DE LA PRESBYTIE ACCIDENTELLE - Jean-Paul Marat
DE LA PRESBYTIE ACCIDENTELLE - Jean-Paul Marat
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<strong>DE</strong> <strong>LA</strong><br />
<strong>PRESBYTIE</strong> ACCI<strong>DE</strong>NTELLE<br />
PAR<br />
J.P. MARAT<br />
DOCTEUR EN MÉ<strong>DE</strong>CINE<br />
(1776)<br />
TRADUIT POUR <strong>LA</strong> PREMIÈRE FOIS <strong>DE</strong> L’ANG<strong>LA</strong>IS D’APRÈS LE SEUL EXEMP<strong>LA</strong>IRE<br />
CONNU, APPARTENANT A <strong>LA</strong> BIBLIOTHÈQUE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> SOCIÉTÉ ROYALE<br />
<strong>DE</strong> MÉ<strong>DE</strong>CINE ET <strong>DE</strong> CHIRURGIE <strong>DE</strong> LONDRES<br />
PAR<br />
GEORGES PILOTELLE<br />
PRÉCÉDÉ D’UNE INTRODUCTION<br />
PAR<br />
LE BIBLIOGRAPHE <strong>DE</strong> MARAT<br />
LIBRAIRIE CHAMPION, 9 QUAI VOLTAIRE<br />
1891
<strong>DE</strong> <strong>LA</strong><br />
<strong>PRESBYTIE</strong> ACCI<strong>DE</strong>NTELLE<br />
3
AN ENQUIRY<br />
INTO THE NATURE, CAUSE, AND CURE OF A SINGU<strong>LA</strong>R<br />
DISEASE OF THE EYES, HITHERTO UNKNOWN, AND<br />
YET COMMON, PRODUCED BY THE USE OF<br />
CERTAIN MERCURIAL PREPARATIONS<br />
BY<br />
J.P. MARAT, M.D.<br />
LONDON<br />
PRINTED FOR W. NICOLL, IN ST. PAUL’S CHURCH-YARD<br />
AND J. WILLIAMS, IN FLEET STREET<br />
(Price One Shilling, served)<br />
4
RECHERCHES<br />
SUR <strong>LA</strong> NATURE, LES CAUSES ET LE TRAITEMENT D’UNE<br />
MA<strong>LA</strong>DIE PARTICULIÈRE <strong>DE</strong>S YEUX, JUSQU'A PRÉSENT<br />
INCONNUE ET POURTANT FRÉQUENTE, CAUSÉE PAR<br />
L’USAGE <strong>DE</strong> CERTAINES PRÉPARATIONS MERCURIELLES<br />
PAR<br />
J.P. MARAT<br />
DOCTEUR EN MÉ<strong>DE</strong>CINE<br />
LONDRES<br />
PUBLIÉ PAR W. NICOLL, ST. PAUL’S CHURCH-YARD<br />
ET J. WILLIAMS, FLEET STREET<br />
(Prix un Shilling, broché)<br />
5
PREFACE<br />
De même que certaines sciences, la bibliographie a ses découvertes ; toutes<br />
assurément sont intéressantes en raison du mérite de chacune d’elles, mais il s’en<br />
présente parfois d’un intérêt tellement grand, qu’elles prennent toute l’importance<br />
d’un événement dans cet ordre de faits.<br />
Au nombre de ces dernières, toujours il faudra compter, dans l’étude de <strong>Marat</strong>,<br />
la découverte de son Diplôme de Docteur en Médecine ; son Eloge de Montesquieu ;<br />
sa Lettre à Rose Roume de Saint-Laurent ; sa Promesse de Mariage à Simonne<br />
Evrard.<br />
Ce précieux écrin, déjà restitué à l’histoire, va se trouver enrichi d’un nouveau<br />
document pour servir à l’étude, encore à faire, du <strong>Marat</strong> Médecin, en attendant celle<br />
du Savant.<br />
Il s’agit de la traduction française d’un traité sur la nature, les causes et le<br />
traitement d’une maladie spéciale des yeux : La Presbytie accidentelle, par J.P.<br />
<strong>Marat</strong>.<br />
C’est donc rendre hommage, autant que justice, au nouveau bibliographe, que<br />
nous sommes heureux de compter parmi nous, de dire que cette magnifique<br />
publication, offerte aux amis des lettres par M. Georges Pilotelle, est son offrande à la<br />
mémoire de <strong>Jean</strong>-<strong>Paul</strong> <strong>Marat</strong>.<br />
F. CHEVREMONT,<br />
Le bibliographe de <strong>Marat</strong><br />
7
A <strong>LA</strong> SOCIETE ROYALE :<br />
Ce n’est pas une dédicace : une telle formalité m’a toujours semblé au-dessous<br />
de la dignité du philosophe. Mon idée est purement ici (suivant l’exemple des<br />
naturalistes qui sont anxieux et fiers de contribuer aux collections de fossiles curieux<br />
ou d’autres spécimen d’études d’histoire naturelle) qu’il me soit permis dans votre<br />
immense collection de faits, d’observations et de recherches, de vous demander une<br />
petite place pour quelques expériences sur un phénomène de l’économie animale,<br />
phénomène singulier qui jusqu’à présent a échappé à l’attention des physiologistes et<br />
