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Justice et torture à Alger en 1957 : apports et limites d'un document

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<strong>Justice</strong> <strong>et</strong> <strong>torture</strong> <strong>à</strong> <strong>Alger</strong> <strong>en</strong> <strong>1957</strong> : <strong>apports</strong> <strong>et</strong> <strong>limites</strong> <strong>d'un</strong> docum<strong>en</strong>t - Raphaëlle Branche <strong>et</strong> Sylvie Thénault<br />

actes qualifiés de délits. Les tribunaux militaires, <strong>en</strong> revanche, jug<strong>en</strong>t les actes qualifiés de crimes.<br />

Ceux-ci peuv<strong>en</strong>t être des actes de souti<strong>en</strong> logistique, comme l’hébergem<strong>en</strong>t, le ravitaillem<strong>en</strong>t, la<br />

collecte de fonds ou divers actes qualifiés d’atteinte <strong>à</strong> la sûr<strong>et</strong>é extérieure de l’État, d’associations de<br />

malfaiteurs ou <strong>en</strong>core de dét<strong>en</strong>tion d’armes <strong>et</strong> de munitions de guerre. Ces affaires sont extrêmem<strong>en</strong>t<br />

nombreuses puisque, <strong>à</strong> la fin de l’année 1956, la justice civile a déj<strong>à</strong> <strong>en</strong> charge plus de<br />

11 000 procédures. La situation des magistrats civils est dès lors très difficile. Ils rest<strong>en</strong>t mobilisés<br />

pour réprimer les nationalistes algéri<strong>en</strong>s, mais si, d’av<strong>en</strong>ture, ils instruis<strong>en</strong>t les plaintes dénonçant les<br />

<strong>torture</strong>s, ils ne joueront pas ce rôle répressif que le pouvoir politique leur a assigné par la législation<br />

d’exception.<br />

Pour finir, si l’on s’interroge sur le caractère représ<strong>en</strong>tatif ou non du docum<strong>en</strong>t, force est de<br />

reconnaître que Jean Reliqu<strong>et</strong> est un homme exceptionnel, qui tranche sur l’<strong>en</strong>semble de la<br />

magistrature <strong>en</strong> poste <strong>à</strong> l’époque. C’est un grand magistrat. Mais même pareil serviteur de la <strong>Justice</strong>,<br />

animé de la ferme volonté de lutter contre la <strong>torture</strong>, ne peut pas le faire <strong>et</strong> se trouve réduit <strong>à</strong><br />

l’impuissance. Sa seule force, dont atteste la l<strong>et</strong>tre, vi<strong>en</strong>t de son souci de cohésion avec son ministre.<br />

Cela concourt d’ailleurs <strong>à</strong> faire de c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre un docum<strong>en</strong>t non représ<strong>en</strong>tatif, car c<strong>et</strong>te demande de<br />

cohésion correspond <strong>à</strong> un mom<strong>en</strong>t très particulier dans l’histoire de la justice <strong>en</strong> Algérie p<strong>en</strong>dant la<br />

guerre.<br />

Lorsque François Mitterrand quitte le ministère de la <strong>Justice</strong> <strong>en</strong> juin <strong>1957</strong>, le général<br />

Corniglion-Molinier lui succède. Jean Reliqu<strong>et</strong> n’a pas eu avec lui, semble-t-il, de correspondance<br />

aussi claire. Avec le successeur de Corniglion-Molinier, Robert Lecourt, il a de nouveau pu<br />

correspondre de façon confiante <strong>et</strong> a trouvé avec lui un vrai relais <strong>à</strong> Paris. Puis lorsque Michel Debré<br />

arrive place V<strong>en</strong>dôme <strong>en</strong> mai 1958, les choses se gâteront tout <strong>à</strong> fait, mais sur une autre question que<br />

celle de la <strong>torture</strong>. En eff<strong>et</strong>, dans le cadre de l’instruction de « l’affaire du bazooka », Jean Reliqu<strong>et</strong><br />

avait demandé la levée de l’immunité parlem<strong>en</strong>taire du sénateur Michel Debré. Lorsque ce dernier<br />

arrivera au ministère de la <strong>Justice</strong>, <strong>en</strong> 1958 – il le raconte dans ses Mémoires –, il demandera le dossier<br />

de l’instruction de c<strong>et</strong>te affaire <strong>et</strong>, l’estimant vide de toute pièce contre lui, il qualifiera l’anci<strong>en</strong>ne<br />

demande de levée de son immunité parlem<strong>en</strong>taire de « machination grossière ». Il rappellera donc<br />

