaient rudimentaires.<br />

Trois des chemins rencontrés dans cette zone sont<br />

qualifiés de chemins royaux : le chemin de Vinça à<br />

Tarerach (ill. 8, n os 2, 4 et 5), celui d’Ille à Tarerach et<br />

à la forêt de Salvanère (ill. 11, n° 15), celui de Reglella à<br />

Latour-de-France (ill. 11, n° 29). Ce statut, qui en souligne<br />

le caractère public, n’entraîne apparemment pas<br />

une meilleure viabilité ni un meilleur entretien.<br />

67. ADPO, 3E16/784.<br />

68. 3E16/785.


le temps des chemins<br />

227<br />

Les carrerades pour les troupeaux sont en général plus<br />

spacieuses et souvent bordées de murs plus hauts pour<br />

éviter les dégâts. Mais les murs de bordure n’indiquent<br />

pas nécessairement un parcours pour ovins : les parcelles<br />

devaient être épierrées, or l’élévation d’un mur était<br />

encore la solution la plus économe d’espace pour ranger<br />

des pierres surabondantes. La multiplication des cabanes<br />

en pierres sèches (cabanes ou capitelles) répond<br />

peut-être elle aussi en partie à ce besoin.<br />

On remarquera que plusieurs chemins s’interrompent<br />

brutalement. C’est le cas des deux carrerades (ill. 8, n os 12<br />

et 13) : il suffisait que les troupeaux arrivent sur les lieux<br />

de pâture. D’autres n’étaient que des chemins de service,<br />

d’autres encore ont perdu leur destination première.<br />

Pour « le chemin vieux de Montalba », et « l’ancien chemin<br />

de Montalba » la dénomination cadastrale ne laisse<br />

aucune place au doute (ill. 11, n os 18 et 21). En 1832,<br />

date du premier cadastre, le déclassement était déjà enregistré.<br />

Déclassement plus ancien pour les deux embranchements<br />

au nord de Ropidera dont on voit bien<br />

que l’un visait Montalba tandis que l’autre poussait vers<br />

Tarerach (ill. 8). La désertion du village au XVI e siècle a<br />

entraîné dans un premier temps l’amputation d’un tronçon<br />

du chemin et dans un deuxième temps l’abandon de<br />

son nom. On a pourtant la preuve que la liaison directe<br />

Montalba-Ropidera existait en 1342, « viam publicam<br />

qua itur de Monte Albano versus Ropidera que via transit<br />

per dictum locum de Molera redona... » 69 . La Molera redona,<br />

la mouillère circulaire 70 , se trouve en effet sur le<br />

tracé de ce chemin aujourd’hui lacunaire. Les deux départs,<br />

côté Montalba et côté Ropidera, existent bien mais<br />

le tronçon médian qui ferait la jonction a disparu dans<br />

« l’océan des âges ». On peut faire la même remarque<br />

pour le chemin d’Ille à Caramany qui disparaît sur le cadastre<br />

sitôt atteint le terroir de Montalba (ill. 11, n° 23).<br />

Et que dire du chemin de Montalba à Boule (ill. 8, n° 25)<br />

dont il ne subsiste guère plus de 500 m, isolés et sans<br />

raccord aucun avec les points de départ et d’arrivée ?<br />

« Et le chemin s’est perdu en chemin.<br />

Il a perdu son nom et ses sandales.<br />

Il ne sait plus où il va ni d’où il vient » 71 .<br />

69. Médiathèque, B. Alart, t. XIV, 21.<br />

70. J’avais pensé traduire « la Meule circulaire » du fait qu’existe sur le plateau<br />

dans ces parages un site de hauteur où les ébauches abandonnées de meules<br />

médiévales côtoient des vestiges protohistoriques (cote 518) mais Aymat Catafau<br />

me fait remarquer que « molera » se prononçait sans doute « mollera »<br />

même si le doublement du « l » n’apparaît que plus tard dans un souci de<br />

normalisation. C’est donc bien d’une « mouillère » qu’il s’agit.<br />

71. « E lo camin s’es perdut en camin. / A perdut son nom emai sas sabatas. /<br />

Sap pas pus ont vai nimai d’ont ven. » Rouquette Max - La lenga s’es perduda<br />

in Lo maucor de l’unicorn, Domens, 2000, p. 35.


228 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VII<br />

Le pont de Labau vu depuis la rive gauche, à l’arrière-plan le canal de Corbère.


chapitre VIII<br />

Aménagements agraires<br />

et élevage au Moyen Âge<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau<br />

avec la collaboration de Denis Fontaine*<br />

Les prospections de surface réalisées sur l’emprise de la<br />

zone incendiée laissent supposer que la déprise amorcée<br />

dès la fin de l’âge du Bronze – et qui dure jusqu’au Moyen<br />

Âge – est totale. Aucun site ni aucun indice des périodes<br />

intermédiaires n’a été observé, excepté à un endroit,<br />

où, sur une surface n’excédant pas une cinquantaine de<br />

m 2 , a été collecté un petit lot de céramiques datées des<br />

VI e ‐VIII e siècles (ill. 1) . Les résultats des prospections<br />

de surface permettent d’identifier clairement une période<br />

de repli de l’occupation humaine du versant. Pourtant,<br />

ces données sont à manier avec prudence car elles ne reposent<br />

que sur la prospection de surface. De même, l’absence<br />

de sites ayant livré des objets, des céramiques, ne<br />

signifie pas pour autant une déprise complète du massif<br />

mais témoigne peut-être d’une nouvelle façon d’exploiter<br />

la <strong>montagne</strong>, où l’habitat ne serait alors plus directement<br />

en contact avec les zones de production mais plutôt recentré<br />

dans les vallées. Quoiqu’il en soit, le rapport des<br />

hommes avec la <strong>montagne</strong> a changé et l’on peut penser<br />

que cette période d’atonie suggérée par la modification<br />

des implantations de l’habitat se soit accompagnée, au<br />

moins partiellement, d’une déprise du territoire, qui dure<br />

près de deux millénaires.<br />

* Pour la recherche documentaire aux Archives Départementales des P.-O.<br />

. Cf. supra, chap. V consacré à l’occupation antique.<br />

Sur le terrain, la « reconquête médiévale » se caractérise<br />

par la formation de deux villages groupés : Ropidera<br />

bien sûr, et le village lui aussi abandonné de Casesnoves<br />

dont une grande partie du territoire s’étend sur le massif<br />

incendié (ill. 1). Cette trame villageoise, dont la mise en<br />

place est antérieure à l’an mil, constitue pendant la deuxième<br />

partie du Moyen Âge le schéma d’occupation exclusif<br />

de la <strong>montagne</strong>. En dehors de ces deux habitats, chacun<br />

groupé près d’une église, un seul site a été mis au jour<br />

sur l’ensemble de la zone. Il se situe sur le versant sud du<br />

massif, au cœur d’un chaos qui domine la Têt (site 1040,<br />

ill. 1). Sur près de 500 m 2 , la présence de tessons de céramique<br />

commune à cuisson réductrice suggère l’existence<br />

d’un habitat, peut-être en relation avec une activité<br />

d’extraction de meules. Plusieurs de ces pierres, certaines<br />

abandonnées en cours de débitage, sont encore visibles à<br />

l’intérieur du chaos granitique qui surplombe le site. Le<br />

mobilier collecté en surface est important mais sa grande<br />

fragmentation et son usure ne permettent pas de proposer<br />

une fourchette de datation fiable, que l’on situera avec<br />

prudence entre le VIII e siècle et le milieu du XIII e siècle,<br />

en l’absence d’importations caractéristiques .<br />

. Les dernières importations tardo-antiques, d’ailleurs généralement associées<br />

à des formes originales et des bords facilement identifiables, sont absentes. De<br />

même, les premières importations espagnoles et les céramiques à glaçure plombifère<br />

de la seconde moitié du XIII e siècle ne sont pas non plus représentées.


230 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VIII<br />

1 - La zone incendiée avec localisation des villages de Ropidera, de Casesnoves et du site médiéval 1040.<br />

2 - Vue aérienne du village de Ropidera avec les immenses pierriers résultant de l’effondrement des maisons. Autour, le territoire mis en culture grâce à la construction<br />

de murs de terrasse (cl. P. Roca).


aménagements agraires et élevage au moyen âge<br />

231<br />

rieurs, notamment de la fin de l’époque<br />

moderne, sont omniprésents et ont bien<br />

souvent bouleversé les traces d’occupation<br />

médiévale. Fort heureusement, l’étude des<br />

traces agraires du Moyen Âge reste en partie<br />

possible aux abords immédiats du site de<br />

Ropidera, où la présence des constructions<br />

villageoises, bien datées par le mobilier présent<br />

en surface, autorise une réflexion sur<br />

les mises en cultures mitoyennes des maisons,<br />

cernées chronologiquement par leur<br />

association avec les vestiges domestiques.<br />

À Casesnoves, la zone brûlée ne concerne<br />

que la partie nord du finage, la <strong>montagne</strong>,<br />

l’incendie ayant, fort heureusement, épargné<br />

le village médiéval, son église et le château<br />

sur motte. Les rares éléments dont<br />

nous disposons sur la mise en valeur des<br />

terres de la <strong>montagne</strong> de Casesnoves proviennent<br />

pour l’essentiel de l’étude du capbreu<br />

de 1355‐1363 et de quelques autres<br />

documents des XIV e et XV e siècles.<br />

Les cultures et l’élevage à<br />

Ropidera au Moyen Âge<br />

3 - Plan général du village de Ropidera réimposé sur le plan cadastral de 1832.<br />

À la lumière de l’archéologie, l’occupation du sol au Moyen Âge se caractérise<br />

par l’hégémonie de l’habitat groupé dont la densité, avant les<br />

crises du bas Moyen Âge, est telle qu’elle ne laisse pas de place à l’habitat<br />

intercalaire permanent. Ce schéma de peuplement est récurrent en plaine<br />

littorale mais il est intéressant de l’observer dans ce milieu pré-montagnard<br />

où l’on aurait pu croire que le mas occupait dès le X e siècle une<br />

place plus importante .<br />

L’histoire du massif durant le Moyen Âge ne se réduit pas à la seule analyse<br />

du peuplement. Un effort particulier a porté sur l’étude des différentes<br />

mises en culture. Bien entendu, l’approche de terrain s’est vite confrontée au<br />

problème d’identification de ces vestiges, de leur datation et de leur mise en<br />

perspective à l’échelle d’un vallon, d’un lieu-dit. Les aménagements posté-<br />

. Sur le territoire de Vilarnau, sur la commune de Perpignan, les textes et les prospections montrent<br />

que le mas, l’exploitation rurale dispersée, est quasiment absent en plaine entre les XI e ‐XII e siècles<br />

et les XIV e ‐XV e siècles, à la différence des contrées <strong>montagne</strong>uses ou des zones de piémont où il<br />

constitue durant tout le Moyen Âge, mais surtout à partir des XIII e ‐XIV e siècles, l’unité d’exploitation<br />

principale des terres les plus lointaines (Passarrius, Donat, Catafau 2008).<br />

. à Laroque-des-Albères, dans le massif des Albères, plusieurs documents terriers permettent d’apprécier<br />

cette densité d’habitats dispersés, qui en pratiquant la polyculture, sont indispensables à la mise en<br />

valeur des zones <strong>montagne</strong>uses quelquefois situées à plus de cinq heures de marche du village.<br />

À Ropidera, l’implantation villageoise<br />

se fait sur un espace aménagé en terrasses<br />

afin de compenser le pendage assez prononcé<br />

du terrain (ill. 2). Cette disposition<br />

des maisons facilite également l’accès au<br />

premier étage qui pouvait ainsi se faire de<br />

plain-pied. Il faut alors imaginer un terrain<br />

entièrement étagé, concernant tout<br />

aussi bien le village que les champs situés<br />

aux abords. Bien entendu, ces terrasses ont<br />

pour la plupart fait l’objet de réfections,<br />

d’entretien, tandis que d’autres ont été reconstruites<br />

ou entièrement créées après la<br />

désertion du site (ill. 3). Il est donc difficile<br />

de retracer de façon précise la morphologie<br />

de ce parcellaire au Moyen Âge, mais<br />

on peut cependant en donner une image<br />

assez fidèle à partir de quelques exemples<br />

bien conservés dont l’étude est plus aisée.


232 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VIII<br />

4 - Détail de la maison n o 4 et de ses environs (cl. P. Roca). Le nord est à gauche sur<br />

la photo et en haut sur le plan ci-dessous. La tache blanche au centre est le rocher<br />

naturel qui a servi de carrière. à gauche, se situent les terrasses cultivées au moyen<br />

âge, où ont été retrouvées les traces de l’épandage.<br />

Murs de terrasse<br />

Perrier<br />

E<br />

E<br />

E<br />

E<br />

Emboîture<br />

Carrière<br />

E<br />

Maison ?<br />

Terrasses médiévales<br />

Escalier<br />

Chemin de Les Cases<br />

4<br />

Enclos<br />

0 50 m<br />

Autour de la maison n o 4 :<br />

Cette zone est probablement l’une des plus intéressantes<br />

car le tracé des terrasses a conservé la trame d’époque<br />

médiévale (ill. 4). Ces constructions font généralement<br />

intervenir, à leur base, de volumineux blocs provenant<br />

d’anciens chaos encombrant la parcelle lors de sa mise en<br />

culture. Ces boules de granit, laissées brutes, dépassent<br />

parfois 50 à 80 cm de diamètre, elles servent d’assise au<br />

reste de la construction qui devait se poursuivre avec des<br />

blocs plus petits.<br />

Ces murs « archaïques » jalonnent le site et marquent<br />

indubitablement un état de mise en culture initial, probablement<br />

médiéval, entretenu par la suite. Autour de<br />

la maison et de l’enclos n o 4, cinq murs de terrasses dont<br />

le tracé est supposé ancien ont également été identifiés<br />

(ill. 5). Dans tous les cas, ces murs présentent les mêmes<br />

caractéristiques de mise en œuvre : de gros blocs à<br />

la base puis une élévation faite de plus petites pierres,<br />

sans cesse entretenue voire reconstruite car résistant<br />

mal au temps et à l’érosion.<br />

Ces murs de terrasses pouvaient atteindre des hauteurs<br />

conséquentes, peut-être supérieures à deux mètres,<br />

mais l’on soupçonne cependant l’existence de banquettes<br />

plus profondes et au sol légèrement plus en pente qu’il<br />

n’est aujourd’hui . La restitution d’un profil général<br />

n’est pas facile à réaliser. Ce dernier n’a probablement<br />

pas énormément évolué, mais il convient cependant de<br />

rester prudent car certains secteurs semblent avoir été<br />

profondément lessivés et des blocs portant des emboîtures<br />

médiévales , retaillés pour constituer la base de<br />

certaines terrasses, sont perchés à une cinquantaine de<br />

centimètres au-dessus du niveau de sol actuel.<br />

Autour de la maison et de l’enclos n o 4, les prospections<br />

de surface ont permis de mettre en évidence l’existence<br />

d’un important épandage daté des XIV e -XV e siècles qui<br />

peut être mis en relation avec l’aménagement en terrasses.<br />

Ces nombreux tessons témoignent de la pratique<br />

de la fumure, peut-être en relation avec des cultures vivrières<br />

(potagères ?) installées au plus près de la maison.<br />

On doit à ce propos évoquer la présence de deux vergers<br />

mitoyens de maisons dans le capbreu de 1393.<br />

Chemin<br />

Rocher<br />

5 - Plan de la maison n o 4 et de ses environs.<br />

. Il est possible que certaines banquettes aient été dédoublées.<br />

. Cavité rectangulaire destinée à accueillir un coin en fer ou en bois pour<br />

fendre la pierre.


aménagements agraires et élevage au moyen âge<br />

233<br />

Partie restaurée<br />

Ouest<br />

Est<br />

Reprise récente<br />

(XVIIIe-XIXe s.)<br />

Partie supposée médiévale<br />

7 - Relevé du mur de terrasse surplombant la maison n o 4.<br />

0<br />

1 m<br />

6 - Mur de terrasse dont la partie inférieure est datée de la fin du Moyen Âge<br />

(cl. O. Passarrius).<br />

8 - Bloc clivé portant des traces d’emboîture et constituant l’armature d’une ancienne<br />

terrasse médiévale (cl. A. Catafau).<br />

0 25m<br />

Murs de terrasse<br />

Pierrier<br />

Chemin<br />

Rocher<br />

Carrière<br />

E<br />

E<br />

4 2<br />

3<br />

Enclos<br />

36<br />

35<br />

Terrasses médiévales<br />

Escalier<br />

39<br />

Emboiture<br />

9 - Plan de la partie sud du village de Ropidera avec localisation des murs de terrasse.<br />

37<br />

Cabane<br />

38<br />

N<br />

Chemin de Las Cazas<br />

Zone de mobilier antérieur au XIIIe s.<br />

Maisons n os 39 et 37 :<br />

Ces deux constructions font<br />

partie des vestiges observés les<br />

plus anciens et sont antérieures au<br />

XIII e siècle, sans que leur chronologie<br />

ne puisse cependant être précisée<br />

plus finement (ill. 9). Elles sont toutes<br />

les deux installées sur des murs<br />

de terrasses médiévaux. Le mur de<br />

terrasse formant la banquette sur<br />

laquelle se trouve la construction<br />

n o 37 comporte à sa base d’énormes<br />

blocs de granit et surplombe un rocher<br />

qui porte une emboîture médiévale,<br />

qui aurait été inaccessible<br />

sans la présence de la terrasse. À cet<br />

endroit, comme sur une grande partie<br />

sud-ouest des abords du village,<br />

les terrasses forment de longues lanières<br />

assez larges pour permettre le<br />

labour à l’araire.


234 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VIII<br />

N<br />

16<br />

19<br />

18<br />

Chemin des crêtes<br />

29<br />

31<br />

30<br />

11 - Détail de la maison n o 29. Le mur de terrasse, au premier<br />

plan, est daté du XIX e siècle mais pérennise le tracé d’une ancienne<br />

banquette médiévale (cl. A. Catafau).<br />

32<br />

34<br />

33<br />

Mur de terrasse<br />

Pierrier<br />

Chemin<br />

Rocher<br />

0 25 m<br />

Cabane<br />

Maison<br />

10 - Plan de la partie est du village de Ropidera.<br />

Les parties est et sud-est du site sont en pente assez marquée vers<br />

le ruisseau dit de Ropidera et toute construction nécessite immanquablement<br />

l’aménagement de terrasses qui supportent donc à la fois les<br />

cultures installées à flanc de coteau mais aussi les ruines des maisons<br />

médiévales (ill. 10). Là encore, les constructions les plus anciennes<br />

font intervenir, à leur base du moins, de volumineuses pierres charriées<br />

lors de la mise en culture et des blocs sommairement clivés puis<br />

calés en position verticale.<br />

Le ruisseau de Ropidera, aujourd’hui un cours d’eau intermittent, a<br />

fait l’objet d’aménagements avec la mise en place de plusieurs prises<br />

d’eau anciennes destinées à irriguer des parcelles aménagées en bordure.<br />

L’alimentation de ces petits canaux était facilitée par la présence successive<br />

de plusieurs barrages, constitués de volumineux blocs jetés dans la<br />

rivière, qui permettaient de relever le niveau de l’eau tout en ralentissant<br />

le creusement du lit.<br />

12 - Cabane à encorbellement du XIX e siècle avec en arrière<br />

plan les vestiges de la tour de l’église de Ropidera. Ces cabanes,<br />

nombreuses autour du village abandonné, sont associées aux<br />

cultures des XVIII e et XIX e siècles. La vigne et l’olivier sont alors<br />

omniprésents à cette époque (cl. A. Catafau).<br />

Au nord-ouest, des parcelles irriguées ?<br />

Au nord-ouest du village de Ropidera,<br />

le long de la piste et au départ du sentier<br />

de Les Cases, se trouve un petit canal, parementé,<br />

qui prend sa source dans la zone<br />

humide du Courtalas, située quelques centaines<br />

de mètres en amont. Ce canal, profond<br />

et large d’environ 50 à 60 cm, coule<br />

parallèlement au ruisseau de Les Cases et<br />

surplombe un ensemble de parcelles assez<br />

planes, maintenues par endroits par de<br />

hauts murs de terrasses (ill. 13). La prospection<br />

de cette zone, qui a été épargnée<br />

par l’incendie, a livré des tessons de céramique<br />

commune médiévale dont la présence<br />

s’explique par la pratique de l’épandage.


aménagements agraires et élevage au moyen âge<br />

235<br />

13 - Canal ayant probablement été utilisé pour l’irrigation de<br />

champs labourés comme en témoigne la présence de nombreux<br />

tas d’épierrement en bordure des parcelles (cl. O. Passarrius).<br />

Nous sommes encore dans la zone de<br />

culture intensive du village et la nature des<br />

parcelles, le faible pendage, la possibilité<br />

d’irriguer au printemps et la bonne qualité<br />

apparente du sol en font un terroir d’exception<br />

qui s’étend sur près de 3 hectares.<br />

Ces parcelles sont jalonnées de vastes<br />

pierriers, parementés, stockés là où le socle<br />

rocheux affleure. Ces derniers attestent<br />

la pratique du labour, confirmée par la découverte<br />

de traces de soc sur une dalle de<br />

schiste affleurante (ill. 14). Malgré la présence<br />

de murs de terrasses, 20 à 30 centimètres<br />

de sédiments ont disparu, ce qui<br />

témoigne d’un assez fort lessivage des sols<br />

sans doute lié à une phase de déprise et<br />

à un manque d’entretien des structures de<br />

maintien et de soutènement.<br />

Le secteur de la Roca Sabardana<br />

Ce secteur se trouve sur la commune de<br />

Rodès, en limite méridionale du plateau,<br />

à un endroit où la présence d’une veine de<br />

schiste provoque l’émergence de plusieurs<br />

résurgences, manifestement mises à profit<br />

pour l’exploitation de ces terres. La présence<br />

récurrente de céramiques médiévales témoigne<br />

d’une mise en culture ancienne, en rapport<br />

avec le village déserté de Ropidera situé<br />

à seulement 20 minutes de marche (ill. 15).<br />

14 - Traces de soc de charrue sur un bloc de schiste. L’érosion a fait son œuvre sur ce secteur mettant à l’air<br />

libre le rocher (cl. A. Catafau).<br />

1139<br />

1144<br />

Cabane<br />

1127<br />

1128<br />

1130<br />

1137<br />

1130<br />

1129<br />

1144<br />

1132 1133<br />

1185<br />

1137<br />

1136<br />

1134<br />

1135<br />

Céramiques du Moyen Âge<br />

Source Canal (irrigation ?)<br />

Canal A<br />

Source<br />

1081<br />

Source<br />

Canal B<br />

0 100m<br />

15 - Secteur du Ca del Mach ou de la Roca Sabardana. Report des canaux et des sources sur le plan cadastral<br />

dit napoléonien, en fait daté ici de 1832.<br />

N


236 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VIII<br />

N<br />

Source<br />

Canal<br />

1079<br />

Talus<br />

Cours d'eau dévié<br />

Terrasses<br />

1041<br />

Dalles fichées<br />

Lit contraint<br />

du ruisseau<br />

Canal<br />

0 25m<br />

Terrasses<br />

Dalles fichées<br />

Profil est-ouest<br />

16 - Relevé des mises en culture observées sur la parcelle 1041, sur le secteur du Ca<br />

del Mach ou de la Roca Sabardana.<br />

17 - Détail du canal qui traverse la parcelle 1041 (secteur Ca del Mach ou Roca Sabardana).<br />

La mire se trouve à l’emplacement d’une prise d’eau qui permettait d’irriguer<br />

les terrasses (cl. A. Catafau).<br />

18 - L’une des banquettes de la parcelle 1041, irriguée durant la période humide par<br />

le canal qui récupère l’eau d’une source située en amont. Les blocs de schiste plantés<br />

verticalement limitent probablement la parcelle (cl. A. Catafau).<br />

Les parcelles 1081 et 1041 ont livré les vestiges de canaux<br />

destinés à l’irrigation, qui prennent naissance à hauteur<br />

de résurgences autrefois aménagées mais aujourd’hui<br />

taries. La source de la parcelle 1081 est clairement aménagée<br />

et suinte encore en hiver ou après un épisode pluvieux<br />

(ill. 16). L’eau de cette source a été canalisée par un<br />

petit chenal, large tout au plus de 50 cm, soigneusement<br />

parementé et qui dévale au milieu des terrasses. Son ensablement<br />

important nous a empêché d’observer la présence<br />

de prises d’eau, de vannes pour l’irrigation mais son tracé,<br />

qui ne suit pas la pente, permet d’écarter l’hypothèse d’un<br />

chenal d’évacuation des eaux pluviales.<br />

Cette parcelle est entièrement aménagée de terrasses,<br />

parfois assez hautes et dont la physionomie montre qu’elles<br />

étaient entretenues il y a encore peu de temps (début<br />

ou courant du XX e siècle). Cette parcelle était équipée<br />

d’une cabane à encorbellement, de plan circulaire et des<br />

aménagements – comme un escalier très élaboré – permettaient<br />

le franchissement des terrasses les plus hautes.<br />

La parcelle 1041 est très intéressante car les aménagements<br />

sont mieux conservés. Cette parcelle occupe un<br />

vallon assez encaissé. Le ruisseau qui l’a creusé trouve<br />

son origine dans une résurgence située au-dessus. Le lit<br />

du ruisseau a été volontairement déplacé, canalisé afin de<br />

le faire couler à flanc de coteau pour libérer et mettre en<br />

sécurité des crues les terres riches du fond du vallon. La<br />

prise d’eau pour alimenter le canal a été détruite mais devait<br />

se situer non loin de la source. Plus bas, ce canal est<br />

bien parementé et cuvelé pour éviter l’érosion. Des prises<br />

d’eau – de véritables vannes que l’on ouvrait ou fermait<br />

avec une dalle plantée verticalement –permettaient d’ir-


aménagements agraires et élevage au moyen âge<br />

237<br />

19 - L’un des canaux du Ca del Mach, qui serpente<br />

entre les terrasses (cl. A. Catafau).<br />

riguer les terrasses. Il s’agit ici de banquettes assez profondes<br />

mais hautes de seulement 40 à 60 cm et dont la<br />

terre est particulièrement riche.<br />

La datation de ces deux ensembles n’est pas aisée et ne<br />

peut s’appuyer que sur des indices ténus. Autour de la<br />

source de la parcelle 1081, plusieurs vases brisés ont été<br />

collectés. Il s’agit exclusivement de cruches à eau, cassées<br />

là par mégarde lorsque l’on venait les y remplir. Ce mobilier<br />

est homogène et daté du XIX e siècle. Ces éléments<br />

nous permettent juste de supposer que la source jaillissait<br />

à cette époque mais ne fournissent aucun indice quant à<br />

la datation des mises en culture.<br />

En 1832 , les parcelles 1081 et 1041 sont mentionnées<br />

comme cultivées en vigne et affichées en catégorie 5 sur<br />

l’état des sections de 1836, donc très fortement imposées<br />

. Il est peu probable que les aménagements observés<br />

sur le terrain aient été mis en place pour ce seul type de<br />

culture. On peut alors imaginer qu’ils soient antérieurs et<br />

liés à des cultures vivrières supplantées par l’hégémonie<br />

de la vigne au XIX e siècle.<br />

Sur ce secteur, les prospections ont permis de mettre en<br />

évidence la pratique de l’amendement qui se manifeste par<br />

la présence de céramiques médiévales que l’on retrouve de<br />

façon diffuse mais constante. Il s’agit quasi-exclusivement<br />

de céramiques communes à cuisson réductrice associées<br />

à quelques fragments de céramique à émail stannifère à<br />

décor vert et brun ou bleu qui attestent une exploitation<br />

20 - Murs de terrasse correspondant à un aménagement récent de la parcelle (cl. A. Catafau).<br />

encore au bas Moyen Âge. Il est fort probable que l’on ait<br />

pratiqué des cultures intensives en relation avec plusieurs<br />

sources qui autorisaient l’irrigation des parcelles.<br />

La parcelle 1144 est manifestement l’une des plus intéressantes.<br />

Cette parcelle, relativement plane, est particulièrement<br />

humide sur sa partie haute, au nord. Elle<br />

est ici traversée par deux petits canaux qui font office de<br />

drains mais permettent aussi d’arroser la partie basse et<br />

les parcelles situées en dessous. La plupart des aménagements<br />

observés correspondent à de petits murs de terrasses,<br />

soigneusement appareillés à l’aide de pierres de petit<br />

calibre, et hauts tout au plus d’une quarantaine de centimètres<br />

(ill. 20). Une cabane à encorbellement, implantée<br />

en partie basse, complète le dispositif de mise en culture<br />

(ill. 21), probablement celui lié à la mention d’une vigne<br />

sur l’état des sections de 1832.<br />

. Date à laquelle a été établie la matrice du premier cadastre, sur la commune<br />

de Rodès.<br />

. ADPO 1025W174.<br />

21- Cabane à encorbellement située sur le secteur du Ca del Mach ou de la Roca<br />

Sabardana (cl. A. Catafau).


238 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VIII<br />

22 - Murs de terrasse anciens construits à l’aide de volumineux blocs qui constituent<br />

l’armature de la terrasse (cl. A. Catafau).<br />

Cette cabane s’adosse par contre à un mur de terrasse<br />

qui est plus ancien. Le mode opératoire de cette construction<br />

est bien différent des autres et fait intervenir de gros<br />

blocs de granit, qui peuvent atteindre plus d’un mètre de<br />

côté, sommairement clivés et redressés pour maintenir les<br />

terres. Ces blocs parfois imparfaitement agencés forment<br />

de vieilles terrasses dont les banquettes sont lessivées par<br />

l’érosion et correspondent aux premières mises en culture,<br />

celles-là même qui ont nécessité de déblayer le terrain<br />

des gros blocs ou des chaos (ill. 22). Il est alors tentant<br />

d’associer ces puissants murs aux nombreuses céramiques<br />

médiévales que l’on retrouve sur tout ce terroir. À<br />

cet endroit, ce mobilier est en grande partie composé de<br />

céramiques communes, indifféremment datées du Moyen<br />

Âge mais l’on note également la présence de quelques céramiques<br />

glaçurées datées du début du XVI e siècle .<br />

Plus bas, le groupe de parcelles 1130, 1132, 1333,<br />

1134 et 1136 présente également des indices d’aménagements<br />

anciens, surtout destinés à la mise à profit de trois<br />

sources, aujourd’hui partiellement taries. Ces parcelles<br />

récupèrent également les eaux du canal descendant de la<br />

parcelle 1144 et qui serpentent au milieu des terrasses.<br />

Ces dernières forment des banquettes assez profondes<br />

(5 à 8 m au plus large), hautes d’une cinquantaine de<br />

centimètres sur la partie nord pour dépasser 1 m en bas,<br />

là où la pente s’accentue. L’eau issue des trois sources et<br />

du canal permet d’irriguer certaines des terrasses par le<br />

biais de vannes dont il subsiste encore quelques vestiges.<br />

Le surplus est ensuite acheminé vers un canal d’écoule-<br />

. Détermination aimablement réalisée par Patrice Alessandri.<br />

ment destiné également à l’évacuation des eaux pluviales.<br />

Ce canal, dont les parois sont bien parementées, est large<br />

d’environ 80 cm et sa profondeur s’accroît au fur et à mesure<br />

qu’il s’engage dans la pente.<br />

En 1832, toutes ces parcelles sont cultivées en vigne,<br />

complantée parfois, comme pour la parcelle 1130, de<br />

quelques oliviers. Il subsiste encore à cette époque, mais<br />

sur la partie nord de la zone d’étude, quelques terres dont<br />

certaines étaient labourées si l’on en croit la présence de<br />

volumineux tas d’épierrement qui jalonnent la surface.<br />

Tous ces aménagements postérieurs ont dû entraîner la<br />

disparition des vestiges culturaux d’époque médiévale à<br />

moins qu’ils n’aient fait que maintenir en les pérennisant<br />

des structures (murs, terrasses et peut-être cabanes...)<br />

plus anciennes qu’il n’y paraît.<br />

Telle est donc l’image fugace obtenue à la seule lumière<br />

des données archéologiques. La <strong>montagne</strong>, bien évidemment<br />

est cultivée avec des champs parfois irrigués jusqu’au<br />

début de l’été grâce à d’ingénieux parcours d’eau.<br />

Ces exemples, retenus sur les 1 900 hectares incendiés,<br />

l’ont été parce qu’ils nous paraissent pertinents et chronologiquement<br />

fiables.<br />

Les textes apportent quelques informations complémentaires,<br />

qui donnent quelques précisions sur les activités,<br />

leur localisation et leur chronologie. Les cultures<br />

les plus souvent mentionnées sur le territoire de Ropidera<br />

sont la vigne et les oliviers.<br />

En 1298, Ermengau d’Ille, chevalier, abandonne en faveur<br />

de sa belle-fille (nurus) Jauberta tous les droits qu’il<br />

possède sur des vignes situées sur le territoire de Saint-<br />

Félix de Ropidera 10 . Peu de temps après Jauberta, veuve<br />

de Ramon d’Ille et son fils Ramon, vendent à Cerda<br />

de Ropidera deux vignes pour le prix de soixante sous<br />

melgoriens, les vignes touchent aux possessions de Pere<br />

Baffari et de Bernat Vital. Ils vendent à Arnald Baffari de<br />

Ropidera une vigne au même lieu touchant aux tenures de<br />

Béatriu Fabressa et de Perpinyà Baffari 11 .<br />

En 1336, Ramon Fabressa de Ropidera reconnaît tenir<br />

pour le chapelain de Saint-Pierre de Belloch un jardin<br />

sis au lieu-dit Al Vernadal. Ramon Batlle de Ropidera dit<br />

tenir pour le même chapelain un jardin au Vernadal, touchant<br />

in Cumba de Vinciano. Cet acte est passé par Arnau<br />

Marti notaire public de Ropidera (sans doute un notaire<br />

10. ADPO, Alart, CM, 2J1/33, p. 148-149.<br />

11. 2J1/33, tome XII, p. 148-149 et p. 157.


aménagements agraires et élevage au moyen âge<br />

239<br />

23 - Les versants abrupts qui dominent la Têt étaient encore au XIX e siècle une zone privilégiée pour la culture de l’olivier. Les terrasses, parfois des banquettes de quelques<br />

mètres carrés, sont accrochées à des pentes vertigineuses (cl. O. Passarrius).<br />

de Vinça qui possède le droit de scrivania sur Ropidera).<br />

Une nommée Guillema, veuve de Berenguer Colomer de<br />

Ropidera déclare au nom de sa fille Guillema que celleci<br />

tient aussi un jardin au même lieu-dit pour le même<br />

seigneur 12 .<br />

En 1375, Bertrand d’Atziach, donzell de Ropidera réduit<br />

la tasque perçue sur une de ses vignes située à Ropidera et<br />

tenue pour lui par Guillem Ortola de Vinça, qui ne donnera<br />

plus qu’un seul œuf de poule. Cette vigne se trouve<br />

au lieu-dit Dotre 13 . À la même date, Vital Gasch, boucher<br />

de Vinça, lègue à son épouse Sclarmunda une vigne sise<br />

dans la paroisse de Ropidera (in adjacencia Sci Felicis de<br />

Ropidera) au lieu-dit Dotre 14 .<br />

12. 2J1/33, tome XII, p. 303, actum est hoc 8 idus octobris anno dni 1336 in<br />

presencia Guillemi Rualera et Guillemi Colomerii de Ropidera, ... ego Arnaldus<br />

Martini notarius publicus de Ropidera auctoritate regia subcripsi et hoc<br />

sig+num feci. (source d’après Alart : parchemin d’un ancien capbreu, étude<br />

de M e Sallens).<br />

13. 3E1/437, notule de Philippe Sobira notaire de Vinça, 1375, fol. 23v.<br />

14. 3E1/437, notule de Philippe Sobira notaire de Vinça, 1375, fol. 26v-27rv.<br />

Un document intéressant de 1340 apporte des renseignements<br />

sur la culture des oliviers à Rodès. Il indique que<br />

les oliviers tenus pour le roi de Majorque sur le territoire<br />

de Rodès doivent payer le quint des olives, mais ceux qui<br />

possédent là des oliviers ne paient aux autres seigneurs<br />

pour lesquels ils ont des oliviers que la onzième partie des<br />

olives. C’est pourquoi les consuls de l’université de Rodès<br />

(la communauté des habitants), Bartholomeu Cornelia,<br />

Pere Juher, Miquel Saura et Pere Vital, supplient les procureurs<br />

du roi de Majorque qu’ils affranchissent les hommes<br />

de Rodès du quint des olives et qu’ils le réduisent à<br />

un agrier du onzième, ce qui inciterait les possesseurs de<br />

terres tenues pour le roi à planter davantage d’oliviers. Les<br />

procureurs acceptent cette réduction, et perçoivent pour<br />

cet accord la somme de soixante sept livres, six sous et huit<br />

deniers de Barcelone, soit seize deniers pour chacun des<br />

oliviers plantés sur les terres dépendant du roi à Rodès, qui<br />

sont au nombre de mille dix 15 .<br />

15. Soit 1010 x 16 = 16 160 deniers, ou 67 £ 6 s. 6 d. 2J1/34, p. 599-608,


240 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VIII<br />

Les textes du XIV e siècle, et principalement le capbreu,<br />

fournissent de nombreux toponymes qui sont autant<br />

d’indications sur les délimitations du finage et sur les<br />

différents terroirs de Ropidera. Les limites et les points<br />

remarquables, essentiellement les roches, certains cités<br />

dès le milieu du X e siècle, sont ceux que l’on retrouve le<br />

plus facilement aujourd’hui : le Puig Pedros bien sûr, la<br />

Cogulera, Rocha Samardana (auj. Sabardana), les Costes,<br />

Dotre, al Puig Dotre (auj. Coume d’Outrera) ou le ruisseau<br />

de Bellagre (in rivo Valle Agra). Une délimitation du territoire<br />

de Montalba en 1307 longe au sud les repères de<br />

séparation d’avec Ropidera : « Tournant de là vers le sud<br />

en droite ligne passant par le Mont Pali, par le Roc Blanc<br />

des Vernes, par le Puig Pedros nous sommes montés à la<br />

Font Dolce et de là en tournant vers le nord par le ruisseau<br />

de Bellagre jusqu’au ruisseau de Tinoseros » 16 . Rocs<br />

Blancs, Puig Pedros 17 , Font Dolse, Bellagre sont des toponymes<br />

toujours présents entre les territoires de Montalba<br />

et de Ropidera (Rodès).<br />

D’autres noms de lieux évoquent aussi le relief, en particulier<br />

ces rochers qui émergent au-dessus des zones basses<br />

du plateau (a Les Queres, a Pug de Mill, a Rocha Bochs, al<br />

Coyl Miga, al Puyol, al Quer de Na Veyla, al Serrat de la<br />

Stela, Tras la Serra, a La Pedrosa, Vall Agrella). On relève<br />

aussi les éléments qui décrivent les terroirs par leur flore :<br />

la Autzina (le chêne vert ou yeuse), al Ginabreyl (le genévrier),<br />

La Garriga. Le lieu-dit a La Salancha, près du chemin<br />

d’Ille, pourrait renvoyer soit à la présence d’eaux saumâtres<br />

d’où l’on tire du sel en été, ou à une pierre où l’on place le sel<br />

pour les troupeaux, ou encore à un lieu où pousse la salicorne.<br />

Certaines cultures sont connues par les noms qu’elles<br />

ont laisssé à des lieux, ainsi plusieurs toponymes sont<br />

dérivés de « prat », pré, al Pradell, a Prat Monell, Prato del<br />

Puyol, sans doute dans la partie du plateau, zone humide<br />

du nord où l’on trouve les dépressions de forme circulaire,<br />

appelées la Molera Rodona, Les Redones, al Camp Rodonell,<br />

a. 1340, source : parchemins de M. Cornet de Rodès. La famille Cornet de Rodès<br />

possédait au XIX e siècle, quand Alart a consulté ses archives, de nombreux<br />

biens dans l’ancien territoire de Ropidera.<br />

16. « ab inch vertendo ad meridiem recta linea transientes per montem Pali per<br />

sacsum album vernosi per puteum Pepadrosi acsesimus ad fontem dusem et<br />

ab inch vertentes ad sirtium insedentes per recum dictum de Vellagira usque<br />

ad recum de Tinoseros » ADPO, 3E3/76, feuille insérée ap. fol. 10 : copie de<br />

1655 (?) d’un acte de 1307 sur délimitation du territoire de Montalba. Regeste :<br />

Rodalia eo divisio del terme de Montalba y Illa.<br />

17. Le Puig Pedros (ad Podium Padrosium) est cité dans les limites de Reglella<br />

en 1173 par Alphonse Ier d’Aragon quand il confirme les possessions de l’abbaye<br />

de Saint-André de Sorède, ADPO, 1B384, fol. 204v o , cité par Michel<br />

Bouille, « Les frontières de la garrigue d’Ille », Cahiers des Amis du Vieil Ille,<br />

42, 4 e trimestre 1973, p. 11-15.<br />

24 - Chemin pour les troupeaux, bordé de hauts murs, qui s’élance depuis la plaine,<br />

au milieu des terrasses, et permet d’atteindre les pâturages du plateau de Montalba<br />

et de Ropidera (cl. P. Roca).<br />

al Estanyol, al Pou de Na Daudera, a Fontaniles, al Clot de<br />

Peyralada (clot : dépression naturelle). Ailleurs des vignes<br />

sont citées à La Trila, ou près du Torrente de les Trilles.<br />

Certains toponymes indiquent des activités ou aménagements<br />

qui transforment le paysage : a La Carbonella (les<br />

charbonnières), a les Parets (peut-être les murettes des terrasses).<br />

Outre à La Trila, les déclarations indiquent que les<br />

vignes se trouvent à La Baur, à La Cogulera (une treille), Al<br />

Caucer (dit aussi a Casteylo : est-ce La Gardiola ?), al Puig<br />

Dotre et à Dotre, à Tras la Serra (lieu-dit aussi a Fontaniles).<br />

Le toponyme al Benal, al Benall, qui rappelle les bennales<br />

cités dès l’apparition de Ropidera dans les textes 18 , est difficile<br />

à comprendre, peut-être s’agit-il d’une déformation<br />

d’avellaner, l’amandier, ou une désignation curieuse des<br />

terrasses, les feixes 19 .<br />

18. Abadal 1954-1955, doc. 79 : limites d’un alleu dans la vallée d’Ille-sur-<br />

Têt, touchant « per ipsos bennales qui fuerunt de Lupone... pervenit ad ipsos<br />

bennales de Rupidaria ».<br />

19. Alcover, dans le Diccionari Catalá Valenciá Balear, donne la forme venaller<br />

pour une déformation vulgaire de vellaner, ou avellaner, l’amandier ; on peut<br />

aussi penser à une forme dérivée de bena (« ruban ») qui pourrait désigner les<br />

feixes, les cultures en bandes allongées, les terrasses.


aménagements agraires et élevage au moyen âge<br />

241<br />

L’élevage qui est l’un des aspects fondamentaux de l’économie<br />

de la <strong>montagne</strong> à l’époque médiévale, échappe en<br />

grande partie à l’archéologie et reste difficile à mettre en<br />

lumière, sauf peut-être à Ropidera. L’agencement même du<br />

village, la présence de grandes maisons probablement mixtes,<br />

d’enclos, d’étables ou de bergeries, l’aménagement des<br />

chemins ou les efforts consentis pour protéger les cultures<br />

témoignent d’une économie reposant pour partie sur<br />

l’élevage et notamment sur celui des caprins au vu de la<br />

hauteur des murs de clôture ou de limite des chemins. À<br />

ce sujet on peut évoquer l’inventaire des biens de Sibilia,<br />

veuve de Pere Serda de Ropidera, qui, dans sa maison avec<br />

courette (pati) déclare avoir en 1364 quinze chèvres, ainsi<br />

qu’un âne. Cet usage de la <strong>montagne</strong>, fortement tourné<br />

vers l’élevage, se lit avec force dans les vestiges des périodes<br />

suivantes, datés avec sûreté de l’époque moderne, mais<br />

probablement déjà en place au moment où le village de<br />

Ropidera est habité.<br />

Les informations sur l’élevage sont donc contenues essentiellement<br />

dans les textes, mais ne sont pas antérieures<br />

au XIV e siècle, même si l’on peut être certain que l’usage<br />

pastoral des terres humides du plateau est bien antérieur,<br />

mais les formes et les règlements de cet usage sont inconnus.<br />

En 1342 20 , Séguier de Peyrepertuse, donzell, seigneur du château<br />

de Montalba, situé en Fenouillèdes, donne en acapte à<br />

Bartholomeu Corneilla de Rodès, « situé en Roussillon »,<br />

son pâturage et l’usage de son pâturage (pasturagium et ademprium<br />

pasturagii mei) de Montalba pour deux cents petits<br />

animaux. Ce droit de paître s’étend sur tout le territoire de<br />

son castrum de Montalba, c’est-à-dire le long du torrent appelé<br />

de les Carabasses avec son canal de prise d’eau (irrigation<br />

ou moulins ?) jusqu’au Puig Pedrous et jusqu’au chemin qui<br />

va de Montalba à Ropidera et qui passe par le lieu dit Molera<br />

redona (« la mouillère ronde »). Séguier de Peyrepertuse impose<br />

à Bartholomeu Corneilla d’entrer dans ce territoire avec<br />

ses bêtes après le lever du soleil chaque jour et d’en sortir de<br />

la même façon avant le coucher du soleil 21 , avec le droit de<br />

garder et de faire dormir son bétail dans son cortal situé sur le<br />

territoire de Saint-Félix de Ropidera 22 . Le bénéficiaire paiera<br />

chaque année deux sous de Barcelone de cens, il paiera, s’il a<br />

moins de deux cents bêtes, douze deniers pour une centaine<br />

de têtes de bétail, il pourra aussi garder du bétail ne lui appar-<br />

20. ADPO, 3E3/99, fol. 71r o -v o , manuel de Pierre Casesnoves, retranscrit par<br />

B. Alart, ADPO, 2J1/35, p. 23.<br />

21. Arrivée comme départ doivent se faire « de die lucente sole », ibid.<br />

22. « dictum bestiare tenere et pernoctare possitis in cortali quod nunc habes<br />

in termino ecclesie Sci Felicis de Ropidera », 3E3/99, not. n o 7647, manuel de<br />

Pierre Casesnoves, fol. 71r o -v o .<br />

tenant pas jusqu’au nombre de deux cents têtes. Le preneur a<br />

payé pour droit d’entrée 40 sous de Barcelone. L’acte est passé<br />

à Casesnoves devant le prêtre de Casesnoves, et les témoins<br />

Pierre Raymond de Montalba et Jacques Fabre de Ropidera.<br />

Bien entendu on ne sait pas à quoi ressemble le « cortal » où<br />

les bêtes de Bartholomeu doivent être gardées la nuit, mais<br />

sa localisation « sur le territoire de l’église » signifie « dans la<br />

paroisse », donc sans doute pas dans le village, auquel cas on<br />

aurait écrit « in loco de », ou « in villa de » ou encore « in castro<br />

de ». Il faut donc en déduire qu’existent, sans doute sur le<br />

plateau, dans la portion appartenant à Ropidera, des cortals,<br />

enclos à bétail, avec cabane sans doute pour le berger, même<br />

à l’époque où le village est habité. On notera que le propriétaire<br />

du bétail est un homme de Rodès, possédant un cortal<br />

à Ropidera, on peut supposer qu’il a aussi soit des terres soit<br />

des droits de pâturage à Ropidera, mais qu’ils ne lui suffisent<br />

pas pour son troupeau, raison pour laquelle il acquiert le<br />

droit de pâture sur les terres voisines, et de mêmes caractéristiques,<br />

de Montalba-le-Château. Le document renseigne<br />

aussi sur la circulation du bétail, depuis la vallée de la Têt jusqu’au<br />

plateau de Montalba, à travers le territoire de Ropidera,<br />

troupeaux qui traversent les terres du village et le village luimême,<br />

puis passent chaque matin et chaque soir la frontière<br />

entre les royaumes de Majorque et de France. La <strong>montagne</strong><br />

est la réserve de pâturage pour les troupeaux de la vallée, qui<br />

nourrissent la population en croissance de la plaine, et surtout<br />

une population urbaine dont les habitudes alimentaires<br />

s’orientent davantage vers la viande et les laitages, de même<br />

que l’artisanat y utilise la laine en quantité croissante. Nous<br />

savons que les bêtes ne sont pas obligées de redescendre dans<br />

la plaine chaque soir, car les maisons de Ropidera ont souvent<br />

un enclos annexe, avec une entrée large (1,20 m ou 1,40 m)<br />

permettant de conserver quelques têtes, voire quelques dizaines<br />

de têtes de menu bétail, et elles ont aussi sans doute des<br />

cortals sur le plateau.<br />

Le territoire de pâture concédé par le seigneur de<br />

Montalba touche à celui de Ropidera, sur le secteur de la<br />

Molera Redona, une de ces grandes dépressions fermées au<br />

sol d’arène granitique, qui retiennent les eaux des précipitations<br />

d’automne et d’hiver, où pousse une herbe grasse<br />

et dont s’écoulent de nombreux ruisseaux. Le torrent appelé<br />

de Les Carabasses, dans la limite nord-est du pâturage,<br />

possède d’ailleurs un « aqueductum », une dérivation, qui<br />

amène peut-être l’eau à un moulin mais qui peut aussi être<br />

un des canaux d’irrigation tels qu’on les trouve sur le territoire<br />

de Ropidera.


242 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre VIII<br />

En 1356, dans son testament, Pere Botinya de Ropidera<br />

lègue à son épouse Raymonde deux tiers de son petit bétail<br />

(duas partes bestiarii mei minuti) ainsi qu’un bœuf, et<br />

toute sa laine filée 23 . Pere Botinya lègue trente sous pour<br />

acheter du pain à distribuer aux pauvres de Ropidera,<br />

soixante-dix huit sous à des œuvres pieuses, cent sous à<br />

un fils et cent autres à une fille d’un premier mariage. Un<br />

autre fils de ce premier mariage reçoit cinq parcelles de<br />

terre, le reste du petit bétail et un mulet. Ce testament<br />

révèle un niveau de fortune assez confortable, loin de ce<br />

que disent les habitants du village lorsqu’ils veulent obtenir<br />

des exemptions ou avantages fiscaux, une génération<br />

après, quand, les épidémies et les guerres se prolongeant,<br />

la crise démographique et le marasme économique se sont<br />

aggravés. Pere Botinya désigne trois exécuteurs testementaires,<br />

tous de Ropidera. Parmi les témoins de l’acte, figurent<br />

un prêtre de Vinça et le curé de Rodès.<br />

Les eaux qui dévalent du plateau sont trop peu régulières<br />

pour alimenter des moulins le long des ruisseaux intermittents<br />

qui se jettent dans la Têt, c’est donc par dérivation<br />

des eaux de la Têt ou plutôt sur le ruisseau de Corbère (dit<br />

aussi « de Thuir », ou « rech royal », qui conduit l’eau de<br />

la Têt, prise en amont du Pont Saint-Pierre, face à Vinça,<br />

jusqu’à Perpignan) que les moulins utiles aux habitants<br />

de Ropidera sont établis, en amont de Rodès. Les textes<br />

distinguent d’ailleurs difficilement le moulin de Ropidera<br />

de celui de Rodès, les concessions royales, nécessaires pour<br />

user de l’eau courante comme de l’eau du ruisseau royal,<br />

leur sont souvent accordées en même temps.<br />

Au début du XIV e siècle, le roi Jacques de Majorque avait<br />

promulgué des ordonnances sur la construction de moulins<br />

à Ropidera 24 . En 1321, le roi Sanç de Majorque concède à<br />

Timborgue de Guardia et à Guillem de Canet, son fils, le<br />

droit de construire un casal de moulins à blé sur le ruisseau<br />

royal dans le territoire (terminos) des châteaux de Rodès et<br />

de Ropidera, avec autant de roues que le ruisseau pourra<br />

en contenir convenablement. Les bénéficiaires devront en<br />

outre établir un ou des ponts si le ruisseau doit être déplacé<br />

25 . En 1375, un moulin de Rodès est alimenté par<br />

23. ADPO, 3E1/95, année 1356, fol. 3r o -v o et 4r o .<br />

24. ADPO, 1B94, ordonnances du roi Jacques 1 er de Majorque sur la construction<br />

de moulins sur le ruisseau de Corbère, à Ropidera, Bouleternère et Graolera.<br />

25. ADPO, 1B13, 1321, actes en faveur de Timborgue et de Pierre de Fenollet.<br />

À la même date, une concession identique est accordée à Pierre de Fenollet<br />

pour la construction d’un casal de moulins à blé sur le ruisseau royal qui passe<br />

au pied de Bouleternère, concession qui est faite à l’identique de celle en<br />

faveur de Timberge, comme il est dit dans le texte lui-même.<br />

l’eau conduite par des canalisations de bois 26 . Par ailleurs,<br />

le canal royal franchit la Têt, au niveau de la chapelle Saint-<br />

Pierre et, en aval, au débouché des gorges de la Guillera, au<br />

Pont de La Bau (ou Lavau), et ses berges sont donc utilisées<br />

par les hommes et leurs bêtes pour traverser le fleuve, ce<br />

qu’examine plus loin l’étude des voies de communication.<br />

La <strong>montagne</strong> de Casesnoves au Moyen Âge<br />

Le village de Casesnoves vit sur ses espaces complémentaires<br />

: le Riberal et la Montagne. Le fond de vallée de la<br />

Têt, riche de terres alluviales, est situé sur la rive droite<br />

mais aussi sur la rive gauche du fleuve, où il s’étend en direction<br />

de l’ancien couvent dit L’Ermita. En 1298 un mallol<br />

(jeune vigne) est vendu sur le territoire de Saint-Sauveur<br />

de Casesnoves, ultra flumen Thetis : si l’église et le village<br />

de Casesnoves sont la localisation de référence, ce mallol se<br />

trouve sur la rive droite de la Têt, entre Ille et la Têt. Une<br />

terre est située au lieu-dit Guarrigua subtus Caslarium,<br />

c’est-à-dire sans doute au pied du château.<br />

Le territoire immense de <strong>montagne</strong> s’étend à l’est jusqu’aux<br />

Orgues, à l’ouest jusqu’au territoire de Rodès, audelà<br />

du ruisseau de Bellagre (Vallagre), et au nord jusqu’à<br />

la limite du territoire de Montalba, au Puig Pedros. À la<br />

fin du XIII e siècle une terre de Casesnoves se trouve au<br />

lieu-dit Pug (peut-être dans la <strong>montagne</strong>). Au lieu-dit<br />

Ventos (Puig Ventos ?) une parcelle est donnée en concession<br />

« à pain et à vin », elle est peut-être complantée en<br />

céréales et vigne. Une vigne se trouve au lieu-dit Yles de<br />

Barboner, touchant au Voló (terme qui désigne l’endroit<br />

par où on peut franchir une falaise qui borde la rivière).<br />

Le capbreu des possessions de Johanna 27 , veuve de Bernat<br />

Claran de Perpignan, seigneur de Casesnoves, renseigne<br />

sur le village et sur certaines terres tenues à Casesnoves au<br />

milieu du XIV e siècle, mais les possessions tenues pour ce<br />

seigneur sont essentiellement concentrées dans la vallée de<br />

la Têt, sur la partie basse du territoire de Casesnoves. Les<br />

possessions situées sur la <strong>montagne</strong> apparaissent comme<br />

marginales dans ce capbreu. En 1355, ce terroir est en partie<br />

planté de vignes, on y déclare aussi des champs et terre,<br />

aux lieux-dits Ardena, Barboner, Gratalops, Casteyl Seneyl,<br />

Pera Blanca, Rodallela (près du torrent de Puig Pedros, et<br />

26. 3E1/437, notule de Philippe Sobira notaire de Vinça, 1375, fol. 14 (feuille<br />

volante insérée) ego Raymundus Boschani de Vinciano... recognosco... vobis<br />

Petro Gossa renderio molendini de Rodesio quod pro tribus canalibus fusti<br />

quas a me emistis... ad opus predicti molendini in anno qui finivit ultima die<br />

junii anni a nativ dni 1374... solvistis michi nonaginta solidos barc de terno,<br />

quittance établie le 20 juillet 1375.<br />

27. ADPO, 3E3/980, Gaucelm Ferriol, notaire d’Ille, 1355-1363.


AmÉNAGEmENTS AGRAIRES ET ÉLEVAGE AU mOYEN âGE<br />

243<br />

N<br />

Montalba<br />

leurs sites de charbonnage. Sa localisation<br />

est difficile, le lieu-dit<br />

comprend des terres en friches<br />

et une vassa, un ruisseau, ou une<br />

zone humide.<br />

Vinça<br />

Le Tarerach<br />

Sarrat Blanc<br />

554<br />

La<br />

Cougoulère<br />

530<br />

Ropidère<br />

0 1000m<br />

Rav. de Bellagre<br />

Rodès<br />

Puig Pédrous<br />

437<br />

Casenoves<br />

du chemin de Prat Senyel. On note une forte présence des<br />

terres hermes, incultes, voisines des parcelles déclarées à<br />

Pug Pedros, al Pedros, à Barboner, à Rodallela, etc. On peut<br />

se demander quel est leur statut puisque (sauf cas exceptionnel<br />

d’une vigne dite « herme ») ces terres ne sont pas<br />

déclarées : elles restent en possession des seigneurs sans<br />

doute, comme réserve ou devèze de pâturage. Auprès du<br />

ravin descendant de Bourbonné se trouve le lieu-dit Rippa<br />

Borbonerii, près d’un des terroirs appelés Garriga où sont<br />

citées exclusivement des vignes, mais le lieu-dit Barboner<br />

touche à la Têt.<br />

Le « Castell Senell » ne désigne sans doute pas le château<br />

de Casesnoves, mais un lieu de la <strong>montagne</strong>, d’aspect<br />

ruiniforme 28 . On trouve aussi, comme on l’a vu, Prat<br />

Seneyl 29 , et ces toponymes sont peut-être à rapprocher de<br />

Puig Sinell.<br />

Parmi les activités non agricoles dont témoignent les<br />

toponymes, on remarque Les Pedroses, qui évoque des carrières,<br />

en limite d’Ille, auprès du ruisseau d’Ille, sans doute<br />

à l’extérieur de la zone brûlée, ainsi que la Carbonera :<br />

une « charbonnière », où des charbonniers avaient établi<br />

. Senell, ou Seneyl, pourrait évoquer un « signal », une « tour à signaux »,<br />

ou plutôt un lieu ressemblant à un château ou à une tour à signaux. Ce ne peut<br />

pas être le château de Casesnoves sur sa motte, auprès du village et des terres<br />

basses de la vallée, qui n’est jamais appelé ainsi. Le lieu-dit Casteyl Seneyl<br />

comprend des terres hermes, des prés ou champs, peut-être au pied d’un chaos<br />

granitique à la forme évocatrice.<br />

. Le lieu-dit Rodallela touche « in torrento de Pug Pedros, in torrente que<br />

descendit al Soyl, cum via publica de Prat Seneyl », ADPO, 3E3/980.<br />

Ravin de Montjuich<br />

Le Casesnoves<br />

Dardenne<br />

La Tet<br />

Bouleternère<br />

25 - Carte synthétisant les activités agricoles au Moyen âge sur le massif incendié de Rodès.<br />

Le territoire du village de<br />

Ropidera s’étendait sur environ<br />

14 km 2 alors que celui de<br />

Casesnoves était probablement<br />

Ille-sur-Têt<br />

plus vaste et devait atteindre une<br />

vingtaine de km 2 de superficie.<br />

Vigne<br />

À Ropidera, le territoire s’étend<br />

Oliviers<br />

Elevage<br />

exclusivement sur le massif et se<br />

Terres ou champs<br />

confond approximativement, à<br />

Limites des territoires<br />

l’ouest et au nord, avec les limites<br />

de Ropidera et Casesnoves<br />

Limite du feu<br />

Prairies<br />

de la zone incendiée. Les données<br />

sur l’économie agricole de ces<br />

deux lieux de peuplement restent,<br />

nous l’avons vu, très partielles et n’apportent bien souvent<br />

que des éclairages ponctuels sur certaines parties du territoire<br />

ou certaines formes de mise en culture. À Ropidera,<br />

il est malaisé aujourd’hui de définir la part de l’ager médiéval<br />

et l’impact de l’anthropisation. La topographie du<br />

massif conditionne amplement les mises en culture et<br />

l’image qui transparaît ne semble pas forcément différente<br />

de celle que nous ont transmis, quelques siècles plus tard,<br />

les premières matrices et les états de section du début du<br />

XIX e siècle. La vigne est bien représentée, cultivée sur des<br />

parcelles déjà mises en terrasses accrochées aux versants<br />

de la Cugulera ou à ceux dominant la vallée de la Têt. Ces<br />

vignes côtoient des oliviers, probablement dans des parcelles<br />

complantées. Les champs et les terres mentionnés<br />

dans les textes ou le capbreu de Ropidera semblent plutôt<br />

localisés sur le plateau, sur les lieux-dits de la Roca<br />

Sabardana ou près du village, où le fumage des champs est<br />

bien attesté par l’archéologie. L’élevage se concentre sur le<br />

plateau, autour des dépressions humides que l’on gagne<br />

par d’imposants chemins bordés de hauts murs qui s’élancent<br />

depuis la vallée. Les droits de pâturage sur le plateau,<br />

de Ropidera à montalba, sont souvent attribués à la fin<br />

du moyen Âge à des habitants de la vallée, de Rodès en<br />

particulier, qui y possèdent des cortals ou des bergeries,<br />

à l’image probablement de ceux mis au jour sur le terrain<br />

datés de la fin du moyen Âge ou de l’époque moderne 30 .<br />

Le Boulès<br />

0. Cf. infra.


chapitre IX<br />

La <strong>montagne</strong><br />

de la fin du Moyen Âge au début du XIX e siècle :<br />

cultures aux marges et terrains de pâture<br />

Aymat Catafau, Olivier Passarrius<br />

avec la collaboration de Denis Fontaine*<br />

L’abandon des villages de Ropidera et de Casesnoves,<br />

les crises économiques et démographiques à partir de la<br />

seconde moitié du XIV e siècle ont eu un impact sur le<br />

territoire, qui s’est manifesté par un repli des cultures, cependant<br />

difficile à mesurer. Le recul des cultures vivrières<br />

se fait au profit d’une spécialisation des espaces comme<br />

territoires de pâturage pour l’élevage. Pourtant, les terrasses<br />

bien exposées sont encore mises à profit et les terroirs<br />

proches des anciens villages sont toujours exploités.<br />

On y cultive des céréales et les oliveraies, des parcelles de<br />

vigne y côtoient des jardins et des vergers, installés sur<br />

les terres amendées proches des anciennes maisons de<br />

Ropidera, de Casesnoves et en bordure de la Têt. Malgré<br />

quelques indices de plantations et de mise en valeur par<br />

les habitants des villages de la vallée, l’agriculture est limitée<br />

à certains secteurs marginaux, la <strong>montagne</strong> étant<br />

alors surtout l’espace du pastoralisme.<br />

Sur les versants escarpés dominant la vallée de la Têt, les<br />

terrasses d’époque moderne ou contemporaine reposent<br />

directement sur le socle rocheux, conséquence du lessivage<br />

des sols dû à l’arrêt de l’entretien des murs de soutènement.<br />

À hauteur du site médiéval du Bellagre , sur la commune<br />

d’Ille-sur-Têt, l’ensemble du versant qui domine le fleuve<br />

est aujourd’hui encore aménagé de terrasses, en grande<br />

* Archives Départementales des P.-O., pour la recherche et la communication<br />

des documents notariaux.<br />

. Ce site s’étend sur environ 1 000 m 2 et est établi sur le versant sud, au pied d’un<br />

chaos granitique dans lequel ont été mis en évidence des vestiges d’extraction de<br />

meules. Le mobilier est bien présent mais la datation n’est pas aisée (X e -XII e siècles ?).<br />

La construction de murs de terrasses a bouleversé en profondeur le site.<br />

partie démantelées par l’érosion. Si certaines présentent un<br />

appareillage récent, faisant intervenir des blocs de petite<br />

ou de moyenne taille, la plupart sont construites à l’aide<br />

de volumineuses boules charriées du chaos tout proche ou<br />

récupérées sur place. Ces gros blocs de granit reposent directement<br />

sur le substrat et leur aménagement correspond<br />

à une nouvelle conquête de la <strong>montagne</strong> suite à un épisode<br />

de déprise et d’érosion intense qui a lessivé les fines. À cet<br />

endroit, le rocher se trouve sous seulement 5 à 20 centimètres<br />

d’une mauvaise terre, un sédiment sableux constitué<br />

essentiellement d’arène détritique.<br />

Les vestiges d’époque médiévale ont été souvent emportés<br />

par l’érosion et détruits par les aménagements culturaux<br />

postérieurs, encore en place au début du XIX e siècle,<br />

tels que l’on peut les relever sur le terrain, lorsque est établi<br />

le cadastre « napoléonien ». Les aménagements visibles<br />

sur le cadastre napoléonien sont donc le résultat de<br />

cette longue spécialisation des terroirs, entre l’abandon<br />

des villages, au XV e siècle, et le réinvestissement de la<br />

<strong>montagne</strong> par des propriétaires plus nombreux, pratiquant<br />

une agriculture plus spéculative, au XIX e siècle.<br />

Les témoignages archéologiques des mises en cultures<br />

d’époque moderne (XVI e -début XIX e s.) sont la plupart<br />

du temps les vestiges les plus anciens : ce sont des traces<br />

indirectes et durables comme les terrasses et autres aménagements<br />

antérieurs au cadastre et quelques vestiges de<br />

cabanes (sans doute entretenues et transformées depuis)<br />

auprès desquelles des tessons de vases attestent une fréquentation<br />

aux XVI e -XVII e siècles.


246 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

1 - Près du village de Ropidera, des terrasses récentes, construites de petits blocs,<br />

côtoient de gros blocs sommairement clivés, qui correspondent à l’armature d’anciennes<br />

terrasses, probablement médiévales (cl. A. Catafau).<br />

À Ropidera comme à Casesnoves la connaissance du<br />

type de cultures et des terroirs où elles sont pratiquées<br />

provient des sources écrites, principalement des capbreus,<br />

mais aussi de nombreux actes notariaux (ventes, testaments,<br />

inventaires, contrats d’acensement) .<br />

Le territoire de Ropidera à l’époque<br />

moderne<br />

Le village de Ropidera, où sont encore visibles à cette<br />

époque les vestiges des anciennes maisons villageoises,<br />

reçoit le nom de lieu-dit Les Cases de Rupidera (1526)<br />

qui confirme l’abandon définitif du site . Les environs du<br />

village (Dejus les cases, Los patis de Ropidera) sont occupés<br />

par des parcelles, champs ou feixes, plantés de quelques<br />

oliviers et chênes.<br />

Les jardins sont établis près de la Têt et du ruisseau<br />

de Corbère, la proximité de l’eau pour l’irrigation étant<br />

la condition nécessaire de leur production intensive ; un<br />

autre est sis au Puig Outrer.<br />

. Denis Fontaine, des Archives Départementales des P.-O. a recherché et recueilli<br />

ces actes. Références des documents : 1526, 3E16/19 ; 1541, 3E16/33 ;<br />

1566-1567, 3E84 ; 1619, 3E19/222 ; 1637, 3E19/323 ; 1639, 3E19/338 ;<br />

1640, 3E19/339 ; 1642, 3E19/386 ; 1643, 3E19/387 ; 1655, 3E19/509 ; 1658,<br />

3E19/512 ; 1659, 3E19/513 ; 1712, 3E19/580.<br />

. Les Cases de Rupidera (1526) : le toponyme est caractéristique d’un double<br />

phénomène. D’une part Ropidera n’est plus le nom d’un village mais de la<br />

partie du finage de l’ancien village situé sur le plateau, un territoire cultivé<br />

et parcouru par les habitants des villages voisins et leurs bêtes, de l’autre, au<br />

cœur de ce territoire, le village proprement dit n’est plus qu’un ensemble de<br />

maisons, en vérité de murs de maisons qui délimitent des espaces clos, des<br />

patis, comme le dit un autre toponyme en 1655.<br />

Les vignes sont situées sur le lieu-dit Bourboné, au<br />

Pont de Lavau, sur les bords du torrent de Ropidera, près<br />

du pont de Sant Pere, à la Guardiola, à la Caussade, à Las<br />

Comas de La Prada, certaines sont vieilles (Las Comas de<br />

La Prada) d’autres sont des mallols nouvellement plantés.<br />

Il est impossible de dire si ces jeunes vignes résultent de<br />

la transformation d’anciennes friches en vignes, ou simplement<br />

du nécessaire renouvellement des vignes devenues<br />

vieilles. Pourtant, certains exemples semblent indiquer<br />

que les vignes gagnent sur les friches, comme dans<br />

le secteur du Bourboné (en 1526 puis 1643) comme à la<br />

Guardiola en 1639, où une pièce de terre est « partie en<br />

vigne et partie en friche », ou près du torrent, une parcelle<br />

constituée de vigne et temoner. C’est en effet de ce<br />

nom, dérivé de tem (farigola, le thym), que l’on désigne<br />

les landes à thym à l’époque moderne, le mot ne se trouve<br />

pas au Moyen Âge. Les parcelles, qui constituent une<br />

unité de terre, sont souvent divisées entre vigne ou mallol,<br />

et temoner ou herm (terre herme , friche). Les deux<br />

parties, celle plantée en vigne et celle laissée en friche,<br />

forment une seule parcelle, ce qui pourrait indiquer que<br />

l’on a planté récemment la vigne, en gardant une partie de<br />

terre disponible, éventuellement pour agrandir la vigne,<br />

sur une friche où l’on peut ramasser quelques herbes et<br />

faire paître quelques bêtes, quand les vignes n’ont pas (ou<br />

plus) de raisins. On trouve ces vignes plutôt sur les terroirs<br />

en pente, cultivés en terrasse.<br />

Les friches, terres hermes, temoners et garrigues sont,<br />

on l’a vu, des espaces incultes mais susceptibles d’être mis<br />

en culture selon les besoins. Le toponyme « Les Rotas » <br />

en 1526 peut indiquer un terroir défriché récemment.<br />

. « Terres hermes : on appelle ainsi certaines terres vacantes et incultes, que<br />

personne ne réclame. Ces biens appartiennent au seigneur haut justicier, par<br />

droit de déshérence », Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des<br />

connaissances humaines, Fortunato Bartolomeo De Felice, Denis Diderot, Jean<br />

Le Rond d’Alembert, 1773, t. 23, p. 163. Le sens ici n’est pas tout à fait le même,<br />

car ces terres ne sont à l’évidence pas sans propriétaires, mais elles sont vacantes,<br />

c’est-à-dire que leurs propriétaires les laissent incultes, en friche, et elles peuvent<br />

leur servir de pâturages ou d’espaces d’extension des cultures. La coutume du<br />

nord de Loire distingue ainsi les « vacants » des « terres hermes », par exemple<br />

les coutumes du Bourbonnais citées par Edmé de la Poix de Fréminville, Traité de<br />

jusriprudence sur l’origine et le gouvernement des communes..., 1763, p. 73-76.<br />

Le même ouvrage mentionne que « hermes » est un terme très fréquent dans la<br />

Marca Hispanica. En effet, dans les chartes des souverains carolingiens les terres<br />

accordées aux monastères sont souvent qualifiées d’ « hermes », au sens fort de<br />

« terres en friche sans possesseurs » donc tombées sous l’autorité de la puissance<br />

publique, ce qui justifie le droit des souverains de les avoir intégrées à leur<br />

fisc. Dans ces chartes les terres « hermes » sont aussi le « désert » où s’installent<br />

les moines, à l’imitation des « ermites » des premiers temps, au XVIII e siècle on<br />

rapprochait étymologiquement les deux termes.<br />

. Rotas : de ruptas, dérivé de rumpere, rompre, avec le sens « ouvrir le sol<br />

par la charrue ».


La <strong>montagne</strong> du XV e au XIX e siècle<br />

247<br />

2 - Vue aérienne du secteur du Bourboné, sur la commune de Rodès, où sont mentionnées de nombreuses vignes aux XVI e et XVII e siècles (cl. O. Passarrius).<br />

Les documents ne disent rien des cultures pratiquées<br />

sur les parcelles de Ropidera, qu’elles soient appelées<br />

« champ » ou « pièce de terre », encore que dans ce cas le<br />

terme puisse s’appliquer à une terre inculte. Les toponymes<br />

indiquent que certaines parcelles sont encloses (Als<br />

Clots, Les Clotes), certains laissent supposer la présence<br />

de prés (La Prada, Als Prats) et de zones humides sur<br />

le plateau (Les Salanques, Stanyol). À la fin de l’époque<br />

moderne, juste avant la réalisation du cadastre napoléonien,<br />

un contrat d’affermage de 1801 évoque de manière<br />

détaillée les cultures faites sur le finage de Ropidera . Les<br />

cultures de céréales, blé-seigle (seigle), millet gros, sont<br />

accompagnées de cultures fourragères : du foin est récolté<br />

sur les prés et mouillères. Des mouillères se trouvent<br />

dans la vigne dite dels Cortals et à la Fontaine d’en Saura.<br />

Au lieu-dit Les Concoines on ensemence en blé, en hari-<br />

. 3E37/1, fol. 210, six ventose an neuf de la R. F.<br />

cots, et en trèfle pour le fourrage sur une partie. La paille<br />

du millet gros est aussi récoltée comme fourrage. Ce bail<br />

est passé moyennant le versement de deux charges de<br />

seigle et six quintaux de paille chaque année pendant les<br />

quatre années du bail, portés chez la bailleuse.<br />

Parmi les lieux-dits de Ropidera on remarque le champ<br />

de la Teularia (1643), sans doute à l’emplacement du four<br />

à tuiles découvert au nord-ouest du village de Ropidera .<br />

Le moulin de Ropidera, cité en 1526 est situé sur le bord<br />

de la Têt, en amont du pont (Sobre del Pont, 1637), sans<br />

doute le pont détruit dont les vestiges ont été reconnus<br />

dans le lit du fleuve, quelques centaines de mètres en<br />

amont du pont actuel de Rodès . Le bâtiment du moulin<br />

pourrait être celui conservé auprès du chemin actuel.<br />

. Se reporter pour plus de renseignements à l’étude sur les fours à chaux et les<br />

fours à tuiles par Céline Jandot, chap. XI, annexes 1 et 2.<br />

. Se reporter à l’étude sur les chemins et routes par Jean-Pierre Comps, chap. VII.


248 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

3 - Le massif, au dessus du village de Casesnoves (cl. A. Catafau).<br />

Le territoire de Casesnoves à l’époque<br />

moderne<br />

Notre source principale du point de vue historique est<br />

le capbreu de 1604 de Casesnoves. Ce capbreu ne prend en<br />

compte que les possessions anciennement aux mains de<br />

Guillem Fuster, bourgeois de Perpignan, ce qui explique<br />

que les parcelles ne soient pas, pour la plupart d’entre elles,<br />

situées dans les mêmes lieux que les possessions de<br />

Ramon, seigneur d’Ille . Le capbreu de 1355 était centré<br />

autour du village, même s’il comprenait des terres situées<br />

dans la <strong>montagne</strong>. Le capbreu de 1604 concerne des ter-<br />

. Bien que Guillem Fuster ait acquis les droits seigneuriaux de Ponç de<br />

Caramany, co-seigneur de Casesnoves avec Ramon d’Ille, par un acte de 1265<br />

(P. Ponsich, Catalunya Romanica, XIV, p. 241), il faut croire que ses possessions<br />

foncières avaient été acquises dans un temps où l’essentiel des bonnes<br />

terres, celles du Riberal, étaient déjà aux mains des familles nobles du lieu.<br />

res plutôt excentrées, la plupart du temps situées dans le<br />

massif.<br />

La principale nouveauté de ce capbreu est que sur<br />

cent vingt déclarants environ, aucun n’est habitant de<br />

Casesnoves, ainsi qu’aucun des témoins, car le village est<br />

totalement déserté. Tous les déclarants sont habitants<br />

d’Ille, de Rodès et de Bula (Bouleternère). En outre,<br />

dans la majorité des cas, chacun des déclarants ne tient<br />

pour l’institution religieuse qu’une seule parcelle, parfois<br />

plusieurs, mais jamais une exploitation entière, mas ou<br />

borde.<br />

Le parallèle sur les toponymes cités dans les deux capbreus<br />

de Casesnoves à deux siècles et demi d’écart (1355-<br />

1604/1614), fait apparaître une assez faible convergence<br />

des noms des lieux, sans doute due à la différence d’implantation<br />

des deux seigneuries, et à la déperdition ou


La <strong>montagne</strong> du XV e au XIX e siècle<br />

249<br />

transformation des toponymes anciens (comme le montre<br />

le cas du lieu-dit Al Areny 10 et olim Als Alaus 11 ). Une<br />

des explications réside sans doute dans l’abandon du<br />

village, après lequel une grande partie des toponymes de<br />

proximité, ou d’une plus grande précision, ont sans doute<br />

disparu. Dans les deux capbreus de Casesnoves seuls sont<br />

communs les toponymes majeurs : in recho de Insula ; in<br />

flumine Thetis ; Los Alaus ; La Pujada ; La Garriga ; Puig<br />

Pedros ; A Puig Borbonner-Barboner-Rippa Borbonerii ;<br />

Ardena-Dardena (en relation avec la famille noble d’Ille,<br />

les d’Ardena) ; La Vernusa-Al Vern ou La Verneda (les<br />

aulnes, arbres poussant en zone humide).<br />

Quelques dénominations de terres sont en rapport<br />

avec leur couverture végétale sauvage, par exemple le temonar,<br />

timonar, themonar : terrain où pousse le thym ; le<br />

bugallar est à rapprocher de brugallar : de brugal, collectif<br />

de bruch, bruyère. Plusieurs parcelles sont ainsi appelées<br />

« bugallar », des lieux où pousse la bruyère : Bugallar de<br />

Mossen Fort (un correch en descend, vers La Coma de<br />

Casesnoves), bugallario de maître Pere Solanes, fabricant<br />

d’arbalètes ou arbalétrier (ballesterius).<br />

On trouve dans ce capbreu des mentions de vignes<br />

complantées d’oliviers, d’un mallol ( jeune vigne) avec oliviers<br />

à Vallagre, à La Coma, au Cami de la Hermita, un<br />

champ complanté d’oliviers aux Arenys. Une terre en vigne<br />

et bois touche aux hermes de la combe de Vallagre, à la<br />

coma de Casesnoves. Six hectares de bois sont déclarés au<br />

lieu-dit La Vernosa, touchant à un autre bois. Les mention<br />

de « terres hermes », de bois ou de garrigues sont<br />

nombreuses en confronts (parfois dites « hermes des dits<br />

seigneurs » – ecclésiastiques –). Une olivette, à La Coma<br />

Gran de Casesnoves, est appelée l’olivette de l’œuvre de<br />

l’église de Casesnoves. Au dessus de l’église de Casesnoves<br />

(Dejus la casa de dios) un maillol est planté sur une parcelle<br />

qui est en partie un bois.<br />

à Ropidera en 1632 un document rapporte l’intéressante<br />

cérémonie de prise de possession d’une terre,<br />

en partie cultivée en vigne et en partie inculte (herema<br />

dite aussi temoner, lande à thym) achetée par Margaretta<br />

Fonolleta, épouse de Blaise Fonollet pareur de draps de<br />

Vinça, vendue par Francesc Bossinyach (un nom d’habitant<br />

de Ropidera dès le XIV e siècle) brassier de Vinça et<br />

10. Le toponyme indique la nature du sol sablonneux du terroir, au plus près<br />

de la Têt.<br />

11. Toponyme « historique » qui évoque les alleux... un terroir d’anciennes<br />

possessions alleutières ?<br />

possédée auparavant par le prêtre Miquel Carbonell (de<br />

Vinça ?). Le mari de l’acheteuse se rend devant la cour<br />

du juge de la viguerie de Vinça et de la curie du batlle du<br />

lieu et territoire de Ropidera pour recevoir la pleine possession<br />

de la dite terre. L’acte de vente de 1627 situe ce<br />

quoddam frustulum terre partim plantatum de vinea partim<br />

vero temoner, sur le territoire de Ropidera, au lieu-dit La<br />

Cugulera, et contenant un demi-journal de terre, et sur<br />

laquelle est plantée une vigne d’environ quatre journées<br />

de travail (fovendi) d’homme, le reste étant en friche (temoner).<br />

Cette terre touche à une autre terre de l’acheteuse<br />

et au reste de la terre du vendeur séparée par des signes<br />

fixés (et partim cum residua tenencia mea pro ut dividunt signa<br />

affixa : des pierres sans doute), la parcelle est vendue<br />

pour douze livres de Perpignan. La mise en possession<br />

est effectuée par le bayle du seigneur de Joch, Francesc<br />

Pontich, qui conduit Blaise Fonollet à cette parcelle, lui<br />

fait parcourir cette terre, lui fait prendre de la terre dans<br />

ses mains, la jeter en l’air, et cueillir de l’herbe, en signe de<br />

prise de possession verbale et corporelle 12 .<br />

Cabanes et aménagements de pierre sèche dans la <strong>montagne</strong><br />

de Ropidera et de Casesnoves<br />

La disparition des anciens villages implantés dans le<br />

massif modifie profondément le rapport à la <strong>montagne</strong>.<br />

L’habitat permanent, sous la forme qu’on lui connaissait<br />

notamment à Ropidera, n’existe plus et surtout il n’est pas<br />

remplacé. En plaine roussillonnaise, la disparition à la fin<br />

du Moyen Âge de nombreux villages bouleverse la trame<br />

ancienne du peuplement : l’accroissement de la surface des<br />

terroirs des villages qui se sont maintenus et l’éloignement<br />

des terres qui en résulte sont les principales causes de la<br />

réapparition de l’habitat rural dispersé, domanial cette<br />

fois et détenu par des bourgeois ou de grands propriétaires.<br />

Mais ici, rien de tel, le mas est absent et les bergeries<br />

ou cortals 13 qui jalonnent encore aujourd’hui le territoire<br />

n’ont jamais accueilli d’habitat permanent.<br />

L’accroissement du finage des villages et l’éloignement<br />

des terres cultivées provoquent cependant l’installation de<br />

nombreuses cabanes, autant d’abris temporaires dans les<br />

champs pour des paysans qui montent travailler depuis les<br />

villages de la plaine. Près de 500 constructions de ce type<br />

ont été inventoriées sur l’ensemble du massif incendié.<br />

12. ADPO, 3E19/1286.<br />

13. Le terme de cortal est ici utilisé dans sa définition courante, celle dérivée<br />

de basse-cour, celui d’un enclos destiné au bétail pouvant faire office d’habitat<br />

temporaire et servant de relais pour l’exploitation des pâturages.


250 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

4 - Cabane à encorbellement, commune de Rodès (cl. A. Catafau).<br />

5 - Cabane à encorbellement, adossée à un chaos granitique, sur la commune de<br />

Rodès (cl. A. Catafau).<br />

Construites en pierres sèches ou utilisant un liant de terre,<br />

elles offrent généralement une faible superficie utile,<br />

pas plus de 4 à 5 m 2 au sol. Les blocs de granit cassés au<br />

marteau et sommairement équarris, sont assemblés en litages<br />

réguliers. La couverture est dans la plupart des cas<br />

à encorbellement, la tuile n’apparaissant que très tardivement<br />

(XX e siècle) et dans les zones les plus proches du<br />

village. L’accès est généralement très étroit et le linteau est<br />

constitué d’une grande dalle de granit. Les aménagements<br />

internes de ces cabanes sont sommaires : une banquette<br />

parfois, une niche et un aménagement pour faire du feu<br />

sont les seuls éléments de confort observés. Dans de rares<br />

cas, un passage mène à un diverticule, une annexe qui sert<br />

au couchage.<br />

Les prospections réalisées autour de ces cabanes à encorbellement<br />

ont permis de collecter du mobilier remontant<br />

parfois au XV e -XVI e siècles et témoignant de l’existence<br />

d’abris temporaires entretenus ou reconstruits. La plupart<br />

des cabanes à encorbellement qui jalonnent aujourd’hui<br />

le terroir ont pu être datées du XIX e siècle mais rien n’interdit<br />

de penser que certaines, encore en élévation, aient<br />

une origine plus ancienne. Dans le capbreu de 1604-1614<br />

de Casesnoves, deux déclarations mentionnent la présence<br />

de deux domuncula (ou caseta en catalan) construites sur<br />

des parcelles cultivées en vigne, dont l’une se trouve sur<br />

le lieu-dit du Bourboné où justement des céramiques des<br />

XVI e -XVII e siècles ont été collectées autour de cabanes à<br />

encorbellement. La cabane est certainement un abri temporaire<br />

mais la sophistication de certaines, avec la présence<br />

d’une annexe pour le couchage, suggère que l’on pouvait,<br />

lors des gros œuvres aux champs, y passer plusieurs jours,<br />

à la belle saison, à l’image du cortal 14 .<br />

Quelques rares mais précieuses mentions de cabanes<br />

dans les textes d’époque moderne viennent confirmer ces<br />

datations archéologiques. Parmi les éléments originaux du<br />

capbreu de Casesnoves on doit ainsi souligner la présence<br />

dans deux déclarations d’une petite construction mentionnée<br />

sur une parcelle. Ces deux déclarations sont parmi les<br />

plus longues du capbreu. Ceci est particulièrement visible<br />

dans le premier cas, celui d’un forgeron d’Ille, qui déclare à<br />

lui seul neuf parcelles (c’est le plus important déclarant, et<br />

de loin, en nombre de terres). Cette domuncula (le texte dit<br />

aussi caseta) a été construite par le déclarant, qui a acquis<br />

6 - Cabane à encorbellement avec une banquette aménagée à l’extérieur. Sur une<br />

dalle, découverte à l’intérieur, est gravée la date de 1869 (cl. A. Catafau).<br />

14. Se reporter à l’étude sur les mises en culture d’époque contemporaine,<br />

chap. XIII.


La <strong>montagne</strong> du XV e au XIX e siècle<br />

251<br />

cette parcelle par contrat d’emphytéose en 1585, parcelle où<br />

est plantée une jeune vigne. La caseta a donc été construite<br />

entre 1585 et 1610 (date de la déclaration), en un lieu<br />

assez éloigné d’Ille, le Pug Borbonner où les prospections<br />

ont identifié plusieurs constructions de type « cabane » ou<br />

« cortal » 15 . La construction de la cabane est peut-être liée à<br />

la plantation de la jeune vigne sur une très grande parcelle :<br />

8 ayminates, soit 8 x 60 ares, 480 ares ou 4,80 ha.<br />

La seconde de ces petites constructions est elle aussi<br />

possédée par un déclarant, un pagès (agricola, paysan propriétaire<br />

aisé, à distinguer du brasserius, paysan pauvre)<br />

qui tient plusieurs parcelles (trois) pour l’institution religieuse,<br />

ce qui est déjà remarquable 16 . Mais on ne sait pas<br />

si elle est de construction récente ou ancienne, de même<br />

cette « petite maison » est située au lieu-dit Al Areny et<br />

olim Als Alaus, c’est-à-dire près de la Têt et du ruisseau<br />

de Thuir, et plus précisément non loin sans doute du couvent<br />

des Franciscains, dit l’Ermita, ou l’Ermitage, dont<br />

le jardin est voisin d’une des terres du même déclarant,<br />

au même lieu-dit. Peut-être s’agit-il aussi d’un « casot »,<br />

d’une cabane d’exploitation agricole, mais ce secteur est<br />

hors incendie, donc hors prospections. La mention est<br />

cependant intéressante, puisqu’elle est aussi en relation<br />

avec la possession de plusieurs terres en ce même lieudit<br />

par un pagès de Bouleternère, donc plus éloigné de ce<br />

terroir que s’il avait habité Ille.<br />

Sur le territoire de Ropidera, on note que, dans l’une<br />

des vignes, au lieu-dit Bourboné, est bâtie une cabane,<br />

appartenant à un homme de Rodès, Miquel Marsenach,<br />

détenu à la prison du château de Joch, dont les biens sont<br />

vendus pour payer ses dettes, en 1643 17 .<br />

15. ADPO, H 302, 6 mars 1610, fol. 63 r o : Ego Stephanus Godina faber ferrarius<br />

villae Insulae... teneo... quandam aliam petiam terre maleolo plantatam in<br />

dictis terminis (de Casesnoves) sita loco dicto A Puig Borbonner cum quadam<br />

domuncula sive caseta ibi per me edificata continentem in se octo ayminatas<br />

terre vel circa (en marge : 1693 : Christofol Mestres) confrontatam cum ten<br />

honorabilis Francisci Gitart alias Bugia pharmacopulae et cum itinere regio<br />

sive la Tira del Rey et cum tenentia dominae Arnauda vidua uxoris relicta Petri<br />

Lacoma quondam brasserii et cum tenentia (fol. 65 r o ) Jacobi Lugany et cum<br />

ten haeredum Dominici Losas quondam brasserii et cum ten Bernardi Ruffach<br />

sutoris omnium dicte villae Insulae et cum ten honorabilis Joannis Geli notarii<br />

infrascripti quae quidem petia terre ad me pertinet... titulo stabilimenti mihi<br />

facti... 20 mars 1585 et altero 29 oct 1589...<br />

16. ADPO, H 302, 21 nov 1610 , fol. 78-79, Ego Michael Pontich agricola<br />

ville de Bula Terranera... teneo... quandam aliam petiam terre campum in dcis<br />

term sit l d Al Areny et olim Als Alaus cum quadam domuncula in eadem petia<br />

terre constructa et aedificata cont in se novem jornalia terrae... confr scilicet ab<br />

oriente cum ten honor Francisci Rossello et Jorda mercatoris villae Perpiniani, a<br />

meridie cum recho de Thoirio, ab occidente cum ten dci Francisci Rossello et<br />

Jorda, ab aquilone cum ten honor Joannis Pauques agricolae villae jd de Bula<br />

quae... ad me pertinet... titulo venditionis... facte per discretum Petrum Lluch<br />

not Barchinonae inst recepto per discr Hieronimum Gabador not publ...<br />

17. ADPO, 1643, 3E19/387.<br />

7 - Mur construit de pierres sèches, d’environ 1,60 m de hauteur, que l’on suit dans<br />

le paysage sur plusieurs centaines de mètres et qui sépare une zone de pâturage<br />

(à droite) et des parcelles mises en culture (à gauche) (cl. P. Roca).<br />

Dans le capbreu de Casesnoves, une autre précision est<br />

à rapprocher de ce qu’ont révélé les prospections, c’est<br />

la mention de parcelles séparées par des murs : au Puig<br />

Sinell, un mallol de 2,40 ha touche à l’est à la tenure de<br />

La Pinyereda de Casesnoves pariete in medio (un mur les<br />

séparant), et au sud avec la tenure de Stephani Godina<br />

pariete in medio (un mur les séparant). Peut-être ces murs<br />

sont-ils là pour protéger cette « jeune vigne », si les parcelles<br />

autour sont des terres pouvant être pâturées par<br />

des moutons ou des chèvres, comme par exemple La<br />

Pinyareda de Casesnoves.


252 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

8 - Pierre fichée verticalement dans le sol, peut-être l’une de ces boudules que l’on<br />

croise parfois dans la documentation et qui délimitaient les parcelles (cl. A. Catafau).<br />

En 1801 une offre de prise en fermage d’un ensemble<br />

de possessions à Vinça, Marcevol et Tarerach comprend<br />

une pièce de terre cultivée en vigne située au terroir de<br />

Tarrerach à la partie dite Lo Mas d’en Baille d’une contenance<br />

de trente cinq ares et demie de terre, ainsi qu’un<br />

petit espace en vigne « situé audit terroir de Tarrerach<br />

lieu appelé Lo Mas den Baille d’une contenance d’environ<br />

quinze rangées de vigne ou environ douze ares trois quarts<br />

de terre plus ou moins », le contrat mentionne que le preneur<br />

« à la vigne dite Lo Mas den Baille emploiera pour six<br />

journées d’hommes pour relever les murailles » 18 .<br />

En 1802 une habitante de Vinça baille à ferme à des<br />

cultivateurs de Rodès « toute icelle pièce de terre cultivée<br />

en vigne qu’elle tient et possède au terroir de Rodès lieu<br />

appelé Lo Mas den Baille confrontant... du couchant avec<br />

la rivière de Tarrerach », sous condition « que les preneurs<br />

seront obligés de travailler la dite vigne suivant l’usage et<br />

la coutume d’un bon vigneron et d’y donner les labours<br />

suivants ; la tailler et bêcher et la partie dite Lo Mallol rebêcher,<br />

et sera libre aux preneurs de mettre en valeur ou<br />

de planter une faixe qui se trouve à l’extrémité de la dite vigne<br />

qui est attenante avec la dite rivière de Tarrarach ; il a<br />

été encore convenu que les preneurs seront tenus de relever<br />

toutes les murailles de la partie dite Lo Mallol afin qu’à<br />

la dernière année les dites murailles se trouvent en bon<br />

état à moins qu’il ne se trouve quelque grosse pierre qui<br />

ne pourra pas se replacer sans la couper, et pour la vigne<br />

18. ADPO, 3E37/1, fol. 214-215, offre de prise en fermage d’un ensemble possessions<br />

à Vinça. Cité par Philippe Blanchemanche, Bâtisseurs de paysages,<br />

Éditions Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1990, 329 p. (p. 146-147).<br />

vieille les preneurs seront tenus de relever les murailles et<br />

d’y faire pour quatre journées d’hommes de travail pour<br />

le moins chaque année ». Le bail prévoit que les preneurs<br />

garderont les fruits pendant quatre ans, puis pour les six<br />

ans suivants la bailleuse aura le tiers des fruits 19 .<br />

Au moment des divisions d’héritage on plaçait des repères<br />

(boudules) sur les parcelles 20 . En 1801 à l’occasion<br />

du contrat de mariage de leur fille Françoise avec François<br />

Rouill (Rull) les parents Romeu divisent les terres données<br />

à leurs deux enfants, leur fille prendra « pour la moitié<br />

a luy appartenante sur les biens donnés... 1 o Une maison<br />

située à Vinça à la partie dite Lo Barri del Prat... ; 2 o la moitié<br />

d’icelle pièce de terre vigne a ce non compris une partie<br />

d’herm qui a été déjà réduit en vigne par ledit Romeu fils<br />

où il a déjà mis des boudules pour les séparer située au terroir<br />

de Vinça à la partie dite Ballorera confronte d’orient<br />

avec Pierre Llech, du midi avec Christophe Purxet, avec<br />

le dit Romeu et avec ledit Rouill, du couchant avec Pierre<br />

Romeu qui la tient acquise de la Nation et du septentrion<br />

avec la restant propriété et Elizabeth Gabage à laquelle<br />

propriété ils ont aussi mis des boudules pour les diviser ;<br />

3 o la moitié d’icelle pièce de terre vigne et herm située à la<br />

partie dite Lo Pas del Lloup confronte, suivant les boudules<br />

déjà placées par les parties, d’orient avec Jacques Noguès<br />

et Joseph Cornet, du midi avec ledit Noguès, du couchant<br />

avec Joseph Garriga et Jean Macari et du septentrion avec<br />

le dit Macari et la partie restante au dit Romeu ; 4 o la moitié<br />

d’icelle pièce de terre à la partie dite Lo Mas d’en Baille<br />

confronte aussi suivant les boudules déjà placées par les<br />

parties d’orient avec la partie restante au dit Romeu, du<br />

midi avec Rose Cotanseu, du couchant avec Julien Bago<br />

chemin entre deux et du septentrion avec Gaudérique<br />

Goze ; 5 o et enfin la moitié d’icelle pièce de terre vigne à<br />

la partie dite Ropidera confronte aussi, suivant les boudules<br />

déjà placées par les parties, d’orient avec la restant partie<br />

du dit Romeu, du midi avec Marcel Romeu, du couchant<br />

avec Joseph Garriga et du septantrion avec le même dit<br />

Romeu ». L’origine du mot boudules et l’aspect de ces marques<br />

de séparation sont inconnus. On peut imaginer qu’il<br />

s’agit de pierres plantées. Ce mot est rapprocher du terme<br />

de « boudulaires », « planteurs de bornes », que l’on trouve<br />

en Languedoc dès le XVI e siècle 21 .<br />

19. ADPO, 3E37/1, fol. 257, bail d’afferme pour dix ans, 24 floréal, an IX.<br />

20. 3E37/1, fol. 291. Boudules : autres mentions au même registre, fol. 269v o ,<br />

acte du 5 prairial an neuf de la R. F. : moitié d’un champ « à Estoher lieu<br />

appelé la carrera confronte suivant les boudules que les parties feront plasser<br />

précissement ».<br />

21. Paul Cayla, Dictionnaire des institutions, des coutumes et de la langue en


La <strong>montagne</strong> du XV e au XIX e siècle<br />

253<br />

9 - Parcelle soigneusement aménagée de murs de terrasses. Les eaux pluviales sont récupérées par des canaux qui dévalent la pente (cl. A. Catafau).<br />

Parmi les aménagements de la <strong>montagne</strong>, les plus fréquents,<br />

sur les terroirs en forte déclivité, sont, après les<br />

murettes, les ruisseaux d’écoulement des eaux pluviales<br />

aménagés.<br />

Le 2 mai 1631, G. Mestre et B. Tixeire brassiers de<br />

Rodès, surveillants de la horta des lieux et termes de<br />

Rodès et Ropidera, sont réunis à propos d’une question<br />

survenue entre Francesc Riquer et Paul Guilla au sujet<br />

d’une reguera ou rasa que Riquer possède dans une parcelle<br />

de vigne sise dans le territoire de Ropidera au lieu-dit<br />

La Baur, autrement appelé « au-delà de Sant Pere (della<br />

Sant Pere) ». Paul Guilla empêche cette reguera ou rasa de<br />

s’écouler. Et aussi au sujet d’un chemin et passage que le<br />

dit Riquer possède au début (al capdemunt) de la vigne<br />

que Guilla cultive à côté de la propriété du dit Riquer et<br />

usage dans quelques pays de Languedoc, de 1535 à 1648, Montpellier, 1964,<br />

727 p. Voir p. 95 : « boudulaires : D’une façon générale, il s’agit de planteurs<br />

de bornes limitant des parcelles de terre ou des territoires de localités, mais<br />

ce nom était aussi donné à certains délégués des consuls chargés de la surveillance<br />

des bornages de biens fonciers. Ils figurent parmi les bas-officiers des<br />

consuls ». La définition renvoie à un acte de la ville de Bize (Hautes-Pyrénées)<br />

daté de 1594. Les mots « boudulaire » ou « boudule » ne sont ni catalans, ni<br />

français (on ne les trouve dans aucun dictionnaire français), on peut penser<br />

qu’ils ont été importés par des juristes du Languedoc.<br />

par lequel Riquer emportait la vendange d’une partie de sa<br />

vigne, chemin sur lequel Guilla lui interdit le passage. Les<br />

clavaris ont reconnu sur place la reguera et le chemin. La<br />

dite reguera ou rasa a été faite par Riquer pour recueillir les<br />

eaux pluviales qui courent de haut en bas de sa propriété.<br />

Riquer est condamné à faire et à conserver en bon état<br />

une rasa ou reguera dans sa vigne, de sorte que par sa propriété<br />

les eaux dévalent sans entrer en aucune façon dans<br />

la propriété de Paul Guilla... Étant donné que Riquer ne<br />

peut facilement sortir sa vendange d’une partie de sa vigne<br />

près du chemin qui va de la ville de Vinça à Ropidera,<br />

en aval de la rivière de la Têt, qui s’appelle « au-dessus du<br />

chemin », si ce n’est par le chemin et passage qui est au<br />

début de la propriété de Guilla, Paul Guilla est condamné<br />

à laisser libre le passage au début de sa propriété afin que<br />

Riquer et les siens puissent sortir la vendange avec ou sans<br />

bête de cette partie de vigne qui est sous le chemin qui va<br />

à Ropidera jusqu’à la rivière de la Têt 22 .<br />

22. ADPO, 3E19/277 : « Sententia de clavaris de la horta del lloch de Rodes<br />

sobre una rasa y cami tenien questio Francesc Riquer y Jaume Guilla brassers<br />

de la vila de Vinça ».


254 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

10 - L’entame de la carrière de Rodès, qui recoupe une partie de la devèze mentionnée au début du XIX e siècle (cl. P. Roca).<br />

L’élevage<br />

Les recherches menées sur les anciens chemins de<br />

troupeaux ont permis de reconnaître le tracé de plusieurs<br />

drailles qui s’élancent bien souvent de la vallée<br />

de la Têt pour rejoindre les pâturages du plateau de<br />

Montalba 23 . La datation de ces chemins, la plupart du<br />

temps bordés de hauts murs pour éviter la dépaissance<br />

des bêtes dans les parcelles voisines, est difficile, sauf<br />

peut-être pour celui qui prend naissance non loin des<br />

gorges de la Guillera et qui bénéficie d’un peu de documentation<br />

archéologique. En 1832, une vaste devèze<br />

s’étendait à l’emplacement actuel de la carrière de granit<br />

de Rodès (ill. 10). Cette vaste pâture est à cette époque<br />

subdivisée en plusieurs parcelles dont cinq sont la propriété<br />

de la commune de Rodès (A1492, 1493, 1494,<br />

1500 et 1501) ce qui représente un total de 11,4 hectares<br />

(ill. 11). Il convient d’ajouter à ce chiffre les pâtures<br />

privées qui sont attenantes et qui forment un ensemble<br />

homogène (1485, 1487, 1489, 1499, 1496 et 1497), ce<br />

23. Se reporter à l’étude menée par Jean-Pierre Comps, chap. VII.<br />

qui accroît la surface formant une vaste zone de pâturage<br />

enclose d’environ 19 hectares. Cet ensemble est<br />

aujourd’hui en partie occulté par l’incision de la carrière<br />

de granit de Rodès, en service durant la première moitié<br />

du XX e siècle. Il subsiste cependant la partie la plus<br />

septentrionale encore limitée à l’est par un puissant mur<br />

qui atteint par endroit 2 m de hauteur pour une largeur<br />

moyenne de 70 cm environ (ill. 12). Sous ce mur que<br />

l’on suit sur plus de 200 m, sur la parcelle 1501, en pente<br />

très forte vers les gorges de la Guillera, se trouvent des<br />

lambeaux de vieilles terrasses, démantelées par l’érosion<br />

et construites de gros blocs arrachés au chaos et sommairement<br />

assemblés. Plus au nord, deux autres parcelles<br />

devaient appartenir à cet ensemble avant que ne<br />

soient mises en culture les parcelles 1488 et 1489 : des<br />

vignes de catégories 4 et 5/5 en 1832. Les parcelles 1487<br />

et 1489 correspondent à deux vastes pâtures, propriétés<br />

des familles Parès et Rustany de Rodès en 1836. Elles<br />

occupent, à la soulane, le versant sud d’un massif dont le<br />

sommet culmine à 365 m. À cet endroit, là ou la vue est<br />

dégagée, ont été collectés les fragments d’un vase en cé-


LA mONTAGNE DU XV e AU XIX e SIÈCLE<br />

255<br />

Vigne<br />

Terre<br />

Pâture<br />

1299<br />

1306<br />

1652<br />

Vigne/oliviers<br />

1298<br />

1293<br />

1296<br />

1293<br />

1331<br />

1330<br />

1649<br />

1650<br />

Chemin pour le bétail<br />

1289<br />

1332<br />

Limite de la devèze<br />

1288<br />

1292<br />

1336<br />

1333<br />

1334<br />

1634<br />

1633<br />

1635<br />

1291 1290<br />

1205<br />

1335<br />

1345<br />

1338<br />

1339<br />

1630<br />

1631<br />

1344<br />

1346<br />

1347<br />

1348<br />

1349<br />

1340<br />

1341<br />

1342<br />

1343<br />

12 - Détail d’une portion du mur enserrant la devèze<br />

(cl. A. Catafau).<br />

1374<br />

1350<br />

1373<br />

1372<br />

1351<br />

1615 1613<br />

1614<br />

1509<br />

1508<br />

1511<br />

1507<br />

1510<br />

1582<br />

1580<br />

1583 1589<br />

Irrigation ?<br />

Vase médiéval<br />

1489<br />

(pt 093)<br />

1506<br />

1513<br />

1512<br />

1579 1581<br />

1586<br />

1584<br />

1585<br />

1578<br />

1576<br />

1575<br />

1490<br />

1574<br />

1502 1514<br />

1487<br />

1573<br />

Site médiéval (394) 1515 1516<br />

1491<br />

1536<br />

1501<br />

1517<br />

1485<br />

1500<br />

1492<br />

1499<br />

1498<br />

1493<br />

1497<br />

1522<br />

1495<br />

1496<br />

1494<br />

Rodès, section A5 et A6<br />

0 100m<br />

11 - Extrait du cadastre de 1832 avec report de l’emprise de la devèze et des chemins destinés aux troupeaux.<br />

13 - Vue aérienne du chemin destiné aux troupeaux, au sortir de la devèze (cl. O. Passarrius).<br />

ramique commune à cuisson réductrice,<br />

incontestablement médiéval (antérieur<br />

au XV e siècle). Cette céramique brisée<br />

côtoie les reliefs d’anciennes et de plus<br />

récentes pauses repas, de bergers peutêtre,<br />

de chasseurs ensuite ou de randonneurs.<br />

Plus bas, en limite orientale de<br />

la devèze, de l’autre côté du mur, mais<br />

sur un éperon qui le domine se trouve<br />

le seul site médiéval mis au jour sur ce<br />

secteur. Sur une zone d’environ 100 m 2<br />

ont été collectés d’abondants fragments<br />

de céramiques communes sableuses et<br />

de céramiques glaçurées 24 . Les tuiles rondes<br />

sont abondantes et témoignent de la<br />

présence d’un bâtiment aujourd’hui disparu<br />

et malmené par les aménagements<br />

culturaux postérieurs (cabanes, murs de<br />

terrasses...). La datation du mobilier collecté<br />

permet de proposer une fourchette<br />

couvrant l’ensemble du bas moyen Âge<br />

(XIV e -XV e siècles). Sa position, en limite<br />

de la grande devèze et au départ d’une<br />

des plus importantes drailles (ill. 13) du<br />

secteur nous conforte dans l’idée que sa<br />

présence est étroitement liée à l’élevage<br />

et au parcours des troupeaux. Cet indice<br />

pourrait, même s’il convient de le manier<br />

avec prudence, fournir un précieux élément<br />

de datation concernant la pâture<br />

et le chemin dont l’ancienneté et probablement<br />

l’origine médiévale étaient déjà<br />

supposées.<br />

. Il s’agit du point 394.


256 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

14 - Le plateau de Montalba et de Ropidera avec les zones humides exploitées comme pâturages pour les troupeaux venus de la vallée. C’est autour de ces dépressions qu’ont<br />

été localisés les vestiges d’enclos, probablement les cortals que l’on trouve mentionnés dans les textes (cl. O. Passarrius).<br />

Cette draille remonte ensuite vers le plateau où ont été<br />

inventoriées et relevées plusieurs constructions qui correspondent<br />

à des enclos antérieurs aux grandes bergeries<br />

ou cortals reportés sur la matrice cadastrale de 1832.<br />

En 1764, Étienne Noguera, brassier de Vinça se plaint<br />

devant le viguier du Conflent « qu’entre neuf et dix heures<br />

du matin une partie du troupeau de Joseph Roger pagès<br />

habitant au lieu de Rodès composé d’environ cent bêtes à<br />

laine fut vu dépaître sous la garde d’un des bergers dudit<br />

Roger dont il ignore le nom, environ une heure, dedans et<br />

à travers une vigne propre du dit Noguera située au terroir<br />

du lieu de Rodès à la partie dite Ropidera, confrontant<br />

d’orient avec le sieur Bonaventure Parès, de midi avec<br />

le sieur Joseph Cornet habitants au dit lieu de Rodès,<br />

du couchant avec les héritiers de Thomas Marimont de<br />

Vinça et de septentrion avec Joseph Colonge dudit lieu<br />

de Rodès, ajoutant le dit Étienne Noguera que la dite<br />

vigne est fort ancienne et nullement... en contravention<br />

de l’arrêt du conseil d’État du roi du 5 juin 1731 » 25 .<br />

L’ordonnance consécutive à cette plainte indique qu’un<br />

troupeau de « bêtes à laine » mené par Joseph Tourn, dit<br />

Paraut, berger du sieur Roger, a détruit environ le tiers<br />

de la vigne dudit Noguera. Les témoins déposent que le<br />

troupeau d’une centaine de bêtes a été introduit le 15 décembre<br />

sur la vigne de Noguera, où il a brouté pendant<br />

une heure dans les parties de vigne replantées comme<br />

dans celles qui sont vieilles et plantées avant 1731 (arrêt<br />

du conseil du 5 juin 1731). Le tiers de la vigne avait été<br />

replantée depuis huit à neuf ans, il ne s’agissait que d’un<br />

rétablissement ou renouvellement de la vigne ancienne<br />

25. ADPO, 1C1074, expédié le 13 décembre 1765.


La <strong>montagne</strong> du XV e au XIX e siècle<br />

257<br />

au moyen des courgats vulgairement dits<br />

caffiques. Cette plantation est donc moins<br />

une innovation sans permission qu’un rétablissement<br />

de vigne, pour laquelle il n’y a<br />

pas besoin de permission, puisqu’elle a été<br />

replantée des mêmes souches au moyen<br />

des coulgats 26 dits caffiques, « comme on le<br />

pratique souvent et que cela est nécessaire<br />

pour le maintien et la conservation des vignes,<br />

chose qui n’est pas défendue et pour<br />

laquelle il n’est besoin d’aucune permission<br />

». Ainsi ladite vigne peut être considérée<br />

comme ayant été plantée avant 1731,<br />

puisque le dit arrêt de 1731 ne concerne<br />

que les vignes nouvelles qui sont plantées<br />

« en un terrain où il n’y aurait eu aucune<br />

vigne ». Un témoin des faits travaillait à<br />

une de ses vignes assez proche de celle dudit<br />

Noguera, avec seulement un champ du<br />

sieur Cornet et la rivière entre deux.<br />

Plusieurs constructions, non répertoriées<br />

sur le cadastre et correspondant à des<br />

enclos antérieurs aux grandes bergeries ou<br />

cortals reportés sur la matrice cadastrale<br />

de 1832, ont été inventoriées et relevées<br />

sur la zone du plateau.<br />

La première de ces constructions se trouve<br />

sur le versant sud du Serrat Blanc sur la<br />

commune de Rodès (point N). Ce bâti est<br />

installé en bordure d’une vaste dépression,<br />

en partie humide durant la saison hivernale<br />

et ayant pu faire office de pâturage (ill. 15<br />

et 16). Cette construction présente un plan<br />

quadrangulaire, d’environ 10,50 m de côté.<br />

Les murs, encore conservés par endroits sur<br />

1 m de hauteur, sont constitués de blocs de<br />

granit et de schiste sommairement équarris<br />

voire laissés bruts et assemblés sans aucun<br />

liant. Larges d’environ 60 à 70 cm, ces<br />

murs délimitent un espace d’environ 80 m 2<br />

au centre duquel le socle rocheux affleure.<br />

Le mobilier est totalement absent, mais l’on<br />

26. Les coulgats sont une reproduction par marcottage,<br />

cf. colgar : marcotter, reproduction par marcottage dans<br />

Alcover 1977. Ils sont appelés aussi mourgons dans le<br />

même texte cf. murgo, murgonar : faire des marcottages<br />

dans Alcover 1977. Les caffiques sont peut-être un cépage.<br />

Terrasses<br />

0 4,00 8,00 m<br />

15 - Relevé en plan de l’enclos N (commune de Rodès).<br />

Tuiles rondes<br />

Terrasses<br />

16 - L’enclos N, en bordure d’une dépression utilisée comme lieu de pâturage pour les troupeaux<br />

(cl. O. Passarrius).<br />

note, au sud de la construction, la présence d’abondants fragments de<br />

tuiles rondes répartis sur une centaine de mètres carrés et qui ne semblent<br />

pas directement liés à la construction. Soit leur présence est exogène,<br />

soit elle signale un autre bâtiment, un simple appentis peut-être<br />

totalement détruit.<br />

N


258 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

N<br />

Pierrier<br />

Mur parementé<br />

N<br />

Tuiles<br />

Probable enclos ?<br />

Mur de limite faisant office<br />

aussi de murs de terrasse<br />

Enclos<br />

Enclos couvert ?<br />

0 4,00 8,00 m<br />

17 - Relevé en plan de l’enclos Q (commune de Rodès).<br />

0 4,00 8,00 m<br />

18 - Relevé en plan de l’enclos 1017 (commune de Rodès).<br />

La seconde construction (point Q) présente une implantation<br />

géographique assez similaire. Située sur la<br />

commune de Rodès, en zone de plateau, elle se trouve<br />

en bordure d’une vaste surface plane qui aurait pu faire<br />

office de pâture. L’ensemble occupe une superficie d’environ<br />

420 m 2 et est clairement subdivisé en deux espaces<br />

(ill. 17). Le premier forme un vaste enclos d’environ<br />

200 m 2 de surface utile, limité par des murs de pierres<br />

sèches que leur effondrement total fait ressembler à de<br />

vastes pierriers. Seuls les parements du mur nord sont<br />

visibles. Construit en blocs de granit assemblés à sec,<br />

ce mur mesure environ 90 cm de largeur. On distingue<br />

la présence d’une structure, peut-être un mur de<br />

refend que l’on ne suit malheureusement que sur 4 à<br />

5 m. À l’ouest se trouve un second espace ou une autre<br />

construction mettant à profit les volumineux blocs de<br />

granit effondrés du chaos tout proche. Cet espace, d’environ<br />

25 à 30 m 2 de superficie utile, possède un accès<br />

qui donne vers le sud. Sa fonction n’a pu malheureusement<br />

être déterminée. Les accès au grand ensemble se<br />

font par l’est et par l’ouest. Les prospections de surface<br />

n’ont pas permis de collecter de céramiques ce qui ne<br />

facilite pas la datation de cette structure. Par contre, on<br />

note la présence de nombreux fragments de tuiles rondes,<br />

répartis sur l’ensemble de la surface mais qui sont<br />

plus nombreux autour de l’espace ouest que l’on aurait<br />

pu alors imaginer couvert.<br />

19 - Détail des ruines de l’enclos 1017 (cl. A. Catafau).<br />

L’ensemble 1017, toujours sur la commune de Rodès,<br />

présente des similitudes assez significatives avec la<br />

construction précédente (ill. 18 et 19). Son implantation<br />

est en tous points similaire. Le site 1017 se trouve<br />

en bordure d’une dépression assez vaste, aujourd’hui un<br />

pré encore utilisé pour l’élevage. L’enclos reconnu lors<br />

des prospections est installé au sein d’un chaos déstructuré<br />

englobant les blocs de granit dans la construction<br />

même. Cette dernière possède un plan de forme rectangulaire<br />

de 12,50 m de longueur sur 10 m de largeur,<br />

ce qui représente une surface utile d’environ 100 m 2 .


La <strong>montagne</strong> du XV e au XIX e siècle<br />

259<br />

Les murs mesurent en moyenne 60 cm d’épaisseur et sont<br />

constitués de blocs équarris disposés en litages réguliers et<br />

liés à la terre. Les parements sont soignés mais aucun enduit<br />

de protection n’a été observé. L’accès à cette construction<br />

se fait par l’ouest, à partir du pâturage, par le biais<br />

d’une « porte » ménagée entre deux volumineux blocs de<br />

granit. On note également la présence d’une plus petite<br />

ouverture située sur le mur sud, large de seulement 60 cm.<br />

Cette construction a été interprétée comme un enclos : la<br />

physionomie des murs, pourtant bien soignés, l’emprise au<br />

sol et l’utilisation du chaos rendant difficile toute élévation<br />

importante ou couverture du bâti. À cet endroit d’ailleurs,<br />

les tuiles rondes sont absentes alors qu’elles sont au contraire<br />

bien présentes au nord-est, au milieu d’un espace d’une<br />

vingtaine de mètres carrés tout au plus, cerné de chaos. Il<br />

est difficile d’y voir autre chose qu’un appentis sommaire<br />

qui utilise les blocs de granit pour en délimiter l’espace. Le<br />

mobilier est également présent et est constitué de quelques<br />

tessons de céramiques communes glaçurées. La quasi-totalité<br />

des céramiques peut être datée du bas Moyen Âge<br />

tandis que les éléments les plus récents (deux tessons)<br />

nous renvoient vers un horizon centré sur le XVII e siècle.<br />

L’enclos n o 7 est installé à l’intérieur d’une pâture, délimitée<br />

par des murs de pierres sèches hauts de plus d’un<br />

mètre, et dans laquelle se perd une draille vraisemblablement<br />

en fonction au bas Moyen Âge. Cette construction<br />

est adossée à un chaos granitique et est composée de murs<br />

faits de blocs laissés bruts et assemblés sans aucun liant<br />

(ill. 20). Larges d’environ un mètre, ces murs sont conservés<br />

sur 40 à 70 cm d’élévation et limitent un espace d’environ<br />

25 m 2 ouvert au sud-ouest.<br />

Une autre construction n’a rien de comparable avec celles<br />

décrites plus haut. Cependant, la physionomie « ancienne »<br />

de ce bâti associée à une mention originale (masure) dans<br />

l’état des sections de 1832, laisse penser qu’il s’agit d’une<br />

construction bien antérieure au début du XIX e siècle 27 .<br />

En 1836, ce bâtiment appartient à Joseph Cornet de Rodès,<br />

l’un des plus importants propriétaires de la zone 28 . Il se présente<br />

sous la forme d’une construction de plan rectangulaire,<br />

de 7,75 m de longueur pour 6,90 m de large (ill. 21 et 22).<br />

N<br />

20 - Relevé en plan de l’enclos n o 7 (commune de Rodès).<br />

0 2,00 4,00 m<br />

0 2,00 4,00 m<br />

21 - Relevé en plan de l’enclos/bergerie mentionné comme « masure » en 1832.<br />

N<br />

27. Le terme de masure est dérivé du latin mansus et correspondait, notamment<br />

dans les régions septentrionales, à la parcelle sur laquelle se trouvaient<br />

les bâtiments d’habitation et d’exploitation. Rapidement, la maison prendra<br />

elle-même le nom de masure. Ici, il semblerait que le terme de masure soit à<br />

prendre dans son acception péjorative ce qui suppose que ce bâtiment était<br />

déjà à l’abandon lors de la levée du cadastre ou que sa fonction n’était pas<br />

clairement identifiée.<br />

28. ADPO 2J127/167.<br />

22 - Détail des murs de la masure (cl. A. Catafau).