qui, je présume, est trop curieux pour ne point exciter la vôtre. Soi quelqu’un des<br />
membres de votre Société désire vérifier au moyen de dissections et analyses les<br />
éclaircissements que je donne dans les pages suivantes, il ne regrettera point son<br />
temps.<br />
CHURCH STREET, SOHO,<br />
I er Janvier, 1776 *<br />
Je suis, avec le plus profond respect,<br />
MESSIEURS,<br />
Votre très-humble et très-obéissant serviteur<br />
J.P. MARAT.<br />
* Il est à croire que <strong>Marat</strong> a écrit originellement son ouvrage en français, puis traduit trop littéralement en<br />
anglais au point de vue du style. Sa pseudo-dédicace à la Société royale semble en faire foi, en même temps<br />
qu’elle indique une certaine humilité dans la forme, qui se rencontre, dans des expressions telles que cellesci<br />
: « …would be pleased to amuse themselves… » qui, traduite littéralement, signifie : « …voudraient bien<br />
s’amuser à … » ou encore « … a small nook… » qui signifie « un tout petit nid. »<br />
9
RECHERCHES, ETC.<br />
Parmi les différentes maladies qui affectent les yeux, il en est une encore ( a )<br />
inconnue que les praticiens ont jusqu’à ce jour confondue avec la «gutta serena».<br />
En voici les symptômes caractéristiques : l’œil (lorsqu’on le touche) devient<br />
quelque peu douloureux, sans cause apparente ; une pression ou une dureté se ressent<br />
à l’intérieur ; les mouvements latéraux de l’orbite sont<br />
exécutés<br />
( a ) Et cela n’est point surprenant, considérant combien peu d’oculistes – si même il en est – sont familiers<br />
avec la science de l’optique, science cependant absolument nécessaire pour la recherche des causes et des<br />
défauts de la vue. En effet, depuis que le traitement des maladies des yeux, est devenu une branche spéciale<br />
de l’art médical, il est entièrement abandonné aux opérateurs qui, en général, non-seulement ne connaissent<br />
pas les fonctions des divers éléments qui constituent l’organe de la vue, mais encore ignorent sa structure.<br />
11
exécutés avec difficulté ; les objets qui sont près ne se voient plus ; les objets<br />
éloignés seuls peuvent être perçus à une certaine distance, et même alors<br />
imparfaitement. Cette affection de l’œil, qui n’a point encore de nom, mais qui<br />
pourrait être appelée Presbytie accidentelle ( c ), ou vue longue, est toujours la<br />
conséquence fatale du mercure pris sans les précautions nécessaires.<br />
Lorsque le calomel, la panacée, le sublimé corrosif, ou toute autre préparation<br />
mercurielle sous la forme de sel, a été administrée hors de propos, si elle n’a pas été<br />
immédiatement évacuée au moyen de purgatifs, passe avec le chyle dans le sang.<br />
En circulant, le sel mercuriel fait corps avec le mucus avec lequel il a plus<br />
d’affinité intime qu’avec aucune autre de nos humeurs. Après quoi il est charrié dans<br />
les organes glandulaires, où il est secrété ( d ).<br />
Pendant qu’il n’est point encore mélangé avec le mucus, si quelqu’une de ces<br />
particules est de dimension trop large pour passer librement à travers les minuscules<br />
vaisseaux capillaires dans lesquels il serait entré, il irrite leur enveloppe par ses<br />
angles aigus : les vaisseaux se contractent ; leur diamètre étant par ce fait diminué, la<br />
lymphe n’y pénètre plus librement ; mais son afflux, continuant quand même, élargit<br />
leur cavité.<br />
Les vaisseaux ainsi élargis pressent bientôt les autres petits vaisseaux<br />
adjacents ; et ceux-ci étant<br />
obstrués<br />
( c ) Cette maladie est réellement plus commune qu’on ne l’imaginerait, car c’est une coûtume prédominante<br />
parmi les médecins et les chirurgiens de prescrire le mercure dans presque touts les cas. Et j’oserais<br />
affirmer que sur dix malades qu’ls déclarent affligés de «gutta serena» sept sont atteints de Presbytie<br />
