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PSYCHOPATHOLOGIE Les Psychoses

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

<strong>PSYCHOPATHOLOGIE</strong><br />

J-C Maleval<br />

Licence 3<br />

2005/2006<br />

<strong>Les</strong> <strong>Psychoses</strong><br />

V. La clinique de la forclusion du Nom-du-Père.<br />

2. Le délire n'est pas un rêve éveillé.<br />

Par rapport à beaucoup de théories post-freudiennes de la psychose, la conception lacanienne<br />

présente la spécificité de n'être pas fondée sur la notion de la régression à un stade ou un matériel<br />

archaïque. Contrairement aux thèses des Kleiniens, de Federn...<br />

On conçoit que dans cette perspective on soit toujours plus ou moins conduit à identifier<br />

psychose et rêve éveillé. Dans les 2 cas : envahissement de la pensée par les processus primaires,<br />

ceux qui procèdent par déplacement et condensation pour coder le message du rêve.<br />

On croit souvent que l'enseignement de Freud s'accorde avec cette thèse. Or s'il est exact<br />

qu'il en fit un temps l'hypothèse, il était trop rigoureux pour ne pas s'apercevoir qu'elle ne résiste pas<br />

longtemps à un examen critique.<br />

Dès son article sur L'inconscient (1915) et Complément métapsychologique à la théorie du<br />

rêve (1917), la différence décisive apparaît à Freud entre la schizophrénie et le travail du rêve. Dans<br />

le rêve, la circulation est libre entre investissement de mots préconscients et investissement de<br />

choses inconscientes. C'est ce qui rend possible l'interprétation du rêve par connexion du mot et des<br />

images. Or il est caractéristique de la schizophrénie que la circulation entre le mot et la chose soit<br />

coupée.<br />

Dans la schizophrénie les représentations de mots préconscients sont l'objet de l'élaboration<br />

par le processus primaire (au niveau des mots et pas au niveau des images du rêve). Ce qui a pour<br />

conséquence, d'une part la prévalence des troubles du langage dans la psychose et sur laquelle Lacan<br />

insistera en soulignant dans la psychose, l'intrusion psychologique du signifiant (dans la conscience)<br />

(signifiant : élément sonore détaché de la signification). D'autre part, la rupture schizophrénique<br />

entre la représentation de mots et la représentation de choses implique que le délire n'est pas<br />

interprétable à la façon du rêve.<br />

Freud ne conserve le modèle onirique de la psychose que pour une autre forme, l'amentia :<br />

rêve éveillé, angoissant qui est interprété après coup (confusion mentale, psychose hystérique).<br />

Lacan insiste sur la distinction entre le rêve et la folie (=délire). Lacan (55) :<br />

"Je relisais dans L'interprétation des rêves, une note à propos des mécanismes de la<br />

psychologie du rêve où Freud cite Jackson : 'Trouvez la nature du rêve et vous aurez tout ce que l'on<br />

peut savoir sur la démence ou la folie' (Jackson : neurologue anglais). Et bien c'est faux, cela n'a rien<br />

à voir, ça manie sans doute les mêmes éléments, mêmes symboles, et on peut trouver des analogies,<br />

mais cette perspective n'est pas la nôtre (celle de la psychanalyse). Pourquoi un rêve n'est-il pas une<br />

folie et inversement? Ce qu'il y a à définir dans la folie, c'est en quoi son mécanisme déterminant n'a<br />

rien à voir avec ce qui se passe chaque soir dans le rêve. La forclusion du Nom-du-Père n'a rien en<br />

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commun avec la logique du rêve. Elle ne suscite pas un retour du refoulé construit comme une<br />

formation de compromis (entre pulsion inconscientes et force du moi) et déterminé comme un désir<br />

ignoré. Elle (la forclusion du Nom-du-Père) tente à produire une construction signifiante, le délire,<br />

qui vise à colmater une insupportable béance dans le champ du symbolique (langage), une<br />

inadmissible absence de garanties de tout discours. Le modèle onirique n'est nullement pertinent<br />

pour appréhender la logique du délire."<br />

Outre les distinctions dégagées par Freud, il faut encore souligner les différences suivantes :<br />

-<strong>Les</strong> troubles du langage : néologismes, phrases interrompues, coq-à-l'âne, ne se<br />

rencontrent pas dans les rêves, sauf de façon exceptionnelle ou transitoire.<br />

-Il n'est point de règles que les rêves soient orientés vers un appel au père pacificateur<br />

(règle pour le délire). <strong>Les</strong> rêves sont déterminé par l'accomplissement symbolique d'un désir refoulé.<br />

La nécessité de l'appel au père peut conduire le psychosé à une rupture radicale avec sa<br />

fantasmatique et ses croyances intérieures.<br />

-<strong>Les</strong> phénomènes élémentaires de la psychose (intuition, sens particuliers,<br />

hallucinations discrètes, irruption du signifiant...), particulièrement décelables au début des troubles,<br />

s'avèrent souvent athématiques (insensés), comme l'a montré De Clérambault. Ce n'est pas le retour<br />

du refoulé qui les suscite mais la rupture de la chaîne signifiante du fait de la carence paternelle,<br />

libérant ainsi des éléments de langage qui se mettent à parler tout seul ou à prendre un poids<br />

particulier pour le sujet, indépendamment de la volonté du sujet (automatisme mental : "ça parle en<br />

moi" / perte de la propriété privée du langage). Ne se rencontre pas dans le rêve (sentiment que le<br />

sujet fait le rêve).<br />

-L'écho de la pensée ne se rencontre jamais dans le rêve (= sonorisation de la pensée).<br />

Il n'est pas rare qu'une psychose débute par des hallucinations verbales (différentes des hallucination<br />

auditives qui supposent un trouble de la perception / verbales : trouble du langage) qui donnent au<br />

sujet l'impression qu'on répète ses propres pensées, qu'on énonce ses intentions, ses actes. C'est le<br />

syndrome d'automatisme mental (S) de De Clérambault (d'actions extérieures pour d'autres auteurs)<br />

qui se rencontre à la base d'un grand nombre de psychoses.<br />

Le délire n'est pas un rêve, il a un fonctionnement différent.<br />

3. <strong>Les</strong> troubles du langage<br />

a. La rupture de la chaîne signifiante<br />

L'automatisme mental est une conséquence de la forclusion du Nom-du-Père. Il ne faut pas<br />

confondre ce terme avec automatisme psychologique de Janet.<br />

Automatisme mental : les névroses s'expliqueraient par la faiblesse des fonctions supérieures<br />

(la raison) de synthèse de la conscience. De sorte que si la conscience ne peut mettre de l'ordre dans<br />

le monde, il y a phénomène d'automatisme mental, moins rationnel, comme dans le rêve :<br />

fonctionnement insensé de l'esprit (selon Janet).<br />

En psychanalyse, le sujet sain est le sujet qui accepte qu'une part de lui même lui échappe, ce<br />

n'est pas celui qui maîtrise. Pour Janet, la partie qu'on ne maîtrise pas est pathologique. S'il y a<br />

faiblesse, cela libère les mécanismes du subconscient (pas orienté par le désir, éparpillement de<br />

l'esprit). Le conscient n'est pas suffisamment fort pour Janet. Cure du subconscient = cure de<br />

sommeil(pour la conscience fatiguée).<br />

L'automatisme psychologique de Janet désigne l'envahissement de la conscience par le<br />

matériel onirique. Cette thèse, combattue par Freud qui faisait remarquer qu les hystériques n'avait<br />

pas,en général, de diminutions intellectuelles, se trouve pourtant parée d'un discours new look avec<br />

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des psychanalystes du moi qui privilégient la faiblesse du moi contre la dynamique de l'inconscient.<br />

Selon De Clérambault, c'est sur le socle de phénomènes élémentaires, constitués pour<br />

l'essentiel par la dérive de certain éléments de la chaîne signifiante que le délire prend naissance.<br />

(Exemples de phénomènes élémentaires: énonciation des actes, écho de la pensée, intuition,<br />

dialogues des voix = autonomisation de phénomènes du langage)<br />

Exemple de phénomènes à l'orée de la psychose clinique :<br />

Jeune homme souffre de céphalées et fatigue générale qui l'obligèrent à interrompre ses<br />

études. Dans le même temps, il devient triste, s'isola, passa des journées à rêvasser. Puis apparurent<br />

une série de phobies, scrupules, une sorte de cérémonial obsessionnel, troubles cénesthésiques de<br />

caractère absurde, des troubles du cours de la pensée.<br />

"Je ne suis jamais sûr de moi, ni de mes pensées, j'ai peur de penser tout haut, je ne vais plus<br />

à l'église de peur de parler tout haut sans m'en rendre compte..."<br />

Pour faire la différence entre névrose et psychose : qu'est-ce que vous diriez si vous parliez tout<br />

haut? L'obsessionnel le sait, il dirait des cochonneries, le psychotique ne sait pas spécialement.<br />

"...Je pense toujours, ça défile, je ne peux arriver à penser à rien, toujours ma tête pense, je<br />

suis étourdi." (ici, c'est la tête qui pense, l'obsessionnel sait que c'est lui qui pense)<br />

A un degré plus accentué d'émancipation du signifiant, on arriverait aux "serinages" ou<br />

ritournelles, aux phrases interrompues, à ce que Schreber nomme "les pensées de ne penser à rien".<br />

A partir desquels par association métonymique (assonances) le délire peut commencer à se<br />

construire.<br />

b. L'intrusion psychologique du signifiant<br />

Dans la psychose, il se produit un envahissement du signifiant qui va se vider du signifié à<br />

mesure qu'il occupe plus de place dans la relation libidinale et investit tous les moments, tous les<br />

désirs du sujet.<br />

Ce processus d'envahissement de la relation libidinale trouve sa forme la plus développée<br />

dans la psychose de Louis Brisset ou de Wolfson.<br />

Brisset: travaux linguistiques, car il a l'intuition d'avoir trouvé la langue originale. Sa thèse<br />

délirante tient dans l'affirmation: "le calembour est le jeu de l'esprit, cette chose méprisée que Dieu a<br />

choisi pour confondre les sages de la terre". Avec les calembours, on peut avoir accès à la langue<br />

originelle. Il découvre les origines dans les signifiants français.<br />

Ex: cétacés = "c'est assez", épouvantable = "l'époux vend la table"<br />

Ceci mobilise son investissement libidinal pendant des années.<br />

Wolfson: ne supporte pas d'entendre les signifiants anglais. Il se bouche les oreilles ou<br />

traduit ces signifiants dans une langue qui n'existe pas.<br />

Ex: early = urlich (évoque l'allemand, mais ce n'est pas de l'allemand)<br />

Wolfson se dit étudiant en langue schizophrénique, tente de se protéger de l'anglais et<br />

s'attache plus aux formes et sons (signifiants) des mots. (Il écrit "le schizo et les langues" en<br />

français) Après la mort de sa mère, il part au Québec pour moins entendre l'anglais.<br />