260 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre IX<br />

N<br />

M<br />

0 2,00 4,00 m<br />

23 - Relevé en plan de l’enclos n o 1 (commune de Rodès). 24 - Fenêtre à simple ébrasement de l’enclos n o 1 (cl. A. Catafau).<br />

Les murs, larges d’environ 60 cm, sont constitués de<br />

blocs de granit bruts, ou peut-être sommairement équarris<br />

au marteau, et liés à la terre. Aucun enduit de protection<br />

n’a été observé. La toiture était, semble-t-il, à un<br />

pan et constituée de tuiles rondes. L’accès se fait par le<br />

sud et mesure 1,70 m de largeur ce qui permet d’interpréter<br />

cette construction comme un cortal, une bergerie.<br />

Cette interprétation est confirmée par l’absence de mobilier,<br />

d’aménagement interne ou de trace de cheminée. Ce<br />

bâtiment est en relation étroite avec le chemin médiéval<br />

destiné au troupeau qui passe à proximité 29 .<br />

Une bâtisse ruinée (point n o 1, commune de Rodès) est<br />

plus difficile à interpréter et surtout à dater. Il s’agit d’un<br />

bâtiment de forme rectangulaire, adossé à un volumineux<br />

chaos granitique. Il mesure 9 m de longueur pour environ<br />

6 m de largeur (ill. 23). Les murs, larges d’environ 60 cm,<br />

sont constitués de blocs de granit liés à la terre. Aucun<br />

enduit de protection n’a été observé. Trois fenêtres à simple<br />

ébrasement (meurtrières) permettaient d’éclairer la<br />

pièce (ill. 24) et l’on y pénétrait par une porte ménagée<br />

à l’est, large de 1,25 m. Cette dernière ne semble pas correspondre<br />

à la porte originelle et une seconde ouverture,<br />

aussi large, a été murée à l’ouest. La limite nord est en fait<br />

constituée par la paroi du chaos sur laquelle a été ensuite<br />

29. Il s’agit de la draille qui prend son origine à la devèze de Rodès, sur l’emprise<br />

des ruines de la carrière de granite. Se reporter pour plus d’informations<br />

à l’étude du peuplement et du paysage durant le Moyen Âge.<br />

construit le mur afin d’achever l’élévation. La toiture, à un<br />

pan vers le sud, était couverte de tuiles rondes. À proximité<br />

immédiate, les collectes de surface ont permis de noter<br />

la présence de quelques tessons, essentiellement des céramiques<br />

communes glaçurées relativement fragmentées.<br />

Les plus anciennes remontent au milieu du XV e siècle<br />

et les plus récentes sont datées du milieu du XX e siècle.<br />

Cette dernière période est peu représentée avec seulement<br />

deux tessons. Le XIX e siècle est quant à lui figuré par de<br />

nombreux tessons mais appartenant à un seul récipient<br />

brisé sur place. Le XV e est le moins présent en volume<br />

(7 tessons sur 56 et sans doute 8 de plus si on prend en<br />

compte les non revêtues qui appartiennent probablement<br />

à cette période) mais le plus présent en nombre d’individus<br />

(3 par défaut, c’est-à-dire 6 à 7 vases au réel).<br />

À environ 100 m à l’ouest du cortal des Balmettes, se<br />

trouvent les ruines d’un enclos, probablement plus ancien<br />

(point 167, commune de Rodès). Ce dernier, de forme<br />

carrée, est construit de murs assemblés à sec et hauts de<br />

plus d’un mètre. Les prospections de surface réalisées<br />

près de cette ruine ont permis de collecter quelques céramiques,<br />

toutes glaçurées, et datées du XVII e siècle.<br />

Les prospections de surface, le relevé des constructions<br />

mises en évidence sur le plateau notamment, ont permis<br />

de mettre en lumière l’existence d’une première génération<br />

d’enclos, installée en bordure de zones humides, des<br />

prés ou des pâtures. Ces constructions de pierres sèches,


La <strong>montagne</strong> du XV e au XIX e siècle<br />

261<br />

plus ou moins soignées et de superficies variables, sont la<br />

plupart du temps associées à une zone limitée livrant des<br />

fragments de tuiles rondes. On imagine alors un appentis,<br />

souvent d’ailleurs aménagé entre deux chaos, faisant<br />

office d’abri temporaire pour le berger, durant la belle<br />

saison.<br />

Ces cortals sont la plupart du temps en relation avec des<br />

chemins de troupeaux dont certains sont en place dès le<br />

bas Moyen Âge au moins. Les prospections de surface effectuées<br />

sur et autour de ces enclos ont permis de dater<br />

les plus anciens de la fin du Moyen Âge, peut-être de la<br />

fin du XIV e siècle mais plus sûrement du XV e siècle. Ces<br />

constructions, qui sont les ultimes vestiges conservés d’une<br />

activité pastorale bien établie, devaient cohabiter avec des<br />

enclos en bois qui n’ont laissé quant à eux aucune trace.<br />

Ces cortals disséminés sur le territoire et dont bon<br />

nombre ont disparu – postés sous des mas ou des bergeries<br />

plus récents, démantelées par les travaux de mises<br />

en culture – s’inscrivent dans une politique de gestion<br />

tout à fait cohérente de la <strong>montagne</strong> déjà mise en lumière<br />

par l’étude du village de Ropidera. Les grandes maisons<br />

de Ropidera regroupent quasi systématiquement, à côté<br />

des pièces à vivre, des annexes comme des bergeries<br />

couvertes ou des enclos. Il est alors intéressant d’observer<br />

une certaine synchronie entre l’abandon de l’habitat<br />

groupé de Ropidera au XV e siècle et la mise en place de<br />

ces nouveaux cortals, plus proches des prés ou des lieux<br />

de pâtures, peut‐être mieux organisés par rapport aux<br />

chemins de transhumance. On ne vit plus à la <strong>montagne</strong>,<br />

du moins plus comme avant (Bille, Conesa, Viader<br />

2007 : 179-192). L’habitat permanent qui s’est déplacé<br />

vers les vallées, laisse la place à un habitat temporaire,<br />

au plus près de l’enclos, sous de sommaires appentis ou<br />

dans des cabanes disséminées dans les champs. En cela,<br />

les structures mises en évidence dans le massif incendié<br />

sont différentes de celles que l’on va retrouver dans les<br />

hauts cantons, du moins pour ces périodes anciennes. En<br />

Cerdagne notamment, le cortal s’apparente à une unité<br />

d’habitat dispersé composée d’un noyau habité mais aussi<br />

de terres, de champs ou de prés et des droits d’accès aux<br />

vacants. Cette structure d’exploitation est complémentaire<br />

de la maison du village ou du mas des vallées. Elle est<br />

alors de fait mieux structurée que les enclos sommaires<br />

mis en évidence sur le plateau de Rodès et correspond in<br />

fine plutôt à la seconde génération de cortals, celle qui se<br />

met en place au XVIII e siècle et dont le cadastre napoléonien<br />

garde encore le souvenir.


chapitre X<br />

Une carrière de marbre en Roussillon :<br />

Les pedreres (Bouleternère),<br />

source méconnue du bâti monumental médiéval et moderne.<br />

Archéologie et lithologie<br />

Michel Martzluff, Pierre Giresse<br />

avec la collaboration de Denis Fontaine et Patrick Barthes<br />

Lors de sa progression vers le sud, l’incendie de 2005 fut<br />

arrêté dans la plaine du Roussillon par la Têt et par les surfaces<br />

cultivées en rive gauche du fleuve. Mais au droit de<br />

Rodès, la violence de la tramontane a permis aux flammes de<br />

franchir l’étroit défilé des gorges de La Guillera. Ainsi, avant<br />

d’être étouffé par les pompiers au-dessus de Bouleternère,<br />

le feu a-t-il pu dégager l’épaisse broussaille qui couvrait le<br />

petit massif calcaire bordant la route nationale 116. Les<br />

prospections conduites en 2006 sur ce versant incendié ont<br />

pu facilement identifier plusieurs fronts de carrière ouverts<br />

dans le bas flanc septentrional d’une éminence qui représente<br />

ici le premier contrefort du Canigou. Deux de ces<br />

carrières (A3 et A4, ill. 1) mettaient en lumière des bancs<br />

de marbre rose pâle, traversés de filons de roches couleur<br />

rouille ou caramel. Mais il était évident que ces exploitations<br />

étaient pour l’essentiel très récentes .<br />

Le terrain réservait cependant une surprise sous forme de<br />

nombreux éclats de taille en marbre qui gisaient en surface.<br />

Répartis sur une partie de la butte sommitale et sur le versant<br />

sud, ces artefacts ne pouvaient de toute évidence provenir<br />

des exploitations récentes qui, d’ailleurs, n’en recelaient<br />

pas ou très peu. Mis à part ces vestiges, et la découverte de<br />

plusieurs structures démantelées rapportables à des fours à<br />

chaux, plus rien ne semblait avoir subsisté d’une extraction<br />

de roches monumentales à cet endroit. Manquaient en particulier<br />

les blocs en cours de façonnage ou encore ceux qui<br />

restent engagés dans leur lit de carrière et dont on retrouve<br />

. Martzluff chap. XI, ill. 2, 3 et 14.<br />

habituellement au moins quelques exemplaires dans les<br />

carrières (cat. pedrera, pedreres) abandonnées.<br />

Tout d’abord étonnés de rencontrer le faciès du « marbre<br />

de Villefranche » à l’affleurement sur ces marges de<br />

la plaine roussillonnaise, nous avons vite compris, grâce<br />

au toponyme édifiant de ce petit massif (Les Pedreres),<br />

qu’avait bel et bien existé à cet endroit une activité ayant<br />

pu avoir une certaine importance dans l’art monumental<br />

de la région. Nous n’étions cependant pas les premiers à<br />

nous interroger à ce sujet. L’abbé A. Cazes avait déjà attiré<br />

l’attention du public sur l’exploitation du marbre « rose »<br />

de Bula dans les monuments baroques du Roussillon et<br />

du Conflent. Il le fit en plusieurs articles et notules dans<br />

les revues : Les Cahiers des Amis du Vieil Ille et Conflent<br />

(Cazes 1968, 1980 et 1986). Bien entendu, il supposa que<br />

cette roche avait pu servir au Moyen Âge. Aussi conclut-il<br />

en 1969 un premier texte sur la carrière de Bouleternère<br />

en posant ces questions : « Était-elle exploitée au XII e siècle ?<br />

Aurait-elle fourni les marbres de Serrabona ? À défaut de documents<br />

historiques, peut-être quelque expert en minéralogie<br />

pourrait-il répondre à ces questions ? ». Ce sont sans aucun<br />

doute de fort bonnes questions, mais qui n’ont guère eu<br />

d’autre écho que le premier numéro de la revue D’Ille et<br />

d’Ailleurs consacré à Bouleternère (Tosti 1986b) et qui<br />

n’ont pas suscité l’intérêt des spécialistes, sauf tout récemment<br />

(Vaissières 2007). Ce sont du reste des questions<br />

auxquelles il n’est pas facile de répondre aujourd’hui de<br />

façon simple et catégorique, comme nous allons le voir.


264 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

1- Localisation des Pedreres sur le synclinal de Bouleternère. En pointillés jaunes, les zones d’extraction médiévales et modernes du<br />

marbre. En tiretés rouges, l’ancien chemin. Points bleus : traces de coups de mine. Cercles jaunes : fours à chaux F1 et F2 (F3 : fours à tuile<br />

ou four à chaux ? ; F4 : structure maçonné, four ?). Carrés rouges : cabanes en pierre sèche, C1 à C4. Fronts de carrières contemporaines :<br />

A1 à A5. Les triangles rouges indiquent la position des coupes 1 et 2 sur la piste DFCI (orthophoto conseil général des P.-O.).<br />

Par hypothèse, et compte tenu de la proximité entre<br />

le prieuré de Serrabona et le site des Pedreres, il semblait<br />

en effet fort intéressant de pouvoir déterminer l’origine<br />

des divers marbres aux nuances rouges afin de pouvoir<br />

les distinguer objectivement. C’est pourquoi, profitant<br />

de l’opportunité offerte par les recherches entreprises sur<br />

la <strong>montagne</strong> brûlée, nous nous sommes lancés sur cette<br />

piste quelque peu aventureuse.<br />

À Serrabona, la provenance du marbre des colonnes et<br />

chapiteaux de la tribune du XII e siècle n’est pas connue<br />

par les textes. Elle a été attribuée au marbre rouge « flammé<br />

de Villefranche » par les historiens qui, dans le sillage<br />

de M. Durliat, se sont appuyés sur le style d’un même<br />

atelier rapprochant ces sculptures de celles de la tribune<br />

de Saint-Michel-de-Cuxa dont la provenance des matériaux<br />

semblait, plus logiquement, se trouver en Conflent,<br />

sur les proches filons du synclinal de Villefranche.<br />

Or, on ne sait pas trop ce qui comptait le plus dans le<br />

choix des roches colorées. Il n’est pas évident que la richesse<br />

des couleurs de la pierre ou l’aptitude des grains à réfléchir<br />

la lumière ait été un critère toujours déterminant . Par<br />

contre la résistance de la matière première à la compression,<br />

une homogénéité et une finesse qui la rendent docile<br />

sous le ciseau et sa capacité à facilement se polir, sont<br />

des critères qui n’ont guère dû varier. Mais la question de<br />

l’origine des matériaux par rapport à la richesse de ses coloris<br />

se pose quand même assez tôt dans l’art roman, dès<br />

le XII e siècle, avec l’apparition d’un contraste voulu dans la<br />

coloration des pierres à la façade du prieuré de Marcevol,<br />

selon toute évidence. Cette recherche de polychromie joue<br />

par la suite sur les portails de l’art roman tardif et du gothique,<br />

aux XIII e et XIV e siècles, comme à Elne ou au Palais<br />

des Rois de Majorque (Mallet 2003, 2007).<br />

Les études pétrographiques et minéralogiques qui<br />

sont présentées dans ces pages ont donc pour objet de<br />

caractériser ces pierres colorées et ainsi de contribuer à<br />

. D’autant qu’en certains cas les murs étaient badigeonnés et peints, sans<br />

parfois épargner les marbres et sculptures.


les marbres de Bouleternère<br />

265<br />

2 - Localisation des principaux gisements de pierres marbrières des Pyrénées-Orientales. N° 1 : Les Pedreres de Bula ; n° 2 : gisements du « Marbre flammé de Villefranche<br />

» (Corneilla, Fuilla, Serdinya, Villefranche et Ria) et du faciès « Fleur de pêcher » (Villefranche) ; n° 3 : gisements de griottes des Roques rouges (Serdinya)<br />

et de Belloc (Villefranche) ; n° 4 : marbres blancs de Py ; n° 5 : marbres blancs du Mas Carol (Céret) ; n° 6 : marbre blanc des Cluses ; n° 7 : calcaires dolomitiques<br />

blancs de La Pohada (Banyuls) ; n° 8 : calcaires gris de Thuir ; n° 9 : brèche rouge de Caramany ; n° 10 : « marbres blancs » d’Estagel ; n° 11 : Pedra de les Fonts (Calces) ;<br />

n° 12 : brèches de Baixas ; n° 13 : « marbres » de Tautavel ; n° 14 : carrière de pierre oculaire (calcite) dans la grotte de Sirach ; n° 15 : carrière d’onyx de Fontrabiouse ;<br />

n°16 : carrière de marbre blanc des Encantades (Mosset) ; n° 17 : marbres cambriens (cipolins) du Grau de Canavelles (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

une meilleure connaissance de l’origine des matériaux<br />

ornementaux du département des Pyrénées-Orientales.<br />

Dans cette démarche, il est apparu nécessaire d’étudier,<br />

parallèlement à ceux de Bouleternère, plusieurs des marbres<br />

rouges beaucoup plus connus, issus des carrières<br />

de Villefranche-de-Conflent et de Caunes-Minervois,<br />

site audois de la prestigieuse « Carrière du Roy ». Tous<br />

ces marbres qui appartiennent au cycle hercynien des<br />

Pyrénées et de la Montagne Noire ont fait l’objet, dans<br />

le passé, d’une exploitation active, notamment pendant le<br />

Moyen Âge (Peybernès 2004).<br />

I - Un premier regard sur les<br />

pierres marbrières du département<br />

des Pyrénées-Orientales<br />

Nous proposons ici un rapide tour d’horizon des gisements<br />

de roches marbrières locales (ill. 2), avec un œil<br />

critique du point de vue archéologique, car cette approche<br />

peut aider à mieux comprendre les développements<br />

techniques ultérieurs de notre travail, y compris pour<br />

ce qui est des erreurs d’appréciation que nous avons pu<br />

commettre dans le choix de nos gisements de référence.<br />

La question récurrente de l’origine des marbres monumentaux<br />

est souvent abordée en donnant aux carrières<br />

les plus connues à partir des Temps modernes et<br />

au XIX e siècle – c’est-à-dire aux gisements intensément<br />

exploités qui ont fait l’objet de recensements et produit<br />

de nombreuses archives relatives à des monuments prestigieux<br />

– une origine qui remonte à l’Antiquité romaine<br />

ou au Moyen Âge pour lesquels on ne dispose que très<br />

rarement de sources écrites. Ces attributions peuvent se<br />

fonder sur des travaux archéologiques et pétrographiques<br />

et être avérées, mais elles relèvent le plus souvent de<br />

suppositions. Cette question dépend aussi de la connaissance<br />

plus ou moins précise de carrières qui ne sont<br />

pas toujours accessibles, qui furent épuisées ou qui ont<br />

disparu et aussi de la connaissance concrète de la roche,<br />

celle-ci prenant des dénominations différentes selon qu’il<br />

s’agit de sa désignation par le géologue ou par le marbrier<br />

et, bien entendu, par les historiens et les archéologues.<br />

C’est ainsi que l’on peut confondre plusieurs matériaux<br />

différents et oublier des filons peu connus ou non signalés<br />

dans la littérature.


266 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

En ce qui concerne les marbres blancs des P.-O., par<br />

exemple, deux zones d’extraction sont attestées dans la<br />

littérature, l’une en Vallespir, près de Céret, l’autre en<br />

Conflent, dans le massif du Canigou, au-dessus de Py. Ils<br />

appartiennent aux très vieilles formations cambriennes.<br />

Les marbres de Py, affleurant dans une zone d’intense<br />

broyage, ont été exploités récemment pour faire des poudres<br />

industrielles. Par contre, le beau cipolin de Céret,<br />

proche par sa texture des marbres de Saint-Béat, d’origine<br />

géologique pourtant bien plus récente ( Jurassique,<br />

cycle alpin), a certainement fourni matière à de nombreux<br />

monuments d’époque romane (le portail de l’église<br />

paroissiale de Saint-Jean, à Perpignan par exemple), ce<br />

que tendent à prouver les analyses poussées qui en ont<br />

été faites (Gély 1994, Blanc et Gély 2002, Pagnez 2002).<br />

Un milliaire antique trouvé en Ampourdan a également<br />

été attribué à ce marbre (Alvárez, Rodà, Mayer 2001).<br />

Or, les prospections de G. Castellvi et J.‐C. Bessac<br />

dans la vallée de la Rome ont permis de découvrir dans<br />

les Albères, près du Boulou, à la marge de la plaine du<br />

Roussillon et quasiment sur le trajet de la Via Domitia,<br />

un filon de ce type de marbre. Cet affleurement fut pratiquement<br />

anéanti par le passage de l’autoroute, mais le<br />

portail de l’église romane de Les Cluses en provient, sans<br />

trop de doutes, et très probablement aussi la cuve baptismale<br />

du XII e siècle de l’église d’Argelès, sculptée par un<br />

tailleur de pierre du Boulou . Il serait donc hasardeux<br />

d’attribuer systématiquement toute pierre taillée en marbre<br />

blanc aux gisements du Vallespir sans procéder à des<br />

examens approfondis des gîtes potentiels.<br />

Enfin, sur cette question des marbres blancs « de<br />

Céret », nous verrons qu’il existe dans les marbres colorés<br />

du Dévonien, à Villefranche, mais surtout à Bouleternère,<br />

de larges passées incolores qui peuvent parfois soutenir<br />

une comparaison hâtive avec les précités. Un bon exemple<br />

du profit qui peut être tiré de contrastes entre de très<br />

larges veines blanches et celles qui sont colorées se trouve<br />

sur le portail baroque très tardif de l’église Saint-Étienne,<br />

à Ille-sur-Têt . Il semble cependant que l’on ne puisse tirer<br />

de ces variations blanches du marbre rouge, que des<br />

. Inscription : « Magister Guillelmus Marchi de Volono me fecit », sans date,<br />

mais attribuée au XII e siècle par Louis de Bonnefoy (Bonnefoy 1868, p. 124, Argelès,<br />

n° 264, église, fonds baptismaux). C’est aussi à un tailleur de pierres de ce<br />

secteur que l’on pourrait rattacher la croix tombale ornée d’une polka plantée<br />

devant l’église romane de Saint-Martin-de-Fenollar (Martzluff et alii 2008).<br />

. Dont la provenance n’est pas établie, mais qui ne semble pas trop pouvoir<br />

venir des Pedreres de Bula, compte tenu des qualités du matériau et de l’historique<br />

détaillé plus loin dans ces pages.<br />

éléments de moindre éclat et de faible ampleur, ne dépassant<br />

pas le mètre en extension.<br />

Certains calcaires colorés dans les rouges peuvent prêter<br />

à confusion avec les marbres de l’orogénèse hercynienne<br />

teintés dans des tonalités semblables. En la matière,<br />

il convient de mentionner une brèche de couleur pourpre<br />

à ciment blanc, très métamorphisée, qui affleure en<br />

petites inclusions dans le pluton granitique d’Ansignan-<br />

Caramany, par exemple près de l’ancien pont sur l’Agly<br />

de cette dernière localité. Cette roche peu connue et tout<br />

à fait typique en Fenouillèdes, prend parfois un aspect<br />

assez proche des marbres rouges du Conflent. Il est certain<br />

qu’elle fut exploitée pendant l’Antiquité, puisqu’un<br />

socle sculpté dans ce matériau fut dégagé lors des fouilles<br />

préventives d’un habitat de cette période, non loin du<br />

gisement connu. Toutefois, compte tenu de l’originalité<br />

culturelle de cette contrée des Corbières pendant la colonisation<br />

latine, il est peu probable que la diffusion de<br />

cette brèche se soit étendue au Roussillon . Par contre,<br />

elle pourrait avoir trouvé une certaine faveur en plaine<br />

pendant l’Antiquité tardive, puisqu’à première vue, les<br />

fragments de colonnes trouvés sur le site de l’Aspre du<br />

Paradis, à Corneilla-del-Vercol, sont taillés au VI e siècle<br />

dans ce matériau des Corbières .<br />

Au titre des confusions possibles, il convient également<br />

d’isoler le marbre griotte, roche de couleur rouge sombre<br />

très homogène à structure nodulaire, avec traces fossilifères<br />

rondes (goniatites) emplies de calcite blanche. Cette<br />

roche d’âge plus récent que les marbres rouges sousjacents,<br />

également plus dure et difficile à travailler, ne se<br />

trouve apparemment qu’à Villefranche-de-Conflent dans<br />

cette extrémité des Pyrénées, sur une crête en rive gauche<br />

de la Têt, près de la chapelle romane de Belloc où<br />

elle fut employée dans le bâti. Le linteau fendu du portail<br />

du prieuré de Marcevol en est très probablement issu.<br />

Mais à la fin du XIX e siècle, ce sont des affleurements<br />

plus lointains dans la <strong>montagne</strong> (l.-d. Roque rouge), sur<br />

la commune de Serdinya, qui sont exploités en carrière<br />

comme en témoigne la fontaine monumentale qui fait<br />

face à l’église de Prades.<br />

. Fouille de J. Kotarba sur l’emprise du barrage d’Ansignan-Caramany et du<br />

même auteur, dans cet ouvrage chap. V, sa réflexion sur le groupe culturel « de<br />

l’arrière pays ». L’origine précise des marbres colorés pendant l’Antiquité est une<br />

piste de recherche à envisager, car un petit nombre de blocs ouvragés en marbre<br />

rosâtre ont été retrouvés en fouille sur les sites romains dans la plaine du Roussillon<br />

(au Petit Clos, à Perpignan, par exemple). Certains parements montrent de<br />

gros fossiles qui excluent des gisements locaux, semble-t-il, mais d’autres ont un<br />

aspect approchant le marbre rouge du Roussillon ou du Conflent.<br />

. Site wisigothique du VI e siècle fouillé par Annie Pezin (Pezin 1999).


les marbres de Bouleternère<br />

267<br />

3 - Les variétés du « marbres flammé de Villefranche » : bordures de trottoir et seuil<br />

de maison (« Violet de Ria », en haut à droite). Pour comparaison : le pavé plus clair au<br />

centre est d’un faciès « Fleur de pêcher » (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

Les marbres rouges typiques du Conflent, quant à<br />

eux, ont récemment reçu l’appellation « MFV » (marbre<br />

« flambé » – ou « flammé » – de Villefranche) pour<br />

les distinguer des marbres rouges du Minervois nommés<br />

« MRL » (marbres rouges du Languedoc : Peybernès<br />

2004) . Cette dénomination commode est quelque peu<br />

abusive puisque les marbres qui ont fait la renommée<br />

de Villefranche pendant la période contemporaine proviennent<br />

en réalité des communes voisines, et surtout<br />

de Corneilla-de-Conflent, de Fuilla et de Serdinya (Van<br />

Ebbenhorst 2000). Ils comportent également plusieurs<br />

faciès (ill. 3), pouvant aller du rosâtre au violet (variété<br />

parfois nommée « Violet de Ria » ). En effet, le territoi-<br />

. Dans son magnifique ouvrage, J. Dubarry de Lassale caractérise 5 catégories<br />

de marbres de Caunes (Dubarry 2006) :<br />

- le « Turquin de Caunes » (carrières du plateau de Terralbe, dont la « carrière<br />

du Roy », commune de Caunes-Minervois ; masses grises de calcite soulignées<br />

de filets noirs noyées dans un ciment incarnat à orangé fragmenté par des microfilms<br />

de calcite blanche ; employé dans la basilique Saint-Pierre à Rome) ;<br />

- l’« Incarnat turquin » (La Terralbe, « Carrière du Roy », rouge à orange avec<br />

section de polypiers et tiges de crinoïdes, peu de cassures et fissures postérieures<br />

à la formation, variation d’un marbre qui se trouve dans d’autres carrières<br />

de l’Aude et aussi à Saint-Nazaire-de-Ladarez, Hérault ; matériau utilisé<br />

à Versailles et pour l’arc de triomphe du Carrousel, le Jardin des plantes à<br />

Toulouse) ;<br />

- le « Rouge du Languedoc » (carrière de la Boriette, Notre Dame du Cros, près<br />

de Caune ; rouge homogène à tâches blanches sans tâches grises, structure<br />

amygdaloïde avec traces fossiles, des encrines et coquilles en calcite) ;<br />

- le « Rouge antique » (carrière Villerambert, La Boriette, commune de Caunes,<br />

calcaire cristallin fin sub-lithographique de couleur rouge brique avec<br />

encrines ; le véritable « rouge antique » était exploité en Grèce et il existe un<br />

même faciès à Mourèze, Clermont-l’Hérault ; décoration, pendules, balustres<br />

de l’Opéra Garnier) ;<br />

- le « Gris de Caunes moucheté » (gris avec passées noires zonées en couches<br />

superposées - stomatolithes ? - sur fond clair mélangé de rose avec quelques<br />

fissures de calcite blanche ; utilisé en décoration ; filon épuisé).<br />

. S’il n’y a du marbre sur la commune de Ria, ce ne peut être que sur les hauts<br />

re de Villefranche est très exigu le long de la Têt et cela<br />

pose un sérieux problème puisque nous ne connaissons<br />

pas l’emplacement exact des carrières du Moyen Âge, ni<br />

même des nombreux sites d’extraction exploités à la fin de<br />

l’Ancien Régime. Les carrières anciennes ont disparu sous<br />

leur forme évidente, les unes ayant sans doute été fortement<br />

remaniées à la fin du XVII e siècle lorsque Vauban<br />

fortifia la place, les autres à la fin du XIX e siècle avec la<br />

construction de la voie ferrée et de la route nationale et<br />

enfin avec l’exploitation des carrières contemporaines.<br />

Il s’en suit que nous avons commis la maladresse pour<br />

cette étude d’effectuer nos prélèvements concernant le<br />

« MFV » dans deux carrières visibles et très accessibles,<br />

situées en rive droite de la Têt, c’est-à-dire sur la commune<br />

de Corneilla : la carrière de la marbrerie de Ria,<br />

près du pont du chemin de fer sur la RN 116 et celle de<br />

la citerne Vauban, qui domine Villefranche vers le sud,<br />

au sommet du plateau calcaire qui domine la ville. Or, il<br />

existe une autre variété des marbres de Villefranche que,<br />

pour l’instant, nous n’avons rencontré nulle part ailleurs.<br />

Il s’agit du faciès « Fleur de pêcher de Villefranche ou de<br />

Ria » (Dubarry op. cit.). Il est décrit comme un matériau<br />

cristallin à couleur dominante violette, recoupée par de<br />

larges veines de calcite blanche à grand cristaux (aspect<br />

d’onyx) qui traduisent de fortes contraintes tectoniques.<br />

Sa structure est soulignée par des veinules vertes chloriteuses<br />

; les parties calcaires (roses ou violets) étant parsemées<br />

de grains ferrugineux rouge sombre .<br />

Nous avons tenté de retrouver ces gisements, fort mal<br />

situés par les textes entre Villefranche et Ria, aux alentours<br />

de la cité fortifiée. Et en effet, il existe en rive gauche,<br />

près du fleuve, depuis la pente située sous l’ermitage de<br />

Notre-Dame de Vie (anciennement de la Roca) et presque<br />

jusqu’à la gare, des roches qui semblent correspondre<br />

à la définition du « Fleur de pêcher » (ill. 4 et 5). Ce sont<br />

en tout cas ces matériaux qui ont servi à bâtir une bonne<br />

partie des maisons et monuments de cette ville. Ils sont<br />

en général très patinés, paraissant avoir subi une perte<br />

de coloration plus rapide que les autres avec le temps.<br />

de la petite partie calcaire que possède cette commune en rive droite de la Têt<br />

dans le massif des Embulles où se trouvent les grottes de la Chance et la grotte<br />

Marie. Par contre, Ria est souvent cité parce que la marbrerie qui a le plus diffusé<br />

cette roche à partir de la fin du XIX e siècle se trouve sur ce territoire, près<br />

de la gare et des hauts-fourneaux de l’usine, cf. Martzluff, chap. XVI.<br />

. D’après Dubarry, l’appellation dérive du marbre italien « Fior di pesco » de<br />

Serravezza (Bassin de Carrare) « une brèche hétérogène à structures concrétionnées<br />

ou zonées fortement recristallisées, rosâtres, qui évoquent des fleurs »<br />

(et ses variantes sur le même gisement : la brèche « arlequino »). Un autre<br />

marbre « Fleur de pêcher » est extrait à Saint-Pons (Hérault).


268 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

5 - Éclats de taille en marbre « FP » faits au marteau et trouvés sur la pente, au-dessus<br />

de l’entrée de l’escalier montant au fort Libéria, en rive gauche de la Têt. Éléments nettoyés<br />

à l’acide pour supprimer la patine. On remarque bien la gangue envahissante<br />

du schiste vert chloriteux autour des nodules de calcite diversement colorés dans les<br />

tonalités rouges (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

4 - Les variétés du marbre « Fleur de pêcher » de Villefranche non patiné : en haut,<br />

seuil du grand portail de l’église romane de Villefranche ; en bas à gauche, inscription<br />

funéraire murale près du petit portail et à droite, bordures de trottoir. Près de la mire<br />

et pour comparaison, du marbre « MFV » typique (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

Il s’agit en réalité d’une variation globalement plus pâle des<br />

« MFV », disons comportant de larges passées blanchâtres<br />

ou bien localement composées de marbrures violacées<br />

et qui se chargent en filets chloriteux verdâtres, devenant<br />

de plus en plus importants lorsqu’on progresse vers l’aval,<br />

le long du fleuve. Face à la citadelle, ces parties schisteuses<br />

vertes envahissent le matériau, cloisonnant le calcaire et<br />

lui donnant un aspect tout à fait caractéristique. Ces roches<br />

sont quelquefois traversées par les minces veines d’un<br />

minéral brun qui ressemble tout à fait à la goethite, minéral<br />

qui caractérise aussi certains échantillons des Pedreres<br />

de Bula, comme nous le verrons. Ces affleurements très<br />

particuliers disparaissent vers la gare alors qu’apparaissent<br />

des intrusions de roches schisteuses et cristallines qui<br />

prouvent que nous sommes là très près du toit des séries<br />

paléozoïques inférieures et des intrusions plutoniques,<br />

dans une zone d’intense métamorphisme.<br />

Il semble que le matériau le plus cloisonné par les filons<br />

schisteux, c’est-à-dire celui qui est le moins proche d’un<br />

marbre traditionnel, puisse quand même se polir pour<br />

donner un agréable effet de mosaïque alliant le vert, le<br />

blanc et le rouge foncé. Un effet qui était sans doute recherché,<br />

ce que prouve sa présence dans les parties les plus<br />

nobles de certains monuments médiévaux, par exemple<br />

le petit portail de l’église de Villefranche, deux colonnes<br />

sur quatre de l’imposant portail roman de Corneilla-de-<br />

Conflent ou encore la principale table d’autel de l’église<br />

de Serrabona. Mais ce façonnage pourrait tout aussi bien<br />

témoigner de l’épuisement au cours du Moyen Âge des<br />

gisements les meilleurs et les plus facilement accessibles<br />

du « MFV » sur le territoire proche de la ville ou<br />

encore d’une certaine absence de moyens pour atteindre<br />

les meilleures roches, voire d’un changement dans les<br />

techniques et/ou dans les goûts, impulsé par une nouvelle<br />

école. Dans tous les cas, le faciès le plus typique de<br />

cette variété, le plus cloisonné, constitue – sous réserve<br />

d’études géologiques plus poussées que ces simples reconnaissances<br />

– la véritable signature des exportations<br />

médiévales du marbre de Villefranche, du moins dans la<br />

période où ces roches commencent à être utilisées (plutôt<br />

à la fin du XII e siècle, d’après les enchaînements stéréotomiques<br />

des deux portails de l’église Saint-Jacques de<br />

Villefranche, comme nous le verrons dans la partie IV.3)<br />

et au XIII e siècle, semble-t-il, d’après la mode de plaques<br />

funéraires murales faites en cette roche dans les églises et<br />

bien datées de cette période (Villefranche, Marcevol).<br />

D’autres types de roches marbrières, appartenant cette<br />

fois à l’orogenèse alpine, les brèches dites de « Baixas »,<br />

ont été exploitées depuis le XIII e siècle, au moins, dans le<br />

premier contrefort des Corbières, non loin de Perpignan,<br />

ville qui en recèle les très abondants vestiges souvent gravés<br />

des marques de tâcherons (Vaissières 2002). Ce matériau<br />

est classé en deux catégories : la « Brèche orientale »,<br />

la plus répandue, avec des éléments sombres importants,<br />

et la « Brèche romaine », plus pâle (Dubarry op. cit.).<br />

Un autre type moins connu de roche (« La pedra de las<br />

Fonts ») se trouve près de ces gisements de brèche entre


les marbres de Bouleternère<br />

269<br />

Baixas et Calces (Mas de Les Fonts) et caractérise également<br />

certains monuments médiévaux tardifs (la Loge<br />

de Mer à Perpignan, par exemple). Mais il s’agit d’une<br />

sorte de travertin induré et ce n’est donc pas une roche<br />

marbrière susceptible de prendre un beau poli. Les brèches<br />

de Baixas se développent aussi en direction de la<br />

commune d’Estagel, puisqu’une carrière du XVIII e siècle<br />

livre en 1781 du « marbre blanc d’Estagel », un matériau<br />

proche de la brèche romaine, mais plus pâle, voire immaculé,<br />

qui forme l’essentiel de l’aiguille et les statues de<br />

l’« Obélisque » à Port-Vendres 10 .<br />

À cette exploitation des brèches dites de Baixas, s’ajoutent<br />

dans la région de Tautavel des gisements de roches<br />

calcaires crétacées plus ou moins marmoréennes et diversement<br />

colorées dont un inventaire du XIX e siècle nous<br />

livre la richesse (Tiffou 1934). Il s’agit souvent de calcaires<br />

qui, d’après les descriptions, ont un aspect voisin des<br />

roches conglomératiques précédentes. Par ailleurs, les<br />

calcaires blancs crétacés très purs et parfois dolomitiques<br />

qui parcourent le massif des Corbières à hauteur de<br />

Tautavel et de Vingrau sont actuellement exploités pour<br />

faire des poudres industrielles, mais ils ont en principe<br />

pu produire des éléments pour l’architecture ou pour la<br />

statuaire.<br />

Enfin, nous avons recherché des marbres colorés du<br />

type « MFV » en procédant à quelques explorations sur<br />

le Causse de Thuir qui constitue une autre marge <strong>montagne</strong>use<br />

de la plaine du Roussillon où de grandes carrières<br />

exploitent actuellement des calcaires gris pour<br />

travaux publics d’âge dévonien. Une des particularités<br />

de ce calcaire, en particulier dans sa partie méridionale,<br />

près de Sainte-Colombe-de-la-Commanderie où il jouxte<br />

les schistes sous-jacents, est d’être traversé par des filons<br />

brunâtres, qui incluent très probablement de la goethite 11 .<br />

Sur le Causse, dans le ravin d’En Palot, existent d’anciennes<br />

carrières ayant utilisé le débitage à la mine lente dans<br />

des calcaires compacts gris. Vers l’amont, nous avons trouvé<br />

quelques minuscules affleurements de marbre rosâtre.<br />

Mais cette zone, qui a été parcourue par de terribles incendies<br />

à la fin du XX e siècle, est aujourd’hui difficilement<br />

accessible en raison d’inextricables broussailles.<br />

II - Les Pedreres de Bula : archéologie<br />

et histoire de carrières fantômes<br />

Les carrières-ateliers de Bouleternère n’avaient jamais<br />

été retrouvées et pour cause : elles n’étaient point telles<br />

qu’on aurait pu les imaginer. L’abbé A. Cazes les avait<br />

toutefois vaguement localisées sur le massif calcaire qui<br />

borde le col de Ternère au sud, le reste des pentes étant<br />

composé de schistes. Il faut dire aussi que le pointage<br />

d’une exploitation marbrière sur ce synclinal calcaire était<br />

des plus difficiles, les géologues n’en n’ayant rien dit. La<br />

carte géologique de Prades au 1/80 000 qui couvre cette<br />

zone ne fait pas mention de ces gisements et les nouvelles<br />

cartes au 1/50 000 ne comprennent pas encore ce secteur<br />

12 . De plus, en inondant le Roussillon de pierres à<br />

bâtir, de monuments funéraires, de montants de cheminées,<br />

de mortiers et d’éviers de cuisine, la grande carrière<br />

établie dans le synclinal de Villefranche-de-Conflent à la<br />

fin du XIX e siècle, près de la gare de Ria (commune de<br />

Corneilla), pour servir les hauts-fourneaux et la marbrerie<br />

de l’usine, a donné une fameuse publicité au marbre<br />

du type « MFV » qui est en quelque sorte devenu le label<br />

de ces roches partout où l’on peut les voir dans le département<br />

13 .<br />

I.2 - Les données du terrain<br />

En surface des pentes, la localisation de zones de dispersion<br />

d’éclats de marbre (ill. 6), souvent repris dans les<br />

murs de feixes (ill. 7) ou dans la construction de cabanes<br />

en pierre sèche (point 337, ill. 1, C 1 et C 2), a permis de<br />

délimiter deux secteurs nettement séparés, l’un pouvant<br />

se subdiviser en deux parties (ill. 1, P 2 et P 3). Le premier<br />

secteur (ill. 1, P 1) est logé entre les côtes 290‐300 m,<br />

vers le nord, au bas de la portion sommitale du plateau,<br />

incliné en direction méridienne. Il est limité vers le sud<br />

(et vers le haut de la pente) par une discrète encoche<br />

dans le substratum rocheux qui avait échappé à l’attention<br />

lors des premières prospections, car la surface des<br />

marbres est ici grise. Il s’agit d’une patine ne permettant<br />

pas de distinguer ces filons des autres roches calcaires.<br />

10. ADPO, 1C- 1161, document aimablement communiqué par Annick Chelles<br />

des ADPO.<br />

11. C’est une roche de ce type assez particulier, grise avec de nombreuses<br />

veines marron à ocre, qui a été employée entre 1812 et 1814 pour construire<br />

le théâtre de Perpignan.<br />

12. Lors des deux journées d’études organisées en juin 2007 autour de ces<br />

prospections à l’université de Perpignan, nous avons appris que le géologue<br />

F. Llac avait noté l’existence de ces affleurements et de leur exploitation dans<br />

une étude géologique non publiée qu’il avait réalisée dans cette zone alors<br />

qu’il préparait sa thèse.<br />

13. Martzluff, chap. XVI.


270 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

6 - Les Pedreres de Bouleternère. Sol jonché d’éclats, les plus<br />

petits étant indiqués par des flèches (cl. M. Martzluff ).<br />

7 - Les Pedreres de Bouleternère. Murettes du versant sud du synclinal formées de gros débris en marbre issus<br />

de l’exploitation (cl. M. Martzluff ).<br />

8 - Les Pedreres de Bouleternère. Extrémité aval du front<br />

de taille de la carrière P. 1. La flèche indique l’enlèvement<br />

d’une écaille au marteau, le marbre ayant ici en surface la<br />

même coloration que les calcaires gris (cl. M. Martzluff).<br />

Le marteau du géologue a donc permis<br />

de retrouver ce front de carrière peu<br />

élevé qui, par ailleurs, ne livre pas de<br />

trace de coups de mine (ill. 8).<br />

C’est aussi à l’intérieur de cette conque que l’on trouve plusieurs amas<br />

de pierres recélant des roches vitrifiées, très probablement une batterie<br />

de grands fours à chaux (ill. 1, F 1). Le matériel céramique récolté en<br />

surface ne livre rien qui puisse être clairement rattaché au Moyen Âge,<br />

les tessons les plus fréquents datant des XVIII e ‐XIX e siècles. La rareté<br />

des fragments de parements en marbre permet de supposer que ces fours<br />

ont utilisé les déblais de carrière. Un mur qui longe le secteur vers l’est,<br />

bordant un chemin qui arrive facilement jusqu’au sommet depuis le ravin<br />

de Montjuich (ill. 1, pointillés rouges) se termine par une cabane en pierre<br />

sèche effondrée (ill. 1, C 1) dont la construction a largement puisé dans<br />

les éclats de taille. Entre cette zone d’exploitation et les suivantes, vers la<br />

ligne de falaise qui surplombe le ravin au sud, se trouve une grande parcelle<br />

qui était profondément défoncée en 2006. Elle ne recélait aucun vestige<br />

de taille, mais comportait quelques affleurements de marbres dont<br />

des blocs furent déchaussés par le soc de la sous-soleuse, certains étant<br />

composés d’un matériau bien blanc. Leurs dimensions sont cependant<br />

modestes. L’absence d’éclats montre qu’il n’y a visiblement pas eu d’exploitation<br />

dans cette zone intermédiaire.<br />

Les sites P 2 et P 3 se développent sur le flanc méridional, la principale<br />

zone d’extraction se positionnant sous la crête, à la côte 320 m. Les<br />

blocs taillés qui ont glissé sur la pente sont de plus fort volume et ont<br />

servi à l’édification de murs de soutènement (ill. 7). D’énormes rochers<br />

ont été mis en équilibre par le travail des carriers ; certains ont roulé sur<br />

le versant, attestant l’emploi probable de la mine, sans que n’en n’ayons<br />

retrouvé la trace pour l’instant. Ce versant sud du synclinal, bien protégé<br />

de la tramontane, a été moins ravagé par les flammes que les autres<br />

pentes. Il est donc peu lisible pour y trouver du petit mobilier archéologique.<br />

Il a par ailleurs été fortement remodelé par les mises en culture.


les marbres de Bouleternère<br />

271<br />

Les Pedreres<br />

Ravin de<br />

Montjuich<br />

Versant<br />

sud/sud-ouest<br />

Sol avec<br />

éclats de taille<br />

Substrat :<br />

calcschistes<br />

versicolores<br />

altérés et ravinés<br />

à leur sommet<br />

Piste<br />

9 - Les Pedreres de Bouleternère. Flanc sud du synclinal, zone d’exploitation P. 2. Coupe 1 : base de la série des marbres. Zone des calcaires à filons de goethite (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

Près du contact entre les calcschistes versicolores qui<br />

forment la base de la série (ill. 1 coupe 1 et ill. 9), ligne<br />

que suit plus où moins la piste DFCI longeant le ravin<br />

de Montjuich, et en particulier au bas du secteur oriental<br />

(P 2), les roches marbrières montrent de nombreuses inclusions<br />

d’un minéral de couleur caramel ou chocolat, ici<br />

identifiées comme de la goethite. Ces filets, souvent développés<br />

en bandes épaisses, existent aussi dans la roche<br />

calcaire grise. On retrouve cette association entre calcaire<br />

et/ou marbre et goethite en épais filons dans le versant<br />

nord du synclinal, sur le front de carrière A 3, qui est également<br />

proche des schistes de base 14 . C’est la raison pour<br />

laquelle nous avançons l’hypothèse que l’exploitation<br />

moderne du massif a pu se concentrer, au XVII e siècle,<br />

plutôt sur ce flanc méridional, dans les secteur P 2, car la<br />

carrière fournit à cette époque dans les monuments baroques<br />

du Roussillon des blocs traversés par ces gros filons<br />

peu esthétiques et se polissant mal.<br />

Le long de la piste, quelques coupes dans le versant<br />

14. Martzluff, Chap. XVI., ill. 2, 3, 15 et 16.<br />

montrent des déchets de carrière en position stratigraphique.<br />

L’une d’elles est fort intéressante car on y relève<br />

au moins deux grands niveaux d’éclats de taille, la couche<br />

de base étant profondément enfouie dans ce qui semble<br />

être le fond d’un léger talweg (ill. 1 coupe 2 et ill. 10). Il<br />

est malheureusement impossible de juger sur le site d’une<br />

évolution des techniques d’après les traces d’outils puisqu’il<br />

ne reste quasiment rien de mieux que ces traînées<br />

d’éclats, souvent petits et plus ou moins enfouis. Toutefois,<br />

la morphologie des déchets qui ont échappé à l’utilisation<br />

comme matière première dans les fours fait état d’un<br />

travail au marteau têtu (talons larges et hauts, ill. 11) et<br />

d’un équarrissage soigneux avec des chasses (ill. 12). Par<br />

exemple, nous n’avons pas trouvé les gros éclats encochés<br />

au niveau du talon filiforme et qui sont typiques du débitage<br />

et du dressage des blocs avec de lourds pics de fer,<br />

vestiges que nous croyons plutôt d’époque moderne 15 .<br />

15. Ces éclats peuplent les puits réalisés dans une exploitation des grès siliceux<br />

pour fabriquer des meules à la Carrière des Moleres, au Boulou, cf. Martzluff et<br />

alii 2008, ill. 343 ; voir aussi cet ouvrage, Martzluff, chap. XI, ill. 13.


272 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

10 - Les Pedreres de Bouleternère. Flanc sud du synclinal, zone d’exploitation P. 2. Coupe 2 : couches archéologiques avec éclats de marbre (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

11 - Les Pedreres de Bouleternère. Flanc sud du synclinal, zone d’exploitation P. 2. Échantillon<br />

Pedrera n° 3 : gros éclat de taille au marteau, talon éversé (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

12 - Les Pedreres de Bouleternère, zone d’exploitation P. 1. Petit éclat de marbre au talon<br />

filiforme et fissure de type Siret. Sur la face inverse, un encroûtement de calcite<br />

secondaire forme une fâcheuse patine grise, très commune sur ce matériau. Échelle<br />

en cm (D.A.O. M. Martzluff ).


les marbres de Bouleternère<br />

273<br />

Il y a sans doute ici une économie de la matière première,<br />

bien que l’on retrouve de grands éclats et débris épais dans<br />

du marbre bien coloré sur le versant sud où il faudrait<br />

d’ailleurs pousser plus loin les investigations (ill. 6 et 7).<br />

Si l’on se fie aux coupes réalisées dans les carrières<br />

contemporaines du versant septentrional, il semble bien<br />

que les filons de marbre ont eu une faible extension verticale.<br />

Leur coloration semble en général plus pâle que<br />

dans les meilleurs filons « MFV », rose avec des passées<br />

jaunâtres à saumonées caractéristiques. Il s’agit d’une roche<br />

semblant se patiner plus vite, ce que l’analyse lithologique<br />

confirme. Deux faciès particuliers, soit bien blanc,<br />

soit rosâtre à blanchâtre avec des marbrures bleutées et<br />

orangées, existent aussi, sans toutefois que nous ayons<br />

pu bien isoler cette dernière variété à partir des simples<br />

éclats et des débris. Elle est mieux identifiable sur les<br />

monuments baroques polis attribuables avec certitude à<br />

cette carrière. Mais il existe aussi des variations vers des<br />

tonalités rouge foncé, voire violettes, sur pas mal de débris<br />

lorsqu’ils sont nettoyés. Par contre, le faciès « FP »<br />

n’existe apparemment pas à Bouleternère.<br />

II.2 - L’apport de la documentation<br />

écrite<br />

Les textes qui témoignent de l’extraction des roches de<br />

Bouleternère (Bula) dans une carrière sont plus ou moins<br />

explicites. Les uns concernent la simple mention du toponyme<br />

lors de confrontations des propriétés et s’étalent sur<br />

près de trois siècles, entre 1382 et 1623. D’autres signalent<br />

le nom des tailleurs de pierre dans divers actes notariaux<br />

entre 1510 et 1664, ainsi que celui des chaufourniers, entre<br />

1382 et 1606 ou encore mentionnent des fours à chaux<br />

associables au marbre local, entre 1564 et 1611, voire jusqu’en<br />

1766 16 . Ces textes s’inscrivent donc globalement entre<br />

la fin du XIV e siècle – quand le nom de lieu Pedrera est<br />

déjà bien établi – et la moitié du XVIII e , avec une intensification<br />

à partir du XVI e siècle. Pour limiter les propriétés,<br />

ce lieu-dit est toujours cité au singulier, avec deux graphies :<br />

d’abord la Pedrera en 1382, puis la Padrera à partir de 1390.<br />

Le pluriel les Pedreres, qui est la forme actuelle du toponyme,<br />

n’intervient que tardivement, au XVI e siècle. Alors<br />

que le singulier est encore attesté en 1552 avec la Peyrera,<br />

puis la Padrera en 1571, apparaissent en effet en 1517 les<br />

Pedroses, puis en 1611 las Padreras associé aux mentions<br />

16. C. Jandot, chapitre XI, annexes II.<br />

de fours à chaux qui exploitent sans doute à ce moment-là<br />

plusieurs versants et le sommet du synclinal 17 .<br />

Au début du XVI e siècle, en 1513, les marbres de<br />

Bouleternère doivent paver le nouveau Saint-Jean, à<br />

Perpignan 18 . Au mitan du siècle (peu après que la ville de<br />

Bula eut été ravagée en 1542 par les troupes françaises)<br />

un texte nous renseigne sur le fait que les marbres de la<br />

Pedrera sont transportés à Perpignan pour des œuvres<br />

funéraires 19 . À la fin du siècle, un autre atteste que cette<br />

roche locale est bien acceptée au sens noble de lapis columnaris,<br />

malgré la faible extension des filons, ce qui amène<br />

de longues précisions sur le fait que ces colonnes sont en<br />

réalité formées de quatre tronçons 20 .<br />

Au début du XVII e siècle, ce sont surtout les sources<br />

concernant les enchères et les reçus de quittances pour<br />

la construction du nouveau portail baroque de l’église<br />

N.-D. La Real, à Perpignan (1633-1634) qui ont retenu<br />

l’attention des érudits en mettant en lumière l’exploitation<br />

des marbres de Bouleternère 21 (Cazes 1969).<br />

17. C’est d’ailleurs en 1611 le dernier signalement explicite pour les fours de<br />

ces pedreres, celui « d’en Morer », cité en 1766, étant mal situé entre Ille et<br />

Bouleternère (C. Jandot, op. cit.) : Vuy 25 avril 1766 com tinch comprat tres<br />

cargas de cals al furn dit den Morer a preu de vint sous la carga : 3 £. (ADPO,<br />

3 E 16/797, livre de raison d’Esteve Robello, pagès d’Ille, 1763‐1770, p. 40).<br />

18. ADPO C. 1235, d’après A. Cazes 1978 notule dans la revue Conflent<br />

n° 103, p. 33-34.<br />

19. Le 1 er décembre 1557, deux tailleurs de pierre-maçons d’Ille, ont promis<br />

de livrer au lieu de Bouleternère, à Jaume Elra, marchand de Perpignan, différentes<br />

pièces en pierre à charger sur une charrette : Petrus Bauxa et Joannes<br />

de Fita peyrerii ville Insule Gratis etc promiserunt et convenerunt dare et liberare<br />

in loco de Bula a carregador de carreta honor. Jacobo Elra mercatori ville<br />

Perpiniani presentem etc pecias lapideas sequentes et infrascriptas et primo<br />

sinch pedres per aixetes de tina quadrades cavades y foradades de tres palms<br />

de llarch y de un palm y mig de tot cayre despessitut item dues pesses de<br />

set palms de montpeller de llarch quiscuna y tres de ampla per tombes de<br />

siminteri y a dites dues pedres gravaran un senyal com los sera donat per dit<br />

Elrra item una pila de una cana de montpeller de llarch y de tres palms de<br />

montpeller de ampla y de un palm y mig de spes y de tres quarts de montpeller<br />

de fondo ab un forat alahun cap que omnia promiserunt tradere [p. ut ?]<br />

supra dictum est sinch per totum mensem februarii proxime venturum pretio<br />

quadraginta librarum monete Perpiniani promiserunt predicta adimplere sub<br />

pena quinquaginta librarum et sub pena tercy etc danda etc foro etc sagiones<br />

etc pro quibus etc (...). (ADPO, 3 E 2/795, Joan Port, notaire de Perpignan,<br />

manuel, 1557, f° 384 v° -385).<br />

20. Le 7 décembre 1596. Inter Guinotum Gordet domorum magistrum seu<br />

peirerum ville Perpiniani ex una et Joannem Sola peirerium ville de Bula est<br />

conventum que lodit J. S. arrencara tant solament per lo dit mestre G. G. de<br />

la pedrera de Bula a la hahont ses arrencada la del Sor Don Francisco d’Ardena<br />

[noble et riche famille qui obtiendra la seigneurie et la vicomté d’Ille au<br />

XVII e siècle] tres centes pedres de les quals les mes xiques han de tenir un palm<br />

de Montpellier vint com las que son en les columnes de la entrada de nostra<br />

senyora de Gratia ço es que ab quatre peres se fac una columna ab tal que dita<br />

columna no sie mes largue que son las de la intrada de la dita NSG sols sien<br />

de aquella gruixa y trenta i sis de la mateixa gruixa que tenen las columnas de<br />

mossen Gaspar Vilanova cavaller sols que tinguen tres palms y mitg de Montpellier<br />

la bonde ( ?) cada columna y les peces que hauran de menester per una<br />

portalada que tiguen quatre palms petits cada peça y les restants a compliment<br />

de dites tres... (A.C.P., Médiathèque, Alart, XXVIII, 544, Manuel de Antoine<br />

Dapi (Papi ?), A-1262). Communiqué par J.-P. Comps.<br />

21. (...). E primerament sapia lo emprenedor dedita obra y portalada que sera<br />

tingut y obligat de fer y donar ben feta bona y assentada y acabada ab tota


274 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

Cet auteur signale par ailleurs l’usage de cette pierre marbrière<br />

pour la construction du portail baroque de l’église<br />

Saint-Sulpice de Bula, achevée en 1659. Pour celle de<br />

Rivesaltes, en 1664, puis pour la nouvelle église Saint-<br />

Étienne à Ille, commencée à cette même date, il ne s’agit<br />

plus que de parties moins spectaculaires du monument<br />

(marches, angles des murs, nervure des voûtes...).<br />

Au XVIII e siècle, les enquêtes ordonnées par les directeurs<br />

des bâtiments du roi, d’abord le duc d’Antin<br />

(rapport Tarlé : « État des marbres », 1712), puis par<br />

Marigny et enfin par le duc d’Angiviller sur les marbres<br />

du Roussillon en 1785, ignorent les Pedreres de Bula. Et<br />

en effet, bien qu’elles contribuent encore à la construction<br />

du parvis de la proche église de Vinça en 1748<br />

(Cazes 1969), leur production semble s’étioler, voire<br />

cesser assez tôt dans le siècle. L’exemple de l’église Saint-<br />

Étienne d’Ille (Sant Esteve del Pedreguet) est assez parlant.<br />

Si ce sont bien des maîtres maçons originaires de Vich,<br />

Morato père et fils, qui construisent la façade en granit<br />

de cet édifice, entre 1702 et 1720, il est fait appel en 1735<br />

à Louis Baux, un marbrier de Caunes-Minervois 22 , pour<br />

édifier le maître-autel (sur les plans de Joseph Cantayre,<br />

sculpteur de Perpignan, il est vrai). Quant au portail monumental<br />

et au grand oculus de la façade, ils furent tardivement<br />

réalisés en 1769‐71 par Chauvenet, sculpteur<br />

à qui l’on doit le maître-autel de Vinça, avec du marbre<br />

blanc pour le fronton et un marbre aux tonalités violacées<br />

à larges bandes blanches pour le reste (Tosti 1988b).<br />

perfectio la dita portalada de pedra picada bona y brunÿda be y decentment ha<br />

coneguda de mes tres experts dins dos anys immediadament seguent apres de la<br />

lliuransa de aquella donant li los dits Anthoni Deviu vidrier y Pere Anthoni Teulera<br />

calsater de la present vila super intendents dedita obra tot lo recapte necessari<br />

per fer aquella com es cosa de pertret y pedra per picar devant dita portalada<br />

dins dit porxo de manera que dit emprenedor sols posara les mans (...).<br />

26 novembre 1633. Mise aux enchères et adjudication du prix-fait à Joseph<br />

Tallach, faberlapidius sive architector de Perpignan, pour la somme de 464<br />

livres de Perpignan.<br />

27 septembre 1634. Joan Roura, mercader de Perpignan, fait quittance à Pere<br />

Anthoni Teulera et Deviu, de la somme de 28 livres de Perpignan, sur les 33<br />

livres dues per portar las pedras dell loch de Bula arraho la carretada un trenti<br />

que acumulan sis carretadas y son per la dita obra de la portalada de Nostra<br />

Seniora, qu’ont reçues Francisco Puigbert, cordonnier, administrateur du Pain<br />

bénit de ladite église, Antoni Boixe, tailleur, Bernat Paulet, boulanger et Antoni<br />

Barrina, menuisier, absents, en 1634.<br />

17 octobre 1634. Autre quittance de Joan Roura, de 5 livres, en complément<br />

des 28 livres déjà reçues, per portar las pedras del loch de Bula arraho la carregada<br />

un tranti que acumulan sis carretades i son per ladita obra de la portalada<br />

de Nostra Seniora de la Real, reçues par les mêmes en 1634. (A.D.P.O., G 446,<br />

Albara del preu fet de la portalada de Nostra Senyora de la Real de la present<br />

vila de Perpinÿa fet lo anÿ 1633).<br />

22. Apparenté à Jean Baux, « marbrier ordinaire du Roi » dans la société créée<br />

en 1675 avec François de Vernon pour exploiter et exporter les marbres de<br />

Caunes (J.-L. Bonnet 1998).<br />

13 - Portail de l’église Sant Esteve del Pedreguet, Ille-sur-Têt. Marbre blanc pour les<br />

sculptures du fronton (Estagel ?) et marbre « MFV » violacé et blanc (sans doute<br />

« Violet de Ria » plutôt que celui des Pedreres ?) pour le portail. On remarqera que<br />

la veine de marbre n’était pas assez large en carrière pour réaliser avec un seul bloc<br />

les renflements à la base des piliers. Sur la façade de granit de Reglella, montée en<br />

1712-1720, on voit sous l’arc de décharge la partie refaite lors du montage du portail<br />

en 1769-71. (cl. M. Martzluff ).<br />

Ce matériau (ill. 13) provient-il de Bouleternère comme<br />

l’affirme M. Vaissières (2007) ? Ce n’est pas impossible,<br />

mais bien loin d’être certain sans l’appui d’un texte, comme<br />

nous le verrons. Ce seraient là les ultimes feux des<br />

Pedreres.<br />

Car ce sont quand même les beaux (et coûteux) marbres<br />

colorés des carrières de Terralbes, à Caunes, qui<br />

sont les plus recherchés à cette époque pour les œuvres<br />

d’importance, surtout pour les grandes colonnes<br />

des autels baroques, mais aussi pour les bénitiers et les<br />

placages d’ornementation. Cette mode pour la roche<br />

pourpre la plus spectaculaire est si forte qu’elle touche<br />

des commanditaires relativement peu fortunés, comme<br />

la communauté d’Ille-sur-Têt ou celle de Néfiach. Le<br />

coût de ces marbres d’importation ne fut cependant pas<br />

sans soulever de problèmes. En 1744, les correspondances<br />

de l’Intendant du Roussillon témoignent d’un<br />

souci d’économie qui met en avant un gain de 193 livres<br />

en tirant les marches de la Citadelle de Perpignan


les marbres de Bouleternère<br />

275<br />

de la carrière de Bouleternère (Tosti 1986b). Ce même<br />

souci d’une bonne gestion des deniers publics anime le<br />

Maréchal de Mailly, gouverneur du Roussillon, lorsqu’il<br />

fonde Port-Vendres et y fait édifier en 1781, avec des<br />

pierres de la province, le monument de l’Obélisque à la<br />

gloire de louis XVI(ill. 14). Mais c’est alors un marbre<br />

rouge de Villefranche qui en forme le socle 23 .<br />

C’est donc bien au cours du XVIII e siècle que s’achève<br />

l’exploitation des marbres « rouges » du synclinal de<br />

Bouleternère. En 1800, et même dès la seconde moitié du<br />

XVIII e siècle, l’extraction de roches monumentales a très<br />

probablement cessé. Mais cette activité devait déjà être<br />

en sommeil avant 1750, si l’on excepte la part qui revient<br />

alors à cette carrière dans la construction de l’église d’Ille<br />

et pour quelques travaux mineurs. Du reste, le décès du<br />

dernier picapedrer connu dans les textes pour avoir œuvré<br />

à Bula, maître Pierre Aloau, survient en 1696 (annexe<br />

documents). Ce déclin rapide des Pedreres après 1700 accompagne<br />

certainement celui des fours à chaux qui en exploitaient<br />

les débris dans la <strong>montagne</strong> de Bouleternère 24 .<br />

On pourrait même penser qu’après le rattachement du<br />

Roussillon à la France en 1659, les proches villages des<br />

Corbières calcaires – semble-t-il déjà bien aguerris pour<br />

produire la chaux – ont pu exercer une concurrence dans<br />

ce domaine, au moins au niveau des savoirs faire de la<br />

main d’œuvre et surtout de son coût. C’est ce que semble<br />

démontrer le fait que trois chaufourniers de Bélesta (et<br />

non pas de Bouleternère) aient été engagés en 1667 pour<br />

bâtir et actionner le four construit à la Font del Bulès en<br />

vue de construire la nouvelle église Saint-Étienne à Ille<br />

(Tosti 1991b) 25 .<br />

Entre 1750 et 1850, au moment où s’exerce partout<br />

une forte emprise agricole sur les pentes, les terrains rocailleux<br />

des Pedreres ont été remis en culture, à l’endroit<br />

même des anciennes exploitations. C’est bien pourquoi<br />

la première matrice cadastrale de 1855‐56, qui compte<br />

230 journaliers pour 106 propriétaires, 41 fermiers et<br />

10 mendiants sur un total de 900 habitants, ne mentionne<br />

ni tailleurs de pierre, ni chaufourniers parmi la<br />

poignée d’artisans du lieu (Tosti 1986b).<br />

23. ADPO, 1C- 1161.<br />

24. Voir nos remarques sur les traces de barre à mine près des fours à chaux,<br />

chap. XI.<br />

25. Nous savons aussi qu’au XIX e siècle, les deux gros soucis de ces communes<br />

calcaires du Fenouillèdes résidaient dans le surpâturage et dans les déboisements<br />

sauvages des terrains communaux pour alimenter les fours à chaux,<br />

ce qui motive par exemple qu’en 1858, dans le village de Trévillach, près<br />

de Rodès, un arrêté communal stipulant que la chaux ne pourra être vendue<br />

ailleurs (Tosti 1988b).<br />

14 - Obélisque Mailly à Port-Vendres. À sa base, on aperçoit le socle avec les « marbres<br />

flammés de Villefranche ». Les statues aux angles sont en marbre blanc d’Estagel, tout<br />

comme la colonne, mais dans un matériau plus blanc et homogène, moins proche<br />

de la « brêche orientale de Baixas » (cl. M. Martzluff ).<br />

14 bis- Détail du monument. Statue en marbre blanc d’Estagel et socle en marbre<br />

MFV En bas à gauche : fossiles (cl. M. Martzluff ).


276 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

III - Étude lithologique des roches<br />

marbrières en vue de la reconnaissance<br />

de l’origine des matériaux de<br />

certains monuments<br />

III.1 - Rappel de la définition des marbres<br />

Pour mémoire, les marbres, au sens commercial le plus<br />

large, correspondent à des roches plus tendres que les<br />

granites que l’on peut aisément tailler et surtout polir.<br />

Au sens géologique du terme, les marbres sont des calcaires<br />

métamorphiques qui, le plus souvent, sont composés<br />

principalement de calcite ou, plus rarement, des<br />

dolomites.<br />

La résistance de ces roches est inversement proportionnelle<br />

à la porosité et à la dimension de leurs grains.<br />

La brillance, par contre, augmente avec la dimension<br />

des grains car les plans réflecteurs des clivages rhomboédriques<br />

sont mieux exprimés dans les petits grains.<br />

Dans les marbres les plus typiques, les grains engrenés<br />

de calcite se discernent à l’œil nu et confèrent un aspect<br />

saccharoïde à la roche. Ces grains sont isodimensionnels<br />

et jointifs et constituent ainsi une sorte de mosaïque.<br />

Une assez grande dimension des cristaux (500 µm<br />

environ) peut être regardée comme caractéristique de la<br />

plupart des marbres, au contraire des autres calcaires à<br />

grains plus fins. Il est assez fréquent que des restes fossiles<br />

soient encore reconnaissables (algues, spongiaires,<br />

échinodermes, madréporaires ou mollusques). Certains<br />

marbres présentent des structures veinées, laminées,<br />

striées, nuageuses ou encore bréchiques. Les pressions<br />

tectoniques peuvent provoquer des fissures qui seront<br />

ultérieurement remplies par des veines de calcite de seconde<br />

génération.<br />

Les marbres peuvent renfermer diverses impuretés qui<br />

représentent des résidus non carbonatés d’un calcaire<br />

marin primitif plus ou moins argileux ou sableux qui a<br />

été métamorphisé en marbre. Les plus fréquentes de ces<br />

impuretés sont la muscovite, la phlogopite et la chlorite<br />

qui résultent de la transformation des minéraux argileux,<br />

constituant de la vase initiale, le graphite qui est déduit<br />

des matières organiques, différents oxydes (goethite, hématite),<br />

sulfures de fer (pyrite), oxydes de manganèse et,<br />

enfin, le quartz.<br />

III.2 - Méthodes d’étude<br />

Les méthodes d’étude usuellement employées sont basées<br />

sur la pétrographie microscopique éventuellement<br />

associée à la cathodoluminescence et à l’analyse des isotopes<br />

stables qui peuvent parfois permettre de déterminer<br />

l’origine du marbre. Ces méthodes ont été spécialement<br />

adaptées par certains laboratoires à l’intention des archéologues,<br />

d’autres, comme l’activation neutronique sont trop<br />

coûteuses et spécialisées (Balmelle 1993, Blanc 1996).<br />

La démarche adoptée ici, sera un peu différente. Les<br />

caractères pétrographiques sont définis macroscopiquement,<br />

puis microscopiquement. Ensuite, une poudre<br />

de l’échantillon entier est analysée par diffraction des<br />

rayons X qui permet de déterminer le carbonate dominant<br />

(généralement calcite et dolomite) et parfois la présence<br />

de quelques traces de minéraux accessoires. Dans<br />

un deuxième temps, il est procédé à une décarbonatation<br />

complète d’une quantité de roche suffisante pour obtenir<br />

quelques centaines de milligrammes de matière insoluble<br />

qui permettent, toujours par diffraction R.X, une détermination<br />

précise des minéraux accessoires.<br />

III.3 - Site de les Pedreres (commune de Bouleternère)<br />

Cadre géologique<br />

Le site des marbres est localisé sur la crête du relief<br />

qui domine Bouleternère, sur la rive gauche du Ravin de<br />

Montjuich, un peu en amont de son confluent avec la rivière<br />

Boulès (ill. 1). Ce relief correspond à l’un des nombreux<br />

synclinaux perchés (Bouleternère, Saint-Martin<br />

de Camelas, Thuir, Mont-Saint-Hélène, Calmeilles<br />

et Oms) qui dominent les terrains micaschisteux de la<br />

Série cambrienne de Canaveilles et schisteux de la Série<br />

ordovicienne de Jujols. Sur la carte géologique de Prades<br />

au 1/80 0000 (Autran et alii 1968), les couches du synclinal<br />

de Bouleternère sont constituées à partir de la base<br />

par les schistes et calcschistes du Silurien (Cs4), puis par<br />

une alternance de calcschistes, calcaires et dolomies du<br />

Dévonien inférieur et moyen (Cd2-1).<br />

Tout à fait au sommet du relief, on observe une barre<br />

de quelques mètres de puissance d’un marbre veiné de<br />

rose ou de gris ou d’ocre beige que l’on peut assimiler<br />

à un équivalent latéral des calcaires construits à algues<br />

du Frasnien inférieur ou du Givètien, dits marbres roses<br />

de Villefranche (« MFV ») qui affleurent à 1300 m


les marbres de Bouleternère<br />

277<br />

en aval de Villefranche, soit aux calcaires noduleux rouges et verts<br />

du Famennien inférieur et du Frasnien, dits calcaires « griottes »,<br />

qui affleurent plus largement sur les hauteurs des versants, en rive<br />

gauche de la Têt.<br />

Ici plus qu’ailleurs, les déformations répétées de la tectonique hercynienne<br />

et de la tectonique alpine ont abouti à un marbre fortement<br />

fragmenté par les diaclases, ce qui limite l’intérêt économique de cette<br />

pierre. Le découpage fréquent de ces diaclases a favorisé l’infiltration<br />

des eaux météoritiques de ruissellement et le dépôt de voiles calcitiques<br />

de pigmentation variée. Ces voiles constituent une patine grise,<br />

blanche ou ocre qui masque la surface de la roche à l’affleurement et<br />

rendent ainsi l’observation difficile sur le terrain. Dès lors, il est nécessaire<br />

d’avoir recours à un débitage superficiel au marteau de ce faciès<br />

carbonaté qui risque autrement de passer bien inaperçu au terme<br />

d’une reconnaissance de terrain un peu trop sommaire (ill. 8).<br />

Analyses et résultats<br />

- Pedrera 1 (ill. 15)<br />

Marbre rouge sang veiné de blanc. La masse rouge est composée<br />

de cristaux micritiques avec en inclusion d’assez rares cristaux sparitiques<br />

de 1 à 3 mm. Les veines blanches sont constituées de grands<br />

cristaux sparitiques indiquant une cristallisation plus tardive (et plus<br />

lente) au sein des vides de fissures d’origine tectonique. On observe<br />

aussi quelques joints stylolitiques de recristallisation soulignés par des<br />

impuretés manganiques. Ce marbre est généralement azoïque, mais<br />

c’est le seul où il est donné d’apercevoir quelques rares vestiges probablement<br />

d’origine faunistique (microformes curvilignes) (ill. 16a).<br />

L’analyse diffractométrique de la masse rouge indique une composition<br />

à 100 % calcitique. Celle des veines blanches, également calcitique,<br />

montre la présence de traces de muscovite. La fraction insoluble<br />

du marbre rouge de couleur vermillon (2,32 % de la masse totale) est<br />

composée de 75 % de muscovite et de 25 % de chlorite. Malgré la forte<br />

pigmentation rouge, aucun oxyde de fer (ni de manganèse) n’a pu être<br />

détecté, ce qui indiquerait que le fer ferrique se trouve essentiellement<br />

à l’état amorphe et vraisemblablement à des concentrations inférieures<br />

à 1 % si on se rapporte à des études récentes sur des faciès comparables<br />

(Mamet et Préat 2003). Les veines blanches montrent une<br />

proportion un peu différente des deux phyllosilicates (chlorite : 59 %,<br />

muscovite : 41 %), mais toujours sans oxydes de fer.<br />

- Pedrera 2<br />

Les échantillons récoltés ressemblent à ceux de Pedrera 1 : il s’agit<br />

surtout de marbre rouge sang veiné de blanc. Plusieurs fragments<br />

présentent une patine rose pâle ou encore gris-bleuté. Les veines<br />

blanches sont composées de cristaux sparitiques de grande taille<br />

15 - Les Pedreres de Bouleternère, flanc sud du synclinal, zone d’exploitation<br />

P. 2. Échantillon Pedrera n° 1, bloc érodé avec cupules de dissolution<br />

à la surface des parties calciteuses blanches (cl. M. Martzluff ).<br />

présentant quelques clivages rhomboédriques.<br />

La patine rose est due à un voile superficiel de<br />

calcite secondaire. Il en est de même de la patine<br />

gris-bleuté dont la couleur est probablement<br />

liée à la présence de matières organiques<br />

incluses. En diffractométrie de R.X, la poudre<br />

de la roche entière est calcitique pratiquement<br />

à 100 % avec quelques traces de muscovite.<br />

La fraction insoluble de teinte rose violacée<br />

(4,33 % de la masse totale) indique 58 % de<br />

muscovite, 23 % de chlorite et 19 % de goethite<br />

(FeO,OH). Mais la présence du fer ferrique à<br />

l’état cristallisé est probablement associée à un<br />

piégeage de matières exotiques dans la patine à<br />

la surface des plans de diaclase, cette présence<br />

semble, en partie, à l’origine des teneurs élevées<br />

en insoluble de ce marbre.<br />

- Pedrera 3 (ill. 11)<br />

Il s’agit aussi d’un marbre rouge et blanc,<br />

mais dont la surface est assez nettement rosie<br />

ou encore jaunie par les patines calcitiques<br />

secondaires. On observe encore une<br />

proportion élevée de cristaux sparitiques<br />

dans les grandes veines blanches. Des taches<br />

blanches sont composées de grandes sparites<br />

ou de structures spathiques entourées<br />

de structures palissadiques. Des amas noirs<br />

de microdentrites manganiques sont localisés<br />

dans la masse rouge micritique (ill. 16b).


278 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

16 - Microfaciès des marbres des Pedreres.<br />

a - Pedrera 1. Pâte micritique rose-rouge traversée par de grandes veines blanches de calcite sparitique secondaire, elles même coupées par une troisième génération de veines<br />

blanches sparitiques conséquentes d’autant de microfractures déduites de contraintes tectoniques. C’est le seul marbre de la Pedrera où l’on peut deviner quelques fantômes<br />

de faune (petites formes curvilignes, probables vestiges de tests d’ostracodes) (flèche) ;<br />

b - Pedrera 3. Même pâte micritique traversée par deux générations de veines blanches sparitiques plus développées qu’en (1). À gauche, poche de calcite spathique de dernière<br />

génération (1) interrompant une veine secondaire (2). Les points noirs sont des petits granules d’oxyde de manganèse inclus dans la masse rouge (flèche) ; aucun vestige<br />

de faune ;<br />

c - Pedrera 4. Marbre blanc et gris à ciment microsparitique homogène ; structure laminée : les alignements plus sombres (gris-vert) sont riches en chlorite ;<br />

d - Pedrera 8. Marbre à veines chocolat où l’on devine les contours des cristaux spathiques, ces veines primaires sont traversées par de grosses veines de calcite spathique,<br />

puis par des micro veines secondaires contrôlées par la microtectonique (D.A.O. P. Giresse).<br />

En diffractométrie R.X, la roche entière a une composition<br />

à 100 % calcitique. La fraction insoluble de teinte<br />

ocre orangé est très fortement dominée par la muscovite<br />

(92 % de muscovite, 8 % de chlorite). Malgré sa teinte assez<br />

vive, cette fraction insoluble (2,02 % de la roche totale)<br />

ne renferme pas de goethite, ce qui conduit à envisager<br />

ici encore la présence du fer ferrique à l’état amorphe.<br />

- Pedrera 4<br />

C’est un marbre blanc, veiné de gris à gris-vert composé<br />

principalement de grains microsparitiques qui dessinent des<br />

sortes de microlamines alternativement plus claires et plus<br />

sombres. Les taches blanches sont composées de grands cristaux<br />

sparitiques de 0.5 à 1 cm de diamètre de cristallisation<br />

secondaire qui ont généralement respecté les microlamines<br />

(ill. 16c). Les amas de manganèse sont assez discrets et localisés<br />

le long de certaines lamines. Plusieurs parois montrent<br />

des voiles superficiels clairs de dépôt secondaire composés<br />

de microsparites, ces voiles sont parfois teintés en ocre par le<br />

fer ferrique. En diffractométrie R.X, la roche entière montre<br />

une composition totalement calcitique. La fraction insoluble<br />

représente seulement 0,28 % de la roche totale et montre<br />

une composition originale par rapport aux précédentes :<br />

52 % de quartz, 48 % de chlorite et des traces de muscovite.<br />

Il est probable que la teinte gris-vert de certaines veines soit<br />

conséquente de l’abondance de la chlorite.


les marbres de Bouleternère<br />

279<br />

17 - Les Pedreres de Bouleternère, flanc sud du synclinal, zone d’exploitation P. 2.<br />

Échantillon Pedrera n° 6. Éclat avec filet de goethite (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

18 - Les Pedreres de Bouleternère, flanc sud du synclinal, zone d’exploitation P. 2.<br />

Échantillon Pedrera n° 7 (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

- Pedrera 5<br />

C’est le marbre le plus blanc (blanc laiteux) de la série. Il<br />

est composé d’une mosaïque de sparites calcitiques. La fraction<br />

insoluble (0,83 %) se compose de 55 % de quartz et de<br />

45 % de chlorite et est donc identique à celle de Pedrera 4.<br />

- Pedrera 6 (ill. 17)<br />

Le marbre rouge veiné de blanc montre parfois des<br />

veines ocre beige faiblement translucides. Les veines ou<br />

taches blanches sont composées de sparites ou de microsparites.<br />

Les parties ocre ou marron sont composées des<br />

mêmes sparites ou microsparites, mais imprégnées d’oxydes<br />

de fer qui ont respecté la structure des cristaux. Ces<br />

derniers ont ainsi conservé l’intégrité de leurs propriétés<br />

optiques cristallines (extinction en lumière polarisée).<br />

L’analyse diffractométrique R.X a concerné particulièrement<br />

ces veines ocres. Il s’agit encore de calcite pratiquement<br />

pure. L’analyse de la fraction insoluble (1,75 % de la<br />

roche totale) identifie la présence en proportions voisines<br />

de la muscovite, de la chlorite et de la goethite.<br />

- Pedrera 7 et Pedrera 8 (ill. 18)<br />

Il s’agit d’un faciès particulier où le marbre blanc inclut<br />

d’importantes veines ou lentilles de teinte marron<br />

chocolat ou caramel. Ce marbre a été largement employé<br />

dans l’ornementation architecturale de l’église du village<br />

de Bouleternère. La masse blanche est souvent microsparitique<br />

et traversée par des veines secondaires sparitiques<br />

(ill. 16d). L’analyse a porté sur les veines marron caramel<br />

qui sont principalement composées d’une calcite incluant<br />

des impuretés qui dégradent fortement la réflectance<br />

de la lumière même après polissage : les surfaces de ces<br />

sortes d’enclaves demeurent plus ou moins mates et grumeleuses<br />

dans les monuments, la porosité assez développée<br />

restreignant l’aptitude au polissage. Au microscope,<br />

(comme pour l’éch. 6), le pigment marron (ferrugineux)<br />

semble incrusté sur ou dans les cristaux de calcite qui<br />

conservent cependant leur propriété cristallographique<br />

(extinction en lumière polarisée). Les fractions insolubles<br />

sont élevées (7,17 et 7,51 %) ; elles sont composées essentiellement<br />

de goethite (80 à 100 %) associée à de faibles<br />

parts de chlorite et muscovite, ces dernières augmentant<br />

à l’approche du contact avec des formations schisteuses<br />

sous-jacentes. D’autres veines sont de pigmentation plus<br />

sombre, marron « chocolat » et sont composés de calcite<br />

moins poreuse (possibilité de polissage) avec une fraction<br />

insoluble moins riche en goethite.<br />

NB : Deux échantillons de débris de marbre issus de l’architecture<br />

du prieuré de Serrabone, confiés par Georges<br />

Castellvi 26 , ont pu être examinés : un morceau de colonne<br />

blanche renferme une veine d’aspect mat et de teinte<br />

caramel qui ressemble beaucoup au faciès de Pedrera 8.<br />

L’analyse diffractométrique confirme la présence dominante<br />

de la goethite dans la fraction insoluble.<br />

Un autre débris, centimétrique, sculpté et poli (pièce<br />

de chapiteau ?) de marbre rouge à microveines et taches<br />

blanches et apparemment azoïque, présente le faciès<br />

plus particulièrement évoqué par les prélèvements de<br />

Pedrera 2 et 3, voire 1.<br />

26. Ces marbres ont été découverts par G. Castellvi lors d’une prospection<br />

conduite en 1975 autour du prieuré. Les deux fragments ont été ramassés à<br />

quelques mètres à l’extérieur du chevet, sur la pente qui conduit à une maison<br />

ruinée. On lira par ailleurs l’excellent compte-rendu du même archéologue<br />

concernant la toute proche église de Casefabre et ses éléments de marbre colorés<br />

qui pourraient également provenir des Pedreres (Castellvi 1981).


280 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

III.4 - Marbres dits de Villefranche-de-Conflent<br />

(commune de Corneilla-de-Conflent)<br />

Cadre géologique<br />

D’après la carte géologique de Prades (Autran 1968)<br />

et les travaux de Cavet (1957), les marbres dévoniens<br />

indiquent l’axe de la structure synclinale NW-SE de<br />

Villefranche-de-Conflent. Le Dévonien du site se compose<br />

de trois entités que l’on peut suivre plus ou moins<br />

aisément selon les secteurs.<br />

- (A). Le Dévonien moyen (et inférieur) se compose de<br />

calcaires à concrétions siliceuses et à Polypiers siliceux.<br />

À Villefranche, ces calcaires sont traversés par la Têt<br />

en cluse épigénique. Dans les Aspres, ils sont souvent<br />

riches en encrines et constituent le dépôt le plus jeune<br />

de toute une série de synclinaux perchés (Bouleternère,<br />

Saint-Martin de Camelas, causse de Thuir, Mont Saint-<br />

Héléne, Calmeilles, Oms).<br />

- (B). Le Famennien inférieur et le Frasnien (supérieur ?)<br />

correspond à une « veine » de 20 à 30 m d’épaisseur de<br />

marbre rose veiné de calcite blanche, dit flammé, avec des<br />

intervalles violacés encrinitiques. Vers le haut, on trouve des<br />

lentilles du calcaire ou marbre à griottes. Ce faciès est riche<br />

en petits nodules dont certains sont formés par des coquilles<br />

entières de Goniatites. L’abondance de ces céphalopodes est<br />

associée à des intervalles condensés à très faibles taux de sédimentation<br />

et à un maximum de tranche d’eau. Les teintes<br />

rouges des nodules varient selon le degré de l’oxydation et<br />

la trame du ciment est généralement plus sombre. Ce faciès<br />

si particulier ainsi que sa couleur rouge évoquent des<br />

sections de cerises griottes, d’où son nom français. Les lits<br />

non noduleux sont riches en Lamellibranches. Une étude<br />

paléontologique plus récente basée sur les Conodontes<br />

(Cygan, Perret, Raymond 1980) date ce marbre flammé du<br />

Dévonien moyen jusqu’à la base du supérieur (Givétien supérieur<br />

à Frasnien inférieur/moyen).<br />

C’est à ce marbre flammé de Villefranche que la tradition<br />

(Peybernés 2004) attribue jusqu’à ce jour l’origine<br />

des colonnes et chapiteaux du XII e siècle du prieuré de<br />

Serrabone et de la tribune et du cloître de l’abbaye de<br />

Saint-Michel-de-Cuxa.<br />

- (C). Le Famennien supérieur et moyen montre encore<br />

des calcaires noduleux de type griotte, mais aussi des<br />

calcschistes versicolores. Sur le plateau d’Ambulla, un<br />

passage latéral de faciès constitue le gîte d’un minerai<br />

d’oxyde de manganèse qui fût anciennement exploité.<br />

Dans le synclinorium de Villefranche-de-Conflent, de<br />

nombreuses exploitations, de part et d’autre de la vallée<br />

de la Têt, ont produit le calcaire dévonien depuis l’époque<br />

romaine, selon certains auteurs (Perrier 1996), mais il ne<br />

reste presque plus rien de cette activité. Sur le sommet de<br />

la colline au Sud de Villefranche, la carrière de Corneilla<br />

de la Société Provençale SA montre un calcaire fortement<br />

fracturé et karstifié qui fournit essentiellement des<br />

granulats, plus quelques blocs informes de calcaire rouge<br />

ou gris. Contrairement à Fuilla et à Caune-Minervois, où<br />

les Stromatactis sont bien conservés, ils se trouvent ici<br />

recristallisés (Perrier, 1996). La région de Villefranchede-Conflent<br />

a connu également plusieurs carrières d’exploitation<br />

des griottes au siècle dernier (calcaires noduleux<br />

rouges à Goniatites), produisant des blocs de petite<br />

taille ; elles étaient situées sur des sommets de collines<br />

peu accessibles (Roc Vermeil, Terre Rouge, Belloc).<br />

Analyses et résultats<br />

Deux groupes de prélèvements sont étudiés : vers le<br />

sommet du relief qui domine la vallée de la Têt (près du<br />

site de la Citerne Vauban) et en bas de vallée, près de la<br />

RN 116.<br />

- corneilla-de-Conflent, Citerne Vauban (1)<br />

C’est un marbre rouge corail ponctué d’inclusions<br />

blanches et traversé par de grosses veines blanches centimétriques<br />

; plusieurs septats ou plans sont gris violacé.<br />

Au microscope, les veines et les taches sont composées<br />

de sparites calcitiques, voire de grands spaths remarquables.<br />

La masse rouge est micritique, assez pauvre en<br />

restes organiques, mais montre cependant des sections<br />

d’encrines complètement recristallisées, des tissus alguaires<br />

également recristallisés et quelques loges (zoécies) de<br />

bryozoaires (ill. 19a, b). L’analyse diffractométrique de<br />

la fraction insoluble (2,51 % de la roche entière) indique<br />

75 % de muscovite, 15 % de chlorite et 10 % d’hématite,<br />

cette dernière est responsable de la pigmentation soutenue<br />

rouge corail.<br />

- corneilla-de-Conflent, Citerne Vauban (2)<br />

Il s’agit aussi d’un marbre rouge avec des veines blanches,<br />

mais aussi des septa gris violacé. L’examen microscopique<br />

révèle des structures alguaires partiellement<br />

recristallisées et des débris de bryozoaires ou d’ostra-


les marbres de Bouleternère<br />

281<br />

19 - Microfaciès des marbres de Villefranche (Corneilla-del-Vercol, Citerne Vauban).<br />

a - CDCV1. Restes de tests et de loges (zoécies) de Bryozoaires, d’Ostracodes dans une masse micritique rouge traversée par des veines de calcite sparitique avec parfois des<br />

enduits d’oxydes de manganèse (flèche) ;<br />

b - CDCV1. Masse rouge micritique à vestiges abondants de faune et de flore (section de tige alguaire indiquée par la flèche) ;<br />

c - CDCV2. Masse micritique rouge violet à nombreux restes biologiques : tissu alguaire en cours de recristallisation, enduits et remplissages manganiques notamment dans<br />

les chapelets de zoécies de bryozoaires (flèche) ;<br />

d - CDCV4. Marbre rose traversé par de grandes veines blanches de calcite spathique secondaire, quelques restes d’encrines totalement recristallisés (D.A.O. P. Giresse).<br />

codes assez abondants. Les veines montrent plusieurs<br />

générations de calcite sparitique, avec une structure palissadique<br />

pour la dernière d’entre elles. Les oxydes de<br />

manganèse, opaques en lumière naturelle, constituent<br />

très souvent le remplissage des zoécies de bryozoaires<br />

ou encore sont disposés en enduits millimétrique dans<br />

les fissures et les veines (ill. 19c). La teneur en matière<br />

insoluble est exceptionnellement élevée : 16,19 %, mais<br />

son analyse diffractométrique indique une composition<br />

qui est proche de celle de (1) : 74 % de muscovite, 12,5 %<br />

de chlorite, 13,5 % d’hématite. Les oxydes de manganèses<br />

vraisemblablement à l’état amorphe ne sont pas mis<br />

en évidence, mais au vu de l’examen microscopique, ils<br />

jouent vraisemblablement un rôle dans l’abondance de<br />

cette matière insoluble.<br />

- corneilla-de-Conflent, Citerne Vauban (3)<br />

Le marbre est rose-rouge avec des plages blanches ou<br />

roses, des plans plus sombres soulignent certaines fissures.<br />

Au microscope, on observe une masse micritique<br />

assez homogène traversée par quelques veines microsparitiques<br />

ourlées par les oxydes de manganèse. Cette homogénéité<br />

est interrompue par de grandes plages spathiques,<br />

certaines associées à des fantômes d’encrines, mais<br />

les restes fossiles sont assez rares et indistincts (quelques<br />

tissus alguaires). D’après l’analyse diffractométrique, la<br />

fraction insoluble (0,55 % de la roche entière) est composée<br />

uniquement de phyllosilicates : 80 % de muscovite et<br />

20 % de chlorite ; malgré la pigmentation, ni l’hématite,<br />

ni les oxydes de manganèse n’ont pu être détectés.


282 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

- Corneilla-de-Conflent, Citerne Vauban (4)<br />

C’est un marbre rose orangé avec des veines blanches<br />

et rouges. Au microscope, ces veines sont composées de<br />

grands cristaux spathiques, mais certains n’ont pas complètement<br />

digéré la masse rouge micritique (ill. 19d).<br />

Les restes biologiques sont divers et nombreux : formes<br />

en fuseaux, en ogive (mollusques ou brachiopodes<br />

probables), en virgule (ostracodes probables), cellules<br />

alguaires et zoécies de bryozoaires. Les oxydes de manganèse<br />

remplissent certaines loges ou encore dessinent<br />

des microstylolithes. En diffractométrie R.X, la fraction<br />

insoluble (0,80 % de la roche entière) est singulière : les<br />

phyllosilicates sont réduits à la seule chlorite (22 %), le<br />

quartz est le composant dominant (53 %) alors que la<br />

manganite (MnO2) atteint 25 %.<br />

- Corneilla-de-Conflent, RN 116 (1)<br />

Le marbre est rouge corail avec d’assez abondantes taches<br />

et veinules blanches dont certaines ourlées en gris<br />

foncé par les oxydes de manganèse. L’examen au microscope<br />

montre que les veines les plus larges sont composées<br />

de calcite spathique, alors qu’une génération plus<br />

tardive est composée de microsparites. Les vestiges de<br />

tests de bryozoaires sont assez rares, mais bien conservés<br />

: loges alignées ou groupées en grappe. La fraction<br />

insoluble (1,26 % de la roche entière) est composée par<br />

ordre décroissant de 48 % de muscovite, de 20 % de<br />

chlorite, de 20 % de manganite et de 12 % d’hématite.<br />

- Corneilla-de-Conflent, RN 116 (2)<br />

Il s’agit aussi d’un marbre rouge corail avec des veines<br />

blanches ou grises associées parfois à des voiles<br />

manganiques comme le confirme l’étude microscopique.<br />

Les restes de fossile sont particulièrement abondants<br />

: plages assez étendues de cellules alguaires, encrines<br />

recristallisées, zoécies de bryozoaires préservés<br />

de l’oxydation, fragments ténus de tests d’ostracodes.<br />

Le manganèse est restreint à la surface des fissures.<br />

La fraction insoluble (0,98 % de la roche entière) est<br />

dominée par la muscovite (85 %), suivie par la chlorite<br />

(7,5 %) et l’hématite (7,5 %).<br />

III.5 - Site de la Carrière du Roy, (commune de Caunes-<br />

Minervois, Aude)<br />

Cadre géologique<br />

Les marbres de la Carrière du Roi 27 se trouvent<br />

à proximité de Caunes-Minervois (Aude), au sudouest<br />

de la Montagne Noire. Ils appartiennent à une<br />

des nappes du versant sud de ce massif, la nappe du<br />

Minervois, composée de terrains cambriens, ordoviciens<br />

et dévoniens qui forment la zone charnière d’un<br />

vaste pli couché. Les marbres rougeâtres ou rosés, dits<br />

du Languedoc, appartiennent au Dévonien moyen et<br />

au Frasnien, regroupés cartographiquement, alors que<br />

l’étage sommital du Dévonien, le Famennien, correspond<br />

ici encore aux marbres griottes (Berger 1990 ;<br />

Berger et alii 1993). L’analyse des conodontes attribuerait<br />

un âge plutôt Emsien à ce marbre du Languedoc<br />

(Cygan, Perret, Raymond 1981). Sur le flanc sud de la<br />

Montagne Noire, le Dévonien est transgressif et en majeure<br />

partie calcaire. Dès le Dévonien moyen, le bassin<br />

commence à s’approfondir, tant dans les Pyrénées que<br />

dans la Montagne Noire. C’est alors que se sont déposés<br />

les calcaires à Stromatactis (cavités de Spongiaires et<br />

entroques d’Échinodermes) qui va constituer le marbre<br />

« Rouge incarnat ». Le Dévonien supérieur et le<br />

passage au Carbonifère inférieur montrent un enfoncement<br />

encore plus accentué avec des calcaires noduleux à<br />

Goniatites (« griottes » rouges ou grises), couverts par<br />

des radiolarites noires à nodules phosphatés et à niveaux<br />

d’oxydes de manganèse attribuées au Tournaisien, puis<br />

enfin par le flysch carbonifère (Culm) (Perrier 1996).<br />

Ces marbres, probablement déjà connus des Romains<br />

(Peybernès 2004 ; Anglade 2008), furent exploités<br />

entre le XI e et le XV e siècle. Toutefois, c’est au début<br />

du XVII e siècle que sont reconnues et exploitées les<br />

meilleures veines (Bonnet 1998) et c’est un peu plus<br />

tard, notamment sous Louis XIV, que l’exploitation<br />

connut son apogée, fournissant des matériaux de prestige<br />

au Baroque français le plus théâtral (Bonnet 2000).<br />

Ils se présentent sous forme de couches épaisses et régulières<br />

permettant le prélèvement de grandes plaques ou<br />

de grandes colonnes. C’est le cas notamment d’une bar-<br />

27. Les échantillons proviennent de la partie du site de l’ancienne carrière<br />

de Malacasse, sur le plateau de Terralbes, devenue la « Carrière de Trianon »<br />

ou « Carrière du Roy ». Le site, aujourd’hui classé au titre des Monuments<br />

historiques, n’appartenait pas en propre au roi de France, comme c’était par<br />

exemple le cas pour la carrière d’Espiadet, à Campan (Hautes-Pyrénées), mais<br />

il s’en était réservé le monopole en 1698.


les marbres de Bouleternère<br />

283<br />

re de 20 m d’épaisseur à Terralbe. Ils montrent souvent<br />

de grandes structures fossiles en vésicules denticulées<br />

décimétriques, en lamines superposées ou en structures<br />

en fenestrae appelées Stromatactis, de couleur blanche,<br />

grise ou jaunâtre. Il ne s’agirait pas d’un véritable fossile,<br />

mais de remplissages de calcite diagénétique de cavités<br />

de spongiaires dont ni le tissu, ni les spicules n’auraient<br />

été conservés (Bourrouilh, Bourque 1995). Ce sont les<br />

marbres dits « flamboyants » largement employés en<br />

architecture monumentale. On peut rencontrer sur un<br />

petit périmètre des bancs voisins de couleur et donc de<br />

caractéristiques ornementales assez différentes : rouge<br />

« turquin » (rosé à Stromatactis gris-bleu), « Incarnat »<br />

(rouge écarlate à tâches et veines blanches), vert moulin<br />

gris connu sous le nom de « Gris agate ». Dans ce<br />

cadre, l’étude sera limitée à quelques marbres, rouge et<br />

blanc, qui ont été prélevés dans la partie de la Carrière<br />

du Roy aménagée pour les visites au sommet des gorges<br />

de l’Argent Double, à Terralbes, et où gisent encore des<br />

colonnes engagées dans le banc.<br />

Analyses et résultats (ill. 20)<br />

- Caunes-Minervois, Carrière du Roy (1)<br />

Le marbre est rose-rouge, un peu orangé, avec quelques<br />

taches ou veines plus claires et blanc gris, ces dernières<br />

pouvant correspondre à une patine superficielle.<br />

Au microscope, on constate que les veines de calcite<br />

spathique traversent une masse rose-rouge micritique<br />

incluant des masses circulaires de calcite sparitique,<br />

probables fantômes de Goniatites, des débris de bryozoaires,<br />

d’algues calcaires, des cavités blanches du type<br />

Stromatactis (?) et des tests d’ostracodes (ill. 20a). On<br />

note également la présence de quelques petits grains de<br />

quartz. La fraction insoluble est peu abondante (0,57 %),<br />

elle est fortement dominée par le quartz (67,5 %), suivi<br />

par la muscovite (19 %) et la chlorite (13,5 %).<br />

Les zones rouges apparemment cryptocristallines montrent<br />

des zébrures plus rouges et plus claires séparées<br />

par des stylolithes sombres à oxydes de manganèse (?).<br />

Les quelques restes fossiles (masses ovoïdes, virgules)<br />

ne sont pas identifiables (ill. 20 b). Ce marbre intensément<br />

pigmenté montre une fraction insoluble assez élevée<br />

(2,69 %) qui associe les phyllosilicates (muscovite :<br />

65,5 %, chlorite : 17 %) aux oxydes (hématite : 9,5 %,<br />

manganite : 8 %).<br />

- Caunes-Minervois, Carrière du Roy (3)<br />

C’est un marbre rouge sang à rouge corail avec des<br />

veines blanches ou légèrement ocrées. Comme dans<br />

l’échantillon (2), les veines blanches sont composées de<br />

grands cristaux fusiformes plus ou moins engrenés à<br />

leur extrémité et recoupées par des veinules microsparitiques.<br />

Ces grands cristaux fusiformes peuvent parfois<br />

envahir les zones rouges micritiques. Des plages circulaires<br />

recristallisées (encrines ?) ou des parois courbes<br />

sont les seuls vestiges biologiques (ill. 20c). La fraction<br />

insoluble (0,83 % de la roche entière) associe muscovite<br />

et chlorite (57 et 12 %) avec l’hématite (12 %) et le<br />

quartz (18,5 %).<br />

- Caunes-Minervois, Carrière du Roy (4)<br />

Le marbre rose-rouge, virant au rose ou à l’orangé est<br />

veiné de blanc. Les veines composées de calcite spathique<br />

incluent des voiles d’oxydes de manganèse. Les vestiges<br />

biologiques sont assez abondants et bien cristallisés<br />

: tiges et plaques de bryozoaire avec des cavités remplies<br />

de manganèse, tissus de thalle alguaire et anciens<br />

articles d’encrine recristallisés (ill. 20 d). La fraction<br />

insoluble (1,57 % de la roche entière) montre une composition<br />

assez semblable à celle du (3) précédent avec<br />

66 % de muscovite, 8,5 % de chlorite, 18 % de quartz et<br />

7 % d’hématite.<br />

- Caunes-Minervois, Carrière du Roy (2)<br />

C’est un marbre fin et rouge sombre incluant de grandes<br />

boules ou vésicules blanches ou gris clair de 3 à 4 cm.<br />

Les zones blanches sont composées de grands cristaux<br />

spathiques déformés en fuseaux, elles sont traversées<br />

par des veines plus petites de nature microsparitique.<br />

L’abondance des veines de la plupart de ces faciès est<br />

attribuée à des petites failles synsédimentaires et à des<br />

fissures ouvertes d’origine sismique qui indiquent la<br />

fréquence des mouvements gravitaires sur cette marge<br />

dévonienne (Bourrouilh, Bourque 1995).


284 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

20 - Microfaciès des marbres de Caune-Minervois (Carrière du Roy) ;<br />

a - CMCR 1. Marbre rose-rouge traversé par plusieurs générations de grosses veines de calcite sparitique. Fréquents fantômes d’encrines entiers ou brisés (flèches), nombreux<br />

débris de loges de bryozoaires et de tests d’ostracodes (b), à gauche, débris à structure laminée de type stromatolithique ;<br />

b - CMCR 2. Contact entre marbre rouge et grandes veines blanches d’épaisseur pluricentimétrique. La masse rouge issue d’une première cristallisation est traversée par des<br />

veinules blanches de calcite secondaire et par des microjoints stylolithiques (s) composés principalement d’hématite. Les grosses veines blanches montrent une structure en<br />

grands cristaux fusiformes qui semblent spécifiques aux faciès de Caune-Minervois ;<br />

c - CMCR 4. Veine blanche composée de calcite spathique une dans une pâte micritique rose violet à restes d’encrines (e) et de bryozoaires (b) ;<br />

d - CMCR 4. Pâte micritique rose fossilifère traversée par des microstylolithes (ms) composés d’hématite, test de brachiopode à épines (br) (D.A.O. P. Giresse).<br />

III.6 - Bilan des analyses<br />

Les Pedreres de Bouleternère<br />

En résumé, on peut discerner dans le site de Les Pedreres<br />

de Bouleternère, et malgré une extension géométrique assez<br />

modeste des affleurements, plusieurs types distincts<br />

de marbre que l’on peut séparer d’entrée sans passer par<br />

les analyses de laboratoire. Cependant, une simple observation<br />

macroscopique peut être biaisée par la présence<br />

de nombreux plans de diaclase qui ont permis souvent<br />

la circulation des eaux météoritiques et ainsi le dépôt de<br />

films superficiels de calcite secondaire très diversement<br />

pigmentée (rose, blanc ou gris-bleuté).<br />

La calcite est le constituant presque exclusif de tous<br />

ces marbres (à 99 %). La fraction insoluble à l’acide<br />

chlorhydrique est composée surtout de muscovite et<br />

de chlorite en proportions variables. Les marbres veinés<br />

gris et blancs sont les plus riches en chlorite dont<br />

le fer ferreux est responsable de la pigmentation plus<br />

ou moins grise de la roche ; ils se caractérisent par les<br />

teneurs les plus faibles en matières insolubles. La plupart<br />

des marbres rouge sang ne renferment pas d’oxydes<br />

de fer cristallisés du type goethite, la pigmentation est<br />

alors contrôlée par la présence du fer ferrique à l’état<br />

amorphe ; il est vraisemblable que des teneurs relativement<br />

faibles en fer ferrique (


les marbres de Bouleternère<br />

285<br />

pour aboutir cependant à une pigmentation rouge vif.<br />

Seuls les marbres des Pedreres 7 et 8 renferment une<br />

teneur élevée en goethite qui est piégée dans des veines<br />

rugueuses et poreuses de couleur caramel ou chocolat.<br />

Cette goethite peut être alors responsable d’une teneur<br />

assez élevée en matières insolubles ; elle témoigne vraisemblablement<br />

d’enclaves plus ou moins schisteuses qui<br />

n’ont pas été digérées par le métamorphisme comme on<br />

peut parfois en observer dans les falaises de calcaire gris<br />

dévonien de la région de Thuir. La fréquence des patines<br />

qui affectent ce marbre est la conséquence de son caractère<br />

très diaclasé : à l’affleurement, on a le plus souvent<br />

affaire à des blocs qu’à des bancs continus. L’incidence<br />

des microcontraintes tectoniques est également démontrée<br />

par la récurrence et l’abondance des septats<br />

de recristallisation secondaire. Enfin, ces marbres des<br />

Pedreres de Bouleternère, à une exception près, un peu<br />

douteuse, sont très largement azoïques.<br />

Les marbres rouges dits « de Villefranche »<br />

Les marbres « flammés » de Villefranche que nous<br />

avons analysés se caractérisent en premier lieu par la<br />

présence systématique de restes de faune et de flore<br />

fossiles de nature et de concentration assez variées. La<br />

fraction insoluble est presque toujours dominée par la<br />

muscovite et la chlorite, minéraux déduits des argiles<br />

du calcaire marin primitif. Il s’y ajoute localement du<br />

quartz, mais aussi de l’hématite et de la manganite, oxydes<br />

qui sont totalement inconnus aux Pedreres. Ces deux<br />

oxydes sont responsables respectivement des pigmentations<br />

rouge sombre et violette. Leurs teneurs tendent à<br />

diminuer, comme celles de la fraction insoluble de la roche<br />

entière, dans les marbres les plus clairs : rose-rouge,<br />

roses ou fortement veinés de blanc.<br />

La carrière du Roy à Caunes-Minervois<br />

Les marbres rouges de la Carrière du Roy se distinguent<br />

bien de ceux des Pedreres, mais plus difficilement<br />

de ceux de Villefranche : on retrouve une<br />

deuxième fois l’abondance des restes de faune et de<br />

flore du Dévonien supérieur et une fraction insoluble<br />

qui associe les phyllosilicates et les oxydes métalliques.<br />

Toutefois chez ces derniers, si l’hématite apparaît quasiment<br />

ubiquiste, la manganite semble moins fréquente.<br />

Une autre spécificité de ces marbres audois pourrait être<br />

liée à une présence assez récurrente du quartz. Enfin, les<br />

restes « fenestrés » de Stromactatis paraissent plus fréquents<br />

ou, du moins, mieux conservés en Minervois sans<br />

qu’il soit possible, pour l’instant, de trop systématiser<br />

cette observation.<br />

Une part de la différence entre les marbres des<br />

Pedreres de Bula et ceux, plus connus, de Villefranchede-Conflent<br />

et de Caunes-Minervois, pourrait s’expliquer<br />

en fonction de ce que l’on sait d’une stratigraphie<br />

régionale encore fragmentaire. La transgression marine<br />

du Dévonien s’est développée pour atteindre son<br />

maximum au Dévonien supérieur. C’est au Famennien,<br />

avec le dépôt des calcaires à Goniatites, que l’approfondissement<br />

a atteint un paroxysme, relayé ensuite par<br />

les radiolarites et les faciès Culm du Tournaisien. À<br />

Villefranche, comme à Caune-Minervois, l’âge des marbres<br />

rouges est considéré comme allant du Frasnien au<br />

Famennien. Ces marbres sont immédiatement couverts<br />

par les calcaires griottes : cette position stratigraphique<br />

coïncide avec une richesse fossilifère que l’on ne retrouve<br />

pas aux Pedreres de Bouleternère. Dans ce dernier<br />

site, le Dévonien est assimilé dans les différentes cartes<br />

géologiques à un Dévonien moyen (Givétien), voire inférieur<br />

par correspondance avec les grands bancs calcaires<br />

voisins dans la région de Thuir, c’est-à-dire à une<br />

accumulation liée à un milieu marin moins transgressif<br />

et moins riche en faune et flore. Un autre paramètre distinctif<br />

des marbres des Pedreres est lié aux très fortes<br />

déformations qu’ont pu subir ces marbres au sommet<br />

de synclinaux perchés. Leurs très fortes fracturations<br />

associées à des recristallisations secondaires répétées<br />

ont pu effacer les caractères pétrosédimentaires originels<br />

du dépôt.<br />

20bis - Carrière du Roy : échantillon de marbre avec partie blanche en ouïe de violon<br />

(cl. M. Martzluff ).


286 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

Prélèvements<br />

Pedrera 1<br />

Pedrera 2<br />

Pedrera 3<br />

Couleurs<br />

dominantes<br />

Rouge sang,<br />

veiné blanc<br />

Rouge sang,<br />

veiné blanc<br />

Rouge ou rose,<br />

veiné blanc<br />

Fossiles<br />

%<br />

insoluble<br />

2,32<br />

4,33<br />

2,02<br />

Pedrera 4 Blanc veiné gris 0,28<br />

Pedrera 5 Blanc 0,83<br />

Pedrera 6<br />

Pedrera 7<br />

Pedrera 8<br />

Corneilla de Conflent<br />

citerne Vauban 1<br />

Corneilla de Conflent<br />

citerne Vauban 2<br />

Corneilla de Conflent<br />

citerne Vauban 3<br />

Corneilla de Conflent<br />

citerne Vauban 4<br />

Corneilla de Conflent<br />

RN 166 1<br />

Corneilla de Conflent<br />

RN 166 2<br />

Caune-Minervois 1<br />

Caune-Minervois 2<br />

Caune-Minervois 3<br />

Caune Minervois 4<br />

Rouge veiné<br />

blanc et ocre<br />

Enclave<br />

marron dans<br />

marbre blanc<br />

Enclave<br />

marron dans<br />

marbre blanc<br />

Rouge corail,<br />

veiné et taché<br />

blanc<br />

Rouge veiné<br />

blanc et gris<br />

violacé<br />

Rose-rouge,<br />

taches blanches<br />

ou roses<br />

Rose orangé,<br />

veines blanches<br />

et rouges<br />

Rouge corail,<br />

taches et veines<br />

blanches<br />

Rouge corail,<br />

veines blanches<br />

Rose-rouge,<br />

un peu orangé,<br />

veines blanches<br />

Rouge sombre,<br />

taches blanches<br />

ou gris clair<br />

Rouge sang<br />

ou corail,<br />

veines blanches<br />

ou ocres<br />

Rose-rouge,<br />

parfois orangé,<br />

veiné blanc<br />

Composition<br />

des insolubles<br />

Muscovite,<br />

chlorite<br />

Muscovite,<br />

chlorite,<br />

goethite<br />

Muscovite,<br />

chlorite<br />

Quartz,<br />

chlorite, traces<br />

muscovite<br />

Quartz,<br />

chlorite<br />

Muscovite,<br />

1,75 chlorite,<br />

goethite<br />

Goethite,<br />

7,17 chlorite,<br />

muscovite<br />

Quartz,<br />

7,51<br />

goethite,<br />

muscovite,<br />

chlorite<br />

Muscovite,<br />

* 2,51 chlorite,<br />

hématite<br />

Muscovite,<br />

** 16,19 chlorite,<br />

hématite<br />

* 0,55<br />

Muscovite,<br />

chlorite<br />

Quartz,<br />

*** 0,80 manganite,<br />

chlorite<br />

Muscovite,<br />

* 1,26<br />

manganite,<br />

chlorite,<br />

hématite<br />

Muscovite,<br />

*** 0,98 chlorite,<br />

hématite<br />

Quartz,<br />

** 0,57<br />

muscovite,<br />

chlorite,<br />

goethite<br />

Muscovite,<br />

* 2,69<br />

chlorite,<br />

hématite,<br />

* 0,83<br />

*** 1,57<br />

manganite<br />

Muscovite,<br />

chlorite,<br />

hématite,<br />

quartz<br />

Muscovite,<br />

quartz,<br />

chlorite,<br />

hématite<br />

Principales caractéristiques pétrographiques des marbres des secteurs des Pedreres<br />

à Bouleternère, de Corneilla-de-Conflent et de Caune-Minervois. Les<br />

caractères distinctifs sont liés à la présence de restes fossiles, à la composition<br />

et à la concentration des matières insolubles. Ces dernières augmentent en<br />

fonction de l’intensité de la pigmentation rouge, les valeurs les plus fortes sont<br />

liées à la présence abondante des oxydes de fer (cf échantillons Pedrera 2,<br />

7, 8) ou des oxydes de fer et de manganèse associés (Corneilla de Conflent<br />

Citerne Vauban 2).<br />

IV - Les marbres de Bouleternère<br />

DAns l’architecture du Roussillon<br />

Il ne fait plus de doute qu’une pedrera est en activité<br />

dans la <strong>montagne</strong> calcaire de Bouleternère à la fin du<br />

Moyen Âge et c’est sans doute un apport des prospections<br />

de 2006 d’avoir attiré l’attention des spécialistes sur<br />

ce point. Toutefois, avec l’archéologie, l’approche lithologique<br />

constitue pratiquement la seule base pour juger de<br />

la diffusion ancienne des productions marbrières de la<br />

<strong>montagne</strong> de Boule.<br />

Plusieurs facteurs peuvent favoriser l’existence, la croissance<br />

ou le déclin d’une carrière exploitant les roches<br />

« nobles » : la qualité de la roche, les besoins de commanditaires<br />

privés ou étatiques, la qualité de la main d’œuvre<br />

et la plus ou moins grande maîtrise locale des savoir-faire,<br />

les coûts d’exploitation, etc. Deux de ces facteurs nous<br />

semblent prendre ici un relief particulier.<br />

D’abord la qualité de la roche par rapport à celle du<br />

monument qu’elle illustre. Les filons ou les gisements en<br />

boule des Pedreres sont à ce titre là d’une qualité inférieure<br />

par rapport à ceux de certaines carrières de Villefranche,<br />

ces dernières ne pouvant pas prétendre égaler les marbres<br />

de Caunes, tant au point de vue de la longueur des pièces<br />

à extraire sans tomber sur des fissures que de l’homogénéité<br />

ou de la richesse des coloris.<br />

Le surcoût du transport ensuite, car celui-ci grève de<br />

beaucoup le coût des pierres taillées. Il s’établit pendant<br />

les temps modernes (pour le transport des meules) entre<br />

le quart ou le tiers du prix de l’œuvre 28 . Or, au XIV e siècle,<br />

le passage par le col de Ternère est déjà soumis à un<br />

péage découlant du rachat du territoire de Bula par le<br />

Roi de Majorque entre 1303 et 1309 29 . Le paiement de<br />

ce droit a pu donner à la Pedrera de Bouleternère un regain<br />

d’intérêt pour approvisionner les monuments du<br />

Roussillon aux XV e et XVI e siècles par rapport aux gisements<br />

du Conflent. C’est aussi le surcoût des marbres du<br />

Minervois qui a sans doute poussé les pouvoirs publics à<br />

s’intéresser aux marbres locaux dès la seconde moitié du<br />

XVIII e siècle.<br />

28. J.-P. Comps chap. VII et M. Martzluff chap. XI.<br />

29. Cf. Tosti 1986a. J.-L. Olive (1987), sans citer ses sources, précise que ce<br />

droit depéage s’élève en l’an 1360 à 12 deniers la charge, soit un poids estimé<br />

d’après le bât d’un mulet à 126 kg.


les marbres de Bouleternère<br />

287<br />

21 - Obélisque de Port-Vendres, face sud du socle. Le pavement alterne les « MFV » rouges et les brèches blanches d’Estagel (en bas à gauche sur la vue de gauche). On remarquera<br />

sur la vue de droite, à la fois une mince veine d’un minéral qui a l’aspect de la goethite et des traces de fossiles (ronds blancs) près de la fissure bleutée (nappée d’oxydes<br />

de manganèse ?) (cl. G. Castellvi).<br />

IV.1 - Les marbres de Villefranche dans l’architecture moderne : L’olélisque<br />

Mailly à Port-Vendres<br />

L’intérêt de ce monument est de nous renseigner assurément sur la provenance<br />

des roches marbrières qui le composent. Nous laisserons de côté les « marbres<br />

blancs » d’Estagel pour nous intéresser aux marbres rouges de Villefranche qui<br />

forment le socle de l’aiguille. Ils ont été extraits au début des années 1780 dans une<br />

carrière dont nous ignorons la localisation. Il existe en effet des traces d’extraction<br />

des marbres du type « MFV » à la mine lente un peu partout en moyen Conflent<br />

autour du synclinal. Non seulement il s’en trouve dans la vallée de la Têt, depuis<br />

Villefranche jusqu’à Ria, mais aussi dans celles de ses tributaires en rive droite, le<br />

Rotjà et le Cadi (Corneilla et Fuilla). Or, le marbre rouge de l’obélisque Mailly est<br />

non seulement bien coloré et homogène, mais encore rempli de fossiles – ce qui<br />

l’éloigne fortement de la carrière de Bouleternère – et comporte aussi des minces<br />

filons de goethite – ce qui l’en rapproche tout aussi fortement (ill. 14 et 21). On le<br />

voit, la question des gisements de marbres colorés du Conflent n’est pas simple.<br />

IV.2 - Les marbres des Pedreres de Bula<br />

dans le bâti d’époque moderne et dans l’art baroque<br />

La question de l’origine des marbres ne se pose pas pour le portail baroque de<br />

N.-D. la Real qui peut servir de référence en la matière. La réponse est très évidente<br />

pour celui de l’église de Bouleternère, village où nous avons trouvé par ailleurs des<br />

éléments intéressants dans l’architecture vernaculaire des XVI e ‐XVII e siècles.<br />

Il s’agit en particulier d’une porte millésimée 1563, attenante à une tête sculptée<br />

fichée dans le mur (ill. 22). La pierre de seuil est très typique d’un faciès particulier<br />

des Pedreres. C’est un matériau de tonalité plutôt blanche à reflets beiges ou saumonés,<br />

mêlé de passées noduleuses grises à bleutées et traversé de filets orangés.<br />

22 - Maison du XVI e siècle à Bouleternère (date<br />

1563 gravée sur la croix). La vue du bas montre<br />

la pierre du seuil, caractéristique d’un faciès des<br />

Pedreres (cl. M. Martzluff ).


288 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

Il est assez proche des marbres bicolores (en partie rouge<br />

et en partie blanc) les plus utilisés à Serrabone dans la<br />

tribune. On remarque ici l’absence de veines de goethite.<br />

De nombreuses habitations d’Ille, en particulier la maison<br />

d’Ardena, la « Casa del comte » 30 , donnent pour le<br />

XVII e siècle la mesure d’une solide production qui provient<br />

assurément des Pedreres, d’après l’aspect typique du<br />

matériau azoïque rose pâle à gros nodules blancs, très<br />

souvent affecté de grosses veines de goethite dans les productions<br />

de cette époque.<br />

L’église Saint-Étienne-du-Pedraguet d’Ille-sur-Têt<br />

(Sant Esteve del Pedreguet)<br />

En ce qui concerne l’art religieux, il n’est guère douteux<br />

de pouvoir attribuer aux Pedreres l’essentiel des éléments<br />

non polis qui arment les murs de cette église dont<br />

la construction commence en 1664 et s’achève quasiment<br />

un siècle plus tard par le portail (ill. 13). On remarquera<br />

que la structure d’ensemble est assez homogène, avec un<br />

choix pour des matériaux bien rouges et relativement résistants<br />

à l’altération. Le meilleur des affleurements de<br />

Bouleternère a été mobilisé pour cette œuvre, assurément.<br />

Pour le portail, rien n’est sûr de cette origine sans disposer<br />

de sources écrites (ill. 23). Il pourrait en effet provenir des<br />

Pedreres, compte tenu de la tonalité de certains filons qui<br />

ont servi dans les portails baroques des églises La Réal et<br />

de Bouleternère. Mais c’est loin d’être sûr, eu égard à ce que<br />

nous savons maintenant de ces carrières et au volume du<br />

même filon nécessaire pour réaliser cette œuvre. Cette pierre<br />

pourrait donc bien provenir de Villefranche (« Violet de<br />

Ria »), la localisation des carrières modernes n’étant pas<br />

connue (ill. 3). Elle ne semble pas venir de Caunes, d’après<br />

les descriptions qui sont faites des « MDL », quoique la<br />

richesse des variétés de marbres colorés du Minervois permette<br />

toutes les suppositions.<br />

Le portail baroque de l’église Saint-Sulpice,<br />

à Bouleternère<br />

C’est le portail qui est le plus impressionnant par la largeur<br />

des veines de goethite visibles sur les marches du<br />

perron (ill. 24 et 25). L’ensemble est tout à fait typique<br />

des marbres des Pedreres, à la fois par la variété des fa-<br />

30. Joseph d’Ardena, dont a vu que la famille avait au XVI e siècle participé par<br />

ses commandes à la bonne réputation du marbre de Bouleternère (note 19), est<br />

devenu seigneur et vicomte d’Ille après avoir pris le parti de la France en 1642.<br />

Il semble que l’essor et le déclin des Pedreres suivent en quelque sorte le<br />

destin de cette famille. Elle tombe en effet rapidement en disgrâce à la fin du<br />

XVII e siècle et a localement perdu son influence au XVIII e siècle.<br />

23 - Le clocher de l’église Saint-Pierre à Ille-sur-Têt et ses angles de marbre rose venant<br />

des Pedreres à Bouleternère (cl. M. Martzluff ).<br />

ciès (rouge à violacés) et des défauts (petitesse des blocs<br />

exploitables, larges veines marrons de goethite, larges<br />

parties blanches qui coupent la vue du parement en deux<br />

parts inégales, etc.). Il existe des pierres de toutes nuances,<br />

y compris dans les montants, ce qui est quand même<br />

fâcheux pour un monument fort bien sculpté et achevé<br />

l’année même où fut signé le traité des Pyrénées (ce qui<br />

n’explique sans doute pas grand-chose, sauf éventuellement<br />

une pénurie conjoncturelle de moyens dans cette<br />

période troublée par les guerres).<br />

Le portail de Notre-Dame la Réal, à Perpignan<br />

Ce portail constitue la référence historique concernant<br />

les nuances et les variétés du marbre roussillonnais<br />

de Bouleternère (ill. 26 et 27). On remarque les nombreux<br />

filets disgracieux de goethite traversant des roches<br />

déjà très pâlies par la patine, sur des blocs qui voisinent<br />

avec d’autres, porteurs de belles passées flammées de<br />

rouge ou de violacé. Le faciès blanchâtre à nodules gris<br />

bleuté, mêlé de moutonnements saumonés et de divers<br />

filets colorés dans les tons chauds, est également présent.


les marbres de Bouleternère<br />

289<br />

24 - Église Saint-Sulpice de Bouleternère, portail baroque du XVII e siècle. On remarquera la diversité des marbres,<br />

et notamment sur la vue agrandie, à droite, la largeur des passées blanches et les filons de goethite qui zèbrent les<br />

bases des piliers latéraux (Cl M. Martzluff ).<br />

25 - Perron de l’église Saint-Sulpice de Bouleternère.<br />

Sur cette partie moins noble et polie par les passages,<br />

la diversité et les défauts du marbre local s’observent<br />

encore mieux. On remarquera la largeur des veines de<br />

goethite et aussi le faciès pâle déterminé sur d’autres<br />

monuments (ill. 22) (cl. M. Martzluff ).<br />

26 - Portail baroque de N.-D. la Réal. Les couleurs ont été contrastées, l’aspect étant<br />

aujourd’hui plus pâle à cause de la patine (cl. M. Martzluff ).<br />

27 - Portail baroque de N.-D. la Réal. Aspects caractéristiques du marbre roussillonnais des<br />

Pedreres. On remarquera la forte présence des filons disgracieux de goethite, mais aussi<br />

certains faciès pâles (en bas à droite) ou au contraire violacés (en bas au centre). On remarquera<br />

aussi sur la vue du haut à droite, la moins forte patine des éléments protégés par le<br />

fronton (voir aussi l’ill. précédente) (cl. M. Martzluff ).