accidentelle.<br />
( d ) Telle est la raison pour laquelle le mercure, lorsqu’on le prend, ne provoque pas une salivation<br />
immédiate.<br />
12
obstrués et dilatés à leur tour, la texture entière de l’organe qu’ils forment est<br />
tuméfiée ( e ).<br />
Lorsque les fibres nerveuses et les vaisseaux sanguins concourent à la<br />
constitution de l’organe, la tumeur est toujours accompagnée d’une inflammation<br />
douloureuse. Tel étant l’effet des préparations mercurielles, il est capable de<br />
désorganiser l’économie animale de différentes façons, selon les fonctions des parties<br />
affectées.<br />
Un examen complet de celles-ci grossirait ces pages outre mesure : je le<br />
réserve, par conséquent, comme sujet d’une publication subséquente. Ici, je me borne<br />
aux effets des sels mercuriels sur les organes de la vue, de façon à rendre compte des<br />
phénomènes inhérents à la maladie que je traite. Les particules mercurielles charriées<br />
dans les vaisseaux minuscules des muscles oculaires les irritent ; l’irritation est<br />
bientôt suivie de contraction et d’obstruction ; ainsi la substances entière des muscles<br />
s’irrite et leur ensemble devient enflammé.<br />
De là, la pression interne, la dureté, la douleur sourde que l’on ressent dans<br />
cette maladie.<br />
Pour que les rayons de la lumière, qui tombent sur l’œil, puissent exprimer<br />
une image distincte sur la ( f ) choroïde, il faut qu’ils y aient leur foyer. Ceci ne peut<br />
être effectué que lorsque la membrane est à une certaine distance de la lentille ; et<br />
cette distance est toujours relative à la position des objets.<br />
Les rayons<br />
( e ) Il est bien connu que non seulement les artères mais aussi les veines sont susceptibles d’irritabilité.<br />
( f ) Sur cette membrane est réfléchie l’image des objets.<br />
13
Les rayons réfléchis par les objets proches, étant moins réfrangibles, ont leur<br />
foyer plus distant de la lentille, que les rayons réfléchis par les objets éloignés. Afin<br />
de distinguer les objets à des distances variées, l’esprit rapproche la choroïde du<br />
crystallin ou l’en éloigne ; c’est-à-dire altère la forme de l’œil…, altération toujours<br />
effectuée par les mouvements des muscles oculaires. Aussi, lorsque le mouvement de<br />
ces muscles est contrarié par l’inflammation, il est évident qu’il n’y a aucune<br />
possibilité de voir distinctement les objets à différentes distances.<br />
Pour voir les objets éloignés, l’œil se retire dans le fond de l’orbite par la<br />
contraction de ses muscles droits ; car en se contractant, ces muscles ramènent<br />
l’hémisphère antérieur du globe (auquel adhèrent leurs aponévroses) vers<br />
l’hémisphère postérieur ; par conséquent ils rapprochent la choroïde du crystallin. De<br />
sorte que les muscles oculaires étant enflammés et contractés par des particules<br />
mercurielles irritantes, les objets ne peuvent être distingués qu’à une certaine distance<br />
( g ). Pour voir les objets proches, l’œil, comprimé de côté par ses muscles obliques,<br />
semble projeté hors de l’orbite. Son globe étant par conséquent allongé, la choroïde<br />
est plus distante du crystallin. Mais comme l’œil a seulement deux muscles obliques<br />
contre quatre droits, quand ses muscles sont tous enflés au même degré,<br />
( g ) Comme les muscles sont rarement enflés, ou le sont rarement de la même façon au même moment,<br />
l’usage des préparations mercurielles n’affecte pas nécessairement la vue de chaque individu non plus qu’il<br />
n’affecte pas au même degré les deux yeux du même individu.<br />
la<br />
14
la choroïde est plus retirée vers le crystallin par les premiers que par les derniers.<br />
Ainsi les objets proches ne peuvent pas se distinguer aussi clairement que ceux<br />
éloignés. Lorsque les muscles obliques ne sont pas également enflés dans toute leur<br />