L'intrusion psychologique du signifiant, la prise du mot à la lettre se manifeste en général de<br />

façon plus discrète, subtile.<br />

Exemples de prise du mot à la lettre (indice diagnostic) :<br />

-Un sujet voit un marteau oublié sur le bureau de son analyste, il se fâche, car il croit<br />

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que son analyste a voulu lui signifier qu'il est marteau.<br />

-Un individu tue un de ses voisins et laisse un morceau de cerceau devant la porte =<br />

"mort-sot" et ainsi il "sers-(les)-sots".<br />

-Un jeune homme lit un texte sur les hystériques et se croit hystérique. Mais avant de<br />

venir, il voit sur un camion "A.B. Dick" et sait que c'est parce que ses parents veulent qu'il abdique<br />

ses prétentions.<br />

-Une patiente raconte à son médecin que sa belle-sœur lui a envoyé 13 œufs par un<br />

colis postal et a mis son nom sur la partie inférieure de la boîte, ce qui veut dire que c'est une<br />

personne inférieure et que des personnes comme elle il y en a 13 à la douzaine.<br />

Intrusion psychologique du signifiant pour Lacan, logolâtrie pour la psychiatrie classique,<br />

nombreuses altérations du langage pour Freud, tous les cliniciens s'accordent pour souligner la<br />

présence de tels phénomènes chez les psychotiques.<br />

c. Néologismes et ritournelles<br />

Ils constituent les troubles du langage les plus souvent soulignés parmis ceux qui sont<br />

induits par la forclusion du Nom-du-Père.<br />

<strong>Les</strong> néologismes: mots nouveaux, créations originales ou bien un mot de la langue courante<br />

détourné de son sens.<br />

<strong>Les</strong> mots nouveaux: néologisme lexical. ex: foudroyantissimeur (frappe à distance). Pour le<br />

sujet, ça veut dire quelque chose même s'ils ne sont pas toujours facile à comprendre. ex: un enfant<br />

psychotique à peur des "gluck-gluck" qui sont des...<br />

<strong>Les</strong> mots détournés de leur sens: néologismes sémantiques. ex: "croyez-vous que ce qui<br />

m'arrive est pénitencier?", "galopiner" (exemple de Lacan). Mots qui prennent un poids particulier<br />

pour le sujet.<br />

<strong>Les</strong> ritournelles sont des paroles vides qui insistent dans la parole du sujet. Schreber décrit<br />

de telles rengaines qui s'imposent à lui, des voix qui venaient du Dieu inférieur et:<br />

"n'énonçaient qu'un ramassi de boniments serinés comme une mécanique. Quant au contenu<br />

de leur discours, il se résume à une façon d'imbécillité neutre. On rabâche sans arrêt par exemple,<br />

David et Salomon, salade et radis, petit tas de farine. A la longue, on peut s'accoutumer à l'intrusion<br />

dans sa tête de menus propos insensés, dans la mesure où leur insignifiance permet plus facilement<br />

de les assimiler à des pensées de ne penser à rien." (Formules vides, ritournelles, car souvent ce sont<br />

des hallucinations qui injuries le sujet)<br />

Un autre sujet s'imagine mettre fin aux attaques de ses persécuteurs en prononçant ces<br />

simples mots: "Colonie du Cap Kascob".<br />

Une des premières études importante sur les néologismes (dans le sens: à quoi ça sert) fut<br />

l'œuvre du psychiatre Tanzi (1890). Il constate que ces termes sont pauvres et incolores quand ils<br />

sont rencontrés dans des pathologies autres que la paranoïa:<br />

"Ceux des maniaques (manie: exaltation de l'humeur, fuite des pensées, logorées), rares et<br />

vite oubliés, sont le fruit d'une idéation (imagination) qui se cherche. Ceux des délirants fébriles<br />

(syphilis: délires oniriques et fièvre) et des déments proviennent de troubles mnésiques et consistent<br />

le plus souvent en mutilations futiles, en débris de vocables. Tous constituent le résultat d'une ruine,<br />

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d'une fonction qui se dissout. En revanche, chez les paranoïaques, les néologismes témoignent d'une<br />

exubérance fonctionnelle, d'une surproductivité de la pensée. "<br />

Selon lui, " Le délirant chronique a une espèce de culte pour le verbe. Le néologisme<br />

paranoïaque n'est que le rite de ce culte. Inventer un mot pour ces sujets, c'est poser et peut-être<br />

résoudre un problème. Même la parole la plus dépourvue de signification apparente à donc une<br />

haute valeur paranoïaque car, pour celui qui la forge, elle équivaut à une formule magique. "<br />

Il considère que le repérage d'un néologisme dans les propos d'un patient possède une valeur<br />

diagnostique. Un tel mot est comme la sentinelle perdue d'un délire qui se cache et qui fuit. Ex:<br />

Lacan Séminaire III: <strong>Les</strong> psychose, "galopiner" indice d'un délire plus ou moins caché.<br />

1892, Séglas → livre sur les troubles du langage des aliénés. Il fait des constatations<br />

semblables:<br />

"Une fois le délire organisé, après avoir longtemps réfléchi, cherché, médité ses arguments,<br />

le malade les concentre en quelque sorte dans des mots nouveaux, lui paraissant mieux faits que les<br />

termes ordinaires pour exprimer d'une façon précise ses convictions erronées. Mais ce qu'il est bon<br />

de noter, c'est qu'une fois le mot trouvé, il s'en contentera désormais. Ce mot se fixe dans sa pensée<br />

et dès lors, il oublie presque les synthèses successives qui l'ont amené à sa création. Il n'y a plus rien<br />

à expliquer, rien à chercher, le mot dit tout."<br />

Quand on demande à un psychotique la signification d'un néologisme, sa réponse est : "vous<br />

le savez bien", il porte avec lui l'évidence.<br />

Ex : Modju - mo : première syllabe du prénom de Staline<br />

- dju : Inquisition religieuse<br />

Reich : défense devant la cour avec plein de néologismes, il a l'idée que la cour va comprendre mais<br />

elle ne comprend rien.<br />

1915 : Freud observe que dans les propos des psychotiques, les mots se trouvent soumis aux<br />

processus primaires, de sorte qu'ils se condensent et transfèrent sans reste les uns aux autres leur<br />

investissement par déplacement. Le processus peut aller si loin qu'un seul mot apte à cela, du fait de<br />

multiples relations, assume la fonction de toute une chaîne de pensées (ex : ensemble de<br />

significations dans modju).<br />

Ex : une femme se plaint du "reluquet" = il me reluque le freluquet. Ce mot là illustre plus<br />

que tout autre l'effort de guérison développé par le délire, visant dit Freud à récupérer les objets<br />

perdus. Il témoigne de la tentative psychotique de reprendre le chemin vers l'objet en passant par le<br />

mot qui le désigne (avec nouvelle acceptation du mot parfois). Freud : "ce qui incite le sujet à se<br />

satisfaire des mots à la place des choses".<br />

Ex : un psychotique qui tout les matins met un peu d'excrément dans un verre d'eau, mélange<br />

et boit = il fait du cacao.<br />

<strong>Les</strong> néologismes du paranoïaque sont sensés exprimer la chose désignée avec une totale<br />

adéquation. Certains mettent en image la particularité de ces mots exceptionnels fichés comme des<br />

corps étrangers, comme un cancer verbal dans la langue ordinaire. Ainsi l'un parle de mots de force,<br />

un autre de mots d'or, beaucoup disent que se sont des mots qui touchent au contenant, à l'essentiel,<br />

mots principiels, (langue fondamentale pour Schreber)...<br />

Par le truchement du néologisme, le paranoïaque éprouve le sentiment de parvenir à une<br />

congruence du mot et de la chose, de sorte que le néologisme constitue une porte d'entrée dans le<br />

royaume du savoir absolu.<br />

Un tel signifiant ne se nourrit plus d'une circulation dialectique (ne se modifie plus dans<br />

l'échange), il se fige, se chosifie, il devient une lettre inerte (plus connecté à d'autre signifiants).<br />

C'est un élément où se condense la jouissance du psychosé.<br />

Du fait de cette incapacité dialectique, on dit que le psychotique est hors discours, mais il<br />

n'est pas hors langage. (Il est dans le symbolique aussi mais part à la dérive, ou figé, manque de ce<br />

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qui organise le symbolique: la métaphore paternelle)<br />

La fonction des ritournelles (stéréotype verbal) n'est guerre différente dès lors que l'on<br />

conçoit celle-ci comme une forme pauvre du néologisme. (Elles se rencontrent plus du côté de la<br />

schizophrénie)<br />

Ecoutons Schreber analyser la fonction d'un matériel idéel compilé d'avance (ritournelles)<br />

qui lui étaient jacassé de par la tête en un ressassement monotone et fastidieux. Ces boniments<br />

étaient pour lui d'un énorme intérêt dans la mesure où ils témoignaient que Dieu (l'Autre du<br />

signifiant) ne le laissait pas tomber (peur fréquente dans la clinique de la psychose). Ils constituent<br />

un ultime rempart contre la dépossession du signifiant et la perte de la faculté de raisonner qui s'en<br />

suivrait.<br />

<strong>Les</strong> serinage s'efforcent de parler au commencement de la débilité, quand il existe pour le<br />

schizophrène un risque de mort du sujet: risque de perdre la capacité d'articuler les signifiants et<br />

donc à penser, et une perte de la fonction du langage.<br />

Lorsque le sujet ne parvient pas à élaborer les constructions délirantes, la chronicisation vide<br />

progressivement les ritournelles de leur peu de sens initial.<br />

Ex: une femme répète à chaque passant: " N'est-ce pas monsieur, ayez la bonté de me donner<br />

la clé. " Mais elle a perdu l'origine de la formule, partant sans doute d'une métaphore. Cette<br />

ritournelle ne communique plus rien, elle a cessé de transmettre un message, mais elle possède un<br />

énorme intérêt pour celui qui l'énonce, car elle affirme indépendamment de son contenu qu'un sujet<br />

existe.<br />

Ex: une vielle patiente schizophrène dont on ne connaît plus le passé, ne produit qu'une seule<br />

manifestation stéréotypique: se frotter les mains sur ses vêtements, à peu près à la façon d'un<br />

cordonnier. La maladie avait débuté après un chagrin d'amour avec un cordonnier. Le sens de ce<br />

geste stéréotypé est perdu par le sujet.<br />

L'intuition pleine, la formule vide, le néologisme ou la ritournelle, s'avèrent des phénomènes<br />

de même nature sur des pôles opposés.<br />

L'intuition pleine s'incarne chez Schreber dans des signifiants particulièrement dense de la<br />

langue fondamentale (annexion-de-nerfs...). La formule vide apparaît chez Schreber dans le serinage<br />

des oiseaux du ciel sans signification.<br />

Ils participent pleinement des fonctions identiques qu'il peut arriver à Lacan de les réunir en<br />

une acception extensive de néologismes. Il existe 2 formes de phénomènes où se dessine le<br />

néologisme: l'intuition (délirante n'est pas forcément néologisme) et la formule vide.<br />