290 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

L’ensemble a beaucoup pâli, ce que tendent à montrer les<br />

blocs bien colorés qui ont été protégés du ruissellement<br />

sur la façade par l’avancée du fronton. On notera pour finir<br />

que ce fronton est en mortier peint, ce qui peut quand<br />

même signifier que les commanditaires étaient plutôt impécunieux.<br />

Les belles colonnes en marbre « Turquin » de<br />

Caunes qui encadrent le maître-autel baroque de cette<br />

église proviennent du monastère de Lagrasse et ont été<br />

ajoutées au XIX e siècle. Et c’est tout dire sur une commande<br />

qui fut probablement dictée en 1663 par un fort<br />

souci d’économie !<br />

IV.3 - Les marbres de Villefranche dans l’architecture<br />

médiévale et l’art roman<br />

Ces marbres étaient déjà fameux au XIV e siècle. L’abbé<br />

A. Cazes, reprenant les notes d’Alart, signale dans une<br />

brochure (Cazes 1980) l’exportation des « MFV »<br />

en 1390 pour construire le cloître de Ripoll et, surtout,<br />

une lettre du 3 janvier 1347 dans laquelle Pierre d’Aragon<br />

fait extraire et travailler ces roches colorées du Conflent<br />

pour orner le portail d’une chapelle qu’il construit en<br />

Espagne, à Valencia 31 . C’était un an avant la grande peste<br />

et il est difficile de savoir, sans se rendre sur place, si cette<br />

commande, sans doute en partie dictée par la tentative<br />

de se concilier les notables de Villefranche qui avaient<br />

en 1344 pris le parti de son rival, Jacques de Majorque,<br />

fut suivie d’effet.<br />

Villefranche-de-Conflent<br />

La ville est bâtie en marbre, y compris pour la majeure<br />

partie des structures d’époque moderne. Il y aurait bon<br />

profit à examiner de près l’agencement des différents faciès<br />

de ce matériau dans l’architecture. Mais déjà, les panneaux<br />

de récupération qui forment les trottoirs de la rue principale<br />

et qui sont polis par l’usure des pas, ou bien les pierres<br />

de seuil des maisons, sont très édifiants sur la grande<br />

variété du « MFV » (ill. 3). Ces pierres témoignent aussi<br />

de l’importance du faciès « FP » (ill. 4 et 5). Car ce sont<br />

en réalité ces roches marbrières cloisonnées, où la part<br />

schisteuse est parfois dominante, qui forment l’essentiel<br />

des constructions civiles, sous réserve d’une patine grise<br />

qui en masque souvent l’identité quand ils ne sont pas<br />

bien polis et protégés des intempéries. Le petit portail de<br />

l’église Saint-Jacques et une plaque funéraire placée à côté,<br />

proviennent de ces affleurements (ill. 5 et 30). Les pierres<br />

31. Il s’agissait de la chapelle du Real, le palais royal de Valencia détruit.<br />

de seuil du grand portail, plus anciens dans le XII e siècle,<br />

en procèdent également. Par contre, les colonnades et les<br />

chapiteaux de ce grand portail sont réalisés avec un marbre<br />

« MFV », mais qui montre cependant, sur l’une des<br />

colonnes, un très mince filet d’un minéral qui nous semble<br />

bien être de la goethite, sous réserve d’analyses pétrographiques<br />

de la roche à l’affleurement (ill. 30).<br />

Le cloître de Saint-Michel de Cuxa<br />

C’est un monument pour lequel l’hypothèse de provenance<br />

des matériaux s’oriente sur une logique de proximité<br />

vers les gisements du synclinal de Villefranche. La<br />

puissance économique que représente le monastère, son<br />

rayonnement au XII e siècle, s’imposent aussi pour supposer<br />

un choix des meilleurs matériaux à sculpter dont<br />

le territoire est pourvu. Un examen des piliers et chapiteaux<br />

du cloître permet de diviser sommairement la série<br />

en deux faciès lithologiques. Le premier est un « MFV »<br />

bien homogène et bien coloré sur toutes les pièces d’architecture,<br />

colonnes et chapiteaux, principalement celles de<br />

la galerie méridionale et qui appartiendraient au cloître<br />

(v. 1120‐1130), ce qui représente un des tout premiers<br />

témoignages de l’utilisation systématique du marbre rouge.<br />

Le second est, à notre avis, formé de roches sensiblement<br />

différentes, plus pâles, c’est-à-dire plus sensibles à<br />

l’altération, plus disposées à la patine, et comportant de<br />

plus larges inclusions blanches.<br />

Certaines pierres de cette série sont aussi traversées<br />

par de minces filets couleur caramel, rapportables à la<br />

présence de goethite, sous toutes réserves. Les veines<br />

de ce minéral sont même divisées en réseaux disharmonieux<br />

sur les sculptures d’un chapiteau (ill. 28 et 29).<br />

Ce faciès est bien représentés dans l’angle reconstitué<br />

au nord-est. Il est également bien attesté par des fragments<br />

de colonnettes et des bas reliefs conservés dans<br />

la réserve lapidaire. Ces éléments appartiendraient à la<br />

tribune, de construction un peu plus tardive que la première<br />

série (v. 1150, Ponsich 1995). Il s’agit quand même<br />

d’un marbre « MFV », mais de moins grande classe et<br />

qui offre dans son aspect des affinités avec celui de la tribune<br />

de Serrabone. Par ses filets de minéraux marron, il<br />

se rapproche aussi du petit portail de l’église romane de<br />

Villefranche. Par contre, nous n’avons pas pu déterminer<br />

la variété « Fleur de pêcher » dans les éléments de cette<br />

seconde série de Cuxa, du moins parmi tous ceux qui ont<br />

conservé leur aspect typique, sous la patine.


les marbres de Bouleternère<br />

291<br />

28 - Abbaye de Saint-Michel de Cuxa. Partie septentrionale (probables éléments de la tribune). Colonne<br />

de « MFV » pâlotte et traversée par un filet couleur caramel qui pourrait être de la goethite (détail à droite)<br />

(cl. M. Martzluff ).<br />

29 - Abbaye de Saint-Michel de Cuxa. Partie orientale, (probables<br />

éléments de la tribune). Un chapiteau sculpté d’aigles<br />

dont la perception est déformée par l’aspect des passées<br />

bicolores transverses et les amas de minéralisations couleur<br />

caramel, très probablement rapportables à un oxyde de fer<br />

(goethite ?) (cl. M. Martzluff ).<br />

L’église Sainte-Marie, à Corneilla-de-Conflent<br />

Le portail, refait au XII e siècle, est intéressant, nous<br />

l’avons déjà dit, parce qu’il fait intervenir dans l’architecture<br />

(colonnes) une roche cloisonnée, très colorée avec du<br />

vert et du violet. Ces deux colonnes, bien patinées quand<br />

même, sont très proches, au niveau de la roche, du petit<br />

portail de l’église romane de Villefranche-de-Conflent 32 .<br />

La provenance de ces marbres « FP » depuis les berges de<br />

la rive gauche de la Têt à Villefranche est ici quasiment<br />

certaine et il n’y a aucune raison de penser que le reste des<br />

marbres « MFV » n’en procède pas. Une des pierres du<br />

seuil, bien polie, est un marbre « MFV » bien rouge, mais<br />

traversé par une veinule marron qui présente a priori l’aspect<br />

de la goethite. Une partie des marbres colorés de ce<br />

portail est couverte, dans les hauts, par une patine bru-<br />

32. Ces marbres « FP » bien cloisonnés, les plus typiques et toujours très chargés<br />

en schistes verts, doivent se travailler et polir plus difficilement que les<br />

marbres « MFV ». Il semblent surtout armer les seuils et composer des bancs,<br />

en particulier à Corneilla et à Villefranche dans le grand portail. Par hypothèse,<br />

il est possible que, dans un premier moment du XII e siècle, ce type de roche ait<br />

servi pour des œuvres mineures alors que la couleur de la pierre comptait peu<br />

dans la sculpture. Peut-être qu’un lustrage sous l’effet de l’usure des passages,<br />

en leur donnant de l’éclat et en valorisant leur aspect arlequin très bigarré, a<br />

pu les valoriser ensuite, avec une plus grande importance accordée au jeu des<br />

couleurs ? Le problème est que, si le lustrage n’est pas entretenu, ce faciès FP<br />

semble devoir pâlir assez vite en se patinant. C’est peut-être pourquoi il n’est<br />

pas trop utilisé quand même dans les parties nobles de l’architecture ensuite.<br />

Mais il reste toujours à l’honneur bien après, puisque le fronton du portail<br />

d’époque moderne de l’Hospice d’Ille use de cette variété dans une polychromie<br />

avec d’autres roches marbrières.<br />

nâtre couleur coquille d’œuf que l’on retrouve aussi sur<br />

certains tailloirs des chapiteaux extérieurs de la galerie<br />

méridionale de Serrabone et qui diffère nettement de la<br />

patine habituelle de ces roches (enduits, peintures ?).<br />

IV.4 - Les marbres des Pedreres de Bula<br />

dans l’art roman roussillonnais<br />

Il est bien entendu que l’absence de texte ne constitue<br />

pas la preuve d’une absence de faits, surtout pour le<br />

Moyen Âge antérieur à 1300 et quand il s’agit de ce type<br />

d’activité. Mais il est difficile de démontrer l’exploitation<br />

des marbres d’une Pedrera à Bouleternère au plein Moyen<br />

Âge sur la base de nos connaissances archéologiques. En<br />

l’absence de fouilles, les documents les plus facilement<br />

accessibles sur le site d’extraction sont rarissimes ou très<br />

peu bavards, comme c’est le cas pour les restes de taille.<br />

Rarissimes également les indications dans le bâti.<br />

Nul doute quand même que les parements d’angle<br />

du pont-aqueduc d’en Labau, dit « des Sarrahims »<br />

au XIV e siècle 33 , tout comme son voussoir en schiste,<br />

proviennent de la <strong>montagne</strong> de Bula au début de ce<br />

siècle, lorsque fut édifié cet imposant monument 34 .<br />

33. Cf. ill. dans le texte de conclusion. Les parements d’angle sont assez rares,<br />

mais ils arment les bases des piles et appartiennent à la première phase de<br />

construction.<br />

34. J.-P. Comps, cet ouvrage, chapitre VII et mention d’un chaufournier de


292 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

30 - Église Saint-Jacques, Villefranche-de-Conflent. Vues du haut : grand portail en « MFV » avec une colonne (n° 1) portant de minces filets couleur caramel probablement<br />

dues à un oxyde de fer (goethite ?) ; grossissement à droite. Vues du bas : petit portail témoignant des faciès « FP » du marbre local, ici fortement patiné (la<br />

coloration est exagérée sur la photo). La colonne de droite (n° 2) est traversée par deux filets caramel (goethite). Le chapiteau qui la surmonte (n° 3) est sculpté dans<br />

une veine blanche du « MFV » qui est parcourue par de minces filets bleutés (maganèse) ; mais elle aussi zébrée par des veines couleur caramel (goethite ?) dont les<br />

parties les plus épaisses ont été discrètement placées par le sculpteur dans un angle moins visible (cl. et D.A.O. M. Martzluff ).<br />

On ne trouve guère ensuite d’autres exemples archéologiques<br />

de pierre à bâtir que dans les remparts d’Ille qui<br />

font intervenir le marbre rouge de Bouleternère pour les<br />

meurtrières de la troisième enceinte. Cette construction<br />

date probablement de la seconde moitié du XIV e siècle,<br />

mais elle a été parfois reculée à une période plus ancienne,<br />

c’est-à-dire aux XII e -XIII e siècles (Tosti 1990). Peu<br />

importe. Ces ouvertures sont souvent d’une typologie<br />

tardive, formées pour l’artillerie, comme au Castillet, et<br />

plutôt datables de la fin du XV e et du XVI e siècle (ill. 31).<br />

Elles ont pu être ajoutées 35 .<br />

Bouleternère à cette époque pour réaliser cette œuvre : Martzluff, chapitre XI.<br />

35. Ces remparts ont été maintes fois remaniés comme en témoigne un document<br />

du 7 décembre 1578 où Joan Simart, Frances Reynaut et Girau Capell,<br />

calsinery de Bouleternère, vendent aux consuls d’Ille 250 aymines de chaux,<br />

pour la somme de 100 livres, pro reparatione murorum dicte ville Insule.<br />

(ADPO, 3 E 3/291, f° 181v°).<br />

La production médiévale de la Pedrera de Bula paraît donc<br />

des plus modestes dans les édifices publics les plus proches<br />

au moment où les textes commencent à en parler. Et au<br />

début du XVI e siècle, il semble bien – mais d’après de trop<br />

rares textes comme nous l’avons vu – qu’elle n’ait pas encore<br />

conquis ses lettres de noblesse pour les monuments du culte,<br />

en restant en quelque sorte cantonnée à des œuvres inférieures<br />

(pavements). Il en est de même pour l’architecture<br />

vernaculaire et l’on commence surtout à trouver de belles<br />

maisons ornées de marbre pendant la Renaissance, comme<br />

nous l’avons constaté à Bouleternère (ill. 22) et aussi à Ille. Il<br />

se peut cependant que notre appréciation en la matière soit<br />

biaisée par la rareté des sources et par une documentation<br />

archéologique dans le bâti qui est bien remaniée et reste très<br />

lacunaire dès que l’on s’éloigne du XIX e siècle.


les marbres de Bouleternère<br />

293<br />

31 - Remparts d’Ille-sur-Têt, route de Bélesta. Meurtrières taillées dans le marbre de Bouleternère (filons de goethite sur la vue de droite) (cl. M. Martzluff).<br />

Les chapiteaux de l’ensemble funéraire<br />

de l’église Sainte-Marie, dite La Rodona, à Ille-sur-Têt<br />

Ces chapiteaux datables de la fin du XIII e siècle ont<br />

donné lieu à une publication qui met l’accent sur leur possible<br />

extraction aux Pedreres de Bula (Vaissières 2007).<br />

Ces pièces sont très altérées, mais une bonne partie semble<br />

effectivement en provenir, certains éléments étant<br />

d’ailleurs traversés par de nombreux filons de goethite<br />

(chapiteau « aux aigles »). Toutefois, compte tenu de la<br />

variété des roches qui ont servi à construire la Rodona et<br />

l’Hôpital Saint-Jacques d’Ille, où l’on retrouve des brèches<br />

de Baixas et du « Fleur de pêcher » de Villefranche,<br />

entre autres roches exogènes, il convient d’être prudent<br />

sur une argumentation qui fait reposer la présence des<br />

marbres dans un monument sur le seul fait de la proximité<br />

du gisement de matière première, bien que le transport<br />

ait à l’évidence compté pour une part très importante du<br />

coût. Nous savons qu’au XVIII e siècle, les notables non<br />

privilégiés et le peuple imposable d’Ille n’hésitent pas à<br />

entreprendre de ruineuses dépenses pour faire venir à<br />

grands frais du marbre de Caunes pour certaines parties<br />

de leur église.<br />

L’église romane Saint-Sulpice de Bula (Bouleternère)<br />

Nous n’avons pas pu visiter l’intérieur du presbytère<br />

où se trouvent les restes architecturaux du XII e siècle,<br />

en particulier le portail. A. Cazes attribue les pièces de<br />

marbres de cette époque à la carrière de Bula. Là encore,<br />

la proximité du gisement est sans doute un argument important,<br />

mais ne constitue pas une preuve. Cependant,<br />

les parements qui forment l’angle primitif entre les murs<br />

sud et est, avec leurs filons de goethite et leurs passées<br />

blanchâtres mouchetées de gris, proviennent vraisemblablement<br />

des Pedreres. La cuve baptismale très ancienne<br />

(et patinée) qui est conservée dans ce presbytère comporte<br />

un beau filon de goethite et semble bien provenir<br />

de la Pedrera de Bula (ill. 32).<br />

Le prieuré de Serrabone<br />

Comme nous l’avons vu précédemment dans la partie<br />

concernant l’analyse lithologique, l’hypothèse d’une origine<br />

locale (Pedreres de Bula) d’une large partie des marbres<br />

de cet édifice pourrait déjà se trouver vérifiée sur la base de<br />

l’étude provisoire des<br />

deux échantillons<br />

trouvés en prospection<br />

près du prieuré<br />

(ill. 33). Mais c’est la<br />

visite du monument<br />

qui a permis de vérifier<br />

la présence ubiquiste<br />

des différents<br />

faciès de marbre des<br />

Pedreres dans les<br />

matériaux de l’architecture<br />

ornementale.<br />

32 - Église romane de Bouleternère. Cuve baptismale<br />

du presbytère, probablement associée à<br />

l’église du XII e siècle. Elle est traversée par un filon<br />

de goethite (à gauche) (cl. A. Catafau).


294 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

33 - Prieuré de Serrabona, Boule d’Amont. N° 1 : élément de colonne en marbre blanc et rose<br />

traversé par une veine de goethite dans la partie calciteuse blanche (localisation des oxydes<br />

de fer par des croix sur la vue de gauche). N° 2 : probable fragment de chapiteau en « MFV ».<br />

Prospections G. Castellvi (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

34 - Prieuré de Serrabona, Boule d’Amont. Encadrant la tribune dans le bâti de schiste, les marbres<br />

roses avec leurs filets de goethite dans un des claveaux (cl. M. Martzluff ).<br />

Ainsi ont été reconnues les variétés de marbre<br />

rosé et blanc, rouge et blanc, blanc à veines grises<br />

et marbrures orangées ou violacées et celles<br />

qui portent plus particulièrement des veines de<br />

couleur rouille et de couleur chocolat caractéristiques<br />

de ce gisement (ill. 34). Le marbre plutôt<br />

blanchâtre, mais qui comporte localement des<br />

adhérences roses ou saumonées bien marquées,<br />

est celui de la cuve baptismale qui appartient aux<br />

éléments sculptés les plus anciens, peut-être des<br />

XI e ‐XII e siècles (ill. 35). Il s’agit d’un faciès qui<br />

se patine facilement et qui n’est pas très loin de<br />

certaines variétés « MFV » de Villefranche (par<br />

exemple celle visible dans la série attribuable à la<br />

tribune de Cuxa), ou même d’un « FP » faiblement<br />

affecté par les passées chloriteuses vertes,<br />

lesquelles n’existent jamais à l’état macroscopique<br />

dans le marbre de Bouleternère, à notre connaissance<br />

du moins.<br />

Deux éléments toutefois peuvent ici se rapporter<br />

avec quelque certitude aux marbres du<br />

Conflent : la table du maître-autel et une colonne<br />

de la galerie méridionale. La table d’autel est ce<br />

qu’on trouve de plus chargé en enchevêtrements<br />

schisteux au bord de la Têt, à Villefranche, mais<br />

aussi de plus spectaculaire dans le très coloré,<br />

avec les cloisonnements en mosaïque de parties<br />

marmoréennes de tonalité blanche, bleue vert ou<br />

violacé et rouge vif. Cette dalle porte même des<br />

pastilles de couleur verte qui miment la pâte à<br />

modeler...<br />

Pareillement, la colonne interne de l’extrémité<br />

orientale de la galerie extérieure du cloître est<br />

proche de la définition du faciès « Fleur de pêcher<br />

» et provient sans doute de Villefranche<br />

(ill. 36). Les filets verdâtres sont toutefois discrets<br />

(mais la pièce est patinée). Or cette colonne<br />

bien calibrée, car non renflée, est d’un style tout à<br />

fait différent des autres. De toute évidence, elle a<br />

appartenu à une autre partie du monument (tribune<br />

ou rajout tardif, peut-être même comme<br />

élément d’un retable d’époque moderne ?). Il<br />

se trouve d’ailleurs, comme l’ont démontré les<br />

prospections, pas mal de fragments en marbre<br />

sculpté autour de l’édifice qui sont vraisemblablement<br />

issus de parties détruites ou remplacées.


les marbres de Bouleternère<br />

295<br />

35 - Prieuré de Serrabona, Boule d’Amont. Tribune.<br />

Variété des marbres (cl. C. Respaut).<br />

36 - Prieuré de Serrabona, Boule d’Amont. Galerie. Colonne en marbre d’un faciès « FP » provenant sans doute de<br />

Villefranche (cl. C. Respaut).<br />

C’est pourquoi, comme dans tous les autres cloîtres qui<br />

ont souffert de recompositions, les déterminations de<br />

l’origine du matériau peuvent s’avérer très délicates dans<br />

leur interprétation.<br />

Certaines colonnes de teinte rouge sombre, veinées de<br />

blanc, pourraient aussi s’apparenter éventuellement aux<br />

marbres « MFV » de Villefranche. Mais un examen attentif<br />

de la tribune montre que ces passées très colorées<br />

sont attenantes, sur le même bloc, à de larges parties<br />

blanchâtres à nodules gris et marbrures bleutées, roses ou<br />

orangées (ill. 37). De plus, il semble que ces marbres rouges,<br />

au contraire de ceux de Villefranche, soient dépourvus<br />

de restes de fossiles d’organismes. Malgré ce doute, la<br />

cohérence des observations réalisées dans ce monument<br />

va dans le sens d’une origine des marbres provenant en<br />

très grande partie des Pedreres, en tous cas aucun argument<br />

lithologique ne permet d’en douter.<br />

De manière plus générale, la prépondérance des marbres<br />

unissant les passées foncées à de larges bandes claires,<br />

saumonées ou blanches, associées à des nodules plus<br />

cristallins, gris ou bleuâtres, et à de minces filons réticulés<br />

jaunes ou orangés, parfois à des veines de goethite, dont la<br />

présence est ici très importante, prêche pour cette origine<br />

locale. Y concourent également deux autres considérations<br />

qu’il nous faut prendre en compte.<br />

Dans la tribune, les pièces en marbre, colonnes et chapiteaux,<br />

ne sont quasiment jamais homogènes dans leurs<br />

colorations, mais sont souvent partagées par deux plages<br />

très contrastées dès que le bloc dépasse 50 cm de longueur<br />

(et ils ne sont jamais très grands), avec une opposition des<br />

tonalités, l’une plutôt très rouge, l’autre très blanche, par<br />

exemple. Cela veut dire que ce matériau était bigarré en<br />

carrière, comportant de larges plages de l’une et l’autre<br />

variétés. Cette caractéristique, banale à Bouleternère, crée<br />

une fâcheuse discordance visuelle et nuit à l’appréciation<br />

des formes. Cela ne représente qu’un inconvénient mineur<br />

si les œuvres ont été peintes, mais sans doute un important<br />

défaut dans le cas où elles ne l’étaient pas.<br />

La seconde considération s’accorde avec la première<br />

dans le sens où ce monument est cohérent et procède<br />

probablement d’une philosophie particulière. Il est effet<br />

bâti de magistrale façon avec la roche locale sous-jacente,<br />

un méchant schiste tourmenté (ill. 38) qui a dû demander<br />

bien des efforts et des trésors de savoir faire pour réaliser<br />

une œuvre solide, d’une élégance rare dans la sobriété.<br />

La meilleure preuve de cet état d’esprit des bâtisseurs<br />

est le fait qu’un chapiteau cassé en cours d’ouvrage ne se<br />

remplace pas, mais que le sculpteur adapte son ciseau au<br />

nouveau tracé (tribune). Un autre exemple est tout aussi<br />

édifiant : l’angle de tailloir d’un des chapiteaux en marbre<br />

ornant la fenêtre du choeur s’est brisé avant, ou pendant<br />

son installation sur la colonne. Les maçons qui continuaient<br />

à monter l’encadrement de cette ouverture dans<br />

l’abside ont alors fait déborder un parement de schiste du<br />

mur pour qu’il s’encastre dans la partie manquante. Et ils<br />

l’ont sculpté de même façon.


296 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

37 - Prieuré de Serrabona, Boule d’Amont. Tribune. Faciès typique des marbres « bicolores » employés à Serrabone (cl. C. Respaut).<br />

Ce ne sont là que de tout petits détails, mais ils<br />

pourraient en quelque sorte symboliser cette unité de<br />

pensée qui affecte toutes les parties du monument du<br />

XII e siècle, lorsqu’il s’édifiait On n’a pas mis ici la pierre<br />

au service du talent. On s’est servi du talent pour surmonter<br />

les défauts de la pierre. C’est bien différent 36 .<br />

Choisir le marbre de la Pedrera de Bula pouvait s’inscrire<br />

dans cette logique qui n’est peut-être pas seulement<br />

celle d’une économie de moyens. Elle pourrait<br />

aussi bien exprimer la mise à disposition du grand art<br />

au service d’une terre austère, afin de la magnifier par<br />

le travail, tout en gardant à l’esprit un humble respect<br />

pour la rudesse minérale des lieux.<br />

36. Par exemple, on verrait assez mal la communauté d’Ille faire venir au<br />

XVIII e siècle de Caunes-Minervois un Maître Baux, « marbrier ordinaire du<br />

roy », pour sculpter le Maître-autel de leur nouvelle église en lui imposant à<br />

tailler le marbre des Pedreres de Bula !<br />

Conclusion<br />

Les marbres roussillonnais des Pedreres de Bula, situés<br />

un peu au-dessus du village de Bouleternère, se présentent<br />

en affleurements assez restreints (quelques centaines de<br />

mètres) qui ont été découverts dans le cadre de cette étude.<br />

Ils comportent plusieurs faciès lithologiques dont certains<br />

ont pu être employés dans l’architecture ornementale de<br />

plusieurs monuments proches, à partir du XII e siècle,<br />

comme l’église romane de Bouleternère et, selon toute vraisemblance,<br />

une majeure partie des éléments décoratifs du<br />

prieuré de Serrabone. Cette activité est aussi attestée à la<br />

fin du XIII e siècle par quelques chapiteaux de l’ensemble<br />

funéraire de l’église de La Rodona à Ille-sur-Têt.<br />

Sauf pour la variété « Fleur de pêcher », non identifiée<br />

ailleurs qu’à Villefranche et dont l’utilisation dans<br />

l’art monumental nous paraît un peu plus tardive que<br />

celle des premiers marbres rouges flammés de Cuxa, il<br />

est difficile de faire une distinction franche entre certains<br />

faciès des marbres de Bouleternère et ceux du Conflent.


les marbres de Bouleternère<br />

297<br />

Une meilleure connaissance archéologique et lithologique<br />

des gisements du synclinal de Villefranche serait nécessaire<br />

pour être mieux fixés sur cette question. Ainsi, des affleurements<br />

logés près de la Têt et très affectés par le métamorphisme<br />

de contact (roches que nous n’avons pas analysées<br />

en laboratoire) présentent des analogies avec un faciès de<br />

base des Pedreres (filons de goethite), analogies qui peuvent<br />

conduire à des confusions lors de déterminations hâtives.<br />

Aux XIV e et XV e siècles, la taille des marbres est plus<br />

sûrement attestée à Bouleternère. Mais la carrière (on ne<br />

parle pas encore des carrières dans les premiers textes) produit<br />

apparemment assez peu : quelques éléments du pontacqueduc<br />

dit des Sarrasins, à Rodès, des archères dans<br />

les remparts de la ville et sans doute quelques armatures<br />

des édifices religieux du Roussillon. Les taxes qui, avec le<br />

transport, grèvent fortement le prix de revient de la pierre<br />

monumentale sont déjà bien établies au Col de Ternère,<br />

pénalisant probablement les marbres du Conflent. Mais<br />

le véritable essor du marbre roussillonnais dans l’architecture<br />

religieuse ou vernaculaire se situe bien au XVI e siècle<br />

où – malgré les guerres incessantes, ou peut-être grâce à<br />

elles ? – le marbre de Bouleternère est jugé digne de l’art<br />

funéraire par les élites et élevé au rang de pierre pour colonnes,<br />

en tolérant de francs défauts que les analyses pétrographiques<br />

ont permis de mieux cerner. Cet essor bat son<br />

plein au Grand Siècle, avec de prestigieuses commandes<br />

qui s’expliquent par une situation de pénurie et dont témoigne<br />

le portail baroque de l’église N.-D. La Réal.<br />

Au XVIII e siècle, peut-être sous l’effet d’un épuisement<br />

des meilleurs filons, certainement sous l’effet d’un engouement<br />

pour la pourpre « fouettée de blanc » des marbres du<br />

Minervois, l’exploitation des Pedreres s’essouffle. Sans les<br />

commandes pour la construction de l’église Saint-Étienne<br />

d’Ille, commencée en 1667 et qui s’éternise au siècle suivant<br />

à cause des difficultés financières de la communauté,<br />

cette activité aurait probablement déjà cessé. Le souci<br />

d’économie qui anime les dirigeants de la province à partir<br />

de la moitié du siècle ne parvient pas à relancer une production<br />

déjà en sommeil et ce sont les roches marbrières<br />

du Conflent et des Corbières qui reviennent à l’honneur<br />

dans les commandes publiques peu avant la Révolution.<br />

Le tintement des pichs, escodes et martellines sur le roc<br />

a donc sans doute définitivement cessé aux alentours<br />

de 1750 à Bouleternère. Mais la <strong>montagne</strong> n’est pas restée<br />

longtemps silencieuse. Une population paysanne toujours<br />

plus nombreuse y construit des murettes, y pioche le sol<br />

pour planter la vigne dans le moindre repli de terrain. Ainsi<br />

furent vite effacées presque toutes les cicatrices qu’avaient<br />

laissées les picapedrers sur les pentes de cette aspre calcaire.<br />

Le silence de la friche ne s’est tout doucement imposé que<br />

bien plus tard, après les dures épreuves des crises viticoles<br />

et de la première guerre mondiale.<br />

38 - Prieuré de Serrabona, Boule d’Amont. Parement de schiste poli dans le mur de la nef encadrant la tribune et où sont visibles les<br />

microplis faillés de la roche locale (cl. C. Respaut).


298 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre X<br />

L’EXPLOITATION DES MARBRES<br />

À BOULETERNERE D’APRÈS LES ARCHIVES<br />

1 - Localisation de la Pedrera, la Padrera ou les Pedreres, à<br />

Bouleternère (fin XIV - début XVII e siècles)<br />

- 14 janvier 1382 : dans le testament de Bartomeu Marches, de<br />

Bouleternère : Item lego amplius eidem uxori mee de vita sua quandam<br />

vineam meam sitam in dictis terminis loco vocato a la pedrera et affrontat<br />

cum tenentia Arnaldi Tornery et cum tenentia Jacobi Salomonis<br />

(ADPO, 3 E 3/158, Bernat Borgua, notaire d’Ille, Notula de Bula,<br />

1379-1382).<br />

- 5 novembre 1382 : avec la mention de l’établissement d’une pièce<br />

de terre à la pedrera, acte passé le 5 novembre 1382 chez Bernat<br />

Borga, notaire d’Ille (ADPO, 1 J 51, livre de raison de Gabriel et<br />

Francisco Pauques, de Bouleternère, 1682-1752, avec inventaire des<br />

titres de la famille au n° 102).<br />

- 22 septembre 1390 : mention de l’établissement d’une vigne à la<br />

padrera : Carta de un stabliment que ha fet Joan Fabre procurador del<br />

Sr viscompte a Joan Reitg de una vinya a la padrera en poder de Bernat<br />

Borga notari de Illa als 22 7 bre 1390 (ADPO, 1 J 51, livre de raison<br />

de Gabriel et Francisco Pauques, de Bouleternère, 1682-1752, avec<br />

inventaire des titres de la famille, n° 72).<br />

- 28 février 1448 : vente aux enchères par le curateur de Jaume, adhulto,<br />

fils de feu Bernat Riera, de Bouleternère, et de Francesca, de<br />

qaddam vineam dicti adhulti scitam in terminis dicti loci de Bula loco<br />

vocato la pedrera et affrontat cum tenentia Petri Sabaterii et tenentia<br />

den [pac lo sabater ?] et cum tenentia Jacobi Perat (ADPO, 3 E 2/262,<br />

Jordi Borga, notaire d’Ille, notule, 1445-1459, f° 26 v°).<br />

- 9 janvier 1517 : Arnau Guillem de Sajus, pareur d’Ille, vend à<br />

Bernat Forest et Manaut Lere, de Bouleternère, une vigne située a<br />

les pedroses, qui fut de Pere Solera, son oncle, du même lieu, confrontatam<br />

cum tenencia Johannis Resador et cum tenencia Petri Maurandi<br />

et cum tenencia heredum Jacobi Mares quondam omnium dicti loci e<br />

ab la pedrera eiusdem loci (ADPO, 3 E 84/8, Joan Frances Fabre,<br />

notaire d’Ille, manuel, 1517-1518, f° 2).<br />

- 11 mai 1552 : Julià Mauran, notaire de Prades, vend à Frances<br />

Boher, brassier de Bouleternère, une vigne située au terroir de<br />

Bouleternère, loco dicto la padrera conffrontatam ex una parte cum tenencia<br />

vestra dicti emptoris et cum torrente de la padrera et cum garrigÿs<br />

vicce comitatis de Insula et cum alÿs (ADPO, 3 E 84/26, Felip Fabre,<br />

notaire d’Ille, manuel, 1552-1553, f° 16 v°).<br />

- 29 janvier 1558 : inventaire après décès de Cosma Fuster, pagès de<br />

Bouleternère : il possède une vigne au lieu-dit la padrera (ADPO,<br />

3 E 84/34, Felip Fabre, notaire d’Ille, minutes, 1558).<br />

- 10 octobre 1560 : Frances Boher, brassier de Bouleternère, et<br />

son épouse, vendent à Joan Beuries, pagès du même lieu, une vigne<br />

située audit terroir, loco dicto la padrera, jouxtant ledit Boher,<br />

Maurici Fina, de Rodès et Pere Pauques, de Bouleternère. Le<br />

même jour, le même Boher vend une autre vigne située au même<br />

lieu à Pere Podada, de Bouleternère, jouxtant avec ledit Boher,<br />

le torrent de la padrera et la garrigue (ADPO, 3 E 16/51, Felip<br />

Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1560, f° 61).<br />

- 17 mai 1565 : Francisco Fina, moine et sacristain de N.D. de<br />

Serrabone, vend à Joan Antoni Daniel, de Bouleternère, une pièce<br />

de terre inculte ou themonerium située à Bouleternère, loco dicto la<br />

padrera, jouxtant ex una parte cum tenencia Petri Pauques et cum<br />

tenencia Dominici de Beamont fusterÿ et ex alia parte cum tenencia<br />

Francisci Boher omnium dicti loci de Bula et cum alÿs (ADPO, 3 E<br />

84/28, Felip Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1564‐1565, f° 71).<br />

- 1 er janvier 1565 : Francisco Boher, brassier de Perpignan, vend à<br />

Joan Brunet, agriculteur de Rodès, quandam vineam et temonerium<br />

contigudos, situés à Bouleternère, loco dicto la padrera, jouxtant cum<br />

tenencia Petri Pauques et cum tenentia Joan Antoni Daniel et cum tenencia<br />

Patri Podada omnium dicti loci de Bula et cum via publica de<br />

la peyrera et cum tenencia Maurici Fina dicti loci de Rodesio et cum<br />

tenencia Joannis Beurieres loci de Serrabona (ADPO, 3 E 8428, Felip<br />

Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1564‐1565, f° 73 v°).<br />

- 31 mai 1571 : Magdalena, veuve de Jaume Reador, pagès d’Ille,<br />

usufruitière des biens de son mari, et Anna, veuve de Joan Pere Mir,<br />

pagès de la même ville, héritière dudit Jaume Reador, son père, vendent<br />

à Miquel Comes, tailleur de Bouleternère, une pièce de terre<br />

située à Bouleternère, loco dicto la pedrera confrontatam cum tenencia<br />

Andree Boscha et cum tenencia Joannis Artigues et cum tenentia<br />

pupillorum Manauts et cum torrente de mont juhich. (ADPO, 3 E<br />

84/30, Felip Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1570‐1571, f° 80 v°).<br />

- 2 janvier 1623 : Miquel Guillo, agriculteur de Bouleternère, vend<br />

à Pere Anthoni Matxi, brassier de la même ville, une pièce de terre<br />

inculte située à Bouleternère, au lieu-dit a la pedrera, d’une ayminate<br />

environ, confrontatam scilicet ab oriente et ameridie cum tenentÿs Petri<br />

Respecte que antea fuit den Blancho et ab occidente cum tenentia Petri<br />

Crusieres et ab aquilone cum tenentia Michaelis Comas brasserirum<br />

dicte ville de Bula. Origine de propriété : donation passée le 25 octobre<br />

1613 chez le même notaire, par Elisabet Campa, veuve de Jaume<br />

Camp, agriculteur de Bouleternère (ADPO, 3 E 84/98, Joan Geli,<br />

notaire d’Ille, manuel, 1623, f° 8 v°).<br />

2 - Noms de picapedrers (début XVI e -fin XVII e siècles)<br />

Sont cités : en 1510 et 1529, Pere Clavell, lapicidem loci de Bula<br />

(ADPO, 3 E 84/12, 1509-1510, f° 17 et 3 E 84/13, Joan Frances<br />

Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1529-1530, f° 28 v°.) ; en 1547, Joannes<br />

Deusinya alias Joannes Prada picapedreius de Bouleternère (ADPO,<br />

3 E 84/24, 1546-1548, f° 17 v°) ; en 1557, Petrus Aubertie architextor<br />

[sic] loci de Marcillach diocesis de Llimotges et Anthoni Boia, etiam<br />

architextorem [sic] loci de Bulaterranera (ADPO, 3 E 84/27, 1556-<br />

1557, f° 49.) ; en 1596, Joannem Sola (Solé ?), peirerum (A.C.P.,<br />

Médiathèque, Alart, XXVIII, 544, Manuel de Jean Antoine Dapi,<br />

A-1262) ; en 1672, Magistrum Petrum Aloau lapicidam (ADPO, 3<br />

E 16/265, f° 187.) et en 1685, mestra Pera Alluau picapadrer de la<br />

mateixa vila [Boule] marié à Clara muller, décédé en 1693 et qui est<br />

– semble-t-il – apparenté à un mestra Pera Alluau tambe picapadrer<br />

habitant en la vila de Illa... (ADPO, 21 EDT, Bouleternère, registre<br />

de baptêmes, mariages et sépultures, f° 8.) ; C. Muller, la veuve du<br />

magistri Petri Aloau magistri domorum villae de Bula terranera meurt<br />

en 1696 (ADPO, 3 E 16/289, f° 35.) ; en 1664, Michel Lafont,<br />

alias Marsal, cité pour l’extraction et l’équarrissage des marbres de<br />

Bouleternère pour l’Église Saint Étienne d’Ille (ADPO, G. 792).


chapitre XI<br />

des pierres pour bâtir.<br />

exploitation traditionnelle du substrat minéral<br />

depuis le moyen âge aux marges de la plaine du roussillon<br />

(<strong>montagne</strong> de rodès, bouleternère et ille-sur-têt)<br />

Michel Martzluff<br />

avec la collaboration de Sabine Nadal et de Denis Fontaine<br />

Introduction<br />

Nous avons découvert que la présence humaine sur<br />

les piémonts bornant la plaine du Roussillon était fort<br />

ancienne. Avec le temps des chasseurs, elle s’est inscrite<br />

dans le passé depuis plusieurs centaines de milliers d’années,<br />

mais elle est restée furtive dans un environnement<br />

longtemps demeuré vierge . Tout au plus, les modifications<br />

du milieu naturel purent-elles tardivement concerner<br />

la biosphère, et peut-être au premier chef une forêt<br />

brûlée par les pasteurs au sortir de la préhistoire récente .<br />

En réalité, ce sont bien les retouches portées au relief qui<br />

sont aujourd’hui le véritable sceau de l’humanité sur les<br />

vastes espaces rocheux formant l’essentiel de l’espace incendié,<br />

et surtout grâce aux innombrables murettes de<br />

pierre sèche qui escaladent les pentes jusqu’aux crêtes. Il<br />

s’agit là d’un legs représentant dans sa totalité une archive<br />

minérale lentement façonnée par l’homme et aujourd’hui<br />

très fragilisée, mais c’est surtout une archive qui nous arrive<br />

non classée dans son ordonnance chronologique.<br />

Il n’est pas facile d’y remettre un ordre pour discerner<br />

une évolution dans l’art de bâtir. Quelques certitudes se<br />

dessinent cependant. Déjà, un âge plus ancien que l’époque<br />

carolingienne doit être écarté pour les éléments mal datés<br />

que nous avons répertoriés sur ces pentes. Effectivement,<br />

il est désormais bien net que les deux versants de la vallée<br />

. Martzluff, chap. III.<br />

. Mais il reste à le démontrer par des investigations dans le sous-sol.<br />

de la Têt balayés par l’incendie sont dépourvus de sites<br />

archéologiques rapportables à la colonisation latine et<br />

à une exploitation minière pendant l’Antiquité . Quant<br />

aux aménagements les plus anciens du substrat minéral,<br />

ils sont extrêmement discrets. Ils se cantonnent au mieux<br />

à deux petits mégalithes remaniés et à de modestes retouches<br />

sur des affleurements de chloritoschistes pour la<br />

fabrication de bracelets, avec une chronologie qui peut se<br />

discuter, mais ne devrait guère dépasser le Néolithique<br />

final vers l’amont et vers nous un stade tardif de l’Âge du<br />

bronze, dans une fourchette plutôt centrée entre 1800 et<br />

l’an 800 avant le Christ .<br />

Si nous suivons donc cette direction d’une forte emprise<br />

humaine sur le substrat géologique, la profondeur du regard<br />

que nous portons ici sur ces territoires ne peut guère<br />

dépasser le millénaire. C’est peu à l’échelle du temps archéologique,<br />

et c’est beaucoup à l’instant de l’observation.<br />

En effet, le labeur opiniâtre d’une quarantaine de générations<br />

de bergers et paysans, sans doute pas beaucoup plus,<br />

auquel s’ajoutent les travaux plus ou moins spécialisés des<br />

tailleurs de pierre, des mineurs, des chaufourniers, des<br />

tuiliers, des charbonniers et de bien d’autres petits métiers,<br />

a produit un foisonnement de traces dans des structures<br />

qui se télescopent aujourd’hui sur le même plan.<br />

. Exploitations minières bien attestées pour le fer dans les <strong>montagne</strong>s proches,<br />

vers le nord à Caramany et vers le sud dans le massif du Canigou, cf. Kotarba<br />

chap. V.<br />

. En données 14C conventionnelles non calibrées, cf. A. Vignaud et V. Porra,<br />

chap. IV.


300 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

1 - Géologie de la zone étudiée (D.A.O. M. Martzluff ).


Des pierres pour bâtir<br />

301<br />

De nombreux indices permettent cependant une mise<br />

au point plus ou moins nette sur les différentes étapes<br />

de l’aménagement de cette <strong>montagne</strong> et parfois même<br />

de se focaliser sur la plus ancienne. Mais notre vue est<br />

souvent brouillée par la complexité des juxtapositions,<br />

la multiplicité des lacunes, voire la difficulté qu’il y a<br />

toujours à faire converger les différentes approches<br />

disciplinaires. C’est en ce sens que nous ferons souvent<br />

appel dans ces pages aux autres contributions de<br />

cet ouvrage dans la mesure où l’ensemble vise à mieux<br />

éclairer le lecteur dans la compréhension des paysages<br />

par le biais des héritages naturels et humains dont ils<br />

sont porteurs.<br />

Nous avons divisé ce texte en quatre parties. La première<br />

présente le cadre régional d’une recherche sur<br />

la taille des pierres monumentales qui est longtemps<br />

resté très marginale, croisant de nombreuses disciplines,<br />

parfois fort éloignées les unes des autres dans leurs<br />

méthodes et finalement encore trop peu associées à<br />

l’archéologie de terrain. S’y ajoute la présentation d’un<br />

substrat particulier, plus complexe en réalité que ne le<br />

laisse prévoir la zone dite du « granite de Millas » ou<br />

encore celle des schistes primaires de la <strong>montagne</strong> de<br />

Bouleternère, espace correspondant à la carte géologique<br />

réalisée pour appuyer ce travail sur la base des<br />

documents publiés au 1/80 000 et 1/50 000 et où nous<br />

avons rapporté nos observations de terrain à l’échelle<br />

du 1/25 000 (ill. 1). Toujours dans cette première partie,<br />

sont présentés des éléments de référence concernant<br />

l’importante exploitation des granites de Reglella (commune<br />

d’Ille-sur-Têt et de Néfiach), une activité connue<br />

par les textes depuis le Moyen Âge pour la fabrication<br />

des meules de moulin et qui fournit, pensons-nous,<br />

quelques éclaircissements sur un certain nombre de<br />

documents et de traces archéologiques rencontrés dans<br />

la zone brûlée.<br />

Le second et le troisième volets concernent le débitage<br />

traditionnel des roches monumentales et le façonnage<br />

des outils collectifs (meules, par exemple) dans des<br />

carrières-ateliers plus ou moins itinérantes au gré d’un<br />

épuisement rapide de la matière première utile en surface.<br />

Nous en avons retranché l’exploitation médiévale<br />

et moderne des roches marbrières que nous avons découvert<br />

près du col de Ternère et qui a motivé dans cet<br />

ouvrage une étude archéologique et des analyses lithologiques<br />

particulières . Dans le domaine de l’évolution<br />

des techniques, l’extrême rareté des témoignages précis<br />

dans les sources d’archives, y compris pour des périodes<br />

très récentes, laisse bien des questionnements en<br />

suspens. Nos diagnostics restent donc essentiellement<br />

fondés sur l’archéologie et sur la typologie d’empreintes<br />

laissées par les outils sur le roc, traces dont l’interprétation<br />

est relativement fragile.<br />

La présentation des sites dans ce corps central du<br />

texte tente de respecter un ordre chronologique sur<br />

lequel pèsent encore bien des incertitudes. Nous en<br />

avons conscience. Les grandes lignes d’une évolution<br />

des savoirs techniques sont cependant bien établies<br />

(Martzluff 1988, 1997). Cette évolution est grosso modo<br />

scandée en quatre paliers évolutifs. Une phase archaïsante<br />

d’abord, qui ignore le clivage à l’aide de coins. Elle<br />

est suivie, dans une étape médiévale plutôt tardive, par<br />

une méthode originale de débitage avec des doubles<br />

coins de fer jumelés, puis par une séquence moderne et<br />

contemporaine qui associe le coup de mine (l’explosif )<br />

à l’emploi de larges coins de bois. Pour finir, un stade<br />

récent est marqué, à l’extrême fin du XIX e siècle, par<br />

l’introduction de nouveaux savoirs que caractérise l’utilisation<br />

de petites mèches pour forer le trou de mine<br />

et de très petits coins de fer pour cliver le rocher. Bien<br />

qu’elle participe de la même problématique, cette phase<br />

contemporaine concerne en réalité l’introduction d’un<br />

modernisme fortement associé aux grands travaux entrepris<br />

autour des années 1900 dans un contexte économique<br />

déjà industrialisé. C’est pourquoi elle est traitée<br />

plus loin dans le chap. XVI de ce livre.<br />

Enfin, une quatrième et dernière partie de cet exposé<br />

se propose de rassembler quelques observations<br />

sur la taille des pierres faites au cours des prospections<br />

et que nous pensons utile de verser ici au dossier de<br />

l’archéologie des paysages.<br />

. Martzluff, Giresse chap. X.


302 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

2 - Utilisation du substrat minéral : répartition des vestiges (D.A.O. M. Martzluff ).<br />

I - Contexte de la recherche<br />

L’étude de la taille des pierres à bâtir est récemment<br />

entrée dans le domaine de l’histoire des techniques par<br />

le croisement de démarches disciplinaires fort diverses,<br />

dont il convient de brosser un bref historique. Elle s’inscrit<br />

à l’évidence dans les contraintes que le substrat minéral<br />

impose aux hommes pour son exploitation. Mais<br />

elle s’inscrit aussi dans une temporalité historique, qui<br />

nécessite de trouver de nombreux jalons chronologiques<br />

sur le terrain, faute d’archives. C’est ainsi que l’une des<br />

plus anciennes carrières de granite des Pyrénées de l’est,<br />

située à Reglella, bien que se trouvant hors de la zone incendiée,<br />

nous semble pouvoir jouer un rôle important<br />

dans la compréhension de certains artefacts rencontrés<br />

par ailleurs, en particulier les meules de moulin. Cela explique<br />

la part qui lui est réservée ici.<br />

I.1 - Les aléas d’une approche archéologique de la taille<br />

des roches monumentales<br />

La difficulté n’est pas mince lorsqu’il s’agit d’établir l’évolution<br />

des éléments liés à l’art de bâtir et aux traces d’outils<br />

qu’il génère. C’est le cas pour les vestiges qui ne rentrent<br />

pas dans un cadre historique connu (archives) – ce qui est<br />

le lot le plus banal – ou qui ne présentent pas de liaisons<br />

claires avec des mobiliers archéologiques, ou encore qui se<br />

mélangent dans la composition de structures complexes,<br />

l’ensemble étant pratiquement toujours déconnecté d’une<br />

mémoire orale pouvant nous éclairer sur les savoirs techniques<br />

et leurs chaînes opératoires. Lors de cette étude<br />

par exemple, nous n’avons trouvé qu’un faible écho de ces<br />

éléments concrets dans les Archives Départementales. Le<br />

métier de tailleur de pierre n’est jamais vraiment distinct<br />

de celui de maçon ou d’architecte . Pour le Moyen Âge, de<br />

. Les termes utilisés dans les archives pour désigner ces travailleurs sont en<br />

latin : magistri domorum, architectoris, architextor [sic], peirerius, payeri, pica-


Des pierres pour bâtir<br />

303<br />

3 - Les outils emmanchés liés au débitage par coins de bois d’époque moderne : à gauche ceux qu’utilisait<br />

avant 1900 le père de Michel Balaguer, picapedrer d’Angoustrine, dit Capità (Dessin M. Martzluff ).<br />

rarissimes inventaires renseignent sur certains outils, des outils emmanchés<br />

surtout (ill. 3), tel les pichs et pich martell, mais aussi des outils percutés comme<br />

les broches (picador amb sa massa) et les ciseaux (escaypres), bon nombre<br />

de termes restant cependant d‘interprétation difficile . Pour les temps modernes,<br />

nous ne sommes pas mieux lotis et l’on retrouve rarement la mention<br />

des outils, tel l’escoude avec, parfois, une mention originale concernant<br />

une obra del presbyterat de la Real où l’utilisation de la boucharde est notée<br />

pedrerius, lapicide, lapiscida, lapidarius, pedrerio, faberlapidius sive architector, magister conficiendi<br />

molas, empetrator et en catalan : mestre de cases, mestre de edificis, mestre de pedres i cau, picapadrer,<br />

picamolas, pairer, peirer, enpedrador.<br />

. En 1388, un inventari dels bens den P. Sauto peyrer de Perpenya détaille : I picador de terbol ab<br />

sa massa (un poinçon pour piquer le mortier de tuileau avec sa massette) - X parells de regles de fust<br />

(règles en bois) - dos cayredets pochs (carreaux en bois) - (...) - dues masses de tapiar (masse pour<br />

tasser les murs en terre crue) - tres conques de morter (gamates pour gâcher le mortier) - (...) - una<br />

corriola (poulie) grossa ab cordes de esparro - (...) - unes tenalles - seys serres (scies) - un estuig ab<br />

flascha de clavells (clous) - quatre ayxes (haches) - quatre palustries (?) entre poques et grans - una<br />

axola (herminette ?) - un plom de peyrer ab sa corda (fil à plomb) - un ferret ab sa corda que serveix a<br />

paredar (cordeau) - una buscha de ferre (?) - una lima - VII escaypres (ciseaux) - tres tribenes grosis (?)<br />

- tres tribenetes - V pichs martells (marteau têtu) - (...) - tres pals de ferra (pinces) - (...) - una enclugeta<br />

petita picada en un fustet (une enclume qui témoigne de petits travaux de forge sur les outils) - (...)<br />

- tres pinzells per enblanquesir les parets (badigeons pour blanchir à la chaux) - (...) etc. (ADPO, R2,<br />

20 février 1388, p. 50‐51, information Aymat Catafau).<br />

. trois escodres dans un inventaire des biens de Pere Clavell, peyrerii loci de Bula, en1529 (ADPO,<br />

3 E 84/13, Joan Frances Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1529-1530, f o 28 v o ).<br />

en 1622, en complément du marteau<br />

taillant . Curieusement, les textes renseignent<br />

mieux sur l’origine des picapedrers<br />

du Roussillon et du Conflent qui, entre la<br />

seconde moitié du XVI e siècle et la fin du<br />

XVII e , viennent souvent du royaume de<br />

France, en Limousin 10 .<br />

Le recours à la tradition fut donc une<br />

piste essentielle pour comprendre les<br />

vestiges laissés par cette activité. Comme<br />

partout ailleurs en Europe, il existait en<br />

effet vers la fin du siècle dernier dans les<br />

Pyrénées catalanes une génération de carriers<br />

quasi centenaires qui était dépositaire<br />

d’une mémoire technique traditionnelle,<br />

enrichie et même en grande partie<br />

renouvelée par des apports extérieurs,<br />

surtout piémontais à partir de 1860 et<br />

de la construction du chemin de fer. Mais<br />

c’était une mémoire sans textes, ces métiers<br />

ayant suscité peu d’archives autant<br />

que peu d’intérêt auprès des érudits<br />

qui ont recueilli le folklore et les traditions<br />

de ces <strong>montagne</strong>s depuis la fin du<br />

XIX e siècle, quelquefois dans des écrits<br />

plus lyriques que documentés (Soumain<br />

1884 ; Pratx 1908 ; Tiffou 1934). C’était<br />

surtout une mémoire tronquée : il y<br />

manquait le geste puisque ces ouvriers<br />

n’étaient plus en activité pour la plupart<br />

d’entre eux dans les années 1960. Il s’agissait<br />

donc d’une mémoire encore vive,<br />

mais évanescente, quelquefois fautive,<br />

voire mythique chez quelques artisans<br />

peu formés au métier ancien.<br />

. « ... ab un martell nomenat la boxarda y per acabar<br />

de affinar y a son degut punt posa la pedra ab altra martell<br />

dit lo tallaut. » (ADPO, G 446, [Perpignan], 1622).<br />

10. Parmi une cinquantaine de noms de picapedrersmaçons<br />

roussillonnais retrouvés dans les archives, ceux<br />

du « diocesis de Llimotges, regne de France » sont Petrus<br />

Aubertie et Pera Alluau à Bouleternère, cités en 1557 et<br />

1672 ; Pera Alluau à Ille-sur-Têt en 1673 et 1685 ; Sçilici<br />

Thomas à Rodès en 1632 ; Pere Garriga et Pere Blasi à<br />

Vinça en 1628 et 1630 ; Francesch Bertranet Terrada à<br />

Villelongue-dels-Monts en 1628 et Joan Vissiera, à Collioure<br />

en 1706 (ADPO 3 E 84/27, f o 49 ; EDt , Bouleternère,<br />

registre de baptêmes, mariages et sépultures, f o 8 ;<br />

3 E 1/3030 ; 3 E 19/275 ; 3 E 1/2586 ; 3 E 6/174, François<br />

Garriga, notaire de Perpignan, liasse, 1705-1706). Sur<br />

cette question, voir aussi : Peytavi 2003.


304 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Avec l’abandon des carrières traditionnelles au début des<br />

années 1970, cette culture de la pierre fut très largement<br />

oblitérée par l’évolution rapide des techniques mécanisées<br />

et par l’importation de matériaux allochtones dans les rares<br />

ateliers restants. Puis elle fut totalement gommée avec<br />

la disparition de ces derniers, à la fin du millénaire, en particulier<br />

ceux qui existaient en Roussillon près de la route<br />

nationale à Ille-sur-Têt et à Néfiach (Martzluff 1988,<br />

Payrou 1992). En réalité, cette mémoire artisanale, tout<br />

en plongeant ses racines dans les apprentissages d’avant<br />

la première guerre mondiale, ne remontait pas au-delà de<br />

la fin du second Empire à l’orient des Pyrénées. Or, c’est<br />

une mémoire qui se trouvait déjà sous forme d’empreintes<br />

fossiles dans le paysage ou dans les objets remarquables<br />

du bâti, il y a maintenant près d’un demi-siècle.<br />

C’est ainsi qu’à la fin du second millénaire, il était presque<br />

aussi difficile d’élucider la chronologie de ces abondantes<br />

reliques – la plupart inscrites entre 1860 et 1960<br />

donc – que s’il s’agissait de vestiges protohistoriques.<br />

Il était urgent de faire parler les derniers acteurs de cet<br />

admirable travail. Ce fut la principale raison qui nous a<br />

poussé à sortir du cadre de notre discipline pour pratiquer<br />

en amateur une ethnologie d’urgence auprès des picapedrers<br />

de Cerdagne et d’Andorre, en voie de disparition<br />

dans les années 1980 (Martzluff 1983, 1988). Tout en se<br />

confrontant à la difficile traduction, en termes rationnels,<br />

des savoirs essentiellement empiriques transmis de bouche<br />

à oreille, cette démarche était nourrie des questionnements<br />

posés par l’archéologie de terrain. Elle allait donc<br />

au-delà d’une vision classique conçue sous l’angle d’un<br />

complément à l’histoire de l’art (Raulin 1961). Et par<br />

ailleurs, elle était loin d’être isolée.<br />

C’est ainsi qu’en France, la Mission du Patrimoine ethnologique<br />

du Ministère de la Culture, puis le CNRS,<br />

par l’attribution de crédits et le recrutement de chercheurs<br />

issus de ce monde traditionnel du travail, firent<br />

porter l’effort sur l’étude de la « mémoire industrielle »<br />

(Martzluff 1984). Mais cette prise de conscience arrivait<br />

presque trop tard. Elle accompagnait en effet la récession<br />

économique et les reconversions du début des années<br />

1980, alors que l’expansion d’un espace marchand<br />

mondialisé mettait à bas, dans la vieille Europe, les bases<br />

sociales d’un univers producteur né de la première révolution<br />

des sciences et des techniques, autour de la mer du<br />

Nord. C’est bien pourquoi, tandis que la friche industrielle<br />

et le chômage envahissaient les anciens pays du charbon<br />

et de l’acier, il restait finalement assez peu de place, dans<br />

les nouveaux impératifs de cette recherche patrimoniale<br />

impulsée par l’État, pour ces artisanats traditionnels qui<br />

avaient survécu jusqu’alors dans les franges montagnardes<br />

du vieux monde rural méditerranéen. Car ce monde industrieux<br />

n’était pas le monde industriel. Depuis l’Antiquité,<br />

il trempait ses racines ouvrières dans l’univers mental<br />

des sociétés rurales.<br />

Peu avant cet effort institutionnel toutefois, dès les années<br />

1970, des impulsions nouvelles avaient vu le jour parmi<br />

les chercheurs. Parmi les premières, celles des architectes<br />

et des historiens de l’art antique qui centrèrent leurs travaux<br />

sur l’histoire des techniques (Varennes 1974, 1977),<br />

puis des ethnologues et des historiens qui s’étaient aussi<br />

placés dans cette voie (Parain 1979, Pesez 1984). Parmi<br />

les plus spontanées, comme les plus épisodiques, il y eut<br />

aussi celles des géologues ou des géographes qui attirèrent<br />

l’attention sur les transformations de l’espace agraire induites<br />

par la taille des pierres, surtout dans les régions de<br />

bocage, alors que les remembrements et les nouveaux aménagements<br />

bouleversaient ces paysages (Godard 1977).<br />

Au même moment, quelques tailleurs de pierre, parmi<br />

les plus éclairés, eurent à cœur d’attirer l’attention sur<br />

leur métier par des écrits, tel Felipe Martin i Vilaseca<br />

en Catalogne (Martin i Vilaseca 1981, 1988) ou encore<br />

Louis Estrade dans le Bassin parisien (Estrade 1983).<br />

Certains géologues se sont rapprochés des carriers (Obert,<br />

Estrade 1993), d’autres sont allés jusqu’à procéder euxmêmes<br />

à la détermination pétrographique de monuments<br />

médiévaux qu’ils publièrent plus tard (Laumonier 2005).<br />

En Languedoc-Roussillon, des artisans ou leurs descendants<br />

firent de ce thème l’objet d’une recherche universitaire<br />

(Bessac 1980, Payrou 1992).<br />

En réalité, ce souci spontané de conserver une mémoire<br />

technique avant qu’elle ne disparaisse, s’il était bien d’ordre<br />

patrimonial concernant la pierre à bâtir, avait aussi<br />

pour ambition de répondre à des interrogations scientifiques.<br />

Il touchait dans le même temps plusieurs domaines<br />

de recherche et bien au-delà de l’Europe, comme ce<br />

fut le cas, par exemple, pour l’extraction des granitoïdes<br />

par le feu à Madagascar (Paillet 1983). Ce mouvement de<br />

fond eut finalement un débouché en archéologie classique<br />

dans le cadre du CNRS, avec les travaux de Jean-Claude<br />

Bessac, lesquels concernaient au premier chef l’exploitation<br />

des calcaires pendant l’Antiquité en Languedoc<br />

(Bessac 1980‐1986). Il finit même par toucher la préhis-


Des pierres pour bâtir<br />

305<br />

toire, à travers les recherches expérimentales sur le mégalithisme<br />

(celles du professeur Giot, lui-même géologue de<br />

formation, à l’université de Rennes dans les années 1980<br />

et les enquêtes de Guy Richard, pour les grès du Bassin<br />

parisien, en 2005).<br />

Dans les Pyrénées-Orientales, une initiative patrimoniale<br />

a vu le jour avec la création d’un petit musée sur les<br />

tailleurs de pierre à Dorres, en Cerdagne (Candau 2001).<br />

Pourtant, un quart de siècle après cette prise de conscience,<br />

la bibliographie régionale concernant cette mémoire<br />

technique n’est guère plus copieuse que les références citées<br />

plus haut, auxquelles s’ajoutent des études rapides<br />

touchant l’histoire économique récente (Drille 1977) ou<br />

l’artisanat traditionnel des « marbres » de Villefranche-de-<br />

Conflent (Cases 1980, Olive 1987). Sur ce plan technique,<br />

il reste donc une friche d’autant plus vaste que la part d’inconnu<br />

augmente encore si l’on se déplace dans le temps en<br />

deçà du XIX e siècle et d’un héritage transmis oralement.<br />

Difficile d’échapper à l’étude d’archives très dispersées et<br />

disparates : capbreus (terriers), compoix, actes notariaux,<br />

rapports du BRGM (Cazes 1969, Baills 1999, Py 2000).<br />

les chercheurs ont eu aussi tendance à occulter les Temps<br />

modernes, comme si l’Encyclopédie pouvait à elle seule<br />

combler ce vide sur l’histoire des techniques, en reportant<br />

leur intérêt sur le Moyen Âge à la suite des historiens de<br />

l’art. C’est encore plus vrai pour le Roussillon roman et ses<br />

« marbres » 11 , bien que des approches plus technologiques<br />

et plus diachroniques aient vu le jour pour certains de ces<br />

matériaux 12 . D’autres travaux enfin se sont récemment attachés<br />

à l’habitat vernaculaire paysan en pays du granite,<br />

sous un angle plus ethnographique (Mirailles 2005).<br />

Publié par l’université de Perpignan en 2002, un colloque<br />

– tenu quelques années auparavant à Tautavel – a traité<br />

de « La pierre en archéologie, carrières, origine des matériaux,<br />

extraction et méthodes d’analyses, matières lithiques ».<br />

Il s’agissait surtout d’une initiative patronnée par la société<br />

OMYA autour du célèbre musée de l’homme fossile. Ce<br />

consortium exploitait en effet les calcaires locaux, réduits<br />

en poudre au moment où – les carrières étant arrivées en<br />

fin d’exploitation dans la commune – leur extension était<br />

prévue sur un site voisin, à Vingrau, non sans avoir soulevé<br />

une très forte contestation écologiste. Malgré tout l’intérêt<br />

qu’offrent bon nombre des contributions de cette rencon-<br />

11. Mallet 1992, 2001, 2003, Van Ebbenhorst 2002 ; Vaissières 2001, 2002, 2007.<br />

12. Gély 1994 ; Blanc, Gély 2002 ; Blanc 2006 ; Pagniez 1998 et 2002 ; Peybernès<br />

2004 ; Du Barry 2006.<br />

tre publiée sous la direction du géologue et préhistorien<br />

Jean-Claude Miskovsky, cette opération de communication<br />

a surtout révélé l’éclectisme endémique qui touche ce<br />

domaine de la recherche, sans offrir un bilan des travaux<br />

régionaux, et sans avoir nourri les problématiques concernant<br />

les Pyrénées. En vérité, ce retard dans l’approche de<br />

l’évolution des techniques anciennes illustre la fragilité des<br />

démarches pluridisciplinaires là où les méthodes actuelles<br />

de l’archéologie, associées à la pétrologie, ne tiennent pas<br />

une place centrale sur le terrain.<br />

Dans les Pyrénées catalanes, le lien est en réalité encore<br />

fort ténu entre les investigations archéologiques et<br />

les études sur la taille des pierres et sur leur nature, si<br />

l’on excepte la fouille du château d’Enclar, en Andorre<br />

(Martzluff 1997b), celle des trophées de Pompée à<br />

Panissars (Alvárez Perez, Tesson 2008), les fouilles sousmarines<br />

menées par l’ARESMAR dans la rade de Port-<br />

Vendres (Giresse, travaux non publiés) où dans le puits<br />

du Fort de Bellegarde (Martzluff 1997a, travaux non<br />

publiés) et aussi l’étude récente d’une carrière de meules<br />

de moulin au Boulou (Martzluff et alii 2008). Nos investigations,<br />

abordées sous cet angle strict et centrées sur le<br />

matériau cristallin pour la période médiévale et les suivantes,<br />

sont d’ailleurs restées très épisodiques, à la marge<br />

de nos recherches en Préhistoire. Nous leur avons donné<br />

un débouché sur l’archéologie des paysages dans des hautes<br />

vallées que nous connaissions bien (Martzluff 1986,<br />

1998, 1999). Mais cet angle d’approche demanderait à<br />

être exploité par ailleurs de façon plus collective et systématique<br />

avant que cet environnement ne soit totalement<br />

bouleversé. En définitive, ces zones brûlées ont représenté<br />

pour nous l’occasion de confronter cette expérience, dans<br />

le cadre d’une pluridisciplinarité bien établie autour de<br />

l’archéologie, à un autre milieu et à d’autres types de matériaux<br />

et aussi sur une plus grande échelle que nous n’avions<br />

pu le faire en Conflent et en Roussillon jusqu’alors.<br />

I.2 - un substrat géologique diversifié<br />

Vu de façon simple, on peut dire que les roches du secteur<br />

parcouru par l’incendie de 2005 forment trois substrats<br />

bien distincts. Depuis le nord, le plateau granitique<br />

de Montalba fait face aux premières pentes schisteuses et<br />

calcaires du Canigou. Les deux massifs encadrent les dépôts<br />

sédimentaires produits par leur érosion et accumulés<br />

dans les fossés du Conflent et du Roussillon. Cela étant<br />

dit, la réalité du terrain est quand même plus complexe.


306 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

4 - Aspect typique du granite à « dents de cheval » avec son réseau de fissurations principales<br />

qui se recoupent à l’orthogonale (flèches rouges) et dont les joints favorisent l’érosion<br />

en boule. Des fissurations parasites (les « poils » des picapedrers, flèche jaune) traversent le<br />

matériau (Cl. M. Martzluff ).<br />

6 - Ille-sur-Têt. Coume de Ques, au-dessus des « orgues ». Chaos favorable à l’ouvrage au pic<br />

grâce au débitage naturel des quartiers de roches en dalles métriques. La couleur ocre du<br />

matériau signe une altération également favorable, comme en témoignent des ébauches<br />

de meules (Cl. A. Catafau).<br />

7 - Rodès. Ropidera, Point 1025, sommet de l’« oppidum ». Vasque naturelle créée par la stagnation<br />

de l’eau qui attaque latéralement le bord des parois à partir du fond, creusant une<br />

encoche visible sur la coupe, en haut à droite (Cl. M. Martzluff ).<br />

5 - Autre aspect du granite porphyroïde qui comporte de dures inclusions<br />

d’une roche sombre du type gabbro (les « yeux de crapaud » des picapedrers).<br />

L’érosion détoure et déchausse ces nodules lenticulaires, créant des cavités<br />

propices à la formation de vasques (Cl. M. Martzluff ).<br />

Les « granites de Millas » sur le plateau de Montalba-<br />

Tarerach<br />

L’essentiel du substrat cristallin formant la rive<br />

gauche de la Têt est représenté par des granites à<br />

feldspaths alcalins (orthose ou microline) de la série<br />

dite : « granites de Millas » (Autran et alii 1968 ;<br />

Berger et alii 1993). En fait, la zone couverte par le<br />

plateau de Montalba-Tarerach présente plusieurs<br />

faciès ayant eu des implications très nettes dans l’exploitation<br />

qu’en ont faite les hommes à différentes<br />

périodes, comme nous le verrons.<br />

La surface principale de ce petit pluton est composée<br />

de granites porphyroïdiques de même type que<br />

ceux d’Ansignan, Saint-Arnac et Néfiach, c’est-à-dire<br />

un granite dit « à dents de cheval » par les tailleurs<br />

de pierre en raison de la grande taille des cristaux<br />

d’orthose (ill. 4 et 5). Des failles de direction globalement<br />

parallèle à la faille nord-pyrénéenne qui sépare<br />

le plateau de Montalba du synclinal de Boucheville<br />

parcourent le socle, délimitant des zones de roches<br />

broyées à pegmatites. Dans ce même socle, de larges<br />

bandes de granites blancs, plus tardivement formés,


Des pierres pour bâtir<br />

307<br />

Casesnoves : cupules probablement liées à l’exploitation médiévale<br />

de cette pente qui domine la plaine alluviale d’Ille-sur-Têt<br />

(en haut à droite). Sous un atelier de tailleurs de pierres<br />

d’époque moderne, elles s’intègrent aux restes<br />

de murs dont témoignent les deux<br />

rangées résiduelles de blocs<br />

plantés de chant.<br />

8 - Rodès. Ropidera, même secteur. Probables cupules<br />

creusées ou agrandies par l’homme (forme<br />

« en bol ») sur le flanc ou au sommet de l’« oppidum<br />

» (vue du bas) (Cl. M. Martzluff ).<br />

côtoient des digues de quartz. Vers<br />

l’aval et le nord-est, un gros massif<br />

de granite porphyroïde à grains<br />

plus menus est distingué sur la<br />

carte et recèle, hors de la zone incendiée,<br />

les fameuses carrières de<br />

Reglella, du Roc del Martell au Roc<br />

de la Bada (Ille-sur-Têt) et au Pla<br />

dels Estanyols (Ille et Néfiach).<br />

La météorisation de ces roches<br />

sur l’ancienne surface d’érosion<br />

miocène a produit le relief typique<br />

des chaos. Une très longue altération<br />

chimique de la roche saine<br />

à partir des infiltrations dans le<br />

réseau des diaclases a généré les<br />

formes chaotiques dans les éminences<br />

qui émergent des arènes.<br />

La plus ou moins grande largeur<br />

de ces fissurations dans le socle et<br />

le degré d’altération du matériau<br />

9 - Rodès. Cupules anthropiques d’âge historique, sans doute creusées pour tenir des montants de bois liés à une<br />

construction ou une machinerie (pressoir) (Cl. M. Martzluff ).<br />

déterminent des zones propices où les quartiers de roches, débités par l’érosion<br />

en dalles arrondies, forment des amas qui furent recherchés par les tailleurs de<br />

pierre (ill. 6). L’exploitation de ces tors par une extraction opportuniste, surtout<br />

discernable par les vides insolites créés dans le relief naturel, témoigne d’une<br />

parfaite connaissance du milieu tout autant que d’une faiblesse des savoirs techniques<br />

et de la métallurgie.<br />

Ces roches ont par ailleurs subi une desquamation postérieure à leur mise au<br />

jour par le ruissellement, lorsque le soulèvement du plateau à la fin du Tertiaire et<br />

au Quaternaire a permis d’évacuer les altérites qui empâtaient les vastes alvéoles<br />

creusées dans le socle, celles qui forment aujourd’hui les dépressions humides.<br />

En témoignent des évidements et des vasques creusés sur les parties planes des<br />

chicots rocheux par la stagnation de l’eau de pluie et qu’il ne faut pas confondre<br />

avec des traces d’anthropisation, bassins ou cupules, ici rarissimes et plutôt tardives<br />

(ill. 7 à 9) 13 . Ces cuvettes sont encore plus spectaculaires dans les chaos de<br />

Reglella où l’on peut également observer quelques tafonis, pittoresques excavations<br />

qui procèdent d’une érosion éolienne sur les faces verticales de rochers (ill. 10) 14 .<br />

13. On pourrait en effet imaginer que la rugosité constatée à la surface des roches sur le plateau (l’altération<br />

prononcée des biotites qui leur donne une teinte rouille et la désagrégation des feldspaths qui met en relief<br />

les quartz et l’aspect grenu) a pu suppléer la quasi-absence de meules à va-et-vient mobiles près des habitats<br />

protohistoriques. Toutefois, il existerait alors des formes typiques d’usure, comme dans d’autres massifs<br />

cristallins (grès et granites) où les pierres en bassin ayant servi de meules ou de polissoir sont répertoriées en<br />

contexte néolithique et en particulier en Cerdagne. Ce n’est pas le cas. Il en est de même pour les cupules,<br />

fréquentes en contexte mégalithique jusqu’au début des Âges des métaux et ici ambiguës ou rarissimes (ill. 8),<br />

voire clairement associées à des aménagements médiévaux (ill. 9).<br />

14. Typique du littoral corse, ce type d’érosion où le sel joue un rôle important (haloclastie) renvoie probable-


308 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

En limite entre les deux zones, mais plutôt<br />

au sein des granites porphyroïdes plus<br />

grossiers de Montalba et près des mylonites<br />

(roches broyées), le long des failles, se développent<br />

de vastes dômes riches en albite (albitites<br />

du Sarrat blanc, Ropidera, Balmettes,<br />

Bellagre), un minéral qui est actuellement<br />

exploité pour l’industrie du verre et de la céramique<br />

dans le massif de Saint-Arnac.<br />

10 - Ille-sur-Têt. Tafoni sur un dôme de granite dans les chaos de Reglella, vers le Roc de la Bada<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

On trouve également sur le rebord du plateau un vaste champ de<br />

pierres assimilable aux Tarteres, une autre forme de relief typique des<br />

chaos en pays granitique, en Cerdagne (Martzluff 1986) ou ailleurs,<br />

par exemple dans le Sidobre. De tels amas de roches sont attestés au<br />

débouché du ruisseau de Casesnoves dans la plaine de la Têt (ill. 11).<br />

Les eaux qui coulent aujourd’hui dans les profondeurs de cette tartera<br />

ont entaillé sur près de trente mètres les accumulations détritiques à<br />

mégablocs du Pliocène, emportant les sables et entassant d’énormes<br />

rochers dans le fond du talweg, créant un espace hostile, en particulier<br />

pour les troupeaux.<br />

Une deuxième grande zone de granite se différencie nettement des<br />

précédentes par la rareté des phénocristaux, par un grain plus serré<br />

et, surtout, par des inclusions de roches d’origine sédimentaire (septa<br />

de schistes à chlorite et micaschistes du Paléozoïque) qui s’étalent en<br />

petits filons ou en larges bandes hectométriques. Cette zone traverse<br />

la vallée du Tarerach, en amont de Rodès. Des nodules de roches<br />

ultrabasiques, de type gabbro, forment des inclusions magmatiques<br />

plus ou moins rondes (ce sont les ulls de gripau – yeux de crapaud –<br />

des picapedrers cerdans), parfois développées ici en chapelets lenticulaires<br />

d’ordre décamétrique, près du village médiéval de Ropidera, par<br />

exemple. De grosses veines de microgranites bleus, plus cohérents et<br />

sans doute aussi moins altérés et plus fragiles à la cassure, traversent<br />

ce substrat. Ce sont là des affleurements qu’ont exploités les carrières<br />

contemporaines 15 .<br />

Les séries paléozoïques de Bouleternère<br />

Sur l’autre versant de la vallée, le bas flanc<br />

du Canigou est armé par des schistes primaires<br />

de la série dite « de Jujols ». Ces très<br />

vieilles séries métamorphiques de la région<br />

des Aspres recèlent des inclusions de calcaire<br />

contenant des roches marbrières colorées<br />

par les oxydes de fer et plus ou moins<br />

chargées en calcite blanche. Près de Boule et<br />

du col de Ternère, un lambeau de synclinal<br />

coiffe les formations schisteuses. À sa base<br />

se trouvent les calcschistes rougeâtres du<br />

Silurien qui laissent ensuite la place à des<br />

calcaires massifs et dolomies du Dévonien<br />

inférieur et moyen. C’est au sommet de cette<br />

série (Frasmien inf.) que se développent les<br />

« marbres rouges de Villefranche ». Cet étage<br />

n’a pas été mentionné pour ce secteur sur<br />

les cartes géologiques, ce qui explique que<br />

l’on ait systématiquement parlé de « marbres<br />

de Villefranche » à propos des brèches rouges<br />

rencontrées dans le bâti médiéval de la<br />

région 16 .<br />

Le graben du Conflent et la vallée de la Têt<br />

Dans le fond de la vallée, le fossé d’effondrement<br />

du Conflent, actif à partir du Miocène<br />

le long de la faille qui a guidé la Têt après le<br />

soulèvement du massif adjacent, a été comblé<br />

par des épandages sablo-caillouteux arrachés<br />

par l’érosion aux flancs du Canigou et sur le<br />

plateau de Montalba-Tarerach. Ces dépôts<br />

grossiers, les plus visibles, alternent à la base<br />

ment ici à une proximité des chaos de Reglella avec le golfe marin qui occupait le Roussillon<br />

jusqu’au col de Ternère, à la fin du Tertiaire, entre 5 et 3 millions d’années (Calvet, chap. II).<br />

15. Martzluff, chap. XVI.<br />

16. Martzluff, Giresse cet ouvrage, chap. X. Ces affleurement<br />

avaient toutefois été notés dans une étude géologique anciennement<br />

menée par Llac dans cette zone et non publiée.


Des pierres pour bâtir<br />

309<br />

avec des remplissages plus fins attribués de façon incertaine<br />

à une mer dont on retrouverait les dépôts fossilifères<br />

jusque vers l’intérieur du Conflent (Espira-de-Conflent).<br />

Au début du Pliocène, il y a plus de 5 millions d’années,<br />

la mer touche le col de Ternère, en limite du golfe du<br />

Roussillon (cf. note 14). Surmontant des argiles silteuses<br />

bleutées, formations marines fossilifères qui affleurent à<br />

Millas, des argiles noirâtres marbrées de brun témoignent<br />

de la transformation du littoral en zones palustres.<br />

Ces argiles, exhaussées ensuite par la tectonique sur la<br />

rive gauche de la Têt, gisent à la base des « orgues » à Illesur-Têt<br />

(tuilerie Dessens). Les mêmes formations, ou plus<br />

anciennes, affleurent près du col de Ternère, car une tuilerie,<br />

mentionnée par les textes dès 1455, y est également<br />

implantée au lieu-dit Al Congost (Tosti 1986a, 1986b).<br />

Les terres limoneuses brunes des terrasses T1 du dernier<br />

glaciaire, peu altérées et ici les plus étendues sur la<br />

plaine, sont fertiles. Elles sont en grande partie situées<br />

hors de portée des crues du lit majeur, sur la haute formation<br />

würmienne d’Ille-sur-Têt qui rejoint le grand plan<br />

rissien T2 de Thuir. Cette configuration explique que,<br />

dès la fin du XIII e et au XIV e siècle, lorsque la puissance<br />

publique fut capable de construire et d’entretenir les canaux<br />

d’irrigation branchés sur le fleuve et périodiquement<br />

détruits par les crues, ces terroirs aient constitué<br />

des pôles très attractifs 17 .<br />

I.3 - Les carrières de Reglella (Ille-sur-Têt) : une référence<br />

nécessaire<br />

Jouxtant la zone brûlée, la <strong>montagne</strong> qui se trouve audessus<br />

de l’ancien village et de l’église fortifiée de Reglella<br />

est connue pour ses très anciennes carrières de taille des<br />

pierres 18 . Elles mordent sur un secteur du pluton où le<br />

grain du granite à dent de cheval est plus fin (ill. 1 et 2) et<br />

semble plus facile à travailler (pas d’orientation selon un<br />

fil, peu de fissures parasites, altération favorable du type<br />

« granite tendre » ? Martzluff et alii 2009). Cette zone est<br />

très vaste. Elle comprend le site du Roc del Martell – fameuse<br />

roche en équilibre mimant l’extrémité ferrée du<br />

marteau et située dans les chaos au-dessus de Reglella mais<br />

aujourd’hui disparue du fait de l’exploitation contemporaine<br />

(Pratx 1908) – et elle s’étend jusqu’au Roc de la Bada<br />

vers le nord (Ille-sur-Têt) et aux chaos entourant la dépression<br />

des Estanyots vers l’est (en limite avec Néfiach).<br />

17. Martzluff, chap. III, ill. 1.<br />

18. Pratx 1908 ; Delonca 1991 ; Payrou 1992 ; Baills 1999.<br />

11 - Ille-sur-Têt. Tartera du Ruisseau de Casesnoves, à son débouché dans la plaine<br />

d’Ille (Cl. M. Martzluff ).<br />

La question d’un monopole seigneurial pour la taille et le<br />

transport des meules<br />

L’habitat de Reglella, juché sur un lambeau de terrasse<br />

würmienne de la rive gauche, mais exploitant le lit majeur<br />

de la Têt, était déjà occupé par une communauté bénédictine<br />

à l’époque carolingienne 19 . Le village et l’église sont<br />

fortifiés au XIII e siècle, mais le peuplement, soumis aux<br />

crues et à l’insécurité, s’étiole au XIV e siècle (9 feux) et<br />

la paroisse est réunie à Ille en 1502. Toutefois, et jusqu’à<br />

la Révolution, le terroir de Reglella est toujours administré<br />

par un batlle qui se charge de percevoir les redevances<br />

seigneuriales. Pendant l’Ancien Régime, les sobreposats<br />

de la horta y termens de Reglella établissent les registres<br />

des nombreux conflits qui opposent les propriétaires des<br />

vignes aux tailleurs de pierres. Cela n’est pas sans importance,<br />

car le site est surtout réputé pour la fabrication des<br />

meules.<br />

19. Communauté confirmée dans ses possessions par Charles le Chauve<br />

en 844, Marca Hispanica, appendix, n o 23.


310 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Or, dans un texte de 1173, après l’instauration<br />

des nouvelles taxes féodales (forcias) à l’origine<br />

des banalités, le roi Alphonse d’Aragon confirme<br />

à l’abbé de Saint-André-de-Sorède les droits<br />

sur la seigneurie ecclésiastique du territoire de<br />

Reglella, droits semble-t-il assez peu respectés<br />

par les communautés et seigneurs laïques<br />

du voisinage, en particulier par Pons d’Ille qui,<br />

en 1163, avait autorisé en ce lieu une prise d’eau<br />

sur la Têt pour créer un canal. Dès 1173 donc, le<br />

passage des meules de Reglella est soumis au cens<br />

sur un large chemin que les tenanciers doivent<br />

laisser libre, mais ces privilèges concernent aussi<br />

l’obligation de porter les meules aux divers moulins<br />

de l’abbaye (Pratx 1908) 20 . Ces droits échurent<br />

ensuite en 1387 à Raymond de Perellos qui<br />

pouvait ainsi contrôler cette production dans une<br />

même logique qui touchait, en quelque sorte, les<br />

droits seigneuriaux s’étendant alors aux moulins<br />

à farine (Martzluff et alii 2008).<br />

Ce contrôle a donc échappé à Pere de Fenollet,<br />

le très puissant et peu scrupuleux seigneur d’Ille<br />

à la fin du XIII e siècle, et à ses successeurs dans la<br />

nouvelle vicomté ensuite. Le lieu était pourtant<br />

très convoité. En 1469 en effet, les procureurs<br />

royaux ordonnèrent d’approvisionner les moulins<br />

de Perpignan avec des pierres tirées d’une<br />

propriété particulière à Reglella. Ce fut contre<br />

la volonté du batlle, qui apportait la preuve que<br />

les carrières elles-mêmes constituaient alors un<br />

monopole disputé au plus haut niveau 21 . Enfin,<br />

en 1575, les revenus des seigneuries réunies de<br />

Reglella, Millas et Néfiach sont affermés par Jean<br />

de la Nunça et de Perillos, et cela concerne, bien<br />

entendu, le droit pour le fermier d’extraire des<br />

meules, alors que le seigneur conserve lui aussi<br />

dans le bail cette prérogative pour ses moulins 22 .<br />

C’est dire tout l’intérêt que constituait cette ressource.<br />

On peut donc s’étonner qu’il n’y ait pas<br />

eu d’exploitation semblable dans les chaos voisins,<br />

sur le territoire des seigneurs d’Ille surtout,<br />

ou en tout cas une activité concurrente qui aurait<br />

laissé des traces dans les archives.<br />

20. ADPO, B. 384, f o 202 ; voir aussi la contribution de J.-P. Comps,<br />

chap. VII.<br />

21. ADPO, B. 409, f o 104 v o .<br />

22. ADPO, E. notaires, 5328, f o 6, v o .<br />

12 - Ille-sur-Têt. Reglella, Roc del Martell. Débitage à la mine lente (longues et larges barres à mine)<br />

et par longue saignée creusée au pic sur la même roche (Cl. M. Martzluff ).<br />

Les prospections de contrôle<br />

Dans le but d’en connaître un peu plus, nous avons effectué<br />

trois jours de prospections sur le terrain, repérages rendus très<br />

difficiles par l’existence d’un épais maquis. De ces reconnaissances,<br />

il ressort que nous n’avons pas trouvé de traces d’extraction typiquement<br />

médiévales. Il existe par contre quelques meules d’un<br />

type médiéval ancien (Ø de 60 à 80 cm sur 20‐25 cm d’épaisseur).<br />

Une grande partie du secteur parcouru comporte des ateliers de<br />

débitage créés aux alentours de 1905 et ayant fonctionné tout au<br />

long du XX e siècle (carrières Payrou et Juanchich). Ils ont largement<br />

oblitéré les exploitations antérieures.<br />

Les traces de débitage par coins de bois et même par vaste saignée<br />

creusée en V le long de la ligne à trancher sont clairement<br />

associées à l’usage de tirs de mine d’époque moderne (avec de<br />

longs forages de 4 cm de diamètre) près du secteur de la Bada<br />

(ill. 12). Nous y avons trouvé des éclats typiques d’un façonnage<br />

des parements avec une lourde pioche (ill. 3 et 13), semblables à<br />

ceux que nous avions observés pour l’exploitation moderne de la<br />

carrière des Moleres au Boulou (Martzluff et alii 2008). Des secteurs<br />

où la roche fut débitée plus tardivement avec de plus petites<br />

emboîtures pour coins de bois (ill. 14) sont bien attestés près de<br />

la dépression des Estanyots où existe une belle cabane de picapedrers<br />

datant probablement du XIX e siècle. Au-dessus des ruines<br />

de Reglella, le long du défilé de la Ribereta, le flanc de la <strong>montagne</strong><br />

a été exploité par ce type d’extraction associé à des coups de mine<br />

de diamètre inférieur à 4 cm. Nous y verrions bien l’exploitation<br />

ouverte en 1875 pour construire le pont de Millas (Pratx 1908).<br />

Le passage de La baixada de les moles, où les meules étaient préci-


Des pierres pour bâtir<br />

311<br />

pitées par un chenal entaillé dans les molasses pliocènes pour<br />

atterrir sur le matelas des limons de crue holocènes de la basse<br />

terrasse alluviale est difficile à déterminer avec exactitude<br />

aujourd’hui.<br />

13 - Ille-sur-Têt. Reglella, Roc del Martell. Gros éclat à talon filiforme encoché,<br />

typique du façonnage avec un pic lourd d’époque moderne (voir fig. 3)<br />

(D.A.O. M. Martzluff ).<br />

14 - Ille-sur-Têt. Reglella, rive gauche de la Ribereta, roche débitée par de multiples<br />

emboîtures pour coins de bois de longueur modeste, typique du XIX e siècle.<br />

Le rocher est fendu. Probable carrière ouverte en 1875 pour bâtir le pont<br />

de Millas (Cl. M. Martzluff ).<br />

Meules à grain ou meules à huile ?<br />

Pour le Moyen Âge, les meules de Reglella ne semblent pas<br />

avoir laissé dans les sources écrites des échos plus précis que<br />

ceux mentionnées plus haut. Mais elles circulent. Un fragment<br />

de meule en granite provenant sûrement de cette berge<br />

de la Têt à Ille a été récemment trouvé en fouille dans les<br />

substructions de l’église de Mailloles à Perpignan (fourchette<br />

chronologique : XI e ‐XIII e siècles), avec d’autres exemplaires<br />

en grès provenant du site des Moleres au Boulou, car<br />

ces engins en grès conglomératique sont à l’époque les plus<br />

communs 23 . Fournissant les moulins à farine du Roussillon,<br />

le granit de Reglella est ensuite mieux attesté par les textes<br />

pendant les Temps modernes (Moulins de Bouleternère,<br />

Rodès, Elne, Pézilla, Perpignan, Caramany). C’est d’ailleurs<br />

au XVI e siècle, en 1575, alors que la carrière « royale » du<br />

Boulou est abandonnée depuis au moins un siècle et que<br />

la concurrence des grandes meules en grès de « Barcelone »<br />

(diamètres de 1,10 puis de 1,30 m) bat son plein, qu’est<br />

prouvé un approvisionnement mixte 24 . Peut-être s’agit-il<br />

d’armer avec du granite la meule fixe (litigal ou mola sotana),<br />

la meule volante (volant ou mola subirana), plus facile à remplacer,<br />

restant en grès ?<br />

Au XVIII e siècle, la production de Reglella est attestée<br />

jusque dans les <strong>montagne</strong>s. Ainsi, deux moulins à farine de<br />

Ballestavy construits en 1713 et 1750 dans une haute vallée<br />

très encaissée et difficile d’accès dans le massif du Canigou,<br />

font tourner des meules de ces fameuses carrières. La tradition<br />

rapporte que, jusqu’en 1900, le transport jusqu’à Vinça<br />

se faisait en tombereau, puis que ces grandes meules étaient<br />

poussées tous les dimanches sur l’étroite piste qui reliait le village<br />

à la vallée par des hommes de la communauté, en passant<br />

un axe par l’œil 25 .<br />

23. Fouille A. Toledo i Mur, INRAP (DFS 2007), voir sur cette question Martzuff et<br />

alii 2008.<br />

24. Contrat d’affermage pour quatre ans du moulin à farine d’Elne, appelé lo moli<br />

den Marti, appartenant aux héritiers de Frances Prebost, docteur en droit de Perpignan<br />

: que lo dit arrendador hage bastraure per un parell de moles per dit moli ço<br />

es un volant y un litigal que ja esta fet en Raglella y laltra que fa fer en Barcelona<br />

losquals ella [c‐à‐d. la tutrice, veuve du défunt] fara aportar (ADPO, 3 E 1/3988,<br />

1574, f o 74).<br />

25. On voit mal comment ce transport aurait pu se faire autrement sur des sentiers<br />

muletiers escarpés ! D’après Alain Taurinya, qui avait récupéré l’une de ces grandes<br />

meules, typique des granites à orthose de Reglella, comme nous avons pu le vérifier<br />

(Ø : 1,30 m, œillard à 18 cm), ces hommes étaient dispensés de messe (voir aussi<br />

Tosti 1988).


312 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

16 - Type de moulin à huile de la plaine roussillonnaise aux XVIII-XIX e siècles (Dessin M. Martzluff).<br />

15 - Seu d’Ugell. Espagne. On remarquera l’usure sur la surface de roulement<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

Mais juger de cette production n’est pas si simple.<br />

Un texte nous a mis sur la piste d’une différence notable<br />

selon le type de moulin qu’elle concernait, soit<br />

le moli fariner, soit le moulin nécessairement associé<br />

au pressoir à olives (cat. : trull). Non seulement ce<br />

témoignage du début du XVI e siècle (1527) donne la<br />

dimension standard d’une meule à huile (80‐85 cm<br />

de diamètre pour 40 cm d’épaisseur), mais il stipule<br />

qu’elle vient de la carrière de Casesnoves, au territoire<br />

d’Ille 26 . Or, nous étions jusqu’alors convaincu,<br />

et au demeurant fort étonné, de ne pas avoir trouvé<br />

de meule de moulin à huile abandonnée en cours<br />

de fabrication sur l’ensemble des zones prospectées.<br />

Nous pensions naïvement en effet que les meules<br />

pour écraser l’olive étaient tronconiques, sur le modèle<br />

de ces lourds engins des XVIII e et XIX e siècles<br />

qui gisent un peu partout dans les cours des mas du<br />

Roussillon et qui sont en général taillées dans la brèche<br />

« orientale » de Baixas. Dans les <strong>montagne</strong>s des<br />

Pyrénées de l’est, nous n’avions rencontré ce type de<br />

meule que dans la plaine d’Urgell (ill. 15).<br />

26. Die XXVIIII o ... Bernardus Pere matracerius de Milliarys et Petrus Xambres<br />

alias quatre debola habitator de Insula ... unam molam cossera de<br />

moli olier pedra de Casanoves de bon gra e be feta altaria de quatre<br />

palms e un carto e de cara dos palms barcelonesas bona e rebedora<br />

[c’est-à-dire Ø : 82,8 cm et 39 cm d’épaisseur]... ( pour) quatre ducats e<br />

mitg... Testes Franciscus Fort de Insula et Stephanus Barral peyrerius ville<br />

de Insula habitator et ego not. (ADPO, 3 E 84/11, manuel, 1527‐1528,<br />

feuillets volants).<br />

Mais il s’agit en réalité d’un modèle pour des moulins dits<br />

« à l’espagnole » et dont les formes les plus récentes peuvent<br />

être coniques (ill. 16). Partout ailleurs les meules de moulins<br />

associés aux trulls sont de même forme que les meules<br />

à grains. Les moulins dits « à l’italienne » fonctionnaient en<br />

effet avec une ou deux de ces meules cylindriques qui tournaient<br />

verticalement autour d’un axe (ill. 17 et 18) sur un<br />

socle plan (parfois une ancienne meule de moulin à farine<br />

recyclée 27 ). Cet axe pouvait être actionné par la force hydraulique,<br />

ce qui est le plus souvent le cas au XIX e siècle où<br />

ces engins sont couplés avec le moulin à farine sur un canal<br />

(Rodès, Joch).<br />

Ces meules cylindriques sont cependant petites et diffèrent<br />

des meules à grains par leur largeur. Leur œillard<br />

est par ailleurs plus grand (20 cm) car c’est la meule ellemême<br />

qui tourne autour du bras fixé sur l’axe vertical. Les<br />

rares meules en granit de ce type qui nous sont parvenues<br />

et qui fonctionnaient à la fin du XIX e siècle en Conflent<br />

et Roussillon, mesurent autour de 85‐95 cm de diamètre<br />

pour 40‐45 cm d’épaisseur (Rodès, Bouleternère, Sorède).<br />

Cela ne les éloigne donc guère du gabarit attesté dès les<br />

années 1500. Il existait par contre des modèles de moulins<br />

plus rustiques et d’origine probablement ancienne qui<br />

pouvaient faire tourner de plus petites meules, plus étroites<br />

surtout, semble‐t‐il (ill. 19). Celles-ci finissaient par creuser<br />

le socle et c’est pourquoi l’usure biseaute légèrement leur<br />

chant. Un tel système semble avoir existé à Joch, d’après les<br />

vestiges conservés (ill. 20).<br />

27. Ces socles ont un rebord qui peut les faire confondre avec la maie du pressoir<br />

à vin. Nous en avons repéré un exemplaire à Reglella, près du mas appartenant à<br />

la famille du picapedrer Bianchini, aux Estanyots, deux qui sont recyclés dans des<br />

fontaines publiques à Joch et un autre à Bouleternère chez un particulier.


Des pierres pour bâtir<br />

313<br />

Schéma d’un moli de sanch pour trull.<br />

Système « à l’italienne »<br />

17 - Meule en granit local du moulin à huile de Rodès (XIX e -XX e siècle, Ø : 85 cm,<br />

épaisseur de 40 cm et oeillard de 20 cm) (Cl. M. Martzluff ).<br />

19 - Vieux modèle de moulin à huile (Dessin M. Martzluff ).<br />

20 - Joch (Mairie). Usure très prononcée de la meule du vieux moulin à huile<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

18 - Moulin à huile hydraulique (Dessin M. Martzluff ).<br />

Si l’on excepte les cas de recyclage de meules à grains,<br />

les meules des moulins à huile sont bien spécifiques, plus<br />

larges surtout. Roulant sur le chant, elles écrasaient la<br />

chair de l’olive et son noyau pendant la courte saison qui<br />

suivait la récolte (fin de l’hiver) et ne devaient donc pas<br />

s’user très vite, bien moins en tout cas que la meule à farine.<br />

Cela explique sans doute l’absence des ratés de production<br />

sur le terrain, comparée à leurs équivalents pour<br />

.<br />

le grain. Il se peut par ailleurs que la fabrication des meules<br />

à huile ait été laissée libre. Ces observations ont une<br />

utilité pour l’interprétation des ateliers à petites meules<br />

que nous avons découvert dans les zones brûlées.<br />

Au total, une longue tradition de la fabrication des<br />

meules, sans doute imputable à une bonne qualité du<br />

matériau local et à la facilité d’exécution, peut sans<br />

doute justifier la réputation médiévale et moderne des<br />

meules de Reglella. Cela n’explique pas vraiment l’absence<br />

de modèle de très petites meules et la presque<br />

totale carence des grands modèles plus tardifs ailleurs<br />

qu’en ce lieu, en particulier sur l’emprise du brûlis.


314 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Par contre, cela contredit la présence dans<br />

les zones brûlées de nombreux ateliers<br />

d’extraction de meules qui témoignent<br />

d’une curieuse méthode opportuniste,<br />

comme nous le verrons.<br />

C’est pourquoi nous serions assez tenté<br />

de croire, sans bonnes preuves cependant,<br />

que la fabrication des meules et leur transport<br />

depuis les carrières de Reglella – un<br />

transport qui comptait pour le quart ou le<br />

tiers du prix de revient, cf. note 20) – furent<br />

soumis à une sorte de monopole de<br />

fait à partir du XIII e siècle, comme les<br />

moulins dont cette production dépendait<br />

y furent eux-mêmes soumis à l’époque,<br />

et que, par ailleurs, d’autres carrières,<br />

celle des Moleres au Boulou en particulier,<br />

étaient de la même façon sous le contrôle<br />

du pouvoir seigneurial par affermage ou<br />

par concession des rois de Majorque.<br />

Avant l’an mil, la précocité du peuplement<br />

sur cette berge de la Têt au droit de<br />

Reglella est probablement à l’origine de<br />

la présence de types de meules liés à des<br />

moulins primitifs et peu puissants d’époque<br />

carolingienne ou antérieure. Passé<br />

l’an 1200, il n’était probablement plus<br />

question d’ouvrir des carrières pour extraire<br />

des meules n’importe où dans cette<br />

<strong>montagne</strong>, même avec l’accord du propriétaire<br />

! Dans la mesure où ce métier ne<br />

semble pas localement avoir été réuni en<br />

une corporation dont les archives auraient<br />

conservé le souvenir 28 , il est fort dommage<br />

de totalement ignorer le rôle qu’a pu jouer<br />

en ce sens la communauté des picapedrers<br />

qui œuvrait à Reglella, par exemple d’après<br />

l’intérêt qu’elle aurait eu à conforter ce<br />

monopole.<br />

28. Au XVI e siècle, la liste des 15 officis du Roussillon ne<br />

compte ni maçons, ni tailleurs de pierres, ni architectes, ces<br />

derniers apparaissant en 1662 et après cette date l’on ne<br />

connaît guère de corporation qu’à Perpignan (Drapé 1891).<br />

II - Sur les traces des picapedrers médiévaux<br />

dans les zones brûlées<br />

Les plus anciennes carrières itinérantes et leurs ateliers de taille forment<br />

des sites archéologiques qui sont tous établis dans la zone des granites<br />

à orthose (ill. 1 et 2). Nos diagnostics se fondent sur une typologie<br />

que cette étude a permis d’affiner.<br />

Le plus ancien témoignage du débitage par coins que nous connaissons<br />

a été dégagé dans les fouilles du trophée de Pompée, au col de<br />

Panissars, et date de la mise en carrière du monument pour construire le<br />

prieuré de Sainte-Marie, édifié au même endroit au début du XI e siècle<br />

(Martzluff 2009, à paraître). En Andorre, l’analyse de la chaîne opératoire<br />

ayant guidé la construction du château comtal d’Enclar, abandonné<br />

en cours d’édification en 1288 à cause de la démilitarisation de<br />

la contrée (signature des Pareatges), a bien mis en lumière l’apparition<br />

d’un débitage très original par coins de fer jumelés (Martzluff 1997b).<br />

Le creusement de ces petites emboîtures ne pouvait se faire qu’avec une<br />

broche frappée à la massette et le fait qu’il y ait un ou deux logements<br />

pour coins provient sûrement de la largeur qui sépare le coin du bord<br />

de la pierre (ill. 21). Cette technique, d’origine inconnue, suppose à la<br />

fois une économie des coins de métal et une parfaite connaissance des<br />

propriétés clastiques du matériau local, un granite très dur et orienté.<br />

Andorre. Roc d’Enclar.<br />

Négatifs de débitage<br />

par un ou deux coins<br />

jumelés et décalé(s).<br />

Technique liée<br />

à la construction<br />

du Castell de San Vicenç<br />

par le comte de Foix<br />

(1265 - 1288).<br />

21 - Andorre. Débitage médiéval des roches dures à l’aide de coins en fer (Dessin M. Martzluff ).


Des pierres pour bâtir<br />

315<br />

22 - Répartition des carrières-ateliers de meules dans la zone du brûlis, sur le plateau granitique de Montalba. Vue prise vers l’ouest.<br />

Au premier plan en bas, la Têt et les falaises entaillées dans les sables pliocènes. La bande de granite favorable suit le rebord du pluton.<br />

N°1 : Ropidera, « oppidum », p. 1025 ; n°2 : secteur du Bellagre, p. 1040 ; n os 3 à 5, Casesnoves p. 325, 407, 1044 ; n°6 : Mas Domenech, p. 408 ;<br />

n°7 : Sarrat de Maillos ; n°8 : Coume de Ques (Cl. aérien O. Passarrius).<br />

Cette méthode de débitage économe et savante trouve<br />

des échos au nord des Pyrénées catalanes et d’abord en<br />

Cerdagne, à l’emplacement d’une curieuse forteresse édifiée<br />

sur un piton granitique à Béna (<strong>montagne</strong> d’Enveitg)<br />

datée des XII e ‐XIII e siècles par le mobilier céramique des<br />

fouilles qui y ont été réalisées. Mais la différence notable<br />

avec la forteresse andorrane est qu’il s’agit de logements<br />

pour coins un peu plus larges, probablement creusés avec<br />

un pic, et qu’ils ne sont pas décalés à une extrémité du bloc<br />

à trancher. Nous retrouvons cette technique sur le bâti du<br />

pont gothique de Sant Martí d’Arabò, près de Puigcerda, un<br />

ouvrage construit entre 1324 et 1328 (Martzluff 1986) et<br />

aussi en Capcir, sur la pseudo-statue-menhir de Caramat<br />

(Puivalador) qui est en fait une dalle trouvée sur un chemin<br />

cité dans les textes du XIV e siècle comme un Cami<br />

de la pedra picada. Nous avons pareillement reconnu ces<br />

traces techniques en Conflent, au village de Campôme. La<br />

position des emboîtures n’est pas toujours aussi typique<br />

qu’en Andorre et les logements pour coins sont parfois<br />

assez gros (10‐12 cm au lieu de 6‐8 cm), présentant un<br />

aspect technique quelque peu abâtardi. Enfin, l’étude de<br />

la carrière de Molars, au Boulou, montre qu’au débitage<br />

des meules d’un mètre de diamètre en les détourant par<br />

creusement au pic – un procédé mis en œuvre jusqu’au<br />

XII e siècle – succède l’extraction en série de meules plus<br />

grandes avec des coins métalliques dans des sortes de puits<br />

(Martzluff et alii 2008). Théoriquement, on ne devrait<br />

plus retrouver ce mode d’extraction par coins de fer passé<br />

le XV e siècle. Mais nous pensons désormais qu’il a pu subsister<br />

quelque temps au XVI e siècle, en concomitance avec<br />

de nouvelles méthodes, comme nous le verrons.<br />

II.1 - Les techniques primitives : extraction et façonnage<br />

opportunistes des meules en granit<br />

Une trentaine de meules abandonnées en cours de<br />

fabrication et diverses ébauches ont été découvertes sur<br />

plusieurs sites bien distincts dans la zone brûlée. En réalité,<br />

ces ateliers sont plutôt logés sur la bordure méridionale<br />

du massif granitique et tournés vers Ille-sur-Têt, sauf<br />

dans un cas, près du Mas Molins, face à Montalba (ill. 2<br />

et 22, n o 1). Ils ont exploité des roches qui paraissent relativement<br />

altérées et qui présentent surtout l’avantage<br />

de se trouver dans des parties de chaos où le réseau de<br />

diaclases a débité les tors en bandes parallèles régulières<br />

et proches de l’épaisseur voulue. Le diamètre de ces artefacts<br />

avoisine toujours un mètre, mais il peut aller jusqu’à<br />

1,10 m au stade de la première ébauche. Celui de l’œillard<br />

dépasse rarement 10‐12 cm et l’épaisseur varie de 25 à<br />

30 cm. La typologie de ces engins de meunerie ne correspond<br />

donc pas à celle des meules à huile, du moins<br />

telle qu’elle est établie pour les Temps modernes par les<br />

textes.


316 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

23 - Ille-sur-Têt. Meules cassées en cours de fabrication (Ø 100-105 cm). À droite Casesnoves p. 325, Coume<br />

de Ques à gauche (Cl. G. Lannuzel).<br />

Ce qui est étrange, c’est que ces choix de carrières sont inféodés à une<br />

méconnaissance totale des procédés techniques du clivage (aucune trace<br />

d’emboîture), générant un long travail au pic pour détourer et dresser<br />

l’objet, un travail d’ailleurs tout autant soumis à de grosses maladresses<br />

concernant la prise en compte des accidents dans le matériau. C’est sans<br />

doute la raison pour laquelle le nombre de meules rejetées en cours de<br />

fabrication est impressionnant (ill. 23).<br />

Le transport de ces lourdes meules dans le fond de vallée est également<br />

problématique, vu l’étroitesse des chemins. Comme le façonnage sur<br />

place va jusqu’au creusement de l’œillard, il est hors de question qu’elles<br />

aient pu être lancées dans un ravin comme c’était le cas à Reglella au<br />

lieu-dit La baixada de les moles, par un chenal entaillé dans les molasses<br />

pliocènes. Ici, nous sommes sur le socle et la manœuvre serait délirante.<br />

La perforation permettait sans doute un transport par roulement sur la<br />

tranche autour d’un axe de bois.<br />

Les ateliers n’ont pas livré de mobilier qui soit interprétable pour leur<br />

datation, pas plus que ne l’est cette technique, très opportuniste. Mais<br />

ils se trouvent près de très vieux chemins et parfois à proximité de sites<br />

médiévaux du plein Moyen Âge.<br />

La carrière de « l’oppidum » à Ropidera<br />

(Rodès, point 1025), sur le plateau de Montalba<br />

Le site découvert se trouve entre deux éminences dominant les dépressions<br />

humides du plateau granitique, l’une familièrement nommée<br />

« l’oppidum », l’autre faisant face au Mas Molins (point 1025, ill. 24).<br />

Il est original car il concerne à la fois la production de meules et celle<br />

de parements quadrangulaires. Deux ébauches de meules abandonnées<br />

en cours de fabrication (Ø 1 m sur 25 cm d’épaisseur, ill. 25)<br />

jouxtent un atelier de débitage de moellons ayant exploité une partie<br />

du dôme cristallin où la fissuration offrait un débit propice (ill. 24). Le<br />

module des parements (40 x 30 x 30 cm environ) est voisin de ceux<br />

qui arment les remparts du château de Montalba. Est-il possible d’envisager<br />

que cette carrière, située en terre de Catalogne, ait pu servir à<br />

bâtir cette forteresse « française » après l’établissement de la frontière<br />

entre les deux royaumes, ici même, en 1258 ? On sait en tout cas qu’il<br />

24 - Rodès. Point 1025, « Oppidum ». Carrière ayant exploité<br />

des bancs de roches logés entre des réseaux de diaclases<br />

verticales (vue du haut) favorables au débitage des meules<br />

de moulin (en pointillé sur la vue centrale, la partie du dôme<br />

exploité) et des parements quadrangulaires (vue du bas)<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

existait à Montalba une fortification antérieure<br />

à cette date, dont les matériaux<br />

auraient pu être remployés. Tout aussi<br />

étrangement, ce granite ne correspond<br />

pas au matériau utilisé pour l’église de<br />

Ropidera alors que la carrière est sur<br />

les terres du seigneur de cette communauté<br />

au XIII e siècle. Ces éléments, tout<br />

comme la dimension des meules et l’absence<br />

de traces d’emboîtures, prêchent<br />

pour une chronologie médiévale proche<br />

de l’an mil, en tout cas antérieure au<br />

XIII e siècle.


Des pierres pour bâtir<br />

317<br />

Le site 1040, chaos à la confluence du Bellagre et de la Têt<br />

(Ille-sur-Têt)<br />

Le lieu d’extraction des meules, certaines retrouvées à l’état<br />

d’ébauche (ill. 26), se trouve à proximité d’un site archéologique<br />

très raviné où furent trouvés des mobiliers médiévaux. Les chicots<br />

rocheux du substrat, qui forment ici un chaos propice, ont été<br />

débités à partir des fissurations. La dimension des ébauches de<br />

meule est voisine du mètre et nous n’avons pas trouvé la moindre<br />

trace d’emboîture. Le façonnage se faisait à l’aide d’un pic.<br />

25 - Rodès. Point 1025, « Oppidum », ébauches de meules (Cl. G. Lannuzel).<br />

Point 1040<br />

ébauche de<br />

meule<br />

vue de côté<br />

La même,<br />

vue de dessus<br />

Sites de Casesnoves, points 325, 406, 407, 1044<br />

(Ille-sur-Têt)<br />

Ces aires de débitage se trouvent sur les affleurements du<br />

socle qui se développent en direction cardinale (ill. 22 et 27) à<br />

la même distance du bord du plateau que le précédent, entre<br />

la rivière de Casesnoves (rive gauche) et le Ravin del Mas d’en<br />

Domenech. Elles forment plusieurs concentrations. Dans la zone<br />

basse, près de la tartera que traverse le ruisseau de Casesnoves,<br />

au bord du chemin qui conduit au Puig Sinell, une ébauche de<br />

meule est recoupée par le creusement de deux emboîtures qui<br />

sont typiques des techniques en usage à partir du XIII e siècle<br />

(point 406, ill. 28). Ces négatifs sont ici associables à un versant<br />

complètement remanié par une exploitation médiévale liée<br />

à l’habitat de Casesnoves. Les autres vestiges sont localisés sur<br />

le rebord du plateau et répartis en trois groupes (points 325 à<br />

l’ouest, 407 au centre et 1044 à l’est, ill. 29 à 32), lesquels ont<br />

livré de nombreuses ébauches et des meules cassées en cours de<br />

fabrication (ill. 23, 32). La typologie est homogène et identique<br />

à celle des autres sites, bien que quelques ébauches soient ici<br />

plus grandes (1,10 m). Certaines montrent des traces d’outils<br />

du type pic (ill. 23, 20 et 31).<br />

Site du Cortal Domenech, point 408 (Ille-sur-Têt)<br />

Au départ du Ravin del Mas d’en Domenech, en amont du Cortal,<br />

se trouve une ébauche de meule cassée en cours de fabrication<br />

(ill. 32). C’est un site fort éloigné des précédents vers l’intérieur<br />

du plateau, éventuellement lié à la présence de l’habitat proche.<br />

L’exploitation de ce chicot rocheux très fissuré prouve un certain<br />

« amateurisme ». Le contexte est également ambigu, puisque que<br />

l’on trouve dans un environnement proche, près d’une cabane<br />

en ruine, des traces de coup de mine relativement tardives (fin<br />

XVIII e ‐début XIX e siècle).<br />

26 - Ille-sur-Têt. Secteur du Bellagre. Ébauche de meule dans le chaos au<br />

point 1040 (Cl. M. Martzluff ).


318 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

27 - Ille-sur-Têt. Vue vers le sud, depuis le Ravin del Mas d’en Domenech, des carrières de meules dans les chaos de Casesnoves. P. 1044 à gauche, p. 407 au centre et p. 325 à droite.<br />

En arrière plan, avant la plaine du Roussillon, la falaise entaillée par le ruisseau dans les sables pliocènes à mégablocs. Bouleternère en haut à droite (Cl. M. Martzluff ).<br />

28 - Ille-sur-Têt. Casesnoves. Bas de pente entre les ravins du ruisseau de Casesnoves<br />

et celui du Mas d’En Domenech. Ébauche de meule recoupée par deux emboîtures<br />

jumelées légèrement décalées (largeur 7-8 cm) (Cl. M. Martzluff ).<br />

30 - Ille-sur-Têt. ébauche de meules du secteur de Casesnoves, p. 407 (Cl. G. lannuzel).<br />

29 - Ille-sur-Têt. ébauche de meule insérée dans une feixa, secteur Casesnoves<br />

(Cl. G. lannuzel).<br />

31 - Ille-sur-Têt. ébauche de meules du secteur de Casesnoves, p. 407 (Cl. G. lannuzel).


Des pierres pour bâtir<br />

319<br />

Point 408<br />

Point 406<br />

Débitage opportuniste des meules<br />

Globalement, et bien que la chronologie de ce copieux lot de meules<br />

soit mal assurée, nous pensons qu’elles doivent marquer un âge médiéval<br />

ancien de l’occupation de ce territoire, au moins antérieur à la généralisation<br />

du débitage par coin qui apparaît un peu partout dans les<br />

<strong>montagne</strong>s catalanes à la fin du XIII e siècle. Le diamètre et la typologie<br />

de ces meules correspondent bien aux meules de moulins à farine antérieures<br />

aux meules pour moulins plus puissants<br />

(Ø : 1,10 puis 1,30 m), lesquelles sont<br />

attestées à Vilarnau à partir du XIII e siècle.<br />

Compte tenu des droits sur les moulins apparus<br />

aux XI e ‐XII e siècles (?), et du contrôle<br />

renforcé sur les eaux avec la réalisation du<br />

système d’irrigation par la puissance publique<br />

(XIV e siècle), monopole semble-til<br />

étendu à l’extraction et au transport des<br />

meules à grain de Reglella, on pourrait rattacher<br />

ces extractions de meules, attestant<br />

d’une plus grande liberté de construction<br />

des moulins et d’usage des eaux courantes, à<br />

la période de défrichements et d’essor d’une<br />

paysannerie alleutière (IX e -X e siècles) 29 ; il<br />

n’est cependant pas impossible que ces ateliers<br />

opportunistes aient continué après cette<br />

période à fonctionner (discrètement ?) sur<br />

les mêmes secteurs. Mais jusqu’à quelle époque<br />

et avec quels artisans ? Il est par ailleurs<br />

difficile d’exclure catégoriquement que certaines<br />

de ces pierres aient pu servir dans des<br />

moulins à huile.<br />

32 - Ille-sur-Têt. ébauches de meules, à droite du secteur Casesnoves p. 407 ; à gauche Mas d’en Domenech,<br />

p. 408. (Cl. M. Martzluff ).<br />

Sites du Serrat de Maillols et de la Coma de Ques, point 1048<br />

(Ille-sur-Têt)<br />

Nous sommes ici dans la partie la plus orientale de ces sites. Sous le<br />

piton du Serrat de Maillol, deux ébauches de meules gisent sur le versant<br />

dans les murs de terrasses (feixes). En l’absence d’éléments plus typiques,<br />

ces vestiges restent difficiles à interpréter. Il existe par contre, plus bas,<br />

sur le flanc occidental du ravin de la Coma de Ques, face au Pinyer d’en<br />

Tapis, au-dessus des orgues d’Ille, une zone d’extraction remarquable.<br />

Parmi les ébauches, un exemplaire où l’œillard est déjà creusé (ill. 23)<br />

montre qu’il s’agit du même type de meule que les précédentes.<br />

II.2 - Le débitage médiéval tardif des granites<br />

avec coins de fer jumelés<br />

Les autres lieux d’extraction attribuables<br />

à la période médiévale dépendent des zones<br />

d’habitat logées sur les flancs du plateau ou<br />

dans sa bordure alluviale, en rive gauche de<br />

la Têt.<br />

Exploitation médiévale des roches cristallines<br />

au château de Rodès et à Ropidera<br />

Sous le rempart méridional du château de<br />

Rodès, dans le fossé creusé dans le socle lors<br />

de la construction de cette forteresse, nous<br />

n’avons trouvé qu’une seule trace d’emboîture,<br />

ce qui semblerait témoigner d’un creusement<br />

antérieur à la généralisation du débitage<br />

par coins (ill. 33). Il s’agit d’une petite<br />

emboîture pour coin de fer. Elle est de même<br />

type que celles existant autour du village médiéval<br />

de Ropidera et c’est donc sur ce site<br />

que s’est reporté notre attention.<br />

29. Caucanas 1987, Bonnassie 1975-1976.


320 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

33 - Château de Rodès, vue prise vers l’est (Cl. M. Martzluff ).<br />

36 - Rodès. Les Cases, village de Ropidera. Fragment d’abreuvoir, rare<br />

exemple de roche ouvragée dans les constructions vernaculaires (voir<br />

fig. 35 n° 7) (Cl. M. Martzluff ).<br />

34 - Rodès. Les Cases, village de Ropidera. Traces d’exploitation du socle granitique liées à la construction<br />

de l’église (voir fig. 35 n° 1) (Cl. M. Martzluff ).<br />

38 - Rodès. Village de Ropidera. Roche débitée par des emboîtures doubles,<br />

clivage avorté (voir fig. 35 n° 3). Fiché verticalement, ce bloc sert<br />

d’armature à une feixa (Cl. M. Martzluff ).


