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"L'anti-théâtre : le lyrisme dans Hernani et Ruy Blas"

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d'aucune définition nouvel<strong>le</strong> : en employant <strong>le</strong>s trois termes sans <strong>le</strong>s redéfinir,<br />

Hugo autorise <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur de la Préface de Cromwell à <strong>le</strong>ur attribuer <strong>le</strong> sens fixé par<br />

la tradition. C'est <strong>le</strong> rapport des genres au réel, <strong>et</strong> par conséquent au suj<strong>et</strong>, qu’il<br />

entend redéfinir : à la disjonction entre l'art <strong>et</strong> <strong>le</strong> réel qui prévaut <strong>dans</strong> l'esthétique<br />

classique, il substitue l'analogie ; l’art manifeste la même tension entre sublime <strong>et</strong><br />

grotesque que l’homme <strong>et</strong> la nature. Mais <strong>le</strong> système classique des trois genres<br />

reste pour lui si prégnant qu'il l'incite à penser <strong>le</strong> réel <strong>et</strong> <strong>le</strong> suj<strong>et</strong> selon une logique<br />

ternaire : l'homme naît, agit <strong>et</strong> meurt ; <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il se lève, atteint son zénith <strong>et</strong> se<br />

couche ; <strong>le</strong> déclin (de la vie, du jour ou de l'histoire) est l'époque où se manifeste<br />

<strong>le</strong> plus clairement la loi universel<strong>le</strong> de l'harmonie des contraires, sublime <strong>et</strong><br />

grotesque, puisque « <strong>le</strong> jour <strong>et</strong> la nuit », « la vie <strong>et</strong> la mort 5 » y sont en lutte. La<br />

succession des trois genres correspond en ce sens à la progressive prise de<br />

conscience du suj<strong>et</strong> par lui-même : l’individu se découvre suj<strong>et</strong> de l’histoire, c’est-<br />

à-dire suj<strong>et</strong> de la souffrance historique.<br />

Les genres tels que <strong>le</strong>s conçoit Hugo ne sont évidemment pas exclusifs <strong>le</strong>s<br />

uns des autres : à chaque époque, <strong>le</strong> genre dominant contamine tous <strong>le</strong>s autres,<br />

sans pour autant <strong>le</strong>s faire disparaître. Ainsi Hugo note-t-il à propos des temps<br />

antiques, où domine <strong>le</strong> genre épique, que Pindare est « plus épique que lyrique »,<br />

qu’ « Hérodote est un Homère » <strong>et</strong> que « c'est surtout <strong>dans</strong> la tragédie antique que<br />

l'épopée ressort de partout » 6 . De la même façon, la poésie lyrique du XIX e sièc<strong>le</strong><br />

« s'est accouplée au drame », genre dominant <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s temps modernes :<br />

5 Ibid.<br />

6 Ibid., p. 6.<br />

7 Ibid., p. 15-16.<br />

Notre époque, dramatique avant tout, est par cela même<br />

éminemment lyrique. C'est qu'il y a plus de rapport entre <strong>le</strong><br />

commencement <strong>et</strong> la fin ; <strong>le</strong> coucher du so<strong>le</strong>il a quelques traits<br />

de son <strong>le</strong>ver ; <strong>le</strong> vieillard redevient enfant. Mais c<strong>et</strong>te dernière<br />

enfance ne ressemb<strong>le</strong> pas à la première ; el<strong>le</strong> est aussi triste que<br />

l'autre est joyeuse. Il en est de même de la poésie lyrique.<br />

Eblouissante, rêveuse à l'aurore des peup<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong> reparaît<br />

sombre <strong>et</strong> pensive à <strong>le</strong>ur déclin. La Bib<strong>le</strong> s'ouvre riante avec la<br />

Genèse, <strong>et</strong> se ferme sur la menaçante Apocalypse. L'ode<br />

moderne est toujours inspirée, mais n'est plus ignorante. El<strong>le</strong><br />

médite plus qu'el<strong>le</strong> ne contemp<strong>le</strong> ; sa rêverie est mélancolie. On<br />

voit, à ses enfantements, que c<strong>et</strong>te muse s'est accouplée au<br />

drame. 7

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