L'intuition délirante (ex: Schreber: « qu'il serait beau d'être une femme subissant<br />

l'accouplement ») est un phénomène plein qui a pour le sujet un caractère comblant, inondant (ex:<br />

l'autre me trompe, c'est une certitude). Là le mot avec sa pleine emphase, comme on dit, le mot de<br />

l'énigme, est l'âme de la situation (mots qui ont un poids, le mot dit la chose, il y a congruence).<br />

A l'opposé, il y a la forme que prend la signification quand elle ne renvoie plus à rien, c'est la<br />

formule qui se répète avec une insistance stéréotypée.<br />

Ces 2 formes, néologisme et ritournelle, la plus pleine et la plus vide, arrêtent la<br />

signification, c'est une sorte de « plomb dans le filet ».<br />

L'intuition et la formule sont des créations qui condensent la jouissance du sujet et qui<br />

participent comme le délire à l'effort d'autothérapie.<br />

d. La carence de la signification phallique<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

"<strong>Les</strong> significations sont toujours phalliques, ce qui n'est pas le cas du sens" (Lacan).<br />

Des éléments linguistiques peuvent être organisé de façon correcte dans une langue<br />

compréhensible sans qu'une signification ne s'en dépose nécessairement. Ex: une langue étrangère,<br />

on peut parler un langue étrangère sans comprendre ce qu'on dit. Réciter des choses qu'on ne<br />

comprend pas. Capacités mnémoniques étonnantes chez certains autistes. Tout cela sans que le sujet<br />

n'y mette du sien, que sa jouissance fonctionne.<br />

Pour qu'advienne la signification, il ne suffit pas de l'émission ou de l'enregistrement d'un<br />

matériel signifiant, il faut encore que le sujet y mette du sien (celui qui parle ou celui qui écoute). Si<br />

ce n'est pas le cas, le sens reste incertain. Ce qui autorise Lacan à considérer l'énigme comme le<br />

comble du sens.<br />

La signification d'un terme renvoie toujours à d'autres significations. <strong>Les</strong> mots du<br />

dictionnaire ne se définissent que par d'autres mots du dictionnaire. (C'est une difficulté pour le<br />

psychotique, recours au néologisme où le mot = la chose) Il faut trancher dans ce matériel plus ou<br />

moins ambigu, il faut arrêter le renvoi infini d'un terme à un autre. C'est ce que permet un élément<br />

qui porte la présence du sujet, grace auquel l'énoncé prend vie, le phallus.<br />

L'articulation de cette présence du sujet au langage, Lacan la saisit par l'entremise du<br />

signifiant phallique (fonction de l'inconscient) de sorte que toute signification ne saurait être que<br />

phallique. (Sinon, on est dans le sens, et donc dans l'ambigu)<br />

Dans la déroulement d'un énoncé dans lequel un auditeur ou un locuteur sont attentifs, le<br />

sens renvoie toujours à un élément qui se trouve en avant ou qui revient sur lui même. Il est en<br />

permanence anticipé, mais pour qu'un signifiant se dépose, l'advenu d'un processus de bouclage<br />

s'avère nécessaire. La valeur donnée au premier terme de la phrase ne se décide que rétroactivement<br />

avec l'arrivée du dernier terme. Ex: con...cu...pis...cence.<br />

De surcroît ce phénomène intervient à tous les niveaux du discours, à celui du mot, de la<br />

phrase, jusqu'à un ensemble d'énoncés. Le même texte peut prendre une signification différente<br />

quand l'auteur se révèle autre que le signataire anticipé.<br />

Le point d'arrêt qui permet de décider de la signification est mis en jeu par le signifiant<br />

phallique qui représente le sujet et sa jouissance.<br />

Quand sa fonction n'intervient pas en raison de la forclusion du Nom-du-Père, on assiste à<br />

une carence de la rétroaction, de sorte que le sens peut rester indécis (schizophrénie), ou bien au<br />

contraire il se fige (paranoïa), le sens devient signification de signification.<br />

Le phallus intervient pour normativer le langage du sujet, il fait barrage à un investissement<br />

trop intense d'inventions hors discours (néologismes). (Pour Lacan 4 grands discours, lien social)<br />

(Névrose: langage dialectique, psychose: langage privé)<br />

La description de l'émergence de la carence de la signification phallique faite par A. Artaud<br />

quelques année avant que sa psychose ne devienne avérée est remarquable de précision. Elle montre<br />

que l'anticipation du sens persiste sans que l'effet de signification en tant que produit fini parvienne<br />

à se déposer.<br />

"Cet état, écrit-il en 1932, où tout effort d'esprit étant dépouillé de son automatisme<br />

spontané, est pénible, aucune phrase ne naît complète et toute armée, toujours vers la fin, un mot, le<br />

mot essentiel, manque (ça reste ouvert, suspendu), alors que, commençant à prononcer j'avais la<br />

sensation qu'elle était parfaite et aboutie. Dès lors que le mot précis ne vient pas, qui pourtant avait<br />

été pensé, au bout de la phrase commencée, c'est ainsi que ma durée interne se vide et fléchit par un<br />

mécanisme analogue pour le mot manquant à celui qui a commandé le vide général et central de<br />

toute ma personnalité (lié à la carence paternelle). Je ne peux rien approfondir car la notion efficace<br />

de ce que je vise m'est retirée dans son acception et dans ses développements internes (jusqu'à son<br />

être) au moment où je veux la saisir."<br />

Il rapporte à juste titre la fragmentation de sa pensée à la carence de l'aptitude à produire une<br />

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synthèse.<br />

"Je traduit mal ce que je ressent, parce qu'il me manque une certaine vue synthétique dont<br />

l'absence indique bien la nature de mon mal. Si j'étais capable de cette vue synthétique, expressive,<br />

immédiate et spontanée qui englobe la sensation (corporelle) et le terme, cela indiquerait que je ne<br />

suis pas dans l'état où je suis."<br />

Non seulement il décrit fort bien un trouble du langage qui réside dans une difficulté à<br />

produire le bouclage d'une signification, mais il note que celui-ci porte atteinte à son affectivité et à<br />

son corps (délocalisation de la jouissance).<br />

"Rien n'éveille d'associations en moi, cette inertie affective, dont je sens qu'elle tiendrait<br />

dans tous les cas, me désespère. Je ne pense rien, je ne sens rien, je voudrait penser ou sentir<br />

quelque chose, rien ne vient, je ne sens que cette coagulation physique de mes impressions, je me<br />

sens pris, gelé, l'étreinte se ressert, et de vague qu'elle était, elle devient autour du crâne une douleur<br />

caractérisée."<br />

Ces fines observations permettent de saisir que lorsque l'articulation signifiante se<br />

désorganise, les affectes qui lui sont corrélés s'en trouvent perturbés, tandis que la jouissance tente à<br />

rentrer douloureusement dans le corps (schizophrénie) ou à s'émanciper dans le réel (paranoïa)<br />

(hallucinations, impression d'être épié).<br />

L'aspect clinique le plus saisissable de la carence de la signification phallique se manifeste<br />

dans la parole par une incapacité/ difficulté à procéder au bouclage permettant de faire advenir la<br />

signification.<br />

Dès 1892, dans son travail sur les troubles du langage chez les aliénés, Séglas avait insisté<br />

sur ce phénomène et l'avait décrit dans le détail. Il rapporte l'observation d'un jeune homme<br />

considéré comme un simple neurasthénique (névrosé) très intelligent, ayant fait de bonnes études<br />

littéraire et philosophique, qui s'avérait incapable de l'effort d'attention nécessaire pour faire la<br />

synthèse première indispensable à la construction de la phrase.<br />

Lorsqu'on lui parlait, rapporte Séglas, s'agissait-il de demandes très simples, formulées<br />

même lentement, il en saisissait à peine le sens (signification). "Comment dites-vous, répétez s'il<br />

vous plaît, disait-il sans cesse, je ne saisis plus très bien le sens de votre demande."<br />

"Lorsque je parle, j'ai bien une idée mais quoi que j'ai à ma disposition tous les mots de la<br />

langue française, j'ai beaucoup de peine à formuler ma pensée. La construction de ma phrase m'est<br />

très pénible, les mots appropriés à ma pensée m'échappent, et j'ai de la peine à terminer mes phrases.<br />

Je ne puis plus aujourd'hui soutenir une conversation (sans qu'il ne soit délirant ou halluciné) et cela<br />

m'est d'autant plus pénible que j'avais autrefois une grande facilité d'élocution. Je me destinait même<br />

à l'école normale et au professorat lorsque je tombais malade."<br />

Séglas note que "ce malade comprend le sens (signification) de tous les mots lus ou entendus<br />

isolément. Il a dans l'esprit le mot nécessaire à son idée, mais ce qu'il lui manque, c'est la faculté de<br />

grouper les mots ensemble, de saisir le sens des mots agencés en phrases. Dans sa lecture il lit<br />

correctement les mots, peut même donner leur signification isolément, mais pour lui cette lecture est<br />

vide de sens (signification)."<br />

Quand la carence de la signification phallique ne s'exerce ni au niveau de la phrase, ni au<br />

niveau du mot, mais au sein d'un ensemble d'énoncés, la description psychiatrique fait état de<br />

déraillement ou de difluence de la pensée, voire de discours tangentiel.<br />

Ces termes désignent essentiellement l'absence d'un axe thématique précis, chaque phrase ou<br />

chaque groupe de phrases peuvent paraître significatifs, pourtant la signification reste indécidable.<br />

Ex: certains sont considérer comme mythomanes car leur énoncé n'est pas connecté à une référence,<br />

ils accordent le même poids lorsqu'ils disent blanc, gris ou noir.<br />

Ces énoncés difluents peuvent être riches de sens, les connexions signifiantes dont ils sont<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

constitués produisent des effets imaginaires multiples, mais la signification leur fait défaut, en<br />

raison de l'absence de mise en fonction du signifiant du manque (signifiant phallique) qui représente<br />

le réel de la jouissance du sujet dans le champ du langage. (il fait l'articulation entre affectif et<br />

cognitif).<br />

Ex: jeu du cadavre exquis: chacun ajoute un mot sans connaître les autres, ça à toujours un<br />

sens (pleins) sans avoir de signification, message.<br />

Plusieurs autres phénomènes ponctuels, tels que le barrage, les phrases interrompues et le<br />

coq-à-l'âne, témoignent assez directement de la même carence.<br />

Le barrage consiste en l'arrêt brusque de la parole dans le cours d'une phrase, pendant<br />

quelques secondes ou minutes. Le propos reprenant ensuite sur le même thème ou sur un thème<br />

différent. S'il reprend sur un thème différent, cela peut aussi être appelé coq-à-l'âne à retardement.<br />

Le coq-à-l'âne est le passage sans transitions et sans motif d'un sujet à un autre.<br />

