Dans les yeux de Julien taurines
Récit de vie par Justine Caizergues - Extraits choisis
Récit de vie par Justine Caizergues - Extraits choisis
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Julien Taurines
Sous la plume de Justine
Caizergues
Préface
Pendant une partie de ma carrière de judoka, j’ai eu la
chance de parrainer l’équipe de France paralympique pendant
plusieurs années. C’est donc à cette occasion que j’ai eu l’occasion
de faire connaissance avec Julien qui était le numéro 1 français dans
la catégorie des plus de 100kgs.
Lors de nos premières rencontres, la chose la plus
marquante c’est bien entendu la qualité du judo qu’il pouvait
produire et cela malgré son handicap. Mais en le côtoyant plus
régulièrement, c’est l’état d’esprit et le mental qu’il avait qui m’ont
le plus surpris.
En effet, j’ai découvert un homme qui était doté d’une
motivation et d’une persévérance hors norme. D’ailleurs et encore
aujourd’hui, il nous le prouve car même s’il a mis un terme à sa
carrière de judoka, il continue à se fixer des objectifs de haut
niveau ; il est ce que l’on peut appeler un sportif dans l’âme.
En tant que parrain mais aussi en tant qu’entraîneur, j’ai
toujours essayé de favoriser les entrainements entre les athlètes
valides et handisports. Cela permettait de donner une leçon
d’humilité aux athlètes valides. Au judo à travers notre code moral,
nous mettons toujours en avant les valeurs éducatives de notre
discipline.
Pour moi Julien restera un exemple et un ambassadeur de
ces valeurs.
Larbi Benboudaoud, champion du monde et vice-champion
olympique de judo
So
m m a i re
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Chapitre 1 : Résumé de ma vie
Chapitre 2 : La cécité au quotidien
Chapitre 3 : Une vue à 4 pattes
Chapitre 4 : Ma carrière sportive
Chapitre 5 : La boucle est bouclée
Quelques questions à Julien
Remerciements
Une association qui me tient à
cœur…..
Chapitre 1 : Résumé de ma vie
J’ai neuf ans.
L’opération de l’appendicite
que je viens de subir s’est
bien passée. Pourtant, mes
parents sont inquiets, pour
une bonne raison : on m’a
découvert une maladie
génétique appelée rétinite
pigmentaire. Ils m’annoncent
que je dois faire une croix
sur ma passion d’alors, que
je pratique à Carnon : le
BMX. Difficile à accepter
quand on est « petit »…
Je vais essayer de vous faire
vivre mon enfance semée d’embuches, ma carrière sportive de
bas puis de haut niveau, ma vie.
Ma maman va mieux que moi vous raconter ma
naissance et le début des difficultés :
Julien,
C’est le plein été, on est dimanche et tu t’annonces, je suis
heureuse, je t’ai tellement désiré.
À 14H après bien des difficultés, tu pointes ton nez. On te lave,
t’habille et nous voilà dans la chambre, tous les deux. Toi tu
pleures réclamant ton premier repas, et je suis perdue ne
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sachant comment te prendre dans mes bras. C’est la première
fois que je suis face à un nouveau né.
Ce n’est que le lendemain que nous découvrons que la nature
t’a doté d’un petit orteil en plus à chaque pied.
Arrivent les premières questions…
A deux ans tu portes tes premières lunettes et tu découvres
avec ravissement tout ce qui se passe autour de toi. Nous
prenons conscience du pourquoi de tes difficultés.
Tu as maintenant neuf ans, ta sœur six ans, le verdict tombe.
J’insiste auprès de l’ophtalmologiste qui te suit pour les
lunettes : pourquoi tu te heurtes aux obstacles, pourquoi, après
les promenades dans la nature, tu reviens toujours à la maison
avec les genoux écorchés ? Pourquoi tu es perdu dans la demiobscurité
à la maison et pourquoi le soleil t’éblouit et te gêne
autant ?
C’est un électrorétinogramme et des examens approfondis de
l’œil qui ont permis de mettre un nom sur le problème. Tu es
atteint d’une maladie génétique : la rétinite pigmentaire,
syndrome de Laurence Moon Bardet Bield.
D’autres examens suivront, des hospitalisations pour cerner les
difficultés. Les médecins hésitent à nous expliquer, nous
sommes en 1987 et bien que la génétique ait fait des avancées,
il y a des maladies dont on parle très peu.
Puis la vie s’organisera, d’abord à la maison où il faudra
prendre de bonnes habitudes, des repères puis il faudra
changer d’école pour un suivi scolaire plus approprié. De l’école
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de Villeneuve Les Maguelone, village où nous habitons, tu seras
à Montpellier en école privée.
Assez rapidement, c’est auprès d’une association de
Montpellier que nous trouvons du soutien pour envisager un
apprentissage du braille, même si tes yeux te permettent de
voir et de te déplacer seul. Plus les années passent et plus les
décisions sont difficiles à prendre. Tu fais du vélo cross, il faudra
le supprimer.
L’école de Montpellier ne correspond plus à ta scolarité et la
décision (pas facile à prendre) de te placer dans une école
spécialisée est envisagée. C’est à contre cœur que nous partons
pour Toulouse. La colère s’installe en toi, et nous pouvons le
comprendre, il y a des moments difficiles et l’acceptation de
l’éloignement de la maison en fait partie, tu as à peine 14 ans
et ni toi ni nous ne sommes vraiment prêts pour cette
séparation. Ce n’est que plusieurs mois voire années qu’un jour
tu nous avoues que tu te sens bien à Toulouse.