Jean Reliqu<strong>et</strong> <strong>en</strong> France <strong>et</strong> le rétrogradera <strong>en</strong> le nommant présid<strong>en</strong>t de chambre <strong>à</strong> Paris. Ensuite, on ne<br />

r<strong>et</strong>rouve pas d’autres mom<strong>en</strong>ts de cohésion aussi forte <strong>en</strong>tre le ministre <strong>et</strong> le procureur général<br />

d’<strong>Alger</strong>. À la suite de Michel Debré, Edmond Michel<strong>et</strong> devra même composer avec un procureur<br />

général nommé par son prédecesseur, André Rocca, dont le profil est très proche de celui de<br />

Paul Susini.<br />

C<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre de Jean Reliqu<strong>et</strong> <strong>à</strong> François Mitterrand a donc bi<strong>en</strong> été écrite dans un mom<strong>en</strong>t<br />

exceptionnel de cohésion <strong>en</strong>tre Paris <strong>et</strong> <strong>Alger</strong>, <strong>en</strong> tout cas du point de vue de la justice. Sa<br />

représ<strong>en</strong>tativité <strong>en</strong> est d’autant diminuée.<br />

La spécificité du docum<strong>en</strong>t<br />

P<strong>en</strong>dant ces années où Jean Reliqu<strong>et</strong> est <strong>en</strong> poste <strong>à</strong> <strong>Alger</strong>, deux autres procureurs généraux<br />

sont prés<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> Algérie, l’un <strong>à</strong> Oran, l’autre <strong>à</strong> Constantine. Le procureur général Bertrand, <strong>à</strong><br />

Constantine, est l’opposé de Jean Reliqu<strong>et</strong>. Non seulem<strong>en</strong>t, <strong>à</strong> notre connaissance, il n’a pas adressé de<br />

l<strong>et</strong>tres <strong>à</strong> son ministre concernant les plaintes pour sévices, mais il a fait corps avec l’armée. Il ne s’agit,<br />

pour lui, que de machinations ou de calomnies. Son souci est de servir son pays, donc l’armée <strong>et</strong> la<br />

répression que celle-ci m<strong>et</strong> <strong>en</strong> œuvre sous les formes les plus viol<strong>en</strong>tes. À Oran, le procureur<br />

général Mandeville semble <strong>en</strong> revanche beaucoup plus proche de Jean Reliqu<strong>et</strong> dans sa conception du<br />

rôle de la justice dans la guerre. Mais nous manquons de sources <strong>à</strong> son suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> sur son activité.<br />

L’auteur de notre docum<strong>en</strong>t est donc exceptionnel. Son destinataire l’est aussi <strong>et</strong> la relation <strong>en</strong>tre les<br />

deux hommes tout <strong>à</strong> fait particulière. En outre, le mois d’avril <strong>1957</strong> constitue un mom<strong>en</strong>t particulier de<br />

la guerre d’Algérie, car on observe alors un auth<strong>en</strong>tique mais exceptionnel sursaut, une t<strong>en</strong>tative de<br />

r<strong>et</strong>our <strong>à</strong> la légalité, qui vont échouer assez rapidem<strong>en</strong>t.<br />

Enseigner la guerre d'Algérie <strong>et</strong> le Maghreb contemporain - actes de la DESCO Université d'été octobre 2001<br />

© ministère de l'Education nationale - direction de l'Enseignem<strong>en</strong>t scolaire pour Eduscol avril 2002

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