On pourrait encore évoquer à un niveau plus global, la schizophasie, qui qualifie un type<br />

spécifique d'énoncé chez les schizophrènes, dont les paroles après quelques tournures<br />

compréhensives constituent un ensemble de mots dépourvus de signification (difluence). Il s'agit<br />

d'une langue pseudo incohérente, car sa signification générale au moins peut être discernée en raison<br />

de bribes compréhensibles émergeant ça et là. Ce n'est pas un langage confus, mais apparemment<br />

confus. Un orateur malhabile peut s'exprimer de façon confuse en apparence, alors que sa pensée est<br />

claire et nette dans son esprit.<br />

La schizophasie ne désigne pas le comportement verbal des schizophrènes en général mais<br />

seulement celui rare et spectaculaire d'une petite minorité d'entre eux. La schizographie désigne le<br />

même phénomène dans l'écriture. Malgré le mélange de différentes pensées pouvant appartenir pour<br />

le sujet à une même idée, la langue demeure fluide et relativement cohérente du point de vue de la<br />

syntaxe.<br />

<strong>Les</strong> écrits inspirés de Marcel C. (Lacan 1931) sont une illustration de cette schizographie:<br />

"Mon sort est de vous emmitoufler si vous êtes le benêt que je vois que vous fûtes, et, si ce coq à<br />

l'âne fut le poisson d'essai, c'est que j'ai cru, caduque que vous étiez mauvais". L'idée qui se dégage<br />

est qu'elle se plaint d'un benêt qui lui a fait du tort et menace de riposter, mais cela reste très confus.<br />

La grande majorité des troubles du langage du schizophrène semblent pouvoir être rapportés<br />

à la carence de la signification phallique en tant qu'elle implique la désagrégation de ce qui organise<br />

les signifiants en une chaîne.<br />

La psychiatrie classique n'avait pas manqué de constater ce phénomène, qui de prime abord<br />

laisse discerner comme mécanisme fondamental de la psychose, un trouble de la synthèse<br />

psychique.<br />

De longue date, la psychiatrie classique à cerné le mécanisme de la psychose sous différents<br />

aspects qui tous témoignent d'une intuition de la carence phallique. Ex: troubles de l'attention,<br />

trouble de la fonction du réel (Janet), trouble de la synthèse du moi, faiblesse des représentations<br />

mentales (Sérieux), incapacité de l'effort mental, Zerspaltung = fission: éclatement de l'esprit<br />

(Bleuler), perte de l'évidence du réel...<br />

Dès les premières descriptions des formes d'émergences de la carence de la signification<br />

phallique, il apparaît que ce trouble du langage s'accompagnent d'un sentiment d'atteinte de l'être<br />

même du sujet. Il se plaint d'inertie affective, il a le sentiment de manquer d'un fondement, il n'est<br />

plus en mesure de poursuivre correctement ses activités.<br />

A cet égard, Schreber fait état d'un meurtre d'âme que Lacan écrit: Φ0 (= carence de la<br />

signification phallique, Φ= phallus) dans le schéma I. Il est claire précise Lacan à propos de ce<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

meurtre d'âme, qu'il s'agit là d'un désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie<br />

chez le sujet.<br />

C'est au phallus qu'est dévolu la fonction d'opérer ce joint entre les signifiants de l'Autre et la<br />

jouissance du sujet, pour donner à celui-ci le sentiment de la vie. Faute de quoi, il s'éprouve<br />

incapable de vivre comme les autres, se plaignant souvent d'être là sans être présent, d'être pseudo,<br />

superficiel (fondamentalement), ressentant ses sentiments et ses actes comme factices.<br />

<strong>Les</strong> conséquences de la carence de la signification phallique s'avèrent de plusieurs ordres:<br />

-rupture du lien interne de la chaîne signifiante;<br />

-dissociation de la connexion ce l'intentionnalité du sujet à l'appareil signifiant (plus<br />

dans la clinique de l'autisme). Ex: écholalie (pas d'informations), langage de perroquets des autistes;<br />

-apparition de bribes de langage dans le réel sous forme d'hallucinations, d'intuitions<br />

et de néologismes (comme le lien ne se fait plus);<br />

-enfin il en résulte une dérégulation (délocalisation) de la jouissance qui n'est plus<br />

soumise à la limite phallique.<br />

4. La délocalisation de la jouissance<br />

a. Le langage comme "appareil de la jouissance" (Lacan)<br />

Ce que discerne la psychanalyse dès ses débuts avec les phénomènes de conversion, c'est que<br />

le signifiant étend ses racines dans le corps du sujet jusqu'à y développer des brins de jouissance (=<br />

symptômes).<br />

Bien avant de servir à l'échange, le babille du nourrisson témoigne que le langage n'est pas<br />

seulement la structure formelle conçue par la linguistique pour servir à la communication, mais<br />

l'appareil de la jouissance.<br />

Rappelons à cet égard l'expérience de Frédéric II d'Allemagne, effectuée au XIII° siècle,<br />

lequel voulait savoir quelle langue utiliseraient des enfants qui auraient grandi dans un milieu où nul<br />

ne parlerait. Il voulait savoir s'il parlerait la langue hébraïque, le grec, ... ou la langue des parents.<br />

<strong>Les</strong> enfants tôt ou tard mourraient tous, sans parler. Ils ne pouvaient en effet vivre sans<br />

l'approbation, les sourires et gestes des nourrices, privés de langage et d'affection.<br />

<strong>Les</strong> observations les mieux connues d'enfants sauvages confirment ces indications (enfants<br />

sauvages: souvent recueillis par des animaux, après 2 ou 3 ans). Même s'ils peuvent s'humaniser un<br />

peu, acquérir des éléments de langage, néanmoins, la jouissance de ces enfants reste mal appareillée,<br />

ils ne peuvent faire avec l'autre sexe.<br />

Le langage n'est pas pour l'homme qu'un instrument, mais bien plus que ça, c'est l'autre corps<br />

du sujet, nécessaire à l'animation et à la structuration de sa jouissance. Le langage déploie ses<br />

ramifications non seulement dans le corps du sujet, dans ses sensations (ex: douleur), dans ses<br />

perceptions (les couleurs ne sont pas vues de la même façon en fonction des cultures), mais encore<br />

dans son environnement qu'il structure.<br />

<strong>Les</strong> seules facultés cognitives ne peuvent suffire à un exercice convenable de la fonction du<br />

jugement, il y a nécessaire intervention dans le jugement, le choix, qu'un principe d'un autre ordre<br />

soit requit. Ou plus précisément dans la psychanalyse de la jouissance du sujet.<br />

La confirmation de cela nous parvient récemment de la neurologie: Damasio L'erreur de<br />

Descartes (1995). Damasio étudie de nombreux patients atteints aux lobes frontaux. Il constate<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

qu'ils conservent leurs moyens physiques et la plus grande part de leur capacité mentale, ni la<br />

perception sensorielle, ni le langage, la mémoire, aucune de ces capacités cognitives ne sont<br />

affectées. Mais ils souffrent d'un déficit dans la prise de décision et la planification de leurs activités<br />

à venir.<br />

Une étude minutieuse a conduit à mettre en évidence une corrélation entre ce trouble et un<br />

affaiblissement de la capacité à ressentir des émotions. La faculté de raisonner et la capacité<br />

d'éprouver des émotions déclinent de concert. Leur amoindrissement tranche nettement par rapport à<br />

un profil neuropsychologique qui se caractérise par ailleurs, par la préservation parfaite des<br />

processus fondamentaux de l'attention, de la mémoire, du langage, de l'intelligence, de sorte qu'on<br />

ne peut absolument pas invoquer ceux-ci pour expliquer les erreurs de jugement d'un patient. Ils<br />

mettent ainsi en évidence que la faculté de jugement et de choix ne peuvent se suffire du<br />

raisonnement logique.<br />

Des décisions banales mettent en jeu un nombre de facteurs si considérables que la froide<br />

raison serait sûrement paralysée si elle ne disposait que de ses propres ressources. Un autre facteur<br />

doit intervenir pour permettre de trancher dans la masse d'informations (à un moment on arrête de<br />

réfléchir aux conséquences et on agit). Damasio établit qu'il ressort de l'émotionnel et du corps.<br />

C'est par le concept de marqueurs somatiques déterminés par la culture et l'histoire (langage) qu'il<br />

tente de rendre compte de l'articulation entre l'affectif et le cognitif.<br />

La psychanalyse semble permettre de compléter les constatations du neurologue en mettant<br />

en évidence les propriétés de la lettre à fixer la jouissance. Le symptôme est écrit en lettres (Lacan:<br />

godet de la jouissance). Si la pensée logique de l'ordinateur diffère de celle du sujet parlant, c'est<br />

qu'elle prolifère dans un désert absolu de jouissance. L'information donnée par le bit ne possède pas<br />

la capacité propre à la lettre de servir de substance d'accueil à la jouissance.<br />

b. Le concept lacanien de jouissance<br />

Quand Freud compare l'amant à l'ivrogne, il fait remarquer que leur conduite (par rapport à<br />

l'objet) est absolument opposée. Plus l'alcoolique boit, plus il cherche à boire, plus le vin est<br />

désirable. L'amant, au contraire, a une certaine tendance à se détourner de celle qu'il convoitait dès<br />

qu'il a pu jouir d'elle (la lune de miel n'est pas éternelle).<br />

La psychanalyse souligne l'existence d'une inadéquation étonnante au fondement du désir<br />

humain. Quelque chose dans la nature de la pulsion sexuelle constate Freud, ne convient pas à la<br />

réalisation de la satisfaction complète. L'objet qui satisfait le désir (alcool) n'est pas identique à celui<br />

qui le cause.<br />

• objet du désir: i(a)<br />

• objet cause du désir: a<br />

La jouissance s'attache à a, i(a) est l'objet qui satisfait le désir, objet substantiel, concret, visé<br />

par le désir (ex: partenaire sexuel).<br />

a: objet de la jouissance, perdu, insaisissable, interdit et incestueux quand il est présent, que<br />

le sujet cherche a retrouver sans jamais pouvoir y parvenir (images: sein maternel; placenta: objet<br />

asexuel, dégouttant, perdu par le sujet et l'Autre). L'objet a, cause du désire qui ne se satisfait que de<br />

substituts: i(a).<br />

La jouissance porte chez Freud le nom de déplaisir (cf. Au-delà du principe de plaisir). Elle<br />

est cette insatisfaction primordiale qui, dans l'inconscient, oriente l'existence du sujet.<br />

