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Robert Montoya, le gendarme vendeur de bombes - Geo-phile

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Laurent LÉGER : Trafic d’armes : enquête sur <strong>le</strong>s marchands <strong>de</strong> mort, Flammarion, 2006, 342 p<br />

Chapitre 5 : <strong>Robert</strong> <strong>Montoya</strong>, <strong>le</strong> <strong>gendarme</strong> <strong>ven<strong>de</strong>ur</strong> <strong>de</strong> <strong>bombes</strong>, pp. 89-108<br />

Michè<strong>le</strong> Alliot-Marie, qui suit <strong>le</strong>s plaintes <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes, une enquête est ouverte au<br />

tribunal aux armées et confiée à la juge Raynaud.<br />

Mais en fait, l'enquête <strong>de</strong> la magistrate va montrer la <strong>le</strong>nteur, voire l'inaction <strong>de</strong> la France pour<br />

faire la lumière. Et dès que la juge va s'approcher <strong>de</strong> la vérité, on va vouloir la lui cacher.<br />

Reprenons. Les investigations révè<strong>le</strong>nt qu'à <strong>de</strong>ux reprises, <strong>le</strong>s services secrets français se voient «<br />

proposer », quasiment sur un plateau, l'équipe slave qui oeuvre sur <strong>le</strong>s avions ivoiriens.<br />

Immédiatement après <strong>le</strong> bombar<strong>de</strong>ment du camp <strong>de</strong> la force Licorne, un premier groupe <strong>de</strong> ces<br />

mercenaires slaves se retrouve piégé dans l'enceinte <strong>de</strong> l'aéroport d'Abidjan, encerclé par <strong>le</strong>s<br />

Français. Quinze hommes, principa<strong>le</strong>ment ukrainiens, mais aussi russes et biélorusses, chargés <strong>de</strong><br />

l'armement et <strong>de</strong> la maintenance <strong>de</strong>s avions et hélicoptères russes <strong>de</strong> Gbagbo ; ils seront retenus «<br />

en un lieu sûr, isolé et sécurisé », comme l'assure un rapport estampillé « confi<strong>de</strong>ntiel défense ». En<br />

fait, après avoir été dûment i<strong>de</strong>ntifiés et photographiés, ils vont être débriefés par un officier du<br />

COS, <strong>le</strong>s forces spécia<strong>le</strong>s, et non par <strong>le</strong>s hommes <strong>de</strong> la DGSE, qui suivent <strong>le</strong>s affaires <strong>de</strong> trafics<br />

d'armes et <strong>de</strong> mercenaires.<br />

Michè<strong>le</strong> Alliot-Marie refuse <strong>de</strong> déclassifier <strong>le</strong>s auditions <strong>de</strong>s mercenaires<br />

Mais ce qu'ils révè<strong>le</strong>nt doit visib<strong>le</strong>ment rester secret. La juge Brigitte Raynaud va voir au cours<br />

<strong>de</strong> ses investigations <strong>le</strong>s obstac<strong>le</strong>s se dresser <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>. Le pouvoir politique et la haute hiérarchie<br />

militaire ont <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> savoir; pas la justice, ni <strong>le</strong>s victimes, encore moins l'opinion... La magistrate<br />

réclame-t-el<strong>le</strong> la déclassification <strong>de</strong>s auditions <strong>de</strong>s mercenaires ? Michè<strong>le</strong> Alliot-Marie, ministre <strong>de</strong><br />

la Défense, oppose son veto. Seu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s photos et <strong>le</strong>s i<strong>de</strong>ntités <strong>de</strong> ces mercenaires, ainsi que <strong>le</strong>ur<br />

nationalité, ont été remises à la magistrate. De même que d'abondantes pages blanches, barrées<br />

d'un trait, signe que <strong>de</strong> nombreuses informations doivent rester occultées. C'est la première fois<br />

qu'un ministre ne se range pas à l'avis <strong>de</strong> la commission 23 chargée <strong>de</strong> conseil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> gouvernement<br />

sur la <strong>le</strong>vée du secret défense. Concernant ces documents sur <strong>le</strong>s mercenaires, la commission a dit<br />

oui à <strong>le</strong>ur déclassification ; la ministre, non. Pourquoi tant <strong>de</strong> mystère ? D'ail<strong>le</strong>urs, au cours <strong>de</strong> cette<br />

enquête, <strong>de</strong> nombreux autres documents ne seront déclassifiés qu'au <strong>de</strong>rnier moment, juste avant<br />

la mutation <strong>de</strong> la juge vers un autre poste, en février 2006...<br />

