23.04.2013 Views

Une approche critique du modèle dominant de prévention du risque chimique

Une approche critique du modèle dominant de prévention du risque chimique

Une approche critique du modèle dominant de prévention du risque chimique

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

B. Mohammed-Brahim & A. Garrigou<br />

revue électronique<br />

L’apport <strong>de</strong> l’ergotoxicologie<br />

fourni par l’enquête SUMER 1994, réalisée dix années auparavant, ce chiffre est en augmentation.<br />

On assiste également à un allongement <strong>de</strong>s <strong>du</strong>rées hebdomadaires d’exposition et à la multiplication<br />

<strong>de</strong>s expositions multiples d’un même salarié. L’enquête révèle l’exposition <strong>de</strong> nouvelles catégories<br />

professionnelles jusque-là épargnées, en particulier en raison <strong>de</strong> la polyvalence. La population exposée<br />

est plutôt jeune : près d’un salarié exposé sur <strong>de</strong>ux a moins <strong>de</strong> 24 ans, ce qui peut augurer <strong>de</strong><br />

nombreux problèmes <strong>de</strong> santé à venir.<br />

Parmi les salariés exposés, plus d’un sur trois l’est à <strong>de</strong>s substances et préparations cancérogènes<br />

(Guignon, & Sandret, 2005). Plus d’un quart l’est <strong>de</strong> façon importante <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> la <strong>du</strong>rée d’exposition<br />

ou/et <strong>de</strong> l’insuffisance <strong>de</strong>s protections collectives. L’inventaire réalisé par l’INRS estime la<br />

consommation annuelle <strong>de</strong> 324 agents <strong>chimique</strong>s CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques)<br />

à 4,8 millions <strong>de</strong> tonnes en France en 2005.<br />

Ces expositions se tra<strong>du</strong>isent par une progression sensible <strong>de</strong>s maladies professionnelles réparées<br />

malgré la sous-déclaration que soulignent les étu<strong>de</strong>s publiées (Bilger, Badouin, Bonnet, & Larroze,<br />

2004). En effet, sur la même pério<strong>de</strong>, les cancers reconnus comme maladies professionnelles ont progressé<br />

<strong>de</strong> 56 % pour les affections liées à l’exposition aux poussières d’amiante, et 50 % en moyenne<br />

(42 – 58 %, selon l’affection) pour les affections liées à l’exposition à <strong>de</strong>s substances organiques.<br />

L’Institut National <strong>de</strong> Veille Sanitaire (Buisson, Bourgkard, Goldberg, & Imbernon, 2004) estime<br />

que 13 à 29 % <strong>de</strong>s cas inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> cancers broncho-pulmonaires chez l’homme, 10 à 14 % <strong>de</strong> ceux<br />

<strong>de</strong> la vessie et 5 à 18 % <strong>de</strong>s leucémies seraient attribuables aux expositions professionnelles. Le nombre<br />

<strong>de</strong> décès attribuables à ces expositions varierait entre 2946 à 5930 sur une mortalité masculine <strong>de</strong><br />

22259 pour ces trois sites ou affections. Les chiffres rapportés par le Giscop93 (Groupement d’intérêt<br />

scientifique pour la surveillance <strong>de</strong>s cancers d’origine professionnelle) sont encore plus alarmants.<br />

84 % <strong>de</strong>s personnes atteintes <strong>de</strong> cancers dans le département <strong>de</strong> la Seine-Saint-Denis ont été exposées<br />

à <strong>de</strong>s cancérogènes au cours <strong>de</strong> leur vie professionnelle (Thébaud-Mony, 2008)<br />

En même temps, on constate l’émergence <strong>de</strong>s affections respiratoires et cutanées <strong>de</strong> mécanisme allergique<br />

: elles progressent respectivement <strong>de</strong> 13 et 16 % <strong>du</strong>rant la seule <strong>de</strong>uxième moitié <strong>de</strong> la décennie.<br />

Nos premiers travaux sur les <strong>risque</strong>s différés liés à l’exposition aux pestici<strong>de</strong>s mettaient déjà en<br />

évi<strong>de</strong>nce le développement <strong>de</strong> troubles neurocomportementaux (Baldi, Filleul, Mohammed-Brahim,<br />

Fabrigoule, Dartigues, Schwall, et al., 2001 ; Bouillard-Dalbos, Baldi, Filleul, & Mohammed-Brahim,<br />

2001) et <strong>de</strong> pathologies neurodégénératives (Baldi, Lebailly, Mohammed-Brahim, Letenneur,<br />

Dartigues, & Brochard, 2003).<br />

1.- Rappel historique <strong>du</strong> développement <strong>de</strong> l’ergotoxicologie<br />

Les préoccupations <strong>de</strong> l’ergonomie pour les <strong>risque</strong>s <strong>chimique</strong>s et la toxicologie remontent à une<br />

vingtaine d’années. Delvové (1984) fait partie <strong>de</strong>s premiers auteurs qui soulignent l’intérêt d’une<br />

<strong>approche</strong>, qui dans la complexité d’une situation <strong>de</strong> travail, prenne en compte les <strong>risque</strong>s et les coûts<br />

réels <strong>de</strong>s organismes soumis aux atmosphères toxiques. C’est probablement à Villate (1985, p. 303)<br />

que l’on doit la première mention d’« une <strong>approche</strong> ergotoxicologique » qui « implique que, dès à<br />

présent, on utilise les normes comme points <strong>de</strong> repère plutôt que <strong>de</strong>s certitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> non-danger. Elle<br />

implique que la toxicité <strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>its <strong>de</strong>vrait être évaluée à partir <strong>de</strong> la prise en compte <strong>de</strong>s caractéristiques<br />

<strong>de</strong>s travailleurs qui sont exposés, âge, sexe, ancienneté au poste <strong>de</strong> travail, antécé<strong>de</strong>nts<br />

médicaux et évi<strong>de</strong>mment, activité <strong>de</strong> travail ».<br />

Cette <strong>approche</strong> ergotoxicologique s’est ensuite développée au milieu <strong>de</strong>s années 80, dans le sillage<br />

<strong>de</strong> l’anthropotechnologie élaborée par Wisner (1997). Le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> l’antropotechnologie en<br />

matière <strong>de</strong> toxicologie a été l’analyse <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s agriculteurs dans les pays tropicaux.<br />

À partir <strong>de</strong> premières préoccupations principalement physiologiques en termes <strong>de</strong> pénibilité, <strong>de</strong><br />

travail en ambiance chau<strong>de</strong> et <strong>de</strong> consommation d’énergie, Wisner a abordé l’exposition <strong>de</strong>s agriculteurs<br />

aux pro<strong>du</strong>its phytosanitaires. Il reprend les travaux <strong>de</strong> Silva et al. (Silva, Clemente, Da Silveira,<br />

Meireles, De Simoni, Carvalho, et al., 1980) pour poser les enjeux en matière <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s agricul-<br />

Activités, avril 2009, volume 6 numéro 1 50

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!