L'opération du Nom-du-Père (castration symbolique) sépare le sujet de l'objet incestueux de<br />

la jouissance interdite (objet a). Il en résulte un vidage de la jouissance (qui est dynamique car il<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

mobilise le désir du sujet) tant au niveau du sujet et de son corps, qu'au niveau de l'Autre du<br />

langage. L'enfant cesse d'être un appendice de la mère, tandis que celle-ci cesse d'être ce qui le<br />

comble entièrement. Une insatisfaction structurante s'instaure, qui produit une mise en fonction du<br />

désir, le contraignant à chercher sa satisfaction dans des objets substitutifs i(a), de l'objet incestueux<br />

perdu (a).<br />

La jouissance de qui a assumé la castration symbolique se trouve localisée hors du corps, en<br />

un manque qui s'incarne dans des objets (i(a)). Objets qui prennent une valeur phallique et orientent<br />

la satisfaction des pulsions.<br />

Etymologiquement, la jouissance désigne la possession de quelque chose. En psychanalyse,<br />

elle vise plutôt la chose manquante par laquelle nous sommes possédés (manque spécifique qui<br />

anime notre désir).<br />

Jouissance et plaisir ne doivent pas être confondus:<br />

-Jouissance: tension vers un objet perdu.<br />

-Plaisir: est une réduction de celle-ci qui procure à son terme une satisfaction.<br />

la jouissance est ce que l'on évoque quand on constate qu'un sujet tient à ses symptômes<br />

("c'est plus fort que moi"). Le symptôme ne fait pas plaisir, mais fait jouir et c'est pourquoi c'est<br />

souvent douloureux.<br />

La jouissance est associée dans le langage courant à l'orgasme, mais cela risque d'induire en<br />

erreur. L'orgasme correspond au moment où la jouissance consent au plaisir. Mais la jouissance se<br />

saisit de façon plus évidente dans la tension préalable à la satisfaction pré-orgasmique.<br />

Dans le discours courant, on ne distingue pas dans la jouissance deux part:<br />

-La part homéostatique (en français: plaisir): réduction des tensions.<br />

-La part excédante: qui fait que le corps garde un lien avec une partie excédante, un<br />

élément externe (objet perdu).<br />

(Le sujet: champ magnétique relié à ces objets.)<br />

La jouissance se caractérise d'être réelle, hors signifiant, hors langage, donc indicible. "Je<br />

peux dire ce qui me fait plaisir, i(a), je ne peux pas dire ce qui me fait jouir, a. Cela fonctionne dans<br />

l'inconscient à mon insu, dans l'au-delà du principe de plaisir (pulsion de mort)."<br />

L'inconscient n'obéit pas au principe de plaisir, il est corrélatif non d'un équilibre, mais d'un<br />

dérangement constitutif (dérangé par son désir). L'inconscient ne peut être résorbé à l'homéostase du<br />

plaisir (il fonctionne sur un axe de déplaisir). Dans cette perspective, on conçoit que la pulsion de<br />

mort soit au fondement de toute pulsion, dans la mesure où la mort est au service du désir (mort =<br />

objet perdu).<br />

La jouissance étant hors signifiant, elle est asexuelle (Freud dira pré-génitale), elle repose sur<br />

un manque indicible. En revanche, les objets substitutifs i(a), prennent une valeur phallique et une<br />

signification sexuelle. Ex: tueur en série: maximum de la saleté, côté dégouttant des victimes<br />

procure une certaine satisfaction, pas du côté sexuel (ici ce n'est pas une jouissance phallique).<br />

La jouissance est un savoir inconscient qui commande le fantasme fondamental, qui<br />

structure le désir de chacun. Le désir fonctionne en s'orientant sur ce qui reste de jouissance<br />

acceptable pour le sujet quand il est séparé de l'objet incestueux. Ce reste, Lacan l'appelle le plusde-jouir,<br />

a -φ (a inclus la fonction phallique).<br />

∩<br />

Tout ce qui précède concerne la jouissance phallique, jouissance soumise à la loi du manque,<br />

de la castration (Jφ ou JA).<br />

La jouissance phallique est régulée par le Nom-du-Père, elle est localisée en un point de<br />

manque externe cerné par la chaîne signifiante. C'est pourquoi elle revient toujours à la même place<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

et se trouve au fondement des phénomènes de répétition (névrose hystérique: toujours les mêmes<br />

échecs)<br />

Lacan repère une autre jouissance: la jouissance Autre, non régulée par le signifiant,<br />

jouissance hors la loi, qui n'est soumise ni au Nom-du-Père, ni à son corrélat, la fonction phallique.<br />

Ni le corps du sujet, ni l'Autre du signifiant ne sont alors vidé de cette jouissance (phénomènes<br />

d'hypocondrie, objets persécuteurs...). La jouissance phallique est une jouissance hors corps, celle de<br />

l'Autre est du corps, de celui du sujet comme de celui de l'Autre du signifiant.<br />

c. Le psychotique comme sujet de la jouissance<br />

Dans la psychose, du fait de la carence paternelle, la jouissance n'est pas localisée, elle ne<br />

trouve pas son orientation sur le manque, dès lors, le sujet se trouve envahit par la jouissance Autre.<br />

(phénomènes d'apathie, d'indifférence du schizophrène)<br />

Schreber à le sentiment de nager dans la volupté (pour illustre l'envahissement de la<br />

jouissance dans le corps), un indescriptible bien-être, comparable selon lui à la sensation de volupté<br />

chez la femme, inonde son corps tout entier. (La position féminine: ouverture à la jouissance de<br />

l'Autre, alors que l'homme est tout entier dans la jouissance phallique)<br />

Il a en outre une prescience très fine de la différence entre la jouissance phallique et la<br />

jouissance Autre dans les lignes suivantes:<br />

"Un excès de volupté rendrait les hommes incapables d'exercer les fonctions qui leur<br />

incombe (certain schizophrènes sont entièrement absorbés par leurs sensations corporelles). Oui,<br />

l'expérience nous l'enseigne, les excès voluptueux ont menés à l'anéantissement, non seulement de<br />

nombreux hommes, mais encore de peuples entiers. Or, en ce qui me concerne, ces limites ont<br />

cessée de s'imposer (lui a le droit, position d'exception)."<br />

Il considère que Dieu exige de sa part qu'il cultive la volupté: "Non pas en entretenant un<br />

commerce sexuel quelconque (la jouissance Autre est asexuelle), ce qui est exigé c'est que je me<br />

regarde moi-même comme homme et femme consommant le coït avec moi-même."<br />

<strong>Les</strong> limites de la jouissance phallique ne s'imposent plus pour lui, de sorte qu'il se trouve<br />

livré à la jouissance Autre, illimitée, folle, en excès, non régulée par le signifiant phallique, et donc<br />

asexuelle (l'objet a n'est pas sexué). Cette distinction de jouissance permet de concevoir une cure<br />

analytique des psychotiques qui est orientée pour contrer cette jouissance sans limites.<br />

Le psychotique selon Lacan est un sujet de la jouissance. La perte de l'objet a, condensateur<br />

d'un reste de jouissance autorisé ne s'est pas produit pour lui. (Une jouissance autorisé qui est exigée<br />

par le surmoi, jouir pas trop, mais un minimum, sinon cela entraîne de la culpabilité.)<br />

"Le fou (psychotique) a un objet a à sa disposition, il le tient, il a sa cause (objet a) dans sa<br />

poche." (Lacan, 1967)<br />

Cela se traduit par les sentiments de volupté de Schreber, mais c'est un cas exceptionnel, le<br />

plus souvent, cela se traduit par de pénibles troubles hypocondriaques.<br />

Il existe cependant aussi un mode relativement agréable de l'envahissement du corps par la<br />

jouissance de l'Autre, c'est l'exaltation maniaque (mais souvent il ne dort plus, allant jusqu'à la mort<br />

par épuisement à cause de cette exaltation. Il est souvent mégalomane, plein de projets, et peut<br />

chuter et tomber dans la mélancolie, il est la pire horreur).<br />

Lors de la psychose clinique, chacune des 4 incarnations pulsionnelles de l'objet a peut se<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

présentifier (objets: oral, anal, vocal, scopique).<br />

Quand la voix se sonorise, quand elle cesse d'être inaudible, perdue, du fait de l'opération de<br />

la castration symbolique, alors surgissent les hallucinations verbales, l'écho de la pensée, le fait<br />

d'être un télépathe émetteur...<br />

Quand le regard devient prévalent, cessant d'être invisible, cela donne naissance au<br />

sentiment d'être surveillé, espionné, épié, vu de toute part.<br />

Dans la mélancolie, on parle de perte de la vision mentale, qui conduit à regarder les choses<br />

de façon vide. Le sujet dit ne rien éprouver en regardant, ne rien ressentir, il n'y a plus de jouissance<br />

dans la vision.<br />

"Ainsi, qu'on me mette devant un splendide paysage ou devant un mur public, c'est<br />

exactement la même chose, alors qu'avant ce n'était pas pareil. Je vois les couleurs, les formes, ça<br />

n'éveille plus rien, rien. C'est abominable comme sensation. Le regard est mort. Je ne vois rien,<br />

pourtant je ne suis pas aveugle (elle voit mais ne regarde rien). Je vois des tâches, certains visages<br />

comme ça, mais rien ne signifie plus rien, j'ai la tête bloquée et vide" (surtout observable dans la<br />

mélancolie).<br />

La non-extraction de l'objet a, conduit à ce que la jouissance s'absente du champ scopique<br />

(même mécanisme que dans la carence de la signification phallique). La vision est conservée, mais<br />

le regard est mort (ce qui rend cher les objets (le manque) ne fonctionne plus).<br />

En ce qui concerne la présentification des objets de la demande (oral et anal), elle est moins<br />

caractéristique que les objets du désir (scopique et vocal) dans la clinique de la psychose.<br />

Dans le champ oral, cela peut être se nourrir sans avoir d'appétit (il n'y a plus de jouissance<br />

dans le champ oral).<br />

L'objet oral encombre parfois Wolfson, quand il se livre compulsionnellement à ce qu'il<br />

appelle la fameuse "bétise de manger si beaucoup". Ce qui le conduit parfois à se farcir la bouche au<br />

point de ne plus pouvoir la fermer. Ces accès de boulimie répondent à ses impulsion immaîtrisables<br />

et sans limite.<br />

Autre exemples de dérégulation de la pulsion orale: des malades qui mangent<br />

indifféremment leurs excréments, des mégots, des pierres, des épingles à nourrice, tout en buvant<br />

leur urine ou du détergent.<br />

Un autre exemple de présentification de l'objet oral assez fréquent dans les délires est le<br />

risque d'être empoisonné.<br />

Enfin, l'objet du don anal embarrasse ces psychotiques chroniques, plus rarement observable<br />

depuis la découverte des neuroleptiques, qui se présentaient porteur d'un paquet ou d'un sac recelant<br />

un mystérieux contenu dont ils ne se séparaient jamais et dont l'investigation (quand ils étaient<br />

morts) révélait qu'il ne consistait qu'en débris, chiffons, vieux déchets, coupures de journaux,<br />

manuscrits abscons.<br />

Une forme de cet attachement extrême à l'objet anal, se retrouve chez ces mendiants<br />

thésauriseurs, qui meurent de froid avec sur eux des sommes considérables (ça va au-delà de<br />

l'avarice obsessionnelle). Ce sont des objets de jouissance dont ils ne peuvent se séparer.<br />

Il y a encore ces entasseurs pathologiques qui ne jettent plus leurs poubelles.<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

L'objet a n'a pas été extrait du sujet psychotique du fait de la forclusion du Nom-du-Père et<br />

de la carence de la castration symbolique. C'est un sujet qui n'est pas divisé par son objet: S+a.<br />