De toute façon, Paris tient à se débarrasser rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> ses hôtes encombrants. L'État-major<br />

<strong>de</strong>s Armées ordonne au général Poncet, alors patron <strong>de</strong> Licorne, <strong>de</strong> confier <strong>le</strong>s quinze Slaves à<br />

l'ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> Russie à Abidjan. Témoignant <strong>le</strong> 9 décembre 2005 <strong>de</strong>vant la juge, <strong>le</strong> général<br />

raconte : « Dès <strong>le</strong> sur<strong>le</strong>n<strong>de</strong>main il y a eu intervention <strong>de</strong> l'ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Russie pour <strong>le</strong>s libérer.<br />

L'ordre qui m'a été donné était <strong>de</strong> libérer la quinzaine <strong>de</strong> Slaves, plus exactement <strong>de</strong> <strong>le</strong>s remettre<br />

aux représentants <strong>de</strong> l'ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> Russie qui représentait <strong>le</strong>s intérêts <strong>de</strong>s différents pays<br />

slaves 24 . » Poncet craint la liquidation <strong>de</strong>s types et convoque un membre <strong>de</strong> la Croix-Rouge à<br />

l'heure du ren<strong>de</strong>z-vous. « J'ai voulu me couvrir, car on peut tout imaginer et je ne voulais pas avoir<br />

<strong>le</strong> moindre souci si un jour on <strong>le</strong>s avait retrouvés morts ou brutalisés... » À la juge, <strong>le</strong> haut gradé fait<br />

part <strong>de</strong> la rumeur qui a couru ensuite dans Abidjan, visib<strong>le</strong>ment sans fon<strong>de</strong>ment, selon laquel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>ux cadavres <strong>de</strong> Blancs qui auraient pu être <strong>le</strong>s pilotes <strong>de</strong>s Sukhoï auraient été retrouvés dans la<br />

lagune... Le 11 novembre, cinq jours après <strong>le</strong>ur capture, <strong>le</strong>s Slaves sont relâchés et, selon un<br />

général, ont été exfiltrés.<br />

Les investigations <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> renseignements, en particulier <strong>de</strong> la DGSE qui suit<br />

habituel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s activités sulfureuses <strong>de</strong>s mercenaires, rebondissent quelques jours après <strong>le</strong><br />

bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s Français. Le 16 novembre 2004, un nouveau groupe <strong>de</strong> Biélorusses est<br />

interpellé au poste frontière d'Aflao, sur la route qui relie la Côte d'Ivoire, <strong>le</strong> Ghana et <strong>le</strong> Togo.<br />

Arrivant cahin-caha, <strong>le</strong> minibus est stoppé pour contrô<strong>le</strong> à la frontière entre <strong>le</strong> Ghana et <strong>le</strong> Togo, à<br />

l'entrée <strong>de</strong> la capita<strong>le</strong> togolaise. Les huit hommes, accompagnés <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux Ivoiriens, sont <strong>de</strong> bien<br />

méchante humeur et se présentent du bout <strong>de</strong>s lèvres comme « mécaniciens agrico<strong>le</strong>s », «<br />

ingénieurs » ou « planteurs », employés dans l'Ouest ivoirien. À l'ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong> France au Togo,<br />

c'est <strong>le</strong> bran<strong>le</strong>-bas <strong>de</strong> combat. À lire <strong>le</strong>s notes « très urgent » transmises à Paris, <strong>le</strong>s attachés <strong>de</strong><br />

police et <strong>de</strong> défense remuent <strong>le</strong> ban et l'arrière-ban : l'ambassa<strong>de</strong>ur, <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Licorne,<br />

23<br />

La Commission consultative du secret <strong>de</strong> la défense nationa<strong>le</strong> (CCSDN) remet <strong>de</strong>s avis consultatifs au<br />

gouvernement.<br />

24<br />

Laurent Léger, « Côte d'Ivoire : Les mystères <strong>de</strong> la traque <strong>de</strong>s mercenaires <strong>de</strong> Gbagbo qui ont bombardé<br />

Licorne », Paris Match, 16 février 2006<br />

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