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La lettre ... de Jean-Jacques Rousseau - aejjr - Free

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Mon père, ce<br />

ghostbuster au sourire<br />

si fou<br />

Georges Nguyen Cao Duc<br />

Nous habitions une villa<br />

gouvernementale au croisement <strong>de</strong>s rues<br />

Pellerin (Pasteur) et Đỗ Hữu Vị (Huỳnh Thúc<br />

Kháng) à Saigon. En cette année 1952, Bảo Đại<br />

était encore Chef <strong>de</strong> l'État. Mon père dirigeait<br />

simultanément le Lycée Technique <strong>de</strong> Saigon,<br />

rue Đỗ Hữu Vị, lycée rebaptisé Cao Thắng en<br />

1956, et le Centre d'Apprentissage Technique,<br />

rue Chasseloup-<strong>La</strong>ubat (Hồng Thập Tự, puis<br />

Nguyễn Thị Minh Khai), pas loin <strong>de</strong> la rue Paul<br />

Blanchy (Hai Bà Trưng). Je préparais alors<br />

mon entrée – un an après – en primaire <strong>de</strong> notre<br />

cher Chasseloup-<strong>La</strong>ubat en suivant <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong><br />

grammaire française chez une charmante dame<br />

(son nom ne me revient pas), rue Richaud,<br />

<strong>de</strong>venue Phan Đình Phùng dans les années 56.<br />

Elle cachait <strong>de</strong>s phénomènes fort bizarres,<br />

cette <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> fonction, et qui effrayaient<br />

notre petit mon<strong>de</strong>, en particulier Chị Tám<br />

("Sœur n° 8", pour mes condisciples hexagonaux),<br />

notre servante. Pour tout dire, elle était<br />

hantée. <strong>La</strong> pauvre Chị Tám se couchait avec à<br />

son chevet un coutelas, car une croyance<br />

populaire le voulait (le veut toujours?): seule<br />

une arme blanche pourrait écarter les revenants<br />

venant soulever le soir sa moustiquaire pour lui<br />

présenter leur forme horrible. <strong>La</strong>s, ce coutelas<br />

n'a guère été d'un grand secours et n'empêchait<br />

pas la pauvre femme <strong>de</strong> se réfugier à l'étage <strong>de</strong>s<br />

enfants, le nôtre, en balbutiant: "Il est revenu..."<br />

Quelques menues offran<strong>de</strong>s au(x) fantôme(s)<br />

n'apportaient aucune solution, et Chị Tám venait<br />

coucher avec nous régulièrement. De même,<br />

certains membres <strong>de</strong> ma famille voyaient<br />

parfois <strong>de</strong>s ombres empruntant l'escalier du<br />

salon menant à l'étage où se trouvaient les<br />

chambres à coucher. Singulières et gênantes<br />

impressions qui menaient à <strong>de</strong>s commentaires<br />

sans fin. "Ils" sont là, disait-on.<br />

Chose étonnante, le lycée attenant était tout<br />

aussi hanté, et <strong>de</strong> manière encore plus dérangeante<br />

et visuelle. Le personnel ému racontait à<br />

mon père les apparitions inopinées <strong>de</strong> "boules<br />

<strong>de</strong> feu" en provenance <strong>de</strong> l'atelier central au<br />

fond <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> cour, et qui revenaient à<br />

l'atelier pour y disparaître, après une petite<br />

saraban<strong>de</strong>. Là encore, <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vaient<br />

calmer en principe les esprits-revenants chagrins,<br />

mais là également, sans résultat tangible.<br />

Bien qu'alors bien petit, j'ai encore un souvenir<br />

très clair <strong>de</strong> la cérémonie annuelle <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s,<br />

particulièrement formelle, et très suivie par<br />

l'ensemble du personnel et <strong>de</strong>s enseignants.<br />

Chose plus dérangeante encore: notre<br />

garage, qui séparait la villa du lycée, était<br />

source <strong>de</strong> frayeurs pour les passants dans la rue:<br />

ils voyaient à toute heure – et pas seulement le<br />

soir – <strong>de</strong>s ombres qui en sortaient ou qui y<br />

entraient, alors que son lourd portail était fermé<br />

au ca<strong>de</strong>nas. Marcel Aymé, avec son Passe-<br />

Muraille, aurait fort apprécié... Le commissariat,<br />

alerté, n'avait pas trouvé d'explication à ce<br />

phénomène connu <strong>de</strong>s habitants du quartier.<br />

Une explication "logique" (?) était là, pourtant:<br />

dans les années 40, la Kempetaï (la feldgendarmerie<br />

japonaise, à côté <strong>de</strong> laquelle la<br />

Gestapo nazie était une aimable plaisanterie)<br />

avait réquisitionné les lieux. Ces locaux, et en<br />

particulier l'atelier du lycée et le garage, avaient<br />

été le cadre <strong>de</strong> séances <strong>de</strong> torture avec les conséquences<br />

tragiques que l'on <strong>de</strong>vine, en mars<br />

1945, lors du coup <strong>de</strong> force japonais. Les<br />

pauvres âmes errantes <strong>de</strong>s victimes étaient en<br />

quête d'une sépulture décente pour ce qui restait<br />

<strong>de</strong> leur enveloppe charnelle, si tant est qu'il en<br />

restait quelque chose...<br />

Excédé par ces phénomènes, mon père,<br />

homme vif et rationnel s'il en est (certains se<br />

souviennent <strong>de</strong> ses cours <strong>de</strong> maths et <strong>de</strong> physique,<br />

comme Võ Duy Thành et ma sœur, maintenant<br />

Mme Lê Công Hoài Bảo, ou mes<br />

camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> classe), décida un jour <strong>de</strong> porter<br />

un coup d'arrêt à ce qu'il appelait en français<br />

peu académique <strong>de</strong>s "emm...ments répétitifs".<br />

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