Il en résulte que l'Autre du psychotique n'est pas non plus séparé de la jouissance, ce n'est<br />

pas A, mais un Autre de la jouissance: A+a.<br />

Cliniquement les manifestations de la jouissance Autre prennent deux formes principales:<br />

Du côté des défenses les plus pauvres, où les tentatives de stabilisation par le délire sont les<br />

moins développées (schizophrénie et mélancolie), elles apparaissent en révélant la volonté de<br />

jouissance logée dans l'Autre. Laquelle, faute d'avoir été détournée vers des objets perdus, tend à se<br />

fixer sur le sujet. Celui-ci devient l'objet de la jouissance de l'Autre.<br />

Exemple clinique: les hallucinations verbales. Schreber entend "luder" (= carogne) ou "Miss<br />

Schreber", elles injurient le sujet. Syndrome SVP = Salope, Vache, Putain (hallucinations les plus<br />

fréquentes).<br />

Quant au mélancolique, Freud disait que l'ombre de l'objet tombe sur le moi, de sorte qu'il<br />

s'identifie à l'objet de la jouissance de l'Autre. C'est pourquoi il est si totalement convaincu de sa<br />

déchéance (tout le mal vient de moi), ce qui le conduit souvent à sauter par les fenêtres ou se<br />

pendre, à se détruire pour incarner l'objet a, objet perdu qui tombe de la scène du monde, se défait<br />

de ses liens symboliques.<br />

A l'autre pôle de la psychose (paranoïa et paraphrénie), la jouissance est identifiée par le<br />

sujet dans le champ de l'Autre. La manifestation la plus évidente de ce phénomène est déjà notée par<br />

Freud quand il constate que les psychosés aiment leur délire comme ils s'aiment eux-même.<br />

Que le délire soit la jouissance du psychosé, qu'il y tienne comme à son être même, la<br />

rigueur de certaines pratiques des aliénistes du XIX° siècle le révélait parfois crûment. Leuret<br />

(inventeur du traitement moral, ancêtre des thérapeutes cognitivo-comportementales) rapporte en<br />

1934 avoir:<br />

"donné chaque jour pendant deux mois des douches froides à un malade sans qu'il ait voulu<br />

céder sur aucun point (de son délire). Tandis qu'il était au bain, on a appliqué devant lui le coter (fer<br />

rouge) actuel à plusieurs malades et on l'a prévenu que s'il ne changeait pas on lui en ferait autant. Il<br />

n'a pas cédé à la peur du coter. On lui a appliqué une fois au sommet de la tête et deux fois à la<br />

nuque un fer rougi au feu. Il a souffert ses brûlures sans renoncer à aucune de ses idées. Jamais le<br />

médecin qui le traitait n'a pu lui faire dire je suis Duprés et pas Napoléon."<br />

Il tirait une jouissance de son délire, certain préfèrent mourir que de céder sur leur délire:<br />

Antoine de Tounens: il est persuadé d'être roi, mais il ne sait pas de quoi. Sur une carte, il<br />

trouve des territoires encore libres en Patagonie. Il s'y rend, y est fait prisonnier, maltraité, il revient<br />

en France, puis y retourne. <strong>Les</strong> indiens le reconnaissent comme roi, mais il est fait prisonnier au<br />

Chili. Il revient en France, puis y retourne une troisième fois mais il tombe malade et meurt en<br />

France. (Il réussit tout de même son délire, il devient roi.)<br />

Certains psychotiques sont quand même capable de dire "d'accord je suis Duprés" en gardant<br />

leur conviction par derrière (ils acceptent de mentir un peu).<br />

Certains psychotiques parviennent à dissimuler leurs idées délirantes, comprenant qu'elles<br />

peuvent leur nuire, mais continuent à y tenir comme à leur bien le plus précieux.<br />

Du fait de la non-extraction de l'objet a, la jouissance du psychotique n'est pas localisée en<br />

un hors corps phallique, de sorte que le sujet se trouve envahit dans son corps et/ou sa pensée par la<br />

jouissance Autre.<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

5. La logique évolutive du délire<br />

Etymologiquement, "délire" vient de delirare: sortir du sillon, c'est-à-dire, la rupture avec<br />

une norme, celle supposée commune. Or, le moindre recul historique ou culturel met en évidence la<br />

relativité de la réalité.<br />

Classiquement, les notions majeures qui conduisent à cerner le délire sont les suivantes:<br />

-la fausseté du jugement<br />

-la conviction inébranlable<br />

-La déviance par rapport à une norme culturelle<br />

Cette définition ne tient pas le coup, ex: le délire de jalousie quand le sujet est réellement<br />

trompé. Il n'y a pas de jugement faux, et pas forcément de déviance par rapport à un norme. Ces<br />

définitions classiques sont assez faibles, insuffisantes (même si la conviction inébranlable est assez<br />

juste, elle n'est pas toujours psychotique).<br />

La moins mauvaise définition d'un délire serait: un procès de significantisation (travail sur le<br />

signifiant) aussi réduit soit-il par lequel le sujet parvient à élaborer et à fixer une forme de<br />

jouissance acceptable pour lui. (fixe la jouissance et la porte au signifiant)<br />

Depuis la découverte des neuroleptiques dans les années 50, la chimiothérapie ne laisse plus<br />

le symptôme suivre son cours, se développer. Il en découle un abrasement et un appauvrissement de<br />

la clinique (il est rare de voir des grands délirants comme Schreber), dont les DSM III et IV, qui ne<br />

veulent rien savoir de la dynamique psychique, constitue l'une des conséquences. Une autre d'entre<br />

elles étant la monté des syndromes "fourre-tout" tels que les borderlines ou dépressifs (qui ne nous<br />

apprennent rien du patient).<br />

La tentative de guérison qui est à l'œuvre dans le délire, n'a plus guère aujourd'hui l'occasion<br />

de se développer, car elle se trouve stoppée ou entravée par les médications. (Le délire stable n'est<br />

pas la meilleur solution.)<br />

Le clinicien moderne n'a que très rarement l'occasion d'assister à la longue élaboration d'un<br />

délire chronique. (Soit il y a hospitalisation et médicaments, soit il n'y a pas d'hospitalisation donc<br />

pas d'observations, sauf s'il publient un livre, ex: Paco Rabane.)<br />

Ce qui rend précieux certain témoignages cliniques issus d'une époque révolue (psychiatrie<br />

classique). Le plus connu d'entre eux l'est a juste titre non seulement en raison de la qualité<br />

intellectuelle de son auteur, mais aussi car il s'agit de la rédaction détaillée d'une construction<br />

délirante élaborée pendant une période d'une dizaine d'années, depuis le marasme de 1893 à sa<br />

sortie de l'asile en 1902 (paraphrénie). Ce sont les Mémoires d'un névropathe de Schreber (il veut<br />

bien admettre avoir des troubles psychiques mais pas qu'il soit délirant).<br />

Très peu de textes aujourd'hui encore n'ont une valeur comparable, on peut citer:<br />

-<strong>Les</strong> Cahiers de Rodez d'Antonin Artaud, très riches sur la schizophrénie simple,<br />

mais ne il va pas jusqu'à la paranoïa ou la paraphrénie.<br />

-Brisset (Paraphrène)<br />

-Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, persécuté par les farfadets.<br />

-Le schizo et les langues de Wolfson, il n'y a pas d'évolution, cela renseigne juste sur<br />

un moment de la schizophrénie.<br />

-Mein Kampf d'Hitler, aspect paranoïaque mais pas d'évolution.<br />

Le délire chronique se déroule exemplairement en 4 phases que l'on peut situer sur ce que<br />

Lacan nommait une échelle des délires (Séminaire III), et développé dans Logique des<br />

délires de J-C Maleval.<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

P0<br />

Le sujet constate que l'ordre du monde est troublé, il a le sentiment d'arriver au bord d'un<br />

trou de la pensée, une béance centrale se découvre, ce que Lacan nomme l'entrée en jeu de l'énigme<br />

de l'Autre absolu. Autrement dit, s'instaure une interrogation sur l'absence d'une vérité dernière<br />

(absence douloureuse dans un domaine).<br />

Il est notable que cette énigme porte avec fréquence sur ce qui peut le mieux évoquer dans le<br />

symbolique la fonction du père, à savoir la question des origines et celle des fondements (de la loi,<br />

de la science, du langage, du calendrier... souvent d'un des grands champs symboliques). (Il y a un<br />

trou, il faut le combler.)<br />

C'est dans cette phase, P0 que le sujet peut commencer à éprouver comme Schreber, le<br />

sentiment d'avoir à résoudre "une des plus grandes difficultés qui jamais ne furent posées à un être<br />

humain". Dans un autre style, A. Artaud fait état de "fissure dans la pensée", d'être "affronté aux<br />

rafales du néant" et d'être "accablé par un muétisme ignorancique".<br />

Sentiment d'hébétude, sensation de vide (radical, qui touche à un fondement), impression de<br />

mystère, intuition d'un manque de fondement. Tous ces phénomènes peuvent survenir, mais ce qui<br />

caractérise le mieux cette première période est la notion de perplexité et la sensation angoissante<br />

que l'ordre du monde est troublé.<br />

<strong>Les</strong> tableaux cliniques qui correspondent le mieux à cette phase P0 sont l'hébéphrénie et la<br />

catatonie.<br />

<strong>Les</strong> écrit des paranoïaques sont d'une grande monotonie quant à la question initiale qui leur a<br />

donné naissance (<strong>Les</strong> fous littéraires, textes de psychotiques). La plus part cherchent des causes<br />

primaires, les principes fondamentaux, les idées primordiales, les bases inébranlables, la vérité<br />

absolue, la solution finale...<br />

S'ils les cherchent avec tant d'obstination, il n'est guère douteux que c'est en raison d'une<br />

carence de garantie dans le symbolique pour eux insupportable. Il s'agit d'une des données cliniques<br />

qui permet de déduire le plus aisément que le Nom-du-Père est forclos (absence de garantie, de<br />

vérité absolue). Ce que le sujet va mettre à la place, est une figure paternelle. Tout à fait révélateur<br />

de cette problématique est un sujet qui interroge longuement si Dieu peut se suicider.<br />

P1<br />

Dans ce deuxième temps, le psychosé mobilise un énorme appareil signifiant afin de<br />

remédier à l'insupportable faille du symbolique. "Dans les délires, écrit Freud, la folie (le délire) est<br />

employée comme une pièce qu'on colle, là où initialement c'était produit une faille dans la relation<br />

du moi au monde extérieur."<br />

C'est le début de la période de construction du délire (P1), le sujet s'efforce de résoudre<br />

l'énigme sans encore y parvenir (délire paranoïde non-structuré). "Un moment viendra, affirme<br />