étendue, l’extrémité de l’œil, étant pressée vers son axe, ne forme plus une<br />
circonférence régulière dont tous les points sont également distants de la lentille. Par<br />
conséquent, des rayons qui tombent sur la choroïde une partie seulement y ont leur<br />
foyer ; les autres sont encore trop divergents pour exprimer une image distincte. Ainsi<br />
même les objets éloignés ne peuvent être saisis qu’imparfaitement. Voici donc pour<br />
l’investigation sur la nature et la cause de cette maladie. Ayant jusqu’à présent été<br />
confondue avec la «gutta serena» par les praticiens, elle a conséquemment été traitée<br />
comme telle. Les exutoires, les vomitifs, les purgatifs, la salivation, ont été<br />
occasionnellement essayés ; mais chaque méthode jusqu’ici employée n’a eu d’autre<br />
résultat que d’accentuer la maladie. Un traitement rationnel de cette affection ne peut<br />
être, j’imagine, que bienvenu du public ; je vais donc le tracer. Les indications pour<br />
une cire radicale sont au nombre de trois : détendre, désobstruer et rendre leur<br />
pouvoir normal aux muscles oculaires. Dans le but de détendre, le malade doit éviter<br />
les spiritueux, le thé, le café, le chocolat, les aromates, les exercices prolongés et les<br />
passions violentes. Il doit aussi observer une diète modeste ; sa seule<br />
boisson<br />
15
oisson, pour quelque temps, doit être soit de l’eau d’orge, du petit-lait, de la tisane<br />
de guimauve ou de l’orgeat.<br />
Ce régime une fois prescrit, on doit commencer la cure par une saignée<br />
modérée au pied, saignée qui doit être répétée une fois chaque semaine. Tous les<br />
jours (excepté ceux où il est saigné) et pendant un mois entier, le malade doit prendre<br />
deux, trois ou quatre drachmes de casse, selon la vigueur de sa constitution.<br />
Lorsque ses humeurs sont bien délayées, des suffumigations antispasmodiques ( h )<br />
doivent être faites aux yeux avec un instrument approprié. Des cataplasmes émolients<br />
( i ) doivent être également appliqués à la région des tempes. Avec ces derniers,<br />
l’inflammation des muscles oculaires s’efface par degrés, le douleur sourde disparaît,<br />
le globe de l’œil diminue, et la vue commence à se rétablir.<br />
Alors on peut faire passer quelques étincelles électriques ( k ) sur le canthus de l’œil,<br />
matin et soir, pendant quelques semaines. Pendant ce temps, un emplâtre de<br />
tacamaque doit être porté sur les tempes.<br />
Ces remèdes étant destinés à dissiper toute obstruction des parties affectées<br />
sont destinées à rendre la vue et complètent la seconde période.<br />
Lorsque<br />
( h ) ( i ) Je me borne à une indication des remèdes généraux, sans entrer dans d’autres détails, c’est au<br />
médecin judicieux qu’il appartient de choisir ceux qui conviennent le mieux à la constitution du sujet.<br />
( k ) Il est essentiel de savoir quand on doit recourir à l’électricité ; car appliquée mal à propos, elle ne<br />
saurait être que nuisible.<br />
16
Lorsque la vue est presque ( l ) revenue à son premier état, il reste seulement<br />
une certaine faiblesse qui se dissipe graduellement en lavant fréquemment l’œil à<br />
l’eau fraîche seule. Telle est la méthode que j’ai suivie pour obtenir les guérisons<br />
suivantes, les seules de ce genre que j’aie jamais essayées.<br />
Charlotte Blondel (fille unique d’un négociant de Paris), fillette de onze ans et<br />
d’une constitution délicate, étant dérangée par les vers, on lui prescrivit des biscuits<br />
mercuriels, et quoiqu’elle eut été purgée, de temps à autre, pendant le cours de la<br />
médication, une salivation survint, bientôt après la tête enfla, et la vue fut altérée, de<br />
telle sorte que la malade pouvait à peine distinguer un objet quelconque. Afin<br />
d’arrêter la salivation, la purgation fut répétée chaque jour. Elle diminua en effet ; il<br />
en fut de même de l’enflure de la tête ; la vue aussi s’améliora quelque peu. En<br />