Des pierres pour bâtir<br />

321<br />

35 - Rodès. Les Cases, village de Ropidera. Répartition des traces d’aménagement du substrat. N°1 : exploitation<br />

à la pince à partir des fissures (fig. 33) ; n°2 : empreintes d’emboîtures pour aménager le fossé<br />

(fig. 7) ; n°3 : emboîtures sur une roche plantée en bordure de feixa (fig. 38) ; n°4 : mur récent qui surmonte<br />

un mur ancien (fig. 56) ; n°5 : restes de dalles plantées pour armer une feixa (fig. 58) ; n°6 : traces de soc<br />

dans une bande schisteuse du substrat (fig. 53) (Plan O. Passarrius, D.A.O. M. Martzluff ).<br />

37 - Rodès. Village de Ropidera. Fossé<br />

contre la face nord de l’église fortifiée.<br />

Chicot rocheux émergeant du socle débité<br />

avec des coins de fer de 7 à 10 cm<br />

de large (voir fig. 35 n° 2). Les emboîtures<br />

sont doubles à droite (flèches près de la<br />

mire) et logées dans une fissure. Celle<br />

qui est sur la gauche est unique et décalée<br />

près du bord. D’autres arrachements<br />

plus ou moins avortés sont visibles dont<br />

les dimensions réduites montrent bien<br />

que ce granite très compact et fissuré<br />

n’est pas ici une roche « amoureuse » au<br />

sens que donnent les picapedrers au matériau<br />

qui se fend bien (Cl. M. Martzluff ).<br />

Il n’existe pas de front de carrière de granite<br />

qui puisse être strictement relié à la<br />

construction du village médiéval, en particulier<br />

de l’église fortifiée. Les roches affleurantes,<br />

de très mauvaise qualité pour un<br />

bon contrôle du débitage, ont été exploitées<br />

par une technique de double ou simple emboîture.<br />

Ces logements sont cependant relativement<br />

larges (7‐10 cm) et certains ont<br />

été vraisemblablement creusés avec un outil<br />

emmanché, de type smille (double pic).<br />

Mais l’extraction des roches sur le site<br />

s’est principalement effectuée à la pince ou<br />

par élargissement des fissures avec des coins<br />

(ill. 34 et 35 au n o 1). Le volume de roches<br />

débité peut globalement s’estimer par la<br />

disparition des tors émergeant du chaos qui<br />

encombrait la zone à l’origine, sur une aire<br />

de 100 mètres de rayon autour de l’église<br />

environ (ill. 35 et 36). Cet espace « en négatif<br />

» est progressivement mieux exploité<br />

vers le centre, en particulier au nord, dans le<br />

fossé creusé dans le substrat contre l’église,<br />

probablement lors de sa fortification dans<br />

la deuxième moitié du XIII e siècle. Un affleurement<br />

y a été débité par des coins jumelés<br />

ou uniques, certains insérés dans une<br />

ligne de fissure (ill. 37 et 35 au n o 2). La<br />

chronologie de ce savoir technique cadre<br />

donc ici avec ce que l’histoire nous dit du<br />

site. Une vingtaine de roches, surtout en<br />

amont de l’église, le long du chemin allant<br />

vers Montalba, montrent des négatifs d’emboîtures<br />

en place, certaines reprises prouvant<br />

les difficultés dans la maîtrise de cette<br />

œuvre. D’autres emboîtures se trouvent sur<br />

des roches mobiles (ill. 38 et 35 au n o 3),<br />

mais aucune trace n’en existe dans le bâti,<br />

et pour cause : elles sont toujours effacées<br />

par les phases postérieures de dressage et<br />

d’ouvrage du bloc. Le cas de l’Andorre, où<br />

l’on trouve des traces d’emboîtures sur des<br />

parements, est particulier, puisque la forteresse<br />

de Sant Vicenç a été abandonnée en<br />

cours de construction après la signature des<br />

Paréages.


322 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

39 - Ille-sur-Têt. Carrières-ateliers de Casesnoves. Vue du haut, le site entre la basse plaine alluviale de la Têt en Roussillon (Riberal) et les premières pentes granitiques du plateau de<br />

Montalba (les placages de sables pliocènes à mégablocs sont marqués d’une flèche rouge). Vue du bas, les ruines du village déserté installé sur une haute terrasse würmienne<br />

(T 1). Sur les pentes, les traces d’ateliers de picapedrers. Aux n° 1 : techniques médiévales ; n° 2 : techniques médiévales et gravure ; n° 3 : techniques modernes ; n° 4 : ruines ; n°5 :<br />

meules et linteaux modernes ; n°6 : creusement et exploitation contemporaine (après 1950, voir chap. XVI) ; n°7 : atelier et plateforme de chargement de la même exploitation (Cl.<br />

et D.A.O, M. Martzluff ).<br />

Casesnoves, bas de pente<br />

double emboîture de type tardo-médiéval<br />

40 - Ille-sur-Têt. Casesnoves ouest, bas de versant (fig. 39 n° 1) (Cl. M. Martzluff ).


Des pierres pour bâtir<br />

323<br />

Exemple de<br />

fracture avortée.<br />

Deux emboîtures<br />

sont légèrements<br />

décalées à gauche.<br />

Coups de masse<br />

sur l’angle du haut.<br />

Casesnoves<br />

Probable<br />

carrière-atelier<br />

des XIV e -XV e siècles<br />

41 - Ille-sur-Têt. Casesnoves ouest, mi-versant (fig. 39 n° 3) (Cl. M. Martzluff ).<br />

42 - Ille-sur-Têt. Casesnoves au-dessus de la Tartera. Zone exploitée au<br />

Moyen Âge par débitage avec coins de fer (le bloc au bas de la vue<br />

est représenté à la figure suivante ; arrière-plan sur l’entaille dans les<br />

sables pliocènes (Cl. M. Martzluff ).<br />

43 - Ille-sur-Têt. Casesnoves au-dessus de la Tartera. Quartier de roche débité par doubles coins et<br />

armant le mur d’une feixa (Cl. M. Martzluff ).<br />

Les carrières médiévales à Casesnoves<br />

Les traces de débitage par doubles coins métalliques<br />

se trouvent surtout dans le bas du<br />

versant, près de l’habitat (point 1047 A, ill. 2,<br />

39, 40, 41). Une autre concentration figure<br />

plus loin, dans le ravin du ruisseau Casesnoves,<br />

après la tartera, sur la pente qui se trouve entre<br />

ces amas de blocs et le Ravin del Mas d’en<br />

Domenech (ill. 42, 43). Cette exploitation est<br />

sensiblement remaniée par les cultures postérieures<br />

et se situe sous la zone d’où furent tirées<br />

l’essentiel des meules selon la méthode opportuniste<br />

décrite plus haut (ill. 27). De même<br />

qu’à Ropidera, ces zones d’extraction, du moins<br />

pour les XIII e ‐XV e siècles, semblent principalement<br />

liées à la présence du village, déserté<br />

par la suite. On remarquera toutefois que le<br />

volume des pierres taillées du bâti de ce village<br />

fortifié est extrêmement réduit, en particulier<br />

dans l’église (cf. partie suivante).


324 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

III - Les carrières-ateliers traditionnelles<br />

d’époque moderne et contemporaine<br />

(1500‐1900)<br />

Deux éléments techniques distinguent cette période<br />

de la précédente, sans que l’on puisse tracer une limite<br />

bien nette pour leur apparition vers 1500, l’un concerne<br />

l’introduction de l’explosif lent (poudre noire), l’autre<br />

l’usage de coins en bois. Les deux techniques sont souvent<br />

conjointes aux XVIII e et XIX e siècles.<br />

III.1 - De l’usage du coup de mine : le débitage à barrinades<br />

L’utilisation de la poudre pour débiter le rocher est<br />

bien illustrée dans les Pyrénées-Orientales avec les fortifications<br />

réalisées par Vauban à la fin du XVII e siècle,<br />

après l’annexion du Roussillon. Nous n’avons pas de<br />

données antérieures sur cette pratique hors du domaine<br />

militaire. Cependant, d’après les recherches archéologiques<br />

réalisées à ce jour, il est clair qu’elle ne s’est appliquée<br />

à l’extraction des roches calcaires pour fabriquer la<br />

chaux et au débitage des roches monumentales pour le<br />

bâti vernaculaire que bien après 1700. Les demi-négatifs<br />

de barre à mine associables aux fortifications étatiques<br />

du XVII e siècle, tels que nous avons pu les observer sur<br />

les remparts et dans les carrières ayant servi à édifier<br />

les forts de Mont-Louis, Villefranche-de-Conflent et<br />

Bellegarde, sont longs et très larges. Par ailleurs, ils se<br />

divisent en deux types, selon le substrat.<br />

Dans les granites, ces vestiges de forage sont circulaires<br />

; dans les calcaires ou les marnes schisteuses, ils sont<br />

triangulaires. En effet, la technique du « quart-de-rond »<br />

utilisée dans le maniement de la barre, méthode plus<br />

rapide pour forer la roche tendre par un quart de tour,<br />

est bien attestée pour le creusement du puits du Fort<br />

de Bellegarde, entre 1676 et 1688 (fouille ARESMAR,<br />

Martzluff 1997a), mais aussi dans les filons de marbre aux<br />

alentours des fortifications créées à la même époque par<br />

Vauban à Villefranche-de-Conflent. Cette technique est<br />

également attestée dans une carrière de calcaire marbrier<br />

sur la commune de Banyuls (Martzluff, travaux inédits) et<br />

sur le Causse de Thuir où des fours à chaux inscrits sur le<br />

cadastre et liés à cette exploitation à la mine cessent leur<br />

activité après 1860, selon les textes (étude en cours).<br />

Il est quand même difficile d’expliquer la morphologie<br />

particulière de ces creusements de section triangulaire<br />

s’il s’agit d’une barre à mine normale avec un biseau terminal<br />

médian, comme pour les barrines. Ces négatifs en<br />

quart-de-rond supposent en effet un biseau dissymétrique,<br />

comme sur une lame de rabot, ce qui est plutôt la<br />

morphologie d’une pince (levier). Dans ce cas, la barre<br />

devait donc être lancée alternativement en tournant vers<br />

la droite, puis retournée pour être activée vers la gauche.<br />

Cette technique n’est pas employée à la même époque<br />

pour les roches cristallines dures. Nous ne savons pas ce<br />

qu’il en est localement pour les mines de fer, car il n’existe<br />

aucune étude sur ce sujet précis.<br />

À la fin du XVII e siècle, les diamètres des négatifs de barre<br />

à mine relevés dans les grès arkosiques relativement tendres<br />

et schisteux du puits de Bellegarde se situent entre 5,5<br />

et 6 cm pour une longueur de forage de 0,70 à 1 m. Dans<br />

les granites de la fortification de Mont-Louis, les négatifs<br />

montrent des trous circulaires moins larges, vers 4,5 cm et<br />

dans ce cas moins longs. Au XVIII e siècle, les barres à mine<br />

ont tendance à s’alléger (Ø égal ou de peu inférieur à 4 cm)<br />

pour devenir le fleuret classique du XIX e siècle tenu par<br />

un ouvrier et frappé à la masse par un second (Ø autour de<br />

3 cm) 30 . Ces mèches (barrines) deviennent à leur tour plus<br />

légères à la fin du XIX e siècle (Ø entre 3 et 2 cm et guère<br />

plus longues que 30 cm) car elles sont activées par un seul<br />

homme, alors que se répand le débitage à la poudre noire<br />

pour les simples travaux agricoles 31 .<br />

Le débitage à coup de mine dans les zones brûlées<br />

Le débitage à l’aide de barres à mine, ou de grosses<br />

mèches supérieures à 3 cm, est rare sur l’emprise du feu.<br />

Dans la zone des granites à orthose, les carrières-ateliers<br />

d’époque moderne n’en ont pas conservé de traces,<br />

ou très peu, contrairement à ce que nous avons observé<br />

dans les chaos de Reglella ou encore à l’est et au sud des<br />

environs du village de Montalba (ill. 2). Le petit chaos<br />

sur lequel est construit le Mas Molins a été attaqué<br />

avec des mèches de 3 cm de diamètre. Quelques coups<br />

de mines sont visibles par ailleurs, par exemple près du<br />

Cortal Domenech (Ø : 3,5 cm, ill. 44), mais ils sont exceptionnels.<br />

Par contre, il existe dans la zone du granite de Rodès une<br />

ancienne carrière – mentionnée au début du XIX e siècle<br />

et traitée dans le chapitre XVI de cet ouvrage avec l’étude<br />

30. Significatif de cet essor est l’établissement d’un atelier à salpêtre par<br />

P. Jaubert, à Prades à la fin du XVIII e siècle (ADPO, C. 1981. 1730‐1788).<br />

31. Le débitage tardif à l’aide de fines et courtes barrines est traité au chapitre<br />

XVI.


Des pierres pour bâtir<br />

325<br />

Secteur du Mas Domenech, Point 408 :<br />

négatif de mèche de barrina (Ø 3,5 cm)<br />

dans un mur attenant à une cabane<br />

44 - Ille-sur-Têt. Mas Domenech, point 408 (Cl. M. Martzluff ).<br />

de la carrière contemporaine de la Devesa – qui livre des traces d’utilisation<br />

systématique de la poudre. Les forages ont tous 4 cm de diamètre, pour débiter<br />

une roche aux grains plus serrés, probablement plus dure et fragile tout<br />

en étant orientée dans un lit de carrière selon le modèle de certains granites<br />

cerdans (Martzluff et alii 2009).<br />

D’autres empreintes de coups de mine se retrouvent dans le synclinal calcaire<br />

de Bouleternère. Ces traces sont visiblement liées à des fours à chaux.<br />

Une première série de ces débitages à la mine lente est logée dans le vallon de<br />

Les Congoustes, situé à l’ouest, près du col qui le sépare du ravin de Montjuich<br />

et l’on trouve près des restes de four des traces de barrinades sur des blocs<br />

débités ou sur les affleurements calcaires (Ø de la barre à 3,5 cm, ill. 45) 32 .<br />

Ces traces nous paraissent relativement tardives eu égard à la longue activité<br />

de production de la chaux en ces lieux, attestée par les textes entre 1512<br />

et 1766. Les trous circulaires témoignent d’une barre à mine déjà légère et<br />

l’attaque directe du rocher prouve que la production d’éclats de pierre avait<br />

cessé dans les carrières de marbre, ce qui est certain pour le XIX e siècle. Ces<br />

coups de mines marquent donc une étape finale de cette exploitation et devraient<br />

plutôt se situer à la fin du XVIII e ou au début du XIX e siècle.<br />

Une autre série de tirs de mine lente se trouve sur le flanc oriental du synclinal,<br />

dans la carrière A1 (point 334, ill. 2 et chap. X, ill. 1). Cette excavation<br />

est une simple conque ouverte au bord du chemin, sur 5 à 6 m de hauteur<br />

et 10 m de profondeur. Elle est probablement liée à la production de chaux.<br />

En tout cas, il ne s’agit pas de la taille monumentale d’un calcaire compact<br />

gris dont il n’existe que peu d’éclats de débitage aux alentours. Du reste, nous<br />

n’avons retrouvé qu’un seul angle de mur fait dans ce type de roche dans<br />

un quartier du vieil Ille sans qu’il soit même avéré qu’il provienne de cet<br />

32. Voir la contribution de C. Jandot, chap. XI, annexe II.<br />

45 - Bouleternère. Ravin des Congoustes, près des fours<br />

à chaux. Traces de barre à mine dans la roche calcaire<br />

(Ø entre 3,5 et 4 cm) (Cl. C. Jandot).<br />

affleurement 33 . Une construction<br />

ruinée, maçonnée à la chaux, qui se<br />

trouve à proximité de cette encoche<br />

dans le substrat, pourrait faire partie<br />

du site (four ?). Au moins quatre négatifs<br />

de barre à mine de 3,5 à 4 cm<br />

de diamètre, l’un d’eux de section en<br />

quart de cercle, prouvent qu’il s’agit<br />

d’une exploitation commencée à<br />

l’époque moderne, en tout cas antérieure<br />

au XIX e siècle 34 .<br />

33. Quelques monuments médiévaux dont l’église<br />

de La Rodona, ou modernes, ainsi que quelques<br />

maisons du vieil Ille, ont mis à profit la brèche<br />

« orientale » de Baixas et d’autres roches encore<br />

plus lointaines.<br />

34. Nous noterons ici que, au voisinage de cette<br />

carrière, un négatif de barre à mine supérieur à<br />

4 cm de diamètre fut repéré près du chemin sur une<br />

roche dont la face d’éclatement paraît moins patinée<br />

que les précédentes. Cela introduit une certaine<br />

discordance dans la relation presque toujours vérifiée<br />

entre la grosseur des négatifs de mèches, leur<br />

longueur (en fait leur lourdeur) et leur ancienneté.


326 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

II.2 - Le débitage par coins de bois dans les carrièresateliers<br />

traditionnelles<br />

Cette technique est une pratique innovante, à partir du<br />

XVII e siècle pour le moins, mais elle est sans doute d’apparition<br />

un peu plus précoce. Elle correspond à l’élargissement<br />

des logements pour coins qui peuvent devenir très longs et<br />

sont creusés avec un outil emmanché, la martellina (ill. 3).<br />

Partout où nous avons pu diagnostiquer, avec une relative<br />

certitude, des traces d’extraction d’époque moderne ou du<br />

XIX e siècle, en particulier sur les roches dures, nous avons<br />

pu observer la présence de ces larges emboîtures, souvent<br />

associées à un débitage antérieur à la mine lente.<br />

Toutefois, le problème que soulève l’usage du bois<br />

est que – mis à part le témoignage de picapedrers cerdans<br />

qui utilisaient encore des coins en frêne en 1900<br />

(Martzluff 1988) et nos observations sur le terrain, en particulier<br />

à Reglella – il n’existe guère de preuve d’utilisation<br />

systématique de cette technique paraissant a priori très<br />

archaïque au profane. La seule archive un peu fiable que<br />

nous avons pu trouver est le témoignage de P. Dardenne<br />

dans un « Essai sur la statistique du département de l’Ariège<br />

(1802‐1805) » récemment rééditée (Bourneton 1990) 35 .<br />

Nous avons pu détecter en Cerdagne une probable étape<br />

intermédiaire entre l’usage médiéval tardif de petits coins<br />

de fers et l’usage moderne de coins en bois qui nécessite forcément<br />

le creusement de grandes emboîtures pour pouvoir<br />

exercer une suffisante pression latérale sur les flancs de l’évidemment.<br />

En effet, le bâti du pont gothique de Sant Martí<br />

d’Arabò, près de Puigcerdà, porte bien des hémi-négatifs<br />

typiques d’emboîtures pour petits coins de fer jumelés ou<br />

uniques, parfois décalés, mais aussi quelques grands logements<br />

pour coins, sur des blocs contemporains. C’est le seul<br />

exemple clair d’une utilisation concomitante de ces deux<br />

types d’emboîtures. Il semble donc qu’à la fin du Moyen<br />

Âge et au début des Temps modernes (XV e ‐XVI e siècles)<br />

soit née une nouvelle pratique de creusement des emboîtures,<br />

non plus avec une broche frappée à la massette, mais<br />

avec des outils à manche du type smille, sans doute pour<br />

35. À propos de l’extraction des marbres du Sennonais et du Couserans, ce<br />

témoin précise : « On profite des joints et des fissures pour détacher les pièces<br />

avec des coins [probablement de fer] et des pinces. (...). Quand les blocs sont<br />

sans accidents, on les détache en masses de 20 à 60 m 3 [c’est considérable<br />

et, bien que l’auteur ne le dise pas, il s’agit très probablement de coups de<br />

mine] ; de cette manière on met le bloc à découvert ; on y fait à coups de<br />

ciseaux des sillons horizontaux à des distances convenables et on y enfonce à<br />

grands coups des coins de bois séchés au four dans les trous qu’on a formés<br />

de distance en distance. L’humidité de l’air ou l’eau qu’on répand sur les coins<br />

pénètre dans les pores du bois, le gonfle et le dilate avec tant de force que le<br />

marbre éclate et se trouve partagé (...) ».<br />

y insérer plusieurs petits coins métalliques. Cette simplification<br />

de l’outillage offre un meilleur contrôle de la coupe<br />

en créant des logements pour coins plus longs, mais il en<br />

résulte un coût plus important en coins métalliques. En<br />

créant de plus grandes surfaces latérales à la pression, et<br />

par un souci d’économie, les plus grandes emboîtures ont<br />

pu autoriser l’usage du bois, éventuellement inséré entre<br />

des plaques de fer, lesquelles ne se déformaient pas aussi<br />

vite que les coins métalliques et n’avaient pas besoin d’être<br />

renouvelées à la forge.<br />

Une évolution des techniques apparue précocement<br />

sur un monument construit par la puissance publique ne<br />

peut trouver un écho immédiat dans les structures vernaculaires.<br />

C’est pourquoi l’utilisation de coins de bois n’est<br />

bien attestée qu’à partir du XVII e siècle. Au XIX e siècle,<br />

en tout cas dans les granites « tendres » de Cerdagne,<br />

l’adjonction de petites plaques métalliques du type « fers<br />

de vaches » sur les côtés de l’emboîture, entre lesquels<br />

étaient insérés en force les coins de bois, a provoqué une<br />

réduction des demi-négatifs d’emboîtures (vers 10‐12 cm<br />

de longueur et de profondeur) tout en les démultipliant<br />

sur la ligne de découpe. Ces caractères apparaissent dans<br />

les carrières du XIX e siècle à Reglella (ill. 12).<br />

Le site de la vallée du Bellagre (Point 1045, Ille-sur-Têt)<br />

Une carrière bien homogène dans ses manifestations<br />

techniques, le débitage par larges coins de bois dans un<br />

granite sensiblement altéré, a été découverte dans le brûlis,<br />

sur le flanc gauche du ravin du Bellagre, près du chemin<br />

(ill. 46). Cette petite exploitation a probablement<br />

servi pour la phase de mise en culture du versant consacré<br />

à l’olivier sur le cadastre de 1832. La structure des murs<br />

des feixes relativement élevés de ce secteur mêle de gros<br />

blocs à de plus modestes, depuis la base des appareillages<br />

jusqu’au sommet. On ne note pas de trace de débitage à<br />

la mine, ce qui pourrait nous placer dans une séquence<br />

relativement ancienne, au XVIII e siècle.<br />

L’exploitation moderne et contemporaine du site de<br />

Casesnoves (Ille-sur-Têt)<br />

Nous avons retenu qu’un picapedrer, Estève Barral,<br />

avait été chargé en 1527 de tailler une meule à huile à<br />

Casesnoves (cf. note 26). C’est la mention la plus ancienne<br />

de l’existence d’une pedrera près d’un village quasiment<br />

déserté à une date qui précède de peu son rattachement à<br />

la paroisse d’Ille. Ce nom ne semble pas correspondre aux


Des pierres pour bâtir<br />

327<br />

47 - Ille-sur-Têt. Casesnoves ouest, bas de pente. Inscription (voir fig. 39 n° 2)<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

46 - Ille-sur-Têt. Ravin du Bellagre. Carrière du point 1046 avec grandes emboîtures<br />

(en haut) pour la mise en culture du versant (terrasses du bas) (Cl. M. Martzluff ).<br />

initiales (S+E, ou L minuscule ?) surmontées d’une croix<br />

que nous avons découvertes gravées sur le rocher, au bas<br />

du versant (ill. 47). Deux autres textes du XVII e siècle<br />

renseignent sur la continuité de ces carrières. L’un,<br />

en 1617, donne le nom d’un atelier de Miquel Ribalata,<br />

empedrador en Vallespir, mais qui est ensuite mentionné<br />

comme empedrador à Ille en 1622 et 1630 (annexe 1) 36 .<br />

36. Onophre Sampso, brassier d’Ille, vend à Joan Pere Ramonet, menuisier<br />

d’Ille, deux ayminates de terre plantées en partie en vigne et en partie en mallol,<br />

L’autre mentionne la confection en 1690, par un des picapedrers<br />

d’Ille, Pere Dausset, de deux cuves en granit tiré<br />

de Casesnoves 37 .<br />

Du point de vue archéologique, l’exploitation moderne<br />

des chaos de Casesnoves ne se surimpose pas tout à fait<br />

aux traces d’extraction médiévales, quasiment toutes situées<br />

au bas du versant (ill. 39). Elle est plutôt logée sur<br />

les hauts (secteur 1047 A, ill. 2), face à la plaine de la Têt.<br />

Un chemin construit, très pentu, y conduit. Il traverse les<br />

cultures sur le coteau et mène à une ruine de cabane qui<br />

est probablement liée à cette phase d’exploitation (ill. 39<br />

n o 4). Les traces de débitage sont nombreuses et variées. Il<br />

semble se dessiner une évolution partant globalement du<br />

plus ancien, à l’est, au plus récent, à l’ouest, en passant par<br />

une partie médiane – sans prendre en compte la carrière<br />

contemporaine (mise en œuvre après 1950), qui se trouve<br />

aussi à l’ouest, au débouché du ruisseau de Casesnoves,<br />

(n o 6 et 7 de l’ill. 39, point 412 B ill. 2, et chap. XVI).<br />

situées à Casesnoves, au lieu-dit a la puiada den Sarda, jouxtant cum tenencia<br />

magistri Michaelis Ribalta empetratoris ville de Prats de Mollo et cum tenencia<br />

Catharine uxoris Arnaldi Cassany als Scloperat que in primis nuptiis uxor fuit<br />

Joannis Deltell alias de la gavatxa et cum tenencia magistri Dominici Santa Maria<br />

sartoris et cum tenencia Francisci Puig agricole quodam camino in medio<br />

omnium dicte ville de Insula et cum residua parte predicte petie terre penes me<br />

remanente quadam rua de pedres in medio et quodam percicho sive perceguer<br />

etiam in medio. (ADPO, 3 E 84/87, 26 décembre 1616-20 février 1617).<br />

37. Pactes entre la communauté des prêtres d’Ille et Pere Dausset, tailleur de<br />

pierre, pour construire deux cuves dans une maison que ladite communauté<br />

possède à Ille, à la Plassa de la Fruiteria : deux tinas, de pedra picada de Casanovas,<br />

à la place de deux tinas de tarvol qui se trouvent déjà dans cette maison<br />

et qu’il détruira. (...) sera obbligat dit m e Pere Dausset en fer a quiscuna de ditas<br />

tinas ço es a las pedras seran al cap de ditas tinas una mossa o encaix o filada de<br />

pedra per posar y tenir hi [uno ?] restallat de filas. (ADPO, 3 E 16/308).


328 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Dans le secteur oriental (n o 3 de l’ill. 39, point 1047 D ill. 2),<br />

sur le flanc droit d’un ravin entaillé dans les épandages tertiaires,<br />

une zone intensivement exploitée a livré deux curiosités. L’une<br />

est une série de cupules qui pourraient être en relation avec un<br />

échafaudage ou avec l’ancrage d’un pressoir à vin, probablement<br />

antérieur à l’atelier de taille des pierres, car ces vestiges sont placés<br />

sur un mur de feixa de type archaïque fait de dalles plantées verticalement<br />

(ill. 9). L’autre est une forme de débitage par de longues<br />

saignées (ill. 48). Nous ne connaissions pas cette technique<br />

originale, sûrement antérieure au XIX e siècle et que nous avons<br />

aussi retrouvée à Reglella (ill. 12) en liaison avec de larges trous de<br />

mine, lesquels n’existent cependant pas ici. L’utilisation de simples<br />

pinces pour profiter des fissurations naturelles est attestée<br />

(ill. 49).<br />

Dans le secteur central, le chaos a été débité avec de très larges<br />

emboîtures, longues de 20 à 25 cm et de section arrondie (ill. 50),<br />

traces qui sont aussi relativement anciennes. Dans le secteur occidental,<br />

difficile d’accès, les carriers se sont attaqués à un piton de<br />

roche où le matériau bleuté paraît plus serré. D’énormes pans de cet<br />

abrupt ont été fractionnés en quartiers et ont glissé en contrebas,<br />

formant un gros éboulis. Mais ils ne livrent pas de traces de barre<br />

à mine. Le débitage de ces quartiers a utilisé des emboîtures pour<br />

coins en bois moins grandes (10‐15 cm) communes à Reglella pour<br />

le XIX e siècle (ill. 14). Un bloc est ambigu, car il a été tranché par<br />

une grande emboîture puis recoupé par deux petites emboîtures<br />

décentrées. C’est le seul vestige qui pourrait témoigner d’un croisement<br />

des deux techniques au début de l’époque moderne, sur le<br />

modèle du pont de Sant Marti, à Puigcerdà.<br />

49 - Ille-sur-Têt. Casesnoves ouest, haut de pente. secteur haut, en contact avec les amas détritiques<br />

du Pliocène qui forment les orgues d’Ille-sur-Têt. Cette boule de granite très serré, non<br />

porphyroïde et probablement orientée par un « fil », fait partie des roches transportées. Elle est<br />

ici débitée à la pince ou peut-être avec des éclisses de bois à partir du réseau de fissurations car<br />

il n’y a nulle trace de logements pour coins ou de barre à mine (« granit dur »). On remarque sur<br />

la tranche à droite une partie décimétrique altérée (feu ? flèche n° 1) et à gauche des fissures en<br />

pelure d’oignon (n° 2). Les murs des feixes de l’arrière plan, d’âge moderne probable, insèrent<br />

les restes de taille (n° 3) (Cl. M. Martzluff ).<br />

Casesnoves<br />

bloc tranché par<br />

une saignée en V<br />

48 - Ille-sur-Têt. Casesnoves est, haut de pente (fig. 39. n° 3) (Cl. M. Martzluff).<br />

De belles roches monumentales ont été façonnées<br />

dans ce secteur : il reste le quart d’un lourd<br />

voussoir de porte de porche en arc de cercle et une<br />

très grosse meule de 1,30 m de diamètre, débitée à<br />

l’aide de larges coins et qui est pareillement restée<br />

sur place. Cette partie du chantier nous semble devoir<br />

s’inscrire pour l’essentiel dans le XIX e siècle.<br />

L’absence de trous de mine est étrange.<br />

La grande meule à grains de Casesnoves constitue<br />

le seul témoignage de ce type de vestige pour<br />

l’ensemble de ce vaste secteur granitique incendié<br />

38 . Ces grandes meules de molis fariners sont<br />

pourtant bien attestées dans les chaos de Reglella<br />

où nous savons que leur fabrication était soumise<br />

au cens pendant l’Ancien Régime. Aucun renseignement<br />

de cet ordre n’a été conservé à propos<br />

des meules taillées à Casesnoves et à Rodès avec<br />

les techniques antérieures à 1900. Peut-on en déduire<br />

qu’elles étaient taillées pour servir dans des<br />

moulins exempts de banalités ?<br />

38. Si l’on excepte un autre engin destiné à un moulin puissant<br />

qui gît au bas du chemin menant à l’ancienne carrière de Rodès,<br />

attestée en 1830 (Martzluff, chap. XVI)


Des pierres pour bâtir<br />

329<br />

IV - L’art de bâtir : traces d’outils<br />

et autres témoins utiles pour une<br />

archéologie des paysages agraires<br />

En ce qui concerne la manipulation des roches du substrat, il<br />

nous est difficile de confronter nos notes de terrain aux résultats<br />

des autres approches disciplinaires mobilisées lors de cette<br />

recherche, sans procéder à de trop longs développements 39 . Ces<br />

regards croisés doivent en effet rester très près d’une cartographie<br />

précise des faits. Il est par ailleurs périlleux d’établir des jalons archéologiques<br />

dans la zone des granites à partir des seuls éléments<br />

techniques. Les traces d’outils y sont assez rares, nous l’avons vu.<br />

Le reste est ambigu. Nous mettrons donc ici simplement le doigt<br />

sur quelques éléments caractéristiques qui doivent être pris comme<br />

des pistes de recherche et non comme des conclusions.<br />

IV.1 - Liaison entre l’exploitation du substrat et les structures<br />

d’habitat<br />

Très curieusement, on ne trouve sur le plateau granitique de<br />

Montalba et sur son versant longeant la vallée de la Têt que bien<br />

peu d’éléments qui puissent assurer une liaison évidente entre la<br />

taille des pierres et l’habitat. Le fait de ne quasiment pas retrouver<br />

de négatifs d’outils dans l’édification des nombreux abris voûtés<br />

ou dans celle des mas, tout comme dans l’habitat médiéval<br />

de Ropidera, à Les Cases, est remarquable. La technique du coup<br />

de mine (barrinada), qui a pu servir d’élément dateur pour le bâti<br />

vernaculaire de Cerdagne et d’Andorre entre la période moderne<br />

et contemporaine, n’est curieusement pas utilisée ici dans les roches<br />

dures pour édifier le bâti (Martzluff 1984, 1986) 40 . Tout au<br />

plus pouvons-nous tracer une limite typologique – d’ailleurs très<br />

peu opératoire au niveau chronologique – entre les constructions<br />

« opportunistes » qui utilisent la roche locale en l’état (épierrements),<br />

ce qui est le cas le plus banal pour toutes les époques, et<br />

celle où l’on note l’utilisation intensive du marteau pour l’équarrissage<br />

les blocs. L’usage systématique du marteau têtu est un fait<br />

technique qui semble réservé à des monuments médiévaux (église<br />

de Ropidera, ill. 51), ou bien à des bâtisses (mas) et des structures<br />

agraires tardives, à partir du XIX e siècle (mas sur le plateau de<br />

Montalba, murs du Puig Sinell) ; il est plus fréquent en plaine, près<br />

des centres urbains.<br />

39. Contributions d’O. Passarrius, chap. XIII, et de Danièle Orliac (CAUE des P.‐O.) lors de<br />

la journée d’étude sur la Montagne brûlée, juin 2007.<br />

40. L’absence de traces de toutes petites barrines utilisées à la fin du XIX e et au début<br />

du siècle suivant semble indiquer que les aménagements ont cessé sur les pentes à cette<br />

époque, cf. Martzluff, chap. XVI.<br />

50 - Ille-sur-Têt. Casesnoves centre, haut de pente. Roche partagée par<br />

des très grandes emboîtures pour coins de bois d’époque moderne,<br />

technique pouvant déborder au début du XIX e siècle (fig. 39 n° 3)<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

En règle générale, l’origine des matériaux est<br />

très locale, voire immédiate, que ce soit pour le<br />

bâti vernaculaire ou pour des monuments publics.<br />

Ce n’est pas une surprise pour le Moyen<br />

Âge (Laumonier 2005). Les habitats fortifiés<br />

de Reglella (abbaye citée en 844, village fortifié<br />

au XIII e ensuite ruiné par une crue de la Têt<br />

en 1423 et réuni à Ille en 1502) ou de Casesnoves<br />

(cité en 1173, réuni à Ille en 1538, déserté<br />

avant 1644) empruntent quasiment tous leurs<br />

matériaux à la terrasse à galets würmienne sur<br />

laquelle ils sont édifiés. Dans ces deux anciens<br />

villages en ruine, seuls quelques chaînages d’angle<br />

sur une tour ou sur une église proviennent<br />

de carrières établies à proximité, sur les affleurements<br />

granitiques du versant, avec un choix<br />

préférentiel pour des matériaux déjà altérés<br />

(ill. 52). Il en est de même pour la principale<br />

phase de construction du château de Rodès (au<br />

XIII e siècle), avec dans ce cas l’utilisation des roches<br />

extraites dans le socle pour réaliser le fossé<br />

méridional, comme nous l’avons vu.


330 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Chemise fortifiant le mur nord<br />

Dans une brèche du mur, la blocaille des schistes (S)<br />

des granits et un fragment de calcaire (flèche).<br />

Intérieur du chevet, mur nord, avec les blocs de granit ouvragés<br />

traversés de septa de schistes (flèches)<br />

Tour<br />

vue côté sud<br />

église fortifiée de Ropidera :<br />

aspects de l’hétérogénéité des roches utilisées dans le bâti,<br />

essentiellement locales et dépassant rarement le stade de l’équarrissage<br />

Extérieur de la tour, à l’est<br />

51 - Rodès. Les Cases. L’église de Ropidera. Détails de la taille de la pierre (Cl. M. Martzluff ).


Des pierres pour bâtir<br />

331<br />

Le seul monument médiéval qui peut faire état de quelques apports<br />

plus sûrement étrangers au substrat immédiat est l’important<br />

ouvrage du pont-acqueduc d’en Labau, dit « des Sarrasins »<br />

(Sarrahims au XIV e ), qui enjambait le lit de la Têt dans les gorges<br />

de La Guillera. Mentionné en 1337, il est lié au canal royal<br />

de Thuir commencé en 1315 et confirmé en 1321 par un texte<br />

concernant le moulin de Ropidera, en rive gauche de la Têt 41 ,<br />

mais aussi par des procès et des travaux au cours du XIV e siècle 42 .<br />

Après avoir été renforcé par une doublure d’arche, probablement<br />

après 1400 (crues de 1404 et 1417) et définitivement ruiné par<br />

une crue en 1725 (Comps 2004), cet impressionnant vestige intègre<br />

dans le bâti ancien quelques parements de marbre provenant<br />

selon toute évidence de Les Pedreres, à Bouleternère, ainsi<br />

que des voussoirs en schistes qui proviennent également du versant<br />

méridional de la vallée au-dessus de cette localité.<br />

D’après les ruines bien conservées de Ropidera, ce sont pareillement<br />

les roches puisées sur place qui ont servi à bâtir les<br />

maisons jusqu’au XV e siècle, avec un apport discret de galets non<br />

altérés hérités d’anciens remplissages alluviaux sur ce versant<br />

et qui sont très dispersés sur les pentes en contrebas du site 43 .<br />

L’examen attentif des murs de l’église fortifiée montre la même<br />

chose, sauf dans le chœur, pour quelques linteaux taillés dans<br />

un granite altéré dont l’origine reste à préciser, mais qui est très<br />

locale. D’ailleurs, le granite « à dents de cheval » dont le débit se<br />

contrôle mieux que le matériau hétérogène de Les Cases, n’a pas<br />

été utilisé ; il affleure pourtant non loin en amont, sur le plateau<br />

de Montalba (ill. 51). Les seules roches exogènes de ce monument<br />

sont de petites pierres calcaires insérées dans la chemise<br />

fortifiant le mur nord. Ces débris doivent vraisemblablement<br />

être associées à des restes de fabrication de chaux et leur origine<br />

– en attendant une analyse plus précise – nous semble plutôt se<br />

trouver dans les séries secondaires du synclinal de Boucheville (à<br />

Belesta et malgré l’existence d’une frontière à l’époque), que dans<br />

les calcaires primaires de Bouleternère.<br />

Par contre, les apports de matériaux allochtones sont bien attestés<br />

avec la couverture des toits, laquelle semble avoir été faite<br />

d’ardoises dans une première phase, puis de tuiles. La tuile de<br />

type « canal » est en usage au bas Moyen Âge dans les constructions<br />

vernaculaires de Ropidera, dont les murs de certaines bâtisses<br />

montrent déjà une réutilisation des cassons, preuve d’une<br />

réfection de la toiture, en général lors de la construction d’un<br />

étage supplémentaire 44 . Même constatation pour la forteresse<br />

41. J.-P. Comps, chap. VII.<br />

42. C. Jandot, annexe II, chap. XI, mention de chaufourniers de Bouleternère, cités<br />

en 1382.<br />

43. M. Martzluff, chap. III.<br />

44. O. Passarrius, A Catafau chap. VI.<br />

52 - Ille-sur-Têt. Tour de Casesnoves qui utilise surtout de gros galets de<br />

rivière cassés à la masse (Cl. M. Martzluff ).<br />

de Rodès et pour les villages de Casesnoves et<br />

Reglella, à Ille-sur-Têt.<br />

Pour la période moderne et contemporaine, ces<br />

tuiles couvrent les mas du plateau dès leur origine,<br />

puisque les débris de toiture sont systématiquement<br />

réutilisés dans les murs pour économiser le<br />

mortier de chaux lors des phases de surélévation,<br />

au XIX e siècle. Ces tuiles sont de deux types. Les<br />

unes, étirées sur un moule en bois, sont probablement<br />

de fabrication locale puisque des tuileries<br />

sont signalées dès la fin du Moyen Âge dans la vallée<br />

et qu’il existe du reste un four à cet usage sur le<br />

plateau 45 . D’autres sont grenues sur la face inverse.<br />

Elles ont été confectionnées par placage sur un<br />

moule de sable (méthode dite « de Perpignan » à la<br />

fin du XIX e siècle, bien que cette technique ait une<br />

origine sans doute plus ancienne, voire antique).<br />

45. C. Jandot, annexe I, chap. XI.


332 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Il est difficile d’établir une chronologie précise à partir de<br />

ces quelques observations. Mais l’arrivée du chemin de fer<br />

dans cette vallée (1869 à Ille-sur-Têt) suggère une baisse<br />

rapide du coût des matériaux. Il en résulte que les techniques<br />

artisanales sur moule en bois n’ont pu très longtemps<br />

soutenir la concurrence des grandes briqueteries et tuileries<br />

de Perpignan, et que les innovations – dont le moulage<br />

sur sable – se sont sans doute vite propagées dans les tuileries<br />

locales à la fin du XIX e siècle.<br />

L’utilisation des lloses en schiste, dont on trouve des débris<br />

épars autour des villages médiévaux de la zone brulée,<br />

mais aussi un peu partout sur les pentes à proximité<br />

des sites anciens, nous semble donc antérieure. Malgré la<br />

présence de bandes schisteuses dans le substrat granitique<br />

de Rodès, le bon matériau ardoisier n’est pas attesté<br />

sur place, mais il abonde un peu partout en Conflent, en<br />

particulier près de Bouleternère. Si l’on excepte quelques<br />

leurres, comme la présence de grandes et fines ardoises<br />

grises se trouvant isolées au sol à l’endroit où elles devaient<br />

recouvrir des ruchers traditionnels (vallée du Bellagre,<br />

point 1046), ces fragments de lloses d’aspect hétérogène<br />

sont en général épais et de modeste dimension.<br />

Quelquefois, la situation explicite de ces débris est notable.<br />

C’est le cas pour un modeste cabanon ruiné dont<br />

la couverture effondrée était faite de tuiles canal, d’après<br />

les cassons qui jonchent actuellement le sol, mais dont<br />

les murs ont été remontés à partir d’une ruine antérieure<br />

en réutilisant comme calage les débris de l’ancienne couverture<br />

d’ardoise. On en retrouve d’ailleurs les débris aux<br />

alentours, sur la pente. Or, cette construction se trouve<br />

légèrement en amont de la principale zone où furent<br />

taillées les meules médiévales « opportunistes » (versant<br />

sud du Puig Sinell, point 407). Une autre construction,<br />

dépendant de la carrière de Casesnoves (point 1047), présente<br />

les mêmes traces.<br />

Globalement, à chaque fois que nous avons affaire à un<br />

site relativement ancien, la présence d’ardoises est attestée<br />

en surface dans les parages et précède l’utilisation de<br />

tuiles dans les enchaînements stéréotomiques, lorsqu’ils<br />

sont déterminables dans le bâti, ce qui est toutefois rare.<br />

Mais il faut tempérer cette observation. Il est en effet avéré<br />

qu’un certain éclectisme préside dans l’usage des matériaux<br />

à partir du plein Moyen Âge. Les fouilles d’habitats<br />

ruraux languedociens montrent l’utilisation conjointe<br />

de « lauzes » et de briques pour les XII e ‐XIII e siècles<br />

(Britton 2008) et les textes attestent ces mélanges, par<br />

exemple pour le château de Rodès, dans un inventaire<br />

de 1369 (Tosti 1987b). C’est pourquoi il n’est pas possible<br />

de faire une règle de ces indices car des chevauchements<br />

peuvent exister selon les secteurs et les réfections. Mais il<br />

y a là un critère à retenir pour les marges de la plaine du<br />

Roussillon quant à l’abandon (plus ou moins progressif )<br />

des couvertes en ardoise (hors absides d’église) avec l’essor<br />

des tuileries, abandon dont le terme se situerait au<br />

XIV e siècle, voire un peu plus tôt dans le XIII e .<br />

IV.2 - Les traces agraires sur les roches tendres et leurs<br />

implications<br />

Les négatifs d’outils agricoles sous forme d’impacts ne<br />

sont pas sans intérêt pour une lecture des héritages économiques<br />

dans le paysage, en particulier pour appuyer<br />

une estimation de l’ampleur des terres labourées et celle<br />

des ravinements ayant succédé aux phases de déprise<br />

agricole (Martzluff 1986, 1998). En rive gauche de la<br />

Têt, le socle granitique est peu favorable à la conservation<br />

de traces agraires. En rive droite, les schistes primaires de<br />

la <strong>montagne</strong> de Bouleternère, plus propices en la matière,<br />

ont été peu touchés par le brûlis. Fort heureusement, une<br />

partie du massif cristallin de Rodès offre des inclusions<br />

schisteuses qui s’étalent en bandes hectométriques sur<br />

les versants de la vallée du Tarerach (ill. 1). Ces affleurements<br />

ont conservé les traces de labours anciens.<br />

Entre autres traces ponctuelles, les négatifs d’impacts<br />

d’araire se concentrent en trois secteurs autour de l’ancien<br />

village de Ropidera : l’un près du ravin de Les Cases à la<br />

côte 420 m, les autres au-dessus et en dessous des ruines,<br />

côtes 437 et 410 m (ill. 1 et 2). Ces traces indiquent<br />

l’orientation des labours sur des affleurements relativement<br />

amples. Un autre point remarquable jouxte l’église<br />

du village déserté, vers l’ouest, sur l’inflexion de pente où<br />

pointe un petit septum schisteux intercalé dans le granite<br />

(ill. 35 au n o 6 et 53). Il présente l’intérêt de montrer un<br />

socle qui, dans un premier temps, a reçu des impacts de<br />

soc d’araire (cupule peu profonde et courte virgule caractéristiques)<br />

sous un niveau de terre arable par conséquent<br />

guère plus épais que 20-25 cm, puis qui a vu – après une<br />

phase de mise à nu – la construction d’une modeste feixa<br />

sur un à deux rangs de petites pierres. Celle-ci retient<br />

actuellement un maigre lambeau sédimentaire attestant<br />

d’une remise en culture qui ne nécessitait pas de labours<br />

(probable plantation au pic, terre notée comme oliveraie<br />

en 1832).


Des pierres pour bâtir<br />

333<br />

Compte tenu de la proximité du village, il est possible<br />

d’intégrer ces traces de soc à une séquence de cultures<br />

médiévales, probablement postérieure à la première installation<br />

médiévale. Les premières mises en culture sont<br />

sûrement contemporaines de la première occupation du<br />

site, attestée au moins à partir du X e siècle à la fois par<br />

les textes et par une concentration de tessons en aval du<br />

village. La chronologie de ces stries par rapport à l’édification<br />

des solides murs de feixes, existant au bas Moyen Âge,<br />

reste incertaine. Toutefois, à une exception près, il n’existe<br />

pas de traces d’impacts de charrue sur les nombreux fragments<br />

de schiste visibles dans la partie externe des murs<br />

de l’église, probablement fortifiée dans la seconde moitié<br />

du XIII e siècle (ill. 51). En revanche, ces traces de soc sont<br />

sans aucun doute antérieures à une remise en forme moderne<br />

de ce terroir par des cultures principalement spéculatives<br />

(vigne, olivier et non plus céréales) après l’abandon<br />

du site aux XV e ‐XVI e siècles.<br />

Entre les XIII e et XVII e siècles, il existe donc à l’évidence<br />

une ou plusieurs phases de déprise agricole et d’interruption<br />

des labours à l’araire (mais sans doute pas de la<br />

pâture) où le socle rocheux fut localement dénudé bien en<br />

dessous de ces traces de labours, alors que les murs médiévaux<br />

de rétention des terres s’étaient partout dégradés,<br />

comme nous allons le voir.<br />

IV.3 - L’épineuse question de la datation des terrasses<br />

cultivées (feixes)<br />

Pour peu que l’on compare les aménagements du<br />

« pays » granitique situé au-dessus de Vinça, de Rodès<br />

et d’Ille-sur-Têt à ceux que livrent d’autres types de substrats<br />

géologiques voisins, en particulier les pentes schisteuses<br />

du Canigou vers le sud, au dessus de Bouleternère,<br />

et, vers le nord, les plateaux calcaires des Corbières, en<br />

Fenouillèdes, une première remarque s’impose. Il s’agit de<br />

la faible quantité relative de pierres disponibles pour monter<br />

les murs. Bien entendu, ce n’est pas la roche qui manque<br />

sur ce piémont granitique du Madres ! Mais le gabarit<br />

les roches mobiles que produit la météorisation des chaos<br />

est le plus souvent assez imposant, d’ordre métrique ou<br />

supérieur, avec pas mal de blocs naturellement séparés en<br />

dalles ou en fractions de boule selon le réseau de diaclases.<br />

Les pierres plus petites sont donc assez rares, sans parler<br />

de la quasi-absence de galets, faute d’alluvions (ill. 54) 46 .<br />

Marc Calvet a par ailleurs fait remarquer la quasi-absence<br />

46. M. Martzluff, chap. III.<br />

53 - Rodès. Les Cases, village déserté de Ropidera, traces agraires (fig. 35 n° 6)<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

d’éboulis cryoclastiques associables aux périodes glaciaires<br />

du Quaternaire sur les pentes méridionales plus fortes 47 .<br />

C’est pourquoi les seuls murs très épais destinés à entasser<br />

le produit des épierrements – si typiques autour d’Estagel<br />

par exemple – sont ceux du village déserté de Ropidera,<br />

dans le secteur méridional où les parcelles cultivables ont<br />

été réaménagées dans les ruines des maisons.<br />

Il existe bien quelques endroits où sont visibles des<br />

épierrements généralement disposés en tas près des affleurements<br />

chaotiques du socle, mais ce sont des zones de<br />

broyage à mylonites (ill. 1) circonscrites le long des failles du<br />

socle. Au total, hors de ces secteurs de roches effritées, nous<br />

n’avons repéré sur le plateau qu’un seul secteur restreint<br />

de la rive droite du Bellagre, proche de Montalba, entre le<br />

Mas Molins et un cortal bâti après 1832 (point 101), qui<br />

témoigne clairement d’une charge surnuméraire des roches<br />

du substrat associable à une action anthropique et qui date<br />

vraisemblablement de la première moitié du XX e siècle.<br />

Là, les tas d’épierrements circulaires sont effectivement<br />

disposés de place en place. Mais ils ont surtout mobilisé<br />

des blocs assez lourds pour avoir nécessité l’aide d’attelages,<br />

afin très probablement de libérer un espace pouvant être<br />

remué avec de fortes charrues Brabant pour y cultiver des<br />

céréales (aire de battage devant le mas du point 101 et forte<br />

pousse résiduelle de plantes adventices, tel le coquelicot,<br />

autour de ce mas au printemps 2006). Il s’agissait là d’une<br />

étape contemporaine de mise en culture des cuvettes arénacées<br />

de ce terroir qui, depuis Montalba et en direction<br />

des chaos de Ropidera, sur la commune de Rodès, s’effectue<br />

aujourd’hui avec le bulldozer, pour le vignoble (ill. 54).<br />

47. M. Calvet, chapitre II.


334 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

54 - Rodès. Dépressions bordées de chaos sur le plateau de Ropidera, face au Mas Molins. Ces propriétés ont été nivelées au bulldozer et la machine a repoussé les roches volumineuses<br />

sur les marges. L’absence de galets et la rareté des petites pierres y est notable. On observe cependant d’anciens tas d’épierrements en arrière-plan, probablement<br />

réalisés pendant la période contemporaine avant 1940 (Cl. A. Catafau).<br />

Partout ailleurs, les roches manipulables sont finalement<br />

assez peu abondantes et l’on ne retrouve de très épais murs<br />

d’épierrement qu’en plaine, autour d’Ille-sur-Têt et de<br />

Bouleternère. Ils témoignent de défonçages profonds qui<br />

ont accroché la nappe de galets sur les terrasses quaternaires<br />

après la seconde moitié du XX e siècle.<br />

C’est bien pourquoi les affleurements de roches feuilletées<br />

et tendres incluses dans les granites de la <strong>montagne</strong><br />

de Rodès ont été systématiquement délités à la pince ou à<br />

la pioche jusqu’au ras du sol. Il est en effet facile d’extraire<br />

des fragments de roche dans ces matériaux naturellement<br />

clivés sans mettre en œuvre des techniques plus lourdes.<br />

D’ailleurs, la rareté du débitage par coups de mine, sauf<br />

dans la proximité immédiate des villages de Vinça, Rodès<br />

et Montalba 48 , introduit une différence notable avec la<br />

forme du paysage bocager des chaos de Cerdagne où<br />

une grosse part des boules granitiques fut systématiquement<br />

débitée en quartiers par des barrinades à partir de<br />

la seconde moitié du XIX e siècle, plutôt après le second<br />

Empire d’ailleurs, pour armer de puissants murs de soutènement<br />

(Martzluff 1988, 1998). Même constatation en<br />

Andorre autour des Escaldes-Engordany et dans le Pays<br />

de Sault, mais aussi en Ariège, entre Foix et Tarascon, par<br />

exemple, où champs et prés de fauche furent ainsi largement<br />

débarrassés des blocs glaciaires erratiques qui les<br />

encombraient encore à la fin du XIX e siècle.<br />

Il est vrai que dans ces hautes vallées pyrénéennes, la<br />

48. M. Martzluff, chapitre XVI.<br />

progression du cheptel bovin et l’introduction de nouvelles<br />

cultures (pommes de terre) ont pu motiver ces remaniements<br />

tardifs – surtout après l’introduction de la<br />

charrue à double soc – alors que la culture de l’olivier et<br />

de la vigne n’imposait pas forcément ce type d’ouvrage<br />

en piémont méditerranéen. Sauf à continuer d’égratigner<br />

le sol à l’araire pour maintenir des céréales ou d’autres<br />

cultures vivrières en quelques lieux propices liés à l’arrosage,<br />

ces cultures arbustives sont surtout liées sur les pentes<br />

et sur les chaos granitique de Rodès, Ille et Montalba<br />

à un travail à la main avec la houe (bigos, càvec). Lorsque<br />

les villages médiévaux furent abandonnés en rive gauche,<br />

les mises en culture modernes et contemporaines s’établirent<br />

sur des pièces de terre généralement moins larges<br />

et retenant un sol moins épais. Les murs y sont moins<br />

hauts, excepté dans quelques vallons jardinés sur le plateau<br />

ou sur les versants très raides (ill. 55).<br />

Dans la zone brûlée du massif granitique, nous avons<br />

très sommairement retenu deux phases stéréotomiques<br />

principales pour la structuration de l’espace. Elles témoignent<br />

parfaitement de cette relative carence en pierres de<br />

petit module. Rarement associées sur le même mur entre<br />

base et sommet (ill. 56), ces deux phases sont donc plutôt<br />

séparées par un hiatus et résultent d’un traitement radicalement<br />

différent du terrain. Cette opposition se détecte le<br />

mieux en quelques lieux examinés de plus près, en particulier<br />

dans la commune de Rodès, autour du village médiéval<br />

de Ropidera, et au-dessus des carrières de La Devesa.


Des pierres pour bâtir<br />

335<br />

55 - Ille-sur-Têt. Versant très raide de la rive droite du Ruisseau de Casesnoves. L’aménagement spectaculaire par les terrasses (feixes) se situe ici entre 1832 et 1900. Ces dernières<br />

sont homogènes, assez hautes, et comprennent des pierres taillées. Près de la crête, la piste recoupe un filon blanc d’albite dont on voit les affleurements dans un chaos<br />

exploité pendant la même période au sommet (Cl. M. Martzluff ).<br />

56 - Rodès. Les Cases, près du village de Ropidera. Rare exemple de mur de feixa qui<br />

surimpose une partie moderne en petit appareil sur une assise ancienne, très probablement<br />

médiévale (voir fig. 35 n° 4). Une partie de la structure est éboulée (flèche à<br />

droite) (Cl. M. Martzluff ).<br />

57 - Rodès. Plateau de Ropidera, face au Mas Molins. Vue sur l’« oppidum » et la carrière<br />

médiévale à l’arrière-plan. Au premier plan, une zone – aujourd’hui ravinée – avait été<br />

débarrassée des grosses roches pour armer des murs de feixes. Entre ces alignements<br />

mégalithiques, quelques amas de petites roches manipulables (Cl. M. Martzluff ).<br />

La séquence inférieure, fossilisée à une époque tardive<br />

du Moyen Âge (fin XIII e -début XVI e siècle), est représentée<br />

par une armature discontinue de solides dalles puisées<br />

dans l’environnement immédiat et plantées de chant pour<br />

contenir un espace labourable dédié à des cultures vivrières.<br />

De plus modestes pierres venaient colmater les interstices<br />

ou combler les vides souvent importants entre les<br />

blocs. Ces orthostates ont très probablement nécessité une<br />

traction animale pour leur mise en place et ont dû impliquer<br />

un travail communautaire. Quelques-unes de ces dalles<br />

portent des négatifs d’emboîtures pour coins de fer que<br />

nous calons dans l’intervalle XIII e ‐XV e siècles (ill. 38).<br />

Cet indice chronologique est corroboré par l’exemple<br />

médiéval de constructions rurales opportunistes en<br />

Languedoc, qui combinent déjà aux XII e -XIII e siècles<br />

une assise en dalles dressées et l’alternance de matériaux<br />

périssables avec l’usage d’argile crue et de clayonnage<br />

(Britton 2008). La fouille récente d’une cabane de cette<br />

époque, associée à une carrière de meules des sites de<br />

Grèses et Massargues (Saint-Quentin-la-Poterie, Gard)<br />

montre d’ailleurs que la fondation de cette construction<br />

est constituée d’un double parement de grosses dalles<br />

de poudingue fichées de chant (Longepierre 2008).<br />

Sur les pentes méridionales du plateau de Montalba,<br />

les murs typiques de cette séquence médiévale furent<br />

ruinés lors d’une phase d’abandon dont il est difficile<br />

d’estimer l’ampleur et qui reste sans doute variable dans<br />

son extension chronologique selon les secteurs (ill. 57).


336 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

58 - Rodès. Les Cases, en amont du village de Ropidera. Vestiges de murs de terrasses<br />

médiévales dont il ne reste plus que les plus grands blocs dressés sur le chant. La<br />

hauteur de ces derniers, parfois en équilibre sur leurs calages (vue du haut), donne<br />

une idée de la puissance du remplissage (1 m environ) avant les ravinements ayant<br />

suivi la déprise agricole. Sur la vue du bas, on remarque bien à l’arrière plan la seconde<br />

assise qui, par contre, fut réaménagée par un blocage de petites pierres.<br />

Bien entendu, parce qu’elles ont le mieux résisté aux éboulements<br />

et aux ravinements, très probablement favorisés<br />

par le passage des troupeaux d’ovins, ces grosses pierres<br />

dressées ont été le plus souvent réutilisées en appui lors<br />

des remises en cultures postérieures. Mais pas toujours<br />

et, dans quelques cas où la géométrie des champs modernes<br />

les a exclues, leur élévation actuelle au-dessus du sol<br />

balise le niveau de la banquette de terre dans une étape<br />

antérieure (ill. 58).<br />

L’autre séquence nettement distinguée est rapportable<br />

à la mise en culture systématique de la totalité de l’espace<br />

dans une phase d’essor globalement comprise entre 1780<br />

et 1880, avec un point probablement culminant à Rodès<br />

pendant le pic démographique des années 1820‐1850 et<br />

ailleurs compris entre le début du siècle et la fin du second<br />

Empire 49 . Elle a mobilisé des énergies plus privées et<br />

49. Contributions d’O. Passarrius, N. Marty et P. Mc Phee chap. XIII, XIV et XV.<br />

individualistes en vue d’une culture spéculative de l’olivier<br />

– définitivement anéantie par les gelées en 1954 (quand<br />

le dernier moulin ferme à Millas) – et surtout de la vigne,<br />

ruinée par le phylloxéra et la surproduction en plaine, à<br />

la charnière des XIX e et XX e siècles. Il s’agit de travaux<br />

ponctuellement plus légers, mais bien plus développés sur<br />

l’espace. Ils permettent de récupérer de l’épierrement de<br />

petit calibre pour monter des murs de feixes plus bas, sauf<br />

sur les trop fortes pentes, encore que ce caractère ne soit<br />

point systématique puisque le versant assez abrupt situé<br />

à l’est du village de Ropidera, en rive gauche du ruisseau,<br />

est aménagé par des feixes basses, déjà complantées en vigne<br />

en 1832. Ce type de murettes de rétention requiert<br />

un entretien constant qui va bien avec le travail à la houe.<br />

Les tracés suivent souvent la forme antérieure des pièces<br />

de terre médiévales, s’il y en avait, mais les fractionnent<br />

en lanières plus étroites.<br />

Lorsque ces murs correspondent à des terroirs tardivement<br />

conquis sur la forêt et les landes pastorales, ils ne<br />

sont jamais hauts et toujours réalisés en petit appareil, ce<br />

qui est le cas assez général sur le plateau, sauf sur le secteur<br />

des Balmettes, dans un vallon où se trouve un mas ruiné<br />

(au nord de la cote 485 m, ill. 2 et point n°1, enclos N,<br />

chap. IX). Et c’est bien l’inverse qui est évident pour des<br />

parties de l’ager médiéval retournées à la friche. Ainsi, en<br />

amont de La Devesa de Rodès (parcelle 1501), ce qu’il reste<br />

des vacants communaux épargnés par les fronts de carrière<br />

conduit à une draille qui traverse les parcelles cultivées,<br />

situées au-dessus, et s’en trouve séparé par de longs<br />

murs en élévation. Sur cette forte pente dédiée à la pâture<br />

en 1832, la seconde séquence tardive (murettes de petites<br />

pierres) n’est pas représentée et seule une armature de gros<br />

blocs discontinus balise d’anciens soutènements pour les<br />

champs, lesquels se rapportent très probablement au proche<br />

site médiéval perché sur le replat de la parcelle 1502<br />

(point 394). Sur celle-ci, qui est restée en culture à l’époque<br />

moderne, les deux types d’aménagements coexistent 50 .<br />

Compte tenu d’un nombre substantiel de cas particuliers,<br />

il est cependant clair que les observations sur la<br />

typo-chronologie de ces structures ne peuvent avoir force<br />

de loi. Du reste, certains murs de contention en gros appareil<br />

sont quelquefois modernes ou contemporains. Mais il<br />

s’agit alors de roches qui ont généralement été débitées par<br />

des tailleurs de pierre. C’est le cas au-dessus de Casesnoves<br />

(ill. 49) et en bien d’autres endroits, dont le vallon situé<br />

50. M. Martzluff, chap. XVI, ill. 16B.


Des pierres pour bâtir<br />

337<br />

autour d’une carrière-atelier traditionnelle dont nous<br />

avons parlé dans la vallée du Bellagre (point 1046). Ce<br />

vallon est en effet barré par une volée de murs de feixes<br />

mettant en œuvre de gros quartiers de granite, certains<br />

portant des traces typiques d’extraction par larges emboîtures<br />

surtout pratiquée aux XVIII e -XIX e siècles (ill. 46).<br />

De la même façon, toute pierre plantée de chant dans<br />

un mur sur cette <strong>montagne</strong> ne saurait systématiquement<br />

être antérieure au XVI e siècle, surtout lorsque ces dalles<br />

sont petites. Ainsi, dans le secteur du Ca del Mach<br />

(Rodès) les murs bas limitant des champs en étroites<br />

lanières comportent pas mal de petites dalles fichées verticalement<br />

(parcelle 1041). C’est aussi le cas sur les replats<br />

au sud du Puig Sinell, où il semble bien que, faute<br />

de cailloux mobiles en assez grand nombre, la moindre<br />

pierre assez plate pour être disposée verticalement ait<br />

été utilisée, par économie, dans des structures basses qui<br />

sont vraisemblablement édifiées entre la fin du XVIII e et<br />

celle du siècle suivant.<br />

C’est le cas pour un imposant mur à double parement<br />

(1,70 m de haut sur 80 cm de large) qui court entre les<br />

parcelles 833 et 832 sur la crête du Puig Sinell (toponyme<br />

mal positionné sur la carte IGN, Pouchinel sur le cadastre<br />

de 1832, commune d’Ille-sur-Têt). C’est une structure<br />

sur laquelle nous revenons du fait de sa technique que<br />

nous pensions à première vue tardive et aussi parce qu’il<br />

est assez difficile de savoir à quoi servaient réellement de<br />

nombreux murs en élévation qui entourent les propriétés<br />

– parfois partiellement et de façon assez symbolique eu<br />

égard à la protection contre les troupeaux – ou bien qui<br />

longent les crêtes sur de vastes portions de territoire 52 .<br />

Le segment typique de ce mur fut soigneusement<br />

édifié avec des blocs prélevés à la pince dans le substrat<br />

broyé, puis équarris au marteau (ill. 59 et 60).<br />

IV.4 - Le cas particulier des murs en élévation<br />

Au côté de ces murs qui retiennent la terre, des murs en<br />

élévation sont plutôt associables au pastoralisme. Mais<br />

le sont-ils toujours ? Ils sont le plus souvent édifiés (et<br />

probablement plusieurs fois remontés) à la diable sur<br />

des lignes de crête ou bien forment des enclos. Lorsqu’ils<br />

sont bas, de l’ordre du mètre, ils comportent souvent de<br />

plus gosses pierres insérées en position haute, et parfois<br />

de petites dalles arrondies posées sur chant à leur sommet<br />

afin que les caprins n’y trouvent pas un emplacement<br />

aisé et ne les éboulent pas. Il en est des exemples<br />

au nord-ouest du village de Ropidera, ou dans un enclos<br />

du cortal des Balmettes (Rodès) et dans le secteur du Puig<br />

Pedrous (Montalba), dans l’enclos 1351 ou encore sur le<br />

mur de mise en défens entre les parcelles 998 et 1004 51 .<br />

Lorsque ces murs sont sûrement anciens, par exemple<br />

liés au bâti tardo-médiéval de Ropidera, ils sont montés<br />

en petit appareil. Mais il existe parfois de tels murs en<br />

élévation dont la base est constituée d’un gros appareil de<br />

blocs dressés de chant et dont le meilleur exemple sur le<br />

massif (hors brûlis cependant) est celui qui longe la voie<br />

conduisant à l’église médiévale de Montalba-le-Château.<br />

Il convient donc là encore de ne pas trop systématiser,<br />

d’autant qu’il existe des originalités dont l’interprétation<br />

est souvent difficile.<br />

51. O. Passarrius, A Catafau, chap. V, ill. 8.<br />

59 - Ille-sur-Têt. Puig Sinell. Parements<br />

sud du mur séparant<br />

les parcelles 831 et 832<br />

(Cl. M. Martzluff ).<br />

52. Ibidem, ill. 23, 26, 28, 29 et 30.<br />

60 - Ille-sur-Têt. Puig Sinell. Vue<br />

du même mur en direction de<br />

l’est, vers le Mas Domenech<br />

(Cl. M. Martzluff ).


338 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Il barre un replat sommital flanquant l’éminence du Puig<br />

Sinell au nord-est, entre une petite pièce de terre allongée<br />

(832) et une propriété (833) qui couvre en 1832 la<br />

partie haute du versant exposé au sud, juste à l’endroit<br />

où le socle est traversé par une bande de roches très fragmentées<br />

(mylonites). Le tracé du mur dans son état actuel<br />

est déjà inscrit sur le plan cadastral de 1832 53 . Toutefois,<br />

ce tronçon de mur en élévation s’ajoute à la ligne d’une<br />

structure plus ancienne et fort différente, qui est justement<br />

l’une des rares du secteur à contenir de l’épierrement,<br />

à cause du caractère particulier du substrat (ill. 61<br />

et 62). Ce mur ancien est très long. Il fait le tour de la<br />

crête et limite vers l’ouest les parcelles 824 et 825 jusqu’en<br />

bas de pente 54 . À l’est par contre, il s’arrête brusquement,<br />

en limite avec le territoire du Mas Domenech (ill. 63).<br />

Mais ce n’est pas la seule originalité de cette construction.<br />

Tout d’abord, la portion de mur épais et bien bâti de<br />

la parcelle 833 se prolonge partiellement de l’autre côté<br />

du sommet, à l’occident, tout en en se dédoublant pour<br />

délimiter une rangée de feixes dans une pente très chaotique<br />

qui a été mise en culture avec de hautes terrasses<br />

(parcelle 831). L’autre originalité est qu’une ouverture en<br />

biais y fut pratiquée. Cette curieuse porte s’évase vers le<br />

haut (ill. 64). Sans aucun doute permettait-elle le passage<br />

de mules bâtées chargées de couffins sur les flancs.<br />

Ce passage pose cependant deux problèmes. D’abord, il<br />

ne débouche vers le nord sur aucun chemin. Celui qui assure<br />

l’accès à ces propriétés se trouve en contrebas, en rive<br />

gauche de la rivière de Casesnoves. Sur ce versant sud, le sentier<br />

construit conduisant au passage est par contre bien visible<br />

dans la propriété 833 (ill. 62). Cette ouverture donne<br />

donc simplement sur des terres comptées parmi les pâtures<br />

en 1832, mais peu de temps après réaménagée par de<br />

basses feixes pour les cultures. On remarquera (ill. 62) que<br />

l’ancienne division cadastrale entre les parcelles 832 et 824<br />

n’est pas respectée par l’ordonnance de ces nouvelles terrasses<br />

mordant sur ces deux parcelles en supprimant justement<br />

les parties du vieux mur qui passait par la ligne de crête. La<br />

nouvelle disposition des feixes du versant nord est d’ailleurs<br />

parallèle à celle du nouveau mur en élévation qui, finalement,<br />

morcelait l’ancienne division du territoire passant par<br />

la crête. Et c’est sans doute ce passage qui permettait de faire<br />

passer sur le chemin d’exploitation du versant méridional<br />

la récolte réalisée au nord (en hiver si c’étaient des olives).<br />

53. Ibidem, ill. 23.<br />

54. Ibidem, ill. 23 et 26.<br />

Ce passage pourrait avoir été ouvert après la mise en culture<br />

des parcelles 832 et 824, dans un mur antérieur.<br />

Le second problème vient du fait que cette ouverture<br />

ne pouvait se fermer par une porte pour protéger la vigne<br />

de la parcelle 833 des troupeaux pouvant parcourir<br />

les friches voisines. D’ailleurs, la structure ne fait pas le<br />

tour de la propriété. Il est vrai qu’un calage horizontal en<br />

force de rondins de bois de différentes tailles aurait pu<br />

assurer une fermeture simple et efficace, ainsi que cela se<br />

pratique communément dans les <strong>montagne</strong>s d’Andorre<br />

où les montants lithiques des passages pour troupeaux<br />

(portelleres) sont volontairement posés en oblique dans<br />

une saignée ou des trous aménagés uniquement dans ce<br />

but. Mais ce n’est pas le cas ici et, à notre connaissance,<br />

cette tradition originale n’a eu aucun écho en Cerdagne<br />

ou en Capcir, plus proches de l’Andorre.<br />

Lors des mises en culture (cat. : plantades), la défense<br />

des jeunes plants contre les troupeaux – toujours<br />

menaçants – ou même les sangliers, devait compter<br />

beaucoup. Mais ici, la stricte position face à la tramontane<br />

de cette portion d’un mur relativement exceptionnel<br />

dans son contexte, s’explique peut-être, au moment de sa<br />

construction, au début du XIX e siècle, par la nécessité de<br />

protéger les premiers rangs de vigne de la parcelle 833<br />

contre les effets dévastateurs du vent dominant sur les<br />

jeunes pousses printanières. Elles étaient, à cet endroit<br />

élevé, très exposées à ce dommage. D’autres murs de ce<br />

type, pareillement positionnés par rapport à la tramontane,<br />

traversent des enfilades de terrasses dans un vallon<br />

proche, à la Coume de Ques, et pouvaient avoir eu la même<br />

fonction principale (ill. 65).<br />

64 - Ille-sur-Têt. Puig Sinell. La curieuse ouverture pratiquée dans le mur pour le passage<br />

du mulet de bât (Cl. M. Martzluff ).


Des pierres pour bâtir<br />

339<br />

61 - Ille-sur-Têt. Puig Sinell (Cl. aérien P. Roca).<br />

63 - Ille-sur-Têt. Puig Sinell . Brusque arrêt du mur de crête<br />

vers l’est, dans la zone de broyage tectonique (sol pierreux<br />

gris) (Cl. P. Roca).<br />

En guise de conclusion<br />

62 - Ille-sur-Têt. Puig Sinell . En marron, les granites du substrat ; en gris les roches broyées rassemblées dans<br />

les tas d’épierrement (limite des mylonites en gris tireté) ; en beige le sol arable. Au centre, le mur en élévation<br />

sur l’épaulement du piton entre les parcelles 833 au versant sud et 832 au nord. En rouge, les murs, feixes et<br />

aménagements (cabane) liés à ce mur (débit au marteau). En vert, les structures antérieures et en noir les<br />

indéterminées. La flèche rouge marque le passage en V dans le mur et le chemin construit est en pointillé.<br />

(D.A.O. M. Martzluff ).<br />

Parmi les arguments qui peuvent<br />

contribuer à atténuer le caractère systématique<br />

d’une typologie des structures<br />

agraires, on peut aussi avancer<br />

une relation probable entre le style<br />

des murs et la démographie. À partir<br />

du XIV e siècle, l’irrigation de la haute<br />

terrasse würmienne dans la plaine<br />

autour d’Ille-sur-Têt a déporté sur de<br />

vastes étendues de la rive droite du<br />

fleuve la richesse horticole d’un étroit<br />

Riberal périodiquement dévasté par<br />

les crues balayant le lit majeur, sur la<br />

basse rive gauche, près de Reglella ou<br />

de Casesnoves. Il y eut sans doute dans<br />

ce transfert d’aptitudes agricoles, tout<br />

autant que dans l’insécurité, un facteur<br />

suffisamment puissant pour attirer et<br />

fixer de façon pérenne une forte population<br />

laborieuse dans les villes établies<br />

sur la rive droite.


340 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Or, nous savons que cette population fut plusieurs fois<br />

renouvelée dans cette zone frontalière par des vagues<br />

d’immigration provenant des deux côtés des Pyrénées,<br />

voire d’Italie, puis par un exode rural venu des proches<br />

<strong>montagne</strong>s au XIX e siècle. Malgré une assimilation étonnamment<br />

rapide des vagues successives de gavatxos dans<br />

le substrat culturel catalan (Peytavi 1999), il est clair<br />

que ces brassages ont eu une incidence sur la propagation<br />

des techniques et sur le style que peuvent conserver<br />

les constructions vernaculaires ou les structures agraires<br />

construites sur les pentes. Ce sont en effet les brassiers,<br />

les journaliers et toute une population de tout petits<br />

propriétaires, les plus ouverts aux mariages mixtes, qui<br />

semblent avoir exercé la plus forte pression sur les versants<br />

hostiles, c’est-à-dire les plus boisés et les plus pentus,<br />

tout du moins après la Révolution française. Quant<br />

aux tailleurs de pierre, nous avons vu qu’ils étaient nombreux<br />

à venir de fort loin en Royaume de France, depuis<br />

le Limousin, au début des temps modernes.<br />

C’est pourquoi il ne faut pas se priver d’aller rechercher<br />

ailleurs qu’en Pyrénées des références concernant l’évolution<br />

des techniques de taille ou dans l’art de bâtir, car<br />

on ne construit pas un mur ou une cabane tout à fait de<br />

la même façon si l’on a appris à le faire dans les Pouilles<br />

ou en Auvergne. D’autre part, alors qu’une technique ancestrale<br />

peut avoir disparu localement depuis des lustres,<br />

il n’est pas exclu qu’elle réapparaisse en plein XX e siècle<br />

avec un nouveau venu de l’Alentejo ou du haut Atlas ! Du<br />

fait de son ouverture aux flux extérieurs, ce territoirecharnière<br />

entre Roussillon et Conflent présente donc a<br />

priori moins l’aspect d’un conservatoire que la Cerdagne-<br />

Capcir, l’Andorre ou le Pays de Sault par exemple. Une<br />

évolution intrinsèque des traditions techniques y est plus<br />

difficile à appréhender et à restituer.<br />

Pour l’essentiel cependant, il reste que les observations<br />

réalisées au cours de ce travail pour ce qui est de l’extraction,<br />

du débitage et de l’usage des roches confirment, et<br />

parfois précisent, l’articulation des grandes phases techniques<br />

que nous avions déjà déterminées par ailleurs dans<br />

les Pyrénées de l’est. C’est vrai pour les techniques médiévales<br />

par doubles coins et pour l’introduction du débitage<br />

à l’aide de coins de bois après 1500. Mais elle les complètent<br />

aussi en apportant quelques éléments nouveaux, en<br />

particulier pour les techniques opportunistes de fabrication<br />

des meules de granit au plein Moyen Âge. Il en est de<br />

même pour un style de débitage tardo-médiéval par coins<br />

de fer qui se différencie de celui apparu au XIII e siècle en<br />

Andorre, probablement sous l’effet d’un remplacement<br />

du poinçon actionné au marteau par un outil emmanché<br />

du type pic pour creuser les emboîtures. Une autre originalité,<br />

à Reglella, comme à Casesnoves, réside dans une<br />

technique de débitage à l’aide d’une longue saignée tracée<br />

en V dans le rocher pour y insérer des coins de bois, que<br />

nous pensons d’âge moderne plutôt ancien, car associée<br />

à de grosses empreintes de barre à mine. Compte tenu<br />

de la fragilité de nos sources en ce domaine, ces quelques<br />

apports de l’archéologie sur ces terres brûlées ne sont pas<br />

négligeables.


Des pierres pour bâtir<br />

341<br />

65 - Ille-sur-Têt. Secteur de la Coume de Ques. Murs positionnés perpendiculairement à la tramontane. Au fond les ateliers de fabrication de meules (triangles, voir fig. 27) et la<br />

zone tardo-médiévale d’extraction avec coins de Casesnoves (rond jaune, voir fig. 42) (Cl. O. Passarrius).


342 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Documents :<br />

Picapedrers cités dans les archives (XVI e -XVIII e siècles)<br />

1 - Ille-sur-Têt<br />

En 1518 mestre Pere Ansalls [ou Ausalls]<br />

peirer del avescat de Limotges (ADPO,<br />

3 E 84/8, Joan Frances Fabre, notaire<br />

d’Ille, manuel, 1517-1518, feuillet volant<br />

entre les f os 38 et 39.) ;<br />

en 1556 Stephanus Barral peyrerius<br />

(ADPO, 3 E 84/11, manuel, 1527-1528) ;<br />

en 1556 Pere Fabre, peyrer (ADPO, 3 E<br />

84/42, Felip Fabre, notaire d’Ille, 5 e notule,<br />

1556-1557.) ;<br />

en 1556 et 1557 Joannes la Rialla picapedrerius<br />

de Insula (ADPO, 3 E 84/27,<br />

Felip Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1556-<br />

1557, f os 58 et 58 v o .) ;<br />

en 1557 Petrus [ou Pere] Bauxa architextor<br />

[sic] sive peyrerius (ADPO, 3 E<br />

84/27, Felip Fabre, notaire d’Ille, manuel,<br />

1556-1557, f o 79 et 3 E 2/795,<br />

Joan Port, notaire de Perpignan, manuel,<br />

1557, f o 384 v o -385) ;<br />

en 1557 Joannes Fita [ou Joan de Fita]<br />

peyrerius (ADPO, 3 E 84/27, Felip<br />

Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1556-<br />

1557, f o 81. et 3 E 2/795, Joan Port, notaire<br />

de Perpignan, manuel, 1557, f o 384<br />

v o -385) ; en 1590, Esteve Turi, magister<br />

conficiendi molas... (ADPO, 3 E 2/1180,<br />

Joan Vallespir, notaire de Perpignan,<br />

[manuel], 1590, f o 400 v o ) ;<br />

en 1599-1603 Stephanus Turi (ADPO,<br />

3 E 84/58, Hieronim Mosset, notaire<br />

d’Ille, [manuel], 1599-1603, f o 12.) ;<br />

en 1606-1610, Anthoni Busquets, picapedrerius<br />

(ADPO, 3 E 84/59, Hieronim<br />

Mosset, notaire d’Ille, manuel, 1606-<br />

1610) ;<br />

en 1611 Pere de Jou, picapedrerio<br />

(ADPO, 3 E 84/80, Joan Geli, notaire<br />

d’Ille, manuel, 1612, f o 1.) ;<br />

en 1621, Bernat Turrie, peirerium<br />

(ADPO, 3 E 84/96, Joan Geli, notaire<br />

d’Ille, manuel, 1621) ;<br />

en 1617 Miquel [ou Michaelis] Ribalata,<br />

empetratoris ville de Prats de Mollo (à la<br />

carrière de Casesnoves), puis enpedrador<br />

d’Ille en 1622 et 1630 (ADPO, 3 E<br />

84/87, Joan Geli, notaire d’Ille, manuel,<br />

26 décembre 1616-20 février 1617 et<br />

3 E 16/77, Hieronim Marsal, notaire<br />

d’Ille, manuel, 1619-1622, f o 35. et 3 E<br />

84/105, Joan Geli, notaire d’Ille, manuel,<br />

3 janvier-17 mai 1630, f o 42.) ;<br />

en 1621 et 1626 Laurentius Janer, lapidarius<br />

et en 1625 Llorantio Gener pedrerio<br />

(ADPO, 3 E 16/77, 1619-1622,<br />

f o 46, 3 E 16/79, f o 44 v et 3 E 16/78,<br />

Geronim Marsal, notaire d’Ille, manuel,<br />

1623-1625, f o 18.) ;<br />

en 1673 et 1685, Pera Alluau, cité pour<br />

Ille mais ce dernier se confond avec un<br />

Alluau « pairer habitant de molt temps en<br />

la vila de Bula y de nacio frances de la provincia<br />

de Llimotjas » qui meurt en 1693<br />

(ADPO, archives communales de<br />

Bouleternère, registre de baptêmes, mariages<br />

et sépultures, 1657-1698, f o 177 et<br />

Bouleternère, registre de baptêmes, mariages<br />

et sépultures, f o 8.) ;<br />

en 1690, Pere Dausset, picapadrer<br />

(ADPO, 3 E 16/308, liasse, 1690) ;<br />

en 1728, Isidore Malet, Gabriel Bedos<br />

et François Xiffre dit picamolas à Reglella<br />

(ADPO, 3e16/787) ;<br />

en 1702, Joseph Morato, originaire de<br />

Vich (Espagne), est recruté comme maistre<br />

major des massons de la fabrique de la<br />

paroissiale église Saint-Étienne à qui succède<br />

en 1712, son fils Isidore. En 1714, est<br />

cité Jacint Morato, sculpteur de retables<br />

à Ille (bois, stucs, pierre) (Tosti 1988c) ;<br />

à la fin du XVIII e siècle, Antoine<br />

Domingo, sculpteur à Ille, construit<br />

le maître autel de l’église d’Osseja<br />

(ADPO, C. 2078, 1695-1789).<br />

2 - Rodès<br />

En 1632 Sçilici Thomas, payrer, fils de<br />

Scilici Thomas. Dans l’intitulé de l’acte :<br />

Scility Thomas architectoris loci de Rodes.<br />

(ADPO, 3 E 1/3030, 1632).


Annexe I<br />

Sur le plateau de Ropidera (Rodès) :<br />

le four de matériaux de construction de Les Clottes<br />

Céline Jandot<br />

À l’ouest de la commune de Rodès, sur le plateau de<br />

Ropidera, au lieu-dit Les Clottes (au sud du Courtalas),<br />

un four a été repéré par J.‐P. Comps et son équipe<br />

(Passarrius et alii 2007, 139) en 2006, lors de prospections<br />

pédestres le long des vieux chemins des secteurs<br />

incendiés. Le four identifié se situe au sud de l’ancien<br />

chemin de Les Cases à Tarerach et au nord d’une piste<br />

actuelle (ill. 1), à 800 m à vol d’oiseau du village déserté<br />

de Ropidera (chap. VI).<br />

I - Données anciennes<br />

I.1 - Sources du XVII e siècle<br />

Pour le XVII e siècle, un document concerne la vente<br />

aux enchères de propriétés appartenant à Francesch<br />

Ponthei « al terme de Ropidera dit Lo camp de la Teuleria »<br />

en 1643 . C’est Andrès Calvet, le plus offrant, qui a acquis<br />

les terres . Mais ce document ne donne pas la localisation<br />

de ce lieu-dit, ce qui empêche de faire le lien avec le four<br />

mis au jour à Les Clottes.<br />

. Voir J.-P. Comps, chap. VII, dans ce même ouvrage.<br />

. Coordonnées : 461821/4724152 (GPS).<br />

. Dénomination relevée sur le cadastre de 1832. Cf. J.‐P. Comps, chap. VII<br />

« Le temps des chemins »,ill. 8, n o 10.<br />

. Cote ADPO, 3E19/387, Joseph Calmella, Vinça, liasse, 1643, n o 18, communiqué<br />

par Denis Fontaine.<br />

. « alinéa daté du 12 août 1643 par lequel le notaire déclare que le crieur<br />

public de Rodès a crié à de nombreuses reprises dans les lieux habituels, et n’a<br />

trouvé personne qui offre autant que Andrès Calvet a offert, qui s’est engagé à<br />

donner centum et sex libras moneta rossilionis », ibid.<br />

Le lieu-dit Lo camp de la Teuleria correspond par la<br />

suite à la parcelle toujours identifiée comme « camp de<br />

Frances Ponthei » (D. Fontaine, in Passarrius et alii 2007,<br />

96), alors que la plupart sont appelées « vigne » ou « pessa<br />

de terra ». Cette parcelle porte, c’est assez rare, le nom<br />

d’un propriétaire ou tenancier, peut-être un artisan tuilier<br />

qui a laissé son nom, un certain temps, à l’endroit où il<br />

exerçait son métier. La présence de la tuilerie est parfois<br />

attestée par un acte autorisant l’extraction de terre ou par<br />

un bail ou une concession, mais ce type de documents n’a<br />

pas été retrouvé pour Ropidera (Blary 1989, 338).<br />

I.2 - Cadastre napoléonien (1832) et état de section (1836)<br />

À partir de sa position sur la carte IGN, le four a pu<br />

être situé dans la parcelle 394, sur le cadastre napoléonien<br />

de 1832 (ill. 2). Cette parcelle, d’après l’état de section<br />

de 1836, est plantée en vigne ; elle appartient à Joseph<br />

Sauve , cultivateur à Rodès. Le toponyme Lo camp de<br />

la Teuleria n’existe plus sur le cadastre, et rien n’indique,<br />

dans les lieux-dits cadastraux ou dans l’état de section du<br />

secteur la présence d’un four ou d’une tuilerie en ce début<br />

du XIX e siècle. Ces données montrent que le four n’était<br />

plus en activité à cette période.<br />

. Cote ADPO, 2J127/167, plan parcellaire de la commune de Rodès, canton<br />

de Vinça, section A « de Roupidère », 4 e feuille, 1832.<br />

. Cote ADPO, 1025W174, état des sections de la commune de Rodès, canton<br />

de Vinça, section A « de Roupidère », 1836.


344 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

CHAPITRE XI<br />

Chemin de las Cazes à Tarerach<br />

Four<br />

Voie de service actuelle<br />

1 - Vue générale du four depuis le Sud dans son environnement immédiat (J. Kotarba).<br />

N<br />

Four<br />

0 250 m<br />

2 - Situation du four sur le cadastre napoléonien de 1832 (C. Jandot, J. Kotarba).


annexe I<br />

Le four de matériaux de construction de les clottes<br />

345<br />

II - Conservation<br />

des vestiges du four de Les Clottes<br />

II.1 - Contexte général<br />

II.1.1 - Préambule terminologique<br />

Des termes spécifiques sont employés pour la description<br />

d’un four de matériaux de construction , comme<br />

celui de Les Clottes, ainsi que l’unité artisanale auquel il<br />

appartient (voir infra, ill. 12).<br />

Le four de Les Clottes correspond à une structure technique<br />

élaborée constituée de deux volumes , avec une<br />

partie basse divisée en deux ensembles, excavée dans le<br />

sous-sol, et une partie supérieure, au-dessus de la précédente.<br />

Vu de l’extérieur, il s’agit d’un bâti de plain pied,<br />

comme une petite maison, avec une cave en-dessous.<br />

Le four se compose donc au total de trois parties, il<br />

comprend :<br />

- une aire de chauffe, large fosse ou dépression aménagée<br />

selon les cas, là où se fait le travail, pour l’alimentation en<br />

combustible. C’est à cet endroit que sont préparés des éléments<br />

(bois, charbon) servant à faire monter la température<br />

pour la cuisson. La bouche ou gueule est le point de<br />

dépose « active » du combustible. Elle s’ouvre à l’extrémité<br />

de l’aire de chauffe et fait la transition avec la partie foyer ;<br />

- le foyer démarre au niveau de la bouche. Il comprend<br />

un alandier, sorte de tunnel relié à l’aire de chauffe, ainsi<br />

qu’une chambre de chauffe. Cette chambre est composée<br />

de conduits de chaleur reliés à l’alandier et de supports de<br />

soutènement de la sole. La sole, qui est une plaque de cuisson<br />

offrant une surface aplanie pour la dépose des matériaux<br />

à cuire, peut être façonnée avec des matériaux variés<br />

(plaque d’argile, tuiles, briques, etc.). Sa particularité est<br />

de laisser passer la chaleur par les carneaux ou évents,<br />

orifices qui la percent ou qui sont agencés dans la composante<br />

de sa structure (Conte, Jandot, Mazue 1993 : 7).<br />

La sole sert d’exutoire à la chaleur du foyer. Elle constitue<br />

le sommet de la chambre de chauffe et le plancher du 1 er<br />

étage auquel appartient le laboratoire ;<br />

- le laboratoire, à « l’étage », placé au-dessus de la chambre<br />

de chauffe, en est séparé par la sole. La charge des<br />

matériaux à cuire est déposée sur la sole et s’élève dans<br />

l’ampleur du laboratoire. Le laboratoire peut être maçonné,<br />

considéré alors comme « permanent », ou non<br />

maçonné, ce qui implique le couvrement temporaire (à<br />

chaque fournée) de la charge à cuire.<br />

Le four est un des éléments d’un ensemble artisanal<br />

plus complexe, car la cuisson ne constitue qu’un temps de<br />

la production. Le four de Les Clottes, comme tout établissement<br />

artisanal de ce type, était nécessairement accompagné,<br />

même si les vestiges n’en sont pas visibles, d’autres<br />

éléments indispensables à la chaîne opératoire.<br />

En premier lieu, l’étape préalable à la cuisson est celle<br />

où les matériaux à cuire doivent être réalisés. À Les<br />

Clottes, l’extraction de la matière première n’a pas dû s’accomplir<br />

sur place, en raison d’un manque de ressources<br />

(voir infra). Par conséquent, l’argile était acheminée pour<br />

la fabrication sur place.<br />

Puis vient le façonnage. Il s’agit de la préparation de la<br />

pâte proprement dite. Le façonnage nécessite un espace<br />

dévolu au foulage et à la mise en forme de la matière, par<br />

le moulage. Après la mise en forme, un temps de séchage<br />

est indispensable, les matériaux sont entreposés dans une<br />

aire de séchage avant cuisson, le temps que le stock se<br />

constitue pour les fournées à venir. Ces étapes peuvent<br />

trouver place à l’air libre ou sous abri.<br />

En second lieu, prennent place les étapes autour de la cuisson.<br />

Le combustible est recherché et entreposé 10 ainsi que<br />

les matériaux utiles au colmatage du laboratoire et de la cheminée<br />

du four. Les matériaux à cuire sont chargés 11 une fois<br />

ces préparatifs effectués. C’est alors que démarre l’étape de<br />

la cuisson, avec la montée en puissance puis la régulation de<br />

la flamme par des apports en combustible, nécessitant pour<br />

cela une présence constante (abri pour le « chauffeur »).<br />

En dernier lieu, après la cuisson, les matériaux, cuits<br />

et refroidis, sont déchargés (déchargement par le haut),<br />

triés (fosse dépotoir pour les ratés de cuisson) et entreposés<br />

dans une seconde aire de séchage (post-cuisson)<br />

avant « l’acheminement des produits finis vers les sites de<br />

consommation » (Frébutte, Gustin 2006, 107).<br />

Les différentes étapes du travail décrites ci-dessus peuvent<br />

s’accomplir sous un même bâti. Elles impliquent<br />

toutefois que l’espace soit bien structuré afin que le travail<br />

puisse s’inscrire dans une logique fonctionnelle.<br />

. Les termes employés sont les mêmes pour les fours de potiers.<br />

. Il existe d’autres types de fours dits à un volume, ce n’est pas l’objet de cet<br />

article et nous ne nous attarderons pas sur ces critères.<br />

10. 1 500 à 2 000 fagots de branchages (type bruyère) sont nécessaires pour<br />

une chauffe (Coll. 1992).<br />

11. Un à deux jours sont nécessaires pour la bonne conduite d’un chargement.


346 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

vers Tarerach<br />

Chemin<br />

sentier<br />

N<br />

vers las Cazes<br />

petit ruisseau<br />

four<br />

dépression<br />

murs<br />

petit ruisseau<br />

mur de terrasse<br />

0 10 m<br />

Nord<br />

chemin<br />

mur<br />

four<br />

mur<br />

dépression<br />

Sud<br />

0 10 m<br />

3 - Croquis de l’unité artisanale dans son paysage topographique actuel (relevé C. Jandot, mise au net J. Kotarba).<br />

II.1.2 - Les vestiges<br />

À 3 mètres au sud d’un léger plateau, où court le chemin<br />

de Les Cases à Tarerach, encadré par un ruisseau à<br />

l’ouest et à l’est, a été construit le four, dont subsistent<br />

des parois rubéfiées, auquel s’adjoint une dépression 12<br />

en contrebas (ill. 3). Aux alentours, en particulier en<br />

12. Les éléments observés entrent dans le cadre d’une reconnaissance de surface<br />

en prospection. Les relevés et photos effectués ont été accomplis après<br />

un léger débroussaillage, la végétation (des arbustes) avait peu brûlé à cet<br />

endroit précis.<br />

partie sud, sont présents de nombreux fragments de parois<br />

de four, d’éléments surcuits de tuiles courbes, dont<br />

certaines vitrifiées.<br />

Seul le four est visible, de tous les éléments que devait<br />

nécessiter l’organisation de l’atelier auquel il appartient<br />

(ill. 4). En l’état actuel, les parois du four<br />

présentent un plan déformé avec des inclinaisons, des<br />

bombements, des empattements voire des éboulements,<br />

en raison de la poussée des terres et de l’érosion.


annexe I<br />

Le four de matériaux de construction de les clottes<br />

347<br />

En l’absence de fouille, l’observation est<br />

restée partielle. Les vestiges examinés permettent<br />

de reconnaître une chambre de<br />

chauffe dans sa partie supérieure, avec les<br />

parois et le haut du laboratoire d’un four<br />

(ill. 5), de type maçonné (Le Ny 1988, 30).<br />

D’autre part, les parties environnantes ont<br />

aidé à comprendre le reste du fonctionnement<br />

du four, de déduire un accès pour<br />

l’alimentation du foyer et son chargement,<br />

de supposer au moins un accès (alimentation)<br />

pour un foyer et d’extrapoler sur l’organisation<br />

de l’atelier.<br />

II.2 - Le four de Les Clottes<br />

4 - Vue générale du four depuis le Nord (cl. C. Jandot).<br />

mur ouest<br />

mur nord<br />

mur est<br />

mur sud<br />

0 5 m<br />

Nord<br />

mur nord<br />

mur sud<br />

N<br />

Sud<br />

II.2.1 - Construction<br />

D’orientation nord-ouest/sud-est, l’installation<br />

du four de Les Clottes a nécessité<br />

le creusement du terrain naturel en partie<br />

nord sur la hauteur des élévations à ériger<br />

afin de prendre appui sur le terrain pour<br />

s’adosser au bord du plateau. La suite de<br />

la construction se développe ensuite dans<br />

le sens de la pente, la partie principale du<br />

bâti étant appuyée sur l’excavation pratiquée<br />

au nord. Ce creusement dans la pente<br />

permettait d’économiser les matériaux de<br />

construction et d’avoir à la fois un accès par<br />

le dessus (pour les tuiles) et un autre en<br />

contrebas pour introduire le combustible.<br />

Cet agencement particulier, en excavation<br />

selon le relief, a favorisé la conservation des<br />

vestiges.<br />

0 5 m<br />

Ouest<br />

Est<br />

mur ouest<br />

mur est<br />

0 5 m<br />

5 - Plan et coupe du four d’après les vestiges observables en surface (relevé C. Jandot, D.A.O. J. Kotarba).<br />

II.2.2 - Le laboratoire<br />

Les dimensions intérieures de cette pièce<br />

de plan quadrangulaire sont de 3,80 m<br />

par 3,80 m, soit 14,5 m 2 de surface au sol.<br />

Les parties conservées du bâtiment initial<br />

sont les parois internes, appliquées<br />

en contre-mur, faites d’argile cuite avec<br />

des inclusions de cailloutis sur une hauteur<br />

conservée de 1,40 m à 1,80 m pour<br />

une épaisseur totale de 0,20 m (ill. 6).


348 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

6 - Paroi d’enduit employée en contre-mur sur les murs sud<br />

et est (cl. C. Jandot).<br />

7 - Détail de l’agglomérat constituant l’enduit (cl. C. Jandot).<br />

8 - Mur nord effondré du laboratoire (cl. C. Jandot). 9 - Paroi du mur ouest (cl. C. Jandot).<br />

10 - Elévation est (cl. C. Jandot). 11 - Emprise du mursud (cl. C. Jandot).


annexe I<br />

Le four de matériaux de construction de les clottes<br />

349<br />

Il n’a pas été possible de savoir si l’ensemble des parois du<br />

laboratoire était contre-butée ainsi, en l’absence de fouille.<br />

Sur la face interne, une couche d’argile cuite constitue la<br />

dernière couche de revêtement (ill. 7), d’une épaisseur de<br />

3 à 5 cm.<br />

II.2.3 - Les murs de la chambre de chauffe<br />

Sur les liaisons unissant les murs du revêtement interne<br />

du laboratoire, trois chaînages ont été clairement<br />

observés, entre les murs nord, ouest, sud et est. Il manque<br />

la liaison, probable, mais effondrée, entre le mur est et<br />

nord. Chaque mur conserve des particularités, par son<br />

état de conservation, par sa position technique ou une<br />

réutilisation postérieure. L’arase des murs, leur épaisseur<br />

n’est pas visible sous la couverture végétale.<br />

Le mur nord (ill. 8) adossé en haut de pente, est<br />

éboulé à l’intérieur du bâti. Une partie des éléments<br />

effondrés révèle des moellons équarris de 36 à 40 cm<br />

de long employant des schistes et des gneiss. Chaîné à<br />

lui, le mur ouest (h. 1,80 m) a été observé sur sa seule<br />

partie interne issue du contre-mur, par sa paroi d’enduit<br />

en fragments de tuiles et cailloutis (ill. 9). Il présente<br />

quelques percements (deux trous et deux encoches faites<br />

au pic), liés à une utilisation postérieure. Le mur est<br />

(h. 0,70 m) présente trois éléments différents (ill. 10).<br />

En partie sud-est, subsiste une partie de l’enduit qui<br />

montre le chaînage avec le mur sud. Suivent deux portions<br />

de parements distinctes, sans enduit. L’une, en<br />

partie centrale, est faite de schistes assemblés à sec, sans<br />

liant et sans assemblage, solidement construite : il s’agit<br />

d’un bouchage. L’autre, au nord, est formée de blocs de<br />

granites associant de nombreuses tuiles et blocs de tuiles<br />

courbes surcuites. Le mur sud (h. 0,80 m) est constitué<br />

d’un massif de pierres liées à la terre d’une largeur<br />

d’1,20 m, auquel s’adjoint, pour la partie interne, une<br />

paroi d’argile cuite (ill. 11). À l’intérieur, en partie supérieure,<br />

un percement bouché a été observé. Quant à<br />

la paroi enduite d’argile, elle penche vers l’intérieur. Elle<br />

présente en partie inférieure des crevasses où l’enduit<br />

s’est effrité. Sur le parement extérieur, le mur présente<br />

un ventre en partie centrale, en raison du poids des pierres<br />

liées à la terre et désolidarisées.<br />

Le fond du laboratoire n’a pas été observé, il est couvert<br />

de gravats et de branches. Il est possible que la sole et la<br />

chambre inférieure (murets de soutènement) subsistent<br />

au-dessous.<br />

III - L’atelier de Les Clottes<br />

et son organisation (ill. 12)<br />

III.1 - Aire de chauffe et alandier<br />

Actuellement, une dépression est notable à l’extérieur,<br />

contre le mur sud, auquel un replat puis une pente succèdent.<br />

Il est probable que cette fosse corresponde à l’aire<br />

de chauffe du four destinée à stocker du combustible et<br />

permettant l’alimentation du foyer devant la gueule. De<br />

même, l’épaisseur du mur où s’ouvre la gueule du four<br />

pourrait indiquer le renforcement d’un alandier maçonné<br />

conduisant à la chambre de chauffe placée sous la sole.<br />

Ces éléments n’ont pas été reconnus en surface, mais il est<br />

possible qu’ils existent au‐dessous du sol actuel.<br />

Le mur du côté est, en raison de ses portions d’élévations<br />

différentes et modifiées, pourrait correspondre à la<br />

bouche de l’alimentation du foyer, postérieurement colmatée.<br />

Toutefois, cette seconde éventualité semble moins<br />

adaptée au relief et d’utilisation peu pratique pour alimenter<br />

la gueule, la fermeture actuellement observable<br />

peut aussi correspondre à un autre emploi ou à une restauration<br />

partielle du bâti lors d’une réutilisation.<br />

III.2 - Accès et enfournement<br />

On peut formuler une autre hypothèse pour le mur est :<br />

celle d’un accès destiné non pas à l’alimentation du foyer<br />

mais au chargement des matériaux à cuire par le côté (Le<br />

Ny 1988, 30). Cette ouverture destinée à la charge est<br />

obturée lors de chaque cuisson. Cette probabilité s’accorderait<br />

bien avec la réfection visible du parement du<br />

mur (surcuits de tuiles), et avec le bouchage, sans liant<br />

couvrant sur la partie interne du mur, ce qui indique qu’il<br />

a été fermé depuis l’extérieur de la structure. Par conséquent,<br />

l’agencement du four profitait de son implantation<br />

encaissée, notamment pour le défournement.<br />

III.3 - L’agencement de l’atelier<br />

Du point de vue de la chaîne opératoire, certains éléments<br />

correspondent à l’organisation de l’atelier de Les<br />

Clottes (ill. 12). L’atelier profite de conditions favorables.<br />

Constitué d’au moins un four, il dispose d’eau à proximité<br />

13 et utilise le relief pour l’enfournement (par le côté)<br />

et le déchargement (par le haut). À ces étapes du travail,<br />

13. En cas d’assèchement des ruisseaux qui jouxtent le four, la rivière de Tarerach,<br />

au débit plus certain (cf. dans ce même ouvrage M. Calvet, chap. II) peut y<br />

suppléer ; elle est située à 230 m de l’atelier.


350 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

ACHEMINEMENT<br />

(produit fini)<br />

AIRE DE STOCKAGE<br />

AIRE DE SECHAGE<br />

(après cuisson)<br />

N<br />

IMPORTATION<br />

(matière première)<br />

CHEMIN<br />

DEFOURNEMENT<br />

Chambre<br />

de chauffe<br />

5<br />

6<br />

CUISSON<br />

3<br />

2<br />

1<br />

4<br />

ENFOURNEMENT<br />

AIRE DE PREPARATION<br />

COMBUSTIBLE<br />

Aire de<br />

chauffe<br />

LIVRAISON<br />

(matière première)<br />

0 10 m<br />

12 - Rrestitution hypothétique de l’atelier (croquis C. Jandot, D.A.O. J. Kotarba).<br />

1. Gueule 2. Alandier 3. Laboratoire 4. Accès pour l’enfournement 5. Murs de la chambre de chauffe 6. Contre-murs avec enduit du laboratoire.<br />

des halles (Frébutte, Gustin 2006, 106) étaient associées<br />

pour les travaux de fabrication de la pâte et pour le séchage<br />

avant cuisson.<br />

Le plateau situé au nord du laboratoire offre la possibilité<br />

d’aires de séchage après cuisson qui facilitaient, par<br />

leur proximité, le déchargement et le stockage. Le chemin<br />

permet l’acheminement des productions et leur distribution<br />

sur le plateau de Ropidera.<br />

La question de l’approvisionnement en matière première<br />

n’est pas abordée dans cette étude. Les argiles bleutées<br />

présentes dans la zone (M. Calvet chap. II) n’ont pas été<br />

observées in situ ou à proximité. L’extraction de l’argile<br />

devait se faire dans des zones d’affleurement exploitées<br />

selon les nécessités, ou dans des carrières. L’argile, une<br />

fois extraite, était mise à sécher, concassée selon les cas et<br />

grossièrement triée : les impuretés fines étaient volontairement<br />

laissées, à titre de dégraissant, afin d’éviter la rétraction<br />

de l’argile lors de la cuisson (Coll. 1992). Après<br />

cela, l’argile était transportée à Ropidera, au four de Les<br />

Clottes. La proximité du point d’eau permanent, la rivière<br />

de Tarerach, permettait le travail de l’argile.<br />

Iv - Production et emploi<br />

IV. 1 - Capacité d’enfournement du laboratoire<br />

Les dimensions du laboratoire, presque 15 m 2 de surface<br />

au sol pour une hauteur minimum de 1,80 m, indiquent<br />

une capacité de stockage d’au moins 26 m 3 , sans<br />

tenir compte du volume enterré jusqu’à la sole, ni de la<br />

partie arasée jusqu’au sommet 14 . Comparées à d’autres<br />

fours de tuiliers mis au jour en France (Le Ny 1988, 51 ;<br />

Blary 1989, 337‐358), les dimensions de la chambre de<br />

chauffe se situent dans le tiers supérieur, permettant la<br />

cuisson d’une fournée importante.<br />

IV. 2 - Composante d’une fournée et emploi in situ<br />

IV.2.1 - Production du four de Les Clottes<br />

On peut tenter d’estimer, en chiffres très approximatifs,<br />

la quantité de tuiles courbes dites normales 15 cuites en<br />

14. Si l’on appliquait la méthode de restitution de la hauteur au moins égale<br />

à la dimension d’un côté (Charlier 1994, 316), soit ici 3,80 m, la capacité<br />

restituée d’enfournement serait de 55 m 3 .<br />

15. Fin XVII e , début XVIII e siècle d’après Bélières 1999, 72 : « pour les tuiles


annexe I<br />

Le four de matériaux de construction de les clottes<br />

351<br />

une fournée (Bélières 1999, 72). Lors du chargement du<br />

four, si l’on calcule l’emprise de la surface au sol des tuiles<br />

courbes 16 emboîtées et disposées verticalement sur une<br />

surface d’un m 2 , cela représente environ 70 à 100 tuiles,<br />

soit 1 000 à 1 500 tuiles pour un rang de fournée sur une<br />

superficie de 15 m 2 , celle du laboratoire de Les Clottes. Par<br />

déduction, si l’on tient compte de la hauteur du laboratoire<br />

(1,80 m), a minima trois étages de charge, pour des hauteurs<br />

de tuiles de 50 cm avec un espacement intercalaire,<br />

pouvaient être superposés, au total entre 3 000 et 4 500<br />

tuiles courbes par fournée 17 . Ces hypothèses se basent sur<br />

des cuissons de tuiles courbes standard, mais on pouvait<br />

aussi effectuer des cuissons mixtes (avec des tuiles faîtières,<br />

de plus grande longueur, par exemple).<br />

IV.2.2 - Surface de toit et quantité de tuiles employées<br />

Pour évaluer le nombre de tuiles nécessaires à couvrir<br />

une charpente 18 , le calcul suivant a été effectué : la dimension<br />

d’une tuile est de 0,50 m x 0,22 m, les tuiles se recouvrent<br />

pour que seul un tiers soit visible, une tuile couvre<br />

alors une superficie de 0,036 m 2 . Pour couvrir 1 m 2 de<br />

charpente, il faut employer environ 28 tuiles.<br />

IV.2.3 - Essai de reconstitution pour le village de<br />

Ropidera<br />

Pour Ropidera, sur un total de 39 maisons identifiées<br />

(Passarrius et alii 2007, 75-87), la superficie totale à<br />

couvrir est de 868 m 2 pour 21 maisons dont la surface a<br />

pu être reconnue (tableau 13). Il a fallu pour couvrir les<br />

charpentes de ces structures un minimum de 24 304 tuiles,<br />

auxquelles il faut ajouter 17 maisons supposées dont<br />

la surface peut être estimée au prorata des précédentes 19<br />

à 702 m 2 , soit 19 656 tuiles. Il est donc possible d’évaluer<br />

au minimum à 43 960 tuiles le nombre de tuiles nécessaires<br />

pour la couverture du village dans son dernier état.<br />

Bien évidemment, cette réflexion s’applique à une surface<br />

plane, sans prendre en compte le degré de pente des<br />

toits qui reste une donnée inconnue. Si, par exemple, on<br />

faîtières, la longueur est 64 ou 65 centimètres soit 2 pieds ; pour les tuiles<br />

ordinaires, la longueur est comprise entre 50 et 55 centimètres (la norme prescrivant<br />

52 centimètres) ».<br />

16. Estimation à partir d’un gabarit de moule pour une tuile de 50 cm de<br />

long, 20 à 22 cm à l’arc, 12 à 15 cm à la corde (terminologie d’après Charlier<br />

1994, 322).<br />

17. Si l’on calcule la hauteur restituable à 3,80 m, selon le modèle évoqué<br />

ci-dessus (note 14), on arrive à 7 rangs de tuiles, soit une capacité de 7 350 à<br />

10 500 tuiles, le double de la valeur précédente.<br />

18. Calcul inspiré par la technique employée pour le site de Vauclair (Blary<br />

1989, 357).<br />

19. Calcul effectué par règle de trois : (868 m 2 : 21) x 17 maisons = 702 m 2 .<br />

suppose un minimum de pente à 33 % (moyenne), il faut<br />

rajouter 10 % de superficie aux toits 20 .<br />

Maison n° L (en m.) l. en(m.) surface en m 2 superficie utile<br />

1 74<br />

2 8,6 5 43<br />

3 4,6 4,6 21,6<br />

4a 8,2 5 41<br />

5 7,8 4,4 34,32<br />

6 * *<br />

7 et 8 17 5 85<br />

9 6,8 5,2 35,36<br />

10 5,5 4 22<br />

11 8 à 9 8 64 à 72<br />

12, 13, et 14 * *<br />

15 15+19+14<br />

16 et 17 22<br />

18 9,5 7,8 74,1<br />

19 9,5 5 47,,5<br />

20 * *<br />

21 11 9 57<br />

22 9 4,6 24<br />

23 * *<br />

24 20<br />

25 12 5,8 69,6<br />

26 12 7 84<br />

27 * *<br />

28 * *<br />

29 * *<br />

30 7,6 6,1 46,36<br />

31 5 5 25<br />

32 6,5 6,5 42,25<br />

33 * *<br />

34?<br />

35 * *<br />

36 * *<br />

37 * *<br />

38 * *<br />

39 * *<br />

Total 800,59 68<br />

pour<br />

19 maisons<br />

pour 2 supplémentaires<br />

[17 non<br />

connues]<br />

13 - Dimensions des maisons du village médiéval de Ropidera (C. Jandot, d’après les<br />

données d’O. Passarrius et al 2007, 77-82).<br />

Par conséquent, pour la production des tuiles nécessaires<br />

au village, il faut effectuer entre 5 à 16 fournées selon<br />

que l’on prend en considération la capacité d’enfournement<br />

restituée (soit 7 350 à 10 500 tuiles), ou la capacité d’enfournement<br />

conservée (soit 3 150 à 4 500 tuiles) 21 .<br />

20. Pour une surface totale de 1 570 m 2 (868 + 702), plus 10 %, soit 1727 x 28<br />

= 48 356 tuiles environ.<br />

21. 48 356 (nombre minimal de tuiles pour la surface des toits reconnus) :<br />

10 500 (capacité max. d’enfournement estimée) = 4,6 fournées. 48 356 : 7 350<br />

(capacité min. d’enfournement estimée) = 6,57. 52 727 : 4 500 (capacité max.<br />

d’enfournement constatée) = 11,7 fournées. 52 727 : 3 150 = 15,28 (capacité<br />

min. d’enfournement conservée).


352 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Restent aussi à prendre en considération les autres<br />

cuissons, pour les tuiles faîtières ainsi que les compléments<br />

liés à l’emploi (chute, dégradation liée au temps),<br />

générant d’autres demandes et engendrant des fournées<br />

supplémentaires pour le village de Ropidera.<br />

La présence sur le plateau de Ropidera de ce four et de<br />

l’atelier de tuilier dont il fait partie est donc parfaitement<br />

justifiée. En effet, la quantité de matériaux de construction<br />

en terre cuite à mettre en œuvre pour les besoins locaux<br />

est suffisante. Elle permet à un artisan tuilier de s’installer,<br />

au moins temporairement, compte tenu de l’aménagement<br />

rudimentaire de son four (Vayssettes 2000, 621),<br />

d’un coût modeste en temps et en travail, et aux villageois<br />

constructeurs de maisons de pouvoir rester sur le plateau<br />

de Ropidera sans « descendre » vers Rodès pour y chercher<br />

des matériaux de construction lourds et fragiles.<br />

Conclusion<br />

La structure de cuisson découverte sur le plateau de<br />

Ropidera peut être identifiée sans équivoque à un four, avec<br />

sa chambre de chauffe de plan quadrangulaire. Il s’agit probablement<br />

d’un four de type II (sans plus de précision 22 ) à<br />

deux volumes à tirage vertical, avec un laboratoire de type<br />

permanent et maçonné. Son fonctionnement peut être envisagé<br />

par les éléments observables en surface. La conception<br />

de la chambre de chauffe et son emplacement suppose<br />

que le déchargement du four s’effectuait par le haut (Le<br />

Ny 1988, 29) ; il est cependant possible qu’ait existé un<br />

accès destiné à déposer la charge à cuire par une ouverture<br />

sur le côté est, bouchée et colmatée à chaque cuisson.<br />

En mettant en corrélation le plan quadrangulaire destiné<br />

à la dépose des objets à cuire, le type de matériaux surcuits<br />

observés aux alentours, et les remplois de surcuits<br />

employés en partie est, il est probable que les cuissons de<br />

ce four soient principalement destinées à des matériaux<br />

de construction et de couverture, essentiellement les tuiles<br />

courbes.<br />

L’ensemble témoigne d’un atelier mettant à profit les<br />

avantages du sous-sol (eau et argile) et du relief (pente<br />

et plateau) pour les besoins de son fonctionnement : alimentation<br />

par le sud en partie inférieure, chargement de<br />

la charge à cuire par le côté, défournement par le haut<br />

avec séchage et stockage sur le replat offert par le plateau.<br />

Sa période de fonctionnement sur le plateau de Ropidera<br />

laisse des interrogations quant à l’emploi de sa production<br />

et la nécessité de son implantation. Les sources archivistiques<br />

de 1643 mentionnant la présence d’une tuilerie à<br />

Ropidera se rapportent-elles à cette structure artisanale<br />

précisément ? Depuis quand existait-elle ? L’absence de<br />

mention sur les données cadastrales de 1832 permet de<br />

constater que ces vestiges sont antérieurs au XIX e siècle.<br />

Différentes questions restent posées en l’absence d’éléments<br />

de datation fiables : de quand date ce four ? La production<br />

a-t-elle pu servir au village déserté de Ropidera<br />

sachant que ce dernier emploie principalement des tuiles<br />

pour la couverture de ses maisons dans sa dernière utilisation<br />

aux XIV e et XV e siècles ? Ou bien l’existence de cet<br />

atelier est‐elle liée à des besoins plus ponctuels engendrés<br />

par la construction des cortals et des mas plus tardifs ?<br />

22. La typologie du four selon Le Ny 1988, 39-41 ne peut être affinée pour le<br />

four de Les Clottes en l’absence de lisibilité du critère déterminant la classification,<br />

en l’occurrence « le volume d’air chaud et sa distribution sous la sole »,<br />

non étudié faute de fouille.


Annexe II<br />

Le four à chaux de Les Pedreres<br />

(Bouleternère)<br />

Céline Jandot<br />

Au sud-ouest du village de Bouleternère, à Les Pedreres,<br />

plusieurs zones indiquant un travail de la chaux ont été<br />

observées à l’occasion des prospections pédestres menées<br />

lors de l’exploration archéologique des zones brûlées de<br />

l’hiver 2005 (Passarrius et alii 2007) (v. carte de localisation,<br />

M. Marzluff, chap. X, ill. 1). Parmi les gisements<br />

indiqués par Michel Martzluff, le four à chaux de Les<br />

Pedreres (point 1305) a fait l’objet d’observations archéologiques<br />

détaillées.<br />

Sources historiques<br />

D’après la documentation conservée aux archives , l’exploitation<br />

de la chaux dans cette partie de la commune<br />

de Bouleternère est attestée au moins depuis la fin du<br />

Moyen Âge. Sur le territoire de notre étude, et plus particulièrement<br />

à Les Pedreres, la première mention relevée<br />

remonte à 1564, puis en 1606, et 1611 .<br />

Les fours à chaux,<br />

description et fonctionnement<br />

Emploi et caractérisation <br />

Les fours destinés à la fabrication de la chaux nécessitent<br />

l’emploi de roches calcaires. Par conséquent, leur<br />

implantation correspond à celle des gisements en matière<br />

première. Le procédé technique utilisé est celui de la<br />

transformation de la roche par la cuisson. En fonction de<br />

la nature du matériau (déterminé par les compétences du<br />

chaufournier), la température du four est évaluée. Pour<br />

des roches de type calcaire incluant du carbonate de magnésium,<br />

la température de cuisson est portée à 400°. Le<br />

résultat en sera la chaux vive (la plupart du temps aérienne.<br />

Avec des calcaires argileux, la température de transformation<br />

doit être de 1 000°. Il en ressort une chaux<br />

hydraulique naturelle. L’hydratation de la chaux vive produit<br />

la chaux éteinte qui sert de liant pour la confection<br />

des mortiers destinés à l’assemblage des constructions.<br />

. Recherches effectuées par Denis Fontaine, ADPO.<br />

. On trouvera tous les textes que Denis Fontaine a pu réunir concernant les<br />

fours à chaux de Bouleternère à la fin de cette annexe.<br />

. Pour la connaissance des fours et leur emploi, au-delà de la bibliographie<br />

consultée, je tiens à remercier Alexandra Hanry (Inrap) pour la communication<br />

de son rapport de fouille, dont la consultation a facilité la compréhension de<br />

ces structures.