Schreber, où le non-sens passera, tandis que d'elle-même des circonstances conformes à la raison<br />

renaîtront." (Le délirant se perçoit comme très raisonnable, pour Lacan, le délire est un essai de<br />

rigueur, ce à quoi il arrive en P2)<br />

En cette phase P1, transparaît une intuition de ce qui dans le symbolique fait défaut au<br />

psychotique, à savoir le signifiant paternel qui permettrait de rendre supportable l'incomplétude de<br />

l'Autre. (Signifiant qui permet d'arrêter à un moment la régression, de boucler la chaîne et de<br />

décider.)<br />

L'appel à un père pacificateur y constitue un fait clinique massivement constaté, "Je veux<br />

aller à Romes, confiait un patient, seul le Pape peut me permettre de retrouver mon identité." Outre<br />

le Pape et le Président de la République, les souverains, ministres, généraux, professeurs<br />

d'université... tous reçoivent bon an mal an leur lot de lettres de psychotiques (car ce sont des<br />

figures paternelles).<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

Ces derniers pressentent non sans raison que ces pères mythiques peuvent quelque chose<br />

pour eux. Ils leur demandent presque toujours la même chose, d'intercéder en leur faveur pour que<br />

justice soit rendue. (Il y a quelque chose qui ne va pas du côté de la loi, rendez-moi justice...) Ils<br />

projettent dans le monde extérieur la carence subjective de la loi paternelle.<br />

La deuxième phase de l'échelle des délires se caractérise par une tentative de<br />

significantisation de la jouissance qui ne parvient pas à ses fins. Le sujet n'arrive pas encore à<br />

élaborer une explication propre à justifier ce qui lui arrive, ce qu'il ressent. (Il fait plusieurs<br />

tentatives, mais n'arrive pas à les ordonner dans un argument cohérent et stable).<br />

Le délire n'atteint pas une systématisation qui éteindrait les sentiments de perplexité en<br />

résolvant l'énigme. <strong>Les</strong> ébauchent de réponses restent inachevées et/ou incoordonnées. Le délire se<br />

présente alors sous un forme paranoïde.<br />

P2<br />

Il s'en faut de beaucoup que tous les psychosés atteignent P2, période qui correspond au<br />

délire paranoïaque, lors de laquelle le délire se suture, s'organise en une armature figée, tandis que le<br />

sujet acquiert des certitudes inébranlables au nom desquelles il s'emploie à dénoncer les faux<br />

principes, payant parfois même de sa personne pour faire appliquer la vérité.<br />

Le paranoïaque se caractérise d'être celui qui identifie au champ de l'Autre la jouissance<br />

débridée qui trouble l'ordre du monde, c'est-à-dire, qu'il devient en mesure de la nommer et de la<br />

fixer (objet a). Le drame peut se dérouler dans un cadre conjugal, quand le jouisseur infâme n'est<br />

autre que le partenaire du jaloux. Aussi bien sur le champ planétaire quand le père jouisseur<br />

s'incarne pour Hitler chez le juif.<br />

C'est parce qu'il identifie au champ de l'Autre la jouissance illégale que le paranoïaque<br />

s'avère fondamentalement un persécuté-persécuteur. Il dénonce ce qui ne va pas, et s'emploie à y<br />

remédier contre l'assentiment général.<br />

P3<br />

L'affrontement cesse pour les psychosés qui parviennent à pousser l'élaboration de la<br />

métaphore délirante jusqu'à P3, le stade ultime, celui de l'apaisement paraphrénique caractérisé par<br />

le consentement à la jouissance de l'Autre. Schreber accepte alors d'être la femme de Dieu, grâce à<br />

quoi naîtra de lui une nouvelle race d'homme faite d'esprit Schreber.<br />

Dès le début du XX° siècle, Magnan et Sérieux avaient constaté l'inhérence au délire<br />

chronique, d'une transformation des idées de persécution en convictions mégalomaniaques. Le<br />

paranoïaque ne guérit pas, disait Tanzi, il désarme (cesse d'être persécuté-persécuteur en devenant<br />

mégalomane).<br />

Un sentiment de communion avec le père s'impose, de sorte que la mégalomanie connaît ses<br />

réussites les plus hautes. Le sujet devient lui-même Dieu, ou un grand personnage, voire l'élu de<br />

Dieu et en état de transmettre sa parole, ou bien encore il s'égale au créateur par la résolution d'un<br />

problème fondamental.<br />

Ce que le paraphrène gagne en apaisement, il le perd en crédibilité auprès de ses<br />

interlocuteurs qui qualifient ses propos de fantastiques (délire fantastique). L'invraisemblance des<br />

découvertes de Brisset, plaçant la grenouille aux origines de l'homme, apparaît aux lecteurs les<br />

moins avertis.<br />

Il est bien connu que le paranoïaque s'avère souvent convaincant pour ses proches. On a non<br />

seulement des folies à deux (Lasègue, Clérambault), puis à trois, quatre... mais certains parviennent<br />

même à former des disciples et à créer des sectes.<br />

En revanche, les fantasmagories du paraphrène n'emportent plus guère les convictions.<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

(Contre exemple: la secte des Mandarins.) Cela ne le soucie pas outre mesure, il se satisfait en<br />

général de témoigner.<br />

Schreber lui-même au terme de l'évolution de son travail délirant, en 1901, affirme:<br />

"La certitude de ma connaissance de Dieu et des choses divines est si grande et si<br />

inébranlable qu'il m'est au fond tout à fait indifférent de savoir ce que les autres pensent de la vérité<br />

ou de la vraisemblance de mes idées. Je ne ferai jamais rien par conséquent pour propager parmi le<br />

public mon expérience et mes opinions, sauf à leur donner dans mes mémoires une forme propre à<br />

la publication." (il ne fera rien que témoigner)<br />

<strong>Les</strong> psychosés qui parviennent aux phases ultimes du délire (P2, paranoïa et P3, paraphrénie)<br />

ne se rencontre pas toujours dans les hôpitaux spécialisés, ils sont souvent portés à l'écriture de sorte<br />

qu'on compte parmis eux beaucoup de fous littéraires (publiés à compte d'auteur). Ex: Brisset (qui<br />

n'a jamais été hospitalisé), Berbiguier... D'autres passent pour des penseurs originaux et font même<br />

des disciples. Ex: Auguste Comte. Certains de ces délirants sont si convainquant qu'ils parviennent<br />

à entraîner des foules à la mort. Ex: Jim Jones (suicide de 1000 personnes).<br />

Quand ils réussissent à élaborer une certitude qui masque l'incomplétude de l'Autre, ils<br />

trouvent selon leur inspiration, une formule clé, une réponse à l'origine, une science synthétique,<br />

une solution finale, vérité absolue, une explication ultime de l'univers, un rationalisme intégral, une<br />

science de Dieu, un nouveau catéchisme (Comte), une langue universelle... Comme dit l'un d'eux, la<br />

clé du coffre-fort contenant le secret des causes.<br />

Le Nom-du-Père constitue en effet dans l'inconscient ce qui permet de représenter et de<br />

localiser la cause du désir, par l'intermédiaire du signifiant phallique qui vient à la place d'un<br />

manque, est ce qui fait cesser les questions angoissantes sur la causalité.<br />

La plupart des psychosés se posent des problèmes qui ne possèdent d'intérêt que pour euxmême.<br />

Cependant, il en est quelques uns dont le délire s'origine de questions pertinentes, de sorte<br />

qu'il arrive à certains d'entre-eux de parvenir à d'authentiques découvertes scientifiques:<br />

-<strong>Les</strong> nombres transfinis de Cantor<br />

-La géométrie non-euclidienne de Bolyaí<br />

-Le premier principe de la thermo-dynamique de Mayer.<br />

Il est encore des sujets psychotiques qui collaborent à des œuvres scientifiques. Nombreux<br />

psychotiques sont de grands écrivains. Ex: Rousseau, Nerval. D'autres sont musiciens: Schuman,<br />

peintres: Van Gogh.<br />

L'idéal du psychosé est la constitution d'un langage sans ambiguïté aucune dont le paradigme<br />

se trouve dans les mathématiques (ou il tente d'inventer une langue en prise directe avec le corps).<br />

"La psychose, écrit Lacan, est un essai de rigueur."<br />

On appréhende trop souvent la psychose sur le modèle de la schizophrénie qui suggère un<br />

appauvrissement intellectuel.<br />

En revanche, pour l'approche psychanalytique (Freud, Lacan), se sont les efforts créatifs de<br />

la paranoïa et paraphrénie qui permettent au mieux d'appréhender la logique de la psychose (et non<br />

pas les dysfonctionnements de la schizophrénie).<br />

<strong>Les</strong> quatre phases du délire décrivent une évolution logique dont il est rare qu'un sujet<br />

franchisse toutes les étapes. Rien n'empêche qu'il se situe d'emblée en phase P3 ou P4, ni qu'il puisse<br />

régresser (Schreber de P3 rechute dans un délire paranoïde).<br />

La chimiothérapie, abrase le développement du délire, est-ce une raison pour la récuser?<br />

La meilleure utilisation des neuroleptiques est dans les formes d'entrée dans la psychose, P0<br />

et P1. En revanche, il ne faut pas utiliser de neuroleptiques sur les paraphrènes. Entre les deux: essai<br />

au cas par cas, il faut se régler en fonction de la demande du sujet également: certain veulent des<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

médicaments, d'autres surtout pas, certains ne peuvent pas parler (souffrance), d'autres veulent<br />

parler.<br />

Ceux qui sont en analyse, quand ça avance, sont souvent amenés à diminuer les<br />

médicaments.<br />

6. Pare-psychose et suppléances à la forclusion du Nom-du-Père<br />

a. La structure psychotique<br />

Il est certains cliniciens qui contestent l'existence même d'une structure psychotique (ou qui<br />

pensent que c'est une structure malléable) ou bien la possibilité de son discernement avant la<br />

psychose déclarée.<br />

<strong>Les</strong> deux exemples suivants incitent au contraire à trouver cette hypothèse heuristique.<br />

L'un des plus célèbre fou littéraire, Fulmen Cotton, eut le malheureux privilège d'être<br />

examiné par des spécialistes de son temps. Il aurait eu une idée fixe depuis le moment où il fit sa<br />

première communion à l'âge de 8 ans, celle de devenir Pape.<br />

<strong>Les</strong> signes patents de la psychose ne seraient cependant apparus que 25 ans plus tard.<br />

L'émergence précoce d'un appel pressant à la fonction paternelle ne suggère-t-elle pas avec<br />

force que la forclusion de celle-ci était déjà présente pour le premier communiant (il doit incarner le<br />

père). Et que l'un des thèmes de son délire ait été de vouloir devenir Pape à la place de Léon XIII,<br />

semble le confirmer.<br />

Qui plus est, ce fait n'est pas anecdotique, Sérieux et Capgras rapportent en 1909 un cas<br />

semblable: "L'enfance d'Arsène ne présenta guère de particularité si ce n'est que dans son village, lui<br />

avait été donné un surnom suite à une réponse mémorable faite à l'évec lors de sa première<br />

communion à l'âge de 9 ans." Que veux-tu faire plus tard lui avait-on demandé, il répondit: Pape.<br />