continuant ce même traitement laxatif, les symptômes disparurent enfin, excepté<br />
l’altération de la vue, car la malade ne pouvait voir les objets qu’à une certaine<br />
distance. Les parents, inquiets pour leur fille, s’adressèrent à un célèbre oculiste, qui<br />
refusa d’entreprendre la guérison. Plus tard on s’adressa à un moine qui avait une<br />
certaine réputation pour la cure des maladies des yeux. Son avis fut que la malade<br />
était atteinte de la «gutta serena», et il la traita pendant sept mois, prescrivant d’abord<br />
des boissons sudorifiques<br />
( l ) Comme une inflammation prolongée, ou tension, est toujours suivie d’une relaxation proportionnée, les<br />
muscles optiques ne peuvent recouvrer aussitôt leur vigueur première, de façon à donner à l’œil la forme<br />
nécessaire pour voir à des distances variées.<br />
et<br />
17
et finalement des suffumigations d’ammoniaque qui n’eurent d’autre effet que<br />
d’enflammer les yeux. La malade était déjà abandonnée lorsque j’entrepris sa<br />
guérison. Comme je n’étais pas sans quelque connaissance de l’optique et que j’avais<br />
déjà vu plusieurs personnes affectées de la même manière je fus bientôt convaincu<br />
que son cas n’avait pas été compris. Considérant l’inflammation des muscles<br />
oculaires comme la véritable cause de cette maladie je fus persuadé que les seuls<br />
remèdes à employer d’a bord étaient les laxatifs et les émolients. En conséquence,<br />
ayant établi une diète rafraichissante, je prescrivis deux drachmes de casse à prendre<br />
chaque matin à jeun pendant trois semaines, et comme boisson, une infusion de<br />
guimauve. Voyant que la malade avait un dégoût pour cette infusion, le petit-lait lui<br />
fut substitué. Ma malade ne remarqua aucun changement dans sa vue pendant une<br />
quinzaine, mais plus tard trouva quelque amélioration. Afin de constater les progrès à<br />
l’avenir je fabriquai une sorte de mesure sur laquelle je marquai la distance la plus<br />
rapprochée à laquelle elle pouvait voir l’heure à une montre. La distance était de<br />
vingt-huit pouces. Pensant que l’usage de la casse avait duré assez longtemps, je<br />
conseillai les suffumigations de guimauve deux fois par jour et un cataplasme mou<br />
des quatre-farines à appliquer sur les temps. Ceci fut fait pendant un mois entier, à la<br />
fin duquel la mesure de la distance pour la vue était réduite à vingt-deux pouces ;<br />
c’est-à-dire que la malade pouvait dire l’heure à la même montre à une distance de<br />
vingt-deux pouces. Comme ses humeurs paraissaient suffisamment clarifiées, afin de<br />
dissiper l’obstruction des muscles oculaires et de provoquer la réduction de leur<br />
volume, j’exprimai le désir de faire passer quelques étincelles électriques sur le<br />
canthus des yeux, mais j’en fus empêché par la mère de la malade, qui, ayant un fort<br />
préjugé<br />
contre<br />
18
contre ce traitement, ne voulut jamais y consentir. A ce moment, je pris congé de ma<br />
malade. Dix jours après le père m’envoya chercher et, après quelques mots d’excuse,<br />
me dit que si j’étais encore d’opinion que l’électricité pût être de quelque secours à sa<br />
fille, on suivrait mon avis. Je répondis affirmativement. En conséquence le lendemain<br />
matin je fis jaillir quelques étincelles. Mais auparavant, pour être à même de juger<br />
des effets du fluide électrique dans ce cas, je renouvelai l’observation avec la montre,<br />
et trouvai qu’aucune modification n’avait pris place dans la vue de la malade depuis<br />
que j’avais cessé de la soigner.<br />
Le soir, je tirai également quelques étincelles. Ceci fut répété pendant plusieurs jours,<br />
en ayant soin, à chaque fois, d’augmenter le nombre des étincelles. La guérison<br />
avançait, mais fort lentement, car au commencement de la quatrième semaine la<br />
distance n’était réduite qu’à dix-huit pouces. Etonné d’un progrès si minime,<br />