354 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

1 - Exemple d’un four à chaux (extrait de J.-P. Adam 1989, 72 fig. 153)<br />

A. entrée du combustible, B. air frais, évacuation des braises, C. ventilation, D. chambre de chauffe, E. parement de briques réfractaires, F. évents, G. lamia, H. couverture de<br />

chaux grasse, I. stockage des pierres à cuire, J. stockage du combustible, K. crible des braises, L. rude chaufournier.<br />

Le travail de la chaux reste une opération saisonnière<br />

(du printemps à l’automne). En dehors de cette période,<br />

les chaufourniers diversifient leurs activités.<br />

Les types de cuisson, et leurs usages<br />

Parmi différents modes de cuisson de la chaux employés,<br />

deux dominent dans nos contrées européennes .<br />

Le premier est celui de la cuisson avec voûte à encorbellement,<br />

foyer à la base et chargement par le haut, correspondant<br />

à une cuisson intermittente à longue flamme.<br />

Pour ce modèle, la nécessité d’un apport de bois conséquent<br />

est indispensable. Le second type concerne les<br />

fours à empilement (alternance de pierres et de combustible),<br />

avec une cuisson intermittente à courte flamme.<br />

Dans ce cas, le temps de construction de la structure est<br />

plus court et demande moins de technicité. Toutefois, la<br />

qualité de la chaux ainsi obtenue semble médiocre, et elle<br />

est davantage utilisée pour l’agriculture (amendement) et<br />

l’assainissement de sols humides (habitations) que pour<br />

la fabrication du mortier.<br />

. Au Moyen-Orient, on pratique aussi très tôt la cuisson du gypse sur une aire<br />

extérieure. En France, l’exploitation du gypse n’est effective qu’à partir de la fin<br />

du XVIII e siècle, avec d’autres modes de cuisson que ceux du Moyen-Orient.<br />

Éléments de construction et terminologie<br />

Pour le cas des fours à cuisson intermittente à longue<br />

flamme (ill. 1) , la construction demande un temps de<br />

travail de trois semaines environ. Leur édification peut<br />

se rapprocher, dans la hiérarchie des chambres, de celle<br />

d’un four de matériaux de construction. Le creusement<br />

du four s’effectue généralement dans une pente. Deux volumes<br />

sont distingués.<br />

La partie cuve (enterrée) correspond à l’espace de combustion<br />

ou chambre de chauffe. Elle est creusée sur un<br />

plan circulaire ou piriforme (3 à 7 m de diamètre) ; les<br />

plans quadrangulaires existent également . Elle comprend<br />

un cendrier, en partie inférieure, et une partie dite<br />

chambre de calcination, abritant le foyer. Sa hauteur peut<br />

atteindre 4 m. La chambre de calcination est reliée à<br />

l’extérieur par un passage, la gueule ou bouche d’alimentation,<br />

large ouverture (1,5 à 2,5 m de haut) pour l’alimentation<br />

du foyer . Le cendrier est situé sous le foyer .<br />

. Afin de se représenter la description ci-dessous, on peut se reporter à l’illustration<br />

effectuée par Jean-Pierre ADAM (Adam 1989, p. 72).<br />

. A. Hanry donne quelques exemples de comparaisons pour le diamètre et le<br />

plan (Hanry, Figueral, Chaumeil 2006, p. 18, 90 et 91).<br />

. L’ouverture est large en présence d’un cendrier creusé en partie inférieure.<br />

Toutefois, en l’absence de fosse de creusement pour la création du cendrier<br />

elle peut aussi être divisée en deux (une partie supérieure pour l’alimentation<br />

et inférieure pour le raclage des cendres).<br />

. Mentionné parmi les éléments constitutifs de la structure du four à chaux au


Annexe II<br />

Le four à chaux de les pedreres<br />

355<br />

chargement de la fournée, deux à trois jours d’attente sont<br />

nécessaires pour permettre le complet refroidissement.<br />

Le four de Les Pedreres<br />

État général<br />

Le four est adossé au versant sud-ouest de la <strong>montagne</strong><br />

(ill. 2). Il est composé (ill. 3) dans ses parties visibles d’un<br />

cratère, lié à l’érosion de la structure après abandon, où se<br />

nichent les vestiges d’une fosse aménagée avec des parois<br />

vitrifiées (ill. 4). Les restes d’un accès au niveau inférieur<br />

pour l’alimentation d’un foyer sont perceptibles sous la<br />

forme d’un parement de mur (ill. 5).<br />

Organisation du four<br />

Pour la mise en place du four, une cavité a été creusée<br />

dans le terrain naturel fait de schistes, puis la paroi interne<br />

de la chambre de chauffe a été lissée.<br />

En partie inférieure, pour l’accès au foyer, l’élévation de<br />

mur conservée au sud-est offre un seul parement visible,<br />

disposé à 45° par rapport à l’entrée du four. Il emploie<br />

des pierres disposées en panneresse, par assises, intercalées<br />

avec des boutisses. Les éléments utilisés, calcaire et<br />

calcaire calcinés, inclinent à penser que cette élévation,<br />

servant de talus au flan de <strong>montagne</strong> contre laquelle le<br />

four est adossé, a été remontée a posteriori. D’autres blocs<br />

formant le parement sud-ouest ont été repérés mais leur<br />

désorganisation et leur recouvrement par la terre empêchent<br />

de lire le plan réel, qui est supposé par symétrie.<br />

Des amas de fragments de calcaire amassés sur la partie<br />

haute incitent à penser à une alimentation en matière<br />

première par un chargement par le haut.<br />

Il permet par sa position le raclage des cendres tombées<br />

des braises de la cuisson. Son dégagement facilite la circulation<br />

de l’air, contribuant à l’oxygénation de la chambre<br />

de chauffe, pour une combustion meilleure et plus active.<br />

À défaut de cendrier, on peut creuser une galerie sous le<br />

sol de la chambre, permettant la circulation de l’air.<br />

La chambre de calcination abritant le foyer est constituée<br />

par une voûte conique , d’une hauteur de 2 à 5 m, employant<br />

des pierres disposées en tas de charge 10 . Une partie<br />

de la voûte s’adosse à la cuve ; l’autre partie s’assemble au<br />

parement extérieur du mur de la cuve pour s’ouvrir vers l’entrée<br />

du foyer. Au-dessus de la chambre de calcination se développe<br />

le second volume du four (h. 2 à 6 m), constitué par<br />

la chambre supérieure, lieu de dépôt de la charge à cuire.<br />

La différence avec le fonctionnement des fours de matériaux<br />

de construction (briques, tuiles) réside dans l’absence<br />

de sole aplanie sur les reins de la voûte. Ici la charge<br />

à cuire, constituée par des fragments de pierres, est disposée<br />

à l’extérieur de la chambre de calcination, directement<br />

sur les reins de la voûte, en recouvrant cette dernière,<br />

puis en remplissant le reste du volume de la cuve jusqu’au<br />

sommet où l’on accède par la chambre supérieure.<br />

Cette juxtaposition de pierres, entre celles appartenant à<br />

la structure (de la voûte) et celles à cuire, crée parfois des<br />

confusions dans la compréhension des fours à chaux.<br />

Le chargement (alimentation en calcaire) s’effectue par<br />

le haut, l’accès est facilité par l’adossement du four dans la<br />

pente. La couverture de la fournée reste, soit à l’air libre,<br />

soit constituée par un dôme d’argile ou de chaux grasse<br />

pourvu généralement d’évents.<br />

La cuisson de la chaux dure 4 à 9 jours. La montée en<br />

température doit être longue au premier jour, et requiert<br />

toutes les compétences du chaufournier. En effet, les<br />

pierres doivent chauffer sans éclater, pour ne pas entraîner<br />

l’écroulement de la charge. Par ailleurs, une température<br />

trop haute peut entraîner une vitrification de la<br />

chaux (Lavergne, Suméra 2000, p. 458‐459). Par la suite,<br />

le bouchage de l’entrée peut être effectué afin de régler la<br />

température, une ouverture de moindre envergure étant<br />

laissée pour l’alimentation du foyer. La calcination des<br />

pierres est observée par la réalisation de petites ouvertures<br />

dans la partie supérieure de la charge. Avant le désens<br />

large, le cendrier ne semble pas systématiquement présent.<br />

. Voûte dont l’intrados a la forme d’un cône (Pérouse de Montclos 1995, 140)<br />

10. Tas de charge : appareil des retombées (...) d’une voûte formée d’assises<br />

à lits horizontaux en surplomb l’une sur l’autre (Pérouse de Montclos 1995,<br />

p. 130).<br />

2 - Vue générale du flanc de <strong>montagne</strong> avec le four.


356 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XI<br />

Chargement<br />

C<br />

A<br />

Chambre de chauffe<br />

Alimentation<br />

du foyer<br />

B<br />

N<br />

D<br />

PLAN<br />

0 2,5 m<br />

A<br />

B<br />

Chambre de chauffe<br />

Parement du foyer<br />

SECTION/ELEVATION-PROJECTION<br />

C<br />

D<br />

Chambre de chauffe<br />

SECTION<br />

3 - Plan et coupe des vestiges du four (relevé C. Jandot, mise au net J. Kotarba). 4 - Parois vitrifiées de la chambre de chauffe.<br />

Conclusion<br />

Le four à chaux de Les Pedreres, creusé contre le talus,<br />

dispose d’un foyer, d’une chambre de chauffe et d’un espace<br />

de chargement en calcaire en partie haute. Toutefois,<br />

en l’absence de fouille, ce four à chaux offre peu de possibilités<br />

d’interprétation quant au type de mode de cuisson<br />

mis en œuvre (cuisson intermittente à longue flamme ou<br />

four à empilement). Il est possible que la cuve corresponde<br />

aux deux possibilités sans que l’on puisse le distinguer<br />

en l’état.<br />

Comme on l’a vu, les fours à chaux sont généralement<br />

installés à l’endroit où le matériau est extrait. Il n’est<br />

pas rare de les voir associés à l’exploitation d’une carrière<br />

(Lavergne, Suméra 2000, p. 459). Dans le cas de<br />

Bouleternère, cette possibilité est parfaitement envisageable<br />

11 .<br />

5 - Vue du four depuis le sud.<br />

11. M. Martzluff mentionne cette hypothèse, chap. X.


Annexe II<br />

Le four à chaux de les pedreres<br />

357<br />

Les données d’archives<br />

Collecte des documents : Denis Fontaine<br />

Mise en forme : Michel Martzluff<br />

Localisation et nom des fours à chaux de<br />

Bouleternère (XVI e -XVIII e s.)<br />

- 23 juin 1564 : Au loco dicto la pedrera,<br />

vente d’une terre jouxtant un forn de cals<br />

nominato lo forn del cirer et cum torrente<br />

nominato de mont juhich (ADPO, 3 E 84,<br />

Felip Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1564-<br />

1565, f° 26 v°) ;<br />

- 5 novembre 1577 : una fornada de cals<br />

en lo forn de la muller den Bernat Blancho<br />

del dit lloch de Bula lloch vulgarment dit<br />

Monjoych (ADPO, 3 E 3/290, Frances<br />

Geli, notaire d’Ille, manuel, 1577, f° 159<br />

v°) ;<br />

- 21 septembre 1611 : vente d’une terre<br />

inculte ou temoner : (...) intus quam sunt<br />

duo furni calçis sive forns de cals scitam in<br />

terminis eiusdem ville de Bula partim loco<br />

dicto Les Padreras et partim loco les [jitles ?]<br />

per medium cuius transit lo comall de mont<br />

juich continentem inse septem ayminatas<br />

terre vel circam confrontatam cum tenencia<br />

heredum Bernardi [Blancho ?] quondam et<br />

ante Magdalene uxoria Manaldi Juer de<br />

duabus partibus et cum tenencia Michaelis<br />

Comas et antea uxoris Poncy Coma et<br />

cum tenencia Stephani Blanquer et antea<br />

Petri Blanquer et cum tenencia [laissé en<br />

blanc]. Cette pièce de terre appartient<br />

au vendeur comme héritier universel<br />

de Pere Salamo, potier d’Ille, son père,<br />

lequel l’avait achetée aux époux Manalt<br />

et Magdalena Juher, par acte passé le<br />

29 septembre 1554 chez Joan Serda,<br />

notaire d’Ille (ADPO, 3 E 84, Joan Geli,<br />

notaire d’Ille, protocole, 1611, f° 93) ;<br />

- 25 avril 1766 : citation d’un furn dit<br />

den Morer (ADPO, 3 E 16/797, livre<br />

de raison d’Esteve Robello, pagès d’Ille,<br />

1763‐1770, p. 40).<br />

Les chaufourniers de Bouleternère<br />

(XIV e -XVII e s.)<br />

- Frances Ginoher, de Boule, reconnaît<br />

avoir reçu (semble-t-il pour une réparation<br />

du pont-acqueduc d’en Labau)<br />

de Magarola, procureur du roi dans les<br />

Comtés, la somme de 46 sous et 9 deniers<br />

de Barcelone, pour sex aymini calcis<br />

quae a me emit p. abtaudo [ou abtando ?]<br />

pontem lapidem vocatum dels Sarrahims<br />

hedifficatum ad distr. Aquam rechi seu alvei<br />

vocati lo rech de Toyr infra terminos loci<br />

de Rodesio (11 septembre 1382. ADPO,<br />

3 E 3/158, Bernat Borgua, notaire d’Ille,<br />

Notula de Bula, 1379-1382) ;<br />

- Petrus Resijac, molinerius et calsinerius<br />

loci de Bula, cité lors d’un procès concernant<br />

l’usage contesté de fours à chaux de<br />

la peyrera terma dedit loc de Bula (5 novembre<br />

1552. ADPO, 3 E 84, classement<br />

en cours, Joan Serda, notaire à Ille, enquêtes<br />

devant les cours des batlles d’Estoher et<br />

d’Ille, 1545, 1552-1553, Inquisitiones recept.<br />

contra Joannem Guillo et Guillermum<br />

Taix loci de Bula tarrenera, 1552) ;<br />

- Pere Moliner, calcinerius de Boule, reconnaît<br />

devoir à Pere Mauran, pagesio<br />

d’Ille, 11 eyminas de cals racione certi<br />

blady per ipsum eidem venditi et bistracti<br />

ad faciendum unum furnum de cals (11<br />

novembre 1552. ADPO, 3 E 84, Felip<br />

Fabre, notaire d’Ille, manuel, 1552-1553,<br />

f°32 v°.) ;<br />

- Joan Simart et Gallart Robineu,<br />

calsinerÿ de Boule, reconnaissent avoir<br />

reçu des consuls d’Ille, paiement pour<br />

100 aymines de chaux, vendues in furno<br />

calcis sitto in terminis dicti loci de Bula, per<br />

les torades de moralla de baix lo portal de<br />

la creu (21 décembre 1577. ADPO, 3 E<br />

3/291, Frances Geli, notaire d’Ille, 17 e<br />

manuel, 1578, f°181 v°.) ;<br />

- Joan Simart, Frances Reynaut et Girau<br />

Capell, calsinery de Boule, vendent aux<br />

consuls d’Ille 250 aymines de chaux,<br />

pour la somme de 100 livres, pro reparatione<br />

murorum dicte ville Insule. (7<br />

décembre 1578. ADPO, 3 E 3/291,<br />

Frances Geli, notaire d’Ille, 17 e manuel,<br />

1578, f°181 v°.) ;<br />

- Marcial Lafont, calsinerius de Boule,<br />

vend 53 ayminis calsis provenant d’un<br />

furno calsis dejus la pedrera de Bula. (24<br />

juillet 1583. ADPO, 3 E 3/292, Frances<br />

Geli, notaire d’Ille, 22 e manuel, 1583,<br />

f°1 58 v°.) ;<br />

- Bernardus Muner, calsinerius ville de<br />

Bula (18 avril 1599. ADPO, 3 E 84,<br />

Hieronim Mosset, notaire de Perpignan,<br />

manuel, 1599-1603, f°24 v°.) ;<br />

- Marsal Lafont, calsiner de Boule, expertise<br />

d’une propriété au lieu-dit La<br />

Padrera (...) a un forn de calls que es prop<br />

de un correch... (7 août 1606. ADPO, 3 E<br />

84, Hieronim Mosset, notaire d’Ille, manuel,<br />

1606, rédigé à Bouleternère).


Quatrième partie<br />

Vers la modernité :<br />

d’un monde plein à des territoires en déprise


chapitre XII<br />

Des routes aux sentiers de randonnée<br />

Jean-pierre Comps<br />

I- Le temps des routes,<br />

de la fin du XIX e siècle à nos jours<br />

Le désenclavement de cette zone où le Roussillon touche<br />

au Bas-Conflent s’est fait très progressivement. Un<br />

premier pas a été accompli à la veille de la Révolution avec<br />

la déviation de la voie du Conflent vers Ille et la construction<br />

du tronçon d’Ille à Vinça par l’actuel col de Ternère,<br />

en évitant l’ancien col impraticable aux véhicules. Ensuite<br />

vint l’aménagement de la route par le Ribéral sous la<br />

Monarchie de Juillet (Comps 2007, 29‐30). Le chemin de<br />

fer arrive à Perpignan en 1858, une ligne se détache vers<br />

le Conflent et atteint Ille en 1869 (Delonca 1991, 46).<br />

L’arrivée du chemin de fer, qui permet d’accéder au marché<br />

national, bouleverse l’agriculture traditionnelle, les<br />

cultures vivrières cèdent peu à peu du terrain au profit<br />

de la vigne et, dans la vallée, de l’horticulture et de l’arboriculture.<br />

Cette situation nouvelle rend plus criant le<br />

besoin de routes locales où puissent circuler les charrettes.<br />

La priorité était évidemment d’améliorer la liaison<br />

avec Prades puis la Cerdagne et le Capcir, ce qui se fit<br />

progressivement en raison des difficultés. La rénovation<br />

du réseau dans la zone étudiée eut lieu tardivement et,<br />

elle aussi, en s’étirant dans le temps.<br />

I-1 À partir d’Ille (ill. 1)<br />

C’est la ville d’Ille qui manifeste le plus d’impatience.<br />

On peut lire ainsi dans les Délibérations du Conseil<br />

municipal du 11 mai 1863 : « ... les communes situées sur<br />

la rive gauche de la Têt, ne peuvent communiquer avec la<br />

commune d’Ille, qui est le principal débouché de leurs produits<br />

qu’au moyen d’un sentier à peine praticable à pied et<br />

qui doit être remplacé par les Chemins d’Intérêt Commun<br />

N o 21 et 22 ; sur la rivière de la Têt la seule communication<br />

consiste en une mauvaise passerelle étroite non garnie<br />

de parapets et que les crues un peu considérables de la rivière<br />

empêchent d’aborder ou détruisent totalement laissant ainsi<br />

interrompues ces communications... ». Le CM demande<br />

que soient achevées les études pour la construction de<br />

ces deux chemins et pour le pont. La commune fournira<br />

sa quote-part .<br />

On le voit : pas de route sans la construction préalable<br />

d’un pont. Deux ans plus tard, le 29 mars 1865, le<br />

Conseil Municipal revient à la charge : « ... entre Millas<br />

et Prades il n’existe qu’un pont en maçonnerie sur la Têt,<br />

le pont construit dans les gorges de Rhodès et qui n’est pas<br />

accessible aux voitures... » .<br />

. ADPO, 5Sp28.<br />

. Ibidem.


362 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XII<br />

1 - Aménagement du réseau routier.<br />

Le nouveau pont, à l’emplacement du pont actuel, est<br />

construit la même année, endommagé en 1872 et impraticable<br />

en 1873. Un nouveau projet voit le jour en 1875<br />

(ill. 2), le nouvel ouvrage est opérationnel en 1878<br />

(Delonca 2001, 390). La même mésaventure arrivera au<br />

nouveau pont de Rodès ainsi qu’au pont sur le torrent del<br />

Nogué, un affluent rive droite du Ruisseau de Tarerach . Il<br />

semble que les Ponts et Chaussées n’aient pas pris d’emblée<br />

l’exacte mesure des crues de la Têt et de ses affluents.<br />

Le pont de 1865 à Ille comportait 6 arches, celui qui lui<br />

succède n’a en a pas davantage mais elles sont plus larges,<br />

chacune mesure 20 m, les piles sont plus solidement ancrées<br />

et protégées, comme on peut le voir sur le plan.<br />

Il faut remarquer que des trois franchissements de la<br />

Têt, réels ou virtuels, qui existaient en 1832, il n’en subsiste<br />

qu’un, au droit d’Ille. À cause des coûts prohibitifs,<br />

. Les ruines du pont del Nogué sont encore visibles sur le terrain et mentionnées<br />

sur la carte IGN au 1 : 25 000.<br />

le même pont desservira aussi les territoires de Casesnoves<br />

et de Reglella.<br />

Le pont de 1865, que l’on croyait solide, enfin installé,<br />

l’on s’attaqua à la route. Ce n’était pas inutile si l’on en<br />

croit une lettre du 1er décembre 1863 du sous-préfet au<br />

préfet : « Le sieur Roca d’Ille vous a adressé une réclamation<br />

pour être payé du terrain qu’il a cédé pour établir le<br />

chemin d’Intérêt Commun n o 22 (d’Ille à Sournia) lequel n’a<br />

actuellement que 1,50 m de largeur... » . E. Delonca indique<br />

que la route d’Ille à Sournia est aménagée en 1868<br />

(Delonca 1991, 45). Peut-être s’agit-il du début des travaux.<br />

Ces derniers étaient loin d’être terminés à cette<br />

date puisque le 11 octobre 1868, le Conseil Municipal de<br />

Montalba ignore encore quel sera le tracé sur son territoire<br />

. Le plan de la route à construire depuis la limite de<br />

Rodès jusqu’à Tarerach date seulement du 23 mai 1870.<br />

. ADPO, 5Sp28.<br />

. ADPO, 5Sp29


Des routes aux sentiers de randonnée<br />

363<br />

2 - Ille. En violet, plan du pont construit en 1878 et en bleu, plan du pont ruiné de 1865.<br />

(ADPO, 55Sp28).<br />

3 - Vinça. Le pont de Nossa bâti à la fin du XIX e siècle (ADPO).<br />

La réalisation a dû être très lente puisqu’on trouve encore un<br />

plan pour un tronçon près de Tarerach daté du 1 er septembre<br />

1884 .<br />

La route d’Ille à Bélesta (Chemin d’Intérêt Commun n o 21)<br />

aurait été ouverte plus tard, autour de 1890 selon Émile Delonca<br />

(1991, 45).<br />

Parmi les anciens chemins, sont classés comme Chemins<br />

Vicinaux Ordinaires, le n o 12 du Ribéral et le n o 13 qui le prolonge<br />

jusqu’à Casesnoves ; le n o 18 assure la liaison avec Reglella et<br />

se prolonge jusqu’à la commune de Bélesta.<br />

. ADPO 1774W183.<br />

I-2 À partir de Rodès (ill. 1)<br />

C’est aussi autour des années 1890, en 1892 précisément,<br />

qu’est entreprise à Rodès la construction<br />

d’un nouveau pont. Il semble que le nouvel édifice<br />

n’ait jamais été utilisé, l’inondation du 9 novembre<br />

1892 l’ayant emporté avant même qu’il ne soit<br />

terminé. Selon une source orale, il aurait été situé<br />

en aval de l’ancien pont, il en resterait les deux culées,<br />

celle de la rive gauche est jouxtée à l’aval des<br />

ruines d’un bâtiment. Toutefois l’examen des vestiges<br />

fait plutôt penser à un aqueduc avec un moulin<br />

accolé . Le pont de 1892 pourrait plus vraisemblablement<br />

être localisé à l’emplacement du pont<br />

actuel, dont la culée, rive droite, est voisine d’un<br />

massif maçonné, construit immédiatement en aval,<br />

reste probable de l’ouvrage antérieur .<br />

Un nouveau projet est mis sur pied, et l’adjudicataire<br />

désigné, Coymat André, en 1894 ; la<br />

réception des travaux a lieu le 11 juillet 1895. Il<br />

s’agit d’un ouvrage à deux arches de 14 mètres<br />

chacune, encore en usage aujourd’hui à l’entrée<br />

des gorges de la Guillère.<br />

Le nouveau pont permet le passage sur l’autre<br />

rive comme c’est son rôle mais il ne donne naissance<br />

à aucune route moderne hormis celle qui<br />

s’installe vers l’amont sur le tracé même de l’ancien<br />

canal de Thuir et qui sera utilisée pour la<br />

construction du barrage Bartissol en 1898, à<br />

l’emplacement de l’ancien pont de Saint-Pierre.<br />

I-3 À partir de Vinça (ill. 1)<br />

Le nouveau pont de Vinça est postérieur au<br />

23 février 1889 : à cette date en effet la commune<br />

émet un emprunt à la caisse des chemins vicinaux<br />

pour la construction d’un pont nécessaire au<br />

passage du Chemin d’Intérêt Commun n o 23 de<br />

Valmanya à Sournia . Le site retenu est nettement<br />

en amont de l’ouvrage antérieur pour permettre<br />

de donner ensuite à la route une pente acceptable<br />

par les véhicules hippomobiles. Le nouvel ouvrage,<br />

avec ses trois arches surbaissées, dessert les Bains<br />

de Nossa sur la rive gauche en même temps que<br />

Tarerach, Marcevol et Montalba (ill. 3).<br />

. Coordonnées : 463783 E / 4722963 N.<br />

. Ces vestiges m’ont été signalés par Jean Pedra et Marcel Basso<br />

que je remercie ici.<br />

. ADPO, 183EDT310.


364 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XII<br />

Il en reste aujourd’hui une culée sur la rive droite et<br />

deux piles, l’ensemble étant visible lors des basses eaux de<br />

la retenue (ill. 4).<br />

La nouvelle route a dû être construite dans les dernières<br />

années du XIX e siècle ou au tout début du XX e siècle.<br />

En effet, l’inscription que l’on peut lire en haut d’un gros<br />

rocher subsistant sur le bord est de la chaussée et qui<br />

est en relation avec l’activité de la carrière ouverte sur le<br />

bord ouest, est datée de 1910 (ill. 5). L’exploitation de la<br />

carrière est soit concomitante, soit de peu postérieure à<br />

l’ouverture de la route. Il est vraisemblable que les matériaux<br />

extraits aient été utilisés pour sa construction.<br />

4 - Vinça. Vestiges du pont du XIX e siècle : la culée sud et deux piles .<br />

I-4 Conclusion sur le temps des routes<br />

Un regard rapide sur la carte permet de constater<br />

qu’aucune des routes charretières construites à la fin du<br />

XIX e siècle ou au début du XX e siècle ne passe dans la<br />

zone centrale, de loin la plus importante, entre Vinça<br />

et Ille. La D2 à partir d’Ille, la D13 à partir de Vinça,<br />

la D17 à partir de Tarerach se tiennent toutes trois à la<br />

périphérie. Les ponts-aqueducs de Sant Pere et de Labau<br />

sont tombés en ruines, le pont neuf de Rodès, pourtant<br />

de la même époque que ses deux nouveaux voisins, n’a<br />

pas donné naissance à une route. On peut trouver plusieurs<br />

raisons à cela : la population de Rodès n’a pas<br />

l’importance de celle d’Ille ou de Vinça ; la pente est<br />

plus rude à partir de Rodès. Mais la raison essentielle<br />

est ailleurs : la pression démographique se relâchant 10 , il<br />

n’était plus nécessaire de maintenir en culture cette zone<br />

centrale dont les rendements, eu égard au travail nécessaire,<br />

étaient très faibles. Quant à l’élevage, encouragé par<br />

l’extension des hermes, sa pratique ne nécessitait pas l’utilisation<br />

de charrettes. On voit bien ici que ces chemins,<br />

qui ne sont jamais devenus des routes, n’avaient pas pour<br />

seul but d’atteindre leur destination (Marcevol, Tarerach,<br />

Montalba, Bélesta), ils assuraient aussi la desserte agricole<br />

; celle-ci devenant inutile, la métamorphose ne s’est<br />

pas accomplie.<br />

Quand on juxtapose sur la carte anciens chemins et routes<br />

nouvelles, les différences de tracé sautent aux yeux : tandis<br />

que les uns vont droit au but, les autres, comme le lièvre de<br />

la fable, prennent leur temps et, dirait-on, s’amusent à tout<br />

autre chose. La charrette exige des pentes moindres que le<br />

5 - Inscription dans un cartouche en haut d’un piton témoin en bordure de la route<br />

de Vinça à Tarerach, au niveau d’une ancienne carrière : ENTREPRIsE BLANC C ILLeS<br />

TRAVAIL PROSPERITE 1910. Les « S » de l’inscription sont inversés.<br />

10. Rodès comptait 752 habitants en 1836 et seulement 322 en 1911 (N. Marty,<br />

chap. XIV.


Des routes aux sentiers de randonnée<br />

365<br />

bât, d’où les circonvolutions des constructions nouvelles 11 .<br />

Évidemment l’augmentation de la charge justifie l’allongement<br />

du trajet : « À dos d’homme on pouvait transporter une<br />

charge de trente-cinq kilogrammes sur une distance de vingtcinq<br />

kilomètres ; un mulet bâté transporte sur trente kilomètres<br />

une charge de cent soixante-quinze kilogrammes, tandis que le<br />

rythme de la carriole est évalué à trente-six kilomètres pour une<br />

charge de une tonne et demie... » (Gavignaud 1982, 358). Ces<br />

évaluations seraient à nuancer selon le relief mais quoi qu’il<br />

en soit le gain est considérable. Remarquons cependant que<br />

ce progrès, comme il arrive souvent, accentue les différenciations<br />

sociales : une charrette coûte cher et exige, pour<br />

sa fabrication, un savoir-faire qui dépasse les compétences<br />

d’un paysan bricoleur. En outre elle suppose la possession<br />

d’un cheval, animal plus cher et plus fragile que l’âne ou<br />

le mulet. Ainsi les routes et la voie ferrée qui permettent<br />

l’accès au marché national favorisent la concentration des<br />

meilleures terres, l’abandon des terrasses les plus escarpées,<br />

la production pour le marché au détriment des cultures vivrières,<br />

la marche vers la monoculture et le dépeuplement<br />

progressif des campagnes. Les récoltes ne sont pas les seules<br />

à partir pour la ville, les hommes suivent aussi.<br />

La construction des routes a connu une phase très<br />

active à la fin du XIX e et au début du XX e siècle : il<br />

s’agissait alors d’assurer les liaisons entre agglomérations<br />

voisines ou plus lointaines. Ce but étant atteint, elle ne<br />

stoppe pas pour autant car il faut à présent accéder aux<br />

champs et aux cultures. Ainsi, durant la première moitié<br />

du XX e siècle, le territoire se couvre de routes secondaires<br />

qui desservent les meilleures terres ou qui sont nécessaires<br />

à de nouvelles activités : une nouvelle route a<br />

été créée dans cette période pour la carrière ouverte au<br />

nord du hameau médiéval de Reglella, entre les cotes 201<br />

et 285. L’exploitation du granit est de tradition très ancienne<br />

dans ce territoire mais il s’agit là d’une exploitation<br />

industrielle.<br />

L’ouverture des routes ne signe pas la mort des chemins<br />

anciens. Un piéton qui voulait se rendre depuis Vinça,<br />

Rodès ou Ille jusqu’à Montalba ne faisait pas le détour<br />

par la route, non plus que le paysan, le bigós sur l’épaule,<br />

qui allait travailler sa petite vigne, son jardin ou sa petite<br />

olivette, pas plus que le berger avec son troupeau, tous<br />

prenaient au plus court, par les vieux chemins.<br />

11. Il faut noter que sur le plateau, à Montalba par exemple, où les dénivellations<br />

sont bien moindres ou quasi-inexistantes, les routes nouvelles reprennent<br />

presque toujours le tracé des anciens chemins.<br />

II - Le temps des pistes et des sentiers,<br />

fin du XX e siècle-début du XXI e siècle<br />

II-1 La mort des chemins<br />

Les routes n’ont pas tué les chemins, elles les ont « allégés<br />

» puisque les produits pondéreux circulent désormais<br />

sur les nouvelles chaussées. La mort des chemins<br />

provient essentiellement de la voiture automobile. C’est<br />

lorsque le véhicule à moteur, moto, auto, tracteur, s’est<br />

généralisé, dans les années 1960‐1970, lorsque le paysan<br />

a commencé à se rendre à son travail ou au village voisin<br />

sur son véhicule et non plus à pied, que les chemins<br />

ont été désertés. L’abandon du troupeau familial a fait le<br />

reste : plus rien n’est venu entraver la poussée des ronces,<br />

des cistes, des argelas, des chênes verts. Les chemins se<br />

sont « fermés » en même temps que les paysages, gagnés<br />

par la garrigue ou le maquis qui progressent peu à peu<br />

comme une lèpre.<br />

II-2 Des pistes pour la défense d’une forêt improbable<br />

L’abandon de pans entiers du territoire ne se fit pas<br />

sans douleur. D’où l’idée qu’il y avait peut-être encore<br />

quelque chose à tirer de ces terres en voie de désolation.<br />

Ce fut le plan résineux. La reforestation en résineux fut<br />

entreprise par la DDA dans le secteur étudié durant l’hiver<br />

1983‐1984. Trois zones furent plantées de cèdres<br />

dans le terroir de Ropidera : la Cougoulère, une petite partie<br />

du plateau de Ropidera et les Balmettes. La piste permettant<br />

de les desservir à partir du pont de Rodès fut tracée<br />

préalablement pendant l’été 1983. Malheureusement<br />

un incendie ravagea une partie des plantations en 1985<br />

mais la piste, elle, demeura (F86) 12 .<br />

Cette tentative malheureuse resta sans lendemain,<br />

mais d’autres pistes furent ouvertes ou améliorées pour<br />

la défense de la forêt contre l’incendie (DFCI). Quelle<br />

forêt ? on peut se le demander, vu la rareté des arbres sur<br />

ces terrains difficiles. Peut-être s’agit-il d’une forêt en devenir<br />

? N’importe, ces pistes sont les bienvenues si elles<br />

permettent de limiter l’ampleur des incendies. La plus<br />

importante concerne le terroir de Casesnoves : depuis le<br />

2 juillet 1992, date de la réception des travaux, la F186<br />

fait la liaison entre Casesnoves et la D2 d’Ille à Montalba<br />

qu’elle rejoint à 2 kilomètre environ à l’ouest de la table<br />

d’orientation au-dessus des Orgues d’Ille. Une autre piste<br />

est à l’étude dans le secteur de Reglella.<br />

12. Informations recueillies auprès de la DDA.


366 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XII<br />

Dans ces trois cas, il s’agit de desservir les pentes abruptes<br />

de la rive gauche, correspondant aux anciens terroirs<br />

de Ropidera, Casesnoves et Reglella, que les routes avaient<br />

évitées, et de les relier au plateau plus au nord.<br />

D’autres pistes moins importantes ont été tracées par<br />

les communes dans les vingt dernières années à l’instigation<br />

des viticulteurs, des chasseurs ou de propriétaires<br />

de mas isolés.<br />

II-3 Le retour des chemins ?<br />

Dans ces étendues de plus en plus vastes laissées à<br />

l’abandon, le gros gibier se multiplie. C’est ainsi que les<br />

dianes du secteur traquent les sangliers les mercredis, samedis<br />

et dimanches. Parmi leurs adhérents se mêlent les<br />

habitants des villages du secteur, dont le nombre va se<br />

raréfiant, et ceux de la vallée ou de la ville dont le territoire<br />

urbanisé ou rurbanisé ne bénéficie pas des mêmes<br />

avantages.<br />

Leurs 4X4 croisent les groupes de randonneurs qui<br />

leur disputent le terrain, parfois au sens propre du<br />

terme. Les sentiers balisés se sont multipliés dans les<br />

quinze dernières années. Sur le secteur, la carte de randonnées<br />

de 1991 13 enregistre seulement deux grands<br />

itinéraires : le GR 36, venant de la vallée de l’Agly, passe<br />

à Campoussy et Marcevol, descend sur Vinça et se dirige<br />

vers le Canigou. Le tour du Fenouillèdes, venant lui<br />

aussi de la vallée de l’Agly, passe à Tarerach, avec une<br />

variante sur Montalba et Bélesta, et suit le même tracé<br />

que le GR à partir de Marcevol. Huit ans plus tard, la<br />

carte IGN TOP 25 14 y ajoute quatre autres circuits :<br />

l’un autour des pentes de Ropidera, un autre à l’ouest<br />

de Montalba, un troisième à l’ouest de Bélesta et un<br />

quatrième, qui, depuis Ille, gagne Reglella et se dirige<br />

lui aussi vers Bélesta. Curieusement, l’édition de 2003<br />

ne mentionne que les deux derniers. C’est que ces petits<br />

sentiers, qui dépassent rarement le cadre d’une commune,<br />

sont le plus souvent ouverts par des bénévoles et leur<br />

entretien n’est pas toujours assuré. La tendance cependant<br />

est à l’élargissement du réseau existant, sous l’impulsion<br />

de groupes locaux. À Ille, le Foyer des Jeunes et<br />

de l’éducation Populaire crée une section randonnée en<br />

2002‐2003 et entreprend d’ouvrir quatre sentiers, trois<br />

sur le territoire de Casesnoves et un beaucoup plus vaste<br />

qui fait pratiquement le tour des territoires de Reglella<br />

et de Casesnoves. Le travail sur le terrain est le fait de<br />

bénévoles (chasseurs, vététistes, randonneurs) et de salariés<br />

des Jardins de l’Amitié, basés à Prades. En 2007,<br />

avec l’aide du CPIE, la réalisation touche à sa fin avec<br />

l’édition d’une petite plaquette-guide.<br />

À Rodès, l’association Cérès créée en 2001 a balisé<br />

plusieurs sentiers : celui de Les Cases, celui du plateau,<br />

la carrerade du roc Sabardane, la carrerade du Borbonné, le<br />

sentier de la carrière (ill. 6). Malheureusement l’incendie<br />

de 2005 a détruit en partie le travail effectué.<br />

À Arboussols, l’association de Marcevol a entrepris<br />

en 2006-2007, avec l’aide de l’Association Archéologique<br />

des Pyrénées-Orientales, le débroussaillage de l’ancien<br />

chemin de pèlerinage qui, depuis Vinça, montait vers le<br />

prieuré de Marcevol.<br />

Ces divers organismes, qui travaillent parfois en liaison<br />

avec les mairies, se montrent soucieux de préserver et de<br />

mettre en valeur le petit patrimoine rural dont font partie<br />

les vieux chemins. Assez souvent le tracé sur le terrain<br />

a été retrouvé et dégagé des arbustes et broussailles qui<br />

l’encombrent. Rares sont les anciens chemins qui n’ont<br />

pas retrouvé, dans ce secteur, une deuxième vie. On peut<br />

cependant déplorer parfois une vision par trop « municipale<br />

» de ces réouvertures : bien sûr, il y a la nécessité de<br />

revenir au point de départ mais à trop vouloir refermer le<br />

cercle on finit par enfermer. Espérons que la constitution<br />

des communautés de communes permettra de redonner<br />

aux chemins l’une de leurs vocations premières : celle<br />

d’aller de l’avant.<br />

13. Carte de randonnées au 1 : 50 000, Canigou,Vallespir, Fenouillèdes, Pyrénées<br />

carte n o 10, cartographie IGN, 1991.<br />

14. Carte TOP 25, 2448 OT, Thuir, Ille-sur-Têt, IGN, 1999.<br />

6 - Panneau apposé par l’association CERES de Rodès.


Des routes aux sentiers de randonnée<br />

367<br />

Conclusion :<br />

lA nature comme parc de loisirs ?<br />

Apparemment la boucle est bouclée : après le temps des<br />

chemins vient le temps des routes puis celui des pistes et<br />

des sentiers, lesquels reprennent les tracés des chemins<br />

primitifs. Mais quelle différence ! Les chemins aussi ont<br />

leur histoire, disions-nous, mais cette histoire ne fait que<br />

témoigner de l’histoire des hommes. Pendant des siècles,<br />

les villages de ce secteur de pentes et de plateau, comme<br />

tous les villages, ont été des centres de production essentiellement<br />

agricole, voués à la polyculture et donc presque<br />

autarciques. Les échanges n’y occupaient qu’une part<br />

réduite de l’activité : le réseau viaire desservait d’abord les<br />

champs, les villages et les petites villes du voisinage avec<br />

leur marché.<br />

Dans la deuxième moitié du XIX e siècle, le secteur accède<br />

au marché national : le train arrive à Ille en 1869. La<br />

monoculture de la vigne se met en place, accélérée plutôt<br />

que freinée par le phylloxera et, avec elle, la prépondérance<br />

des échanges, d’où la nécessité des routes qui draineront<br />

les récoltes vers la ville et en ramèneront les produits<br />

manufacturés désormais nécessaires.<br />

Nous vivons aujourd’hui la phase extrême de ce processus<br />

de division du travail : les villages considérés voient se<br />

réduire d’année en année la surface cultivée, les producteurs<br />

y sont désormais fortement minoritaires. De centre<br />

de production qu’ils étaient, ils sont devenus des lieux<br />

d’habitats artificiels, peuplés de retraités, de salariés travaillant<br />

à la ville et de résidents secondaires. Le village ne<br />

vit que grâce à la ville et les routes jouent le rôle de tuyaux<br />

de perfusion qu’on agrandit sans cesse, dont on supprime<br />

les courbes ou les pentes trop raides pour accélérer<br />

l’écoulement des flux nourriciers. Inversement les terroirs<br />

abandonnés par les cultures voient arriver de la ville des<br />

groupes hétéroclites à la recherche de loisirs : les chasseurs<br />

qui grossissent les rangs clairsemés des amateurs<br />

locaux et les randonneurs. Étrange évolution : la marche<br />

qui, pendant des millénaires, a été indissolublement liée<br />

au travail, au moins à la campagne, est devenue une activité<br />

autonome et désormais l’on prend sa voiture pour<br />

aller marcher ! Non moins stupéfiant : la Terre-Mère, la<br />

Terre Nourricière est devenue inutile et réduite au rang<br />

de Paysage à contempler. Et les chemins qui ont si longtemps<br />

porté l’activité des hommes promènent à présent<br />

leur oisiveté.


chapitre XIII<br />

Des terrasses à perte de vue...<br />

De la mise en valeur systématique<br />

d’un territoire à sa déprise (de 1832 à nos jours)<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau<br />

avec la collaboration de Patrice Alessandri* et de Carine Coupeau-Passarrius<br />

L’incendie du mois d’août 2005 a réduit en cendres<br />

près de 1 970 hectares de maquis et de forêt mettant au<br />

jour tout un paysage construit, fortement marqué par<br />

l’activité passée des hommes. Sur le plateau, les parcelles<br />

s’organisent autour de dépressions, des prés le plus<br />

souvent irrigués par de petits cours d’eau intermittents<br />

détournés à grand peine. Flanqués de bergeries, appelées<br />

cortals dans nos régions , ces pâturages inondés en hiver<br />

sont desservis par des chemins de troupeaux, des drailles<br />

dénommées carrerades, qui depuis les villages de la vallée<br />

deviennent le fuseau de parcours d’immenses troupeaux,<br />

au milieu de vignes ou d’oliveraies soigneusement mises<br />

en défens par de hauts murs. Ce paysage a un aspect in-<br />

* Pour l’étude du mobilier céramique.<br />

. On doit distinguer le cortal du corral, espace non bâti, servant d’enclos<br />

à bétail. Comme le suggère le dictionnaire d’Alcover (Alcover 1977), dans<br />

un coin de l’enclos (corral) peut se trouver une bergerie (cortal) : corral et<br />

cortal sont complémentaires. Alcover donne les définitions suivantes pour ces<br />

deux mots, en citant un long passage de l’ethnologue, philologue et romaniste<br />

allemand Fritz Krüger (c’est nous qui traduisons).<br />

- CORTAL : grand enclos (corral) où est édifié un espace couvert, en un lieu<br />

inhabité, pour garder le bétail et les instruments de labour (Ross., Vallespir,<br />

Cerdanya, Andorra, Ribera de Cardós). « Les cortals d’Andorre sont remarquables<br />

: ces cortals sont des lieux d’estive, occupés par les Andorrans pour<br />

compenser, par l’élevage du bétail et la mise en culture des champs d’altitude,<br />

la maigre production des villages de la vallée. Les cortals, habités du printemps<br />

au mois d’août forment un ensemble de constructions (bordes), c’est-à-dire<br />

d’enclos et de granges (corts i magatzems d’herba), auxquelles est adjointe<br />

une cabane d’habitation du berger et parfois un orri pour la préparation du fromage,<br />

et toujours quelques parcelles de terre où l’on cultive un peu d’avoine,<br />

des pommes de terre, des fèves et parfois aussi du tabac... » Fritz Krüger, Die<br />

Hochpyrenäen, Hambourg, 1934-1939, A, I, 70-71.<br />

- CORRAL : Attenant à la maison ou isolé, c’est un espace fermé par des murs,<br />

totalement ou en partie découvert, et destiné à garder les animaux, le fumier,<br />

ou à cultiver les légumes.<br />

temporel, figé par les paysans qui l’ont entretenu et transmis<br />

de génération en génération, la détermination de son<br />

origine, sa datation étaient un des enjeux délicats de notre<br />

étude de la <strong>montagne</strong> brûlée.<br />

La lecture de ces paysages est difficile, comme toute<br />

tentative de datation des différentes phases de sa morphogenèse.<br />

Nous avons choisi de prendre en compte<br />

dans cette étude cinq secteurs, qui représentent une<br />

superficie non négligeable, même si elle peut apparaître<br />

faible au vu de l’emprise de la zone dévastée par l’incendie.<br />

Ces zones d’étude ont été choisies en fonction de leur<br />

position géographique, de la représentativité des aménagements<br />

culturaux qu’elles contiennent et des outils de<br />

datation qu’elles mettaient à notre disposition. La première<br />

zone englobe le massif granitique du Puig Pedrous,<br />

sur la commune de Montalba-le-Château (ill. 2). Elle<br />

offre l’intérêt de réunir trois formes de mise en valeur<br />

différentes et complémentaires : le territoire d’une bergerie<br />

déjà en fonction en 1832 (date du cadastre « napoléonien<br />

»), de remarquables aménagements en terrasses<br />

sur les pentes du Pedrous et, dans le ravin de L’Oulibastre,<br />

des terres limoneuses et irrigables gagnées sur le lit majeur<br />

du ruisseau. Le second secteur est celui du cortal<br />

Domenech et de son territoire , avec les aménagements<br />

du Pouchinel à l’ouest et du Puig Sinell à l’est (ill. 2).<br />

. Commune d’Ille-sur-Têt.


370 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

1 - Paysage de terrasses avec cabane à encorbellement, au-dessus du village médiéval déserté de Casesnoves (cl. A. Catafau).<br />

Le troisième secteur prend en compte le versant du<br />

Bellagre qui domine la vallée de la Têt . Cette zone offre<br />

des exemples de parcelles mises en défens contre les<br />

dégâts des troupeaux qui paissent dans d’immenses pâtures<br />

communales. Le quatrième secteur correspond à la<br />

partie méridionale du plateau de Montalba et couvre les<br />

lieux-dits du Bourbonné et des Balmettes, zone de transition<br />

entre l’élevage et la vigne qui devient omniprésente<br />

au XIX e siècle sur les versants escarpés . Enfin, le dernier<br />

secteur est celui du lieu-dit Pont de Labau, dont les terres<br />

riches et soigneusement mises en culture dominent les<br />

gorges de La Guillera .<br />

L’ensemble de ces secteurs a été finement prospecté :<br />

tous les vestiges (céramiques) et tous les aménagements<br />

du sol et élévations ont été pris en compte. Nous avons<br />

. Commune d’Ille-sur-Têt.<br />

. Commune de Rodès.<br />

. Commune de Rodès.<br />

ainsi établi la localisation et la description des cabanes à<br />

couvertures en encorbellement, ainsi que le relevé en plan<br />

et l’étude des autres constructions telles que les mas, enclos,<br />

bergeries ou cortals. Sur le terrain, l’analyse de chaque<br />

parcelle avec le relevé des aménagements culturaux<br />

qu’elle contient a été systématiquement confronté aux<br />

deux cadastres de 1832/1834 et de 1941/1946.<br />

La consultation des registres d’état des sections a permis<br />

d’identifier le propriétaire et le type de culture pratiquée<br />

pour chacune de ces parcelles. Sur le territoire<br />

des communes de Montalba et d’Ille-sur-Têt, qui ont<br />

conservé les registres de mises à jour de l’état de section<br />

, l’histoire précise de chaque parcelle a permis de<br />

mieux comprendre les évolutions globales du territoire,<br />

tourmenté par les crises phytosanitaires d’abord, puis<br />

démographiques avec la première guerre mondiale.<br />

. ADPO, 1251W67D (fiches x), pour la commune d’Ille-sur-Têt par exemple.


DES TERRASSES à PERTE DE VUE<br />

371<br />

N<br />

Montalba<br />

Puig Pedrous<br />

Rav. de Bellagre<br />

Sarrat Blanc<br />

554<br />

Puig Pédrous<br />

437<br />

Le Tarerach<br />

Bourbonné<br />

et Balmettes<br />

Bellagre<br />

Le Casesnoves<br />

Domenech<br />

Dardenne<br />

Casesnoves<br />

La<br />

Cougoulère<br />

530<br />

Ropidera<br />

Poun de Labau<br />

La Têt<br />

Ille-sur-Têt<br />

Rodès<br />

Bouleternère<br />

Le Boulès<br />

Vinça<br />

Ravin de Montjuich<br />

Limite du feu<br />

Prairies<br />

0 1000m<br />

2 - Carte de la zone incendiée avec emprise des secteurs pris en compte dans cette étude (en jaune).<br />

I - un TerrIToIre en consTrucTIon,<br />

l’ÂGe D’or Des xvIII e eT xIx e sIècles<br />

3 - La zone du Puig Pedrous vue depuis le nord-ouest. Au premier plan, le ravin de l’Oulibastre<br />

qui se jette à droite dans le ruisseau de la Bernouse. Au second plan, les versants déchiquetés du<br />

Pedrous et en haut de la photo, les grandes pâtures avec la vigne mise en défens par un mur<br />

(cl. O. Passarrius).<br />

I.1 - Le puig pedrous (commune de montalbale-château)<br />

Ce secteur d’étude se trouve sur la commune<br />

de montalba-le-Château, en bordure de la limite<br />

de commune avec Ille-sur-Têt. Le Puig Pedrous<br />

est un massif granitique qui culmine à 437 m<br />

d’altitude et qui borde au nord le torrent du<br />

Bellagre, le seul cours d’eau de la zone qui ne soit<br />

pas totalement asséché durant l’étiage (ill. 3). Le<br />

secteur d’étude ainsi pris en compte couvre une<br />

superficie d’environ 65 hectares et est délimité<br />

au nord par le ravin de L’Oulibastre 7 , à l’est par le<br />

ravin de La Bernouse, au sud par la limite communale<br />

avec Ille et à l’ouest par le Bellagre.<br />

. Dérivé de ullastre, en catalan olivier sauvage.


372 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

4 - Plan cadastral napoléonien (commune de Montalba-le-Château, section B2 et B3). Partie nord de la zone étudiée.<br />

Sur ce secteur se trouvent trois ruines : la première<br />

est mentionnée comme cortal sur les matrices du plan<br />

cadastral de 1833 tandis que la seconde, une bergerie<br />

elle aussi, est de toute évidence postérieure à la première<br />

moitié du XIX e siècle . La troisième construction se<br />

trouve sur la rive ouest du ruisseau de L’Oulibastre et<br />

son occupation pourrait remonter au XVI e siècle 10 . La<br />

présence de ces bâtiments a conditionné le choix de cette<br />

zone pour l’étude. En outre sa géographie associe au<br />

nord une zone de plateau le long de La Bernouse (riv.),<br />

au sud-ouest le lit majeur de L’Oulibastre soigneusement<br />

mis en culture, au sud-est enfin les pentes abruptes du<br />

Pedrous, partiellement couvertes de terrasses aux allures<br />

anciennes.<br />

L’aménagement de la parcelle 1351 est remarquable et<br />

mérite que l’on s’y attarde un peu (ill. 4). En 1833, elle<br />

. Cadastre de Montalba : matrice des propriétés bâties et non bâties jusqu’en<br />

1914 : 1016W234 ; 1016W235, état des sections : 1025W117.<br />

. Cette construction n’apparaît pas sur le cadastre napoléonien. L’usage du<br />

mortier comme liant, la présence de briques dans l’encadrement des ouvertures<br />

confirment cette datation.<br />

10. Il s’agit du point 427. Cette datation repose sur la présence de nombreux<br />

fragments de céramique.<br />

est mentionnée en vigne et appartient à un dénommé<br />

Baptiste Estève escoula, peut-être le curé de Montalbale-Château.<br />

Cette parcelle, de 6 240 m 2 de superficie, est<br />

enclose par un puissant mur qui est conservé encore au<br />

nord et à l’ouest (ill. 5 et 6). La limite sud de la parcelle<br />

est matérialisée par l’arrêt des terrasses et quelques gros<br />

blocs tandis qu’à l’est la parcelle bute contre le ruisseau.<br />

Le mur, construit en blocs laissés bruts, est haut d’environ<br />

1,40 m pour une largeur moyenne de 50 cm (ill. 7<br />

et 8). De gros blocs ont été utilisés à la base tandis que<br />

l’arase est faite de pierres de forme rectangulaire aussi<br />

longues que la largeur de la construction et disposées<br />

de chant. Les parcelles 1352 et 1354, qui touchent au<br />

nord à la parcelle qui nous occupe ici, sont mentionnées<br />

comme étant des pâtures en 1833. La présence de ces<br />

friches, en pâture, justifie l’existence du mur, déjà présent<br />

en 1833, puisqu’il a à cette date servi de repère pour la<br />

levée du cadastre napoléonien. La construction, dont le<br />

tracé est irrégulier compte tenu de la présence de chaos<br />

granitique, a servi à fixer les limites de la parcelle et non<br />

le contraire.


Des terrasses à perte de vue<br />

373<br />

Cabane<br />

5 - Vue aérienne de la parcelle 1351, une vigne en 1832 mise en défens contre les<br />

troupeaux par la construction d’un mur de 1,60 m de haut (cl. P. Roca).<br />

6 - Vue aérienne de la parcelle 1351. à l’intérieur de l’enclos, on distingue la cabane et<br />

le tracé des terrasses (cl. O. Passarrius).<br />

7 - Le mur de la parcelle 1351 avec au second plan la cabane à encorbellement<br />

(cl. A. Catafau).<br />

8 - Détail du mur de la parcelle 1351 (cl. A. Catafau).<br />

À l’origine, le terrain était en légère pente vers l’est,<br />

avant que ne soit construit tout un système de terrasses.<br />

Ces murs mesurent entre 25 et 40 cm d’épaisseur<br />

formant des banquettes qui peuvent atteindre 9 m de<br />

largeur, organisées en longues lanières autorisant le labour.<br />

Une cabane à encorbellement, parfaitement intégrée<br />

aux terrasses, se trouve dans le quart nord de la<br />

parcelle. Elle présente au sol un plan circulaire et une<br />

hauteur sous voûte d’environ 2,20 m. L’accès se fait par<br />

une porte haute de 1,10 m pour environ 60 cm de largeur.<br />

Près de cette cabane, deux à trois mètres carrés<br />

sont aménagés avec de petites terrasses, qui pourraient<br />

évoquer un potager.<br />

En 1946, cette parcelle est mentionnée comme pâture<br />

et appartient à Joseph Gaze. Les prospections de surface<br />

ont permis de collecter une vingtaine de tessons de céramique<br />

couvrant une vaste période chronologique comprise<br />

entre le XV e siècle et le milieu du XX e siècle, sans<br />

que l’on puisse malheureusement les rattacher formellement<br />

aux aménagements observés sur le terrain.


374 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

9 - Le cortal de Pierre Paicha avec ses terres en 1832 (cl. O. Passarrius).<br />

À trois cents mètres à l’ouest de cette parcelle, un bâtiment<br />

reporté sur le cadastre et aujourd’hui en ruine est<br />

mentionné en 1833 comme cortal sur le plan cadastral<br />

napoléonien (parcelle 1335) et appartient à Pierre Paicha<br />

fils de Barthélemy, de Montalba (ill. 9). Autour de ce cortal<br />

se trouvent six des dix parcelles appartenant au même<br />

propriétaire et qui définissent le territoire du bâtiment.<br />

Une grande partie correspond à des « terres », qui dans la<br />

typologie des propriétés cadastrales désignent les champs,<br />

éventuellement labourés, par opposition aux pâtures et<br />

rochers (incultes) et aux autres formes de cultures plus<br />

spécialisées, comme jardins, vignes, oliviers ou prés. Ces<br />

« terres » profitent d’un relief assez plat, ponctuellement<br />

parsemé de chaos (87 % de la surface est cultivée). La parcelle<br />

1350 comporte des tas d’épierrement stockés là où<br />

le socle rocheux affleure. La parcelle 1336, elle aussi une<br />

terre, est aménagée de terrasses peu élevées mais organisées<br />

en grandes lanières labourables. Les pâtures sont<br />

peu représentées (7 %) et correspondent à des zones au<br />

terrain ingrat, souvent de vastes chaos granitiques. Par<br />

contre, un pré est mentionné dans la zone (parcelle 1334).<br />

Cette parcelle mesure 1 480 m 2 , elle occupe le fond d’un<br />

léger vallon parcouru par un petit cours d’eau intermittent<br />

dont le lit, canalisé, a été déplacé vers le nord, mais a<br />

continué d’être utilisé pour l’irrigation du pré. En 1946,<br />

cette parcelle est divisée en deux mais appartient pourtant<br />

au même propriétaire. Ces deux parties sont de superficie<br />

égale, l’une est une terre, l’autre une pâture.<br />

10 - Frontière entre les parcelles 1342 et 1349 constituée d’un mur de soutènement<br />

fermant le talweg et maintenant les sédiments (cl. A. Catafau).


Des terrasses à perte de vue<br />

375<br />

11 - Plan cadastral napoléonien (commune de Montalba-le-Château, section B2 et B3). Partie sud de la zone étudiée.<br />

L’aménagement de la parcelle 1342, située à 150 m au<br />

sud-ouest, témoigne de la volonté d’arracher à l’inculte<br />

le moindre espace de terrain. Cette parcelle occupe un<br />

vallon qui descend d’un vaste chaos granitique. Le ruisseau<br />

intermittent qui naît à cet endroit a été canalisé et<br />

cantonné à l’est le long d’une paroi formée par un autre<br />

massif granitique : l’objectif était de mettre en culture la<br />

plus grande partie du talweg et de bénéficier ainsi du sédiment<br />

limoneux qui le colmate (ill. 10). Cette parcelle<br />

est aménagée par de longues terrasses, hautes d’environ<br />

50 cm et faites de blocs de taille hétérogène laissés bruts.<br />

Sur le cadastre napoléonien, la limite ouest (1039) de la<br />

parcelle correspond en fait sur le terrain au dernier mur<br />

de terrasses qui fait ici office de mur de soutènement.<br />

L’ensemble de ces aménagements existait donc déjà<br />

en 1833. Deux fragments de céramique commune médiévale<br />

pourraient laisser supposer une exploitation plus<br />

ancienne de ce secteur. En bas de parcelle, en limite avec<br />

la parcelle 1349, se trouve un mur de soutènement haut<br />

de plus de deux mètres qui permet de maintenir le sédiment<br />

piégé en amont dans le talweg.<br />

En 1833, les parcelles 1349, 1008, 1007 et 1010 sont<br />

mentionnées comme terres (ill. 11). Elles sont installées<br />

au fond d’un léger vallon et la pente, vers le sud-ouest,<br />

est compensée par des murs de terrasses qui forment de<br />

longues lanières pour le labour. Sur les premiers contreforts<br />

dominant au nord ces parcelles se trouve une bergerie<br />

qui n’est pas reportée sur le cadastre napoléonien, ni<br />

d’ailleurs sur celui de 1946. Cette construction présente<br />

un plan rectangulaire et est couverte par une toiture de<br />

tuiles, à pan unique. Les seules ouvertures observées sont<br />

des fenêtres à simple ébrasement. Les murs sont liés au<br />

mortier de chaux alors que les bâtiments existant au début<br />

du XIX e siècle emploient systématiquement la terre<br />

comme liant. Dans l’état, il est impossible de dater précisément<br />

cette construction mais il est probable qu’elle soit<br />

postérieure à la levée du cadastre de 1946.<br />

La parcelle 1004, d’environ 16 hectares, correspond aux<br />

pentes abruptes du Puig Pedrous. Cette pâture est propriété<br />

communale en 1833 et le restera au moins jusqu’en 1946.<br />

Une grande partie de ce massif est aménagée de terrasses<br />

d’allure ancienne souvent construites à l’aide de gros blocs,


376 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

des « boules » de granit arrachées aux chaos (ill. 12). Bon<br />

nombre de ces terrasses sont aujourd’hui démantelées<br />

et le profil naturel du versant est restitué quasiment<br />

partout. L’abandon de ces terrasses, des banquettes de<br />

quelques mètres carrés parfois, semble consommé au début<br />

du XIX e siècle. Il est difficile de déterminer le type<br />

de culture qu’elles ont pu recevoir mais leur typologie<br />

et leurs dimensions réduites laissent supposer qu’elles<br />

accueillaient de la vigne ou des oliviers plutôt que des<br />

cultures labourées.<br />

12 - Vieilles terrasses démantelées sur les pentes du Puig Pedrous (cl. A. Catafau).<br />

13 - Terrasses de la parcelle 999 (cl. A. Catafau).<br />

14 - Cabane à encorbellement de la parcelle 999 (cl. A. Catafau).<br />

Les parcelles 998 et 999 sont accrochées aux pentes<br />

du Pedrous et dominent le torrent du Bellagre. En<br />

1833, ces deux parcelles sont plantées en vigne et les<br />

aménagements qui sont encore visibles aujourd’hui<br />

existaient déjà à cette date. Ces parcelles, orientées au<br />

sud-ouest, s’insèrent dans la parcelle 1004 qui est une<br />

pâture communale. Cette localisation a encouragé le<br />

cultivateur à protéger ses cultures, notamment à l’ouest.<br />

Au nord et à l’est, les parcelles, confondues alors sur le<br />

terrain, butent sur une barre rocheuse et au sud l’accès<br />

est rendu difficile par les gorges du Bellagre. À l’ouest,<br />

la limite est matérialisée par un mur de pierres sèches,<br />

soigneusement parementé, haut de 1,20 m et large de<br />

55 cm en moyenne. Un passage d’environ 1,25 m est<br />

aménagé dans le mur et permet d’accéder à une cabane<br />

à encorbellement construite à un endroit où le socle rocheux<br />

affleure. Cette construction est intégrée au système<br />

de murs de terrasses. Elle possède un plan circulaire,<br />

de 1,70 m de diamètre et une hauteur sous voûte<br />

de 2,50 m. La porte, qui ouvre au sud, mesure 48 cm<br />

de largeur pour une hauteur de 1,18 m. Les terrasses<br />

forment des banquettes profondes en moyenne de 5 m<br />

pour une hauteur oscillant entre 40 cm et près de 1 m<br />

(ill. 13 et 14). Elles sont construites à l’aide de blocs<br />

(30/60 cm) laissés bruts ou parfois cassés au marteau.<br />

En 1946, ces deux parcelles appartiennent aux enfants<br />

Bernadoyes : Jean a hérité des deux tiers tandis que sa<br />

sœur n’a obtenu que le reste qui semble correspondre à<br />

la partie ingrate qui borde le cours d’eau.<br />

Les parcelles 1002 et 1009 présentent des intérêts multiples<br />

qui reposent avant tout sur le fait que l’une des cabanes,<br />

en relation avec une extension de la zone cultivée,<br />

porte la date de 1836, trois ans après la date du premier<br />

cadastre (ill. 15).


Des terrasses à perte de vue<br />

377<br />

15 - Parcelles 1002 et 1009 avec au centre la cabane portant sur son linteau la date de 1836<br />

(cl. A. Catafau).<br />

Cabane (1836)<br />

Extension 1002<br />

postérieure à 1833<br />

Parcelle 1002<br />

Cadastre de 1833<br />

Mur de protection contre les troupeaux<br />

Cabane existant avant 1833<br />

Cabane existant avant 1833<br />

Extension 1009 1003<br />

postérieure à 1833<br />

Parcelle 1009 1003<br />

Cadastre de 1833<br />

16 - Évolution des aménagements des parcelles 1002 et 1009, accrochées aux versants abrupts du Puig<br />

Pedrous (cl. P. Roca).<br />

17 - Terrasses de la parcelle 1002 (cl. A. Catafau).<br />

En 1833, les deux parcelles correspondent<br />

à l’image fournie par la matrice cadastrale.<br />

La parcelle 1002 est une vigne<br />

et mesure 1 280 m 2 de superficie tandis<br />

que la parcelle 1009, une vigne aussi, atteint<br />

2 550 m 2 . À cette époque, ces deux<br />

parcelles occupent le bas du versant et<br />

touchent au torrent du Bellagre (ill. 16).<br />

Elles sont toutes deux munies d’une cabane<br />

à encorbellement, bien intégrée au<br />

système de terrasses qui est en place au<br />

début du XIX e siècle. Dans le courant<br />

des années 1830, et peut-être autour<br />

de 1836, ces deux parcelles sont agrandies<br />

: on gagne sur la pente en remontant<br />

avec des terrasses qui s’accrochent alors à<br />

un relief de plus en plus escarpé. En haut<br />

de cette extension, les deux parcelles finissent<br />

même par se rejoindre et les murs<br />

de terrasse construits en continu, dans<br />

un même mouvement, forment de longues<br />

lanières uniques (ill. 17).


378 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

18 - Cabane construite lors de l’extension de la parcelle 1002 et portant la date<br />

de 1836 sur son linteau (cl. A. Catafau).<br />

19 - En haut, plan cadastral napoléonien (1833), en bas plan cadastral daté de 1946.<br />

La parcelle 1009 a disparu. En 1946, cette zone est entièrement retournée à la friche.<br />

20 - Le ruisseau de l’Oulibastre dont le lit a été contraint pour l’aménagement des<br />

parcelles (cl. A. Catafau).<br />

En 1833, les parcelles 1002 et 1009 appartiennent à<br />

deux frères, Baptiste et Félix Vassal, qui se sont entendus<br />

pour défricher et mettre en culture ce versant. Deux nouvelles<br />

cabanes sont alors construites pour suppléer à l’éloignement<br />

des deux plus anciennes, toujours fonctionnelles<br />

mais bien trop basses dans la pente. L’une de ces nouvelles<br />

cabanes à encorbellement porte la date de 1836, gravée<br />

sur le linteau de granit (ill. 18). L’extension de ces parcelles<br />

est destinée à accueillir des oliviers dont plusieurs grosses<br />

souches, carbonisées, sont encore en place et forment des<br />

surgeons. Des marches aménagées dans les terrasses facilitent<br />

le travail. En haut des parcelles, la limite est formée<br />

par un mur de pierres sèches, effondré mais possédant<br />

une élévation encore conservée de plus d’un mètre, qui<br />

permettait de protéger les cultures – les jeunes oliviers ou<br />

les bourgeons de printemps de la vigne située plus bas –<br />

des troupeaux qui paissent sur le Puig Pedrous. En 1946,<br />

l’ensemble de ce versant est mentionné comme pâture et<br />

est probablement en friche. Aucun des cadastres n’a gardé<br />

trace de l’extension des parcelles, de cette poursuite tout<br />

au long du XIX e siècle du travail de défrichement. Bien<br />

au contraire, les limites même de la parcelle 1009 se sont<br />

effacées sur le cadastre de 1946 (ill. 19).<br />

Le vallon de L’Oulibastre, parcouru par un cours d’eau<br />

intermittent, a également fait l’objet de travaux importants<br />

destinés à le mettre en culture pour profiter des<br />

limons de son lit (ill. 20). Ce ruisseau naît dans le lieudit<br />

de L’Oulibastre, dans une prairie aujourd’hui humide<br />

d’où jaillissent des sources. Long d’environ 800 m, il se<br />

jette ensuite dans le torrent du Bellagre qui est le seul<br />

cours d’eau de la zone à couler en période d’étiage.<br />

La parcelle 997 se trouve quasiment au confluent des<br />

deux ruisseaux. Mentionnée comme « terre » en 1833,<br />

elle est aménagée de terrasses en grande partie démantelées.<br />

Elles sont construites avec des matériaux hétérogènes<br />

où les gros blocs arrachés au chaos côtoient<br />

de plus petits éléments. Les autres parcelles présentent<br />

des aménagements assez semblables (ill. 21).


Des terrasses à perte de vue<br />

379<br />

21 - Le mur de terrasse à gauche maintient les terres, au centre de la photo, la parcelle<br />

1017, gagnée sur le lit du ruisseau de l’Oulibastre qui a été canalisé et rejeté en<br />

bordure du vallon (cl. A. Catafau).<br />

Le lit du talweg mesure entre 10 et 25 m de largeur et<br />

a été mis en culture une fois le ruisseau canalisé contre<br />

l’une des parois du vallon, qui est ici relativement encaissé.<br />

Par endroits les rives sont maintenues par des<br />

murs de soutènement qui atteignent jusqu’à 1,80 m<br />

d’élévation. Dans l’un de ces murs (parcelle 991) se<br />

trouve une cabane intégrée dans la construction. En<br />

1833, cette parcelle est mentionnée comme jardin mais<br />

le terme est barré et remplacé par « terre ». En 1833, la<br />

quasi-totalité des parcelles aménagées dans le talweg<br />

est mentionnée comme terre, seule la parcelle 993 est<br />

cultivée en vigne. En 1946, la réalité est bien différente<br />

: l’ensemble de ces terrains est mentionné comme<br />

pâture et paraît à l’abandon. Seules les parcelles 1014<br />

et 1020, une terre et une vigne en 1832, sont encore<br />

exploitées tandis que les parcelles 996 et 1016, jadis<br />

des terres, sont alors enregistrées sous le terme de « rocher<br />

». Elles correspondent à des secteurs dévastés par<br />

le ruisseau qui a quitté son canal, faute d’entretien, et<br />

qui a lessivé le sol jusqu’au socle rocheux, laissant sur<br />

place de volumineux blocs de granit et du gravier.<br />

En 1833, la parcelle 987 est mentionnée comme pâture.<br />

Pourtant cette parcelle est aménagée de terrasses<br />

en partie démantelées (ill. 22). À l’image des terrasses<br />

abandonnées des pentes du Pedrous, elles sont faites dans<br />

leurs parties conservées de volumineuses boules arrachées<br />

aux chaos granitiques locaux. Par endroits, la pente<br />

est relativement forte et le terrain est totalement lessivé<br />

par l’érosion. Sur un léger replat dominant le torrent de<br />

L’Oulibastre, la prospection a permis de collecter environ<br />

80 fragments de céramique, toutes datées entre 1850<br />

22 - Vieilles terrasses de la parcelle 987 (cl. A. Catafau).<br />

et 1950 11 . Ce mobilier, présent sur une cinquantaine de<br />

mètres carrés est associé à quelques fragments de tuile<br />

courbe. On peut supposer la présence à cet endroit soit<br />

d’un bâti démonté lors de la construction des terrasses,<br />

soit d’une sorte d’appentis, construit sur ces terrasses, un<br />

abri en relation avec les aménagements observés. La parcelle<br />

990 est encore aujourd’hui aménagée de terrasses,<br />

hautes de plus d’un mètre, bien conservées. Cette parcelle,<br />

très en pente vers le sud, occupe un vallon naissant.<br />

En bordure, les prospections ont permis de découvrir les<br />

vestiges très abîmés d’une construction en pierres sèches<br />

dont seul un angle est conservé 12 . À cet endroit et dans la<br />

pente, le mobilier est abondant et semble pouvoir remonter<br />

au milieu du XVI e siècle même si l’on note la présence<br />

d’indices récents, datés du XX e siècle. Ce bâti ne correspond<br />

pas à une habitation mais plutôt à un habitat temporaire<br />

en relation avec les terrasses de la parcelle 990.<br />

I.2 - Le secteur du Mas Domenech (commune d’Illesur-Têt)<br />

Cette seconde zone se trouve sur la commune d’Illesur-Têt.<br />

elle a été choisie en partie parce qu’elle était<br />

susceptible de se superposer au territoire du Mas d’en<br />

Domenech dont le ou l’un des cortals se trouve ici. Ce<br />

secteur s’étend des rives du ravin de Casesnoves jusqu’à<br />

la butte du Puig Sinell. Nous avons prospecté ce secteur<br />

avec pour support les extraits du cadastre napoléonien,<br />

afin de repérer et d’analyser les différentes composantes<br />

du paysage depuis la fin du Moyen Âge, lorsque cela était<br />

possible.<br />

11. Il s’agit du point 219.<br />

12. Point 427.


380 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

23 - Partie est du secteur du cortal Domenech, autour du massif du Pouchinel (plan cadastral napoléonien, commune d’Ille-sur-Têt, section D3).<br />

24 - Parcelle 822 aménagée dans le talweg, en profitant du lit de la Bernouse (cl. A. Catafau). 25 - Le ruisseau canalisé pour l’aménagement de la parcelle 822<br />

(cl. A. Catafau).


Des terrasses à perte de vue<br />

381<br />

La parcelle 822, toute en longueur,<br />

a été gagnée sur le lit majeur<br />

du torrent de Casesnoves (ill. 23).<br />

En 1832, elle est mentionnée comme<br />

« terre ». À cet endroit, le lit de<br />

la rivière a été aménagé et le tracé<br />

du cours d’eau a été contraint au<br />

sud-ouest, canalisé afin de mettre<br />

en culture l’espace ainsi libéré<br />

(ill. 24 et 25). La limite nord de<br />

la parcelle, mitoyenne de la parcelle<br />

820, est matérialisée sur le<br />

terrain par un mur de terrasse qui<br />

fait office de mur de soutènement.<br />

Cette construction est antérieure<br />

à la levée du cadastre de 1832 car<br />

c’est bien le tracé sinueux du mur<br />

qui a fixé la limite parcellaire et non<br />

le contraire. En 1947, cette parcelle<br />

n’existe plus, elle a été rattachée aux<br />

parcelles 820 et 821 pour former<br />

une pâture de plus de cinq hectares.<br />

La parcelle 1046 se trouve de<br />

l’autre côté du ravin et occupe, sur<br />

plus de 10 hectares, une grande<br />

partie du versant, exposé au nord<br />

et aux vents dominants (ill. 27).<br />

Cette parcelle, dont la pente est<br />

parfois forte, est aménagée de murs<br />

de terrasses là où la déclivité est<br />

moins accentuée. Mentionnée en<br />

pâture en 1832, elle l’est toujours<br />

en 1914/1941. La datation des<br />

aménagements observés n’est pas<br />

aisée mais il est possible qu’ils soient<br />

antérieurs au début du XIX e siècle,<br />

même si on ne peut écarter l’idée<br />

qu’ils aient été construits et abandonnés<br />

durant la période de 80 ou<br />

110 ans qui sépare les deux registres.<br />

En 1914/1941, cette parcelle<br />

englobe d’anciennes parcelles jadis<br />

cultivées en vigne (1047, 1048<br />

et 1049), installées sur des replats.<br />

26 - Terrasses de la parcelle 824 qui dévalent les pentes du massif du Pouchinel. Cette parcelle est mentionnée<br />

comme pâture en 1832 mais aussi en 1914/1941 (cl. P. Roca).<br />

27 - La parcelle 1046 est une vaste pâture communale en 1832. Elle est encore mentionnée ainsi sur le registre des<br />

années 1914/1941. On note cependant la présence de nombreuses terrasses, probablement construites dans le<br />

courant du XIX e siècle et abandonnées avant la première guerre mondiale (cl. O. Passarrius).


382 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

28 - Vue aérienne de la parcelle 833 mise en défens par un mur qui la protège des grandes pâtures situées au nord (cl. O. Passarrius).<br />

En 1832, la parcelle 820 est une pâture de près de cinq<br />

hectares, exposée au sud mais dont le terrain est pentu.<br />

De nombreux murs de terrasses subsistent : leur mode<br />

de construction – des murs de 30 à 50 cm de hauteur, en<br />

petit appareil, pour des banquettes peu profondes – laisse<br />

supposer qu’ils sont assez récents et liés à une phase de<br />

culture de la vigne postérieure à 1832 et déjà abandonnée<br />

à l’orée de la première guerre mondiale. La parcelle 821<br />

est cultivée en vigne en 1832 et les vestiges que l’on peut<br />

encore y observer (murs de terrasses, cabane à encorbellement)<br />

correspondent vraisemblablement à cette période.<br />

En 1914/1941, toute culture y est abandonnée, la<br />

parcelle est alors mentionnée comme pâture.<br />

La parcelle 824 est, en 1832, une pâture de 1,6 hectare<br />

(ill. 26). Elle est encore mentionnée comme telle<br />

en 1914/1941. Cette parcelle, exposée à la soulane 13 ,<br />

est entièrement aménagée de murs de terrasse. Il s’agit<br />

de constructions soignées formant des banquettes pro-<br />

13. Terrain exposé au sud et bénéficiant d’un bon ensoleillement.<br />

fondes de 3 à 7 m et hautes de 40 à 70 cm. Ces terrasses<br />

sont construites à l’aide de gros blocs, arrachés aux chaos<br />

ou redressés, et d’un plus petit appareil encore bien en<br />

place. L’évacuation des eaux pluviales a été aménagée : on<br />

a pris soin de préserver un léger pendage des terrasses<br />

vers un écoulement canalisé qui dévale la pente jusqu’au<br />

torrent situé en contrebas. Une cabane à encorbellement,<br />

ruinée, était installée à mi-pente, adossée à un rocher. Les<br />

prospections de surface ont permis de collecter, sur cette<br />

parcelle, un peu de mobilier céramique daté entre le début<br />

du XVe et le milieu du XIX e siècle. La parcelle 826<br />

qui touche au sud-est la parcelle 824 est cultivée en vigne<br />

en 1832 : de cette organisation parcellaire subsiste un<br />

mur ruiné qui permettait de la mettre en défens contre<br />

les troupeaux paissant dans la pâture voisine. Les murs<br />

de terrasse forment de longues lanières peu profondes,<br />

propices à la culture de la vigne. En 1914/1941, cette<br />

parcelle est mentionnée comme pâture, signe qu’elle est<br />

retournée à la friche.


Des terrasses à perte de vue<br />

383<br />

Les aménagements liés à la mise en culture de la<br />

parcelle 833 sont dans un état de conservation exceptionnel<br />

(ill. 28). Cette parcelle mesure 4 260 m 2 de superficie<br />

et est installée sur le versant sud du Pouchinel,<br />

petit sommet granitique qui domine le torrent de<br />

Casesnoves. Elle touche au nord avec la parcelle 832,<br />

mentionnée comme pâture en 1832. À cette date, au<br />

moins, un mur puissant matérialise la limite entre<br />

la vigne (833) et la vaste zone de pâture qui s’étend<br />

du versant du Pouchinel jusqu’au Puig Pedrous situé<br />

quelques centaines de mètres plus au nord. Cette<br />

construction, visible sur le cadastre et conservée sur<br />

plus d’une centaine de mètres, mesure en moyenne<br />

1,70 m de haut pour environ 80 cm de large (ill. 29).<br />

Dans sa partie sud, une ouverture est aménagée : plus<br />

large sur sa partie supérieure qu’à sa base, elle permettait<br />

au mulet et à sa charge de passer sans encombre<br />

(ill. 30). Ainsi mise en défens, la culture – de la vigne<br />

en 1832 – s’étage sur les terrasses. Leurs murs sont<br />

soignés, construits presque exclusivement en petit<br />

appareil, ils forment des banquettes planes profondes<br />

de 5 à 7 m tout au plus. Un sentier muletier les traverse<br />

dont on suit aisément le tracé jusqu’au passage<br />

aménagé dans le mur. Chaque mètre carré est exploité<br />

et les contreforts du chaos du Pouchinel, peu propices<br />

pourtant à des mises en cultures, sont couverts de terrasses,<br />

de banquettes dépassant parfois 1,50 à 1,80 m<br />

de hauteur pour ne donner dans certains cas que 1 à<br />

3 m 2 de surface cultivable supplémentaire, accrochés à<br />

la roche. Trois cabanes à encorbellement se trouvent<br />

sur cette parcelle (ill. 31). La première est totalement<br />

ruinée, la voûte s’est effondrée : seul subsiste le linteau<br />

de pierre. La deuxième est dans un état de conservation<br />

remarquable et fait partie des constructions les<br />

mieux soignées observées sur ce secteur. À quelques<br />

dizaines de mètres en contrebas, se trouve une troisième<br />

cabane, bien conservée et dont l’utilisation est<br />

probablement contemporaine de la précédente : il<br />

est en effet fréquent d’observer sur la même parcelle<br />

– surtout lorsqu’elle est très en pente – deux cabanes,<br />

l’une en bas et l’autre en haut. Par contre, le fait que<br />

l’on trouve également une cabane ruinée est le signe<br />

d’une certaine durée d’occupation, difficile cependant<br />

à évaluer. En 1914/1941, cette parcelle est abandonnée,<br />

mentionnée seulement comme pâture.<br />

29 - Détail du mur, de près de 1,60 m de hauteur, qui, déjà en 1832, protège la vigne des<br />

troupeaux (cl. A. Catafau).<br />

30 - Dans le mur, un accès évasé permettait le passage d’un mulet chargé (cl. A. Catafau).<br />

31 - L’une des cabanes à encorbellement sur le bas de la parcelle 833 (cl. A. Catafau).


384 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

32 - Partie ouest du secteur du cortal Domenech (plan cadastral napoléonien, commune d’Ille-sur-Têt, section D3).<br />

La parcelle 834 est une pâture en 1832, ce qui a entraîné<br />

la mise en défens de la parcelle 839, une vigne, avec la<br />

construction d’un puissant mur entre les deux parcelles.<br />

Ce mur, en blocs bruts soigneusement agencés, atteint<br />

par endroits 1,50 m de haut pour 60 à 80 cm de large.<br />

Ces deux parcelles sont des pâtures en 1914/1941. Les<br />

aménagements effectués sur la parcelle 834, qui ont l’air<br />

très récents, ont donc été réalisés durant cet intervalle et<br />

abandonnés rapidement. Il s’agit de vastes terrasses formant<br />

des lanières hautes de 40 à 50 cm, pour des banquettes<br />

profondes de plus de 10 m parfois.<br />

Le cortal Domenech et son environnement immédiat<br />

La bergerie ou cortal du Mas Domenech se trouve<br />

sur une butte et domine les parcelles qui l’environnent<br />

(ill. 33). Les prospections effectuées dans et autour du<br />

bâtiment ont permis de collecter onze fragments de céramique<br />

que l’on peut dater du XVI e siècle et dont la<br />

présence suggère l’existence de cette construction (ou<br />

d’une autre plus ancienne et détruite) dès cette période<br />

au moins. Autour du cortal, le micro-parcellaire de la première<br />

moitié du XIX e siècle est regroupé sur le cadastre<br />

de 1943 dans une seule parcelle, propriété de M. Étienne<br />

Pugnaud (ill. 34). Au milieu du XX e siècle, la bergerie est<br />

au cœur d’une pâture (des friches) et les « terres » et les<br />

vignes observées au XIX e siècle ont disparu.<br />

La coexistence entre cultures et troupeaux a marqué le<br />

paysage par la mise en défens de certaines parcelles. La<br />

parcelle 805, cultivée en vigne en 1832, touche à l’est et<br />

au nord deux pâtures (parcelles 776bis et 809). La limite<br />

entre la vigne et ces parcelles est matérialisée par un<br />

mur de pierres sèches d’environ 80 cm de haut pour une<br />

largeur moyenne de 70 cm (ill. 35). À l’est, à la frontière<br />

avec la parcelle 776bis, ce mur longe un torrent canalisé.<br />

La parcelle 776bis, mentionnée comme pâture en 1832<br />

et aussi en 1914/1941, a pourtant été mise en culture,<br />

soit antérieurement au premier tiers du XIX e siècle soit<br />

plus vraisemblablement dans l’intervalle qui sépare les<br />

deux relevés cadastraux. Notons, la présence d’une cabane<br />

à encorbellement ruinée, en relation avec les murs<br />

de terrasse observés. Dans la parcelle voisine au nord<br />

(parcelle 781), ont été collectés une cinquantaine de<br />

tessons de céramique datés entre le début XV e siècle et<br />

le milieu du XX e siècle, ce qui laisse supposer une mise<br />

en culture précoce de cette parcelle sans que l’on puisse<br />

se prononcer sur l’existence ou non à cette époque<br />

d’aménagements tel que des murs de terrasse. Le fait<br />

que ces indices aient été collectés sur une surface assez<br />

limitée nous encourage aussi à supposer l’existence<br />

d’une construction aujourd’hui détruite, un habitat ou<br />

un abri temporaire.


Des terrasses à perte de vue<br />

385<br />

33 - Le cortal Domenech, au centre du monticule, et son environnement proche (cl. O. Passarrius).<br />

35 - Ruisseau canalisé, entre les parcelles 805 et 776bis<br />

(cl. A. Catafau).<br />

36 - Parcelle 781, ceinturée par un mur de pierres (cl. P. Roca).<br />

34 - Le secteur du cortal Domenech qui regroupe des parcelles cultivées et d’autres destinées à l’élevage.<br />

La parcelle 805, une vigne en 1832, est mise en défens contre les troupeaux par la construction d’un mur.<br />

Les parcelles 776bis, 775 et 809 sont des pâtures à cette époque (cl. O. Passarrius).<br />

Les parcelles 775 et 815, assez planes, sont mentionnées en vigne<br />

en 1832. Elles sont aménagées de vastes terrasses peu élevées mais<br />

formant de longues lanières profondes de 10 à 20 m parfois. Le ruisseau<br />

intermittent qui borde ces deux parcelles est soigneusement canalisé,<br />

non pas pour l’irrigation – aucune trace n’en a été observée –<br />

mais plutôt pour protéger les parcelles des<br />

crues et des ravinements du cours d’eau.<br />

La limite entre les parcelles 816 et 775 est<br />

matérialisée par un petit canal d’évacuation<br />

des eaux pluviales. Sur la parcelle 816,<br />

se trouve une cabane à encorbellement en<br />

grande partie ruinée. À proximité, quelques<br />

gros blocs ont été déplacés au moment de<br />

la mise en culture, dont un, sommairement<br />

clivé, porte un trou de barre à mine, probablement<br />

d’époque contemporaine. Au nord<br />

de la cabane, au milieu du chaos contre lequel<br />

elle s’appuie, une meule en granit en<br />

cours de débitage a été abandonnée.


386 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

38 - Détail du mur de la parcelle 787, construit pour la protection<br />

contre les troupeaux et le vent dominant (cl. A. Catafau).<br />

37 - Aménagements agraires des parcelles 781, 785 et 787 (cl. P. Roca).<br />

39 - Les terrasses de la parcelle 787, à la soulane, à l’abri du mur<br />

de clôture (cl. A. Catafau).<br />

Les efforts de mise en culture effectués sur la parcelle 787<br />

sont remarquables (ill. 37). Plantée en vigne en 1832, elle<br />

mesure 7 560 m 2 et s’étire tout en longueur sur le versant<br />

sud du massif de Poulicene. L’un des éléments marquants<br />

est un impressionnant mur qui assure la limite nord de<br />

la parcelle (ill. 38). Plus large à sa base, il mesure tout de<br />

même 1,15 m à sa partie supérieure et atteint 1,60 m de<br />

haut. Cette construction est faite de blocs sommairement<br />

taillés, assemblés sans liant. Les parements sont soignés,<br />

tandis que la partie interne est constituée d’un blocage de<br />

plus petits éléments. La fonction de cette construction est<br />

double : elle sert à mettre en défens cette parcelle contre<br />

les troupeaux mais aussi à la protéger du vent dominant<br />

du nord, la Tramontane. La parcelle est ensuite aménagée<br />

en terrasses (ill. 39). Pour leur construction, de gros blocs<br />

provenant du socle rocheux local ont été manipulés mais<br />

on a utilisé également de nombreuses pierres cassées au<br />

marteau, arrachées au chaos granitique proche. Ces terrasses,<br />

hautes de 30 à 50 cm, forment des banquettes profondes<br />

de 3 à 6 m, organisées en longues lanières labourables.<br />

Dans le tiers inférieur sud de la parcelle, l’espace est<br />

cloisonné à cause du chaos qui rend moins aisée la mise<br />

en culture mais aussi parce que cette zone était peut-être<br />

réservée à des cultures vivrières, légumes ou céréales, protégées<br />

du vent et installées à la soulane. Cette parcelle<br />

ne compte qu’une seule cabane. Elle se situe dans le tiers<br />

nord, au milieu des terrasses mais à un endroit où le rocher<br />

affleure. En 1914/1941, cette parcelle est abandonnée<br />

et mentionnée comme pâture. Les prospections ont<br />

permis de collecter sept tessons de céramiques glaçurées<br />

du XVII e siècle. La présence de ce mobilier ne peut malheureusement<br />

dater les aménagements de cette parcelle,<br />

certes antérieurs à 1832, mais peut cependant être pris<br />

en compte avec prudence pour l’élaboration d’une chronologie<br />

des mises en culture successives. La parcelle 784,<br />

voisine à l’ouest, présente le même type d’aménagements<br />

avec la volonté de mettre les cultures en défens par des<br />

murs limitant la parcelle. Dans ce cas encore, ce sont ces<br />

constructions antérieures à 1832 qui ont fixé les limites<br />

des parcelles qui seront ensuite relevées par les ingénieurs<br />

du cadastre. La parcelle 790, voisine au sud, a livré quelques<br />

fragments de céramiques datées entre 1850 et 1950.


Des terrasses à perte de vue<br />

387<br />

La zone regroupant les parcelles 755b,<br />

756 et 757 est intéressante car les différents<br />

états de mise en culture du XIX e siècle peuvent<br />

y être datés (ill. 40). L’une des occupations<br />

les plus anciennes correspond à l’aménagement<br />

du petit cours d’eau (parcelle 755)<br />

dont le lit a été déplacé en limite de parcelle<br />

et a été canalisé afin de tirer profit des sédiments<br />

souples et limoneux du talweg. Sur la<br />

partie nord de la parcelle, quelques aménagements<br />

pourraient correspondre à des vestiges<br />

d’irrigation, des canaux de dérivation<br />

pris sur le ruisseau afin d’arroser la parcelle.<br />

Si tel est le cas, ces aménagements ne sont<br />

pas en adéquation avec le type de culture<br />

pratiquée en 1832 et pourraient être beaucoup<br />

plus anciens. Trois tessons de céramique<br />

ont été collectés sur cette parcelle et datés<br />

entre 1850 et 1950. Ces tessons peuvent<br />

être associés à ceux collectés dans la parcelle<br />

voisine (759), datés de la même période.<br />

En 1832, la parcelle 756 est déjà cultivée<br />

en vigne. Elle est aménagée en terrasses peu<br />

élevées formant des banquettes profondes<br />

organisées en longues lanières. Les terrasses<br />

sont construites à l’aide de blocs de granit,<br />

de volumineuses boules arrachées aux<br />

chaos granitiques qui occupent en partie<br />

la parcelle. Certains de ces aménagements,<br />

longuement entretenus par la suite, correspondent<br />

aux premiers travaux effectués<br />

sur ce versant, sans que l’on puisse les dater.<br />

Après 1832, la parcelle est agrandie et englobe<br />

la parcelle 757 qui la touche au nord<br />

(ill. 41). Cette pâture, plus en pente que la<br />

parcelle précédente, est alors mise en culture<br />

mais probablement de façon progressive<br />

car aucune continuité n’a été observée entre<br />

les murs de terrasses séparés par les murs<br />

rectilignes dévalant la pente (ill. 42 et 43).<br />

Ces murs de terrasses, en blocs équarris au<br />

marteau, forment de hautes banquettes peu<br />

profondes. Les murs parallèles à la pente<br />

qui divisent cette parcelle en quatre ensembles<br />

sont destinés à récupérer les eaux<br />

pluviales qui courent sur les banquettes.<br />

40 - Vue aérienne des parcelles 755b, 756 et 757. La parcelle 755b a été gagnée sur le lit majeur du ruisseau,<br />

dont les terres limoneuses et peu caillouteuses sont propices aux cultures. La parcelle 756 est cultivée en vigne<br />

en 1832 tandis que la parcelle 757 a été mise en culture plus tardivement, probablement dans le courant<br />

du XIX e siècle. En 1914, toutes ces parcelles sont abandonnées et sont en friche (cl. O. Passarrius).<br />

41 - Extension de la mise en culture avec construction de terrasses sur l’ancienne pâture (757) intégrée<br />

dans le courant du XIX e siècle à la parcelle 756 qui devient alors une vaste vigne. L’ensemble est ensuite<br />

abandonné avant 1914/1941.<br />

42 - Les murs de terrasse de la parcelle 756, déjà<br />

construits au début du XIX e siècle (cl. A. Catafau).<br />

43 - Les murs de terrasse de la parcelle 757, construits<br />

entre 1830 et 1914 (cl. A. Catafau).


388 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

44 - Les parcelles 756 et 757 protégées au sud-ouest d’une zone de pâturage par un<br />

mur (à droite de la photo). En arrière-plan, la vallée de la Têt et le village d’Ille-sur-Têt<br />

(cl. A. Catafau).<br />

47 - Secteur du Bellagre avec localisation du site médiéval et de la carrière de meules.<br />

Les vestiges du Moyen Âge ont été démantelés par l’érosion puis le versant a été mis<br />

en culture aux XVIII e /XIX e siècles avec la construction de terrasses que l’on distingue<br />

encore aisément (cl. O. Passarrius).<br />

Dans deux cas, ces murs sont flanqués d’un canal d’évacuation<br />

des eaux de ruissellement. La limite nord-est de<br />

la parcelle est matérialisée par le ruisseau canalisé tandis<br />

que la limite sud-ouest est marquée sur le terrain par un<br />

mur de pierres sèches, bien parementé, conservé sur plus<br />

d’un mètre d’élévation (ill. 44). Ce mur sépare la vigne de<br />

la zone de pâture située au-delà (parcelles 876 et 873).<br />

En 1914/1941, toutes ces parcelles sont en friche, mentionnées<br />

comme pâtures sur l’état des sections du milieu<br />

du XX e siècle.<br />

45 - Paysage de terrasses au-dessus du village de Casesnoves (cl. A. Catafau).<br />

46 - Vue aérienne du secteur du Bellagre, sur le versant qui domine la vallée de la Têt<br />

(cl. O. Passarrius).<br />

I.3 - Sur le versant dominant la vallée de la Têt : le secteur<br />

du Bellagre (commune d’Ille-sur-Têt)<br />

Ce secteur se trouve sur la commune d’Ille-sur-Têt et<br />

correspond à un massif tout en longueur, orienté nordouest/sud-est,<br />

qui sépare les rivières de Casesnoves et du<br />

Bellagre (ill. 46). Au sud, cette langue rocheuse est entaillée<br />

par le bassin de la Têt avec par endroits des falaises<br />

assez prononcées. Cette zone, d’environ 80 hectares,<br />

est située sur les premiers coteaux qui dominent le lit<br />

majeur du fleuve. La présence d’un site médiéval dont<br />

les vestiges ont probablement été démantelés par les<br />

aménagements culturaux des siècles suivants a conduit à<br />

mener une étude détaillée de ce secteur, ce qui a permis<br />

de suivre son évolution au cours des XIX e et XX e siècles<br />

(ill. 47).


Des terrasses à perte de vue<br />

389<br />

ont été emportés par l’érosion<br />

et détruits par les<br />

aménagements culturaux<br />

postérieurs. En revanche,<br />

un certain nombre d’observations<br />

intéressantes<br />

ont pu être faites sur les<br />

mises en culture d’époque<br />

contemporaine.<br />

48 - Extrait du plan cadastral napoléonien (1832, commune d’Ille-sur-Têt, section D3) avec localisation des différentes cultures.<br />

49 - En 1941, la plupart des parcelles sont en friche.<br />

Le versant sud<br />

La prospection pédestre de ce secteur avait permis la découverte d’un site médiéval 14 .<br />

L’ensemble de ce versant est aménagé de terrasses, en grande partie démantelées par l’érosion<br />

(ill. 48). Certaines présentent un appareillage récent ou du moins entretenu récemment,<br />

avec des blocs de petite ou moyenne taille, mais la plupart sont construites à l’aide de<br />

volumineuses « boules » arrachées au socle rocheux ou récupérées sur place. Ces gros blocs<br />

de granit reposent sur le socle qui se trouve sous quelques centimètres d’une mauvaise terre,<br />

entre 5 et 20 cm de sédiment constitué d’arène détritique. Les vestiges d’époque médiévale<br />

14. Se reporter au chapitre VIII consacré à la campagne au Moyen Âge.<br />

Un trou de plantation<br />

a été observé et peut être<br />

mis en relation avec les<br />

cultures arbustives mentionnées<br />

au début du<br />

XIX e siècle. Cette hypothèse<br />

a été confirmée par la<br />

découverte de cinq tessons<br />

de céramique dans le comblement<br />

de ce trou, tous<br />

datés du XIX e siècle. Le<br />

cadastre de 1832 et l’état<br />

des sections montrent que<br />

ce versant, bien orienté<br />

au sud, est exploité en vignes,<br />

souvent complantées<br />

d’oliviers. Seul le chaos qui<br />

domine le site est marqué<br />

en pâture. La reconquête<br />

de ce versant, longtemps<br />

après l’abandon du site<br />

médiéval et d’une première<br />

mise en culture dont<br />

il ne reste aucun aménagement,<br />

s’est faite pour la<br />

vigne et l’olivier : la nature<br />

du sol, la présence du socle<br />

rocheux affleurant n’autorisaient<br />

aucune autre<br />

culture. En 1941, une<br />

grande partie de ce secteur<br />

est à l’abandon (ill. 49). La<br />

vigne a disparu, quelques<br />

oliviers subsistent mais<br />

qui n’ont pas résisté au gel<br />

de l’hiver 1956.


390 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

50 - Mur longeant la ligne de crête (cl. O. Passarrius). 51 - Détail du mur, haut de 1,60 m, qui marque la ligne de crête (cl. A. Catafau).<br />

La crête et les versants escarpés<br />

La ligne de crête partage deux espaces bien différents. Sur le<br />

versant nord-est se déploie une vaste pâture (1046), déjà propriété<br />

de la commune en 1832 et qui le reste au moins jusqu’à<br />

la révision de 1941. Les endroits où la pente est moins forte<br />

sont aménagés de terrasses. Le versant sud-ouest, qui domine le<br />

Bellagre, est entièrement mis en culture, couvert de terrasses formant<br />

parfois des banquettes très hautes compte-tenu de la déclivité<br />

prononcée du terrain. Sur la parcelle 1139, en vigne en 1832,<br />

ont été collectés les fragments d’un vase daté entre 1850 et 1950.<br />

Une grande partie de la ligne de crête est matérialisée sur plusieurs<br />

centaines de mètres de longueur par un mur dont l’état<br />

de conservation est très variable (ill. 50). Construit en blocs de<br />

granit, sa hauteur varie de 1 m à 1,50 m pour une largeur de 50<br />

à 60 cm (ill. 51). Sa fonction est éclairée par l’analyse du plan<br />

cadastral de 1832. Cette construction protégeait les cultures du<br />

versant sud-ouest des troupeaux paissant dans la grande pâture<br />

communale (1046) située sur l’autre versant.<br />

Pourtant en 1832, cette dualité entre pâtures à l’est et cultures<br />

sur le versant opposé n’est pas aussi tranchée : en effet, à cette date,<br />

le versant sud-ouest est en partie couvert de pâtures, des friches.<br />

Sur le terrain, ces friches pourraient correspondre à des affleurements<br />

rocheux, tandis que les vallons sont aménagés de terrasses.<br />

Il semble qu’une partie de ces friches ait été mise en culture dans<br />

le courant du XIX e siècle, après 1832, avec la construction de<br />

nouvelles terrasses. Leur mode de construction diffère : les blocs<br />

sont alors arrachés au socle à l’aide d’explosifs, comme le laisse<br />

supposer la présence de nombreux trous de barre à mine, puis<br />

sommairement cassés au marteau. La construction<br />

de ces terrasses profite sans doute de l’exploitation<br />

d’affleurements de feldspath par des carrières à ciel<br />

ouvert, qui produisent de nombreux blocs de rebut,<br />

mis à profit dans la construction des terrasses.<br />

La période d’occupation dense de ce secteur est de<br />

courte durée et, en 1941, la quasi-totalité des parcelles<br />

est abandonnée et retourne à la friche.<br />

Les grandes pâtures communales<br />

Deux grandes pâtures communales sont mentionnées<br />

sur cette zone au XIX e siècle. La première<br />

(1046) occupe le versant sud du ravin de<br />

Casesnoves sur environ 10 hectares. Les crêtes où<br />

le rocher affleure sont en friche et les vallons sont<br />

aménagés en terrasses. Ces murs, accrochés à<br />

une pente forte, sont construits en petit appareil<br />

et sont soit récents, soit ont été entretenus il y a<br />

peu. La seconde pâture communale se trouve au<br />

lieu-dit Pountet Padrou, sur environ 38 hectares.<br />

Elle couvre les deux versants, de part et d’autre<br />

de la crête, limitée au nord par un affluent du<br />

Casesnoves et au sud par le torrent du Bellagre.<br />

Sur la crête, en bordure d’un sentier, une ruine<br />

a fait l’objet d’un relevé (site 1041). Cette<br />

construction, de forme carrée, mesure 4,80 m de<br />

côté, pour une superficie utile d’environ 10 m 2 .<br />

Les murs de 80 cm de large sont en blocs de taille<br />

hétérogène (20 à 50 cm) assemblés sans liant.


Des terrasses à perte de vue<br />

391<br />

La déprise au début du XX e siècle<br />

En 1832, la vigne, cultivée seule ou complantée<br />

d’oliviers, occupe plus de 20 % de la<br />

superficie de ce secteur, le reste étant en pâtures<br />

privées (certaines sont des terrains incultes<br />

par affleurement du socle) ou communales.<br />

En 1941, le terroir est à l’abandon, la pâture<br />

représente plus de 96 % de la superficie. La<br />

vigne a disparu et ne subsistent que quelques<br />

parcelles plantées d’oliviers, sur une superficie<br />

totale de 3 ha seulement.<br />

1.4 - En bordure du plateau, les secteurs du<br />

Bourbonné et des Balmettes (commune de<br />

Rodès)<br />

Ce secteur marque la limite méridionale du<br />

plateau dit de Montalba. Il est limité à l’est par<br />

le Ravin du Bellagre et est traversé, du nord au<br />

sud, par le ravin de Ropidera (ill. 52).<br />

52 - Plan cadastral napoléonien du secteur Bourbonné/Balmettes (commune de Rodès, section A5 et<br />

A6) avec types de culture pratiqués en 1832.<br />

À la base, des blocs de granit plus volumineux ont été utilisés. En<br />

l’absence de tuiles courbes ou de fragments d’ardoise, on peut supposer<br />

une couverture en matériaux périssables. L’accès se fait par<br />

le sud par une porte d’environ 1 m de large surmontée d’un linteau<br />

monolithique en granit dont les fragments jonchent le sol. Le mobilier<br />

est absent, mis à part une cruche brisée à proximité, mais qui<br />

pourrait n’avoir aucun lien avec cette construction. Ce récipient, de<br />

production locale, est daté entre 1850 et 1950. Cette ruine – cortal<br />

ou cabane ? – se situe sur la pâture communale du Pountet Padrou<br />

(parcelle 1440). Autour de la construction, quelques lambeaux de<br />

terrasses pourraient être en relation avec elle. Par contre, sur le versant<br />

ouest, des terrasses plus récentes correspondent à une mise en<br />

culture effectuée après la levée du cadastre de 1832, dans le courant<br />

du XIX e siècle. Construites en blocs de taille hétérogène, elles étaient<br />

dotées de systèmes d’évacuation des eaux pluviales, sortes de rigoles<br />

parallèles à la pente. Deux cabanes à encorbellement ruinées ont été<br />

observées. Autour de la première 15 , se trouvaient les fragments d’un<br />

vase brisé sur place, du XIX e siècle. Le mobilier collecté sur l’ensemble<br />

des terrasses est hétérogène et couvre une fourchette chronologique<br />

large, entre le milieu du XV e siècle et le milieu du XX e siècle.<br />

15. Point 354.<br />

Le « cortal Imbert » et les signes d’une restructuration<br />

durant la seconde moitié du<br />

XIX e siècle ou au début du XX e siècle<br />

Le « cortal Imbert » est une bergerie adossée<br />

à un énorme bloc de granit. Sa datation<br />

n’est pas aisée : elle n’est pas représentée sur le<br />

cadastre de 1832 ce qui laisse supposer qu’elle<br />

est postérieure à la levée de ce document.<br />

Cette hypothèse est confirmée par l’architecture<br />

du bâtiment (présence d’un pailler 16 ) et<br />

par ses matériaux de construction (briques,<br />

mortier). Pourtant ce bâtiment n’apparaît pas<br />

non plus sur les matrices cadastrales postérieures,<br />

notamment celle de 1935. L’absence<br />

de ce bâtiment sur la matrice de 1832 est un<br />

indice de sa postériorité, mais le fait qu’il ne<br />

soit pas reporté sur celle de 1935 ne signifie<br />

rien 17 , surtout au vu de la destination de ce<br />

bâti, une bergerie de <strong>montagne</strong>, rarement déclarée<br />

aux impôts.<br />

16. étage destiné au stockage du fourrage, du blé en gerbe ou<br />

du grain.<br />

17. Le cadastre de 1935 a utilisé comme base le cadastre<br />

napoléonien et il est peu probable qu’un levé systématique ait<br />

été entreprise.


392 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

53 - Le « cortal Imbert » et son environnement immédiat (cl. O. Passarrius).<br />

le bâti, est en légère pente vers le sud-ouest et le ravin de<br />

Ropidera. Elle est protégée des vents dominants par un<br />

vaste chaos situé au nord. À son extrémité ouest, la parcelle<br />

est délimitée par un mur de terrasse, haut de plus<br />

d’1,50 m qui soutient les terres avant que la pente ne s’accentue<br />

à l’approche du ravin. La parcelle est aménagée de<br />

murs de terrasses, hauts de 20 à 60 cm en moyenne, qui<br />

forment de larges banquettes (entre 5 et 8 m) en lanières<br />

propices aux labours. Toutes ces terrasses possèdent un<br />

pendage latéral suffisant pour évacuer l’eau de pluie vers un<br />

canal, parementé de pierres, dont le fond est même cuvelé<br />

par endroits, et qui mène l’eau vers le ravin de Ropidera.<br />

Au nord, les terrasses sont recoupées par la piste, mais se<br />

prolongent de l’autre côté sous forme de longues lanières<br />

régulières. Ces constructions font intervenir des pierres<br />

souvent de petite taille, arrachées aux chaos voisins ou<br />

remontées lors des labours. Leur mise en œuvre semble<br />

récente, mais ne peut être formellement datée. En 1832,<br />

ces parcelles sont toutes mentionnées comme « terres » et<br />

voisinent avec des pâtures dépendant plutôt du cortal de<br />

Las Balmettes, situé seulement 120 m plus à l’est.<br />

54 - Extrait du cadastre napoléonien avec localisation du cortal de Las Balmettes. Les<br />

étoiles représentent les parcelles associées au cortal et dont Joseph Cornet est propriétaire<br />

en 1832.<br />

En 1834, les terres où se trouve le cortal sont la propriété<br />

de Simon Imbert qui les vend à Joseph Imbert Sabastes<br />

de Rodès en 1842, lequel les conservera jusqu’en 1859<br />

(ill. 53). Cette construction, probablement encore utilisée<br />

pendant la première moitié du XX e siècle, structure<br />

autour d’elle un territoire dont une partie est destinée à<br />

l’élevage tandis que l’autre, autour du cortal, est mise en<br />

culture. Cette parcelle, au centre de laquelle est implanté<br />

Le cortal de Las Balmettes et les grands pâturages<br />

Ce cortal appartient en 1832 à Joseph Cornet de Rodès<br />

qui possède aussi le « cortal Cornet » situé plus loin. Le<br />

cortal de Las Balmettes est aujourd’hui totalement ruiné<br />

et les murs conservés n’excèdent pas 1,50 m de hauteur.<br />

Joseph Cornet possède aussi les parcelles situées<br />

autour (1295-1304) : on y retrouve, en même proportion,<br />

des pâtures et des terres (ill. 54). Malheureusement,<br />

l’ensemble de ce terroir a subi les assauts du bulldozer<br />

avant d’être planté de pins, dans les années 1970, détruisant<br />

ainsi les terrasses et les aménagements agricoles plus<br />

anciens. À environ 100 m du cortal, à l’ouest, se trouvent<br />

les ruines d’un enclos, plus ancien. Cette information est<br />

confirmée par la collecte de quelques céramiques, toutes<br />

glaçurées, et datées du XVII e siècle.<br />

Les champs mis en défens du Bourbonné<br />

Sur ce secteur, un ensemble de 18 parcelles est ceinturé<br />

par un mur fait de pierres sèches qui avait pour fonction<br />

de protéger une zone de mise en culture des troupeaux<br />

paissant dans les pâtures ou les grandes devèses privées<br />

(ill. 55). Cet ensemble a fait l’objet d’une étude fine avec<br />

collecte de mobilier dans l’objectif de dater et de restituer<br />

les grandes phases de sa mise en culture.


Des terrasses à perte de vue<br />

393<br />

57 - Détail du mur (cl. A. Catafau).<br />

55 - Vue aérienne des parcelles mises en défens du secteur du Bourbonné. Le mur qui enserre ces parcelles,<br />

long de près de 300 m, est encore nettement visible dans le paysage (cl. O. Passarrius).<br />

58 - Vieilles terrasses ruinées de la parcelle 1347 (cl. A. Catafau).<br />

59 - Au premier plan, la parcelle 1347 totalement lessivée par<br />

l’érosion. Au second plan, dans la combe, les terrasses de la<br />

parcelle 1348, cultivée en vigne en 1832 (cl. A. Catafau).<br />

56 - Extrait du cadastre napoléonien avec report du tracé du mur.<br />

Le mur qui ceinture ces parcelles n’est conservé qu’au nord et au nordouest<br />

et s’étend sur environ 260 m de longueur (ill. 56). Cette construction,<br />

faite de blocs de granit assemblés sans aucun liant, mesure 50 à<br />

60 cm de largeur pour une hauteur de 1,60 m (ill. 57). Sur sa partie<br />

nord-ouest, le tracé du mur est moins rectiligne et épouse le relief, très<br />

escarpé à cet endroit. On retrouve le tracé de ce mur sur le cadastre<br />

de 1832 comme limite de parcelles, indice de son existence antérieure<br />

à l’élaboration de ce plan. L’analyse du parcellaire sur le terrain indique<br />

une mise en culture progressive, du sud<br />

vers le nord, à partir du ravin de Ropidera.<br />

Les parcelles 1346, 1372/1374 mais<br />

surtout la parcelle 1347 ont été aménagées<br />

de terrasses construites à l’aide de<br />

volumineux blocs arrachés aux chaos<br />

voisins (ill. 58 et 59). Ces murs de soutènement<br />

sont démantelés et, sur la parcelle<br />

1347, en pâture en 1832, ils ne sont<br />

plus conservés qu’à l’état de lambeaux.


394 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

60 - Cabane à encorbellement de la parcelle 1348 (cl. A. Catafau). 61 - Détail des terrasses de la parcelle 1334, cultivée en vigne en 1832 (cl. A. Catafau).<br />

Dans la partie basse de cette parcelle, l’érosion a totalement<br />

lessivé le sol, et le socle, un granite très altéré, affleure<br />

partout. Vers le nord, les aménagements destinés à la<br />

mise en culture semblent plus tardifs, ou du moins ont été<br />

entretenus à des périodes plus récentes. La parcelle 1348<br />

en est un bon exemple. Elle occupe le fond d’un vallon peu<br />

prononcé et est aménagée de terrasses qui permettent de<br />

maintenir le sédiment fin et d’éviter les ravinements. Ces<br />

murs, hauts de 40 à 80 cm, forment des banquettes régulières<br />

et peu profondes. Ils sont bien appareillés et font<br />

intervenir un matériau calibré constitué de blocs de granit<br />

de 20 à 40 cm de diamètre. Sur la bordure septentrionale<br />

du vallon, à un endroit où le socle affleure, a été installée<br />

une cabane à encorbellement de plan circulaire, en<br />

relation avec les terrasses (ill. 60). L’étude de ce secteur a<br />

également permis de montrer la postériorité des aménagements<br />

agraires de la parcelle 1336 par rapport à la parcelle<br />

1338. Cette dernière est limitée au nord par un mur<br />

de pierres sèches, conservé sur environ 50 cm d’élévation.<br />

On peut envisager une fermeture du mur de défense<br />

beaucoup plus rapide de telle sorte que le mur n’aurait<br />

pas englobé dans un premier temps la parcelle 1336. Les<br />

aménagements que l’on retrouve sur cette parcelle semblent<br />

postérieurs et la plupart des terrasses qui la couvrent<br />

s’adossent contre le mur. Une cabane à encorbellement,<br />

en partie ruinée, est visible sur la parcelle 1338.<br />

Tout autour, à proximité du chaos, de gros blocs ont été<br />

déplacés lors des travaux de mise en culture. De l’autre<br />

côté du mur de clôture, les aménagements observés sur les<br />

parcelles 1332, 1333 et 1334 semblent récents (ill. 61).<br />

Les murs de terrasses sont faits de petits blocs remontés<br />

lors des travaux de charruage. Ces terrasses sont encore<br />

bien préservées, elles ont été entretenues tardivement. La<br />

présence de tas d’épierrements, accumulés là où le socle<br />

est affleurant, témoigne de la pratique régulière du labour.<br />

Les prospections de surface ont permis de collecter<br />

un lot de mobilier lié à l’activité humaine sur ce secteur et<br />

peut-être aussi à l’amendement des champs. À proximité<br />

de la cabane située sur la parcelle 1345, une cinquantaine<br />

de tessonsont été collectés, généralement glaçurés, ils remontent<br />

pour les plus anciens au début du XVI e siècle<br />

tandis que les plus récents sont datés de la fin du XIX e<br />

ou du début du XX e siècle.<br />

Les prospections pédestres sur l’ensemble de ce parcellaire<br />

ont permis de collecter quelques céramiques qui<br />

couvrent une fourchette chronologique plus large, entre<br />

le début du XV e siècle et le milieu du XX e siècle.<br />

Cet ensemble est assez révélateur de la dualité entre<br />

agriculture et élevage, qui trouve ici son illustration avec<br />

la construction de vastes murs, hauts de plus de 1,60 m,<br />

englobant des terrains de plus de 2,2 hectares. Ce secteur<br />

de mise en culture est cerné à l’est et à l’ouest par deux<br />

drailles, chacune appelée carrerada sur le plan cadastral<br />

napoléonien. La première arrive de la vallée de la Têt et<br />

remonte le coteau au lieu-dit La Coste avant de se subdiviser<br />

en deux. L’un des tronçons gagne les prairies du<br />

plateau tandis que le second rejoint le pré aménagé (parcelle<br />

1205) et les pâturages du cortal des Balmettes situés


N<br />

Des terrasses à perte de vue<br />

395<br />

Barrage<br />

P<br />

P<br />

Mur destiné à canaliser<br />

Lit naturel et lit actuel<br />

Prise d'eau pour l'arrosage<br />

Canal d'arrosage<br />

Cours d'eau<br />

P<br />

Lit naturel<br />

Le Ropidère<br />

Affluent du Ropidère<br />

Cours d'eau canalisé<br />

0 40 m<br />

62 - Vue générale du talweg aménagé sur le ruisseau le Ropidère, parcelles 1205 et<br />

1291 (cl. A. Catafau).<br />

plus au nord. La seconde draille démarre à la devèse de<br />

Rodès 18 , longe à l’est les parcelles mises en défens puis se<br />

scinde en deux. L’une des branches vient se perdre dans<br />

un ensemble de pâtures (1635, 1650...) ceinturé de murs,<br />

probablement un enclos ou une devèse 19 . À ce niveau,<br />

quelques tessons de céramiques glaçurées ont été collectés.<br />

Ils appartiennent à des productions du XX e siècle.<br />

L’ensemble de parcelles mises en défens présente une<br />

unité traduisant peut-être une planification dans sa<br />

construction, par une communauté ou par un même propriétaire.<br />

En 1832, on rencontre près d’une quinzaine de<br />

propriétaires différents, ce qui ne nous apporte aucune<br />

information. On a vu que ce parcellaire et le mur qui le<br />

ceinture étaient en place en 1832. Certaines parcelles,<br />

situées dans la partie ouest de l’ensemble, sont même à<br />

l’abandon à cette date comme le suggèrent la matrice cadastrale<br />

et la morphologie des terrasses, complètement<br />

démantelées par l’érosion. C’est pourtant à partir de ces<br />

parcelles que s’est développée la mise en culture, repoussant<br />

au moins deux fois le mur de l’enclos, d’abord limité<br />

à la parcelle 1338, avant qu’il n’intègre dans un second<br />

temps les parcelles 1336 et 1335.<br />

Sur le plateau, les talwegs aménagés<br />

Sur le lieu-dit Bourbonné, deux talwegs aménagés ont<br />

été identifiés. Le premier, le mieux conservé, occupe le lit<br />

18. Se reporter pour plus de renseignements sur cette devèse à la partie consacrée<br />

au secteur du Pont de Labau.<br />

19. Ici, le terme de devèse correspond à une parcelle enclose, destinée au pacage<br />

des bêtes (Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural, Fayard,1997).<br />

63 - L’affluent du Ropidère, canalisé contre la paroi du vallon.<br />

du Ropidera, à l’emplacement des parcelles 1205 et 1291,<br />

en contrebas du cortal des Balmettes (ill. 62). L’espace libéré<br />

et mis en culture à l’intérieur du vallon correspond<br />

à une parcelle longue d’environ 250 m pour une largeur<br />

moyenne de 17 m, soit presque 5 000 m 2 de superficie.<br />

Compte tenu de la faible importance du pendage du lit à<br />

cet endroit, la mise en œuvre est relativement simple. Le<br />

cours d’eau principal, le Ropidère, qui prend naissance<br />

au cœur des prairies du plateau de Rodès-Montalba, a<br />

été canalisé et bloqué contre la paroi méridionale du vallon.<br />

À cet endroit, le lit a été surcreusé à l’intérieur des<br />

limons piégés dans la combe, comme l’atteste la physionomie<br />

du mur qui le borde, parementé d’un seul côté.<br />

Des travaux similaires ont été effectués sur l’affluent qui<br />

prend naissance non loin du cortal des Balmettes, quelques<br />

centaines de mètres au nord (ill. 63). Ce ruisseau<br />

intermittent a été canalisé contre le versant est du vallon.<br />

La confluence entre ces deux cours se fait là où le vallon<br />

se rétrécit et où les terres sont maintenues par un barrage<br />

constitué de monolithes en granit jetés dans le torrent.<br />

Un barrage identique se trouve en amont de l’ensemble,<br />

créant une retenue pour la prise d’eau d’un canal<br />

qui coule contre le vallon opposé au Ropidère puis qui<br />

vient se jeter dans son affluent. Ce canal est utilisé pour<br />

l’irrigation comme l’atteste la présence de prises d’eau,<br />

aménagées en amont de petites retenues, qu’il suffisait<br />

d’ouvrir ou de fermer avec une tempe. Dans le cours d’eau<br />

principal subsistent quelques aménagements disloqués<br />

par le torrent qui pourraient matérialiser l’emplacement<br />

d’anciens barrages également destinés à l’irrigation.


