Guerre à la guerre: la parole aux poêtes; The ... - unesdoc - Unesco

massacres programmés et aux catastro¬
phes planifiées que les futurologues mili¬
taristes et les multinationales de l'arme¬
ment essayent d'imposer à tous les
peuples.
Au fond, la poésie ne devrait pas faire
scandale dans une institution qui a pour
but d'en finir avec l'hégémonie de l'in¬
culture et de l'ignorance. C'est bien la
moindre des choses que la crise structu¬
relle qui secoue en permanence toutes les
nations, sur le plan culturel comme sur
le plan économique, bouleverse quelque
peu les vieilles habitudes. Rappelons que
ce ne sont pas ceux qui tiennent un dis¬
cours poétique mais bien ceux qui pro¬
fèrent le discours de la guerre qui met¬
tent en danger la survie de l'espèce
humaine.
Grâce à la poésie il peut être question,
sans abus de langage, de mettre (ne serait-
ce que pour un laps de temps expérimen¬
tal) " l'imagination au pouvoir ". Si la
poésie en est encore là, au cUur de la
question sociale, c'est parce que les autres
discours scientifique, politique, reli¬
gieux, administratif et les autres systè¬
mes de croyance, de perception et d'ex¬
pression, se sont montrés incapables de
penser la crise actuelle du monde. La poé¬
sie, quant à elle, utilise cette crise comme
matière première, elle tire sa légitimité de
sa rupture d'avec les idées reçues, les dis¬
cours édifiants, les exposés dogmatiques,
la langue de bois du Pouvoir, le babil des
médias et la médiocrité culturelle domi¬
nante mondialisée par l'audiovisuel. La
poésie est en dissidence par rapport aux
normes et aux coutumes industrielles, elle
ouvre une voie royale : celle de l'aventure
de l'esprit irréductible et souveraine. Le
travail poétique restitue à ses fervents
l'usage d'une parole et d'une langue dif¬
férentes et permet à l'individu d'assumer
sa singularité, ce qui, à l'heure de la robo¬
tisation et de la massification, remplit
une fonction essentielle. A l'ère nucléaire
on peut encore, comme dans l'Antiquité
que ce soit en Orient ou en Occident,
en Afrique ou aux Amériques grâce
à la poésie, apprendre ou réapprendre à
penser librement. C'est en cela que les
objectifs de la poésie moderne et ceux de
l'Unesco ne sont pas inconciliables.
Il convient de remercier le Directeur
général de l'Unesco, M. Amadou-
Mahtar M'Bow, d'avoir accueilli cette
initiative avec sympathie en donnant
l'occasion à une vingtaine de poètes, si
dissemblables, de déclarer ensemble la
Guerre à la Guerre, et d'opposer l'éthi¬
que philosophique à toutes les agressions
militaires d'où qu'elles viennent et quels
qu'en soient les prétextes. Cela encoura¬
gera peut-être les pacifistes de tous les
pays à rassembler leurs forces pour mieux
s'opposer à la logique criminelle des mas¬
sacreurs. Peut-être cette manifestation
mettra-t-elle en marche, fût-ce au niveau
intime, à la fois privé et collectif, le pro¬
cessus de méditation qui constitue la base
de l'activité poétique : l'éveil.
Chanson
Je t'épelle tableau de la terreur
Je lis ton long désert
Mon lendemain tremblant, et sur mes joues
Les taches de ce ciel assassiné
Taches de mes deux mains
Je t'épelle, j'éveille le feu dans ton visage,
Je fais crier les lettres avares
J'embrasse lynx et corbeau
J'embrasse les morts
Ils se sont éveillés ils ont quitté leur herbe ils ont
En fourmi ou en livre
J'accepte de les laver
Avec mon lendemain ou avec mon hier
Moi digne de moi :
Je devance
Et j'invente les autres.
ressuscité
Adonis
Texte © Adonis.
Traduit de l'arabe par Martine Faideau.
Adonis Le livre de la migration,
© Luneau Ascot éd. 1982.