j’accordai quelque repos à la malade. Dans l’intervalle, cherchant ce qui pourrait<br />
avoir fait obstacle à l’efficacité d’un traitement dans lequel j’avais tant de confiance,<br />
je fis la réflexion suivante : que puisque les étincelles électriques n’agissaient que<br />
comme stimulant, elles ne pouvaient ni désobstruer ni réduire le volume des parties<br />
affectées tant qu’il restait une surabondance de sang. Pour en diminuer la masse j’eus<br />
donc recours à la saignée et, je jour après, recommençai l’application de l’électricité.<br />
Le résultat justifia mon attente ; car le traitement avait à peine duré huit jours que la<br />
distance, sur ma mesure, était réduite à treize pouces.<br />
J’<br />
19
J’avais alors l’intention de répéter la saignée, mais fus obligé de la différer en<br />
conséquence de la faiblesse de la malade. Cette seconde saignée ayant eu lieu, un<br />
emplâtre de tacamaque fut appliqué sur chaque tempe et l’électrisation fut continuée.<br />
Quelques jours après, la distance était réduite à neuf pouces. Ce traitement fut suivi<br />
pendant trois semaines encore ; mais ne remarquant plus de diminution dans la<br />
distance, je jugeai que la vue était presque retournée à son état normal. Les emplâtres<br />
stimulants et l’électrisation furent abandonnés. Pendant quelque temps, la malade<br />
conserva une certaine incapacité à fixer les objets. Comme ceci résultait entièrement<br />
de la faiblesse des muscles oculaires, je prescrivis des lotions d’eau froide mélangée<br />
de quelques gouttes ( m ) de Balsam d’Hoffman, ce qui enfin compléta la cure.<br />
D B., négociant à Londres, ayant contracté une violente gonorrhée et un<br />
bubon, s’adressa à un médecin en renom, qui (soupçonnant que la masse des humeurs<br />
était infectée du virus vénérien) lui administra du sublimé corrosif dans de l’esprit de<br />
vin. Il est vrai que, dans le but de conserver le corps libre, une dose de jalap lui était<br />
donnée de temps à autre ; mais, comme ce purgatif est d’une nature drastique ( n ), et<br />
que le malade ne suivait aucune sorte de régime (fêtant la bouteille tout comme<br />
avant), une violente salivation survint. Celle-ci pourtant, soignée à temps, fut bientôt<br />
arrêtée.<br />
L’usage<br />
( m ) J’ai depuis acquis l’expérience que l’eau fraîche agit mieux employée pure que mélangée avec des<br />
spiritueux.<br />
( n ) Les purgatifs drastics produisent des abattements momentanés et sont suivis de constipation.<br />
20
L’usage du sublimé corrosif avait à peine été recommencé depuis quelques<br />
jours que le malade, ayant fait un excès de boisson, vit l’écoulement disparaître toutà-coup<br />
; en vingt-quatre heures, l’inflammation se déclara et la face tout entière enfla.<br />
Le jour suivant, l’ophtalmie était telle que le malade ne pouvait supporter la lumière<br />
du jour. Pendant quelques instants il tenait les yeux fermés, et quand il les ouvrait,<br />
c’était pour recevoir l’impression que sa vue était presque perdue. L’ophtalmie prit<br />
longtemps à se dissiper entièrement, et quand elle le fut, la vue resta très-affectée, car<br />
le malade ne pouvait voir les objets qu’à une certaine distance, et même alors<br />
partiellement, leur image restant indécise. Dans son dépit, il congédia le médecin qui<br />
le soignait et s’adressa à un autre. Dans le but de lui rétablir la vue, des purgatifs avec<br />
du calomel lui furent fréquemment administrés et un vésicatoire ouvert sur la nuque,<br />
mais sans résultat ; un écoulement du nez fut enfin amené par l’usage de poudre<br />
d’errhin et de sels volatils : ceux-ci causèrent une nouvelle inflammation et<br />
aggravèrent la maladie. Le malade était depuis sept mois dans ces désagréables<br />
conditions lorsqu’il se confia à mes soins. Comme il était d’un tempérament sanguin<br />
je le saignai deux fois le premier jour : ensuite je prescrivis un régime rafraîchissant<br />