396 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

Prise d'eau<br />

N<br />

Terrasses<br />

Terrasses<br />

Lit naturel et<br />

Cours d'eau canalisé<br />

Canal d'arrosage<br />

actuel du cours d'eau<br />

Pré ou<br />

terre cultivée<br />

0 20 m<br />

64 - Relevé du talweg aménagé pour l’irrigation d’un pré sur la parcelle 1351. 65 - Photo aérienne du talweg aménagé (cl. O. Passarrius).<br />

Nous ne disposons d’aucun élément de datation pour la<br />

construction de cet ensemble. Aujourd’hui, la quasi-totalité<br />

des lits forcés est comblée de limons et le ruisseau<br />

a repris son cours naturel, entaillant sur près d’un mètre<br />

la terre riche qui comble ce vallon. En 1832, ce talweg<br />

aménagé n’existe déjà plus. On peut écarter l’hypothèse<br />

que sa construction ait été postérieure au cadastre : la<br />

quasi-totalité du territoire est structurée à cette époque<br />

et on ne peut imaginer la construction puis l’abandon de<br />

cet ensemble durant un temps relativement court. Sur la<br />

matrice cadastrale de 1832, le ruisseau s’écoule au centre<br />

du vallon dont la moitié sud (parcelle 1205) est mentionnée<br />

comme terre aspre sur le registre de 1836 et la<br />

moitié nord (parcelle 1291) comme gravière. Par contre,<br />

la partie sud du vallon ne porte aucune trace d’aménagement<br />

et le ruisseau s’écoule le long d’une pâture (1204).<br />

Ces trois parcelles appartiennent au même propriétaire,<br />

François Roger de Rodès, qui détient de nombreuses<br />

possessions sur ce secteur. Toujours sur le même ruisseau,<br />

quelques centaines de mètres en aval, se trouve un<br />

second aménagement, similaire dans sa mise en œuvre<br />

mais beaucoup moins important en superficie. Construit<br />

sur le Ropidera, le vallon aménagé se déploie sur environ<br />

75 m de longueur et sur une largeur maximale de 12 m<br />

(ill. 64 et 65). Le lit du ruisseau est canalisé à l’aide d’un<br />

mur de pierres, mur de terrasse ou de soutènement, et<br />

rejeté contre la berge nord du vallon. À l’opposé, contre<br />

la berge sud, circule un canal qui prend sa source à hauteur<br />

du barrage qui précède l’aménagement, canal qui<br />

participait à l’irrigation de cette terre. Sur ce secteur, les<br />

prospections de surface ont permis de collecter quelques<br />

céramiques vernissées, datées entre le milieu du<br />

XVII e siècle et le milieu du XX e siècle. Aujourd’hui, le<br />

ruisseau a repris son cours et a profondément entamé<br />

les limons de cette parcelle. Nous ne disposons d’aucun<br />

indice de datation quant à la construction de cet aménagement.<br />

En 1832, cependant, il est déjà à l’abandon.<br />

Sur le registre de 1836, la parcelle 1351 qui semble lui<br />

correspondre, est mentionnée comme « pâture », ce mot<br />

étant précédé de celui de « pré » qui est barré : cet espace<br />

est déjà en déprise (on passe alors d’une culture fourragère<br />

intensive à un pâturage extensif ) 20 . L’ancienneté<br />

de ce type d’aménagement peut également être perçue<br />

avec un autre exemple implanté plus bas, abandonné et<br />

probablement déjà dévasté par la rivière en 1836 comme<br />

le suggère la mention de « rocher » 21 . Cependant, ces<br />

quelques exemples illustrent des aménagements qui, en<br />

d’autres endroits, seront maintenus durant une grande<br />

partie du XX e siècle, en relation directe alors avec des<br />

bergeries et la pratique de l’élevage (ill. 66 et 67).<br />

20. ADPO, 1025W174. La rature, si elle n’est pas due à une simple erreur,<br />

pourrait indiquer un changement de nature de la parcelle assez récent : un<br />

lapsus calami qui s’expliquerait par l’abandon récent du système de dérivation<br />

et d’irrigation propre à la culture des prés.<br />

21. On rencontre, sur le secteur du Puig Pedrous, un exemple similaire où<br />

les parcelles gagnées par l’aménagement du lit majeur d’un cours d’eau,<br />

abandonnées et malmenées par la rivière qui a repris son lit, sont mentionnées<br />

aussi comme « rocher » cf. supra.


Des terrasses à perte de vue<br />

397<br />

66 - Enclos enserrant un pré de fauche aménagé dans un talweg. La parcelle profitait<br />

des alluvions piégés dans le vallon et était arrosée grâce au cours d’eau dévié sur la<br />

droite de la photo (cl. O. Passarrius).<br />

67 - Vue aérienne d’un pré, en bordure d’un cortal aujourd’hui reconstruit, aménagé<br />

dans une combe et irrigué grâce à la déviation du cours d’eau (cl. O. Passarrius).<br />

La soulane du Bourbonné : entre vignoble et pâture<br />

Ce secteur est exposé au sud-est, sur un versant en<br />

pente douce, au sol souple et sableux, particulièrement<br />

intéressant pour la culture. En 1836, cette zone est aménagée<br />

de terrasses cultivées en vignes bien classées (catégories<br />

4 et 5) et donc fortement imposées au vu des<br />

revenus qu’elles devaient produire 22 .<br />

Ce secteur particulier est limité à l’ouest par une carrerada,<br />

une draille qui relie la plaine au plateau. Une bifurcation<br />

de ce chemin, bordé de hauts murs de pierres<br />

sèches pour éviter la divagation des troupeaux, aboutit<br />

à un vaste enclos (pâture) à cheval sur les communes de<br />

Rodès et d’Ille-sur-Têt. Dans cet espace, ceinturé au sud<br />

par de hauts murs de défense, les ruines en pierre sèches<br />

d’un enclos de15 m 2 ont été reconnues. Cette construction,<br />

étudiée plus loin, pourrait correspondre à une génération<br />

de cortal antérieure aux grandes bergeries qui<br />

jalonnent le plateau. Ailleurs, l’espace est entièrement<br />

aménagé de terrasses formant de longues banquettes peu<br />

profondes. Peu élevés, ces murs sont construits de blocs<br />

de petite taille et par endroits on note la présence d’escaliers<br />

servant à les franchir. L’évacuation des eaux pluviales<br />

représentait un enjeu important compte tenu des investissements<br />

consentis. Chaque parcelle est traversée par<br />

un ou deux canaux aménagés qui se rejoignent ensuite, et<br />

22. ADPO, 1025W174.<br />

68 - Pot à graisse daté entre 1850 et 1950 (cl. Joël Ruiz, A.D.P.-O.).<br />

ce chevelu aboutit dans le ruisseau du Ropidera qui longe<br />

la zone au sud. Quasiment chaque parcelle est dotée<br />

d’une cabane à encorbellement, souvent de plan circulaire<br />

ou ovoïde. Les prospections pédestres effectuées sur ce<br />

secteur ont permis la découverte d’un pot à graisse intact,<br />

coincé entre deux rochers (parcelles 1595/1596). Cette<br />

céramique, couverte d’une glaçure vert foncé, est datée<br />

entre 1850 et 1950 et correspond aux dernières phases<br />

d’occupation de ce secteur (ill. 68).


398 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

69 - Extrait du cadastre napoléonien sur le secteur du Pont de Labau.<br />

1.5 - Au-dessus des gorges de<br />

La Guillera, le secteur du Pont<br />

de Labau (commune de Rodès)<br />

Cette zone marque la limite<br />

méridionale du plateau qui domine<br />

ici, du haut de falaises profondément<br />

marquées, les gorges<br />

de La Guillera où s’écoule la Têt<br />

(ill. 69). À peu de distance du<br />

village de Rodès, les terres qui<br />

se trouvent sur ce versant bien<br />

exposé sont toutes des vignes<br />

de catégories 3, 4 et 5 (ill. 70).<br />

La présence de canaux perpendiculaires<br />

à la pente permet de<br />

supposer que certaines de ces<br />

parcelles pouvaient être irriguées.<br />

Comme sur le secteur<br />

du Bourbonné, on note là aussi<br />

la dualité entre les pâturages et<br />

les cultures avec l’existence de<br />

plusieurs drailles et de devèses<br />

closes de hauts murs 23 .<br />

La soulane du Pont de Labau :<br />

des terres irriguées ?<br />

Ce vaste plateau en pente légère<br />

vers l’est est limité au nord par<br />

la profonde incision du ravin du<br />

Bourbonné, à l’ouest par les pentes<br />

de La devesa et au sud par les<br />

falaises qui dominent les gorges<br />

de la Guillera (Têt). Sur la partie<br />

occidentale du secteur la vigne<br />

seule domine tandis qu’à l’est et<br />

au sud on voit apparaître les premières<br />

vignes complantées d’oliviers.<br />

Toutes ces parcelles sont<br />

aménagées de murs de terrasses<br />

dont la physionomie – murs faisant<br />

intervenir des blocs de petite<br />

taille le plus souvent – suggère<br />

qu’ils étaient entretenus il y a en-<br />

70 - Vue aérienne du secteur du Pont de Labau. Elle révèle un état du paysage difficilement datable avec une probable<br />

draille d’origine médiévale qui rejoint le plateau. À gauche, la parcelle enclose correspond probablement à un enclos, une<br />

devèze (parcelle 1511) mentionnée comme pâture en 1832 et mise en culture après cette date. La draille est flanquée d’un<br />

canal qui permettait d’irriguer les parcelles (cl. O. Passarrius).<br />

23. Ces vestiges ont été étudiés dans la partie<br />

consacrée à l’occupation de la <strong>montagne</strong><br />

à la fin du Moyen Âge et durant l’époque<br />

moderne.


Des terrasses à perte de vue<br />

399<br />

core peu de temps. La plupart de ces<br />

parcelles étaient dotées de cabanes<br />

à encorbellement, parfois très bien<br />

conservées (ill. 71). L’une de ces cabanes<br />

porte, gravée sur le linteau,<br />

la date de 1844. Autour de cette<br />

cabane, ont été collectés quelques<br />

fragments de céramiques (39 en<br />

tout) dont certains remontent au<br />

milieu du XVII e siècle. Cette présence<br />

suppose soit une plus grande<br />

ancienneté de cette construction,<br />

soit l’existence d’une construction<br />

antérieure, détruite ou remaniée<br />

lors de l’aménagement de la cabane<br />

au milieu du XIX e siècle. De même,<br />

les collectes de mobilier effectuées<br />

sur la parcelle 1506 ont livré exclusivement<br />

des céramiques datées du<br />

XVI e siècle. Le mobilier plus récent<br />

est bien entendu présent, notamment<br />

sur la parcelle 1580, où quelques<br />

céramiques datées entre 1850<br />

et 1950 ont été collectées.<br />

Il semblerait qu’ait existé, avant<br />

cet état massif de mise en culture du<br />

versant, une phase où l’élevage était<br />

dominant. La zone est traversée par<br />

un chemin, entièrement bordé de<br />

hauts murs, qui s’apparente à une<br />

draille. Il dessert la parcelle 1582,<br />

mentionnée comme pâture en 1832,<br />

et entourée de hauts murs de pierres<br />

sèches, dont certains sont effondrés.<br />

À l’intérieur, l’espace est entièrement<br />

aménagé de terrasses qui pourraient<br />

correspondre à un état de mise en<br />

culture postérieur, datant du courant<br />

du XIX e siècle. Ce chemin,<br />

bordé de murs, occupe le creux qui<br />

est ensuite aménagé pour permettre<br />

l’écoulement des eaux. À partir de<br />

cet endroit on peut en effet suivre<br />

sur plus de 220 m les vestiges d’un<br />

petit canal, large d’environ 70 cm à<br />

1 m et profond d’une quarantaine de<br />

71 - Cabane à encorbellement avec escalier à gauche permettant d’accéder à la parcelle située au-dessus (cl. A. Catafau).<br />

72 - Canal utilisé probablement pour l’évacuation des<br />

eaux pluviales. Cependant le fait que cette structure capte<br />

les eaux d’une source et serpente entre les parcelles<br />

laisse penser qu’elle a pu être utilisée pour l’irrigation, au<br />

printemps seulement (cl. A. Catafau).<br />

73 - Cruche retrouvée brisée, XIX e /XX e siècles.<br />

centimètres, aux parois de pierres sèches (ill. 72). Ce canal, parfois enjambé de<br />

grandes dalles permettant aux mulets de le franchir, court au milieu des parcelles,<br />

le plus souvent perpendiculairement à la pente. Sur certaines portions, on<br />

distingue encore aisément des prises d’eau, des naissances de rigoles qui permettaient<br />

d’irriguer les champs. La source d’alimentation n’a pas été retrouvée, tarie<br />

et disparue. La datation de cette structure reste problématique. Sa construction<br />

ne semble pas pouvoir être associée à la culture de la vigne et de l’olivier, exclusives<br />

en 1832 sur ce territoire, et il est évident que son utilisation est antérieure au<br />

développement de cette monoculture. Sur cette zone, le sol présente un intérêt<br />

pour tout type de mise en culture : souple, limoneux, peu caillouteux et irrigué<br />

pour partie, il pouvait convenir aux céréales comme aux légumineuses.


400 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

1.6 - Un territoire en pleine transformation<br />

Durant la décennie 1830, le territoire incendié situé<br />

sur la commune de Rodès est occupé en grande partie<br />

par des pâtures, rochers et gravières ou par des vignes<br />

et des oliviers, présents encore sur environ 336 hectares.<br />

Les « terres » représentent 218 hectares, soit un quart<br />

de la surface et seulement 1 000 m 2 sont irrigués. Ces<br />

cultures ne sont pas réparties de façon homogène. La<br />

plupart des pâtures, des prés et bon nombre de terres<br />

sont situés sur le plateau, aux abords des mares temporaires<br />

mises à profit pour l’élevage. Sur les versants, on<br />

retrouve la vigne, omniprésente mais qui côtoie aussi<br />

quelques terres labourées, là où le terrain est plat, ou au<br />

fond des vallons où ces terres ont été gagnées sur le cours<br />

d’eau au prix d’imposants travaux d’aménagement pour<br />

écarter la rivière du fond du talweg et ouvrir à la culture<br />

ses limons.<br />

La nature du sol de certaines zones présente un réel<br />

intérêt pour l’agriculture, notamment les secteurs situés<br />

au-dessus de la carrière de Rodès, dans les secteurs du<br />

Bourbonné ou du Pont de Labau où la plupart des terres<br />

sont classées en catégories 4 ou 5. À cet endroit, certains<br />

champs sont irrigués une partie de l’année par des canaux<br />

qui conduisent l’eau des sources captées en amont.<br />

L’olivier par contre se retrouve sur les versants les plus<br />

escarpés, au-dessus de l’actuel barrage de Vinça, et plus<br />

généralement sur les pentes ou en bordure des falaises<br />

qui dominent au nord la plaine alluviale de la Têt.<br />

Durant cette première moitié du XIX e siècle, le terroir<br />

est encore en pleine transformation et les décennies qui<br />

suivent voient de nouveaux défrichements. On s’attaque<br />

désormais aux versants les plus escarpés, les plus pentus<br />

pour accrocher, sur des banquettes de quelques mètres<br />

carrés construites à grand peine, quelques pieds de vigne<br />

ou un olivier. On observe ce phénomène surtout sur la<br />

commune d’Ille-sur-Têt, autour du Pouchinel ou dans<br />

le secteur du Mas Domenech. Sur cette zone, et durant<br />

tout le XIX e siècle, la pâture et la friche continuent de reculer<br />

et certaines de ces parcelles font l’objet d’importants<br />

travaux de mise en culture. La bonne terre est déjà entièrement<br />

occupée et ce sont les parcelles les plus pentues,<br />

même celles exposées au nord et au vent dominant, qui<br />

sont mises en valeur et cultivées, probablement en vigne.<br />

La cabane à encorbellement est toujours en usage et l’on<br />

en construit encore de nouvelles sur les terres défrichées.<br />

Rien ne change, ni dans la construction des cabanes ni<br />

dans l’agencement des terrasses. On continue à manipuler<br />

les gros blocs de granit, certains sont cassés au marteau<br />

et l’usage de l’explosif semble très limité.<br />

Sur le secteur du Puig Pedrous, on observe la même tendance,<br />

à ceci près que l’on a pu y reconnaître des traces de<br />

mises en culture antérieures au début du XIX e siècle. On<br />

les retrouve là où la pression agricole s’est rétractée, sur<br />

les pentes parfois abruptes du Puig Pedrous ou sur les versants<br />

mal exposés. La présence de quelques céramiques<br />

médiévales, probablement les vestiges de la fumure des<br />

champs, l’atteste. Sur ce secteur, durant le XIX e siècle, on<br />

continue à défricher en gagnant sur des terroirs anciennement<br />

mis en culture mais qui étaient revenus à la friche<br />

et aux troupeaux car trop escarpés.<br />

L’opposition permanente entre culture et élevage est un<br />

des traits dominants qui a contribué à façonner le paysage.<br />

On observe quasiment partout une volonté de protéger<br />

les cultures, y compris les vignes, de la dépaissance<br />

des troupeaux, soit lors de leur montée au plateau par<br />

les drailles, soit lors de leur divagation dans les pâtures<br />

privées ou communales.<br />

Ruisseau aménagé qui serpente entre les terrasses (cl. A. Catafau).


Des terrasses à perte de vue<br />

401<br />

II - Cortals, bergeries, enclos et mas :<br />

première approche typo-chronolo-<br />

GIQue<br />

Plusieurs cortals, enclos ou bergeries jalonnent la zone<br />

d’étude. Ces constructions sont parfois reportées sur le<br />

cadastre napoléonien – ce qui fournit un précieux élément<br />

de datation – dans d’autres cas elles en sont absentes,<br />

soit car elles sont plus anciennes et ruinées soit<br />

au contraire car elles sont plus récentes. Dans le cadre<br />

de ce projet, elles ont toutes fait l’objet d’une étude, d’un<br />

relevé en plan et d’une collecte de mobilier. Les descriptions<br />

qui suivent sont autant destinées à l’inventaire et<br />

à la protection de ce patrimoine bâti qu’à l’élaboration<br />

d’une synthèse sur l’architecture rurale de ce secteur, sur<br />

les relations entre les évolutions culturales et les changements<br />

dans le bâti.<br />

B<br />

Toiture état n°1<br />

Pailler (état n°2)<br />

Plancher 2e niveau<br />

État n°2<br />

Poutre<br />

N<br />

A<br />

II.1 - Enclos et cortals de la première phase<br />

L’ensemble de ces bâtiments est représenté sur le plan<br />

napoléonien de 1832, ce qui nous fournit un élément<br />

de datation. Bon nombre ont ensuite connu des travaux<br />

qu’il est possible de préciser dans le temps à partir de ce<br />

repère chronologique.<br />

Le cortal du Puig Pedrous (parcelle 1375 – Montalbale-Château)<br />

: Ce bâtiment, aujourd’hui en ruine, est<br />

mentionné en 1833 comme cortal sur le plan cadastral<br />

napoléonien (parcelle 1335) et appartient à Pierre<br />

Paicha (fils de Barthélemy) de Montalba. Le bâtiment<br />

présente un plan de forme quadrangulaire, de 5,70 m de<br />

côté pour une superficie utile au sol de 23 m 2 (ill. 74).<br />

Les murs de blocs bruts sont liés à la terre et recouverts<br />

d’un enduit de mortier de chaux. L’accès se fait au<br />

sud par une porte large d’environ 90 cm qui possédait<br />

sûrement deux vantaux superposés et indépendants,<br />

encastrés dans la feuillure de la pierre d’encadrement.<br />

Initialement, la toiture était à un pan vers l’est et les<br />

pannes reposaient sur les pignons et sur une poutre prise<br />

dans les murs nord et sud. Dans un second temps, le<br />

bâtiment a été surélevé afin d’établir un demi-étage dans<br />

le quart sud-ouest, probablement un pailler (ill. 75). La<br />

toiture, toujours de tuiles rondes, est alors à deux pans<br />

et les pannes reposent cette fois sur une poutre faîtière.<br />

Dans l’angle sud-ouest du bâtiment, sous le pailler, se<br />

trouve une mangeoire maçonnée de plan semi-circulaire.<br />

Aucun autre aménagement n’a été observé et il<br />

B<br />

État n°1<br />

0 2,00 4,00 m<br />

74 - Plan et coupe du cortal du Puig Pedrous.<br />

75 - Cortal du Puig Pedrous. Mur sud avec la porte d’accès. On distingue la reprise de<br />

maçonnerie pour l’élévation du bâtiment (cl. A. Catafau).<br />

est probable que la fonction de cette construction (une<br />

bergerie) n’ait pas évolué durant le reste du XIX e siècle.<br />

Autour du cortal se trouvent six des dix parcelles appartenant<br />

au même propriétaire et qui définissent le<br />

territoire du bâtiment. Une grande partie correspond<br />

à des terres agricoles, qui profitent d’un relief assez plat<br />

parsemé ponctuellement de chaos, mais en définitive relativement<br />

peu caillouteuses.<br />

A


402 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

N<br />

Piliers<br />

Arches<br />

Accès<br />

n<br />

s<br />

0 4,00 8,00 m<br />

À l’extérieur, on note au sud la présence, sur quelques mètres<br />

carrés, d’une ruine dont le plan est peu visible et d’un<br />

enclos de pierres sèches accolé à la bergerie. L’absence<br />

d’aménagements domestiques, la largeur du seuil et la<br />

nature des ouvertures confirment l’usage en bergerie déduit<br />

de la mention cortal sur la matrice de 1832. Le bâtiment<br />

existait déjà à cette époque, probablement sous sa<br />

forme actuelle : les remaniements rares, faits en ciment,<br />

sont donc très récents. Les prospections dans et autour<br />

du bâtiment ont permis de collecter onze fragments de<br />

céramique que l’on peut dater du XVI e siècle : leur présence<br />

suggère l’existence de cette construction (ou d’une<br />

autre plus ancienne et détruite) à cette époque.<br />

76 - Plan et coupe du cortal Domenech.<br />

77 - Vue du cortal Domenech depuis le sud (cl. A. Catafau).<br />

Coupe nord/sud<br />

Le cortal Domenech (commune d’Ille-sur-Têt) : La<br />

bergerie ou cortal du Mas Domenech se trouve sur une<br />

butte et domine ainsi les parcelles qui l’environnent. Le<br />

bâtiment mesure 17 m de long pour 12 m de large, soit<br />

une superficie utile de 160 m 2 (ill. 76). Les murs, larges<br />

de 50 à 70 cm, en pierres liées à la terre, sont protégés<br />

par un enduit extérieur de mortier de chaux (ill. 77). Le<br />

bâtiment possédait une toiture à pan unique vers le sud,<br />

couverte de tuiles, reposant sur des arcs surbaissés dont<br />

seule subsiste la base des jambages. Les ouvertures sont<br />

nombreuses, à simple ébrasement ou à profil rectangulaire.<br />

L’accès se fait par le sud, par une ouverture d’environ<br />

1,45 m de large. Aucun aménagement interne n’a été<br />

observé, excepté une différence de niveau d’une vingtaine<br />

de centimètres entre la moitié nord et sud du bâtiment,<br />

matérialisant peut-être l’emplacement d’une cloison.<br />

Le cortal de Las Balmettes (commune de Rodès) : Ce cortal<br />

appartient en 1832 à Joseph Cornet de Rodès qui possède<br />

aussi le « cortal Cornet ». Ce cortal se présente comme<br />

un bâti de forme rectangulaire flanqué au sud par un enclos<br />

de plan trapézoïdal (ill. 78 et 79). Ce plan, observé sur<br />

le terrain, se retrouve à l’identique sur le cadastre de 1832<br />

où l’enclos porte le numéro de parcelle 1294. Le bâtiment<br />

mesure 10 m de long pour 8 m de large, soit une superficie<br />

utile de 62 m 2 . Les murs, larges d’environ 65 cm, sont<br />

constitués de blocs de granit équarris et liés à la terre. Le<br />

parement extérieur est protégé par un enduit de mortier<br />

de chaux. La toiture était soutenue par un pilier central<br />

carré qui se rétrécit d’un tiers à partir de 1,50 m au-dessus<br />

du sol actuel (ill. 80). La charpente en bois supportait une<br />

couverture de tuiles courbes. Il est probable que ce pilier ait<br />

supporté un demi-étage comme l’indique la présence d’un<br />

escalier accolé au mur sud-ouest. L’accès se faisait par une<br />

porte large de 1,55 m ouverte sur le mur sud, qui est percé<br />

également de deux étroites fenêtres en archères. En face de<br />

la porte, une niche de 49 cm de hauteur, 22 cm de largeur<br />

et 10 cm de profondeur est aménagée sur le pilier central.<br />

L’enclos qui précède l’entrée présente un plan irrégulier, à<br />

cause du socle rocheux qui affleure par endroits. Les murs<br />

qui le constituent sont larges d’environ 70 cm, en blocs de<br />

granit assemblés sans liant. Ces murs atteignent 1,45 m<br />

d’élévation et leur arase est achevée par de longues pierres<br />

qui, en épousant la largeur de la construction permettent<br />

de le chaîner. Les prospections dans et autour de cette<br />

construction ont permis de collecter quelques fragments<br />

de céramiques, toutes des productions vernissées locales,<br />

datées entre le milieu du XVIII e siècle et le milieu du<br />

XX e siècle.


Des terrasses à perte de vue<br />

403<br />

N<br />

N<br />

Pilier<br />

Arche<br />

Escalier ?<br />

Enclos<br />

Enclos<br />

Arche<br />

Rocher<br />

81 - Plan général du mas ou cortal Gazé.<br />

0 4,00 8,00 m<br />

0 4,00 8,00 m<br />

78 - Plan du cortal de Las Balmettes.<br />

79 - Vue générale du cortal de Las Balmettes<br />

(cl. A. Catafau).<br />

Le mas ou cortal Gazé (commune de Rodès) : Cette<br />

construction se trouve sur le plateau de Rodès, en limite<br />

septentrionale de la zone brûlée (ill. 81). Le mas Gazé<br />

(parcelle 58) n’appartient plus à la famille Gazé en 1832,<br />

qui possède en revanche La Font del Mas 24 (parcelle n° 62).<br />

Le mas lui-même est entouré de terres détenues en partie<br />

par les Gazé, et en partie par le nouveau (?) propriétaire,<br />

Jean Boher, qui possède aussi la parcelle n° 61, le long du<br />

chemin de Tarrerach, qui est un petit pré semblant profiter<br />

de l’eau du ravin et de La Font del Mas. Le même possède<br />

aussi vers l’ouest, au-dessus du mas Gazé, la parcelle n° 64,<br />

24. La fontaine du mas.<br />

80 - Détail du pilier central avec sa niche<br />

(cl. A. Catafau).<br />

une grande vigne, au pied du Roc de la Serre d’en Garrigue.<br />

Le bâtiment est ruiné et en partie pris sous une végétation<br />

épargnée par l’incendie. Il présente un plan rectangulaire<br />

de 13,40 m de long sur 8 m de large. Au nord, il est adossé<br />

à un vaste chaos granitique. Les murs, larges d’environ<br />

55 cm en moyenne, sont constitués de blocs équarris liés<br />

à la terre. Le parement extérieur est protégé par un enduit<br />

de chaux. La couverture était faite de tuiles rondes que<br />

l’on retrouve en abondance sur le site. L’accès, à l’ouest, se<br />

faisait à partir d’un enclos de forme rectangulaire adossé<br />

au bâtiment. Les murs de cet enclos sont constitués de<br />

blocs assemblés sans liant et n’excèdent pas un mètre<br />

d’élévation. Dans un second temps, la couverture du bâti<br />

a été refaite avec la construction de deux arches en plein<br />

cintre destinées à la soutenir (ill. 82). Cette construction,<br />

qui existe déjà en 1832, correspond à un cortal, une bergerie,<br />

conciliant un espace couvert et un enclos attenant.<br />

Aucune trace d’un<br />

changement d’affectation,<br />

qui justifierait<br />

le nom de<br />

« mas » (résidence<br />

paysanne) qui lui<br />

est attribué sur<br />

l’état des sections,<br />

n’a été identifiée (ni<br />

cheminée, ni pièces<br />

aux fonctions<br />

d’habitation).<br />

82 - L’un des arcs du cortal Gazé (cl. O. Passarrius).


404 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

La grange Molins (commune de Rodès) : Le mas<br />

Molins (parcelle n° 27) est mentionné comme « grange »<br />

sur l’état des sections de 1832, en possession d’un habitant<br />

de Vinça, Joseph Pagès. Le mas Molins est l’une des<br />

constructions les plus imposantes du plateau (ill. 83). Il a<br />

la particularité de correspondre à une unité d’habitation,<br />

postérieure à 1832 et à l’élaboration du cadastre napoléonien.<br />

Sur cette matrice, n’est en effet reporté qu’un seul<br />

corps de bâtiment mentionné comme grange. Le relevé<br />

et l’étude de cet ensemble permettent d’en décomposer<br />

le plan et d’identifier la construction primitive qui s’apparente<br />

à une bergerie ou à la grange mentionnée dans<br />

les registres (ill. 84). Ce premier bâti possède un plan de<br />

forme rectangulaire, aux angles irréguliers, de 9,50 m sur<br />

8 m environ. Les murs sont constitués de blocs équarris<br />

et liés à la terre. On note la présence d’un enduit de<br />

mortier de chaux qui pourrait être plus tardif. La toiture<br />

de tuiles rondes était supportée par une charpente reposant<br />

sur un pilier rectangulaire implanté au centre du<br />

bâti (ill. 85) La construction du reste des bâtiments et<br />

l’ajout d’espaces dédiés à une habitation sont postérieurs<br />

à 1832. À ce stade, l’analyse du plan afin d’en déterminer<br />

les principales phases n’est pas aisée et mériterait un investissement<br />

plus important. Il semble que cette seconde<br />

phase se traduise par la construction d’une extension<br />

au sud, un petit bâti de 5,80 m de long pour 3,60 m de<br />

large, soit une superficie utile de 12 m 2 . À l’est une seconde<br />

pièce est construite, une cuisine, abritant un four<br />

à pain en briques. Toutes ces constructions, témoignant<br />

d’un habitat permanent, sont sans mortier de chaux. Seul<br />

l’arc en plein cintre de la porte de la cuisine fait intervenir<br />

des briques liées au mortier. Le reste des bâtiments<br />

relève d’une troisième phase de construction et ils s’insèrent<br />

entre les ensembles des phases précédentes. À l’est,<br />

la grange primitive est reliée à la cuisine par la construction<br />

d’un bâti de forme rectangulaire, une bergerie ou une<br />

étable au vu de la largeur du seuil. Au sud, les vestiges<br />

sont moins bien conservés mais la présence d’une porte<br />

étroite aux montants en briques permet de supposer que<br />

cet ensemble de bâtiments a conservé sa fonction d’habitation.<br />

Attenant à l’ouest, c’est un vaste hangar, une bergerie<br />

ou une étable, qui a été élevé. Ce bâti mesure 11 m<br />

de longueur pour 4,20 m de largeur (ill. 86). Construit<br />

en blocs équarris et liés à la terre, il a ensuite été surélevé,<br />

sans doute pour accueillir un étage ou un demi-plancher.<br />

La partie occidentale est occupée sur toute sa largeur par<br />

Porcherie ?<br />

Hangar ?<br />

Bergerie ?<br />

1/200<br />

0 4,00 8,00 m<br />

Cuisine<br />

une banquette en maçonnerie, ruinée, qui pourrait correspondre<br />

à une mangeoire. Comme ailleurs, la toiture<br />

était faite de tuiles rondes. À l’extérieur de cet ensemble,<br />

contre le bâti précédent, se trouvent trois réduits, probablement<br />

destinés aux cochons.<br />

N<br />

Bergerie ?<br />

Cortal primitif<br />

83 - Plan du mas Molins avec les différentes phases de sa construction.<br />

84 - Les ruines du mas Molins (cl. A. Catafau).<br />

Phase 1<br />

Phase 2<br />

Phase 3<br />

Phase 3 ou 4


N<br />

Des terrasses à perte de vue<br />

405<br />

85 - Pilier central du cortal primitif<br />

noyé dans la construction<br />

de l’extension du mas<br />

(cl. A. Catafau).<br />

86 - Détail des constructions du mas Molins. Ici le<br />

hangar ou la bergerie (cl. A. Catafau).<br />

88 - Plan cadastral napoléonien (1832) avec localisation du cortal (parcelle 975).<br />

Ouverture<br />

postérieure<br />

Rajouts postérieurs<br />

Accès primitif<br />

Pilier<br />

87 - Plan et coupe du cortal de la parcelle 975.<br />

Plancher<br />

0 2,00 4,00 m<br />

Accés<br />

Cortal, parcelle 975 (commune de Montalba-le-<br />

Château) : Ce cortal, mentionné comme tel en 1832, se<br />

trouve à l’exutoire d’une draille probablement d’origine<br />

médiévale qui prend naissance dans la grande devèse<br />

de Rodès. Cette construction, installée sur un système<br />

de terrasses, présente un plan rectangulaire de 9,50 m<br />

de long pour 8,80 m de large (ill. 87). Les murs, larges<br />

de 50 cm en moyenne, sont construits en blocs équarris<br />

liés à la terre. On note cependant la présence de volumineux<br />

blocs de granit, laissés bruts, employés à la base<br />

de la construction. Les parements extérieurs sont enduits<br />

de mortier de chaux. La construction possédait un étage<br />

auquel on accédait de plain-pied par une porte large de<br />

1,20 m aménagée au nord. Cet étage était soutenu par<br />

un système de solives appuyées au pilier central qui supportait<br />

une toiture de tuiles courbes à un pan, orientée<br />

vers le sud. Dans un second temps, le rez-de-chaussée a<br />

été cloisonné par la construction de trois murs divisant<br />

l’espace en trois. La porte originelle, large de 1,30 m et<br />

aménagée à l’est, est conservée mais l’on a procèdé au<br />

percement d’une seconde ouverture sur le mur sud. Ces<br />

modifications apportées au bâti, à une date inconnue, ne<br />

modifient pas la destination du bâtiment qui semble encore<br />

faire office de cortal (ill. 88).


406 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

N<br />

90 - Vue générale du cortal Sire avec son extension nord-est (cl. A. Catafau).<br />

89 - Plan du cortal Sire.<br />

0 2,00 4,00 m<br />

Le cortal Sire (commune de Rodès) : Le cortal Sire, appelé<br />

« grange » sur l’état des sections, est possédé par la<br />

famille Sire de Montalba. La partie la plus ancienne du<br />

bâti présente un plan carré de 7 m de côté, soit une superficie<br />

utile d’environ 34 m 2 . Les murs sont construits<br />

de blocs équarris liés à la terre (ill. 89). Initialement,<br />

la toiture était à pan unique vers le sud, soutenue par<br />

des poutres de 25 cm de section, avant que le bâtiment<br />

ne soit surélevé (ill. 90). Cette reprise de la construction<br />

fait intervenir le mortier de chaux comme liant.<br />

Plusieurs fenêtres, de simples meurtrières, donnent du<br />

jour à cette pièce, sans doute une bergerie, ce qui correspond<br />

à la mention cortal en 1832. Dans un second<br />

temps, un petit bâti a été accolé à l’est. Cette construction,<br />

de 6,80 m de long sur 3,20 m de large est faite de<br />

blocs liés à la terre mais on a pris soin de protéger le<br />

parement extérieur par un enduit de mortier de chaux.<br />

Cet espace correspond aussi à une bergerie ou à une<br />

étable et possédait sans doute une mangeoire au nord.<br />

On accédait au premier niveau, un pailler, par un escalier<br />

intérieur, aujourd’hui ruiné, donnant sur une large<br />

porte à un vantail. La toiture, à un pan vers le sud, était<br />

couverte de tuiles rondes.<br />

Le cortal Pla (commune de Rodès) : Ce bâtiment, qui<br />

semblait déjà exister sous sa forme actuelle et dans ses<br />

volumes en 1832, est installé en bordure d’une dépression<br />

humide, aujourd’hui un pâturage. Sur le cadastre<br />

napoléonien, le bâtiment est subdivisé en deux parties<br />

juxtaposées, qui correspondent à des parcelles différentes<br />

et qui n’ont pas le même propriétaire. La parcelle 260<br />

(cortal et pâture, 310 m 2 ) est une possession de Jean Pla<br />

et la parcelle n° 261 (bergerie, 31 m 2 ) fait partie des parcelles<br />

261 à 266 possédées par André Sarda, cultivateur<br />

à Rodès. Le bâtiment est aujourd’hui en grande partie<br />

ruiné rendant difficile la levée de son plan (ill. 91). Il semblerait<br />

qu’il ait été constitué d’une première construction,<br />

de forme rectangulaire, vraisemblablement un cortal surmonté<br />

d’un pailler (A). L’extension vers le sud semble plus<br />

récente mais l’on ne peut exclure le fait qu’elle existait déjà<br />

en 1832 (ill. 92). L’ensemble B est difficile à interpréter<br />

même si un usage à vocation agricole semble probable. Ce<br />

bâtiment était aussi équipé d’un second niveau (pailler ?)<br />

auquel on accédait par l’ouest, de plain-pied. Enfin, la<br />

construction C, plus récente, suggère la transformation<br />

du lieu en maison avec la présence d’un four à pain et<br />

d’un espace d’habitat.<br />

Le cortal Cornet (commune de Rodès) : Cette construction<br />

occupe une position similaire à celle du cortal Pla,<br />

en bordure immédiate d’une vaste dépression, encore exploitée<br />

aujourd’hui comme pâturage. Cette bergerie (parcelle<br />

229) fait partie des propriétés (226-231), de Joseph<br />

Cornet, propriétaire à Rodès, qui possède aussi les parcel-


Des terrasses à perte de vue<br />

407<br />

M<br />

Four à pain<br />

C<br />

A<br />

B<br />

Accès à un second niveau<br />

(pailler ?)<br />

A<br />

N<br />

Accès à un second niveau<br />

(pailler ?)<br />

les 246, 247, et 254 (lieu-dit La Prade). Le long du chemin de Tarerach,<br />

les parcelles 195, 194, 219, 254-257 et 267 sont des prés. Joseph Cornet<br />

est un très grand propriétaire foncier, par la superficie et le nombre de ses<br />

possessions, comme par le montant de ses revenus 25 .<br />

Cette bergerie a subi quelques évolutions architecturales durant<br />

son histoire. Elle se présente sous la forme d’un plan rectangulaire, de<br />

12,80 m de long sur 8,50 m de large (ill. 93). Les murs sont constitués<br />

de blocs équarris liés à la terre et le parement extérieur est protégé par<br />

un enduit de mortier de chaux. L’accès se faisait du côté sud, par une<br />

porte dont la largeur n’a pu être restituée. Initialement, la toiture à un<br />

pan, vers l’est, était soutenue par deux puissants piliers quadrangulaires<br />

se rétrécissant d’un tiers à mi-hauteur. Dans un second temps, cette<br />

toiture est modifiée et on surélève le mur septentrional en modifiant le<br />

pendage du toit, du nord vers le sud dorénavant (ill. 94). Ces travaux<br />

autorisent la création d’un premier niveau, peut-être un pailler. L’espace<br />

est divisé en deux tiers/un tiers par une cloison de pierres et de terre incluant<br />

de nombreux fragments de tuiles en remploi. L’accès à la seconde<br />

pièce se faisait par une petite porte, murée par la suite.<br />

0 4,00 8,00 m<br />

N<br />

91 - Plan général du cortal Pla.<br />

0 2,00 4,00 m<br />

93 - Plan général du cortal Cornet.<br />

94 - Détail du mur ouest du cortal Cornet sur lequel on distingue la trace de la première pente de la toiture<br />

avant que le bâti ne soit surélevé (cl. O. Passarrius).<br />

92 - Détail de la partie du cortal Pla supposée la plus ancienne<br />

(cl. O. Passarrius).<br />

25. Joseph Cornet de Candy possédait en 1836 près de 296 hectares de terrain. Pour plus de<br />

renseignements se reporter à l’étude de N. Marty chap. XIV, et de P. McPhee chap.XV.


408 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

N<br />

Escalier ?<br />

A<br />

B<br />

0 2,00 4,00 m<br />

95 - Plan général du cortal Baudet.<br />

96 - Au dessus de la porte du cortal Baudet, cadre avec date gravée : 1818 suivie<br />

d’une inscription illisible (cl. A. Catafau).<br />

probablement utilisée pour le stockage du foin. L’accès à<br />

ce bâtiment agricole se fait par une porte en plein cintre,<br />

large d’1,60 m, qui est surmontée de la date « 1818 »,<br />

gravée dans l’enduit de façade (ill. 96). Il est impossible<br />

de déterminer si cette date correspond à la construction<br />

du bâti ou à la phase de travaux postérieure qui a permis<br />

de le surélever. Dans un troisième temps, une pièce<br />

d’environ 3 m de large sur 5,40 m de long a été accolée<br />

au mur occidental. La fonction de cet espace n’a pu être<br />

déterminée mais il aurait pu servir d’habitation temporaire<br />

ou permanente.<br />

II.2 - Constructions et réaménagements du XIX e siècle<br />

97 - Vue générale des ruines du cortal Baudet (cl. A. Catafau).<br />

Le cortal Baudet (commune de Rodès) : Cette construction<br />

est mentionnée comme bâtiment rural en 1832. Le<br />

plan qu’elle présente aujourd’hui semble correspondre à<br />

celui de la matrice cadastrale d’époque napoléonienne.<br />

Long d’environ 16,20 m et large de 8 m, il est subdivisé<br />

en deux espaces : le plus petit, à l’ouest, étant ajouté<br />

dans un second temps (ill. 95). Le bâti principal mesure<br />

13 m de long pour environ 8 m de large. Les murs sont<br />

faits de blocs équarris liés à la terre et le parement extérieur<br />

est protégé par un enduit de mortier de chaux,<br />

partiellement conservé. Deux piliers centraux supportaient<br />

dans un premier temps une toiture à pan unique<br />

avant que le bâtiment ne soit surélevé et couvert d’une<br />

toiture à double pente. Ces travaux ont permis la mise<br />

en place d’un niveau supérieur ou d’un demi-plancher<br />

Le cortal dit Imbert (commune de Rodès) : Cette<br />

construction correspond à une bergerie. Adossée à un<br />

énorme bloc de granit, elle présente un plan de forme<br />

rectangulaire, d’environ 4,5 m de long pour 4 m de large,<br />

soit une superficie utile de 14 m 2 . Les murs, d’environ<br />

40 cm d’épaisseur, sont construits de blocs équarris au<br />

marteau et liés au mortier de chaux (ill. 98). Quelques<br />

fragments de tuiles courbes sont inclus dans la maçonnerie.<br />

La toiture à deux pans était couverte de tuiles<br />

courbes. L’accès au bâti se fait par le sud-ouest, par une<br />

porte surmontée d’un arc en plein cintre construit en<br />

briques 26 . L’accès, large d’environ 1,20 m, à simple ébrasement,<br />

était fermé d’une porte à vantaux superposés,<br />

comme l’atteste la présence de gonds doubles sur le<br />

montant sud (ill. 99). Ce cortal possédait un étage, un<br />

pailler ou grenier, auquel on accédait par une échelle,<br />

26. L = 44 cm, l = 21 cm, e = 4,5 cm.


N<br />

Des terrasses à perte de vue<br />

409<br />

Rocher<br />

0 2,00 4,00 m<br />

N<br />

Bourbonné/Balmettes. Cortal, point S (commune de<br />

Rodès) : Ce petit bâti, qui n’est pas reporté sur le cadastre,<br />

se trouve aujourd’hui en bordure de la piste forestière.<br />

Il présente un plan rectangulaire, de 7,40 m de long pour<br />

5,10 m de large (ill. 100). Les murs sont faits de blocs<br />

équarris liés à la terre. Les parements sont protégés par<br />

un enduit de mortier de chaux auquel on a intégré des<br />

fragments de tuiles courbes afin d’absorber l’humidité<br />

(ill. 101). La toiture, de tuiles rondes, était en pente vers<br />

le sud. La présence, dans la maçonnerie, d’empreintes de<br />

poutres encastrées suppose l’existence d’un plancher en<br />

relation avec la fenêtre à simple ébrasement très haute<br />

aménagée sur le mur sud. L’accès à cette bergerie devait<br />

se faire par le sud, à un endroit où le mur est effondré.<br />

98 - Plan du cortal dit Imbert.<br />

Niche<br />

100 - Plan général du cortal (point S).<br />

0 2,00 4,00 m<br />

99 - Détail du cortal Imbert avec sa porte d’accès et son arc en briques<br />

(cl. A. Catafau).<br />

une large fenêtre aménagée sur le mur sud permettant,<br />

à l’aide d’une poulie, de hisser le fourrage. Aucune trace<br />

de cheminée ou de foyer n’a été détectée. La largeur du<br />

seuil, la présence de fenêtres à simple ébrasement et de<br />

deux trous pour l’écoulement des fluides – probablement<br />

liés à la stabulation des bêtes – suggèrent une bergerie<br />

et non un habitat permanent. La datation de cette<br />

construction n’est pas aisée. Elle n’est pas représentée<br />

sur le cadastre de 1832 ce qui fait supposer qu’elle est<br />

postérieure à ce document. Cette hypothèse est confirmée<br />

par l’architecture du bâtiment et par les matériaux<br />

mis en œuvre pour sa construction (briques, mortier,<br />

présence d’un pailler...).<br />

101 - Détail du cortal (point S) avec l’utilisation de fragments de tuile et de brique<br />

dans l’enduit de chaux (cl. A. Catafau).


410 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

N<br />

N<br />

Partie remaniée<br />

Banquette<br />

Porte d'accès<br />

au paillé<br />

0 2,00 4,00 m<br />

0 2,00 4,00 m<br />

102 - Plan général du cortal (point n° 4).<br />

Cortal, point n° 4 (commune de Rodès) : Cette<br />

construction, qui ne figure pas sur le cadastre de 1832,<br />

présente un plan rectangulaire de 12 m de long sur 9 m de<br />

large (ill. 102). Les murs sont constitués de blocs équarris,<br />

liés à la terre avant d’être recouverts d’un enduit de mortier<br />

de chaux. De nombreux fragments de tuiles rondes<br />

sont utilisés en remploi dans la maçonnerie. La toiture,<br />

à un pan vers l’est, était couverte de tuiles rondes et soutenue<br />

par deux piliers quadrangulaires. Les ouvertures se<br />

résument à de simples meurtrières et l’accès se faisait par<br />

le sud, par une porte large d’environ 2 m. La fonction de<br />

bergerie semble confirmée par la présence d’un écoulement<br />

des fluides ménagé à la base du mur occidental.<br />

Cortal, point n° 2 (commune de Rodès) : Ce petit<br />

bâti, d’environ 5 m de côté, est construit à l’aide de blocs<br />

équarris liés à la terre (ill. 103 et 104). Les parements<br />

sont enduits de mortier de chaux et d’inclusions de fragments<br />

de tuiles. L’accès se faisait au sud, par une porte<br />

large de 1,20 m surmontée d’un arc en briques. La hauteur<br />

sous plafond du premier niveau n’excède pas 1,60 m.<br />

Le plancher de l’étage est soutenu par une poutre (25 cm<br />

de diamètre) supportant les solives (ill. 105). On accède<br />

à ce pailler par une porte sur le mur occidental, large<br />

de 1,40 m, complétée par une rampe en partie affaissée<br />

aujourd’hui. Cette construction, qui n’est pas représentée<br />

sur le cadastre de 1832, est liée à l’agriculture et à l’élevage<br />

comme l’atteste la présence d’une mangeoire au rez-dechaussée<br />

et d’un pailler destiné au stockage des foins.<br />

103 - Plan général du cortal (point n° 2).<br />

104 - Détail du cortal (point n° 4) depuis le sud (cl. O. Passarrius).<br />

105 - Détail de l’emplacement<br />

des chevrons soutenant un<br />

plancher de bois auquel on<br />

accédait par une porte aménagée<br />

sur le mur ouest, plus<br />

facilement accessible<br />

(cl. O. Passarrius).


N<br />

Des terrasses à perte de vue<br />

411<br />

N<br />

Cour pavée<br />

0 2,00 4,00 m<br />

106 - Plan du cortal du Bellagre.<br />

0 2 4 m<br />

108 - Plan général du cortal (point 101).<br />

107 - Vue générale du cortal du Bellagre (cl. A. Catafau).<br />

Cortal du Bellagre (commune de<br />

Montalba-le-Château) : Cette construction,<br />

postérieure à la levée de la matrice cadastrale,<br />

mesure 8 m de long pour 7,50 m de large<br />

(ill. 106 et 107). Les murs sont construits à<br />

l’aide de blocs liés au mortier de chaux. La toiture,<br />

à pan unique vers le sud, est couverte de<br />

tuiles rondes. L’accès se fait à l’ouest, par une<br />

porte de 1,50 m de large dont le linteau est<br />

constitué d’une poutre de bois. Deux meurtrières<br />

ont été ménagées sur le mur sud et une<br />

petite ouverture quadrangulaire a été percée<br />

sur le mur est.<br />

Cortal, point 101 (commune de Rodès) :<br />

Cette construction, postérieure à la levée<br />

du cadastre en 1832, mesure 8,50 m de<br />

long pour 4,50 m de large (ill. 108 et 109).<br />

Les murs sont construits en blocs de granit<br />

109 - Détail du cortal (point 101) possédant une<br />

cour pavée (cl. A. Catafau).<br />

110 - Détail du mur avec le rez-de-chaussée,<br />

le négatif du plancher de bois, posé dans un<br />

second temps et qui matérialise l’élévation du<br />

bâtiment avec la construction d’un étage, probablement<br />

un grenier (cl. A. Catafau).<br />

équarris et liés à la terre. Un enduit de mortier de chaux protège<br />

le parement extérieur. Un pilier central maintenait le plancher en<br />

bois d’un étage puis la charpente et sa couverture de tuiles courbes<br />

(ill. 110). Au rez-de-chaussée, la hauteur sous plafond était basse,<br />

entre 1,50 m et 1,80 m tout au plus. La pièce était éclairée par des<br />

fenêtres à simple ébrasement placées à seulement 60 cm au-dessus<br />

du niveau du sol. Dans l’angle sud-est se trouve un massif maçonné,<br />

peut-être le support d’une mangeoire. On accédait au rez-de-chaussée<br />

par une porte large d’environ 1,20 m communiquant avec un<br />

enclos de 120 m 2 de superficie, ceinturé d’un mur de pierres sèches<br />

d’un mètre de hauteur. Une grande partie de cet espace est dallée de<br />

pierres mises à plat. L’aire ainsi couverte pouvait servir à dépiquer<br />

le grain après la moisson. Le mobilier collecté dans et aux abords<br />

de cette construction est composé d’une quarantaine de tessons de<br />

céramique commune glaçurée, tous datés entre 1850 et 1950.


412 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

111 - Carte de la zone incendiée avec localisation des cortals et des mas.<br />

L’étude de ces bâtis, en relation avec le cadastre de 1832,<br />

autorise quelques réflexions sur l’évolution de leur usage<br />

et des techniques de construction. À la fin du Moyen Âge<br />

ou au début de l’époque moderne, on relève l’existence<br />

d’une première génération d’enclos installés en bordure<br />

de zones humides, des prés ou des pâtures 27 .<br />

Il est intéressant de noter que la plupart des cortals,<br />

granges ou bergeries (c’est sous cette dénomination qu’ils<br />

sont cités sur les matrices cadastrales) actuellement visibles<br />

sur le plateau sous forme de ruines plus ou moins<br />

bien conservées sont déjà en place en ce premier tiers du<br />

27. Pour plus de renseignements sur ces constructions, se reporter au chap. IX<br />

consacrée à l’occupation de la <strong>montagne</strong> durant la fin du Moyen Âge et<br />

l’époque moderne.<br />

XIX e siècle (ill. 111). Ces bâtiments agricoles présentent<br />

un mode de construction traditionnel, qui n’a pas évolué<br />

depuis les XIV e -XV e siècles et les maisons de Ropidera.<br />

Les murs sont toujours construits à l’aide de blocs liés à la<br />

terre et dans la plupart des cas la face extérieure du parement<br />

est protégée par un enduit de chaux. La brique est<br />

absente des bâtiments reportés sur le cadastre de 1832 et<br />

la toiture est couverte de tuiles rondes qui reposent sur<br />

une charpente à un pan soutenue par un pilier central.<br />

Cette seconde génération d’enclos, en place vers 1830, est<br />

destinée au parcage des animaux, probablement des caprins.<br />

On les retrouve sur le plateau, en bordure de prés<br />

ou de pâturages, proches des dépressions ou des zones<br />

humides.


Des terrasses à perte de vue<br />

413<br />

112 - Dépiquage du blé au cortal, à l’étage le pailler (carte postale XIX e siècle, coll. S. Roca). 113 - Corral (enclos) en bois, province de Gérone (carte postale XIX e siècle, coll. S. Roca).<br />

Entre 1832 et la première guerre mondiale, on assiste<br />

à la construction de quelques nouveaux cortals souvent<br />

munis d’un étage – un pailler – pour le stockage du foin.<br />

Bon nombre des constructions portées sur la matrice<br />

napoléonienne sont également transformées, rehaussées<br />

d’un étage, pour les doter d’un grenier qui n’existait pas<br />

auparavant. Cette évolution architecturale est à mettre en<br />

relation avec un changement des pratiques agricoles, le<br />

développement des cultures fourragères, et un processus<br />

d’accroissement des rendements et donc des outils.<br />

Durant le XX e siècle, une ou deux pièces d’habitation<br />

et des structures culinaires sont ajoutées à deux bergeries<br />

(le Mas Molins et au cortal Pla) soit pour l’installation<br />

permanente d’un habitat soit plutôt pour améliorer les<br />

conditions de vie des résidents temporaires, conditions<br />

de vie devenues trop précaires.<br />

Après 1832, on note l’apparition du mortier utilisé<br />

comme liant. L’usage de la terre dans la construction se<br />

maintient, mais on observe la présence systématique d’un<br />

enduit de chaux pour protéger le parement extérieur.<br />

L’ajout de tuiles concassées dans cet enduit se répand,<br />

pour absorber l’humidité du mortier. La brique apparaît,<br />

mais uniquement pour les encadrements de portes (piédroit<br />

et arc brisé) et pour des constructions domestiques<br />

(four à pain). Le pilier central reste l’élément essentiel de<br />

soutien des superstructures mais on note la persistance<br />

des grandes arches surbaissées comme support de toiture.<br />

La transformation du bâti, avec le développement d’un<br />

étage faisant office de pailler, entraîne une modification<br />

du profil des toitures avec l’apparition des doubles pans.<br />

Les propriétaires de ces cortals, bergeries ou granges,<br />

résident dans les villages voisins, Rodès ou Montalbale-Château.<br />

Le cortal, toujours entouré de parcelles, des<br />

pâtures, des terres, des vignes parfois, ne se limite pas à<br />

une structure pastorale, il est un outil de d’exploitation<br />

agro-pastorale. L’éloignement du village, l’association de<br />

deux étages de culture et la complémentarité de la vie pastorale<br />

et agricole ont pour conséquence le déplacement<br />

saisonnier de la vie rurale. Maximilien Sorre, peu avant la<br />

première guerre mondiale, décrit cette vie dans un village<br />

du bas Conflent, à Mosset 28 . À la belle saison, l’activité se<br />

réduit au minimum dans la vallée et la vie quitte le village<br />

pour se transporter sur les pentes ou les hauts plateaux :<br />

« Au premier mai au plus tard, les deux tiers des gens de<br />

Mosset ont essaimé dans leurs cortals, entre 700 et 1300 m<br />

environ ; leur vie aura là son centre jusqu’à mi-octobre ».<br />

Maximilien Sorre décrit ensuite cette vie temporaire à la<br />

<strong>montagne</strong> : « Le rez-de-chaussée appartient aux moutons, le<br />

premier étage sert de grenier et de dortoir. Accolée au cortal,<br />

une maisonnette contient une étable et une cuisine. (...) Dès<br />

l’arrivée, on sème les pommes de terre et l’avoine du printemps.<br />

Du 15 juillet au 15 août, on fauche et on moissonne.<br />

En octobre, on fait les blés d’automne et on récolte les pommes<br />

de terre. Toutes les cultures se font à l’aspre, l’irrigation était<br />

réservée aux prés ; (...) Pendant tout l’été, les brebis paissent<br />

la devèze, aux abords du cortal ou les pâturages communaux.<br />

(...) En somme, la vie rurale a deux centres, la maison du<br />

village et le cortal ». C’est à ce style de vie, à l’époque de<br />

plus grande densité démographique des campagnes, que<br />

correspondent les cortals transformés postérieurement au<br />

cadastre napoléonien.<br />

28. Sorre 1913 : 345.


414 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIII<br />

III - Les crises de la seconde moitié du<br />

XIX e siècle et les nouveaux usages de<br />

la <strong>montagne</strong><br />

Les travaux menés sur plusieurs secteurs choisis ont<br />

montré que la première moitié du XIX e siècle est marquée<br />

par la croissance agraire, qui suit l’élan de l’accession<br />

des paysans aisés à la terre, après la Révolution française<br />

et la croissance démographique du XIX e s. Les nombreux<br />

exemples de défrichement ou de mise en culture<br />

de nouvelles parcelles, arrachées à des versants de plus<br />

en plus escarpés, témoignent de la vigueur et de la progression<br />

de la culture de la vigne sur ce terroir de terrasses<br />

pendant les premières décennies du XIX e siècle.<br />

L’incendie nous a offert l’image d’une époque révolue<br />

où un monde plein s’est finalement vidé pour laisser la<br />

place à la garrigue ou au maquis. On ressent, lorsque<br />

l’on arpente ce paysage, l’abandon, la fin d’une économie,<br />

d’un type de culture et d’un mode de vie. Cette déprise<br />

est intervenue dans le courant de la seconde moitié du<br />

XIX e siècle, en tous cas avant la grande guerre. On la<br />

perçoit avec force sur la plupart des secteurs étudiés mais<br />

surtout sur les communes d’Ille-sur-Têt et de Montalbale-Château<br />

qui ont conservé les registres cadastraux de<br />

l’Entre-deux-guerres permettant de suivre l’évolution de<br />

chacune des parcelles.<br />

Sur le secteur du Puig Pedrous, la vigne occupe en 1832<br />

près de 49 % de la superficie, à égalité avec les pâtures.<br />

Dans la plupart des cas, ces vignes sont cultivées sur<br />

des parcelles rendues exploitables par la construction<br />

de murs de terrasses, construction dont la date est inconnue.<br />

Les fonds de vallon ou les parcelles arrachées<br />

au lit des torrents par de gros travaux d’aménagements<br />

sont réservés aux « terres » et aux cultures irrigables, qui<br />

ne représentent en 1832 que 3 % de la surface cultivée<br />

dans ce secteur. À cette époque, le terme « pâture » n’est<br />

pas sans poser problème, il est fort probable que cette<br />

catégorie ait connu une évolution entre le premier tiers<br />

du XIX e siècle et les années 1940. Bon nombre de pâtures<br />

seigneuriales sont devenues propriétés communales<br />

à la Révolution. Elles occupent généralement plusieurs<br />

hectares sur des versants escarpés, parfois orientés au<br />

nord, et correspondent à d’anciennes devèses médiévales.<br />

En 1832, on peut différencier deux types de pâtures.<br />

Certaines sont destinées à la dépaissance des troupeaux :<br />

de vastes terroirs, des versants entiers, abrupts souvent,<br />

y sont consacrés à l’instar de la parcelle 1046 du secteur<br />

du Mas Domenech, de plus de 10 hectares, qui est encore,<br />

en 1914, propriété communale. Mais, dès 1832 le<br />

terme de pâture désigne aussi la friche : la petite parcelle<br />

correspondant à un chaos granitique, inculte mais entourée<br />

de vignes, est aussi appelée « pâture », bien qu’il<br />

semble improbable qu’on y ait conduit des troupeaux à<br />

travers les vignes. En 1914, sur le même terroir du Cortal<br />

Domenech, la pâture occupe 98 % de la superficie : le<br />

terme ne désigne pas toutes les terres non cultivées, en<br />

friche, même si on peut supposer que bien peu sont de<br />

vraies « pâtures » parcourues par les troupeaux.<br />

Sur le secteur du Puig Pedrous, en 1946, la vigne a<br />

disparu et le territoire est depuis longtemps en déprise,<br />

à l’image de ces parcelles gagnées sur la rivière à grand<br />

peine et qui sont mentionnées comme rocher, la rivière<br />

ayant tôt fait de lessiver le sol et de rendre au ruisseau<br />

son aspect de torrent de <strong>montagne</strong>. Sur le secteur du<br />

Mas Domenech, le registre de 1941, qui clôt une révision<br />

des parcelles débutée en 1914, nous donne une nouvelle<br />

vision du territoire. À l’orée de la Grande Guerre, la vigne<br />

avait quasiment disparu. Il n’en subsiste plus qu’une parcelle,<br />

complantée d’oliviers, soit 0,4 ha contre 29 hectares<br />

un siècle plus tôt – et même sans doute quelques années<br />

plus tôt seulement. En effet, les recherches sur le terrain<br />

montrent que la vigne, déjà majoritaire en 1832, n’a cessé<br />

de progresser au détriment de la pâture dans les décennies<br />

suivantes, avant son déclin brutal. En 1914/1941,<br />

la friche occupe 98 % de la superficie de ce secteur. Sur<br />

le secteur du Bellagre, sur le versant dominant la Têt, on<br />

fait le même constat. En 1832, la vigne, cultivée seule<br />

ou complantée d’oliviers, représente plus de 20 % de la<br />

superficie, le reste étant en pâture privée ou communale<br />

(parfois des terrains incultes là où affleure le socle).<br />

En 1941, le terroir est à l’abandon, la « pâture » représente<br />

plus de 96 % de la superficie. La vigne a disparu,<br />

seules subsistent quelques parcelles d’oliviers.<br />

La culture de la vigne est traditionnelle sur ces terroirs<br />

de côteaux. Les documents du Moyen Âge ou de l’époque<br />

moderne et l’observation du plan cadastral du début<br />

du XIX e siècle montrent l’importance de la viticulture, à<br />

côté de l’élevage. L’arrivée du chemin de fer au milieu du


Des terrasses à perte de vue<br />

415<br />

114 - Cabane construite à la soulane, éclairée par les derniers rayons du soir. Malgré leur aspect archaïque,<br />

dû aux matériaux, à leur mise en œuvre et à l’utilisation opportuniste du rocher, la plupart (la totalité ?) des<br />

cabanes à encorbellement encore debout datent au plus tôt du XIX e siècle (cl. A. Catafau).<br />

XIX e siècle a probablement eu un impact mais le paysage viticole du massif<br />

de Rodès et de Montalba était en place plusieurs décennies avant le<br />

rail et l’économie d’exportation bien installée. Le train atteint Perpignan<br />

en 1858 ; dès lors la plaine du Roussillon et, dans une moindre mesure,<br />

le département des Pyrénées-Orientales sont reliés au marché intérieur<br />

français, pour exporter les ressources locales, le vin mais aussi les fruits,<br />

les légumes et le minerai de fer du Canigou 29 . Le projet de construction<br />

d’une voie ferrée dans la vallée de la Têt, pour désenclaver la Cerdagne,<br />

date de 1858 mais les travaux n’ont commencé qu’en 1865. En 1868, le<br />

train est à Ille-sur-Têt et il faut attendre encore neuf années pour qu’il<br />

atteigne Prades, seulement 19 km en amont dans la vallée.<br />

Durant la première moitié du XIX e siècle, le paysage continue à se<br />

construire, avec l’installation de terrasses sur des versants de plus en plus<br />

pentus, parfois à des endroits peu accessibles. La première crise intervient<br />

durant la seconde moitié du XIX e siècle, probablement dans les années<br />

1850 avec les premières attaques phytosanitaires et des cas d’oïdium<br />

qui menacent de ravager la vigne et de pourrir les récoltes. L’attaque cryptogamique<br />

est vite jugulée avec l’utilisation du souffre et la vigne peut<br />

continuer à se développer. En 1863, le phylloxera est repéré pour la première<br />

fois dans le couloir rhodanien. L’insecte, une sorte de puceron, s’attaque<br />

aux racines des ceps de vigne locaux entraînant le brunissement des<br />

feuilles, la chute des rameaux puis la mort rapide des pieds. Là ou le puceron<br />

s’abat, c’est la désolation, les vignes sont arrachées, tandis que dans les<br />

régions encore épargnées, le Biterrois, le Narbonnais et le Roussillon, c’est<br />

29. Sagnes 1983.<br />

l’opulence avec la hausse de la production<br />

et des prix de vente pour compenser<br />

l’effondrement de l’offre au niveau<br />

national 30 . Cette période d’euphorie est<br />

de courte durée, le Roussillon est à son<br />

tour concerné à la fin des années 1870<br />

et au début des années 1880. Dans les<br />

Pyrénées-Orientales, touchées tardivement,<br />

les profits importants réalisés durant<br />

les années qui ont précédé la crise<br />

ont permis la reconstitution rapide des<br />

vignobles, souvent par autofinancement<br />

31 . Les terrasses sont abandonnées<br />

en de nombreux endroits et la vigne<br />

descend dans les plaines humides, en<br />

Salanque souvent, où les œufs du puceron<br />

ne résistent pas. L’utilisation de<br />

porte-greffes américains, mis au point<br />

par émile Planchon en 1878, va s’avérer<br />

la solution la plus efficace : le phylloxéra<br />

s’attaque aux racines, l’idée a donc été<br />

de greffer les cépages cultivés en Europe<br />

sur des formes américaines résistantes.<br />

Mais à Rodès, le temps est passé,<br />

la culture mécanisée, les nouvelles méthodes<br />

de plantation, avec un défonçage<br />

profond du sol, entraînent le déclin<br />

des petites exploitations et la concentration<br />

de l’activité sur les terrains les<br />

plus accessibles. Les crises de mévente<br />

du début du XX e siècle et la chute du<br />

cours du vin, conduisant aux révoltes<br />

vigneronnes de 1907, achèvent le processus<br />

de déprise. Les terrasses sont<br />

abandonnées, le paysage est déserté et<br />

la « pâture » mentionnée dans les états<br />

de section suivants n’a d’autre sens que<br />

la friche, ce maquis qui couvrait le massif<br />

avant que l’incendie ne le ravage et<br />

qui reprend aujourd’hui ses droits.<br />

30. Gavignaud-Fontaine 2000.<br />

31. Pech 1975.


chapitre XIV<br />

Démographie et activités économiques :<br />

éléments pour une histoire des transformations<br />

de Rodès entre 1850 et 1940<br />

Nicolas Marty<br />

Introduction<br />

Le choix de porter l’attention sur une seule commune<br />

s’explique par trois raisons principales. La première est<br />

d’ordre pratique et tient essentiellement à l’abondance des<br />

sources. Il était impossible, dans le temps assez court qui<br />

nous était imparti, de s’engager sur plusieurs communes<br />

en essayant de traiter le grand nombre d’informations disponibles<br />

sur cette période. L’autre raison est d’ordre historiographique<br />

: c’est la présence d’un travail déjà très abouti<br />

sur la commune de Rodès, publié par le grand historien<br />

australien Peter McPhee . Ce dernier a travaillé sur la politisation<br />

des campagnes dans la France du XIX e siècle à<br />

travers l’exemple des Pyrénées-Orientales (McPhee 1977-<br />

1995). Peter McPhee essaie de comprendre comment se<br />

met en œuvre le processus de politisation dans les campagnes<br />

françaises, y compris dans les endroits les plus éloignés<br />

de Paris. Ses principales questions étaient, lorsqu’il<br />

s’est lancé dans sa recherche : quelle est la nature de la politique<br />

rurale ? Comment la population s’est elle politisée ?<br />

Pour quelles raisons les groupes au sein des communautés<br />

rurales se sont-ils opposés les uns aux autres ? La période<br />

d’analyse privilégiée est celle qui englobe la seconde République<br />

(1848‐1852), moment fondateur avec l’irruption du<br />

suffrage universel, la reprise en main par les conservateurs<br />

. En 2005, lors de la période de lancement des travaux qui ont abouti à<br />

cette publication, nous avions la chance d’avoir obtenu la venue de Peter<br />

McPhee comme professeur invité au département d’histoire de l’Université<br />

de Perpignan.<br />

après les élections à la Constituante d’avril, les journées de<br />

juin en 1848 jusqu’au coup d’État de Louis Napoléon le<br />

2 décembre 1851. En 1981, l’historien publia un article<br />

qui, toujours dans le cadre général de ses travaux sur la politisation<br />

des campagnes, prenait appui plus particulièrement<br />

sur Rodès (McPhee 1981 et ci-dessous chap. XV).<br />

Le village fut en effet un lieu de fortes dissensions entre<br />

démocrates socialistes (fervents républicains) et partisans<br />

de l’ordre (conservateurs). Le cas de Rodès est un observatoire<br />

intéressant de la naissance de conflits politiques avec<br />

l’émergence de thématiques nationales dans les communautés<br />

rurales. Partant de l’arrestation, le 2 février 1850, d’une<br />

vingtaine d’hommes par les gendarmes, accusés de participer<br />

à une société secrète « rouge », contre la république<br />

autoritaire , Peter McPhee s’est attaché à montrer que les<br />

transformations des structures économiques et sociales de<br />

la commune sont un des moyens de comprendre pourquoi<br />

une partie des populations rurales se voua aux éléments<br />

de justice politique et sociale. Une vocation violemment<br />

contestée par les hommes de l’ordre. À Rodès, McPhee a<br />

montré que les grands propriétaires qui dominent la communauté<br />

rurale trouvent des relais chez les petits paysans<br />

et laboureurs les plus pauvres qui dépendent d’eux au plan<br />

économique. Les valeurs conservatrices de hiérarchie, de<br />

réciprocité et de tradition sont la base de leurs relations.<br />

. Une arrestation donnant lieu à la saisie de journaux, de chansons et autres<br />

documents extraordinaires. Cf. Archives départementales des Pyrénées-Orientales<br />

(ADPO), 3U 2850.


418 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIv<br />

En revanche, les petits propriétaires indépendants qui se<br />

lancent dans des cultures plus axées sur le marché (comme<br />

la vigne) contestent l’hégémonie des grands propriétaires<br />

et trouvent dans l’idée républicaine et démocrate le vecteur<br />

idéal. Cette étude brillante de Peter McPhee est complétée<br />

par un panorama général sur l’histoire du village effectué<br />

dans les années 1980 par les auteurs de la revue d’Ille et<br />

d’ailleurs (Tosti et alii 1987). Ainsi, tout n’est pas à faire,<br />

loin de là, sur l’histoire contemporaine de ce village du département.<br />

Enfin, la troisième raison n’est ni d’ordre pratique<br />

ni d’ordre historiographique, mais est liée à la présence<br />

dans la commune de Rodès de la carrière de La Devesa,<br />

exploitée pendant une vingtaine d’années à une grande<br />

échelle par la société des carrières de granit du Canigou.<br />

Cette présence est intéressante dans la mesure où l’un des<br />

thèmes privilégiés de ce volume est celui de l’exploitation<br />

des ressources de son territoire par la communauté villageoise.<br />

L’objet du présent article n’est pas de revenir sur la politisation<br />

des campagnes mais plutôt de donner des éléments<br />

permettant de reconstituer l’évolution économique<br />

et sociale de la commune. L’étude exhaustive d’un espace<br />

rural sur deux siècles et de la communauté des habitants<br />

qui forment sa population et sa société relève du travail<br />

de longue haleine. Seules quelques pistes ont été suivies<br />

ici, à partir d’un choix de sources disponibles : listes nominatives<br />

des recensements de la population, matrices<br />

cadastrales et dépôts d’actes des sociétés.<br />

Une analyse des structures de la population a été effectuée<br />

à travers les listes nominatives de quatre recensements,<br />

en 1856-1876-1906-1921. Ces différents recensements<br />

permettent de faire le point sur des périodes clé<br />

de l’évolution générale du village entre la fin de la Monarchie<br />

de Juillet étudiée par Peter McPhee et la période<br />

de l’entre-deux-guerres.<br />

Certaines explications à cette évolution générale peuvent<br />

être apportées à travers une analyse sur l’évolution<br />

des propriétés et les types de culture par l’utilisation des<br />

sondages réalisés dans le cadastre.<br />

Enfin, cet article se termine par une étude de la carrière<br />

de granit de La Devesa qui vient bouleverser la vie<br />

de la commune pendant un temps assez court après la<br />

première guerre mondiale.<br />

1. L’évolution démographique<br />

1.1 - évolution générale<br />

La synthèse des recensements (Pelissier 1986 : 287)<br />

permet de mettre au point deux courbes arithmétiques<br />

de l’évolution générale de la population depuis la fin du<br />

XVIII e siècle jusqu’aux années 1980 (graphique 1). La période<br />

qui nous intéresse est repérée dans le graphique 2.<br />

Nous retrouvons l’évolution classique de la population<br />

d’une commune rurale de moyenne <strong>montagne</strong> avec un pic<br />

de population au début du XIX e siècle. C’est en 1836 que<br />

la population de la commune atteint son point culminant<br />

avec 752 habitants. C’est le moment de la transition démographique<br />

qui touche la population française en général<br />

(Dupâquier 1988) et la zone pyrénéenne en particulier<br />

(Etchelecou 1991). Le régime démographique est en voie<br />

de modernisation : l’accroissement naturel est plus fort<br />

car le taux de mortalité baisse relativement tandis que le<br />

taux de natalité reste élevé. Ensuite, la courbe donne à<br />

voir une décroissance continue de 1836 jusqu’en 1911,<br />

en dehors d’un sursaut entre 1856 et 1861. Il est aisé de<br />

repérer qu’en 75 ans, entre 1836 et 1911, la commune a<br />

perdu plus de la moitié de ses habitants.<br />

Le cas n’est pas particulièrement surprenant. Les études<br />

sur les Pyrénées montrent en général un exode massif dès<br />

avant le milieu du XIX e siècle, avant que l’accroissement naturel<br />

ne s’affaiblisse à la fin du siècle (Bourret 1995 : 419 sq.).<br />

Si le département des Pyrénées-Orientales connaît globalement<br />

un accroissement démographique jusque vers 1886,<br />

ce n’est pas le cas des hauts cantons qui perdent régulièrement<br />

de la population au profit des villes et de la plaine<br />

(Sagnes 1999). Le début du XX e siècle est plus surprenant<br />

pour le cas de Rodès. Alors qu’il faudrait s’attendre à une<br />

chute plus profonde encore après la première guerre mondiale,<br />

c’est au contraire un sursaut démographique assez<br />

inédit qui se produit entre 1911 et 1926. Ce sursaut dure<br />

peu cependant. Dès 1931, la tendance s’inverse et la population<br />

retombe à des niveaux assez bas après la seconde<br />

guerre mondiale (autour de 350 personnes).<br />

L’évolution générale rapidement brossée, quelques<br />

éléments de l’évolution des structures de la population<br />

peuvent être esquissés à partir des recensements choisis<br />

(1856-1876-1906-1921) .<br />

. ADPO, 6M 195, liste nominative commune de Rodès, dénombrement de 1856 ;<br />

6M 220, dénombrement de 1876 ; 6M 286, dénombrement de 1906 ; 6M 295,<br />

dénombrement de 1921.


Rodès entre 1850 et 1940<br />

419<br />

800<br />

700<br />

600<br />

500<br />

400<br />

300<br />

200<br />

100<br />

0<br />

1793 1806 1820 1826 1831 1836 1841 1851 1856 1861 1866 1872 1876 1881 1886 1891 1896 1901 1906 1911 1921 1926 1931 1936 1946 1954 1962 1968 1975 1982<br />

Graphique 1 - évolution générale de la population de Rodès entre1793-1982.<br />

Sources : Pelissier et ADPO Série M.<br />

800<br />

700<br />

600<br />

500<br />

400<br />

300<br />

200<br />

100<br />

0<br />

1826 1831 1836 1841 1851 1856 1861 1866 1872 1876 1881 1886 1891 1896 1901 1906 1911 1921 1926 1931 1936 1946<br />

Graphique 2 - évolution de la population entre 1826 et 1946.<br />

Sources : Pelissier et ADPO Série M.


420 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIv<br />

1.2 - Les structures de la population<br />

L’étude des quatre recensements permet<br />

d’abord de faire le point sur l’évolution des structures<br />

de la population : répartition par sexe et<br />

par âge (graphiques 3 à 6)<br />

La modification de la physionomie des pyramides<br />

des âges est spectaculaire. Les trois premières<br />

montrent un déclin démographique classique comportant<br />

un rétrécissement spectaculaire de la base<br />

et donc de la proportion des « jeunes » dans l’ensemble<br />

de la population, montrant une baisse de<br />

la natalité et un exode des jeunes adultes. L’effectif<br />

féminin, largement déficitaire, le devient de moins<br />

en moins pour dominer largement en 1906.<br />

Fréquence Hommes 52<br />

%<br />

Pyramide des âges 1856<br />

[80 et +]<br />

[70-80]<br />

[60-70]<br />

[50-60]<br />

[40-50]<br />

[30-40]<br />

[20-30]<br />

[10-20]<br />

[0-10]<br />

Fréquences femmes 48 %<br />

-15,0 -10,0 -5,0 0,0 5,0 10,0 15,0<br />

Fréquences Hommes 52% Fréquences Femmes 48%<br />

Graphique 3 - Pyramide des âges 1856. Source : ADPO 6M 195.<br />

La répartition par âge montre la part de plus<br />

en plus importante que prennent les populations<br />

adultes et âgées (graphique 7). Ce qui est frappant,<br />

c’est que la population des adultes (entre 20<br />

et 60 ans) est quasiment constante entre 1856<br />

et 1921. Mais la proportion des jeunes de moins<br />

de 20 ans passe de 41 % de la population à 27 %<br />

tandis que la part des plus de 60 ans passe de 8 à<br />

20 % de la population.<br />

[80 et +]<br />

[70-80]<br />

[60-70]<br />

[50-60]<br />

[40-50]<br />

[30-40]<br />

[20-30]<br />

1.3 - évolution des catégories socioprofessionnelles<br />

L’évolution des catégories socioprofessionnelles<br />

est tout aussi spectaculaire (graphiques 9 et 10).<br />

Lorsqu’on compare les deux graphiques, on<br />

se rend compte que la principale transformation<br />

est la baisse de la part des professions agricoles.<br />

Cependant, cette transformation n’est<br />

réellement effective qu’après la première guerre<br />

mondiale. En effet, encore en 1906, les agriculteurs<br />

représentaient 75 % de la population active.<br />

Entre 1906 et 1921, la proportion baisse<br />

pour aboutir à 52 %. Mais c’est moins dans la<br />

proportion que dans les données « brutes »<br />

que la baisse est considérable. Ainsi, 136 personnes<br />

de la commune travaillaient-elles dans<br />

l’agriculture en 1856. Elles ne sont plus que<br />

88 en 1921. Ce qui frappe lorsqu’on s’intéresse<br />

à la répartition interne des types d’agriculteurs,<br />

c’est le nombre croissant de propriétaires.<br />

[10-20]<br />

[0-10]<br />

-15 -10 -5 0 5 10 15<br />

Fréquences Hommes 51% Fréquences Femmes 49% 49%<br />

Graphique 4 - Pyramide des âges 1876. Source : ADPO 6M 220.<br />

[80 et +]<br />

[70-80]<br />

[60-70]<br />

[50-60]<br />

[40-50]<br />

[30-40]<br />

[20-30]<br />

[10-20]<br />

[0-10]<br />

-15 -10 -5 0 5 10 15<br />

Fréquences effectifs Hommes masculins 45,2% Effectifs Fréquences féminins Femmes 54,8% 54,8%<br />

Graphique 5 - Pyramide des âges 1906. Source : ADPO 6M 286.


Rodès entre 1850 et 1940<br />

421<br />

[80 et +]<br />

Répartition par âge : récapitualitif<br />

récapitulatif<br />

[70-80]<br />

100%<br />

90%<br />

8<br />

16 18 20<br />

[60-70]<br />

80%<br />

[50-60]<br />

[40-50]<br />

[30-40]<br />

70%<br />

60%<br />

50%<br />

40%<br />

51<br />

49<br />

51<br />

53<br />

Plus de 60 ans<br />

De 20 à 60ans<br />

Moins de 20 ans<br />

[20-30]<br />

30%<br />

[10-20]<br />

10%<br />

[0-10]<br />

0% 0%<br />

-15 -10 -5 0 5 10 15<br />

Fréquences Hommes 50% fréquences Fréquences femmes Femmes 50% 50%<br />

20%<br />

41<br />

35<br />

31<br />

27<br />

1856 1876 1906 1921<br />

Plus de 60 ans<br />

De 20 à 60 ans<br />

Moins de 20 ans<br />

Graphique 6 - Pyramide des âges 1921. Source : ADPO 6M 295. Graphique 7 - Répartition par âges de la population de Rodès. Sources : ADPO série M.<br />

Commerce<br />

2%<br />

Administrations<br />

3%<br />

Commerce 2%<br />

Administration 3%<br />

Artisans Artisans 7%<br />

7%<br />

Commerce<br />

Artisans<br />

3%<br />

6%<br />

Commerce 2%<br />

Divers<br />

Artisans 6%<br />

7%<br />

Divers 7%<br />

Domestiques 18%<br />

18%<br />

Agriculteurs 70%<br />

Agriculteurs<br />

70%<br />

Industrie extractive<br />

et éléctrique 32%<br />

Industrie extractive et<br />

électrique<br />

32%<br />

Agriculteurs 52%<br />

Agriculteurs<br />

52%<br />

Graphique 9 - Catégories socioprofessionnelles en 1856. Source : ADPO Série M. Graphique 10 - Catégories socioprofessionnelles en 1921. Source : ADPO Série M.<br />

Il faut cependant préciser que les rubriques utilisées<br />

pour renseigner les listes nominatives ne sont pas encore<br />

normalisées et que la personne qui les renseigne<br />

(généralement le secrétaire de mairie) utilise donc les<br />

mots du langage courant de son époque. En 1876, la<br />

population active travaillant dans l’agriculture est répartie<br />

entre « cultivateurs », « propriétaires », « journaliers<br />

», « métayers », « bergers ». à partir de 1906,<br />

les catégories plus claires pour nous de « propriétaires<br />

cultivants » et d’« ouvriers agricoles » apparaissent.<br />

Cette hétérogénéité des normes est un réel problème.<br />

Il faudrait pour pallier cet inconvénient faire une analyse<br />

individuelle de la répartition des catégories de professionnels<br />

de l’agriculture en recoupant avec d’autres<br />

documents, ceux du cadastre par exemple, réaffecter<br />

précisément chaque individu à une catégorie définie à<br />

l’avance. Par exemple, il est probable que dans la catégorie<br />

des « cultivateurs » de 1876 se trouvent des petits<br />

propriétaires que le secrétaire de mairie ne juge pas devoir<br />

faire entrer dans la catégorie des « propriétaires »,<br />

liée à une véritable fonction sociale de notabilité dans la<br />

communauté.<br />

Quoi qu’il en soit, en 1921, l’hégémonie des professions<br />

agricoles est contestée par les industries extractives<br />

et électriques. La carrière de granit, mais aussi l’usine<br />

électrique qui se trouve à proximité immédiate de Rodès<br />

jouent bien sûr le rôle fondamental dans ces transformations.<br />

Il faut remarquer aussi la disparition d’une catégorie<br />

importante de 1856, celle des domestiques. Mais<br />

les mutations de la population active ne sont pas le seul<br />

bouleversement qui concerne la population de Rodès.


422 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIv<br />

Communes Communes lieu de lieu naissance de naissance de plusieurs de plusieurs habitants habitants<br />

Communes lieu de naissance de un habitant<br />

Communes lieu de naissance de un habitant<br />

Carte 1 - Lieux de naissance des habitants de Rodès en 1876.<br />

Communes lieu de naissance de plusieurs habitants<br />

Communes lieu de naissance de plusieurs habitants<br />

Communes lieu de naissance de un habitant<br />

Communes lieu de naissance de un habitant<br />

Carte 2 - Lieux de naissance des habitants de Rodès en 1906.<br />

1.4 - Origine géographique des populations<br />

Les listes nominatives permettent en effet<br />

de voir d’où provient la population qui réside<br />

à Rodès lors des recensements de 1876-1906<br />

et 1921. En 1856 hélas, la rubrique lieu de naissance<br />

n’existe pas encore.<br />

Les trois premières cartes montrent que les résidents<br />

de Rodès qui n’y sont pas nés eux-mêmes<br />

proviennent de plusieurs communes différentes.<br />

La mobilité existe donc réellement au cours du<br />

XIX e siècle. En 1876, par exemple, les habitants<br />

de Rodès sont nés dans 38 communes différentes,<br />

mais toutes du département. Les plus nombreux<br />

sont nés logiquement dans les communes<br />

du Conflent, des Hautes Aspres (La Bastide, Finestret),<br />

ou de la vallée de la Têt. Plusieurs aussi<br />

sont originaires du Vallespir (Lamanère, Amélie)<br />

ou de la plaine du Roussillon (Alénya, Salleiles,<br />

Latour-Bas-Elne). Aucun habitant de Rodès<br />

n’est né en dehors du département à cette date.<br />

En 1906, c’est le nombre de personnes nées à<br />

Perpignan qui est remarquable (16). Chose curieuse,<br />

on retrouve là encore 38 communes du<br />

département des Pyrénées-Orientales. La différence<br />

avec le recensement de 1876 provient du<br />

fait que plusieurs habitants sont originaires d’un<br />

autre département français (Hérault, Bouchesdu-Rhône<br />

sont les départements de naissance<br />

de plusieurs habitants, tandis que l’Ariège, le<br />

Tarn, l’Aveyron et la Lozère ont vu chacun naître<br />

un habitant de Rodès). Un seul est étranger,<br />

originaire de Tortosa en Catalogne.<br />

La situation a beaucoup évolué en 1921. En<br />

ce qui concerne l’origine géographique départementale,<br />

il existe un réel déplacement vers l’ouest<br />

(Cerdagne, Haut Conflent). Mais c’est surtout<br />

la forte proportion d’étrangers qui frappe : 15 %<br />

de la population est née à l’étranger. On compte<br />

ainsi 13 Italiens (originaires de Ligurie, Savone,<br />

La Spezzia) et 37 Espagnols (origine plus large :<br />

catalans, de Puigcerda à Tortosa). Les listes nominatives<br />

sont intéressantes car elles permettent<br />

de suivre quelques trajectoires individuelles, surtout<br />

pour les ménages qui comptent des enfants.<br />

Ainsi, en suivant les lieux de naissance des différents<br />

enfants d’une famille, on peut suivre l’iti-


Rodès entre 1850 et 1940<br />

423<br />

néraire qui a amené les parents jusqu’à Rodès et<br />

sa carrière de granit. Ainsi en est-il des Mattioli,<br />

un couple d’Italiens. En 1921, le père Mattioli<br />

a 51 ans. Il est né à Valgrana (Piémont), et est<br />

tailleur de pierre. Sa femme est elle aussi italienne<br />

et née en Italie. Leurs deux enfants sont nés en<br />

France, à Saint-Raphaël (Var). L’un des deux fils<br />

a d’ailleurs suivi le chemin professionnel de son<br />

père puisqu’il est épinceur à la carrière. On note<br />

ainsi que la mobilité ne s’effectue pas directement<br />

du lieu d’origine à Rodès, mais avec au moins une<br />

étape, qui a amené la famille jusqu’au petit village<br />

des Pyrénées-Orientales. L’itinéraire des Foli est<br />

plus complexe. Paul a 42 ans en 1921. Né à Fasano<br />

(Pouilles), il est alors mineur à la carrière<br />

de Rodès. Sa femme Cécile est espagnole, née à<br />

Bénidorm (province d’Alicante). Leur fille, Rosine,<br />

est née à Saint-Eugène, en Algérie (Algérois).<br />

Deux autres enfants, Marie-Louise et Victor,<br />

sont nés à Saint-Raphaël (Var), enfin, une petite<br />

dernière est née à Rodès en 1919. Ce type de mobilité<br />

est liée à des conditions complexes dans les<br />

pays de départ, résultant de stratégies familiales<br />

liées indéfectiblement aux réalités des communautés<br />

rurales ou urbaines de départ (Breschi,<br />

Manfredini 2002 : 60-61). Nul doute que l’étape<br />

varoise est liée au domaine professionnel, car la<br />

commune comporte elle aussi des carrières de<br />

granit, qui ont largement concurrencé d’ailleurs<br />

la carrière de Rodès. Notons cependant que le<br />

fait n’est pas spécifique à l’époque contemporaine<br />

puisque les échanges de population entre<br />

les pays méditerranéens sont nombreux dans des<br />

domaines divers, et plus particulièrement en ce<br />

qui concerne les ouvriers spécialisés comme les<br />

potiers, les tailleurs de pierre, etc.<br />

En quelques années donc, depuis la fin de la<br />

monarchie de Juillet jusqu’à l’entre‐deux‐guerres,<br />

la commune de Rodès connaît successivement<br />

un maximum de population, puis un<br />

déclin démographique marqué par le vieillissement<br />

et la surreprésentation féminine. Enfin,<br />

elle connaît un afflux de population étrangère,<br />

qui aurait sans doute été encore plus marqué<br />

avec l’analyse du recensement de 1926, date de<br />

l’apogée de la carrière de granit.<br />

Communes lieu de naissance de plusieurs habitants<br />

Communes lieu de naissance de plusieurs habitants<br />

Communes<br />

Communes<br />

lieu de<br />

lieu<br />

naissance<br />

de naissance<br />

de un<br />

de<br />

habitant<br />

un habitant<br />

Carte 3 - Lieux de naissance des habitants de Rodès en 1921.<br />

II - Degré de concentration des propriétés<br />

et occupation du sol<br />

Pour comprendre quelles sont les relations de la communauté<br />

villageoise avec son territoire, une étude de la répartition des propriétés,<br />

de l‘occupation du sol, est indispensable. Cependant, le<br />

travail présenté ici n’est qu’un panorama général qui se veut complémentaire<br />

de l’analyse précise de quelques secteurs des différentes<br />

communes et de Rodès en particulier (secteurs Bourbonné et<br />

Balmettes, du Pont de Labau, de Ropidera, etc.) effectués pour<br />

le rapport de prospection inventaire (ou dans le présent volume)<br />

par Olivier Passarrius (Passarrius 2007 : 185-196). Il ne saurait<br />

offrir qu’un panorama superficiel, qui devrait être travaillé de<br />

manière beaucoup plus précise pour être satisfaisant. Le choix<br />

qui a été fait ici est de s’arrêter sur deux éléments importants :<br />

essayer de mieux connaître la répartition des propriétés à travers<br />

l’analyse de leur degré de concentration, et tenter de constater<br />

l’évolution générale de l’occupation du sol sur un siècle.<br />

2.1 - Une étude des propriétés<br />

Les propriétés sont une unité fondamentale de l’exploitation<br />

agricole. De nombreuses possibilités peuvent s’offrir à l’historien<br />

qui cherche à en reconstituer l’importance dans l’histoire<br />

rurale. On peut travailler sur l’évolution de leur nombre, de<br />

leur rôle, de leur répartition sur le territoire de la commune.


424 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIv<br />

On peut s’attacher aussi à retracer l’évolution du groupe<br />

social des propriétaires, observer minutieusement une<br />

ou plusieurs propriétés caractéristiques des terroirs de<br />

la commune, évaluer la place de la grande propriété,<br />

de la petite exploitation, etc. (Mayaud 1999 ; Gavignaud<br />

1983). Beaucoup plus modestement, dans l’éventail<br />

des possibilités de recherche, le travail effectué ici<br />

s’efforcera d’évaluer l’évolution de la concentration des<br />

propriétés entre 1836 et 1913.<br />

évaluer la concentration permet de mettre en avant un<br />

paramètre intéressant : dans un espace donné, les propriétés<br />

sont-elles bien réparties entre tous les propriétaires<br />

ou bien au contraire sont-elles accaparées par un<br />

faible nombre de grands propriétaires ? La question n’est<br />

pas de peu de poids. Peter McPhee a montré l’importance<br />

des grands propriétaires au début du XIX e siècle et<br />

l’investissement politique qui naissait du fait de l’ascension<br />

de nouveaux paysans indépendants qui contestaient<br />

leur hégémonie. Rappelons que l’une des constatations<br />

importantes de l’évolution des catégories socioprofessionnelles<br />

est précisément que le nombre des propriétaires<br />

a semble-t-il considérablement augmenté au cours du<br />

siècle. Le long XIX e siècle permet-il de voir une meilleure<br />

répartition des propriétés à l’intérieur de la commune ?<br />

L’analyse des documents du cadastre permet de répondre<br />

en partie à cette question en comparant les courbes de<br />

concentration pour 1836 et pour 1913.<br />

à son établissement, le cadastre comprend un élément<br />

très important qui est l’état des sections : chaque<br />

parcelle est notée avec son propriétaire et la nature des<br />

productions. On a donc une photographie des propriétés<br />

pour 1836 . Le cadastre est un document fiscal et il a été<br />

révisé à partir de 1913 . Les propriétaires sont réunis sur<br />

un folio avec la taille de leur propriété en 1913 . Chaque<br />

folio de la matrice des propriétés non bâties correspond<br />

à un propriétaire. Certes, il apparaît que parfois, les<br />

membres d’une même famille disposent d’un folio pour<br />

chacun. C’est logique fiscalement, mais dans le cadre de<br />

l’exploitation agricole, cela pourrait être parfois contesta-<br />

. ADPO, 1025W174, état des sections, Rodès, 1836. Le document lui-même<br />

a été en son temps retrouvé dans un grenier dans un état de conservation assez<br />

médiocre.<br />

. ADPO 1028W 322 et 323, f os de la matrice cadastrale, révision 1913-1935.<br />

. Le choix a été fait de prendre les propriétaires notés en 1913, à la mise<br />

en œuvre de la matrice. Mais ce document est un document actif qui n’est<br />

pas, à l’inverse de l’état des sections, établi une fois pour toutes, mais qui<br />

évolue, puisque les fonctionnaires notent les transferts de propriétés : lorsque<br />

le propriétaire meurt ou que sa propriété est rachetée par un autre, le nom est<br />

barré et il est remplacé par le nouveau propriétaire.<br />

ble : les membres d’une même famille, le père et le fils, par<br />

exemple, peuvent parfois travailler une seule et même exploitation,<br />

tandis que plusieurs « propriétés » apparaissent<br />

sur la matrice. Le nombre de propriétaires n’est donc<br />

peut-être pas exactement équivalent à celui des exploitations.<br />

Néanmoins, la source est quand même utilisable et<br />

intéressante dans la mesure où l’on a à l’esprit ses limites.<br />

Rappelons enfin la différence importante qui existe avec<br />

les listes nominatives de recensement : les propriétaires<br />

fonciers ou de propriétés bâties dans la commune de Rodès<br />

ne sont pas forcément des résidents de la commune.<br />

De nombreux propriétaires sont résidents des communes<br />

voisines d’Ille, de Vinça, etc.<br />

Tableau 1 - Les propriétés de la commune de Rodès en 1836<br />

Classes (ha) Effectif Fréquence (%)<br />

[0-0,50[ 41 18,14<br />

[0,50-1[ 34 15,04<br />

[1-2[ 47 20,80<br />

[2-5[ 60 26,55<br />

[5-10[ 31 13,72<br />

[10-20[ 7 3,10<br />

Plus de 20 ha 6 2,65<br />

Total 226 100,00<br />

Tableau 2 - Les propriétés de la commune de Rodès en 1913<br />

Source : ADPO, 1025W174<br />

Classes (ha) Effectif Fréquence (%)<br />

[0-0,50[ 283 37,09<br />

[0,50-1[ 169 22,15<br />

[1-2[ 140 18,35<br />

[2-5[ 116 15,20<br />

[5-10[ 39 5,11<br />

[10-20[ 5 0,66<br />

Plus de 20 ha 11 1,44<br />

Total 763 100,00<br />

Source : ADPO, 1028W322-323<br />

La constatation la plus évidente que l’on tire de ces<br />

deux tableaux est de voir que la propriété, d’une certaine<br />

manière, s’est largement « démocratisée ». Le nombre de<br />

propriétés est bien plus élevé en 1913 qu’en 1836. Pourtant,<br />

si ces propriétaires sont de plus en plus nombreux,<br />

il faut remarquer que ce n’est pas le cas pour les propriétaires<br />

au-delà de 5 ha. Leur nombre ne s’est pas élevé du<br />

tout comme ceux des classes de toute petite propriété.


Rodès entre 1850 et 1940<br />

425<br />

Les grandes propriétés demeurent pourtant importantes.<br />

Monsieur Cornet, descendant du plus<br />

grand propriétaire de 1836 (qui était Joseph Cornet<br />

de Candy) dispose d’une propriété de 320 hectares<br />

en 1913 contre 296 ha en 1836 .<br />

La concentration permet d’aller plus loin que la<br />

simple évolution générale du nombre des propriétés.<br />

En effet, c’est un outil statistique qui permet de<br />

mettre en relation la fréquence (ou autrement dit,<br />

le pourcentage) des individus de la série (les propriétés)<br />

avec la fréquence des caractères des individus<br />

(les surfaces occupées). Les deux graphiques<br />

suivants montrent les courbes de concentration<br />

pour 1836 et pour 1913. En abscisse se trouvent les<br />

fréquences des individus (les propriétés) et en ordonnée<br />

les fréquences des caractères des individus<br />

(les surfaces occupées). La courbe de concentration<br />

obtenue permet de mesurer le degré de concentration<br />

des propriétés. Pour ce faire, on trace une droite<br />

dite droite d’équirépartition qui correspond à une<br />

série tout à fait fictive qui montrerait une répartition<br />

sans aucune concentration, c’est-à-dire où propriétés<br />

et surfaces seraient parfaitement réparties<br />

sur la commune (pour 10 % des propriétés correspondraient<br />

10 % des surfaces occupées, pour 20 %<br />

des propriétés 20 % des surfaces etc.).<br />

L’espace compris entre la droite d’équirépartition<br />

et la courbe de concentration s’appelle l’aire de<br />

concentration. Cette aire de concentration sert à estimer<br />

le degré de concentration en observant l’espace<br />

occupé par l’aire de concentration dans le triangle<br />

ABC (graphique 3).<br />

En effet, on estime graphiquement la concentration<br />

en observant à quel point l’aire de concentration<br />

occupe l’aire du triangle ABC. Plus la concentration<br />

est faible, plus la courbe de concentration<br />

se rapproche de la droite d’équirépartition et moins<br />

l’aire du triangle ABC est couverte par l’aire de<br />

concentration. Plus la concentration est forte, plus<br />

l’aire du triangle ABC est couverte par l’aire de<br />

concentration. Sans vouloir entrer dans des calculs<br />

(indice de Gini) ou des démonstrations un brin rébarbatives,<br />

on constate simplement qu’entre 1836<br />

et 1913, la concentration, au lieu de se réduire, a<br />

. Sur les Cornet de Candy, on peut se reporter au fonds familial déposé<br />

aux ADPO, 130J.<br />

Fréquences cumulées surfaces<br />

100<br />

90<br />

80<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

Concentration des propriétés 1836<br />

0<br />

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100<br />

Fréquences cumulées Cumulée des Propriétés propriétés<br />

Courbe de concentration<br />

droite d'équirépartition<br />

courbe de concentration droite d’équirépartition<br />

Graphique 11 - Courbe de concentration des propriétés 1836. Source : ADPO, 1025W174.<br />

Fréquences cumulées des Surfaces<br />

A<br />

100<br />

90<br />

80<br />

70<br />

60<br />

50<br />

40<br />

30<br />

20<br />

10<br />

0<br />

Concentration des propriétés 1913<br />

Concentration des propriétés 1913<br />

B<br />

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100<br />

Fréquences cumulées des propriétés<br />

Courbe de concentration<br />

Aire de concentration<br />

Droite d'équirépartition<br />

Fréquences cumulées des propriétés<br />

A<br />

courbe de concentration droite d’équirépartition<br />

B<br />

Graphique 13 - Courbe de concentration des propriétés et estimation du degré de concentration<br />

en 1913. Source : ADPO, 1028W322-323.<br />

augmenté. C’est-à-dire qu’en dépit d’une véritable démocratisation<br />

de la terre concernant les petites propriétés, les grands<br />

propriétaires disposent d’une emprise plus forte (c’est ténu,<br />

mais c’est le cas) sur les terres de la commune. C’est sans doute<br />

dû au contexte démographique déprimé d’avant la première<br />

guerre mondiale. Bien sûr, il faudrait nuancer fortement selon<br />

le type de terres, décliner ce genre d’analyse par sections différentes<br />

du cadastre (les évolutions ne sont sans doute pas les<br />

mêmes dans la vallée ou sur les terrains granitiques du nord<br />

de la commune) ou comparer les familles qui s’enrichissent et<br />

qui agrandissent leur patrimoine à celles qui stagnent ou au<br />

contraire régressent.<br />

C<br />

C


426 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIv<br />

2.2 - évolution de l’occupation du sol<br />

L’analyse de l’occupation du sol peut se faire à plusieurs<br />

échelles bien sûr. Là encore, il aurait été intéressant de<br />

voir ce qui se passe à l’échelle de la propriété, voire même<br />

des parcelles de différents lieux intéressants de la commune.<br />

Le choix qui a été fait ici est de revenir sur les récapitulatifs<br />

d’occupation du sol pour l’ensemble de la commune,<br />

à partir de l’état des sections de 1836, puis de ceux<br />

de 1913-1935 et 1974. Ces résultats doivent être associés<br />

aux « études de secteurs » plus précises effectuées sur<br />

le cœur des zones brûlées pour plusieurs communes par<br />

Olivier Passarrius avec la collaboration d’Aymat Catafau<br />

(Passarrius, 2007).<br />

Comme le montrent les autres travaux de cet ouvrage,<br />

la division des cultures traditionnelles de la commune<br />

repose sur la présence de vignes, de céréales, d’oliviers<br />

associés à l’élevage (moutons et chèvres), complément<br />

indispensable. Une enquête économique de<br />

l’an X (1803) montre que la vigne occupe 300 ha à cette<br />

date (Tosti 1987 : 39). En 1836, cette surface est bien<br />

plus importante et la courbe qui donne à voir une décroissance<br />

constante est sans doute faussée par la source<br />

utilisée qui ne permet de faire le point qu’en 1913, soit<br />

très longtemps après. En effet, si la vigne a bien été touchée<br />

par l’oïdium dans les années 1850 et a donc sans<br />

doute connu un recul à cette époque, elle a dû occuper<br />

beaucoup plus d’espace que ne le montre la courbe présentée<br />

ici jusqu’au moins la fin des années 1870, ou au<br />

début des années 1880, lorsque le phylloxéra touche la<br />

zone. C’est alors le début du réel déclin : la vigne recule<br />

pour revenir finalement, dans l’entre-deux-guerres, au<br />

niveau qu’elle occupait au tout début du XIX e siècle.<br />

L’autre type d’occupation du sol en déclin concerne les<br />

« terres arrosables ». Prés et jardins restent stables sur<br />

la période, à un niveau très bas cependant. L’élevage<br />

ne disparaît pas : le troupeau communal est composé<br />

en moyenne entre 1877 et 1917 de 280 bêtes avec un<br />

maximum en 1911 (452 bêtes) (Tosti et alii 1987 : 56).<br />

Le plus spectaculaire est l’augmentation très forte des<br />

terres dites de pâtures, roches et graviers. Certes, une<br />

partie de ces terres de pâtures correspond bien à des zones<br />

de pacages pour les troupeaux, mais la plupart semblent<br />

correspondre à des friches ou des zones délaissées<br />

pour la culture proprement dite. La croissance continue<br />

de la courbe doit bien être interprétée comme une conséquence<br />

de la déprise plutôt que comme un essor de l’élevage.<br />

L’allure générale de ce graphique confirme ce que les<br />

différents travaux sur la zone montrent bien, ainsi que la<br />

rapide analyse démographique du début de cet article : le<br />

déclin démographique s’accompagne d’une déprise agricole<br />

forte au cours de la seconde moitié du XIX e siècle.<br />

Le plateau et les zones difficiles ont été réoccupés et réutilisés<br />

pendant la période de maximum démographique<br />

puis peu à peu délaissés ou marginalisés après 1850 sans<br />

doute, et sûrement après 1870.<br />

1200<br />

1000<br />

800<br />

En hectares<br />

600<br />

400<br />

200<br />

0<br />

1836 1913 1935 1974<br />

Pâtures, Rochers, Graviers Vignes olivettes Bois Terres et terres arosables Près Jardins<br />

Graphique 14 - évolution de l’occupation du sol de la commune. Sources : ADPO divers.


Rodès entre 1850 et 1940<br />

427<br />

Vue aérienne de la carrière de La Devesa à Rodès (cl. P. Roca).<br />

III - La carrière de granit de La Devesa<br />

L’exploitation des richesses minérales issues d’un substrat géologique complexe<br />

est ancienne (Passarrius 2007 : 149-151). Elle a fait l’objet de nombreux travaux à<br />

l’échelle du département ou même de la zone qui fut touchée en 2005 par l’incendie<br />

(Tosti 1987 ; Martzluff 1988 ; Payrou 1992). Les nombreux éléments apportés<br />

par Michel Martzluff dans le rapport du programme de prospection-inventaire<br />

(Passarrius 2007 : 152-156) ainsi que la documentation disponible aux archives<br />

départementales permettent de faire ici un point sur l’exploitation de la carrière de<br />

granit de La Devesa.<br />

Dans le texte d’une pétition signée par une trentaine d’ouvriers en 1939 pour<br />

sauver la carrière d’une fermeture redoutée due au manque de commande, l’attention<br />

se porte sur un passage soulignant qu’il s’agit de « la plus ancienne carrière<br />

du département » . En réalité, il est certain que l’exploitation industrielle de la<br />

carrière a commencé seulement en 1915. Sans doute existait-il à La Devesa une<br />

exploitation extensive comme en témoigne l’atlas cadastral de 1832 sur lequel on<br />

relève « communs, pierre, graviers » , mais celle-ci n’a guère laissé d’autre trace<br />

dans la documentation. Impossible, par ailleurs, de relever sur le terrain des éléments<br />

d’une exploitation plus ancienne car les aménagements effectués au début<br />

du XX e siècle ont bouleversé bien sûr la topographie préexistante.<br />

. ADPO, 8S 156, Rapports de l’ingénieur en chef des mines, Carrière de granit de Rodès, pétition du 7 mars 1939.<br />

. ADPO, 2J 127-167, plan cadastral 1832.<br />

III.1 - Les débuts de la carrière<br />

: l’investissement des entrepreneurs<br />

locaux (1915-1920)<br />

C’est au cours de la première<br />

guerre mondiale que l’idée de<br />

lancer l’exploitation des affleurements<br />

de granit de la<br />

Devesa apparaît. Elle provient<br />

de Jean Puig, entrepreneur de<br />

travaux publics à Perpignan,<br />

qui exploite alors une carrière<br />

à Vernet (cascade de la rivière<br />

Sant-Vicenç). Depuis une vingtaine<br />

d’années, les matériaux de<br />

construction connaissent une<br />

forte demande dans le département<br />

: l’expansion urbaine comprenant<br />

les travaux importants<br />

d’agrandissement de Perpignan<br />

(démolition des remparts, aménagement<br />

de la nouvelle ville<br />

entre le quartier de la Villeneuve<br />

et la gare), la construction<br />

de nombreux bâtiments liée au<br />

développement du tourisme<br />

balnéaire et pyrénéiste, l’équipement<br />

de la vallée de la Têt<br />

et ses ouvrages d’art etc.) (Passarrius<br />

2007 : 153). La carrière<br />

de Vernet s’avère d’exploitation<br />

compliquée. Les matériaux sont<br />

transbordés en gare de Ria, où<br />

se retrouvent aussi des minerais<br />

des principales mines du Canigou,<br />

des productions diverses<br />

et des matériaux nécessaires au<br />

fonctionnement du haut fourneau<br />

de la société Jacob Holzer.<br />

L’idée d’exploiter La Devesa à<br />

Rodès repose sur la meilleure<br />

desserte possible et la proximité<br />

de la voie ferrée de la Compagnie<br />

du Midi : la gare de Bouleternère<br />

n’est pas très éloignée, et les<br />

possibilités d’aménagement sont<br />

plus importantes qu’à Vernet.


428 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIv<br />

Au terme de trois ans d’exploitation,<br />

les Puig cherchent à donner<br />

une nouvelle envergure à cette exploitation.<br />

Mais pour cela, il faudrait<br />

obtenir de meilleures conditions<br />

auprès de la Compagnie du<br />

Midi, trouver de nouveaux clients et<br />

surtout, investir considérablement,<br />

ce qu’ils ne peuvent faire seuls. L’entreprise<br />

se transforme alors radicalement.<br />

En 1926, les ouvriers de la carrière de Rodès, carte postale, collection Jean Tosti, http://www.jtosti.com<br />

L’accord entre l’entrepreneur et la municipalité de Rodès a lieu en 1915.<br />

L’accord de la municipalité est indispensable car la zone que Puig souhaitait<br />

exploiter était jusqu’ici un espace de vacants communaux. Rappelons<br />

la situation démographique de la commune à cette époque, qui était très<br />

dégradée (le minimum de population constaté est celui du recensement<br />

de 1911). L’accord se fait sur la base d’une redevance variable selon le type<br />

de matériaux et les volumes dégagés. Il est approuvé en mai 1915 par le<br />

conseil municipal, puis accepté par le préfet quelques jours plus tard. L’espace<br />

concerne 12 ha et a lieu pour une période de 25 ans 10 . Michel Puig, le<br />

fils de Jean Puig, intervient directement dans l’exploitation.<br />

L’exploitation commence réellement à partir de février 1916. Les Puig ont<br />

investi dans du matériel d’exploitation : un câble transporteur est mis en place<br />

à partir du front de carrière situé en zone escarpée. Un espace de stockage<br />

des matériaux à dégager est situé au pied du front de carrière. Le câble transporteur<br />

dégage les matériaux vers la vallée, très exactement entre le canal de<br />

Corbère et la Têt. Les Puig ont sans doute amené avec eux les carriers italiens<br />

qui travaillaient à la carrière de Vernet. De février 1916 à juillet 1918,<br />

2 722 tonnes de pavés sont dégagés par la gare de Bouleternère 11 . Ce sont<br />

plusieurs types de produits qui sont proposés : pavés bruts et taillés et matériaux<br />

concassés (graviers) 12 . On ne sait rien des clients de la société à cette<br />

date. D’après la documentation, mais qui est sans doute parcellaire, l’activité<br />

semble connaître une forte baisse après l’été 1918.<br />

III.2 - Le développement d’une<br />

« grande » entreprise : la société<br />

des carrières de granit du Canigou.<br />

Au cours de l’année 1920, les<br />

statuts d’une société anonyme au<br />

capital de 1 500 000 francs et dont<br />

la raison sociale est la Société des<br />

carrières de granit du Canigou sont<br />

déposés à Rodès et à Lyon 13 . Dans<br />

la constitution de cette société, un<br />

homme a joué un rôle central, à côté<br />

des Puig, c’est Albert Rougier. Né<br />

en 1851 à Aix-en-Provence, il est un<br />

des acteurs principaux de la structuration<br />

de l’équipement minier<br />

du secteur du Canigou. De 1899<br />

à 1902, il s’était porté acquéreur<br />

les droits d’exploitation de plusieurs<br />

transports miniers : ainsi le<br />

26 juillet 1899, les droits de transport<br />

de Vernet à Villefranche-de-<br />

Conflent, de Sahorre ou de Joncet à<br />

Villefranche ou à Ria. Il est en outre<br />

administrateur de la mine d’Aytua.<br />

En 1906, il a fondé la SA des chemins<br />

de fer de transports miniers<br />

des Pyrénées-Orientales, dont le<br />

matériel d’exploitation et les hangars<br />

sont situés à Vernet. C’est sans<br />

doute à cette époque qu’il a dû rencontrer<br />

les Puig. Albert Rougier est<br />

10. ADPO, 8S 156, délibération du conseil municipal du 15 mai 1915.<br />

11. ADPO 8S 156, relevés fournis par M. Puig 1916-1918.<br />

12. ADPO 8S 156, Lettre du maire de Rodès au sous préfet de Prades du 24 avril 1919.<br />

13. ADPO 4U 1998, dépôts d’actes, tribunal de<br />

Vinça, Statuts de la Société des carrières de granit<br />

du Canigou.


Rodès entre 1850 et 1940<br />

429<br />

au cœur de toutes les transformations : il a engagé des<br />

négociations avec la municipalité de Rodès pour obtenir<br />

une concession sur un plus long terme qui permettrait à<br />

la société de rembourser des investissements importants<br />

prévus 14 . Une convention est signée en 1919 qui fait prolonger<br />

la concession de 50 ans de plus 15 . Il obtient par<br />

ailleurs la promesse de la Compagnie du Midi de réaliser<br />

un embranchement particulier pour la société. Son carnet<br />

d’adresses lui permet de rassembler un capital important,<br />

afin de donner une surface financière suffisante à<br />

la société pour pouvoir faire des investissements massifs.<br />

Les Puig participent toujours activement à la société :<br />

Jean Puig est l’administrateur délégué tandis que Michel<br />

reste le directeur d’exploitation. Les capitaux réunis sont<br />

surtout des capitaux lyonnais. Le conseil d’administration<br />

comprend essentiellement des industriels lyonnais<br />

(le marquis de Ginestous, premier président du conseil<br />

d’administration), mais aussi des investisseurs du département<br />

(Pierre Pams, par exemple, négociant en vin de<br />

Perpignan, fondateur de la Centralisation Commerciale<br />

viticole). Le siège social est à Lyon.<br />

Pendant toutes les années 1920, l’entreprise semble<br />

florissante. En 1923, dans son supplément sur l’industrie<br />

dans les Pyrénées-Orientales, l’Indépendant présente<br />

la carrière de Rodès comme le fleuron départemental de<br />

l’extraction 16 . Hélas, les archives ont conservé les modifications<br />

des statuts (augmentations de capital, etc.), mais<br />

ne donnent à voir ni bilan, ni résultats d’exploitation. Impossible<br />

de savoir si la carrière est rentable ou non. Ce qui<br />

est certain, c’est que de nombreux investissements sont<br />

réalisés : bâtiments d’exploitation en bordure de la Têt,<br />

aménagement d’un plan incliné et amélioration du câble<br />

transbordeur soutenu par huit pylônes, matériel d’exploitation<br />

(vingt marteaux pilons sont achetés en 1925, existence<br />

d’un pont-bascule, concasseur, wagonnets, compresseurs),<br />

construction d’un siège administratif à proximité<br />

de la mairie. L’embranchement particulier (1923)<br />

permet des gains de temps et de transport. Au début des<br />

années 1930, la société peut faire face à des commandes<br />

de l’ordre de 250 m 3 par jour.<br />

Ce qui est évident, c’est que l’activité est forte au cours<br />

des années 1920. Les pavés obtenus sont d’excellente<br />

qualité. De nombreux chantiers régionaux comme les<br />

quais de Port-Vendres (Tosti et alii 1987 : 56), les villes<br />

du département mais aussi d’autres grandes villes (Sète,<br />

Marseille), les travaux publics de l’État, la compagnie<br />

du Midi, sont les principaux clients. Rapidement, de<br />

très nombreux ouvriers viennent travailler à la carrière,<br />

comme manœuvres et mineurs, ou bien comme tailleurs<br />

de pierre. Au plus fort de son activité, ce sont jusqu’à<br />

150 ouvriers environ qui y travaillent. Les ouvriers et<br />

leurs familles trouvent d’abord à se loger à l’intérieur du<br />

village, dont la population avait fortement décliné. Ceux<br />

qui gagnent un salaire plus élevé (les tailleurs de pierre)<br />

arrivent souvent à trouver une petite maison. Ainsi en<br />

est-il, en 1921, des Brescoli, dont le chef de ménage est<br />

façonneur de pierre et qui habite une petite maison du<br />

quartier de l’église. La plupart des manœuvres et mineurs<br />

trouvent un toit chez des logeurs. Le limonadier du village<br />

loge ainsi 12 ouvriers dans sa maison du centre du<br />

village 17 . La société fait construire ensuite un véritable<br />

logement ouvrier et des baraquements près de la carrière,<br />

à proximité du pont d’en Labau. Michel Puig est maire de<br />

la commune, la société achète un café qui devient « café<br />

du Canigou ». L’entreprise, en plus des terrains de la carrière,<br />

dispose de 20 ha dans la commune, plus particulièrement<br />

dans le village et dans la plaine.<br />

La société doit cependant faire face à une crise interne.<br />

En 1923, l’ensemble du conseil d’administration constitué<br />

en 1920 démissionne. Ce n’est pas l’exploitation de la carrière<br />

qui semble être en cause, mais plutôt l’assise financière<br />

du principal actionnaire, Albert Rougier. En effet,<br />

l’autre société dans laquelle il était étroitement associé, la<br />

Société des chemins de fer miniers des Pyrénées-Orientales,<br />

était alors dans une situation difficile (Praca 1998).<br />

Après une série de réductions de capital, la vente de ses<br />

biens industriels est décidée à l’été 1923. Cette déconfiture<br />

est la cause des nombreux départs du conseil d’administration<br />

de la société des carrières du Canigou. Mais<br />

ils sont remplacés par de solides administrateurs issus le<br />

plus souvent des mines du secteur du Canigou 18 .<br />

14. ADPO 8S 156, Lettre d’Albert Rougier au Préfet des Pyrénées-Orientales,<br />

6 mars 1919.<br />

15. ADPO 8S 156, Bail destiné à proroger l’exploitation de La Devesa pour<br />

50 ans, 22 mars 1919.<br />

16. Supplément : l’industrie dans les Pyrénées-Orientales, L’Indépendant 1923.<br />

17. ADPO 6M 295, Liste nominative du recensement de 1921.<br />

18. ADPO 4U 1998, assemblée générale extraordinaire, janvier 1924.


430 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XIv<br />

III.3 - Le déclin et la disparition de l’entreprise<br />

L’entreprise connaît cependant rapidement le déclin.<br />

Les débouchés disparaissent peu à peu, d’une part parce<br />

que les équipements divers sont terminés dans le département<br />

notamment, d’autre part parce que les années 1920<br />

et 1930 connaissent des phases importantes d’innovation<br />

qui rendent l’utilisation des matériaux produits par la<br />

carrière de Rodès inutile ou du moins trop coûteuse par<br />

rapport à leurs concurrents. Le goudronnage par exemple,<br />

a tendance petit à petit à remplacer le pavage des rues<br />

pour la voierie urbaine. Les travaux de remise en état des<br />

chaussées, quant à eux, sont désormais effectués à l’aide<br />

de revêtements superficiels hydrocarbonés qui ont pour<br />

effet de limiter les rechargements généraux cylindrés. La<br />

société ne distribue plus, semble-t-il, de dividendes à ses<br />

actionnaires.<br />

Dès 1935, ce ne sont plus qu’une quarantaine d’ouvriers<br />

qui travaillent à Rodès. Les seuls clients sont alors l’Administration<br />

des Ponts-et-Chaussées et le service vicinal.<br />

L’administrateur délégué juge qu’en dessous de 30 000 tonnes<br />

de matériaux annuels, l’exploitation n’est pas rentable<br />

et devrait fermer 19 . Les ouvriers s’entendent pour effectuer<br />

des périodes de travail à la carrière pour que chacun puisse<br />

bénéficier d’un salaire 20 . En 1937, les commandes se raréfient<br />

encore considérablement. Les Ponts-et-Chaussées<br />

et le service vicinal ne sont en mesure de commander que<br />

8 500 tonnes de matériaux 21 .<br />

L’entreprise apparaît alors comme totalement suréquipée.<br />

L’administrateur délégué insiste sur cet état de fait : « Il est<br />

certain que les tonnages qui nous seraient demandés par les<br />

Ponts et Chaussées ne peuvent nous permettre de maintenir<br />

en exploitation normale le très lourd outil que constitue<br />

notre matériel » 22 . La situation est critique : seuls les<br />

quatre chefs de chantiers et quelques ouvriers continuent<br />

de travailler. Une commande inespérée permet cependant<br />

de donner un sursis à la société : fin 1937, la Compagnie<br />

du Midi lance un appel d’offres pour le ballastage des voies<br />

dans la région. C’est l’occasion d’une grande mobilisation<br />

administrative et politique pour que la société des carrières<br />

du Canigou obtienne une partie de ce contrat. Le Préfet<br />

des Pyrénées-Orientales, le sénateur Parayre, président du<br />

conseil général et le député Rous interviennent auprès<br />

de la Compagnie du Midi afin de sauver l’affaire et surtout<br />

les emplois. Ce contrat permet de faire durer l’affaire jusqu’en<br />

mars 1939. à cette date, l’administrateur est obligé<br />

de fermer la carrière. C’est cette fermeture qui suscite la<br />

pétition dont il a été question plus haut. Les deux fronts<br />

de la carrière sont sécurisés, puis la société est mise en<br />

liquidation. Le matériel est ensuite récupéré puis envoyé<br />

en Afrique Occidentale Française en 1942. L’affaire aura<br />

donc duré 24 ans.<br />

19. ADPO 8S 156, Rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées,<br />

17 mars 1939 ; lettre du préfet au Ministre du travail, novembre 1937.<br />

20. ADPO 8S 156, Lettre du syndicat des carriers et assimilés au Ministre du<br />

Travail, 22 novembre 1937.<br />

21. ADPO 8S 156, Rapport de l’Ingénieur en chef de Ponts et Chaussées,<br />

18 novembre 1937.<br />

22. ADPO 8S 156, Lettre de l’administrateur délégué au Préfet du 13 novembre<br />

1937.


chapitre XV<br />

Riches et pauvres, royalistes et républicains<br />

à Rodès (1789-1851)<br />

Peter McPhee*<br />

La route nationale 116 file vers l’ouest à partir de<br />

Perpignan, laissant derrière elle la Méditerranée. Elle remonte<br />

la vallée de la Têt vers les Pyrénées en côtoyant<br />

le fleuve sur une trentaine de kilomètres à travers la région<br />

nommée le Riberal, une succession de villages et de<br />

bourgs, à la population nombreuse, entourés de terres<br />

irriguées, qui, depuis des siècles, ont produit jusqu’à six<br />

récoltes de légumes par an. Juste après la ville maraîchère<br />

d’Ille-sur-Têt, la vallée se transforme en défilé, et la route<br />

doit contourner un rude escarpement de granit et traverser<br />

le passage du Col de Ternère. Quand la route, de<br />

l’autre côté de l’escarpement, rejoint le fleuve et commence<br />

à remonter la pente raide à travers le Conflent vers les<br />

hautes terres, elle passe non loin d’un ensemble de maisons<br />

en blanc et ocre, accrochées au flanc de la colline et<br />

ornées des tuiles brun orange typiques du Midi.<br />

* Peter McPhee est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Melbourne<br />

(Australie) dont il a aussi été président. Professeur invité à l’Université<br />

de Perpignan en 2005, il s’est tout de suite montré très intéressé par notre<br />

programme de recherches sur la « Montagne brûlée », et a accepté d’y participer<br />

en nous donnant une version traduite de son article « On rural politics<br />

in nineteenth Century France : The example of Rodès, 1789-1851 », Comparative<br />

Studies in Society and History, 1981, p. 248-277. C’est cette traduction<br />

revue qui constitue ce chapitre. Peter McPhee, un des meilleurs connaisseurs<br />

de l’histoire sociale et politique des P.-O. au XIX e siècle, est l’auteur des ouvrages<br />

: Collioure et la Révolution française : 1789-1815, Perpignan, Le Publicateur,<br />

1989, 165 p., et Les semailles de la République dans les Pyrénées-Orientales<br />

1846-1852 : classes sociales, culture et politique, Perpignan, Publications<br />

de l’Olivier, 1995, 509 p.<br />

Ce village se nomme Rodès . À son apogée pendant<br />

les années 1830 ses terres nourrissaient environ<br />

750 personnes ; aujourd’hui la population permanente<br />

en compte environ 600 . Il constitue une des 200 communautés<br />

du Roussillon (ou Catalogne du Nord) cédées<br />

par l’Espagne à la France selon le Traité des Pyrénées<br />

de 1659. Depuis la Révolution, avec les communes de<br />

Fenouillèdes au nord, celles-ci ont constitué de département<br />

des Pyrénées‐Orientales.<br />

La plus grande partie des terres les plus riches du village<br />

et de la commune se trouve dans un bassin bien délimité .<br />

Au nord s’élève le massif de granit dénudé de Sournia,<br />

séparé du village par le couloir profond de la Têt. À l’est<br />

et à l’ouest, le bassin est délimité par deux collines raides,<br />

l’une coiffée du château en ruines qui domine le village,<br />

l’autre de la chapelle Saint-Pierre. Au sud, au-delà des<br />

zones irriguées et de la vallée, s’élève le mont Canigou,<br />

haut de 2 784 mètres, dominant le paysage (ill 1).<br />

1. Pendant le XIX e siècle son nom s’écrivait Rhodès, Rhodez, Rodez.<br />

. M. Batlle, R. Gual, « Fogatges catalans », Revue Terra Nostra, n o 11, 1973.<br />

Le recensement original de 1841 et 1856 pour Rodès se trouve aux Archives<br />

Départementales des Pyrénées-Orientales, M 2520, 2479.<br />

. J. Martimort. « Le bassin de Rodès ». (Diplôme d’études supérieures (Géographie),<br />

Montpellier, 1964). L’étude géographique classique du département<br />

est M. Sorre. Les Pyrénées méditerranéennes. Etude de géographie biologique.<br />

Paris : 1913.