Il écrivit à Pi IX pour lui ordonner d'abdiquer en sa faveur. A la mort de Pi IX, il fit acte de<br />

candidature. Il développa un délire paranoïaque, dont le thème majeur était présent à sa pensée dès<br />

son enfance.<br />

A l'instar de Fulmen Cotton, Arsène témoigne donc très précocement d'une fascination pour<br />

une figure paternelle bien apte à suggérer dans l'imaginaire ce qui fait défaut dans le symbolique, à<br />

savoir, la fonction paternelle forclose.<br />

Si la structure du sujet s'instaure à la faveur de l'incorporation des signifiants rencontrés dans<br />

le discours de l'Autre (c'est-à-dire très tôt, peut être même dès l'état fœtal). Comment concevoir que<br />

la psychose clinique puisse chez certains adultes ne se déclarer que tardivement?<br />

La forclusion du Nom-du-Père ne permet pas au sujet psychotique de trouver une assise<br />

solide de son être (je suis vide, trou dans ma pensé, quelque chose de fondamental est atteint, fait<br />

défaut), mais elle lui laisse la possibilité de s'accrocher à des repères imaginaires qui servent de<br />

béquilles plus ou moins précaires. Elles laissent aussi subsister la possibilité d'élaborations diverses<br />

(par l'écriture l'art, l'activité professionnelle) qui rende le sujet apte à mettre en place des<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

suppléances à la fonction paternelle (suppléances plus solides que repères imaginaires).<br />

Suppléances: -préventives: avant le déclenchement, elles peuvent tenir toute une vie.<br />

-curatives: après le déclenchement de la psychose.<br />

Certains psychotiques (de structure, pas de psychose déclenchée) s'étayent à des images<br />

identificatoires qui passent à leur portée. Une forme remarquable de ce phénomène a été décrit par<br />

H. Deutsch qui la nommée le syndrome de personnalité "comme si" ("as if").<br />

Lacan dira de ce syndrome: "une sorte de fonction compensatrice propre à des sujets situés<br />

dans un rapport de non-intégration à la chaîne signifiante. Ils donnent une impression de complète<br />

normalité qui repose cependant sur leur remarquable aptitude imitative." (Ex: un sujet arrive dans<br />

un casino et dit qu'il est croupier, il apprend le métier de croupier sur le tas.)<br />

"S'attachant avec une très grande aisance aux groupes sociaux, éthiques et religieux, écrit H.<br />

Deutsch (1932), ils recherchent en adhérant à un groupe a donner contenu et réalité à leur vide<br />

intérieur et à établir la validité de leur existence au moyen d'une identification."<br />

<strong>Les</strong> groupes proposent de solides modèles identificatoires conduisant à cadrer la jouissance<br />

du sujet, permettant au sujet de ne pas s'orienter vers un désir propre. C'est pourquoi il n'est pas rare<br />

que la vie militaire, la règle monacale ou la discipline d'une secte tienne lieu de béquille à des<br />

psychotiques.<br />

H. Deutsch note encore finement que le fonctionnement des "comme si" s'accompagne d'une<br />

perte réelle de l'investissement d'objet (carence du fantasme fondamental, qui permet<br />

l'investissement d'objet) (Cf. Lacan: le psychotique à l'objet a dans la poche) et s'accompagne d'une<br />

absence d'introjection de l'autorité (quelque chose de la loi paternelle ne fonctionne pas, forclusion<br />

du Nom-du-Père).<br />

"Ce ne serait que par identification à des objets extérieurs qu'ils obtiendraient un précaire<br />

accès à la loi, il suffit en effet que des identifications nouvelles les orientent vers des actes asociaux<br />

ou criminels pour qu'ils deviennent délinquants."<br />

H. Deutsch découvre ces modes de fonctionnement dans les antécédents des schizophrènes,<br />

puis l'intègre aux borderlines.<br />

Faute que le désir ne soit soutenu par le fantasme fondamental, les psychotiques "comme si"<br />

donnent le sentiment à qui les écoute qu'il n'y a rien derrière leur image. Ils donnent un sentiment<br />

d'inconsistance dans leurs propos, ils sont plus tôt mous derrière leur carapace.<br />

Le syndrome "comme si" est une forme spectaculaire d'une stabilisation (mode de<br />

fonctionnement) assez fréquente de la psychose.<br />

Ex: Un patient nord américain d'une trentaine d'année qui suit une cure d'un an avec<br />

Calligaris dans les années 80. Il était militaire au Vietnam, fut décoré et quitta normalement le<br />

service à la fin de sa période. Il décida de rentrer au Etats-Unis de la façon la plus intéressante pour<br />

lui, bien qu'"intéressant" ne soit pas un terme qui fisse partie de son vocabulaire (perte de<br />

l'investissement de l'objet, pas de dynamique personnelle). Quant il vint en analyse, il était sur le<br />

chemin du retour, mais n'était pas encore rentré aux Etats-Unis. Il passe par l'Inde, s'adapte bien aux<br />

drogues, devient hippie, puis arrive en Europe et épouse une femme, héritière d'une importante<br />

entreprise française. Il reste auprès d'elle en France participant à la direction administrative de<br />

l'entreprise.<br />

Le symptôme qui amena sa femme à l'envoyer en analyse est le suivant: marié avec elle, sans<br />

enfants, il était l'amant de sa belle-mère. Ce qui apparemment constituait un problème pour sa<br />

femme (et peut être sa belle-mère). Il resta en analyse pendant un an, mais n'avait pas la moindre<br />

idée de ce pourquoi il venait. L'histoire s'est terminée ainsi: "Pendant un certain temps je suis resté<br />

sans nouvelles de lui, il ne venait plus et je ne savais pas pourquoi. Puis un jour j'ai appris qu'il était<br />

allé dans un bar quelconque où des gangsters qui apparemment préparaient un coup, trouvèrent qu'il<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

avait la tête de l'emploi et lui proposèrent de se joindre à eux. Il accepta, le coup tourna mal, un<br />

bandit fut tué et lui arrèté."<br />

Ce qui était extraordinaire chez cette personne c'est qu'il était disponible pour n'importe<br />

quoi, non pas par docilité, au sens de facilement manipulable, mais au sens où n'importe quelle<br />

route ou direction pouvait lui paraître possible. C'est ce qui se vérifie dans la fin de son histoire,<br />

mais aussi au début de son aventure française par exemple.<br />

Avoir été au Vietnam avec une histoire lourde de combattant de terrain puis hippie en Inde<br />

avant de s'insérer dans la haute bourgeoisie française, il avait fait tout cela parfaitement. De ce point<br />

de vue la fin de l'histoire est significative, il accepta et, pourquoi diable ne l'aurait-il pas fait, de<br />

prendre part à l'attaque d'une banque, lui qui n'avait jamais commis d'actes criminelles? La vérité est<br />

qu'il accepta car "pourquoi pas?".<br />

Il est intéressant de noter que dans le cadre de ses activités, par exemple diriger le<br />

département administratif d'une grande entreprise il était parfaitement à la hauteur. Rien dans ce<br />

qu'il disait ne se présentait comme une forme de signification élective (pas de signifiant-maître)<br />

mais tout avait une signification au point qu'il pouvait dans n'importe quelle circonstance être<br />

l'homme de la situation.<br />

L'analyse met l'accent sur le style d'errance de ce sujet pour qui toutes les significations<br />

peuvent apparaître comme équivalentes. Une telle absence d'un point d'arrêt dans la diversité des<br />

signification révèle la carence d'un signifiant-maître apte à organiser celle-ci.<br />

Malgré l'absence de manifestations phénoménales ordinairement rapportées à la psychose,<br />

une forclusion en est déductible (cas de psychose ordinaire). Toute fois, il faut noter que la<br />

spécificité de la clinique psychanalytique à cet égard est mal renseigné, puisque Calligaris rapporte<br />

qu'il lui a fallu de l'aide pour poser le diagnostique de psychose.<br />

Ces phénomènes sont encore décrits avec une grande finesse par Fritz Zorn (Angst) dans son<br />

livre Mars, un ouvrage autobiographique où il rend compte de sa lutte contre le lymphome qui est<br />

en train de l'emporter (à 31 ans). Avant l'apparition de ce lymphome, il ne présente aucun caractère<br />

de psychose.<br />

Ce dont il se plaint réside principalement en un état dépressif fondé non pas sur<br />

l'insatisfaction du désir (névrose), mais sur la carence à désirer:<br />

"A l'université, je n'avais pas eu 'de difficultés avec les femmes', ni même de 'problèmes<br />

sexuels'; je n'avais absolument rien eu avec les femmes et ma vie entière n'était qu'un problème<br />

sexuel non résolu. Ce n'était pas que j'avais été 'amoureux sans espoir', que cela n'avait 'pas marché'<br />

et que la femme en eût 'pris un autre', je n'avais absolument jamais été amoureux et n'avait pas la<br />

moindre idée de ce que c'était que l'amour; c'était un sentiment que je ne connaissais pas, tout<br />

comme je ne connaissais aucun sentiments [...] c'était la totale impuissance de l'âme."<br />

L'immobilisme de Zorn n'a rien en commun avec le fonctionnement de l'obsessionnel qui se<br />

mortifie en recourant au doute par crainte de l'acte. Si ce dernier n'arrive pas à se déterminer (-φ ◊ a,<br />

a', a'') c'est parce qu'il s'avère impuissant à choisir entre les objets qui présentent tous une valeur<br />

équivalente.<br />

Pour Zorn les objets manquent d'attraits. Il s'agit là d'une déficience qui va bien au-delà de<br />

difficultés psychotiques ordinaires.<br />

"Je n'avais pas de souhaits à satisfaire, car je n'avais pas de souhaits (pas d'investissement, le<br />

désir ne fonctionne pas), j'étais malheureux sans rien souhaiter, l'argent n'avait pas de sens pour moi<br />

car rien de ce qu'il m'eut permis de m'acheter ne m'avait fait plaisir. Je n'étais donc pas un acheteur<br />

enthousiaste car je savais que pour moi il n'y avait rien à acheter. Je suis malheureux car je ne<br />

fonctionne pas et je n'ai jamais fonctionné."<br />

Avant l'éclosion de son lymphome, Zorn ne se soutient que de ce qu'il nomme lui même un<br />

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Psychopathologie <strong>Les</strong> psychoses<br />

"moi simulé" dont il décrit les étayages avec une remarquable précision. En tout point il pensait<br />

devoir suivre l'opinion de ses parents, ceux-ci lui paraissaient avoir toujours fondamentalement<br />

raison. Pourtant son père dit que la religion c'est très bien, alors qu'il ne va pas à l'église, ce qui<br />

trouble Zorn.<br />

Un cours Etudiant à Rennes.com – www.etudiant-a-rennes.com<br />

Ce cours a été écrit par Emilie Lebrice en contribution au projet Etudiant à Rennes.com<br />

Document sous licence Creative Commons<br />

(by-nc-sa 2.0 fr) (http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/deed.fr)<br />

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