et tin le corps libre au moyen de laxatifs légers. Pendant une quinzaine aucune<br />
amélioration ne se produisit, avec cette exception que les yeux étaient moins<br />
douloureux au toucher ; mais au cours de la troisième semaine les parties affectées<br />
devinrent parfaitement aisées.<br />
Les objets<br />
21
Les objets, à vrai dire, n’étaient point perçus à une distance plus rapprochée, mais<br />
leur image était moins déformée. Je saignai le malade de nouveau et employai les<br />
suffumigations émolientes et les cataplasmes. Après quinze jours de ce traitement, un<br />
grand changement se produisit dans la vue : l’image des objets n’était plus défigurée.<br />
La saignée fut répétée. Le lendemain, le malade recommença les laxatifs et les<br />
continua pendant une semaine entière. Après quoi l’électricité fut appliquée de la<br />
façon que j’ai déjà décrite et un emplâtre de tacamaque fut placé aux tempes. Des<br />
emplaîtres stimulants, des étincelles électriques et des infusions dépuratives<br />
détruisirent en cinq semaines toute obstruction et enflure des muscles oculaires. La<br />
vue ayant été ainsi rétablie, de fréquentes lotions d’eau froide achevèrent bientôt la<br />
guérison.<br />
En Janvier 1773, J. P., Esq., prit du sublimé corrosif dissous dans de l’esprit<br />
de vin dans le but de se débarrasser d’une blénnorhée. Comme on n’avait pris nul<br />
soin pour tenir son corps libre, une salivation survint. Etant dans cet état, il fit, sans<br />
réflexion, une promenade matinale à cheval par un vent vif du Nord. A son retour, il<br />
fut saisi d’une sorte d’esquinancie ; la figure s’enfla monstrueusement et les yeux<br />
furent pris d’inflammation. Pour le soulager, de fréquentes doses de jalap lui furent<br />
données.<br />
Comme<br />
22
Comme le malade ne pouvait supporter aucune lumière vive et était en danger<br />
de suffocation couché dans son lit, il passa nuit et jour sur un fauteuil à bras dans une<br />
chambre rendue obscure. Lorsque les dangereux symptômes disparurent et qu’on<br />
laissa de nouveau entrer la lumière dans la chambre, il craignit d’avoir perdu la vue,<br />
mais comprit bientôt qu’elle n’était qu’altérée, car il lui restait la possibilité de<br />
distinguer confusément les objets à une certaine distance. Il serait trop long et trop<br />
oiseux de relater les différents remèdes qui furent employés en vain pour rétablir chez<br />
lui l’organe de la vue. Je ferai seulement observer que, lorsque je fus appelé, le<br />
malade était depuis près de deux ans en proie à cette cruelle affection ; et<br />
l’impression des objets sur l’œil gauche était si faible que je considérai le succès de<br />
ma tentative fort douteux, pour dire le moins. En examinant à quel point le foyer<br />
naturel des rayons de lumière avait été changé, je trouvai que mon malade ne pouvait<br />
clairement voir l’heure à une montre à quelque distance que ce fût ; mais qu’il la<br />
voyait moins imparfaitement quand la montre était à trente-deux pouces de distance.<br />
C’est la plus grande altération de la vue que j’ai jamais connue. Pour couronner son<br />
malheur, le malade avait un tempérament scorbutique, de sorte que j’avais deux<br />
maladies à attaquer au lieu d’une. La première chose à faire dans ce cas était<br />
incontestablement de clarifier et purifier les humeurs ; mais parmi les remèdes<br />
antiscorbutiques, il fallait soigneusement éviter ceux qui étaient imprégnés de<br />
principes âcres ; par exemple, le cresson, les amers, l’eau de goudron, l’eau<br />
d’Harrowgate, l’eau ferrugineuse, l’élixir de vitriol, l’esprit de sel marin, &c., tous<br />
étant diamétralement opposés au but cherché :<br />
le<br />
23
le relâchement des parties rigides. En conséquence, je prescrivis le petit-lait et l’eau<br />
de pomme pour toute boisson, avec du lait et des légumes frais pour nourriture.<br />