432 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

1 - Rodès, vue d’ensemble (cl. O. Passarrius).<br />

Vers 22 heures, le 2 février 1850, la police et les gendarmes<br />

descendirent dans une maison du village et arrêtèrent<br />

21 hommes qui buvaient et jouaient aux cartes (ill. 2).<br />

François Glory, maire et légitimiste, avait informé le procureur<br />

à la sous-préfecture de Prades qu’il s’agissait d’une<br />

réunion politique tenue régulièrement où des hommes<br />

« d’anarchie et de désordre » lisaient des « journaux incendiaires<br />

» . Glory avait connaissance depuis quelque temps<br />

de ces réunions qui se tenaient trois fois par semaine mais<br />

ne s’était décidé à agir qu’après la destruction d’un bulletin<br />

qu’il avait affiché dans le village concernant les « faux<br />

bruits » annonçant le décès du Président Louis Napoléon.<br />

Selon le commandant de la gendarmerie « cette société<br />

n’existe que pour la politique, pour critiquer les actions du<br />

gouvernement, et répandre les doctrines les plus subversives<br />

» . On prétendait que les réunions avaient lieu dans des<br />

maisons appartenant à Joseph Tixeire, qu’on qualifie de<br />

. ADPO, 3U 2850 contient le dossier judiciaire de cet incident.<br />

. ADPO, 3M73. Voir aussi 3M70.<br />

chaufournier, propriétaire de four ou fabricant de briques,<br />

ou bien dans sa cabane de travail dans la <strong>montagne</strong>, où<br />

les « rouges » allaient « ruser, boire et chanter », ou dans<br />

la maison vide où les hommes furent arrêtés. Le nombre<br />

d’hommes impliqués est estimé entre 40 et 70.<br />

Les hommes arrêtés n’ont pas résisté, bien que les gendarmes<br />

qui les emmenaient aient été la cible de quelques<br />

pierres. Au tribunal de Prades plusieurs jours après,<br />

21 hommes furent accusés d’avoir formé une société secrète<br />

en contravention avec la loi du 19 juillet 1849, mais<br />

les poursuites furent contrariées par l’insistance collective<br />

des accusés à raconter une histoire plausible, bien<br />

qu’incomplète, et par la décision subite du maire de revenir<br />

sur son accusation originelle . Les chefs de la société<br />

prétendaient que le groupe n’avait commencé à se réunir<br />

qu’après la Noël précédente, qu’ils n’étaient pas plus de 14,<br />

qu’ils buvaient et jouaient aux cartes mais ne lisaient jamais<br />

les journaux et ne parlaient jamais de politique.<br />

. ADPO, 3U 2850.


ROYALISTES ET RÉPUBLICAINS à RODÈS<br />

433<br />

2 - Liste des individus arrêtés le 2 février 1850 à Rodès (ADPO, 3U2850). 3 - Le maire Glory relevé de ses fonctions en 1850 (ADPO, 3U2850).<br />

Cette histoire, répétée à maintes reprises, comme la décision<br />

de Glory de revenir sur ses déclarations, obligea le<br />

tribunal à abandonner les poursuites. En fin de compte,<br />

ce fut Glory qui fut relevé de ses fonctions de maire pour<br />

avoir refusé de coopérer 7 (ill. 3).<br />

En fait d’après ce qui fut saisi dans la maison et d’autres<br />

preuves que nous possédons, il apparaît que les accusations<br />

étaient fondées. La police trouva plusieurs chansons politiques<br />

datant d’au moins 1846, des documents des mois<br />

de liberté politique de 1848-49, et un exemplaire usagé<br />

du journal démocrate-socialiste de Pierre Joigneaux, La<br />

Feuille du peuple, portant la date du 20 décembre 1849 :<br />

c’est pour cela que les hommes arrêtés avaient spontanément<br />

dit que la première réunion du groupe avait eu lieu<br />

le 25 décembre seulement et qu’ils ne lisaient jamais les<br />

journaux. Une analyse soigneuse des listes d’adhérents et<br />

de souscripteurs hebdomadaires de ceux qui avaient payé<br />

. ADPO, m 3749, décret du 20 février 1850.<br />

les chandelles et apporté du vin et des cartes nous fournit<br />

les noms de 40 Rodésiens (mis à part deux hommes arrêtés<br />

qui venaient de communes voisines).<br />

Cet acte de répression politique, grâce aux matériaux saisis<br />

par la police, révèle un épisode de l’histoire de cette communauté.<br />

Nous pouvons tenter de comprendre le fragment<br />

de la vie de Rodès qu’il éclaire, de plusieurs façons. d’une<br />

part, l’incident peut être considéré comme un exemple de la<br />

lutte nationale pendant la Seconde République (1848-51).<br />

Pendant ces années, une grande partie des masses urbaines<br />

et rurales, surtout dans la France du centre et du sud, crut<br />

aux éléments de justice politique et sociale promis par le<br />

succès à venir de la République démocratique et sociale 8 .<br />

. Parmi les meilleurs études régionales de cette époqueon lira m. Agulhon. La<br />

République au village. Paris : 1970 ; P. Vigier. La Seconde République dans la<br />

région alpine. Paris : 1953 ; L. A. Loubère, « The Emergence of the Extreme Left<br />

in Lower Languedoc, 1848-1851 », american Historical Review. LXXIII,1968,<br />

p. 1019-1951 ; C. marcilhacy, « Les caractères de la crise sociale et politique<br />

dans le département du Loiret », Revue d’histoire moderne et contemporaine,


434 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Cette poussée républicaine fut énergiquement, voire violemment<br />

contestée sur place par les hommes « d’Ordre »<br />

– légitimistes ou bonapartistes – aussi bien que par l’administration<br />

à Paris . D’autre part, l’incident peut illustrer un<br />

instant essentiel du processus long et irrégulier par lequel<br />

la majorité de la population de Rodès passa du consentement<br />

à la domination des élites légitimistes de la première<br />

moitié du siècle au républicanisme radical du milieu des<br />

années 1870, puis à l’adhésion au Parti Communiste après<br />

la seconde guerre mondiale.<br />

Cependant, nous pouvons considérer cette tentative de<br />

quelques Rodésiens en 1850 de résister à la réglementation<br />

de la vie politique d’un troisième point de vue. Elle<br />

nous offre l’occasion de poser trois questions fondamentales<br />

et apparemment simples sur la France du XIX e siècle :<br />

Quelle était la nature de la politique rurale ? Comment la<br />

population a-t-elle été politisée ? Pour quelles raisons les<br />

groupes opposés se sont-ils développés comme ils l’ont<br />

fait ? Ces trois questions (qu’est-ce qui s’est passé dans la<br />

politique rurale, comment et pourquoi ?) ont, naturellement<br />

déjà été envisagées par les historiens, mais l’attrait<br />

de Paris pour les spécialistes de la politique populaire a,<br />

jusqu’à récemment, détourné leur regard des petites communautés<br />

comme celle de Rodès où vivait la plupart de<br />

la population 10 .<br />

L’idée que la politique rurale n’est jamais sortie des querelles<br />

de clocher est des plus tenaces. Le Clochemerle, portrait<br />

délicieux et acerbe de la vie politique au village avant<br />

la grande guerre par Gabriel Chevallier, illustre une période<br />

de la Troisième République où une partie des espérances<br />

de 1870 avaient depuis longtemps été satisfaites.<br />

À cette époque, la politique rurale dégénérait facilement<br />

en relations patron/client, où on estimait que la politique<br />

nationale n’avait que peu de rapports avec les intérêts de<br />

la population locale 11 . Sous la Seconde République en-<br />

VI, 1959, p. 5-59. La meilleure histoire générale est celle de M. Agulhon, 1848<br />

ou l’apprentissage de la République, 1848-1852, Paris, 1973.<br />

. Voir J. M. Merriman, The Agony of the Republic ; the Repression of the Left<br />

in Revolutionary France, New Haven, 1978 et les articles de J. M. Merriman,<br />

H. Machin et V. Wright dans Revolution and Reaction ; 1848 and the Second<br />

French Republic, London, 1975.<br />

10. Deux études de la politique rurale du XIX e se trouvent dans les chapitres de<br />

M. Agulhon dans Histoire de la France rurale de Duby et Wallon. Paris, 1976,<br />

vol. 3, et T. Zeldin. France 1848-1945, Oxford, 1973. On peut les confronter à<br />

la thèse de E. Weber. La Fin des terroirs : la modernisation de la France rurale,<br />

1870‐1914, Paris,1983, ch. XV.<br />

11. Voir, par exemple, P. L.-R. Higonnet. Pont-de-Montvert : Social Structure<br />

and Politics in a French Village, 1700‐1914. Cambridge, MA, 1971. Ch. VI.<br />

core, d’un point de vue parisien, la politique des petites<br />

villes consistait surtout en petites querelles où les affaires<br />

nationales n’avaient rien à voir, ou n’était qu’un reflet, en<br />

réduction, des débats de la capitale 12 .<br />

Heureusement, nous avons accès à une documentation<br />

assez diverse pour nous permettre de reconstituer<br />

un aperçu assez clair de la vision des habitants qui prétendaient<br />

interpréter leur passé et définir leur futur. Il<br />

y a, tout de même, quelques difficultés de méthode.<br />

Seulement 10 % des hommes savaient lire, et très peu<br />

de femmes, peut-être aucune 13 . Évidemment, ceci pose<br />

le problème de la validité de l’écrit pour comprendre la<br />

manière de penser des analphabètes. Cependant, nous<br />

pouvons peut-être avoir plus confiance quand il s’agit<br />

des paroles de chansons saisies par la police. Reste quand<br />

même le danger de croire que ces témoignages verbaux<br />

ou écrits sont nécessairement ceux de chaque membre du<br />

groupe. Néanmoins, la documentation que nous possédons<br />

est suffisamment variée pour nous permettre d’espérer<br />

qu’une description convaincante est possible.<br />

Au procès de 1850, Julien Déjoan fils, secrétaire de la<br />

société, expliqua que Rodès se trouvait divisé en deux<br />

camps, et même que cette polarisation entre légitimistes<br />

et républicains formait le trait le plus important de la vie<br />

politique communale de l’époque. Quelles étaient les opinions<br />

de ces deux groupes et de combien de personnes<br />

s’agissait-il ?<br />

Le royalisme à Rodès prenait la forme du légitimisme,<br />

c’est-à-dire en faveur d’Henri V et de la restauration<br />

des Bourbons, comme souvent dans le Midi. Deux déclarations<br />

publiques de la part des légitimistes de Rodès<br />

nous permettent de deviner le nombre de leurs partisans<br />

et leur idéologie. En novembre 1849 on avait organisé<br />

une souscription pour une médaille commémorant le<br />

publiciste royaliste Genoude, « le père du suffrage universel<br />

et martyr pour la liberté du peuple » : 94 personnes<br />

y contribuèrent. En avril suivant, 97 envoyèrent une<br />

pétition à Larochejacquelein pour soutenir sa demande<br />

pour un référendum national sur « la République ou la<br />

Monarchie » 14 . En tout, 126 noms différents figurent sur<br />

12. Voir, par exemple, J. Bouillon « Les Démocrates-Socialistes aux élections<br />

de 1849 ». Revue française de science politique. Vol. 6 (1956) : 70-95.<br />

13. ADPO, 6Mp 420. Ceci est l’opinion du juge de la paix en 1848.<br />

14. Les deux documents furent reproduits dans l’Étoile du Roussillon, journal


Royalistes et républicains à Rodès<br />

435<br />

les deux listes, qui fournissent une indication très importante<br />

sur l’opinion légitimiste à l’époque – trois mois<br />

avant la rafle chez Tixeire – où elle aurait pu être la moins<br />

forte. Une majorité importante des hommes adultes (qui<br />

étaient environ 190 en 1850) se déclaraient volontiers<br />

légitimistes, ce qui permit à un journal du pays de dire<br />

de la commune qu’elle était « galvanisée d’un si flagrant<br />

légitimisme » 15 .<br />

Les deux listes fournissent aussi quelques déclarations<br />

politiques personnelles. Parmi la liste de ceux qui<br />

contribuèrent pour la médaille de Genoude on trouve<br />

des remarques qui révèlent à quel point le royalisme à<br />

Rodès puisait dans la nostalgie douce-amère pour son<br />

style idéologique et dans l’intérêt contemporain pour sa<br />

substance. Plusieurs hommes notèrent qu’ils étaient « fils<br />

d’un émigré ». Étienne Domenech (qui semble avoir aidé<br />

le curé à organiser la souscription) ajouta qu’il avait été<br />

lieutenant de la Garde Nationale sous Louis XVIII.<br />

Un autre nota qu’il était « un ami de l’Ordre et du<br />

Droit national ». La signification de ces expressions est la<br />

clé de l’idéologie royaliste : la conviction fervente que la<br />

masse des « honnêtes gens » de la France choisiraient la<br />

restauration d’Henri V s’ils en avaient l’occasion, et que<br />

de cette façon le spectre de la Révolution, avec toute la<br />

menace que représentaient les « conspirateurs et anarchistes<br />

» serait à jamais banni.<br />

L’attrait que cette vision du monde simpliste présentait<br />

pour beaucoup de Rodésiens masque plusieurs ambiguïtés.<br />

On ne perçoit pas clairement comment ils voyaient<br />

la relation entre le suffrage universel et la monarchie, à<br />

part le vague slogan de la « souveraineté nationale ». En<br />

outre, l’exemple des élections municipales suggère que, au<br />

moins pour l’élite au pouvoir, la sécurité des biens et du<br />

crédit avaient une plus grande importance que le suffrage<br />

universel. On ne voit aucune protestation de la part du<br />

conseil municipal légitimiste lorsque la loi électorale du<br />

31 mai 1850 priva du droit électoral presque la moitié<br />

des hommes adultes du village 16 . Aux plébiscites de 1851<br />

et 1852, qui approuvèrent le coup d’État de Louis<br />

Napoléon et la restauration de l’Empire, les élites insislégitimiste<br />

de Perpignan, le 21 novembre et le 17 avril 1849.<br />

15. Ibid. 12 septembre 1850.<br />

16. ADPO, 3M68-70. Le conseil municipal de Rodès fut même critiqué par<br />

l’Étoile du Roussillon du 12 septembre 1850 pour avoir voté l’extension des<br />

pouvoirs de Louis Napoléon afin d’éviter les élections de 1852.<br />

tèrent pour que leurs partisans se présentent aux urnes<br />

pour voter oui 17 . L’importance suprême de leur contrôle<br />

sur les affaires locales se manifeste dans l’empressement de<br />

ces élites à jurer fidélité à la nouvelle république en 1848.<br />

En juillet, douze notables, y compris Glory, Domenech et<br />

un autre légitimiste important, Joseph Cornet, terminent<br />

une lettre adressée au préfet par la phrase : « Salut et fraternité,<br />

et vive la République ! » 18 .<br />

Les préoccupations pragmatiques qui sont à la base de<br />

telles positions furent bientôt révélées. L’expression la<br />

plus claire de l’idéologie légitimiste, du moins chez l’élite,<br />

fut prononcée par Jean Soléra, le chirurgien officier de<br />

santé, secrétaire du maire et membre du Conseil d’hygiène<br />

du département. Dans un commentaire sur l’élection<br />

locale du 30 juillet 1848, Soléra écrivait :<br />

Le résultat du vote était favorable pour l’Ordre et le<br />

Gouvernement Républicain... Ce résultat, Citoyen<br />

Préfet, ne nous a nullement étonnés. Nous savons tous,<br />

en tant qu’amis de l’Ordre et de la République, la grandeur<br />

et l’énergie des principes que nous sommes appelés<br />

à défendre, le dernier rempart de l’ordre social, parce<br />

que nous jurons le plus formellement de ne jamais pactiser<br />

avec l’insurrection ou le désordre.<br />

La défaite de la minorité radico-révolutionnaire est<br />

due à plusieurs causes que je dois énumérer. Au premier<br />

rang, je place l’excellent et bon esprit de la majorité<br />

des habitants de notre localité, qui a toujours professé<br />

des principes d’Ordre et liberté (selon mon avis, aucune<br />

liberté n’est possible sans Ordre) malgré les leçons<br />

d’une très petite minorité révolutionnaire, mais tous les<br />

bonnes gens bien-pensants doivent considérer l’Ordre<br />

comme la première nécessité, la condition indispensable<br />

pour toute nation civilisée 19 .<br />

Plusieurs preuves suggèrent qu’à peu près le tiers<br />

des hommes adultes de Rodès se disait républicains.<br />

Quand la nouvelle de la Révolution de février<br />

1848 atteignit le village, environ soixante-dix<br />

personnes se rassemblèrent afin d’élire Joseph Tixeire<br />

et Julien Déjoan maire provisoire et secrétaire 20 . Au<br />

moins soixante-dix n’acceptèrent de signer aucune<br />

des deux listes légitimistes de 1849 et 1850 21 .<br />

17. Pour les résultats du plébiscite, voir ADPO, 3M172,173.<br />

18. ADPO, 3M184.<br />

19. Ibid.<br />

20. Archives Communales de Rodès (AC) délibérations du conseil municipal.<br />

21. Il y avait 180-195 Rodésiens inscrit aux listes électorales sous la Seconde<br />

République.


436 ARCHÉOLOGIE D’UNE mONTAGNE BRûLÉE<br />

CHAPITRE XV<br />

Et bien que seulement 21 hommes, y compris<br />

19 Rodésiens, aient été arrêtés dans la rafle de février<br />

1850, nous avons vu qu’au moins 40, et peut-être<br />

jusqu’à 70, étaient associés à la société. En mai 1851,<br />

lorsque plusieurs communes du Roussillon furent impliquées<br />

dans un complot inefficace contre le gouvernement<br />

de Louis Napoléon, la police prétendit que deux<br />

groupes de 15 à 20 hommes avaient été formés à Rodès 22 .<br />

Finalement, en 1852, 66 des 198 hommes adultes du village<br />

refusèrent de voter ou bien votèrent non au plébiscite<br />

pour établir le Second Empire 23 .<br />

Comme les légitimistes, les républicains de Rodès puisaient<br />

leur style et leur inspiration dans le passé et les<br />

appliquaient au présent. C’est là la seule ressemblance,<br />

car les éléments essentiels des deux idéologies s’opposent<br />

vivement 24 . Une des chansons saisies par la police<br />

fut composée pendant les premiers mois de la Seconde<br />

République, pour les élections du 23 avril 1848. Les thèmes<br />

de ces chansons sont l’antiroyalisme et son corollaire,<br />

la démocratie laïque :<br />

Surtout plus de Bourbons...<br />

déchirez les drapeaux blancs<br />

Qui nous font grimacer.<br />

... nous sommes tous des rois.<br />

mais ces sentiments répétés d’anti-royalisme, de républicanisme,<br />

étaient aussi basés sur une antipathie envers<br />

les riches que l’on ne trouve pas dans les témoignages légitimistes.<br />

Les républicains s’identifiaient comme « gens de<br />

petits moyens » en contraste avec les royalistes « rendus<br />

prospères par la France » qui maintenant « n’auront plus<br />

d’or à mordre ». S’y ajoutait l’anticléricalisme – « votons<br />

séculier » – qui avait pu être enflammé par les relations<br />

du curé de la paroisse avec la politique royaliste 25 .<br />

Comme leurs ancêtres du temps de la grande Révolution,<br />

les républicains de Rodès se voyaient faisant partie d’un<br />

mouvement international, une croisade populaire qui frapperait<br />

de terreur les couronnes de l’Europe (ill. 4).<br />

. Archives Nationales (AN) BB 30 93, dossier 233.<br />

. ADPO, 3m 173.<br />

. Cette analyse se base sur les documents saisis par la police qui se trouvent<br />

dans les ADPO, 3U 2850.<br />

. Le curé de Rodès depuis 1845, Jean Bataille, s’engagea activement dans la<br />

politique légitimiste. L’antiroyalisme des républicains de Rodès ne s’exprimait<br />

apparemment pas en attaques personnelles contre Bataille ; en revanche au<br />

village voisin de Bouleternère, il y avait de longue date des querelles, parfois<br />

violentes. ADPO, 1V9.<br />

4 - Chanson révolutionnaire saisie en 1850, Rodès (ADPO, 3U2850).<br />

Nous sommes citoyens,<br />

Citoyens de campagne,<br />

Soldats républicains,<br />

durs comme une <strong>montagne</strong>...<br />

Prêts à marcher au pas<br />

Vers toutes les frontières...<br />

Vive le tricolore<br />

Qui a encerclé la terre<br />

Les crimes de Louis Philippe étaient d’avoir été le roi,<br />

marionnette des riches et poltron dans les affaires internationales.<br />

Ce qui nous frappe dans l’idéologie des républicains<br />

est la concentration sur l’avenir, et les liens qu’ils perçoivent<br />

entre la vie locale et la politique nationale. La présence<br />

parmi les documents d’un exemplaire du journal de


ROYALISTES ET RÉPUBLICAINS à RODÈS<br />

437<br />

Joigneaux, le porte-parole principal de la gauche dans ses<br />

efforts pour gagner l’adhésion des communautés rurales,<br />

en témoigne. La conservation d’une lettre du village voisin<br />

de Bouleternère, qui invite les républicains à nommer<br />

des représentants pour assister à une grande réunion à<br />

Perpignan destinée à choisir les candidats pour les élections<br />

du 13 mai 1849, l’atteste aussi 26 . On ne trouve aucune<br />

animosité envers Paris ou les autres centres urbains – et<br />

la chanson électorale de 1848 montre une foi naïve en l’action<br />

du Gouvernement provisoire qu’avaient nommé les<br />

Parisiens.<br />

Loin de voir le nouveau régime comme une conquête<br />

parisienne accordée à la province, les républicains de<br />

Rodès semblaient presque croire le contraire. Le document<br />

peut-être le plus intéressant, une chanson en langue<br />

catalane, datant probablement de 1846, montre des liens<br />

fascinants entre la politique nationale et la situation particulière<br />

du Roussillon. Un de ces liens est l’importance<br />

accordée à la ville voisine d’Estagel, lieu de naissance de<br />

François Arago (ill. 5) :<br />

d’une done de Paris d’une femme de Paris<br />

Que d’Astagell es exida Qui vient d’Estagel<br />

Vull pintar la sua vida Je veux décrire la vie...<br />

marianne’s diu de nom Elle s’appelle marianne...<br />

Son padri l’a batejada Son parrain l’a baptisée<br />

Li a donat aqueix nom Il lui a donné ce nom<br />

Quant a Paris s’en anaba 27 Quand elle partait pour Paris<br />

Telles étaient, à grands traits, les idéologies qui s’opposaient<br />

à Rodès au milieu du XIX e siècle. La Révolution<br />

de 1848 eut pour effet de libérer la vie politique de la communauté.<br />

d’une communauté où, pendant 18 ans, 35 %<br />

environ seulement des hommes adultes avaient eu le droit<br />

de voter aux élections municipales, dont seulement une<br />

vingtaine se donnaient la peine d’aller aux urnes, Rodès<br />

devint un village de mobilisation politique et de division.<br />

Nous avons vu que, le 25 février, environ 70 hommes élirent<br />

Tixeire et déjoan comme fonctionnaires provisoires.<br />

deux jours plus tard, 130 hommes se rassemblèrent pour<br />

se former en Garde Nationale. Cet intérêt sans précédent<br />

. ADPO, 3U 2850. 600 délégués du département assistèrent à cette réunion.<br />

Sur Joigneaux, voir R. magraw. « Pierre Joigneaux and Socialist Propaganda<br />

in the French Countryside, 1849-1851 ». French Historical Studies. X (1978) :<br />

599-640.<br />

. Le troisième volume du Journal du maréchal B. de Castellane (Paris : 1896)<br />

fournit des renseignements particulièrement intéressants sur le conflit politique<br />

avant 1848.<br />

5 - Chanson de 1846, en langue catalane (ADPO, 3U2850).<br />

pour le gouvernement local continua pendant l’été, quand<br />

122 votèrent à l’élection d’un nouveau conseil municipal et<br />

que les candidats furent au nombre de 56 28 .<br />

Cependant, l’administration du pouvoir politique ne<br />

fut pas bouleversée pendant les années de la Seconde<br />

République, bien que les républicains aient continué à<br />

s’opposer vivement à l’élite locale. Une majorité du conseil<br />

municipal d’avant 1848 continua à traiter avec l’exécutif<br />

républicain après février, et le conseil fut de nouveau entièrement<br />

entre les mains des légitimistes après juillet. La<br />

continuité de l’élite politique locale est claire : une analyse<br />

des élections municipales régulières pour la période<br />

1838-1855 révèle que les 60 postes à pourvoir furent<br />

occupés par seulement 30 individus. déjoan, qui avait<br />

été élu au cours de la monarchie de Juillet, était le seul<br />

conseiller qui faisait partie du groupe minoritaire des républicains<br />

29 .<br />

. ADPO, 3m 184.<br />

. Les résultats des élections municipales pendant ces années se trouvent<br />

ADPO, 3m 159-165.


438 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Même en prenant connaissance des pièges que peuvent<br />

poser les documents que nous avons interprétés jusqu’ici,<br />

et quel que soit notre jugement sur leur contenu idéologique,<br />

les habitants de Rodès se divisaient clairement<br />

en deux groupes de sensibilités sociales et politiques<br />

bien définies et opposées sur l’essentiel. La population<br />

en majorité trouvait ces idées importantes et estimait<br />

qu’elles valaient la peine de se mobiliser pour les soutenir.<br />

Évidemment, les individus montraient de grandes différences<br />

dans les niveaux de conscience et d’enthousiasme<br />

qu’ils manifestaient. L’analphabétisme et la misère, tous<br />

les deux forts dans la communauté, ne nuisaient pas<br />

nécessairement à la réflexion politique ni à l’action 30 .<br />

D’autre part, il serait également faux de supposer qu’un<br />

conflit politique se déroulait à Rodès exactement sous les<br />

mêmes thèmes ou pour les mêmes causes qu’à Paris.<br />

Avant de considérer la manière dont cette politisation<br />

est survenue et pourquoi la communauté s’est divisée<br />

– deux questions étroitement liées –, il convient de souligner<br />

que, en raison des documents dont nous disposons,<br />

nous ne parlons que d’hommes adultes. Rien, dans aucun<br />

de nos témoignages politiques – bilans électoraux, documentation<br />

du gouvernement local, comptes-rendus de la<br />

police, de la gendarmerie, des fonctionnaires judiciaires –<br />

ne nous informe sur le rôle politique ou les opinions des<br />

femmes de Rodès. On peut bien sûr croire que, dans une<br />

société dont la loi aussi bien que les mœurs et la religion<br />

reposaient sur le patriarcat, une femme en général était<br />

censée adopter les opinions politiques de son mari. Mais<br />

nous pouvons tout de même trouver surprenante l’absence<br />

de signes de participation des femmes à la vie politique.<br />

Dans plusieurs autres communautés de la région les femmes<br />

témoignaient souvent leur opinion politique au cours<br />

de manifestations collectives 31 . Nous pouvons le voir, bien<br />

que le rôle des femmes soit obscurci par l’idée reçue chez<br />

la police et les autres fonctionnaires que l’action politique<br />

des hommes était beaucoup plus importante. Donc,<br />

à Rodès, nous ne devons pas supposer que les femmes<br />

n’avaient pas d’opinion politique, même si les lois, les attitudes<br />

masculines, les aspirations féminines et les préjugés<br />

30. L’évidence de la misère est abondante dans le rapport fait à l’Enquête sur<br />

le travail agricole et industriel en 1848. ADPO, 6Mp 420. Le recensement<br />

de 1841 compte 6 veuves indigentes et en 1856 10 femmes sont comptées<br />

comme ayant des "enfants en nourrice", moyen de supplémenter leur budget<br />

du ménage.<br />

31. P. McPhee. « Popular Culture, Symbolism and Rural Radicalism in Nineteenth-Century<br />

France ». Journal of Peasant Studies. V (1978) : 238-253.<br />

de nos sources font que les renseignements dont nous disposons<br />

concernent uniquement les hommes.<br />

Comment expliquer la politisation apparente de la vie<br />

publique de Rodès ? Y avait-il une sorte de transmission<br />

vers le bas, en termes sociaux et géographiques, par laquelle<br />

la propagande des élites nationales opposées aurait<br />

été transmise aux communautés rurales à travers une hiérarchie<br />

d’activistes bourgeois et d’artisans, depuis Paris à<br />

travers un réseau de villes et de bourgs de province 32 ? Et<br />

le particularisme linguistique et culturel roussillonnais<br />

a‐t-il nui à ce processus ?<br />

Pour commencer, nous devons nous demander si quelqu’un<br />

a commencé un processus de politisation et si, quand<br />

le journal de Joigneaux parvint à Rodès, ses lecteurs en<br />

étaient à leur premier coup d’essai en politique. On présume<br />

souvent que les paysans étaient de par leur nature<br />

conservateurs, pieux, hostiles au changement, royalistes, et<br />

qu’ils ne commencèrent à penser à la politique que lorsqu’ils<br />

furent radicalisés par des activistes urbains 33 . Au contraire,<br />

il suffit de considérer un seul exemple de conflit pour voir<br />

que bien avant 1848, les Rodésiens discutaient entre eux<br />

de politique nationale. En 1831 et 1832, les manifestations<br />

du Carnaval avaient été si tumultueuses à cause de l’hostilité<br />

entre les partisans et les adversaires du nouveau régime<br />

orléaniste qu’il avait été nécessaire d’envoyer des militaires<br />

au village 34 . Nous pouvons donc parler d’un changement<br />

dans la force et l’orientation de la politisation au milieu du<br />

siècle à Rodès – une augmentation de la participation politique<br />

et le premier affrontement considérable contre les<br />

légitimistes locaux – mais pas de sa genèse.<br />

Comprendre comment les habitants de Rodès devinrent<br />

plus impliqués dans la politique, et d’où venaient ces<br />

nouvelles idées nécessite l’examen du processus d’évolution<br />

de la communauté rurale elle-même, en nous<br />

interrogeant sur les points de contact entre les gens de<br />

ce monde en réduction et la société englobante dont ils<br />

faisaient partie. Tout examen de l’évolution politique de<br />

Rodès comme un isolat serait forcément incomplet.<br />

32. Pour illustrer ce débat, voir G. Dupeux, Aspects de l’histoire sociale et politique<br />

du Loir-et-Cher, 1848-1914, Paris, 1962, p. 377 ; Loubère, « Emergence<br />

of Extreme Left », p. 1026, 1039 ; R. Price, The Second French Republic ; a<br />

Social History, London, 1972, p. 303.<br />

33. Pour des exemples frappants de l’influence des souvenirs collectifs sur<br />

la protestation populaire, voir G. Rudé, The Crowd in French History, New<br />

York, 1964 ; E. P. Thompson, The Making of the English Working Class, 2 nd ed.<br />

London, 1968 ; E. J. Hobsbawm, « Peasants and Politics », Journal of Peasant<br />

Studies, I, 1973, p. 3-22.<br />

34. ADPO, 4Mp 582-585.


Royalistes et républicains à Rodès<br />

439<br />

Le village se trouvait dans une vallée qui comptait<br />

trois communautés assez nombreuses dans un rayon de<br />

4 kilomètres : Ille-sur-Têt (3 261 habitants en 1851),<br />

Vinça (2 131) et Bouleternère (925). Il était depuis longtemps<br />

impliqué dans la vie politique de ces communes,<br />

surtout depuis 1789, et depuis des siècles faisait partie<br />

d’une culture populaire complexe, intense et agitée qui<br />

avait dans les années récentes servi de véhicule à l’expression<br />

des opinions politiques. En 1832-33, par exemple,<br />

des groupes d’Ille et de Bouleternère s’étaient disputés ;<br />

ce conflit, considéré par l’autorité locale comme étant en<br />

partie politique, éclata finalement en bataille sanglante<br />

pendant la fête patronale, le jour de la fête du saint patron<br />

de Rodès, en été 1833 35 .<br />

Nous possédons plusieurs exemples concrets des<br />

méthodes des Rodésiens pour chercher des informations<br />

politiques pendant la Seconde République. Pierre<br />

Mestres, de Bouleternère, était un activiste républicain<br />

important, ou « rouge », qui gagnait sa vie comme facteur<br />

rural, livrant le courrier aux villages et aux fermes<br />

isolées du voisinage. Apparemment, il ne livrait pas que<br />

le courrier. En février 1850, par exemple, Mestres assista<br />

à la foire de Prades, la sous-préfecture à une quinzaine de<br />

kilomètres en amont dans la vallée de la Têt, pour rencontrer<br />

d’autres activistes. Selon le commissaire spécial<br />

de la police de Prades :<br />

[Mestres] reçut ses instructions afin de les répandre<br />

dans les communes qu’il visitait. C’est lui qui tient au<br />

courant les démagogues de Rodèz, Bouleternère et<br />

autre part des fausses informations débitées à Ille ou à<br />

Vinça. Beaucoup de gens croient même qu’il distribue<br />

en parcourant le voisinage la littérature dangereuse que<br />

les hommes du désordre de Perpignan et Prades lui ont<br />

envoyée.<br />

Le conseil municipal légitimiste de Rodès se plaignait<br />

pendant les mois suivants que les républicains locaux<br />

utilisaient toujours Mestres comme intermédiaire.<br />

Finalement des plaintes furent reçues, et en juin 1850,<br />

la direction des Postes de Paris le congédia 36 . Bien que<br />

35. Ibid. Les légitimistes qui gagnèrent l’élection municipale du 31 juillet 1848<br />

accusaient Tixeire d’avoir cherché à repousser ces élections au 15 août, jour<br />

de la fête patronale, espérant tirer profit de la nature explosive du mélange<br />

entre politique et culture populaire.<br />

36. ADPO, M 1832. La même année, Mestres perdit aussi une pension politique<br />

qu’on lui versait parce que son père avait été emprisonné sous la Terreur<br />

Blanche en 1816. ADPO, 3M77.<br />

Vinça, à côté, fût aussi dominé par les légitimistes, le<br />

marchand de tabac y était considéré comme un « rouge »<br />

actif, et c’est dans son magasin que les Rodésiens devaient<br />

venir chercher leur tabac 37 .<br />

L’analyse du scrutin aux élections nationales de 1848<br />

et 1849 souligne l’idée développée ci-dessus : les gens de<br />

Rodès étaient étroitement liés à plusieurs autres communes<br />

caractérisées par la division politique, et leur politisation<br />

ne peut pas être considérée de manière isolée.<br />

Puisque les élections législatives d’avril 1848 et les élections<br />

présidentielles de décembre 1848 furent organisées<br />

par sections de canton, plutôt que par communes, elles<br />

ne révèlent pas grand’chose du groupement des votes de<br />

Rodès. Ce que le scrutin montre, cependant, c’est que le<br />

légitimisme était bien plus en force dans cette région de<br />

la vallée de la Têt que dans la majorité des autres sections<br />

du département, et que le canton était divisé par<br />

la politique aussi bien que par la géographie entre les régions<br />

d’influence de Vinça et Ille, séparées par le Col de<br />

Ternère, à la limite orientale de Rodès. Ceci montre, une<br />

fois de plus, que Rodès partageait la politique de ses voisins,<br />

que les changements dans sa politisation venaient<br />

au moins autant par cette voie que par les nouvelles qui<br />

arrivaient de Paris.<br />

Lors de l’effondrement des royalistes dans les premiers<br />

mois de la Seconde République en 1848, la totalité<br />

du département vota à 95 % pour les républicains<br />

et seulement à 5 % pour les légitimistes, mais dans les<br />

communes autour de Vinça (y compris Rodès) cette<br />

domination presque totale était contestée. Ici bien que,<br />

comme ailleurs dans le département, presque tous les<br />

hommes aient voté pour François Arago, dont le succès<br />

sous la Monarchie de Juillet avait en partie dépendu du<br />

soutien des légitimistes, les autres candidats républicains<br />

reçurent en comparaison un moindre pourcentage<br />

des votes. Les autres voix étaient pour les candidats légitimistes<br />

(18,9 %) ou pour Jean-Jacques Escanyé, né<br />

à Vinça, un républicain (très) conservateur (35,8 %).<br />

De l’autre côté du col de Ternère, dans la section d’Ille,<br />

les votes pour les légitimistes furent négligeables 38 .<br />

37. ADPO, 3M73.<br />

38. ADPO, 3M174. Un vote semblable eut lieu pour l’élection de remplacement<br />

du 4 juin 1848 quand Genoude se présenta comme candidat légitimiste :<br />

dans la section d’Ille, il n’obtint que 3,3 % des votes, tandis que dans la section<br />

de Vinça, il arriva à 40,8 % . ADPO, 2M66.


440 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

À nouveau lors de l’élection présidentielle de décembre,<br />

cette division est manifeste. Ledru-Rollin, le seul candidat<br />

radical républicain sans équivoque obtint 67 % des voix<br />

dans la section d’Ille et 60,7 % à Bouleternère. Cependant,<br />

dans les six communes qui entourent Vinça, y compris<br />

Rodès, 59 % des électeurs s’étaient abstenus, montrant<br />

la perplexité ou l’hostilité des légitimistes face à l’appel<br />

des chefs du Droit national à voter en faveur de Louis<br />

Napoléon. Ceux qui votèrent partagèrent leurs voix entre<br />

lui, Cavaignac et Ledru-Rollin. Ce dernier ne recueillit<br />

que 13,7 % des voix 39 .<br />

Le développement et le maintien de la conscience politique<br />

à Rodès était donc facilité par la géographie humaine<br />

et l’ambiance politique de la vallée. Sa vie politique était<br />

encore soutenue par les communications relativement faciles<br />

que permettait la route qui suit la vallée de la Têt. une<br />

grande partie du trafic consistait en produits spécialisés<br />

des hautes terres et des plaines qu’on échangeait dans les<br />

marchés de villes telles que Vinça et Ille. Il y avait aussi<br />

parfois des détachements de militaires qui voyageaient<br />

entre la garnison de Perpignan et les villages fortifiés stratégiques<br />

de Villefranche et Mont‐Louis plus haut dans<br />

la vallée. Des rapports de police des années 1849‐51 se<br />

plaignent régulièrement du danger politique que la fraternisation<br />

entre ces militaires et les républicains des villages<br />

qu’ils traversaient pourrait entraîner 40 .<br />

Rodès possédait d’autres caractéristiques favorisant la<br />

politisation et la mobilisation de ses habitants. Ce sont<br />

la taille, la structure sociale et la base économique du<br />

village : tous facteurs que les analyses les plus convaincantes<br />

ont indiqué comme des variables importantes<br />

influençant le niveau d’information politique des petites<br />

communautés 41 . Maurice Agulhon a désigné comme<br />

« micro-citadins », plutôt que paysans, les ruraux de<br />

la Provence orientale au milieu du siècle 42 . même si les<br />

Rodésiens étaient des paysans au sens le plus strict du<br />

terme, l’insistance d’Agulhon sur le caractère micro-urbain<br />

des villages du Sud vaut également pour Rodès, un<br />

39. ADPO, 3M 171. En mai 1849 le canton entier vota à Vinça ; les 61,6 %<br />

attribués aux candidats républicains cachent sans doute des contrastes internes<br />

semblables à ceux de 1848 que nous avons décrits ci-dessus. ADPO, 3M 174.<br />

40. Pour ce phénomène, voir ADPO, 3U 2844‐55 ; AN BB 20 155 ; Étoile du<br />

Roussillon, 13 avril 1851 ; Émancipation (Toulouse), 15 avril 1851.<br />

41. Voir, par exemple, la comparaison par Agulhon entre les villages du Cannet<br />

et de Baudinard dans le Var, La République au village, p. 361‐75 ; et Loubère,<br />

« Emergence of Extreme Left », op. cit.<br />

42. Agulhon. La République au village, p. 12.<br />

village qui a beaucoup en commun avec ceux qu’a étudiés<br />

Agulhon. Non seulement la communauté était nombreuse<br />

– au cours des cinq recensements de 1836 à 1856,<br />

la population allait de 683 à 752 habitants – mais cette<br />

population était à la fois diverse et concentrée 43 .<br />

Vivre dans une communauté considérable et concentrée<br />

encourageait la vie publique et permettait une certaine<br />

indépendance vis à vis des notables locaux et du curé<br />

de la paroisse, comportements qui seraient inhabituels<br />

dans des communautés dispersées, comme, par exemple,<br />

celles de la Sologne ou de la Vendée 44 . Dans une communauté<br />

de cette taille, une structure sociale mixte facilitait<br />

aussi le développement d’idéologies différentes et<br />

faisait que les chefs avaient des origines diverses. Quand<br />

nous parlons du peuple ou de Rodès, nous ne parlons<br />

pas d’une masse paysanne non différenciée, comme les<br />

historiens ont tendance à le faire quand ils parlent de<br />

communautés rurales ; comme nous le verrons dans la<br />

partie suivante, il s’agissait d’un village complexe, avec<br />

une base économique variée. À titre d’exemple, entre les<br />

années 1840 et 1850, 25 à 30 familles de Rodès (environ<br />

15 % du total) vivaient de l’artisanat, travaillant comme<br />

maçons, épiciers, menuisiers, tailleurs, cordonniers, tisseurs,<br />

ébénistes, maréchaux-ferrants, aubergistes, etc. Il<br />

y avait aussi un instituteur et son assistant et un chirurgien-officier<br />

de santé qualifié.<br />

Le caractère de l’artisanat de Rodès suggère trois choses.<br />

Premièrement, la plupart de ces artisans étaient des<br />

spécialistes à plein-temps, et ceci souligne le caractère<br />

micro-urbain du village. Deuxièmement, le déplacement<br />

rapide de ces individus suggère un groupe social mobile,<br />

qui pourrait à son tour représenter une source renouvelée<br />

d’idées et d’informations. Troisièmement, le caractère<br />

social de ce groupe n’implique pas nécessairement que<br />

les gens tenaient le rôle défini qu’on a souvent attribué<br />

aux artisans. Parmi les artisans du village en 1850, seuls<br />

six adhéraient à la société républicaine. Sept s’affirmaient<br />

légitimistes, et encore plus nombreux étaient ceux qui<br />

43. Pour les chiffres de population, voir Batlle, Gual, « Fogatges Catalans »,<br />

op. cit. Une seule famille vivait sur un mas écarté, et on ne trouve aucune<br />

preuve qu’elle était active en politique. Nous devons souligner que Rodès ne<br />

peut être considéré comme micro-urbain que parce qu’il y avait une variété de<br />

métiers et de lieux publics sur un espace restreint ; c’était cependant bien une<br />

petite communauté rurale par la prévalence de l’agriculture et l’affrontement<br />

direct dans les relations personnelles de ses habitants.<br />

44. Voir Marcilhacy, « Les Caractères », op. cit. ; C. Tilly, The Vendée, Cambridge<br />

MA, 1964.


Royalistes et républicains à Rodès<br />

441<br />

semblaient ne pas s’intéresser à la politique. En contraste<br />

avec ce que nous connaissons des activistes d’autres communautés<br />

semblables, ici l’instituteur était un légitimiste<br />

qui collaborait avec le curé, et le cabaretier se sentait au<br />

moins en antipathie envers les républicains.<br />

Finalement, il apparaît que la culture populaire vivace<br />

et le particularisme linguistique ne nuisaient pas à la politisation.<br />

Et même, à Rodès, c’est le contraire qui semble<br />

se vérifier. Ici, comme dans le Midi, la survie au milieu du<br />

XIX e siècle d’une riche tradition de folklore communal<br />

fournissait le moyen d’intégrer les idées nouvelles sur la<br />

politique et la société dans le tissu de la vie publique 45 .<br />

Les habitants de Rodès s’identifiaient comme catalans<br />

et probablement se servaient du catalan pour s’exprimer<br />

dans leur vie quotidienne, mais, comme nous l’avons<br />

vu, cela ne les empêchait pas d’acquérir et d’adopter des<br />

documents sur la politique nationale. Il apparaît, néanmoins,<br />

que ceci se fit plus facilement quand la capacité<br />

de lire en français leur donna accès à l’écrit. Ainsi, tandis<br />

que le juge de paix estimait que seulement un homme sur<br />

dix savait lire en français, onze des dix-neuf Rodésiens<br />

accusés en 1851 se disaient lettrés 46 .<br />

Donc, si l’analphabétisme et la méconnaissance du français<br />

ne nuisaient pas à la politisation, savoir lire conférait<br />

certainement un avantage. La majorité des légitimistes<br />

possédaient une vision du monde qui était peut-être celle<br />

de relations patron/client anciennement étatisée, complétée<br />

par les souvenirs collectifs de la grande Révolution et<br />

des enseignements plus récents – par exemple l’adhésion<br />

du « Droit national » au suffrage universel – transmis par<br />

les élites. De l’autre côté, le nombre disproportionné de<br />

républicains lettrés suggère qu’ils pouvaient accéder au<br />

informations et aux idées transmises par écrit, c’est-àdire<br />

qu’ils commençaient à développer une idéologie au<br />

sens « moderne » de ce terme 47 .<br />

45. Pour une discussion sur la façon dont cela s’est passé pendant la Seconde<br />

République, voir McPhee, « Popular Culture », op. cit. ; R. Bezucha, « Mask<br />

of Revolution : a Study of Popular Culture during the Second French Republic<br />

», Revolution and Reaction, Price ed., p. 236‐53 ; Agulhon, 1848, op. cit.,<br />

p. 108‐10, p. 128‐30. Parmi ceux qui estiment que le particularisme culturel<br />

ethnolinguistique nuit à la politisation on trouve A. Armengaud, Les population<br />

de l’Est-Aquitain au début de l’époque contemporaine, Paris, 1961,<br />

p. 462 ; Price ed., Revolution and Reaction, intro. p. 41-53.<br />

46. Il y en a même au moins un qui a dû pouvoir lire en français et en catalan,<br />

compétence extraordinaire de la part d’un paysan d’une petite communauté.<br />

47. Sur l’importance de l’alphabétisation et sa relation à la culture écrite, voir<br />

Literacy in Traditional Societies, J. Goody ed., Cambridge, 1968, Intro et ch. 1.<br />

Cette analyse suggère que le meilleur moyen de comprendre<br />

l’évolution et les changements de la politisation<br />

dans les communautés rurales est plutôt l’analyse soigneuse<br />

des structures communales que l’identification<br />

d’éléments extérieurs d’activisme social. Si importants<br />

que fussent les activistes nationaux et provinciaux, ils<br />

pouvaient seulement faire voir les choix possibles, et de<br />

toute façon nous ne possédons aucun témoignage de visites<br />

d’activistes de l’extérieur cherchant à faire des adhérents.<br />

Au contraire, les habitants avaient développé leur<br />

propre niveau de conscience politique par leurs propres<br />

expériences et par les liens qu’ils avaient forgés eux-mêmes<br />

avec le monde extérieur. Nous pouvons dire que,<br />

pour les communautés rurales en général, la situation<br />

géographique d’une commune, son accès au monde extérieur,<br />

sa taille, la façon dont les habitants s’étaient établis<br />

et sa structure sociale sont les traits qui, selon leur nature,<br />

fournissaient un terrain plus ou moins favorable aux<br />

idéologies opposées du milieu du XIX e siècle.<br />

Une analyse de ce type n’explique pas, évidemment,<br />

pourquoi une communauté comme celle de Rodès se<br />

divisa à cause de ce choix idéologique, et c’est vers cette<br />

question – qui se rapporte à la racine des clivages politiques<br />

ruraux – que nous devons maintenant tourner notre<br />

attention.<br />

Observons-nous à Rodès la réapparition des conflits<br />

de la grande Révolution ? Les groupes en conflit représentent-ils<br />

les factions familiales qui utilisent les nouveaux<br />

slogans de 1848 pour faire revivre des querelles<br />

anciennes ? Rodès, gouvernée par les royalistes jusqu’aux<br />

années 1870, se différenciait de la politique de la plupart<br />

du département. était-ce parce qu’une personnalité locale<br />

dominait sa vie politique 48 ? Ou bien, pour reprendre<br />

une explication fréquente, le mouvement républicain en<br />

voie de développement, avait-il pour origine les éléments<br />

économiques sous-développés les plus menacés par l’agriculture<br />

spéculative en formation 49 ?<br />

48. Pour des exemples de l‘application de cette idée, voir Agulhon, La République<br />

au village, p. 471-83 ; Armengau, Les populations, p. 461. Le républicanisme<br />

des Pyrénées-Orientales est souvent justifié par l’influence de la<br />

famille Arago, voir, par exemple A.‐J. Tudesq, Les grands notables en France<br />

(1840-1849). 2 vol. Paris : 1964 2 :1087. À comparer avec P. McPhee, « The<br />

Seedtime of the Republic ; Society and Politics in the Pyrénées-Orientales,<br />

1848‐1851 », Australian Journal of Politics and History. XXII (1976) : 209.<br />

49. C’est l’opinion qu’avance Price, Second French Republic, p. 2.


442 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Des signes de l’importance des expériences collectives<br />

de la grande Révolution comme facteur déterminant des<br />

divisions politiques de la Seconde République ne manquent<br />

pas. Nous avons déjà constaté que le langage de<br />

conflit de 1850 était inspiré par les inquiétudes des luttes<br />

précédentes. Rodès avait été profondément affecté par<br />

les années qui suivirent 1789. Pendant la Révolution, Ille<br />

et Vinça, deux villes voisines de Rodès, se disputaient la<br />

prééminence administrative. Rodès avait fait partie du<br />

canton d’Ille avant que ce canton ne fût absorbé par une<br />

unité plus grande, dont Vinça forma le centre administratif.<br />

Une vive concurrence autour des privilèges et de<br />

la prééminence du centre cantonal dura pendant tout<br />

le XIX e siècle. Sous la Révolution, les deux villes fournissaient<br />

un nombre disproportionné de fonctionnaires<br />

départementaux et d’hommes politiques, envoyant chacun<br />

un député à la Convention de 1792. (Ille envoya un<br />

régicide, Vinça un député qui s’absenta chaque fois qu’il<br />

fallait prendre une décision critique.) Vingt prêtres des<br />

deux villes se réfugièrent en Espagne en 1792 50 . Vers la<br />

fin de 1793, Rodès était entre les mains des Espagnols.<br />

Des unités de l’armée espagnole, qui avaient franchi la<br />

frontière du Roussillon en avril, envahirent Ille en juillet<br />

en tentant d’encercler Perpignan, avant de se préoccuper<br />

de tenir la vallée de la Têt. Elles occupèrent Rodès et le<br />

château pendant au moins six mois, malgré une vive résistance<br />

des troupes et des militants civils locaux au Col<br />

de Ternère 51 .<br />

Les rapports du conseil municipal pendant l’Empire<br />

ne nous disent pas grand chose des loyautés politiques<br />

dominantes ; par contre, ceux de la Restauration ne<br />

nous laissent aucun doute 52 . Le 15 mai 1814, le conseil<br />

exprima sa joie que la « tyrannie » ait été vaincue et les<br />

Bourbons restaurés, et « la réunion commença par des<br />

cris réitérés de « Vive Louis XVIII ! ». Les grandes fêtes<br />

de la Restauration, comme celle du 1 er mai 1821, furent<br />

commémorées par la musique et des défilés le long de<br />

rues aux maisons décorées.<br />

50. P. Vidal, Histoire de la Révolution française dans le département des Pyrénées-Orientales,<br />

3 vol., Perpignan, 1888-89 ; é. et L. Delonca, Un village en<br />

Roussillon : Illa terra de Rosselló, Perpignan, 1947.<br />

51. J.-N. Fervel. Campagnes de la Révolution française dans les Pyrénées-<br />

Orientales, 1793‐1794-1795. 2 vol. Paris : 1851, vol. 1. Voir aussi D. Greer.<br />

The Incidence of the Emigration during the French Revolution. Cambridge,<br />

MA : 1951.<br />

52. AC délibérations.<br />

Dix ans plus tard, pendant les premières années de la<br />

Monarchie de Juillet, Rodès fit l’expérience du conflit<br />

politique du genre de ceux qui éclateraient pendant la<br />

Seconde République, caractéristiques de la France méditerranéenne.<br />

Beaucoup de ces querelles consistaient en<br />

luttes pour le pouvoir politique local. En octobre 1830<br />

le maire et le député de la Restauration furent congédiés<br />

et remplacés par Bonaventure Roger et Joseph Tixeire<br />

(leurs fils seront arrêtés dans la rafle de février 1850).<br />

En mars de l’année suivante, tous les deux avaient été expulsés<br />

du conseil municipal 53 . L’élite légitimiste rétablie<br />

démontra immédiatement sa prédisposition pour la subordination<br />

des convictions politiques à l’efficacité : avril<br />

venu, le conseil, dirigé par Cornet et Glory, se réunissait<br />

en séance extraordinaire pour voter des fonds pour un<br />

drapeau tricolore et un buste de Louis‐Philippe.<br />

Ce changement de personnel, sobrement noté dans le<br />

compte-rendu du conseil, reflétait un conflit qui avait<br />

beaucoup en commun avec ceux qui suivraient sous la<br />

Seconde République 54 . Vers la fin mars 1831, Cornet,<br />

« ami de la liberté, mais surtout de l’Ordre », avait envoyé<br />

une lettre urgente au préfet. Plusieurs incidents sérieux<br />

avaient eu lieu le premier jour du Carnaval, et il avait été<br />

obligé de demander l’aide de Prades. Le commandant du<br />

bataillon qui arriva prétendit plus tard que le vice-maire,<br />

Tixeire, un des hommes les plus pauvres du village, était<br />

responsable du désordre. Quant à « la partie saine » des<br />

habitants, poursuivait le rapport, leur conscience de la<br />

nécessité de l’ordre avait nettement plus de poids que leur<br />

préférence personnelle pour les Bourbons.<br />

Il semble que les troubles du Carnaval aient été commencés<br />

par un groupe de jeunes qui avaient défilé avec<br />

un drapeau blanc, en chantant des chansons se moquant<br />

grossièrement des Orléanistes. Plus tard, d’autres, chargés<br />

de distribuer le pain béni, avaient décoré leurs paniers du<br />

« bâton fleurdelisé ». Peu avant le Carnaval de l’année suivante,<br />

un groupe de royalistes raviva l’affaire, en abattant<br />

l’arbre de la liberté planté en 1830. Cornet présenta le drapeau<br />

qui l’avait surmonté au sous-préfet. Naturellement,<br />

les fêtes du Carnaval furent de nouveau orageuses, et on<br />

fit encore appel aux troupes de l’extérieur.<br />

53. Ibid.<br />

54. ADPO, 4Mp 582-585.


Royalistes et républicains à Rodès<br />

443<br />

fournissent 95 noms sur un total de 126 : Glory (16),<br />

Pour expliquer les divisions politiques à Rodès au<br />

l’Ouest, Le Mans,1960, p. 30‐31 et passim. .<br />

milieu du siècle, on ne peut pas douter de l’importance Picamal (12), Pla (8), Bollo (8), Batlle (8), Bassède (7),<br />

des expériences vécues durant la grande Révolution et Bo (5), Mestres (5), Cazeilles (5), Garrigue (4),<br />

pendant les premières années 1830, mais elles n’en sont<br />

pas la raison déterminante. Non seulement la montée<br />

de l’engagement populaire dans la politique sous la<br />

Seconde République dépassa l’activité de 1830‐31, mais<br />

il y avait aussi une opposition bien plus déterminée et<br />

plus durable au maintien au pouvoir de l’élite légitimiste.<br />

Par ailleurs, l’idéologie de l’opposition avait été affinée.<br />

En 1830, Roger et Tixeire s’étaient clairement identifiés<br />

à la monarchie libérale constitutionnelle des premiers<br />

jours de la Monarchie de Juillet. Mais en 1848, dans un<br />

mouvement par ailleurs très commun, la déception envers<br />

Louis-Philippe avait poussé ces anti-bourbonistes<br />

vers un net républicanisme. Le républicanisme un peu<br />

naïf des premiers mois de 1848 semble, à son tour, avoir<br />

évolué vers un engagement pour la victoire démocratesocialiste<br />

Imbert (4), Pagès (4), Molins (3) Aytonès (3), Sire (3).<br />

De l’autre côté, dans certains groupes familiaux, en plus<br />

d’autres témoignages de leur républicanisme, on ne trouve<br />

aucun membre se déclarant royaliste : Baudet, Buscat,<br />

Calvet, Déjoan, Deixonne, Gasch, Prohom, Roger,<br />

Saléta, Surjus, Tixeire. C’est de ces familles que provenaient<br />

la plupart des personnes arrêtées en février et les<br />

autres membres de la société. Pour ces familles rodésiennes,<br />

la société était le lieu où pouvaient se réunir les<br />

fils aînés de ceux qui avaient participé aux luttes pour le<br />

gouvernement local pendant les décennies suivant 1830.<br />

L’âge moyen des 19 hommes arrêtés était de vingt-six ans<br />

et demi, et un seul était chef de famille. Des quarante<br />

que l’ont sait être membres de la société, trois seulement<br />

étaient chef de famille.<br />

55 .<br />

La convergence des liens politiques et familiaux dans<br />

Les années de la Seconde République diffèrent aussi<br />

de la période antérieure dans le comportement politique<br />

dominant : les gens sentent alors que la vie politique a été<br />

« modernisée ». Pendant les années 1830, les bagarres<br />

entre les partisans et les adversaires du nouveau régime<br />

avaient lieu le plus souvent au temps des rites anciens<br />

de la vie collective, surtout pendant le Carnaval et la fête<br />

patronale. au milieu du XIX e siècle, l’usage politique de<br />

ces rites continuait mais l’activité associative et électorale<br />

devenait plus importante. Dans les années 1870, pour<br />

poursuivre la démonstration, la vie politique sera menée<br />

presque exclusivement par les clubs, les campagnes électorales<br />

et entre les familles Tixeire, Déjoan et Roger est révélée<br />

par le tableau 6 56 . On sait que cinq familles (Catala,<br />

Bollo, Gelade, Pla et Garrigue) ne s’entendaient pas sur<br />

la politique ; mais le désaccord n’était pas entre père et<br />

fils, il s’agissait plutôt de divisions entre les différentes<br />

branches de la famille. Par exemple, bien que des Catala<br />

et des Bollo se marient avec des Tixeire et des Déjoan, il<br />

s’agissait moins de mariages par dessus les divisions politiques<br />

que d’unions au sein de petits groupes familiaux<br />

des Bollo et des Catala dont les sentiments républicains<br />

ne s’accordaient pas avec le sentiment majoritaire du<br />

groupe familial.<br />

et par l’écrit.<br />

Ces preuves de solidarité familiale concordent avec les<br />

Observons-nous alors à Rodès une communauté divisée<br />

par familles ? Les documents semblent le suggérer.<br />

Par exemple, une analyse de la composition du conseil<br />

municipal pendant la période 1831‐1860 montre que la<br />

moitié des postes étaient occupés par les familles Bollo,<br />

Catala, Glory et Imbert. Les listes de souscripteurs légitimistes<br />

de 1849 et 1850 viennent aussi à l’appui de<br />

recherches d’Agnès Fine-Souriac dans le pays de Sault, à<br />

une trentaine de kilomètre de Rodès 57 . Sa conviction que<br />

la famille constitue le noyau de la communauté, même si<br />

de temps en temps, la majorité des familles étaient simples<br />

ou nucléaires, s’accorde avec ce que nous avons vu de<br />

la structure familiale de Rodès 58 .<br />

56. Cette table se baisse sur une analyse de l’état civil de Rodes et les recen-<br />

cette analyse. Il est frappant qu’une quinzaine de familles<br />

55. Voir le commentaire sur l’essence innovatrice des développements au<br />

milieu du XIX e siècle par P. Vigier, « Un quart de siècle de recherches historiques<br />

sur la Provence », Annales historiques de la Révolution française X‐VII,<br />

1975,p. 637. La démonstration la plus convaincante du rôle joué par le passé<br />

dans l’action politique au XIX e siècle se trouve dans P. Bois, Paysans de<br />

sements de 1841 et 1856.<br />

57. A. Fine-Souriac, « à propos de la famille-souche pyrénéenne au XIX e siècle<br />

: quelques réflexions de méthode », Revue d’histoire moderne et contemporaine,<br />

XXV, 1978, p. 99‐110.<br />

58. À Rodès le nombre de ménages simples diminua de 59,6 % en 1841<br />

à 48,01 % en 1856 ; en plus, quand on examine les familles une à une, il est<br />

évident que les familles étendues et ménages multiples constituaient les normes<br />

vers lesquelles les familles avaient tendance à retourner.


444 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Isidore Tixeire<br />

Thérèse Fabre<br />

Joseph Dejoan<br />

Françoise Roger<br />

Jean Roger<br />

Claire Parès<br />

Maurice (67) Bon. Bassède (63)<br />

Thérèse (44) Jacques Bollo (45) Joseph (60) Rose (59)<br />

Julient (54) Rose Soléra (56) Bon. (54) Françoise (59)<br />

Josephe (52) Sébastien (53)<br />

Bonav. (66)<br />

Jean (38) Joseph (20)<br />

Sébastien (?) Joseph (?) Claire (23)<br />

Julien (25) Françoise (30) Joseph Bollo (30) Thérèse (23) Josephe (19)<br />

Jean (?) Marc (26) Bonav. (17) Claire (?)<br />

Alex. Bollo (20)<br />

Isidore (40) Julien (32) Sébastien (25) François (22) Elizabeth (?) Thérèse (19) François Catala (22)<br />

Bonav. Catala (38)<br />

Aucun des six parents de la première ligne n'était encore vivant en 1850 ; les âges de ceux qui vivaient en 1850 sont indiqués entre parenthèses, les noms de républicains de la<br />

société secrète sont en italique. Bonaventure a été abrégé en Bon. pour les femmes et Bonav. pour les hommes.<br />

6 - Mariages entre familles républicaines et légitimistes, Rodès, 1850 (source ADPO).<br />

S’il paraît évident que la division légitimistes/républicains<br />

dans cette communauté suivait des lignes familiales,<br />

cela n’explique pas la puissance relative des<br />

deux groupes, ni le choix par les familles d’un groupe<br />

ou de l’autre. De quelle utilité nous est la suggestion de<br />

Maurice Agulhon que, dans une communauté comme<br />

celle de Rodès, où l’opinion politique ne s’accordait pas<br />

avec celle de l’ensemble du département entier, l’influence<br />

sociale d’un seul personnage important pouvait<br />

constituer le facteur décisif ? Y avait-il un tel personnage<br />

dans cette communauté ?<br />

Joseph Cornet de Candy était de loin le plus grand<br />

propriétaire de Rodès, possédant environ sept fois autant<br />

de terre que le deuxième, d’où il tirait huit fois le revenu<br />

imposable moyen. En tout, en 1835, il possédait 293 lots<br />

séparés, soit environ 296 hectares, sur lesquels un total de<br />

2 782 francs étaient payables en impôts 59 . Il acquérait régulièrement<br />

des lopins de terre, et la Seconde République<br />

venue, ce propriétaire contrôlait à lui seul environ 25 % de<br />

la terre et 20 % du revenu imposable de la communauté.<br />

Le pouvoir économique de Cornet provenait surtout de<br />

sa domination disproportionnée – il en possédait peutêtre<br />

30 % – sur les terres irrigables ou al regatiu entre la<br />

route nationale et la rivière. Représentant moins de 5 %<br />

de la superficie de la commune, ces terres, rendues très<br />

59. L’analyse des propriétaires fonciers est basée sur le cadastre et son registre ;<br />

ce dernier fut découvert, presque décomposé, dans le grenier d’une maison<br />

abandonnée de Rodès. Heureusement, presque toutes les pages pouvaient être<br />

déchiffrées.<br />

productives par le canal ancien qui les parcourait et par le<br />

soleil du Midi, constituaient une des deux sources principales<br />

de la production agricole du village.<br />

Cornet était de souche locale, et il incarne presque la<br />

caricature du propriétaire bourgeois parvenu. Il est né<br />

dans la maison familiale en avril 1806, une demeure<br />

qui exhibait tous les signes du bourgeois en ascendance.<br />

Ainsi, malgré sa situation sur une parcelle plate donnant<br />

sur une des places publiques, elle est entourée d’un<br />

mur et sa tour porte une plaque : JOAN-MICHAEL-<br />

CORNET-M’A-FET-FE-1661. [ Joan Michael Cornet<br />

m’a fait faire - 1661] (ill. 7 et 8). Quand ses parents se<br />

sont mariés, deux ans avant la naissance de Joseph,<br />

Joseph Cornet-Lacreu avait 65 ans et Marguerite Candy<br />

treize ans et quatre mois 60 . Marguerite descendait d’un<br />

nommé Bernard Kennedy – « catalanisé » en Candy –<br />

qui avait fui l’Irlande sous Jacques II et fut naturalisé par<br />

Louis XIV 61 . En 1755, son arrière-grand-père avait obtenu<br />

la seigneurie du Boulou, un village stratégique entre<br />

Perpignan et la frontière, en récompense de ses services<br />

60. ADPO, État civil, Rodès. Une dispense pontificale avait été nécessaire.<br />

61. L’oncle de Marguerite avait aussi émigré, et servit avec les forces émigrées<br />

et les Espagnols jusqu’à sa mort au siège de Gérone en 1803. Dans un coin<br />

de la mairie de Rodès il y a un registre de ferme extraordinaire commencé<br />

en 1821 par Marguerite, témoignant l’intérêt qu’elle avait pour la gestion et<br />

son désir d’honorabilité noble. Même si on sait que les mesures ne sont pas<br />

exactes, il paraît que les Cornet surestimaient leurs possessions : Marguerite<br />

les estima à 313,75 journaux de terre en 1821, tandis qu’une enquête de 1775<br />

en avait enregistré 55,5. Voir J. Guibeaud, « Enquête économique sur le Roussillon<br />

en 1775 ». Bulletin de la Société Agricole, Scientifique et Littéraire, Perpignan,<br />

XLIII, 1902, p. 291‐336.


Royalistes et républicains à Rodès<br />

445<br />

8 - Plaque en marbre rose de la maison Cornet, 1661, Rodès (cl. O. passarrius).<br />

7 - La maison Cornet, Rodès (cl. O. passarrius).<br />

de commandant à Bellegarde, forteresse de la frontière.<br />

Les Candy y vécurent jusqu’à ce que les généraux espagnols<br />

Ricardos et Comte de l’Union aient accepté, après<br />

avoir franchi la frontière en 1793, l’offre du grand-père<br />

de Marguerite de faire de sa résidence leur quartier général.<br />

Ceci lui valut la peine capitale le 13 floréal II. Le père<br />

de Marguerite avait déjà émigré pour se battre avec l’armée<br />

espagnole, et il obtint une pension du roi d’Espagne<br />

jusqu’à son retour en France en 1808. Il s’installa alors à<br />

Rodès avec sa fille, récemment veuve, et Joseph, le jeune<br />

fils de celle-ci 62 . Marguerite était aussi apparentée par le<br />

mariage à d’autres puissantes familles légitimistes de la<br />

région, notamment à Jaubert de Passa (conseiller général<br />

du canton de Vinça et président du Conseil Général sous<br />

la Seconde République) et à Chef de Bien de Çagarriga,<br />

dont la fille épousa Justin Durand, l’homme le plus riche<br />

du département, et y devint Madame Durand de Morny.<br />

62. L’information qui suit provient d’A. Capeille. Dictionnaire de biographies<br />

roussillonnaises. Perpignan : 1910-14 : p. 290‐93 et passim.<br />

Pendant les années 1789-1871, des membres successifs<br />

des familles Cornet et Candy dominèrent la vie économique<br />

de Rodès et siégèrent presque toujours au conseil<br />

municipal. Joseph Cornet-Lacreu, avant sa mort en 1806,<br />

occupa la plupart du temps le poste de maire ; pendant la<br />

Restauration ce fut le tour du père émigré de Marguerite,<br />

Côme de Candy ; et sous la Monarchie de Juillet, celui de<br />

Joseph Cornet de Candy. Nous avons deux témoignages<br />

de l’époque où ce dernier occupait la mairie montrant<br />

l’étendue de son pouvoir et qui éclairent beaucoup notre<br />

analyse de la division politique de Rodès. Non seulement<br />

il y avait d’autres familles légitimistes qui dominaient la vie<br />

politique, mais la place de Cornet au conseil était même<br />

parfois contestée. Quand le nouveau conseil municipal<br />

se réunit en août 1848 pour choisir ses fonctionnaires,<br />

Cornet, Glory et Soléra se disputaient le poste de maire.<br />

La situation ne fut résolue – en faveur de Glory – qu’après<br />

plusieurs scrutins. Domenech, fils lui aussi d’émigré mais<br />

loin d’être riche, obtint, contre Cornet et Soléra, le siège de<br />

député-maire 63 . La présence dans une communauté d’un<br />

individu de situation économique beaucoup plus aisée que<br />

les autres ne veut donc pas forcément dire que la domination<br />

politique de cet individu reste toujours incontestée.<br />

Plus important encore, quelques jours avant cette réunion<br />

du conseil, les quatre scrutateurs des élections municipales<br />

avaient, avec sept républicains, adressé une protestation<br />

au préfet, affirmant qu’ils pouvaient fournir les<br />

noms de légitimistes riches qui avaient gagné leur élection<br />

en menaçant de refuser de donner du travail aux journaliers<br />

et de congédier les gardiens de troupeaux sous<br />

contrat annuel si ceux-ci votaient pour d’autres candidats.<br />

63. ADPO, 3M 190.


446 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Tableau 9 : superficie et valeur par taille de propriété, Rodès, 1832<br />

Propriété<br />

Impositions<br />

Superficie des propriétés Nombre Pourcentage/propriétaires Impôt en francs Nombre Pourcentage/ propriétaires<br />

20 ha et plus 6 2,65 300 fr. et plus 6 2,65<br />

10-19 ha 7 3,10 200-299 fr. 9 3,98<br />

5-9 ha 31 13,72 100-199 fr. 28 12,40<br />

2-4 ha 60 26,55 50-99 fr. 36 15,93<br />

1-1,99 ha 47 20,80 25-49 fr 44 19,47<br />

50-99 ares 34 15,04 10-24 fr. 38 16,81<br />

0-50 ares 41 18,14 0-9 fr. 65 28,76<br />

totaux 226 100 226 100<br />

Source ; ADPO, cadastre 1832.<br />

Quand on demanda aux officiers de délibérer sur cette<br />

question, ils déclarèrent qu’ils avaient déjà pris connaissance<br />

de faits semblables et qu’il est incontestable que<br />

ces menaces, faites par des individus connus pour leur<br />

antipathie envers la République, avaient produit un<br />

effet décisif sur le résultat des élections, aboutissant à<br />

l’installation d’un conseil municipal hostile 64 . Il est important<br />

de noter que, tandis que trois des scrutateurs<br />

plaignants étaient des républicains, le quatrième était<br />

Martin Catala, un légitimiste qui fut même élu au cours<br />

de cette élection.<br />

Si nous utilisons cet indice pour éclairer les fondements<br />

économiques de cette commune et les relations<br />

sociales qui en découlaient, le caractère de sa vie politique<br />

se révèle bien plus nettement. Qui contrôlait les<br />

sources de richesse à Rodès et de quelle importance est<br />

cette question pour les divisions politiques ?<br />

Rodès était une communauté dont les terres et la richesse<br />

étaient dominées par un petit groupe de propriétaires<br />

(tableau 9). 40,12 % de la terre appartenait à<br />

6 propriétaires fonciers ; les 14 plus riches possédaient<br />

45,01 % des biens imposables. À l’autre bout de l’échelle,<br />

33,2 % des propriétaires fonciers ne possédaient que<br />

3,89 % des terres ; 45,57 % ne contrôlaient que 7,41 % de<br />

la richesse imposable 65 . La forte proportion des habitants<br />

qui possédaient très peu de terre (plus quelques-uns qui<br />

64. Ibid. Nous devons constater que la plainte fut sans effet. Ce dossier contient<br />

aussi des preuves d’une plainte semblable en 1843.<br />

65. Cette analyse est basée sur le cadastre et registre que nous avons décrit<br />

dans la note 59. L’analyse concerne la proportion des terres que possédaient<br />

vraiment les Rodésiens (63.86 de l’étendue de la commune). Les terres marginales<br />

qui bordaient la commune appartenaient pour la plupart à des propriétaires<br />

de communes voisines.<br />

ne figurent pas sur la liste puisqu’ils ne possédaient rien)<br />

montre l’effet de la loi électorale du 31 mai 1850, loi destinée<br />

à priver du droit électoral les hommes sans moyens<br />

indépendants, que l’on croyait être plus souvent partisans<br />

de la gauche. Dans la nation entière, environ 30 % des<br />

hommes adultes furent rayés des listes électorales ; dans<br />

les Pyrénées-Orientales, ce nombre était de 34,2 %, mais<br />

à Rodès, il fut de 47,7 % 66 . On peut penser que les éléments<br />

les plus pauvres de ce groupe étaient ouvriers agricoles<br />

plutôt que paysans, parce qu’ils gagnaient généralement<br />

leur vie en travaillant sur les grandes propriétés.<br />

La moitié à peu près de la terre et de la richesse de<br />

Rodès se trouvait entre les mains de petits paysans, qui<br />

disposaient de pouvoirs en proportion de leur nombre.<br />

Les 91 propriétaires (40 % du total) qui possédaient<br />

chacun entre 2 et 10 hectares (ce qui faisait à peu près<br />

40 % de la commune) figurent parmi ce groupe. Ces<br />

personnes avaient les caractéristiques identifiées par<br />

Teodor Shanin comme proprement paysannes : la petite<br />

propriété familiale formait l’unité de base de l’organisation<br />

agricole ; l’exploitation de la terre fournissait le<br />

revenu principal ; ils participaient partiellement à l’économie<br />

de marché ; ils possédaient une culture traditionnelle<br />

; ils étaient subordonnés en matière de politique,<br />

d’instruction et d’économie à des personnes puissantes<br />

de l’extérieur 67 . À ces trois groupes de Rodésiens, ceux<br />

66. ADPO, 3M 168-170. Price, Second French Republic, p. 23-26 a suggéré<br />

que les paysans étaient ceux qui possédaient de 0 à 10 hectares (tous exceptés<br />

les 6 plus grands propriétaires de Rodès) et qu’il était nécessaire à ceux qui<br />

possédaient moins qu’un hectare de trouver du travail supplémentaire (122<br />

des 226 propriétaires de Rodès se trouvaient dans cette situation).<br />

67. Pour la définition de la paysannerie et la nature transitoire de ce groupe,<br />

voir T. Shanin, « Peasantry : Deliniations of a Sociological Concept and a Field


Royalistes et républicains à Rodès<br />

447<br />

des grands propriétaires, des paysans et des ouvriers<br />

agricoles, il faut ajouter un quatrième – peu nombreux<br />

mais homogène du point de vue socio-économique –<br />

dont nous avons parlé plus haut, les artisans.<br />

Il est utile de comparer les hiérarchies des propriétaires<br />

de Rodès avec les divisions politiques. La liste électorale<br />

de 1840 68 enregistre les 95 personnes qui payent les impôts<br />

en partant de la somme la plus élevée à la plus basse ;<br />

nous possédons des preuves sûres de sentiments républicains<br />

chez un seul des 16 plus riches, et le légitimisme de<br />

12 d’entre eux est bien documenté. Plusieurs des hommes<br />

associés à la société secrète ou à d’autres manifestations<br />

de la politique républicaine, personnellement ou par leurs<br />

fils, figurent plus bas dans la liste des contribuables. Le cadastre<br />

nous montre que d’autres républicains étaient trop<br />

pauvres pour avoir le droit de voter, ne fût-ce qu’aux élections<br />

municipales. Par ailleurs, bien que nous possédions<br />

des preuves que parmi les paysans moyens ou pauvres<br />

qui formaient la majorité de la liste électorale de 1840<br />

il y avait des légitimistes, il est clair qu’un nombre élevé<br />

des 130 petits propriétaires et ouvriers agricoles trop<br />

pauvres pour y figurer étaient légitimistes. Parmi eux se<br />

trouvaient des membres des familles Batlle, Bo, Cazeilles,<br />

Fabre, Mestres, Pagès et Picamal qui formaient les simples<br />

soldats soutenant les élites légitimistes locales et nationales<br />

et participant aux fêtes culturelles et politiques, mais<br />

qui exerçaient très peu de pouvoir politique. La plupart<br />

des membres de ces familles vivaient dans le dénuement le<br />

plus aigu, qui allait souvent jusqu’à la misère.<br />

L’analyse suggérée ci-dessus est renforcée par la façon<br />

dont les légitimistes se présentèrent lors de la souscription<br />

pour la médaille de Genoude en 1849. Des 87 qui<br />

citent leur profession, 45 se disent travailleurs ou journaliers,<br />

21 propriétaires ; 8 seulement étaient cultivateurs,<br />

le terme le plus souvent employé pour les propriétaires<br />

paysans dans cette région de la France. Ceci fait contraste<br />

avec les 19 républicains arrêtés en février 1850 ; interrogés<br />

au sujet de leur profession, 17 répondent « cultivateur<br />

» et les deux autres se disent artisans. 69<br />

Il apparaît donc qu’en 1850 la communauté de Rodès se<br />

divisait selon la famille, et que cette division correspondait<br />

of Study », Peasant Studies Newsletter, II, 1973, p. 1-8 ; S. Mintz, « A Note on<br />

the Definition of Peasantries », Journal of Peasant Studies, I, 1973, p. 91‐106 ;<br />

E. Wolf, Peasants. New York, 1968, ch. 1.<br />

68. ADPO, 2M 5 25/2.<br />

69. ADPO, 3U 2850.<br />

à une fissure, complexe mais distincte, de classe. Les propriétaires<br />

royalistes dominaient la vie économique de la<br />

commune et, du moins pendant les premières années du<br />

suffrage universel, la majorité des habitants paraît avoir<br />

accepté leur domination politique. Ce consentement était<br />

celui des paysans et des ouvriers agricoles les plus pauvres,<br />

surtout ceux qui dépendaient entièrement ou en partie<br />

de ce qu’ils gagnaient en travaillant pour les propriétaires<br />

riches 70 . Le pouvoir politique des royalistes était mis en<br />

cause par l’enthousiasme grandissant pour la République<br />

démocratique et sociale parmi un tiers environ de la communauté,<br />

surtout les paysans indépendants.<br />

Cette conclusion s’accorde avec quelques idées sur les<br />

relations à l’intérieur des communautés rurales, idées<br />

fondamentales mais dont on ne tient pas souvent compte.<br />

La misère économique n’entraîne pas nécessairement<br />

l’hostilité entre les pauvres et ceux qui les exploitent. À<br />

vrai dire, à Rodès, les relations paternalistes ou patron/<br />

client semblent avoir relié les grands propriétaires, les<br />

ouvriers agricoles et les paysans pauvres. Cette alliance<br />

était sans doute soutenue par la stricte autorité économique<br />

et sociale exercée par l’élite, comme s’en plaignaient<br />

les paysans républicains, mais elle était aussi nourrie par<br />

la religion et l’idéologie légitimiste, basées sur les valeurs<br />

efficaces de hiérarchie, de réciprocité et de tradition.<br />

Dès que l’analyse s’étend aux relations entre les familles<br />

de Rodès et aux ressources de la commune, la division<br />

de classe est plus nette et plus pertinente 71 . Nous avons<br />

montré que Joseph Cornet dominait une très grande proportion<br />

d’un des deux secteurs clés de la vie agricole, la<br />

terre irrigable qui produisait six ou même sept récoltes<br />

par an. Les 26 légitimistes, y compris Cornet, qui dominèrent<br />

le conseil municipal de 1835 à 1855, possédaient<br />

plus de la moitié de ces terres. Le deuxième élément clé<br />

de la vie agricole de Rodès était la viticulture, souvent<br />

dans des vignes où poussaient aussi des oliviers. Dans les<br />

années 1830, à peu près 40 % du territoire de la commune<br />

était dédié à la production du vin, pour la plupart sur<br />

les collines basses qui entourent le fertile bassin alluvial.<br />

70. Pour une discussion sur la permanence de la domination de la vie politique<br />

dans l’Est-Aquitain sous la Seconde République par les propriétaires<br />

légitimistes, voir Armengaud, Les populations, p. 334, 353 et passim.<br />

71. Noter ici l’importance qu’attribue A. Cobban à la nécessité d’examiner<br />

non seulement la répartition des terres, mais aussi une analyse précise de l’usage<br />

de la terre dont le propriétaire jouit, cf. A. Cobban, The Social Interpretation<br />

of the French Revolution, Cambridge, 1964, p. 89.


448 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Tableau 10 : valeur et nature des propriétés foncières. Républicains et légitimistes, Rodès, ca 1835<br />

Propriétaire<br />

Jean Gasch<br />

Vignes<br />

Terres irriguées<br />

Pâturages<br />

Champs<br />

Bâtiments<br />

et oliviers<br />

et jardins<br />

et friches<br />

Totaux<br />

superficie 2.35.30 - - 0.00.40 0.00.26 2.35.96<br />

% 99,72 0,17 0,11<br />

valeur 24,64 fr. 3,24 fr. 0,16 fr. 28,04 fr.<br />

% 87,87 11,55 0,57<br />

Républicains<br />

Sébastien Bassède<br />

superficie 2.69.72 - 0.01.70 0.00.53 0.25.30 2.97.25<br />

% 90,74 0,57 0,18 8,50<br />

valeur 34,41 fr. 1,04 fr. 2,93 fr. 0,26 fr. 38,64 fr.<br />

% 89,05 2,69 7,58 0,67<br />

Pierre Calvet<br />

superficie 2.84.40 - - 0.00.22 0.17.10 3.01.72<br />

% 94,26 0,07 5,67<br />

valeur 38,78 fr. 2,72 fr. 0,52 fr. 42,02 fr.<br />

% 92,23 6,47 1,24<br />

Michel Aytonès<br />

superficie 4.99.20 - 0.35.72 0.01.32 0.24.07 5.69.44<br />

% 87,67 6,27 0,23 4,34<br />

valeur 70,74 fr. 15,25 fr. 15,09 fr. 0,11 fr. 101,51 fr.<br />

% 69,65 15,02 14,87 0,11<br />

Légitimistes<br />

Jean Bassède<br />

superficie 3.05.90 0.48.77 1.33.70 0.02.30 2.13.63 8.04.30<br />

% 50,47 6,06 16,62 0,29 26,56<br />

valeur 125,52 fr. 17,55 fr. 58,94 fr. 27,39 fr. 2,73 fr. 232,13 fr.<br />

% 54,07 7,56 25,39 11,80 1,18<br />

Isidore Bollo<br />

superficie 1.58.00 0.61.20 1.39.40 0.04.73 10.42.50 14.06.33<br />

% 11,24 4,35 9,91 0,34 74,13<br />

valeur 29,24 fr. 20,89 fr. 57,46 fr. 38,61 fr. 30,55 fr. 176,75 fr.<br />

% 16,56 11,82 32,51 21,87 17,28<br />

Note : Les superficies des propriétés sont indiquées en hectares, ares et centiares. Le montant des impositions est en francs et<br />

centimes.<br />

Source : Archives communales de Rodès, matrice cadastrale.<br />

L’importance de la production de vin dans la vie des paysans<br />

républicains est frappante. Presque tous les paysans<br />

pour qui la viticulture fournissait la majorité du revenu<br />

faisaient partie du mouvement républicain. Par contre,<br />

les propriétaires royalistes et les petits propriétaires s’engageaient<br />

généralement dans plusieurs sortes d’agriculture,<br />

dont la vigne n’était qu’une partie, ou même n’avaient<br />

pas de vignes. Par exemple, les terres de Cornet étaient<br />

presque toutes irrigables, boisées ou en pâturages ; ceci<br />

s’appliquait de même aux autres membres de l’élite, tels<br />

François Glory, Joseph Imbert, François Molins et Joseph<br />

Puell 72 . Cette conclusion est claire sur le tableau 10, qui<br />

fait la comparaison des terres et des revenus imposables<br />

de trois légitimistes (Michel Aytonès, Jean Bassède<br />

et Isidore Bollo) et de trois républicains ( Jean Gasch,<br />

Sébastien Bassède et Pierre Calvet).<br />

72. Analyse basée sur le cadastre et registre de Rodès – voir la note 59, cidessus.


ROYALISTES ET RÉPUBLICAINS à RODÈS<br />

449<br />

11 - la Feuille du Peuple, exemple de journal démocrate-socialiste saisi le 2 février 1850. En première page, un article contre l’impôt des boissons (ADPO, 3U2850).<br />

Nous avons noté qu’il y avait un groupe de familles<br />

dont les membres n’acceptèrent de signer aucune des<br />

deux pétitions royalistes de 1849-50 et qui étaient dans<br />

une certaine mesure impliquées dans la société sécrète<br />

républicaine. Tous les membres de ces onze familles qui<br />

tiraient leur ressources de l’agriculture étaient fortement,<br />

parfois entièrement, engagés dans la production de vin.<br />

Les exemples de Calvet, Bassède et Gasch du tableau 10<br />

ne sont nullement exceptionnels. Plus de la moitié des<br />

terres que possédaient Joseph et maurice Tixeire étaient<br />

plantées de vignes, et ceci est également vrai des terres de<br />

deixonne et déjoan.<br />

Il est donc significatif pour cette démonstration, mais<br />

à peine surprenant, que le seul exemplaire de La Feuille<br />

du peuple conservé par ces paysans et saisi par la police<br />

concerne principalement l’impôt sur les boissons. Cet<br />

impôt irritait beaucoup de paysans du dix-neuvième<br />

siècle, autant que la gabelle, l’impôt sur le sel, l’avait fait<br />

avant 1789. Il obligeait les habitants des villes à payer<br />

les impôts indirects perçus aux entrées des villes, et par<br />

conséquent il diminuait la consommation et la vente du<br />

vin. L’article principal de La Feuille s’attaquait à l’impôt,<br />

et le journal reproduisait le débat orageux de l’Assemblée<br />

législative qui suivit la décision de Louis Napoléon de rétablir<br />

l’impôt en dépit de la décision de l’Assemblée nationale<br />

de l’abolir en mai 1849 (ill. 11). Le journal contient<br />

aussi un article du Montagnard du Midi (montpellier) qui<br />

dut avoir un grand écho chez les vignerons de Rodès :<br />

« Vive la République démocratique, etc.<br />

À BAS L’ImPOT dES BOISSONS !<br />

C’est le cri des montagnards socialistes du midi, en<br />

attendant que la réaction relève le trône de ses rois et<br />

rétablisse l’impôt à jamais odieux des droits réunis. »


450 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Tandis qu’en 1775 la proportion de vignobles par<br />

rapport aux terres labourables avait été à peu près<br />

de 53 pour 47, dans les années 1830, elle était environ<br />

de 68 pour 32 73 . En 1775, seulement 14 communes du<br />

Roussillon avaient plus de terres en vignes que Rodès ;<br />

en 1841, cependant, même en tenant compte des communes<br />

viticoles des Fenouillèdes en augmentation,<br />

non comptées en 1775, cinq communes seulement en<br />

avaient plus que Rodès 74 .<br />

Cette dépendance croissante des paysans de Rodès<br />

envers la production de vin est d’une importance essentielle<br />

pour expliquer la montée de l’engagement politique<br />

et le mouvement à longue échéance vers la gauche.<br />

La politisation fut aidée par une conscience politique<br />

qui provenait de l’engagement dans une économie de<br />

marché nationale, voire internationale. C’est le caractère<br />

social complexe de Rodès, basé sur une économie<br />

mixte dépendant du monde extérieur et donc vulnérable,<br />

qui explique ses clivages politiques, et qui aide aussi<br />

à comprendre pourquoi la politique y était importante.<br />

La mévente, ou le marasme du marché en 1848‐51, liée<br />

à la crise politique du milieu du XIX e siècle, fournit un<br />

exemple de cette vulnérabilité économique.<br />

La nature de la base économique et de la structure<br />

sociale explique pourquoi nous observons ici l’émergence<br />

d’un mouvement républicain radical plutôt que<br />

nettement socialiste. Les républicains de Rodès étaient<br />

de moyens et petits paysans et quelques artisans, dont<br />

les idées sur la justice sociale et la propriété résultaient<br />

directement de leur classe sociale. Les accusations de la<br />

gendarmerie, prétendant que les membres de la société<br />

secrète répandaient des idées subversives envers la propriété<br />

privée reflètent les phrases toutes faites de l’administration<br />

et n’apportent pas de preuves que ces républicains<br />

aient cherché autre chose qu’une redistribution<br />

des richesses et du pouvoir. François Glory approchait<br />

plus près de la vérité quand il recommandait que Joseph<br />

Tixeire fut déporté pendant la répression qui suivit le<br />

coup d’état de 1851. Il dit au préfet que « le grand projet<br />

de Tixeire est la division et la redistribution des terres » 75 .<br />

73. Guibeaud, « Enquête économique », op. cit.<br />

74. ADPO, M 3113. Le caractère approximatif de tous ces plans départementaux<br />

de la viticulture doit ici être souligné, cependant la tendance générale<br />

est claire. Voir A. Loubère, Radicalism in Mediterranean France ; Its Rise and<br />

Decline, Albany, NY, 1974.<br />

75. ADPO, 4Mp 515.<br />

Étant donné la base sociale du radicalisme rural au milieu<br />

du XIX e siècle, ce que nous voyons à Rodès consiste<br />

en une antipathie entre le petit et le gros plutôt qu’en<br />

une vraie conscience de classe.<br />

Faire une corrélation entre le radicalisme rural et le<br />

retard économique n’est pas juste en ce qui concerne<br />

Rodès (ni pour d’autres régions) 76 . Ici c’étaient précisément<br />

les éléments de la population qui constituaient des<br />

agents de changement économique qui trouvaient utile<br />

le programme démocrate-socialiste. Dans ce contexte,<br />

la situation de Rodès entre la région du Riberal, centrée<br />

sur Ille-sur-Têt, et la région du Bas-Conflent avec<br />

son centre à Vinça, est très importante. Le Riberal était<br />

la région la plus fertile du département, celle qui produisait<br />

le plus. C’était aussi le centre des « rouges »<br />

sous la Seconde République 77 . Le Bas-Conflent, autour<br />

de Vinça, était en stagnation économique, basé sur la<br />

subsistance ; comme nous l’avons vu, la région resta<br />

dominée par les légitimistes pendant des décennies.<br />

Entre 1836 et 1851, la population du Riberal augmenta<br />

de 7,8 % tandis que celle des neuf communes qui entouraient<br />

Vinça diminuait de 7,6 %. La population de<br />

Rodès elle-même passa de 752 à 683 (-9,2 %) ; dans<br />

cette communauté, il y avait cependant un nombre important<br />

d’habitants qui avaient un pied de l’autre côté<br />

de la colline, dans le Riberal, du point de vue politique<br />

et des moyens d’existence 78 .<br />

Revenant sur les questions posées au début de ce chapitre<br />

(qu’est-ce qui s’est passé dans la politique rurale, comment<br />

et pourquoi ?), nous arrivons à plusieurs conclusions.<br />

L’histoire de Rodès suggère qu’il serait réducteur<br />

de ne voir dans la politique rurale de la France que des<br />

conflits locaux parés de rhétorique nationale – mais qu’il<br />

le serait tout autant de faire des conflits locaux le reflet<br />

fidèle des débats nationaux.<br />

76. Une telle corrélation constitue le point le plus faible des essais évocateurs<br />

d’A. Soboul, « Les troubles agraires de 1848 », dans son Paysans, sans-culottes<br />

et Jacobins. Paris : 1966 p. 307‐50 ; et « The French Rural Community in the<br />

Eighteenth and Nineteenth Centuries », Past and Present. X (1956) : 78‐95.<br />

77. McPhee, « Seed-time of the Republic ».<br />

78. Observons-nous, dans le cas des plus grands propriétaires, une survie de<br />

l’agriculture de l’ancien Régime qui retardait l’évolution du capitalisme au<br />

dix-neuvième ? Les paysans viticulteurs ont-ils initié la transformation agricole<br />

aussi bien que la transformation politique ? Voir C. K. Warner, « Soboul and<br />

the Peasants », Peasant Studies Newsletter IV (1975) : 1‐5 ; A. Soboul. « Sur le<br />

mouvement paysan dans la Révolution française », Annales historiques de la<br />

Révolution française n o 211 (1973) : en part. p. 97-101.


Royalistes et républicains à Rodès<br />

451<br />

Le choix du moment pour la mobilisation populaire à<br />

Rodès, après 1830 et surtout après 1848, la nature des<br />

idéologies républicaine et légitimiste, et le nombre de<br />

votants dans les élections nationales démontrent que la<br />

politique nationale avait de l’importance pour les membres<br />

de cette communauté. D’autre part, les buts qui<br />

motivaient une grande part de cette activité étaient aussi<br />

locaux, dans la mesure où les choix politiques résultaient<br />

clairement de luttes locales concernant le pouvoir<br />

et les biens. Cela n’est pas une contradiction. Le conflit<br />

à Rodès doit s’expliquer par les relations sociales au sein<br />

de cette communauté ; ces fissures expliquent l’orientation<br />

nationale des groupes locaux mais elles étaient,<br />

à leur tour, ravivées d’une façon dialectique par la politique<br />

nationale. Une explication du conflit doit donc<br />

dépasser les divisions des factions familiales et replacer<br />

les groupements de ces factions familiales par rapport<br />

aux structures du pouvoir et de la richesse.<br />

Nous avons aussi vu que le processus de politisation<br />

ne consistait pas seulement en idées nouvelles provenant<br />

de Paris à travers un réseau d’activistes urbains, et<br />

que la mémoire collective influença les réponses à des<br />

situations nouvelles. Aucun activiste urbain ne passa<br />

par Rodès, mais plusieurs personnages locaux – le<br />

facteur républicain Mestre et le marchand de tabac à<br />

Vinça, le curé légitimiste et Cornet lui-même – disséminaient<br />

d’une façon active les nouvelles et les idées. Et<br />

d’où est venu l’exemplaire de La Feuille du peuple appartenant<br />

à Joigneaux ? Mais c’est surtout le caractère<br />

structurel de la communauté – le terreau de sa politisation<br />

– qui créa les conditions favorables aux idéologies<br />

nationales. Les chants écrits par les Rodésiens, les<br />

pétitions qu’ils organisèrent, les associations qu’ils formèrent,<br />

témoignent tous de la manière selon laquelle<br />

ils forgeaient leurs propres liens avec la politique du<br />

monde extérieur.<br />

La rafle chez Joseph Tixeire en février 1850 n’étouffa<br />

pas entièrement l’activité politique à Rodès, bien que les<br />

preuves que nous possédons d’actions républicaines entre<br />

cette époque et le coup d’État de Louis Napoléon reflètent<br />

combien les actions de la gauche étaient clandestines 79 .<br />

79. Pour preuve d’activité républicaine à Rodès en 1850-51, voir AN BB 30 392B,<br />

dossier 195 bis ; AN BB 30 393, dossier 233 ; étoile du Roussillon, 4 mai 1851.<br />

Bien que les Rodésiens n’aient pas fait partie des Catalans<br />

qui se mobilisèrent contre ce coup d’État, Tixeire fut arrêté<br />

et déporté en Algérie. Il ne se refusa pas une dernière<br />

preuve de son crédo politique lorsqu’il y mourut en 1852.<br />

Né en juillet 1790, il fit remonter sa date de naissance au<br />

14 juillet 1789 80 .<br />

Dans un passage très connu du Dix-huit brumaire de<br />

Louis Bonaparte (1852), Marx qualifie les paysans de<br />

France de « sac de pommes de terre » empêchés par<br />

leurs fermes et terrains individuels de travailler ensemble<br />

pour la production ou d’agir d’une façon collective<br />

si ce n’est à travers un personnage tel que l’Empereur 81 .<br />

Cette attaque cinglante de Marx a fixé l’attention des<br />

lecteurs sur ce passage en la détournant d’un passage<br />

suivant où il qualifie la paysannerie de manière importante<br />

:<br />

Mais soyons clair. La dynastie des Bonaparte ne représente<br />

pas le paysan révolutionnaire mais le paysan<br />

conservateur ; pas le paysan qui sort de la condition de<br />

son existence sociale, le lopin de terre, mais le paysan<br />

qui veut consolider ses terres, pas les paysans qui, unis<br />

avec les villes, veulent renverser l’ordre ancien par leurs<br />

propres efforts 82 .<br />

Marx identifia les changements des modes de production,<br />

la stratification montante des communautés paysannes<br />

et le rôle politique du clergé et de l’armée du dixneuvième<br />

siècle comme explication du développement de<br />

la paysannerie « rouge » 83 . Ces éléments font aussi partie<br />

des facteurs que l’exemple de Rodès nous indique comme<br />

essentiels pour comprendre les changements de la politique<br />

rurale.<br />

80. ADPO, 4Mp 523, 524. Bien que la communauté de Rodès avait un peu<br />

changé dans années 1870, la continuité du personnel politique est suggérée<br />

par le fait que six des hommes arrêtés en 1850 étaient membres du comité<br />

municipal provisoire suivant la Révolution de 1870, et par l’élection,<br />

en 1874, de Jean Roger et Julien Tixeire au postes de maire et vice-maire<br />

respectivement. Leurs pères avaient brièvement occupé les mêmes postes<br />

en 1830.<br />

81. K. Marx, The Eighteenth Brumaire of Louis Bonaparte. New York : 1963,<br />

p. 123.<br />

82. Ibid. p. 125. Deux correctifs à l’idée reçue de l’hostilité de Marx envers<br />

les paysans sont M. Duggett, « Marx on Peasants », Journal of Peasant Studies<br />

II(1975) : 159‐82 ; O. J. Hammen « Marx and the Agrarian Question », American<br />

Historical Review, LXXVII (1972) : 679‐704. Weber, La Fin des terroirs...,<br />

note et accepte le passage concernant le « sac de pommes de terre » seulement.<br />

83. K. Marx, Eighteenth Brumaire, p. 127-30.


452 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XV<br />

Dans un ouvrage antérieur, écrit la même année que<br />

l’arrestation de ces paysans à Rodès, Marx notait la façon<br />

dont des événements critiques, tels que le maintien<br />

de l’impôt sur le vin, « ont rendu générale toute attaque,<br />

et mis la résistance à l’ordre du jour dans toutes les<br />

chaumières ; ils ont inoculé la révolution dans chaque<br />

village ; ils ont localisé et paysannisé la révolution » 84 . Par<br />

son appréhension du conflit et des changements dans<br />

les communautés rurales, de la prééminence de la lutte<br />

pour le pouvoir même au niveau du village, et du rôle<br />

que jouent la propagande et l’activisme, Marx a montré<br />

beaucoup plus de pénétration que certains historiens<br />

de cette période critique de l’histoire rurale qui lui ont<br />

succédé. Pour bien comprendre le caractère de la politique<br />

de la France rurale, les raisons de sa politisation, les<br />

bases du conflit politique, nous devons nous référer à la<br />

communauté même et comprendre sa vie publique dans<br />

le cadre des rapports entre les habitants, les sources de<br />

la richesse, le pouvoir et les attitudes forgées par les expériences<br />

précédentes et contemporaines.<br />

84. K. Marx, The Class Struggles in France 1848‐1850, Moscow, 1952, p. 113.


chapitre XVI<br />

L’héritage archéologique du monde industriel<br />

dans les zones brûlées :<br />

mines et carrières contemporaines<br />

Michel Martzluff<br />

avec la collaboration de Sabine Nadal<br />

Ce qui est apparu après l’incendie de 2005, avec l’effacement<br />

d’une part végétale qui était revenue à l’état de<br />

Nature, c’est le recul d’une <strong>montagne</strong> peu à peu retournée<br />

vers la sauvagerie des origines, aux portes même de la plaine<br />

urbanisée. Il est donc comme un paradoxe révélé par ce<br />

brûlis d’un brusque retour du paysage à l’état de Culture<br />

dans la dimension humanisée de ses armatures de pierre.<br />

Car ces terrasses cultivées (feixes) intemporelles qui s’échelonnent<br />

à perte de vue imposèrent alors l’expression majestueuse<br />

d’une <strong>montagne</strong> autrefois domestiquée, vouée toute<br />

entière aux troupeaux et aux travaux des champs. Après le<br />

feu, c’est bien un univers agricole disparu qui se prolongeait<br />

ainsi dans le XXI e siècle. Mais ce visage-là d’une agriculture<br />

triomphante sur l’aspre depuis des temps immémoriaux,<br />

les recherches archéologiques ont révélé qu’il était<br />

relativement jeune dans son aspect le plus spectaculaire.<br />

Nous avons également découvert que cet espace ne fut jamais<br />

vraiment éloigné d’une industrie prise dans son sens<br />

large, disons plutôt d’un artisanat traditionnel dont les traces<br />

discrètes, depuis les bracelets et le moule de fondeur<br />

de l’âge du Bronze, nous ont toujours ramené à la proximité<br />

du travail paysan. Pour le Moyen Âge, le façonnage<br />

des meules de moulin en offre en quelque sorte une image<br />

symbolique. Pourtant, au sein de ce monde agricole, sur<br />

cet espace jadis aménagé par l’homme dans ses moindres<br />

recoins, les empreintes de la modernité sont bien présentes<br />

qui impliquent directement notre monde actuel, issu de la<br />

révolution des sciences et des techniques.<br />

Ces témoignages sont apparus au cours des prospections<br />

sous forme d’exploitations de minerai et de matériaux qui,<br />

pour une part, étaient encore destinées à des activités restées<br />

artisanales et rurales au début du XX e siècle, certes,<br />

mais, pour l’autre, étaient déjà touchées par l’industrialisation,<br />

via l’arrivée du chemin de fer. Les traces les plus<br />

spectaculaires sont cependant celles des carrières liées aux<br />

travaux publics qui, avec la croissance des réseaux ferrés et<br />

routiers, portent justement la marque de cette modernité.<br />

Les sites découverts sont donc postérieurs à la Révolution<br />

française, en fait pour l’essentiel bien installés dans les<br />

XIX e et XX e siècles, entre 1850 et 1950. Mais en quoi<br />

concernent-ils l’archéologie ?<br />

Ces exploitations nous interpellent d’abord parce que,<br />

malgré leur proximité chronologique avec le temps présent,<br />

elles entretiennent un rapport quelque peu ambigu<br />

avec la mémoire, c’est-à-dire avec l’archive écrite et le<br />

témoignage oral. Ces derniers peuvent représenter un<br />

maillon faible de cette histoire technique récente en étant<br />

menacés de s’effacer plus vite que les sources anciennes<br />

(Martzluff 1990). En relever les traces sur le terrain a donc<br />

du sens. Ces sites nous intéressent aussi parce que leur<br />

étude, confrontant quelquefois le passé immédiat, pose le<br />

problème de leur existence en tant que patrimoine. Rien<br />

n’est simple à ce sujet. Il s’agit en effet d’un héritage attaché<br />

à l’explosif et aux engins mécaniques qui ont la capacité de<br />

défigurer ce qui nous paraît spontanément et naïvement<br />

plus « naturel » dans l’ancien aménagement du milieu.


454 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

1 - Plateau de Montalba, vue satellitaire du cœur de la zone brûlée. Entourées de jaune, les albitites du massif (Serrat blanc) et de la zone exploitée dans le ravin du Bellagre,<br />

au centre, en bas. Les tirets rouges autour de la carrière de La Devesa balisent les granites plus compacts de Rodès. Les points rouges sont des barrinades datables de la fin du<br />

XIX e siècle – première moitié du XX e (près des agglomérations). Les anciens ateliers médiévaux de fabrication des meules (ronds jaunes) et les carrières traditionnelles modernes<br />

(triangles) se trouvent dans les granites porphyroïdes altérés, sauf celle de Rodès (orthophoto C.G. des P.-O.).<br />

En réalité ces nouveautés ont surtout eu le pouvoir de très<br />

rapidement bouleverser un espace jusque là resté proche<br />

d’une dimension humaine cantonnée au travail manuel.<br />

Il s’agit donc de savoir ce qui peut en être conservé en<br />

tant que témoignage concret, dans la mesure où ces activités<br />

ont eu une forte incidence dans l’aménagement de<br />

l’espace tout autant que sur la vie quotidienne de cette<br />

vallée, soit dans le bâti, soit dans les mobiliers utilitaires<br />

(production céramique), sans parler de la vie sociale, par<br />

les emplois procurés. Ainsi, pour la grande carrière de La<br />

Devesa, à Rodès, la perspective que ce travail préliminaire<br />

incite à la poursuite des recherches et ouvre des pistes<br />

pouvant déboucher sur la réhabilitation d’une partie du<br />

site, nous a poussé à publier un compte-rendu détaillé<br />

des prospections. Celles-ci furent toutefois trop rapides<br />

pour constituer un bilan exhaustif.<br />

I - Mines ou carrières ?<br />

Le code minier de 1956, réformant la loi de 1810,<br />

distingue mines, minières et carrières en raison des minéraux<br />

exploités. Qu’elle soit à ciel ouvert ou en galerie,<br />

la carrière concerne plutôt une activité pour aménager<br />

l’espace (voies ferrées, routes et ponts), construire l’habitat<br />

et confectionner des outils collectifs (meules) ou<br />

des mobiliers utilitaires (poterie surtout). Ainsi cette<br />

définition englobe-t-elle l’extraction des ardoises et argiles<br />

à briques ou tuiles, des sables, de la pierre à chaux<br />

et du gypse (plâtre), de la pierre à bâtir (dont les calcaires,<br />

grès et granites), de la pierre à sculpter sous l’appellation<br />

générique de marbres (comprenant aussi les<br />

granitoïdes), des ballasts dont les pouzzolanes, strass,<br />

basaltes, laves, marnes, des quartzites et silex pour les


Mines et carrières contemporaines<br />

455<br />

2 - Depuis le sud, vue des carrières où se télescopent les schistes et calcaires du piémont du Canigou, les dépôts sédimentaires du fossé de la Têt et les granites du plateau de<br />

Montalba, à l’arrière plan (cliché M. Martluff ).<br />

pierres à fusil, les pierres à foulons ou les meules, des<br />

terres à poterie (gleys, kaolins), et enfin des terres pyriteuses,<br />

marnes, dolomies et craie pour l’amendement<br />

agricole des sols.<br />

À ce titre, il n’existe pas de mines (métaux, matières<br />

énergétiques) sur la zone prospectée, malgré la découverte<br />

d’une galerie qui est présentée ici avec les carrières, car<br />

elle concerne l’extraction de feldspath (albite), très probablement<br />

employée pour la fabrication de céramiques<br />

(ill. 1, voir aussi carte géologique, chap. XI). D’autre part,<br />

à la notable exception des deux plus grandes carrières de<br />

roches granitiques du département qui se trouvent, l’une<br />

en limite de la zone brûlée à Vinça, l’autre au beau milieu<br />

à Rodès (ill. 2), très peu de gisements exploités ont été<br />

déclarés à la Préfecture, bénéficiant au mieux d’adjudications<br />

municipales. Cela implique des formes d’exploitation<br />

plus proches d’ateliers itinérants lorsque le traitement<br />

s’est fait sur place, ce dernier n’ayant généralement laissé<br />

que peu de traces directes dans les archives publiques, ce<br />

qui est souvent le cas pour la taille des roches monumentales,<br />

y compris après 1940 (Payrou 1992). Il en résulte<br />

que pouvoir correctement dater ces sites n’est pas facile.<br />

Faute de témoignages oraux et d’archives, qui sont restées<br />

privées et souvent perdues ou dispersées pour l’essentiel,<br />

ils doivent faire l’objet d’un examen approfondi sur le terrain<br />

s’appuyant sur l’étude des traces techniques, des vestiges<br />

gisant au sol et de leur liaison avec le contexte grâce<br />

à des sources écrites peu dépouillées, tels les actes notariaux<br />

ou les registres d’impôts (Bessac 1986, Martzluff<br />

1984, 1986, 1988).<br />

Quelques gisements de matières premières, dont on<br />

trouve en prospection les produits transformés près de<br />

ruines ou dans le bâti, se situent hors de la zone incendiée.<br />

Ainsi, les ardoisières des schistes et quartzites ordoviciens<br />

de la commune de Bouleternère se trouvent juste en<br />

amont de la limite du feu, au-dessus de Serrabone (ill. 3).


456 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

Le piemont paléozoïque du Canigou à Bouleternère<br />

schistes et calcaires ; vue générale d’est en ouest<br />

Au sommet, marbres et carrières médiévales et modernes de les Pedreres (cercles rouges)<br />

et les exploitations contemporaines en bas de versant (flèches)<br />

3 - Les carrières pour travaux publics en rive droite de la Têt (cl. et D.A.O. M. Martzluff ).<br />

De même, les carrières d’extraction d’argile dans les formations<br />

tertiaires de la vallée, près du col de Ternère<br />

ou à l’aval des « orgues » d’Ille-sur-Têt, quoique mentionnées<br />

par des sources écrites dès le Moyen Âge, avec<br />

leurs briqueteries et leurs tuileries, ont été épargnées<br />

par l’incendie (ill. 3). Nous les avons ignorées. L’étude<br />

de ces ateliers pourrait cependant aider à mieux comprendre<br />

les faits observés lors des prospections concernant<br />

le bâti (composition et type des tuiles), ainsi que la<br />

production locale de céramiques jusqu’au XX e siècle.<br />

Toujours en limite du brûlis, il convient également de<br />

mentionner l’exploitation de chlorites et de feldspaths<br />

dans la vallée du Tarerach, ainsi que la présence de placers<br />

aurifères détectés dans la sablière établie dans les<br />

alluvions holocènes de la Têt, à Ille (Berbain, Favreau,<br />

Aymar 2005). Bien que cet auteur signale que les paillettes<br />

d’or portent les traces d’un traitement au mercure, il<br />

est difficile de fournir une datation pour cette exploitation<br />

car cette technique remonte à l’Antiquité ; de plus,<br />

cette découverte n’est pas associée à un diagnostic archéologique<br />

des alluvions et nous ignorons ce qui a pu<br />

être signalé dans les sources d’archives depuis le Moyen<br />

Âge à propos de ces placers d’orpailleurs.<br />

Le plateau granitique de Montalba n’a jamais été<br />

exploité par les cristalliers, en particulier pour les silicates<br />

du type grenat, comme nous l’avions un temps<br />

envisagé à cause d’énigmatiques traces d’exploitation de<br />

la roche, en forme d’entonnoir (par exemple à l’est du


Mines et carrières contemporaines<br />

457<br />

II - L’exploitation des albitites du<br />

plateau de Montalba-Tarerach :<br />

ravin du Bellagre<br />

4 - Relief ruiniforme dans les albitites des chaos du Serrat blanc, Rodès (Cl. M. Martzluff ).<br />

point 1050, au-dessus des orgues d’Ille, entre le ruisseau<br />

de Casesnoves et la Coma de Ques). Nous n’avons pas su<br />

relier ces creusements à une activité précise. Peut-être<br />

s’agit-il de tests pour les albites ? Rien de tel n’apparaît<br />

cependant sur la carte géologique au 1/50 000 ! Le substrat<br />

est défavorable à la présence de grenats, cela nous a<br />

été confirmé par Serge Pagès, ancien horloger-bijoutier<br />

à Ille-sur-Têt. Son père, avant lui dans le métier, avait<br />

gardé le souvenir qu’à la fin du XIX e siècle, les proches<br />

gisements de Caladroy, situés dans les granites d’anatexie<br />

à l’est de Montalba, près du Col de la Bataille (Millas),<br />

étaient déjà épuisés. C’est d’ailleurs la raréfaction des<br />

gemmes locales qui fut responsable de la généralisation<br />

des doublets de verre sur la culasse dans la taille typique<br />

des grenats almandins dits « de Perpignan ».<br />

Nous noterons enfin que les dépôts argileux se trouvant<br />

sous les sables pliocènes du site des orgues d’Illesur-Têt<br />

contiennent de l’uranium provenant des granites<br />

du plateau et qu’une exploitation de cette ressource,<br />

enfouie à faible profondeur avec les altérites, avait été<br />

envisagée dans les années 70. Elle a soulevé localement<br />

une forte contestation de la part de la population agricole<br />

et ce projet fut abandonné.<br />

Les gisements d’albite (minerai tiré des albitites) ont<br />

été recensés par le BRGM sur le plateau (ill. 4), dont<br />

nous avons retrouvé les carottages près du Serrat blanc<br />

(sondage 5‐7, carte géologique feuille de Rivesaltes<br />

1/50 000). Ce feldspath sodique, minéral naturel particulièrement<br />

apprécié pour son aptitude à fournir des<br />

oxydes basiques favorisant la fusion, mais aussi l’alumine<br />

et une partie de la silice nécessaire à la formation des<br />

émaux, était employé pour la fabrication de la céramique<br />

glaçurée. Il existe dans les albitites du massif une carrière<br />

très récemment abandonnée sur la commune de Tarerach<br />

(carte géologique et carte des sites, chap. XI, ill. 1 et 2).<br />

Par contre, à notre connaissance, aucune exploitation n’a<br />

jamais été signalée sur le plateau de Montalba dans ce<br />

type de roches. Le dôme rocheux où furent implantés les<br />

carottages du BRGM semble pourtant avoir été exploité<br />

car la partie supérieure du chaos est manquante et des<br />

blocs rocheux ont été fracturés, déplacés. Mais ils ne portent<br />

aucune empreinte d’outils. Par contre, nous avons<br />

découvert des traces plus explicites d’exploitation à l’explosif<br />

de cette ressource sur la commune d’Ille-sur-Têt,<br />

dans le ravin du Bellagre, non loin de son débouché dans<br />

la Têt (point 1045, ill. 1).<br />

Sur les deux flancs de la vallée, en rive gauche du<br />

Bellagre, depuis la crête sur l’interfluve avec le ruisseau<br />

de Casesnoves, (ill. 1, 5 et 6) et jusqu’à la moitié du versant<br />

opposé en rive droite, se développe au sein des granites<br />

à orthose et pegmatites une bande de roches blanches,<br />

grenues et friables (sans micas apparents, mais<br />

portant parfois des taches ocellées ocres). Larges d’une<br />

centaine de mètres, ces affleurements ont été systématiquement<br />

débités à la mine, avec des zones de travail<br />

qui ont laissé des épandages de graviers et des déblais<br />

sableux près de la crête (ill. 6). Les blocs extraits furent<br />

pour l’essentiel concassés au marteau sur place. Sur les<br />

hauts du versant, les terrasses de culture ont été montées<br />

avec les débris de cette activité, ce qui n’est pas le cas<br />

dans la zone intermédiaire où les murettes paraissent<br />

plus anciennes, alors que plus bas, près du chemin qui<br />

longe le bas de pente, en rive gauche du torrent, quelques<br />

murettes intègrent aussi les débris. La roche a été<br />

exploitée jusque sur ce chemin, ce qui est assez curieux.


458 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

1 : Galerie de mine traversant un verrou<br />

rocheux dans une veine d’albite (au<br />

centre), vallée du Bellagre, rive droite<br />

en bas de pente ; point 1045.<br />

1<br />

1<br />

5 - Extraction d’albite entre les ravins de Casesnoves et du Bellagre (Ille-sur-Têt) vue vers l’ouest (cl. aérien O. Passarrius et cl. M. Martzluff ).<br />

6 - Vue de la crête entre les ravins du Bellagre et du Cazenoves. On voit les zones d’extraction d’albite où la roche blanche est pulvérisée (cl. P. Roca).