Entouré de nouveaux copains et d’éducateurs tu apprends
différemment, prends conscience de tes difficultés et
l’apprentissage du braille est maintenant encré dans ton
quotidien.
Vient le jour où ta rencontre avec Daniel Fourcade te permet de
t’initier à différents sports. Tu vas t’essayer à l’aviron, au
torball, la lutte, le lancer de poids puis viendra le judo.
J’étais donc à l’école publique de Villeneuve-les-
Maguelone. J’habitais une de ces vieilles maisons de village
dans le centre de celui-ci, face à la place publique, avant que
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Pour finir, la compétition de B1 a été annulée. Je me
retrouve dans une classique : B1, B2 et B3 mélangés (ces
catégories s’établissent en fonction du déficit de vision, d’un
certain angle de champs de vision…)
Grande déception pour moi. Nous nous retrouvons
contre les russes pour la médaille de bronze, et elle va à
nouveau se jouer sur mon combat, il y a 2-2. Je me fais
étrangler, et je tape juste avant de tomber dans les pommes.
Fin de carrière difficile, j’aurais aimé offrir cette médaille aux
plus jeunes qui combattaient avec moi…
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Ma rencontre avec Teddy Riner
En 2014, l’Equipe 21 me contacte pour un petit
reportage. Malgré mes nombreuses demandes pour savoir en
quoi cela va consister, je n’obtiens aucune réponse. Le matinmême,
au gymnase de Levallois (le club de Teddy), ils
m’annoncent que je vais être le prof de Teddy Riner, qui va se
mettre dans ma peau le temps d’une séance de judo ! Je suis
surpris mais me prends au jeu ; ils lui bandent les yeux, il est
obligé de me faire confiance. Je le tourne et le retourne dans
tous les sens pendant l’échauffement en courant pour lui faire
perdre ses repères. À un moment donné, je le laisse dans un
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coin et m’éclipse discrètement. Il devient fou : « Où es-tu ? Je
ne bouge pas », je ne réponds pas… Puis je vais devant lui tout
doucement, il sent ma présence et m’attrape… Un bon
moment de rigolade ! Nous faisons des petits combats après
que je lui aie décortiqué un mouvement de judo (O’Soto Gari).
Il s’en sort bien, et reconnait que c’est impressionnant
de ne pas voir où l’on va chuter… Il part en me lançant un défi :
« Un jour, nous ferons un vrai combat ! »
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Humour et handicap
Un jour, j’ai été contacté avec d’autres sportifs
handicapés par des journalistes apprentis reporters pour
passer une journée avec un artiste qui se mettrait dans notre
peau. On m’a proposé de faire faire du judo à Eric Antoine,
magicien humoriste. Une expérience rigolote ! Les reportages
s’appelaient « différents comme tout le monde ».
Plus de judo mais…
J’ai hésité à passer le brevet d’état pour devenir
professeur de judo. Mais ma cécité aurait rendu les choses trop
difficiles : comment corriger des erreurs que je ne verrais pas ?
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Par contre, lorsque les clubs me contactent, je m’y
rends volontiers pour rencontrer les jeunes et leur parler de
mon expérience, du handicap. Je leur mets les masques que
l’on nous distribue dans les avions et leur fais faire des petits
jeux. Je me rends également dans les écoles pour expliquer aux
enfants comment l’on peut faire du sport en étant handicapé.
Une fois, l’un de mes amis, qui travaille à la prison de
Villeneuve-lès-Maguelone, m’a sollicité pour faire une journée
de judo avec les prisonniers. Nous étions trois de l’équipe de
France. J’étais moyennement en confiance car les prisonniers
essayaient rapidement de faire la bagarre, mais ça s’est quand
même très bien passé. Par contre, le bruit des lourdes portes
métalliques qui se ferment est encore plus effrayant lorsqu’on
n’y voit pas : j’étais bien content de ressortir !
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PALMARES
12 fois champion de France :
2002 ; 2003 ; 2004 ; 2005 ; 2006 ; 2007 ; 2008 ; 2009 ; 2010 ; 2012;
2014 et son ultime titre de champion de France à Houlgate (Basse
Normandie) le 30 janvier 2016
Championnat d'Europe :
Médaillé d'Or par équipe et médaille d'argent en individuel à
Rotterdam en 2005
Médaillé d'argent en individuel à Bakou (Azerbaïdjan) en 2007
Médaillé d'argent en individuel et bronze par équipe à Crowley
(Angleterre) en 2011
Médaillé de bronze en individuel à Eger (Hongrie) en 2013
En 2015 - 5 e en individuel et 2 e par équipe
Championnat du Monde :
Médaillé d'argent par équipe et bronze en individuel à Rome
(Italie) en 2002
Médaillé d'argent par équipe et bronze en individuel à Brommat
(France) en 2006
Médaillé de bronze par équipe à Antalya (Turquie) en 2011
Jeux paralympiques :
Participation en 2004 à Athènes (Grèce)
Médaille de bronze en individuel à Pékin (Chine) des + de 100kg en
2008
Participation en 2012 à Londres (Royaume Uni)
Participation aux premiers jeux européens à Baku en 2015
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