N’osant pas risquer même une petite saignée en raison de la condition émaciée de la<br />
santé de mon malade, je jugeai à propos de diminuer la masse du sang en tenant le<br />
corps libre au moyen de la casse et des tamarins. Cette méthode eut l’effet désiré.<br />
Non seulement les symptômes scorbutiques disparurent en cinq semaines, mais l’un<br />
des yeux était un peu mieux.<br />
Aucun changement ne fut fait dans le régime ; mais comme la constitution du malade<br />
n’était plus si débile, je prescrivis des laxatifs plus fréquents, je commençai aussi<br />
l’usage des suffumications émolientes et des cataplasmes. Ils se montrèrent si<br />
efficaces que la distance de la vue se réduisit à vingt-trois pouces en une quinzaine.<br />
Le malade recouvrant chaque jour de la force, je ne craignais plus les effets des<br />
saignées et par conséquent en opérai une. Les suffumications et les cataplasmes<br />
furent continués trois semaines encore, et dans l’intervalle, la distance fut réduite à<br />
seize pouces. Je saignai de nouveau le malade, puis lui appliquai l’électricité ; le<br />
douzième jour, la distance était descendue à dix pouces. En continuant l’électricité,<br />
les emplâtres de tacamaque pendant un mois de plus, le distance fut encore réduite<br />
d’un pouce et demi. Jugeant que la vue était presque revenue à son état primitif, je<br />
conseillai au malade, pour le fortifier, les lotions à l’eau froide ; je dois pourtant<br />
avouer que, depuis lors, l’œil gauche est toujours resté faible.<br />
Telles<br />
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Telles sont les cures ( o ) opérées par ma méthode. Certes elles sont peu nombreuses,<br />
mais elles sont suffisantes pour prouver que l’essai en est aussi sauf que rationnel : et<br />
toutes les fois que cette méthode sera employée avec jugement, je n’ai pas de doute<br />
qu’elle soit couronnée du même succès. Mais puisqu’il est admis qu’il y a place<br />
encore pour de nombreux perfectionnements, m’a-t-on demandé, pourquoi placezvous<br />
la méthode maintenant devant le public ? Ma réponse est simple… Parce que la<br />
méthode actuelle pour le traitement de cette maladie est évidemment mauvaise. En<br />
poursuivant ainsi un système erroné, non seulement le malade est frustré dans ses<br />
espérances, mais son cas devient pire. Si l’on ne peut pas toujours avoir le bonheur<br />
d’être un instrument pour le soulagement des malheureux, c’est cependant une sorte<br />
de service à leur offrir que de les empêcher de devenir pires. C’est en considération<br />
de ceci que je demande l’indulgence du public.<br />
( o ) Ce mois d’août dernier, étant à Edimbourg, je soignai (en présence de M. Miller, l’ingénieux oculiste)<br />
un Américain affligé de cette maladie. Pendant les quelques semaines que je l’eus en traitement, la distance<br />
à laquelle il pouvait voir fut réduite de plus d’un tiers. Des affaires me rappelant à Londres, je le laissai<br />
entre les mains de M. Miller, avec toutes les indications pour la marche du traitement. J’ai su depuis que le<br />
malade n’avait pu rester à Edimbourg assez longtemps pour achever sa guérison.<br />
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Ouvrages du même Auteur (ndlr : Georges Pilotelle)<br />
PORTRAITS A <strong>LA</strong> POINTE SECHE, par<br />
G. PILOTELLE Noseda, Editeur, Strand, In-4to, 150 francs.<br />
AVANT, PENDANT ET APRES <strong>LA</strong> COMMUNE<br />
Par Georges PILOTELLE , Collection d’eaux-fortes. In-folio,<br />
500 francs. Londres : chez l’Auteur, 62 York Terrace, Regent’s Park.<br />
MARAT EN ANGLETERRE. D’après des Documents<br />
Anglais entièrement inédits. I vol. in-4-to<br />
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IMPRIMERIE PILOTELLE<br />
1 P<strong>LA</strong>CE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> SORBONNE<br />
PARIS<br />
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