Mines et carrières contemporaines<br />

459<br />

7 - Extraction d’albite, ravin du Bellagre. Traces de coups de mine (cl. M. Martzluff ).<br />

8 - Ravin du Bellagre, élargissement du chemin à l’explosif rapide du XX e siècle. En encadré, l’hémi-négatif de barre<br />

à mine et les fissures radiantes caractéristiques dans le granite à partir de la charge explosive (cl. M. Martzluff ).<br />

On voit mal en effet les propriétaires des feixes (terrasses de culture) laisser<br />

abîmer le lieu où ils investissaient autant de travail pour faire circuler péniblement<br />

leurs récoltes à dos de mulets.<br />

Toutefois, cette exploitation est très superficielle si l’on excepte le bas du<br />

versant ouest, en rive droite où une vaste tranchée verticale fut entaillée dans<br />

un gros verrou rocheux, avec une galerie de mine qui le traverse sur une dizaine<br />

de mètres de longueur (ill. 5). Cette attaque du versant ne nous semble<br />

pas très ancienne, quoique pratiquée à la mine avec une mèche dont le diamètre<br />

moyen de 3 cm suppose plutôt l’emploi d’une petite barra actionnée à la<br />

main, éventuellement à la masse à deux, qu’un court fleuret activé individuellement<br />

à la massette (Ø 2 à 2,5 cm). Les négatifs de barre à mine sont toujours<br />

entiers, laissant un fond de trou d’une dizaine de cm de profondeur (ill. 7).<br />

C’est un fait remarquable. En effet, le<br />

débitage à l’explosif laisse normalement<br />

sur la roche des demi-négatifs<br />

(Martzluff 1988). Ici, l’absence totale<br />

d’hémi-négatifs prouve que la charge<br />

n’a pas été bourrée jusqu’au fond du<br />

forage, comme c’était le cas avec la<br />

poudre noire en usage au XIX e siècle<br />

quand il s’agissait de mines déflagrantes<br />

« douces » ou « lentes », produites<br />

par un mélange de salpêtre, de soufre<br />

et de charbon de bois .<br />

La disparition des empreintes de<br />

mèche au-dessus du trou prouve donc<br />

que la roche a été totalement pulvérisée<br />

au niveau de la charge et au-dessus.<br />

Il s’agit probablement d’un explosif<br />

détonnant « rapide » ou « brisant »<br />

(ill. 8). Le choix de ces explosifs ne<br />

manquait pas au début du XX e siècle<br />

entre les divers composants ajoutés au<br />

trinitrotoluène (TNT, plutôt réservé<br />

à l’artillerie), les cheddites (chlorates<br />

inorganiques modérés par un peu de<br />

paraffine ou d’huile de ricin et mélangés<br />

avec du nitrobenzène ou du<br />

dinitrotoluène) et les dérivés de la nitroglycérine.<br />

L’utilisation de cette dernière<br />

dans les P.‐O. a pu se trouver facilitée<br />

par la présence de l’usine Nobel<br />

à Paulilles, près de Port-Vendres.<br />

Créée en 1870, elle est opérationnelle<br />

dès 1875 et propose sur le marché<br />

une dizaine de variétés de dynamite<br />

après 1900 (Chaussin 2009). Mais<br />

ici le trou de mine ne devait recevoir<br />

qu’une petite cartouche avec une très<br />

faible charge, sans la bourrer jusqu’au<br />

fond, sans doute parce que le produit<br />

était instable, donc très dangereux et la<br />

dose strictement mesurée. D’ailleurs,<br />

la cheddite, trop meurtrière, est abandonnée<br />

en 1910 (Payrou 1992).<br />

. La charge était tassée avec un pal de bois, suite à<br />

la réglementation de 1810, ceci afin d’éviter les risques<br />

du bourrage avec le fleuret aciéré produisant<br />

des étincelles sur le quartz.


460 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

L’extraction des albitites s’est faite<br />

en deux secteurs. Principalement sur<br />

la crête, avec un accès par le chemin<br />

commode suivant celle-ci depuis le<br />

site 1040, sur le versant donnant sur la<br />

Têt à Casesnoves, et aussi dans le fond du<br />

vallon du Bellagre, avec un accès par un<br />

chemin élargi et quasiment horizontal,<br />

qui ne conduit d’ailleurs pas plus loin<br />

vers l’amont que le point 1045 . En attendant<br />

de retrouver les traces d’archives<br />

de cette activité et aussi celles d’un<br />

processus technique qui risque bien de<br />

ne pas en avoir laissé beaucoup dans les<br />

textes, il est très difficile de dater précisément<br />

l’exploitation industrielle de ce versant.<br />

Elle ne semble pas pouvoir se placer<br />

après la seconde guerre mondiale, ni<br />

trop loin avant 1900. En effet, rien n’est<br />

noté à ce sujet sur le cadastre de 1832,<br />

alors que ce ravin est encore occupé dans<br />

le fond du torrent du Bellagre et dans les<br />

hauts par des pâtures, mais que la partie<br />

médiane en amont du chemin longeant<br />

le ruisseau est déjà aménagée par des<br />

feixes (terrasses) pour l’olivier et quelques<br />

vignes . Des terrasses de culture<br />

ont été montées plus tard dans ces parties<br />

de pâtures avec des débris liés à cette<br />

exploitation. Or, en 1941, tout le secteur<br />

est en friche, à l’exception d’une petite<br />

parcelle qui reste complantée d’oliviers<br />

et le cadastre ne mentionne rien de plus.<br />

Si cette recherche des feldspaths est bien<br />

liée au type d’explosifs que nous envisageons<br />

et à la production locale des cantirs<br />

, l’intervalle convenable s’inscrirait<br />

entre la fin du XIX e siècle et le début du<br />

XX e (sans doute après 1880 et avant la<br />

guerre de 1914). Mais tout cela demande<br />

à être précisé.<br />

. J.-P. Comps,chap.VII.<br />

. O. Passarrius, chap.XIII.<br />

. Il s’agit de la fabrication massive de poteries glaçurées,<br />

cruches à bec pour boire qui étaient encore<br />

très utilisées au début du XX e siècle et dont on retrouve<br />

d’ailleurs les fragments très abondants sur les feixes de<br />

ces pentes du Bellagre (chap. XIII, ill 73).<br />

9 - Évolution des négatifs d’outils sur les roches monumentales entre les XII e et XX e siècles (dessin M. Martzluff ).<br />

III - Après 1900, le regain de la taille des granites<br />

dans de nouveaux ateliers traditionnels<br />

Quelques études ont montré que l’essor de l’industrie extractive pour la<br />

pierre à bâtir, en particulier dans les roches granitoïdes dures, devait beaucoup<br />

aux ouvriers piémontais venus à la fin du XIX e siècle pour appuyer<br />

les grands travaux publics, leurs savoirs étant très recherchés (Martzluff<br />

1988, Payrou 1992). La carrière de la moraine de Saint-Vincent, à Vernetles-Bains,<br />

illustre bien l’introduction de ces nouvelles techniques. Elles ont<br />

laissé sur le rocher des traces typiques faites avec des outils et des chaînes<br />

opératoires fort différents de ceux qui étaient en usage depuis l’époque moderne<br />

(ill. 9 et 10). Les traces de débitage à l’aide de petits coins de fer sont à<br />

cet endroit minuscules, triangulaires et bien datées entre 1890‐1915, avant<br />

l’introduction du marteau-piqueur (Martzluff, travaux en cours).<br />

Ces progrès techniques passent par deux types d’exploitation, l’une liée à des<br />

carrières/ateliers, l’autre aux travaux agricoles et d’urbanisme. Elles s’expriment<br />

toutes deux dans le paysage en offrant des éléments traceurs pertinents<br />

là où manquent souvent les textes d’archives et où la mémoire vive a disparu.


Mines et carrières contemporaines<br />

461<br />

10 - Outillage du picapedrer dans la période contemporaine, après l’arrivée des travailleurs italiens en Conflent, soit vers 1880-90, et en Cerdagne en 1905 (dessin M. Martzluff ).


462 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

11 - Carrière/atelier traditionnelle contemporaine, récemment abandonnée avec les ateliers de polissage d’Ille, dans les années 1980-90, en rive<br />

gauche du ruisseau de Cazenoves (cl. M. Martzluff ).<br />

Pour ce qui concerne les carrières-ateliers créées autour<br />

des années 1900 et parfois maintenues jusqu’en 1980, il<br />

est possible de se reporter au témoignage d’un érudit qui<br />

se plaint que ces nouveaux venus fort dynamiques exploitant<br />

les chaos de Reglella (Ille-sur-Têt) se sont attaqués<br />

au Roc del Martell, sans respecter son caractère pittoresque,<br />

dans un lieu où fut pourtant localisée la plus grande<br />

carrière de granit du Roussillon depuis le Moyen Âge<br />

(Pratx 1908). Et en effet, sous l’impulsion d’une forte demande<br />

de la construction privée et du secteur funéraire,<br />

ces ouvriers, une fois libérés de leurs engagements sur de<br />

grands chantiers publics ou de grandes carrières, comme<br />

celle de La Devesa à Rodès, se sont souvent établis à leur<br />

compte ou en équipe communautaire (Martzluff 1988).<br />

Ces travailleurs nouveaux venus ont parfois fait souche<br />

en Conflent et en Cerdagne.<br />

Après 1950, la taille des pierres est une activité qui<br />

connaît une forte croissance, avec la création de deux ateliers<br />

de sciage et polissage du granit à Ille-sur-Têt et à<br />

Néfiach (Payrou 1992). La mécanisation est alors marquée<br />

par de nouveaux outils, comme le marteau pneumatique,<br />

les disques diamantés et les câbles de sciage...<br />

Dans le secteur des zones brûlées, il reste un seul site,<br />

à Casesnoves, pouvant se rapporter à ce type de carrière,<br />

ici d’exploitation tardive, croyons-nous, et aujourd’hui à<br />

l’abandon. Elle a mis à profit, dans une excavation logée<br />

dans le bas du versant occidental, en rive gauche du ruisseau,<br />

une veine de granites plus serrés et compacts. Elle a<br />

également tiré parti des boules hétérogènes, en particulier<br />

celles d’un granite bleuté, qui se trouvent localement<br />

dans les placages alluviaux du Néogène (ill. 11). Une<br />

plateforme réalisée avec les éclats de taille permettait le<br />

chargement des camions.<br />

Un second type d’exploitation introduit le modernisme<br />

dans le paysage sur une plus vaste échelle que précédemment<br />

car il est en rapport direct avec un perfectionnement<br />

du débitage à l’explosif qui se fait encore à<br />

la poudre noire (mine « lente ») au début du XX e siècle.<br />

Les traces de mèche pour forer deviennent courtes et fines<br />

car ces barrines sont souvent manipulées par un seul<br />

homme entre 1880 et 1930. Ce dernier, un ouvrier issu<br />

de ces carrières-ateliers ou même un paysan pauvre, fait<br />

partie des tâcherons qui se louent à la morte-saison chez<br />

les propriétaires pour débarrasser les champs des grosses<br />

pierres qui les encombrent. Ils se louent de même pour<br />

les travaux d’urbanisme (chemins, habitat). Alors que ces<br />

traces d’aménagements récents abondent dans les <strong>montagne</strong>s<br />

pyrénéennes et qu’elles sont fréquentes près du


Mines et carrières contemporaines<br />

463<br />

Iv - Les carrières pour travaux publics<br />

Ces carrières sont les sites d’extraction destinés à fournir<br />

à grande échelle des moellons et des parements ou des<br />

blocs devant à être broyés pour produire des graviers ou<br />

des ballasts. Ces activités sont les plus vite engagées dans<br />

la modernité.<br />

12 - Barrinada (première moitié du XX e siècle) sur le plateau de Montalba (cl. M. Martzluff ).<br />

13 - Près de l’embouchure du Bellagre dans la Têt, gros galet tranché par un coup de<br />

mine très court (12 cm de long et Ø de 2 cm) typique de la fin du XIX e et du début du<br />

XX e siècle (1890-1950) (cl. M. Martzluff ).<br />

village de Montalba, elles sont rarissimes dans les zones<br />

brûlées. Face aux villes de la plaine, en rive gauche de la<br />

Têt, il s’en trouve quelques-unes dans les murs du bas de<br />

pente, à Vinça (actuellement ennoyées par le barrage) et<br />

une seule sur un gros galet de rivière, à Ille-sur-Têt, au<br />

débouché du Bellagre. Elles sont plus fréquentes dans les<br />

murettes des feixes qui font face à Rodès ou près d’un<br />

chemin élargi sur le plateau de Montalba, dans la même<br />

commune, secteur du Serrat blanc-Ropidera (ill. 1, 12<br />

et 13). Cette rareté est bien le signe qu’autour de 1900<br />

les gros aménagements de l’espace rural ont cessé sur l’ensemble<br />

du plateau.<br />

IV.1 - L’extraction opportuniste des calcaires et marbres<br />

à Bouleternère<br />

Les carrières récentes s’ouvrent sur le flanc septentrional<br />

du lambeau de synclinal calcaire, près du col de<br />

Ternère (ill. 2, 3 et 14‐15). Elles sont situées au-dessus<br />

d’un bourrelet de terres rouges qui empâte le substrat rocheux<br />

en bas de pente car le remplissage plio-quaternaire,<br />

bien visible au col (sables et argiles), arrive ici presque à<br />

mi-pente. Même s’il n’est plus conservé que sous forme<br />

de placages, il constitue quand même une gêne pour arriver<br />

à la roche mère. Dans le bas de ce versant, quelques<br />

entonnoirs suggèrent d’ailleurs d’anciens travaux pour atteindre<br />

le substrat rocheux, à moins qu’ils ne soient liés à<br />

l’exploitation des argiles, activité signalée pour le Moyen<br />

Âge par la présence de fours de tuiliers dans le ravin occidental<br />

de Les Congoustes.<br />

L’actuelle piste d’accès au flanc nord recoupe une voie<br />

plus ancienne creusée dans les schistes du substrat, probablement<br />

au pic (pas de négatifs de coups de mine),<br />

car il y a deux phases d’exploitation de ces carrières. Les<br />

unes, d’âge très récent, sont actuellement excavées profondément<br />

(A2 à A5). Les autres se trouvent sur le flanc<br />

oriental en deux fronts : A1, parallèle à la piste, et la part<br />

supérieure du front A2. Ces deux fronts de taille sont<br />

certainement liés à la fabrication de chaux avant 1850,<br />

d’après les traces de coup de mine .<br />

Les quatre carrières creusées dans la seconde moitié<br />

du XX e siècle sur le premier tiers de la pente nord offrent<br />

l’intérêt de montrer des coupes dans le substrat.<br />

La zone calcaire est très fissurée, avec des nodules métriques<br />

de jolie brèche marbrière rose (ill. 14). Des passées<br />

gréseuses jaunâtres, identifiées comme des veines<br />

remplies de goethite , ainsi que des filons de conglomérats,<br />

entourent les marbres, traversés par quelques<br />

fentes karstiques. Les calcschistes de la série inférieure<br />

sont très proches.<br />

. Contribution du même auteur, et aussi celle de Céline Jandot, chap. XI.<br />

. Martzluff, Giresse, chap. X.


464 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

14 - Synclinal de Bouleternère, carrière 5. La coupe de la carrière, à gauche, donne une idée des veines discontinues de marbre, guère plus épaisses qu’un mètre et jouxtant des<br />

parties calcaires (ici des conglomérats altérés nappés d’oxydes de fer (cl. au sol, A. Catafau, cl. aérien P. Roca).<br />

- La carrière A2 (point 335), semble la plus ancienne<br />

du lot. Située au-dessus de l’ancien front A1, elle traverse<br />

des veines de roches gréseuses et ne comporte pas<br />

de filons de marbre. Les restes d’un réseau karstique<br />

sont conservés dans son étage supérieur . Une galerie a<br />

été sommairement aménagée comme abri avec un mur<br />

en pierre sèche. Cette partie supérieure est liée à l’exploitation<br />

moderne du front A1. On retrouve d’ailleurs<br />

un négatif de coup de mine à l’embouchure de la cavité<br />

située au sud (Ø 4 cm) et très peu d’éclats de taille.<br />

Partout ailleurs, nous ne comprenons pas comment le<br />

rocher fut exploité, car il n’y a aucune trace d’outil. En<br />

réalité, il est fort probablement qu’il s’agisse du mode<br />

opératoire que nous qualifions d’opportuniste et qui est<br />

utilisé dans la carrière d’ardoise et de quartzite ouverte<br />

en 1964 au-dessus de Boule, près de Serrabone. La roche<br />

y est décrochée en plaques avec une pelle mécanique<br />

munie d’un outil pneumatique spécial comprenant un<br />

gros pic et elle n’est débitée à l’explosif que lorsqu’elle est<br />

trop dure et massive (Tosti 1986b).<br />

- La carrière A3 est plus vaste, toujours en limite du<br />

remplissage plio-quaternaire, vers l’ouest. Son accès est<br />

actuellement fermé par une porte avec des montants façonnés<br />

à la chaux, trop étroite pour laisser passer un camion<br />

ou une pelle mécanique, . C’est le front qui offre la<br />

meilleure vue sur le substrat (ill. 14). On y trouve quel-<br />

. Martzluff, Nadal, chap, III, ill. 2.<br />

ques lambeaux de karst, des bandes de roches gréseuses<br />

brunes à roussâtres et d’étroits filons de marbre rose<br />

intercalés en profondeur dans le massif. L’exploitation<br />

semble avoir débuté à l’ouest pour se poursuivre à l’est.<br />

Il est également étrange de ne pas retrouver des négatifs<br />

de barre à mine ou de mèche de marteau pneumatique,<br />

pas plus que ceux d’encoignures. L’extraction est très<br />

opportuniste, alors qu’au sol de rares éclats de marteau<br />

et des parements évoquent une phase d’épannelage. Ce<br />

lieu a sans doute évolué dans sa fonction.<br />

- La carrière A4 est proche de la précédente et de même<br />

type. Située en contrebas dans un maquis impénétrable<br />

qui n’a pas brûlé à cet endroit, elle est creusée en grande<br />

partie dans les terres rouges pour atteindre le rocher.<br />

Sur la voie d’accès gisent de petits blocs de marbre.<br />

- La carrière A5 est une grande carrière pour granulats<br />

qui s’ouvre à la base du synclinal dévonien dans des<br />

calcschistes versicolores du ravin de Les Congoustes, sur<br />

le flanc ouest (ill. 15). Elle a été exploitée à la mine (très<br />

longs négatifs de mèche de marteau-piqueur) et a probablement<br />

servi à fabriquer du gravier car des constructions<br />

en béton, dont une trémie, sont associées à cette<br />

exploitation récente. La route d’accès reprend un ancien<br />

chemin conduisant à une zone exploitée par des fours<br />

à chaux.


Mines et carrières contemporaines<br />

465<br />

Deux carrières très proches sont logées en amont, de part et<br />

d’autre de la route de Tarerach, dans les gorges que forme la rivière<br />

de même nom, à sa confluence avec la Têt. L’une au moins était<br />

gérée par les Ponts et Chaussées, mais nous ignorons pour l’instant<br />

laquelle. La première se trouve hors brûlis sur la commune de<br />

Vinça ; elle borde la route dans le défilé, en rive droite. Un cartouche<br />

millésimé 1910 d’une « Entreprise BLANC C ILLES », avec la<br />

maxime « TRAVAIL-PROSPÉRITÉ », est gravé sur une aiguille<br />

rocheuse . L’autre se trouve en rive gauche à la limite du brûlis, sur<br />

la commune de Rodès. Il s’agit d’une exploitation ayant généré deux<br />

gros cônes de déjection formés d’éclats et dont les produits étaient<br />

transportés par un câble près de la route. Cette production semble<br />

liée à la fabrication de gravillons. Le câble est encore en place.<br />

IV.3 - Une grande carrière pour pavés de granit : La Devesa,<br />

à Rodès<br />

15 - Synclinal de Bouleternère. Carrière 5, dans les calcschistes versicolores.<br />

Sur le détail du front de taille, les traces du débitage à l’explosif (cl. au sol,<br />

M. Martzluff, cl. aérien P. Roca).<br />

IV.2 - L’exploitation des granites sur les sites de<br />

Vinça et de la vallée du Tarerach<br />

Ces carrières sont logées dans les granites à orthose<br />

plus fins que ceux du plateau de Montalba<br />

(chap. XI, ill. 1 et 2). Dans la zone de marnage<br />

des eaux du barrage de Vinça, après le pont de<br />

Nossa et sur la rive gauche, un piton granitique a<br />

été exploité de façon opportuniste lors de la création<br />

du barrage (1976), probablement avec de très<br />

grosses pelleteuses munies d’un pic pneumatique,<br />

car aucun des blocs extraits ne porte de négatifs<br />

d’outils. Ce travail ressemble tout à fait à l’exploitation<br />

des calcaires dont nous venons de parler, au<br />

bas du synclinal de Bouleternère.<br />

Éclairages par le contexte historique<br />

À la fin du XIX e siècle, Jean Puig, propriétaire d’une exploitation<br />

de granite à Vernet-les-Bains (moraine de la rivière Sant-<br />

Vicenç), avait engagé des carriers italiens, dont un Bianchini,<br />

marbrier de Carrare . En effet, vers 1900, la taille du granit bat<br />

son plein dans le département depuis au moins deux décennies<br />

sous l’impulsion d’une demande croissante liée aux grands chantiers<br />

publics et sous l’effet de l’extension urbaine. Elle est ici liée<br />

à un tourisme balnéaire fameux autour des eaux sulfureuses de<br />

la vallée du Cadi, comme ce sera aussi le cas en Cerdagne après<br />

son désenclavement en 1905 (Grand Hôtel de Font-Romeu,<br />

cf. martzluff 1984). d’ailleurs il existe à Vernet-les-Bains<br />

en 1906 une carrière au nom du célèbre architecte « Petersen » 10 .<br />

Servie par des ouvriers toscans, piémontais ou liguriens originaires<br />

de La Spezia qui maîtrisent parfaitement leur métier – et<br />

tout particulièrement les savoirs inconnus des artisans locaux<br />

pour « prendre le fil de la pierre » dans les roches cristallines<br />

(Martzluff et alii 2009) – cette dynamique a généré en Conflent<br />

un style très particulier de constructions publiques. Il s’exprime<br />

dans des murs de soutènement (routes, ponts, maisons cantonnières,<br />

gares, barrage de La Bouillouse, etc.) qui sont alors bâtis<br />

avec de gros moellons quadrangulaires, proches des pavés. Ces<br />

parements sont débités à l’aide de tout petits coins de fer trapézoïdaux<br />

(3 cm de largeur maximale), puis simplement équarris<br />

au têtu et régularisés sur les angles à la chasse. Cette architecture<br />

est tout à fait typique des années 1890‐1930.<br />

. J.-P. Comps, chap.XII, ill. 5.<br />

. N. Marty, chap. XIV.<br />

10. ADPO, 6M, in Payrou 1992.


466 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

Au début du XX e siècle, le transbordement des granites<br />

des carrières de Vernet par la gare de Ria – créée<br />

en 1893 – est gêné par l’encombrement des productions<br />

des deux hauts-fourneaux de cette localité et de sa marbrerie<br />

mécanisée attenante (pierres tombales et éviers<br />

domestiques polis) 11 . Depuis 1888 en effet, l’amélioration<br />

du lit de fusion des coulées par l’introduction d’un<br />

fondant (la castine) avait entraîné l’extraction des marbres<br />

dans une carrière proche : l’actuelle exploitation près<br />

de la route nationale et de la voie ferrée, sur la commune<br />

de Corneilla-de-Conflent (Lapassat 1984 ;Tosti 1991a).<br />

Afin de se rapprocher des débouchés, l’entrepreneur envisage<br />

donc de se placer vers l’aval granitique du Conflent,<br />

au plus près d’une gare. La place de Vinça étant prise par<br />

l’exploitation de l’entreprise dont nous venons de parler, il<br />

s’installe en 1915 à Rodès, village qu’évite alors le chemin<br />

de fer 12 .<br />

Le site de Rodès est riche d’un granite homogène, peu<br />

fissuré, apte à supporter de forts écrasements pour une<br />

utilisation en tant que « pavé mosaïque » sur les chaussées<br />

(filon de 3 km sur 600 m de large et 200 m de haut<br />

environ). Comme les meilleures veines de granite se trouvent<br />

dans une zone d’accès difficile, le transbordement des<br />

pierres se fait à l’aide d’un câble jusqu’à la vallée. Avant<br />

qu’elle ne ferme définitivement en 1939, après un lent déclin<br />

et quelques tentatives de reconversion, cette carrière<br />

a surtout produit des pavés et des bordures de trottoirs.<br />

Si elle a pu alimenter des villes comme Marseille, elle visait<br />

aussi les faveurs des agglomérations départementales<br />

où la concurrence était sévère, et elle fut donc très vite<br />

surproductrice.<br />

À cet égard, profitant des importants travaux de voirie<br />

réalisés en 2008 dans le quartier de la gare à Perpignan<br />

pour accueillir la nouvelle ligne TGV, travaux qui ont mis<br />

au jour les pavés aujourd’hui recouverts par une couche<br />

de bitume, nous avons entrepris une sorte de prospection<br />

de contrôle dans les déblais des excavations. Ce quartier<br />

s’est construit après l’arrivée du chemin de fer à Perpignan<br />

en 1858 et les rues latérales ont été plus tardivement<br />

pavées après que le sol eut été exhaussé grâce au dépôt<br />

des décombres produites par la démolition des remparts<br />

(1904‐1906). Il en résulte qu’il existe une grande hétérogénéité<br />

des matériaux pavant les rues. À première vue,<br />

11. L’atelier de sciage aurait fermé en 1973 (Olive 1987).<br />

12. Le plus proche site de transbordement se trouvant face à Bouleternère, près<br />

de la chapelle Sainte-Anne avant la déviation réalisée en 1923.<br />

seule une fraction minime des pavés pourrait être imputable<br />

aux granites de Rodès dont nous avons prélevé quelques<br />

échantillons (Avenue Ribère) et le reste semble bien<br />

être allé à la concurrence. Celle-ci était vive. Une bonne<br />

partie des pierres granitiques pour travaux publics venait<br />

à la fin du XIX e siècle de la carrière de Saint-Rafael (Var)<br />

par voie ferrée. Mais la création de nouveaux bassins à<br />

Port-Vendres, en 1828, avait déjà pu favoriser la concurrence<br />

du Sud par voie maritime. D’ailleurs, une forte part<br />

des pavés que nous avons pu examiner dans le quartier<br />

de la gare a peut-être pour origine l’Empordà (basaltes<br />

d’Olot) et l’autre, dont des grès blonds ou roux, provient<br />

de sites peu identifiables en l’état de la recherche, mais<br />

apparemment pas de la carrière des Moleres, au Boulou<br />

(Martzluff et alii 2008).<br />

À son apogée, en 1926, la carrière de Rodès compte<br />

jusqu’à 150 ouvriers : 40 tailleurs, 10 employés d’atelier,<br />

100 mineurs et manœuvres de toutes nationalités. On<br />

y trouve au départ surtout des Italiens de la région de<br />

Carrare, puis des Espagnols appelés « Gallegos » sur<br />

les chantiers, quelle que soit leur province d’origine. Ce<br />

sont surtout des Catalans venus de La Floresta – centre<br />

de forte syndicalisation anarchiste, tout comme Carrare<br />

d’ailleurs – puis enfin des Algériens venus de l’Oranais.<br />

Cette industrie de la pierre aura sans doute fortement<br />

marqué la vie sociale de la vallée et son histoire précise<br />

reste encore à compléter alors qu’une précieuse mémoire<br />

ouvrière est en train de disparaître définitivement avec les<br />

deux ou trois derniers témoins très âgés résidant dans la<br />

commune (Tosti 1986b, 1987, Martzluff 1986, Payrou<br />

1992, N. Marty, chap. XIV).<br />

Vus en prospections : les témoignages d’une exploitation<br />

des granites aux XVII e -XIX e siècles<br />

Dans son étude historique sur la carrière contemporaine,<br />

Nicolas Marty signale (chap. XIV) l’argumentaire<br />

d’une pétition de 1939 destiné à la Préfecture et qui donne<br />

cette exploitation comme la plus ancienne du département.<br />

C’est erroné, nous le savons, mais il est certain qu’il<br />

existait à Rodès une telle activité bien avant la fondation<br />

de la grande carrière en 1915. Ainsi, en 1919, le commissaire<br />

Joseph Pla, qui enquête pour la prorogation du bail,<br />

note que la nouvelle activité procurera « un avantage réel<br />

pour la commune de Rodès qui n’avait rien retiré de la carrière<br />

de pierres de la Deveze » (Payrou 1992). Et c’est vrai<br />

que le cadastre de 1832 témoigne déjà de l’existence d’ex-


Mines et carrières contemporaines<br />

467<br />

tractions au lieu dit la Devesa (« communs, pierres et graviers<br />

»). Un tailleur de pierres (payrer) du cru est même<br />

mentionné dans un contrat de mariage en 1632 13 , mais il<br />

y a de fortes chances à cette date pour que son activité soit<br />

liée à la carrière de marbre de Bouleternère. Hélas ! Les<br />

travaux réalisés entre 1920 et 1939, avec l’enlèvement de<br />

la couverte sédimentaire sur les abords des fronts dans un<br />

rayon de 50 m environ, ont presque totalement anéanti le<br />

paysage antérieur pour que l’on puisse espérer y reconnaître<br />

les vestiges de ces anciennes exploitations.<br />

Cependant, dans la partie du vieux chemin qui mène<br />

de Rodès à Montalba, passant par l’actuel front de taille<br />

en rive gauche de la Têt (ill. 16A, B et 17), nous avons<br />

pu relever des aménagements réalisés par un débitage de<br />

gros blocs à la mine lente (Ø de la barre à mine de 4 cm),<br />

un travail qui nous semble plus ancien que les techniques<br />

utilisées après 1915 dans la carrière. Mais nous<br />

n’avons rien vu sur les très fortes pentes proches, de part<br />

et d’autre de ce chemin, qui puisse évoquer l’un de ces<br />

ateliers itinérants traditionnels qui se déplaçaient après<br />

l’épuisement des affleurements chaotiques superficiels<br />

et où l’on note systématiquement, pour le XIX e siècle,<br />

la présence de larges emboîtures pour coins de bois. Les<br />

granites semblent ici trop « serrés », c’est-à-dire « durs »<br />

et « orientés », pour cela 14 .<br />

L’examen attentif de ce chemin d’accès montre que la<br />

première montée se faisait à travers des feixes (terrasses)<br />

construites sur le bas du versant dominant le fleuve avec<br />

des blocs granitiques également débités à coup de mine<br />

(ill. 17). Mais il s’agit là de barrines actionnées à la masse<br />

(petite mèche de 30 cm de longueur et Ø de 2 à 3 cm,<br />

cf. ill. 9 et 10). Ces traces de débitage témoignent donc<br />

d’une époque qui ne peut être de beaucoup antérieure<br />

à 1900, sur un tracé sans doute plus ancien toutefois,<br />

puisqu’il part en rive gauche vers l’amont, non loin de<br />

l’ancien pont médiéval. Vers l’aval en effet, un nouveau<br />

13. Contrat de mariage entre Scilici Thomas, payrer habitant à Rodès, fils de<br />

Scilici Thomas, habitant à Marcillach, diocèse de Limoges. Dans l’intitulé de<br />

l’acte : Scility Thomas architectoris loci de Rodes (chap. XI, documents). un<br />

exemple du travail du marbre à Rodès au XVII e siècle : chap. XV, ill. 8.<br />

14. Voir dans cet ouvrage chap. XI, carrières/ateliers de Casesnoves et du Bellagre.<br />

Il faut rappeler que les granites « durs », qui semblent bien ici correspondre<br />

à ceux de la Devesa, étaient en Cerdagne uniquement exploités à l’explosif<br />

entre 1870 et 1905, car rebelles à la taille avec les coins de bois, du moins<br />

pour les picapedrers ignorant le fil de la pierre avant cette dernière date, qui<br />

correspond à l’arrivée des ouvriers italiens travaillant sur la ligne de chemin de<br />

fer (Martzluff 1988). À Rodès, la roche est probablement orientée dans un lit<br />

de carrière (bien que le granite soit en théorie isotrope) en raison de possibles<br />

phénomènes de microfissuration lors du lent refroidissement magmatique, si<br />

l’on se fie à l’étude récente des granites « dur » et « tendre » des ateliers cerdans<br />

(Martzluff sous presse 2009, Martzluff et alii, 2009).<br />

pont enjambait la Têt à l’entrée des gorges et fut emporté<br />

par une crue peu après sa construction en 1893,<br />

puis reconstruit en 1895. L’accès à ce pont (pont actuel)<br />

a été ouvert dans les affleurements du socle granitique<br />

à coups de barrinades dont les hémi-négatifs sont de<br />

même typologie que ceux des murs des feixes du bas de<br />

versant. Cela confirme le diagnostic. Les murs de ces<br />

dernières sont par ailleurs montés en petit appareil et<br />

sont trop élevés pour pouvoir résister plus d’un siècle<br />

à l’érosion. C’est ainsi qu’ils montrent actuellement de<br />

nets signes de fatigue (« ventres » et éboulements). Les<br />

structures porteuses des demi-négatifs de barre à mine<br />

épaisse de 4 cm que l’on retrouve plus haut sur le chemin<br />

doivent donc probablement s’inscrire avant 1890.<br />

Quant à la technique de la barrinada avec une petite<br />

mèche, elle était surtout utilisée en Pyrénées par des<br />

manœuvres qui se louaient autour des années 1900 et<br />

jusque très peu de temps après la guerre de 14‐18, pour<br />

des travaux liés la réorganisation de l’espace agricole que<br />

nous avons évoqués.<br />

De fait, le chemin empierré qui mène depuis l’ancien<br />

pont à l’actuelle carrière traverse un verrou rocheux qui<br />

en barrait le passage et qui a été ouvert à la mine lente<br />

(Ø 4 cm). Au pied de cette brèche dans le substrat, est<br />

foré un trou de même diamètre où est coincé un fragment<br />

de barre de fer. En amont du passage, le chemin est<br />

pavé et se divise : un large tronçon part vers le bas, l’autre<br />

forme une piste très pentue qui est armée sur les flancs<br />

par des quartiers de roches portant les mêmes négatifs de<br />

grosses barre mine (Ø 4 cm). Ce chemin étant déjà sur<br />

le cadastre en 1832, les traces de barre à mine signalent<br />

donc un travail d’ampleur qui est sans aucun doute antérieur<br />

à la construction du pont récent, travail de toute<br />

évidence lié à la taille des pierres. Nous ne pouvons pas<br />

l’attribuer de façon catégorique aux exploitations signalées<br />

dans les années 1830. Toutefois, la présence d’une<br />

meule abandonnée en bas de pente, au bord de ce chemin<br />

et qui n’a rien à voir avec le moulin situé bien en amont<br />

sur le canal, suppose l’existence en ce lieu d’ateliers de<br />

tailleurs de pierre des XVIII e ‐XIX e siècles (plutôt dans<br />

la phase d’aménagement dynamique de l’espace située entre<br />

1780 et 1880).<br />

D’autre part, tout au long du chemin, depuis le verrou rocheux<br />

jusqu’aux premiers décapages de la carrière, de forts<br />

anneaux de fer sont plantés dans le rocher à ras du sol dans<br />

des trous de barre à mine de même diamètre (Ø 4 cm).


468 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

Extraction des granites<br />

de La Devesa (Rodès)<br />

16A - Vue générale des carrières de La Devesa en rive gauche de la Têt, face à Rodès (cl. O. Passarrius).<br />

16B - Carrières de La Devesa à Rodès.<br />

A (flèche rouge) : tassements et glissements dans la zone de découverte au somment du front 2.<br />

B (rond noir) : blockhaus en béton armé.<br />

N os 1 à 6, fronts d’exploitation (entailles et éboulis, plateformes) ; n°7, bâtiments liés à l’exploitation contemporaine ; n°8, maison ouvrière 1921 ; n°9, puits ; n°10, rampe et systèmes<br />

de transbordement par câble ; n°11, pont et route de Rodès 1895 ; n°12, feixes (terrases de culture) encore cultivées au début du XX e siècle avec traces d’exploitation à barrinades<br />

(Ø 2-3,2 cm) ; n°13, feixes avec cultures modernes et du XIX e ; n°14, friche communale et pâtures en 1832, anciens ateliers de picapedrers au début du XIX e siècle ; n°15, chemin<br />

empierré ancien recoupé par les fronts de taille ; n°16, drailles ; n°17 (ronds rouges), empreintes de barres à mine fin XVIII e /début XIX e (Ø 4 cm) ; n°18, empreintes de barre à mine<br />

d’âge moderne (Ø 4 à 5 cm) ; n°19, partie de lande non aménagée par les feixes modernes, vestiges d’armatures de murs de soutènement en gros appareil dans la zone mise en<br />

défens à l’époque moderne (friche en 1832) ; n°20, site archéologique médiéval (schéma M. Martzluff d’après un cl. aérien d’O. Passarrius).


Mines et carrières contemporaines<br />

469<br />

17 - Carrière pour travaux publics de La Devesa, à Rodès. Vue du front de carrière principal depuis le chemin<br />

d’accès, une fois passé le verrou rocheux ouvert à la mine (cl. A. Catafau).<br />

Ils sont pour la plupart brisés à ras du roc, mais l’un d’eux est conservé<br />

en place. Nous avons même récolté en surface un fragment de ces œilletons<br />

en fer forgé dont on peut supposer qu’il servait de guide à un retour<br />

de câble pour monter ou retenir de lourdes charges. Celui-ci a été volontairement<br />

coupé au ciseau (ill. 18).<br />

Il n’est pas du tout sûr que ce système de câblage soit lié à la création<br />

de la carrière actuelle car le chemin empierré est ensuite complètement<br />

anéanti au niveau du front 1 de cette exploitation (ill. 16B). Recoupé par<br />

les fronts de taille 1 à 6, on le retrouve vers l’est, passée la limite de la<br />

carrière actuelle. Il reste empierré, mais il est alors bordé de grosses dalles<br />

plantées de chant, exemptes de traces de débitage, hors cassures et coups<br />

de masse. Il a donc repris un style qui le rapproche des chemins médiévaux<br />

du secteur, en particulier de celui qui conduit à Les Cases-Ropidera.<br />

Moins érodé que ce dernier, il longe une roche, bien extérieure à sa bordure,<br />

qui fut débitée par un coup de mine avec une empreinte de barre<br />

très large (Ø 5 cm). Malgré la présence de leurres (petits blocs propulsés<br />

par les tirs de mine dans les années 1930 (ill. 19), c’est cette trace qui nous<br />

paraît la plus ancienne sur ce trajet. Elle pourrait se rapporter à la fin du<br />

XVII e siècle 15 . Elle cadrerait éventuellement avec la mention du tailleur<br />

de pierre/maçon cité dans cette paroisse en 1632, bien que nous n’ayons<br />

jamais trouvé de traces de débitage par coup de mine plus anciennes que<br />

celles des fortifications de Vauban, à la fin du même siècle. Le chemin,<br />

quant à lui, est sans aucun doute bien antérieur. Dans ce segment oriental,<br />

il n’est finalement pas trop remanié par les activités contemporaines.<br />

15. Voir diagnostic pour les coups de mines dans les carrières modernes de marbre à Bouleternère,<br />

M. Martzluff, chap XI.<br />

18 - La Devesa. Œilleton en fer forgé volontairement brisé,<br />

reste d’un ancien système de treuillage des blocs le long du<br />

chemin empierré (Dépôt archéologique départemental, dessin<br />

M. Martzluff ).<br />

19 - La Devesa, partie orientale, après les fronts 4 et 5 des carrières.<br />

Vestige d’une empreinte de barre à mine de Ø 3 cm dans<br />

un contexte où les traces sont bien plus larges. Le bloc tranché<br />

est le granit bleu très homogène et « serré » qui affleure dans le<br />

front 6 de carrière contemporaine, tout proche. Ce bloc a semble-t-il<br />

été propulsé ici par un tir de mine (cl. A. Catafau).


470 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

Travaux de terrain sur la carrière contemporaine<br />

Sur place, il ressort d’une observation rapide que l’exploitation<br />

située entre 1915 et 1939 a dû se faire d’ouest<br />

en est, la partie orientale paraissant la plus récente. Quatre<br />

fronts de taille se succèdent (ill. 1, 2 et 16) :<br />

- Front 1 : première exploitation probable dans les années<br />

1915‐1920. Quelques bâtiments témoignent du<br />

transbordement des produits sur l’autre rive.<br />

- Front 2 : donnant sur une vaste plate-forme (non parcourue)<br />

et des bâtiments visibles du chemin. D’énormes<br />

blocs en cours de débitage encombrent l’encoche (fig. 16B<br />

et 20). D’après les déchets ramassés dans l’éboulis en<br />

contrebas, dont un pavé (ill. 21), un atelier de débitage se<br />

tenait sur la plate-forme.<br />

- Fronts 3 et 4 : zone intermédiaire donnant sur une plateforme<br />

formée de déblais et où deux blocs géants sont<br />

tombés.<br />

20 - La Devesa. Traces d’outils témoignant de l’usage du marteau-piqueur (logements<br />

pour coins, n°1 ; trou de mine, n°2) sur les parements d’un mur de l’exploitation principale<br />

(cl. A. Catafau, D.A.O. M. Martzluff ).<br />

21 - Pavé de granit prélevé dans la carrière (Dépôt archéologique départemental, cl. et<br />

D.A.O. M. Martzluff).<br />

- Fronts 5 et 6 : ces entailles se développent en deux degrés<br />

verticaux séparés par un palier par où passe une<br />

voie pour évacuer les blocs vers la trémie. Le haut est<br />

altéré et se compose d’un matériau hétérogène fissuré.<br />

Dans le bas, une veine d’un granite plus sombre, voire<br />

bleuté, aux grains serrés, a été mise à nu. Des infiltrations<br />

suintent au niveau des passées les plus compactes<br />

car le front a recoupé les écoulements du versant. Les<br />

négatifs de débitage attestent de l’emploi de très longues<br />

mèches d’engins pneumatiques.<br />

Ces veines bleutées apparaissent aussi dans le défilé<br />

de La Guillera en contrebas, dans une zone rendue dangereuse<br />

par les crues de la Têt. Cela explique la position<br />

somme toute inconfortable de cette grande conque d’extraction<br />

à mi-pente du versant, alors que cette partie de<br />

socle comporte plus haut des bancs de schistes et que de<br />

nombreuses inclusions basiques sombres forment dans<br />

le granite, au-dessus de la carrière, de fâcheuses miches<br />

métriques dégagées par l’érosion (les « yeux de crapaud<br />

», ulls de gripau des tailleurs de pierre). Sur tous<br />

les fronts de taille, on observe des réseaux de diaclases<br />

et des accidents mineurs, mais dans l’ensemble, le matériau<br />

cristallin semble bien homogène et sain, donc très<br />

« dur » (note 14). Ce point demanderait confirmation


Mines et carrières contemporaines<br />

471<br />

Quelques éléments repérés en cours de prospection<br />

méritent d’être notés ici :<br />

22 - La Devesa. Pan de roche instable au sommet du front 2 (cl. A. Catafau).<br />

auprès des ouvriers ayant travaillé ici, car il pourrait expliquer<br />

l’absence de carrières traditionnelles dans cette<br />

partie du pluton granitique entre Rodès et Tarerach<br />

(tiretés rouges, ill. 1), alors qu’elles abondent depuis le<br />

Moyen Âge sur les granites porphyroïdes du plateau,<br />

un matériau certainement plus facile à travailler (points<br />

jaunes ill. 1). Une vérification sur lame mince pourrait<br />

donner la nature exacte d’une possible « orientation »<br />

(et fragilisation) de la « veine » des granites durs de<br />

Rodès.<br />

Une partie du chemin traversant la mine constitue<br />

une piste relativement dangereuse dominant un abrupt,<br />

alors que le front de carrière principal lui-même offre,<br />

semble-t-il, un risque d’éboulement. Au sommet, entre<br />

les fronts 2 et 3, un pan de falaise semble en effet avoir<br />

coulissé sur un plan de fissuration ayant le même pendage<br />

que le versant (ill. 22). Juste en amont, à la limite<br />

de la zone de découverte, un décrochement d’une hauteur<br />

de 1,50 m correspond peut-être à un affaissement<br />

du terrain. Non érodée, la coupe suit la délinéation du<br />

front de taille et se prolonge par une saignée qui pourrait<br />

témoigner d’un mouvement largement postérieur<br />

à 1940. D’autres signes d’une reptation récente de ce<br />

secteur sont plus évidents près du front où s’épanouissent<br />

de larges fissures colmatées par les fines. On y observe<br />

des terriers de fouisseurs récemment comblés. Il<br />

s’agit donc d’un fort cubage de <strong>montagne</strong> instable. Le<br />

replat encombré de chaos, au bas du front de taille devrait<br />

pouvoir absorber une large part des éboulements<br />

potentiels.<br />

- Funiculaire : Il s’agit d’une sorte de piste rectiligne bétonnée<br />

puis creusée en partie dans le roc contre le flanc<br />

de la vallée, piste qui était câblée pour transporter les<br />

blocs en rive droite de la Têt, avec une réception à côté du<br />

pont (bâtiment ruiné).<br />

- Mur de soutènement pour contenir l’éboulis des déblais<br />

en F2‐3, près du chemin. Les parements comportent de<br />

nombreux négatifs de mèche de marteau‐piqueur (entre<br />

2 et 3 cm) et aussi ceux d’encoignures épatées (4x4 cm)<br />

caractéristiques du travail au marteau pneumatique<br />

(ill. 20).<br />

- Baraque et puits : une bâtisse ruinée, construite en<br />

moellons, se trouve à l’extrémité orientale de la carrière<br />

et correspond à un logement ouvrier édifié en 1921 ; un<br />

puits lié à cette construction, avec margelle métallique et<br />

poulie, se trouve dans le ravin adjacent qui draine une<br />

circulation d’eau pérenne dans le substrat. Cette partie<br />

du site a été recoupée par le front 6, plus tardif.<br />

- Blockhaus : une structure mi-enterrée en béton armé,<br />

étrangère à l’exploitation, se rapporte peut-être à un affût<br />

de l’armée allemande pendant seconde guerre mondiale<br />

qui correspondrait à de semblables constructions près du<br />

château de Rodès. Il existe un autre affût de ce type en<br />

Cerdagne, à l’amont du col de la Perche, vers le nord.<br />

- Mobiliers : nous n’avons pas prospecté les mobiliers<br />

(outils éventuels), mais des wagonnets plus ou moins enfouis<br />

sous des déblais sont visibles.<br />

Pour ce qui concerne les techniques de taille, elles<br />

témoignent ici, croyons-nous, de l’utilisation précoce<br />

du marteau-piqueur. C’est une question qui n’est pas<br />

sans poser problème. Il est vrai que l’usage du marteaupiqueur<br />

pour perforer des trous de mine ne se distingue<br />

pas trop du forage utilisant la masse (ill. 19). Toutefois,<br />

les mèches du front de taille 4 sont trop longues pour<br />

avoir été manipulées par un seul ouvrier, y compris au<br />

marteau-piqueur. Elles supposent un engin mécanique<br />

plus lourd utilisé tardivement, à partir des années 30, ce<br />

qui tendrait d’ailleurs aussi à prouver que cette partie est<br />

la plus récente.


472 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVI<br />

est obtenue à l’aide d’une broche frappée avec une massette.<br />

En effet, l’hémi-négatif du poinçon biseauté actionné au<br />

marteau-piqueur n’est pas trapézoïdal proche du triangle,<br />

mais quadrangulaire et plutôt épaté vers le fond (ill. 9 n° 6 a,<br />

ill. 11 et 20). Cela résulte du mouvement de va-et-vient que<br />

l’ouvrier imprime à la poignée pour dégager la pointe en fin<br />

de course, afin d’éviter qu’elle ne se coince.<br />

D’après les déchets de taille examinés, les quartiers de roche<br />

étaient clivés avec de tout petits coins de fer de 3 à 4 cm de<br />

largeur maximale et équarris au têtu. Nous avons noté une<br />

forte économie des coins lors de cette opération (souvent une<br />

seule emboîture en position centrale sur des blocs de 50 cm<br />

de largeur). Cela renvoie aussi aux qualités mécaniques d’un<br />

granite compact et probablement orienté. On remarque pour<br />

finir qu’il n’y a pas de traces de travail plus élaboré, lequel pouvait<br />

s’effectuer dans les ateliers au village, près de la gare. Des<br />

pavés gisent cependant sur le site de la carrière (ill. 21).<br />

La question de l’introduction précoce du marteau-piqueur<br />

n’est pas anodine car cet outil de mineur a pu représenter l’un<br />

des enjeux symboliques de la modernité pour les pays industrialisés<br />

où pesait encore fortement la charge du charbon et de<br />

l’acier. En 1863, le « bélier hydraulique et pneumatique » de<br />

G. Sommeiller est expérimenté lors du percement du tunnel<br />

du Fréjus (1857-70, 13,6 km) qui est le premier ouvrage à traverser<br />

les Alpes sous le Mont-Cenis (Chamussy, Janin 1972) 16 .<br />

Cette œuvre fut un symbole fort de la modernité au XIX e siècle<br />

en même temps qu’un enjeu stratégique dont Cavour avait<br />

fait l’un des axes pour forger l’unité italienne autour du développement<br />

économique et politique du Piémont (Guichonet<br />

1955) 17 . Lorsque la Savoie fut réunie à la France en 1860, le<br />

23 - La mécanisation du débitage des roches à l’explosif comme symbolique de<br />

la modernité au XX e siècle.<br />

Vue du haut - 1933. Détenus aux travaux forcés creusant le canal mer Baltiquemer<br />

Blanche en percutant un fleuret avec une masse (la barre est retenue par<br />

une pince), d’après chap. « Le totalitarisme stalinien », manuel de classe de troisième,<br />

C. Bouvet et J.‐M. Lambin dir., Hachette éd., p. 50. (Lasko-Sipa).<br />

Vue du bas - 1935. Affiche de propagande montrant Stakhanov au fond d’une<br />

mine de charbon maniant le marteau-piqueur et le discours dialectique édifiant<br />

avec une parfaite décontraction, ibidem, (Congres US)..<br />

Par contre, lors de la recoupe en quartiers des blocs<br />

débités par les tirs de mine, l’emploi du marteau pneumatique<br />

pour creuser les logements des petits coins<br />

de fer produit sur la face tranchée une empreinte caractéristique.<br />

Elle se distingue nettement de celle qui<br />

16. Germain Sommeiller, ingénieur italien (il choisit cette nationalité après le rattachement<br />

de la Savoie à l’Empire français en 1860) fut formé à Turin. Il améliora le<br />

système de Giovani Battista Piatty qui s’inspirait de la perforatrice à vapeur destinée<br />

aux houillères et inventée par l’anglais Thomas Bartlett sur les principes conçus par<br />

le physicien genevois Jean-Daniel Colladon, dès avant 1827. La machine que Sommeiller<br />

mit au point fut brevetée en 1853. Alors que le creusement du fameux tunnel<br />

du Fréjus avait commencé en 1857 du côté piémontais avec des barres à mine<br />

et de la poudre, les perforatrices hydropneumatiques qu’il fit fabriquer en Belgique<br />

furent opérationnelles sur le terrain en 1863. Chacune pesait 280 kg et reposait sur<br />

un affût de 5 tonnes pour actionner 8 fleurets qui permettaient d’avancer de 200<br />

à 450 m par an, selon la roche, ce qui constituait alors un progrès considérable.<br />

La dynamite, employée sur ce chantier à partir de 1867, accéléra l’ouvrage et la<br />

percée fut achevée en 1870. Il fut inauguré par l’Italie et la France en 1871. Tenus<br />

en échec depuis 1855 dans le creusement du tunnel Hoosak, long de 8 km sous les<br />

Appalaches, les Américains envoyèrent l’ingénieur Charles Storrow dans les Alpes<br />

en 1862 pour s’initier aux nouvelles techniques. Comme pour bien d’autres transferts<br />

technologiques, ils participent ensuite activement à l’essor de ce progrès.<br />

17. En 1855, Camillo Cavour soumet au vote de la Chambre des Députés sardes<br />

l’expérimentation de ce bélier hydraulique, puis la loi autorisant le percement du<br />

tunnel des Alpes : « l’œuvre que nous vous proposons est une entreprise gigantesque,<br />

et son exécution réussira, à la gloire et au grand avantage de notre pays...<br />

le Mont Cenis sera traversé... Nous avons le choix entre deux voies : nous avons<br />

préféré celle de l’action et de l’audace. Nous ne pouvons nous arrêter au milieu de


Mines et carrières contemporaines<br />

473<br />

creusement reprit des deux côtés de la frontière. L’ancêtre<br />

des perforatrices à air comprimé utilisé sur ce chantier fut<br />

ensuite perfectionné, surtout en Amérique, pour l’extraction<br />

du charbon avec des « marteaux burineurs » allégés, à<br />

air comprimé. En France, le marteau piqueur pneumatique<br />

ne se répand dans les houillères que peu avant la guerre<br />

de 1914‐18 pendant laquelle il participe aux excavations<br />

dans le système défensif. Il joue ensuite un rôle stratégique<br />

avec la Ligne Maginot. Cependant, hors du secteur minier<br />

on a continué à employer un fleuret frappé à la masse<br />

(cat. barrina) jusqu’en 1950 en bien des régions, surtout<br />

dans les <strong>montagne</strong>s. Lors de son apparition en URSS<br />

dans les années 1930, l’outil pneumatique est devenu emblématique<br />

du progrès et fait l’objet d’une propagande<br />

stalinienne restée fameuse dans les manuels d’histoire<br />

avec Stakhanov 18 , alors que l’essentiel des travaux d’aménagements<br />

dans ce pays se sont effectués à la barre à mine<br />

jusque dans les années 1950 (ill. 23). Dans la carrière de<br />

Rodès, d’après les archives (achat de compresseurs) 19 , cet<br />

engin fut introduit – pour le moins – dès 1925. Ce serait<br />

là une toute première manifestation du débitage mécanique<br />

des roches dans les Pyrénées catalanes, le marteaupiqueur<br />

étant signalé pour la première fois en 1945 dans<br />

la grande carrière de Thuir 20 et introduit sur les chantiers<br />

de Cerdagne aux alentours de 1950 (carrière Gordia, à<br />

Villeneuve-des-Escaldes).<br />

Conclusion :<br />

perspectives pour une archéologie<br />

des sites industriels<br />

Sur la bordure du plateau granitique, l’extraction d’albite<br />

dans le ravin du Bellagre (Ille-sur-Têt) et celle du granit<br />

dans les gorges de la Têt (Rodès) témoignent des progrès<br />

techniques que constitue l’introduction précoce de l’explosif<br />

rapide et du machinisme en Roussillon. L’une et l’autre<br />

de ces exploitations renvoient donc, dans une liaison somme<br />

toute cohérente et concrète, comme nous venons de le<br />

voir, à un modernisme qu’incarnent aujourd’hui quelques<br />

la route car c’est pour nous une condition vitale, une alternative impérieuse :<br />

o progedire, o perire ! »<br />

18. Le mineur Alekseï Grigorievitch Stakhanov aurait abattu en six heures, la<br />

nuit du 30 au 31 août 1935, 102 tonnes de charbon, soit environ quatorze fois<br />

le quota quotidien demandé à chaque mineur.<br />

19. Nicolas Marty, op. cit. chap. XIV.<br />

20. D’après J.-L. Olive 1987 op. cit., une information à vérifier dans les sources<br />

d’archives, non citées par l’auteur.<br />

rares sites industriels conservés, dont celui des forges de<br />

Ria ou celui de l’usine Nobel, à Paulilles 21 .<br />

C’est pourquoi une partie au moins de l’immense carrière<br />

de La Devesa pourrait éventuellement accueillir le<br />

public au titre d’un témoignage éloquent concernant à la<br />

fois la Géologie et l’Histoire des Pyrénées. Les scolaires,<br />

plus particulièrement, tireraient grand bénéfice à mieux<br />

s’instruire sur la séquence située entre 1850 et 1950 qui<br />

reste souvent bien mal acquise. Il est vrai que la période<br />

fut dure pour l’ouvrier prolétaire, tout comme polluante<br />

pour l’environnement, peu glorieuse par le sort des armes<br />

et marquée par le déracinement des ruraux, par des exodes<br />

massifs, par le colonialisme, par les bouleversements<br />

idéologiques et les révolutions. Elle apparaît par conséquent<br />

comme moins attractive que de lointains mondes<br />

disparus, trouvant un plus vif succès dans les efforts didactiques<br />

engagés auprès du jeune public. Elle paraît en<br />

tout cas moins bucolique que « l’éternel paysan » dont on<br />

aurait pu croire ici le destin inchangé !<br />

Or, c’est bien dans cette modernité industrielle que s’enracine<br />

la puissance économique actuelle de notre nation<br />

et elle côtoie sur ces pentes la déprise du monde rural au<br />

moment même où la Grande guerre est venue l’accélérer.<br />

Difficile de faire l’économie d’un éveil à cette conscience<br />

qui peut passer ici par la médiation concrète d’un patrimoine<br />

archéologique, d’autant qu’il concerne aussi le<br />

brassage des populations laborieuses, avec une immigration<br />

d’abord latine, puis maghrébine après la Grande<br />

guerre et dont une partie de l’histoire reste à écrire. Notre<br />

monde actuel, dans sa composition sociale comme dans<br />

le bâti, les routes et les voies ferrées qui structurent l’espace,<br />

s’inscrit principalement dans ce passé là.<br />

Il convient d’ajouter que l’endroit est fort spectaculaire<br />

pour un lieu de mémoire – très pittoresque pourrait-on<br />

dire – et qu’il n’a jamais servi de décharge, contrairement<br />

à la plupart des carrières régionales d’accès plus aisé pour<br />

les véhicules. Bref, il existe dans cette <strong>montagne</strong> de Rodès<br />

dominant la plaine du Roussillon, une vaste balafre infligée<br />

peu après 1900 au chaos granitique et à la friche par<br />

une humanité ouvrière cosmopolite quelque peu révolutionnaire,<br />

maniant l’explosif et la machine : cela représente<br />

aujourd’hui un remarquable site archéologique qui reste<br />

encore à étudier et à valoriser.<br />

21. Ce site est en passe de devenir le principal lieu d’étude et de mise en valeur<br />

du patrimoine industriel des P.-O. sous l’égide du conseil général.


chapitre XVII<br />

Les nouveaux usages de la <strong>montagne</strong><br />

Marjorie Bernat-Gaubert *<br />

C’est sur la partie sud-ouest de l’interfluve entre l’Agly<br />

au nord et la Têt au sud que le feu en 2005 a parcouru<br />

prés de 1 970 hectares. Le secteur brûlé est constitué des<br />

zones situées en périphérie des finages communaux de<br />

Rodès, Montalba-le-Château et Ille-sur-Têt. L’approche<br />

géographique privilégie ici l’analyse des usages de l’espace<br />

et de leurs évolutions à la suite de la catastrophe. Elle<br />

s’intéresse à l’incidence de ces usages sur la structuration<br />

et la physionomie de l’espace local car ils interviennent<br />

dans la dynamique paysagère. Elle s’inscrit aussi dans une<br />

démarche prospective car ces usages invitent à concevoir<br />

une action d’aménagement du territoire.<br />

Dans le secteur qui nous concerne on s’aperçoit dans<br />

un premier temps que les usagers sont plus nombreux<br />

qu’on aurait pu le penser. Effectivement on peut dénombrer<br />

trois principaux usages, ceux dont la vocation est une<br />

production économique, les usages à des fins ludiques et<br />

enfin ceux dont l’objectif est la valorisation du territoire.<br />

Chacun occupe plus ou moins de place, et se localise à<br />

des endroits spécifiques selon ses besoins. Mais le feu interrompt<br />

brutalement des usages qui contribuaient à la<br />

structuration de l’espace, à lui donner sa morphologie, sa<br />

physionomie. Après l’incendie chacun d’entre eux va reprendre<br />

avec des rythmes, des localisations et des occupations<br />

différents. Ainsi on va s’intéresser aux différents<br />

acteurs et à leurs logiques particulières face aux nouveaux<br />

enjeux nés de l’incendie qui reposent sur la redécouverte<br />

du patrimoine exhumé par l’incendie. On abordera tout<br />

d’abord les activités productives, puis les pratiques ludiques<br />

et enfin les logiques de mise en valeur.<br />

I - Les activités productives<br />

Les activités productives présentes sur la zone d’étude<br />

sont quasi exclusivement agropastorales et leur répartition<br />

est fonction de la topographie (ill. 1). En effet on<br />

distingue deux types principaux de paysages agraires,<br />

l’ager et le saltus dont les morphologies se distinguent<br />

aisément et sont le fruit d’une longue histoire agropastorale.<br />

L’ager désigne la zone des cultures, qui se trouvent au<br />

nord, sur le plateau granitique. Il porte une monoculture,<br />

celle de la vigne, qui s’oppose au saltus la zone non cultivée,<br />

constitué par un maquis qui recouvre toute la pente<br />

entre le plateau et la plaine en contrebas. Pourtant l’occupation<br />

du sol n’a pas toujours connu cette logique. Il n’y<br />

pas si longtemps, avant la seconde guerre mondiale et la<br />

modernisation de l’agriculture, le terroir viticole occupait<br />

les terrains en pente grâce à leur aménagement en feixes,<br />

terrasses de culture.<br />

* Ce travail est extrait d’un mémoire de Master de Géographie, « Les dynamiques paysagères en Bas-Conflent, exhumation, préservation, valorisation » (2007),<br />

réalisé sous la direction de Guillaume Lacquement, Maître de Conférences du département de Géographie et Aménagement de l’Université de Perpignan,<br />

UMR 5045 du CNRS « Mutations des Territoires en Europe ».


476 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVII<br />

Le terroir viticole s’est donc aujourd’hui retiré sur le plateau,<br />

sur les espaces plans les mieux drainés. Il y couvre,<br />

sur les communes de Rodès, Montalba et Ille, 290 hectares<br />

exploités par 32 viticulteurs soit une moyenne 9 hectares<br />

pour chaque exploitant. Mais il se rétracte depuis 1979,<br />

on peut observer cette tendance grâce aux recensements<br />

agricoles, pour la commune de Montalba-le-Château les<br />

surfaces occupées par la vigne sont passées de 302 hectares<br />

en 1979 à 243 hectares en 1988 et enfin 140 en 2000, date<br />

du dernier recensement. L’évolution du nombre d’exploitants<br />

viticoles suit la même évolution passant, sur la même<br />

commune de 45 en 1979 à 17 en 2000. Cependant cette<br />

réduction des surfaces et des effectifs ne doit pas masquer<br />

la mutation importante connue par le secteur. Le vignoble<br />

dont le cépage dominant est le Carignan rouge est classé<br />

à 82 % en appellation Côtes du Roussillon, qui est une<br />

AOC (appellation d’origine contrôlée) et à 10 % en Vins<br />

de Pays, ce sont des appellations reconnues en France par<br />

l’État depuis 1973. Malgré un vignoble qui s’est converti<br />

vers la qualité, l’extension du terroir viticole semble définitivement<br />

se borner au plateau, d’autant qu’il n’existe pas<br />

d’intérêt économique propre à la reconquête du secteur en<br />

terrasses. La tendance du vignoble sur le plateau est effectivement<br />

à la contraction plutôt qu’à l’extension. De nombreuses<br />

parcelles de vigne y sont arrachées. De plus il y<br />

manque le potentiel d’investissement et de main d’œuvre.<br />

Dans un contexte économique déprimé pour la viticulture,<br />

et malgré des terroirs favorables, de bonne qualité,<br />

le plateau de Montalba ne constitue pas pour l’heure une<br />

zone pionnière pour l’extension de la vigne, la dynamique<br />

de l’activité étant plutôt au reflux qu’à l’extension, avec de<br />

nombreux arrachages depuis les années 1980.<br />

1 - Photographie aérienne d’une portion de l’espace d’étude, Direction Départementale<br />

de l’Agriculture et de la Forêt, 2000<br />

La seule pratique productive susceptible d’être présente<br />

sur le versant est donc le pastoralisme. En effet le<br />

périmètre de l’incendie compte trois éleveurs et une AFP<br />

(association foncière pastorale). Soit au total un cheptel<br />

de 900 têtes, comprenant des ovins, des bovins et des caprins<br />

qui se répartissent de la façon suivante sur les trois<br />

communes (ill. 2).<br />

Sur la commune de Montalba-le-Château, un éleveur<br />

d’ovins présent depuis 1996 sur le territoire communal,<br />

possède un troupeau de 600 têtes et dont le système<br />

d’élevage est de type extensif, il utilise de vastes zones de<br />

pacages. Le troupeau qui se trouve sur la commune de<br />

novembre à mai sort tous les jours, sauf conditions hivernales<br />

extrêmes de froid et/ou de neige. De juin à octobre<br />

c’est l’estive à Py (Conflent, massif du Canigou).<br />

Chaque jour les bêtes quittent la bergerie pour parcourir<br />

les zones de pacage dans un rayon de cinq kilomètres<br />

alentour. L’éleveur établit un roulement des parcours qu’il<br />

emprunte avec le troupeau afin d’exploiter au mieux le<br />

terrain. L’éleveur mène quotidiennement son troupeau<br />

aidé par des chiens de conduite et de protection. Quand<br />

le troupeau part pacager c’est sur des parcelles appartenant<br />

à des particuliers, car l’éleveur n’est propriétaire que<br />

de quelques hectares autour de la bergerie. Ce sont donc<br />

des terrains de particuliers qui constituent l’essentiel des<br />

pâturages, d’autant plus qu’il existe un conflit d’intérêt entre<br />

l’éleveur et la municipalité en place, cette dernière lui<br />

refusant le maintien des baux communaux. Le troupeau<br />

paît sur deux types de surface : des prairies de fauche et<br />

des parcelles semées. Les premières sont des parcelles gyrobroyées<br />

où pousse une végétation naturelle constituée<br />

d’herbacés. Les secondes sont semblables à de véritables<br />

labours sur lesquels est semée de l’avoine. Tous ces terrains<br />

se situent dans un rayon de 5 km au maximum autour de<br />

la bergerie. Il s’agit pour la plus grande partie d’anciennes<br />

parcelles viticoles arrachées, les parcelles de maquis ouvert<br />

par l’éleveur sont minoritaires.


Les nouveaux usages de la <strong>montagne</strong><br />

477<br />

2 - Les pratiques pastorales dans le périmètre incendié en août 2005, l’auteur, 2007.<br />

Du fait de la nature des terrains pâturés, cet éleveur n’a<br />

connu aucune modification de son activité suite au passage<br />

de l’incendie. L’élevage n’a donc pas pour résultat le<br />

recul du maquis mais le maintien d’une situation passée,<br />

puisque les parcelles vouées au pastoralisme se substituent<br />

à d’anciennes vignes. Il n’y a pas de conquête de<br />

terres sur le maquis par des défrichements à proprement<br />

parler. Les parcelles pâturées qui sont assez proches du<br />

village forment une certaine coupure contre les incendies.<br />

Cependant cet éleveur ne reçoit pas de subvention<br />

de la DDAF (direction départementale de l’agriculture<br />

et de la forêt) dans le cadre des mesures DFCI (défense<br />

des forêts contre l’incendie).<br />

Sur la commune de Rodès, il existe deux formes de<br />

pâturage. Un petit élevage caprin de 25 chèvres qui pâturent<br />

sur les terrains de l’éleveur, un néo-rural qui s’est<br />

installé sur la commune en 2000. Mais le troupeau est<br />

pour le moment trop peu important pour avoir un impact<br />

sur l’ouverture du milieu. En effet il ne contribue<br />

pour lors qu’à entretenir les quelques hectares dont il est<br />

propriétaire.<br />

La commune de Rodès dispose aussi d’une autre<br />

forme d’élevage, l’AFP (association foncière pastorale).<br />

C’est une association syndicale regroupant l’ensemble<br />

des propriétaires de parcelles comprises dans un périmètre<br />

créé sur des espaces non constructibles, ses objectifs<br />

sont d’éviter l’abandon en assurant la gestion collective<br />

tout en conservant la vocation agricole et pastorale.<br />

Ici, il s’agit d’un rassemblement de terrains communaux<br />

et privés de 180 hectares exploités par le syndicat des<br />

éleveurs du Conflent grâce à un bail qui leur accorde le<br />

droit de pacage, – pour une durée de 10 ans renouvelable.<br />

Ils clôturent ces terrains et y font paître pendant la<br />

période hivernale. Ce système permet d’éviter dans une<br />

certaine mesure l’enfrichement, la sous-exploitation du<br />

secteur et l’augmentation du risque incendie.


478 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVII<br />

Sur le territoire d’Ille-sur-Têt, depuis quinze ans, un<br />

droit d’usufruit est accordé par la commune à un vacher<br />

qui rejoint les terrains en faisant transhumer son troupeau<br />

de bovins de 250 à 280 têtes depuis l’Ariège pour<br />

venir pâturer sur la commune de l’automne jusqu’au<br />

printemps. Il peut faire pâturer son troupeau sur l’ensemble<br />

du versant entre le plateau et la Têt. Mais depuis<br />

l’incendie, il n’a plus le droit d’entrer avec son troupeau<br />

dans les zones touchées, la réglementation du code forestier<br />

interdisant le pâturage sur des terrains brûlés. C’est<br />

la forme d’élevage la plus libre présente sur la zone. En<br />

effet les vaches paissent dans le maquis en quasi-liberté,<br />

sans autres apports nutritifs, et restent en plein air pendant<br />

toute la période, il n’y a pas d’étable. Le vacher pose<br />

uniquement des clôtures à proximité des routes. On<br />

doit toutefois constater que la présence de ce troupeau<br />

n’a aucun impact sur la propagation éventuelle d’un futur<br />

incendie car sa charge est trop faible, la charge étant<br />

le rapport entre le nombre de têtes de bétail, plus particulièrement<br />

leurs besoins alimentaires et les surfaces<br />

parcourues. C’est-à-dire que les animaux exploitent trop<br />

irrégulièrement et imparfaitement le maquis au gré de<br />

leurs déplacements pour que ce soit efficace en termes de<br />

lutte contre l’incendie. D’ailleurs cet éleveur ne perçoit<br />

aucune subvention pour cela. Il est regrettable que ce ne<br />

soit pas le cas, puisque lorsqu’un troupeau est dirigé en<br />

ce sens, il peut considérablement limiter l’avancée du feu<br />

ou ses conséquences.<br />

L’élevage bien présent dans le périmètre de zone brûlée<br />

et dont on sait qu’il peut limiter le risque feu de végétation,<br />

n’est pourtant pas ici associé à des politiques de<br />

lutte contre l’incendie, comme les mesures DFCI. aucun<br />

de ces éleveurs ne perçoit de subvention en ce sens, or la<br />

zone est classée en risque « feux de végétations » élevé<br />

par le Service Départemental d’Incendie et de Secours.<br />

Les activités productives présentes ne sont pas très<br />

compétitives d’un point de vue économique, elles ne<br />

sont pas dans une dynamique de croissance, ni même<br />

conquérantes en termes d’espace et ne consomment<br />

qu’une portion réduite du territoire. Elles laissent donc<br />

de la place au développement d’autres activités, telles<br />

que les activités ludiques.<br />

II - les usages ludiques et récréatifs<br />

L’espace rural français depuis les années 1980 a connu<br />

une évolution de ses usages qui s’est traduite par la baisse<br />

des pratiques traditionnelles à vocation agricole face à<br />

l’expansion des fonctions résidentielles et récréatives.<br />

Parmi les usagers parcourant cet espace à des fins ludiques<br />

: les vététistes. On trouve parmi eux des membres<br />

d’associations ou de clubs mais également des vététistes<br />

qui pratiquent leur activité individuellement, hors de<br />

toute structure. La particularité de cette pratique spatiale<br />

est que ces usagers ont une vision linéaire de l’espace.<br />

En effet ne pouvant pas entrer dans le maquis, relativement<br />

impénétrable et dans lequel ils risqueraient de<br />

crever, ils ne perçoivent cet espace qu’à travers le réseau<br />

de pistes DFCI et de sentiers. Ce sont les deux principaux<br />

types d’itinéraires qu’ils empruntent. Certains<br />

restent sur les pistes en terre tandis que ceux qui ont un<br />

meilleur niveau les prennent uniquement pour la montée<br />

et préfèrent les sentiers pour les descentes, ces derniers<br />

étant plus ludiques et techniques. S’il est difficile<br />

d’étudier la pratique du vététistes hors club, mis à part<br />

de constater leur présence régulière sur le terrain, il est<br />

plus aisé de se faire une idée précise des pratiques spatiales<br />

des vététistes dont l’activité est gérée par l’intermédiaire<br />

d’une structure. Sur le secteur, les vététistes licenciés<br />

sont membres de l’ACI (amicale cycliste illoise),<br />

cette association loi 1901 existe depuis 1970 et compte<br />

aujourd’hui 50 adhérents. à l’origine, les membres pratiquaient<br />

majoritairement le vélo de route plutôt que le<br />

VTT ; aujourd’hui cette tendance s’est inversée. Depuis<br />

11 ans maintenant, l’ACI organise une course annuelle,<br />

la Garoutade. Pour l’édition de 2007, la course a pris la<br />

forme d’un rando-raid, une seule boucle pour chacun<br />

des deux circuits de niveaux de difficulté différents.<br />

Ce type d’épreuve privilégie largement l’aspect physique,<br />

le circuit le plus facile comptabilisant 35 km de<br />

longueur pour un dénivelé de 1 200 m tandis que le circuit<br />

le plus difficile, a une distance de 72 km pour un<br />

dénivelé de 3 000 m, l’avantage d’avoir une seule boucle<br />

plus grande est de pouvoir alterner les phases de montée<br />

et de descente (ill. 3) car, en plus d’avoir une perception<br />

linéaire de l’espace, les vététistes en ont une vision<br />

topographique, leurs pratiques sont guidées par l’intérêt<br />

sportif et ludique. Outre cet événement annuel, les<br />

membres du club organisent deux sorties par semaine,


Les nouveaux usages de la <strong>montagne</strong><br />

479<br />

3 - répartition du dénivelé sur le tracé le plus dur de l’édition 2007 du rando-raid La Garoutade.<br />

les samedis et dimanches matins, elles sont réservées aux membres de l’ACI et<br />

le tracé de ces sorties est moins physique que celui de la Garoutade. Une fois<br />

par mois, une « sortie découverte » est organisée par le club, ouverte à tous.<br />

Les vététistes ne consomment pas uniquement l’espace à des fins ludiques,<br />

ils ont également conscience d’en être des acteurs et d’avoir un rôle à jouer.<br />

L’association cycliste illoise s’est en effet équipée, grâce notamment aux cotisations<br />

des membres, de tout le matériel nécessaire pour entretenir les chemins,<br />

soit deux débroussailleuses professionnelles ainsi que tout le petit matériel, tels<br />

des cisailles, sécateurs..., pour deux équipes de cinq personnes.<br />

Parmi les autres usagers de cet espace à des fins récréatives, les chasseurs<br />

dont les pratiques sont tout aussi fréquentes, se distinguent cependant dans les<br />

usages qui couvrent l’espace dans sa totalité. Ils comptent au total 219 licenciés,<br />

répartis en ACCA (associations communales de chasse agréée) : 150 à Illesur-Têt,<br />

25 à Montalba-le-Château et 44 à Rodès.<br />

La pratique cynégétique, très réglementée, se déroule selon un calendrier<br />

précis : la saison de chasse ouvre à la mi-août, c’est le sanglier qui est le premier<br />

gibier à être chassé, jusqu’à la mi-janvier, pour le gibier de plus petite<br />

taille, tel que le lièvre ou le perdreau, il faut attendre la mi-octobre. Mais,<br />

même lorsque la saison est ouverte, on ne chasse pas n’importe quel jour n’importe<br />

quel gibier, les mercredis, samedis et dimanches sont des jours de chasse<br />

pour le gros gibier (sanglier et chevreuil sur notre zone) et les lundis, mardis<br />

et vendredis des jours de chasse pour le petit gibier essentiellement à plume.<br />

Cette organisation scrupuleuse de la chasse a cependant été bouleversée par<br />

l’incendie de 2005. En effet, l’ampleur du sinistre a été telle que certaines des<br />

communes concernées ont modifié leur calendrier de chasse, chacune à leur<br />

manière, car elles n’ont pas toutes été touchées dans les mêmes proportions.<br />

Par exemple Montalba-le-Château n’a enregistré que 300 hectares brûlés à la<br />

bordure sud de la commune sur<br />

les 1 586 qu’elle comptabilise, ce<br />

qui n’a pas entraîné de grandes<br />

modifications pour les chasseurs.<br />

Par contre Ille-sur-Têt a vu une<br />

plus grande partie de son territoire<br />

de chasse incendié, ce qui a eu<br />

pour conséquence l’interdiction<br />

de la chasse du petit gibier sur les<br />

terrains sinistrés mais la chasse au<br />

gros gibier n’a subi aucune modification.<br />

Enfin la commune la plus<br />

ravagée par l’incendie est celle de<br />

Rodès où plus de mille hectares<br />

ont été touchés ce qui a eu pour<br />

conséquence de fermer la chasse<br />

pour la saison 2006, une décision<br />

prise par l’ACCA elle-même. les<br />

jours de sortie ont considérablement<br />

été réduits, ramenant la<br />

chasse du sanglier à une fois tous<br />

les quinze jours, tout comme ont<br />

été réduites les quantités autorisées<br />

de gibier prélevé.<br />

Outre l’organisation de la pratique<br />

de la chasse, les ACCA ont<br />

plusieurs rôles à tenir, toute l’année,<br />

même si l’activité cynégétique<br />

en elle-même est une activité<br />

saisonnière qui s’étend approximativement<br />

suivant les espèces<br />

chassées de la fin de l’été à la fin<br />

de l’hiver. Les chasseurs ne se<br />

contentent cependant pas de pratiquer<br />

un loisir, ils sont également<br />

des aménageurs du territoire, au<br />

sein de l’ACCA ils participent à<br />

de multiples activités annexes,<br />

notamment à vocation environnementale<br />

voire paysagère. à l’origine<br />

liées à l’amélioration générale<br />

des conditions de chasse, leurs actions<br />

peuvent avoir un impact positif<br />

sur le territoire communal.


480 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVII<br />

4 - Carte synthétique des aménagements et des pratiques cynégétiques sur le secteur incendié, l’auteur, 2007.<br />

Les chasseurs dans le cadre de l’ACCA sont donc en<br />

charge de l’entretien du territoire de chasse (ill. 4). Ils<br />

maintiennent en l’état les pistes DFCI par de menus travaux<br />

entre les gros œuvres dont le SIVOM (syndicat<br />

intercommunal à vocation multiple) assume la responsabilité.<br />

Les chasseurs s’occupent surtout des sentiers par<br />

des débroussaillements fréquents pendant l’intersaison<br />

et chaque membre est tenu d’être présent au moins trois<br />

dimanches par an qui sont réservés à l’entretien. Au-delà,<br />

l’association de chasse réalise de véritables aménagements,<br />

toujours dans le cadre de l’amélioration de la pratique<br />

cynégétique, les chasseurs deviennent en quelque<br />

sorte des agriculteurs afin de valoriser les potentialités de<br />

leur territoire de chasse et sa pérennité.<br />

Ils réhabilitent des parcelles à l’abandon recouvertes de<br />

maquis, qu’ils transforment en cultures faunistiques (ill. 6<br />

et 7). ces parcelles ont l’aspect de véritables labours, seule<br />

leur vocation change, il s’agit d’opérer des coupures au<br />

sein de la végétation très dense afin de faciliter les déplacements<br />

du gibier, mais également d’assurer le maintien<br />

de certaines espèces, en voie de disparition sur ces terroirs<br />

depuis le déclin de l’activité agricole. Dans le même esprit<br />

des mangeoires et des points d’eau (ill. 5) sont dispersés<br />

sur le territoire de chasse pour pallier les éventuels manques<br />

alimentaires. Dans tous les cas ces équipements doivent<br />

se trouver à des emplacements à l’abri, éloignés des<br />

sentiers et pistes, afin que le gibier ne se sente pas menacé.<br />

Toutes ces tentatives servent au maintien des effectifs qui<br />

pâtissent eux aussi de la déprise agricole, en particulier le<br />

petit gibier. Pour certaines espèces, comme le lapin, les<br />

chasseurs créent même des habitats artificiels pour favoriser<br />

leur implantation et leur développement, ce sont les<br />

garennes (ill. 7), des amas de branchage empilés de sorte<br />

à former un abri. Ils sont disposés à l’écart des pistes pour<br />

éviter le braconnage et sur des sols meubles où les lapins<br />

pourront faire leur terrier.


Les nouveaux usages de la <strong>montagne</strong><br />

481<br />

Outre les vététistes et les chasseurs, on trouve également<br />

les simples « promeneurs pédestres », plus sensibles au<br />

paysage du lieu de leur randonnée, mais également au patrimoine<br />

au sens large qu’ils vont pouvoir observer. C’est<br />

en grande partie pour eux que sont réalisés des aménagements<br />

de mise en valeur comme les circuits de randonnée.<br />

5- baraque réhabilitée par l’ACCA de Ille-sur-Têt en collecteur d’eaux pluviales, elle<br />

abrite une citerne d’une contenance d’1m 3 qui alimente un point d’eau pour le gibier,<br />

M. B-G, novembre 2006.<br />

6 - Champ près de Bélesta, (cl. Valérie Porra-Kuténi).<br />

7 - future culture à gibier fraîchement labourée pour être ensemencée, avec sur la<br />

gauche l’aménagement d’une garenne par l’amas de branchages.<br />

III - les aménagements et la valorisa-<br />

TIon du territoire<br />

Pour ce qui est de la mise en valeur d’un territoire communal<br />

« il ne s’agit plus de la sauvegarde de patrimoines<br />

au sens strict, mais de politiques municipales qui visent<br />

soit à construire un écrin paysager aux monuments les<br />

plus remarquables, soit tout simplement à embellir la<br />

commune. Dans un cas comme dans l’autre ces pratiques<br />

dénotent des préoccupations à caractère patrimonial ou<br />

tout du moins une sensibilité aux questions patrimoniales<br />

» (Browaeys X. et Chatelain P., étudier une commune,<br />

Armand Colin, Paris, 2005).<br />

Avant la catastrophe d’août 2005, le plateau et le versant<br />

portent déjà plusieurs formes de mise en valeur. Ces<br />

aménagements sont essentiellement ponctuels tels que des<br />

aires de pique-nique et table d’orientation. à ces aménagements<br />

existants vont venir se greffer de nouveaux parcours<br />

de randonnée. En effet le passage du feu en août 2005 a<br />

révélé des vestiges hérités des anciennes pratiques agricoles<br />

souvent oubliées, comme les pans entiers de versants couverts<br />

de feixes, les nombreuses cabanes de pierres sèches ou<br />

encore les anciens chemins empierrés ou emmurés. Ce sont<br />

autant d’éléments qui ont ravivé des projets pour la création<br />

de nouveaux sentiers et la restauration des anciens,<br />

deux projets sont actuellement en cours de réalisation.<br />

Sur la commune de Rodès, c’est l’association loi 1901<br />

appelée CERES (comité d’entretien et de restauration<br />

écologique des sentiers) créée en 2001 qui est à l’origine<br />

d’un projet de circuit de « sentiers des orris ». Le CERES<br />

compte aujourd’hui 23 membres. Depuis sa création le<br />

CERES se chargeait déjà avec d’autres associations comme<br />

l’ACCA d’entretenir régulièrement les chemins, tous<br />

les quinze jours à trois semaines, en nettoyant une portion<br />

de chemin. Le CERES avait également réalisé le balisage<br />

des itinéraires existants par des panneaux en bois mais<br />

l’incendie les a brûlés. C’est au lendemain du feu que le<br />

CERES a décidé de lancer un programme de réhabilitation<br />

des sites ravagés par l’incendie des 22 et 23 août 2005.


482 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Chapitre XVII<br />

8 - carte du tracé des quatre nouveaux itinéraires de randonnée sur la commune d’ Ille-sur-Têt.<br />

Ce programme porte sur trois points : tout d’abord la remise<br />

en état des vieux chemins à travers la création d’un<br />

circuit de quatre sentiers de quatre niveaux de difficulté<br />

croissante, puis la valorisation d’une partie des ruines du<br />

village médiéval de Ropidera et enfin le dégagement de<br />

certaines cabanes de pierres sèches, sélectionnées pour<br />

leur architecture ou leur état de conservation.<br />

à Ille-sur-Têt, la mairie en partenariat avec le CPIE<br />

Conflent (centre permanent d’initiative pour l’environnement)<br />

est à l’origine d’un nouveau circuit de randonnée<br />

sur le même principe que celui de la commune<br />

de Rodès. Il se compose de quatre tracés dont la difficulté<br />

va croissant du vert, le plus facile, en passant par<br />

le bleu, puis le jaune jusqu’au rouge le plus long (ill. 8).<br />

Cette fois encore les itinéraires choisis passent devant<br />

des sites remarquables du point de vue historique, paysager<br />

ou écologique. Il peut s’agir de ruines d’anciens<br />

villages tels que Casesnoves ou Ropidera, des anciennes<br />

bornes frontière (les pilons), des orgues d’Ille-sur-Têt.<br />

En plus du tracé des chemins et de leur sécurisation,<br />

leur balisage, le projet doit aboutir à l’édition d’un miniguide<br />

à l’intérieur duquel seront précisément décrits<br />

les points d’intérêt. Ce projet dispose d’un comité de<br />

pilotage auquel ont été incluses les associations concernées<br />

par la future utilisation des chemins, il s’agit de la<br />

battue d’Ille-sur-Têt, de l’A.C.I et des associations de<br />

randonneurs. C’est le conseil général qui se chargera de<br />

financer la réalisation.


Les nouveaux usages de la <strong>montagne</strong><br />

483<br />

CONCLUSION<br />

En conclusion, on peut dire que cet espace correspond<br />

à une marge rurale, mais qui est loin d’être désertifiée, elle<br />

est au contraire exploitée par de nombreux acteurs variés,<br />

en fonction de leurs logiques particulières, mais en<br />

l’absence de gestion globale. Il en ressort que les usages<br />

sont complètement segmentés et le site toujours exposé<br />

au risque incendie.<br />

Pour comprendre cela il importe de rappeler également<br />

que la zone d’étude est formée d’un ensemble de marges<br />

communales, pour les trois communes considérées, d’où<br />

la difficulté de les considérer comme un territoire à part<br />

entière, ce n’est que l’incendie et l’étude qui en ont fait un<br />

territoire. Autrement, dans les faits, ce territoire n’existe<br />

pas en tant que tel, il n’a existé que par l’incendie, dont<br />

les traces s’estompent. Cette situation de périphérie peut<br />

jouer un rôle quant au devenir de ces marges communales,<br />

sur l’évolution de leurs fonctions spatiales.<br />

En effet, à l’heure actuelle, ces communes ont une opportunité<br />

à saisir avec le développement du tourisme vert<br />

et l’explosion des activités de détente, elles peuvent effectivement<br />

offrir de vastes espaces naturels pour les loisirs<br />

ainsi qu’une multitude de sites d’intérêt naturel ou culturel.<br />

Cependant, pour capter cette nouvelle opportunité de<br />

développement et attirer les visiteurs, une volonté locale<br />

forte doit mettre en valeur et promouvoir le patrimoine<br />

potentiel. Les élus locaux en ont pleinement conscience,<br />

d’où le travail fait en ce sens, travail de promotion, de<br />

valorisation et d’accueil, jusqu’à recréer l’identité de cet<br />

espace en utilisant les éléments de son histoire, souvent<br />

oubliée, ainsi que les éléments naturels paysagers.<br />

Nous sommes donc face à un territoire qui, en un siècle,<br />

a profondément changé, s’adaptant plus ou moins<br />

bien au passage de la monoculture viticole spéculative<br />

à la fonction d’espace récréatif. Au sein d’une structure<br />

intercommunale, c’est pourtant l’initiative communale<br />

voire privée qui prime. Effectivement, toutes les actions<br />

que nous avons pu relever en faveur du développement<br />

local sont le fruit soit des communes concernées soit<br />

d’associations dont le siège est dans la commune en<br />

question.<br />

Pour améliorer cette situation, on peut imaginer des<br />

pratiques pastorales plus intégrées et associées aux mesures<br />

de lutte contre l’incendie mais également le développement<br />

d’autres pratiques ludiques, le site offre notamment<br />

un potentiel important pour l’escalade sur blocs<br />

granitiques comme c’est le cas à Targasonne ou Eus.


conclusion<br />

De l’histoire des paysages<br />

à la valorisation des sites<br />

Olivier Passarrius, Aymat Catafau, Michel Martzluff<br />

L’incendie du 22 août 2005 a balayé en une journée<br />

environ 1970 hectares de forêt et de maquis mettant le<br />

sol à nu, dégageant des murs de terrasses, des enclos,<br />

des chemins, des bâtiments et des villages abandonnés<br />

jusqu’alors inaccessibles, en dehors des sentiers tracés<br />

par les chasseurs et les randonneurs. L’approche menée<br />

dans le cadre de cette étude n’a pas été aisée à définir et à<br />

mettre en place compte tenu des délais très courts d’intervention,<br />

tout au plus quelques mois entre le passage<br />

de l’incendie – après que les premières pluies d’automne<br />

aient lavé le terrain – et le printemps où la repousse de<br />

la végétation a été rapide. C’est donc durant un hiver<br />

que la majorité des études de terrain a été réalisée par<br />

une équipe de six chercheurs encadrant une vingtaine<br />

de bénévoles, étudiants ou passionnés d’archéologie. Ce<br />

travail, durant les mois les plus froids de l’année dans un<br />

environnement pré-montagnard, a été accompagné par<br />

une recherche en archives, pour la collecte et l’étude des<br />

documents anciens et des plans.<br />

L’inventaire des sites archéologiques, les études sur le<br />

peuplement depuis la plus lointaine Préhistoire jusqu’au<br />

début du XX e siècle, ont été complétés par une réflexion<br />

sur le milieu et les paysages, associée à l’observation des<br />

aménagements visibles en surface par la prospection pédestre.<br />

Ce travail s’est concentré sur quelques secteurs<br />

choisis comme représentatifs des différents terroirs traversés.<br />

Cette approche globale de la <strong>montagne</strong> brûlée,<br />

cette archéologie du milieu – cette archéologie « écologique<br />

» menée dans un environnement protégé et classé au<br />

titre de Natura 2000 – a été réalisée sans grands moyens<br />

financiers et n’a pu aboutir que grâce à l’engagement des<br />

chercheurs, de leurs laboratoires et avec le soutien et le<br />

dynamisme des membres de l’Association Archéologique<br />

des Pyrénées-Orientales.<br />

Ces travaux ont pourtant débouché dès juin 2007 sur<br />

l’organisation de deux journées d’études à l’université<br />

de Perpignan où vingt chercheurs engagés sur ce projet<br />

– géologues, géographes, archéologues, historiens médiévistes,<br />

modernistes et contemporanéistes – ont échangé<br />

devant un public nombreux les premiers résultats de<br />

leurs travaux . Complétés par des études de laboratoire<br />

et approfondis, ce sont ces résultats qui sont présentés<br />

deux ans plus tard dans ce volume.<br />

L’interdisciplinarité de la recherche a été voulue dès<br />

le départ pour favoriser la complémentarité des approches<br />

et des observations, mais surtout pour susciter la<br />

confrontation et la validation des résultats. Le socle commun<br />

à tous ces travaux est bien entendu l’étude géomorphologique,<br />

dont le premier apport est la remise en cause<br />

d’une idée toute faite, très répandue, notamment chez les<br />

archéologues, celle d’une érosion agressive des massifs<br />

méditerranéens, continue dans l’espace et dans le temps.<br />

. Le réseau écologique Natura 2000 a été mis en place par l’Union Européenne,<br />

il a pour objectif de préserver la diversité biologique et de valoriser le<br />

patrimoine naturel de nos territoires.<br />

. Journées d’étude organisées les 1 er et 2 juin 2007 par l’association archéologique<br />

des Pyrénées-Orientales, l’université de Perpignan et le pôle archéologique<br />

départemental/conseil général des Pyrénées-Orientales.


486 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Sur le plan archéologique, les travaux de terrain ont<br />

montré que le peuplement du massif est loin d’être linéaire<br />

et qu’il est marqué par de profonds bouleversements<br />

où se succèdent des phases de conquête très étendue et<br />

de déprise profonde. Avant l’incendie, quatre sites étaient<br />

connus sur l’emprise du massif brûlé : les villages de<br />

Ropidera et de Casesnoves, bien entendu, grâce à leur état<br />

de conservation, avec leurs murs jaillissant bien au-dessus<br />

du dense maquis couvrant les pentes, et les oppida protohistoriques<br />

du plateau de Ropidera ou de la Cugulera où<br />

quelques tessons avaient été collectés. Les prospections<br />

menées après l’incendie ont permis d’inventorier 74 sites<br />

dont cinquante concentrations de mobilier attribuables à<br />

l’âge du Bronze . L’un des premiers apports de ces travaux<br />

est une meilleure connaissance de l’occupation du sol et<br />

une première réflexion sur le peuplement qui commence<br />

ici dès le Paléolithique.<br />

L’étude des très anciens peuplements se heurte ici,<br />

comme dans la plaine du Roussillon, aux problèmes de<br />

conservation et de dispersion des vestiges. Les industries<br />

archaïques taillées dans les roches locales (principalement<br />

des quartz et les jaspes du Conflent) ne sont pas<br />

attribuables à la Pebble culture, ni à l’Acheuléen ancien<br />

du Paléolithique inférieur. Il faut attendre la fin de la période<br />

pour en retrouver les premières traces sur le bassin<br />

de Rodès, généralement en position secondaire et déconnectées<br />

de leur contexte stratigraphique. Les bassins<br />

de Rodès-Vinça marquent d’ailleurs la fin de la zone de<br />

répartition de ces vieilles industries car plus haut, dans<br />

la vallée, les traces de ces peuplements sont occultées en<br />

surface ou gommées par l’érosion qui a fait disparaître<br />

presque toutes les formations antérieures à la dernière<br />

glaciation. Les industries faiblement éolisées et non patinées<br />

de l’Acheuléen final et du Paléolithique moyen, avec<br />

un débitage discoïde et parfois Levallois, sont désormais<br />

clairement attestées sur le plateau de Rodès, de part et<br />

d’autre de la vallée du Tarerach. Toutefois, un seul gisement<br />

semble conservé en sous-sol. Il a été reconnu sur un<br />

lambeau de vieille terrasse peu perturbée par les travaux<br />

aratoires, en rive gauche de la Têt, au sortir des gorges de<br />

La Guillera. Le Moustérien, dans sa phase évoluée, n’est<br />

réellement attesté que sur une seule station, remarquable<br />

mais détruite lors des travaux d’aménagement du barrage<br />

. Il faut y rajouter une vingtaine de cortals ou bergeries ruinés ainsi que<br />

300 cabanes à encorbellement.<br />

de Vinça à la fin des années 1970. L’absence totale de sites<br />

du Paléolithique supérieur, qui marque ici le peuplement<br />

de l’homme moderne, ne s’explique pas vraiment<br />

alors même que la vallée présente un axe de circulation<br />

fort entre le cœur de la chaîne des Pyrénées – où les occupations<br />

de cette période sont formellement attestées – et<br />

la plaine. L’absence de sites de plein air de la fin des temps<br />

glaciaires est plutôt à rechercher dans des problèmes de<br />

méthode d’approche, de conservation différentielle, d’accessibilité<br />

des anciennes terrasses, démantelées par les<br />

crues ou recouvertes par les alluvions.<br />

Les prospections pédestres menées sur le plateau et<br />

ses franges ont également révélé l’absence de sites du<br />

Néolithique, ce qui peut être interprété avec prudence<br />

comme une faiblesse, voire un vide dans le peuplement durant<br />

cette longue période des premiers pas de l’agriculture.<br />

Par contre, le massif incendié a livré une cinquantaine de<br />

sites archéologiques, attribuables à l’âge du Bronze avec un<br />

début d’occupation clairement attestée au Chalcolithique-<br />

Bronze ancien (à partir de 2200 avant J.‐C.). Cette occupation,<br />

sa datation et son ampleur, sur près de 150 hectares,<br />

sont inédites dans le département et représentent<br />

l’un des principaux apports du projet de recherche mis<br />

en place sur l’emprise du massif incendié de Rodès. C’est<br />

une organisation de l’espace hiérarchisée qui se fait jour<br />

avec « l’oppidum » ou habitat perché principal au centre,<br />

des secteurs secondaires sur les pentes avec probablement<br />

d’autres formes d’habitat, et enfin la base des versants qui<br />

aboutissent aux zones humides, aux prairies mises à profit<br />

pour l’élevage. Le pastoralisme est supposé avoir été la<br />

principale ressource de ces populations et l’extrême rareté<br />

des meules pour moudre le grain confirme aussi cette hypothèse.<br />

Cette occupation est également marquée par la<br />

pratique d’un artisanat original, de bracelets en chloritoschiste<br />

: 250 fragments de bracelets, finis ou simplement à<br />

l’état d’ébauche ont été collectés et étudiés dans cet ouvrage.<br />

Cela représente une collection d’objets rares – peutêtre<br />

des imitations de bracelets en bronze protohistoriques<br />

– dont la diffusion, en dehors du plateau, n’est pas<br />

encore connue : en effet aucun des sites archéologiques<br />

proches et possédant des stratigraphies de cette période<br />

(grottes de Montou à Corbère-les-Cabanes et de Bélesta<br />

par exemple) n’a livré d’objet similaire en roche tendre. La<br />

découverte d’un fragment de moule de fondeur en schiste<br />

corrobore le lien de ces sites avec une époque où la métallurgie<br />

est pratiquée.


Conclusion<br />

487<br />

Paysage de la <strong>montagne</strong> incendiée, au-dessus d’Ille-sur-Têt (cl. A. Catafau).<br />

Les nécropoles, les lieux d’inhumation de cette période,<br />

nous échappent ici totalement et il est fort probable que<br />

seuls des sondages systématiques permettraient de les<br />

localiser. Deux dolmens ont cependant été inventoriés<br />

durant ces prospections et ils sont à l’heure actuelle les<br />

seules constructions ou sites qui puissent être mis en relation<br />

avec le monde des morts, entre le Chalcolithique et<br />

le début de l’âge du Bronze.<br />

Sur l’ensemble de la zone étudiée, la déprise qui intervient<br />

à la fin de l’âge du Bronze est profonde et durable.<br />

Si les sites datés de l’âge du Fer sont souvent difficiles à<br />

identifier sur le terrain à partir de céramiques fragmentées<br />

et érodées, l’absence totale des indices toujours bien<br />

visibles d’une occupation antique constitue une caractéristique<br />

remarquable qu’il convient de souligner.<br />

La <strong>montagne</strong> se trouve alors à la frontière entre deux<br />

mondes, peut-être dans une zone vide ou faiblement<br />

peuplée (car un seul site a livré quelques traces de la fin<br />

de l’Antiquité) qui sépare deux groupes culturels que<br />

l’on différencie, pour l’instant, au moins dans la façon<br />

de couvrir les bâtiments, en tuiles plates et courbes en<br />

zone littorale, dans les zones fortement imprégnées par<br />

la romanisation, et en matériaux périssables dans une<br />

partie de l’arrière-pays, sur les communes de Bélesta-dela-Frontière,<br />

Trévillach et Caramany.<br />

Cette déprise amorcée à la fin de l’âge du Bronze est<br />

clairement perceptible sur le terrain. Les prospections de<br />

surface permettent d’identifier une période de repli de l’occupation<br />

humaine sur le plateau et les versants. Ces données<br />

doivent cependant être maniées avec prudence car<br />

elles ne reposent que sur l’observation des vestiges au sol.


488 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

De même, l’absence de site ayant livré des céramiques antiques<br />

ne signifie pas pour autant, il est vrai, un abandon<br />

complet du massif mais témoigne peut-être d’une nouvelle<br />

façon d’exploiter la <strong>montagne</strong>, où l’habitat ne serait<br />

plus directement en contact avec les zones de production<br />

mais concentré dans les vallées. Quoiqu’il en soit, le rapport<br />

des hommes avec la <strong>montagne</strong> a changé et l’on ne<br />

peut s’empêcher de penser que cette période d’atonie suggérée<br />

par la modification des implantations ne se soit pas<br />

accompagnée, au moins partiellement, d’une déprise du<br />

territoire, qui dure près de deux millénaires.<br />

La réoccupation du massif par l’installation d’habitats<br />

est illustrée par la mise en place de deux villages, probablement<br />

à la fin de l’époque carolingienne. Le village de<br />

Casesnoves se trouve dans la vallée, en bordure du fleuve,<br />

en bas du versant, mais son territoire s’étend en grande<br />

partie dans le massif. Le village de Ropidera est installé<br />

non loin d’un ruisseau, en bordure du plateau de Rodès-<br />

Montalba. Son état de conservation est exceptionnel et<br />

l’incendie a dégagé du maquis une trentaine de maisons<br />

dont certaines conservées jusqu’au second niveau. Le<br />

relevé des vestiges, sur près de deux hectares, a permis<br />

de dresser l’image de la dernière occupation du village<br />

avec des maisons qui s’étalent sous la pente, au pied de<br />

l’église fortifiée, le long de chemins qui organisent l’espace<br />

construit et ses environs. La taille des maisons étonne,<br />

avec des plans complexes et des parties réservées aux annexes,<br />

étables ou bergeries. La confrontation entre textes<br />

et archéologie permet, malgré l’absence de fouilles, de faire<br />

quelques hypothèses sur la genèse de ce site, et surtout<br />

de mieux connaître sa structuration puis les étapes et les<br />

causes de son abandon entre la fin du XIV e et le début du<br />

XVI e siècle. L’agencement du village, la présence de grandes<br />

maisons mixtes, d’enclos accolés aux bâtisses et de<br />

chemins bordés de hauts murs pour éviter les divagations<br />

du bétail témoignent d’une économie reposant en partie<br />

sur l’élevage, notamment sur celui des ovins-caprins au<br />

vu de la hauteur des murs (supérieurs à 1,50 m).<br />

Ces chemins, partis de la vallée, desservent les villages<br />

ou rejoignent les pâtures du plateau, ils sont fortement<br />

liés à la conduite des bêtes vers les pâturages, caractéristiques<br />

par leur largeur permettant le passage des troupeaux,<br />

par les hauts murs qui les flanquent pour éviter la<br />

divagation des bêtes dans les champs voisins, et jusqu’à<br />

leurs noms, drailles et carrerades qui rappellent les chemins<br />

de transhumance.<br />

La trame villageoise, en place avant l’an mil, constitue<br />

durant le Moyen Âge le schéma d’occupation exclusif<br />

de la <strong>montagne</strong>. L’habitat est groupé, près des églises de<br />

Ropidera et de Casesnoves, et les habitats dispersés sont<br />

rares, sur le terrain comme dans les textes. Cette hégémonie<br />

de l’habitat groupé aux dépens de l’habitat intercalaire<br />

(hameau, mas...) correspond à un schéma de peuplement<br />

récurrent en plaine littorale mais il est surprenant dans<br />

ce milieu pré-montagnard où l’on aurait pu croire que le<br />

mas, comme en Vallespir ou dans le massif des Albères,<br />

occupait dès le X e siècle une place plus importante.<br />

La désertion de ces villages, certainement progressive,<br />

débute à la fin du XIV e siècle, s’accélère au XV e siècle et<br />

est parvenue à son terme au XVI e siècle. Cette disparition<br />

de l’habitat, qui se transporte dans la vallée, sur la<br />

rive droite de la Têt, modifie considérablement et durablement<br />

le schéma d’occupation et d’exploitation du massif.<br />

La cabane à encorbellement fait son apparition et devient<br />

indissociable des terrasses. Ce casot (en catalan) ou « cabanon<br />

de vigne » est une remise, un abri pour le paysan<br />

durant les mois rigoureux et parfois aussi un habitat temporaire<br />

au temps des récoltes, à la belle saison, pour des<br />

paysans qui vivent dans la vallée, à Rodès, Vinça ou Illesur-Têt.<br />

L’élevage, que l’on devinait dans la forme et l’organisation<br />

des maisons abandonnées de Ropidera, reste une<br />

constante de l’économie et les prospections de surface ont<br />

mis en évidence, sur le plateau, une première génération<br />

de cortals, installés en bordure des zones humides utilisées<br />

comme prés ou pâturages. Ces constructions, simples<br />

enclos de pierres sèches flanqués d’un petit appentis<br />

souvent couvert de tuiles rondes (l’abri du berger ?), sont<br />

en relation avec des chemins de troupeaux dont certains<br />

sont déjà en place aux XIV e -XV e siècles (mais peut-être<br />

bien avant, si l’on en croit les propositions d’A. Vignaud<br />

fondées sur la répartition des sites de l’âge du Bronze).<br />

La synchronie entre la disparition de l’habitat groupé et<br />

la mise en place de cette première génération d’enclos et<br />

de cabanes témoigne d’une modification du rapport des<br />

hommes à la <strong>montagne</strong>. On n’y vit plus, du moins plus<br />

comme avant, l’habitat permanent laisse désormais la<br />

place à un habitat temporaire en relation avec les activités<br />

agricoles et pastorales aux rythmes saisonniers.<br />

Au Moyen Âge, de l’économie agricole telle qu’elle est<br />

perçue à travers les textes, même avec de beaux documents<br />

comme les capbreus, du type des « terriers » seigneuriaux,<br />

on ne connaît guère que les types de cultures pratiquées, et


Conclusion<br />

489<br />

Les ruines du pont-aqueduc médiéval de Labau (cl. A. Catafau).<br />

seulement sur les terres tenues pour le seigneur et payant<br />

des redevances. Ces éclairages restent partiels et occultent<br />

des éléments fondamentaux de la vie de la population rurale,<br />

par exemple les cultures vivrières des jardins proches<br />

des maisons, si essentielles à l’équilibre alimentaire des<br />

familles paysannes. L’image fournie par l’archéologie, avec<br />

l’étude des terrasses voisines des maisons, la reconnaissance<br />

de l’amendement qui s’y pratiquait, comme celle de<br />

certains terroirs plus éloignés du village, où les conditions<br />

naturelles du relief, de l’hydrographie et des sols permettaient<br />

une irrigation soigneuse, complète et nuance la vision<br />

des textes, en soulignant l’importance des conditions<br />

naturelles, du donné géographique et surtout la capacité<br />

des hommes du Moyen Âge à s’y adapter, à utiliser et dans<br />

une certaine mesure à transformer les éléments hérités de<br />

la géographie .<br />

. Sur les discussions à propos du donné géographique, du déterminisme et<br />

Le paysage dévoilé par l’incendie s’est construit durant<br />

l’époque moderne et beaucoup d’aménagements datent<br />

de cette période, même si l’armature médiévale est encore<br />

perceptible par endroits. L’étude systématique du<br />

paysage, confrontée au plan cadastral napoléonien et aux<br />

états de section, permet de cerner avec précision la morphologie<br />

des différents terroirs au début du XIX e siècle.<br />

Ce paysage, avec ses enclos, ses cabanes et ses terrasses à<br />

perte de vue, est encore en construction au XIX e siècle.<br />

Cette croissance agraire, qui repose essentiellement<br />

sur la monoculture de la vigne, complantée parfois de<br />

quelques oliviers, suit l’élan de l’accession des paysans<br />

aisés à la terre. La petite paysannerie défriche à tout va<br />

et construit des terrasses dans des endroits de plus en<br />

plus escarpés, parfois accrochées à des parois qui frôlent<br />

la verticalité, comme au-dessus du barrage de Vinça.<br />

des aménagements de l’espace par les sociétés, v. Catafau, 2009.


490 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

La culture de la vigne est traditionnelle sur ces coteaux,<br />

et l’arrivée du chemin de fer en Roussillon en 1858 (1869<br />

à Ille-sur-Têt) n’a eu qu’un impact limité sur le paysage,<br />

déjà en grande partie aménagé. Les grandes propriétés<br />

sont nombreuses au début du XIX e siècle mais l’ascension<br />

de paysans indépendants, qui contestent l’hégémonie<br />

des maîtres de la terre, fait naître un véritable mouvement<br />

républicain, dont nous gardons trace, à Rodès,<br />

grâce la préservation des pièces à conviction des conflits<br />

politiques et sociaux de la Seconde république.<br />

Ce monde plein, bouillonnant d’activité, bientôt perdu,<br />

connaît sa première grande crise dans les années 1850<br />

avec le début des problèmes phytosanitaires de la viticulture,<br />

quand des cas d’oïdium menacent les pieds de vigne.<br />

L’attaque est vite jugulée mais l’arrivée du phylloxéra au<br />

début des années 1870, après une courte période d’euphorie<br />

productive, marque le glas des terrasses de Rodès. Les<br />

parcelles se vident partout et les coteaux sont abandonnés.<br />

On reste au mieux au bas de la plus proche pente en rive<br />

gauche et surtout l’on descend en plaine, là où la culture<br />

mécanisée et les défonçages profonds sont facilités par des<br />

terrains irrigables plus accessibles et plus faciles à travailler.<br />

Rodès connaît à cette époque une hémorragie démographique<br />

et les agriculteurs qui représentaient encore au<br />

début du siècle 75 % de la population, ne sont plus que<br />

52 % en 1906. Les terres désignées sous le nom de pâtures,<br />

quasi-exclusives en 1914 sur la <strong>montagne</strong>, ne sont plus que<br />

des friches rarement parcourues par les troupeaux.<br />

Sur cet espace marqué par la forte présence du substrat<br />

minéral sont aussi apparues les traces discrètes laissées<br />

sur la roche par ceux qui ont activement participé à<br />

l’aménagement du milieu sur le bâti : tailleurs de pierre,<br />

tuiliers, chaufourniers parmi bien d’autres petits métiers<br />

liés au monde paysan, tels les charbonniers par exemple.<br />

Les études techniques de cet artisanat confirment l’évolution<br />

globale du peuplement. Dans les chaos du plateau<br />

granitique, les plus anciennes carrières de pierre à bâtir<br />

et de meules de moulin, installées non loin des habitats<br />

médiévaux, profitent de zones propices où le substrat<br />

permet un débitage qui met en œuvre des techniques<br />

simples de creusement au pic. Les savoirs plus élaborés<br />

de débitage par coins de fer sont attestés au XIV e siècle<br />

pour construire les villages de Ropidera et de Casesnoves,<br />

bien que l’essentiel des matériaux utilisés soit puisé dans<br />

le substrat géologique immédiat et simplement équarri<br />

au marteau. Un four de tuilier est probablement associé<br />

aux constructions de Ropidera. Ces carrières‐ateliers<br />

disparaissent pendant la période moderne au profit de<br />

quelques exploitations ponctuelles, dont l’une est clairement<br />

associée à l’aménagement agricole d’un versant du<br />

ravin du Bellagre. Ce sont alors les carrières itinérantes<br />

de Reglella, à Ille-sur-Têt, qui fournissent l’essentiel des<br />

meules et des pierres monumentales, en particulier pour<br />

construire les monuments dans les villes qui se développent<br />

en rive droite.<br />

Près de Bouleternère, en limite du brûlis sur le flanc<br />

oriental du Canigou, la mise en évidence d’une carrière<br />

de roches marbrières roses a permis une étude qui croise<br />

les données de l’archéologie, des textes et de l’analyse lithologique,<br />

ce qui n’avait jamais été fait pour ces matériaux.<br />

L’exploitation des éclats de débitage dans les fours<br />

à chaux est attestée et une étude préliminaire éclaire cet<br />

aspect mal connu. La position de cette carrière en limite<br />

de la plaine du Roussillon a soulevé la question de l’origine<br />

des marbres des monuments rousillonnais qui sont<br />

donnés en principe et depuis la période romaine, comme<br />

provenant des gisements de Villefranche-de-Conflent ou<br />

de Caunes-Minervois, dans l’Aude. Ainsi cette étude permet-elle<br />

de proposer avec prudence quelques pistes nouvelles<br />

pour l’identification des roches marbrières colorées<br />

dans les monuments médiévaux et modernes par rapport<br />

à d’autres sites d’extraction des Pyrénées de l’est.<br />

Entre 1850 et 1950, l’introduction de la modernité liée<br />

à la révolution des sciences et des techniques imprime<br />

son sceau dans le paysage sous forme de vastes carrières.<br />

La machine et l’explosif surimposent leurs effets spectaculaires<br />

au long et patient travail manuel du monde<br />

paysan. L’extraction de l’albite, minéral utilisé dans la fabrication<br />

des poteries, est ici originale par le fait qu’elle<br />

atteste de l’usage précoce d’explosifs rapides ; mais elle<br />

est encore mal située dans le temps, à la charnière des<br />

XIX e et XX e siècles. Parmi d’autres carrières d’extraction<br />

des roches granitiques ou calcaires pour les travaux<br />

publics, la vaste conque de La Devesa, creusée dans les<br />

gorges de Rodès entre 1915 et 1939 pour produire des<br />

pavés, constitue un site remarquable. L’étude historique<br />

et archéologique de cette industrie met le doigt sur une<br />

dimension particulière de l’archéologie de la société industrielle<br />

qui s’inscrit tout à fait dans un patrimoine en<br />

cours de valorisation par la collectivité départementale,<br />

en particulier avec le site de l’usine d’explosif Nobel à<br />

Paulilles.


Conclusion<br />

491<br />

Renaissance de la <strong>montagne</strong> brûlée au printemps (cl. A. Catafau).<br />

La petite carrière d’extraction du granite de Casesnoves,<br />

liée à l’atelier de sciage et de polissage d’Ille-sur-Têt après<br />

la seconde guerre mondiale, est le lointain écho d’un âge<br />

d’or de la taille des pierres dans le massif. Dans les chaos,<br />

l’extrême rareté du débitage des roches à l’explosif dans<br />

un trou foré à l’aide de petites barrines – une technique<br />

très utilisée pour transformer l’espace agricole autour des<br />

années 1900 dans les <strong>montagne</strong>s pyrénéennes – confirme<br />

une déprise quasiment achevée lors de la guerre<br />

de 1914‐18.<br />

Au terme de plusieurs mois de terrain, de trois années<br />

de recherches en laboratoire et dans les fonds d’archives,<br />

se dessine une histoire globale du massif incendié. Nous<br />

avons essayé de couvrir tous les champs rendus accessibles<br />

par la seule méthode de la prospection de surface<br />

en essayant de pousser au plus loin les hypothèses et en<br />

les confrontant, lorsque que cela était possible, aux documents<br />

d’archives. En l’absence ou en l’attente de validation<br />

par la fouille, il est possible de mettre en question<br />

la fiabilité de ce type d’approche dont les résultats restent<br />

parfois soumis à discussion. Les limites de la prospection,<br />

les nombreux facteurs susceptibles de biaiser<br />

l’analyse des données, ont systématiquement été pris en<br />

considération, en conséquence de quoi le discours peut<br />

paraître parfois mal assuré et les hypothèses nombreuses.<br />

Pourtant les apports de ce projet sont incontestables, son<br />

interdisciplinarité scientifique fait son originalité, et les<br />

données réunies ici marquent la première étape de la recherche,<br />

celle reposant sur une étude de surface, sur une<br />

recherche historique et documentaire, indispensables<br />

pour fixer clairement et avec force des problématiques<br />

susceptibles de guider désormais des études plus poussées<br />

et éventuellement des fouilles archéologiques sur ces<br />

massifs pré-montagnards.


492 Archéologie d’une <strong>montagne</strong> brûlée<br />

Ce qui frappe en fin de compte, ce sont les profonds<br />

changements que connaît l’histoire du peuplement de<br />

ce massif. L’absence de site du Néolithique est fortement<br />

mis en lumière par la densité impressionnante<br />

de concentrations de l’âge du Bronze sur le plateau.<br />

Quelques millénaires plus tard, l’absence de site de l’âge<br />

du Fer ou de l’époque romaine montre que le rapport à<br />

la <strong>montagne</strong> a encore changé, durablement et profondément<br />

car la déprise, en l’absence du moindre indice<br />

antique, semble totale et un retour au maquis, et à la<br />

forêt, est probable.<br />

La reprise, dans le courant du Moyen Âge, peutêtre<br />

dès l’époque carolingienne, est fortement marquée<br />

avec la mise en place des deux villages de Casesnoves<br />

et de Ropidera : la reconquête est cette fois-ci durable.<br />

L’implantation de l’habitat évolue ensuite avec l’abandon<br />

des villages de la Montagne brûlée au bas Moyen<br />

Âge, habitat permanent qui se concentre dans les villages<br />

rive droite de la Têt, sur la haute terrasse würmienne<br />

irriguée par les canaux que l’autorité publique<br />

y a installés, alors se développe une forme d’occupation<br />

temporaire sur l’aspre, au plus près des cultures et des<br />

troupeaux, avec les premières cabanes de pierre et les<br />

premiers cortals.<br />

La culture de la vigne occupait déjà les pentes au<br />

Moyen Âge et elle devint omniprésente au XIX e siècle.<br />

La période d’euphorie qui précède les crises viticoles<br />

de la seconde moitié du XIX e siècle et du début du<br />

XX e siècle, fut suivie d’un recul profond, radical. Le<br />

maquis revient en force encore une fois, efface le plus<br />

récent des paysages du massif, et peut-être pour longtemps<br />

désormais, entre deux incendies. Cette <strong>montagne</strong>,<br />

peuplée ou non, est intégrée de façon différente aux<br />

économies locales. Des formes d’utilisation ludique de<br />

la <strong>montagne</strong> y ramènent les villageois voisins, ou les citadins<br />

plus éloignés.<br />

La connaissance du patrimoine archéologique de la<br />

<strong>montagne</strong> brûlée de Rodès a également permis une prise<br />

de conscience sur la nécessité de préserver certains<br />

sites ou paysages remarquables. Le plateau de Rodès-<br />

Montalba-le-Château, les chaos aux abords des dépressions<br />

humides, sont des témoins, à ce jour uniques dans<br />

le département, des premiers habitats de la Montagne<br />

brûlée. Ce plateau constitue en fait un vaste site de la<br />

Préhistoire récente, de l’âge du Bronze, ou chaque plate-forme,<br />

chaos ou abri a fixé une occupation en rapport<br />

avec les débuts d’une activité pastorale qui, dans<br />

l’histoire du massif, ne surprend pas. L’élevage, la mise<br />

à profit des pâturages, est le fil conducteur de toutes les<br />

sociétés qui se sont succédées ici.<br />

Les travaux menés sur le village médiéval déserté de<br />

Ropidera ont livré des vestiges dans un état de conservation<br />

remarquable. Aujourd’hui, la forêt enveloppe à<br />

nouveau doucement les vestiges des maisons du Moyen<br />

Âge qui, avec leurs murs s’élevant encore parfois jusqu’au<br />

premier étage, font probablement partie des<br />

mieux conservés du département.<br />

Comme le souligne à juste titre Marc Calvet, l’idée d’un<br />

paradis perdu n’est ici (comme ailleurs ?) qu’une illusion.<br />

La plupart des aménagements visibles sont récents, tout<br />

au plus deux ou trois siècles... et ce monde s’est défait<br />

brutalement. Pourtant, ce labeur, qui a conduit les hommes<br />

à façonner le territoire pour en tirer leurs moyens<br />

de vivre, mérite notre attention, et mériterait aussi en<br />

quelques endroits choisis une protection et une mise en<br />

valeur autour de lieux, de constructions et de paysages<br />

saisissants mais fragiles. C’était aussi l’objectif de cette<br />

étude que d’attirer l’attention sur ce patrimoine, plus difficile<br />

à comprendre, à protéger et à valoriser, qui renvoie<br />

à un mode de vie et un rapport à la terre aujourd’hui<br />

perdus, mais qui imprègnent notre imaginaire d’urbains<br />

en ce début de XXI e siècle.


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Le 22 août 2005 un incendie détruit 1970 hectares de maquis et de<br />

forêt aux portes du Conflent, dans le département des Pyrénées-<br />

Orientales. Depuis la route qui longe la Têt, le regard est frappé par<br />

la variété du paysage révélé par le feu. Partout des terrasses, à perte de<br />

vue, accrochées à des pentes quasiment verticales.<br />

De la végétation calcinée émerge un vaste espace minéral transformé<br />

à la main par des générations d’hommes et de femmes. C’est l’histoire<br />

de ces hommes et de ces femmes, l’histoire de cette <strong>montagne</strong> brûlée<br />

et de ses paysages que nous avons voulu comprendre.<br />

Un projet d’étude diachronique des occupations humaines et de<br />

l’évolution des paysages a été mis en place dès l’automne 2005, avec des<br />

chercheurs d’horizons différents (archéologues, historiens, géologues,<br />

géographes). Cet ouvrage synthétise les résultats de quatre années de<br />

travaux.<br />

Pour la première fois après un incendie de forêt, l’archéologie restitue<br />

l’histoire d’une <strong>montagne</strong> des contreforts pyrénéens, depuis le<br />

Paléolithique et l’âge du Bronze jusqu’aux crises de la viticulture et<br />

aux industries disparues du siècle dernier.<br />

En espérant, pour une fois au moins, que no hi hagi mal que per bé no<br />

vingui, qu’à quelque chose malheur ait été bon.<br />

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